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Tribunal Arbitral du Sport Court of Arbitration for Sport Arbitrage TAS 2006/A/1082 & 1104 Real Valladolid CF SAD c. Diego Daniel Barreto Càceres & Club Cerro Porteño, sentence du 19 janvier 2007 Formation: Me Luc Argand (Suisse), Président; Me Marcos de Robles (Espagne); Prof. Jean-Pierre Karaquillo (France) Football Contrat de travail Droit applicable Qualification juridique de la convention conclue entre le joueur et le club Clause de reconduction unilatérale du contrat en tant que motif justificatif Principe et montant d’une clause d’indemnité pour rupture unilatérale du contrat Réduction d’une clause d’indemnisation excessive Qualité pour demander une sanction à l’égard du joueur Mise en demeure du débiteur 1. Il est admis qu’une élection de droit au sens de l’art. 187 LDIP peut être tacite et indirecte, notamment lorsque les parties se soumettent à un règlement d’arbitrage qui contient lui-même des dispositions au sujet de la désignation du droit applicable. Cette disposition autorise également le “dépeçage”, à savoir l’application de règles de droit distinctes aux différents objets d’une convention. 2. La réglementation de la FIFA ne donne aucune indication sur la notion de précontrat. En revanche pour le droit suisse (art. 22 CO), le précontrat est un contrat bilatéral par lequel les deux parties, ou l’une d’elles seulement, s’engagent à conclure un contrat déterminé dans le futur. Toutefois, en ce qui concerne le contrat de travail, il résulte clairement de l’art. 320 al. 2 CO que l’élément déterminant pour en présumer sa conclusion est l’accord sur l’exécution d’un travail, contrepartie d’une rémunération. Dès lors que la convention passée entre un joueur et un club contient toutes les conditions nécessaires à l’existence d’un contrat de travail, soit la description du travail à fournir, la durée de l’engagement et le salaire, le seul fait que l’entrée en service ait été convenue pour un terme futur ne suffit pas pour conclure à l’existence d’un précontrat plutôt que d’un contrat. 3. L’existence d’une clause de reconduction unilatérale figurant dans le contrat de travail passé entre un joueur et un club ne saurait à elle seule constituer un juste motif pour le joueur de ne pas entrer en service auprès d’un autre club, à même de justifier la rupture unilatérale par le joueur du contrat conclu avec cet autre club, au sens des art. 21 ss du Règlement FIFA. Cette clause de reconduction unilatérale est contraire à la réglementation de la FIFA, telle qu’interprétée par la jurisprudence du TAS. A ce sujet, il convient de passer outre les règles étatiques internes qui seraient contraires aux principes et au cadre juridique des règles que la FIFA a pour but d’instaurer. Dans le

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Tribunal Arbitral du Sport Court of Arbitration for Sport

Arbitrage TAS 2006/A/1082 & 1104 Real Valladolid CF SAD c. Diego Daniel Barreto Càceres & Club Cerro Porteño, sentence du 19 janvier 2007 Formation: Me Luc Argand (Suisse), Président; Me Marcos de Robles (Espagne); Prof. Jean-Pierre Karaquillo (France) Football Contrat de travail Droit applicable Qualification juridique de la convention conclue entre le joueur et le club Clause de reconduction unilatérale du contrat en tant que motif justificatif Principe et montant d’une clause d’indemnité pour rupture unilatérale du contrat Réduction d’une clause d’indemnisation excessive Qualité pour demander une sanction à l’égard du joueur Mise en demeure du débiteur 1. Il est admis qu’une élection de droit au sens de l’art. 187 LDIP peut être tacite et

indirecte, notamment lorsque les parties se soumettent à un règlement d’arbitrage qui contient lui-même des dispositions au sujet de la désignation du droit applicable. Cette disposition autorise également le “dépeçage”, à savoir l’application de règles de droit distinctes aux différents objets d’une convention.

2. La réglementation de la FIFA ne donne aucune indication sur la notion de précontrat.

En revanche pour le droit suisse (art. 22 CO), le précontrat est un contrat bilatéral par lequel les deux parties, ou l’une d’elles seulement, s’engagent à conclure un contrat déterminé dans le futur. Toutefois, en ce qui concerne le contrat de travail, il résulte clairement de l’art. 320 al. 2 CO que l’élément déterminant pour en présumer sa conclusion est l’accord sur l’exécution d’un travail, contrepartie d’une rémunération. Dès lors que la convention passée entre un joueur et un club contient toutes les conditions nécessaires à l’existence d’un contrat de travail, soit la description du travail à fournir, la durée de l’engagement et le salaire, le seul fait que l’entrée en service ait été convenue pour un terme futur ne suffit pas pour conclure à l’existence d’un précontrat plutôt que d’un contrat.

3. L’existence d’une clause de reconduction unilatérale figurant dans le contrat de travail

passé entre un joueur et un club ne saurait à elle seule constituer un juste motif pour le joueur de ne pas entrer en service auprès d’un autre club, à même de justifier la rupture unilatérale par le joueur du contrat conclu avec cet autre club, au sens des art. 21 ss du Règlement FIFA. Cette clause de reconduction unilatérale est contraire à la réglementation de la FIFA, telle qu’interprétée par la jurisprudence du TAS. A ce sujet, il convient de passer outre les règles étatiques internes qui seraient contraires aux principes et au cadre juridique des règles que la FIFA a pour but d’instaurer. Dans le

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domaine particulier du droit du sport, il est important de pouvoir recourir à des normes transcendant tel ou tel système étatique particulier. Cette possibilité de développer des règles dégagées, dans la mesure du possible, de toute référence à un système de normes étatiques particulières, répond en effet à un besoin spécifique découlant de l’organisation du sport. Ce serait faire fi de ce besoin spécifique que de considérer qu’une pratique étatique contraire à la réglementation de la FIFA devrait en tant que telle constituer un juste motif pouvant justifier la rupture d’un contrat.

4. L’art. 22 du Règlement FIFA pose clairement le droit à une indemnité en cas de rupture

unilatérale du contrat de travail et fixe les modalités de calcul de cette indemnité. Il faut néanmoins interpréter le passage de l’art. 22 selon lequel “si rien n’est spécifiquement prévu par le contrat” en ce sens que la réglementation permet aux parties de fixer dans leur convention le montant de l’indemnité pour rupture de contrat. Le contrat de travail prévoyant une indemnité pour rupture unilatérale du contrat par le travailleur ne saurait être considéré comme violant l’ordre public. Le droit suisse du siège de l’arbitrage ne s’oppose pas en effet à ce que cette clause opère.

5. La réduction d’une clause d’indemnité pour rupture unilatérale de contrat est

juridiquement fondée tant au regard du droit suisse que du droit espagnol. En droit suisse, le juge ne doit réduire la peine qu’avec retenue, afin de protéger la liberté et la volonté des parties. Dans cet office, le juge devra tenir compte, en particulier, de l’intérêt du créancier à l’exécution de l’obligation, de la gravité de la violation de l’obligation ainsi que de la faute de l’obligé et des facultés économiques des parties. Il n’apparaît pas acceptable qu’un montant exorbitant d’une clause pénale dans un contrat de travail puisse entraver la liberté du joueur au point de rendre pratiquement impossible tout transfert à un autre club. Ainsi, une clause qui serait sans proportion avec la valeur du joueur devrait être réduite, sous peine d’être contraire au principe protégeant la liberté du travailleur, telle qu’elle découle notamment de l’art. 27 al. 2 CC, applicable à titre supplétif. En parallèle, le montant de la clause d’indemnité pour rupture unilatérale de contrat doit être fixé en fonction de l’intérêt du club à l’exécution de ce contrat. Cet intérêt peut correspondre à la valeur du joueur sur le marché, si celle-ci peut être démontrée. A défaut, cette valeur correspond à tout le moins à la rémunération que le club était prêt à offrir à son joueur selon le contrat répudié, soit l’investissement que le club a consenti pour s’attacher les services du joueur.

6. Conformément à la jurisprudence du TAS, le club victime de la rupture de contrat n’est

pas fondé à requérir une augmentation de la sanction prononcée par la FIFA à l’égard du joueur. Le système mettant sur pied le principe des sanctions pose des règles qui s’appliquent à la FIFA, d’une part, et au joueur ou au club visé par les sanctions, d’autre part. Un tiers n’a pas d’intérêt digne de protection à faire valoir pour contester le principe ou la mesure de la sanction infligée, sauf à s’en prendre directement à la FIFA et à se fonder sur les rapports de droit fédératif entre ce tiers, respectivement sa fédération nationale, et la FIFA.

7. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, il suffit, pour qu’il y ait interpellation

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aux fins de mise en demeure, que le créancier ait clairement manifesté, de quelque manière que ce soit – par écrit, verbalement ou par actes concluants – sa volonté de recevoir la prestation, sans forcément indiquer les conséquences de la demeure. L’interpellation est sujette à réception et déploie, en principe, ses effets dès que le débiteur ou son représentant la reçoit. Selon la jurisprudence du TAS, le fait pour un club de clairement manifester sa volonté d’être indemnisé pour le dommage subi en adressant une requête en ce sens à la FIFA vaut en principe mise en demeure du débiteur.

Le Real Valladolid CF SAD (“le Real Valladolid”) est un club de football dont le siège social est à Valladolid, Espagne. Il est membre de la Fédération Espagnole de Football (Real Federación Española de Fútbol, RFEF), laquelle est affiliée à la FIFA depuis 1904. M. Diego Daniel Barreto Cáceres (“M. Barreto” ou “le joueur”) est né le 16 juillet 1981. Il est un joueur professionnel de football. Il est de nationalité paraguayenne et italienne. Le Club Cerro Porteño (“Cerro Porteño”) est un club de football dont le siège social est à Asunción, Paraguay. Il est membre de l’Association Paraguayenne de Football (Asociación Paraguya de Fútbol, APF), laquelle est affiliée à la FIFA depuis 1925. En date du 27 décembre 2000, le joueur a signé avec Cerro Porteño un contrat de travail sportif au sens de la Loi paraguayenne 88/91 du 16 décembre 1991 établissant le Statut du Footballeur Professionnel. Il ressort notamment ce qui suit de ce contrat:

“(…)

4. Ce contrat entre en vigueur le 1er janvier 2001 et se terminera le 31 décembre 2004.

(…)

CLAUSE UNIQUE: Conformément à l’article 28 lettre b de la Loi 88/91 concernant les footballeurs professionnels, le Club CERRO PORTEÑO aura l’option EXCLUSIVE de prolonger le présent contrat pour (2) DEUX ans de plus, moyennant un accord préalable entre les parties. Il est convenu qu’en aucun cas l’augmentation du SALAIRE de contrat à contrat ne pourra être inférieure à 20% ni dépasser de 40% de celui convenu dans ce contrat.

(…)”. Le 17 juillet 2004, le Real Valladolid et M. Pascual Barrios Fretes, avocat agissant au nom du joueur et au bénéfice d’une procuration, ont conclu une convention dont il ressort notamment ce qui suit (traduction du Real Valladolid):

“(…)

I.- Que le Real Valladolid CF, SAD, ci-après Le Club, est une société commerciale sportive qui appartient à la ligue nationale de football professionnel, qui est intéressée par l’intégration du joueur Diego Daniel Barreto Cáceres.

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II.- Que M. Diego Daniel Barreto Cáceres, ci-après Le Joueur, est un footballeur de nationalité paraguayenne, qui possède également un passeport italien et qui joue actuellement au CERRO PORTEÑO, avec un contrat qui se termine le 31 décembre 2004.

III.- Qu’il est de l’intérêt des parties que le Joueur s’intègre au Club à partir du 1er janvier 2005 et pour ce ils conviennent:

PREMIEREMENT: Que M. Diego Daniel BARRETO CACERES s’oblige à rendre ses services comme footballeur professionnel dans le Club REAL VALLADOLID CF SAD, à partir du 1er janvier 2005 et ce jusqu’au 30 juin 2010, les deux dates y comprises.

DEUXIEMEMENT: Le Joueur s’oblige à se consacrer exclusivement à la pratique de ce sport.

TROISIEMEMENT: Le Joueur sera rémunéré en contrepartie économique, pour tous les concepts, avec les sommes qui suivent:

- Saison 2004 - 2005 (du 1er janvier 2005 au 30 juin 2005): 75’000 Euros nets

- Saison 2005 - 2006: 150’000 Euros nets

- Saison 2006 - 2007: 180’000 Euros nets

- Saison 2007 - 2008: 200’000 Euros nets

- Saison 2008 - 2009: 240’000 Euros nets

- Saison 2009 - 2010: 270’000 Euros nets

Nonobstant ce qui précède, on paiera au joueur, comme prime de contrat, la somme de 50’000 Euros, payable en deux échéances de 25’000 Euros chacune, la première à la signature du contrat et la seconde au moment de son incorporation.

QUATRIEMEMENT: En plus des sommes indiquées auparavant, le REAL VALLADOLID CF SAD, en concept de droits qui appartiennent au père du joueur Osvaldo Salvador Barreto, paiera la somme de 300’000 Euros, payable de la façon suivante:

a) 100’000 Euros à la signature du présent contrat, au compte que le fondé de pouvoirs indiquera, en acceptant que le paiement effectué par le Club sera preuve suffisante du paiement;

b) 200’000 Euros le jour de son incorporation, le 1er janvier 2005.

CINQUIEMEMENT: Le Club paiera également un logement au joueur, anisi qu’une voiture et deux billets d’avion par an pour le joueur et pour ses parents - Madrid - Asunción aller et retour.

SIXIEMEMENT: Le Club s’oblige à payer les possibles droits de formation qui peuvent revenir au Club CERRO PORTEÑO et à Fernando De la Mora de l’Association Paraguayenne de football, quand ils seront requis.

SEPTIEMEMENT: Le Joueur s’oblige à payer les frais, honoraires et/ou commissions à ses agents et avocats.

HUITIEMEMENT: Le Joueur recevra les primes accordées par le Conseil d’administration pour les saisons indiquées.

NEUVIEMEMENT: Le Joueur octroie en exclusivité et sans limites géographiques, au Club, tous les droits sur son image, par n’importe quel moyen de diffusion que ce soit, présent ou futur, en tant que joueur de football professionnel et pour l’exploitation absolue de ceux-ci.

DIXIEMEMENT: Le Joueur s’oblige à signer tous les documents et contrats qui seront requis par le Club pour son incorporation à celui-ci, à la RFEF et à la LFP.

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ONZIEMEMENT: Les parties accordent expressément et en accord mutuel, une clause de résiliation, en cas de rupture unilatérale du contrat par le joueur, au sens du décret royal 1006/1985, adaptée et évaluée par les deux parties, et en faveur du Club, de 6’000’000 Euros.

DOUZIEMEMENT: Le Joueur, son père et fondé de pouvoir et M. Barrios s’obligent solidairement à rembourser les sommes payées en acompte ou au préalable à l’incorporation du joueur, si celui-ci, finalement, ne s’incorpore pas.

TREIZIEMEMENT: Pour tout litige ou problème qui puisse surgir ou résulter de l’interprétation et/ou de l’exécution du présent contrat, les parties se soumettent à la juridiction de la FIFA et en cas d’appel de toute décision de celle-ci, au Tribunal arbitral du sport (TAS-CAS) à Lausanne (Suisse), en renonçant expressément à tout autre for qui pourrait leur être attribué.

(…)”. Au moment où ce document a été signé, le Joueur disputait un tournoi au Pérou avec l’équipe nationale du Paraguay. Le Joueur a pris connaissance de ce document, notamment en s’en faisant faxer un exemplaire à l’hôtel dans lequel il résidait au Pérou. Le Joueur a par la suite donné son accord au contenu de ce document et l’a contresigné. Interrogé à ce sujet à l’occasion de l’audience tenue le 28 novembre 2006, le Joueur a déclaré qu’au moment où la convention a été signée, il était satisfait du contenu de cette convention. En septembre 2004, le Joueur a remporté avec l’équipe nationale du Paraguay la médaille d’argent du tournoi Jeux Olympiques d’Athènes. Le 3 septembre 2004, le Real Valladolid a versé un montant de EUR 50’000 sur un compte bancaire ouvert conjointement au nom du joueur et de son père. Le 19 octobre 2004, Cerro Porteño s’est prévalu de la clause qui figure dans le contrat signé avec le Joueur le 27 décembre 2000 et a exigé la prolongation du contrat au-delà du 31 décembre 2004. Le 17 décembre 2004, Cerro Porteño a saisi les tribunaux étatiques du Paraguay pour obtenir l’exécution de la prolongation du contrat du Joueur au-delà du 31 décembre 2004. Le 22 décembre 2004, le Real Valladolid a adressé au conseil du Joueur, par fax et par courrier, une lettre concernant l’incorporation du Joueur au Club le 1er janvier 2005, en se référant à ce qui avait été convenu dans le contrat signé le 17 juillet 2004 entre M. Barreto et le Real Valladolid. Les 23 et 27 décembre 2004, l’avocat Pascual Barrios Fretes a envoyé des télégrammes au joueur concernant son incorporation au Real Valladolid. Le 29 décembre 2004, le père du Joueur a adressé au Real Valladolid un télégramme selon lequel le contrat conclu entre les parties n’aurait pas de valeur, faute d’exécution de la clause 4 lettre a de ce contrat. Il proposait de rembourser la somme de EUR 50’000 versée par le Real Valladolid le 3 septembre 2004. Le 12 janvier 2005, Cerro Porteño et M. Barreto ont signé un contrat de travail sportif au sens de la Loi paraguayenne 88/91 du 16 décembre 1991 établissant le Statut du Footballeur Professionnel, pour

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une période allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2006. Selon les déclarations du joueur, la signature de ce contrat résulterait d’un accord transactionnel intervenu à la suite de l’instance ouverte par Cerro Porteño devant les tribunaux paraguayens le 17 décembre 2004. Dès janvier 2005 en tous cas, le Joueur s’est entraîné avec le Club espagnol Almeria SAD. Courant 2005, le Joueur a été transféré au Club espagnol Almeria SAD. Un litige est intervenu devant la Fédération espagnole de football à propos de l’octroi par cette fédération d’une licence à M. Barreto, le Real Valladolid s’étant opposé à ce que M. Barreto puisse jouer pour Almeria. Ce n’est que le 11 novembre 2005 que la Fédération espagnole de football a accordé à M. Barreto la licence nécessaire pour jouer avec le Club Almeria SAD. Le 7 juin 2005, le Real Valladolid a adressé à la FIFA une requête, complétée le 9 août 2005, concluant notamment à ce que le joueur soit sanctionné d’une suspension de 6 mois, en application de l’art. 23 al.1 lettre c du règlement FIFA, que le Joueur soit condamné à payer la somme de EUR 6’000’000 en exécution de l’art. 11 du contrat du 27 juillet 2004, qu’interdiction soit faite au Cerro Porteño de procéder à des transferts nationaux et internationaux pour deux périodes, en application de l’art. 23 al. 2 lettre a du règlement FIFA et enfin que l’agent de joueurs Adalbe soit sanctionné. Devant la FIFA, le Joueur a soutenu que la convention passée le 17 juillet 2004 n’était qu’un précontrat ou une promesse de contrat, que le Real Valladolid n’avait pas exécuté certaines clauses de ce précontrat, que son obligation de payer une indemnité au Real Valladolid se limitait à EUR 50’000, c’est-à-dire à la somme versée sur le compte joint ouvert avec son père, que la clause pénale contenue dans la convention du 17 juillet 2004 devait être déclarée nulle, subsidiairement réduite à EUR 150’000, qu’aucune sanction disciplinaire ne soit prononcée à son égard, que le Real Valladolid soit sanctionné d’une amende de CHF 50’000 et d’une déduction de points et enfin que l’avocat Barrios Fretes soit sanctionné d’une amende de CHF 50’000 et qu’il soit suspendu de sa fonction d’agent de joueurs. Le Club Cerro Porteño a quant à lui conclu au rejet de la requête du Real Valladolid, à ce qu’une amende d’un minimum de CHF 50’000 soit prononcée contre le Real Valladolid, pour violation aggravée de l’art. 13 al. 1 du Règlement d’application du Règlement FIFA et enfin que l’avocat Barrios Fretes soit interdit d’exercer la fonction d’agent de joueurs ou d’intervenir dans des transferts. Le 12 janvier 2006, la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA a rendu une décision sur la requête présentée par le Real Valladolid. Les principaux considérants de cette décision sont les suivants:

“(…)

19. (…) La Chambre a conclu que le Club Real Valladolid et le Joueur Barreto ont conclu un contrat de travail valable et obligatoire entre eux.

(…)

23. En prenant en considération tout ce qui a été exprimé antérieurement, les membres de la Chambre de Résolution des Litiges ont considéré de manière unanime que le fait que le Joueur ait signé un contrat de travail avec le Real Valladolid et qu’il ait reconduit son contrat avec le Club Cerro Porteño sept mois après constitue clairement une rupture unilatérale de contrat sans juste cause.

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(…)

27. (…) Les membres de la Chambre ont considéré que la clause pénale contenue dans le contrat entre le Club Real Valladolid et le Joueur Barreto en cas de rupture unilatérale était excessive. En premier lieu, la Chambre a remarqué que la somme prévue dans la clause pénale, soit 6’000’000 Euros, correspond à 363 ( !) salaires mensuels en moyenne du Joueur (total des salaires par saison divisé par le total de la durée du contrat en mois).

28. De plus, la Chambre a considéré qu’il existe dans le cas présent des circonstances atténuantes qui doivent être prises en compte, en particulier l’existence de la législation interne du Paraguay et des effets juridiques de cette législation, dont le joueur Barreto n’était apparemment pas suffisamment conscient ou informé au moment de signer son contrat avec le Cerro Porteño tout d’abord et ultérieurement avec le Real Valladolid.

(…)

34. Pour le surplus, la Chambre a considéré que la rupture du contrat était intervenue pendant la période protégée. En conséquence, conformément à l’art. 21.1 (a) et 23.1 (a) du règlement FIFA, il est nécessaire d’imposer des sanctions sportives au Joueur. La Chambre de Résolution des Litiges a également estimé que comme des circonstances atténuantes ont été prises en considération pour déterminer le montant de l’indemnité, ces mêmes circonstances ne pouvaient à nouveau être retenues pour décider de la sanction sportive.

(…)

36. Finalement, la Chambre a examiné les arguments du Real Valladolid selon lesquels le Club Cerro Porteño aurait incité à rompre le contrat. Les membres de la Chambre de Résolution des Litiges ont estimé qu’il ne résultait pas de l’instruction des faits susceptibles d’établir une telle incitation.

37. En particulier, la Chambre de Résolution des Litiges souligne que le Club Cerro Porteño a agi avec la conviction qu’il se comportait en conformité avec sa législation interne, ainsi qu’avec les clauses du contrat de travail signé avec le Joueur Barreto en l’an 2000, et non avec l’intention d’inciter le Joueur à ne pas exécuter son contrat.

(…)”. Fondé sur les considérants qui précèdent notamment, la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA a rendu la décision suivante:

“1. La demande du Club Real Valladolid est partiellement admise.

2. Le joueur Barreto a rompu sans juste cause le contrat daté du 17 juillet 2004.

3. Le joueur Barreto est condamné à payer au Club de Real Valladolid la somme de 462’500 EUR.

4. Le Club de Real Valladolid s’engage à communiquer au Joueur Barreto le numéro de compte sur lequel devra être versé le montant de la somme due, ainsi qu’à informer la Chambre de résolution des litiges des paiements opérés par le Joueur.

5. Le Joueur Barreto est averti qu’en cas de non respect du chiffre 3, la somme de 462’500 EUR sera augmentée d’intérêts d’un montant de 5 % l’an. De plus, l’administration de la FIFA sera autorisée à transférer le cas devant la Commission de discipline de la FIFA.

6. Toutes autres demandes du Club Real Valladolid sont rejetées.

7. Les demandes du Joueur Barreto sont totalement rejetées.

8. Les demandes du Club Cerro Porteño sont totalement rejetées.

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9. Il est interdit au Joueur Barreto de participer à un quelconque match officiel pour une période de quatre mois, à compter de ce qui correspond au début de la prochaine saison sportive de son Club actuel.

10. La plainte présentée par le Club Real Valladolid contre l’agent du Joueur Pedro Adalbe est renvoyée à la Commission du statut du joueur de la FIFA pour y être jugée et tranchée.

11. Selon l’article 60 alinéa 1 des Statuts de la FIFA, cette décision peut faire l’objet d’un appel devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS). La déclaration d’appel doit être soumise directement au TAS dans les 21 jours après notification de cette décision (…)”.

La décision a été notifiée au Real Valladolid par fax du 19 avril 2006. Elle a été adressée au joueur et à Cerro Porteño par pli DHL et notifiée à ces derniers le 25 avril 2006. Le 5 mai 2006, le Real Valladolid a déposé une déclaration d’appel auprès du Tribunal Arbitral du Sport (“TAS”). Le 28 novembre 2006, le Tribunal a tenu une audience à Lausanne.

DROIT

Compétence du TAS 1. La compétence du TAS résulte de l’art. R47 al. 1 du Code de l’arbitrage en matière de sport (le

“Code”), qui est ainsi libellé:

“Un appel contre une décision d’une fédération, association ou autre organisme sportif peut être déposé au TAS si les statuts ou règlements dudit organisme sportif le prévoient ou si les parties ont conclu une convention d’arbitrage particulière et dans la mesure aussi où l’appelant a épuisé les voies de droit préalables à l’appel dont il dispose en vertu des statuts ou règlements dudit organisme sportif”.

2. L’art. 60 al. 1 des Statuts de la FIFA, dans leur version en vigueur à la date de la notification de

la décision attaquée et à celle du dépôt des déclarations d’appel (“les Statuts de la FIFA”), prévoit que “Tout recours contre des décisions prises en dernière instance par la FIFA, notamment les instances juridictionnelles, ainsi que contre des décisions prises par les confédérations, les membres ou les ligues doit être déposé auprès du TAS dans un délai de 21 jours suivant la communication de la décision”.

3. Les appels dont il est ici question visent une décision rendue par la Chambre de Résolution des

Litiges de la FIFA, qui a jugé en dernier ressort. Les voies de droit préalables à l’appel devant le TAS ont donc été épuisées. Aussi, les conditions fixées à l’art. R47 al. 1 du Code sont remplies.

4. Il convient d’ajouter que les parties ont expressément reconnu et accepté la compétence du TAS

dans leurs écritures ainsi que par la signature de l’ordonnance de procédure.

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Recevabilité des appels 5. Les déclarations d’appel ont été adressées au TAS le 5 mai 2006 pour ce qui concerne le Real

Valladolid et le 12 mai 2006 pour ce qui concerne le joueur. Compte tenu du fait que la décision a été notifiée au Real Valladolid les 19 avril 2006 et au joueur le 25 avril 2006, le délai de 21 jours fixé par l’art. 60 des Statuts de la FIFA est ainsi respecté.

6. Au surplus, les déclarations d’appel satisfont aux conditions de forme requises par les art. R48

et R51 du Code. 7. Partant, les appels sont recevables, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté. Questions procédurales 8. L’appel du Real Valladolid (affaire TAS 2006/A/1082) et l’appel du Joueur (affaire TAS

2006/A/1104) visent la même décision et portent sur le même objet. Les parties sont en outre identiques et des formations arbitrales composées des mêmes arbitres avaient été désignées. Dans l’Ordonnance de procédure rendue le 16 novembre 2006 par le Président de la formation, la jonction des procédures TAS 2006/A/1082 et TAS 2006/A/1104 a été ordonnée. Les parties ont expressément accepté la jonction des deux causes, en signant l’Ordonnance de procédure, de sorte que les deux appels feront l’objet d’une seule et même sentence.

Le droit applicable 9. Il convient en premier lieu de traiter la question du droit applicable, en particulier pour ce qui

concerne la Convention conclue le 17 juillet 2004 entre le Real Valladolid et le Joueur. Le Real Valladolid soutient qu’il faudrait appliquer des dispositions réglementaires de la FIFA, le droit suisse à titre complémentaire et le droit espagnol quant à l’indemnité pour rupture unilatérale de contrat. Le Joueur demande quant à lui que l’affaire soit jugée conformément à Loi paraguayenne 88/91 du 16 décembre 1991 établissant le Statut du Footballeur Professionnel, au Décret Royal espagnol no 1006/1985 sur le Statut du Sportif Professionnel, au règlement de la FIFA concernant le Statut et le Transfert des Joueurs (version 2001) et enfin à la jurisprudence espagnole mentionnée dans ses écritures, étant précisé que le Joueur invoque des décisions des tribunaux espagnols concernant la nature d’un précontrat de travail, l’admissibilité d’une clause pénale dans un tel contrat et la réduction d’une clause pénale abusive.

10. Conformément à l’art. R28 du Code, le siège du présent arbitrage est en Suisse. Aucune des

parties n’avait son domicile ou sa résidence habituelle en Suisse lors de la conclusion de la clause arbitrale, de sorte que les règles du chapitre 12 de la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) sont applicables à la présente cause, conformément à l’art. 176 al. 1 LDIP.

11. Au sein du chapitre 12 de la LDIP, la question des règles de droit applicable au fond est plus

particulièrement régie par l’art. 187 LDIP. Cette disposition prévoit que “le Tribunal arbitral statue

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selon les règles de droit choisies par les parties ou, à défaut de choix, selon les règles de droit avec lesquelles la cause présente les liens les plus étroits”. L’alinéa 2 de l’art. 187 LDIP précise que les parties peuvent autoriser le Tribunal à statuer en équité. Il est admis par la doctrine, ainsi que la jurisprudence du TAS, que l’art. 187 LDIP permet aux arbitres de trancher en application de règles de droit non étatiques, telles des réglementations sportives ou les règles d’une fédération internationale (voir notamment RIGOZZI A., L’Arbitrage International en matière de sport, Bâle 2005, no 1178; TAS 2005/A/983 & 984, spéc. nos 62 et ss.).

12. La majorité de la doctrine admet en outre qu’une élection de droit au sens de l’art. 187 LDIP

peut être tacite et indirecte, par renvoi au règlement d’une institution d’arbitrage (voir POUDRET/BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, Zurich 2002, p. 613, no 683 et réf. citées). Il est également admis dans la jurisprudence du TAS que le choix des parties peut être indirect, notamment lorsqu’elles se soumettent à un règlement d’arbitrage qui contient lui-même des dispositions au sujet de la désignation du droit applicable (TAS 2004/A/574 et TAS 2005/A/983 & 984).

13. En l’espèce, la convention du 17 juillet 2004 contient deux dispositions qui peuvent s’interpréter

comme des clauses d’élection de droit. A l’art. 11 de cette convention, les parties ont stipulé une “clause de résiliation” au sens du droit espagnol régissant le contrat de travail du footballeur professionnel, à savoir le Décret Royal 1006/1985 sur le Statut du Sportif Professionnel. A l’art. 13 de la convention du 17 juillet 2004, les parties ont en outre convenu de soumettre tout litige résultant de l’interprétation ou de l’exécution de leur convention à “la juridiction de la FIFA et en cas d’appel de toute décision de celle-ci, au Tribunal arbitral du sport”.

14. La Formation considère qu’en libellant ainsi leur convention, les parties ont choisi d’appliquer

des règles de droit distinctes aux différents objets de cette convention. Un tel mode de procéder est admissible au regard de l’art. 187 LDIP qui, selon la doctrine dominante, permet le “dépeçage”, soit par exemple de convenir de l’application d’une loi à la responsabilité contractuelle et d’une autre à une éventuelle responsabilité délictuelle (voir POUDRET/BESSON, op. cit., p. 614, no 684).

15. Ainsi, la convention du 17 juillet 2004 doit s’interpréter comme étant régie à titre général par les

règles de droit désignées par les Statuts de la FIFA et le règlement de procédure du TAS, par renvoi indirect, du fait de l’accord de se soumettre à la juridiction de la FIFA et à celle du TAS, en cas d’appel.

16. L’art. 59 al. 2 des Statuts de la FIFA prévoit que “la procédure arbitrale est régie par les dispositions du

Code de l’arbitrage en matière de sport du TAS. Le TAS applique en premier lieu les divers règlements de la FIFA ainsi que le droit suisse à titre supplétif”.

17. L’art. R58 du Code prévoit, s’agissant du droit applicable aux arbitrages conduits devant le TAS,

que “la formation statue selon les règlements applicables et selon les règles de droit choisies par les parties, ou à défaut de choix, selon le droit du pays dans lequel la fédération, association ou autre organisme sportif ayant rendu la décision attaquée a son domicile ou selon les règles de droit dont la formation estime l’application appropriée (…)”.

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18. Hormis l’exception prévue à l’art. 11 de leur convention, il faut donc considérer que les parties

ont choisi ou à tout le moins accepté que cette convention soit soumise aux règles de droit rendues applicables par les Statuts de la FIFA et le règlement de procédure applicable devant le TAS, à savoir les divers règlements de la FIFA en premier lieu, dans leur version de 2001 vu la date des événements objet de la présente procédure, et le droit suisse à titre supplétif.

19. Comme mentionné ci-dessus, la Formation considère que les parties ont choisi de soumettre

expressément au Décret Royal 1006/1985 du droit espagnol la clause de résiliation en cas de rupture unilatérale du contrat. Ce mode de procéder fait d’ailleurs sens dans la mesure où l’art. 22 du règlement FIFA concernant le Statut et le Transfert des joueurs (version 2001) semble permettre aux parties de convenir d’une indemnité pour rupture de contrat et fait référence à ce sujet au “droit national”.

20. Il est plus délicat de déterminer le champ d’application du renvoi à la loi espagnole sur le Statut

du Sportif Professionnel (Décret Royal 1006/1985). Pour le Real Valladolid, c’est l’art. 16 al. 1 de ce Décret qui aurait en l’espèce une portée déterminante. Cette disposition prévoit que “la résiliation du contrat de par la volonté du sportif professionnel, sans cause imputable au Club, donnera droit à une indemnité qui sera fixée en absence d’accord à ce sujet par les tribunaux compétents en matière de droit du travail en fonction des circonstances d’ordre sportif, du préjudice causé par la rupture, des motifs de la rupture et d’autres éléments que le Juge considérera comme pertinents”.

21. Il résulte d’une interprétation a contrario de cette disposition, qu’il est licite de prévoir à l’avance

le montant de l’indemnité à verser en cas de rupture unilatérale du contrat. Le droit espagnol sur le Statut du Sportif Professionnel ne dit en revanche rien du principe et des conditions auxquelles l’indemnité contractuelle prévue, en tant que clause pénale, pourrait être supprimée ou réduite. On peut ainsi se demander si une éventuelle réduction de la clause pénale devrait être opérée en application des dispositions du Code civil espagnol ou en application de celles du Code suisse des obligations. Cette question sera examinée plus avant ci-dessous, tant que de besoin.

Le fond 22. Au fond, les questions fondamentales qui doivent être tranchées par la formation sont les

suivantes:

- validité de la convention du 17 juillet 2004;

- qualification de la convention du 17 juillet 2004;

- existence d’une rupture unilatérale de contrat et de motifs justificatifs;

- principe et quotité d’une rupture unilatérale de contrat;

- obligation de remboursement des versements opérés par le Real Valladolid en exécution de la convention du 17 juillet 2004;

- sanction à l’égard du joueur;

- sanction à l’égard de Cerro Porteño.

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A. Validité de la convention du 17 juillet 2004 23. Le Joueur conteste tout d’abord que la convention du 17 juillet 2004 ait été valablement conclue.

Il soutient ne pas avoir été valablement représenté au moment de la signature de la convention et fait valoir d’autres griefs d’ordre formel dont il résulterait que la convention serait invalide. Conformément à ce qui a été exposé ci-dessus, ces griefs doivent être jugés à la lumière de la réglementation de la FIFA et du droit suisse, applicable à titre supplétif.

24. Il est clair aux yeux de la Formation que la convention conclue le 17 juillet 2004 entre le Real

Valladolid et le Joueur doit être considérée comme valide. Quand bien même il n’aurait pas été valablement représenté lors de la signature de ce document, le Joueur a à tout le moins donné postérieurement son accord à ce contrat. Ainsi, M. Barreto n’a fait aucune remarque lorsqu’il s’est fait adresser une copie de cette convention. Il y a en outre apposé sa signature, sans faire aucune réserve. Le Joueur a enfin déclaré à l’audience avoir été satisfait du principe et des modalités de cette convention au moment où il l’a contresignée. Le Joueur a ainsi manifestement ratifié la convention au sens de l’art. 38 al. 1 du Code des obligations (CO), de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question de l’existence ou de la validité des pouvoirs de représentation conférés par le Joueur à son père et à son avocat de l’époque.

25. L’art. 4 du Règlement de la FIFA concernant le Statut et le Transfert des Joueurs (version 2001)

prévoit que tout joueur professionnel doit être au bénéfice d’un contrat écrit. En droit suisse, la validité des contrats n’est subordonnée à l’observation d’une forme particulière qu’en vertu d’une prescription spéciale de la loi (art. 11 al. 1 CO). C’est en vertu du principe de l’autonomie de la volonté et, en corollaire, du consensualisme, que le droit suisse des obligations considère que la liberté des formes est la règle (Daniel Guggenheim, Commentaire romand du droit des obligations, no 1 ad. art. 11). En l’espèce, le contrat individuel de travail conclu entre les parties n’est pas soumis, au regard de l’article 319 al. 1 CO, à une forme spéciale. Partant, les critiques du Joueur quant à l’absence d’un nombre d’exemplaires originaux suffisants de la convention du 17 juillet 2004 tombent à faux et ne sauraient entraîner une quelconque nullité ou invalidité de cette convention.

B. Qualification de la convention du 17 juillet 2004 26. Le Joueur soutient que la convention du 17 juillet 2004 ne pourrait être qualifiée de contrat,

mais qu’il s’agirait d’un précontrat ou d’une promesse de contracter. Selon lui, le contrat ne serait jamais entré en vigueur, notamment parce qu’il n’aurait pas signé les documents nécessaires à son incorporation à la ligue espagnole de football, ainsi que cela était envisagé à l’art. 10 de la convention.

27. La réglementation de la FIFA ne donne aucune indication sur la notion de précontrat. En

revanche pour le droit suisse (article 22 CO), le précontrat est un contrat bilatéral par lequel les deux parties, ou l’une d’elles seulement, s’engagent à conclure un contrat déterminé dans le futur (DESSEMONTET F., Commentaire romand du droit des obligations, no 1 ad. art. 22).v

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28. En l’espèce, il ne découle pas du sens objectif de la convention du 17 juillet 2004 que les parties

se seraient entendues pour conclure un contrat déterminé dans le futur. Au contraire, la convention du 17 juillet 2004 contient toutes les conditions nécessaires à l’existence d’un contrat de travail, soit la description du travail à fournir, la durée de l’engagement et le salaire. Or, aux termes de l’art. 320 al. 2 CO, un contrat de travail “est réputé conclu lorsque l’employeur accepte pour un temps donné l’exécution d’un travail qui, d’après les circonstances, ne doit être fourni que contre salaire”.

29. Le fait que l’entrée en service ait été convenue pour un terme futur ne suffit pas pour conclure

à l’existence d’un précontrat. Il résulte en effet clairement de l’art. 320 al. 2 CO que l’élément déterminant pour présumer de la conclusion d’un contrat de travail est l’accord sur l’exécution d’un travail, contrepartie d’une rémunération. Il n’est ainsi pas juridiquement inconcevable de conclure des contrats dont l’exécution n’est pas immédiate. Ces contrats n’en sont pas moins des contrats et non des précontrats ou des promesses de contracter.

30. Par ailleurs, à défaut de prescription textuelle imposant un formalisme particulier,

l’argumentation selon laquelle le contrat ne pourrait entrer en vigueur avant d’avoir été enregistré par la Ligue espagnole n’est guère plus convaincante. La réglementation de la FIFA ne prévoit aucune procédure d’enregistrement. Au demeurant, si selon la jurisprudence suisse, la validité d’un contrat de travail peut être subordonnée à la condition de l’obtention d’une autorisation administrative, telle l’obtention d’un permis de travail (voir à ce sujet ATF 114 II 283) il reste toutefois que faute de condition suspendant clairement l’entrée en force du contrat à l’obtention d’une autorisation, un contrat de travail doit être considéré comme étant pleinement valable, même si certaines démarches administratives nécessaires à l’exécution de la prestation ne sont pas accomplies ou échouent.

31. Ces principes, qui ont d’ailleurs dans la plupart des cas pour effet de protéger l’employé, doivent

en l’espèce conduire à rejeter l’opinion selon laquelle la convention signée le 17 juillet 2004 ne pourrait avoir que les effets d’un précontrat ou d’une promesse de contracter avant d’avoir été enregistré auprès de la Ligue espagnole de football.

C. Existence d’une rupture unilatérale du contrat et de motifs justificatifs 32. Il n’est pas contesté que le Joueur ne s’est jamais présenté auprès du Real Valladolid pour entrer

en service. De ce fait, le Joueur a violé ses obligations contractuelles telles qu’elles résultent de la convention du 17 juillet 2004.

33. Les art. 21 et ss. du Règlement de la FIFA concernant le Statut et le Transfert des Joueurs

(version 2001) traitent notamment de la rupture unilatérale d’un contrat par un joueur. Ils ont pour but le “maintien de la stabilité contractuelle dans le football”. L’art. 21 prévoit qu’“en cas de rupture unilatérale de contrat sans justes motifs ou sans juste cause sportive”, une indemnité devra être payée et des sanctions sportives seront appliquées, notamment lorsque le joueur a moins de 28 ans et que la rupture intervient au cours des trois premières années de contrat. On signale au passage que cette disposition peut être rapprochée du droit matériel suisse, plus précisément de l’art. 337d al. 1 CO, qui prévoit que “lorsque le travailleur n’entre pas en service ou abandonne son emploi

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abruptement sans justes motifs, l’employeur a droit à une indemnité égale au quart du salaire mensuel; il a en outre droit à la réparation du dommage supplémentaire”. Le droit suisse n’étant toutefois applicable qu’à titre supplétif, c’est à la lumière des art. 21 ss. du Règlement de la FIFA concernant le Statut et le Transfert des Joueurs (version 2001) que la question doit être tranchée.

34. Il convient de se demander si le Joueur avait des motifs de ne pas entrer en service, qui

pourraient justifier son inexécution contractuelle. A cet égard, le Joueur mentionne l’existence de la clause de reconduction qui figurait dans son contrat du 27 décembre 2000 avec Cerro Porteño. Il n’est toutefois pas aisé de distinguer, dans l’argumentation du Joueur, si cet élément est invoqué comme motif justifiant la rupture unilatérale du contrat ou comme circonstance devant conduire à réduire toute éventuelle indemnité.

35. Quoi qu’il en soit, la Formation estime que la clause de reconduction de contrat exercée par

Cerro Porteño en fin d’année 2004 ne saurait à elle seule constituer un juste motif au sens des art. 21 et ss. du Règlement FIFA précité.

36. D’une part, et comme l’admet le Joueur dans ses écritures, la clause de reconduction unilatérale

contenue dans le contrat du 27 décembre 2000 qui liait le Joueur à Cerro Porteño, est contraire à la réglementation de la FIFA, telle qu’interprétée par la jurisprudence du TAS (voir TAS 2005/A/983 & 984, ch. 127 et ss.). Il est ainsi vraisemblable que Cerro Porteño n’aurait pas pu imposer le respect de cette clause au Joueur ou au Real Valladolid et empêcher que le contrat signé entre les précités soit exécuté. Certes, le Joueur fait valoir que Cerro Porteño aurait pu obtenir au Paraguay des décisions de justice reconnaissant la validité de la clause de reconduction unilatérale. Pour autant que cela soit le cas, le Joueur n’établit toutefois pas quelles auraient été les conséquences de ces décisions internes paraguayennes, notamment si de telles conséquences auraient pu constituer de justes motifs au sens de la réglementation FIFA. Pour le surplus, il convient de passer outre les règles étatiques internes qui seraient contraires aux principes et au cadre juridique des règles que la FIFA a pour but d’instaurer. Dans le domaine particulier du droit du sport, il est important de pouvoir recourir à des normes transcendant tel ou tel système étatique particulier. Cette possibilité de développer des règles dégagées, dans la mesure du possible, de toute référence à un système de normes étatiques particulières, répond en effet à un besoin spécifique découlant de l’organisation du sport (voir TAS 2005/A/983 & 984, précité; voir également à ce sujet RIGOZZI A., op. cit., no 1177). Ce serait faire fi de ce besoin spécifique que de considérer qu’une pratique étatique contraire à la réglementation de la FIFA devrait en tant que telle constituer un juste motif pouvant justifier la rupture d’un contrat.

37. D’autre part, la position du Joueur n’est que peu étayée s’agissant des éléments de faits. S’il a

bien été produit la page de garde d’un acte judiciaire du 17 décembre 2004 relatif à une procédure ouverte entre Cerro Porteño et le Joueur, l’objet de celle-ci n’est pas précisé. Il n’est pas davantage spécifié s’il en a résulté une décision de justice, provisoire ou définitive. Le Joueur n’a pas non plus produit la transaction signée avec Cerro Porteño le 12 janvier 2005, par laquelle ceux-ci ont apparemment conclu un nouveau contrat. Tout au plus, le Joueur explique-t-il qu’il s’agissait là de la solution la plus opportune, compte tenu de l’état de la jurisprudence paraguayenne sur les clauses de reconduction. Cela étant, on ne peut que constater que le Joueur a transigé avec Cerro Porteño moins d’un mois après la première démarche judiciaire du Club

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précité, se mettant ainsi volontairement dans une situation où il lui était impossible d’honorer ses obligations contractuelles à l’égard du Real Valladolid. Le Joueur n’établit en revanche pas qu’il y aurait eu un quelconque risque, de nature juridique ou d’une autre nature, à choisir la solution consistant à honorer le contrat conclu avec le Real Valladolid et contester la validité de la clause de reconduction.

38. Ainsi faut-il considérer que le Joueur n’a pas établi l’existence de motifs susceptibles de justifier

son refus d’entrer au service du Real Valladolid. D. Principe et montant d’une indemnité pour rupture unilatérale de contrat 39. Il convient maintenant d’examiner quelles sont les conséquences juridiques de la rupture

unilatérale du contrat du 17 juillet 2004 par le Joueur. Conformément à ce qui a été rappelé ci-dessus à propos des règles de droit applicables, il faut en premier lieu considérer la réglementation de la FIFA. L’art. 22 du règlement concernant le Statut et le Transfert des joueurs (version 2001) traite de la question de l’indemnité pour rupture de contrat. Cet article est ainsi libellé:

“Sans préjudice des dispositions relatives à l’indemnité de formation fixée à l’article 13 et suivants, et si rien n’est spécifiquement prévu par le contrat, l’indemnité pour rupture de contrat par le joueur ou le club devra être calculée conformément au droit national, aux spécificités du sport et en tenant compte de tout critère objectif inhérent au cas tel:

1- Rémunération et autres bénéfices dans le contrat en cours et/ou dans le nouveau contrat

2- Durée de la période restante du contrat en cours (jusqu’à cinq ans maximum)

3- Montant de tous les frais payés par l’ancien Club amorti au prorata sur le nombre d’années du contrat

4- Si la rupture intervient pendant les “périodes protégées”, définies sous 21.1”. 40. La réglementation FIFA pose ainsi clairement le droit à une indemnité en cas de rupture

unilatérale du contrat de travail et fixe les modalités de calcul de cette indemnité. Il faut néanmoins interpréter le passage de l’art. 22 selon lequel “si rien n’est spécifiquement prévu par le contrat” en ce sens que la réglementation permet aux parties de fixer dans leur convention le montant de l’indemnité pour rupture de contrat.

41. En l’espèce, tel a été le cas. L’art. 11 de la convention du 17 juillet 2004 prévoit ainsi une clause

de résiliation, en cas de rupture unilatérale du contrat par le Joueur, d’un montant de EUR 6’000’000. Comme évoqué ci-dessus, cette clause est soumise à la Loi espagnole sur le Statut du Sportif Professionnel (Décret Royal 1006/1985). L’art. 16 al. 1 de ce Décret, reproduit au para. 20 ci-dessus, traite de l’indemnité due par le sportif en cas de résiliation du contrat sans juste cause.

42. Comme la réglementation FIFA, cette disposition énonce que “en l’absence de convention”, en cas

de rupture unilatérale du contrat par le sportif, les parties sont libres de convenir, par avance, du montant de l’indemnité de rupture. La jurisprudence espagnole récente a d’ailleurs confirmé

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le principe de la validité des clauses rédigées en ce sens (jugement du Juzgado de lo Social Pais Vasco, Donostia-San-Sebastian, no 128/2006 du 9 mars 2006, dans la cause Real Sociedad de Football SAD c. D. Yvan et Athletic Club, SAD).

43. Ainsi, la Formation considère que la clause d’indemnisation contenue dans le contrat du 17

juillet 2004 est valable quant à son principe. On ajoutera pour être complet que le contrat de travail prévoyant une indemnité pour rupture unilatérale du contrat par le travailleur ne saurait être considéré comme violant l’ordre public. Le droit suisse du siège de l’arbitrage ne s’oppose pas en effet à ce que cette clause opère.

44. Il convient maintenant d’examiner s’il y a lieu à réduction de l’indemnité, ainsi que l’a estimé la

Chambre de Résolution des Litiges dans sa décision du 12 janvier 2006. 45. A titre préalable, il faut se demander quelles sont les règles de droit applicables à la question

d’une éventuelle réduction. La réglementation de la FIFA ne contient aucune disposition à ce sujet. Le Joueur a implicitement soutenu que le droit espagnol était applicable, se référant à des arrêts rendus par des tribunaux espagnols. La Formation considère que tel n’est pas forcément le cas.

46. Comme on l’a vu ci-dessus, la convention est soumise à la réglementation FIFA et au droit

suisse applicable à titre supplétif, sous réserve de l’application de la Loi espagnole sur le Statut du Sportif Professionnel, en rapport avec l’art. 11. Si ce texte fixe les principes applicables à l’indemnisation faute d’accord entre les parties, et pose le principe de la validité d’une clause d’indemnisation, il ne fait en revanche pas état d’une éventuelle limitation du montant d’une telle clause. Cela ne signifie toutefois pas qu’il résulterait du droit espagnol qu’une clause d’indemnité excessive ne pourra pas être réduite. Mais alors, il faut appliquer à cette question l’art. 1154 du Code civil espagnol qui permet au Juge de réévaluer les clauses pénales. Ainsi, si les parties ont bien convenu de l’application de la loi espagnole sur le Statut du Sportif Professionnel (décret 1006/1985), il est douteux que cette référence emporte application du droit espagnol pour des questions relatives non réglées par ce texte légal, telles celles de la réduction d’une indemnité.

47. En l’absence de règle spécifique dans le Règlement de la FIFA concernant le Statut et le

Transfert des Joueurs (version 2001), la Formation estime qu’elle doit se prononcer à la lumière du droit suisse. Plus exactement, la clause d’indemnisation convenue entre les parties doit ainsi être qualifiée de clause pénale au sens des art. 160 à 163 CO. Conformément à l’art. 163 CO “le Juge doit réduire les peines qu’il estime excessives”.

48. En somme, la réduction d’une clause d’indemnité pour rupture unilatérale de contrat, est, au

regard du droit suisse, juridiquement fondée comme elle l’aurait été en droit espagnol si celui-ci avait été applicable (arrêt précité Real Sociedad de Football, SAD c. D. Yvan et Athletic Club SAD du 9 mars 2006).

49. En droit suisse, le juge ne doit réduire la peine qu’avec retenue, afin de protéger la liberté et la

volonté des parties (MOOSER M., Commentaire romand du Droit des obligations, no 7 ad. 163).

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Dans cet office, le juge devra tenir compte, en particulier, de l’intérêt du créancier à l’exécution de l’obligation, de la gravité de la violation de l’obligation ainsi que de la faute de l’obligé et des facultés économiques des parties (EHRAT F., Basler Kommentar, Bâle 2003, n. 16 ad art. 163).

50. En ce sens, la Formation constate que le Real Valladolid déploie une activité non négligeable

pour sélectionner les joueurs les plus prometteurs, de manière à s’attacher leurs services, à les former et à leur permettre de se développer, dans le but de les céder à des clubs de tout premier plan, pour des montants qui peuvent être importants. Il serait par ailleurs injuste de considérer que signer un contrat puis refuser de l’exécuter quelques mois plus tard est un acte anodin, qui ne mériterait pas d’être sanctionné par la condamnation de la partie en faute à payer une indemnité d’un montant important. De plus, selon les principes de fidélité contractuelle et de protection de la sécurité juridique, les clauses destinées à indemniser la rupture unilatérale de contrats ne doivent être réduites que de manière adéquate.

51. Cela étant, la Formation convient qu’en l’espèce, il y a lieu à réduction de la clause pénale

convenue en prenant en considération les circonstances particulières du cas objet de la présente procédure, notamment de la situation délicate dans laquelle se trouvait le Joueur, du fait de l’exercice par Cerro Porteño de la clause de prolongation contenue dans son contrat.

52. De même, il n’apparaît pas acceptable à la Formation arbitrale qu’un montant exorbitant d’une

clause pénale dans un contrat de travail puisse entraver la liberté du joueur au point de rendre pratiquement impossible tout transfert à un autre club. Ainsi, une clause qui serait sans proportion avec la valeur du joueur devrait être réduite, sous peine d’être contraire au principe protégeant la liberté du travailleur, telle qu’elle découle notamment de l’art. 27 al. 2 du Code civil suisse, applicable à titre supplétif.

53. La Formation estime aussi, en parallèle, que le montant de la clause d’indemnité pour rupture

unilatérale de contrat doit être fixé en fonction de l’intérêt du Club à l’exécution de ce contrat. Cet intérêt peut correspondre à la valeur du Joueur sur le marché, si celle-ci peut être démontrée, comme dans l’affaire Mexès (voir TAS 2005/A/902 & 903). A défaut, la Formation considère que cette valeur correspond à tout le moins à la rémunération que le club était prêt à offrir à son joueur selon le contrat répudié, soit l’investissement que le Club a consenti pour s’attacher les services du joueur. C’est sur la base de ces critères qu’une indemnité pour rupture de contrat doit être calculée, selon l’art. 22 du Règlement FIFA précité.

54. En l’espèce, le montant total des prestations que le Real Valladolid s’était engagé à fournir au

Joueur se monte à EUR 1’465’900, soit:

- salaire saison 2004 - 2005: EUR 75’000

- salaire saison 2005 - 2006: EUR 150’000

- salaire saison 2006 - 2007: EUR 180’000

- salaire saison 2007 - 2008: EUR 200’000

- salaire saison 2008 - 2009: EUR 240’000

- salaire saison 2009 - 2010: EUR 270’000

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- prime de contrat payée au Joueur: EUR 50’000

- prime payée au père du Joueur: EUR 300’000

A cela s’ajoutent les avantages en nature, soit la fourniture d’un logement, d’une voiture et de deux billets d’avion par année pour le Joueur et ses parents entre Madrid et Assuncion, aller/retour. L’investissement que le Real Valladolid était prêt à consentir pour avoir le Joueur sous contrat se monte ainsi à une somme supérieure à EUR 1’500’000.

55. La Formation observe qu’il s’agit là d’un chiffre correspondant à l’intérêt du Real Valladolid à

l’exécution du contrat. 56. Au vu de ce qui précède, la Formation estime qu’il y a lieu de réduire la clause d’indemnisation

pour rupture unilatérale du contrat à EUR 1’500’000. 57. Le Real Valladolid a au demeurant demandé, au cours de l’audience qui s’est tenue le 28

novembre 2006, que Cerro Porteño soit condamné en tant que débiteur solidaire, de l’indemnité à verser par le Joueur, en application de l’art. 14 al. 3 du règlement d’application du règlement FIFA concernant le Statut et le Transfert des Joueurs (version 2001). Cette disposition est ainsi libellée:

“Si un joueur est enregistré pour un nouveau club et n’a pas payé les indemnités dans le délai d’un mois, comme mentionné ci-dessus, le nouveau club sera considéré comme coresponsable de leur paiement”.

58. Mais ni la déclaration d’appel, ni la motivation de l’appel du Real Valladolid ne contiennent des

conclusions dans ce sens. Or, conformément à l’art. R56 du Code, sauf accord contraire des parties ou décision contraire du Président de la Formation commandée par des circonstances exceptionnelles, les parties ne sont pas admises à compléter leur argumentation, ni à produire de nouvelles pièces, ni à formuler de nouvelles offres de preuves après la soumission de la motivation d’appel et de la réponse.

59. Il s’en suit qu’une nouvelle prétention présentée après le dépôt du mémoire d’appel,

respectivement après le dépôt de la réponse, en cas de conclusions reconventionnelles, doit être considérée comme irrecevable. En l’espèce, la condamnation de Cerro Porteño au paiement solidaire de l’indemnité pour rupture unilatérale de contrat est bel et bien une prétention distincte de celles qui figurent dans les écritures du club espagnol. Cette prétention est donc une conclusion nouvelle, sur laquelle Formation n’entrera pas en matière.

60. Cela étant, si cette prétention est écartée dans le cadre de la présente procédure, cela ne signifie

pas pour autant qu’elle doive être considérée comme infondée. La Formation relève que l’art. 14 al. 3 du règlement d’application du règlement FIFA concernant le Statut ou le Transfert des Joueurs (version 2001) permet en effet à l’ancien club d’agir contre le nouveau club si l’indemnité n’est pas acquittée dans un délai d’un mois.

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E. Obligation de remboursement des versements opérés par le Real Valladolid en exécution de la convention du 17

juillet 2004 61. Outre l’indemnité pour rupture unilatérale de contrat, la décision entreprise a alloué au Real

Valladolid la somme de EUR 125’000, en remboursement des versements opérés par le Club précité en exécution de la convention du 17 juillet 2004. A réitérées reprises, notamment devant la Chambre de Résolution des Litiges et dans le cadre de la présente procédure, le Joueur a admis cette prétention, tant dans son principe que dans sa quotité. Ainsi, dans sa déclaration d’appel, le Joueur a-t-il conclu que la décision de la Chambre de Résolution des Litiges soit confirmée concernant “le remboursement de EUR 125’000 au Club Real Valladolid”.

62. Il faut donc considérer que cette question n’est plus litigieuse et que la décision entreprise peut

être confirmée sur ce point. F. Sanction à l’égard du joueur 63. La Chambre de Résolution des Litiges a infligé au Joueur une sanction de quatre mois de

suspension pour tous les matches officiels, dès le début de la nouvelle saison du championnat national de son club actuel. Le Joueur demande une réduction de cette sanction, alors que le Real Valladolid a conclu à ce que la sanction soit portée à six mois.

64. La Chambre de Résolution des Litiges a fait application de l’art. 23 al. 1 let. a du règlement FIFA

sur le Statut et le transfert des joueurs (version 2001). Cette disposition est claire et prévoit une durée de suspension de quatre mois lorsque la rupture unilatérale du contrat intervient à la fin de la première ou de la deuxième année du contrat. Cette sanction doit être prononcée “sauf circonstances exceptionnelles”.

65. En l’espèce, la Formation ne voit pas de raison de s’écarter du texte clair du règlement FIFA et

de revenir sur la décision de la Chambre de Résolution des Litiges. En particulier, le fait que le Joueur n’ait pas été qualifié pour jouer en Espagne pendant plus de deux mois, du fait des démarches du Real Valladolid tendant à s’opposer à son inscription auprès d’un autre club espagnol, ne saurait être considéré comme une circonstance exceptionnelle au sens de l’art. 23 précité du règlement FIFA. Il n’y a donc pas lieu de réduire la sanction prononcée à l’égard du Joueur, comme requis par ce dernier.

66. Il n’y a pas non plus lieu d’augmenter cette sanction, ainsi que le requiert le Real Valladolid. Il

faut d’une part considérer qu’il n’y a pas de circonstances aggravantes qui justifieraient d’augmenter la sanction. En particulier, une non-entrée en service ne peut être assimilée à une absence de préavis au sens de l’art. 23 al. 1 let. c du règlement FIFA sur le Statut et le Transfert des Joueurs (version 2001).

67. Mais surtout, conformément à la jurisprudence du TAS (CAS 2005/A/819) le Real Valladolid

n’est pas fondé à requérir une augmentation de la sanction prononcée à l’égard du Joueur. On ne décèle pas dans la réglementation FIFA ou dans une quelconque autre règle de droit que le

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club victime de la rupture de contrat aurait une quelconque prétention à ce qu’une sanction soit prononcée. Ainsi, le système mettant sur pied le principe des sanctions pose des règles qui s’appliquent à la FIFA d’une part et au Joueur ou au Club visé par les sanctions d’autre part. Un tiers n’a pas d’intérêt digne de protection à faire valoir pour contester le principe ou la mesure de la sanction infligée, sauf à s’en prendre directement à la FIFA et à se fonder sur les rapports de droit fédératif entre ce tiers, respectivement sa fédération nationale, et la FIFA, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

G. Sanction à l’égard de Cerro Porteño 68. Le Real Valladolid réclame en outre qu’une sanction soit prononcée à l’égard de Cerro Porteño,

en application de l’art. 23 al. 2 du règlement FIFA sur le Statut et le Transfert des Joueurs, qui permet de sanctionner le club qui a incité à une rupture de contrat.

69. Pour les motifs évoqués ci-dessus, le Real Valladolid n’a pas en l’espèce la qualité pour s’en

prendre à la décision prise par la Chambre de Résolution des Litiges à ce sujet. La décision entreprise sera donc confirmée sur ce point.

Conclusions 70. Pour les diverses raisons exposées ci-dessus, la Formation arbitrale relève que le Real Valladolid

a droit au paiement par le Joueur d’une indemnité pour rupture unilatérale de contrat d’un montant de EUR 1’500’000.

71. S’agissant des intérêts, le Real Valladolid demande que la somme allouée à titre d’indemnité pour

rupture unilatérale de contrat porte intérêt à 5 % l’an “depuis la décision de la FIFA”. 72. La réglementation de la FIFA ne prévoit rien en matière d’intérêts moratoires. Selon sa

jurisprudence constante (voir par exemple CAS 2005/A/819; CAS 2006/A/1009; CAS 2005/A/1061), le TAS applique les règles prévues par le code suisse des obligations à cet égard, conformément à l’art. 59 des Statuts de la FIFA, qui prévoit que le droit suisse s’applique à titre supplétif.

73. L’art. 104 al. 1 CO prévoit ce qui suit:

“Le débiteur qui est en demeure pour le paiement d’une somme d’argent doit l’intérêt moratoire à 5 % l’an, même si un taux inférieur avait été fixé pour l’intérêt conventionnel”.

74. S’agissant de la mise en demeure du débiteur, l’art. 102 al. 1 CO prévoit ce qui suit:

“Le débiteur d’une obligation exigible est mis en demeure par l’interpellation du créancier”. 75. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, il suffit pour qu’il y ait interpellation que le

créancier ait clairement manifesté, de quelque manière que ce soit – par écrit, verbalement ou par actes concluants – sa volonté de recevoir la prestation, sans forcément indiquer les

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conséquences de la demeure (voir par exemple ATF [arrêt du Tribunal fédéral] 129 III 535; voir aussi Commentaire Romand du Code des Obligations I, Bâle 2003, n. 16 ss. ad art. 102 CO, pp. 609 ss.). L’interpellation est sujette à réception et déploie, en principe, ses effets dès que le débiteur ou son représentant la reçoit (voir Commentaire Romand du Code des Obligations I, op. cit, n. 19 ad art. 102, p. 610).

76. En l’espèce, le Real Valladolid n’a pas établi avoir mis le Joueur en demeure avant d’avoir saisi

la FIFA. Cependant, en adressant sa demande à la FIFA, il a clairement manifesté sa volonté d’être indemnisé pour le dommage subi. Selon la jurisprudence du TAS, cela vaut en principe mise en demeure du débiteur (voir CAS 2005/A/819, précité). Cependant, le Real Valladolid a requis que les intérêts moratoires ne soient comptabilisés qu’à partir de la date à laquelle la FIFA a statué, c’est-à-dire le 12 janvier 2006, et non pas depuis la date à laquelle il a envoyé sa demande à la FIFA. Il ne fait aucun doute pour la Formation arbitrale qu’à cette date au plus tard, le Joueur était en demeure de payer au Real Valladolid le montant de EUR 1’500’000, lequel doit dès lors porter intérêt dès le 12 janvier 2006.

77. S’agissant de la prétention due à titre de remboursement des sommes versées par le Real

Valladolid en exécution de la convention du 17 juillet 2004, aucune partie ne conteste la décision de la Chambre de Résolution des Litiges à ce sujet. En matière d’intérêts, ce sont donc les modalités de cette décision qui doivent s’appliquer, la somme portant intérêts après trente jours dès la notification de la décision. En l’espèce, cette décision a été notifiée au Joueur le 25 avril 2006, de sorte que la somme de EUR 125’000 doit porter intérêts dès le 26 mai 2006.

78. Pour le surplus, toutes autres ou plus amples conclusions appellatoires ou reconventionnelles

doivent être rejetées, pour autant que recevables, la décision de la Chambre de Résolution des Litiges du 12 janvier 2006 étant confirmée.

Le Tribunal Arbitral du Sport prononce: 1. L’appel déposé le 5 mai 2006 par Real Valladolid CF SAD contre la décision rendue le 12 janvier

2006 par la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA, dans la cause opposant Real Valladolid CF SAD, Diego Daniel Barreto Cáceres et Club Cerro Porteño, est partiellement admis.

2. L’appel déposé le 12 mai 2006 par Diego Daniel Barreto Cáceres contre la décision rendue le

12 janvier 2006 par la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA, dans la cause opposant Real Valladolid CF SAD, Diego Daniel Barreto Cáceres et Club Cerro Porteño, est rejeté.

3. La décision rendue le 12 janvier par la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA, dans la

cause opposant Real Valladolid CF SAD, Diego Daniel Barreto Cáceres et Club Cerro Porteño, est partiellement réformée en ce sens que Diego Daniel Barreto Cáceres est condamné à payer à Real Valladolid CF SAD la somme de EUR 1’500’000 (un million cinq cent mille Euros) avec

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intérêts à 5% l’an dès le 12 janvier 2006 et la somme de EUR 125’000 (cent vingt cinq mille Euros) avec intérêts à 5% l’an dès le 26 mai 2006.

4. Toutes autres ou plus amples conclusions, pour autant que recevables, sont rejetées. (…).