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Florence G’Sell-Macrez Maître de conférences – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Droit des sociétés (1) Titre I – Le contrat de société Décembre 2008 Centre Audiovisuel d'Etudes Juridiques (CAVEJ) des Universités de Paris Conception réalisation : Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – service TICe Licence en droit 3ème année

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Florence G’Sell-Macrez

Maître de conférences – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Droit des sociétés (1)

Titre I – Le contrat de société

Décembre 2008

Centre Audiovisuel d'Etudes Juridiques (CAVEJ) des Universités de Paris

Conception réalisation : Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – service TICe

Licence en droit 3ème année

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Sommaire

Introduction......................................................................................... 3

Chapitre 1 – Les conditions spécifiques au contrat de société.............. 4

Section 1 – Les apports ...................................................................................4 §1. L'exigence d'apports ...............................................................................4 §2. Typologie des apports .............................................................................5

A. L'apport en numéraire ....................................................................................................5 B. L'apport en nature .........................................................................................................6 C. L'apport en industrie ......................................................................................................7

Section 2 – L'intention de participer au résultat. ..............................................8 §1. La vocation aux bénéfices et aux économies....................................................................9 §2. La contribution aux pertes.............................................................................................9

Section 3 – L'affectio societatis....................................................................15

Chapitre 2 – Les conditions générales du contrat de société.............. 17

Section 1 – Les accords préalables à la conclusion du contrat de société ..............17 §1. Le projet de société ..............................................................................17 §2. La promesse de société.........................................................................17 §3. La pratique de la société d'étude ............................................................19

Section 2 – Les conditions résultant du droit commun des contrats .....................19 §1. Consentement des associés ...................................................................19 §2. Capacité des associés ...........................................................................20 §3. Objet ..................................................................................................21 §4. Cause licite..........................................................................................21

Chapitre 3 - Les nullités de sociétés................................................... 23

Section 1 - Les causes de nullité .....................................................................23 §1. La nullité fondée sur les règles spéciales du contrat de société...................24 §2. La nullité fondée sur le droit commun des contrats ...................................27

Section 2 - L'action en nullité .........................................................................28 §1. Les règles de prescription......................................................................29 §2. La régularisation de la société................................................................30

Section 3 - Les effets de la nullité ...................................................................30

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Titre I – Le contrat de société

Introduction

La société est généralement créée par un contrat – le contrat de société. Nous avons vu que la conception contractualiste de la société a longtemps prévalu. Il était exclu que l'on puisse constituer une société autrement que sur la base d'un contrat, c'est-à-dire par la rencontre des volontés de plusieurs personnes. On admettait qu'une société pouvait survivre un certain temps alors que tous les titres étaient réunis dans les mains d'un seul associé, mais il n'était pas possible de constituer une société unipersonnelle ab initio, dès le départ. La loi du 11 juillet 1985 a introduit dans notre droit l'EURL, l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée. Ce n'était pas une nouvelle forme sociale qui était introduite dans notre droit, mais la possibilité de constituer une SARL unipersonnelle. Depuis lors, une autre forme de société unipersonnelle a été introduite dans notre système juridique. La loi du 12 juillet 1999 a, en effet, créé la SASU, c'est-à-dire la société par actions simplifiée unipersonnelle.

Il reste que ces textes sont des textes spéciaux et qu'une manifestation de volonté, fût-elle unilatérale, est toujours nécessaire pour aboutir à la création d'une société. D'ailleurs, à défaut de texte autorisant la constitution d'une société unipersonnelle, la rencontre des volontés de plusieurs personnes est indispensable pour former une société. Certes, nous avons vu que le juge peut être amené à qualifier une situation de société créée de fait alors que les parties n'ont pas manifesté expressément la volonté de contracter. Mais dans cette hypothèse l'accord des parties est indiscutable : le juge ne fait que le constater.

Le contrat de société doit respecter à la fois les conditions spécifiques au contrat de société, édictées par le droit des sociétés, et les conditions générales, requises par le droit commun des contrats. Nous verrons dans un chapitre 1 ces conditions spécifiques, et dans un chapitre 2 les conditions générales de validité d'un contrat dans le cadre du contrat de société. Enfin, un chapitre 3 évoquera la question des nullités pouvant éventuellement découler du non respect de ces conditions.

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Chapitre 1 – Les conditions spécifiques au contrat de société

Les conditions spécifiques de constitution d'une société sont au nombre de trois : les apports (section 1), l'intention de participer au résultat de l'activité sociale (section 2), et l'affectio societatis (section 3).

Section 1 – Les apports

L'existence d'apports est une condition essentielle de la constitution de la société (§1). Ces apports peuvent toutefois prendre plusieurs formes (§2).

§1. L'exigence d'apports

De fait, par le terme « apport », on désigne à la fois l'opération d'apport, par laquelle un associé met un bien ou une activité à la disposition de la société, et la chose apportée elle-même, donc le bien ou l'activité fournis.

L'apport est un élément essentiel de la société. L'art. 1832 du Code civil en fait une des conditions de formation de la société. Selon la formule retenue par la doctrine : « pas d'apport, pas de société ». En effet, en l'absence d'apport, la société est nulle.

Le rôle des apports : la formation du capital social. Chaque associé doit donc effectuer un apport, voire plusieurs. Cet apport lui donne droit à des parts ou des actions. Le total des biens apportés donne la mesure du capital social. Cela signifie que la valeur des biens apportés est additionnée, et la somme ainsi obtenue est insérée dans les statuts de la société et portée à la connaissance des tiers, notamment par l'obligation faite à la société d'indiquer sur les documents qu'elle émet le montant de son capital social. Ainsi, les tiers sont informés de la richesse de la société. Dans les sociétés à risque illimité, la loi n'impose pas de capital social minimum car les créanciers de la société peuvent poursuivre les associés sur leur patrimoine personnel. On peut donc créer une SNC au capital social d'un euro. En revanche, dans les sociétés à risque limité, la seule garantie des créanciers est le capital social. La loi impose alors fréquemment à de telles sociétés un capital social minimum. Par exception, ce n'est plus le cas pour les SARL depuis la loi du 1er août 2003 (art. L. 223-2 C. com.). En revanche, les sociétés anonymes doivent être dotées, en règle générale, d'un capital social d'un montant minimum de 37.000 euros, et même d'un capital de 225.000 euros, lorsqu'elles font appel public à l'épargne. L'exigence d'un capital social minimum assure la protection de ceux qui traitent avec la société, car la valeur de l'actif de la société ne peut être inférieur au

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montant du capital social. Si la société subit des pertes qui font baisser son actif excessivement par rapport au montant du capital social, elle doit soit reconstituer son actif, soit modifier ses statuts pour abaisser le montant de son capital social. Le capital social permet également de déterminer la répartition du pouvoir au sein de la société, puisque le capital est divisé en parts ou en actions, qui confèrent des droits à leur détenteur. Or les droits des associés dans le capital sont proportionnels à leurs apports, aux termes de l'art. 1843-2 du Code civil.

En général, les biens apportés à la société font réellement l'objet d'une cession en pleine propriété. L'apport en numéraire entraîne le versement d'une somme d'argent acquise à la société. De même, l'apport d'un bien en nature implique que la société devient propriétaire du bien apporté, sans obligation de restitution. Il arrive toutefois que l'apport se fasse en jouissance, auquel cas la société doit restituer le bien à l'issue du contrat : seule la valeur de la mise à disposition du bien est prise en considération dans le capital social.

§2. Typologie des apports

Il existe trois types d'apport, en fonction de la nature des droits apportés. Cette typologie résulte de l'art. 1843-3 al. 1er du Code civil. L'apport peut être en numéraire (A), en nature (B) ou en industrie (C).

A. L'apport en numéraire

L'apport peut avant tout être en numéraire, c'est-à-dire porter sur une somme d'argent. Ce type d'apport est simple à réaliser, et ne pose aucun problème d'évaluation.

Il convient toutefois de distinguer deux étapes dans la réalisation d'un apport en numéraire. D'abord, l'associé procède à la souscription de l'apport par laquelle il s'engage à effectuer un apport d'un montant déterminé. Ensuite, peut s'effectuer la libération de l'apport par laquelle l'associé verse la somme promise. La qualité d'associé est obtenue dès la souscription de l'apport. Dans certaines sociétés, la loi impose une libération partielle de l'apport dès la souscription : dans les sociétés anonymes, la libération doit être au moins de la moitié de l'apport ; dans les SARL, il doit être du cinquième. Le solde doit être versé dans les 5 ans. Il faut distinguer l'apport en numéraire d'un autre mode de financement de la société : le versement en compte courant. Dans cette hypothèse, un associé met des sommes à la disposition de la société au titre de ce que la pratique appelle le compte courant de l'associé. Les praticiens tendent à parler d' « avance en compte courant », voire « d'apports en compte courant ». Ces deux expressions sont erronées car il ne s'agit ni d'apport, ni de compte courant. En réalité, il s'agit là d'un prêt consenti par l'associé à la société. La question de la qualification d'une telle opération n'est pas seulement théorique. Si c'est un apport que l'associé a fait, cela signifie qu'il ne peut

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reprendre les sommes versées qu'à la dissolution de la société, que cette reprise doit tenir compte des pertes, et que pendant la vie de la société, la rémunération des sommes doit prendre la forme d'un dividende, donc varier en fonction du bénéfice réalisé par la société. En revanche, si la qualification de prêt est retenue, cela implique que la reprise des sommes pourra se faire avant la dissolution de la société, sans imputation des pertes, et que la rémunération des sommes est indépendante du bénéfice réalisé par la société, puisqu'il s'agira alors de l'intérêt rémunérant un prêt. La Cour de cassation a tranché en faveur de la qualification de prêt par un arrêt de la Chambre commerciale en date du 24 juin 1997, dit arrêt Gamm qui a insisté sur le droit de remboursement permanent de l'associé ayant consenti une telle avance (Cass. com. 24 juin 1997, Bull. Joly 1997, p. 871 §314 note B. Saintourens ; Dr. sociétés, 1997, n°138, obs. Th. Bonneau ; JCP G 1997, II, 22966, note P. Mousseron).

B. L'apport en nature

L'apport peut également porter, notamment dans les petites sociétés, sur un bien autre que du numéraire : un brevet, un véhicule, des actions d'une autre société, etc. On parle dans cette hypothèse d'apport en nature.

Types d'apports en nature. Parmi les apports en nature, il faut distinguer les apports en propriété et les apports en jouissance, conformément à l'art. 1843-3 du Code civil.

• L'apport en propriété transfère à la société la propriété du bien, ce qui lui permet donc d'en disposer en cours de vie sociale. Il se rapproche du contrat de vente quant à la garantie due par l'apporteur. L'article 1843-3 dispose en effet que « l'apporteur est garant envers la société comme un vendeur envers son acheteur », ce qui recouvre la garantie d'éviction et la garantie des vices cachés.

• L'apport en jouissance, moins pratiqué, transfère quant à lui la seule jouissance du bien à la société. Il est donc plus proche du bail que de la vente. L'article 1843-3 C. civ. dispose ainsi que l'apporteur en jouissance est « garant envers la société comme un bailleur envers son preneur ». La société ne peut disposer du bien, en le vendant par exemple, puisqu'elle n'en a pas reçu la propriété, sauf si ce sont des choses de genre, nous dit l'art. 1843-2. En ce cas, l'opération d'apport a pour effet de transférer la propriété des biens à la société, à charge pour celle-ci de rendre des choses équivalentes à l'apporteur lors de la dissolution. Dans la pratique, les apports en jouissance sont rares.

• Evaluation de l'apport en nature. Le problème que pose l'apport en nature est celui de son évaluation. L'apporteur est en effet naturellement tenté de surévaluer son apport. Cela est dangereux, car ce comportement fausse les rapports entre associés, ainsi que l'image de la société auprès des tiers. Imaginons une société créée avec deux associés, qui apportent 100.000 euros chacun dans la société. Si un troisième associé apporte un brevet dont la valeur

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réelle est de 100.000 euros également, le capital social sera de 300.000 euros. S'il est divisé en parts de 1.000 euros, chacun des associés aura droit à 100 parts sociales. Cela veut dire que ce troisième associé n'aura pas la majorité aux assemblées de la société. Mais s'il surévalue son apport, et fait accepter à ses coassociés son brevet comme ayant une valeur de 300.000 euros, la situation change. D'une part, la société a désormais un capital social de 500.000 euros. Cette situation ne correspond pas à la réalité, et elle est de ce fait dangereuse pour les tiers, car ils croient que la société est détentrice de biens pour une valeur qui ne correspond pas à ce qu'ils obtiendront en réalité s'ils font saisir et vendre les biens de la société. L'image qu'ont les tiers de la société est donc faussée. D'autre part, les rapports entre associés se trouvent modifiés. En effet, en tant qu'associé, ce n'est plus 100 parts de 1.000 euros qui lui seront attribuées, mais 300, ce qui lui donnera la majorité lors des assemblées. Il est donc important, pour que ni les tiers ni les associés ne soient trompés, que l'on fasse évaluer correctement le bien apporté.

La loi impose de ce fait dans certaines sociétés une procédure d'évaluation des apports par un expert, dit commissaire aux apports. Cette procédure n'est cependant imposée que dans les sociétés à responsabilité limitée, car dans les sociétés à responsabilité illimitée, la protection des tiers est assurée par la possibilité de poursuivre les associés sur leurs biens propres. L'évaluation des apports en nature se fait par l'intervention d'un commissaire aux apports, qui est choisi sur la liste des commissaires aux comptes ou des experts auprès des tribunaux. Par exemple, l'art. L. 223-9 du Code de commerce réglemente l'intervention du commissaire aux apports dans les SARL. Dans le cadre de cette procédure, les associés ne sont pas tenus de respecter l'évaluation proposée par le commissaire aux comptes. En ce cas, ils sont tenus de garantir la valeur des apports. Cela signifie que si un créancier saisit le bien et ne peut le faire vendre pour une valeur équivalente à celle qui avait été retenue lors de la réalisation de l'apport, les associés de la SARL sont solidairement tenus de verser au créancier une somme équivalant à la différence entre la valeur annoncée et la valeur réelle du bien. Par ailleurs, il existe un délit de majoration frauduleuse d'apport en nature, qui prévoit des sanctions pénales punissant la surévaluation des apports.

C. L'apport en industrie

L'apport en industrie signifie qu'un associé apporte son activité personnelle à la société. C'est un apport en travail qui est réalisé, mais il existe là deux différences par rapport à un contrat de travail : l'absence de subordination et l'intention de s'associer ou affectio societatis. Cet apport ne participe pas à la formation du capital social, par application de l'art. 1843-2 C. civ.. Cela est logique : l'apport en industrie ne peut servir de gage aux créanciers sociaux, d'autant qu'il est, par hypothèse, libéré au fur et à mesure des services rendus.

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En fait, l'apport en industrie confère à l'apporteur ce que l'on appelle des parts d'industrie, qui sont des parts sociales particulières obéissant à des règles spécifiques. D'abord, la part de bénéfices réservée à l'apporteur en industrie est égale à celle de l'associé ayant le moins apporté (art. 1844-1 C. civ.). Ensuite, les droits de l'apporteur en industrie sont incessibles. Enfin, l'associé ayant procédé à un apport en industrie doit rendre compte à la société de tous les gains réalisés dans le cadre de l'activité faisant l'objet de l'apport (art. 1843-3, al. 6 C. civ.). En effet, l'apporteur n'a pas à assurer l'exclusivité de son activité à la société, mais il doit lui verser, par application de l'art. 1843-3 du Code civil, tous les gains qu'il a réalisés par l'activité faisant l'objet de son apport.

Cela étant précisé, les parts d'industrie confèrent tout de même le droit de vote et le droit aux bénéfices.

Ce type d'apport n'est pas admis dans toutes les sociétés. Il est ainsi interdit dans les sociétés anonymes, et n'est autorisé dans les SARL que dans les conditions prévues par les statuts (art. L. 223-7, modifié par la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001). En revanche, l'apport en industrie se conçoit très bien dans les sociétés de personnes, en particulier les sociétés civiles professionnelles du secteur libéral.

Section 2 – L'intention de participer au résultat.

La vocation à participer au résultat a deux aspects : d'un côté, l'intention de participer au bénéfice ou à l'économie résultant du contrat de société, et d'un autre côté, l'intention de contribuer aux pertes éventuelles. D'une part, l'associé doit avoir l'intention de récupérer une fraction des bénéfices de la société, ou encore, depuis la loi du 4 janvier 1978, de profiter de l'économie qui pourra résulter du contrat de société. D'autre part, il doit avoir accepté de courir le risque de voir son apport disparaître.

Cette caractéristique du contrat de société le distingue d'autres relations juridiques. Si une personne ayant versé de l'argent à la société reçoit une rémunération fixe, indépendante du succès des affaires de la société, elle n'est pas associée, elle est dans la position d'un prêteur. De même, si une personne apporte une somme d'argent à la société mais se voit promettre qu'elle récupérera cette somme quoiqu'il arrive, sans qu'il soit tenu compte d'éventuelles pertes, elle ne court pas les risques sociaux. Elle n'est donc pas associée, mais, là encore, n'est qu'un simple prêteur.

Nous verrons donc successivement les deux aspects évoqués : la vocation aux bénéfices et aux économies (§1) et la contribution aux pertes (§2).

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§1. La vocation aux bénéfices et aux économies

En général, les statuts prévoient que la répartition des bénéfices et des pertes se fera proportionnellement aux apports. Cette solution prévaut en cas de silence des statuts (article 1844-1 C. civ.). Il est toutefois toujours possible de prévoir une répartition différente, et non proportionnelle aux apports. La seule limite à cette possibilité de répartition inégalitaire relève de la prohibition des clauses dites « léonines ». Il est en effet interdit à un associé de se « tailler la part du lion ». Aux termes de l'article 1844-1 C. civ. « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ». Ainsi, la clause par laquelle un associé renoncerait par avance à percevoir des dividendes serait réputée non écrite, ce qui signifie qu'elle ne produirait aucun effet.

§2. La contribution aux pertes

L'article 1832 du Code civil prévoit que « les associés s'engagent à contribuer aux pertes ». La chose est moins simple qu'à propos des bénéfices. En effet, alors que les bénéfices peuvent être distribués aux associés au moyen de dividendes, les pertes ne sont pas automatiquement réparties entre les associés. Elles sont inscrites au bilan de la société et viennent diminuer les capitaux propres, mais le patrimoine des associés n'est pas directement atteint.

C'est seulement au moment de la dissolution de la société que les associés sont tenus de contribuer aux pertes. Dans les sociétés à risque limité, cela signifie qu'ils ne récupéreront pas leur apport. Dans les sociétés à risque illimité, l'associé peut ne pas récupérer son apport mais aussi être poursuivi pour les dettes de la société. Il faut toutefois bien distinguer entre la contribution aux pertes, qui vaut pour toutes les sociétés, et l'obligation aux dettes, qui n'existe que dans les sociétés à risque illimité, et implique que chaque associé est tenu de manière indéfinie et solidaire des dettes de la société.

Il existe quelques hypothèses exceptionnelles dans lesquelles la contribution aux pertes ne se fait pas au moment de la dissolution de la société. Dans certains cas de figure, les associés sont légalement tenus de renflouer une société : tel est le cas en présence d'une perte de la moitié du capital social d'une société de capitaux. Il arrive que les statuts prévoient de tels renflouements. Enfin, il peut arriver que les associés décident de procéder à une réduction du capital social : le capital social est réduit à proportion des pertes, ce qui signifie, par exemple, qu'un apport de 10000 euros ne correspond plus qu'à 5000 euros dans le capital social : autrement dit, l'apport a perdu la moitié de sa valeur et l'associé a contribué aux pertes à hauteur de 5000 euros.

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Enfin, il faut souligner que l'article 1844-1 C. civ. répute non écrite toute clause léonine qui aurait pour effet d'exonérer un associé des pertes ou de faire peser sur l'un d'entre eux la totalité des ces pertes. Cette règle a posé des difficultés en présence d'opérations impliquant des promesses de rachat des droits sociaux à des prix fixé à l'avance.

Supposons qu'un associé a fait un apport de 10.000 euros, et reçu des actions en conséquence. Dans le même temps, cet associé s'est fait promettre par un autre associé le rachat de ses droits sociaux dans la société. Cette promesse comporte d'ores et déjà un prix fixe, ou prévoit un prix minimum : par exemple, elle prévoit que les titres seront rachetés 10.000 euros. Supposons alors que la société a subi des pertes, l'associé qui a apporté 10.000 euros ne pourra reprendre qu'une somme d'un montant diminué de sa contribution aux pertes, par exemple 5.000 euros. Pourtant, cet associé aura, grâce à la promesse, l'assurance de pouvoir vendre ses titres 10.000 euros alors qu'ils n'en valent plus que 5.000. Cela signifie donc que la promesse confère au bénéficiaire une porte de sortie de la société, qu'elle lui assure qu'il n'aura pas à supporter la baisse de valeur éventuelle de ses titres. Cette promesse déroge donc au principe selon lequel l'associé contribue aux pertes.

Une telle promesse de rachat des titres à prix fixe ou à prix minimum pourrait être considérée comme léonine et donc réputée non écrite.

Il faut souligner ici que cette difficulté ne se présente qu'en présence d'une promesse conclue entre associés. Si une telle promesse de rachat était souscrite par un tiers, cela ne poserait aucun problème au regard de la prohibition des clauses léonines. Cela reviendrait, en effet, à faire peser sur le tiers le poids de la perte. Or il est tout à fait possible à un associé de demander à un tiers de lui garantir la valeur des apports faits à la société. En revanche, si un associé promet à un autre de lui racheter ses titres, il prend à sa charge la perte correspondante, en plus de celle relative à son propre apport. Cela signifie qu'un associé ne subit aucune perte, tandis qu'un autre associé en subit le double.

Initialement, la jurisprudence excluait la validité de ce type de promesse en retenant dans tous les cas qu'elle était léonine. Puis la Chambre commerciale de la Cour de cassation a fait échapper ces promesses à la prohibition des clauses léonines, en considérant que l'engagement de racheter ses titres à un autre associé est étranger au contrat de société et ne porte pas atteinte au pacte social. Autrement dit, l'art. 1844-1 C. civ. ne concernerait que le contrat de société, et non pas la promesse de rachat, qui est un acte extérieur au contrat de société, dont l'objet n'est pas de régir les rapports des associés entre eux.

Ce raisonnement a trouvé à s'appliquer en matière de cessions de contrôle (1) et de conventions de portage (2).

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1) Clause léonine et cessions de contrôle

C'est l'importante affaire Bowater (Cass. com. 20 mai 1986, Rev. Sociétés 1986, p. 587 note Randoux) qui illustre la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans cette affaire, une cession de contrôle d'environ 2/3 des actions d'une société anonyme avait eu lieu. Au jour même de la cession de contrôle avait été conclue une promesse synallagmatique de vente portant sur le 1/3 restant des actions de la société. Cette promesse prévoyait un délai d'option et fixait un prix plancher ainsi qu'un prix plafond. Il s'agissait, pour le cédant de s'assurer un prix minimum auquel interviendrait la cession à venir, et, pour le cessionnaire, de se garantir un prix maximum de manière à limiter le coût de l'opération. Par la suite, la société Bowater, devenue bénéficiaire de la promesse de vente, invoqua la nullité de la clause de prix plancher au motif de sa contrariété à l'article 1844-1 du Code civil prohibant les clauses léonines. Cet argument était de poids. Il était arrivé, antérieurement à l'affaire Bowater, que les tribunaux condamnent les promesses d'achat assorties d'un prix plancher, en estimant qu'elles revenaient à exonérer le cédant de toute contribution aux pertes intervenues entre la date de la promesse et celle de la cession. Il reste que la Cour de cassation a refusé, ici, de faire application de l'article 1844-1 du Code civil quant à la prohibition des clauses léonines. A ses yeux l'article 1844-1 C. civ. prohibe seulement la clause qui porte atteinte au pacte social, notamment en affranchissant un associé de toute contribution aux pertes. Or une telle disposition, dit la Cour, n'est pas applicable à une convention dont l'obligation n'est autre que d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux. Autrement dit, la prohibition des clauses léonines ne s'applique qu'au seul contrat de société.

Jurisprudence : Cass. Com., 20 mai 1986, « Bowater »

La Cour. - Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 4 juillet 1985) que, par acte du 20 avril 1973, M. du Vivier, en son nom personnel comme au nom d'autres actionnaires, a cédé à la société Iéna Industrie, filiale de la Bowater Corporation Limited (société Bowater) plus des deux tiers des actions de la société anonyme A.de LuzFils (société Luzentre les mêmes parties des promesses réciproques d'achat et de vente qui prévoyaient un minimum et un maximum au prix qui devait être fixé, déterminaient un délai d'option situé en 1977 et portaient sur un nombre d'actions tel que l'ensemble des actes visait la totalité du capital de la société Luzaction) ; que M. du Vivier ayant déchargé la société Iéna Industrie de ses obligations, la société Bowater a, par lettre du 11 novembre 1975, souscrit une promesse d'achat qui, prévoyant un délai d'option en 1982, précisait que le prix serait déterminé d'un commun accord par référence “ à la valeur nette d'actif tangible et corporel “ de la société Luzsinon à dire d'expert, le prix ne pouvant être inférieur à une somme fixée à 5 millions de francs ; que la société Bowater devint, courant 1976, associée de la société LuzM. du Vivier, pour avoir paiement du prix minimum prévu, introduisit une demande à laquelle la société Bowater résista en soutenant que la clause

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prévoyant un tel prix était nulle comme contrevenant à l'article 1844-1 du Code civil ;

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir, pour condamner la société Bowater au paiement réclamé, écarté cette prétention aux motifs que la promesse en cause n'était utilement critiquée, ni dans son objet, dès lors qu'elle était intervenue à des conditions plus favorables que celles prévues par les promesses d'achat souscrites par la société Iéna Industrie, ni dans son résultat, dès lors que la société Bowater n'avait fourni aucun élément sur la valeur des actions, en termes réels, au jour de la promesse, et n'avait pas permis ainsi de déterminer si la fixation d'un prix minimum avait eu pour effet d'exonérer M. du Vivier et les actionnaires par lui représentés de la totalité des pertes sociales, alors, selon le pourvoi, d'une part, que se trouve atteinte de nullité toute convention ayant pour but d'affranchir un associé des pertes de la société pour les faire supporter à d'autres associés ; qu'il s'ensuit que la Cour d'appel ne pouvait, au motif que les conditions de prix et de délai de la seconde promesse du 11 novembre 1975 auraient été plus favorables que celles de la première, s'abstenir de vérifier si la fixation, au jour de la promesse du 11 novembre 1975, d'un prix minimum garanti qui devait s'appliquer, au seul gré du bénéficiaire, lors de la réalisation de la cession des actions, plusieurs années plus tard, quelles que soient les pertes subies par la société, n'avait pas pour objet de prémunir les actionnaires, bénéficiaires de la promesse, contre les risques de pertes de la société, reportés ainsi sur l'associé promettant ; que la Cour d'appel a ainsi entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1844-1 du Code civil, alors que, d'autre part, il n'avait été aucunement contesté que le prix minimum garanti, qui avait été déterminé au jour de la conclusion de la promesse, ait correspondu à la valeur réelle des actions au jour de la conclusion de cette promesse ; qu'en soulevant d'office, et sans provoquer les observations des parties, un moyen tiré de ce que la société Bowater n'apportait aucun élément sur cette valeur, bien que si ses observations avaient été provoquées, elle eût été à même de rapporter ces éléments, la Cour d'appel la violé l'article 16 du Nouveau Code de procédure civile, alors que, d'autre part, dans ses conclusions devant la Cour d'appel la société Bowater avait, comme le rappelle elle-même la Cour d'appel invoqué des éléments démontrant la disproportion existant entre le prix de l'action résultant du prix minimum garanti fixé au jour de la promesse (861,30 francs l'action) et la valeur réelle de l'action à l'époque de la cession (vente consentie à 62,07 francs l'action en 1980) ; qu'il résultait de cette disproportion que les bénéficiaires de la promesse se trouvaient exonérés des pertes subies par la société durant la période prévue dans la promesse ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ces éléments, déterminants pour la solution du litige, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la Cour d'appel n'avait pas à vérifier si la fixation, au jour de la promesse, d'un prix minimum, avait pour effet de libérer le cédant de toute contribution aux pertes sociales dès lors qu'elle constatait que la convention litigieuse constituait une cession ; qu'en effet est prohibée par l'article 1844-1 du Code civil la seule clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ; qu'il ne pouvait en être ainsi s'agissant d'une convention, même entre associés, dont l'objet n'était autre, sauf fraude, que d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, que dès lors, sans méconnaître le principe de la contradiction et sans

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avoir à entrer dans le détail de l'argumentation de la société Bowater, la Cour d'appel par motifs propres et adoptés, et abstraction faite de tous motifs surabondants, a décidé à bon droit que la convention litigieuse n'avait pas porté atteinte au pacte social ; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré que, par une lettre postérieure à la promesse d'achat litigieuse et par laquelle M. du Vivier manifestait son accord aux modalités prévues par cette promesse, ce dernier, en précisant que, pour la détermination du prix par référence à “ la valeur nette d'actif tangible et corporel “ ne seraient pas prises en compte les sommes apportées par la société Bowater à la société Luz n'avait pas entendu renoncer au prix minimum prévu, alors, selon le pourvoi, que la renonciation peut résulter de tout acte ou fait impliquant la volonté de renoncer ; que celle-ci se déduit de l'incompatibilité d'un engagement nouveau avec la convention antérieure ; qu'en l'espèce, en s'engageant, dans une lettre postérieure à la promesse, à acquérir les actions à un prix déterminé comme si les augmentations de capital souscrites par la société Bowater n'avaient pas eu lieu, le bénéficiaire de la promesse reconnaissait nécessairement que les termes de la promesse et l'équilibre voulu par celle-ci s'étaient trouvés anéantis par les augmentations de capital souscrites uniquement par l'exposante ; qu'en se fondant sur l'absence de renonciation expresse dans la lettre de M. B.du Vivier du 28 septembre 1976 sans vérifier si l'engagement qu'elle comportait était compatible avec le maintien des termes de la promesse, la Cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que c'est par voie d'interprétation nécessaire de la lettre en cause qui prévoyait qu'elle “ amendait et modifiait en tant que de besoin les dispositions de votre lettre du 11 novembre 1975 “ que la Cour d'appel a décidé qu'elle n'emportait pas renonciation au prix minimum prévu par la convention ; qu'il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen : (sans intérêt)

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

Cette position de la Chambre commerciale a été réaffirmée dans un arrêt du 19 octobre 1999 (JCP E 1999, p. 2067, note Y. Guyon) selon lequel : « La fixation d'un prix minimum pour la cession de parts sociales ne contrevient pas aux dispositions de l'article 1844-1 C. civ. dès lors que, n'ayant pour objet que d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, même entre associés, elle était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution au pertes dans les rapports sociaux et ne portait pas atteinte au pacte social ».

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Il faut savoir que la première Chambre civile se démarque de cette jurisprudence de la Chambre commerciale et continue à affirmer le principe de la nullité de telles clauses, comme par exemple dans un arrêt du 7 avril 1987 (Civ. 1re 7 avril 1987, JCP E 1988, II, 15133, note M. Germain). La première Chambre civile n'a pas rendu d'arrêts récents sur cette question.

Généralement, la doctrine approuve la position de la Chambre commerciale, considérée comme plus pragmatique, car permettant de valider un contrat très fréquemment employé en pratique.

2) Clause léonine et conventions de portage

Il faut souligner que, bien souvent, les promesses de rachat à prix fixe se rencontrent dans le cadre de conventions de portage qui sont fréquentes. Le portage est la convention par laquelle une personne (dite porteur) accepte, sur demande d'une autre personne (dite donneur d'ordre) de se rendre actionnaire d'une société, par acquisition ou souscription de titres, étant convenu qu'après un certain délai ces actions seront rétrocédées au donneur d'ordre ou cédées à une personne désignée pour un prix fixé dès l'origine. Il y a donc une promesse faite au porteur de lui racheter ses titres à un moment donné. La convention de portage peut être motivée par un souci de discrétion : une personne veut acquérir des titres sans le faire savoir. Elle peut également réaliser une opération de prêt : plutôt que de prêter les sommes nécessaires à acheter les titres, une banque achète elle-même les actions et les détient ainsi en garantie. Elle les restitue ensuite au fur et à mesure à l'emprunteur, en fonction de ses remboursements. En général, le porteur est rémunéré pour le service rendu au donneur d'ordre. Considérer que les promesses de rachat à prix fixe constituent des pactes léonins reviendrait à condamner les conventions de portage. En effet, celui qui accepte de porter les titres devient associé ou actionnaire, mais en réalité, il n'entend pas vraiment courir les risques sociaux. Il réalise une forme de prêt, et il entend bien récupérer l'intégralité des sommes prêtées, indépendamment du résultat de la société dont il porte les titres. Dans un tel cas de figure, que penser de la stipulation de prix plancher insérée dans la promesse d'achat ? La Chambre commerciale de la Cour de cassation s'est prononcée de manière favorable à la validité de la convention de portage au regard de l'art. 1844-1, en retenant, par un arrêt du 24 mai 1994 (Bull. Joly 1994, p. 797, note P. le Cannu), que cette convention est valide lorsqu'elle organise, sauf fraude, la rétrocession des droits sociaux « sans incidence » sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux.

La question s'est reposée par la suite dans des hypothèses où le porteur des titres était un investisseur ayant accepté de souscrire à une augmentation de capital. Dans un arrêt du 16 novembre 2004 (Bull. Joly. 2005, p. 270; RTD com. 2005, p. 111, obs. C. Champaud et D. Danet , D. 2004, p. 3144), la Cour de cassation a dû traiter de l'hypothèse d'une augmentation de capital à laquelle un investisseur avait accepté de souscrire, à la condition que les autres associés lui rachètent les titres émis, à l'expiration d'un certain délai, et au prix de

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souscription majoré d'un intérêt. La chambre commerciale a validé la clause. Le motif de la Cour était le suivant : « ayant constaté que la convention litigieuse constituait une promesse d'achat d'actions et relevé qu'elle avait pour objet, en fixant un prix minimum de cession, d'assurer l'équilibre des conventions conclues entre les parties en assurant à M. X., lequel est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de son investissement auquel il n'aurait pas consenti sans cette condition déterminante, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que cette clause ne contrevenait pas aux dispositions de l'article 1844-1 du C. civ. dès lors qu'elle n'avait pour objet que d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux entre associés, et qu'elle était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux, peu important à cet égard qu'il s'agisse d'un engagement unilatéral de rachat ». Un nouvel arrêt du 25 février 2005 (D. 2005 p. 973, note G. Kessler ; RTD com. 2005, p. 344, obs. C. Champaud et D. Danet ; Rev. sociétés 2005, p. 593, note H. Le Nabasque) a confirmé cette analyse, dans un cas de figure qui impliquait, là encore, une augmentation de capital souscrite par un investisseur.

Section 3 – L'affectio societatis

L'affectio societatis correspond à la volonté de s'associer. C'est le seul élément qui ne figure pas expressément dans le texte de l'art. 1832 du Code civil. On peut douter de l'utilité réelle de la notion. Si l'affectio societatis n'est que l'intention de s'associer, il semble en effet superflu de constater cette intention, une fois que l'on a constaté que les parties avaient eu l'intention de réaliser un apport et de participer aux bénéfices et aux pertes, donc de s'associer.

La majorité de la doctrine et la jurisprudence reconnaissent cependant l'importance de cette notion. La jurisprudence a donné une définition de la notion dans un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 3 juin 1986 (Cass. com. 3 juin 1986, Consorts Roth c. D. Reynaud, Rev. sociétés 1986, 585). L'arrêt voit l'affectio societatis dans le fait de collaborer « de façon effective à l'exploitation de ce fonds dans un intérêt commun et sur un pied d'égalité avec son associé pour participer aux bénéfices comme aux pertes ». Cette notion recouvre donc l'égalité entre les associés, et la volonté de participer à l'exploitation. Cet aspect égalitaire est important, en ce qu'il permet de distinguer le contrat de société, où les associés sont sur un pied d'égalité, du contrat voyant une partie subordonnée à une autre : le contrat de travail.

Un exemple récent de qualification de l'affectio societatis peut être trouvé dans l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 19 septembre 2006 (Cass. com., 19 septembre 2006, n°03-19416, Dr. sociétés 2007, n°42, obs. H. Lécuyer). En l'espèce, une société et l'un de ses associés soutenait qu'un associé n'était qu'un associé fictif dépourvu d'affectio societatis au motif qu'il ne participait pas activement à la vie de la société et qu'il ne réclamait pas sa part de bénéfice.

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Cette circonstance a été jugée insuffisante pour prouver l'absence d'affectio societatis. D'autant qu'en l'espèce l'associé concerné s'était opposé au gérant, ce qui manifestait son intérêt pour le fonctionnement de la société.

De fait, on constate depuis un certain temps un déclin de l'affectio societatis. Il est vrai que l'on peut se demander où est l'affectio societatis de celui qui achète des titres cotés en bourse pour les revendre quelques jours plus tard. L'affectio societatis est, dans tous les cas, moins important dans les sociétés de capitaux, et notamment dans les sociétés cotées en bourse.

On peut également se demander s'il y a véritablement intention de s'associer lorsque la société est créée par une seule personne. Certes, on pourrait soutenir que, dans cette situation, l'associé unique a l'intention de se comporter différemment de l'hypothèse où il exploiterait directement une entreprise individuelle. Autrement dit, l'associé unique aurait l'intention de se comporter comme le membre – certes unique – d'une personne morale. Il n'empêche que c'est surtout dans les sociétés de personnes comportant une pluralité d'associés que la notion d'affectio societatis prend tout son sens.

Indépendamment de ce déclin de la notion, il faut tout de même souligner que la jurisprudence exige formellement que l'on fasse la preuve de l'affectio societatis lorsqu'on invoque l'existence d'un contrat de société.

En cours de vie sociale, les associés peuvent se brouiller, et l'affectio societatis peut disparaître. Cette disparition n'entraîne cependant pas une dissolution automatique de la société. Ce n'est que si cette mésentente paralyse le fonctionnement de la société que la dissolution interviendra, ainsi que le prévoit l'art. 1844-7, 5° du Code civil. Nous aurons l'occasion d'aborder un peu plus loin ce cas de figure.

Outre les trois conditions que nous venons de voir, spécifiques au contrat de société, celui-ci doit respecter les conditions édictées par le droit commun des contrats. Ce sont ces conditions que nous allons étudier maintenant, dans leur application au droit des sociétés.

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Chapitre 2 – Les conditions générales du contrat de société

En tant que contrat, l'acte de société donne lieu à des négociations préalables à sa conclusion (section 1). Il est, en outre, soumis aux conditions générales de validité des contrats (section 2).

Section 1 – Les accords préalables à la conclusion du contrat de société

On peut envisager, avant la conclusion du contrat de société, trois types d'accords préalables. Ce sont le projet de société (§1), la promesse de société (§2), et la société d'études (§3).

§1. Le projet de société

Le projet de société constate l'accord des parties sur le principe de la constitution d'une société, mais pas sur les éléments essentiels du contrat. Par un projet, les parties s'engagent à continuer la négociation, mais restent libres de se désengager si elles ne parviennent pas à trouver un accord. Les règles applicables à cette situation sont analogues à celles régissant le droit commun des pourparlers contractuels. A la différence d'une promesse, les parties ne s'engagent pas à conclure le contrat. Si elles sont en désaccord, elles se quitteront sans rancune et surtout sans que l'une doive verser à l'autre des sommes à titre de dédit ou d'indemnité de rétractation. Il peut toutefois arriver que l'une des parties au projet se rende débitrice de l'autre, en lui causant un préjudice lors de la rupture des négociations. Ce sera le cas lorsque la rupture des négociations aura été faite de manière légère, ou dans l'intention de nuire à l'autre partie.

Le projet de société génère en tous les cas un engagement de moindre portée que celui qui est contracté par le contrat de promesse de société.

§2. La promesse de société

Les parties qui concluent une promesse de société n'entendent pas conclure le contrat de société immédiatement, mais elles veulent éviter toute rétractation de leurs partenaires.

Par la promesse, une des parties (promesse unilatérale), ou les deux (promesse synallagmatique), donnent par avance leur consentement au contrat définitif,

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dont elles soumettent la formation à l'accomplissement d'événements extérieurs ou à la levée de l'option par la partie bénéficiaire d'une promesse unilatérale.

Une promesse doit en règle générale contenir tous les éléments essentiels du futur contrat. C'est ce qu'a montré un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 28 avril 1987 (Rev. sociétés, 1988, p. 59, note F. Benac-Schmidt). Cet arrêt a approuvé les juges du fond d'avoir qualifié de promesse de société l'acte qui prévoyait l'objet social, l'importance et la nature des apports de chaque associé, ainsi que la forme de la société future. D'autres éléments peuvent être, en revanche, vus comme accessoires, notamment parce que la loi prévoit des dispositions supplétives : ce seront, par exemple, la répartition des bénéfices et des pertes entre les associés, la durée de la société... Selon certains auteurs (tel F. Bénac-Schmidt), la promesse de société doit également manifester l'affectio societatis des parties. Ce serait même le seul élément fiable de la promesse, quitte à ce qu'il soit extériorisé par d'autres éléments. Seule une décision, à ce jour, de la Cour de cassation a corroboré cette position en relevant l'intention de s'associer comme élément caractéristique de la promesse (Cass. com. 11 juin 1979, Bull. IV n° 193). Il reste que cet élément ne saurait être suffisant.

La question se pose de savoir quel doit être le mode de preuve d'une telle promesse de société. Certains auteurs admettent que la promesse se prouve invariablement par tous moyens. Mais il convient en réalité de distinguer selon que la promesse est un acte de commerce ou non et de n'appliquer la liberté de la preuve qu'aux promesses constituant des actes de commerce et à l'égard des commerçants (cf art. L. 110-3 C. com.). Il a été proposé en doctrine d'opérer une distinction suivant que la société qui fait l'objet de la promesse est civile ou commerciale. Mais si cette distinction est sans doute valable, il faut ajouter que, dans certains cas, la promesse de société civile sera tout de même qualifiée de commerciale. Ainsi, si des commerçants constituent une société civile pour les besoins de leur commerce, la promesse de société civile se trouvera être un acte de commerce, au moins à l'égard de ces commerçants. On sait en effet que, aux termes de l'art. L. 110-1 du Code de commerce, la loi répute actes de commerce les obligations naissant entre commerçants. C'est la règle de la commercialité par accessoire.

Une fois la promesse conclue et établie, que se passe-t-il en cas d'inexécution de la promesse ? L'engagement pris par le promettant n'est que celui de conclure le contrat de société. Il s'agit donc d'une obligation de faire. Dès lors, si le promettant refuse d'exécuter la promesse, le ou les bénéficiaires de la promesse ne pourront pas obtenir l'exécution forcée en nature, donc la conclusion du contrat de société, mais seulement des dommages-intérêts, en application de l'art. 1142 du Code civil.

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§3. La pratique de la société d'étude

Ce groupement, que l'on peut dire préparatoire, va généralement être constitué préalablement à la constitution d'une société anonyme. La société d'études, une fois constituée, va se livrer aux études préalables et aux expériences nécessaires à l'exploitation de la future société, le plus souvent une société anonyme (SA). Souvent la société d'étude sera déjà elle-même une SA, qui ensuite créera elle-même la SA d'exploitation. La société d'étude peut également être une société d'un autre type, qui se transformera en SA d'exploitation. La société d'étude peut être également un groupement d'intérêt économique. Ce groupement, le GIE, n'est pas une société (au sens strict on ne peut pas parler, dans cette hypothèse, de société d'étude) mais il a pour utilité de faciliter la collaboration entre les sociétés. Cela dit, un tel groupement ne peut, en tant que tel, se transformer en société d'exploitation puisqu'il n'est pas lui-même une société. En effet, la transformation en société d'un groupement qui n'appartient pas à cette catégorie doit être autorisée par une loi. Or il n'y a pas de principe général permettant la transformation d'un GIE en société.

Section 2 – Les conditions résultant du droit commun des contrats

Le contrat de société est soumis au droit commun des contrats. Il suppose, comme tout contrat, le consentement de contractants capables sur un objet et une cause licite, ces différentes conditions résultant de la soumission du contrat de société à l'art. 1108 du Code civil.

Envisageons donc ces 4 conditions : le consentement des parties à l'acte (§1) ; la capacité juridique (§2) ; l'objet certain (§3) ; et la cause licite (§4).

§1. Consentement des associés

Il faut que l'associé consente véritablement au contrat de société et que son consentement ne soit pas vicié par l'erreur, le dol ou la violence.

Quant au premier volet de cette condition – que l'associé ait véritablement consenti au contrat de société, cette exigence semble recouper la condition spécifique au contrat de société que nous avons vue précédemment : l'associé doit avoir l'intention de d'associer, l'affectio societatis.

Quant à l'exigence d'absence de vice du consentement, ce n'est que l'application classique du droit des obligations qui est faite en matière de sociétés.

Tous les vices du consentement admis dans le droit des obligations peuvent être relevés dans le contrat de société, même si l'on n'a jamais trouvé, en

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jurisprudence, de cas de violence. Il est vrai que, dans ce genre de situation, c'est plutôt l'absence d'affectio societatis qui sera invoquée.

L'erreur existe ainsi en ses différentes manifestations : on peut rencontrer une erreur sur la personne des coassociés, puisque la société – au moins les sociétés de personnes – est un contrat conclu intuitus personae. L'erreur peut porter également sur la forme même de la société, et c'est alors une erreur sur la nature du contrat, une « erreur-obstacle », comme l'erreur sur le contrat lui-même : l'un croit faire un contrat de société à responsabilité limitée, l'autre un contrat de société en nom collectif. L'erreur peut enfin porter sur une qualité substantielle de la chose faisant l'objet du contrat. Ainsi, on peut envisager qu'un ou plusieurs associés commette(nt) une erreur quant à une qualité du bien qu'apportera un autre associé. Bien entendu, dès lors que l'on applique les règles de la théorie des vices du consentement, l'erreur doit, pour justifier l'annulation du contrat de société, être à la fois déterminante et excusable, et l'erreur sur la valeur n'est pas une cause d'annulation du contrat.

On peut également envisager que le contrat de société soit annulé pour cause de dol, c'est-à-dire de mensonges, de manœuvres ou simplement du fait de la réticence dolosive d'un associé. Le dol devra, par application de l'art. 1116 C. civ, émaner d'un coassocié, et avoir été déterminant du consentement de l'associé trompé – il n'aurait pas contracté, ou pas aux mêmes conditions s'il n'avait pas été trompé. On peut cependant penser que le dol sera plus facilement retenu dans le contrat de société, qui est basé sur l'affectio societatis, et donc sur la confiance, que dans d'autres contrats où les intérêts des parties ne sont pas aussi convergents que dans la société.

Quant à la sanction du vice du consentement, ce sera la nullité relative du contrat, et éventuellement des dommages-intérêts en cas de dol ou de violence. Il faut cependant préciser qu'en matière de sociétés à responsabilité limitée et de sociétés par actions, l'art. L. 235-1 du Code de commerce dispose que la nullité de la société ne peut résulter d'un vice du consentement à moins que cette cause de nullité n'atteigne tous les associés fondateurs. Il faudra donc que tous se soient trompés ou aient été trompés pour que le contrat de société soit annulé. C'est là une règle devant assurer la stabilité des SARL et sociétés par actions.

§2. Capacité des associés

Le défaut de capacité juridique de l'associé est susceptible d'entraîner la nullité du contrat de société. On ne fera que prendre un exemple. Ainsi, un mineur ne pouvant être commerçant, par application de l'art. L. 121-2 du Code de commerce, il ne pourra pas être associé d'une société en nom collectif, puisque la qualité d'associé en nom confère automatiquement celle de commerçant.

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Il est cependant à noter que l'incapacité des associés n'est cause de nullité des SARL et des sociétés par actions que lorsqu'elle concerne tous les associés fondateurs, par application de l'art. L. 235-1 du Code de commerce.

§3. Objet

Les obligations des parties doivent avoir un objet déterminé. Ainsi l'objet précis de l'obligation d'apport devra-t-il être déterminé. Il faut cependant distinguer l'objet de l'obligation des parties (qui est de faire un apport, et de partager le bénéfice et de supporter les pertes éventuelles), l'objet du contrat de société (constituer une société d'un type déterminé), et l'objet de la société, qui consiste en le programme dont la société se dote dans ses statuts, c'est-à-dire les activités qu'elle envisage de réaliser. C'est ce dernier que l'on appelle objet social.

Comme l'objet de tout contrat, l'objet social doit être déterminé, possible, licite.

L'objet social doit être déterminé : la société ne saurait avoir un objet universel.

L'objet social doit être possible. S'il ne l'était pas ou s'il le devenait en cours de vie sociale– par exemple parce que la société s'est donnée pour objet d'exploiter un bien qui a été détruit, la société doit se trouver dissoute, par application de l'art. 1844-7, 2° du Code civil.

L'objet social doit être licite, c'est-à-dire que la société ne peut se livrer à des activités qui seraient contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs. En général, le juge français va rechercher dans l'activité réelle de la société, au-delà des termes de statuts, si l'objet est licite ou non. Cependant, un arrêt de la CJCE, rendu le 13 novembre 1990, l'arrêt Marleasing a jugé que le contrôle de la licéité de l'objet par le juge national devait être restreint à la lettre des statuts (revue Sociétés, 1991, p. 532 obs. Chaput).

§4. Cause licite

La cause de l'obligation des parties doit exister, c'est-à-dire qu'une contrepartie doit être prévue à l'obligation d'apport.

Enfin, le contrat de société doit avoir une cause licite, c'est-à-dire que les mobiles des parties ne doivent pas être contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs. L'arrêt précité, Marleasing est intervenu sur ce point (revue Sociétés, 1991, p. 532 obs. Chaput). En effet, la première directive européenne du 9 mars 1968 relative aux SARL et sociétés par actions, a limité les causes de nullité de société dans le souci de protéger les tiers. Son article 11 énonce une liste limitative de causes de nullité de la société. S'est alors posée la question de savoir si l'absence ou l'illicéité de la cause du contrat de société, qui n'est pas expressément visé par l'article 11 de la Directive, pouvait permettre au juge de

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prononcer la nullité de la société. Sur ce point précis, un tribunal espagnol a décidé de soumettre une question préjudicielle à la CJCE. Sur ce point, la CJCE a affirmé qu'un juge national saisi d'un litige entrant dans le champ d'application de la Directive doit interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de celui-ci. Or l'article 11 cherche précisément à restreindre les causes de nullité de sociétés par actions. Il convient, donc, aux yeux de la CJCE, d'empêcher toute annulation de société pour de motifs autres que ceux énumérés à l'article 11 de la Directive et ce nonobstant les dispositions figurant dans les droits nationaux. L'article 11 prévoit les motifs d'annulation suivants : défaut d'acte constitutif ou inobservation des formes, caractère illicite ou contraire à l'ordre public de l'objet de la société, absence, dans l'acte constitutif ou les statuts, de toute indication au sujet doit de la dénomination sociale soit des apports, soit du montant du capital souscrit, soit de l'objet social ; inobservation des dispositions relatives à la libération minimale du capital social ; incapacité de tous les associés fondateurs ; nombre des associés inférieur à deux lorsque la législation nationale ne l'autorise pas. Dans sa décision, la CJCE fait remarquer que l'absence de cause ou la cause illicite ne sont pas visé à l'article 11. Il reste que le caractère illicite ou contraire à l'ordre public de l'objet de la société fait partie des causes de nullité retenues par l'article 11. Mais la CJCE entend faire prévaloir à cet égard une interprétation stricte. L'objet doit donc être entendu, selon elle, comme l'objet tel qu'il est défini dans les statuts de la société et non comme l'activité réelle exercée par la société. Cette interprétation de la CJCE exclut toute annulation de la société résultant d'une cause illicite ou immorale. Bien souvent, du reste, le mobile illicite correspond à un objet social illicite, par exemple exercer une activité de contrebande ou de proxénétisme. Cela dit, cet objet social réel ne sera certainement pas mentionné dans les statuts ! Il faut souligner que l'interprétation restrictive de la CJCE ne vaut que pour le domaine d'application de la directive, soit les sociétés par action et les SARL.

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Chapitre 3 - Les nullités de sociétés

Qu'ils relèvent du droit des sociétés ou du droit commun des contrats, les éléments du contrat de société sont essentiels à sa validité, donc à son existence juridique. Cela signifie que l'absence d'un de ces éléments est fatale à la société : elle est nulle. Il reste qu'un certain nombre d'actes ont pu être conclus au nom de la société nulle –contrats de travail, de fourniture, de vente... Autrement dit, la société peut être nulle juridiquement tout en existant économiquement en tant qu'entreprise. Pour pallier les graves inconvénients qu'engendrerait un anéantissement rétroactif de la société, le législateur a donc réduit autant que possible les cas d'annulation. Sont ainsi limités tant les causes de nullité (section 1) que les voies d'action (section 2) et les effets de la nullité (section 3).

Section 1 - Les causes de nullité

L'article 1844-10 du Code civil, qui vise l'ensemble des sociétés, prévoit que « la nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des articles 1832 et 1833 ou de l'une des causes de nullité des contrats en général ». On se souvient que les articles 1832 et 1833 C.civ. sont relatifs aux conditions du contrat de société que nous venons d'évoquer en particulier les apports, la vocation à contribuer aux économies et aux pertes, la licéité de l'objet, la recherche de l'intérêt commun des associés etc.

De son côté, l'article L. 235-1 du Code de commerce, qui ne s'applique qu'aux sociétés commerciales, dispose que « la nullité d'une société... ne peut résulter que d'une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats ». A cet égard, la seule disposition expresse contenue dans le Code de commerce est relative au défaut d'accomplissement des formalités de publicité des SNC et des sociétés en commandite simple. Cette disposition résulte d'une confusion intervenue lors du vote de la loi du 24 juillet 1966. Alors qu'il avait été décidé de supprimer toutes les causes de nullité fondées sur un vice de forme ou de publicité, on oublia la formalité inscrite à l'article L. 235-2 du Code de commerce.

Si l'on met de côté cette dernière règle, que nous étudierons ultérieurement, il faut bien constater que les causes de nullité des sociétés ne sont pas à chercher dans le Code de commerce. C'est, bien davantage, du côté du Code civil qu'il convient de se tourner.

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Il faut en outre tenir compte du fait que, pour les SARL et les sociétés par actions, les causes de nullité sont limitativement énumérées par l'article 11 de la première directive européenne du 9 mars 1968.

Il convient de distinguer les causes de nullité résultant des conditions spécifiques aux sociétés (§1), et les causes de nullité relevant du droit commun des contrats (§2).

§1. La nullité fondée sur les règles spéciales du contrat de société

Conformément aux articles 1832 et 1833 du Code civil, la nullité peut résulter de diverses raisons : absence de pluralité de personnes (sauf cas d'une EURL ou d'une SASU, société par action simplifiée unipersonnelle), apport inexistant ou fictif, absence de participation aux résultats ou aux pertes, absence d'affectio societatis, illicéité de l'objet ou absence d'intérêt commun des associés.

Il faut notamment mentionner le cas de la société fictive ou société de façade. Il s'agit d'une société écran dont l'apparence de société est fausse : elle est en réalité manipulée par un seul personnage, le maître de l'affaire. Les autres associés ne sont que des hommes de paille. Une telle société est nulle faute d'une pluralité d'associés et d'affectio societatis. Il convient toutefois de souligner que l'établissement de la fictivité d'une société est relativement ardu : il suppose de réunir un faisceau d'indices concordants : défaut de pluralité d'associés, défaut d'activité sociale, défaut d'autonomie patrimoniale de la société etc.... La simple réunion dans une même main de la quasi-totalité du capital social ne suffit pas pour qualifier la société de fictive. Lorsque, cependant, la société n'est manifestement qu'une société de façade, il est possible de soutenir qu'elle est inexistante. Or la sanction de l'inexistence est bien plus sévère que celle de la nullité : l'inexistence est, en effet, prononcée rétroactivement, elle ne peut donner lieu à une régularisation et elle échappe à tout délai de prescription.

Dans l'arrêt Lumale de la Chambre commerciale en date du 16 juin 1992 (Cass. com. 16 juin 1992, Bull. civ. IV, n° 243 ; Bull. Joly 1992, § 313, p. 960, obs. P. Le Cannu ; § 274, p. 825 s., D. 1993, p. 508, note L. Collet ; Dr. sociétés 1992, n° 179, obs. Th. Bonneau), la Cour de cassation a fermement rejeté la théorie de l'inexistence au profit de la nullité. En l'espèce, plusieurs membres de la famille Lumale avaient créé une société civile immobilière dénommée « La Comète », à laquelle ils avaient apporté un terrain à bâtir. Faute d'avoir construit dans les quatre ans, la société devint redevable de lourds droits d'enregistrement correspondant à cet apport. La SCI se révélant insolvable, l'administration fiscale se tourna vers les associés, qui invoquèrent la fictivité de la société pour nier toute obligation fiscale que ce soit. En effet, si la société est inexistante, elle ne peut devoir quelque impôt que ce soit. La Cour de cassation n'a pas accueilli cet argumentation est a émis pour principe qu'« une société fictive est une société nulle et non inexistante ». Cela signifie que les associés ne peuvent invoquer cette nullité à l'encontre des tiers de bonne

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foi, telle l'administration fiscale. Cela signifie également que le délai de prescription de l'action en nullité est de trois ans et, surtout, que la nullité de la société ne joue pas rétroactivement, comme nous allons le voir.

Jurisprudence : Cass. com. 16 juin 1992

LA COUR : - Sur le moyen unique pris en ses deux branches : - Vu l'art. 1844-16 c. civ. ; - Attendu, selon le jugement attaqué, rectifié par jugement du 10 mai 1990, que Mlle Fauque, MM. Gilbert et René Lumale, M. Maurice et M. Faure (les consorts Lumale) ont déposé le 27 sept. 1974 les statuts d'une société civile immobilière dénommée « La Comète » (la société) ; que celle-ci ayant fait l'objet d'un redressement pour droits de mutation à titre onéreux, des avis de mise en recouvrement ont été émis à l'encontre de chacun des associés pour sa quote-part ; que, sur la demande des consorts Lumale, le Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan a, dans un jugement du 27 nov. 1986, constaté la « nullité et la fictivité de la SCI » ; que l'administration fiscale, qui avait formé tierce opposition à ce jugement, en a été déboutée par jugement du 16 nov. 1989 ; que par jugement du 5 avr. 1990 le tribunal a annulé les titres de recouvrement émis par l'Administration ; - Attendu que pour statuer comme il a fait le tribunal a retenu que l'administration des impôts avait été déboutée de son action en tierce opposition contre le jugement du 27 nov. 1986 qui avait constaté la fictivité et donc l'inexistence de la société ; - Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'une société fictive est une société nulle et non inexistante, et dès lors sans rechercher comme il y était invité par ses conclusions si l'administration des impôts n'était pas un tiers de bonne foi auquel la nullité constatée était inopposable, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, casse [...] renvoie devant le Tribunal de grande instance de Dax.

La solution retenue dans l'arrêt Lumale a, par la suite, été confirmée (Com. 22 juin 1999, Rev. sociétés 1999.824, note A. Constantin, D. 2000.234, obs. J.-C. Hallouin et 389, obs. S. Piedelièvre, D. affaires 1999. 1336, M. B. ; Petites affiches, 22 juill. 1999, p. 7, P. M. ; Bull. Joly 1999. 978, A. Couret). La Cour a cependant pris soin de réserver le cas de la fraude qui, parce qu'elle corrompt tout, pourrait justifier une autre solution.

Dix ans après l'arrêt Lumale, la Cour de cassation a eu à nouveau à se prononcer en matière de fictivité de société dans l'arrêt Franck du 19 février 2002 (JCP E 2002, 1510 note J.-P. Legros). En l'espèce, trois personnes avaient créé une société qui était elle-même devenue actionnaire d'une société anonyme. Mais la société constituée n'avait réalisé aucune opération correspondant à son objet social : elle s'était contentée de souscrire un emprunt dont elle avait mis les fonds à disposition de la SA dont elle était à la fois actionnaire et mandataire. Par la suite, cette société fut mise en liquidation judiciaire. Or le juge décida d'étendre cette liquidation à l'un des associés, Mme Franck, en se fondant sur la fictivité de la société. Cette solution n'était pourtant pas évidente. En effet, la fictivité de la société semblait acquise, en l'absence d'affectio societatis. Restait, pour le juge, à

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trouver qui se cachait derrière cette société fictive, qui était le véritable maître de l'affaire. Cela revenait, en fait, à déterminer qui avait poursuivi une activité personnelle sous couvert d'une personne morale. En l'occurrence, le juge désigna Mme Franck comme maître de l'affaire. En général, on estime qu'il faut rétablir la vérité en rétablissant l'unité des patrimoines : le patrimoine de la société et celui du maître de l'affaire ne font qu'un. Cela justifie d'étendre la procédure de liquidation judiciaire au maître de l'affaire. Cette opération se heurtait toutefois au principe de l'arrêt Lumale, selon lequel la fictivité est une nullité. Or, comme nous le verrons, la nullité, en droit des sociétés, n'opère pas rétroactivement : elle entraîne simplement la dissolution et la liquidation de la société. Mme Franck invoquait, en outre, le fait que la fictivité n'est pas une cause de nullité au regard du droit communautaire, en invoquant à son profit la jurisprudence Marleasing. Pour contourner la difficulté, la Chambre commerciale a souligné qu'il ne s'agissait pas, ici, de prononcer la nullité de la société. La constatation de la fictivité, dit la Cour, permet simplement d'étendre la procédure à une autre personne, dans l'intérêt des tiers. Il s'agit donc bien ici d'une application de la théorie de l'inexistence, malgré son exclusion par la jurisprudence Lumale. Certains auteurs parlent d'inopposabilité de la société par le défendeur en cas d'extension d'une procédure collective.

Jurisprudence : Cass. com. 19 février 2002

N° 98-20578

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Z..., Mme Y... et M. Y... ont constitué, le 14 décembre 1988, la société Garaude production investissements (société GPI) qui est devenue actionnaire de la société Z... ; que la société GPI a été mise en redressement judiciaire le 4 novembre 1994, converti en liquidation judiciaire le 10 mars 1995, M. X... étant désigné en qualité de liquidateur ; que le liquidateur a demandé au tribunal de constater la fictivité de la société GPI et d'étendre notamment à M. Y... la procédure collective ouverte à l'égard de cette société ;

(...)

Sur le deuxième moyen :

Attendu que M. Y... reproche encore à l'arrêt d'avoir décidé que la société GPI était fictive et d'avoir en conséquence " ouvert " la procédure de liquidation judiciaire de la société GPI à son égard, alors, selon le moyen, que le juge national qui est saisi d'un litige dans une matière entrant dans le domaine d'application de la directive n° 68/151/CEE du Conseil du 9 mars 1968 est tenu d'interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive en vue d'empêcher la déclaration de nullité d'une société pour une cause autre que celles énumérées à son article 11 ; qu'il est donc interdit au juge français de prononcer la nullité d'une société pour défaut d'affectio societatis qui ne figure pas dans la liste des motifs qui sont limitativement énumérés à l'article 11 de ladite directive ; qu'en décidant que M. Y... ne pouvait pas se prévaloir de

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la directive n° 38/151 devant elle, la cour d'appel a violé l'article 189, alinéa 3, du Traité instituant les Communautés européennes ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande de nullité de la société GPI, a seulement constaté la fictivité de celle-ci et décidé, dans l'intérêt des tiers, d'étendre à M. Y... la procédure collective précédemment ouverte ; que le moyen n'est pas fondé ;

(...)

Il faut conclure de tout cela que la sanction de la fictivité est en principe la nullité de la société, sauf en matière de procédure collective où la fictivité justifie l'extension de la procédure en rendant l'existence de la société inopposable.

On remarquera pour finir que la jurisprudence relative aux sociétés fictives peut entrer en contradiction avec l'arrêt Marleasing déjà évoqué. On se souvient, en effet, que les causes de nullité sont limitativement énumérées par l'article 11 de la première directive de 1968 pour les SARL et les sociétés par actions. Or la fictivité de la société ne fait pas partie des causes de l'article 11. Le juge français a été sensible à cet aspect. La Cour d'appel de Paris a ainsi suivi l'optique restrictive de la jurisprudence communautaire. Dans un arrêt du 21 septembre 2001, Escudié (RJDA 2002 n°641 ; Bull. Joly 2002, p. 626) elle s'est fondée sur la directive pour juger qu'une société par action ou une SARL ne peut être déclarée nulle pour fictivité de l'un des apports, puisque ce motif n'est pas repris dans l'article 11.

§2. La nullité fondée sur le droit commun des contrats

Est nulle la société dans laquelle n'auraient pas été respectées les dispositions de l'article 1108 du Code civil sur le consentement, la capacité, l'objet et la cause. Deux remarques doivent être faites à cet égard. D'abord, dans les sociétés en nom collectif et en commandite simple, la nullité peut être prononcée pour défaut ou vice du consentement, incapacité d'un ou plusieurs associés, illicéité ou défaut d'objet ; absence de cause ou cause illicite. En revanche, la nullité d'une SARL ou d'une société par actions ne peut résulter ni d'un vice du consentement, ni d'une incapacité « à moins que celle-ci n'atteigne tous les associés fondateurs » (article L. 235-1 al. 1 C. com.). Ces sociétés ne peuvent être annulées que pour non respect des dispositions sur la cause ou sur l'objet. Et encore faut-il tenir compte de l'impact de la jurisprudence Marleasing précitée : seules les causes de nullité limitativement énumérées par l'article 11 de la première directive européenne du 9 mars 1968 peuvent être prises en compte en matière de SARL et de sociétés par actions.

Cela dit, et malgré la jurisprudence Marleasing, la fraude continue à constituer aujourd'hui une cause générale de nullité de société en droit français. En effet, la théorie de la fraude, permet de prononcer la nullité de la société en application de l'adage fraus omnia corrumpit (la fraude corrompt toute chose). Certes, la fraude n'est expressément visée ni par le Code civil, ni par le Code de commerce,

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mais on estime qu'elle constitue une cause générale de nullité des sociétés. La nullité est généralement prononcée pour cause illicite ou immorale.

Le cas de la fraude est celui où une société est constituée pour frauder le droit des créanciers (apports des biens dans une société), voire le droit des successions, le droit du travail, ou le droit fiscal. Par exemple, dans une espèce tranchée par la troisième chambre civile le 9 juillet 2003 (Cass. 3è civ. 9 juillet 2003, JCP E 2003, n°1371), un débiteur avait créé avec son fils une société civile immobilière pour échapper au droit de poursuite de la banque qui lui avait consenti un prêt.

En principe, la Cour de cassation décide que la fraude n'est une cause de nullité qu'autant qu'elle est partagée par tous les associés. Mais, dans un arrêt du 7 octobre 1998 (Cass. 1re civ. 7 octobre 1998, D. 1998, p. 563, concl. J. Ste Rose), rendu en matière de droit des obligations, la première Chambre civile a toutefois estimé « qu'un contrat peut être annulé pour cause illicite ou immorale, même lorsque l'une des parties n'a pas eu connaissance du motif déterminant de la conclusion du contrat ». On peut donc considérer que cette solution vaut en matière de société.

Enfin, il faut souligner qu'en 1999, par une décision Centros Ltd, la CJCE a admis le caractère de principe général de l'adage fraus omnia corrumpit (CJCE 9 mars 1999, aff. Centros Ltd, Bull. Joly 1999, p. 705, note J.-Ph. Dom). Autrement dit, le droit communautaire ne peut écarter un principe aussi général que celui selon lequel « la fraude corrompt tout ».

Pour conclure, enfin, sur les causes de nullité, on soulignera que le droit des sociétés contient de nombreuses dispositions légales impératives qui ne sont pas sanctionnées par la nullité de la société. Les clauses statutaires qui leur sont contraires sont tout simplement réputées non écrites, comme le prévoit l'article 1844-10 al. 2 du Code civil. Par exemple, les clauses léonines, les clauses prévoyant une rémunération non prévue par la loi au profit des administrateurs, les clauses restreignant l'exercice de l'action sociale, sont des clauses réputées non écrites.

Section 2 - L'action en nullité

L'action en nullité est régie par les règles traditionnelles applicables aux nullités. Dans le cas d'une nullité relative, seule la personne protégée par la règle peut agir en nullité. Dans le cas d'une nullité absolue, l'action en nullité peut émaner de tout intéressé qu'il s'agisse d'un dirigeant, d'un associé, voire d'un commissaire aux comptes.... L'action en nullité est, par ailleurs, enserrée dans des délais de prescription très stricts (§1). Elle peut, en outre, être éteinte par une régularisation (§2).

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§1. Les règles de prescription

La prescription est de trois ans à compter du jour où la nullité est encourue, comme le précise l'article 1844-14 C. civ.

Lorsque la nullité est fondée sur l'illicéité de l'objet ou sur la fraude, aucun délai de prescription n'est opposable.

Enfin, conformément au droit commun, il est toujours possible d'opposer l'exception de nullité en présence d'un acte nul. L'exception de nullité est toujours perpétuelle, comme l'exprime l'adage latin : quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum (ce qui est temporel quant à l'action est perpétuel quant à l'exception). En voici un exemple, dans un arrêt de la troisième Chambre civile du 2 décembre 1998 (Rev. Sociétés, 1999, p. 359, note Y. Chartier ; RTD civ. 1999, p. 617, obs. J. Mestre).

Jurisprudence : Cour de cassation - Chambre civile 3

N° de pourvoi: 97-10590

Sur le moyen unique :

Vu le principe selon lequel la prescription d'une action en nullité n'éteint pas le droit d'opposer celle-ci comme exception en défense à une action principale ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 17 septembre 1996), qu'un bail portant sur un immeuble à usage commercial a été consenti pour neuf ans, le 28 septembre 1990, par la société civile immobilière de la Croix de Mission (la SCI), représentée par Mme Godin, à la société anonyme Y... , représentée par l'époux de Z... Y..., qui était encore actionnaire de cette société jusqu'au 1er octobre suivant ; que, postérieurement, la société Y... représentée par Mme Chazanne, le nouveau président de son conseil d'administration, a contesté la validité de ce bail ; qu'un accord est intervenu, le 8 février 1991, entre les époux Y... et Z... X..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de porte-fort des autres actionnaires, sur la date d'effet du bail et sur celle du versement du premier loyer ; que des négociations ont ensuite été menées entre ces mêmes personnes, en vain, en vue de la conclusion d'un nouveau bail ; que la société Y... a occupé les lieux jusqu'au 31 juillet 1992 ; que la SCI l'a assignée pour la faire condamner à lui payer les loyers, prévus au bail, jusqu'à la fin de la première période triennale, soit jusqu'au 1er octobre 1993 ;

Attendu que, pour condamner la société Y... à payer à la SCI une certaine somme à titre de loyers, l'arrêt retient que le bail signé le 28 septembre 1990 n'a pas fait l'objet d'une action en nullité dans le délai de trois ans prévu par l'article 105 de la loi du 24 juillet 1966 et qu'il ne peut ainsi plus être annulé pour défaut d'autorisation préalable du conseil d'administration ;

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Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 septembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.

Cette règle vaut également en présence de clauses que la loi répute non écrite, pour lesquelles il n'existe pas de prescription : il s'agit là d'une sorte d' « inexistence juridique » par volonté de la loi.

§2. La régularisation de la société

Compte-tenu des conséquences de l'annulation d'une société, il est toujours possible de régulariser la société affectée d'une nullité. La régularisation consiste, logiquement, en la suppression de la cause de nullité. Par exemple, en l'absence d'associés en nombre suffisant, ou en présence d'un apport fictif, il sera possible d'intégrer de nouveaux associés, ou de constituer des apports ayant une valeur réelle.

Dans un seul cas de figure, il est impossible de régulariser : c'est le cas de l'illicéité de l'objet social.

L'action en nullité est éteinte si la cause de nullité a cessé le jour où le juge statue sur le fond en première instance (art. 1844-11 C. Civ.). Le tribunal a d'ailleurs la possibilité d'accorder un délai pour permettre la régularisation, même d'office.

Lorsque la nullité résulte d'un vice du consentement ou de l'incapacité, l'associé concerné peut être mis en demeure d'agir en nullité ou de régulariser (art. 1844-12 C. civ.). A supposer qu'une action en nullité soit intentée devant le juge par l'intéressé, il est toujours possible aux autres associés de proposer au juge le rachat de ses droits sociaux.

Section 3 - Les effets de la nullité

Par exception au droit commun des nullités, la nullité de la société est prononcée de manière non rétroactive (article 1844-15 C.civ.). En effet, la société a fonctionné, elle a passé des actes juridiques, exploité une entreprise : la rétroactivité aurait des effets gravissimes. La nullité produit donc les effets d'une dissolution qui ne vaut que pour l'avenir : les actes passés ne peuvent être remis en cause. On estime que la société a fonctionné comme une société de fait.

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Les tiers qui ont contracté de bonne foi avec la société ne peuvent donc se voir opposer la nullité par les dirigeants (art. 1844-16 C.civ.). Enfin, ceux qui sont à l'origine de la nullité peuvent voir engagée leur responsabilité.