the love of details: watching breaking bad
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25V.11 - NÂș 1 jan./abr. 2017 SĂŁo Paulo - Brasil FRANĂOIS JOST p. 25-37
DOI: http://dx.doi.org/10.11606/issn.1982-8160.v11i1p25-37
Lâamour des dĂ©tails: regarder Breaking BadThe love of details: watching Breaking Bad
F R A N Ă O I S J O S T a
UniversitĂ© Sorbonne Nouvelle â Paris 3. Paris, France
RĂSUMĂLes sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es les plus innovatrices profitent de nouvelles formes dâaudience qui conduisent le fictif vers le ludique et attribuent Ă lâacte de visionnage lâallure dâun jeu. Avec les fonctions de pause ou zoom aux dĂ©tails, les nouveaux outils de visionnage permettent au spectateur de participer davantage aux actes crĂ©atifs, tandis quâil peut aussi se rĂ©jouir dâune activitĂ© rĂ©crĂ©ative. Lâanalyse de Breaking Bad accomplie dans cet article dĂ©montre ces possibilitĂ©s, tout en soulignant comme la âgranularitĂ©â de lâunitĂ© minimale dâune Ćuvre tĂ©lĂ©visuelle sâest modifiĂ©e, de façon Ă se diriger Ă un spectateur qui, pour quâil puisse bien comprendre ou savourer la sĂ©rie, doit procĂ©der Ă une analyse des dĂ©tails de lâimage et de la bande sonore.Mots-clĂ©s: SĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es, Breaking Bad, nouvelles formes dâaudience, dĂ©tails
ABSTRACTThe most innovative television series take advantage of new audience forms that make the fictional tend to the ludic and give to the act of watching the aspect of a game. With the functions of freezing or enlarging the details, the new visualization instruments allow the viewer to participate a little more of the creative acts, while at the same time can enjoy a recreational activity. The analysis of Breaking Bad in this article demonstrates these possibilities, highlighting how the âgranularityâ of the minimum unit of a television work has changed, in order to address a new kind of spectator. This spectator should be able to analyze the details of image and soundtrack to understand or taste the series.Keywords: Television series, Breaking Bad, new forms of audience, details
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a Professeur de Sciences de lâInformation et de la Communication Ă lâUniversitĂ© Sorbonne Nouvelle â Paris 3. Il dirige depuis 2012 le laboratoire Communication Information MĂ©dias. â Orcid: http://orcid.org/0000-0003-0641-9200. E-mail: [email protected]
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Lâamour des dĂ©tails
SELON UMBERTO ECO, il est trois façons dâaborder une Ćuvre: lâin-tention de lâauteur, lâintentio auctoris, pour reprendre ses propres termes, câest-Ă -dire ce quâa voulu faire le crĂ©ateur dâune Ćuvre, en lâoccurrence,
une sĂ©rie; lâintention de lâĆuvre, lâintentio operis, ce que lâon peut tirer de lâana-lyse de lâĆuvre elle-mĂȘme, et lâintention du lecteur, lâintentio lectoris.
ChassĂ©e par la grande porte de la thĂ©orie du texte dans les annĂ©es 1960-1970, lâintentio auctoris est revenue ces temps-ci par la fenĂȘtre. Beaucoup dâanalyses se fondent sur les interviews des crĂ©ateurs et des commentaires qui accompagnent les Ă©pisodes dans les Ă©ditions DVD. Une autre voie empruntĂ©e couramment par les chercheurs est de mettre au jour lâintentio operis: on va chercher dans une sĂ©rie les signes de la sĂ©rialitĂ©. On essaye dây dĂ©celer Ă la fois un phĂ©nomĂšne historique (lâhistoire de la sĂ©rialitĂ©) ou un phĂ©nomĂšne Ă©conomique propre aux industries culturelle (lâobligation de sĂ©rialiser les productions audiovisuelles pour abaisser les coĂ»ts et fidĂ©liser le spectateur).
Jâaimerais dans cet article suivre une troisiĂšme piste: envisager les relations entre lâintentio auctoris et lâintentio lectoris et comprendre comment cette articu-lation se rĂ©percute sur la composition et la construction des sĂ©ries. En dâautres termes, plutĂŽt que dâenvisager ces intentions comme trois points de vue isolĂ©s, que lâon peut adopter au choix, je souhaite montrer comment lâintentio lectoris ou, si lâon veut, lâintentio spectatoris agit en amont sur lâĂ©criture des sĂ©ries. Dans une perspective plus pragmatique que sĂ©miologique, je partirai de hypothĂšse que le spectateur, loin dâĂȘtre une instance stable, que lâon pourrait penser comme une position (un peu Ă la façon de Christian Metz dans Le Signifiant imaginaire), le spectateur, donc, change au cours de lâhistoire des mĂ©dias en fonction de la façon matĂ©rielle dont il regarde les films ou les sĂ©ries.
A lâĂ©poque de Dallas, câest-Ă -dire au tout dĂ©but des annĂ©es 1980, les specta-teurs ne disposaient que rarement dâun outil de mĂ©moire comme le magnĂ©toscope. En sorte que, pour suivre une sĂ©rie, ils faisaient essentiellement appel Ă ce que les psychologues appellent une âmĂ©moire de situationâ. Pour comprendre le rĂ©cit, il leur suffisait de suivre les dialogues et de situer lâaction: bureau, ranch ou piscine. Peu importait la forme des verres de whisky ou les tableaux accrochĂ©s aux murs. LâinterprĂ©tation du spectateur sâĂ©laborait au niveau des structures narratives et lâintentio lectoris ne visaient nullement des unitĂ©s minimales plus petites que le plan. Dans ce contexte, le magnĂ©toscope Ă©taient la plupart du temps, sauf pour les analystes professionnels, une tĂ©lĂ©vision de rattrapage. Il devenait possible de dissocier le temps du visionnage du temps de la diffusion.
Le spectateur dâaujourdâhui a bien dâautres ressources et, comme on sait, il ne regarde plus les sĂ©ries uniquement sur un tĂ©lĂ©viseur: les jeunes, notamment, prĂ©fĂšrent les suivre sur leur ordinateur, leur tablette, voire leur smartphone.
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Regarde-t-on de la mĂȘme maniĂšre une fiction sĂ©rielle que sur le tĂ©lĂ©viseur des an-nĂ©es 1980? Sans doute pas. La granularitĂ© de lâunitĂ© minimale nâest plus la mĂȘme. Il est devenu facile dâaller en deçà des structures narratives. Nous avons couramment:
â la possibilitĂ© de grossir lâĂ©cran pour observer un dĂ©tail, dâun simple geste; â la nĂ©cessitĂ© dâobserver lâĂ©cran pour jouer Ă des jeux vidĂ©o et pour trouver
le dĂ©tail qui permettra de passer dâun pallier Ă un autre; â et, donc, de dĂ©couvrir des Ă©lĂ©ments beaucoup plus petits que le plan.
Notre regard est devenu centripĂšte: au lieu de nous Ă©loigner du texte pour construire des structures narratives, nous y entrons de plus en plus, nous y pĂ©-nĂ©trons Ă volontĂ©: ce que les psychologues appellent la âmĂ©moire du texteâ est facilitĂ©e. Mais il y a plus encore. Pour nous assurer que nos dĂ©couvertes visuelles ou sonores sont justes, nous avons la possibilitĂ© de former des communautĂ©s comme jamais auparavant:
â en discutant de ce que lâon a vu sur des forums spĂ©cialisĂ©s dans nos sĂ©ries prĂ©fĂ©rĂ©es
â en les signalant sur twitter â en constituant des wikis sur les sĂ©ries, etc.
En somme, de nouveaux usages de la fiction et des Ćuvres se sont fait jour. Toutes ces ressources de dĂ©composition de lâimage et de partage ont transformĂ© la rĂ©ception en profondeur.
Ces nouvelles façons de voir sâobservent aujourdâhui dans la maniĂšre dont les partisans de la thĂ©orie du complot utilisent les images de lâactualitĂ©. The X Files affirmait dans les annĂ©es 1990 âles images mententâ, âla vĂ©ritĂ© est ailleursâ. On a vu, aprĂšs lâattentat de Charlie-Hebdo, lâattitude presque inverse: certains ont cherchĂ© dans les images des dĂ©tails qui infirmaient ce que les complotistes appellent la âversion officielleâ: le changement de couleur du rĂ©troviseur de la voiture des terroristes Ă deux moments diffĂ©rents Ă©tait la preuve, selon eux, que les mĂ©dias nous mentaient.
Dans le cadre du prĂ©sent article, jâen resterai nĂ©anmoins Ă ces produits des mĂ©dias rĂ©crĂ©atifs et crĂ©atifs que sont les sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es pour montrer comment les plus inventives tirent partie de cette nouvelle façon de voir, tirant le fictif vers le ludique et donnant au visionnage lâallure dâun jeu que continuent Ă leur maniĂšre les spectateurs. Je mâappuierai sur une analyse de la sĂ©rie Breaking Bad pour montrer que la âgranularitĂ©â de lâunitĂ© minimale a changĂ© et quâelle sâadresse Ă un spectateur qui, pour comprendre ou savourer la sĂ©rie, doit procĂ©der Ă une analyse des dĂ©tails de lâimage et de la bande son.
Mais quâest-ce quâun dĂ©tail? On pourrait aller chercher un modĂšle du cĂŽtĂ© de la littĂ©rature avec lâopposition faite par Barthes entre fonctions cardinales,
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Lâamour des dĂ©tails
les grandes lignes de lâintrigue, et catalyses, ces Ă©lĂ©ments moins importants, pas forcĂ©ment nĂ©cessaires pour lâintellection du rĂ©cit, mais qui font vrais, qui donnent un âeffet de rĂ©elâ (Barthes, 1964). Sâils sont opĂ©ratoires dans une certaine mesure, je prĂ©fĂšre partir de la remarquable Ă©tude de Daniel Arasse (2009) plus directement applicable Ă un travail plastique sur les images et les sons.
Arasse distingue deux sens du terme dĂ©tail. Le premier, particolare en italien, dĂ©signe une petite partie dâune figure, dâun objet ou dâun ensemble, par exemple, pour un visage, les sourcils, le blanc des yeux, la couleur de lâiris (Ibid.: 10). CaractĂ©risĂ©e comme iconique, cette dimension peut sâappliquer Ă la minutie dâune peinture, prĂ©cise dans les moindres dĂ©tails. Câest ce sens que lâon emploie quand on parle du âsouci du dĂ©tailâ dâun rĂ©alisateur, qui, Ă lâopposĂ© du dĂ©corateur de Dallas que jâĂ©voquai tout Ă lâheure, soigne les plus petites parties du dĂ©cor, comme, mettons Soderbergh dans The Knick (2014-aujourdâhui).
âDĂ©tailâ a aussi un autre sens, directement dĂ©rivĂ© de lâitalien dettaglio, qui renvoie Ă celui qui âtailleâ un objet, qui le dĂ©coupe. QualifiĂ© cette fois de âpicturalâ par Arasse, il est le âle rĂ©sultat de celui qui âfait le dĂ©tailâ, quâil sâagisse du peintre ou du spectateurâ (Ibid.: 11). Cette alternative nous ramĂšne Ă la distinction entre intentio auctoris et intentio lectoris. Quâil sâagisse du âpeintre ou du spectateurâ ne revient en effet pas au mĂȘme. Le dĂ©tail inventĂ© par le peintre est pleinement intentionnel, puisquâil nâexisterait pas sans son geste, câest donc un âmessage intime du peintre dans le tableauâ (Ibid.: 9). A lâinverse, le dĂ©tail taillĂ© dans le visuel ou le continuum sonore par le spectateur est attentionnel, il dĂ©pend de son propre dĂ©coupage de lâĆuvre.
Si la rencontre entre lâintentionnel et lâattentionnel en peinture est facilitĂ©e par le fait que, comme je viens de le dire, tout ce qui est reprĂ©sentĂ© a Ă©tĂ© voulu par lâartiste â du moins dans la peinture figurative â, il en va autrement de la matiĂšre audiovisuelle. Que lâon fasse repeindre les feuilles des arbres comme Bresson nâempĂȘchera jamais une saute de vent inattendue. Jamais un coup de dĂ©s nâabolira le hasard, comme lâĂ©crivait Mallarmé⊠En sorte que nous ne savons pas toujours si tel Ă©lĂ©ment qui retient notre attention dans un film ou une sĂ©rie a Ă©tĂ© fait exprĂšs. La seule assurance de la pertinence du dĂ©coupage de lâimage est la rĂ©pĂ©tition ou lâostension de lâĂ©lĂ©ment isolĂ© par lâanalyste.
Parler dâintention ou dâattention est encore trop vague. Quâa en tĂȘte celui qui fabrique un dĂ©tail audiovisuel dans une sĂ©rie? Veut-il nous donner une indication nĂ©cessaire Ă lâintellection du rĂ©cit ou, au contraire, simplement accomplir un geste artistique gratuit? Si en peinture, Arasse oppose lâiconique et le pictural, il semble bien que le paradigme opĂ©ratoire soit lâopposition entre la pertinence narrative et la pertinence artistique.
A partir de cette distinction, on peut répartir les détails en trois catégories.
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LES TROIS TYPES DE DETAILS DES SERIESLes dĂ©tails qui nâont pas de signification intentionnelleCe sont tous ces Ă©lĂ©ments qui rĂ©vĂšlent des incohĂ©rences au niveau du
scĂ©nario ou, plus simplement, des fautes de script ou des alĂ©as du tournage. Je pense Ă cette scĂšne de Breaking Bad que je me rappelle avoir repassĂ© plusieurs fois, oĂč lâon aperçoit furtivement un homme qui marche devant un buisson pliĂ© en deux pour en conclure finalement que ce devait ĂȘtre un assistant trop lent Ă disparaĂźtre de la scĂšne du tournage. Les fans appellent ces fautes des goofs (des gaffes) et leur habiletĂ© Ă les dĂ©busquer prouve que regarder une sĂ©rie aujourdâhui, câest loin de se contenter de suivre une histoire, mollement assis dans son canapĂ©, mais câest sâarrĂȘter sur lâimage, revenir en arriĂšre, comparer, etc. Des fans remarquent, par exemple, que, sur une photo oĂč Dexter pose avec Harry (Ă©pisode 104), il y a des petits logos Hewlett-Packard indiquant quâelle a Ă©tĂ© imprimĂ©e, alors quâelle a Ă©tĂ© prise censĂ©ment avec un appareil argentique (ce qui nâest dâailleurs pas si contradictoire que ça: on peut retirer une photo scannĂ©e!)⊠Ces dĂ©tails relĂšvent bien dâune attention spectatorielle, mais lâĆuvre atteste leur existence matĂ©rialitĂ©, qui Ă©chappe aux auteurs en sorte quâils sont bien du ressort de lâintentio operis, quâil vaudrait mieux appeler une âattestation textuelleâ ou une âpreuve textuelleâ.
Les dĂ©tails qui ont une fonction narrative et dont la perception est nĂ©cessaire pour comprendre le rĂ©citCertains sont relayĂ©s par lâobservation dâun personnage, dâautres dĂ©pendent
du sens de lâobservation du spectateur, qui nâa pas de relais dans lâimage.Parmi les dĂ©tails relayĂ©s par lâobservation des personnages figurent Ă©videm-
ment les indices relevĂ©s par Columbo, dans la sĂ©rie Ă©ponyme, que le spectateur ne pourrait remarquer sans lui ou, plus rĂ©cemment, lâinterprĂ©tation de minuscules Ă©lĂ©ments du visible dont Sherlock Holmes tire des conclusions dĂ©cisives pour ses enquĂȘtes (dans la sĂ©rie du mĂȘme nom).
Dans cette catĂ©gorie des dĂ©tails-particolare figurent aussi tous ces signes que lâon observe Ă un moment donnĂ© et qui ne prennent leur sens que plus tard. Ainsi, dans The Affair (Showtime, 2014-aujourdâhui), ce moment oĂč lâon observe sur la cuisse de lâhĂ©roĂŻne, Alison, une entaille, sans trĂšs bien distinguer le geste quâelle a fait auparavant pour se blesser avec un galet ramassĂ© sur le sable. On ne comprendra que beaucoup plus tard, quand elle le fera Ă nouveau, que cette entaille est un symptĂŽme de la culpabilitĂ© quâelle Ă©prouve.
Ce type de dĂ©tails fait partie intĂ©grante du scĂ©nario puisquâil permet un raisonnement hypothĂ©tico-dĂ©ductif chez le spectateur. Il en va de mĂȘme,
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Ă©videmment, pour les sĂ©ries qui mettent en scĂšne un dĂ©tective qui remonte vers le criminel grĂące Ă lâobservation de dĂ©tails, comme Holmes.
Les dĂ©tails qui ont une fonction artistique et dont la perception est facultativeAu moment oĂč Walter va entrer dans son laboratoire clandestin, cachĂ© dans
une laverie industrielle, on aperçoit dans lâarriĂšre-plan une enseigne avec ce mot SIGNS (Ă©pisode 305) (Figure 1). Cette invitation Ă une lecture sĂ©miologique, attentive Ă considĂ©rer les images et les sons comme des signes, porte ses fruits. Dans Breaking Bad, rien nâest laissĂ© au hasard. Pas mĂȘme le choix scĂ©naristique du lieu oĂč Walter poursuit son activitĂ© coupable: une laverie (laundry), oĂč il fabrique la mĂ©thamphĂ©tamine qui sĂ©crĂšte un argent qui sera blanchi (money laundering) dans une station de lavage de voiture. Ce âsignâ, que trĂšs souvent les spectateurs ne remarquent pas sâadresse aux amoureux des sĂ©riesqui recherchent des easter eggs, comme disent les fans. Il faut aller sur les sites de sĂ©ries pres-tigieuses comme Breaking Bad pour constater combien chaque scĂšne, chaque musique ou chaque titre fait lâobjet dâune exĂ©gĂšse, de rapprochements culturels et de discussions.
FIGURE 1 â Walter arrive Ă son laboratoire clandestin
Ce mode de rĂ©ception de la sĂ©rie rappelle le vertige de lâarrĂȘt sur lâimage qui sâĂ©tait emparĂ© des thĂ©oriciens et des spĂ©cialistes de lâanalyse textuelle cinĂ©mato-graphique. Cette pratique sâest dĂ©mocratisĂ©e. Regarder une Ćuvre tĂ©lĂ©visuelle ou cinĂ©matographique, câest aujourdâhui une dĂ©marche centripĂšte assez proche de celle du hĂ©ros de Blow up, qui tente dâen savoir plus en grossissant une pho-tographie. Celui qui cherche des dĂ©tails dans Breaking Bad nâest pas déçu. Les contrepoints audiovisuels sont toujours porteurs de sens. Quant aux images, ce sont des puits sans fond dans lesquelles il ne faut pas hĂ©siter Ă sâenfoncer avec
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curiositĂ© en se posant des questions comme celle-ci: pourquoi Hector Tio Sa-lamanca regarde-t-il Ă la tĂ©lĂ©vision Le Pont de la RiviĂšre KwaĂŻ?... La rĂ©ponse est cachĂ©e comme le chasseur dans certaines devinettes visuelles dâantan⊠RĂ©ponse: parce que le colonel dont le film raconte lâhistoire se fera sauter Ă la fin, comme Tio, qui sautera un peu plus tard dans sa chaise roulante piĂ©gĂ©e par Walter.
Parfois, on se trouve face Ă de vĂ©ritables rĂ©bus visuels, dont le sens nâapparaĂźt quâa posteriori. Juste aprĂšs le gĂ©nĂ©rique de lâĂ©pisode 412, Walter, sur le bord de sa piscine, fait tourner sur lui-mĂȘme son revolver sur une table qui se trouve prĂšs de lui. Commence la chanson dâApollo Sunshine, dont les paroles disent assez bien ce que Walter retourne dans sa tĂȘte:
Why say âgoodbyeâWe are born again when we died butWe will never leave our lives
Deux fois, le canon du revolver sâarrĂȘte, pointĂ© dans sa direction. La troisiĂšme fois, il indique un pot de fleurs. Walter regarde, perplexe [Figure 2]. Ă la fin de lâĂ©pisode suivant, on apprendra que Brock nâa pas Ă©tĂ© empoisonnĂ© par de la ricine â ce qui accusait immanquablement Gus â mais intoxiquĂ© par du muguet (Lily of the Valley), la fameuse fleur qui se trouvait au bord de la piscine. LâarrĂȘt inopinĂ© du revolver dans sa direction a Ă©tĂ© la source de son plan machiavĂ©lique. Dans la cinquiĂšme saison, il sifflotera Lily of the Valley en âcuisinantâ, chant religieux dont les paroles disent âDans la douleur, câest mon rĂ©confort, dans la difficultĂ©, câest mon soutienââŠ
FIGURE 2 â Walter au bord de la piscine avec le muguet dans le fond
Si le spectateur recherche ce type de ârĂ©compenseâ dont parle Arasse, on ne saurait trop lui conseiller de toujours consulter les titres amĂ©ricains des Ă©pisodes
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de Breaking Bad. Ils sont gĂ©nĂ©ralement porteurs de sens cachĂ©s. LâĂ©pisode 311 est intitulĂ© Abiquiu: ce nom dĂ©signe dâabord la ville natale de la peintre Georgia OâKeefe, dont Jesse et Jane considĂšrent un tableau au dĂ©but de lâĂ©pisode. Mais il a un lien plus secret avec lâĂ©pisode: tous deux discutent de la raison dâĂȘtre de lâentreprise artistique qui consiste Ă peindre soixante fois une porte, puis Jesse embrasse sa petite amie, qui le repousse en disant âcela mâa donnĂ© envie de vomirâ, ce qui renvoie le spectateur attentif Ă lâĂ©pisode ABQ (qui est une nouvelle fois un homophone, en lâoccurrence de Abiquiu), dans lequel Margolis a dĂ©couvert sa fille morte dâune overdose, Ă©touffĂ©e par son vomi. Plus souterrainement, le titre ABQ du dernier Ă©pisode de la saison 2 renvoie au premier Ă©pisode de la saison 3: tandis que la tĂ©lĂ©vision annonce la chute de lâavion sur Albquerque (ABQ), Walt dĂ©cide de brĂ»ler son argent dans son barbecue: un plan pris de dessous la grille du BBQ montre la scĂšne. Les deux scĂšnes se suivent par ordre alphabĂ©tiqueâŠ
Au rang des Ă©lĂ©ments verbaux qui mettent sur la piste du sens, il faut ajouter les chansons, trĂšs prĂ©sentes dans lâensemble de la sĂ©rie. LĂ encore, la perception de lâamour du dĂ©tail, qui est Ă la base de lâĂ©criture de Breaking Bad, diffĂ©rera selon quâon regarde la sĂ©rie en français ou en anglais. Si, pour un francophone, les allu-sions ne sont pas forcĂ©ment claires, gageons quâelles le sont pour un anglophone.
Ainsi, le titre de lâĂ©pisode 302, Caballo sin nombre, qui signifie un cheval sans nom renvoie aux paroles de la chanson A Horse With No Name:
After two days in the desert sunMy skin began to turn redAfter three days in the desert fun,I was looking at a river bed.And the story is told, of a river that flowedMade me sad to think it was dead.
You see Iâve been through the desert on a horse with no nameIt felt good to be out of the rainIn the desert you can remember your nameâCause there ainât no one for give you pain
Au premier degrĂ© cette chanson chantĂ©e par le groupe America que Walt chantonne en conduisant renvoie Ă sa situation: il traverse une Ă©tendue dĂ©ser-tique en voiture. Mais si lâon regarde lâensemble de lâĂ©pisode avec les paroles en tĂȘte, elles prennent de nouvelles significations. Elles renvoient dâabord Ă une altercation entre Skyler et son fils: celui-ci se rĂ©volte parce quâelle lâappelle Flynn: âMon nom est Walt Junior! Tu ne peux pas dire son nom? Moi, je lâaimeâ. Mais
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quel est le nom de celui qui balance entre le tranquille pĂšre de famille nommĂ© White et le terrible fabriquant de meth connu comme Heisenberg? Ă la fin de lâĂ©pisode les deux âcousinsâ entreront chez lui Ă son insu, pendant quâil prendra sa douche, apparemment insouciant, en fredonnant Ă nouveau A Horse With No Name. Quant au rapprochement de Walt et du cheval, il est dans la rĂ©plique de Saul: âRemettez-vous Ă cheval!â. Last but not least, câest au moyen de sa sonnette que TĂo Salamanca Ă©pelle le nom de Walt, sans quâil soit nĂ©cessaire (et possible pour le vieil infirme) de le prononcer. Il est bien without name.
Tous ces dĂ©tails indiquent le niveau de granularitĂ© que peut adopter le visionnage de la sĂ©rie. Je dis âpeutâ car il nâest pas nĂ©cessaire Ă lâintellection de lâintrigue. NĂ©anmoins, il ne sâagit pas seulement dâun jeu consistant Ă repĂ©rer des easter eggs dans le foisonnement audiovisuel. Sâils relĂšvent bien dâun dĂ©coupage opĂ©rĂ© par le spectateur et, Ă ce titre, ressortissent Ă la logique du dettaglio, leur fonction est plus musicale que picturale.
Des motifs sont annoncĂ©s, repris, variĂ©s comme de vĂ©ritables motifs mu-sicaux ou plutĂŽt comme des leitmotivs dans un opĂ©ra de Wagner ou de Berg. Comme on sait, chez ces musiciens, des configurations musicales â phrases ou formules â sont attachĂ©es Ă des situations (lâappel du cor dans Siegfried, motif de la dĂ©cision), Ă des lieux ou des choses (le Rhin, lâanneau), Ă des sentiments (Agitation) et bien sĂ»r Ă des personnages. Et ces motifs viennent scander, pour une oreille exercĂ©e, des thĂšmes qui se dessinent sous la mĂ©lodie principale qui, elle, suit son cheminement, pourrait-on dire. Câest aussi ce qui passe dans une sĂ©rie comme Breaking Bad, sauf que lâintrigue joue le rĂŽle de la mĂ©lodie princi-pale et des dĂ©tails visuels, verbaux ou sonores celui de leitmotivs. Il ne faut pas sâĂ©tonner, dĂšs lors, que le montage opĂšre comme une partition. Câest en faisant un tel constat que jâai compris pourquoi jâaimais les sĂ©ries: parce que jây retrouvais un type de structuration qui rĂ©gissait aussi les films de Robbe-Grillet, qui nous avait amenĂ©s, Dominique Chateau et moi, Ă proposer une nouvelle sĂ©miologie (Jost; Chateau, 1979).
DES DETAILS A LâĆUVRELe montage dâune sĂ©rie ordinaire est destinĂ© Ă construire entre les scĂšnes
des liens de causalitĂ© (la scĂšne A cause de la scĂšne B) ou des liens temporels qui sâidentifient trĂšs souvent non pas Ă la succession, mais Ă la simultanĂ©itĂ©: lâentrelacement des histoires A, B et C a pour fonction dâinterrompre une action tout en laissant entendre quâau mĂȘme moment, ailleurs, un autre personnage fait cette autre action montrĂ©e au spectateur. Si ces relations existent dans Breaking Bad, la sĂ©rie recourt aussi Ă un autre mode dâenchaĂźnements, fondĂ© sur des
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homologies, des échos, des continuités de motifs. Quelques exemples pour me faire comprendre.
Mon premier exemple dâenchaĂźnement sur un motif a une fonction narra-tive, mais cette fonction est pour ainsi dire cachĂ©e dans lâimage. Walt se rend dans une grande surface de bricolage pour chercher des fournitures destinĂ©es Ă rĂ©parer le sol dâun placard dont le bois est en train de pourrir. Il se rend au rayon des peintures [Figure 3] et prend deux pots de blanc, quand, au hasard dâune allĂ©e, il remarque un caddy avec des produits quâil soupçonne de servir Ă fabriquer de la drogue. Il pose alors ses pots de peinture, sort du magasin dâun pas dĂ©cidĂ© et va Ă la rencontre du possesseur du caddy. Un autre homme, Ă la carrure impressionnante, sâinterpose. Mais câest Walt qui se fait menaçant: âRestez en dehors de mon territoire!â. Les deux supposĂ©s trafiquants ne demandent pas leur reste et sâenfuient. Une chanson a accompagnĂ©e la scĂšne, dont les paroles sont les suivantes. La chanson sâappelle DLZ ⊠une rime Ă KLZ?
Congratulations on the mess you made of thingsIâm trying to reconstruct the air and all that bringsAnd oxidation is the compromise you ownBut this is beginning to feel like the dog wants a bone, say
Never you mind, death professorLove is life, my love is betterYour victim flies so highEyes could be the diamonds confused with whoâs next[âŠ]
Your fiction flies so high1
FIGURE 3 â Walter prend un pot de peinture Kilz
1 Félicitations pour le désordre que vous avez fait des choses/
Jâessaie de reconstruire lâair et tout ce quâil apporte/ Et lâoxydation
est le compromis que vous possédez/ Mais cela commence
Ă sentir comme le chien veut ses os/ Jamais vous ne vous souciez,
professeur de mort,/ Que lâamour est la vie, mon amour est mieux/
Votre victime vole si haut/ Les yeux pourraient ĂȘtre des
diamants mĂ©langĂ©s/ Avec Qui est le suivant?/ [âŠ] Votre fiction
vole si haut
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F R A N Ă O I S J O S T DOSSIER
En quelques minutes, le tranquille bricoleur est redevenu le danger quâil peut ĂȘtre, un professeur de mort. Sâil semblait encore lâignorer, le dĂ©cor lâavait dĂ©jĂ suggĂ©rĂ©: Walt kills, comme le prĂ©disait la marque de peinture (Kilz). Certes, cette marque nâest pas une invention des scĂ©naristes, elle existe vraiment â et son slogan est Kilz everything, parce quâelle âtueâ les moisissures et les dĂ©colo-rations â, mais on voit ici comment le rĂ©alisateur (Phil Abraham) a su tirer au mieux parti du dĂ©cor car, aprĂšs tout, Walt aurait pu aussi bien chercher nâimporte quel autre produit sans que cela ait changĂ© le rĂ©cit. Comme dans dâautres cas, on peut imaginer que la rĂ©ception nâest Ă©videmment pas la mĂȘme selon quâon est anglophone ou non. Le parcours sĂ©mantique dans les images et les sons est beaucoup plus Ă©nigmatique pour un Français que pour un AmĂ©ricain. Quoi quâil en soit, le montage construit ici une lĂ©gĂšre anticipation, une amorce des menaces de Walt, qui se prĂ©sente bien comme un tueur potentiel aux yeux de ses concurrents.
Un deuxiĂšme type dâenchaĂźnement de sĂ©quences est un peu moins narratif que plastique, au sens oĂč il sollicite la matiĂšre mĂȘme de lâimage. Walt dĂ©couvre une fuite dâeau (notons en passant que cette fuite fait Ă©cho au pilote oĂč Junior se plaint que la douche du foyer familial marche mal) et, effectivement, une eau brunĂątre tombe Ă grosses gouttes dans sa main. Plan suivant, deux gouttes tombent encore, mais ce sont celles du sachet de thĂ© que Skyler plonge dans sa tasse en Ă©coutant le message que lui a laissĂ© Walt. Plan moyen: elle est dans lâentreprise de Beneke, qui ne tarde pas Ă la rejoindre dans la cuisine. On passe donc dâun lieu Ă un autre, mais aussi du mari au futur amant par le biais dâune analogie plastique entre les deux sĂ©quences. EnchaĂźnement encore plus subtil: Skyler sâest Ă©talĂ© un masque dâargile verte sur le visage. Au plan suivant, Jesse trempe des crackers dans du guacamole⊠Le raccord se fait Ă prĂ©sent sur la couleur. Couleur supposĂ©e parce quâil fait trĂšs sombre2.
Un troisiĂšme type dâenchaĂźnement est fondĂ© sur un jeu de mots. Walt, chez lui, sâexerce Ă tirer avec le revolver quâil vient dâacheter en contrebande, mais qui nâest pas chargĂ©. Il appuie Ă de multiples reprises sur la dĂ©tente (trigger). Deux sĂ©quences plus loin, il met les balles dans son revolver, au moment oĂč Skyler lâappelle pour lui parler de lâachat du car wash. Ă Walt qui hĂ©site, elle prĂ©vient âif youâre not willing to pull the trigger, Iâm more happy to call Goodman myselfâ (âsi tu ne te dĂ©cides pas Ă agir â littĂ©ralement: si tu nâappuies pas sur la dĂ©tente â, je me ferai un plaisir sâappeler Goodman moi-mĂȘmeâ). Skyler emploie donc au sens figurĂ©, mĂ©taphorique, une expression que Walt a illustrĂ© de façon littĂ©rale. AprĂšs sâĂȘtre exercĂ© Ă vide, il a mis les balles dans son revolver: il est fin prĂȘt Ă appuyer pour de vrai sur la dĂ©tente. La liaison entre les plans est icono-verbale, puisquâelle met en jeu lâimage et le mot.
2 Cette association est voulue par Vince Gilligan (cf. le commentaire de lâĂ©pisode 737 dans le coffret DVD).
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Lâamour des dĂ©tails
Un autre exemple de ce procĂ©dĂ©, plus ironique, nous est aussi fourni par lâĂ©pisode 513. Lydia vient de constater que la meth fabriquĂ©e par Todd, prĂ©tendĂ»-ment selon la recette de Walt, nâest ni aussi pure ni aussi bleue que la sienne, ce qui est un dĂ©faut majeur. Comme pour se faire pardonner, il lui apporte un thĂ© dans un mug, sur lequel on peut voir, si on sâarrĂȘte sur lâimage, un drapeau amĂ©ricain dĂ©formĂ© et ces mots quâune chanson a rendus trĂšs populaires âThese colors donât runâ. En mĂȘme temps quâils viennent rimer avec lâĂ©chec de fabrica-tion de la drogue, qui nâa pas le bleu attendu, en dit long sur la dĂ©ception de ce quâest devenue lâAmĂ©rique.
Un dernier procĂ©dĂ© va encore plus loin quant Ă lâexpression visuelle dâune idĂ©e. Le quatriĂšme Ă©pisode de la premiĂšre saison commence par un Ă©cran rouge, puis par une main qui balaie une matiĂšre immonde faite de chair, de sang et de morceaux dâos: câest Walt qui tente de nettoyer avec Jesse les restes dâEmilio, que celui-ci a dissous dans lâacide. Tandis que cette scĂšne repoussante se poursuit, commence en alternance un flash-back: le chercheur prometteur discute avec Gretchen, sa collaboratrice de la composition du corps humain: en tenant compte de tous les Ă©lĂ©ments, ils nâarrivent quâĂ 99,888042% du poids du corps⊠Manque 0,111958%: âIl y a forcĂ©ment plus dans un corps humain que çaâ, conclut Walt. Gretchen suggĂšre: âEt lâĂąme?â. Walt ne rĂ©pond pas tout de suite, puis, approchant ses lĂšvres de la jeune femme, il rĂ©pond: âIl nây a que de la chimie lĂ -dedansâ. GrĂące au montage, le nettoyage des restes dâEmilio devient plus acceptable, si ce nâest pour le spectateur, du moins pour le professeur de chimie, qui ne voit dans cette chair qui a perdu toute forme que de la chimie. Lâentrelacement des deux scĂšnes, prĂ©sente et passĂ©e, est assez proche de ce quâEisenstein appelait le âmontage intellectuelâ, qui dĂ©signait ce montage capable dâexprimer une idĂ©e par la structuration des plans. En lâoccurrence, câest rien moins quâun dĂ©bat sur le dĂ©terminisme et la libertĂ© qui est ici en cause: tout est-il dĂ©terminĂ© par la chimie ou reste-t-il une part de libre arbitre? Le dialogue donne la position de Gretchen, les images celle de Walt.
Que lâon soit obligĂ© pour parler de Breaking Bad dâemprunter des mĂ©taphores picturales (tableaux, cadre, composition) ou musicales (ton, thĂšme, leitmotiv) en dit long sur le statut de la sĂ©rie. Câest comme un symptĂŽme de ce quâelle est vraiment: une Ćuvre dâart. Certes, on peut gloser sur la psychologie des per-sonnages, sur la relation de la sĂ©rie Ă la rĂ©alitĂ©, sur ce quâelle dit de lâAmĂ©rique, du problĂšme de la drogue et de la frontiĂšre avec les pays du Sud, mais ce nâest pas suffisant. Câest un peu comme si on parlait dâun opĂ©ra en nâĂ©voquant que de son livret et en oubliant ce qui fait sa chair, la musique.
Ćuvre dâart pour les uns, Breaking Bad peut aussi ĂȘtre vue comme un glis-sement de la fiction vers le ludique, qui est facilitĂ© par les modes de rĂ©ception
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dâaujourdâhui: comme le suggĂšre la mĂ©taphore de lâeaster egg, voir une sĂ©rie, ce peut ĂȘtre aussi chercher des indices qui mĂšnent finalement au plaisir de la dĂ©-gustation de cet Ćuf que lâon nâacquiert pas sans mal. Avec ses fonctions dâarrĂȘt ou de grossissement des dĂ©tails, les nouveaux outils de visionnage permettent au spectateur de participer un peu plus quâhier aux actes crĂ©atifs, tout en jouissant dâune activitĂ© rĂ©crĂ©ative. M
REFERENCESARASSE, D. Le Détail: pour une histoire rapprochée de la peinture. Paris:
Flammarion, 2009.BARTHES, R. Introduction Ă lâanalyse du rĂ©cit. Communication, n. 4, 1964.ECO, U. Les limites de lâinterprĂ©tation. Paris: Grasset, 1992.JOST, F.; CHATEAU, D. Nouveau cinĂ©ma, nouvelle sĂ©miologie. Paris: UGE ;
10/18, 1979.
Article reçu le 26 Juillet 2016 et approuvé le 15 Septembre 2016.