terre-neuve et la pÊche a la morue (xvi e-xxi e siècle) · groenland à la nouvelle-angleterre....
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TERRE-NEUVE ET LA PÊCHE A LA MORUE
(XVI e-XXI e siècle)
Pour les passionnés d’histoire maritime, l’aventure des Terre-Neuvas est
une source inépuisable d’étude. Elle est aussi l’objet d’une aventure humaine qui
a conduit des milliers d’homme tant de la façade atlantique de l’Europe que de
ses abords américains à la chasse d’un poisson : la morue (193), de son vrai
nom, le cabillaud. L’animal de la famille des gadidés présente un avantage : sa
taille. Les marins ont ainsi pêché quelques monstres d’une centaine de
kilogrammes pour une taille de deux mètres mais ce sont des exceptions. Il est
une nécessité dans un monde tant en raison des interdits alimentaires, Avent,
Carême que par le fait qu’il soit à la portée de toutes les bourses en raison des
quantités pêchées.
Découverte
L’île, en elle-même, présente peu d’intérêt (187). Sa taille avoisine le
quart de la France. Un climat océanique rigoureux fait que l’île est recouverte de
neige d’octobre au mois de mars ou avril mais l’été peut-être relativement
clément. En 1497, John Cabot est bloqué par les glaces, au mois, de mai dans le
détroit de Belle-Île. A Saint-Jean les températures vont de – 18° à 28° C. La
végétation est composée de résineux rabougris et de bouleaux. L’épaisseur de
l’humus est insuffisante pour la culture. La seule source de nourriture autre que
le poisson est le caribou. Ce n’est qu’en 1822 qu’un voyageur nommé Cormak
traversa l’île de part en part en compagnie de guides indiens. Logiquement, les
Européens ne sont guère intéressés qu’aux côtes et à la pêche à la morue qui
supplanta rapidement toutes les autres possibilités halieutiques.
L’île n’est pas inconnue des Européens. Dès le Xe siècle, une expédition
scandinave commandée par Lief Ericson suivant probablement la bordure de la
banquise part du Groenland et explore la côte occidentale de l’Amérique du
Groenland à la Nouvelle-Angleterre. L’habitat scandinave retrouvé à l’anse aux
Meadows, au nord de Terre-Neuve, montre une tentative de colonisation d’une
durée relativement de deux à trois ans au XI e siècle. L’Atlas de Bianco, un marin
vénitien indique, en 1436, la présence d’une île nommée Stocafisca, morue, en
Anglais, au milieu de l’Atlantique-Nord.
Le terme anglais semble indiquer que les britanniques connaissent bien les
lieux. La première expédition européenne officielle vers l’Amérique
septentrionale est celle du vénitien Giovanni Caboto, le John Cabot, financée par
Henri VII, en 1497. Parti de Bristol, on ne connaît pas vraiment le parcours de
l’expédition tout comme celui de la seconde menée en 1498. Plus certaine sont
l’expédition du portugais Joao Fernandes, en 1499, et celles de es concitoyens
Gaspard Cortéréal en 1500 et 1502 dans le mesure où elle a marqué la
toponymie locale avec la baie de Concepcion où le havre de Farilhos. L’année
suivante, en 1503, Miguel Cortéréal part la recherche de son frère perdu lors de
l’expédition précédente. Les explorateurs suivant sont normands. En 1506, un
Honfleurais, Gaspard Denys, et un pilote rouennais, Gamart explorent la côte
entre le cap de Bonavista et le détroit de Belle-Isle.
Les explorateurs suivant Giovanni et Gerolamo Verrazzano explorent les
côtes de l’Amérique-du-Nord entre la Caroline et Terre-Neuve en 1524 et 1528.
L’expédition ordonnée par François Ier est, en fait, financée par le dieppois Jehan
Ango. Pour Gerolamo, Terre-Neuve est attachée à la terre. Quatre ans plus tard,
le malouin Jacques Cartier, familier des lieux, est envoyé par François Ier pour
« voyager et aller aux terres neufves, passer le détroit des chasteaux [détroit de
Belle-Isle] pour descouvrir certaines isles et pays où l’on dit qu’il se trouver
grant quantité d’or et autres riches choses ». Deux autres voyages sont entrepris
par le malouin en 1535 et 1542 mais les seuls résultats escomptés sont la
découverte de la l’insularité de Terre-Neuve et l’exploration des bouches du
Saint-Laurent. Il appartient au capitaine Samuel de Champlain, fondateur de
Québec et commandant de la place de 1603 à 1635, d’achever le travail lorsqu’il
ordonne de faire l’inventaire des richesses de la Nouvelle-France ou Canada
donnant lieu à une carte où figure l’île et ses activités halieutiques.
Heureusement, les armateurs européens n’ont pas attendu Samuel de
Champlain pour envoyer des navires. La plus ancienne mention officielle de
pêcheurs fréquentant les abords de Terre-Neuve date du 14 octobre 1506. A
cette date, le roi Manuel Ier du Portugal exempte de taxes les pêcheurs
rapportant leurs cargaisons de morue en provenance de Terre Neuve dans les
ports de Douro et du Minho. L’arrivée des Espagnols est plus difficile à cerner
dans la mesure où se sont des navires Biscaye qui se confondent souvent avec
leurs cousins basques du Labour. Une certitude lorsque Nicolas Gargot se rend
pour pêcher en rade de Plaisance, en 1655, avec son navire le Léopard, il y
trouve des Espagnols. Quand aux Anglais, ils ont pour la destination un certaine
retenue dans la mesure où les ressources de l’Islande, autre grand gisement de
morues, suffit à leurs besoins jusqu’au milieu du XVI e siècle. En 1583, sir
Humprey Gilbert prend possession de la partie orientale de l’île provoquant des
accrochages avec les Portugais qui pêchent entre le cap Bonavista et les Cap
Raze. L’affaire se termine en une bataille rangée entre les marins des deux
nations. Les Portugais, inférieur en nombre, se replient sur la pêche errante.
Reste les Français. En la matière, les Bretons semblent les premiers à
avoir fréquenté les lieux. Un document d’archives daté du 14 novembre 1514
comporte un traité entre les pêcheurs de Bréhat et l’abbaye de Beauport près de
Paimpol où les Bréhatins de plus de 18 ans devaient payer 18 deniers, à titre de
dîme, pour la pêche en divers lieux dont Terre-Neuve pour diverses espèces dont
la morue. Quatre ans plus tôt, le capitaine de la Jacquette armée pour Terre-
Neuve revenant décharger ses prises à Rouen et Quillebeuf doit faire face à une
mutinerie. Celle-ci réduite, les marins obtiennent du roi de France des lettres de
rémission.
Les Basques sont aussi des clients sérieux pour affirmer leur primauté en
la matière. En 1512, un capitaine du Cap-Breton obtient un congé de navigation
pour aller aux « terres nabes », aux « Terres Neuves ». Un armateur fécampois,
Adolphe Bellet, le premier à écrire une histoire de la grande pêche, en 1901,
donne effectivement cette primatie aux Basques. Ces derniers, grands chasseurs
de baleines auraient découvert, dès le XIV e siècle, en poursuivant les cétacés. Le
trait est un peu osé, quand au siècle, mais reste plausible quant aux faits.
Et les Normands dans tout cela, si ce n’est les voyages de Gaspard Denys
et de Gamart, le premier témoignage de la présence normande ne concerne pas
un des grands ports de l’ancien duché mais celui de Saint-Vaast-à-La-Hougue.
Un arrêt du Parlement de Rouen du 23 décembre 1524 met fin à la querelle
opposant Jean Gaillardon, curé du lieu, et certains de ses paroissiens sur la dîme
des poissons pêchés en mer réclamée par le premier. La cour arrête « qu’en
payant III sols tournois, par homme, les pescheurs de Saint-Vaast seront quictes
de la dixme pour haranguaison et droguerie de morue que les appellants
pourront pescher en Terre-Neusve ». (Granville, 1564, Port-Bail et Agon, 1532,
Regnéville, 1565, Bricqueville, 1566).
Comme vous avez pu le constater, avec les Anglais et les Portugais, on ne
se mélange pas entre les nations. Il en est de même entre marins d’un même
royaume. Globalement, Normands et Bretons originaires du golfe Normanno-
Bretons cohabitent au Petit-Nord, Nord et Nord-Est de l’île alors que les
Basques fréquentent plutôt le sud et sud-sud-ouest de l’île. Par contre, les
français, dans leur ensemble, sont les seuls, à installer des installations
permanentes et ont des relations corrects avec la tribu amérindienne. L’arrivée
des Anglais dans la seconde moitié du XVII e siècle change la donne.
Anglais contre Français
Les Anglais sont les premiers à mettre en place des colons avec plus
moins de bonheur dans la presqu’île d’Avalon. Les navires anglais allant vers
Terre-Neuve ont pris l’habitude de faire des provisions et de compléter leurs
équipages au sud de l’Irlande. Des Irlandais finissent par coloniser le sud-est de
la presqu’île. Les Français de leur côté fondent, au sud-est de la presqu’île, la
ville de Plaisance, en 1661. La pêche à la morue constitue un enjeu économique
réel ne serait-ce que par les sommes qu’elle rapporte. Les guerres européennes
du XVIII e siècle vont avoir des répercussions importantes pour la région.
La guerre de succession d’Espagne s’achève par la défaite de la France et
le traité d’Utrecht, en 1713. Si Louis XIV réussit à préserver le trône d’Espagne
pour son fils Philippe, ce n’est pas sans d’autres conséquences. Dans le cas de
l’Amérique-du-Nord, le but des négociateurs est de préserver les liens avec
Québec et les activités halieutiques. En ce domaine, la mission est globalement
remplie mais la France doit reconnaître la souveraineté de la Grande-Bretagne
sur la baie d’Hudson et Terre-Neuve, évacuer Plaisance, abandonner l’Acadie
mais elle conserve le Canada, les îles de Saint-Jean et du Cap Breton. Quant aux
pêcheurs, ils conservent le droit d’exploiter saisonnièrement la zone sur le Petit
Nord entre le cap de Bonavista et la pointe Riche qui constituent désormais le
French Shore.
En 1755, les Anglais sont conscients de la qualité des marins formés à
l’école grande pêche. Ils savent qu’avec le système des classes, ils ont de
grandes chances de les retrouver dans un conflit sur les navires du roi de France.
Dans l’optique d’un conflit futur, en pleine paix, les amiraux anglais Hawke et
Boscawen ont l’idée d’opérer un coup de filet au retour des terre-neuviers.
L’affaire est d’autant plus rentable que les navires reviennent chargés de leur
pêche. Les amiraux britanniques capturent environ 300 bâtiments et
6000 hommes qui sont envoyé pourrir sur les pontons anglais. Dans l’affaire
Granville y perd 34 navires et 1093 matelots soit un sixième des matelots
capturés. Le 10 janvier 1756, le roi demande la libération des matelots et le
retour des navires entraîne le début de la guerre de Sept-Ans. Le calcul
britannique était juste, les Français perdent la guerre. Le traité de paix les
contraint de céder non seulement la partie orientale de la Louisiane au-delà du
Mississipi et le Québec mais aussi les îles Saint-Jean et du Cap Breton. Une
consolation pourtant, l’activité halieutique est préservée par la confirmation
d’usage du French Shore et la prise de possession des îles Saint-Pierre et
Miquelon qui deviennent un abri pour les pêcheurs français.
A la fin de la guerre d’indépendance américaine, la France fait parti des
vainqueurs. La paix signée en 1783 permet au royaume d’obtenir une
modification notable mais elle doit tenir compte de l’extension de l’activité
anglaise. Le French Shore s’étend désormais du cap Saint-Jean au cap Ray. De
fait, en récupérant la partie occidentale, elle quintuple ses surfaces d’installation.
De la même manière, Saint-Pierre et Miquelon font retour à la France à la
condition expresse qu’elles ne deviennent jamais un « objet de jalousie ». En
clair, les îles sont neutralisées.
Dès lors, le tracé ne va plus changer. Si les guerres de la Révolution et de
l’Empire arrêtent l’exploitation. La paix signée, les terre-neuvas retrouvent la
route de Terre-Neuve. En 1815, l’accord est maintenu. Par contre, le statut de
l’ile change. Au milieu des années 1820, Terre-Neuve est officiellement
reconnue comme colonie. En 1855, elle obtient le statut de dominion qui lui
donne l’autonomie interne. Les Terre-Neuviens développent un nationalisme
dont sont victimes les pêcheurs du French Shore. Les tracasseries
administratives se multiplient. L’exemple le plus éclatant est celui du Bait bill.
Le 18 mai 1886, le parlement terre-neuvien vote le Règlement sur l’exporatation
et la vente du hareng, du caplan et de l’encornet et autres poissons d’appât.
L’article 1 précise : « Nul ne pourra trailler, pêcher, ni prendre aucun hareng,
capelan ou encornet ou autres poisson appât pour l’exportation ou pour
vente … ». De fait, cela revient à priver les marins français des appâts
nécessaires à leur activité.
En dehors de tout le remue-ménage des activités diplomatiques, les marins
français trouvent une solution. Dans un premier temps, il achète un peu de
boëttes (appâts) au Canaries mais cela rallonge la durée du voyage. Dans un
second temps, ils envoient des équipes le pêcher sur la côte occidentale de l’île
relevant du French Shore mais cela constitue une perte de temps. Un capitaine
de Fécamp, Ledun, a alors l’idée d’utiliser des bulots qui fourmillent dans les
fonds proche de Terre-Neuve. En 1890, la pratique s’est généralisée faisant une
seule victime, les pêcheurs terre-neuviens qui avaient l’habitude de la boëtte à
nos navires moutiers.
Pourtant, l’activité de la pêche fixe est condamnée à terme. Les pêcheries
sont de moins en moins fréquentées et l’Entente cordiale signée en 1904 conduit
à l’abandon pur et simple du French Shore. Les marins français peuvent
toujours fréquentés les lieux mais ne peuvent plus s’installer. L’affaire est
entendue d’autant que les cordiers et les chalutiers à vapeur ne tardent pas à
apparaître. Seule la pêche errante continue son activité.
Cette dernière voit son activité perdurer jusqu’en 1970. Cette année là, le
Canada décide d’étendre unilatéralement les limites de sa zone de pêche à
l’ensemble des eaux du golfe du Saint-Laurent. Les français obtiennent en 1972
que les navires étrangers au Canada puisse continuer à pêcher entre le 15 janvier
et le 15 mai jusqu’en 1986. Lorsqu’en 1973, la troisième conférence des
Nations-Unies commence à formaliser la notion de Zone Economique
Exclusive, dans la limite des 200 miles, des états souverains côtiers. La Canada
affirme ses droits dans la baie du Saint-Laurent. Pour eux, la France n’a de
droits que sur la bande des 12 miles autour des îles Saint-Pierre et Miquelon
correspondant à ses eaux territoriales. Les Français réclament une zone plus
large.
En 1978, l’OPANO, l’Organisation des Pêches de l’Atlantique du Nord-
Ouest, succède à la CIPAN, Convention Internationale pour les Pêcheries du
Nord-Ouest, créé en 1949. Un nouveau découpage est mis en place. La zone en
débat entre le Canada et la France devient la 3Ps. Actions en justice et action en
mer se succèdent. En 1986, les Canadiens qui ont arraisonné le chalutier
malouin Bretagne en baie du Saint-Laurent est condamné par le Tribunal arbitral
de Genève car ces derniers n’ont pas le droit d’interdire la pêche aux Français au
point de rendre impossible. De fait, la pêche n’est plus possible que pour les
Saint-Pierrais et une querelle franco-française s’ensuit avec le dernier armateur
métropolitain à la grande pêche, Jean Leborgne. En 1988, par provocation, il
envoie le Joseph Roty effectué une dernière campagne suivi d’un autre de ses
bâtiments la Grande Hermine. Les îliens font appel au premier ministre qui
réserve l’activité aux seuls navires des îles de Saint-Pierre et Miquelon dont le
principal armateur est … la Navale Caennaise.
Exploitation jusqu’à la fin du XVIII e siècle.
Alors que les souverains anglais et français discutent, les marins pêchent
si ce n’est lors des guerres. Les états peuvent avoir des différents mais les
méthodes de pêche à la morue à Terre-Neuve sont similaires quelque soit la
nationalité du terre-neuvas. Il y a deux variétés de pêche : la première se déroule
à partir du rivage de Terre-Neuve, la pêche à la morue blanche, le seconde, au
large, la pêche à la morue verte. La différence provient du mode de pêche et de
traitement du cabillaud après qu’il ait été pêché.
La pêche à la morue blanche
Pour commencer une saison, l’armateur embauche un équipage. Il lui faut
un capitaine, un ou deux officiers, un chirurgien, à compter du XVIII e siècle, et
des matelots. L’embauche fait l’objet d’un contrat oral, au départ, puis un
contrat écrit passé devant notaire à la fin de la période considérée. Dans tous les
cas, l’armateur verse une avance qui permet d’acheter son équipement, pour les
mousses et les novices, de renouveler ce dernier, pour les autres1. Outre le hamac
et ses accessoires, les pièces maîtresses en sont un paletot en peau de mouton et
une paire de bottes. Pour les assouplir, le marin les enduit d’huile rance : ce sera
1 Ceci dit, une partie de la somme s’envole dans les débits de boisson locaux.
son unique parfum durant la campagne A cela, il convient d’ajouter du beurre,
de l’eau de vie et du tabac. Si ce n’est le hamac, le tout vient prendre place dans
un coffre embarqué quelques jours avant le départ au début du mois d’avril.
Ceci fait, dans certains ports comme Granville, le marin participe à un
pardon destiné protéger la pêche et leurs âmes2. Le navire peut alors prendre la
mer. Il n’y a pas de navires typiques pour la Grande Pêche avant la Révolution.
La taille varie, en moyenne, entre 100 à 200 tonneaux pour la pêche à la côte de
Terre-Neuve (205). Outre les 85 cinq hommes d’équipages, le bâtiment emporte
des embarcations démontées, deux destinées à pêcher les appâts et quinze autres
pour celles de la morue, le ravitaillement, les équipements nécessaires à la pêche
sans oublier le sel. Quarante à quarante cinq jours plus tard, le navire est en vue
de Terre-Neuve.
Les terre-neuviers poursuivent une course entamée depuis leur départ de
métropole. Il faut arriver pour choisir son havre et son emplacement. Le premier
capitaine arrivé a non seulement la priorité du choix mais aussi le titre d’amiral
du havre qui fait de lui l’arbitre des autres capitaines du lieu lorsqu’un litige
surgit. La course est sans merci d’autant la banquise peut encore être en place.
Le capitaine n’a plus alors d’autre solution que de mettre un canot à la mer
commandé par un de ses officiers. Au plus : le titre et les meilleures conditions
pour traiter le poisson ; au moins, ne pas occuper l’emplacement occupé l’année
précédente.
Le navire étant mouillé, il faut décharger son contenu, remettre en état les
bâtiments d’habitation et les lieux de production. Le maître charpentier s’active
en donnant la priorité aux canots destinés à la pêche à l’appât : le capelan,
poisson de 20 à 25 cm venant frayer sur les plages de Terre-neuve (237). Les
deux canots mettent à l’eau une longue senne dont il referme l’ouverture en se
rapprochant de l’autre ; cette pêche peut aussi se pratiquer à partir du rivage
(211). Il peut arriver que les navires arrivent trop tard. Les canots morutiers
n’ont alors pas d’autres solutions que de servir d’un morceau de lard. La
première pêchée sera débitée pour servir d’appâts. Si cela ne marche pas, on
utilise une faux (faux hameçon, internet) composé de deux hameçons collés dos
2 Cette manifestation de piété a donné naissance au carnaval de Granville. A Fécamp où il avait disparu, le pardon a faitd’une tentative de restauration sous le nom de la « Saint-Pierre aux marins » dans les années 1990.
à deux sur lequel on coule du plomb auquel on donne une forme de poisson. Son
nom vient du fait qu’il est manipulé de la même manière que l’instrument
agricole en réalisant un ample mouvement rapide de gauche à droite.
Les canots morutiers sont montés par trois personnes : un maître, un avant
et un ussas, la plupart du temps, un matelot ou un novice. La pêche est
déchargée à l’entrée d’un bâtiment : le chafaud. La première partie du travail se
passe sur une longue table. Le mousse passe le poisson au décolleur. Ce dernier
lui coupe la tête, celle du poisson pas celle du mousse, l’éventre l’éviscère,
récupère le foie et le donne à l’habilleur qui enlève l’arrête centrale et l’aplati.
Le saleur prend la suite et entasse les morues, chair vers le haut, tête bêche sur
deux rangées et recouvre le tout de sel avant de recommencer plus loin un
nouveau tas.
Au bout de la période d’imprégnation qui dure de quinze jours à un mois.
Le poisson passe à l’extérieur où il est lavé dans un lavoir composé d’un radeau
sur lequel est disposée la morue. Cette opération vise à enlever le surplus du sel
et de l’écume qu’il produit. La morue, une fois débarrassée de ses impuretés, est
alors mise à sécher sur le grave à même le sol ou sur des claies. Le produit fini,
la morue blanche, est alors stockée par tas limités par des piquets.
De leur côté, les foies sont versés une fois par jour dans un bac calfaté à
l’intérieur duquel est placé une toile de forme conique. Les abats suintent durant
la nuit. Deux trous sont percés à des hauteurs différentes. Le plus bas permet
d’enlever le sang. Lorsque le sang jaunit, on arrive à l’huile qui surnage. Le trou
est bouché et l’orifice supérieur est ouvert pour que le précieux s’écoule dans
des seaux reversés dans des barriques
Le mois de septembre arrive, il est temps de rentrer. Le navire est alors
visité, la carène vérifiée. A fonds de cale, les marins déposent les rames des
embarcations qui permettent d’isoler la cargaison. Le produit de la pêche est
alors embarqué en fonction de la taille des poissons et de la qualité. Il n’y a plus
besoin d’autant de marins. Le capitaine conserve une vingtaine d’entre eux, les
autres sont rapatriés par d’autres navires armés spécialement par les armateurs
d’un même port : les saques. Le matelot reçoit alors des provisions : cinquante
livres de biscuits, trois livres de lard, un tiers de barrique d’eau, un sixième de
barrique de cidre ou un douzième de barrique de vin. Il faut alors rentrer
rapidement, un retard au départ, un calme plat, et les marins peuvent être perdus.
Quant à la cargaison, si certains navires rejoignent leur port d’attache, la plupart
livre à Rouen, au Havre ou à Dieppe, au XVI e siècle, à Marseille, pour une grande
majorité d’entre eux au XVII e siècle puis de plus en plus à Bordeaux, à partir de la
fin du XVIII e siècle, qui finit par s’imposer grâce au canal des Deux-Mers. Il ne
reste plus au capitaine qu’à trouver une cargaison de retour. Comme il se doit,
c’est souvent une cargaison de savon qui trouve place dans les cales.
La pêche à la morue verte
Le départ suit la même procédure que la pêche à la morue blanche. La
grosse différence provient de la taille des navires, au plus d’une centaine de
tonneaux. L’équipage est composé d’une quinzaine de marins. Le novice joue
souvent le rôle de décolleur, le capitaine celui de trancheur et le second, celui de
saleur. Leur gros problème est celui de l’avitaillement en nourriture puisqu’ils
ne peuvent faire d’escale, il s’agit d’une pêche errante, et la rapacité des
armateurs conduit parfois à des retours anticipés. L’autre problème est celui de
l’eau. Pour recueillir, celle-ci, une voile est tendue entre les huniers de manière à
former une rigole pour remplir le tonneau se trouvant en bout de course. Comme
une partie d’entre elle dégouline des hunes et des cordages, elle est souvent
parfumée au goudron mais elle se révèle précieuse en cas de pénurie et de
croupissement de l’eau embarquée au port. Sa moindre des qualités est de
préserver les réserves en servant à laver le linge et les hommes.
Contrairement à la morue blanche, les navires ne cherchent pas à rejoindre
le rivage de Terre-Neuve mais restent sur les hauts fonds qui constituent les
bancs de Terre-Neuve qui se trouvent du sud à l’ouest de l’île. Là s’y côtoient,
durant les périodes de paix, des navires de toutes nationalités (207) dont l’un des
dangers, et des moindres, à partir de la fin du XVII e siècle, sont les corsaires
marocains de Salé.
La pêche errante s’y pratique selon deux modes : soit le navire fait route
soit il dérive. S’il fait route, généralement su sud vers le nord, la capitaine fait
disposer du côté au vent une cotale (199), une planche qui court à l’extérieur du
navire servant de pupitre. Des barriques sans fonds sont cloutées sur le pont
(203). Les pêcheurs y prennent place et capellent leur paletot de mer : des
paravents en toile peuvent protéger les pêcheurs. Dans le cas d’un navire à la
dérive, les tonneaux ne sont plus nécessaires car ces derniers ont pour fonction
de limiter les effets du roulis. Le pêcheur se tient alors sur la lice du navire, de
chaque côté, des taquets sont cloutés sur le pont pour maintenir leur pieds.
Pour débuter la pêche, le marin utilise un morceau de lard, du blanc de
poulet ou un morceau d’oignon avec un brin de chiffon rouge. Les abats de la
première morue pêchée servent d’appâts et ainsi de suite. Pour l’émulation des
pêcheurs, le meilleur d’entre eux porte le titre d’amiral le jour suivant ; le titre
peut être accompagné d’une ration supplémentaire de vin ou d’eau de vie. La
concurrence est rude. La ligne doit obligatoirement reposé sur le fonds où
viennent frayer les poissons. Certains petits malins trouvent plaisant de remonter
leur ligne par à coup, ils sont à peu près sur de leur prise mais cela va à
l’encontre de la préservation de la ressource. La capitaine veille : soit le tricheur
est mis à l’amende soit le capitaine lui ordonne de laisser couler sa ligne au
fonds et aux autres de remonter au niveau où le délinquant a réalisé ses prises.
Le traitement du poisson suit les premières étapes de la transformation de
la morue blanche. Le trajet s’arrête au saleur (203). Le travail du décolleur et du
trancheur est réalisé sur le pont. La morue aplatie est transmise au saleur. Au
départ du navire, la cale est remplie de sel mais durant le trajet sous l’effet de
l’humidité, une partie du sel s’est dissoute. Le saleur, avec ou sans aide, creuse
une tranchée ou il dispose les morues tête-bêche et les sale. La tranchée se
déplace d’elle-même et la pêche est achevée lorsque la cale est remplie. La
couleur verte provient de l’iode contenue dans le sel qui devient une saumure
imprégnant le poisson. Le trajet de retour suit le même système que celui de la
morue blanche.
Dans tout cela, comment sont rémunérés les pêcheurs. Il n’y a pas un
système de rémunération unique. D’une manière générale, les marins sont payés
à la part, à une exception près celle des ports de Dunkerque où ils sont payés au
mois mais le lieu de pêche est différent, les Flamands pêche en Islande. Chaque
façade maritime, si ce n’est chaque port, a son mode de paiement qui s’inscrit
dans un ensemble d’usages liés à la pratique. Leur mise par écrit est l’une des
principales préoccupations de l’administration maritime au XVIII e siècle : les
Sables d’Olonne en 1729, l’île Royale, en 1743, les ports basques, en 1764, et, la
même année, Dunkerque.
Pour le port de Granville, la procédure a débuté à l’initiative du comte de
Maurepas, ministre de la Marine en 1737 pour s’achever en 1743 par une
demande du même ministre aux officiers de l’amirauté d’homologuer le
document final intitulé : « Délibération des négociants, armateurs, capitaines et
officiers de Granville du vingt-sept mars 1743 portant règlement de la Pêche à la
morue ». Le texte comporte un préambule définissant les buts du document, il
est suivi de trois titres : le premier s’intéressant à la pêche sur les bancs, le
second à la pêche à la côte de Terre-Neuve et au Canada, les derniers aux
conditions générales.
Suivant le texte, l’armateur est tenu d’avitailler correctement les navires.
Les vivres nécessaires pour le retour en France étaient fixés à un mois, pour la
morue verte, à cinquante jours, pour la morue sèche. Le capitaine devait rester
sur les lieux de pêche jusqu’à l’épuisement des provisions ou selon les
instructions de l’armateur. Le jour du départ, le capitaine devait établir un
procès-verbal signé du contremaître et de quatre matelots sous la peine de la
perte de son lot, de cent livres d’amende, de commander un navire durant deux
ans et, en cas de récidive, à la déchéance de sa qualité de capitaine sans pouvoir
être reçu pilote ou lamaneur. En outre, si l’armateur décidait d’envoyer son
navire dans un lieu autre que celui prévu par le chartes parties, l’état-major
avait l’obligation de l’y conduire sous peine de la peine de leur part remis au
bureau des classes à la volonté du roi.
Dans le cas de la morue sèche, si le navire passait le détroit de Gibraltar,
le capitaine était tenu de congédier la partie d’équipage inutile, les armateurs
indemnisait alors les marins débarqués à raison de six sous par lieue, aux
officiers, trois sous, aux matelots, jusqu’à leur département d’origine.
L’équipage restant à bord recevait, alors, une solde mensuelle payée par
l’armateur s’ils étaient utiles au service, payée par le capitaine dans le cas
contraire. Si l’armateur ne trouvait pas de fret pour le retour, le capitaine avait la
possibilité de faire charger le navire, à son compte, sans que l’équipage ne
puisse prétendre à aucun dédommagement.
Le capitaine, le contremaître et le premier matelot pouvaient toucher une
prime ou pratique en cas de pêche entière. La pêche entière était fixée à cinq
quintaux par tonneau de morue verte, à cent vingt barriques d’huile et à raison
de douze cent morues par homme. Dans le cas de la pêche sédentaire, pour les
navires de moins de cinquante tonneaux, les pratiques étaient versées à trois des
officiers, au chirurgien et au premier matelot, pour les navires de plus de
cinquante tonneaux, il fallait verser cette pratique à deux autres officiers. La
pêche complète était fixée à quarante quintaux et plus de morue sèche. Pour
l’ensemble de l’équipage, le salaire était composé des avances ou pots de vin
auquel venait s’ajouter le cinquième du produit de la vente du poisson et du fret.
Les pratiques plus les frais étant enlevées, la masse était divisée en autant de
parts que de marins plus une pour le capitaine.
Afin d’éviter les détournements, il était interdit de faire des avances sans
le consentement de l’officier des classes : la somme ne pouvait excéder dix-huit
livres et servir uniquement à acheter des vêtements. Il était défendu aux
armateurs d’entrer des droits de commission et de régie pour se les approprier,
d’acheter par anticipation la part des matelots sous peine de payer le double de
la somme à l’hôpital de Granville. De plus, ils avaient l’obligation de payer leurs
parts à l’équipage au fur et à mesure des entrées à peine de cinq livres d’amende
par mois de retard à chaque homme. Enfin, un contremaître ou un représentant
de l’équipage pouvait être présent à l’arrêté des comptes.
En faits les parts n’étaient jamais égales, dans la mesure où les marins ne
participaient pas au cinquième de fret. Le fret était défini comme les effets,
marchandises et personnes embarqués après la pêche moins les vivres
consommés par ces derniers. Il appartenait au capitaine de définir avec les
officiers les parts en fonction du mérite de chaque matelot mais il ne pouvait
lever plus de huit parts sur la masse, pour l’équipage, six, pour les contremaîtres,
à proportion pour les officiers. De plus, si le matelot n’effectuait pas sa part de
service, la somme déboursée pour son remplacement était soustraite de sa part.
En cas de vol de vivres ou d’ustensiles, la valeur des objets dérobés était enlevée
du lot dont le reliquat était remis au bureau des classes du port d’armement. Les
six deniers par livre, pour les Invalides, étaient prélevés sur les parts de
l’équipage. En cas de lots excédentaires, ces derniers revenaient à l’armateur.
En cas de désertion, la part revenait à la masse, si la désertion avait lieu
avant le départ, et, si la désertion avait lieu après le départ au bureau des classes,
après la pêche. De la même manière, en cas de maladie, la part revenait à la
masse si elle se déclarait avant le départ mais l’armateur devait supporter les les
frais d’hôpital si le matelot rembarquait au bout d’un mois, à charge pour lui de
se rembourser après la campagne. En cas de décès après le début de la pêche,
l’avance et le lot restait acquis aux héritiers.
En dernier lieu, les parties s’engageaient à respecter, les lois, édits et
ordonnances sur le fait de la pêche, de la navigation et du commerce. A ce titre,
les marins, qui contraindraient leur capitaine à faire retour contre son gré,
perdraient leur lot et seraient jugés conformément aux ordonnances. Pour cela,
le capitaine devait, sous peine de sanction, signaler dans son rapport de mer les
cas d’indiscipline et d’insubordination. Après l’avis du maire, des échevins et de
six armateurs délégués, il devait poursuivre les contrevenants devant
l’Amirauté : les frais étaient à la charge de l’armateur dont les navires avaient
fait retour cette année là.
Le texte semble avoir tout prévu y compris le détournement de parts que
stigmatise Duhamel du Monceau dans son « Traité général des pêches ». En
partant d’une masse de trois mille livres, il écrit :
« Cette somme doit entrer dans autant de lots, plus un qu’il y a
d’équipage : j’en suppose quatorze, un capitaine, un second, neuf matelots, deux
novices, un mousse ; 3000 livres divisées par quinze font chaque lot 200 livres.
La capitaine prend deux de ces lots, le second, un lot et demi, chaque matelot
prend un lot, chaque novice, un demi lot, le mousse, un quart de lot. Dans notre
supposition nous avons distribué treize lots trois quarts ; mais comme le
cinquième a été partagé en 15 lots, il reste un lot et quart qui tourne au bénéfice
de l’armateur, c’est ce qu’on appelle le bon lot. Il n’est pas d’un objet
considérable pour la pêche à la morue verte ; mais comme il y a beaucoup de
novices et de mousses sur les bâtiments qui vont à la morue sèche, le bon lot
devient un objet intéressant ».
Il ne faut pourtant pas croire que l’initiative du ministre soit l’unique
moteur de ces règlements. Celui des Sables-d’Olonne a été réalisé alors que le
port s’ensablait : il s’agissait alors d’éviter une hémorragie des navigants. A
l’inverse, à Granville, le pêche à Terre-Neuve, bien que pratiquée depuis le
XVI e siècle, connut alors une croissance importante par une concentration locale,
les petits ports de la côte ouest du Cotentin sont dans l’incapacité de poursuivre
l’activité, par une concentration régionale, les ports du Havre et de Honfleur
abandonnent l’activité car les marins préfèrent naviguer au commerce beaucoup
moins pénible. La réglementation du cinquième du produit net ne signifie pas
mais le cadrage d’un autre système destiné à attirer de nouveaux volontaires. Ce
dernier dit « Engagement à la mode du Nord » était partiellement pratiquée à
Saint-Malo et à Saint-Brieuc, il se distinguait par des avances plus importantes
et une répartition au cinquième de la valeur du nombre de morues pêchées donc
d’un rapport moindre pour l’équipage.
Ce dernier convenait mieux aux armateurs mais pas aux commissaires aux
classes qui avaient le soin de leurs administrés. A ce titre, ils veillèrent au
maintien établissant le cinquième de produit net. Les guerres de la Révolution et
de l’Empire ne changèrent rien au système. Avec la Seconde Restauration, les
pêcheurs retrouvent leurs droits et le règlement de 1743 perdure jusqu’au
15 février 1819 où un nouveau règlement est édité. Il s’agit essentiellement
d’une mise à jour mais remplace le cinquième de produit net par un cinquième
de produit proportionnel introduisant ainsi une variante liée à l’« engagement à
la mode du Nord ». Il convient d’ailleurs de noter que ce dernier indique que des
navires de Granville allaient décharger non pas en métropole mais aux Antilles.
Evolution du XIX e et du XXe siècle
Les lignes de fonds
Malgré ce titre, il faut faire un saut d’un quart de siècle en arrière avec un
armateur dieppois, Adrien-François Duval, « pourvoyeur à Dieppe de la Maison
royale »3. L’homme est un novateur. En 1776, il fait une tentative de pêche à la
morue aux Shetland. Les résultats sont décevants, il ne renouvellera pas
l’expérience. Par ailleurs, en 1772, il arme à Granville, deux brigantins, le Diane
et le Saint-Jacques, auxquels viennent s’ajouter, en 1776, la Malouine et la
comtesse d’Artois. Le premier est arraisonné par les Anglais, en 1776, le second
revient, les cales pleines, au bout de quatre mois sans que l’on sache comment il
est arrivé à un tel résultat. Le navire est monté par une majorité de marins
dieppois et polletais.
3 Les dieppois approvisionne la table du roi et la table des princes depuis plusieurs siècle, c’est ainsi que Vatel, cuisinier duprince de Condé se suicide car le poisson qu’il attendait n’était pas arrivé.
L’année suivante, il entend étendre son expérience à l’ensemble de ses
navires, on sait toujours pas laquelle, et demande au commissaire des classes de
pouvoir recruté des marins polletais pour l’ensemble de ses navires. L’usage de
marins polletais plutôt que des matelots des parages de Granville fournit la
solution. Les polletais sont des spécialistes de la pêche fraîche où ils utilisent des
lignes de fonds les harouelles. On peut augurer que l’innovation de l’armateur
ait été de remplacer les lignes manuelles par des lignes de fonds. L’affaire
semble bien engagée mais le commissaire aux classes refuse en raison de la
Guerre d’indépendance américaine. La paix revenue, l’armateur dieppois
poursuit les armements en direction de Terre-Neuve, mais les résultats de ses
navires indiquent qu’il ne semble pas avoir repris ses expériences.
Une dizaine d’année plus tard, en 1785, un autre dieppois, Joseph-
Thomas-Alexandre Sabot, âgé de 26 ans, prend le commandement de l’Air du
port de soixante tonneaux et reprend la méthode de son prédécesseur. Avant de
prendre la route de Terre-Neuve, il munit son navire de gros câbles de chanvre
de manière à pouvoir mouiller sur les Bancs plutôt que d’aller à la dérive. Il
ajoute les anciennes lignes manuelles les unes aux autres et les munit, de
distance en distance, d’empiles et d’hameçons boëttés. Le canot du bord, mis à
la mer, sert à porter les lignes lovées au fonds d’une barrique que l’on file au fur
et à mesure. Arrivé au bout, on y attache une grosse pierre et une bouée et on
laisse le tout séjourné la nuit dans l’eau. Le lendemain matin, on lève les lignes
en tirant du bord et on répète l’opération plusieurs fois dans la journée.
Le succès est au rendez-vous puisque le capitaine dieppois fait réalise
deux voyages dans la même année. Le premier s’achève le 14 juin 1785. Le
capitaine débarque 18 000 morues vendues 15 573 livres, la seconde, le 6
novembre 1785, où il débarque 9 000 morues vendues pour 7 526 livres. Les
campagnes suivantes, 1786 et 1787, les campagnes sont visiblement moins
productives puisqu’il ne fait qu’un seul voyage sur un navire nommé la
Providence dont on ne connaît pas la taille. Par la suite, le capitaine Sabot
retourne à la petite pêche mais il a fait école puisque, en 1820, tous les navires
partant à Terre-Neuve utilisent sa méthode (1860)
Navires
Le nouvelle technique de pêche conduit à l’embarquement non plus d’un
mais de deux canots sur les navires pratiquant la pêche errante, ce n’est pas sans
conséquence sur la taille des navires quoique. Les armateurs avaient,
auparavant, pris l’habitude, de concert ou à titre personnel, d’envoyer des
navires de ravitaillement pour la pêche sédentaire sur les côtes de Terre-Neuve.
Au retour, les navires repartaient avec les prises réalisées. De la même manière,
depuis le milieu du XVIII e siècle, les navires pêchant sur les bancs ont pris
l’habitude de faire, si nécessaire, une escale à l’île de Saint-Pierre pour livrer
leur première pêche et compléter leur avitaillement. Le tout était d’éviter, autant
que possible des allers-retours avec la métropole. Une chose est certaine, les
armateurs métropolitains utilisent, à quelques exceptions près, des trois mats,
des bricks et des goélettes.
Le premier est devenu, au cours des siècles, le navire habituel de la pêche
à Terre-Neuve. Il a subi des modifications avec le trois-mâts carré, le trois-mâts
barques et le trois-mâts goélettes. Le choix du type n’est pas lié aux techniques
de pêche mais à un choix de l’armateur dans lequel rentre le coût et le
comportement à la mer, le trois mâts barque a, par exemple, la réputation d’être
plus manœuvrable que le trois mâts carré. Par contre, la jauge à tendance a
augmenté puisque l’on trouve des navires jaugeant de 350 à 400 tonneaux
montés par une trentaine d’hommes d’équipage.
Le Brick, quant à lui, connaît un certaine vogue car il est une taille plus
réduite, deux mâts, et, de qui plus est, il nécessite moins de capitaux et
d’équipage. Sa taille varie de 120 à 150 tonneaux, il est généralement utilisé
pour la pêche sur les bancs. Son nom d’origine, le brigantin a disparu à la fin du
XVIII e siècle pour être remplacé par celui de brig. On en distingue deux types : le
brick et le brick goélette.
Quant au dernier type, la goélette, elle apparaît dans le dernier tiers du
XVIII e siècle sur les côtes de l’Île-Royale. Elle n’a pas les faveurs des armateurs
métropolitains, quoique, sauf ceux pratiquant la pêche en Islande. Par contre,
elle est en vogue à Saint-Pierre et Miquelon. De plus petite taille, dans
l’archipel, elles font de 30 à 50 tonneaux, elles exigent un petit capital, d’un
équipage de dix à quinze marins et disposent d’une autonomie de huit à dix
jours. Un pêcheur peut ainsi commencer par pêcher à l’aide d’un canot ou d’un
wary. Lorsqu’il avait fait suffisamment d’économie, il pouvait se faire construire
une goélette.
Pour se donner une idée de la proportion de chaque type de navire, il suffit
de reprendre le Journal de Granville en 1905 qui donne un décompte de chaque
type de navire pour les ports de Saint-Malo, Cancale, Granville et Fécamp :
Saint-Malo Cancale Granville FécampTrois-mâts 42 10 18 0Trois-mâts barque 0 0 0 14Trois-mâts goélettes 0 0 0 55Bricks 4 0 5 1Brick-goélettes 35 7 6 0Goélettes 20 17 11 1Sloops 2 0 0 0
Total 103 34 40 71
La campagne morutière de Granville de 1841
En l’espèce, il convient de relativiser. Pour être au plus proche de la
réalité, il suffit de prendre la campagne morutière de Granville de 1841. Celle-ci
ne vaut que pour ce port et pour cette année mais permet de se faire une idée
plus précise. Ce travail n’est pas le mien mais celui de Philippe Dupré4.
Sur les soixante six navires désarmés en fin de campagne figurent 5 trois
mâts, sans spécification, 39 brigs, on ne sait si ce sont des brigs ou des brigs-
goélettes, et 22 unités qualifiées de navires. Dans cet ensemble, le plus petit
porte 62 tonneaux, le plus gros, 251 tonneaux. Il faut aussi se souvenir qu’il peut
y avoir des petits trois mâts comme des gros brigs. La moyenne est en fait de
154 tonneaux. L’âge moyen de la flotte est de quatorze ans. Le plus vieux a été
construit en 1806 et cinq d’entre eux ont moins d’un an. Les unités les plus
anciennes, 11 ans et plus, 32 % des unités, ont une jauge moyenne de 128
tonneaux, le groupe de 11 à 20 ans, 22 % des unités, ont une jauge moyenne de
157 tonneaux, les plus jeunes, moins de dix ans, constituent 46 % de l’ensemble
4 Philippe DUPRÉ, « La campagne morutière de 1841 », Premières journées d’histoire la Grande-Pêche, Saint-Lô, Sociétéd’Archéologie et d’histoire de la Manche, 2003, p. 113-131.
avec une jauge moyenne de 165 tonneaux montrant un optimiste persistant quant
à l’évolution de l’activité.
51 % des navires sont construits à Granville, six unités dépassent les 200
tonneaux. 16 % du tonnage restant provient de Normandie : Caen, 3 unités,
Cherbourg et Fécamp, 2 unités, Mont-Saint-Michel, Isigny, Honfleur, Le Havre,
1 unité. La Bretagne fournit 13 % du tonnage : Saint-Malo, 3 unités, Lorient et
Nantes, 2 unités, Brest et Redon, 1 unité. La côte atlantique a construit 10 % du
tonnage à raison de 7 unités mises à l’eau à Bayonne, une, à Bordeaux et à
Gauriac. Les 10 % restant représentent 3 unités lancées à Saint-Pierre-et-
Miquelon, 3 unités achetées à l’étranger et trois constructeurs non identifiés. Il
ne faut pas oublier, en l’espèce, que les armateurs achètent leurs bâtiments au
gré des opportunités qu’il s’agisse de bâtiments neuf ou de revente.
Parmi les armateurs, un nom domine, celui de Campion, seule ou associée
à Théroude, un neveu par alliance. La maison Campion domine l’ensemble, avec
11 navires. Elle représente 16 % des bateaux et 17 % du tonnage auquel il faut
ajouter un navire destiné à apporter du sel à Saint-Pierre et d’en rapporter de la
morue. La carrière de la famille a débuté sous l’empire avec l’armement de
navires en course, durant les conflits, au cabotage avec licence pour travailler
avec les îles Anglo-Normandes et l’Angleterre en association avec la maison
Lerond. Suite à la paix d’Amiens, la maison arme trois navires pour Terre-
Neuve, il reprend cette activité avec la Restauration. Jean Le Campion (l’ajout
du Le marque la notabilité) est président du tribunal de commerce en 1830 et
maire de Granville en 1841.
Une autre famille de notable vient en second, les Le Mengnonnet. La
famille est la seule maison d’armement à avoir survécu à la Révolution et à
l’Empire, avec l’armement Boisnard-Grandmaison. Denis-François Le Men-
gnonnet a été élu maire en 1790 puis nommé aux même fonctions en 1790. Son
fils, Pierre-François est nommé maire en 1816 et conserve cette fonction
jusqu’en 1830. L’armement est composé de cinq morutiers plus un navire
destiné au transport du sel et au rapatriement de la morue.
Pour le reste, si ce n’est l’armement Boisnard-Grandmaison, tous les
armateurs se sont lancés dans l’activité à partir des années 1820, trois contrôles
trois unités, trois n’ont que deux unités et treize, une seule. Parmi ces derniers
figurent trois capitaines-armateurs. Le reste des navires arment à Granville mais
appartiennent à des armements extérieurs, le plus souvent bretons. L’armement
granvillais se distingue donc par sa dispersion et sa hiérarchie puisque une
maison, la maison Campion domine les autres et peut imposer son point de vue.
Comparés au nombre d’armateurs, le déséquilibre est certain. Ils sont
2050 hommes à l’armement mais 2136 au désarmement. Cette différence
provient d’hommes venus à Terre-Neuve pour la pêche à la morue sur d’autres
navires mais qui sont revenus sur des navires de Granville.
D’où viennent ses hommes ? Sur 2094 hommes : 81,8 % sont de la
Manche, 16,4 % de Bretagne et les 1,4 % restant soit de Normandie, d’autres
provinces de France dont un Corse ou de l’étranger dont un sarde. Les marins
Normands, hors Manche, on compte huit marins en provenance du Calvados,
quatre ; de Seine-Inférieure, deux, de l’Eure, et un, de l’Orne. Ce dernier
décompte est anecdotique puisque les deux gros contingents sont Manchois ou
Bretons. Ces derniers sont essentiellement originaires d’Ille-et-Villaine,
362 marins, suivi des Côtes-du-Nord, 78 marins. Il n’y a rien d’anormal puisque
les ports de Cancale, Saint-Malo, le Légué, Binic et autres arment régulièrement
à la Grande Pêche. Ce qui l’est moins, c’est leur nombre. En effet, avant la
Révolution, les ressources en hommes du grand bailliage du Cotentin étaient
suffisantes. Ce mouvement apparaît de manière certaine à compter de 1824. Le
nombre de bras n’ayant pas diminué, il faut bien constater un désintérêt pour
l’activité alors que les progrès agricoles permettent de trouver du travail ailleurs.
La Manche conserve cependant une place dominante. Deux pôles se
dégagent Granville et ses deux communes voisines de Saint-Nicolas et Donville
et, plus modestement, Blainville et Agon-Coutainville. Le recrutement se fait
essentiellement sur la côte ouest de la Manche d’où proviennent 79 % des
embarqués. Les 21 % restant proviennent de l’intérieur et on recrute jusque dans
la vallée de la Sée où les établissements hydrauliques fabriquent hameçons et
couteaux pour ouvrir la morue.
L’âge des hommes, sur un sondage de 275 embarqués, montre une nette
domination des moins de vingt-et-un ans qui représentent 36 % du total. Cette
domination est probablement à lier au service des classes qui envoie nombre de
jeunes adultes sur les navires de l’état si bien que le groupe des vingt-trente ans
ne représente que 21 % des effectifs. De trente à quarante ans représente 23 %
de l’ensemble et les plus de quarante, 20 %. Le plus âgé a 56 ans, le plus jeune,
12 ans. Visiblement, les jeunes dominent alors que les autres classes d’âge sont
assez équilibrées. L’âge moyen de 29 ans ne reflète donc pas la réalité.
Maintenant, si on s’intéresse à l’âge des capitaines et à leurs
responsabilités, le plus jeune a 24 ans, le plus âgé à 55 ans, avec une moyenne
de 37 ans. Cependant être plus jeune ou plus âgé n’entre pas en ligne de
compte : 14 capitaines ont moins de 32 ans et 9, plus de quarante ans. Ce constat
se retrouve dans les responsabilités, le capitaine de 24 ans commande un navire
de 216 tonneaux, son homologue de 55 ans, une unité de 220 tonneaux. Les
armateurs n’hésitent pas confier des commandements à de jeunes hommes dont
ils connaissent les compétences. Par ailleurs, les capitaines sont essentiellement
originaires de la région. A 89 %, ils proviennent des deux pôles de recrutement
cités plus haut : Granville-Donville-Saint-Nicolas et Agon-Coutainville-
Blainville. Dans cet ensemble, 14 % ne sont pas originaires de la région : ils
natifs de Dieppe, Le Havre, Bretons ou du Nord.
Les navires armés, ils peuvent quitter le port. Les départs ont lieu de mars
à mai 1841 et les retours s’échelonnent de septembre 1841 à février 1842. La
moyenne s’échelonne de mars 1841 à octobre 1841. Les navires qui n’ont pas
chargé de sel font un détour par l’île de Ré où ils peuvent aussi faire leur sel à
Saint-Pierre et Miquelon. Certains armateurs y trouvent un profit certain. Ainsi
la maison Campion envoie le brig Amédée chargé de la farine au Havre que le
capitaine échange sur l’île de Ré contre du sel avant de partir sur Saint-Pierre-et-
Miquelon.
Sur place, les navires armés à la morue verte se mettent à l’ouvrage et, si
besoin est, ils vont décharger une, deux ou trois pêches à Saint-Pierre-et-
Miquelon où ils refont du sel. Les navires se livrant à la morue sèche se rendent
directement sur les emplacements tirés au sort à Saint-Servan. Ce système est
définitivement mis en place à partir de 1821 suite à une mission dont fit parti le
granvillais Clair-Désiré Le Tourneur. L’ancien amiral du havre est remplacé par
un capitaine prud’homme, le plus ancien capitaine du Havre, à charge pour lui
de faire respecter la nouvelle réglementation sous les ordres du commandant de
la station navale de Terre-Neuve.
Lors de cette pêche, les accidents sont relativement peu nombreux.
Quatorze bâtiments signalent quatorze faits mortels pour trente et une victimes,
soit 1,5 % des marins engagés. Les causes des accidents ne présentent rien
d’exceptionnel, tempête, maladie … En fait, la principale cause est la perte de
chaloupe surprise par du brouillard ou un coup de vent ; cela arrive trois fois
causant la perte de 18 hommes.
Arrivé au mois de septembre, il est temps de rentrer. Si une bonne partie
repart directement pour Granville. D’autres partent pour Bordeaux ou La
Rochelle. Pour le chargement de retour certains s’arrêtent à l’île de Ré pour
prendre du sel en prévision de la prochaine campagne. L’un d’eux va même
jusqu’à Dunkerque et revient à Granville chargé de diverses marchandises.
Quelques uns se rendent en Méditerranée pour rejoindre Marseille ou Gênes
d’où ils repartent, le plus souvent vers le Havre ou Rouen chargé de vin,
d’alcool, d’huile ou de savon avant de faire retour sur Granville ou chargés de
fûts vides. Quelques originaux, pas tant que cela, font une campagne
commerciale aux Antilles comme l’Amélie ou le Napoléon. Ce dernier fait
même escale, à Charleston, pour charger du bois à destination du Havre. Ce sont
les derniers rentrés à Granville. L’Amélie partie le 16 mars 1841 y revient le 22
février 1842.
Il ne reste plus alors qu’à faire les comptes. Les résultats sont plutôt
décevants. Pour 47 bateaux sur 66, la part représente 72 % des avances faites
aux familles pendant leur campagne. Cela indique, pour une bonne part des
navires, la pêche a été insuffisante. L’Uranie partie à la pêche sédentaire dont on
attendait 1890 quintaux de morues sèches ne revient qu’avec 1536 quintaux de
morues sèches. Même problème pour le Ville de Granville de l’armement
Boisnard-Grandmaison parti lui à la pêche sédentaire qui revient avec un rapport
de 1116 kg par homme au lieu de 1890 quintaux et, encore, cette moyenne a été
améliorée car le navire a terminé sa campagne en pratiquant la pêche errante lui
permettant d’atteindre 1665 kg par homme.
Il est possible de nuancer le résultat car, sur les bateaux faisant un
complément au commerce, les équipages retenus touchaient une paie au mois
venant s’ajouter à leur part. Les navires où les parts sont supérieures aux
avances sont au nombre de 18 et il faut de nouveau nuancer : pour 9 unités, ce
surplus n’excède pas 25 %, pour 5 autres, 25 à 50 %, pour 1 navires, 50 % à
100 %, pour trois, plus de 100 % avec un maximum de 137,8 %. Pour donner
une comparaison, le brig les Deux-Frères, armement Malicorne, parti à la pêche
aux bancs donne un lot de 431 F auquel il faut ajouter 1000 F à répartir entre les
membres d’équipage car le navire a débarqué à Sète d’où il est revenu avec un
chargement de vin et d’alcool à destination de Rouen. A l’inverse, l’armateur du
Ville de Granville dont il a été question plus haut et qui n’a pas fait de voyage au
commerce distribue un lot de 98 F.
En ce qui concerne la hiérarchie, le mode de rémunération est variable :
les capitaines touchent quasiment tous une avance allant de 250 à 600 F, le plus
souvent entre 400 et 600 F. Pour compléter cette avance, il faut ajouter un à trois
lots ainsi qu’une pratique d’un montant le plus souvent inconnu ou bien 3 % sur
le résultat ou au dessus d’un résultat minimum. Quasiment autant de possibilité
que de capitaine. Au meilleur du résultat, avec une pêche complète, on peut
compter sur 1800 à 2000 F, pour un bon capitaine ; pour d’autres, il faut espérer
un revenu de 700 à 800 F. Si vous prenez, un navire ayant une pêche correcte,
comme le Louis de l’armement Leclerc, le capitaine a touché 1200 F plus sa
pratique, son second, un minimum de 900 F, le saleur, 631 F, un matelot, 544 F,
un novice, 252 F, et un mousse, 56 F, ceci avance comprise. Le rapport est donc
de un à huit, ce qui n’est pas considérable. Il faut souligner que ce rapport est le
même pour les autres navires étudiés et que, lorsque les avances dépasse la
valeur du lot, l’armateur ne peut faire de bénéfice même si l’armateur empoche
les lots excédentaires selon la pratique du bon lot.
De fait, il est possible de conclure que l’année 1841, pour le port de
Granville, n’est pas une bonne année. Elle marque le sommet d’après la
Révolution et l’Empire. L’activité, si elle se maintient, n’aura plus la même
vigueur. Certains armateurs doivent songer à améliorer leurs revenus dans le
commerce. Lorsque le Crédit mobilier fonde en 1855 la Compagnie Générale
Transatlantique, elle choisit comme directeur François-Alphonse Théroude, le
neveu par alliance de Jacques-Edmond Le Campion ; Granville est
naturellement choisi comme port d’armement. Quant à la masse des marins, les
plus nombreux, ces tristes résultats ne les encouragent guère à persévérer dans
cette voie alors qu’il a déjà été dit l’agriculture, de par ses progrès, offrait des
perspectives plus rassurantes tout comme l’industrie et le développement du
tourisme balnéaire. Dans ces conditions, la part du nombre de bretons augmente
posant la question du maintien de l’activité sur le site.
Le doris
Pour l’armateur, le problème est celui de la rentabilité. L’évolution de la
pêche à la simple ligne à la pêche aux lignes de fonds est une première avancée.
Elle permettait de multiplier les prises en utilisant le canot du bord. Une
première avancée a constitué à embarquer un deuxième canot mais même si la
taille des navires a augmenté, cela s’avère insuffisant. L’arrivée du doris, en la
matière, s’avère essentielle.
Pour les armements français, l’usage du doris découle de son emploi par
les pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon. Son ancêtre, le wary est probablement
d’origine anglaise. Il est utilisé, au départ, par les pêcheurs anglophones de
Terre-Neuve puis, par imitation, par ceux de l’archipel. Il apparaît pour la
première fois dans la documentation en 1763. Il se présente comme un canot à
fonds plat de 7 à 8 mètres de long, à l’avant pointu, aux flancs évasés, à fonds
plats. Ses avantages sont certains, son coût de fabrication est faible et son fonds
plat permet de le tirer au sec après chaque marée, avant notable pour des îles ne
disposant pas de ports et soumis aux houles de l’Atlantique.
Le doris quand à lui est probablement fils du warry. Il est un peu moins
long, 6 m, un peu moins large et un peu moins haut. La grosse différence se
situe au tableau arrière. Sur le warry ce dernier est vertical et de forme
trapézoïdale, sur le doris, il fait un peu voute et de forme triangulaire. Il apparaît
dans la flotte saint-pierraise en 1872 et dans la flotte métropolitaine en 1878.
L’avantage est certain, il n’est plus besoin des lourdes chaloupes armées par sept
ou huit hommes, ici deux hommes suffisent le patron et son avant. Par ailleurs,
les bancs sont démontables, ils peuvent donc être entassés sur le pont.
À son arrivée sur les lieux de pêche, les doris sont équipés, selon le
règlement de 1908, d’une corne de brume, d’un petit compas liquide, pas
toujours, d’un coffre comportant quatre kilos de biscuits et six litres d’eau, de
deux gaffes, de deux écopes et de cinq avirons. Chaque patron de doris reçoit un
morceau de toile pour fabriquer sa voile. Ainsi, il peut gréer son unité à son
goût, installer la voile, le gouvernail à sa manière. Les lignes sont boëttées.
Chaque ligne est composée de 24 pièces mises bout à bout sauf le dernier qui
fait 133 mètres. Chaque pièce est montée de 75 hameçons. À un bout, un orin,
une petite ou grappin qui la maintient au fonds, à l’autre, une petite bouée qui la
maintient à la surface. Au total, chaque ligne fait plus de deux kilomètres
montée de 1800 hameçons. Chaque ligne est lovée dans une grande manne
d’osier, à raison de deux lignes par doris.
Avant de quitter le bord, les patrons tirent au sort leur aire de pêche. La
meilleure place est bout au vent car le retour se fait vent arrière. Les doris
quittent le bord vers 17 h 00. L’orin est mouillé en premier et la ligne est filée en
s’éloignant du terre-neuvier. La relève a lieu le lendemain matin en partant du
point le plus les éloignés vers le navire. Les marins tirent sur la ligne, récupèrent
les poissons et par la force du poignet reviennent vers le navire mère. La ligne
est lovée dans la manne d’osier. Il ne reste alors que peu de distance, une
trentaine de mètre pour rapporter le poisson. Les doris son remontés à bord et, si
il fait beau, il est amarré sur une longue haussière, la sabaille, placée à l’arrière
du navire.
Il ne reste plus alors qu’à remettre en état la ligne pour le soir. Certains
utilisent la technique américaine du paumonage. Au fur et à mesure que la ligne
est relevée, le patron décroche la morue, s’il y en a une, place dans la paume de
la main de son avant l’hameçon. Ce dernier la boëtte avant de la rejeter à l’eau.
Le travail n’est pas de tout repos d’autant que, si la brume s’en mêle, le doris
peut se perdre. Il n’est pas question que les autres doris partent à sa recherche, le
perdu dispose d’une corne de brume et de provisions quoique, trop souvent, le
capitaine n’est pas fait armer correctement l’embarcation. De planche de salut,
le canot devient leur tombeau.
L’arrivée des chalutiers
Dans le même temps, les voiliers profitent des innovations du temps. En
1904, un armateur fécampois, Armand Amour fait construire trois navires (le
Raymond, le Saint-Charles), 47 m. de long, 8,50 mètres de large, munis de
frigorifiques pour conserver les appâts. Après la Première guerre mondiale, les
tonnages augmentent, des coques en acier apparaissent. Les guindeaux manuels
pour relever les ancres sont munis de moteurs à essence, des moteurs auxiliaires
facilitant le déplacement font leur apparition. Dès 1892, la maison Beust de
Granville fait construire aux chantiers de Saint-Denis, à Paris, un trois mâts
barque en acier de 800 tonnes de port muni d’un moteur auxiliaire à vapeur pour
actionner les pompes et les treuils. Le navire est prévu pour livrer la morue aux
Antilles y charger du sucre et du café à destination de Nantes ou au Havre avant
de refaire retour à Saint-Pierre-et-Miquelon chargé de bois dont les habitants de
l’archipel ont besoin pour construire leur maison.
En 1934, M. Glâtre de Saint-Malo fait construire à Nantes deux navires
mixtes en acier ; le René Guillon et le Commandant Louis Richard, ce sont des
trois mâts carrés munis d’un moteur de 150 ch. destiné à facilité l’entrée dans les
ports et à palier le manque de vent en cas de calme plat ou lors de manœuvre
plus délicates. Ils ont 54 m. de .long, 10 m. de largeur et 5 m. de creux. Ils sont
les derniers voiliers français à fréquenter Terre-Neuve au lendemain de la
Seconde guerre mondiale.
Comme vous l’avez bien compris, comme à la pêche fraîche, la marine à
propulsion éolienne doit céder la place à la marine à propulsion thermique. Le
voilier doit céder la place au chalutier. Le premier à avoir tenté l’aventure est la
maison Browring de Saint-Jean de Terre-Neuve mais les chaluts se déchirent et
ne ramène que du poisson non commercialisable. Les premières tentatives
françaises se déroulent en Islande, en 1903, le Blanc-Nez de Boulogne et le
Jeanne d’Arc de Fécamp. Le premier revient au bout de quarante jours avec 591
tonnes de morue et 1000 tonnes de vrac, le second, revient avec 240 tonnes de
morue et 80 tonnes de vrac. L’affaire est suivie de près mais les armateurs
savent aussi que l’arrivée signifie la disparition pour les plus petits d’entre eux
une disparition quasi assurée en raison de la mise de fonds que cela exige.
Mais, selon l’expression populaire : « Rien n’arrête le progrès ». Une
société d’Arcachon, la Société nouvelle de pêcherie à vapeur, au courant des
déboires terre-neuviens, crée un nouveau filet pouvant répondre aux exigences
de la pêche à la morue. Un armateur granvillais, Georges Beust décide de se
lancer. Il crée un syndicat d’armement afin de réduire les risques. Outre le
maison Beust-et-Fils, on y trouve que des armateurs dont la maison Lemarié de
Granville et la Société nouvelle de pêcherie à vapeur d’Arcachon qui loue un de
ses navires la Jeanne du port de 169 tonneaux pour une vitesse maximale de 9,5
noeuds. Son équipage est composé de 15 hommes, un capitaine, maître au
cabotage, familier de Terre-Neuve, un nommé Daruspe, un patron de chalutier, 2
mécaniciens, 3 chauffeurs, 4 matelots, 2 novices, un mousse et un pilote
connaissant les côtes du Saint-Laurent.
Le navire quitte Arcachon le 12 mai 1904 et réalise une campagne de 124
jours de la baie du Saint-Laurent aux Grands-Bancs avec plusieurs étapes à
Saint-Pierre. Sur les 124 jours, le navire a passé 35 jours à la recherche des
fonds et le nombre de jours de pêche, 22 jours. Il a fallu remplacer les filets trois
fois car il se déchirait sur les rochers. Par ailleurs, les fonds ne sont pas
uniformes et il y a de fortes déclivités or c’est là que se tient la morue. Cette
configuration convient aux lignes des doris qui s’adapte à la configuration des
fonds pas le chalut. Par ailleurs, la pêche n’est pas merveilleuse : 26 235 kilos de
morues salées, 46 850 kilos de haddock, 541 kilos de flétan, 5 494 kilos de
turbots américain et 1 313 kilos de haddock. Le tout rapporte 27 666,20 F. pour
une mise de 50 000 F. Le montant des pertes à 59 542 F., les armateurs doivent
reverser 9 542 F. Au vue du résultat, M. Beust en conclu que l’avantage reste à
la ligne de fonds.
Malgré cela, la marche en avant débute. Une nouvelle tentative est faite en
1907 avec sept chalutiers. En 1908, il n’y en eut qu’un seul, en 1909, 28, 1910,
4. De 1910 à 1914, le nombre de chalutiers oscille de 2 à 8. Dans tous les cas, il
s’agit de chalutiers de petits tonnages. En ce domaine comme dans bien d’autres,
le premier conflit mondial constitue une véritable césure. A la veille de la
guerre, 20 terre-neuviers sont encore armés à Granville. 600 marins sur les 926
inscrits au bureau des classes participent à l’activité. Lorsque la guerre est
déclarée les navires rentrent au port. Les inscrits définitifs, de 18 à 50 ans, sont
mobilisés : il ne reste plus que les mousses, le novices et les hors services.
Malgré cela, trois navires tentent l’aventure en 1915 alors que le reste des
navires restent bloqués au port. Il faut dire que les assureurs ne veulent pas
prendre le risque d’assurer les voyages alors que la guerre sous-marine fait rage.
Un seul armateur continue d’armer à la Grande Pêche durant le conflit, Rémy
Chuinard mais il n’est pas le seul puisque les Dunkerquois se sont repliés sur
Granville mais ils arment à destination de l’Islande.
Quant aux autres navires, la plupart sont requis par l’état et son
transformés en caboteurs hauturiers pour aller charger du charbon au Pays de
Galles, le plus souvent à Swansea, avant de finir sous les coups des sous-marins
allemands. Pour donner un exemple des ravages causés par ses derniers Entre
novembre et décembre 1916, ce n’est pas moins de cinq navires granvillais qui
sont envoyés par le fonds : début novembre 1916, le Fanelly, le 13 novembre, le
Saint-Nicolas parti de Saint-Malo avec un chargement de macadam, le 22
novembre, le Cap-Lihou affecté principalement au transport de Charbon entre
Swansea et Bayonne, et, au mois de décembre, l’Aiglon et l’Indiana. A la fin du
conflit, il ne reste plus qu’un seul morutier à Granville, le Normandie.
La paix retrouvée permet le retour vers les bancs mais n’enrayent pas pour
autant la lente décroissance entamée depuis la seconde moitié du XIX e siècle.
Outre la volonté des Terre-Neuviens d’être maître chez eux qui conduit à la fin
du French Shore, divers facteurs commerciaux, économiques, techniques et
pratiques y contribuent sur le long terme. Commercialement, les morutiers
français doivent faire face, à la concurrence de la Grande-Bretagne et de la
Norvège. Techniquement, Nicolas Appert met au point, en 1795, la procédure de
conservation qui porte son nom dont descend la boite de conserve. Louis Pasteur
met au point, en 1865, le procédé de stérilisation qui porte lui aussi son nom.
Les conserves en verre puis en métal gagnent petit à petit du terrain. La soudure
au plomb, cause de botulisme, est remplacé par le sertissage mis au point par
l’américain Max Ams, en 1888. A la fin du XIX e siècle, des centaines
d’embarcation alimentent les 32 conserveries de la baie de Douarnenez. En
1923, le canadien Clarence Birdseye découvre les principes de la congélation.
Pratiquement, les pratiques religieuses et les goûts alimentaires changent alors
que l’évolution de l’agriculture réduit le coût du prix de la viande. Les
transports, sous l’effet de la Première et la Seconde révolution industrielle,
permettent progressivement de livrer du poisson frais sur l’ensemble du
territoire en moins de deux jours.
Au lendemain du premier conflit mondial, un certain nombre de ports
armant pour Terre-Neuve se sont déjà détournés de l’activité : Le Havre à la fin
du XVIII e siècle, Les Sables-d’Olonne et Lorient tentent une reprise, sans
lendemain, en 1802. La Rochelle semble suivre le même chemin mais il semble
que ce port ait continué d’envoyer sporadiquement des navires vers Terre-
Neuve. En 1924, le port aunisien arme deux trois mâts, le Saint-Mathurin et le
Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Le port va surtout s’affirmer comme port
d’avitaillement et de débarquement pour les chalutiers venant d’autres ports
durant l’Entre-Deux-Guerres. Dieppe disparaît dans les années 1890, Bayonne,
au début du siècle suivant, Saint-Valéry-en-Caux, en 1908. D’autres
abandonnent l’activité entre les deux conflits mondial, c’est le cas des ports des
Côtes-du-Nord. Paimpol envoie ses deux derniers voiliers, en 1935, la Glycine et
le Butterfly, alors que la maison Plenel migre vers Saint-Malo. C’est aussi le
sort de Granville.
En 1919 et en 1920, le port normand n’arme qu’une seule unité, le
Normandie, cité plus haut. En 1921, la reprise est là avec 6 morutiers,
essentiellement des navires d’occasion, mais celle-ci reste limitée. Par la suite,
ce sont tout au plus 10 navires qui prennent la direction des bancs. Il faut dire
aussi que le nombre d’investisseurs a diminué. De 18, en 1900, il passe, au
lendemain du conflit, à trois : Rémi Chuinard et la Société des pêcheries de
France, encore que le premier nommé soit le premier actionnaire de la seconde.
L’armateur granvillais comprend que les possibilités de perfectionnement des
voiliers sont limitées. Certes, ses navires sont équipés de la TSF ce qui permet
de les suivre et de leur indiquer les ports de débarquement en fonction des cours
mais c’est tout. A l’inverse, il est un de ceux qui a compris que les chalutiers
constituaient l’avenir pour peu que l’on utilise des filets plus solides et des
navires robustes et d’une plus grande taille que la Jeanne.
Pour cela, il crée, en 1926, avec Alfred Vieu, la Société anonyme des
Terre-Neuvas dont l’objet est l’exploitation de deux chalutiers jumeaux, le Rémi
Chuinard et l’Alfred Vieu construits aux chantiers de La Ciotat. D’une longueur
de 65 m.de long, d’une jauge de 1096,27 tx, propulsé par un moteur de 1000 cv
autorisant une vitesse de dix nœuds : ils sont parmi les plus grands chalutiers au
monde de l’époque. L’investissement s’avère juteux puisque, lors de sa première
campagne, le Rémi Chuinard rapporta cinq fois plus de morues que le quatre
mats-goélette, l’Essor. Le chalutier avait pu faire deux voyages et le voilier, un
seul. Finalement la société anonyme des Terre-neuvas abandonne le chalutage
au début des années trente pour le cabotage international jugé plus juteux.
De fait, il ne reste plus en 1933 qu’un seul morutier ; le Thérésa. Le 11
avril 1933, comme le raconte Dominique Confolent, le voilier entre dans
l’écluse entre l’avant-port et la bassin à flot pour gagner le large et Terre-Neuve.
Lors de ce passage, le vapeur des Ponts-et-Chaussées, l’Augustin Fresnel, pressé
par la marée descendante croit pouvoir profiter de l’occasion et s’engage dans le
sas. Les deux navires se trouvent naturellement bloqués et la pression s’accentue
au fur et à mesure que la mer baisse. Chargé de sel, puis que le terre-neuvas part
en pêche, ce dernier est trop lourd pour pouvoir être halé et s’écrase entre la
coque métallique du baliseur et le quai en granit. Il faut atteindre le retour de la
marée haute en fin de journée pour que les deux bateaux puissent être dégagés.
Irréparable la Thérésa finit sa carrière au cimetière marin de La Houle près de
Saint-Malo. Sa pitoyable fin met le terme à quatre siècles d’histoire granvillaise
dont il ne reste aujourd’hui qu’un ultime symbole : le Marité.
A terme, les deux seuls ports métropolitains rescapés sont Fécamp et
Saint-Malo. Le premier a très vite compris l’évolution en cours. En 1920,
Fécamp arme 15 voiliers et 13 navires à vapeur. En 1929, le premier chalutier à
moteur diesel, le Victoria d’une longueur de 65 m, de la Société Nouvelle des
Pêcheries à Vapeur d’Arcachon, arme à Fécamp. Comme dans le cas de Rémi
Chuinard à Granville, les Fécampois ont compris l’utilité des grands navires qui
permettent, en outre, de ne plus faire escale à Saint-Pierre-et-Miquelon car le
diesel contrairement au vapeur donne une autonomie de quatre à cinq mois. En
1930, Fécamp voit le départ de 7 voiliers et de 23 navires à vapeur ou à moteur.
L’Année suivante la Léopoldine est le dernier voilier Fécampois à prendre le
large. Désormais le chalutier est devenu roi. En 1947, Seconde guerre mondiale,
il ne reste plus que sept chalutiers. En 1960, ils sont treize. Par ailleurs, les
navires se modernisent. En 1966, la Société des pêcheries de Fécamp reçoit. le
Viking, un pêche arrière congélateur. Mais la concurrence étrangère à raison de
l’activité. Le 9 novembre 1981, le Dauphin de l’armement Ledun quittait pour
la dernière fois les quais de Fécamp
Sans attarder plus que cela, les malouins suivent la même trajectoire que
les Fécampois mais à la différence de ces derniers, même si le premier chalutier
apparaît en 1922 et que leur nombre ne cesse d’augmenter. Ils sont les derniers à
tenter l’aventure de la voile avec le Lieutenant Henri Guillon et le Commandant
Louis Richard en 1948. Du côté des chalutiers, il faut repartir de zéro. En 1949,
ils sont onze chalutiers mais l’activité, comme vu, ci-dessus, n’est plus ce
qu’elle était. Le nombre ne cesse de décroître. Dans les années 1950, l’Alex
Pleven est premier Terre-Neuvier à pont couvert préfigurant les premiers
pêches-arrières avec une usine de congélation, le Colonel Pleven et le Pierre
Pleven. Le poisson entre par un côté et finit en filet prêt à cuire avant d’être
surgelé à – 50°. Le deux dernières unités mises en service sont le Victor Pleven
et la Grande Hermine. Le premier, le Victor Pleven est le dernier chalutier
métropolitain à fréquenter les bancs, en 1992. Les deux bâtiments sont, par la
suite, envoyés au large des îles Lofoten mais cela a déjà été vu plus haut.
Au total l’aventure morutière aura duré près de cinq siècles et fut l’une
des bases de l’économie et de la vie maritime française durant, à peu près, la
même période. Elle a su évoluer au gré des circonstances. A la fin de l’ancien
régime, la pêche à Terre-Neuve se montait à 56 000 tonnes réalisée par 350
navires et, environ, 10 000 hommes. Dans les années 1960, la même pêche
s’élevait à 52 000 tonnes capturées par 29 navires et 1 600 hommes. Ils ont
fourni à marine royale, impériale ou nationale nombre de matelots par
l’intermédiaire du service des classes. Aujourd’hui, il en reste un souvenir
vivace dans la mémoire des aînés mais qui s’efface avec les générations. Fasse
que les jeunes des régions concernés retrouvent cette mémoire pour se construire
aujourd’hui.