terestchenko michel, philosophie politique

9
INTRODUCTION depassernent de la traditionnelle rivalite entre Ie liberalisrne et Ie socialisme. La societe a pris conscience autant de son autonomie que de son devoir de soli- darite a l'eqard de ceux qui sent victimes des risques lrnpliques par la vie sociale. Le problerne de l'aide aux plus pauvres et, d'une rnaniere qenerale, I'exigence de justice socia Ie ont ete forrnules selon des categories nouvelles, en particulier dans la Theorie de la Justice de John Rawls. 1 Individu et societe Les relations entre la societe et les individus qui la composent peuvent etre saisies, dans la philosophie politique moderne, selon deux perspectives a la fois differentes et intrinsequernent liees : politiques et sociologiques. • Sous I'angle politique, trois problernes principaux sont en jeu dans les debats depuis Ie XVli e siecle : la nature du lien social, la definition de la liberte politique et les irontieres de la souvereinete. - La definition de la nature du lien social differe fondamentalement selon que I'on comprend la societe comme une cornmunaute, un Tout, un Corps organique dont les citoyens sont autant de membres, ou bien comme une association d'individus unis par leurs interets reciproques en vue de I'avantage mutuel. La societe peut ainsi etre designee soit comme Universitas ou unite organique (Gemeinschaft ou Corporate), soit comme Societas (Gesel/schaft ou Partnership). - Cette opposition refracte celie qu'il y a entre la vision antique de la Cite, la « belle harmonie » grecque (Hegel) et la vision liberate individualiste des societes modernes. Mais elle se refere eqalernent a la difference entre la liberte des Anciens, concue comme participation active des citoyens au pou- voir collectif, et la liberte des Modernes, cette « jouissance paisible de l'inde- pendance individuelle » (Benjamin Constant, De I'esprit de conquete et de I'usurpation, ch. VII). - Elle vise enfin deux conceptions differentes de la souverainete : l'auto- rite que la societe tout entiere eriqee en corps politique, l'Etat, exerce de 9

Upload: adelina-alexandra

Post on 22-Oct-2015

35 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

metafizica

TRANSCRIPT

INTRODUCTION

depassernent de la traditionnelle rivalite entre Ie liberalisrne et Ie socialisme.La societe a pris conscience autant de son autonomie que de son devoir de soli-darite a l'eqard de ceux qui sent victimes des risques lrnpliques par la viesociale. Le problerne de l'aide aux plus pauvres et, d'une rnaniere qenerale,I'exigence de justice socia Ie ont ete forrnules selon des categories nouvelles, enparticulier dans la Theorie de la Justice de John Rawls.

1Individu et societe

Les relations entre la societe et les individus qui la composent peuvent etresaisies, dans la philosophie politique moderne, selon deux perspectives a lafois differentes et intrinsequernent liees : politiques et sociologiques.

• Sous I'angle politique, trois problernes principaux sont en jeu dans lesdebats depuis Ie XVlie siecle : la nature du lien social, la definition de la libertepolitique et les irontieres de la souvereinete.

- La definition de la nature du lien social differe fondamentalementselon que I'on comprend la societe comme une cornmunaute, un Tout, unCorps organique dont les citoyens sont autant de membres, ou bien commeune association d'individus unis par leurs interets reciproques en vue deI'avantage mutuel. La societe peut ainsi etre designee soit comme Universitasou unite organique (Gemeinschaft ou Corporate), soit comme Societas(Gesel/schaft ou Partnership).

- Cette opposition refracte celie qu'il y a entre la vision antique de laCite, la « belle harmonie » grecque (Hegel) et la vision liberate individualistedes societes modernes. Mais elle se refere eqalernent a la difference entre laliberte des Anciens, concue comme participation active des citoyens au pou-voir collectif, et la liberte des Modernes, cette « jouissance paisible de l'inde-pendance individuelle » (Benjamin Constant, De I'esprit de conquete et deI'usurpation, ch. VII).

- Elle vise enfin deux conceptions differentes de la souverainete : l'auto-rite que la societe tout entiere eriqee en corps politique, l'Etat, exerce de

9

INDIVIDUETSOCIETE

facon absolue sur l'individu, et la souverainete lirnitee, relative, bornee parl'independance de la sphere privee, c'est-a-dire de la vie individuelle.

• Sous I'angle sociologique, la question porte sur la determination de lanature de la societe: aqreqat d'individus (« individualisme rnethodoloqique »)ou entite ayant ses lois propres, irreductible a la somme des individus qui laconstituent (« holisme methodoloqique »)?

Ces deux approches ont en commun de traiter une question unique etfondamentale : quelle est I'essence de la liberte humaine?

De la determination rneme de la nature de I'individu, a la fois sujet res-ponsable de soi (sujet moral), et etre historique, social, faconne en quelquefacon par son appartenance a un monde contingent, depend la definition dela nature de la liberte et de la responsabillte de I'homme.

1. L'essence de la vie en societe

A. La nature du lien social

II Y a cette difference profonde entre la philosophie politique des Anciens etcelie des Modernes - qui se constitue a partir de Machiavel (1469-1527) - quela premiere traite principalement de la question du « meilleur regime» selonune perspective essentiellement metaphysique : elle inclut une theorie dubien et de la justice, une doctrine de la vertu et de la connaissance, ainsiqu'une vision hlerarchique de la nature et de la societe.

Le problema fondamental de la pensee moderne depuis Machiavel etHobbes (1588-1679) est tout autre: c'est celui de la pacification de la relationentre les hommes, lesquels sont definis comme des individus eqoistes mus parleurs passions et leurs interets,

Sur cette commune base anthropologique pragmatique et realiste se sontedifiees des conceptions differentes de la nature de la vie en societe.

LA SOCIETE COMME ASSOCIATION D'INDIVIDUS

La conception individualiste moderne de I'homme et des rapports entre leshommes a l'interieur de la societe est d'abord nee dans Ie domaine de la phi-

10

INDIVIDUETSOCIETE

/osophie politique. Elle est au CCEurdes theories du contrat social qui s'elabo-rent a partir du XVII"siede avec Thomas Hobbes. Elle s'est developpee ensuitedans Ie cadre de I'economie politique, en particulier chez Adam Smith (1723-1790). Elle reste aujourd'hui encore Ie principe central du liberalisme poli-tique et economique et marque profondement la doctrine des Droits deI'homme, lesquels ne desiqnent pas tant les droits d'etres sociaux que lesdroits de I'individu. L'individualisme politique engendrera sa propre reaction,en particulier dans la tradition republicaine, radicale ou socialiste, attachee ala notion de citoyen.

• La notion d'individu

L'individu est un etre asocial et apolitique qui possede par nature, c'est-a-direindependarnrnent de son appartenance a telle societe particuliere, des droitsinali{mables. La protection de ces droits est au CCEurde I'institution de lasociete et elle seule definit, pour les Modernes, la legitimite du pouvoir decontrainte exerce par l'Etat.

On assistera a une lente extension dans la definition de ces droits de I'in-dividu depuis Ie XVII"siecle jusqu'a nos jours : droit a la securite et a la protec-tion de la vie (Hobbes), droit a la propriete (Locke, 1632-1704), droits poli-tiques pour les revolutionnaires de 1789 et nouveaux droits econorniques, cul-turels et sociaux dans la Declaration universelle des Droits de I'homme en1948.

Mais ce qu'il importe de souligner, c'est Ie fondement individualiste decette doctrine juridique. La nouvelle transcendance qui est au principe de laphilosophie politique moderne, ce n'est pas Dieu, ni la nature, c'est I'individu.La philosophie politique ne detruit pas tant I'ancienne conception theolo-gique qu'elle n'en dep/ace /e principe de Dieu sur I'homme, c'est-a-dire enI'occurrence sur I'individu.

• Une conception egalitariste

La notion d'individu apparait dans Ie cadre de la conception moderne dudroit naturel et de l'etat de nature. Elle est liee a la notion arithrnetiqued'eqalite : la nature a fait les hommes largement eqaux dans les aptitudesdu corps et de I'esprit. Chez Hobbes, cette eqalite conduit a la rivalite, et aI'institution de la societe pour se proteqer d'autrui, alors que Rousseaucontestera cette deduction. Quelles que soient les divergences qui existententre ces auteurs, I'individu de l'etat de nature est Ie commun point dedepart de leurs analyses. II y a, a I'origine de la societe, un contrat d'associa-tion qui est un contrat entre des individus libres et egaux. La volonte indivi-

11

INDIVIDU ET SOCIETE

duelle devient ainsi I'unique source de leqitirnite de toute autorite. de toutpouvoir. En outre, il ne fait aucun doute que la revendication eqalitaire estun des principaux moteurs de I'histoire politique et socia Ie des societesmodernes.

INDIVIDUALISME ET EGO'iSME

La definition de I'homme comme individu conduit par ses passions et ses inte-rets, est liee a l'idee, chere aux moralistes [ansenistes du XVllesiecle et a Pascal(1623-1662), que I'homme est un moi qui se fait« centre du tout» et qui rap-porte tout a soi. L'individu est cet etre eqotste qui, en raison de sa naturedechue, est en toute chose mG par I'amour-propre ou I'amour de soi. PourLa Rochefoucauld (1613-1680), Pascal ou Pierre Nicole (1625-1695), cet etat estla consequence du peche originel, ce que rejetteront aussi bien Hobbes que~oussea~. Mais si on laisse de cote la divergence qui existe entre les explica-tions qut sont donnees a l'eqoisrne ontologique de l'hornme, celui-ci reposesur la definition de I'homme comme un moi qui n'obeit qu'a ses passionsnaturelles de domination et de reputation.

II y a ainsi une continuite theorique assez remarquable dans la vision deI'homme que partagent les moralistes augustiniens de Port-Royal, aux:'lIe siecle, les theoriciens du contrat social et les penseurs de l'econornie poli-tique, Rousseau (1712-1778) distinguera, de facon essentielle, I'amour de soide I'~mour-propre, Ie desir naturel de conservation de soi de I'orgueil qui nese developpe qu'avec la vie en societe. II y a une difference capitale chezRousseau entre la societe inegalitaire, OU I'homme est divise avec lui-rneme etavec les autres, et la societe juste, dans laquelle I'homme se realise commecitoyen, comme membre du Tout.

Au moment rnerne ou les conceptions individualistes de la vie en societes~ constituent, se developpe un courant contraire, fonde sur une theorie del'Etat et de la citoyennete.

B. La societe comme communaute des citoyens

R.ousseau, Kant (1724-1804), Hegel (1770-1831) ou Marx (1818-1883), pour neciter que les plus grands, ternoiqnent d'un commun refus de considerer Ie liensocial du seul point de vue de la realisation des interets et des eqorsrnes. lisopposent a la theorie individualiste une conception organiciste de la societe.

12

INDIVIDU ET SOCIETE

La societe n'est pas simplement ce « systeme des besoins » que condamneHegel, fonde sur « la dogmatique de l'interet » (Marx); elle doit se constituercomme un corps dont chaque societaire soit membre, un Tout qui identifieI'individu avec soi et avec les autres, de telle sorte que chacun ne puisse etresepare de I'etre collectif dent iI fait partie intsqrante. On peut dire histori-quement que c'est la conception individualiste de la Societas qui s'est deve-loppee depuis Ie XVlesteele, mais la representation organique, holiste de l'Uni-versitas ne s'est jamais eteinte. Elle vit au cceur de la conception republicainede la citoyennete. Le citoyen n'est pas l'etre social, considere dans son indivi-dualite close: il n'existe que comme membre de la societe, ou plutot commemembre de l'Etat.

LE CITOYEN ET L'ETAT

• Lanotion de citoyenneteSi Ie trait specifique de la pensee liberale est de consacrer I'independance deI'individu et la separation de la societe civile d'avec l'Etat, la notion decitoyennete implique une definition de l'etre social qui ne separe pas son etresingulier du corps collectif dent l'Etat est I'expression politique. II ne s'agitpourtant pas de tout Etat, mais seulement de I'ftat rationnel.

• L'~tat et la societe civilePour Hegel, la societe civile, fondee sur des relations interessees d'echanqe,est incapable de realiser l'unite entre les hommes. Si elle cree entre eux unreseau de solidarite et les libere de « l'etat de sauvagerie et de non-liberte »(Principes de la philosophie du droit, § 195), elle ne peut leur permettre d'ac-complir leurs facultes spirituelles. t'Etat rationnel est, au contraire, I'universelconcret dont les individus sent, en tant que citoyens, autant de membres. L'in-tention essentielle du Contrat social de Rousseau etait deja de fonder l'unitedu corps social, non sur l'aqreqation des interets particuliers ego'istes, mais surl'obeissance a la loi, expression de la Volonte qenerale, par quoi I'homme serealise comme liberte.

LA LlBEiuE EST OBEISSANCE A LA LOI

La loi n'est pas ce qui limite I'usage de la liberte humaine, comme ne cesse-ront de Ie craindre les penseurs liberaux: en tant que loi ration nelle, elle estI'expression meme de cette liberte : Iiberte, non pas naturelle, purement

INDIVIDU ET SOCIETE

~go"jste, mais liberte civique des citoyens conduits par la raison: « Ainsi cet~tat est Ie plus libre, dont les lois sont fondees en droite Raison, car dans cetEtat, chacun des qu'il Ie veut, peut etre libre, c'est-a-dire vivre de son entiercon~e~tement sous la conduite de la Raison ». disait deja Spinoza (1632-1677)[Tralte theoloqico-politioue, ch. XVI].

Un~ telle conception, qui sera encore celie de Rousseau, renvoie a uneconception de la liberte que combattront les philosophes de la tradition libe-rale depuis Benjamin Constant (1767-1830) jusqu'a Friedrich Hayek (1899-1992).

C. La defense des libertes individuelles

Ben!amin Constant reproche a Rousseau d'avoir confondu la liberte selon lesAnciens avec la condition moderne de la liberte.

'-..~=-.::::..::.::.;::...:.;:.=~IENS-&l-OES..MODERNES

« La .do~ri~e de la liberte qu'on a presentee aux hommes a la fin du siededernier ~talt ernpruntee a des republiques anciennes (. ..) Cette liberte secomposa~t.plut6t d,~ la .participati~n a.ct:iveau pouvoir collectif que de la jouis-s~nce. paisible de Imdependance individuelle », ecrit Benjamin Constant (Def espr~tde conouete et de I'usurpation, 2e partie, ch. VI), faisant allusion a ladoctrine de Rousseau.

. Pour les liberaux, tels Constant, Tocqueville (1805-1859), ou John Stuart~ill ~1806-1873) en Angleterre, la liberte, dans les societes modernes, signifieImdependanc~ de la sphere privee individuelle, qui do it etre protegee de latendance de l'Etat a reqir la societe civile .

. II y a une. lutte, tenant a la nature merne du pouvoir politique et a saloqique .d~ puissance, entre la liberte et l'autorite. Toute I'affaire est de trou-ver la limite, « la juste harmonie entre l'independance individuelle et Ieco~:r~le s?cial ». .ecrit John Stuart Mill (De fa liberte, Introduction). Or less~Cletes dernocratiques modern.es sont rnenacees par une derive tyrannique~ une nature toute nouvelle qui se caracterise par I'uniformisation des condi-tions et des modes de pensee, par Ie developpernent d'une societe de masseet p~r I'eme~gence concomitante d'un pouvoir central unique (Tocqueville, Defa demoaetie en Amerique).

N~us r~viendrons sur cette question dans notre chapitre 3, consacre aupouvorr et a la souverainete. Pour l'heure, contentons-nous d'indiquer que,

14

INDIVIDU ET SOCIETE

selon les partisans du liberalisrne, la liberte de conscience est un droit absoluqui doit etre protege contre tout ce qui pourrait Ie limiter.

CONTRAINTE DE LA LOI ET PROTECTION DES L1BERTES INDIVIDUELLES

Selon les auteurs liberaux, il n'y a qu'une seule justification au pouvoir decontrainte de l'Etat sur I'individu, c'est I'autoprotection : « La seule raisonlegitime que puisse avoir une cornrnunaute civilisee d'user de la force contreun de ses membres, contre sa propre volonte, est d'empecher que du mal soitfait a autrui », ecrit Stuart Mill (id.).

La liberte de I'individu ne peut etre saisie a partir de son appartenance aucorps collectif de la societe, mais seulement dans son individualite d'etre sin-gulier, unique. Ce n'est pas l'obeissance a la loi, expression de la raison (Spi-noza) ou de la Volonte qenerale (Rousseau), qui definit la liberte. Celle-cin'est pas tant civique qu'individuelle : elle ne se realise pas dans la rationaliteou la moralite de l'etre par laquelle s'accomplirait son essence, mais dans l'in-dependance strictement protegee de I'existence privee dont chacun doit deci-der librement du sens qu'illui donne. La liberte, c'est d'abord la libre inventi-vite de l'esprit et de I'imagination qui donne naissance aux ceuvres rebelles,juqees souvent subversives, de I'art. II n'y a d'autre limitation legitime de cettellberte creatrice que I'egal droit d'autrui a exprimer la sienne.

Par consequent, la loi ne do it pas etre ce qui borne la liberte des indivi-dus, mais I'instrument de leur commune expression au sein d'une collectiviteou les interets et les opinions des individus divergent et peuvent entrer enconflit. Face a la definition meta physique de la Loi comme expression trans-cendante de la raison se dresse la conception purement immanente et poli-tique de la loi comme principe d'integration, dans I'espace public et collectifde la societe, des libertes individue/les.

2. Llberte individuelle etdeterminisme social

Un des aspects les plus remarques de la pensee moderne, telle qu'elle s'estdeployee dans Ie domaine de la sociologie et de la psychologie, est d'avoir vuune illusion dans la definition de I'homme com me une conscience en soi, unepensee separee du monde, Ie cogito de Descartes (1596-1650), comme une

INDIVIDU ET SOCIETE

liberte absolue, OU la volonte inconditionnee du sujet sera it cause premierede ses actes et rneme de ses idees. Sociologues, dans la mouvance d'Emile Dur-kheim (1858-1917) et de Marcel Mauss (1872-1950), et psychologues, sous l'in-fluence en particulier de la psychanalyse de Freud (1856-1939), mettent enevidence les causes sociales et psychiques qui deterrninent, de facon incons-ciente, les conduites et les opinions individuelles.

En reponse aces systernes qui conduisent a la negation de la liberte del'lndividu, les penseurs liberaux ont developpe une double critique: episte-mologique, en contestant I'application de rnodeles physiques deterministesen vue de comprendre les comportements sociaux (F. Hayek); morale, enmontrant que ces rnodeles rnenent, tout droit, a la negation de la Iiberte indi-viduelle, c'est-a-dire de la responsabilite de I'homme a l'eqard de ses propresactes; conclusion qu'aucun tenant du determinisrne social n'est pret a accep-ter et qu'il ne cesse meme de contredire dans la pratique, comme Ie montreIsaiah Berlin (ne en 1909).

A. Les doctrines du determinisme social

LA SOCIETE COMME ENTITE EN SOl

La theorie de la sociologie deterministe, dite holiste, soutenue en particulierpar Emile Durkheim, repose sur la notion de combinaison. Elle soutient queI'association des parties, des individus, au sein de la societe constitue une tota-lite qui a ses lois propres, dont la nature n'est pas reductible a l'aqreqationdes parties qui la composent : « Le tout ne se forme que par Ie groupementdes parties et ce groupement ne se fait pas en un instant, il ya une serie infi-nie d'Interrnediaires entre l'etat d'isolement et l'etat d'association caracterl-see. Mais a mesure que I'association se constitue, elle donne naissance a desphenomenes qui ne derivent pas directement de la nature des elements asso-des; et cette independence partielle est d'autant plus marquee que ces ele-ments sont plus nombreux et plus puissamment synthetises » (Sociologie etphilosoph ie, Paris, PUF, 1974).

LA VIE PRO PRE DE LA SOCIETE

Le principe fondamental de la sociologie classique est, selon Marcel Mauss,qu'il y a « une vie de la societe, distincte de celie que menent les individus, ouplutot distincte de celie que meneraient les individus s'ils vivaient isoles ».

16

INDIVIDU ET SOCIETE

L'individu est donc subsume sous la societe, laquelle determine les rnodalitessuivant lesquelles se developpe la vie affective, intellectuelle et morale de l'in-dividu. Raymond Aron (1905-1983) resume ainsi les deux idees essentiellesque decouvre Durkheim : « (... ) la priorite historique des socletes, OU laconscience individuelle est tout entiere hors de soi, et la necessite d'expliquerles phenomenes individuels par l'etat de la collectivite et non pas l'etat de lacollectivite par les phenomenes individuels » (Les etspes de la pensee sociolo-gique, 1967).

LA NATURE SOCIALE DE LA MORALE INDIVIDUELLE

Les valeurs de chacun sur Ie juste et I'injuste, Ie bien et Ie mal, ne puisent pasleur origine dans une conscience interieure qui serait a soi seule son principe;c'est, au contraire, de la societe et non du moi que depend la morale.

De la decoule la relativite des systernes meraux, lesquels ne peuvent sereclarner d'un fondement rationnel universel; ils n'ont d'origine que cultu-relle, sociale, historique. S'il y a une lnteriorisation, par l'education, des inter-dits dans la conscience de chacun, il n'y a pas, au sens traditionnel, de moraleindividuelle : la morale est, par essence, sociale. Les categories ethiques quiconduisent a l'evaluation des actes (blame, louange) ne sont pas I'expressionde la nature intrinseque des actes qui seraient, en eux-memes, vertueux ouempreints de vice: elles ne sont que des reqles, des normes collectives. A lavoix de la raison ou de la loi naturelle des Anciens, Durkheim oppose « lagrande voix de la collectivite ». a laquelle il prete Ie nouveau visage du sacreet de la transcendance.

LA CONSCIENCE COMME ILLUSION

C'est, par consequent, sous I'effet d'une illusion que la conscience individuellecroit trouver en elle I'origine de ses principes : il y a seulement un processusd'adaptation des valeurs collectives par l'education dont la conscience moraleindividuelle est Ie terme, et non Ie fondement. On trouverait une idee sem-blable dans la notion freudienne de « surmoi », cette instance psychique de lapersonnallte qui a pour charge d'interioriser les interdits sociaux et paren-taux.

La conscience collective est une des notions des de la pensee de Dur-kheim : c'est « I'ensemble des croyances et sentiments communs a la moyennedes membres d'une societe », lequel « forme un systerne determine qui a savie propre » (De la division du travail social, 1893). De la decoule un relati-

17

INDIVIDU ET SOCIETE

visme integral qui fait du crime simplement l'acte que la conscience collectiveinterdit.

• Le fait socialLa sociologie de Durkheim repose sur deux pnncipes essentiels : les faitssociaux doivent etre consideres comme des choses, comme des faits physiquesqu'il faut observer de l'exterieur: Ie fait social se distingue en ceci qu'il exerceune contrainte sur I'individu (Les reqles de /a methode socioloqique),

Durkheim justifie ces deux principes a partir de plusieurs exemples : com-portements de foule, courants d'opinion, phenomenes de mode, croyancesreligieuses et rnerne certains actes qui paraissent, par definition, relever de ladecision strictement individuelle, tel Ie suicide. L'etude sociologique du sui-cide a pour effet de montrer a quel point les conduites individuelles sentdeterrninees par la realite sociale. Cependant, Durkheim analyse davantageIe taux de suicide que Ie suicide individuel lui-rnerne en ses raisons existen-tielles irreductibles. II importe de distinguer I'analyse qui s'efforce de dega-ger des constantes statistiques, c'est-a-dire qui raisonne en termes de regula-rite, de l'interpretation scientiste qui voit dans les faits sociaux des relationsde causalite necessaires dont on pourrait formuler les lois. C'est cette confu-sion epistemoloqique qu'il s'agit d'eviter en rneme temps que Ie relativismeintegral de la sociologie deterrniniste qui conduit a des consequences inac-ceptables.

B. Critique des sociologies deterministes

L'INDIVIDUALISME METHODOLOGIQUE

• Principes de baseC'est l'idee rnerne d'une transcendance des faits sociaux par rapport auxconduites individuelles que conteste la sociologie individualiste, ou 1'« indivi-dualisme methodologique » (Schumpeter). Dans une lettre, Max Weber enformule Ie principe: « La sociologie, elle aussi, ne peut proceder que d'actionsd'un, de quelques ou de nombreux individus. »

Raymond Boudon (ne en 1934), Ie principal representant en France decette ecole d'inspiration liberale, donne la definition suivante : « Le principede I'''individualisme rnethodoloqique" enonce que, pour expliquer un phenornene social quelconque - que celui-ci releve de la demoqraphie, de la scienG';

INDIVIDU ET SOCIETE

politique, de la sociologie ou de toute autre science sociale particuliere - il estindispensable de reconstruire les motivations des individus concernes parIe phenomena en question, et d'apprehender ce phenomena com me Ie resul-tat de l'aqreqation des comportements individuels dictes par ces motivations.Et cette proposition est valable quel que soit Ie phenomena a expliquer »(« Individualisme et holisme dans les sciences sociales », dans Sur I'individua-lisme, sous la direction de J. Leca et P.Birnbaum, Presses de la FNSP, 1991).Autrement dit, les relations sociales macroscopiques resultent de l'aqreqationde comportements microscopiques, c'est-a-dire individuels.

• Une conception utilitariste des mobiles de l'action humaineII faut souligner Ie lien profond qui unit Ie point de vue de I'individualismernethodoloqique avec la definition utilitariste des conduites humaines. L'indi-vidu social est defini comme un acteur rationnel qui, en to ute chose, cherchea « maxi miser » son interet. Cette definition a pour effet un rapprochementde la sociologie avec l'economie politique. L'homo socioloqkus contemporainn'est autre que I'homo ceconomicus, tel que Ie definit, depuis Adam Smith, ladoctrine econornique : un individu principalement soucieux de son interet etde celui de ses proches, mais indifferent aux autres.

LE DETERMINISME CONDUIT A EXCLURE TOUTE RESPONSABILITE MORALE

Dans I'E/oge a /a iiberte, Isaiah Berlin deduit les consequences immorales destheories du deterrninisme social. Le determinisme postule que to utes lesactions et les choix individuels sont determines par des causes historiques,sociales, culturelles, ainsi que biologiques et psychologiques, de telle sorteque l'idee de liberte apparaTt comme une illusion de la conscience.

• L'illusion de la liberteLa critique rnetaphysique de la liberte comme libre faculte de vouloir, avaitdeja ete conduite par Spinoza dans Ie cadre du determinisme absolu qu'ildevelopps dans l'Ethique (Livre II, prop. XLVIII: « II n'y a dans l'arne aucunevolonte absolue ou libre; mais l'arne est deterrninee a vouloir ceci ou cela parune cause qui est aussi deterrninee par une autre, et cette autre l'est a sontour par une autre, et ainsi a I'infini »).

Le problems de la conciliation du deterrninisme, auquell'homme est sou-mis en tant qu'il appartient au monde des phenomenes, et de la causalite'ibre du sujet moral est eqalernent au coeur de la philosophie kantienne de la,berte, Nous delaisserons, ici, la complexe formulation theorique du pro-

19

~.~ '<i'<i -0-0

Ic

c "" 1;;

ii •.•.•.

~

~'Si B.~ ii:'" cc 0

cg r; •.•. 'c,'c, §80 a 15~ s:a.a. '"3

~I

I •.~ >> :::;

:::; •.~ ~~ ~

:!::!: e@

INDIVIDU ETSOCI~T~

bleme et la solution que Kant lui apporte dans Ie cadre de sa philosophiemorale, pour nous en tenir a la critique du modele deterministe applique a lasociologie. Le principe deterrniniste consiste a affirmer que les actes indivi-duels ne s~nt pas Ie choix d'un quelconque libre arbitre, mais Ie resultat decauses dont nous ignorons Ie plus souvent les lois, quoique nous puissions pre-supposer leur existence. Ainsi, un esprit omniscient qui connaitrait toutes lesdonnees de la nature a I'instant t pourrait connaitre l'etat de la nature a l'ins-tant t + 1, etat incluant tout Ie domaine des actions humaines puisqu'ellesn'echappent pas a la causalite (hypothese dite de Laplace).

• Le determinisme annule tout jugement moralLa definition rnerne de la liberte inclut, au contraire, une contingence radicalede I'acte humain qui aurait pu etre autre si Ie sujet l'avait voulu et a l'eqardduquel celui-ci est, par consequent, responsable. Or la conception deterrni-niste des conduites humaines aboutit a rendre impossible tout jugementmoral: « Je ne vois pas pourquoi, ecrit Berlin, il serait moins deraisonnable (etpas seulement moins futile) de blamer un homme psychologiquement inca-pable de s'ernpecher de commettre un acte cruel, qu'un infirme a cause deson handicap. » Ce sent donc toutes les notions ethiques de blame et de sanc-tion, et, plus qeneralernent, l'idee merne de responsabilite qui devraient logi-quement disparaitre : « /I n'est pas rationnel de croire que les choix sontdetermines et, slmultenement de conskierer que les hommes meritent d'etreblames ou ioues pour leurs actes. » Si Berlin entend ainsi preserver la libertehumaine centre toute doctrine qui viserait a la nier et qui, par consequent,ruinerait I'idee meme de responsabilite morale, Ie problema philosophiquepose, en particulier par Kant, de la conciliation entre la liberte et la causa liteest fort complexe et n'est pas resolu pour autant.

LA CONSTRUCTION THEORIQUE DU FAIT SOCIAL

• Concepts et realiteRefusant un empirisme narf et suivant la conception relativiste qui animel'epistemoloqie contemporaine, en particulier en physique (Karl Popper, CarlHempel, par exemple), Isaiah Berlin met en evidence Ie caractere construit dufait social: celui-ci n'est pas tant une donnee de la realite qui s'imposerait desoi a I'observation du sociologue qu'une construction de I'esprit humain quis'efforce de rendre intelligible la diversite du chaos de la realite sensible parses propres operations de connaissance.

cINDIVIDU ETSOCI~T~

Les notions de base de la sociologie ou de I'economie, telles les notionsde « societe ». « capitalisme » et autres entites collectives, sont des concepts,des abstractions, de simples theories provisoires qu'il faut se garder deprendre pour les faits, la rea lite elle-meme, au risque de tomber. da~s Ie« prejuqe totaliste inherent a I'optique scientiste », ecrit F.Hayek (S~/entls';1eet sciences sociales, Paris, Pion, 1953). Le fait social est une contruaion theo-rique et non un fait historique. Michel Henry a montre que la ~enonciationde I'illusion scientiste est, egalement, au CCEur de la pensee de Marx,contrairement aux deformations, aux contresens merne, qu'en a donnes Ie

marxisme .

• L'individu est I'uniquerealite" faut toujours partir, et sur ce point les penseurs d'obedience Iiber~le .r~joi-gnent I'intuition subjectiviste profonde de Marx, de ce que les individusconcrets pensent, font, vivent. Le proqres de la theorie economique est, selonBerlin, marque par Ie proqres du « subjectivisme ». c'est-a-dire de cette pen-see qui voit dans l'individu, ses actions, ses croyances, la seule rea lite vivantede quoi tout precede et qu'on ne saurait jamais reduire a etre I'effet neces-saire de structures sociales objectives.

La nature fictive ou abstraite de I'homme qu'etudie la sociologie avaitete clairement etablie par un des peres fondateurs de la science sociale, auXIX. slecle, Adolphe Quetelet (1796-1874).

C. Le depassement de I'opposition liberte-determinisme

LA « PHYSIQUE SOCIALE » SELON A. QUETELET

Les deux principaux ouvrages du statisticien beige sent : Sur l'homme et Iedeveloppement de ses iecultes ou Essai de physique socia Ie (Paris, 1835) et Dusysterne social et des lois qui Ie regissent (Paris, 1848). La these principale qu'ilsoutient, c'est que les regularites statistiques que l'on peut observer dan~ lescomportements sociaux ne conduisent nullement a nier I'existence du librearbitre : elles sont Ie resultat de I'application aux phenomenes sociaux de latheorie mathematique des possibilites.

• « L'homme moyen ))Ces valeurs fixes ne s'appliquent pas a I'individu pris isolernent, mais bien plu-tot a 1'« homme moyen », qui est une fiction abstraite, resultant du calcul des

21

rNorvrouET SOCIETE

grands nombres : « L'homme que je considere ici est, dans la societe, I'ana-log~e du cen~r: de qravite dans les corps, il est la moyenne autour de laquelleoscrllent les elements sociaux : ce sera, si l'on veut, un etre fictif pour quitoutes les choses se passeront conformement aux resultats moyens obtenuspour la societe. »

Les c.onstantes que .Ia « physique sociale » decouvre s'agissant des crimes,de la .tarlle des consents, de la rnortahte ou des mariages, concernent lacondurte des hommes apprehendes dans leur appartenance au tout social .« II existe un lien rnysterieux qui fait que chaque individu peut etre considereco~me la parti~ .nece,ssaire d'un tout qui nous echappe physiquement etqu on ne peut sarsrr qu avec les yeux de la science. » L'individu est apprehendecom me membre de la masse et non dans sa personna lite sinquliere et unique.

• La loi des grands nombres

Ace deqre-Ia, qui est celui des grands nombres, les effets du libre arbitre s'an-nulent : « La possibillte d'etablir une statistique morale et d'en deduire descon~equen:es utiles depend entierement de ce fait fondamental que Ie fibrearb~tre d~ f homme s'efface et demeure sans effet sensible, quand les obser-~a~/ons.s ~tendent, sur un grand nombre d'individus. » La notion de regula-rrte statrst.rque est a rapporter au calcul des probabilites: par consequent, ellene condurt nullement a nier la liberte dont precedent les conduites indivi-duelles.

LA CONCILIATION DE LA LOI ET DE LA LlBERTE

II n'y ~, selon Ouetelet, nulle contradiction entre la mise en evidence de loisstatrstrques du comportement social des individus, lois qui ne sont, d'ailleurs,pas celles du modele determinists de Laplace, et I'affirmation de leur liberte~eme s'il para.it que «.T?ut est pr~vu. Tout est regie» par la sagesse supe~rr:u.r: de la ~urssance drvrne. La notron de cause subit, en effet, une mutationdecIsIve: lorn de renvoyer a un ordre de la necessite, elle desiqne des pen-chants, ?es tend.ances, des facteurs incitatifs, des propensions qui n'annulentpas. Ie Irbre arbrtre, mais determinant Ie contexte historique et Ie groupesocral concret dans lequel celui-ci s'exprime a chaque fois.

,Ainsi que I:ec~it Francois Ewald: « Avec la theorie de I'homme moyen,~u:t:let ne fart rren d'autre que proposer un mode d'individualisation desrndrvr?u~ non plu~ a, partir ?'~ux-m~mes, de ce qui serait leur nature ou ce quidevrart etre leur .rdeal, mars a partrr du groupe auquel ils appartiennent (... )Avec la constructron de l'hornrne moyen, Ouetelet n'a rien fait qu'accornplir Iegeste fondateur de la sociologie qui permet de penser la societe et les indivi-

rNorvrouET SOC"~TE

dus qui la composent sans autres references qu'eux-rnernes » (L'Etat-provi-dence, Paris, Grasset, 1986).

LES COMPLEXES COMBINAISONS DES DETERMINATIONS SOCIALES

• Les limites du modele causalIntroduisant I'ouvrage publie a l'issue des travaux d'un serninaire sur la notionde cause dans les sciences sociales, qui s'est tenu entre 1991 et 1992 a l'Uni-versite de Louvain, Robert Franck ecrit : « L'explication causaIe ne se heurtepas seulement a des difficultes rnethodoloqiques et epistemologiques, ellesouleve des reticences ethiques, anthropologiques, philosophiques et ideolo-giques. Appliquer la causa lite a l'hornme, pense-t-on, c'est souscrire au deter-minisme et nier la liberte et c'est vouloir assimiler les phenomenes humains ades phenomenes naturels (naturafisme), c'est gommer la conscience et la rai-son, et c'est ignorer les valeurs de l'esprit » (Faut-il chercher aux causes uneraison? L'explication causale dans les sciences humaines, Paris, Vrin, 1994).Refusant de se laisser enfermer dans cette alternative « mal fondee », I'auteurmontre que la mise en evidence de reqularites empiriques, dans les sciencessociales, ne trouve pas de fondement dans une conception deterrninistesimple. Les relations entre les determinations qui agissent sur les phenomeneshumains sent complexes et se combinent de multiples facons, dont ne peutrendre compte Ie modele causal clos. II faut donc abandonner Ie principe« une cause, un effet », au profit d'une analyse conjuguant une rnultiplicitede causes interagissant les unes sur les autres. Pour certains chercheurs, telMichel Loriaux (« Des causes aux systernes », id.), la causa lite est, en rea lite, unconcept vide, auquel iI convient de preferer celui de systerne.

• La systemique« La systernique (. ..) presente I'avantage decisif d'aborder les ensemblessociaux (institutions, groupes, societes) ainsi que les organismes vivants,comme des systemes, dont Ie fonctionnement ne peut etre compris qu'en sereferant a leur totalite, de facon a mettre en evidence to utes les interactionsdynamiques entre les elements qui les composent » (M. Loriaux, id.).

** *

L'on voit, au terme de ce chapitre inaugural, que I'affirmation de la valeursupreme de I'individu et de sa liberte - affirmation qui est au centre de la

23

INDIVIDUETSOCIETE

pe~s~e de,mocrat~~u: moderne - doit etre penses a la fois dans son rapport~olltlque a la societe, selon que celle-ci est comprise comme etantc f d" di id une asso-~a Ion In IVI us ~u une co~munaute de citoyens, et dans la comprehon-

SIO~de la nature meme du fait social, selon que l'on y voit une rea lite en soiq~, tra~scende e~ quelque sorte la somme des conduites individuelles etdetermine celles-CI au, au contra ire qu'on se contente d'y dec Ithe ...' e er un concept. eonqu~ q~,. dolt toujours etre rapporte aux conduites et croyances subjec-

tl~es des Indl~ldu.s, eux-rnemss dont la responsabilite et la liberte sont en der-mer ressort, inalienables, Si les deux plans politique et socioloqiqus ne sereco~pent.pa~ tout a fait, il ya cependant une logique liberale propre a lapensee qut fal~ d~ I'indivi~u la. val.e~r supreme, et une logique socialiste, aus~ns I~rge, qui denonce la un individualisme eqoiste interdisant la constitu-t~on dune com.munaute fraternelle des hommes. Cependant, c'est peut-etreI~ une alternative yap abrupte dont il conviendrait de s'echappsr ainsi ques y e~orcent certains courants de la sociologie moderne comme on l'a vu edernier, ,n

I:I

Le contrat social

Que la vie en societe repose sur un contrat passe entre les hommes n'est pasune idee aussi neuve qu'habituellement on se I'imagine. Les sophistes grecsvoyaient dans la loi un artifice qu'ils opposaient a la nature, et sans lequel lasociete ne saurait subsister. Socrate parlait de I'engagement du citoyen a res-pecter les lois et a faire ce qu'elles ordonnent (Criton); engagement lui inter-disant, pour son compte, de fuir la mort a laquelle les juges de la CiteI'avaient injustement condarnne. Simone Goyard-Fabre a retrace ce longpasse du contractualisme depuis Platon jusqu'aux penseurs modernes en pas-sant par Epicure, Ciceron et I'invention de I'individualisme dans la critique desUniversaux par Guillaume d'Occam (1270-1347) [L'interminable querelle ducontret; social, Editions de l'Universite d'Ottawa, 1983]. Mais la differenceprincipale, signale-t-elle, qui distingue ces conceptions anciennes de la theoriemoderne du contrat qui surgit avec Thomas Hobbes, c'est que Ie pacte n'y estpas etabli a I'origine de la societe, alors que se developpe a partir duXVlle siecle une theorie de I'institution de la societe qui repose sur Ie passagede l'etat de nature a l'etat de societe.

Les theories du contrat social ont, cependant, fait l'objet de vives cri-tiques dans la tradition intellectuelle liberale qui s'est developpee depuisBenjamin Constant, a la fin du XVllle siede, jusqu'a Friedrich A. Hayek, de nosjours.

L'argument principal que l'on trouve chez ces penseurs est que Ie contrac-tualisme precede d'une vision rationaliste de l'ordre social qui consiste a vou-loir organiser celui-ci selon les reqles d'une perfection theorique, elaborees

.~:;;"0

c:"1;;""'~-cBii:c:oc:"'0.8~.<:c.