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Sommaire
Introduction ......................................................................... 5
I. Le philosophe prêtre : le Socrate privé ............................ 7
Le missionnaire Socrate .................................................. 7 Le signal démonique ....................................................... 9 Socrate sorcier, chaman, guérisseur ............................. 11 Le Socrate d’Aristophane .............................................. 14 Socrate et les mystères d’Éros ....................................... 16 Socrate prophète ........................................................... 22
II. L’expérience socratique du religieux ............................ 25
Le contresens de l’ironie ............................................... 25 Bipolarité inscience / dispensation divine ................... 26 Le modèle de l’initiation ............................................... 31 Rendre raison de traditions .......................................... 37 Le message eudémoniste ............................................... 40
Conclusion .......................................................................... 45
5
La religion de Socrate1
Cependant je ne me rebutai point ; je sentais bien quelles haines j’assemblais sur moi ; j’en étais
affligé, effrayé même : malgré cela, je crus que je devais préférer à toutes choses la voix du dieu.
Apologie de Socrate, 21e 2
Introduction
De 470 à la prononciation de son exécution en 399 av. J.-C.
par l’assemblée d’Athènes, vécut un personnage haut en
couleur dont l’influence allait profondément marquer la
pensée occidentale pour les siècles à venir. Le « père de la
philosophie », selon les mots de Cicéron 3, fut l’épicentre
1 Cet article, écrit en vue d’une adaptation en film documentaire,
est né d’une discussion avec Jean-Luc Périllié, professeur de
philosophie ancienne à l’université Montpellier III et spécialiste de
la question socratique. 2 Nous retenons uniquement pour cet exergue la leçon de Victor
Cousin, sacrifiant la rigueur à l’élégance. 3 Sur la nature des dieux I, 34, 93. Ce n’est pas là dire qu’il fut le
premier penseur, mais qu’il est le premier enregistré par la
tradition à se détourner de l’étude de la nature pour s’intéresser
aux affaires humaines. Cf. E. Boutroux, « Socrate fondateur de la
science morale » (1883), dans Études d’histoire de la philosophie,
6
d’un séisme culturel d’une ampleur comparable à celle
qu’aurait le christianisme dans l’empire romain. Avoir été le
maître de Platon y contribue incontestablement ; mais à
Socrate rendons ce qui lui revient : nul avant lui n’avait fait
de sa quête de vérité une mission de salut public, ni ne
l’avait conduite de manière aussi obstinée, sinon troublante.
Notre époque scientifique, fille des Lumières, fait de Socrate
un penseur qui aurait substitué aux préoccupations
physiques de ses prédécesseurs des inquiétudes morales, un
artisan du basculement du mythe (muthos) au discours
rationnel (logos). Qu’en est-il véritablement ? Le séisme
socratique ne serait-il que le résultat d’un processus de
laïcisation ? Et si la pensée socratique n’était pas si
areligieuse qu’on s’est plu à le dire ? De quel message a-t-il
été le véhicule ? Quel a été, en somme, le fin mot de sa
condamnation ? De quelle forme de révolution a-t-il été
l’instigateur ?
Platon composa vingt dialogues mettant en scène son maître
sous des reliefs souvent poignants, parfois grotesques, mais
toujours déroutants, dont la période de rédaction s’étend sur
plus de 50 ans. Il s’agira pour nous de retrouver dans
l’économie des œuvres du fondateur de l’Académie le
portrait d’un Socrate baroque et fascinant, sous la patine des
Paris, 1897, p. 12-93. Ce désintérêt pour l’étude de la nature qui
valut aux présocratiques le label de « physiciens » procède aussi de
la conviction que l’on ne peut pas déduire de la physique mécaniste
une norme de comportement éthique. Savoir sur quoi fonder cette
norme sera tout l’enjeu de la philosophie morale.
7
commentaires qui en ont voulu faire l’esquisse de son
disciple, une ébauche de Platon.
I. Le philosophe prêtre : le Socrate privé
Socrate est une figure vivante du paradoxe. Voilà donc un
penseur à l’apparence ingrate, sévissant revêtu de son
éternel manteau, pieds nus, humbles parmi les humbles, en
biens comme en esprit, mais pourtant fascinant à plus d’un
titre, et dont le dieu semble avoir fait un interlocuteur
privilégié. On expliquera difficilement que le défenseur de
la rationalité ait perdu la raison. Ce n’en est pas moins un
missionnaire, une figure inspirée que trahissent les
descriptions de Platon.
Le missionnaire Socrate
L’événement fondateur de la vocation de Socrate, Platon le
livre dans son Apologie, une reconstitution qu’on a toute
légitimité à tenir pour fidèle des minutes du procès :
Vous savez bien aussi quelle sorte d’individu était
Chéréphon, quelle impétuosité il mettait dans tout
ce qu’il entreprenait. En particulier, un jour qu’il
s’était rendu à Delphes, il osa consulter l’Oracle
pour lui demander – et n’allez pas, je le répète,
m’interrompre par vos cris, citoyens – si, en fait, il
pouvait exister quelqu’un de plus savant que moi.
Or la Pythie répondit qu’il n’y avait personne de
plus savant. Et sur ce point, c’est son frère qui
8
portera témoignage devant vous, puisque
Chéréphon est mort.4
Socrate, abasourdi, se donnera alors pour tâche de révéler le
sens caché de la parole du dieu5. S’il n’est en effet pas permis
au dieu de mentir 6 , la signification de l’oracle reste à
élucider. Artisans, politiciens, devins, sophistes sont mis à la
question. Lui ne sait rien, mais que savent-ils ? Le résultat de
l’enquête est édifiant. Ils croient savoir, et tous autant qu’ils
sont, se leurrent. Socrate lui seul ne prétend pas savoir ce
qu’il ne sait pas : il sait qu’il ne sait rien. Et c’est
précisément, nous le verrons, cette sagesse d’ordre supérieur
qui le rend disponible aux incursions de la divinité, au rôle
de moyen terme entre la science divine et l’opinion. De là sa
réinterprétation en termes de mission sacrée de la réponse
du dieu : Socrate affirme lui prêter main forte7, se dit son
serviteur8 ; il est son don à la cité d’Athènes 9 , appelé à
traduire l’ignorance de ses contemporains, qui les empêche
4 Apologie de Socrate, 21a. Nous reprenons les traductions de
référence issues des Œuvres complètes de Platon, publiées sous la
direction de Luc Brisson aux éditions Flammarion en 2011. 5 La procédure de la réfutation (elenchos) trouve son premier objet
en ces paroles oraculaires, auquel devra décidément se rendre un
Socrate incrédule. « J'allais trouver un de ceux qui passent pour
être des savants, en pensant que là, plus que partout, je pourrais
réfuter la réponse oraculaire et faire valoir ceci à l’Oracle […] »
(Apologie de Socrate, 21c). 6 Ibid., 21b. 7 Ibid., 23b, 30a. 8 Ibid., 28e, 30a, 33c. 9 Ibid., 30e, 31a.
9
de devenir meilleurs. Tout porte à croire que philosopher se
confond pour Socrate avec un acte de piété.
Le signal démonique
Pour le moins intrigante est l’aide pour cette mission que
Socrate reçoit de son signal démonique (daimonion sêmeion) 10 . Chose étonnante pour un penseur mis au
fondement de la pensée rationnelle, Socrate se heurtait de
son propre aveu, chaque fois qu’il s’apprêtait à perpétrer une
injustice, à une forme de veto providentiel. C’est à propos de
son désengagement de l’institution politique que Socrate
pour la première fois mentionne cet octroi bien particulier :
Cela tient à ce que, comme vous me l’avez maintes
fois et en maints endroits entendu dire, se
manifeste à moi quelque chose de divin, de
démonique, dont précisément fait état Mélétos dans
l’action qu’il a intentée, en se comportant comme
un auteur de comédie. Les débuts remontent à mon
enfance. C’est une voix qui, lorsqu’elle se fait
entendre, me détourne toujours de ce que je vais
faire, mais qui jamais ne me pousse à l’action. Voilà
ce qui s’oppose à ce que je me mêle des affaires de la
cité, et c’est là – pour ma part je le crois – une
opposition particulièrement heureuse. Car
sachez-le, Athéniens, si j’avais entrepris de me
mêler des affaires de la cité, il y a longtemps que je
10 République VI, 496c-e.
10
serai mort et que je ne serais plus d’aucune utilité ni
pour vous ni pour moi-même.11
Signe divin qui non seulement détourne Socrate de prendre
activement part aux affaires politiques, mais qui – précise
l’intéressé – l’empêche d’agir à mal. Et le préserve ainsi du
mal… quoi qu’il ne l’a pas empêché de provoquer ses juges
au cours de son procès. Comment comprendre cette
occasion manquée ? Socrate nous donne lui-même la clé de
cette énigme :
C’est que ce qui m’arrive a des chances d’être un
bien pour moi, et que tous, tant que nous sommes,
nous nous trompons quand nous nous imaginons
que mourir est un mal. Ceci en est pour moi une
preuve décisive : il n’eût pas été possible, en effet,
que le signe qui m’est familier ne se fût point
opposé à moi, si ce que j’allais faire n’eût pas été
une bonne chose.12
Socrate n’était peut-être pas d’ailleurs le seul à « entendre
des voix » ; et de citer Théagès comme autre candidat
probable à cette visitation divine13, puis, de manière plus
allusive, ses précurseurs :
11 Apologie de Socrate, 31c-d. 12 Ibid., 40a-b. 13 « Peut-être le frein qui retient encore notre compagnon Théagès
est-il susceptible d’en retenir quelques autres ; car tous les autres
facteurs ont été mis en œuvre pour tenir Théagès à l’écart de la
philosophie, alors même que la préoccupation de ses malaises
physiques le retient, le gardant éloigné des affaires politiques »
(République VI, 496b-c). On note que le nom Théagès signifie
11
Mon cas personnel – le signe démonique – ne
mérite pas qu’on en parle ; parmi ceux qui m’ont
précédé, il ne s’est produit que rarement, et
peut-être même chez personne. Or, ceux qui font
partie de ce petit nombre, ceux qui ont goûté la
douceur et la félicité d’un tel trésor, ils ont
pleinement pris conscience de la folie de la
multitude […] 14
Socrate sorcier, chaman, guérisseur
Il n’y a pas loin du daïmon aux esprits invoqués par la
tradition chamane occidentale ; ni du Socrate médecin de
l’ignorance au sorcier guérisseur. Et ce n’est pas sans raison
que cette filiation a fait l’objet de travaux orientalisants15.
Socrate aurait été, selon des spécialistes, l’un des
introducteurs en Grèce de schèmes de pensée hyperboréens.
Témoignent dans ce sens la personnalité schizophrénique et
bipolaire du philosophe, ses aptitudes d’ensorceleur, sa
faculté de communication avec les êtres invisibles, ses
fulgurances, ses moments d’enthousiasme fiévreux… et
contagieux, si l’on en juge aux réactions en chaîne que sa
parole charismatique suscite chez nombre de ses
littéralement « dieu (theos) guide (agein) ». Socrate mentionne déjà
ce personnage au nombre des témoins venus plaider sa cause
devant le tribunal d’Athènes (Apologie de Socrate, 33e). 14 République VI, 496c-e. 15 Sur l’influence possible du chamanisme d’Europe du Nord sur les
cultes à mystères et sur la pensée grecque en général, cf. E. R.
Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, chap. V : « Les chamans grecs »,
Berkeley, Champs-Flammarion, 1997, p. 141 sq.
12
interlocuteurs. Tout aussi surprenant est le récit que fait
Socrate dans le Charmide de son initiation auprès de
guérisseurs-chamanes du nord de la Grèce. Socrate n’aura de
cesse ensuite de cette rencontre que de mettre en valeur les
mérites des incantations au détriment de la médecine
rationnelle, hippocratique, qui se développe en Grèce.
Le caractère « déroutant » (atopos) de Socrate 16 revient
comme un leitmotiv dans le fil des dialogues17. Il n’est que
de relire la confession de Ménon dans le dialogue éponyme :
Socrate, j’avais entendu dire, avant même de te
rencontrer, que tu ne fais rien d’autre que
t’embarrasser toi-même et mettre les autres dans
l’embarras. Et voilà que maintenant, du moins c’est
l’impression que tu me donnes, tu m’ensorcelles, tu
me drogues, je suis, c’est bien simple, la proie de
désenchantement, et me voilà plein d’embarras !
D’ailleurs, tu me fais totalement l’effet, pour railler
aussi un peu, de ressembler au plus haut point, tant
par ton aspect extérieur que par le reste, à une raie
torpille, ce poisson de mer tout aplati. Tu sais bien
que chaque fois qu’on s’approche d’une telle raie et
qu’on la touche, on se trouve plongé, à cause d’elle,
dans un état de torpeur ! Or, j’ai à présent
l’impression que tu m’as bel et bien mis dans un tel
état. Car c’est vrai, je suis tout engourdi, dans mon
16 N. Grimaldi, Socrate le sorcier, Paris, PUF, Perspectives
critiques, 2004. 17 Voir, en autres Alcibiade, 106a ; Banquet, 215a, 221c-d ; Phèdre,
229c, 230c ; Thééthète, 149a.
13
âme comme dans ma bouche, et je ne sais que
répondre. Des milliers de fois pourtant, j’ai fait bon
nombre de discours au sujet de la vertu, même
devant beaucoup de gens, et je m’en suis
parfaitement bien tiré, du moins c’est l’impression
que j’avais. Or voilà que maintenant je suis
absolument incapable de dire ce qu’est la vertu.
Aussi je crois que tu as pris une bonne décision en
ne voulant ni naviguer ni voyager hors d’ici. Car si
tu te comportais comme cela, en tant qu’étranger,
dans une autre cité, tu serais vite traduit en justice
comme sorcier !18
Le terme d’« incantation » utilisé pour caractériser les saillies
de Socrate doit être interprété comme une désignation de la
réfutation, comme il ressort explicitement de l’entretien du
Charmide19. Parallélisme étrange si l’on veut faire de celle-ci
une marque du discours rationnel et de celle-là un chant
sacré. C’est que leurs effets sont similaires : elles
hypnotisent, font défaillir l’ensorcelé, le plongent dans
l’embarras le plus épais, le mettent à la merci du récitant20
comme le reptile devient le danseur captif du charmeur de
serpent 21 . Socrate pourrait, selon Ménon, être accusé de
sorcellerie. Prophétique mise en garde qui dit assez l’état
18 Ménon, 79e-80d. 19 Charmide, 157a. 20 Embarras (aporia) maintes fois souligné par Platon. Cf.
Alcibiade, 116e ; Ion, 532b-c ; Euthyphron, 12a, Lachès, 194a-b,
200e ; Charmide, 169c ; Gorgias, 522b ; Lysis, 213c-d ; Ménon, 80c ;
République I, 334b ; Philèbe, 20a ; Théétète, 149a. 21 République II, 358b.
14
d’esprit des Athéniens d’alors à l’égard d’un paria, étranger
dans sa propre cité.
Le Socrate d’Aristophane
Les comédies d’époque prenant Socrate pour cible ne sont
pas moins révélatrices de la réputation de marginal qu’il
s’était taillé. Pas moins de cinq auteurs ont œuvré à le
ridiculiser. Aristophane, dans les Nuées, dresse le portrait à
charge d’un authentique illuminé 22 . C’est l’archétype du
savant fou qui perce derrière un homme que le spectateur
découvre suspendu dans une nacelle, les yeux rivés au ciel.
Ce physicien – selon la dénomination que donnait Aristote
aux théoriciens de la nature – arbore des allures de sophiste,
et son école sobrement dénommée le Pensoir
(phrontisteriôn), accueille des étudiants afin de leur
enseigner l’art de faire triompher l’argument le plus faible.
L’admission de nouveaux disciples présente en outre un
caractère initiatique, et le secret fait loi. Nous ne sommes
pas loin des pratiques ayant cours alors dans le cadre des
cultes à mystères23.
22 Les Nuées ; Les Oiseaux ; Les Grenouilles. 23 Platon aurait lui-même soutenu une philosophie ésotérique dont
il n’a rien laissé paraître par écrit, sinon des allusions éparses (cf.
notamment République, 504c et Timée, 48c). Certains parmi ses
proches ont été plus loquaces : ainsi de Théophraste, d’Hermodore,
de Speusippe et de Xénocrate. Et, bien évidemment, du Stagirite
qui emploie l’expression de « doctrine non-écrite » (ágrapha dógmata), attirant l’attention sur le caractère ininscriptible de ce
savoir à l’intention des initiés. Quelques détails plus substantiels
concernant cet enseignement sont avancés en Physique, IV, 2,
15
En marge du culte officiel de la cité – celui des dieux de
l’Olympe et de la divinité poliade – existait en effet des
cultes parallèles, secrets, teintés d’une forte dimension
initiatique. Les Grecs s’y engageaient à titre personnel,
espérant y trouver une voie de salut et une réponse aux
grandes questions existentielles. Les mystères grecs
promettaient l’éternelle félicité à qui se soumettait à ces
initiations. Platon évoque les plus typiques, les cultes
orphiques, par la voix d’Adimante dans le deuxième livre de
la République. Or, tout se passe comme si les Nuées étayaient l’hypothèse de mystères socratiques sur le modèle
des mystères d’Éleusis.
Autre fait remarquable : la pièce d’Aristophane énumère
point par point les chefs d’accusation adressés à Socrate au
cours de son procès : il méconnaît les dieux de la cité, leur
substitue de nouvelles divinités ici représentées par la triade
des Nuées, du Vide et de la Langue, et corrompt la jeunesse
en la personne de Philippide. Comme en avertissement,
l’école du philosophe est incendiée. Voilà qui porte à
rehausser la valeur de témoignage d’une caricature brossée
du vivant de l’intéressé. Nous avons vraisemblablement
affaire à un Socrate qui tient de l’inquiétant, et que l’auteur
comique a fait le choix de traiter par le ridicule. Nous
sommes décidément bien loin du Socrate lisse et sans
aspérités, parangon de rationalité, dont nous avons retenu
l’image.
209b15. Voir également Aristoxène dans ses Éléments d’harmonie,
II, 10.
16
Socrate et les mystères d’Éros
Et les révélations de l’Alcibiade du Banquet ne feront
qu’aggraver notre état de confusion. La laideur de Socrate
n’empêchait pas qu’il fût un redoutable séducteur. Ivre et
frustré de n’avoir pas su faire plier Socrate à ses désirs
charnels, le jeune homme se livre à des révélations teintées
de mystérisme sur le Socrate privé24 :
C’est en effet qu’il est une chose que j’ai omis de
dire en commençant, à savoir que ses discours aussi
sont tout à fait pareils aux silènes que l’on ouvre.
Car, si l’on se donne la peine d’écouter les discours
de Socrate, ses discours donnent au premier abord
l’impression d’être parfaitement ridicules ; ses mots
et ses phrases qui forment une enveloppe
extérieure, on dirait la peau d’un satyre insolent. En
effet, il parle d’âne bâté, de forgerons, de
cordonniers, de tanneurs, et il a toujours l’air de
dire la même chose en utilisant les mêmes termes,
si bien que n’importe qui, ignorant ou imbécile,
peut tourner ses discours en dérision. Mais une fois
ces discours ouverts, si on les observe et si on
pénètre en leur intérieur, on découvrira d’abord
24 Notre exposé doit beaucoup à la thèse d’habilitation de Jean-Luc
Périllié, publiée sous le titre Mystères socratiques et traditions orales de l'eudémonisme dans les Dialogues de Platon, Academia
Verlag, Sankt Augustin, 2015. L’avoir connu comme professeur et
guide dans les méandres des dialogues platoniciens est une chance
peu commune pour un jeune postulant à philosophie. Nous l’en
remercions chaleureusement.
17
qu’ils sont dans le fond les seuls à avoir du sens, et
ensuite qu’ils sont on ne peut plus divins, qu’ils
recèlent une multitude de figurines de l’excellence,
que leur portée est on ne peut plus large, ou plutôt
qu’ils mènent à tout ce qu’il convient d’avoir
devant les yeux si l’on souhaite devenir un homme
accompli.25
Socrate n’est pas Silène que par son apparence ou son
comportement ; il ne l’est pas que de faciès comme l’entend
Xénophon dans son propre Banquet ; ni par lubricité, lui,
l’amant « platonique » par excellence qui dénia ses faveurs à
l’ardent Alcibiade : il l’est par la parole ; il l’est de l’intérieur.
Socrate apporte à la philosophie quelque chose de nouveau,
de proprement « inouï », de jamais vu auparavant : « Mais
une telle originalité, un tel homme, de tels discours, on
aurait beau chercher, on, ne trouverait rien qui y
ressemblât, ni chez les anciens, ni chez les modernes », se
résigne Alcibiade. Et sitôt d’ajouter : « parmi les hommes du
moins »26… Des hommes, Socrate n’a ainsi ni l’allure ni la
parole. Si bien que la question ne paraîtrait pas si déplacée :
Socrate, pour ses contemporains, n’était-il rien qu’un
homme ? Combien de fois ne s’entend-il pas appeler «
homme démonique » ou « homme divin » (theios aner),
assimilé au hiérophante de Dionysos, voire au daïmon –
divinité intermédiaire 27 – Éros ? 28 Que signifient, à cet
25 Banquet, 221e-222a. 26 Ibid., 221d. 27 La nature des daïmon est révélée dans la théogonie de
l’Épinomis, apostille supposé aux Lois : « Après eux [les
18
égard, les réactions de « conversion spectaculaire » que les
« germes » de ses discours suscitent auprès de leurs auditeurs
– même différés ?
dieux-astres], et immédiatement au-dessous d’eux, viennent les
daïmon […] (Épinomis, 984d). Notons que le Timée assimile la
partie intellectuelle de l’âme à un daïmon : « En ce qui concerne
l’espèce d’âme qui en nous domine, il faut se faire l’idée que voici.
En fait, Dieu a donné à chacun de nous, comme démon, cette
espèce d’âme dont nous disons, ce qui est parfaitement exact,
qu’elle habite dans la partie supérieure de notre corps, et qu’elle
nous élève au-dessus de la terre vers ce qui, dans le ciel, il est
apparenté car nous sommes une plante non pas terrestre, mais
céleste. C'est à cette région, en effet, à partir de laquelle poussa la
première naissance de l’âme, que l’espèce divine accroche notre
tête, c'est-à-dire nous enracine, et maintient ainsi tout notre corps
droit » (Timée, 90a). 28 Banquet, 215e. Ce daïmon-ci a peu à voir avec celui du
proverbial signal rencontré plus avant. Éros n'est pas un dieu, nous
instruit la prêtresse orphique Diotime dans le discours rapporté que
fait Socrate de son initiation aux mystères de l’amour (éros), il est
un « grand démon » (ibid., 202d), un être intermédiaire entre
l'humain et le divin. Éros, déclare Diotime, « n’a pas de gîte,
couchant toujours par terre et à la dure, dormant à la belle étoile
sur le pas des portes et sur le bord des chemins, car puisqu’il tient
de sa mère, c’est l’indigence qu’il a en partage. À l’exemple de son
père en revanche, il est à l’affût de ce qui est beau et de ce qui est
bon, il est viril, résolu, ardent, c’est un chasseur redoutable ; il ne
cesse de tramer des ruses, il est passionné de savoir et fertile en
expédients, il passe tout son temps à philosopher, c’est un sorcier
redoutable, un magicien et un expert » (ibid., 203d). Mais n’est-ce
pas là, en fin des fins, tout le portrait de Socrate ?
19
Qu'on songe au récit de la conversion « érotoïde » qui fut
celle d’Aristippe à la philosophie de Socrate par le
truchement de l’un de ses disciples :
Lorsqu’Aristippe aux jeux Olympiques rencontre
Isomaque, il le questionne sur les discours par
lesquels Socrate se rend la jeunesse si affectionnée ;
et quand il a recueilli quelques petits germes,
quelques échantillons de cette doctrine, il s’y
attache avec tant de passion que son corps
succombe. Il devient tout pâle et tout maigre. Il n’a
pas de repos qu’il n’ait fait voile pour Athènes. Il y
apaise la soif qui le consume, il puise à la source
même. Il approfondit le sage, ses discours, et sa
philosophie qui enseigne aux hommes à connaître
leurs défauts et à s’en débarrasser.29
29 Plutarque, De la Curiosité, dans Œuvres morales, 516c. On lira
également la conversion d’Antisthène rapportée par Diogène
Laerce. Le fondateur de l'école cynique, si l'on en croit le
compilateur, n'aurait pas hésité à parcourir chaque jour une
distance formidable pour rejoindre son maître : « Hermippe
rapporte qu’il avait eu dessein de faire dans la solennité des jeux
isthmiques l’éloge et la censure des Athéniens, des Thébains et des
Lacédémoniens ; mais que, voyant un grand concours à cette
solennité, il ne le fit pas. Enfin il devint disciple de Socrate, et fit
tant de progrès sous lui, qu’il engagea ceux qui venaient prendre
ses leçons à devenir ses condisciples auprès de ce philosophe. Et
comme il demeurait au Pirée, il faisait tous les jours un chemin de
quarante stades pour venir jusqu’à la ville entendre Socrate. Il
apprit de lui la patience ; et ayant conçu le désir de s'élever
au-dessus de toutes les passions, il fut le premier auteur de la
philosophie cynique. Il prouvait l’utilité des travaux par l'exemple
20
Il en va de Socrate comme des Sirènes d’Homère : ses
discours « captivants », dans les deux sens du terme, «
ravissent » aussi dans les deux sens du terme. Ils dépossèdent
leurs auditeurs de toute mesure pour faire plier leur âme, les
soumet à la transe, à l’enthousiasme communicatif d’une
manière de « gourou charismatique » :
Toi [déclare Alcibiade à l’adresse de Socrate], tu te
distingues de Marsyas sur un seul point : tu n’as pas
besoin d’instruments, et c’est en proférant de
simples paroles que tu produis le même effet. Une
chose est sûre ; quand nous prêtons l’oreille à
quelqu’un d’autre, même si c’est un orateur
particulièrement doué, qui tient d’autres discours,
rien de cela n’intéresse, pour ainsi dire, personne.
En revanche, chaque fois que c’est toi que l’on
entend, ou que l’on prête l’oreille à une autre
personne en train de rapporter tes propos, si
minable que puisse être cette personne, et même si
c’est une femme, un homme ou un adolescent qui
lui prête l’oreille, nous sommes troublés et
possédés.
Pour ma part, Messieurs, si je ne risque pas de
passer à vos yeux pour quelqu’un de complètement
ivre, je vous dirai, sous la foi du serment, quelle
impression j’ai ressentie et ressens encore
du grand Hercule parmi les Grecs, et par celui de Cyrus parmi les
étrangers » (Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres VI, 2).
21
maintenant à l’écoute des discours de cet individu.
Quand je lui prête l’oreille, mon cœur bat beaucoup
plus fort que celui des corybantes et ces paroles me
tirent des larmes ; et je vois un très grand nombre
d’autres personnes qui éprouvent les mêmes
impressions. Or, en écoutant Périclès et d’autres
bons orateurs, j’admettais sans doute qu’il s’exprime
bien, mais je n’éprouvais rien de pareil, mon âme
n’était pas troublée, et elle ne s’indignait pas de
l’esclavage auquel j’étais réduit. Mais lui, ce
Marsyas, il m’a bien souvent mis dans un état tel
qu’il me paraissait impossible de vivre comme je le
fais ; et cela Socrate tu ne diras pas que ce n’est pas
vrai. En ce moment encore, et j’en ai conscience, si
j’acceptais de lui prêter l’oreille, je ne pourrais pas
rester insensible, j’éprouverais les mêmes émotions.
En effet, il m’oblige à admettre que, en dépit de
tout ce qui me manque, je continue à n’avoir pas
souci de moi-même, alors que je m’occupe des
affaires d’Athènes. Je me fais donc violence, je me
bouche les oreilles comme pour échapper aux
sirènes, je m’éloigne en fuyant, pour éviter de rester
assis là à attendre la vieillesse auprès de lui.30
Le satyre Socrate est plus, bien davantage que sa bestialité :
il est d’essence divine. Platon sous le masque d’un Alcibiade
désabusé et aviné divulgue sa nature d’homme démonique
(théos anêr) protégé par le secret de quelques initiés. Socrate
est un maître en incantation, un exorciste prosélyte31, un
30 Ibid., 215c-216b. 31 Cf. Phédon, 77e-78a.
22
enchanteur dont l’enthousiasme est communicatif ; il en est
quitte pour susciter de véritables transes ; il fait battre les
cœurs « comme ceux des corybantes ». Lui-même est
« habité », et joue le rôle d’intermédiaire entre le monde des
hommes et les arcanes divins.
Socrate prophète
L’emploi du terme de « prophétisme » ne serait pas abusif
pour caractériser cette médiation. Loin de se contenter de
réfuter les faux savoirs de ses contemporains, tout se passe
comme si Socrate était lui-même le réceptacle des discours
autonomes qui s’humanisent à travers lui ; comme si les
vérités sur la philosophie, l’amour et le divin,
instrumentalisaient Socrate pour se répandre, selon un
procédé semblable à celui de la pierre de magnésie décrit
dans l’Ion.
À propos de la proposition centrale du dialogue du Gorgias, que l’homme juste est heureux, et malheureux l’injuste, le
philosophe précise : « Ne sois donc pas étonné de ce que je
dis, ou sinon, fais que la philosophie, ma bien-aimée, soit
elle aussi empêchée de parler. Car tout ce que tu m’entends
dire, mon cher ami, c’est toujours elle qui me le fait dire […]
»32. Voilà donc la philosophie prenant le statut d’instance, et
possédant Socrate comme la muse le poète.
Le même phénomène semble être à l’œuvre dans le Criton
lors de la prosopopée des Lois qui voit Socrate se faire
32 Gorgias, 482a.
23
répétiteur de discours animés33. Il devient l’instrument de
parole des voix qui le harcèlent : « Voilà, sache-le bien, mon
ami Criton, ce que moi je crois entendre, à l’instar des
corybanthes, qui croient entendre des auloi ; et, en moi, le
son de ces paroles bourdonne et m’empêche d’en entendre
d’autres »34. Corybantique aussi, la « digression » (parerga)
du Théétête n’est rien de moins qu’un discours inspiré,
c’est-à-dire enthousiaste. Si le Criton relate un projet
d’évasion et les raisons de son sabotage par son bénéficiaire,
les dernières heures du condamné font l’objet du Phédon,
autre dialogue empreint de pythagorisme. Et c’est cette fois
un long discours (un logos philosophikos)35, discours divin36,
de facture pythagoricienne qui vient, à travers lui, traiter de
la nécessité de délier l’âme du corps.
Cette position confine dans le Cratyle à une véritable
frénésie verbale ; Platon nous dit Socrate atteint par le
délire, en proie à une crise d’hystérie portée à son degré
d’incandescence clinique. Citons enfin le Banquet, dialogue
le plus caractéristique de l’idiosyncrasie de Socrate. Éros,
lui-même intermédiaire entre les hommes et les dieux, fait
de Socrate le vecteur de ses discours porteurs de theia sophia, sagesse divine37.
33 Criton, 50 a-c. 34 Criton, 54d.
35 Ibid. 66b. 36 Voir l’expression « tis theios logos » en 85d. 37 Banquet, 230a.
24
Et les exemples pourraient être multipliés. Chaque fois qu’il
est question de philosophie ou des messages livrés par la
philosophie, ce n’est pas le personnage de Socrate, mais les
Discours qui parlent. Cette relecture a l’avantage de
démontrer que l’énonciation de paroles de vérité par Socrate
ne contredit pas sa déclaration de non-savoir : de ces
discours, il n’est jamais l’auteur ; ce n’est pas lui qui sait, il
ne fait qu’énoncer, mais c’est à lui de comprendre.
25
II. L’expérience socratique du religieux : dépréciation, inspiration, initiation
Socrate, en effet, ne se prévaut d’aucun savoir. Enjeu
fondamental, en ce que ce « vide » est la condition
nécessaire (non suffisante) à l’inspiration. Cette profession
d’inscience s’exprime à travers la célèbre autant que mal
comprise « ironie socratique ».
Le contresens de l’ironie
« Ce qui est certain, c’est que cette sottise des incapables
[…], Socrate la persécuta, la confondit avec un étonnant
bonheur de paroles et d’exquises façons : soit qu’il affectât de ne rien savoir du tout, soit qu’il camouflât sa science »38.
Ces propos d’Augustin témoignent, au-delà d’un contresens,
d’une mécompréhension rédhibitoire de la psychologie de
Socrate. L’on veut absolument faire un savant du « père de la
philosophie », en oubliant le sens antique d’ironeia : celle-ci
n’est pas une feinte, un stratagème, mais bien chez les
Anciens, comme Aristote, le contraire de la vantardise
(alasoneia). Il s’agit moins d’humilité que
d’auto-dépréciation, de déficit d’ego, aux frontières du
pathologique. Socrate avait d’ailleurs été catalogué dans les
Problemata (pseudo-)aristotéliciens comme un
mélancolique 39 . Prendre au sérieux l’ironie socratique
38 Cité de Dieu VIII, 3 (trad. L. Jerphagnon). Sur l’ironie socratique
interprétée comme ruse et dissimulation, cf. aussi Cicéron, Brutus 293 ; Acad Prior. II, 5, 15-16 ; Des devoirs I 30, 108. 39 Aristote, Problèmes, éd. et trad. Pierre Louis, Paris, 1991-1994,
probl. 30.
26
signifie restituer au personnage une dimension
authentiquement dépressive. Laquelle se manifeste par des «
crises », des « embarras », comme c’est le cas dans
l’Euthydème : Socrate ignore vraiment ce qu’est la science.
De là un rapport au sacré éminemment singulier. Franc
d’opinions, pur en lui-même, Socrate est disponible à la
révélation. Ses crises trouvent une résolution dans l’abandon
à la divinité. Son inquiétude intense est relayée par
l’enthousiasme, au sens de possession par le souffle divin.
Cet enthousiasme, corrélatif de l’extrême humilité de
Socrate, est tributaire d’une dotation qu’il revendique dans
ce qui a toutes les apparences d’une question oratoire : «
Suis-je un animal plus paisible et plus simple, qui participe
naturellement à une destinée divine et qui n’est pas enfumé
d’orgueil ? »40. Cette destinée divine fait signe en direction
de la théia moira. En marge des fonctions parallèles de
sauvetage des discours anciens41 et d’apologétique, bien des
dialogues pourraient être relus à la lumière de cette
alternance entre d’une part, l’inscience (amatia) et, d’autre
part, la sagesse dévoilée via la dispensation divine (théia moira).
Bipolarité inscience / dispensation divine
Cette bipolarité inscience / dispensation divine est placée
sous le signe de la métaphore dans un passage du Théétète
40 Phèdre, 230a. 41 Cf. T.A. Szlezak, Le Plaisir de lire Platon, trad. M.-D. Richard,
Paris, la Nuit surveillée, Paru, 1997.
27
où pour la première fois est divulguée la vocation de
maïeuticien – d’accoucheur d’âme – du philosophe :
[…] J’ai au moins cet attribut, qui est propre aux
accoucheuses : je suis impropre à la conception d’un
savoir, et ce que beaucoup m’ont déjà reproché, à
savoir que je questionne les autres mais que
moi-même je ne réponds rien sur rien, parce qu’il
n’y a en moi rien de savant, c’est un fait véritable
qu’ils me reprochent. Et la cause de ce fait, la voici :
procéder aux accouchements, le dieu m’y force,
mais il me retient d’engendrer. Le fait est donc que
je ne suis moi-même absolument pas quelqu’un de
savant, pas plus qu’il ne m’est survenu, née de mon
âme, de découverte qui réponde à ce qualificatif
[…]42
Il apparaît ici que le même dieu qui permet à Socrate,
contraint Socrate, de faire parler la vérité lui a aussi ôté
toute possibilité de l’engendrer lui-même. Un don ne va pas
sans une malédiction. Traitant de la possibilité de définir et
d’enseigner les vertus, le dialogue du Ménon dégage
explicitement le caractère complémentaire de l’ignorance et
de la « possession » divine, au sens double du terme.
L’impossibilité de trouver une issue au problème formulé,
ajoutée à l’état de confusion dans lequel sont jetés les
protagonistes, sera l’occasion de donner tout son rôle à la
théia moira. Surgit le thème de l’inspiration ; la référence
aux prêtres et prêtresses replace la discussion dans le
paysage de la théologie orphique.
42 Théétète, 150c-150d.
28
Mais qu’est-ce que cette théia moira, qui semble, chez
Socrate, conditionnée par l’ignorance ?
« Part » ou « dispensation divine » 43 sont autant de
traductions possibles de ce qui se manifeste comme un
privilège électif. Ce privilège consiste en l’étincelle
d’extralucidité et de magnétisme contagieux dont ont
bénéficié certains orateurs, hommes politiques, poètes et
musiciens. Il constitue le ressort de l’inspiration, permet de
faire parler la muse44, le dieu ou le daïmon en soi. Il est à
l’origine des intuitions, des fulgurances et des savoirs
inaccessibles à la parole qui font de son bénéficiaire, s’il est
un philosophe, un candidat à la sagesse. On voit par là que la dispensation divine est à différencier du signal démonique,
bien qu’il arrive dans les dialogues que l’interpellation par
43 L'expression theou moira est mentionnée en République VI,
493a. « Une part [venant] d’un dieu » rend compte de l’expression
grecque theou moiran que l'on ne trouve qu’à deux reprises dans
les dialogues : en ce lieu même et dans le Critias, en 121a. On ne
relève en revanche pas moins de 14 occurrences de l’expression
theia moira : Protagoras, 322a ; Ménon, 99e, 100b ; Apologie de Socrate, 33c ; Phèdre, 230, 244c ; Phédon, 58e ; Ion, 534c, 535a,
536c, 536d, 542a ; Lois I, 642c et IX, 875c. 44 L’appel aux muses inspiratrices, aux suivantes d'Apollon (dieu
tutélaire des pythagoriciens) et filles de Mnémosyne (déesse
orphique par excellence) est un trope codifié de la poésie lyrique.
Socrate ne laisse pas aussi d’y recourir, le plus souvent lorsqu’il
s’apprête à relater un mythe ou à transmettre la parole des
Anciens. Ainsi en Lois IV, 718a, Lettre VII, 326e et en Sophiste,
216b ; mais également dans le Banquet de Xénophon, I, 11.
29
celui-ci conduise à une évocation de celle-là45. Uniquement
dissuasif, le signal n’apporte aucun contenu dont la raison
aurait à faire l’herméneutique. Car c’est bien là toute
l’entreprise de Socrate, commencée dès l’Oracle rendu à
Delphes : comprendre et faire comprendre le bien-fondé des
vérités divines.
Les origines et les implications de cette notion de théia moira seraient, une nouvelle fois, à rechercher du côté de la
mythologie orphique. Et plus précisément, de la légende
sacrée de la naissance, du meurtre et de la résurrection de
Dionysos, né Zagreus, ce dieu étrange au profil ophidien
sous le patronage duquel se place le Socrate silénique des
mystères du Banquet.
La reconstitution de l’Ancien Récit 46 s’est établie par
addition et recoupement de fragments épars, d’allusions plus
ou moins discrètes et de vers d’initiés (mústês) ayant filtré à
l’extérieur des thiases47. Il met en scène le projet meurtrier
de la jalouse Héra, épouse déshonorée par son époux volage.
Zeus, infidèle, revêt le déguisement d’un animal pour
séduire Perséphone – future reine des enfers – qui en
conçoit un fils, Zagreus. Zagreus est confié à Apollon et aux
Curètes, chargés de sa protection. Héra l’apprend et, dans
45 Socrate est dans le Phèdre interpellé par le signal ; intervient
ensuite le thème de la théia moïra. 46 Il s’agirait du Palaios logos esquissé dans le Phédon. 47 En résulte une version recomposée par C.A. Lobeck dans son
Aglaophamus, régulièrement revisitée à l’aune des nouvelles
découvertes de l’archéologie. Cf. C.A. Lobeck, Aglaophamus. De theologiae mysticae graecorum causis, Borntraeger, 1829, p. 547 sq.
C’est cette version que nous résumons ici.
30
son ire, somme les titans de retrouver l’enfant. Les créatures
n’ont qu’à suivre les jouets abandonnés de Zagreus pour
remonter la piste jusqu’à son refuge au creux du mont
Parnasse. L’enfant est déchiré, dilacéré comme les proies des
ménades ou des bacchantes de la légende d’Orphée ; on le
partage en neuf morceaux, tous dévorés à l’exclusion du
cœur. Zeus découvrant la scène déclenche le premier déluge
et foudroie les titans. Son héritier renaît sous le nom de
Dionysos : le « deux fois né ». Des cendres des titans mêlés
aux restes de Zagreus naissent les premiers mortels.
Le mythe, de souche orphique, a pour fin d’expliquer la
nature composite, à la fois divine et bestiale, intellectuelle et
spirituelle de l’homme. Il rend raison du noûs, cette
étincelle divine qui habite l’homme et l’enracine au ciel. Ce
fragment du divin resté mêlé en l’homme avec les chairs des
titans sacrilèges après que Zeus les a réduits en cendres, ne
serait autre que la « part divine ». Celle-ci, en droit, serait
donc possédée par tous ; mais n’est redécouverte que par
quelques élus, les « purifiés ».
Nul espoir d’échapper à la corruption ambiante et à l’empire
de l’opinion sans le secours de la théia moïra. Si des
individus tels que Socrate ou des poètes peuvent en être
investis naturellement, il est possible à d’autres de l’activer à
leur tour en se laissant contaminer par les premiers. La
transmission du message socratique se fait à la faveur de «
germes de discours » ; ces germes provoquent les symptômes
caractéristiques de la maladie d’amour, suscitent une
conversion des auditeurs qui deviennent les apôtres d’une
véritable Bonne Nouvelle. Nous verrons que ce parallèle
avec les Évangiles n’a rien de gratuit ; et ce n’est pas sans
31
raison que Socrate, l’homme divin (theios aner), fut accusé à
son procès de fomenter une nouvelle religion.
Les vérités énoncées par Socrate le sont ainsi en tant qu’il est
porte-parole (prophète) de la divinité. Il n’y a donc pas de
contradiction avec son aveu d’ignorance. L’ignorance
conditionne la sensibilité de Socrate aux fulgurances sacrées.
Ce glissement de l’ignorance à l’inspiration marque celui du
Socrate personnage public au Socrate des mystères, capable
de paroles inspirées.
Le modèle de l’initiation
L’existence d’un Socrate mystagogue, en retrait du Socrate
public de l’Agora, conduit à voir la conversion à la
philosophie comme une initiation de type religieux. La
reprise des formules consacrées des sectes orphiques, les
références nombreuses aux mystères d’Eleusis, l’énonciation
des membres d’un cercle socratique non officiel, les appels
au secret, les propos d’Alcibiade dans le Banquet, les chefs
d’accusations lancés contre Socrate, les accointances de ce
dernier avec les pythagoriciens48, l’hypothèse d’une lecture
ésotérique possible des dialogues socratiques (sokratikoï logoï) 49 en sont autant d’indications. Nous nous
48 Cf. Phédon, 57a-59d, 59c, 61d-62b ; Criton, 45b et Xénophon,
Mémorables I, 2, 48. 49 Donc penchant vers l’ésotérisme socratique plutôt que vers
l’ésotérisme platonicien. Platon, est en effet suspecté par ses
commentateurs d’avoir pris part à certains cultes à mystères, que ce
soit ceux de Déméter (Dè Mèter : « Terre Mère ») – les mystères
d’Éleusis –, ou ceux d’Orphée revisités par le pythagorisme. La
pléthore d’allusions aux aphorismes, vers, sumbollon, acousmata,
32
doctrines (depuis l’âme-harmonie dans le Phédon à la tripartition
de la République dérivée de la parabole pythagoricienne de la
panégyrie, en passant par le témoignage du guerrier pamphilien et
par la réincarnation des âmes, ou par le bios réservé à la classe des
gardiens, etc.) et découvertes mathématiques récentes des
pythagoriciens (telle celle des incommensurables) qui jalonnent les
dialogues de façon implicite ou explicite semblent abonder dans ce
sens.
Sur Platon et les cultes à mystères, cf. E. Rohde, Psychè. Le culte de l’âme chez les Grecs et leur croyance à l’immortalité, trad. A.
Reymond, Paris, Payot, 1952 ; M.L. Morgan, « Plato and Greek
religion », dans Richard Kraut, The Cambridge Companion to Plato, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 ; P. Boyancé,
« Platon et les cathartes orphiques », article en ligne dans Revue des Études Grecques, t. 55, fasc. 261-263, juillet-décembre, 1942, p.
217-235 ; J.K. Feibleman, Religious platonism : the influence of religion on Plato and the influence of Plato on Religion, London,
Allen and Unwin, 1959. Sur les rapports et syncrétismes qui ont pu
s’opérer entre l’orphisme et le pythagorisme, cf. K. Kerényi, «
Pythagoras und Orpheus », dans Humanistishe Seelenforschung,
Munich, 1966, p. 20 sq. Sur l’âme-harmonie dans le Phédon, nous
renvoyons à l’article de J. Figari, « L’âme-harmonie dans le
Phédon », dans J.-L. Périllié (dir.), Platon et les pythagoriciens,
Cahiers de philosophie ancienne, n° 20, Bruxelles, Éditions Ousia,
2008, p. 135 ; D. Bolotin, « The life of philosophy and the
immortality of the soul : an introduction to Plato's Phaedo », dans
Ancient Philosophy, vol. 7, 1987, p. 39-56. Sur la parabole
pythagoricienne de la panégyrie, d’après le récit qu'en faisait
Héraclide de Pont, philosophe formé à l'Académie et peut-être
disciple d'Aristote, cf. C. Mallan, Christine Noel, O. Lahbib, « La
"parabole de la panégyrie" : Platonisme ou pythagorisme ancien ? »,
dans L’Enseignement philosophique 52/4, 2002, p. 20-34. On se
reportera, pour de plus amples informations sur le secret des
incommensurables, à l'analyse de J.-L. Périllié, « Dialogue
33
concentrerons sur un aspect moins commenté des œuvres de
Platon : plusieurs dialogues50 transposent rigoureusement le
déroulement des rites initiatiques typiques des cultes à
mystères 51 . Mort symbolique, épreuve et purgation,
résurrection ou renaissance ont en effet été identifiées dès le
début du XXe siècle comme constituant les phases critiques
des rites d'initiation. L’entretien philosophique
(dialegesthai) mené dans un cadre privé serait à Socrate ce
que les rituels sont aux cultes à mystères, la réfutation une
étape préalable de purification (catharsis), la maïeutique
l’épreuve à traverser pour aboutir à la révélation.
Tous les prétendants ne sont pas dignes pour autant de
recevoir l’initiation. « Nombreux sont les porteurs de thyrse,
rares les bacchants » tenait à souligner Socrate, reprenant les
socratique et divulgation de l’incommensurable », dans J.-L.
Périllié (dir.), Oralité et Écriture chez Platon, Cahiers de
philosophie Ancienne n° 22, Bruxelles, Éditions Ousia, 2012. 50 Au nombre desquels il faut compter le Gorgias, l’Alcibiade, le
Charmide, l’Euthydème, le Phèdre, le Cratyle, le Théétète, le
Ménandre et le Banquet. 51 Socrate et son plus illustre disciple étaient tous deux très proches
des cercles orphico-pythagoriciens et de leurs cultes à mystères. Il
n’y a donc rien de surprenant à ce qu’une grande partie des
dialogues socratiques puissent être interprétés comme des
transpositions littéraires de rites initiatiques. Sur les cultes à
mystères en Grèce ancienne, cf. W. Burkert, Les Cultes à mystères dans l’Antiquité, Paris, Vérité des mythes, Les Belles Lettres, 2003 ;
A.S. Rusjaeva, « Orphisme et culte de Dionysos à Olbia », dans
Vestnik Drevnej Istorii (Revue d'histoire ancienne), Moscou, 1978,
p. 87-104.
34
dictons associés aux mystères52. C’est pourquoi nombre de
dialogues sont dits aporétiques : le prétendant ne parvient
pas à la révélation finale. D’autres, comme l’Euthydème la
manquent de peu. Or l’Euthydème a ceci de particulier qu’il
est aussi un protreptique, c’est-à-dire un appel de
conversion, à la philosophie. La mise en scène de
l’intronisation de Clinias dans ce dialogue nous offre ainsi
l’illustration la plus à même de révéler les intentions cachées
du philosophe. Une fois tracé l’espace sacré de l’initiation,
Socrate procède, au gré d’un jeu de questions-réponses, à
une phase essentielle de purification épistémique. Il recourt
dans cette intention à une maïeutique d’avortement,
pratiquée au moyen de la réfutation ou élenchos.
Cette procédure de la réfutation opère la catharsis qui «
ensorcelle », qui « électrise » l’aspirant myste, plonge le
jeune homme dans l’embarras (aporia). Puis, au moyen seul
de la parole (logos), produit l’effet de vertige du kikéon,
breuvage de confusion au cœur du culte d’Éleusis. Si bien
que l’on pourrait émettre l’hypothèse que l’aporia, ce silence
de l'âme terrassée, auquel le Socrate nocturne des dialogues
de Platon réduit ses interlocuteurs en recourant à la
réfutation reproduirait symboliquement ce moment
transitionnel qui sépare la déprise du noviciat et la
révélation par le maître de vérité53. Le jeune Clinias subit
une épreuve angoissante et déstabilisante qui peut
s’assimiler à une mort symbolique. C’est le sophiste
52 Phédon, 69e. 53 Avec Socrate intervient en effet une nouvelle forme d’entretien
fondé sur le dialegesthai, laquelle témoigne tout à la fois d’un effet
cathartique et d’une puissance exhortative.
35
Dionysodore qui, sous couvert d’imputations scabreuses,
dévoile le pot aux roses :
– À présent, demanda-t-il, Clinias est-il savant ou non
? – Lui, en tout cas, il dit qu’il ne l’est pas encore –
mais il n’est pas vantard ! – Et vous, reprit-il, vous
voulez qu’il devienne savant et qu’il ne soit plus
ignorant. Nous étions d’accord. – Ainsi donc, ce qu’il
n’est pas, vous voulez qu’il le devienne, et ce qu’il est
maintenant, qu’il ne le soit plus. Alors moi, en
entendant cela, je me sentis troublé ; et sur mon
trouble, il renchérit en reprenant la parole : – Que
dites-vous donc ? demanda-t-il. Puisque vous
souhaitez qu’il ne soit pas celui qu’il est maintenant,
vous voulez, semble-t-il, qu’il meure. Vraiment, voilà
le genre de gens qui, comme amis et amoureux,
seraient précieux, des gens qui seraient capables de
mettre au-dessus de tout le fait que leur bien-aimé
périsse !54
À la mort symbolique succède, dans tous les rites
initiatiques, une phase de renaissance et de réintégration
dans la communauté55. Si l’on conçoit de relire l’Euthydème
54Euthydème, 283c-d. Dionysodore ne croit pas si bien dire… 55 Mort et résurrection sont des motifs incontournables des rites
initiatiques et des cultes à mystères, dont ceux de Dionysos – le «
deux fois né » (cf. A.S. Rusjaeva, « Orphisme et culte de Dionysos à
Olbia », Vestnik Drevnej Istorii (Revue d’histoire ancienne),
Moscou, 1978, p. 87-104). Leur valeur symbolique associée dans
l’Antiquité à une mise en scène plus ou moins spectaculaire,
dramatise le passage de l’aspirant à son nouveau statut. Sur la
valeur rituelle de l’épreuve, de la mort et de la transfiguration dans
36
comme une parodie d’initiation, ou comme une
crypto-initiation inachevée par Socrate, nous devrions
naturellement retrouver cette étape. Il apparaît de fait que
l’état de perplexité installée par la discussion fait régresser
les dialoguants au statut d’individus nouvellement nés : «
Alors que nous imaginions être déjà au terme, rapporte le
narrateur de l’Euthydème, nous avions bouclé la boucle :
nous nous retrouvâmes une nouvelle fois comme au
commencement de notre recherche »56.
Désormais affranchi des préjugés de la foule, Clinias est mûr
pour recevoir la connaissance. Le « condamné à mort » peut
renaître initié, et naître à la philosophie (faute de l’avoir été
à la « science du bonheur »). Il n’attend plus que lui soit
dévoilé le fin mot de son parcours spirituel. Une telle
épiphanie manque à cet entretien. Celle-ci peut se produire
sous le signe d’une révélation divine (récit, mythe, intuition,
etc.) énoncée par Socrate ou à l’aide de la dialectique. Elle
peut être le fruit de la réminiscence. Elle peut aussi être à
l’initiative de l’aspirant lui-même. À la maïeutique négative
succède alors une seconde maïeutique, la maïeutique
proprement dite, fertile en ce qu’elle permet à ce qui était
latent, enfoui dans les replis de l’âme, d’être « accouché » par
l’âme. Les vérités divines atteintes par ce truchement sont
au-delà des mots, et par-là incommunicables57. Elles sont
l’objet d’une intuition intellectuelle, le fait miraculeux d’une
l’économie des rites d’initiation, cf. Th.G. d’Allon dans, Rites de Passage, rites d’initiation : Lecture d’Arnold Van Gennep, Paris, éd.
Presses universitaires de Laval, 2002. 56 Ibid., 291b. 57 Cf. Lettre VII.
37
saisie immédiate par la raison qui nous habite (sous les traits
d’un daïmon). Le prétendant fait ainsi l’expérience de la
révélation. Ainsi s’éclaire la référence énigmatique de
l’Alcibiade du Banquet aux « figurines divines » et invisibles
cachées dans le Silène.
Cette épopée initiatique peut être rapprochée de celle
qu’endure l’homme libéré de la caverne, exposé au plein
jour – l’allégorie de la République étant elle-même mise en
abyme du méta-rite d’initiation que constitue la République.
Pour les élus, illuminés, il y a confrontation au numineux
qui n’est pas sans douleur. Mais une dernière épreuve attend
encore l’homme libre qui doit s’en retourner, « désadapté »,
dans la caverne – matrice (de l’univers) –, pour initier ses
pairs. N’est-ce pas précisément l’enjeu de la mission
d’évangélisation dont est chargé Socrate ?
Rendre raison de traditions
Pas plus qu’elle ne fait pièce à sa piété, la pratique socratique
du doute ne contredit sa réceptivité aux traditions. Là où
Socrate fait profession de tout remettre en cause, les vérités
de la tradition concernant l’existence et la puissance du
divin ne font jamais l’épreuve de la réfutation58. C’est que
celles-ci ne sont pas affaire de connaissances humaine, mais
de révélations. Il s’agit néanmoins d’en restituer le contenu
originel, dégagé au moyen des outils de la raison.
58 C’est notamment ce que relève, dans la suite de G. Vlastos, L.-A.
Dorion à propos du Charmide, dans Platon, Œuvres complètes, Paris, Flammarion, 2008.
38
De quelles traditions est-il question ? Et de quelle manière
Socrate s’en inspire-il ?
À l’exclusion des nombreuses allusions aux mystères
d’Éleusis qui jalonnent les dialogues, on décèle de multiples
récupérations ressortissant au secret des mystères orphiques
et les pythagoriciens. De proches disciples de Socrate, parmi
lesquels Platon59 et Xénophon60, attestent expressément de
sa fréquentation de ces cercles clandestins. Il y a ainsi tout
lieu de croire que le Socrate historique aurait pu hériter d’un
message religieux de facture orphico-pythagoricienne ;
message dont il se serait fait un interprète, voire un
réformateur.
L’originalité de la philosophie consiste dans la réception
critique qu’elle fait de cet héritage. Socrate n’a eu de cesse
que de les interpréter dans un sens accessible à la raison, de
même que l’on interpréterait un rêve pour découvrir sa
signification. La tradition philosophique enregistre le
passage d’un discours révélé, ésotérique, relevant du
folklore, à un discours capable de rendre raison (didonai logon) de sa véracité. C’est en effet tout ce qui distingue
Socrate des poètes inspirés, dans l’incapacité de rendre
compte rationnellement des paroles qu’ils prononcent sous
le coup de la possession61.
Socrate, encore une fois, jamais ne s’attribue les mythes et
les paroles de vérité qui ne lui sont que « transmises »,
59 Cf. Phédon, 57a-59d, 59c, 61d-62b ; Criton, 45b. 60 Cf. Mémorables I, 2, 48. 61 Cf. Apologie de Socrate, 22c.
39
livrées entre initiés par voie de bouche-à-oreille (akoué). Il
ne sait rien lui-même, mais propage une parole62 « reçue »
immédiatement ou par ouï-dire de la divinité. Il met l’outil
nouveau de la dialectique au service de la tradition ; cela
moyennant des habiletés de « secours » (boethein) portant
sur les discours anciens (palaioï logoï). Combien de fois
Socrate par ailleurs n’est-il mis en demeure de prendre la
défense des principes, traditionnels ou religieux, mis en péril
par le relativisme et le cynisme ambiant ? Il s’agit là de l’une
des structures récurrentes dans l’œuvre de Platon63, et qui
consiste pour l’auteur à mettre en scène un Socrate justicier
se précipitant au secours de certains discours (justice,
science, vérité, lois, utilité de la philosophie, éléments de
pythagorisme, oralité et transmission, idée de l’immortalité
de l’âme, principes de la république, etc.) malmenés par ses
interlocuteurs ; plus largement, d’un héritage qu’il sauve, en
le rationalisant, du nihilisme et des assauts de la sophistique
afin de le transmettre à son tour64.
62 Le Socrate de Platon condamne l’écrit, lui-même ne s’y étant
jamais prêté. L’écrit n’a vocation ni aptitude à rendre compte de la
science véritable, saisie par intuition : « […] car il s’agit là d’un
savoir qui ne peut absolument pas être formulé de la même façon
que les autres savoirs, mais qui, à la suite d’une longue familiarité
avec l’activité en quoi il consiste, et lorsqu’on y a consacré sa vie,
soudain, à la façon de la lumière qui jaillit de l’étincelle qui bondit,
se produit dans l’âme et s’accroît désormais tout seul […] » (Lettre VII, 341d sq). Voir aussi Phèdre, 274c-275b. 63 Identifiée comme telle par T.A. Szlezak. Voir son ouvrage Le Plaisir de lire Platon, trad. M.-D. Richard, Paris, la Nuit surveillée,
Paru, 1997. 64 Le philosophe est coutumier de ce sauvetage analysé par T.A.
Szlezak, partisan déclaré de l’école de Tübingen, qui s’appuie sur le
40
Le message eudémoniste
Portant sur la question de la connaissance et de
l’enseignement de la vertu, l’entretien du Ménon dévoile le
noyau doctrinaire du message religieux
orphico-pythagoricien, qu’il articule à l’hypothèse
platonicienne de la réminiscence. Le déroulement
initiatique est là encore de mise. Les deux protagonistes se
reconnaissent jetés dans « un état de torpeur »65. Alors que
tout semble perdu, Socrate les déclare prêt à entamer une
Phèdre pour soutenir l’authenticité de l’ésotérisme de Platon. Au
commencement est une situation : celle de la mise à mal d’une
valeur, ou d’une idée, ou d’un principe, ou d’un « discours ancien »
(palaios logos) discrédité par les interlocuteurs de Socrate, et que
Szlezak caractérise comme étant celle de la « boêtheia » : « situation
où un logos est attaqué et où son auteur est mis en demeure de lui
porter secours » 64 . Loin d’être une péripétie, la boêtheia se
présenterait comme un principe structurant des dialogues de
Platon. Il est ainsi question dans le Phédon (88e) de savoir si oui ou
non Socrate est parvenu à « sauver le logos » (« boèthein tôi logôi »)
– le palaios logos – ; de la même manière qu’il s’agit dans la
République (II, 362d) de se porter au secours de la justice
(« boèthein dikaiosunèi ») ou bien encore, dans le Banquet, de
mandater Diotime pour venir au renfort de la première prise de
parole du philosophe. Socrate, dans l’Euthyphron, vient encore
soutenir son interlocuteur qui peine à produire un discours capable
de convaincre du bien-fondé de la thèse des idées : « Voilà assez
raillé : puisque tu crains si fort la peine, je veux aller à ton secours,
et te montrer comment tu pourras me conduire à la connaissance
de ce qui est saint, et ne pas me laisser en route » (11e). 65 Ménon, 80a.
41
authentique recherche de vérité 66 . Il fait état d’un récit
consacré que tiennent communément les poètes de la
tradition et les gardiens des temples mis dans la confidence
des dieux67 :
Ce langage, ce sont ceux des prêtres et prêtresses
qui s’attachent à rendre raison des choses
auxquelles ils se consacrent, qui le tiennent. C’est
aussi Pindare qui parle ainsi, comme beaucoup
d’autres poètes, tous ceux qui sont divins. Ce qu’ils
disent, c’est ceci. Voyons, examine s’ils te semblent
dire la vérité. Ils déclarent en effet que l’âme de
l’homme est immortelle, et que tantôt elle arrive à
un terme – c’est justement ce qu’on appelle
« mourir » –, tantôt elle naît à nouveau, mais qu’elle
n’est jamais détruite. C’est précisément la raison
pour laquelle il faut passer sa vie de la façon la plus
pieuse possible68.
66 Ibid., 80d. 67 Ibid., 81b-c. 68 Il est tentant de lire en cette déclaration de foi eschatologique
une reprise de thèmes orphiques. « Pieusement » traduit le grec
hosiôtata : nous sommes au cœur de la matière religieuse, dans les
essarts de la sotériologie. Socrate, prophète de l’eudémonisme, est
un homme pieux (hosios) jusqu’à la mort, qu’il dira préférer à une
apostasie qui le mettrait en porte-à-faux au regard de sa mission
que lui a confiée le dieu. On se rappellera au demeurant que
l’entretien de l'Euthyphron portait sur la définition du « pieux (to hosion) » et de l'« impie (to anosion) ». C’était pourtant bien
d’impiété que les sycophantes Anytos et Mélétos ont accusé Socrate
: « Voici quels furent les chefs d’accusation, écrit Diogène Laërce,
confirmés par serment ; Phavorinus dit qu’on les conserve encore
42
En effet, les êtres dont Perséphone a accepté compensation d’un ancien mal 69 , vers le soleil d’en haut, à la neuvième année, elle envoie de nouveau leurs âmes, et de ces âmes croissent de nobles rois, des hommes impétueux par la force ou très grands par le savoir. Pour tout le temps futur, ils sont honorés par les hommes, comme des héros sans tache. 70
Si l’on s’en tient au mythe, enlevée par son futur époux
Hadès à sa mère Déméter, Korè (ou Perséphone) devient
effectivement la déesse tutélaire des au-delà orphiques. Le
culte de ces deux dernières était placé au centre des
dans le temple de la mère des dieux : "Mélétos de Lampsaque, fils
de Mélétos, accuse, sous la foi du serment, Socrate d’Alopèce, fils
de Sophronisque, des crimes suivants : Socrate est coupable de ne
pas croire aux dieux reconnus par la ville et d’en introduire de
nouveaux ; il est également coupable de corrompre la jeunesse.
Pour ces crimes, la mort" » (Diogène Laërce, Vies et doctrines de philosophes illustres, II, 5, 40). 69 On note la référence à Perséphone, déesse investie reine de
l’au-delà, surpassant même, selon les hymnes orphiques, l’autorité
souveraine de son époux. La référence à l’« expiation », au « deuil
ancien », pourrait faire allusion au mythe étiologique orphique de
la naissance des hommes, mêlés de chair titanique et d’étincelle
divine. 70 Pindare, Œuvres complètes, tome IV: « Isthmiques et
Fragments », trad. A. Puech, Paris, Budé, Collection des universités
de France, Série grecque, 1923, fr. n° 21. Cf. aussi M.L. West, The Orphic Poems, Oxford, Clarendon Press, 1983 et M. Detienne,
L'écriture d’Orphée, Paris, Gallimard, 1989.
43
mystères d’Éleusis, eux-mêmes au centre de la vie religieuse
d’Athènes. L’allusion faite à ces mystères dans le Ménon 71,
laisse à penser que notre échange entre Socrate et le fameux
aristocrate d’origine pharsalienne 72 , dans un dialogue
introduisant le thème de la palingénésie psychique de pair
avec celui de la réminiscence, serait concomitant des
grandes célébrations éleusiniennes de la cité73.
Tout laisse donc à penser que le contenu de l’Évangile
socratique, que le message disséminé dans les dialogues,
71 « Du reste je crois que tu serais de cet avis s’il ne te fallait,
comme tu le rappelais hier, partir avant les Mystères, et si tu pouvais rester ici pour te faire initier » (Ménon, 76e ; nous
soulignons). 72 Selon Diogène Laërce (op. cit., II, 50), Pharsale était connue
pour être l’un des principaux viviers de l’orphisme. Nombre de
lamelles d’or qui nous sont parvenues proviennent des fouilles
conduites dans les sous-sols de cette cité du sud de la Thessalie. Cf.
E. Rohde, Psychè. Le culte de l'âme chez les Grecs et leur croyance à l'immortalité, trad. A. Reymond, Paris, Payot, 1952 ; W.K.C.
Guthrie, Orphée et la religion grecque : étude sur la pensée orphique, trad. S.M. Guillemin, Paris, Payot, 1956 ; M.L. West, «
Graeco-oriental orphism in the third century RC », dans
Assimilation et résistance à la culture gréco-romaine dans le monde ancien, Paris, Les Belles Lettres, 1976 ; W. Burkert, Greek Religion. Archaic and Classical, Oxford, Basil Blackwell, 1985 ; P.
Borgeaud, Orphisme et Orphée en l'honneur de Jean Rudhardt, Genève, Librairie Droz, 1991 ; G.P. Carratelli, Les lamelles d’or orphiques. Instructions pour le voyage d’outre-tombe des initiés grecs, Paris, Les Belles Lettres, Vérité des mythes, 2003. 73 Cf. R.S. Bluck, « Nos sujets de perplexité devant le Ménon »
(1961), trad. A. Soulez, dans Les Paradoxes de la connaissance,
1991, p. 153-161.
44
serait celui de l’eudémonisme. Le fondement de cet
eudémonisme s’énonce en une formule canonisée par
Socrate devant l’assemblée des juges d’Athènes, le jour de
son procès. Le philosophe tient pour certain « qu’aucun mal
ne peut toucher un homme de bien ni pendant sa vie, ni
après sa mort, et que les dieux ne se désintéressent pas de
son sort »74. L’eudémonisme affirme qu’il est possible pour
l’homme juste, moyennant une pratique éclairée des vertus,
de s’affranchir du corps (soma), tombeau pour l’âme (sêma) ;
de rompre pour jamais avec le cycle des métempsychoses et
d’accéder à une félicitée suprahumaine (eudaimonía). C’est
le message paroxystique déployé dans l’Apologie de Socrate,
le Gorgias, le Phédon, le Banquet, la République, le Phèdre,
le Timée, les Lois et le Philèbe, sinon la toile de fond de
l’ensemble des sokratikoï logoï.
La multiplicité des œuvres et des contenus traités aussi bien
que les différentes périodes de rédaction de ces dialogues
n’effacent en aucun cas la permanence de ce qui a toutes les
caractéristiques d’une parole d’Évangile, et dont il y a lieu
de supposer qu’elle était socratique avant d’être
platonicienne, et même orphico-pythagoricienne dans sa
formulation originelle, comme en témoignent les lamelles
d’or. On en vient à penser qu’une lecture authentique des
œuvres de Platon tiendrait pour clef de lecture non pas
l’hypothèse des idées, mais le message eudémoniste de salut
individuel, avec son pan ésotérique se traduisant par les
initiations aux mystères socratiques.
74 Apologie de Socrate, 41 c-d.
45
Conclusion
Force est d’admettre que le prosélytisme du missionnaire
Socrate devait présenter quelque chose de subversif en
matière religieuse et politique ; ou l’on ne comprendrait pas
que l’acte d’accusation l’ait inculpé de ne pas croire aux
dieux de la cité, d’introduire de nouvelles divinités et de
corrompre la jeunesse. Or, il semblait acquis que Socrate ne
considérait pas son ministère philosophique autrement que
comme un commandement divin :
Vous avez entendu toute la vérité, Athéniens, car la
vérité, je vous l’ai dite : c’est qu’il leur [les dieux]
fait plaisir de voir soumettre à un examen ceux qui
se figurent être savants, alors qu’ils ne le sont pas ;
certes, cela n’est pas sans agrément, mais pour moi,
je le répète, c’est quelque chose que m’a prescrit de
faire le dieu par l’intermédiaire d’oracles, de songes,
et par tous les moyens enfin que prend une
dispensation divine pour prescrire à un homme de
remplir une tâche, quelle qu’elle soit.75
C’est donc que les implications de la religion de Socrate
représentaient pour la cité une menace imminente. Laquelle
? En quoi ? Et de quelle sorte ? Il faut, pour le comprendre,
renouer avec l’esprit de la religion de l’époque.
Par distinction d’avec les religions d’extraction sémitique
appelées à triompher sous la commune appellation de «
monothéismes », le cœur des religions polythéistes antiques
75 Apologie de Socrate, 24a.
46
n’est pas de nature dogmatique ou doctrinaire, mais
ritualiste et politique. Ces religions ne requièrent pas de
l’aspirant qu’il embrasse un credo déterminé, mais qu’il
souscrive à des pratiques socialisantes. Le culte des dieux
poliades en Grèce ancienne était, dans cet esprit, un culte
politique. Il s’exprimait en fêtes au cours desquelles était
réaffirmée la cohérence de la collectivité, elle-même mise
en spectacle par des cérémonies, des processions, des jeux
sportifs ou des concours de tragédie 76 . Il s’agissait de
désamorcer régulièrement de manière collective les
dissensions sociales, de régénérer le corps politique.
Les religions monothéistes tendent, au contraire, à être des
religions du recueillement, des cultes de l’intériorité. Elles
encouragent la retraite acétique dans le « for intérieur » et, à
l’extrême, le renoncement au monde ; elles peuvent ainsi se
pratiquer, tels les cultes à mystères, hors de l’espace public,
en marge de la société civile. Le « connais-toi toi-même »
revendiqué par Socrate exprime cette dimension de culte de
l’intériorité et de salut individuel. Le signal démonique
dissuadait par ailleurs Socrate de prendre part aux affaires
politiques. Et il est tout sauf anodin que le reproche
liminaire de ne « pas reconnaître les dieux de la cité »
produit par Mélétos le sycophante à l’ouverture de
l’Apologie se soit vu détourné en suspicion d’athéisme,
permettant à Socrate de passer outre la véritable question…
Socrate n’est pas irréligieux ; personne, au vrai, ne le
conteste. Pour suspicieux qu’il soit envers les traits humains,
76 Sublimation et sacrifice trouvent une synthèse dans la catharsis de la tragédie grecque, mise sous le patronage des dieux.
47
par trop humains, prêtés aux dieux par les poètes, le Socrate
de Platon n’avait rien d’un penseur athée77. Socrate aurait
été à ce point obéissant à la divinité qu’il aurait consacré son
existence à la mission qu’elle lui aurait confiée à la faveur de
manifestations de différentes natures, n’hésitant pas à
sacrifier ses intérêts personnels78. Sa pauvreté parlait pour
lui. Mais ce n’était pas exactement aux dieux de la cité qu’il
vouait un culte. Et ce n’était pas un culte – beaucoup s’en
faut – au bénéfice de la cité.
Il se pourrait que la « religion de l’âme » de cet homme
envoyé du dieu delphique pour porter la nouvelle de
l’eudaïmonia ait menacé directement la cohésion de la cité.
Les mystères socratiques constituaient en effet un culte
clandestin et marginal qui, à rebours d’autres cultes à
mystères, n’était pas soluble dans la religion civile
d’Athènes. À un culte public et citoyen, il oppose un culte
exclusif et personnel du daïmon intérieur. Il se pourrait que
la religion de Socrate – privée et recueillie – n’ait pas été
conciliable avec les pratiques collectives de la cité, et
qu’au-delà des raisons politiques qui auraient pu valoir au
77 Non plus que Platon. Plotin, Augustin, Ficin et Pascal ne s’y sont
pas trompés. Cf. M.L. Morgan, Platonic Piety, Philosohpy and Ritual in Fourh Century Athens, Yale, Yale University Press,
1990 ; R. Hackforth, « Plato's Theism », dans Classical Quarterly, vol. 30, 1936, p. 439-447 ; H.E. Ronald, « Katharsis and the platonic
reconstruction on mystical terminology », dans Philosophia, vol. 4,
1974, p. 168-179 ; L.-B. Mcminn, « Plato as a philosophical
theologiam », dans Phronesis, vol. 5, 1960, p. 23-31. 78 Mission que seul un homme divin, prophète, charismatique, et
pourtant profondément humble pouvait accomplir, au péril de sa
vie.
48
philosophe des représailles de la part de ses concitoyens (on
pense aux accointances d’un philosophe peu démocrate avec
la tyrannie des Trente), ce soit principalement la crainte de
sa contagion et de la désagrégation civile qui s’en suivrait
qui ait conduit les juges à prendre une décision fatale.
Le caractère messianique du philosophe ressort autant par sa
condamnation que par le rapport qu’il entretenait avec son «
thiase », son cercle d’initiés. La secte socratique croissant
inexorablement avec son influence sur la jeunesse, la
surprenante harangue provocatrice prononcée par Socrate à
la face de ses juges peut être interprétée comme une habile
manière de concentrer sur lui, de contenir et d’assouvir une
fois pour toutes, la colère de ses juges, les dissuadant de s’en
prendre à ses disciples. Écoutons attentivement le discours
des Lois dans la conscience du philosophe résolu à son sort :
« Et subissant ton arrêt, tu meurs victime honorable de
l'iniquité, non des lois, mais des hommes ; mais, si tu fuis, si
tu repousses sans dignité l'injustice par l'injustice, le mal, par
le mal, si tu violes le traité qui t'obligeait envers nous, tu
mets en péril ceux que tu devais protéger »79. Socrate se
serait-il délibérément perdu pour protéger les siens ? Que le
daïmon censeur ne soit pas intervenu pour prévenir l'accusé
contre sa megallegoria de l’Apologie se comprendrait alors
dans une tout autre perspective – une perspective christique,
qui ne serait pas d’ailleurs inconciliable avec l’absence de
mal que représenterait la mort80.
79 Criton, 54c. Nous reprenons sciemment ici la leçon de Victor
Cousin. 80 Apologie de Socrate, 40a-c.
51
Du même auteur
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