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Michel NAKHLA Professeur - CGS Ecole des Mines Paris et AgroParistech [email protected] Plusieurs travaux empiriques ou théoriques tendent aujourd’hui à indiquer que l’efficacité d’une chaîne logistique globale se mesure par son degré de réactivité, de satisfaction des clients et de création de valeur pour l’entreprise. L’objectif de cet article est de prolonger ces travaux, en proposant d’associer aux démarches de rationalisation des chaînes d’approvisionnement des indicateurs de performance financière de l’entreprise pour tenter de concilier gestion industrielle et stratégie financière. Cet article explicite comment il est possible d’envisager un “couplage” de ces démarches selon un modèle unifié de la performance désigné par Value Based Supply Management « VBSM », ce couplage étant selon l’auteur l’un des en- jeux majeurs des années 2000. Deux cas simplifiés illustrent comment s’opère con- crètement ce couplage en mettant en évidence les enjeux pour les entreprises. Introduction Dans un marché concurrentiel, la gestion de la chaîne d’approvisionnement constitue aujourd’hui un enjeu stratégique majeur pour les entreprises industrielles et commerciales. C’est un potentiel important de création valeur pour le client : qualité de service, per- formance en délai et en réactivité. C’est aussi un des principaux lieux où se joue une partie de la rentabilité de l’entreprise, par la rationa- lisation des coûts liés à la chaîne d’approvi- sionnement ou par la concentration sur de nouveaux canaux de distribution (Nakhla, 2006). Cette tendance s’est encore renforcée dans un contexte économique dominé par la mondiali- sation des échanges, la diversification et le raccourcissement des cycles de vie des pro- duits, le développement de partenariats entre entreprises. En même temps, de nouvelles opportunités sont offertes par l’évolution des technologies et des méthodologies, en parti- culier les systèmes d’information. Dans ces conditions, les expériences concrè- tes de recherche d’amélioration de la perfor- mance des entreprises, abordent l’optimisation de la chaîne d’approvisionne- ment selon deux logiques : Une logique qui cherche à réduire les im- perfections dans les démarches de planifi- cation industrielle en visant une sophistication croissante de celles-ci. Dans ce cadre, les approches optimisatrices ba- sées sur la planification multi-sites (Clark et Scarf, 1960), le calcul des quantités éco- nomiques avec une organisation multi ni- veaux devant permettre d’explorer des modes d’organisation en phase avec des ob- jectifs de réduction des délais et des stocks et d’amélioration du niveau de service. La détermination des quantités de produits à fabriquer et à livrer par période de temps te- nant compte des contraintes des différents Logistique & Management Vol. 14 – N°1, 2006 65 Supply Chain Management et performance de l’entreprise “Value Based Supply Chain Management Model” L’auteur remercie les deux rapporteurs anonymes pour leurs commentaires.

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Page 1: Supply Chain Management et performance de l'entreprise “Value

Michel NAKHLAProfesseur - CGS Ecole des Mines Paris et [email protected]

Plusieurs travaux empiriques ou théoriques tendent aujourd’hui à indiquer quel’efficacité d’une chaîne logistique globale se mesure par son degré de réactivité, desatisfaction des clients et de création de valeur pour l’entreprise. L’objectif de cetarticle est de prolonger ces travaux, en proposant d’associer aux démarches derationalisation des chaînes d’approvisionnement des indicateurs de performancefinancière de l’entreprise pour tenter de concilier gestion industrielle et stratégiefinancière. Cet article explicite comment il est possible d’envisager un “couplage”de ces démarches selon un modèle unifié de la performance désigné par ValueBased Supply Management « VBSM », ce couplage étant selon l’auteur l’un des en-jeux majeurs des années 2000. Deux cas simplifiés illustrent comment s’opère con-crètement ce couplage en mettant en évidence les enjeux pour les entreprises.

Introduction

Dans un marché concurrentiel, la gestion dela chaîne d’approvisionnement constitueaujourd’hui un enjeu stratégique majeur pourles entreprises industrielles et commerciales.C’est un potentiel important de créationvaleur pour le client : qualité de service, per-formance en délai et en réactivité. C’est aussiun des principaux lieux où se joue une partiede la rentabilité de l’entreprise, par la rationa-lisation des coûts liés à la chaîne d’approvi-sionnement ou par la concentration sur denouveaux canaux de distribution (Nakhla,2006).

Cette tendance s’est encore renforcée dans uncontexte économique dominé par la mondiali-sation des échanges, la diversification et leraccourcissement des cycles de vie des pro-duits, le développement de partenariats entreentreprises. En même temps, de nouvellesopportunités sont offertes par l’évolution des

technologies et des méthodologies, en parti-culier les systèmes d’information.

Dans ces conditions, les expériences concrè-tes de recherche d’amélioration de la perfor-mance des entreprises, abordentl’optimisation de la chaîne d’approvisionne-ment selon deux logiques :• Une logique qui cherche à réduire les im-

perfections dans les démarches de planifi-cation industrielle en visant unesophistication croissante de celles-ci. Dansce cadre, les approches optimisatrices ba-sées sur la planification multi-sites (Clarket Scarf, 1960), le calcul des quantités éco-nomiques avec une organisation multi ni-veaux devant permettre d’explorer desmodes d’organisation en phase avec des ob-jectifs de réduction des délais et des stockset d’amélioration du niveau de service. Ladétermination des quantités de produits àfabriquer et à livrer par période de temps te-nant compte des contraintes des différents

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Supply Chain Management et performancede l’entreprise “Value Based Supply ChainManagement Model”

L’auteur remercie les deuxrapporteurs anonymes pourleurs commentaires.

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niveaux de la chaîne, l’interaction des ni-veaux « aval » et « amont », l’anticipationdes risques de rupture dans la chaîne sontquelques avantages attendus de ces trans-formations (Gavernini, 2001).

• Une logique qui cherche à réduire les pro-blèmes de coordination liés à la multiplica-tion des niveaux de la chaîned’approvisionnement et qui impose de ré-fléchir aux moyens de faire coïncider les in-térêts des différents maillons. L’incitation àla performance et l’évaluation des effortsindividuels et collectifs par l’introductiond’indicateurs de performances s’inscritdans ce cadre. Le problème posé est celuide l’atteinte de performances quantifiées,dans un contexte où les activités sont con-frontées à de multiples incertitudes et où lejeu concurrentiel peut amener à remettre encause les niveaux de performance en place(Cachon et Fisher, 1996 ; Cachon et Lari-vière, 2001 ; Chen, 1988) Les modèles em-piriques (World Class Logistics puis WorldClass Supply Chain) développés par Michi-gan State University et le (Supply ChainOperations Reference) s’inscrivent danscette logique en proposant des indicateursstandards ou des méthodologies standardi-sées de description et d’évaluation des fluxau sein d’une supply chain. Les indicateursde performance opérationnelle constituent,dans ces modèles empiriques, une autre fa-çon d’approcher indirectement la perfor-mance financière (Supply ChainOperations Reference, version 7.0, supplyChain Council, 2005 ; Estampe et Chandes,2003).

Le grand mérite de ces travaux, menés depuisquelques années, est d’avoir révélé l’impor-tance majeure de l’implémentation de nouvel-les architectures logistiques et d’outilsd’optimisation des flux physiques et d’infor-mation. L’obtention d’un avantage concurren-tiel durable exige en effet une remise en causedu fonctionnement existant au profit d’uneflexibilité des structures organisationnelles,d’un accroissement de la réactivité et d’uneaptitude à s’insérer dans un réseau de parte-naires pour proposer la meilleure offre pos-sible au client (Lambert et Burduroglu, 2001).

Toutefois, ces démarches restent discrètes parrapport au débat sur la gouvernance d’entre-prise (Lee, So et Tang, 2000 ; Martin et Ryals,1999), la création de valeur et le retour finan-cier pour les actionnaires liés à une meilleuremaîtrise de la supply chain ainsi que par rap-port aux formes d’organisation de celle-ci.

L’objectif de cet article est de suggérer unepiste de réflexion en ce sens, en proposantd’associer démarche de rationalisation deschaînes d’approvisionnement et performancefinancière de l’entreprise pour tenter concilierstratégie financière et gestion opérationnelle.

Pour répondre à cet objectif, nous développe-rons les points suivants : la section 1 présen-tera les problèmes de coordination au sein dela chaîne d’approvisionnement en mettant enévidence les évolutions récentes liées à laquestion de la maîtrise de ces coordinations.La section 2 discute les voies de rationalisa-tion explorées par les entreprises qui mettentl’accent tantôt sur des indicateurs physiquesde planification et d’optimisation de la SCtantôt sur la performance économique. Danscette section, nous verrons comment il estpossible d’envisager leur « couplage », via lemodèle Value Based Supply Management« VBSM ». La section 3 s’appuiera sur deuxcas simplifiés pour illustrer comment s’opèreconcrètement ce couplage en mettant en évi-dence les enjeux pour les entreprises.

Organisation de la SCet approches gestionnaires :quels modèles de performance ?

Gestion de la SC par une modélisationintégrée et problèmes de coordination

Dans la littérature empirique et théorique, denombreuses définitions ont été proposéespour la « supply chain » ; le lecteur pourra sereporter aux travaux de (Croom et al 2000 ;Tan 2001) pour un état des lieux plus détaillé.Nous retenons comme terme équivalent : « lachaîne d’approvisionnement », ce qui renvoied’une part à l’idée de chaîne où les différentsacteurs d’un système de production indus-trielle sont interdépendants et d’autre part àune définition au sens large de l’approvision-nement (flux entre usines, flux entre un four-nisseur et un client, flux entre deux postes detravail…). Les chaînes d’approvisionnementauxquelles on a affaire ici correspondent à lachaîne des flux qui incluent une entrepriseprincipale en se restreignant particulièrementaux fournisseurs et aux clients directs de cetteentreprise : achat, fabrication, distribution etvente du produit (voir figure 1). Des défini-tions proches se trouvent chez (Rota et al2002 ; Croom et al 2000) et qui sont à la basedes modèles d’organisation mis en avantaujourd’hui par plusieurs entreprises.

La gestion de la chaîne d’approvisionnement,(Supply Chain Management « SCM ») se

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donne alors pour objectif, d’une part, de coor-donner les activités et les flux depuis les four-nisseurs et sous-traitants jusqu’au client finalet, d’autre part, d’intégrer la gestion des fluxtout au long de la chaîne, notamment, parl’intermédiaire de l’informatisation des don-nées. L’important est d’assurer une circula-tion rapide des matières et des informationspour garantir aux clients un service optimal etréduire la trésorerie immobilisée dans lesstocks pour l’entreprise. Cela intègre la sup-ply chain « Amont » mais aussi la demandchain (flux d’information sur la demande).

Par rapport à cette représentation des chaînesd’approvisionnement, l’observation concrètede leurs fonctionnements montre que, d’uncôté, les synchronisations et ajustements entreles différents acteurs d’une chaîne donnéesont faits sur la base d’une certaine « visionéquilibrée » entre niveaux des stocks suppor-tables et taux de service souhaité. Cette visioncorrespond en fait à un compromis entre lecoût des stocks et les coûts de rupture liés auxlivraisons « ratées ».

De l’autre côté, les clients en aval cherchentsouvent à retarder au maximum les comman-des de manière à pouvoir s’ajuster le plus fine-ment possible aux fluctuations de la demande(quantité et qualité) en faisant reporter les ris-ques de rupture, de surstock et les coûts qui leursont associés sur l’amont de la chaîne. Cettetension entre l’amont et l’aval est à l’origine denombreuses inefficacités au sein des chaînesd’approvisionnement (rupture de livraison,surstockage, dégradation du taux de service…)

Ces quelques caractéristiques que l’on vient deprésenter posent des problèmes quant à l’orga-nisation de l’action collective au sein d’unechaîne d’approvisionnement en situationd’interdépendance entre acteurs et d’incerti-tude sur la demande et soulèvent plusieursquestions. Comment ces problèmes sont-ilsrésolus concrètement ? Selon quels arbitrages ?En fonction de quels indicateurs ? C’est ce quel’on va tenter d’illustrer. Ces questions ren-voient à plusieurs approches de la gestion deplus en plus intégrées selon la complexité etl’intégration de la SC :• Une première approche qui correspond à

une vision partielle et morcelée centrée surles fonctions d’approvisionnement. A ce ni-veau d’intégration, il est d’ailleurs difficilede parler à proprement dit de gestion de SC ;il s’agit plutôt de logistique tout court. Plu-sieurs travaux issus de la recherche opéra-tionnelle se sont intéressés au lien entrebénéfice pour l’entreprise, maîtrise des flux

d’informations et son partage au sein des dif-férents niveaux de la SC. Dans ce cadre,(Chen, 1988) a simulé des stratégies de stoc-kage basées sur les méthodes de « point decommandes » et les coûts qui leur sont asso-ciés. Il a observé que le partage d’informa-tions concernant la gestion des stockspermet de réduire ces coûts de 9%. De plus,il met en évidence une décroissance des bé-néfices au niveau de la chaîne lorsque la va-riance de la demande augmente ou lorsque lachaîne de distribution comporte plusieurs ni-veaux. D’autres développements, ont élargices résultats en analysant des scénarios avecplusieurs fournisseurs ou plusieurs clients(Cachon et Fisher, 1996 ; Gavernini, 2001,Gal-Or, 1991)

• Une seconde approche, interne, consiste àtravailler sur les relations à l’intérieur del’entreprise entre les fonctions d’approvi-sionnement, de production et de distribu-tion. Ce sont des travaux qui envisagent laSC du point de vue d’un décideur unique etdéterminent les décisions qui minimisentson coût global. Dans ces approches, la SCest considérée comme une structure vertica-lement intégrée et où toute l’information estpartagée et l’approvisionnement du produitest contrôlé par le fabricant. On retrouve iciles applications et méthodologies comme lejuste à temps, la production au plus juste, leMRP (Billington et al, 1983 ; Baynat et al,2001). Ces analyses ont été élargies ensuiteaux situations d’entreprises multi-sites, entravaillant sur les relations entre plusieurs si-tes d’une même entreprise voire en intégrantquelques fournisseurs ou clients directs del’entreprise. Le développement ensuite delogiciels de type APS (Advanced PlanningSystems) qui visent à une optimisation glo-bale du fonctionnement de la chaîne logis-tique d’une entreprise (Vidal et al, 1997), sesituent dans cette catégorie.

• Une troisième approche, intégrée, consiste àtravailler, au niveau d’une entreprise au sein

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Figure 1 : Les acteurs de la supply chain

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de la SC à laquelle elle appartient, sur les re-lations entre l’ensemble des acteurs de laSC. Parmi ces approches, on peut distin-guer :

➨ Celles qui se focalisent sur la partieamont de la SC de l’entreprise. Le réseaud’approvisionnement se définit dans cecas comme un réseau d’entrepriseséchangeant des matières et de l’informa-tion, dans le cadre d’activités menant à lalivraison de produits ou de services àl’entreprise. Ces approches traitent de lagestion du réseau d’approvisionnementen s’intéressant essentiellement auxfonctions d’achats et d’approvisionne-ments industriels.

➨ Celles qui s’intéressent plus spécifique-ment à la partie « aval » de la SC de l’en-treprise. Ces approches se focalisentprincipalement sur l’optimisation destransports et des réseaux de distributionenglobant les grossistes et les détaillants.

➨ Celles qui se positionnent aussi bien enamont (réseau d’approvisionnement)qu’en aval (réseau de distribution). Onparle alors de gestion de la SC intégrée(Rota et al 2002). Parmi ces approches,(Mentzer et al 2001) distinguent cellesqui s’intéressent aux chaînes directes(l’entreprise, ses clients et ses fournis-seurs directs) et celles qui s’intéressentaux chaînes élargies ou collaboratives :l’entreprise, ses clients et ses fournisseursdirects mais aussi les clients de ses clientset les fournisseurs de ses fournisseurs.

Gestion de la SC par l’utilisationd’indicateurs standardsde résultat

L’hypothèse sous-jacente au développement decette deuxième catégorie de démarches de ges-tion de la SC est implicitement la suivante :quand bien même on continuerait à améliorerles dispositifs d’optimisation et d’intégration dela planification, à favoriser les fonctionnementsen réseau ou collaboratif, on n’aurait pas encoreréuni tous les éléments pour s’assurer, le pluspossible, de la performance globale de la SC.Pour aller plus loin dans la maîtrise de ces coor-dinations abordées dans la section précédente,l’idée de formaliser des indicateurs standards estmise en avant dès les années 90 par des groupe-ments professionnels internationaux constituéspar de grands groupes industriels et qui visent àcerner la performance d’une SC. Ces travauxempiriques sont à rapprocher des travaux sur lestableaux de bord stratégiques (Kaplan et Nor-ton, 1998 ; Johnson et Montgomery, 1974 ;Favre Bertin et al, 2005) qui déclinent la perfor-mance globale de l’entreprise selon quatre gran-des interrogations :• Quelles sont les attentes des clients ?• Quelles sont les attentes des actionnaires ?• Quels sont les processus et les activités essen-

tiels à la satisfaction des actionnaires et desclients ? »

• Comment piloter le changement organisa-tionnel pour répondre à ces interrogations ?

On peut synthétiser un certain nombre de cesindicateurs en les plaçant dans une logique glo-bale d’amélioration de la SC comme le montrela décomposition suivante (adaptée de Martinet Ryals, 1999) :

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Figure 2 : L’arbre de la performance de la suppy chain

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Cette décomposition est à mettre en relationavec les métriques développées par le SupplyChain Council à travers les notions de réacti-vité, de flexibilité, de maîtrise des coûts et degestion des actifs.

En reliant quelques-uns des indicateurs figu-rant sur l’arbre de performance aux différentsacteurs de la SC (schéma adapté de Boschet etal., 2003), on peut distinguer les principauxenjeux de performance liés à chaque maillon.La principale difficulté à ce niveau, pour lagestion de la SC, est de pouvoir aligner lesobjectifs de chacun des acteurs par rapport àune vision globale qui ne correspond pasnécessairement à la simple addition des opti-misations locale de chaque maillon de lachaîne.

Sur la base de cette vision de la performance etl’utilisation d’indicateurs standards, quelquesentreprises ont conduit des expériences decomparaison avec d’autres entreprises demême secteur, en espérant plusieurs avanta-ges :• un gain de temps dans la comparaison par

l’utilisation d’indicateurs standards,• l’identification des écarts de performances

et leur maîtrise,• un contrôle de la performance par rapport à

la concurrence,• un repérage des actions apportant des avan-

tages compétitifs,

Si ces approches ont permis des avancées réel-les en termes de représentations quantifiées dela performance d’une SC, leur mise en placebute cependant sur deux difficultés majeures :• Une part importante des difficultés est liée à

la mise en place de stratégies collaborativesentre entreprises. On retrouve naturelle-ment les problèmes classiques de collectede l’information qui peut limiter ainsi letravail de benchmarking voulu par ces dé-marches.

• L’existence d’interdépendances entre dif-férents maillons de la SC liées au décou-page organisationnel. La mise en place devéritables approches comparatives sur labase d’indicateurs supposerait par ailleursque l’on soit en mesure de découper la SC,de telle manière que les interdépendancesentre maillons de la chaîne, selon les entre-prises, soient totalement circonscrites etcomparables.

Il reste à l’évidence un point, celui du poidsfinancier de la SC qui amène aujourd’hui lesentreprises à développer une gouvernancenouvelle. Celle-ci tente d’intégrer des indica-

teurs opérationnels issus des démarches pré-cédentes dans une perspective d’évaluation dela valeur ajoutée financière de la chaîne. C’estce couplage entre deux visions de la perfor-mance que nous allons mettre en évidence etqui selon nous semble s’opérationnaliser pro-gressivement comme nous allons le voir dansles cas présentés plus loin.

A ce stade, on peut même dire que l’un desenjeux majeurs de ce lien réside dans l’organi-sation des relations au sein de la SC et dans laqualité des coordinations transversalescomme conditions de la performance globale(Nakhla, 2003).

Basé sur la recherche d’une maîtrise collectivede l’ensemble des flux, le processus de cons-truction de la performance globale est aussi unprocessus de reconstruction des relations ausein de la SC et des compétences en place.

Une vision unifiée de la gestionde la SC et création de valeurdans l’entreprise : la modélisationVBSCM

Si l’on admet l’idée selon laquelle une entre-prise doit réussir à la fois sur le marché desbiens réels et sur le marché financier (Nakhla,2006 ; Lambert et Stock, 1993 ; Heskett,1997), une stratégie économique visant à cou-pler ces deux préoccupations peut être unevoie prometteuse en permettant de concilier lamaximisation de la valeur pour le client finalet la maximisation de la valeur pour les pro-priétaires de l’entreprise par une meilleuregestion de la SC.

Figure 3 : Indicateurs et acteurs de la SC

Source : Logistique & Management 2003

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Aujourd’hui, négliger l’un des deux marchésne manquera pas d’avoir des conséquencessur l’autre marché : l’actionnaire est le clientde la firme sur le marché financier au mêmetitre que le consommateur est un client sur lemarché des produits. Cette vision soulèvedeux catégories de questions :• Comment relier concrètement une mé-

trique de mesure de la performance opéra-tionnelle, que l’on vient de présenter, et unemétrique de mesure de la création de la va-leur (que nous exposerons plus loin)? Quelsindicateurs privilégier ?

• Quelle place accorder aux modes d’organi-sation sous-jacents ? Comment concilierd’une part, décentralisation des décisionsde planification au niveau des sites indus-triels ou plate formes logistiques, nécessai-res pour permettre au mieux le traitementdes évènements urgents et d’autre part,l’exercice d’une centralisation minimalesusceptible de permettre la tenue des objec-tifs globaux de performance ?

Les observations menées à partir de projets derationalisation des chaînes d’approvisionne-ment mettent en évidence que le lien entre laperformance opérationnelle et la performancefinancière rend souvent nécessaire uneréflexion sur l’organisation de la chaîneelle-même (Lambert et Pohlen, 2002). Leschéma suivant présente ces hypothèses etstructurera la présentation du modèleVBSCM que nous proposons.

Performance financière etindicateurs physiques de la SCAvant d’expliciter le lien entre les deux métri-ques, nous précisons d’abord la définition

économique et financière de la performanceque nous retenons. Nous désignons par per-formance économique la création nette derichesse (création moins destruction) enadmettant que l’activité industrielleconsomme des ressources (le temps des per-sonnes, des capitaux, de la matière, del’espace...) pour produire de la valeur et desprestations. Il y a ainsi performance et donccréation de valeur actionnariale lorsque lerendement des capitaux investis est supérieurau coût des capitaux de l’entreprise,c’est-à-dire au coût de sa dette et de ses fondspropres. On peut également se reporter à(Fabbe-Costes, 2002) pour une discussioncomplémentaire de la notion de valeur créée.

Par rapport à cette définition, nous privilé-gions deux métriques de la performance éco-nomiques, à savoir : la rentabilité des capitauxengagés et la valeur économique créée. Cesindicateurs font parties des principaux critèresrecommandés par les institutions financièrespour la communication des entreprises enmatière de création de valeur actionnariale.

Nous appellerons Capitaux Engagés (CE),l’actif immobilisé net d’amortissements(actifs industriels, équipement de transports,locaux de stockage…) et le besoin en fonds deroulement (BFR : les stocks, la variation ducrédit clients/fournisseurs). Ce dernier pointsignifie que l’entreprise doit utiliser une partiede ses ressources financières pour constituerdes stocks et pour attendre le paiement desclients, mais ceci est diminué par le fait queles fournisseurs attendent leur argent. Cetinvestissement dans le cycle d’exploitation estd’une importance primordiale car il corres-pond à des ressources financières payantesqui doivent être levées uniquement pourfinancer le BFR. Dans la plupart des entrepri-ses industrielles, le BFR est positif avec unerègle simple : plus le BFR est petit, plus lesressources financières totales sont petites,mieux l’entreprise se porte.

Les Capitaux Engagés sont financés par lesactionnaires (Capitaux Propres notés CP) etpar les créanciers financiers (Dettes financiè-res notées D) :

CE = CP + D.

L’intérêt majeur de cette présentation est dedistinguer nettement l’outil industriel (CE) deson financement (CP + D). La caractéristiqueprincipale du financement est qu’il a un coût.Actionnaires et créanciers financiers exigentun rendement de l’investissement qu’ils ontréalisé dans l’entreprise et ce rendement est

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Figure 4 : Relation Organisation de la chaîne et performancesopérationnelle et financière

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proportionnel au risque qu’ils ont accepté deprendre. Le coût du capital (K) est égal à lasomme pondérée de la rentabilité exigée descapitaux propres c’est-à-dire le taux de renta-bilité minimale sur les actifs que l’entreprisepuisse attendre.

La métrique Rentabilité des CE (RCE)

A partir de ces notations, la rentabilité des CEest donc égale au résultat d’exploitation (RE)divisé par le montant de financement de l’outilindustriel (CP+D), c’est-à-dire les capitauxmis en œuvre pour dégager ce résultat :

RCE = RE / (CP+D)

Une entreprise crée de la valeur dès lorsqu’elle dégage une rentabilité des capitauxengagés supérieure au coût de ses ressources,soit RCE > K.

La valeur créée correspond ainsi à la diffé-rence entre le résultat d’exploitation réaliséaprès impôts et la rémunération exigée par lemarché des capitaux, soit (RCE - K)?CE.

La métrique Performance Economique (PE)

La performance économique (PE) ou Econo-mic Value Added2 (EVA) (Stern, 1990) peutêtre définie comme la différence entre lerevenu net d’impôts tiré de l’exploitation et larémunération des capitaux engagés au coût decapital, c’est-à-dire au coût moyen pondérédes ressources financières. Si l’on considère,en première approximation, que le revenugénéré par l’exploitation est le résultatd’exploitation, la formule de PE s’écrit ainsi :

PE = RE (1 - Tis) - K CE× ×

Avec,RE = résultat d’exploitation,Tis = taux d’imposition des bénéfices,K = coût de capital,CE = capitaux engagés.

Une PE positive correspond donc à un enrichis-sement des actionnaires, une PE négative cor-respond à une destruction de richesse.

Dans ce cadre, vouloir relier performance éco-nomique et indicateurs opérationnels de la SCrevient à proposer une vision élargie de la per-formance (ou performance globale). Un desrôles clés de cette approche est de mettre enplace une articulation entre les performancesopérationnelles de la SC et les informationsfinancières. Il s’agit de concilier une logique demanagement à caractère financier avec unelogique de pilotage opérationnel de la SC enexaminant l’impact décisif des modes d’orga-nisation sur les mécanismes de création de

valeur. Dans ce contexte, le couplage de RCEavec les indicateurs de performance peuts’opérer à travers le capital engagé. Pour la PE,la transition avec les indicateurs peut se faire àtravers « l’arbre de valeur » qui permet dedécomposer la valeur économique de l’entre-prise en indicateurs de gestion des flux phy-sique de la SC.

De façon synthétique, la performance écono-mique est représentée par le résultat d’exploita-tion, le capital engagé et le coût du capital. Cesquatre postes sont à mettre en parallèle desindicateurs de performance opérationnelle dela SC. Cette instrumentation de la performanceglobale n’est pas dissociable d’une réflexionsur les modes d’organisation sous-jacents, entermes de circulation de l’information et desniveaux de responsabilité au sein de la chaîne.Cette vision globale, s’accompagne le plussouvent d’un mouvement de recentralisationde la planification et des décisions.

Arbitrage entre centralisationet décentralisationdans le pilotage de la SC.Un des moyens pour synchroniser les flux deproduits et les flux d’informations au sein de lachaîne consiste, comme nous l’avons montré(Nakhla et Soler, 1998 ; Nakhla, 1994), est demettre sous-contrôle centralisé les interdépen-dances entres les différents niveaux de planifi-cation en les intégrant au sein d’une mêmeentité ce qui reviendrait à endogénéiser lescoûts de coordination entre différentes direc-

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2 - Concept formalisé par lecabinet Américain Stern -Stewart

Figure 5 : Performance économique et indicateurs physiquesde la supply chain

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tions de l’entreprise et d’obtenir ainsi une meil-leure visibilité et un meilleur pilotage à court,moyen et long terme.

Cette tendance est très marquée dans le secteuragroalimentaire, et plus largement dans les sec-teurs de grande consommation où la grandedistribution est de plus en plus concentrée. Lesgrandes enseignes sont regroupées en centraled’achat. Les industriels tendent alors à calquerleur organisation sur celles de leurs clients pourrépondre au mieux à la demande du consom-mateur. Ainsi, l’organisation de la chaîned’approvisionnement devient également unfacteur clés dans la création de valeur. Elleconditionne en tout cas la performance globale.Ces transformations débouchent très souventsur l’émergence de la fonction supply chaindans l’entreprise. Centralisée pour mieux opé-rer une coordination transversale entres sitesindustriels ou bases logistiques, elle regroupeles fonctions de prévision, de gestion desstocks, de suivi des commandes et relationsclients autrefois décentralisées au niveau dechaque site. Les acteurs de la « SC » issus decette réorganisation, sont de véritables acteursd’interfaces coordinateurs de l’activité de pla-nification et de gestion des flux physiques surl’ensemble de la chaîne.

Cette organisation est censée permettre unegrande cohérence vis-à-vis des grands distribu-teurs (limiter le nombre d’interlocuteurs,homogénéiser les pratiques, lancer des opéra-tions commerciales d’ampleur nationale) ainsiqu’une meilleure adéquation entre les moyensdisponibles (capacité de production, force devente, marketing, logistique) et les besoins desclients. Nous présenterons plus loin unexemple type de ces organisations.

Le modèle VBSCM ou impact dela Gestionde la SC sur laperformance des entreprises :deux cas industriels.

Pour illustrer le modèle VBSCM nous allonsnous appuyer sur deux cas industriels simpli-fiés.3

Le premier cas industriel (cas Metal Steel notépar la suite MS) concerne la fabrication deproduits d’emballage et d’aciers spéciaux. Leprocessus de transformation et d’atteinte de laqualité finale du produit suppose une mise aupoint complexe.

Le second cas industriel (cas Food Compagnynoté par la suite FC) fait appel à un processcourt avec une grande périssabilité du produit.Le tableau ci-dessous montre comment cesdeux cas vont être mobilisés pour éclairer lesdifférentes dimensions étudiées de la perfor-mance :

1. Cas “Metal Steel”.Rentabilité des capitaux engagéset amélioration du taux deservice : quel impact sur les coûtsdes stocks ?

L’entreprise MS est issue de la fusion de deuxproducteurs européens de produits spéciaux« commodités et emballages » destinés à plu-sieurs types d’industries (conserves agroali-mentaires, aéronautique, électroménager…).Cette fusion a permis à MS de se hisser au pre-mier rang européen du secteur. Une période demutation profonde de son organisation a suiviopération dans l’optique de tirer le meilleurparti des « synergies » possibles et l’applica-tion de stratégies industrielles, qui selon sesdirigeants sont en rupture, plus agressivesaussi bien en termes commerciaux qu’auniveau de l’organisation de la chaîne d’appro-visionnement. Le projet « optimisation de laperformance de la chaîne logistique » s’inscritdans cette stratégie avec un objectif double :améliorer la compétitivité de l’entreprise parun meilleur service au client mais aussi mobi-liser l’organisation derrière un projet de ratio-nalisation des processus de la SC créateurs devaleur pour l’entreprise.

Pour expliciter cette expérience, nous com-mençons par synthétiser le système de pro-duction de l’entreprise. La matière premièrecorrespond à des « brames » enroulées enbobines qui doivent être d’abord laminée àfroid pour obtenir l’épaisseur désirée. Le pro-duit obtenu est ensuite recuit pour restaurer

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3 - Pour des raisons deconfidentialité et notamment sur

les coûts, les données sontprésentées à titre illustratif ainsique la dénomination de certains

produits pour garderl’anonymat des entreprises

concernées.Nous avons privilégié ici unedémonstration basée sur des

méthodes de cas. Nous avonsretenu pour cet article deux casde « bonnes pratiques » qui neconstituent pas évidemment un

échantillon représentatif au sens« statistique » mais donnent une

tendance et des signaux desévolutions industrielles en

cours. Ce choix nous permetd’explorer de façon détaillée les

différentes dimensions dumodèle VBSCM. En effet,

certaines variables, notammentorganisationnelles ne sont

appréhendables qu’à traversune analyse approfondie de cas

Tableau 1 : Positionnement des cas étudiés par rapport aux différentes dimensions

Service clients Réactivité et flexibilité de la SC Management financier CompétencesRCEPE

Impact sur le résultat d’exploitationImpact sur le délai, les ventes et sur le résultatd’exploitation

Impact sur les capitaux mobilisés et surle Besoin en Fonds de Roulement

Impact sur la performance globale de lachaîne

IllustrationCas Food CompagyCas Metal Steel

Cas Food Compagy Cas Metal Steel Cas Food Compagy

Page 9: Supply Chain Management et performance de l'entreprise “Value

ses propriétés mécaniques, cette opération estréalisée sur différentes lignes en fonction de laqualité voulue « brillante ou décapée ».

Après l’opération de recuit, intervient uneopération de laminage très superficielle des-tinée à améliorer la surface du produit.

Enfin, plusieurs opérations de finition (mise àdimension, pose de revêtement, polissage…)permettent d’obtenir un produit conforme à lademande du client.

Face à un marché devenu très étendu (dimen-sions, conditionnement, aspects de sur-face…), l’entreprise doit faire face à plusieursinterrogations : comment améliorer le taux deservice sur l’ensemble de la gamme sans troppénaliser le besoin en fond de roulement ?Comment préserver une compétitivité baséesur le prix dans un contexte concurrentielfort ? Comment répondre à des clients se mon-trant de plus en plus exigeants vis à vis de laqualité des produits et des délais de livraison ?

Pour répondre à ces interrogations, le projet« optimisation de la performance de la chaîned’approvisionnement » s’est centrée dans unpremier temps autour de la mise en place denouvelles offres logistiques tirées par de nou-veaux taux de service qui, dans un deuxièmetemps, sont évaluées en termes d’impact sur laperformance financière de l’entreprisecomme nous allons le montrer :

Une segmentation logistique des attentesclients : support de l’évaluationde la performance

La segmentation logistique en huit catégoriesdes attentes des clients a constitué le premier

maillon de la structuration de la chaîned’approvisionnement de l’entreprise. Cettesegmentation est le résultat d’un travailconjoint de la production et du réseau com-mercial sur la base de quatre principaux critè-res :• L’importance des flux de production de

chaque référence produit.• Le taux de rendement de production de qua-

lité supérieure par référence (noté TR par lasuite est mesuré par le rapport entre la quan-tité produite de qualité supérieure sur le to-tal matière première engagée).

• L’adéquation des différentes qualités pro-duites par rapport aux qualités demandéespar les clients. Certaines qualités peuventêtre vendables, d’autres qualités subissentune décote au niveau des prix.

• Le mode de production : sur stocks ou à lacommande à partir d’un produit intermé-diaire

Ciblage des segments logistiques parrapport aux niveaux de service attenduspar les clients

Ces huit segments sont ensuite reliés aux dif-férentes attentes clients en identifiant lesattentes spécifiques, les segments stratégiquespour l’entreprise, les grandes tendancesd’évolutions du marché et l’offre de la concur-rence par marché en matières de délai delivraison et taux de service (TS) :

Pour atteindre ces objectifs, plusieurs levierssont mis en place selon la catégorie de pro-duits et des attentes des clients :• Le levier stock : Il est constitué principale-

ment de produits intermédiaires permettant

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Tableau 2 : Les différents segments « clients » identifiés

Production de masse Production en petite série

TR fort TR faible TR fort TR faible

Qualité inférieurevendable à un prixdéclassé

Qualité inférieure nonvendable

Qualité inférieure vendable à un prix déclasséQualité inférieurenon vendable

(1) (2) (3) (4)

Produit à lacommande(5)

Produit sur stock

(6)

Produit à lacommande(7)

Produit sur stock

(8)

Tableau 3 : Offre logistiques au croisement produits / attentes clients

Segmentslogistiques →

Attentes ↓Clients

(1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8)

Délai courtTS=90%

Livraison en juste à temps à partir du stock Livraison en juste à temps à partir du stock ou selon le principe d’une spécialisation retardée

Délai moyenTS=95%

Livraison à partir du stock et garantie des délaisGarantie absolue des délais et d’un taux de service très élevé coûteux

Délai longTS=100%

Garantie absolue des délais et d’un taux de service très élevé

Page 10: Supply Chain Management et performance de l'entreprise “Value

de diminuer le temps de cycle de produc-tion. Les stocks sont positionnés à un stadede production non différenciant. Ce levierpermet, de livrer des produits en un délaitrès court ou en juste à temps après uneétape de différenciation.

• Le levier surlancement qui consiste à lanceren production une quantité supérieure à lacommande afin de compenser les aléas deproduction ou un éventuel taux de rende-ment faible du produit.

• Le levier anticipation de la production quipermet en cas d’aléas de relancer la produc-tion sans pénaliser les délais. Ce levier estactionné pour les produits dont le délai deproduction est supérieur au délai commer-cial.

Lien entre amélioration de taux de serviceet besoin en fond de roulementde l’entreprise

Pour illustrer ce lien, prenons le cas de l’offrelogistique caractérisée par un délai court etfaisant appel à des surlancements à cause d’untaux de réussite du produit inférieur à 100%.Sur cette offre l’entreprise fixe un taux de ser-vice minimum (TS) de 90%, notamment lié àdes retards de production. L’entreprise exigeun rendement annuel sur ses capitaux engagés(RCE) égal à 15%. Le taux de réussite (taux derendement de production de la qualitédemandée) est évalué à 80% et la duréemoyenne de stockage est évaluée à un tri-mestre.4

Pour une commande de 2 tonnes, l’entreprisedoit lancer en production 2,5 tonnes en tenantcompte du taux de réussite fixé (80%). Le sur-classement correspond alors à 0,5 t. Le produitfini est mis en stock (90% de la commande enmoyenne compte tenu du taux de service). Lecoût lié aux stocks est :

0,5 0,9 1500 0,15 312

=× × ×

25 € par tonne

Ce mode de calcul est appliquée aux différen-tes offres logistiques en examinant les diffé-

rents leviers ce qui donne les résultats présen-tés dans le tableau 4. Les différents coûts sontmesurés par rapport à une situation de réfé-rence (produit facile) et des lots moyens deproduction de 20 tonnes. Les valeurs corres-pondent à des surcoûts.

La stratégie qui consiste à proposer de nou-veaux segments logistiques mieux adaptés aumarché pour améliorer le taux de service auxclients et donc le résultat d’exploitation peutpénaliser les coûts liés aux stocks et le capitalengagé. Cet arbitrage est souvent nécessaireavant de reconfigurer l’ensemble de la SC. Ilrenvoie également aux problèmes de coordi-nation que l’on peut observer entre logiquecommerciale et logique industrielle. Il fautnoter également que le tableau 4 n’intègre pasles pertes de chiffre d’affaire liées à un produitvendable mais déclassé (vendu à un prix infé-rieur à son prix habituel). C’est le cas desoffres (2), (5) et (6). Cela signifie que les coûtsobtenus ici doivent être complétés par lesconséquences sur le chiffre d’affaire. Cela dit,cette remarque ne modifie pas la portée de laméthode présentée ici.

Cas Food Company.Organisation de la SCet amélioration de la margeopérationnelle

FC est un groupe européen leader dans ledomaine des produits agroalimentaire etdégage un résultat opérationnel d’environ316 millions d’euros. Compte tenu des con-traintes du produit, le réseau logistique de FCest assez dense et complexe. La Supply Chaincorrespond à l’ensemble des services qui pilo-tent les flux d’informations et les flux de pro-duits depuis la prévision des commandes desdistributeurs et l’enregistrement de ces com-mandes, jusqu’à la livraison des produits, enpassant par la planification de la production etla gestion des stocks.

L’objectif du projet « supply chain et perfor-mance financière » mis en place est de s’assu-rer de la présence des bons produits au bonendroit, au bon moment et en bonne quantitétout en minimisant les coûts de transport et destockage.

Ainsi, le principe du pilotage de la supplychain par la demande du marché et larecherche de la performance se sont structurésautour de deux axes :• Un axe organisationnel visant une implica-

tion transversale de plusieurs services (pré-

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Tableau 4 : surcoûts des différentes offres logistiques

Segmentslogistiques →

Attentes ↓Clients

(1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8)

Délai courtTS=90% Coût de

référence0 €

0 € 250 €/tCoût de

référence0 €

0 € 337 €/t

Délai moyenTS=95% 0 € 267 €/t 0 € 356 €/t

Délai longTS=100% 0 € 280 €/t 0 € 375 €/t

4 - Tous ces chiffres ont étémodifiés. Ils n’ont pour objectifs

que d’illustrer la méthoded’évaluation adoptée.

Page 11: Supply Chain Management et performance de l'entreprise “Value

visions des ventes, service client, gestiondes commandes, stock…).

• Un axe financier visant l’optimisation de lachaîne logistique afin de réduire les coûtsengendrés tout en assurant un service maxi-mum au client et une marge opérationnellesuffisante.

Une réorganisation de la chaîned’approvisionnement : une chaîne orientéecréation de valeur avec une centralisationrenforcée du pilotage

Dans cette entreprise, les grands principes del’organisation de la SC ont été tirés par desobjectifs de coordination. Il s’agit de piloter lacréation de valeur en impliquant toutes lesfonctions de l’entreprise en rendant possiblesdes arbitrages permanents entre opportunitésde marges opérationnelles et coûts de la logis-tique et d’approvisionnement.

Ces nouveaux objectifs de la SC ont débouchésur un mouvement de centralisation d’un cer-tain nombre d’activités qui jusque là étaienteffectuées au niveau des usines ou entrepôts.Ainsi, la direction de la SC centrale prend encharge la définition des politiques de gestiondes stocks, la planification des charges desdifférentes usines au niveau européen et lagestion des commandes qui sont regroupésdans trois services différents dans le cas pré-sent. Pour assurer ce fonctionnement, la fonc-tion SC a été ré-organisée en trois entitéscomme le montre le tableau suivant :

Les avantages visés par cette nouvelle organi-sation sont :• Une meilleure planification des flux en pri-

vilégiant les produits à forte valeur ajoutée.• Une réduction du Besoin en fonds de roule-

ment et donc du capital engagé par une ré-duction des stocks à quelques jours et laréduction des emballages et des produitsobsolètes d’où un impact sur le profit éco-nomique égal à ∆ ∆PE = -K ( Stocks)× ,toutes choses égales par ailleurs. Un résul-

tat semblable peu être obtenu à partir d’uneréduction des délais clients fournisseurs.

• Une augmentation du résultat d’exploitationpar une augmentation du taux de service.

Pour illustrer ces améliorations, reprenonsnotre exemple en l’illustrant avec des chiffressimplifiés.

En effet, à partir de l’année 2002 (situation deréférence) FC a fait, à la suite du projet « sup-

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Figure 6 : la SC de Food Company

Figure 7 : Réduire les coûts en assurant un service maximum et unemarge opérationnelle suffisante

Tableau 5 : Organisation de la SC centrale de Food Company

Direction Supply Chain Centrale

Planification et flux Gestion des stocks et distributionphysique

Gestion des commandeset service client

- Prévisions de ventes

- Planification au jour le jour des lignes deproduction dans les usines à l’échelleeuropéenne.

- Suivi fin des produits générant plus demarge (petites quantités avec des délaisgarantis)

- Gestion précise des stocks pour limiter laquantité de stocks à quelques jours et laquantité de produits obsolètes

- Gestion opérationnelle des entrepôts, dudéploiement et du transport.

- Prise en charge complète de la commandedepuis la planification jusqu’à l’expédition.

- Suivi précis pour le client de chacune desétapes de la commande, planification,production, stockage, expédition afind’assurer un service parfait et surtout uneextrême réactivité en cas d’incidents lors duprocessus

Page 12: Supply Chain Management et performance de l'entreprise “Value

ply chain et performance financière », desréductions significatives de ses stocks et deses crédits clients fournisseurs. La centralisa-tion de la supply chain a impacté plus particu-lièrement la gestion des commandes et desrelations aux clients. Si nous supposons unrésultat opérationnel stable, pour simplifier,on peut mettre en évidence l’importance de lagestion de la Chaîne d’approvisionnementdans la création de valeur mesurée par le PE,comme le montre les résultats suivants :

Il faut, cela dit, rester prudent dans la mesureoù les différentes décisions d’améliorationsont imbriquées. Elles exigent des investisse-ments et des dépenses affectant les deux ter-mes de l’équation du profit économiquecomme on l’a vu dans le cas MS où l’augmen-tation du taux de service n’est pas gratuite.

On aurait du également analyser l’impact del’amélioration du taux de service sur ces résul-tats, mais les données disponibles pour cetteentreprise ne permettent pas d’aller plus loin.Ce point met en évidence, comme le cas pré-cédent, la nécessité d’aligner selon un objectifcomme une stratégie commerciale, une stra-tégie d’évaluation financière et une stratégieopérationnelle. Les calculs précédents onttenté d’éclairer le lien entre une stratégie opé-rationnelle basée sur la gestion des stocks,l’amélioration du BFR et une meilleure coor-dination des relations aux clients.

Conclusion

L’accroissement des contraintes pesant sur laperformance des entreprises et la recherched’une productivité croissante, avec un plusgrand risque que par le passé d’instabilité desdemandes a amené à envisager des formes decoordination nouvelles visant le renforcementdes chaînes d’approvisionnement. A traversces multiples transformations, on peut noterque la mesure de la performance a, au départ,été centrée autour des indicateurs « techni-ques » des flux physiques. Cette préoccupa-tion s’est déplacée ensuite de façon de plus enplus marquée, dans les grands groupes indus-triels, vers une préoccupation davantage éco-nomique et financière. Cette évolution s’est

concrétisée par un passage d’une philosophiede la gestion de la SC marquée par l’atteintede performances locales (commerciales, pro-duction, logistique, coût de revient) selon unelogique « métier » à une philosophie de la ges-tion de la SC comme levier de création devaleur pour l’entreprise et pour le client, à uncoût acceptable par le marché. Dans ce cadre,c’est une réelle réflexion sur l’articulationentre les deux philosophies qui devient straté-gique.

De ce point de vue, les expériences de gestionde la SC analysées peuvent être vues commeun moyen d’afficher, une exigence de progrèscontinu, et par là de débattre de la portée et deslimites de création de valeur pour l’entreprise.

Il reste que le modèle proposé vise avant tout àorganiser des dynamiques collectives, en for-malisant des points de repères susceptibles destructurer des modes de travail collectif desacteurs internes et externes de la SC en favori-sant une meilleure articulation entre les straté-gies d’amélioration du taux de service et lesprojets de réduction des coûts. L’idée étantd’organiser la convergence vers des niveauxde rentabilité globale performante et de garan-tir un minimum de coordination au sein del’ensemble de la chaîne.

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Années 2002 2003 2004 2005

Résultat Économique (€)Capital engagé (€)Coût du Capital

31620530,15

31620430,15

31620030,15

31619130,15

PE : Profit Économique (€)PE cumulé (€)

8,0562,2

9,55 15,55 29,55

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