subjectivation et mondialisation cfh 1997 jr.doc

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MoNdernisation & subjectivation / Jean Rossiaud MoNdernisation et subjectivation : Eléments pour la sociologie des mouvements sociaux Jean Rossiaud In Cadernos de Pesquisa n°10, Universidade Federal de Santa Catarina em Florianópolis, Programma de Pós-Graduação em Sociologia Política, Julho 1997 Et ici nous sentons que nous approchons d'une révolution considérable (si considérable qu'elle n'aura peut-être pas lieu), celle qui concerne le grand paradigme de la science occidentale (et de façon corrélative de la métaphysique qui en est tantôt le négatif, tantôt le complément) […]. Ce qui affecte un paradigme, c'est-à-dire la clé de voûte de tout un système de pensée, affecte à la fois l'ontologie, la méthodologie, l'épistémo-logie, la logique, et par conséquent, la pratique, la société, la politique." Edgar Morin 1 Résumé Ce texte propose quelques éléments pour enrichir la sociologie des mouvements sociaux et de l'action collective. Après avoir refusé de faire un choix insatisfaisant entre les deux paradigmes contemporains de la sociologie des mouvements sociaux, le paradigme identitaire et celui de la mobilisation des ressources (section 1.), il est proposé de les combiner (section 2.), puis de proposer leur ouverture à deux phénomènes marquants de l'après-guerre froide : la moNdernisation (néologisme consacrant l'interpénétration de la modernisation et de la 1 Morin [1990: 73]. - 1 -

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MoNdernisation et subjectivation :

MoNdernisation & subjectivation / Jean Rossiaud

MoNdernisation et subjectivation:Elments pour la sociologie des mouvements sociaux

Jean Rossiaud

In Cadernos de Pesquisa n10, Universidade Federal de Santa Catarina em Florianpolis, Programma de Ps-Graduao em Sociologia Poltica, Julho 1997Et ici nous sentons que nous approchons d'une rvolution considrable (si considrable qu'elle n'aura peut-tre pas lieu), celle qui concerne le grand paradigme de la science occidentale (et de faon corrlative de la mtaphysique qui en est tantt le ngatif, tantt le complment) [].

Ce qui affecte un paradigme, c'est--dire la cl de vote de tout un systme de pense, affecte la fois l'ontologie, la mthodologie, l'pistmo-logie, la logique, et par consquent, la pratique, la socit, la politique." Edgar Morin

Rsum

Ce texte propose quelques lments pour enrichir la sociologie des mouvements sociaux et de l'action collective. Aprs avoir refus de faire un choix insatisfaisant entre les deux paradigmes contemporains de la sociologie des mouvements sociaux, le paradigme identitaire et celui de la mobilisation des ressources (section 1.), il est propos de les combiner (section 2.), puis de proposer leur ouverture deux phnomnes marquants de l'aprs-guerre froide: la moNdernisation (nologisme consacrant l'interpntration de la modernisation et de la mondialisation) (section 3.) et la subjectivation individuelle et collective (section 4.); il nous est alors possible de percevoir l'mergence d'un nouveau type de mouvement social l'chelle mondiale: le mouvement de citoyens.

1.IntroductionParadigme identitaire vs paradigme de la Mobilisation des ressources : "A insatisfactory choice"

Les thories contemporaines sur les mouvements sociaux et plus largement sur les mobilisations collectives sont souvent prsentes comme relevant de deux paradigmes dominants, dont il serait possible d'effectuer aujourd'hui la synthse: le paradigme de la mobilisation des ressources, d'une part, et le paradigme identitaire, d'autre part. Je propose ici, en premier lieu, une manire de combiner les deux approches et, en second lieu, une tentative d'ouvrir la thorie la prise en compte de deux des enjeux principaux de la priode : la mondialisation et la subjectivation.

Il est aujourd'hui galement considr que chacun des deux paradigmes contemporains s'est forms en s'opposant un paradigme "classique": le paradigme identitaire face au marxisme et le paradigme de la mobilisation des ressources face la sociologie positiviste.

En effet, dans le premier courant de pense, la thorie marxiste avait t transforme en doctrine par les partis communistes: en faisant de la lutte des classes le moteur de l'histoire, et en dfinissant les classes uniquement dans leur caractre objectif, ils avaient supprim l'ide mme de mouvement social. Il fallut attendre Touraine et le paradigme que l'on nomma plus tard "identitaire", faisant le lien entre classe sociale (objective) et mouvement social (lieu de la conscience subjective), pour que, dans une thorie "anti-marxiste" qui tait bien des gards redevable de la pense marxiste, le concept mme de mouvement social soit reconstruit.

Dans le second courant, entre temps, le paradigme qui fut dominant jusqu'au milieu des annes 70 tait issu de la sociologie positiviste anglo-saxonne et, en particulier, de la tradition psychosociologique de l'Ecole de Chicago. Deux de ses variantes retinrent l'attention: (a) la thorie de la socit de masse (Kornhauser, Arendt); (b) le modle structuro-fonctionnaliste de comportement collectif (Smelser). Ce qui est partag par les deux variantes, et qui nous amne assez prs des thories de l'irrationalit, c'est que l'action collective n'apparat que quand la socit civile s'croule.

Ces thories furent condamnes par l'irruption dans les annes 60 et 70 de mobilisations importantes et sur une large chelle, dans une socit en plein dveloppement. Dans la foule de 68, l'apparition de "nouveaux mouvements" (mouvements tudiants, pour les droits civiques, fministes, colo-pacifistes, etc.) demandait une "nouvelle thorie".

D'une part, invalidant le modle de Smelser, ces mouvements dmontraient qu'ils n'taient pas la consquence d'une rupture structurelle (crise conomique ou rupture normative), mais qu'ils vhiculaient des buts concrets, de nouvelles valeurs et intrts (ce qui sera relev par le paradigme identitaire, principalement en Europe occidentale, et tout particulirement en France autour de Touraine) et que les organisations savaient calculer rationnellement leurs stratgies (ce qui sera mis en vidence par le paradigme de la mobilisation des ressources, aux Etats-Unis, principalement, mais galement en Allemagne).

D'autre part, invalidant le modle marxiste, les nouveaux mouvements sociaux faisaient la preuve que des mobilisations collectives fortement structures n'apparaissaient pas seulement lorsque les "conditions objectives" taient runies et que, de plus, leur composition sociale ne dpendait pas toujours de l'appartenance de classe.

Les deux nouveaux paradigmes se dvelopprent sparment jusqu' rcemment, se construisant dans des "coles", le plus souvent nationales, et qui mirent peu de volont communiquer entre elles. Cependant chacune sa faon connut son heure de gloire et chacune contribua d'une manire importante la thorie des mouvement sociaux.

Cependant, aujourd'hui, en accord avec Cohen & Arato, nous pensons que ni la thorie tourainienne des nouveaux mouvements sociaux, ni la thorie de la mobilisation des ressources ne permettent elles seules de comprendre les mouvements sociaux contemporains, en particulier depuis 1989-90. La thorie tourainienne ne conoit les nouveaux mouvements sociaux que comme des alternatives, adresses la socit civile, en fonction d'enjeux culturels centraux. La thorie de la mobilisation des ressources ne conoit les mouvements sociaux qu'en fonction des actions stratgiques, adresses aux structures politiques et conomiques.

De plus, dans leur concurrence, ces deux thories nous acculent un choix qui ne peut nous laisser que dans l'insatisfaction:

"Either one interprets the movements in term of strategic logic of organization involved in pressuring the big structures of state and economy, or one opts for a stress on identity, norms, cultural models, and associational forms articulated by the most innovative actors themselves, targeting the institutions of civil society."

Il manque donc, pour les auteurs, un modle thorique capable d'accommoder les deux approches..

2.Propositions d'articulations

Cohen & Arato proposent donc une thorie actualise de la socit civile. et insistent tout particulirement sur la ncessit - sur le plan thorique - de toujours concevoir les concepts de "socit civile" et de "mouvement social" en relation l'un avec l'autre. Ils proposent la relation thorique suivante entre les deux concepts:

"It's our thesis that social movements constitute the dynamic element in process that might realize the positive potentials of modern civil societies."

Si nous en dveloppant la logique, la formule de Cohen & Arato est importante d'une double manire.

En premier lieu, en tablissant le lien entre mouvement social et socit civile (c'est--dire principalement des organisations structures), il est possible d'articuler la conception du "mouvement social" comme "virtualit", ou comme "potentialit" historique (paradigme identitaire) avec l'tude empirique des organisations de la socit civile (paradigme de la mobilisation des ressources).

En second lieu, cette formule nous permet, dans l'tude des actions collectives, de dpasser la dichotomie et de rtablir une articulation entre synchronie (socit civile comme organisations intitutionnalises) et diachronie (mouvement social comme lment dynamique), entre dveloppement et structure, entre histoire et sociologie; elle ouvre ainsi la thorie des mouvements sociaux la thorie des systmes complexes et, en particulier, la thorie des systmes auto-poitiques.

Les sous-sections 2.1. et 2.2. infra dveloppent ces "propositions d'articulations".

2.1.niveaux d'actions collectives,structure des opportunits politiqueset mobilisation des ressources

Tout d'abord, je propose ici de combiner la thorie tourainienne des niveaux de conflits (conduites collectives/ luttes sociales/ mouvement social) et celle de la mobilisation des ressources, en considrant que celle-ci ne se situe qu' un seul des trois niveaux du modle de Touraine: celui des luttes sociales dans le cadre institutionnel. En effet, en reliant entre elles, dans une thorie homogne, les diffrentes formes d'actions collectives, la thorie de Touraine permet d'intgrer les principales thories concurrentes, plus spcifiques, mais moins embrassantes.

Systmes d'actions et type de conflit chez Touraine

On sait que pour Touraine, la socit est une hirarchie de systmes d'actions sociales qui se commandent de haut en bas, mais qui disposent d'une autonomie relative. Le niveau le plus bas des actions sociales est le niveau "organisationnel", les actions qui sont menes dans les usines, les universits, les hpitaux, les administrations, etc. relvent de ce niveau qui reprsente le fonctionnement du systme: ce niveau pour Touraine le type de conflit est nomm "conduites collectives". Le deuxime niveau est le niveau "institutionnel"; c'est le niveau des dcisions politiques et des "luttes sociales" qui ont le pouvoir comme enjeu. Le troisime et dernier niveau est celui des orientations culturelles de la socit, de "l'historicit" et du rapport de classes: c'est ce seul niveau que Touraine utilise le terme de mouvement social. Touraine emploie donc l'expression mouvement social, dans un sens particulirement restrictif, par rapport l'ensemble de la sociologie des mouvements sociaux.

En insistant sur le fait que les actions conflictuelles "cherchent transformer les rapports de domination sociale", Touraine reste proche d'une thorie de la lutte des classes, mme si, lorsqu'il parle du "mouvement social", il se place au niveau de l'historicit, c'est--dire de la capacit des socits produire leur devenir, et non pas au niveau de l'Etat, et donc de la lutte pour le pouvoir.

La catgorie "conduite collective" est proche du concept de "collective behaviour" de Smelser. Il s'agit bien d'une attitude de dfense, de rsistance, d'une conduite de crise, face aux consquences de la modernisation, provoque par l'environnement politique, conomique, technologique ou culturel.

Dans le cadre du mouvement ouvrier, nous sommes en prsence d'une conduite collective, si, dans une usine, des employs s'organisent pour lutter contre l'augmentation des cadences. Nous passons une lutte sociale, si cette rsistance est traduite en revendications par des organisations politiques ou syndicales, qui posent le conflit en termes globaux (politiques au sens large) et non plus au niveau de l'entreprise, mais au niveau institutionnel, c'est--dire au niveau du systme des dcisions politiques.

Aujourd'hui, face la modernisation/ mondialisation (la moNdernisation, selon notre nologisme), les conduites de crises se manifestent, au centre du systme mondial, par des rsistances nationalistes contre l'intgration, par des rsistances ouvrires contre la libralisation des marchs, mais galement par des rsistances traditionalistes, qui en appellent au retour des valeurs de la culture occidentale ou des religions (chrtienne, musulmane ou juive); les mouvements new age messianiques ou prophtiques, mais galement une certaine contre-culture squat, non pas tourns vers un pass mythique mais vers des communauts utopiques, peuvent galement - mon sens - tre considres comme des conduites de crises.

Ce qui est important pour notre tentative d'articulation des deux paradigmes, c'est que la notion tourainienne de "luttes sociales" se place finalement au mme niveau d'analyse que les notions de "mouvements sociaux" et ou mme "d'organisations du mouvement social" dans la thorie de la mobilisation des ressources et, en particulier, dans celle de la structure des opportunits politiques.

En effet, dans ces thories, les mouvements sociaux sont censs se constituer au niveau institutionnel, dans et contre le systme politique. Ce niveau d'analyse, qui est dans notre dfinition galement celui de l'Etat, n'est pas celui auquel Touraine consacre sa plus grande nergie, prfrant s'intresser au niveau hirarchique suprieur de sa pyramide des actions sociales, celui des valeurs culturelles, de l'historicit, et du mouvement social.

Ce faisant, il prte le flanc la critique des thoriciens de la mobilisation des ressources qui sont en droit de lui reprocher, premirement, de ne pas suffisamment distinguer les organisations du mouvement social, du mouvement social lui-mme et, deuximement, de ne pas tenir assez compte de la lutte rationnelle que mnent les organisations dans le champ politique.

C'est donc bien ce niveau de la thorie tourainienne, le niveau des actions institutionnelles qu'il s'agit d'introduire la thorie de la mobilisation des ressources et, plus particulirement dans son dveloppement le plus rcent, la thorie dite des opportunits politiques.

Les organisations de la socit civile mobilisant des ressources

Avant les annes 60, l'hypothse gnrale sur laquelle reposait la sociologie des mouvements sociaux tait que la mobilisation est la consquence d'une "frustration relative" (relative deprivation). Le prjudice (grievance) est d'abord ressenti individuellement, puis, dans un second temps, les individus prennent conscience que le prjudice est d'ordre collectif, et qu'il est possible, voire souhaitable, de tenter collectivement d'y mettre un terme. C'est sur cette base que se formaient les organisations. Les militants d'alors se percevaient d'ailleurs eux-mmes selon ce schma.

Cette thorie n'a gnralement plus cours aujourd'hui. Avec l'mergence des "nouveaux mouvements sociaux", il fut ncessaire de formuler une thorie plus proche de l'exprience vcue par les militants et les sociologues contemporains qui avaient particip ces nouveaux mouvements.

Les premiers thoriciens de la mobilisation des ressources appartenaient la mouvance "New Left"; Mc Carthy & Zald, par exemple, pensent, d'une part, que ce qui est vritablement nouveau dans les nouveaux mouvements sociaux, c'est les "professional social movement organizations" (SMOs), dont les leaders (extrieurs plutt qu'intrieurs la mobilisation) tentent de poursuivre des stratgies rationnelles et, d'autre part, qu'un mouvement russit s'imposer s'il arrive s'institutionnaliser comme groupe de pression, dans une organisation structure.

L'approche de la mobilisation des ressources fit faire un pas important la sociologie des mouvements sociaux. En effet, elle ne niait pas l'importance des griefs (grievances), releve par l'approche de la frustration relative, mais la relguait au second plan. Certes, l'approche de la frustration relative, pouvait tre quelque peu explicative pour ce qui concernait le mouvement ouvrier par exemple, quoique dans une mesure moindre qu'on le prtendait. Cependant, elle se rvlait de peu d'utilit pour ce qui concerne les mouvements "engagement philanthropique", comme le mouvement pour la paix, ou aujourd'hui le mouvement de citoyens, puisque les individus qui se mobilisent peuvent plus difficilement tre considrs comme tant, directement et davantage que d'autres, l'objet de griefs individuels.

L'intrt principal de la thorie de la mobilisation des ressources est de montrer que les organisations ne sont pas uniquement en lutte permanente contre un adversaire unique, mais qu'elles sont galement en concurrence, entre elles, dans la mobilisation des ressources, principalement le temps, l'argent, le savoir et l'engagement (commitment). Cette observation posait en corollaire que tout mouvement est compos de plusieurs organisations en comptition. Cette distinction entre le mouvement et les organisations est extrmement importante; cependant, la thorie de la mobilisation des ressources n'a pas t, de mon point de vue, au bout de la logique de cette diffrence, puisqu'elle restait soumise au paradigme de l'individualisme mthodologique strict, chaque organisation tant ici considre comme "individuelle". Dans cette optique rductionniste, le mouvement social apparat donc comme l'agrgat de diffrentes associations et non pas dans sa qualit subjective propre (processus de subjectivation); alors que dans l'optique d'une sociologie complexe, le mouvement social possde et dfend une subjectivit propre, diffrente des subjectivits "individuelles" des organisations qui le composent, elles-mmes diffrentes des individus qui composent ces organisations.

Finalement, la thorie de la mobilisation des ressources, dans son dveloppement autour de l'ide d'organisation (social movement organization's - SMO's) ouvrait la porte une meilleure prise en compte de la variable politique, et en particulier de la structure d'Etat, dans l'explication de l'mergence des mouvements sociaux, sans cependant en tirer toutes les consquences thoriques.

L'action se situe dans le cadre des opportunits politiques

C'est pour combler cette insuffisance que se dessina bientt, l'intrieur du mme paradigme, une nouvelle thorie que S. Tarrow, dans Struggling to Reform, a appel "political opportunity structure" (POS). Tarrow utilise ce concept pour diffrencier les variables "externes" qui sont importantes dans l'explication du succs du mouvement, de la mobilisation "interne" des ressources. En mme temps, cette approche ouvre donc une meilleure comprhension de la dialectique entre les critres internes et externes de la mobilisation, en se focalisant sur le systme politique. En cela, elle propose une analyse plus fine que celle effectue l'intrieur du paradigme identitaire.

L'ide centrale de cette thorie est que l'impact de la mobilisation sur la rforme doit tre analyse en tenant compte de

"the combination of resources and constraints that are characteristic of the period of general mobilization in whole social system."

Cependant, pour Cohen & Arato, une des caractristiques des nouveaux mouvements sociaux est justement, au contraire, la cration de rseaux de communications alternatifs, dont le but n'est pas d'influencer les lites, mais de se dvelopper en faisant avancer la conscientisation (conscience constituency). En d'autres mots:

"[] civil society [] is not only the terrain but also the target of the new social movements, can one assess the significance of such a strategy."

ou ailleurs:

"A civil-society-oriented [and not only polity-oriented] approach could highlight two additional dimensions of contemporary collective action: the politics of influence (of civil on political society) and the politics of identity (the focus on autonomy, identity, and the democratization of social relations outside the polity)."

Avec la thorie des opportunits politiques, les organisations du mouvement social sont confortes en leur qualit d'objets sociologiques privilgis, et, en particulier, c'est leur stratgie "subjective" (trop souvent dfinie pourtant en purs termes de "rationalit instrumentale") qui sera au centre des proccupations des sociologues.

Cependant, lorsque l'on parle de stratgie, il faut imprativement faire la distinction entre les organisations et le mouvement social lui-mme.

Il me semble que, parmi les diffrentes optiques stratgiques et tactiques qui s'offrent au mouvement dans son ensemble, une gradation s'tablit entre les deux ples (idologiques et pratiques) que constituent d'une part l'assimilation (la rforme, le rformisme) et d'autre part la confrontation (la rvolution/ le radicalisme) au systme. Les organisations qui composent le mouvement en sont bien conscientes et se rpartissent entre elles - tacitement ou ouvertement - les domaines et les mthodes d'actions, selon ce que l'idologie de leurs membres leur permet de dire et de faire.

Dans notre conception, le mouvement social n'est, en lui mme, ni "rformiste" ni "rvolutionnaire" ou plutt, si l'on veut, il est les deux la fois: radical (rvolutionnaire) dans le sens o il prend au pied de la lettre les promesses de libert, d'galit, de solidarit, de dmocratie souleves par la modernit, il est prt selon les circonstances - c'est--dire selon la configuration que forment les organisations qui le composent dans le champ des possibles politiques - dployer des actions les plus diverses et dont les rsultats s'tendent du compromis le moins glorieux au renversement d'un gouvernement ou d'un rgime politique (la Rvolution), en passant par des rformes lgislatives ou constitutionnelles radicales; l'ensemble de ces actions, et la qualit du rsultat obtenu, ne sont rellement comprhensibles que si l'on garde en tte que leur dnominateur commun est la construction infinie de la subjectivit individuelle et collective travers l'approfondissement de la morale dialogique de la modernit (Libert/ Egalit/ Fraternit).

La thorie de la structure des opportunits politiques possde un autre intrt. Non seulement elle permet de comprendre les diffrences entre les mouvements d'un pays l'autre, mais galement, ce qui est peut-tre encore plus intressant, elle permet de comprendre les diffrences entre plusieurs mouvements sociaux actifs dans le mme pays un mme moment ou du mme mouvement social des poques diffrentes. En effet, la structure des opportunits politiques change d'un pays l'autre, d'une priode l'autre et d'un mouvement l'autre: le mouvement de paix n'a pas en face de lui la mme structure des opportunits politiques que le mouvement fministe ou le mouvement environnementaliste, et ceci explique pourquoi un mouvement merge et se dveloppe dans un pays ou une poque moins bien que dans un autre ou une autre poque, pourquoi, en d'autres termes, c'est le mouvement de paix qui s'est impos comme le mouvement phare en Grande Bretagne, et le mouvement anti-nuclaire civil en Suisse. Dans une Amrique latine en pleine moNdernisation, c'est le mouvement zapatiste (identitaire) qui joue aujourd'hui un rle central, alors que c'est le "mouvement des sans terre" - MST (paysan) qui tient ce rle au Brsil.

Plus un mouvement se trouve tre le reprsentant face l'Etat et l'opinion publique d'un enjeu politique spcifique (par exemple la politique nuclaire civile ou militaire, la rforme agraire, l'autonomie communautaire ou l'indpendance nationale), plus il aura de facilit s'imposer des mouvements qui prnent un changement radical des mentalits (mouvement fministe) ou une transformation des habitudes quotidiennes des individus (mouvement environnementaliste anti-consumriste).

Dans cette optique, un "mouvement social" arrive s'imposer dans l'opinion publique lorsqu'il saisit un enjeu politique central mais circonstanci, capable de rassembler les individus peu conscientiss et les militants radicaux, les citoyens prompts au consensus et les "rvolutionnaires". En d'autres termes, un mouvement social devient central dans une socit lorsqu'il s'impose dans l'arne politique, lorsqu'il devient un mouvement politique, aussi bien qu'un mouvement culturel, c'est--dire si ses revendications s'adressent tout la fois l'Etat, au systme politique, mais galement la transformation des relations sociales (dans la socit civile).

En rsum, l'apport principal de l'approche de la "mobilisation des ressources" et des "opportunits politiques" consiste en l'importance donne, d'une part, aux organisations du mouvement, et, d'autre part, au jeu que jouent ces organisations dans une socit, prise dans sa globalit et dans son historicit.

En insistant sur l'historicit des mobilisations sociales, cette approche a galement permis de mieux comprendre ce qui diffrenciait les "nouveaux" mouvements sociaux, des "anciens"; cependant, trop attentive en tudier la forme, les organisations, elle n'a pas bien saisi ce qui en constituait la continuit, dans le fond, dans le contenu, dans l'idologie ou l'identit, ce que par contre permettait de mieux saisir le paradigme identitaire (Touraine). En effet, ce qu'il faut retenir dans la diffrenciation qu'tablit Touraine entre luttes sociales et mouvement social est principalement que l'on passerait ct de l'ide mme de mouvement social, si l'on s'arrtait au niveau des institutions, c'est--dire si l'on concevait uniquement la socit "soit comme un march, soit comme un champ de bataille".

Pour conclure, les distinctions tablies par Touraine sont non seulement heuristiques pour toutes les formes d'actions collectives, mais leur mise en relation les unes par rapport aux autres dans une thorie homogne, permet d'intgrer les principales thories concurrentes: en effet, la thorie de Touraine n'est pas incompatible avec le systmisme fonctionnaliste de Smelser, mais il montre que celui-ci n'analyse que les conduites de crise. Or, tout comportement collectif ne correspond pas une action de crise htronome; en accord ici avec la thorie de la mobilisation des ressources, Touraine dit qu'il existe galement des actions stratgiques autonomes, qui prennent place dans la structure des possibles politiques, et qui ont pour objectif d'obtenir des "rmunrations", que cela se traduise par des rformes institutionnelles ou par une participation au pouvoir. Mais l o s'arrte la thorie de la mobilisation des ressources, mme dans les prolongements qu'en donnent Tilly ou les thoriciens des structures des opportunits politiques, Touraine continue.

Certes la socit fonctionne, comme Smelser l'a imagin, comme une machine cyberntique, une bote noire qui s'auto-rgule, aprs la rintgration dans la normalit de conduites de crises dictes par les consquences indsirables de la modernisation. Mais la socit ne fonctionne pas uniquement comme une machine, elle est galement le lieu de luttes sociales entre intrts divergents ou pour l'obtention de "gains" comme l'ont imagin les tenants de la mobilisation des ressources. Certes, donc, la socit est un march ou un champ de bataille, mais elle ne peut pas tre considre uniquement en ces termes. La socit, pour Touraine est galement un systme de valeurs, dont l'historicit (je dirais: subjectivit collective), c'est--dire la capacit d'une socit se transformer elle-mme, est l'enjeu principal.

2.2.Articuler structure et dveloppent

En effet, la formule de Cohen & Arato, en second lieu, articule la socit civile, conue comme structure, et le mouvements social, conu comme processus. Lorsque les auteurs conoivent les mouvements sociaux dans leur dynamique, ils permettent la combinaison des approches synchronique et diachronique. Il me semble galement prfrable de viser articuler, davantage que de chercher sparer fonction/ structure, d'une part, et dveloppement, d'autre part; ou sociologie, d'une part, et histoire, d'autre part.

La thorie de la mobilisation des ressources, et en particulier celle des opportunits politiques, sont presque exclusivement statiques et n'intgrent pas de manire suffisante la dynamique historique. Touraine, quant lui, tablit une distinction trop formelle entre dveloppement et fonctionnement ou entre mode de dveloppement et type de socit.

Pour clarifier la diffrence entre les modes de comportement conflictuel et le concept de mouvement social, Touraine introduit une distinction analytique entre les schmas de dveloppement d'une socit (axe diachronique) et son mode de fonctionnement (axe synchronique). L'Etat, les crises systmiques, le changement social, les comportements conflictuels opposant masses et lites sont situs sur l'axe diachronique. Les relations sociales et le "systme d'action historique" - c'est--dire les processus conflictuels par lesquels les normes, les institutions et les modles culturels sont crs et contests par les acteurs sociaux - sont situs sur l'axe synchronique. L'action collective qu'il nomme mouvement social est le conflit autour des potentiels institutionnels des modles culturels dans un type de socit donn.

En d'autres termes, pour Touraine, les mouvements sociaux (sur l'axe synchronique) luttent contre le type de socit civile qui est institutionnalise, alors que les mouvements historiques (situs sur l'axe diachronique) luttent pour tablir une socit civile et une socit politique reprsentatives. Cette vision des choses implique une thorie de l'Etat, et plus particulirement du rapport entre mouvement social et Etat, que nous ne pouvons pas partager.

En effet, Touraine considre l'Etat uniquement dans la dimension diachronique (le dveloppement socital); l'Etat ne figure donc pas dans son modle des "systmes d'actions sociales" qui reprsente la dimension synchronique (le fonctionnement socital). Nous pensons, pour notre part, qu'il faut insister au contraire sur le rle pivot que joue le concept d'Etat entre les deux dimensions (synchronique/ diachronique), et nous proposons de dfinir celui-ci, la fois comme institution des institutions de la modernit (c'est--dire au niveau du fonctionnement et de la structure des socits) et comme sujet collectif, c'est--dire comme "pilote" de la modernisation (ou du dveloppement).

Touraine effectue sur le mme modle une sparation identique entre mouvement social et mouvement historique; nous pensons au contraire que mouvements historiques et mouvements sociaux sont les deux faces du mme phnomne. Le premier correspond son aspect "gnotypique" (dont la trilogie Libert/ Egalit/ Fraternit constituerait l'ADN), le second son aspect "phnotypique", c'est--dire l'actualisation de cette trilogie dans un cadre institutionnel donn, mais toujours en transformation, le plus souvent born par des structures nationales-tatiques, elles-mmes structures dans un systme mondial hirarchis: mme si l'on se situe un niveau inter-, trans- ou supra-national, l'Etat reste aujourd'hui la forme hgmonique de l'organisation du systme mondial et la structure lgitimante du pouvoir; il reste galement le seul pouvoir orienter de manire volontariste la moNdernisation.

Epistmologiquement, il s'agit donc de concevoir les rapports sociaux dans un esprit proche que celui qui anime le structuralisme gntique (Piaget, mais galement de Saussure), les thories de l'auto-organisation (Maturana, Varela, Atlan, Morin, Dupuy, etc.), la thorie de la structuration (Giddens), l'cole institutionnelle (Lefebvre, Loureau, Hess, l'ide d'auto-institution de Castoriadis) ou la conception des sciences de l'homme et de la socit comme des sciences historico-sociales (Braudel, Wallerstein).

Seule une mthodologie gntique ou socio-historique permet de concevoir l'volution des systmes sociaux et de l'humanit en tant que systme, des premiers pas de l'homo erectus nos jours.

J'adhre donc - dans les ides mmes de processus de subjectivation ou de moNdernisation - une conception de l'histoire qui prenne en compte un principe d'volution systmique. Je me dfends en mme temps d'tre prisonnier d'une quelconque idologie volutionniste, puisque je ne confonds pas les processus de subjectivation et de moNdernisation et le progrs social. Il est videmment possible l'aide d'une mthode gnalogique ( la Foucault; ou, diffremment la Dumont) ou rgressive-progressive ( la Lefebvre) de dcouvrir a posteriori les grands trends de l'histoire moderne. Il ne s'agit pour autant ni dire que "tout va et tout ira de mieux en mieux", ni d'affirmer que cette volution tait la seule possible, ou que les socits moins avances sur les chemins complexes de la modernisation/ mondialisation devraient toutes parcourir les mmes tapes.

Non seulement, dans la synchronie, les mouvements sociaux sont forms d'une multitude d'organisations concurrentes, complmentaires et antagonistes, mais, dans la diachronie, les mouvements sociaux se succdent depuis la Rvolution franaise en btissant de nouveaux chafaudages idologiques sur les fondations poses par la modernit, c'est--dire sur les piliers que constitue la notion trinitaire de Libert - Egalit - Fraternit, dont le concept cl est celui de Subjectivit la fois individuelle et collective. Dans cette optique, il est prfrable - mon sens - de parler, comme Touraine, de mouvement social historique.Cette ide est galement partage par Cohen & Arato qui font remarquer que si l'on reste dans l'analyse des stratgies des organisations du mouvement social (social movement organizations - SMOs), il n'est plus possible de faire la diffrence entre groupe de pression et mouvement social.

"Movements are reduced to professional organizations that mobilize mass collective actions for political-instrumental reasons."

Les buts du "civil rights movement" n'taient pas seulement l'acquisition de droits civils, mais aussi la modernisation de la socit civile, dans le sens du dmantlement des structures traditionnelles de domination, d'exclusion et d'ingalit, enracines dans les institutions, les normes, les identits collectives et les valeurs collectives, bases sur les prjugs de race et de classe. Le mouvement fministe tenta lui aussi de dtruire les institutions patriarcales dans la socit civile et travailla davantage un changement culturel et normatif qu' l'obtention de gains directs dans le domaine politique ou conomique.

Dans le mme sens, le mouvement de citoyens n'a pas pour ambition de s'emparer du pouvoir, mais de transformer dans la socit civile elle-mme, d'une part, l'image de l'altrit, l'image de la diffrence, et d'autre part la capacit subjective des individus et des groupes.

Ainsi, tout en oeuvrant la transformation immdiate des structures et des mentalits, ces mouvements sociaux s'inscrivent galement dans "l'histoire longue" de la qute d'mancipation individuelle et collective. Ce sont les conditions contemporaines de cette qute que nous allons maintenant examiner, en proposant de conceptualiser deux des phnomnes centraux de la priode ouverte par la fin de la guerre froide: la moNdernisation (3.) et la subjectivation individuelle et collective (4.).

3.MoNdernit et moNdernisation

3.1.Economie-monde/ systme mondial/ moNdernisation

Pour construire nos nologismes de moNdernit et de moNdernisation nous nous sommes beaucoup inspirs de la thorie du systme mondial telle que Wallerstein l'a conue, partir du concept braudlien d'conomie-monde. Nous avons galement emprunt Wallerstein, mais galement Giddens l'ide d'institution du systme mondial moderne.

Wallerstein est l'un des penseurs en sciences sociales qui s'est attach, de manire continue et systmatique, dvelopper une thorie du systme mondial moderne. Il s'inscrit, dans une position critique, dans la ligne d'un Marx et d'un Braudel revisits par ses soins et nous enjoint "d-penser" (unthink), c'est--dire dconstruire les paradigmes qui ont prsid, au XIXme sicle, la fondation des sciences sociales, et dont celles-ci restent prisonnires: principalement le concept de "dveloppement" qui fut prfr celui d'espace-temps (TimeSpace).

Il s'agit pour lui de retrouver le concept d'espace, moins limitatif que celui de "socit", souvent synonyme d'Etat-nation, et de toujours placer l'analyse dans un temps long et discontinu, qui n'est pas celui du dveloppement (pens souvent au mieux comme continu, au pire comme linaire) des socits. Et ce sont alors les concepts de World-economy (conomie-monde) et de World-system (systme mondial) qui prennent la place centrale de l'analyse.

C'est Braudel, dans l'ouvrage devenu classique Civilisation matrielle, conomie et capitalisme, et surtout dans le troisime volume, Le Temps du monde, qui dveloppe et distingue les concepts "d'conomie mondiale" et "d'conomie-monde". Pour Braudel, il a exist, avant le capitalisme, des conomies-monde; depui l'mergence du capitalisme, il n'existe qu'une unique "conomie mondiale".

Ainsi, on peut affirmer que pour Fernand Braudel,

"il existe depuis toujours des conomies-monde, mais la particularit de l'conomie-monde capitaliste, c'est d'tre devenue mondiale en quatre sicles d'existence durant lesquels le centre n'a pas cess de changer."

Wallerstein, utilise l'analyse en terme de "World-system", de "systme mondial", comme une piste vers la formulation d'un paradigme nouveau pour les sciences sociales, puisqu'elle permet d'tudier les socits sur une large chelle et dans le long terme.

C'est ainsi qu'elle peut constituer une critique des paradigmes du XIXme sicle. Mais, selon Wallerstein lui-mme, cette critique est incomplte et inacheve, car elle n'a pas russi dpasser le dcoupage dix-neuvimiste du champ social en "conomique", politique", "socio-culturel".

En nous appuyant sut Giddens, nous avons dvelopp ici une approche diffrente qui, tout en se voulant globale et systmique, ne refuse pas le dcoupage dix-neuvimiste en instances, comme le font des auteurs tels que Wallerstein ou Touraine: il me semble possible, en effet, de distinguer les diffrentes instances, d'observer leurs relations dialogiques et d'observer les diffrentes institutions qui les actualisent.

C'est probablement parce qu'il ne se distancie pas suffisamment du modle conomiciste, dvelopp tant par Marx que par Braudel, et qui met le capitalisme au centre (ou la base) de l'analyse, que Wallerstein se sent "emptr" dans ce dcoupage. Ce modle excessivement structural ne lui permet pas de distinguer le social du culturel, c'est--dire ce qui, dans l'autonomie des systmes sociaux, relve du genos, du gntique, du code de reproduction culturelle, de ce qui relve du phenon, de la production sociale, de la production de la socit par elle-mme, et, dans le paradigme moderne, de l'usage de sa subjectivit collective dans et par la socit civile et le mouvement social.

Par ailleurs, tant insister sur le dveloppement du capitalisme, c'est--dire selon moi sur une des "institutions" de la modernit, il porte une attention insuffisante au dveloppement des autres "institutions", et tout particulirement l'essor de l'Etat-nation et du systme mondial d'Etat-nation. De mme la hirarchie conceptuelle qu'il applique au systme mondial est une hirarchie purement fonde sur des critres conomiques, et qui, par dfinition, ne peut tenir compte des autres hirarchies qui s'y mlent, tout particulirement celles fondes sur des critres politiques (force militaire) ou idologiques (la position de force de pays conomiquement aussi marginaux que Cuba, l'Iran, la Suisse, ou la Tanzanie, etc.).

En effet, la thorie du systme mondial ainsi que celle des thoriciens de la dpendance reste dans la tradition de la pense marxienne et de la thorie lninienne de l'imprialisme. Cependant, et c'est en cela qu'elles apportent une pierre originale aux deux thories prcdentes, elles proposent un modle permettant de comprendre les mouvements sociaux dans le systme mondial.. Elles contriburent ainsi dvelopper thoriquement et pratiquement le tiers-mondisme: celui-ci propose une thorie et une pratique de la subjectivit collective, en invoquant "les damns de la terre", les "opprims", les "vaincus", et leur capacit s'organiser rvolutionnairement contre l'ordre du monde. Cette vision thorique du monde dbouche sur l'action militante en proposant de nouvelles formes d'internationalisme tenant compte du systme mondial contemporain.

Giddens replace la thorie de Wallerstein, bien des gards trop "conomiciste" dans un cadre qui nous parat plus propice l'tude des mouvements sociaux: celui de l'Etat-nation.

Ainsi, comprendre l'mergence d'un mouvement social ne peut se faire sans en appeler la comprhension du cadre gnral, c'est--dire de son environnement (conomique, politique, culturel) et sa place dans le systme mondial hirarchis. Cependant, c'est en re-localisant les organisations, leurs stratgies et actions effectives, sur le terrain mme de leur droulement, qu'il est possible d'en comprendre la forme et le contenu. La modernit - travers l'ensemble de ses institutions - s'est mondialise mesure que le systme mondial se dveloppait. En d'autres termes, comprendre une situation locale ncessit d'valuer cette situation dans le cadre du systme mondial moderne et de comprendre comment ce systme continue se dvelopper, tant en se diffusant spatialement (mondialisation: sous-section 3.3) qu'en approfondissant les diffrentes logiques de la modernit (modernisation: sous-section 3.2.).

3.2.Les institutions de la modernit

Giddens propose une thorie qui tente de dpasser la fois les thories des relations internationales (dimension politique) et celles du systme mondial (dimension conomique), en proposant une analyse prenant en compte quatre dimensions de la mondialisation.

Pour lui, la mondialisation est l'extension l'chelle plantaire des institutions de la modernit: le capitalisme, l'industrialisme et l'Etat-nation. De ces institutions (nous verrons plus loin que nous en dnombrons davantage), il tire quatre dimensions de la mondialisation.

Tableau 1.Dimensions de la mondialisation pour Giddens :

pour Giddensdans mon vocabulaire

Economie capitaliste mondiale(par les entreprises multi-nationales)instanceconomique

Division internationale du travail(par la mondialisation du dv. industriel)instancetechnologique

Systme de l'Etat-nationinstance

Ordre militaire mondial.politique

Si nous pouvons lui savoir gr de chercher dpasser le rductionnisme des explications unicausales ou unidimensionnelles, nous devons nanmoins bien affirmer que son analyse, quoique sduisante, n'en demeure pas moins restrictive.

Tout d'abord, il ne s'attache qu' quatre institutions de la modernit et ceci ne nous semble pas suffisant. Ensuite, mme s'il est attentif l'imbrication ou la corrlation existant entre ces dimensions, il ne dpasse pas le niveau descriptif et ne propose donc pas un modle (une thorie) globale de la mondialisation et il ne propose pas une articulation entre les deux dmarches.

Enfin, ce qui semble peut-tre le plus problmatique: il dcrit davantage les structures de la mondialit qu'il n'interprte les processus de mondialisation.

Cette analyse en terme d'institutions, interprte de manire restrictive dans un structuralisme (ou un systmisme) clos, laisse peu de place, d'une part, aux logiques intrinsques des diffrentes institutions et des acteurs qui les animent, et d'autre part aux processus historiques qui les englobent.

Le systme mondial relve bien d'une structure conomique capitaliste (dans laquelle les firmes multi-nationales sont des acteurs importants); il est bien fond sur une division du travail l'chelle plantaire; il est sans conteste structur politiquement par un systme d'Etat-nation qui quadrille la plante, lui-mme "surdtermin" par un ordre militaire mondial. Rien de cette mondialit (en 1990) n'est effectivement contestable; cependant, c'est une autre conceptualisation qui est vraiment pertinente pour l'analyse en terme de processus, l'analyse de la mondialisation.

Le capitalisme est certes diffus par les entreprises prives, indpendantes de l'Etat, bien qu'en relation avec lui. Mais, depuis les premiers temps du capitalisme, l'entreprise a non seulement servi d'agent de la mondialisation, elle s'est elle-mme mondialise, en passant par des tapes successives, comme l'a bien dmontr Michalet: l'entreprise individuelle ou familiale est devenue "sociale" (socit), d'abord rgionale, puis nationale, puis encore multi-, puis trans-nationale, et enfin "mondiale". C'est la structure mme de l'entreprise qui s'en trouve modifie, tant du point de vue de son organigramme (rapports de pouvoir l'intrieur de l'entreprise), de la nature du capital (rapports entre actionnaires) et de la rationalisation bureaucratique et technologique (rapports entre actionnaires et dirigeants).

Quant la dimension technologique, il ne me semble pas pertinent de prendre, comme le fait Giddens, la "division plantaire du travail" comme structure de la mondialisation technologique. Bien sr, je pense l'instar de Giddens que, bien qu'elles soient intimement imbriques dans la ralit, il est utile de sparer heuristiquement les dimensions conomiques (capitalisme), des dimensions technologique (industrialisation) et politique (systme d'Etat-nation), puisque leur dveloppement obit des logiques systmiques diffrentes - respectivement le profit, la rationalit (l'efficience) et le pouvoir. Cependant, "la division plantaire du travail" ne relve pas principalement du processus technologique, mais elle est bien plutt l'expression structurelle de l'imbrication des trois dimensions: la division plantaire du travail est davantage le rsultat de politiques d'entreprises et de politiques d'Etats-nation que de la simple rationalit de la production. La rationalisation technologique ne s'effectue jamais a priori et ex nihilo; elle n'intervient qu' l'intrieur d'un cadre des possibles dessin par les jeux de pouvoir entre acteurs macro-conomiques, c'est--dire, pour les questions qui nous intressent ici, les entreprises et les Etats-nation (auxquels nous pourrions ajouter les mouvements sociaux dans la perception qu'en ont les Etats et les entreprises).

Le concept de "rpartition mondiale de la production" serait mon avis plus pertinent que celui de "division du travail". Mais la rpartition de la production, surtout dans un systme fortement industrialis, n'est pas plus parlante que la rpartition de la consommation, c'est--dire indirectement de la distribution des richesses l'chelle plantaire. C'est cette double structure de production et de consommation, laquelle on pourrait peut-tre encore intgrer la place faite la "recherche/ dveloppement", qui donnerait assurment une meilleure "image de la structure" (toujours hirarchique) du systme conomique mondial.

Cette structure hirarchique conomique est double d'une structure politique mondiale qui est inter-tatique. Nous l'observons dans ses organisations qu'elles soient de type dmocratique plus ou moins formel (l'ONU et ses agences telles que UNESCO; le GATT/ OMC) de type cooptatif (le G7; le Conseil de scurit des N. U.), de type ploutocratique/ censitaire (le F.M.I.; la Banque mondiale, la B.I.R.D., la B.E.R.D.)

Cependant, de l'intrieur de l'idologie (de la vision du monde) traditionnelle occidentale, lors de la naissance du concept "d'conomie" comme sphre d'activit humaine, un renversement s'opre, et l'individu prend hirarchiquement la place de la socit: c'est ce titre que l'on peut qualifier le paradigme de la modernit, d'individualisme.

Ainsi, l'une des caractristiques principales de la vision moderne de l'homme en socit est non seulement la diffrenciation des champs (des catgories) de connaissance (par exemple: le politique du religieux, l'conomique du politique, mais galement la science, la morale, le droit, la subjectivit, etc.), mais aussi leur l'autonomisation en sphres d'activit, en institutions et leur articulation en un systme complexe.

Cette vision de l'homme en socit, l'individualisme au sens de Dumont, est le paradigme dans lequel entrent toutes les institutions de la modernit; mais seules ces institutions actualisent empiriquement le paradigme.

Je ne m'tendrai pas ici davantage sur les institutions de la modernit; je ne fais donc qu'en mentionner les principales: j'en emprunte trois Giddens (l'industrie; le capitalisme; l'Etat) que je classe respectivement sous les rubriques "technologique", "conomique", "politique"; dans le domaine "symbolique", nglig par Giddens, j'en emprunte trois autres Wallerstein (les idologies politiques; les sciences sociales; les mouvements sociaux) que je classe sous "normativit", positivit" et subjectivit collective", et je rajoute encore la "personne" que je classe dans la "subjectivit individuelle".

Tableau 2.Instances et Institutions de la modernitet processus de modernisation

InstancefonctionprocessusInstitution

Technologiqueefficience

le mieux

rationalisationIndustrie

Economiquerichesse

le plus

accumulationcapitalisme

Politiquepouvoir

l'efficacecontrle socitalrationalisation juridico-administrative

Etat-nation

Normatifle bienle juste

normativationles idologiesla morale

Positifle vraipositivationles sciences/

les sc. sociales

Subjectifindividuell'authentiquele vridiquesubjectivationindividuellel'identit personnellel'tiquel'art moderne

Subjectifcollectif le dmocratiquedmocratisationmouvement social

Ce qu'il faut bien retenir ici, c'est que le paradigme de la modernit, l'individualisme, n'est - comme tout paradigme - qu'un modle qui hirarchise les valeurs pour rendre la pense, puis l'action possibles. Le paradigme est donc une construction abstraite, qui n'affleure pas, le plus souvent, la conscience du sujet et de l'acteur. Seules les institutions, qui rglent les activits humaines, actualisent concrtement ce modle abstrait.

Seules les institutions de la modernit actualisent effectivement le paradigme de la modernit. Et ce sont elles qui vont se mondialiser ensemble (car la modernit ne se laisse pas dcouper en morceaux), mais le plus souvent en ordre dispers et des degrs d'intensit diffrents selon le lieu de leur expansion. En effet, la modernit - mme si elle est fondamentalement anime par le mme ventail de principes logiques - se dveloppera de manire toute diffrente selon la "socit" ou la "culture" dans laquelle elle s'implante.

3.3.La mondialisation:Auto-approfondissement / auto-acclration/ logique autonome de dveloppement

Chaque institution, tout en approfondissant son propre processus, tend galement se mondialiser, et participe ainsi au processus de mondialisation de la modernit dans son sens le plus large; c'est ce que nous allons observer en prenant tour tour chacune des institutions de la modernit.

La rationalit de la technologie ne connat pas de frontires: sa logique "naturelle" tend une expansion universelle et mondiale, si son dveloppement n'est pas entrav par la logique d'une autre instance, comme dans l'exemple des brevets, qui soumettent - pour raison d'accumulation capitaliste - les dcouvertes technologiques au secret, ou encore la rivalit militaire qui empche la divulgation des recherches de pointes dans les domaines dcrts stratgiques par les Etats-nation.

Il en va de mme pour le capitalisme, qui est le cas peut-tre le plus et le mieux tudi, et qui ne connat de bornes que celles poses par les autres institutions, l'Etat-nation et les mouvements sociaux en particulier. La concurrence capitaliste est considrer moins comme un frein que comme un acclrateur de l'expansion du capitalisme et de sa mondialisation. En effet, la lutte sans merci que se livrent les diffrents capitalismes "nationaux" (quand leur base peut encore tre considre comme nationale), loin d'affaiblir le principe mme du capitalisme et son expansion vers de nouveaux marchs, tend le renforcer.

Cependant, comme le souligne Chesneaux,

"l'hgmonie du march mondial et le dveloppement du capitalisme local vont de pair". [] "L'hgmonie du march mondial signifie en fin de compte que les pays "dominants" et les pays "domins" sont unis par des liens mutuels qui sont aussi forts dans les deux sens, mme si les signes sont inverss."

L'interdpendance conomique croissante entre toutes les rgions du monde, ne doit pas nous cacher que ce processus de mondialisation conomique, d'intgration au march mondial, que l'on qualifie lgamment - quant il s'agit du tiers-monde - du terme de "dveloppement", est toujours ingal. Comme le remarque encore Chesneaux,

"le tiers-monde est pris tout entier dans le systme conomique plantaire, mais cette intgration s'effectue dans deux directions bien diffrentes: un tiers-monde offshore de plus en plus identifi la modernit plantaire et un tiers-monde "quart-mondis" qui s'enfonce dans la misre".

L'Etat-nation galement voit son pouvoir renforc par la simple reconnaissance formelle qu'expriment son gard les autres Etats-nation, auto-institus ensemble dans le systme mondial d'Etats. La logique de l'Etat, c'est--dire galement de l'ide de production de l'espace, va vers la constitution d'un Etat mondial - sous la forme d'une confdration plus ou moins dcentralise - qui soumet son pouvoir juridico-administratif l'ensemble du territoire plantaire. De plus, il se renforce en partie au niveau national en se mondialisant (dans la relocalisation du mondial).

Par la dcolonisation et l'accession la qualit de sujet de droit international de quantit d'Etats-nation dans le tiers-monde, c'est le morcellement des empires et leur ouverture plus directe un capitalisme de moins en moins national qui fut possible. Comme le souligne Chesneaux, "l'Etat du tiers-monde, c'est aussi un agent d'intgration technique et d'alignement quotidien, un actif relais culturel de la modernit, un morceau d'Occident off shore."

Les sciences "dures", comme les techniques, ne connaissent fondamentalement pas de frontires. Cependant, bien qu'elles aient t et qu'elles restent des institutions d'une importance centrale dans l'mergence de la modernit, d'abord, puis de sa mondialisation, elles ne concernent, dans leurs activits quotidiennes, qu'une infime partie de la population. Tandis que les entreprises industrielles de biens et de services, ainsi que les administrations publiques touchent quotidiennement une grande partie de la population, les activits lies directement aux technologies et la science peuvent rester socialement trs marginales, en tant concentres dans quelques laboratoires hyper-sophistiqus; elles ne deviennent effectivement des phnomnes sociaux de masse que si elles sont prises en charge par les systmes technologiques industriels et qu'elles sont soit "marchandises" par le capitalisme, soit introduites dans l'administration publique par Etat-nation.

Il en va un peu diffremment des sciences sociales qui vivent une ambigut congnitale, puisque le simple fait d'tudier les "socits", c'est--dire le plus souvent les relations sociales l'intrieur d'un Etat-nation donn, transforme, dans une socit moderne, ces relations sociales elles-mmes. De plus, les sciences sociales peroivent - et thorisent - la mondialisation, partir de leur ancrage dans un Etat-nation donn, et au fur et mesure que celle-ci progresse, c'est--dire toujours avec un temps de retard. Leur mondialisation progressera donc - en toute logique - dans le sillage de la mondialisation gnrale de la modernit et, si celle-ci persiste sur son trend, dans la provincialisation subsquente des Etats-nation actuels.

Aprs la fin de la guerre froide et du monde bipolaire qui la caractrisait, nous assistons aujourd'hui une relance formidable du processus de mondialisation de la science, non seulement par l'augmentation des migrations scientifiques, mais galement et surtout par les possibilits d'accs indites qu'offre le rseau internet aux chercheurs du tiers-monde, aujourd'hui encore compltement marginaliss.

Cette mondialisation de la science a pour consquence la constitution peu peu d'une science sociale mondiale qui correspondrait la socit mondiale en mergence; jusqu'alors, cette science sociale tait trs fortement lie origine nationale des chercheurs. J'en veux pour preuve, dans la sociologie des mouvements sociaux, l'ancrage gographique des tenants du paradigme identitaire en France, en Italie et au Qubec, et du paradigme de la mobilisation des ressources aux Etats-Unis et en Allemagne.

Last but not least, la subjectivit individuelle et collective, et ses institutions qui sont la personne et le mouvement social, poursuivent galement un processus d'approfondissement de la logique d'identit et de la volont d'auto-rflexivit et d'auto-institution, et, galement de mondialisation de ce processus. D'une manire gnrale, la subjectivation progresse en parallle, dans un processus dialectique, d'une part, l'objectivation (les sciences physico-chimiques, biologiques et anthropo-sociologiques) et, d'autre part, la rationalisation (technologique et politique).

Pour rsumer, je prsente ci-dessous un tableau qui, mme s'il ne reprend pas exactement les mmes catgories que celles que j'ai utilises dans ce chapitre, n'en reste pas moins trs proche de ma conception de la mondialisation, tout en la synthtisant.

Tableau3.: Les concepts de la mondialisation

CatgoriesPrincipaux lments ou processus

1. Mondialisation de la finance et du capital1. Drglementation des marchs financiers, mobilit internationale du capital, hausse du nombre de fusions et d'acquisitions. La mondialisation des portefeuilles d'action en est ses dbuts.

2. Mondialisation des marchs et des stratgies2. Intgration des activits des entreprises l'chelle mondiale, tablissement l'tranger d'oprations intgres (dont la R-D et le financement), recherche de composantes et d'alliances stratgiques aux quatre coins du globe.

3. Mondialisation de la technologie, de la R-D et des connaissances correspondantes3. La technologie est l'enzyme premire: l'mergence de la technologie informatique et des tlcommunications permet d'tablir des rseaux mondiaux au sein d'une mme entreprise et entre plusieurs socits. La mondialisation sert de processus d'universalisation du "toyotisme" et de la production verticale.

4. Mondialisation des modes de vie et des modles de consommation; mondialisation de la culture4. Transfert et transplantation des modes de vie prdominants. Egalisation des modles de consommation et rle jou par les mdias. Transformation de la culture en "aliment culturel" et en "produits culturels". Le GATT/ OMC impose ses rgles aux changes culturels.

5. Mondialisation des comptences en matire de rglementation et d'autorit5. Rle amoindri des gouvernements et parlements nationaux. Tentatives de conception de nouvelles rgles et institutions en vue d'un gouvernement mondial.

6. Mondialisation titre d'instrument d'unification politique plantaire6. Analyse, mene par les Etats, de l'intgration des socits dans un systme politique et conomique mondial dirig par un pouvoir central.

7. Mondialisation des perceptions, conscience plantaire7. Processus socioculturels axs sur "une seule plante". Par exemple, le mouvement mondialiste "Citoyens de la Terre".

Source: Tableau revu et augment, d'aprs W. Guirock et R. van Tulder, The Ideology of Interdependance, thse de doctorat, Universit d'Amsterdam, juin 1993; in Groupe de Lisbonne [1995: 59].

3.4.L'universalisation de la modernit: en trois questions

Pour conclure cette section, j'aimerais poser ici la question de l'universalisation de la modernit occidentale, en sparant les trois points suivants: (i) la gnralisation du mode de vie, c'est--dire du mode de production et de consommation, (ii) la gnralisation des principes paradigmatiques de la modernit et (iii) la gnralisation de ses institutions.

(i)Pour des raisons cologiques simples de raret des ressources naturelles, il parat vident que le modle de production et de consommation des pays industrialiss n'est pas gnralisable. Dire le contraire, dans l'tat actuel de la technique, est pure dmagogie.

(ii)Quant au paradigme mme de la modernit, nous savons qu'il s'agit d'un modle formel abstrait et qu'il ne se concrtise que dans la pratique des acteurs, dans leur insertion dans les institutions de la modernit. Ainsi, la mondialisation du paradigme (et de ses principes) va dpendre du jeu complexe que vont jouer entre elles ces institutions en se mondialisant.

(iii)Les institutions de la modernit, quant elles, avancent sur le chemin de la mondialisation en suivant chacune leur propre logique, dans une relation d'une complexit extrme, qui fait qu'elles sont la fois antagonistes, complmentaires et concurrentes, tout en tant matriellement indissociables; car, je le rpte, la modernit ne se laisse dcouper en morceau que pour les besoins de la dmonstration.

Elles peuvent ainsi trs bien continuer approfondir leurs logiques et se mondialiser sur toute la surface de la plante, sans que cela implique ipso facto le progrs du bien-tre, voire du bonheur: ce serait s'enfermer dans l'idologie - aujourd'hui obsolte et dsute - du progrs universel que de croire batement un lien mcanique entre mondialisation/ modernisation et dveloppement humain et bonheur. Le capitalisme (marchandisation, salarisation) peut devenir la rgle universelle, cela n'implique pas que tout le monde touche effectivement un salaire et que les marchandises soient accessibles au plus grand nombre. Comme l'a trs bien montr Illich, la technologie a, jusqu' prsent, plus souvent dvelopp des systmes "htronomes" que des acteurs "autonomes". Le dveloppement de la mdecine, pour ne prendre que cet exemple, s'est davantage tourn vers l'amlioration de mthodes et d'instruments sophistiqus, concentrs entre les mains de spcialistes, le plus souvent l'intrieur d'institutions hospitalires, qu' dvelopper dans la population une meilleure connaissance du corps, des risques de maladie, des maladies elles-mmes, et de l'automdication. Mais ne prsageons pas de l'avenir. Il serait galement facile de dmontrer que l'Etat moderne, bien qu'il contienne en germe le principe de l'Etat de droit, ne l'actualise pas toujours en Occident, et ne l'a jamais - ou de trs rares exceptions - actualis, dans le tiers-monde. Sans Etat de droit, ce sont les idologies politiques et les sciences sociales qui se trouvent dans l'impossibilit d'exprimer librement leur critique. Sans Etat de droit galement, le dveloppement d'une socit civile digne de ce nom, c'est--dire autonomie par rapport l'Etat, se trouve irrmdiablement compromis et, si la subjectivit collective que le mouvement social oppose l'Etat-nation peut s'exprimer essentiellement par la violence organise, c'est--dire militarise, il ne peut dvelopper, dans la socit civile, les organisations qui seraient garantes de la subjectivation collective, c'est--dire de la conscientisation et de la dmocratisation de la socit. Enfin, la subjectivit individuelle se dveloppe, nous l'avons vu, d'une part, dans le rapport critique du sujet l'objet et la rationalit matrise et, d'autre part, dans le rapport libre l'autre. L'absence d'une socit civile relativement autonome et auto-organise ne permet pas des vritables sujets d'merger, ni, bien sr, au processus de subjectivation de se dployer.

C'est cependant justement la revendication d'une plus grande subjectivit individuelle (dans la reconnaissance de l'identit et de la diffrence) et collective (dans la qute de dmocratisation du processus de moNdernisation) qui se trouve tre aujourd'hui l'un des enjeux sociaux centraux, du niveau le plus local au niveau le plus global de l'organisation sociale.

4.Subjectivation individuelle et collective

4.1.Identit et mondialisation: Terre-Patrie

La construction de la subjectivit se confond aujourd'hui avec la qute d'identit. Comme le souligne Morin, la moNdernisation est probablement l'origine de cette qute identitaire la fois individuelle et collective:

"La mondialisation et l'homognisation civilisationnelle ont engendr par contrecoup un lgitime besoin de ressourcement identitaire que les partis au pouvoir n'assument pas. Cette dmission laisse le champ libre aux nationalismes ethniques, agressifs, alors que, dans la perspective d'une fraternit terrienne, il serait prfrable, et possible, de rconcilier identits et ouvertures."

C'est dans cette optique que Morin dveloppe l'ide de Terre-Patrie, qui reprend celle qu'il formule dans le concept de nation la fois "matriotique", "patriotique" et "fraternelle". Il s'agit en quelque sorte de faire de la terre une nation:

"L'ide de Terre patrie, l'ide qu'il faut materniser la terre, s'inscrit en continuit avec cette dmarche. Il n'y a pas de fraternit sans maternit. A partir de l'ide de communaut d'origine, de nature, de destin et de perdition, on peut donner un contenu fraternisant que n'ont jamais pu donner les cosmopolitismes abstraits ni les internationalismes abstraits."

De plus, la moNdernisation donne les conditions de possibilit pour que surgisse une conscience plantaire, c'est--dire une conscience d'une identit commune, anthropologique, parallle aux identits particulires:

"Alors comment la reconnaissance de l'identit commune, plantaire, de l'homme peut-elle surgir?

On ne peut pas prvoir ni le moment ni les modes de l'enracinement d'une prise de conscience. Il faut que se crent des rseaux, des mouvements, pour que cette conscience devienne une force."

4.2.Mouvement de citoyens et subjectivation

Sans trop entrer dans le dtail, nous aimerions revenir ici sur l'ide que la fin de la guerre froide et l'acclration de la moNdernisation consacre l'mergence d'un nouveau type de mouvement social: le mouvement de citoyens. Synthse des "nouveaux mouvements sociaux" (au centre), des mouvements de re-dmocratisation et des mouvements de libration nationale ( la priphrie) de la priode 1945-1989, il s'inscrit dans la continuit des mouvements dmocratiques-nationalitaires du XIXme sicle et des mouvements ouvriers-socialistes du XXme sicle. Il en approfondit la triade idologique Libert/ Egalit/ Solidarit, en la conjuguant la notion d'identit.

Les revendications contemporaines de citoyennet englobent les revendications des mouvements dmocratiques nationalitaires du XIXme sicle. Comme le mouvement dmocratique nationalitaire, le mouvement de citoyens contient l'ide de subjectivit (individuelle/ collective), dans le rapport citoyen/ nation. Cependant, l'instar du mouvement ouvrier-socialiste, il a intgr la critique de la dmocratie formelle et revendique une "dmocratie matrielle"; une dmocratie non seulement dans la sphre du politique, mais galement dans celle de la socit civile.

Comme les mouvements ouvriers-socialistes, le mouvement de citoyens contient l'ide de progrs social. Cependant, l'inverse du mouvement ouvrier-socialiste, il a intgr la critique du progrs - effectue, entres autres, par la thorie critique de l'cole de Francfort - en distinguant processus et progrs et en passant d'un paradigme de la certitude un paradigme de l'incertitude.

Le mouvement de citoyens ne peut pas tre dfini en fonction d'une "composition sociale" homogne, comme se fut le cas pour les bourgeois dans les mouvements dmoratiques-nationalitaires ou pour les ouvriers dans le mouvement ouvrier-socialiste; cependant, la catgorie qui paradoxalement parat la plus homogne, dans ce que j'ai pu observer du mouvement de citoyens europen, est celle des individus culturellement mtisss, revendiquant une identit multiple, changeante et clignotante, qui vivent au quotidien le discours identitaire ( base ethnique, national, religieux ou sexiste) comme une mutilation et une menace sur leur propre "identit pluri-identitaire". Cette catgorie d'individus est plus difficile reprer empiriquement au premier abord, car la pluri-identit, l'oppos de la revendication mono-identitaire, ne se porte pas comme un tendard; au contraire, les individus culturellement mtisss ont plutt tendance se mfier des drapeaux. Cette catgorie est la plus homogne du mouvement de citoyens, parce que les individus qui la composent ont un intrt immdiat et direct la reconnaissance d'une citoyennet universelle, non seulement au niveau politique, mais galement, plus largement, dans les rapports sociaux extra-politiques, soit dans la socit civile elle-mme: c'est--dire que leurs revendications portent non seulement sur le droit, mais galement sur la possibilit effective de prendre la parole, d'exprimer sa vrit (son authenticit) en fonction, non seulement de son "humanit" (de son identit anthropologique), mais galement de son altrit.

Le mouvement social, dans cette conception, serait comprendre tout autant en tant que processus autonome pour l'approfondissement de la subjectivit individuelle et collective, qu'en tant que structure de lutte contre la domination sociale. Le mouvement social est diachroniquement le moteur du processus de subjectivation, institution constitutive de la modernit; il est synchroniquement l'ensemble des organisations stratgiques luttant dans un cadre politique (institutionnel) donn, contre ce cadre, la frontire des possibles politiques de ce cadre. Dans les socits modernes, le cadre institutionnel est born par l'Etat qui institue les institutions. C'est lui qui donne sa forme la socit politique et la socit civile, c'est--dire aux cibles principales des actions des mouvements sociaux. Dans une certaine mesure galement donc, il donne leurs formes organisationnelles et stratgiques aux organisations du mouvement social, et ceci d'autant plus que celles-ci dirigent leurs actions vers la socit politique (partis politiques, autres organisations) plutt que vers la transformation des relations sociales elles-mmes.

Touraine a pass une bonne partie de sa carrire acadmique chercher si un mouvement social se dissimulait derrire les diverses luttes sociales qui clataient dans la socit post-industrielle (ou programme), sans beaucoup de succs.

"Aujourd'hui, ce rle central d'un mouvement social comme agent principal des transformations historiques est mis en doute, et l'on ne voit pas bien ce qui unifie [les] multiples conflits qui n'en appellent pas des valeurs centrales, ne combattent pas un pouvoir dominant, mais visent seulement transformer certains rapports de force ou certains mcanismes particuliers de dcision."

Cependant dans ses dernier livres, il semble qu'il soit arriv l'ide - proche de celle que je dfends ici - que l'enjeu du mouvement social, c'est le sujet, en tant qu'acteur individuel et collectif. En d'autres termes, le principe moteur du mouvement social serait le mouvement social lui-mme, c'est--dire selon notre vocabulaire, la poursuite de l'Aufklrung (c'est--dire de la critique ouverte et de l'auto-rflexivit) et de la dmocratisation (c'est--dire de l'auto-institution sociale).

4.3.Historicit et subjectivit

La notion d'historicit chez Touraine - qui a pratiquement disparu dans ses ouvrages les plus rcents - englobe, selon mon interprtation, l'ide de lutte pour la dmocratisation. Cependant, en tablissant une distinction entre mouvement social et mouvement historique, et en plaant l'historicit dans les systmes d'actions sociales, c'est--dire dans la synchronie et non pas dans la diachronie, Touraine ne semble s'intresser la dmocratisation qu' l'intrieur d'un systme d'action sociale, dtermin par un type de socit (agraire, marchande, industrielle, post-industrielle/ programme). De ce fait, de peur de tomber dans l'historicisme ou l'volutionnisme qu'il ne cesse de dnoncer, il se refuse (ou s'empche) de concevoir la dmocratisation comme processus diachronique (historique).

Dans ses derniers ouvrages, Touraine est retourn explorer les concepts de modernit et de dmocratie, et il montre que la modernit est la fois "rationalisation" et "subjectivit"; la construction du modle proposs ici doit normment cette distinction, comme elle doit galement la distinction qu'tablit Habermas entre "systme" et "monde vcu". Cependant, Touraine ne tire pas mon sens toutes les consquences de sa thorie qui pourrait montrer l'volution de la subjectivit ou de l'historicit, durant les deux derniers sicles.

Dans mon vocabulaire, l'historicit, cette capacit des socits agir consciemment et positivement sur elles-mmes, c'est--dire agir galement sur la production du pass et la projection dans l'avenir, s'appelle la subjectivit collective.

Tout en restant proche de la conception tourainienne, j'emploie le terme de subjectivit (la capacit tre sujet), parce que mieux que tout autre, mon avis, il permet le lien entre l'individuel et le collectif, travers les notions de conscience, d'identit et d'altrit. De plus, la subjectivit ne se conoit pas en soi (comme pure "identit" ou "essence"), mais se construit en relation (1) l'objectivit (c'est--dire la science positive et l'auto-rflexivit sociale), (2) la normativit (la morale, l'thique, les idologies politiques), (3) la pratique des relations sociales, c'est--dire, dans les termes de Cohen & Arato, dans la transformation de la socit civile elle-mme face au pouvoir institutionnalis (Etat) et face aux structures intermdiaires de dcision (systme politique).

Ainsi, la notion de subjectivit (individuelle/ collective) permet galement de concevoir la transformation sociale, non seulement, selon les catgories d'Habermas, dans le "monde vcu", mais galement dans le "systme" (conomique, politique, symbolique); elle permet de ne pas comprendre l'mergence des mouvements sociaux uniquement comme des actions "dfensives" ou "ractives" contre la "colonisation du monde vcu par le systme."

Faire, comme je le propose, du mouvement social une institution part entire de la modernit, qui aurait pour logique intrinsque le processus de subjectivation, c'est concevoir les revendications, les actions, les organisations et les "mouvements", non pas contre le systme, mais dans le systme - pour le meilleur et pour le pire.

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Je reprends galement ici le dcoupage pistmique de Cohen & Arato [1992].

Cohen & Arato [1992: 523].

J'ai pour ma part galement vcu cet "insatisfactory choice", pour l'tude des mouvements dans lesquels je me suis engag ces dernires annes, en particulier, pour l'organisation que j'ai choisi d'tudier empiriquement dans ma thse de doctorat, le Helsinki Citizens Assembly et, plus gnralement, pour l'tude thorique des mouvements de citoyens. L'hypothse centrale que j'ai alors dvelopp est la suivante: depuis 1989-90, dans un monde la fois plus "moderne" et plus "mondial", nous sommes en prsence au niveau plantaire de l'mergence d'un nouveau type de mouvement social: le mouvement de citoyens.

Cohen & Arato [1992: 492-563].

Les conceptualisations les plus thoriques ne sont jamais indpendants du lieu et de l'poque de leur mergence. Cette "revendication thorique" du retour la socit civile me semble aller dans la mme direction que la "revendication pratique" de ce que j'ai nomm le "mouvement de citoyen" qui, lui aussi, en appelle la construction et au renforcement de la socit civile, non seulement contre l'Etat, en tant qu'agent de la rpression et de la modernisation, mais galement contre l'auto-rgulation du march et l'auto-organisation du systme politique.

Cohen & Arato, [1992, p. 492].

cf. Varela, Morin, Dupuis.

Touraine [1984: 142].

Touraine [1984: 142, 146, 147].

Mac Carthy & Zald [1973].

Ce que McCarthy & Zald nomment "social movement industry".

Voir galement ce propos les travaux de Kriesi.

Tarrow in Cohen & Arato [1992: 719].

Cohen & Arato [1992: 720]. Les italiques sont de moi.

Cohen & Arato [1992: 509]. Les italiques sont de moi.

Nous pourrions galement nous demander ici si ce "nouvel intrt" pour la stratgie n'est pas partag par les militants eux-mmes (ou s'il n'a pas t prcd par l'intrt des militants pour leur propre stratgie): en effet, ceux-ci commencent utiliser de plus en plus consciemment les rouages - et les failles - du systme, pour des raisons stratgiques et tactiques, dbattues collectivement. De plus, cette thorie merge effectivement dans la mme priode qui voit les ONG connatre une expansion et une importance grandissante. Aprs 1989-90, avec la redfinition de l'assistance internationale publique et prive, la forme "ONG" prend lentement la place de "l'association" de type plus informel, comme noyau des mobilisations collectives.

Nanmoins, il faut insister sur l'ide qu'il n'est pas possible de comprendre le "mouvement social" si ce concept n'est pas clairement diffrenci de celui "d'organisation du mouvement social". Confondre l'organisation et le mouvement, c'est soumettre conceptuellement l'analyse du mouvement celle des organisations (et soumettre pratiquement le mouvement aux appareils des organisations) et, ainsi, l'empcher d'advenir conceptuellement ou de se dvelopper pratiquement.

Prendre la partie pour le tout (au pire) ou le tout pour la somme des parties (au mieux) est une erreur thorique, idologique et pratique d'essence romantique, passionnelle et fusionnelle: c'est ce qui permit aux Jacobins de