structures familiales et stratégies matrimoniales au maroc

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107 La famille, ses droits, sa composition et sa structure Structures familiales et stratégies matrimoniales (Abdellatif Lfarakh) Introduction La société marocaine vit une phase marquée par une urbanisation rapide (29,1% de citadins en 1960, 51,4% en 1994), un rôle croissant de la communication audiovisuelle (en 1995, 69,3% des ménages disposaient d’un téléviseur, 88,5% d’un poste de radio, d’après l’EPPS de 1995, alors que ces proportions n’étaient que de 52% et 78% en 1980 selon l’ENFPF de 1979-80), un développement appréciable des moyens de transport (la longueur des routes revêtues était de 15 932 km en 1960 et de 30 374 km en 1996), une scolarisation en progression (53,4% de scolarisés âgés de 8 à 13 ans, en 1982 contre 62,2% en 1994), une mixité généralisée à l’école, une entrée accrue des citadines sur le marché du travail (13,6% des femmes de 15 ans et plus étaient actives en 1979 contre 30,5% en 1995), une mobilité spatiale diversifiée, avec une importante participation de la population féminine dans les mouvements migratoires internes (56% en 1995, selon l’ENF 95). Ces transformations se sont traduites par une désagrégation du système économique basé sur l’indivision et l’autosubsistance. Les « flux de richesse » des enfants vers les parents s’inversent avec la progression de la scolarisation et la montée du chômage, notamment celui des diplômés. Les styles de vie se modifient, avec le passage d’une société austère et d’autosubsistance à une société de consommation. Les comportements traditionnels en matière de reproduction disparaissent avec la hausse de la prévalence contraceptive (58,8% selon l’Enquête PAPCHILD de 1997). Cette pratique, conjuguée à des âges d’entrée en première union de plus en plus élevés (17,3 ans en 1960 et 26,2 ans en 1995) a fait chuter la fécondité à des niveaux inespérés il y a une vingtaine d’année (de 7,4 enfants par femme en 1973 à 3,1 entre 1994-97). On peut donc se demander si ces mutations ont eu des répercussions sur la composition des ménages, sur les structures familiales, et sur les modes de constitution du couple. Pour répondre à ces questions, on décrira, dans une première partie, l’évolution de la distribution des ménages selon leur taille et le sexe du chef du ménage d’une part, et l’évolution des structures familiales d’autre part. On étudiera, dans une deuxième partie, les caractéristiques socio-démographiques des deux principales catégories de familles marocaines, avant d’analyser les modes de formation des familles dans une troisième partie.

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On se demande si les mutations socioéconomiques et culturelles que connait le Maroc ont eu des répercussions sur la composition des ménages, sur les structures familiales, et sur les modes de constitution du couple.

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    La famille, ses droits, sa composition et sa structure

    Structures familiales et stratgies matrimoniales (Abdellatif Lfarakh)

    Introduction La socit marocaine vit une phase marque par une urbanisation rapide (29,1% de citadins

    en 1960, 51,4% en 1994), un rle croissant de la communication audiovisuelle (en 1995, 69,3% des mnages disposaient dun tlviseur, 88,5% dun poste de radio, daprs lEPPS de 1995, alors que ces proportions ntaient que de 52% et 78% en 1980 selon lENFPF de 1979-80), un dveloppement apprciable des moyens de transport (la longueur des routes revtues tait de 15 932 km en 1960 et de 30 374 km en 1996), une scolarisation en progression (53,4% de scolariss gs de 8 13 ans, en 1982 contre 62,2% en 1994), une mixit gnralise lcole, une entre accrue des citadines sur le march du travail (13,6% des femmes de 15 ans et plus taient actives en 1979 contre 30,5% en 1995), une mobilit spatiale diversifie, avec une importante participation de la population fminine dans les mouvements migratoires internes (56% en 1995, selon lENF 95).

    Ces transformations se sont traduites par une dsagrgation du systme conomique bas sur lindivision et lautosubsistance. Les flux de richesse des enfants vers les parents sinversent avec la progression de la scolarisation et la monte du chmage, notamment celui des diplms. Les styles de vie se modifient, avec le passage dune socit austre et dautosubsistance une socit de consommation. Les comportements traditionnels en matire de reproduction disparaissent avec la hausse de la prvalence contraceptive (58,8% selon lEnqute PAPCHILD de 1997). Cette pratique, conjugue des ges dentre en premire union de plus en plus levs (17,3 ans en 1960 et 26,2 ans en 1995) a fait chuter la fcondit des niveaux inesprs il y a une vingtaine danne (de 7,4 enfants par femme en 1973 3,1 entre 1994-97).

    On peut donc se demander si ces mutations ont eu des rpercussions sur la composition des mnages, sur les structures familiales, et sur les modes de constitution du couple. Pour rpondre ces questions, on dcrira, dans une premire partie, lvolution de la distribution des mnages selon leur taille et le sexe du chef du mnage dune part, et lvolution des structures familiales dautre part. On tudiera, dans une deuxime partie, les caractristiques socio-dmographiques des deux principales catgories de familles marocaines, avant danalyser les modes de formation des familles dans une troisime partie.

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    I. Distribution des mnages et structures familiales 1. Evolution des mnages selon leur taille et le sexe de leur chef Daprs les donnes des recensements, on constate quaprs un accroissement de la part

    des femmes chefs de mnages entre 1960 et 1971 (de 11,2% 16,9%), une quasi-stabilisation de cette proportion se dessine depuis 1982, autour de 15 16%. Ce schma sapplique partout, avec un poids de femmes chefs de mnage toujours plus important en milieu urbain quen milieu rural. Le fait que le pourcentage de femmes chefs de mnage nait pas augment significativement depuis les annes soixante-dix peut sexpliquer par le maintien, sinon la baisse, des proportions des femmes divorces et veuves, les mnages dont le chef est une femme tant souvent constitus par contrainte plutt que par choix, la suite dune rupture dunion.

    La stabilit relative des proportions de femmes divorces ne signifie pas que la frquence des ruptures dunion par divorce est reste constante1. Parmi les premiers mariages, 15,2% se sont termins par un divorce en 1995 (ENF 95), proportions qui taient de 16,6% en 19802. Au cours des cinq premires annes de mariage, 12,0% des premires unions taient rompues en 1980 contre 10,3% en 1995. Aprs 30 ans de mariage, ces proportions sont respectivement de 23,0% contre 18,4%. La rupture dunion par divorce ne diffre pas tellement entre le milieu urbain et le milieu rural : 15,4% contre 15,1%, (toutes dures confondues).

    Aprs avoir augment, la taille moyenne des mnages amorce une lgre baisse (4,79 en 1960, 5,93 en 1982 et 5,87 en 1994). La distribution des individus selon la dimension des mnages qui les abritent connat une tendance similaire. Ainsi, quatre personnes sur sept (57,9%) vivaient dans des mnages de sept personnes et plus en 1994, contre plus des deux-tiers (61,8%) en 1982. Prs dune personne sur vingt-cinq tait membre dun mnage de petite taille (1 2 personnes) en 1994 (4,1%), soit autant quen 1982 (4,3%).

    Lvolution des mnages constitus de personnes vivant seules est lie lvolution dmographique et socio-conomique. En effet, le recul de la mortalit, le retard de lentre en premire union, laccroissement significatif des divorces et laspiration croissante de lindividu son indpendance, conjugue une facilit relative daccs au logement, lvent la frquence des mnages unipersonnels. Les proportions de mnages composs dune personne seule se situent autour de 20 30% en Europe et dans dautres pays industrialiss. Dans les pays du Sud, la mortalit baisse galement, mais elle na pas encore atteint des niveaux comparables ceux des pays avancs. Laccs au logement reste difficile. En gnral, le niveau de vie est bas, le chmage

    1 La rupture dunion est leve au Maroc. Parmi les femmes ges de 40-49 ans, 31,2% ont connu une dissolution de leur premier mariage, par divorce ou dcs du mari, en 1987. Cette proportion tait de 22,8% en Egypte en 1989, et 11,1% en Tunisie en 1988. 2 Ministre de la Sant Publique, (1994), Enqute Nationale sur la Fcondit et la Planification Familiale au Maroc, 1979-80, vol. III, p. 17.

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    lev. Les liens de solidarit familiale sont encore intenses. Les normes et habitudes sont dans une large mesure maintenues. Par exemple, on accepte difficilement quune personne vivant dans la mme ville ou le mme douar que sa famille puisse habiter seule. En somme, les contraintes et les facteurs entremls ne permettent pas une augmentation substantielle du poids des personnes vivant seules. Il nest pas donc tonnant dobserver quen 1995, 3,9% des mnages seulement abritent une personne seule. Le poids de ces mnages est en baisse : 7,9% en 1960 ; 7,3% en 1982 et 4,3% en 1994.

    Les personnes vivant seules sont le plus souvent des femmes (55,2%), ges (62,3% ont 60 ans et plus). Les hommes vivant seuls (44,8%) se recrutent en revanche en ge dactivit : 27,6% ont de 15 29 ans, et 62,5% ont entre 30 et 59 ans (ENF, 95). Les mnages dune personne sont donc le plus souvent constitus de femmes veuves ou divorces, ou dhommes clibataires. Il en ressort que, dans les deux cas de figure, les mnages disols sont plus frquemment crs par contrainte que par libre choix.

    Les mnages dune personne ainsi que ceux composs de personnes sans aucun lien de parent sont des mnages sans structure familiale . 4,1% des mnages seulement sont constitus de personnes nayant pas de lien de parent. La majorit dentre eux (95,1%) sont des mnages dune seule personne. Ces deux catgories de mnages sont moins rpandues la campagne qu'en ville : 3,2% et 4,8% respectivement.

    2. Evolution des structures familiales Dans les pays dvelopps, on assiste de plus en plus une nuclarisation des mnages.

    Cette tendance est explique par laspiration des individus leur indpendance, lamlioration du statut de la femme, la gnralisation des systmes de scurit sociale et de retraite, la mise en place de structures daide aux personnes ges, laugmentation de loffre de logement, la baisse de la fcondit, la remonte du divorce, laffaiblissement de linstitution du mariage, et par laugmentation de lesprance de vie moyenne. Qu'en est-il au Maroc ?

    Dans la typologie qui suit, le mot famille est restreint aux personnes ayant un lien de sang ou dalliance et partageant un mme logement. Ainsi dfinie, la famille fait partie dun groupe domestique donn, le mnage, et appartient un rseau familial plus tendu, le rseau de parent qui, lui, inclut des individus qui ne rsident pas ncessairement ensemble. Par ailleurs, la typologie des familles gnralement adopte privilgie lopposition entre familles nuclaires et familles complexes. Elle se fonde sur la notion de noyau familial. Ce dernier est constitu soit dune personne et son conjoint(e), soit de deux conjoints et leurs enfants clibataires, soit de la mre (ou du pre) et ses enfants clibataires, soit encore dun ensemble de frres et surs tous clibataires. Toutes les autres configurations possibles sont considres en tant que noyaux individuels. Les mnages avec un seul noyau familial et aucun isol sont des mnages nuclaires. Sils

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    regroupent, en plus, des personnes sans lien de parent entre elles ni avec le chef de mnage (par exemple une bonne, un jardinier), ils sont appels mnages nuclaires tendus des isols. Les autres types de mnages sont qualifis de complexes. Ces derniers sont constitus de deux ou plusieurs noyaux familiaux plus, ventuellement, un ou plusieurs isols. Ils se distinguent par leur htrognit, et le degr de leur complexit.

    Les mnages nuclaires sont subdiviss en quatre catgories :

    deux conjoints maris (couple) sans enfant ou mnage nuclaire incomplet ou biparental ; deux conjoints maris (couple) avec enfant(s) clibataire(s) ou mnage nuclaire complet ; un pre ou une mre avec ses enfants clibataires soit un mnage nuclaire monoparental ; une fratrie compose de frres et surs tous clibataires.

    Selon lENF 95, les mnages nuclaires constituaient la fraction la plus importante des mnages marocains. Pas moins de six mnages sur dix (60,3%) taient de ce type, alors quils ne reprsentaient que 51,1%3 en 1982. En leur ajoutant les mnages nuclaires abritant des isols qui travaillent pour le compte du mnage, leur poids atteint 62,4% (63,9% en milieu urbain et 59,2% en milieu rural). La majorit des mnages nuclaires sont biparentaux, cest--dire composs des deux parents et un ou plusieurs enfants clibataires. Les mnages monoparentaux ne reprsentent que 8,1%, avec une frquence plus leve en milieu urbain quen milieu rural : 9,1% contre 6,8%. On constate une lgre hausse des mnages monoparentaux par rapport ce qui a t observ en 1982. En effet, ce type de mnage reprsentait cette poque 6,2% (7,2% en villes et 5,2% dans les campagnes). Les couples sans enfant (familles incompltes) ne reprsentent que 3,5%. Les fratries de clibataires ainsi que les mnages nuclaires avec des isols, catgories quon peut qualifier de faux mnages nuclaires , ne reprsentaient que des fractions ngligeables, respectivement 0,3% et 2,1%, en 1995.

    La physionomie des mnages se modifie. Il nen reste pas moins quen termes deffectifs de population, les mnages nuclaires abritent moins de personnes que les mnages complexes. Quatre personnes sur neuf (43,6%) taient, en 1995, membres de mnages complexes, type de mnage qui reprsentait environ un tiers de lensemble des mnages marocains. Leur frquence est plus importante en milieu rural quen milieu urbain : 37,3% contre 30,7%. La plus forte reprsentation de ces formes de mnages dans les campagnes rvle dabord la persistance de traditions patriarcales, notamment du fait de lintrt que peut prsenter ce mode de cohabitation sur le plan conomique (persistance du systme traditionnel de production agricole, morcellement des terres agricoles) et en raison des contraintes sociales dictes par les coutumes et les traditions plus ancres dans les campagnes. Ces proportions de mnages complexes sont beaucoup plus leves que dans les pays dvelopps. En France, par exemple, les mnages avec deux noyaux 3 CERED, (1991), Population lan 2062, Rabat, Maroc, Rabat, p. 134.

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    familiaux ou plus et ventuellement un ou plusieurs isols, ne reprsentaient que 0,6% en 1990. Mme si on leur ajoute les mnages avec un noyau familial et un ou plusieurs isols, leur poids ne dpasse gure 4,1%4. En quoi les mnages complexes diffrent-ils des mnages nuclaires ? Cest ce quon essayera de dterminer dans ce qui suit, en relevant la composition dmographique et les caractristiques socio-conomiques de chacune.

    II. Caractristiques des mnages 1. Les mnages nuclaires Dans les mnages nuclaires, le chef est pratiquement toujours de sexe masculin (tableau

    1). Cette caractristique est dailleurs plus marque dans les campagnes quen milieu urbain, o 96,9% des couples et 98,2% des mnages biparentaux ont pour chef un homme. En milieu rural, ces pourcentages atteignent 98,7%. Si les mnages monoparentaux sont en gnral dirigs par des femmes, cest uniquement parce que la proportion dhommes vivant seuls avec leurs enfants clibataires est minime. Le fait que les adultes qui lvent seul un ou plusieurs enfants soient en grande majorit des femmes ges sexplique par trois principales raisons. Aux ges levs, la part des femmes non clibataires est plus importante que celle des hommes, cause dabord des carts dge entre les deux sexes au moment du mariage, les hommes se mariant gnralement avec des femmes plus jeunes, de la surmortalit masculine, les femmes vivant en moyenne plus longtemps que les hommes, et enfin parce que le remariage est plus facile pour les hommes que pour les femmes.

    Au Maroc, les mnages composs de couples seuls et les familles compltes ont des chefs qui sont toujours maris. Dans les mnages biparentaux, les quatre tats matrimoniaux sont prsents, avec une dominance des divorc(es) et des veufs(ves). Lenqute nationale sur la famille indique que les deux-tiers des hommes chefs de mnage sont des clibataires, dont 70% ont entre 15 ans et 29 ans, et 30% entre 30 et 44 ans. Il sagit fort probablement dindividus vivant avec leur mre veuve ou divorce et qui les prennent en charge. Le tiers restant de ces chefs de sexe masculin sont, raison de 80%, des veufs ou des divorcs vivant avec leurs enfants clibataires. Un peu plus de neuf dentre eux sur dix ont 45 ans ou plus. Les mnages monoparentaux dirigs par un homme sont minoritaires : trois sur vingt seulement. Les femmes, qui constituent la grande majorit des chefs de ce type de mnages, sont surtout divorces ou veuves (66,8%). Plus des deux-tiers ont 45 ans ou plus (65,2%). Il nen reste pas moins quune fraction importante, 32,1%, sont maries et gnralement ges de moins de 45 ans (76,1%). Il sagit de femmes dont le mari a migr lintrieur du pays ou ltranger.

    4 Blayo C., (1996), De lapplication des principes danalyse dmographique ltude de lvolution des mnages, in AIDELF.

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    Tableau 1 : Rpartition des chefs de mnages nuclaires par sexe et type de mnage, selon le milieu de rsidence, en 1995

    Type de familles nuclaires Milieu de rsidence Couples Compltes Monoparentales Nuclaires+isols (*) Total

    Ensemble Masculin 97,7 98,4 15,0 91,1 87,3Fminin 2,3 1,6 85,0 8,9 12,7Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0Urbain Masculin 96,9 98,2 11,9 90,5 85,5Fminin 3,1 1,8 88,1 9,5 14,5Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0Rural Masculin 98,7 98,7 20,3 100,0 89,7Fminin 1,3 1,3 79,7 0,0 10,3Total 100,0 100,0 100,0 100,0

    (*) Les familles nuclaires qui regroupent des personnes isoles et sans lien avec le chef de mnage sont trs peu frquentes. Les pourcentages qui leur correspondent sont donc affects dune plus grande erreur de sondage ; ils sont donns ici pour assurer la cohrence au niveau de la colonne total qui en tient compte.

    Force est de constater que pour les mnages monoparentaux, seuls 47,1% des chefs sont des actifs occups, et seulement 1,8% touchent une rente ou une pension de retraite. Ces proportions sont encore plus faibles en milieu rural, respectivement 41,0% et 2,4%. Elles sont les plus fortes pour les mnages biparentaux, dont 87,6% des chefs sont actifs occups et 4,7% rentiers ou retraits, soit un total de 92,3%, qui ne diffre pas significativement selon le milieu de rsidence (93,3% en ville et 91,0% la campagne).

    Si on tudie les charges qui psent sur les membres actifs occups de chaque type de mnages nuclaires, en les mesurant avec le ratio entre la population totale et celle qui exerce une activit, on constate que :

    cette charge est plus leve en milieu urbain quen milieu rural. En milieu urbain, un actif occup doit entretenir, en moyenne, 3,33 personnes (y compris lui-mme) contre 2,55 en milieu rural. En ce qui concerne les couples seuls, le ratio des personnes charge est relativement faible : 1,83 personne entretenir par actif occup. Ce rapport atteint 2,02 en milieu urbain suggrant quun actif occup - gnralement le chef de mnage - entretient non seulement son conjoint, mais aussi dautres personnes telles que les enfants ayant quitt le foyer parental. Il y a aussi des couples dans lesquels les deux conjoints sont sans emploi qui sont aids par des tiers, surtout sils nont pas dautres sources de revenu ;

    la charge qui pse sur les membres actifs occups est la plus leve dans les mnages biparentaux, probablement en raison de la prsence de jeunes enfants clibataires.

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    2. Caractristiques des mnages complexes Diffrentes configurations existent au sein des mnages complexes. Lenqute nationale sur

    la famille en a dnombr 282 types, parmi lesquels on peut isoler 183 cas dont les membres appartiennent au moins trois gnrations. Ces derniers reprsentent 64,2% des mnages complexes, et 21,6% de lensemble des mnages marocains. Si, au plan national, la cohabitation intergnrationnelle est moins frquente que par le pass, elle lest davantage en milieu rural quen milieu urbain. En effet, les familles o cohabitent trois gnrations et plus reprsentent 26,8% en milieu rural et 17,5% en milieu urbain. La persistance en milieu rural dun poids relativement important de ces mnages sexplique par les avantages vidents quils prsentent. Par exemple, ils permettent dviter le morcellement de la terre et donc de maintenir des exploitations de taille viable, de diminuer les dpenses de production, dhabitat, de transport pour les achats en gros, et de bien durables, grce aux conomies dchelle, et de disposer dun statut social respectable au niveau local.

    Mesur par le nombre moyen de femmes non clibataires et la proportion de mnages abritant deux femmes non clibataires, le degr de complexit des mnages est plus lev en milieu rural quen milieu urbain. De mme, la proportion des mnages complexes o vivent plus de deux adultes de 20 ans et plus, est suprieure en milieu rural. Paralllement, la proportion de ceux comptant trois noyaux familiaux ou plus est de 29,1% dans les campagnes, contre 26,6% dans les villes.

    Les mnages complexes ne reproduisent pas toujours la grande famille ancienne base sur les rapports de parent agnatiques et impliquant une subordination des femmes et des jeunes lautorit du patriarche. En tmoigne, par exemple, la rpartition des chefs de mnages complexes selon leur sexe, qui traduit bien les changements quant au rle des femmes. La proportion de celles qui dirigent un mnage complexe est importante, particulirement dans les villes o elle atteint 22,5%, soit plus que le double du pourcentage observ pour les mnages nuclaires, 9,5%. En milieu rural, le poids des femmes chefs de mnage complexe, bien quencore faible, avoisine celui enregistr parmi les mnages nuclaires : respectivement 9,7% et 10,3%. Cet cart entre les deux milieux sexplique dune part par la nature mme des mnages complexes (71,6% des mnages complexes ruraux comportent trois gnrations ou plus, contre 57,1% en milieu urbain)5 et, dautre part, par une mancipation plus pousse des femmes citadines.

    A linstar des chefs de mnages nuclaires, les chefs de mnages complexes sont majoritairement maris (82,7%), suivis par les veufs (12,3%), notamment parce que ces mnages sont composs le plus souvent de trois gnrations, et parce que cest habituellement la personne 5 En milieu urbain, le pourcentage de femmes chefs de mnage complexe groupant 3 gnrations et plus est de 21,8%, contre 23,5% pour le reste des mnages complexes. En milieu rural, ces proportions sont respectivement de 6,5% et 17,8%. Au niveau national, elles sont respectivement de 13,5% contre 21,3%.

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    la plus ge qui est dclare en tant que chef. Cette proportion est moins importante en milieu rural quen milieu urbain, peut-tre cause dune frquence du remariage plus grande en milieu rural, et probablement en raison de la mortalit plus importante dans ce milieu.

    III. Modes de formation et de dissolution des mnages 1. Choix du conjoint, cohabitation et famille Dans les socits dans lesquelles lautorit familiale prime, le mariage fait partie intgrante

    des stratgies familiales lignagres. Selon lENF 95, le libre choix du premier conjoint reste peu frquent. En effet, 16,1% seulement des femmes interroges ont dclar avoir choisi elles-mmes leur premier conjoint et 2,5% lont fait sur recommandation dune amie. Mme dans ces cas, il est fort probable que les parents aient t consults sur le choix fait par leur fille avant le mariage. Linfluence des parents dans les choix matrimoniaux de leurs filles reste importante puisque prs des deux-tiers (64,8%) des mariages des Marocaines sont arrangs par au moins un des deux parents. LENF 95 indique, en outre, que sur 100 femmes, prs de 16 se sont maries une personne recommande par un membre de la famille autre que le pre ou la mre. En somme, dans huit cas sur dix, cest la famille qui choisit le conjoint de leur fille. La famille intervient galement dans les dcisions sur le choix des pouses pour les hommes. Toutefois, les donnes permettant de mesurer lampleur et dtudier les formes de ces interventions font dfaut.

    2. Endogamie Limportance des mariages arrangs est souvent cite comme tant un des facteurs de

    lincidence de lendogamie (Goode, 19636), ou mariage lintrieur dun groupe de personnes ayant la mme origine ethnique, religieuse, ou gographique. Lendogamie familiale, ou mariage avec un parent, tend disparatre dans les socits libre choix du conjoint , mais reste une caractristique dans la plupart des pays du Moyen-Orient, dAfrique du Nord, dAsie du Sud et dans certains pays de lAfrique Subsaharienne.7 Dans beaucoup de ces socits, les estimations disponibles situent la prvalence du mariage consanguin entre un quart et un tiers. Les explications donnes ce type de mariage sont diverses et invoquent, toutes, une stratgie matrimoniale dfensive de conservation dun patrimoine symbolique ou conomique dont les objectifs sont8 :

    conservation du patrimoine conomique lintrieur de la ligne agnatique ; garantie de fidlit de lpouse ; garantie de respect de lpouse par le mari ; 6 Goode W. J., (1963), World revolution and family patterns, New York, Free Press, Cit in Benjamin P. Givens et Charles Hirschman. 7 Benjamin P. Givens et Hirschman C., (1994), Modernisation and Consanguineous Mariage in Iran , in Journal of Marriage and Family 56, p. 821. 8 Khlat M., (1989), Les mariages consanguins Beyrouth, INED, Cahier n 125, PUF, p. 16.

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    rduction du risque dincompatibilit du statut social des conjoints ; prservation de lquilibre familial ; consolidation de lalliance de loncle avec le neveu ; contribution la fusion des lignes agnatiques ; rduction notable ou mme exemption du douaire, comme disposition coutumire

    favorable au mariage des cousins.

    Selon lENF 95, la tendance se marier avec une personne apparente est en lgre baisse puisquelle tait de 29% en 1995 contre 33% en 1987 (33,1% la campagne contre 26,0% en ville en 1995, et 36% contre 29% selon lENPS 87). Lendogamie familiale nest pas aussi forte au Maroc que dans dautres pays arabes. A titre dexemple, elle est estime 40% en Algrie en 1986, 49% en Tunisie en 1989, 41% en Egypte en 1989 et 36% au Ymen en 1991-929.

    Tableau 2 : Rpartition (en %) des femmes non clibataires maries au sein du groupe familial selon le degr de parent avec le premier conjoint par milieu de rsidence (1995).

    Milieu de rsidence et anne de mariage

    Type de mariage entre cousins germains

    Mariage entre parents loigns

    Total Nombre de mariages

    Ensemble 16,3 13,0 29,3 6 404 Urbain 14,8 11,2 26,0 3 340 Rural 17,8 15,3 33,1 3 064 Source : CERED, ENF 95.

    Les proportions ci-dessus ne rendent pas compte des affinits et prfrences entre les diffrents membres du groupe familial. Or, la littrature concernant le mariage dans le monde arabe insiste sur le mariage prfrentiel avec la cousine parallle paternelle bint el amm . LENF 95 montre que le mariage consanguin a pris dautres formes que celui avec bint el am . Ainsi, si 16,1% des femmes se sont maries pour la premire fois dans la famille agnatique, 11,8% ont contract leur premire union dans la famille utrine (cognatique) alors que la proportion de celles ayant contract un mariage avec un cousin crois paternel et maternel reste ngligeable, ne dpassant pas 1,4%. Par ailleurs, force est de constater que le mariage prfrentiel avec le cousin paternel parallle nest plus gure vident. Sa frquence (5,3%) ne dpasse que lgrement celle du mariage entre cousins maternels parallles (4,2%). Le mme ordre de grandeur qui diffrencie ces deux types dunions spare les mariages entre cousins croiss maternels (2,2%) et paternels (3,1%). Ces rsultats nous permettent de faire la mme conclusion que celle faite propos de lAlgrie : le mariage avec la fille du frre du pre est une possibilit qui sinscrit dans un ventail en ralit trs ouvert .10

    9 Alan H. Bittles, (1991), Consanguinity : A major variable in studies on North African reproductive behavior, morbidity and mortality ? in IRD/Macro International, Inc. Proceedings of the Demographic and Health Surveys, World Conference, Washington, D.C. Columbia, Maryland. 10 Kouaouci A., (1992), Familles, femmes et contraception, Ed : CE.N.E.A.P et FNUAP. Alger, p. 113.

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    Lge au mariage de la femme joue un rle remarquable dans la probabilit de se marier au sein du groupe de parent. En effet, la proportion des femmes qui se marient quelquun extrieur sa famille dorigine augmente avec le recul de lge dentre en premire union. Elle passe de 68,3% quand la femme sest marie avant datteindre 20 ans 81,5% quand elle est ge dau moins 25 ans. De mme, le niveau dinstruction et laptitude lire et crire sont rellement dterminants cet gard : 30,1% des femmes illettres se sont maries avec une personne de leur famille, contre 17,5% seulement pour celles ayant le niveau secondaire ou suprieur. Lintervention de la famille dans le choix du conjoint semble galement associe lendogamie familiale, puisque moins de 14% des femmes ayant choisi elles-mmes leurs maris ont contract une union consanguine, contre le tiers (33,3%) de celles dont la famille a jou un rle dans le choix de lpoux.

    3. Homogamie Lhomogamie consiste pouser une personne semblable du point de vue social, culturel

    ou socioprofessionnel. Au contraire de lendogamie, lhomogamie reste frquente : dabord, un grand nombre de mariages se fait entre personnes proches gographiquement par le lieu de naissance, de rsidence et dtudes. Ensuite, la plupart des individus se marient au sein de leur catgorie sociale. En outre, mesure que la participation des femmes dans les diffrentes activits conomiques se dveloppe, les gens se marient de plus en plus avec dautres personnes de mme profession.

    Deux thories concurrentes tentent dexpliquer la dominance du modle dhomogamie11. La premire, soutenue par de nombreux sociologues, est dessence culturaliste. Selon cette thorie, la similitude des conjoints est dtermine par les valeurs familiales transmises aux enfants par leurs parents. La deuxime accorde au contraire aux deux poux une autonomie de choix. Ce choix est conu comme un processus dactions rationnelles que les poux entreprennent en fonction de leurs caractristiques, aspirations et perceptions, et compte tenu de la structure du march matrimonial. A notre avis, la fois les facteurs culturels, les caractristiques personnelles des futurs conjoints ainsi que les conditions du march matrimonial interagissent dans la dtermination de la nature et de lintensit de lhomogamie.

    11 Voir la prface de Cherkaoui M. in Aboumalek M., (1994), Qui pouse qui ? Le mariage en milieu urbain, Ed. Afrique Orient.

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    Tableau 3 : Conjoints selon la similitude du lieu de naissance, laptitude lire et crire et la rsidence (1995).

    Mme lieu de naissance

    Milieux de naissance diffrents

    Total Aptitude lire et crire de

    % colonne % ligne % colonne % ligne % colonne % ligne Effectif

    A : mari Milieu de rsidence : urbain

    Oui 56,4 50,1 69,5 49,5 62,3 100,0 1 523Non 43,6 63,9 30,5 36,1 37,7 100,0 923Total 100,0 55,3 100,0 44,7 100,0 100,0 2 446Effectif 1 353 1 093 2 446

    Milieu de rsidence : rural Oui 25,1 73,4 30,3 26,6 26,3 100,0 623Non 74,9 78,2 69,7 21,8 73,7 100,0 1 747Total 100,0 76,9 100,0 23,1 100,0 100,0 2 370Effectif 1 823 547 2 370

    B : pouse Milieu de rsidence : urbain

    Oui 28,4 44,0 44,6 56,0 35,7 100,0 872Non 71,6 61,6 55,4 38,4 64,3 100,0 1 574Total 100,0 55,3 100,0 44,7 100,0 100,0 2 446Effectif 1 353 1 093 2 446

    Milieu de rsidence : rural Oui 3,0 53,5 8,6 46,5 4,3 100,0 101Non 97,0 78,0 91,4 22,0 95,7 100,0 2 269Total 100,0 76,9 100,0 23,1 100,0 100,0 2 370Effectif 1 823 547 2 370

    Source : CERED, ENF 1995 Un des critres associs au choix du conjoint et aux stratgies dalliance est lorigine

    gographique. Pour apprhender lhomogamie rsidentielle, nous avons compar les lieux de naissance (communes rurales et villes) des conjoints selon laptitude lire et crire du mari (tableau 3. panneau A) puis celle de lpouse (tableau 3. Panneau B). On observe que :

    on se marie le plus souvent au sein de la mme localit de naissance, mais ce phnomne est plus marqu en milieu rural quen milieu urbain : 76,9% contre 55,3% ; et moins frquemment lorsque le mari sait lire et crire que dans le cas contraire : 50,1% contre 63,9% en milieu urbain et 73,4% contre 78,2% en milieu rural. Ce comportement reste valable selon que la femme est analphabte ou non (voir panneau B). La scolarisation et lexode rural sont parmi les facteurs explicatifs de ces diffrentiels ;

    le degr dhomogamie est plus lev dans les campagnes que dans les villes et ce, indpendamment de lappartenance ou non du mari ou de lpouse la catgorie des analphabtes ; cest le contraire qui se passe lorsque lanalyse se fait selon laptitude de la femme lire et crire ;

    lcart entre les taux dhomogamie des cas o le mari sait lire et crire et des cas o il est analphabte est plus important en milieu urbain quen milieu rural : 13,8% contre 4,8%. Il

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    est galement moins marqu quand le mari est analphabte que quand il sait lire et crire : 14,3% et 23,3% respectivement.

    Un autre aspect des stratgies matrimoniales est le choix du conjoint selon laptitude lire et crire. A ce sujet, on peut remarquer que lhomogamie se confirme, cela en grande partie pour des raisons structurelles : il y a moins dhommes que de femmes analphabtes.

    Tableau 4 : Conjoints selon leur aptitude lire et crire par milieu de rsidence, 1995.

    Aptitude lire et crire du mari

    Aptitude lire et crire de lpouse

    Oui Non Total

    Urbain (N=2 448) Oui 32,4 3,3 35,7 Non 29,9 34,4 64,3 Total 62,3 37,7 100,0

    Rural (N=2 378) Oui 3,4 0,9 4,3 Non 23,0 72,7 95,7 Total 26,4 73,6 100,0

    Source : CERED, ENF 95. En effet, en milieu urbain, les deux-tiers des hommes sont maris des femmes ayant la

    mme aptitude lire et crire, fraction plus importante en milieu rural puisquelle atteint environ les trois-quarts. Parmi les hommes analphabtes, trs peu se marient des femmes sachant lire et crire : cest le cas de 8,7% des hommes en milieu urbain et 1,2% en milieu rural. Parmi les hommes sachant lire et crire, prs de la moiti en milieu urbain, et prs des neuf diximes en milieu rural ont une pouse analphabte. En fait, mme sils prfraient se marier avec une femme alphabtise, ils ne pourraient pas raliser leur souhait compte tenu du nombre plus lev danalphabtes de sexe fminin que de sexe masculin. Cette explication est dautant plus vraie que lcart dge au mariage entre les deux sexes est en faveur des hommes, et que lalphabtisation est une fonction dcroissante de lge.

    Conclusion En dpit des transformations socio-conomiques et dmographiques au Maroc, le poids

    des mnages dont le chef dclar est une femme na pas tellement volu depuis deux dcennies. Vivre seul est un vnement frappant les femmes plus que les hommes, et qui devient de plus en plus rare. La baisse des proportions de divorces et de veuves dune part, et des difficults accrues dinsertion dans le march de lemploi dautre part, sont parmi les facteurs explicatifs de ces phnomnes. Par ailleurs, les femmes vivent actuellement plus longtemps que dans le pass, et leur dure de vie en dehors de la vie conjugale augmente. Si les tendances observes en matire dentre en premire union se poursuivaient, une proportion croissante de Marocaines pourrait vivre dans un tat de clibat permanent. Conjugue une nuclarisation des mnages, cette

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    ventualit aura des consquences dordre psychologique et conomique sur les femmes, particulirement sur celles restant clibataires et narrivant pas exercer un emploi rmunr.

    Dautre part, ne pas rsider seul, cest le plus souvent vivre en famille, car la quasi-totalit des mnages marocains comprennent au moins une famille. Ces mnages ont cependant des structures et des caractristiques assez varies. Lvolution des mnages nuclaires et la faible frquence des types de cohabitation domestique groupant plusieurs gnrations, sont des facteurs susceptibles de contribuer au recul du mariage, et surtout la baisse des mariages consanguins. En effet, le rle de la famille dans des situations de nuclarisation pousse pourrait devenir moins contraignant, laissant lindividu la libert du choix de lge au mariage et du conjoint futur, autrement dit les mariages arrangs seront appels diminuer.

    En parallle la solidarit familiale, surtout celle qui se manifeste au cours des premiers mois du mariage en abritant le nouveau couple au sein du mnage des parents de lun des conjoints, pourrait saffaiblir et rendre moins accessible le mariage des jeunes ges, particulirement en situation de scolarisation et de chmage de longue dure.

    Bibliographie Aboumalek M., (1994), Qui pouse qui ? Le mariage en milieu urbain, Ed. Afrique Orient. AMEP, La famille au Maghreb, 6me colloque de dmographie maghrbine, Rabat, dcembre 1985. Blayo C., De lapplication des principes danalyse dmographique ltude de lvolution des mnages in Mnages, familles, parentles et solidarits dans les populations mditerranennes, Ed. AIDELF, n 7, 1996. CERED, (1991), Famille Fs, changement ou continuit ? Les rseaux de solidarits familiales, Rabat, Maroc, 190 p. CERED, (1991), Population lan 2062 : stratgies, tendances, Rabat, Maroc, 276 p. CERED, (1996), Famille au Maroc : les rseaux de solidarit familiale, Rabat, Maroc, 341 p. CERED, (1997), Etat matrimonial et stratgies familiales, Rabat, Maroc, 320 p. Chekroun M., (1983), La structure familiale et communautaire au Maroc et sa rinterprtation en situation migratoire , B.E.S.M, n 151-152. pp. 103-117. Goode W.J., (1963), World revolution and family patterns, New York, Free Press. Givens P. et Hirschman C., (1994), Modernisation and Consanguineous Mariage in Iran in Journal of Marriage and Family 56, Novembre 1994. Khlat M., (1989), Les mariages consanguins Beyrouth, INED, Cahier n 125. PUF. Kouaouci A., (1992), Familles, femmes et contraception, Alger, CENEAP/ FNUAP. Lfarakh A., (1996), Composition et structures des mnages au Maroc In Mnages, familles, parentles et solidarits dans les populations mditerranennes, AIDELF, n 7. pp. 187-198. Ministre de la Sant Publique, Enqute Nationale sur la Fcondit et la Planification Familiale, 1979-80.

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    Appui socio-conomique la famille (Lahcen Daoudi)

    Introduction Dans un contexte international caractris par une double tendance, mondialisation et

    rgionalisation, qui fait de la comptitivit la cl de tout dveloppement durable, le Maroc se trouve confront un double dfi : dun ct mener une politique sociale adquate mais coteuse, de lautre affronter le mouvement de libralisation travers une action profonde de mise niveau de lconomie. En effet, la mise niveau de lentreprise marocaine exige celle de tout son environnement de telle sorte que la concurrence entre units productrices slargit une comptition entre systmes ducatifs, entre infrastructures nationales, entre systmes politiques. Ce sont l des dfis majeurs qui se situent la mme chelle dans la grille des priorits. Davantage encore, leur degr dinterdpendance est tel quils doivent tre relevs de manire simultane, toute dfaillance risquant de compromettre lensemble.

    Le Maroc prsente une population pauvre estime plus de 7 millions dhabitants avec un taux de chmage de lordre de 18% et un sous-emploi rebelle toute analyse tant en milieu rural quurbain. Le dernier rapport de la Banque Mondiale indique que le maintien dun taux de croissance de 3-5% par an fera passer le nombre de sans emploi en milieu urbain de 1 million 2 millions au cours des prochaines annes. Une croissance plus rapide, de lordre de 7-8% par an est ds lors essentielle pour ramener le taux chmage 12% par an dici 2005 par rapport son niveau actuel de 18% 12.

    Ces tendances, risquent d'amplifier considrablement les conflits sociaux compte tenu de l'volution dmographique actuelle et de l'exode rural. Les villes marocaines abriteront en 2014 prs de 22,7 millions d'habitants (66%) contre 12 millions dans le monde rural (34%). Les villes marocaines sont donc menaces, leurs capacits daccueil sont gnralement dj dpasses. Les quipement sociaux sont dj rares dans certains centres priurbains.

    Cest dans ce contexte social que le Maroc sengage dans une mondialisation qui met rude preuve les systmes productifs nationaux. Ainsi le tiers de lindustrie marocaine au moins est menac deffondrement dans les dix annes venir, faute de possibilit dadaptation. Cette menace risque d'tre encore plus grande car avec l'ouverture des frontires un tiers de l'industrie marocaine pourra faire face la concurrence, tandis que les deux-tiers restants seront amens disparatre ou faire l'objet de restructurations pour gagner en comptitivit ( Maroc : la lente

    12 Banque Mondiale, (1998), Croissance et march de lemploi, Vol. I, n 16589-MOR, p. 3.

  • 122

    marche vers la modernit , Conjoncture Mai 1998) ; des pertes demplois importantes dans le secteur agricole (effets des accords du GATT) sont prvoir pour les prochaines annes13.

    Il en dcoulera plus de souffrance et des familles de plus en plus partages entre le besoin de cohsion et les ncessits de la sparation la recherche de meilleures conditions de survie. Les enfants et les personnes gs paieront un tribut encore plus fort car le Maroc ne russira pas raliser le vu du rapport mondial sur le dveloppement humain (1997) qui consisterait mettre les marchs au service des personnes et non linverse . En effet, la logique du march chappe non seulement lindividu mais, plus dangereux encore, aux Etats qui sont censs dtenir les moyens de rgulation et dajustement

    I. Constat Le constat de la politique sociale en matire dappui socio-conomique la famille est loin

    dtre la mesure des attentes. Les systmes dvaluation sont lacunaires. Le plus simple serait de soutenir que la famille et, par extension, le social ont t purement et simplement ngligs. Dans ce cas, les notions dchec ou de russite nont pas lieu dtre utilises. En effet, ce volet ne recevait que 12% du PIB contre 20% en Tunisie ou dans certains pays de lOCDE et plus de 25% en Malaisie. La crise du dbut des annes 80 et les radaptations opres dans le cadre de PAS ont rvl au grand jour la dimension du problme social.

    Cette prise de conscience sest accompagne ds le dbut des annes 90 dune volont de redresser la situation. Ce nest donc que tardivement que des bauches de stratgies ont t ralises. La direction de la planification est le prcurseur en la matire avec la production en 1993 d'un document intitul stratgie de dveloppement social . En 1996, a t conu le document Note de stratgie Nationale pour la priode 1996-2000 (Maroc, Nations Unies : Rabat, 29 Fvrier 1996). La tentative du secrtariat dEtat charg de lEntraide Nationale na pas abouti suite au changement de gouvernement (voir bibliographie pour les autres travaux).

    Si, au plan de lconomie, la politique mene dans le cadre du PAS a permis de rtablir certains quilibres fondamentaux, il nen demeure pas moins que les effets pervers au plan social risquent de fragiliser, sinon dannuler, les gains raliss aprs tant de sacrifices.

    Le constat social est donc lourd de consquences puisque :

    le chmage est au moins de 18% ;

    13 La stratgie de dveloppement rural (1997-2010) labore par la Banque mondiale (n 6303-MOR) rapporte que la libralisation accrotrait le chmage court terme du fait que des activits nationales non comptitives perdent du terrain par rapport des importations meilleur march. Les travailleurs non qualifis, et parmi eux, les agriculteurs craliers de subsistance dans les zones en bour, sont particulirement touchs. Ils sont perdants en terme demploi et de salaire rels (Vol. I, pp. VI-VII).

  • 123

    lanalphabtisme qui touche plus de 50% de la population marocaine affecte durement le monde rural (72%) surtout fminin (89%)14 ;

    le taux de scolarisation des enfants entre 7 et 12 ans a atteint 60% sans toutefois dpasser 41% en milieu rural 15. La jeune fille rurale continue de payer le plus lourd tribut puisquelle nest scolarise qu hauteur de 26% ;

    llectrification (20%) et laccs leau potable (30%) en milieu rural sont trs peu dvelopps (branchement d'eau : 14%) ;

    la malnutrition accompagne de larrt de la croissance (taille/ge) touche 50% des pauvres dans certaines rgions du Maroc ;

    les taux de mortalit maternelle dans le milieu rural marocain sont trs levs en comparaison avec des pays de mme niveau de dveloppement ;

    de grands espaces souffrent encore dun enclavement conomiquement asphyxiant. Le cumul de tous ces handicaps fait que 3,5 millions dhabitants au moins vivent dans la

    pauvret absolue et 2 millions sidentifient une situation de quasi pauvret. Plus dun million de familles sont ainsi dans des situations trs prcaires. La pauvret envahit de plus en plus les espaces publics (mendicit, enfants des rues, sans abris...) et de plus en plus de gens sont fragiliss. La famille subit ainsi les -coups de labsence dune politique sociale adquate aggrave par linefficacit des outils en place.

    1. Des actions inefficaces Malgr des taux de croissance raliss (3-4% en moyenne) et malgr dprouvantes

    scheresses rcurrentes, le Maroc a continu dagir de manire dsordonne dans le domaine social. Ainsi, le mauvais ciblage, lincohrence, le manque de suivi et labsence dindicateurs de performance ont caractris les initiatives publiques. Autant ces initiatives taient nombreuses autant elles taient disparates et/ou inefficaces. Citons titre dexemples :

    1.1. L'enseignement

    Lenseignement absorbe prs du quart de budget de lEtat sans que lducation de base ne soit garantie pour tous. Le systme est dpass tous les niveaux ; son adquation avec le march de lemploi est rarement tablie, le rapport qualit/cot est trs faible...

    14 le recensement de 1994 a rvl que le taux de chmage par province pour les moins de 18 ans est de lordre de 59,2% Essemara, de 47,6% Oujda-Angad, 46,6% Nador... (Les moins de 18 ans au Maroc, Srie thmatique, D. S.). 15 Maroc, PNUD, (1996), Note de la stratgie nationale, p. 7. Le recensement de 1994 situe la scolarisation des enfants de 7 17 ans rvolus 50% seulement. Dans le rural, la mme source rapporte que le 1/3 seulement de ces enfants est inscrit lcole (Les moins de 18 ans au Maroc, op. cit. p. 71).

  • 124

    1.2. Le logement

    Lappui la famille suppose au moins le droit un logement dcent. Or le dficit en la matire est grand (13% de la population urbaine habitent dans des bidonvilles, 20 000 logements insalubres sont produits annuellement...)16. La promotion du logement, malgr les efforts en cours (200 000 logements, lutte contre lhabitat insalubre, dveloppement de lhabitat rural...) nest pas de nature rpondre aux besoins dune large frange de la population insolvable. La politique du logement doit tre accompagne dune politique de redistribution et d'accroissement des revenus dans le cadre dun schma national damnagement territorial concert.

    1.3. la protection sociale

    Le document Stratgie nationale de protection sociale labor en 1996 par le ministre de lEmploi et des Affaires Sociales rapporte que la protection sociale relve dune pluralit dorganismes sans vritable coordination (p. 2). A cette dfaillance sajoute la faible porte de cette protection qui ne concerne que prs de 15% de la population. Les couches les plus dfavorises nont pas de couverture sociale, ce qui limite considrablement leurs possibilits daccs aux soins de base. Autrement dit, le systme actuel ne protge pas ceux qui en ont le plus besoin 17.

    1.4. Les quipements de base

    Laccs aux services de base est trs limit surtout dans le priurbain et encore plus dans le milieu rural. Les efforts entrepris ces dernires annes narrivent pas compenser le dficit. Un dbut de coordination de certaines actions est apparu. En 1996, la Banque Mondiale a labor un rapport (15075-MOR) portant sur la coordination et le suivi des programmes sociaux qui souligne que les proccupations sociales ne figuraient pas parmi les premires priorits du gouvernement, et malgr des amliorations sectorielles indiscutables au cours des annes 80-90, il ny avait pas de plan global, long terme, pour le bien tre social du pays. Cela se traduisait par labsence de mcanisme oprationnel pour coordonner laction des diffrents ministres chargs des secteurs sociaux 18.

    1.5. Les subventions

    La caisse de compensation mise en place dans sa forme actuelle en 1977, pse lourdement sur le budget de lEtat, hauteur de 3,5 milliards de Dh. Elle est destine, subventionner les produits de base afin de les maintenir la porte des faibles revenus. Toutefois, les tudes menes en la matire ont conclu un mauvais ciblage puisque les couches favorises en bnficient plus que les autres. En effet ltude sur les sources de vulnrabilit et les filets de scurit pour les

    16 Interview du secrtaire dEtat charg de lhabitat, la vie conomique du 29 mai 1998. 17 Banque Mondiale, (1996), Rapport dvaluation (n 15075-MOR) p. 3. 18 Ibid, p. 5.

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    populations dfavorises 19 ralise en 1993 a dmontr un net glissement vers les couches favorises des subventions accordes dans le cadre de la caisse de compensation. Sur la base de la rpartition suivante des mnages (conformment lenqute de consommation 1990-91) en cinq classes en fonction des dpenses moyennes annuelles par tte (en Dh), le rapport est parvenu aux rsultats suivants :

    Milieu Classe 1 Moins de 2 935 Dh

    Classe 2 2 935 4 177 Dh

    Classe 3 4 178 6 001 Dh

    Classe 4 6 002 9 062 Dh

    Classe 5 9 063 Dh &+

    Rural 30,87 39,91 51,35 63,15 81,48 Urbain 27,62 33,69 41,38 51,76 68,91 Ensemble 30,21 38,41 47,65 56,02 71,87

    Source : tude cite, Volume : la caisse de compensation p. 188. Le constat est clair puisquun individu de la classe 1 ne peroit que 38% de lquivalent du

    bnfice que tire celui de la classe 5. Ceci est suffisant pour conclure que la caisse de compensation ne parvient pas cibler efficacement la population pour laquelle elle a t cre. La mme tendance sobserve lchelle du milieu urbain. Plus on est riche, autant dans le monde rural quurbain, plus on bnficie des subventions de la caisse de compensation. La tendance contraire aurait t videmment plus logique. Les 5 classes du milieu rural bnficient d'une subvention moyenne de 267 Dh ; mais l'individu de la premire classe, la moins dote, nen peroit que 12%.

    La conclusion est que la caisse de compensation ne peut nullement lutter contre la pauvret ; elle accentue les ingalits ; ses moyens doivent tre raffects de manire plus oprationnelle limage, par exemple, de ce qui se fait en Tunisie dans le cadre du programme national daide aux familles ncessiteuses (PNAFN). Ce programme intervient au profit des familles pauvres recenses par les services du Ministre tunisien des Affaires Sociales. Selon la dernire enqute ralise en 1994, 148 900 familles ont t identifies comme pauvres. Toutefois, 95 305 dentre elles seulement bnficient du PNAFN 20 Le gouvernement doit donc raffecter plus efficacement ces moyens au profit des plus dmunis.

    1.6. Les filets de scurit

    La Promotion Nationale et lEntraide Nationale jouent des rles certes insuffisants mais apprciables en tant quoutils de soutien aux couches dfavorises. Les ponts ne sont pas jets entre les deux institutions et la synergie souhaite sest substitue une ignorance mutuelle.

    La promotion Nationale

    Relevant des comptences du Ministre de lIntrieur, la Promotion Nationale offre une moyenne de 13 millions de journes de travail par an au profit de personnes dmunies

    19 Ministre des Affaires Economiques et Sociales-PNUD, (1993), Etude sur les sources de vulnrabilit et les filets de scurit pour les populations dfavorises. 20 Mongi B. & Gouia R., (1996), Les politiques de lutte contre la pauvret en Tunisie, DP/88/1996, I.I.E.S. (Banque mondiale).

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    gnralement charges de famille. Ces opportunits sont concentres dans le monde rural hauteur de 70%. Les actions sont diversifies : lacs collinaires, voirie, reboisement...

    Laction de la Promotion Nationale relve du saupoudrage de quelques maigres revenus destins des familles compltement dmunies. Cette institution ne garantit en gnral que quelques semaines de travail pour les personnes recrutes, en vue de faire bnficier le maximum de personnes de ces opportunits. Nous sommes donc loin de la logique de lefficience et encore plus de celle du revenu durable. Le rapport de la Banque Mondiale rappelle quil nexiste cependant pas encore de mcanismes dvaluation de limpact des activits de la Promotion Nationale, et les procdures de lagence ne sont en gnral pas transparentes 21

    LEntraide Nationale

    Disposant du statut dtablissement public, cette entit qui emploie plus de 6 000 personnes dispose de structures assez denses travers le territoire national. Ses statuts lui permettent de faire appel la gnrosit publique et de dispenser laide sous toutes ses formes aux couches dfavorises. Au temps de laide alimentaire amricaine, cette institution touchait jusqu 750 000 familles par an (aide, conseils, alphabtisation...). Depuis 1993, date de rupture de cette aide, lactivit de lEntraide Nationale sest considrablement rtrcie (73 000 bnficiaires). Le gros de la population qui bnficie de ses prestations est constitu des jeunes filles dscolarises ou analphabtes qui reoivent une formation susceptible de leur garantir un revenu durable.

    Laction de lEntraide Nationale, quoique finance principalement par le budget de lEtat linstar de la Promotion Nationale, seffectue sans relle coordination avec les dpartements des autres ministres. Cette dfaillance est imputable labsence dune structure gouvernementale charge de la coordination du social. La cration dun Ministre du Dveloppement Social constitue un grand pas vers une structure relle de coordination.

    1.7. Barnamaj al Aoulaouiyat al Ijtimaya (BAJ)

    Le monde rural est inscrit depuis lindpendance en tte des priorits sous langle de lagriculture. Malheureusement les lourds investissements effectus jusqu la fin des annes 80 ont bnfici surtout aux zones favorises en termes dinfrastructures, essentiellement les zones irrigues. Le paysan a t dlaiss depuis le dbut des annes 60. Lanalphabtisme la rong de lintrieur. Au dbut des annes 90, les pouvoirs publics ont ressenti, sous leffet de la pauvret et de lexode rural, lurgence dune approche qui puisse intgrer le pays dans une stratgie plus globale que par le pass. La scolarisation des enfants, llectrification, ladduction deau potable, le dsenclavement, les soins de sant, le logement, laccs aux activits productives en faveur des

    21 Banque Mondiale, Rapport dvaluation, op. cit. p. 5.

  • 127

    hommes et femmes vulnrables... constituent le noyau de cette nouvelle orientation trace dans le cadre du BAJ (ou Programme des Priorits Sociales).

    Cet ambitieux programme, constitue en principe un prlude vers lradication de la pauvret. Les 13 provinces cibles abritent plus de 7 millions dhabitants. Ce sont des provinces svrement touches par la pauvret, la marginalisation, lanalphabtisme... La question qui se pose est de savoir si les moyens mis en place sont utiliss de manire optimale ou non. Nous considrons, pour notre part, que la politique daccompagnement de ces investissements lourds, surtout en matire de formation, est trs insuffisante.

    En effet, les routes, lcole, le dispensaire, leau, llectrification... constituent des vecteurs de propagation du dveloppement local. Toutefois, les effets induits par ces infrastructures sur lemploi ne peuvent tre rentabiliss que si une formation rpondant aux nouveaux besoins gnrs par ces investissements est engage en parallle. La critique adresse au programme BAJ porte sur le mme problme que par le pass savoir la faible coordination. En effet, malgr lapproche intgre des diffrents projets, il nen reste pas moins que chaque dpartement ralise sa tranche isolment. Cette intgration en amont est insuffisante pour garantir lefficacit sil ny a pas de suivi et dindicateurs synthtiques dvaluation. Lautre faiblesse du programme du BAJ est de ne pas avoir mis en place une vraie politique dauto-emploi par le biais du financement des micro-projets.

    2. Populations vulnrables Dans le chapitre V du rapport de la Confrence Internationale sur la Population et le

    Dveloppement, il est prcis parmi les objectifs qu: Il sagit de veiller ce que toutes les politiques rpondent pleinement aux droits et aux besoins divers et changeants des familles et de leurs diffrents membres et fournir lappui et la protection ncessaires, en particulier aux familles les plus vulnrables et leurs membres les plus vulnrables (p. 34).

    Si lon retient ce concept de vulnrabilit qui nest pas ncessairement synonyme de pauvret, la population marocaine cibler dpasse 3,5 millions dhabitants vivant dans la pauvret absolue. En intgrant les quasi-pauvres (2 millions), la population handicape ou celle qui naccde pas aux services de base, un minimum de 7 8 millions de personnes peuvent tre considres comme vulnrables. Le rapport (officieux) de la Banque Mondiale (Les deux Maroc 1997) rapporte que quatre millions de Marocains des zones rurales continuent vivre dans une misre crasante... Dix-huit pour cent de la population rurale subsiste au seuil officiel de la pauvret absolue (volume II Rapport principal, p. 9).

  • 128

    II. lalternative Le rapport de la confrence internationale sur la population et le dveloppement (le Caire

    5-13 septembre 1994) rappelle qu une croissance conomique soutenue dans le cadre du dveloppement durable est indispensable pour liminer la pauvret (p. 20). La premire condition pour bannir la pauvret extrme est donc de garantir les conditions dune forte croissance en vue dun dveloppement durable et gnral. Cette croissance tant une condition ncessaire mais non suffisante, il convient d'engager les rformes ncessaires et de mettre en place une politique sociale concerte fonde dans sa mesure sur un indicateur du genre de lindicateur de pauvret humain retenu dans le rapport mondial sur le dveloppement humain. Cet indicateur mesure le niveau de dveloppement selon ltat des pauvres du pays tudi.

    Ladministration marocaine, se caractrise par la centralisation, le peu de performance et les cots levs, ne peut pas prtendre lutter efficacement contre la pauvret. Elle doit se dsengager dune partie de ses comptences au profit des collectivits territoriales, des ONG et de nouvelles structures gestion flexible comme le Fonds de Dveloppement Social (FDS) qui sera institu bientt avec lappui de la Banque Mondiale.

    Cette affirmation : LEtat est trop grand pour les petits problmes mais trop petit pour les grands problmes sapplique parfaitement la situation marocaine. Le problme de la lutte contre la pauvret est la fois grand et petit. Grand, quand il sagit de considrer le phnomne dans sa dimension nationale, mais petit quand on cherche agir localement sur les petites poches de prcarit. Dans le premier cas, ce sont toutes les potentialits nationales (et mme trangres) qui doivent tre mobilises, lEtat ne serait quune pice dun grand puzzle. Dans le second cas, ce sont des services de proximit (ONG, collectivits locales...) qui simposent ; la centralisation des choix ne peut pas servir cette cause. Davantage encore, les solutions sont parfois spcifiques ; la standardisation des actions de lEtat nest pas de nature rpondre efficacement aux besoins. Le Fonds de Dveloppement Social, par exemple, pourrait mener des actions denvergure et trs grande chelle tout en individualisant laction. Autrement dit, parmi les nouveaux acteurs, il convient de citer en premier lieu la socit civile, dont les ONG, les lus locaux et surtout le Fonds de Dveloppement Social.

    Conclusion La socit civile marocaine s'exprime de plus en plus librement ; elle revendique ses droits...

    Les rassemblements se multiplient travers le territoire. Face cette monte de la prise de conscience, les rformes ncessaires (administration, justice, code du travail...) tardent venir. Ce retard risque d'amplifier les problmes, surtout que l'chance de la zone de libre change avec l'Europe se rapproche rapidement. Le capital confiance dont bnficie le gouvernement Youssoufi risque d'tre consomm avant mme que les chantiers des rformes soient ouverts. Les

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    dfis relever sont donc trs grands. Le retard comme l'chec ne sont plus permis, il en va non seulement de la stabilit de la famille mais de celle du Maroc tout entier.

    Bibliographie Glaessner P., (1994), La lutte contre la pauvret et les fonds dinvestissement social, le cas de lAmrique Latine, Banque Mondiale. Ministre charg de la population, (1993), Stratgie de dveloppement social, Direction de la planification. Rabat. Maroc-Nations Unies, (1996), Note de stratgie Nationale du Royaume du Maroc, Rabat. Ministre de lemploi et des affaires sociales, Elments de rflexion pour la dfinition dune stratgie de protection sociale, Direction de la protection sociale, (doc n 4/2554 du 14-3-96). Mongi B. & Gouia R., Les politiques de lutte contre lexclusion sociale en Tunisie, I.I.E.S. (DP/88/1996). Nations Unies, (1994), Rapport de la confrence internationale sur la population et le dveloppement, Le Caire. PNUD, (1997), Groupe de travail sur lemploi et les moyens de subsistance durables, cas du Maroc (Rapport de la revue), EDESA. PNUD, Dveloppement humain durable et lutte contre la pauvret, (MOR/96/002), (Maroc). D. S., (1997), Recensement Gnral de la population et de lhabitat de 1994, Maroc, Rabat. Secrtariat dEtat la Population, (1997), Note relative au programme de dveloppement humain durable et de lutte contre la pauvret. Secrtariat dEtat charg de lEntraide Nationale, (1997), La stratgie sociale du secrtariat dEtat. Banque Mondiale, (9 mai 1996), Rapport n 15075-MOR, Rapport dvaluation (Barnamaj al Aoulaouiyat al Ijtimaya). Banque Mondiale, (28 mars 1997), n 16303-MOR, Stratgie de dveloppement rural (1997-2010), Vol. I. Banque Mondiale, (28 janvier 1998) rapport n 16598-MOR PNUD, (1997), Pauvret urbaine et priurbaine, Mor /97/006/01/99.

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    Solidarit entre gnrations lpreuve de la modernit

    (Youssef Courbage)

    Introduction Dans le contexte des pays en dveloppement, ce sujet est nouveau, do un cho trs limit

    dans la littrature spcialise. La solidarit entre gnrations dans les pays du Sud sera peut-tre un sujet brlant dans les prochaines dcennies mais rien, ou fort peu ne transparat pour linstant. Au contraire de ceux du Nord, o lanciennet du vieillissement dmographique a tt fait dy tirer la sonnette dalarme (Roussel, 1994), dans le Sud, les recherches sont rares, le plus gnralement limites lAsie (Martin 1989, Jones 1990, Rajan and Zachariah, 1997), souvent descriptives. Pour valuer les rpercussions de la transition dmographique sur les liens de solidarit intergnrationnelle, en loccurrence des enfants vers leurs parents gs, il faut des donnes adaptes, lesquelles font le plus souvent dfaut. Une exception de taille, est toutefois une recherche ralise en Thalande (Knodel, Chayovan and Siribon, 1992) fonde sur les donnes dune enqute spcifique pour mettre en vidence les liens de solidarit intergnrationnelle et leur sensibilit aux effets de la transition de la fcondit22.

    La raret des matriaux statistiques contraste avec lurgence du problme qui ira en samplifiant. Cette urgence ressort, en particulier, du Programme dAction Mondial de la Confrence Internationale sur la Population et le Dveloppement de 1994 (Nations Unies, 1994). Aprs avoir voqu les mfaits macro-dmographiques et macro-conomiques du vieillissement, ce programme en appelle la gnralisation des systmes de scurit sociale, en vue dassurer plus dautonomie aux personnes ges. Mais les limites sociales - augmentation de la protection - et conomiques - allongement de la vie active - risquent dtre vite atteintes. Lon doit recourir alors lultime ressource : la solidarit entre les gnrations de la famille, famille qui devra pourvoir aux besoins des personnes ges, en les assistant matriellement et financirement, en les entourant daffection ou, encore mieux, en vivant avec eux ou auprs deux.

    Lorsque les enfants taient nombreux, cest--dire grosso modo jusquau milieu de cette dcennie, la famille parvenait, sauf exception, dgager les ressources humaines suffisantes pour

    22 Il sagit dune enqute ralise en 1986 : Socio-economic consequences of the aging population in Thailand (SECAPT), sur 3252 enquts, hommes et femmes, gs de 60 ans et plus. Compte tenu de son importance exceptionnelle, cest la mthodologie, trace par lanalyse de cette enqute que nous tentons dappliquer au Maroc. Il est vrai que les donnes utilises, celles de lEnqute Nationale sur la Famille de 1995, ne sont pas spcifiquement destines, au contraire de celles de la Thalande, ltude de la solidarit intergnrationnelle. Il a donc fallu une collecte spcifique et un ensemble indit, sans cesse remis jour de tabulations, pour lesquels nous remercions le CERED et Mr Douidich M. de la D. S., qui nont pas mnag leurs efforts.

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    lentretien des personnes ges (60 ans et plus23). Mais quen sera-t-il lorsque la gnration des enfants remplacera peine celle des parents ?. Quel sera alors lavenir de la solidarit des gnrations, mise lpreuve de la baisse de la fcondit ? Le Maroc fournit une belle illustration de difficile dilemme.

    I. Un effet pervers de la transition de la fcondit Jusquo ira la rvolution dmographique au Maroc ? La fcondit y baisse-t-elle trop vite ?

    Jusqu ce jour, les bnfices engrangs par la diminution de la fcondit, quils soient actuels (moins dinvestissements dmographiques, plus dinvestissements conomiques), ou anticips (diminution de la pression des jeunes sur lemploi), paraissaient vidents. Cette diminution tait donc la bienvenue. Pourtant, avec la survie en augmentation, la baisse de la fcondit est la responsable principale du vieillissement dmographique. Mais elle offre tellement davantages, quon en vient en occulter ses effets pervers.

    Le problme, il est vrai, ne semble pas encore prsenter durgence absolue. Aujourdhui, la population ge ne regroupe que 1,4 des 28,2 millions de Marocains, moins de 5% de la population (CERED, 1996). Imperceptiblement pourtant, la rvolution grise double la rvolution dmographique : monte des vieux, reflux des jeunes. Sous lapparente stabilit de la population ge - en une quarantaine dannes (1960-99), elle naura gagn que quelques dcimales : 4,99% maintenant contre 4,03% en 1960 - se profile le groupe qui va paradoxalement devenir le plus dynamique au sein de la population marocaine. Effectifs de vieux et non-vieux (adultes et enfants) ont augment jusqu prsent des rythmes semblables, respectivement 2,68 et 2,37% entre 1960 et 1994. Depuis 1994, le dcrochement est saisissant : durant les 5 dernires annes, les premiers se sont accrus un rythme moyen de 4%, 2,5 fois plus que vite que les non-vieux. Lcart des deux tendances ira en saggravant : en 2019-2025, des rythmes aussi diffrents que 4,3% et de 0,66%, confrent aux personnes ges une supriorit de croissance de 6,5 1.

    Lconomie et la socit marocaine, le milieu politique aussi ne pourront rester insensibles ces ralits. Mais pour linstant penchons-nous sur les liens de solidarit enfants-vieillards et les menaces - si ces menaces existent - suscites par la baisse de la fcondit.

    II. Un bilan encore rassurant La baisse de la fcondit obit une multiplicit de facteurs. La perception quont les

    adultes de leur sort futur une fois atteints par la vieillesse, nest que lune des composantes du complexe de la demande denfants. Une descendance abondante est sans doute scurisante, cet gard, mais la vieillesse nest que lun des lments du calcul. Sinon, la fcondit, naurait jamais 23 Nous les dfinissons de manire, il faut bien le reconnatre, assez arbitraire tant les ralits du vieillissement sont

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    baiss ni au Maroc ni dans dautres pays en dveloppement (Jones, 1990). Cependant, il faut prciser que pour le moment, mais sans certitude sur le futur, la transition de la fcondit, de 7,2 enfants par femme en 1960 2,83 en 1999, ne sest pas encore faite au dtriment des personnes ges.

    1. La baisse de la fcondit na pas encore entam les descendances auprs des personnes ges Lindice synthtique de fcondit du moment, concept statistique artificiel, nest pas trs

    utile pour rendre compte de limpact des variations de la fcondit sur la solidarit intergnrationnelle. Plus parlante est la parit nette, le nombre denfants encore vivants par personne ge, homme ou femme. Mais cette donne est rarement recueillie ou tabule dans les recensements et enqutes marocains (sauf dans lEnqute Nationale sur la Famille de 1995).

    Des succdans sont donc requis. Le nombre moyen denfants survivants chez les femmes 45-49 ans, au cours de deux oprations assez anciennes (lenqute nationale sur la fcondit et la planification familiale de 1979/80 (Ministre de la Sant publique, 1984) et le recensement de 1982 (D. S., 1984) donne une premire estimation des parits nettes des personnes ges de 60 ans et plus actuellement, sachant que la procration au del de 45-49 ans est presque nulle et que la mortalit des enfants na pu significativement affecter les nombres moyens denfants survivants. Pour plus de stabilit, nous prenons la moyenne des chiffres de lenqute et du recensement. En revanche, pour lenqute famille nous disposons directement des enfants survivants chez les femmes au del de 50 ans et de leur rpartition selon le nombre (tableau 1).

    Tableau 1 : Rpartition (%) des femmes ges Selon le nombre de leurs enfants vivants

    Nombre d'enfants Vers 1980* Enqute famille** 0 9,0 8,6 1 6,4 6,7 2 6,5 6,2 3 6,3 7,8 4 9,3 10,0 5 10,7 11,4 6 12,1 12,7 7 11,7 11,2 8 12,1 10,3 9 &+ 15,9 15,0

    Moyenne des nombre moyens d'enfants vivants des femmes de 45-49 ans en 1979-80 et 1982. ** Femmes ges de 50 ans et plus. Sources : Estimations partir de lenqute de 1979-80, du recensement de 1982 et de lenqute famille CERED (1998).

    Les rsultats quils soient extrapols partir des oprations anciennes ou de ceux de lenqute famille de 1995 sont trs proches, ce qui est une garantie de qualit de ces donnes. Nous avons pris les nombres moyens denfants survivants pour lensemble des femmes de 55 ans mouvantes, comme les personnes de 60 ans et plus.

  • 134

    et plus, reprsentant lensemble des personnes ges, et les hommes de 60 et plus, compte tenu de la diffrence dge des poux. Chez les personnes ges, la forte baisse de la fcondit du Maroc, na pas encore entam les parits (nettes de mortalit).

    Il existe une proportion assez importante de personnes ges sans enfants survivants : 9%. Mais les descendances faibles, entre 1 et 3 enfants sont trs rares. En revanche, partir de 4 enfants vivants la tendance est laugmentation. Les trs grandes familles sont encore largement dominantes chez les personnes ges : prs de 50% ont 6 enfants et plus, 15%, 9 enfants et plus : une garantie pour que les vieilles personnes, grce leur abondante progniture masculine notamment, ne soient abandonnes elles-mmes.

    Il faut rappeler que dans le systme patrilinaire prvalant dans la plupart des pays en dveloppement, ce sont les garons, particulirement les ans qui assument la responsabilit de leurs parents gs (Lee and Palloni, 1992). Le Maroc ne fait pas exception : lorsque les personnes ges vivent avec un ou plusieurs de leurs enfants - stade suprme de la solidarit entre gnrations -, il sagit, dans deux cas sur trois, dun garon (CERED, 1998). La forte fcondit permet une probabilit leve davoir eu des descendants mles, les plus enclins assister leurs parents et vivre avec eux dans la structure traditionnelle marocaine. Elle permet en outre de mieux faire face aux ruptures dans la continuit familiale en raison de circonstances exceptionnelles : maladies, dcs..., ou de faon plus frquente, cause de lexode vers les villes ou de lmigration vers lEurope, dun ou plusieurs enfants.

    2. En 1995, une solidarit toujours actuelle des enfants envers leurs parents Pour les parents marocains, la solidarit familiale, en gnral, celle des enfants envers les

    parents toutes les phases de leur existence et dans la vieillesse plus prcisment, est perue comme une sorte de devoir naturel. Prs des deux-tiers (64%) des chefs de mnage de 60 ans et plus citent la famille comme le mode privilgi dentretien de la vieillesse, loin devant les autres sources de revenu : pargne (11%), retraite (23%), rentes (10%), ou activits indpendantes (35%) (Direction de la statistique, 1996).

    En 1995, lun des ressorts majeurs de la solidarit des gnrations, le partage de la rsidence, montre combien les Marocains gs sont troitement imbriqus dans le giron de leur famille. Les comparaisons internationales suggrent aussi que le Maroc se situe trs haut pour la propension la co-rsidence entre vieillards et adultes (De Vos and Holden, 1988). En descendant lchelle de la complexit des liens familiaux, on trouve 62% des personnes ges vivant dans des mnages complexes et 28% dans des familles nuclaires compltes (ou monoparentales). Cest--dire que 9 personnes ges sur 10 vivent avec un ou plus de leurs enfants. Seulement 6% vivent dans des mnages constitus de couples sans enfants et 3% sont

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    laisses elles-mmes, dans des mnages dune seule personne : contre 25 40% dans les pays occidentaux (Kinsella, 1990). Les femmes ges sont 71% partager la rsidence dans des mnages complexes : 71% contre 53% des hommes. En revanche, les femmes ges sont 5,5% vivre seules dans des mnages dune personne, contre 1% seulement chez les hommes (CERED, 1998).

    Pareille imbrication familiale permet de remettre en perspective les statistiques de la couverture sociale des personnes ges, effectivement trs faible : 5,6% seulement en 1991, dont 10% des hommes et 2,3% des femmes (CERED, 1995)24. Un autre facteur contribue nuancer la modicit de cette couverture sociale, la propension relativement importante subvenir ses propres besoins : 40% des hommes urbains au del de 60 ans sont actifs (7% chez les femmes), surtout comme travailleurs indpendants (45%) ou salaris (35%), 60% dans les campagnes, en majorit des indpendants : 68% (23% chez les femmes). Compter sur soi par son travail et sur la solidarit de ses enfants a permis jusqu prsent de pallier les carences de la couverture sociale. Le rsultat est patent. La pauvret, exprime par les proportion des dfavoriss, frappe plus lourdement les mnages dirigs par des jeunes et des adultes que ceux dirigs par des personnes ges25. En ville : 38% de dfavoriss 65 ans et plus contre 64% 15-24 ans et 41% 55-64 ans. A la campagne : 53% de dfavoriss chez les 65 ans contre 55% 45-54 ans (CERED, 1997).

    La famille est donc linstitution sociale privilgie destine rpondre aux besoins des personnes ges. Il est normal donc que, au vu de lefficacit de ce systme, et de son cot social modique, dcideurs marocains, jusquaux plus hautes autorits de lEtat et experts internationaux, aient entrevu avec inquitude son rosion ventuelle sous les coups de boutoirs de la modernisation. Une modernisation multiforme, qui nest pas simplement due la dmographie, mais qui sexprime aussi par la participation croissante des femmes aux activits hors du foyer, la rupture de la co-rsidence ou de la proximit parents-enfants en raison de lexode rural ou des migrations outre-mer, lanomie sociale et lindividualisme croissant (Martin, 1989). Nanmoins, la plus forte menace qui pserait sur la solidarit intergnrationnelle, proviendrait de la diminution du nombre des enfants chez les personnes ges, en raison de la baisse particulirement rapide de la fcondit au Maroc.

    24 17% et 1% respectivement pour les hommes et les femmes, selon les donnes plus rcentes mais plus dlicates de manipulation de lEnqute nationale sur la famille de 1995 (CERED, 1998). 25 Les mnages complexes, qui concentrent la majorit des personnes ges sont en outre beaucoup moins frapps que les nuclaires : 57% de dfavoriss, 46% pour les complexes de deux noyaux, 33% pour les trois noyaux ou plus, (CERED, 1997).

  • 136

    3. La diminution annonce du nombre denfants dans le futur Nous essayons maintenant de mesurer la porte de la baisse de la fcondit sur la

    composition des familles puis dvaluer son impact en termes de solidarit prodigue par les enfants leurs parents gs.

    Tableau 2 : La diminution anticipe du dsir d'enfants, Femmes qui seront ges en 2025 (55 ans et plus)

    Nombre ENPS I 1987 ENPS II 1992 EPPS 1995 Enqute famille 19950 0,5 0,8 0,2 3,41 2,2 3,1 2,0 7,42 25,7 33,4 27,5 29,73 17,8 20,3 20,9 23,34 33,5 25,2 20,8 20,85 8,3 7,1 8,2 8,76 12,0 10,1 11,4 4,47 1,48 0,8

    Source : Calculs d'aprs, Ministre de la Sant Publique (1987). Ministre de la sant publique (1992, 1995). CERED (1998).

    Quelques dtails mthodologiques, limits lenqute famille de 1995, sont ncessaires. Cette enqute prsente lavantage insigne davoir interrog les femmes aux ges fconds sur leurs enfants survivants, ainsi que sur leurs intentions pour le futur en termes de fcondit. En agrgeant enfants survivants et enfants additionnels, nous obtenons le nombre denfants souhait pour les femmes non clibataires jeunes, de 15-29 ans, dont lge moyen pondr est de 25 ans (24,5 ans, sans arrondi). Cest--dire quen 2025, horizon raisonnable pour une perspective moyen terme, ces femmes et leurs conjoints, en moyenne plus gs, atteindront respectivement 55 et 60 ans.

    Il est sr que toutes les femmes ne se marieront pas. Si jusquen 1995 et avant, le clibat dfinitif ( 50 ans) na jamais excd 1%, rien ne permet cet optimisme pour le futur. En effet, des proportions de femmes clibataires de 40% 25-29 ans, de 21% 30-34 ans et 6% 40-44 ans (Ministre de la Sant publique 1995), laissent entrevoir une forte lvation du clibat dfinitif. Faute de pouvoir extrapoler ces donnes, nous nen avons pas tenu compte. Il faut donc considrer que ces pourcentages denfants sont un peu biaiss vers le haut. Un autre facteur contribue galement lever les descendances souhaites par rapport ce qui pourrait bien advenir dans la ralit : certaines femmes jeunes dclarent des nombres souhaits denfants, qui paraissent irralistes pour ne pas dire fantaisistes : 2,2% dsirant 7 enfants et plus. Cest--dire que la porte de la baisse de la fcondit risque dtre encore plus forte que ce que nous prsentons ici, que lon devra considrer donc comme le minimum de la fourchette.

    Malgr le tlescopage de gnrations dont certaines ont achev leur fcondit que dautres amorcent peine, le contraste est saisissant entre la situation actuelle et future des personnes

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    ges. L o le mode se situait 9 enfants ou plus, les personnes ges en lan 2025, devront en majorit (30%) se contenter de 2 enfants, pour les trois-quarts (74%) la descendance se situera entre 2 et 4 enfants. Outre les possibilits dexagration mentionnes, la tendance que dessinent les prfrences en termes de descendance future montrent une concentration dans les petites parits au dtriment des grandes familles (tableau 2). Bien que ces donnes ne soient pas strictement comparables, pour les descendances de deux enfants, lon est pass de 26 30% pour celles de plus de 6 enfants, de 12 6,6%.

    4. La solidarit intergnrationnelle dpend beaucoup du nombre denfants Et pourtant tout tend prouver que la solidarit dont les personnes ges bnficient de la

    part de leurs enfants dpend directement du nombre de ceux-ci.

    Le tableau 3 en donne une illustration partir de lenqute sur la famille de 1995. Seuls les chefs de mnage ont t interrogs sur ces composantes de la solidarit. Les contraintes de donnes sont telles que nous navons tenu compte que des hommes chefs de mnages de 60 ans et plus. Ils reprsentent 89% de la population masculine ge de 60 ans et plus. Donc une trs bonne reprsentativit, difficilement remise en question par le fait que lon na pas interrog les 11% dhommes manquants qui ne sont pas des chefs de mnage. En revanche, chez les femmes de 60 ans et plus, il ny a que 19% de chefs de mnage. Il tait donc exclu dinfrer quoi que ce soit sur la solidarit enfants-parents qui leur soit propre. La cohabitation revt diffrentes formes. Il peut sagir de personnes ges qui vivent dans le mme mnage que leurs enfants ou, comme dans le cas des faux mnages nuclaires, dans la mme construction, facilitant ainsi la vie commune, notamment la prise des repas en commun. Sans vivre avec ses parents, un enfant peut galement le rencontrer quotidiennement. Force est de constater quel point la famille nombreuse facilite ces diffrents types dinteractions.

    Les personnes ges (en loccurrence les hommes chefs de mnages de 60 ans et plus), sont 36% ne pas vivre avec leur enfant lorsquils nen ont quun seul survivant, peine un peu plus lorsquils ont constitu une famille de type moderne, de 2 ou de 3 enfants. En revanche, chez ceux qui ont engendr des familles nombreuses, 6 enfants survivants ou plus, la cohabitation avec eux est la norme : seuls 5-6% vivent sans au moins un de leur enfant. Phnomne encore plus manifeste chez les citadins : 42% des personnes ges nayant eu quun seul enfant, vivent sans lui (contre 70% dans les campagnes).

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    Tableau 3 : Indicateurs de solidarit avec les personnes ges en 1995, Chefs de mnage hommes de 60 ans &+, enfants 7 ans &+

    Proportion (%) de personnes qui

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    m

    ois

    Ensemble 1 63,7 63,7 65,9 72,3 0,64 0,0 0,00 46,7 1,00 6,4 2,1 2 70,7 70,7 72,6 80,4 1,06 5,8 1,00 74,4 1,40 13,7 11,7 3 71,7 76,1 73,1 81,5 1,39 2,8 1,00 75,8 1,68 18,4 5,8 4 80,6 82,9 82,9 90,9 2,00 5,8 1,00 73,5 2,09 19,6 13,8 5 84,3 86,1 87,1 91,6 2,38 2,8 1,33 81,4 2,44 14,1 11,9 6-7 94,1 99,7 95,2 96,7 3,21 4,8 1,15 79,0 2,89 19,9 19,4 8+ 94,8 99,9 96,1 99,1 4,27 4,6 1,19 85,0 3,86 25,7 29,1 Total 83,7 88,2 85,4 89,2 2,88 4,1 1,14 75,4 2,93 19,3 18,4

    Urbain 1 58,3 58,3 62,5 70,8 0,58 0,0 0,00 41,7 1,00 8,3 0,0 2 75,9 75,9 75,9 79,3 1,21 3,5 1,00 69,0 1,45 13,8 10,3 3 81,6 89,5 84,2 86,8 1,55 0,0 0,00 79,0 1,80 13,2 7,9 4 88,9 91,1 88,9 93,3 2,38 6,7 1,00 68,9 2,13 22,2 13,3 5 85,7 85,7 85,7 89,3 2,47 5,4 1,33 76,8 2,49 19,6 7,2 6-7 95,1 99,7 95,1 95,9 3,71 3,3 1,00 78,9 3,02 23,6 13,8 8+ 96,9 99,9 96,9 98,4 4,71 1,6 1,00 86,7 4,22 29,7 25,1 Total 84,4 91,0 85,1 87,4 3,02 2,8 1,08 73,1 3,00 38,3 13,9

    Rural 1 69,6 69,6 69,6 73,9 0,70 0,0 0,00 52,2 1,00 4,4 4,4 2 63,6 63,6 68,2 81,8 0,86 9,1 1,00 81,8 1,33 13,6 13,6 3 59,4 59,4 59,4 75,1 1,19 6,3 1,00 71,9 1,52 25,1 3,1 4 71,4 73,8 76,2 88,1 1,57 4,8 1,00 78,6 2,06 16,7 14,3 5 82,7 86,5 88,5 94,2 2,29 0,0 0,00 86,5 2,40 7,7 17,3 6-7 93,3 95,4 95,3 97,3 2,78 6,0 1,22 79,2 2,77 16,8 24,2 8+ 93,6 97,7 95,4 99,5 4,00 6,4 1,21 84,0 3,64 23,3 31,5 Total 83,1 85,8 85,7 90,9 2,77 5,2 1,17 77,5 2,87 17,7 22,4 Source : CERED, 1998.

    Ces indicateurs sont rvalus la hausse quand on introduit des critres moins stricts de co-rsidence, tels que la rencontre quotidienne avec un enfant, la proximit rsidentielle dans une mme construction, un mme quartier de ville ou le mme douar rural mais les tendances sont identiques. En outre, les personnes ges descendance nombreuse, ont non seulement une plus forte probabilit de vivre avec un enfant, ils ont de plus, la multiplicit pour eux. Etonnante progression arithmtique qui veut que dans les familles de 1 3 enfants survivants, les personnes ges vivent grosso modo en moyenne avec un seul enfant, quavec 4 enfants cest 2 enfants assurs au sein du mme mnage, quavec 6-7 enfants survivants lon est 3 dans le mnage et quavec 8 enfants lon en garde plus de 4 auprs de soi.

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    Dans une conomie fortement montarise comme celle du Maroc, les dons en nature (alimentation, vtements...) ne sont plus trs importants, au point quon ne les mentionne plus lenqute : 4% seulement des personnes ges dclarent recevoir ces dons de leurs enfants26. En revanche, les dons en argent provenant des enfants concernent les trois-quarts des mnages, avec trs peu de variation entre lurbain et le rural. Le rle du nombre des enfants est l aussi prdominant. Plus dune personne ge sur deux enfant survivant unique, ne reoit pas de dons en argent. Dans les familles de dimension rduite, de 2-4 enfants, ce sont prs de 25% qui ne reoivent pas de dons en argent. Avec 8 enfants survivants ou plus, seuls 15% ne reoivent pas une aide financire de leurs enfants. En outre, le nombre moyen denfants qui aident leur parents financirement augmente beaucoup avec celui des enfants survivants. Enfin, les manifestations de solidarit affective sous forme de rencontres hebdomadaires ou mensuelles varient galement beaucoup avec le nombre denfants survivants.

    5. Vers moins de solidarit intergnrationnelle la lumire de la baisse de la fcondit ? Quelle sera la porte de la diminution anticipe du nombre des enfants chez les personnes

    ges de lhorizon 2025 ? Pour valuer les effets sur la rduction intergnrationnelle, nous avons crois les donnes des tableaux 2 et 3. Autrement dit, si lintensit des relations entre nombre denfants survivants et lments constitutifs de la solidarit avec les parents demeure ce quelle tait lenqute famille de 1995, quelle sera la porte de la contraction du nombre des enfants, tel quil ressort des anticipations en matire de fcondit ? (tableau 4).

    Tableau 4 : Comparaison des indicateurs de solidarit des enfants avec les personnes ges dans les conditions actuelles et aprs le dclin de la fcondit (Niveau National)

    Avant le dclin de la fcondit en 1995

    Aprs le dclin de la fcondit

    en 2025 Rduction %

    Co-rsident avec un enfant (%) 83,7 72,7 -13,1Co-rsident ou sont en contact quotidien avec un enfant (%) 88,2 74,8 -15,2Habitent mme construction (%) 85,4 74,6 -12,6Habitent le mme quartier/douar (%) 89,2 81,5 -8,6Nombre moyen d'enfants dans le mnage 2,9 1,53 -46,9Reoivent des dons alimentaires ou autres (%) 4,1 4,1 0,0Nombre moyen d'enfants qui fournissent des dons alimentaires ou autres 1,14 0,9 -18,4Reoivent une aide en argent d'un enfant non-rsident (%) 75,4 70,8 -6,1Nombre moyen d'enfants qui fournissent des dons en argent 2,93 1,7 -41,0Rencontrent leurs enfants une fois la semaine (%) 19,3 15,5 -19,7Rencontrent leurs enfants une fois le mois (%) 18,4 10,2 -44,6Source : Calculs d'aprs CERED, 1998.

    Le tableau 4 donne la comparaison entre les proportions et les moyennes des lments constitutifs de la solidarit actuellement, lhorizon 2025 et la rduction prvue sur une trentaine dannes.

    26 En Thalande ce sont en revanche 56% des personnes ges qui reoivent ce type de dons (Knodel et al., 1992).

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    Les rductions varient sensiblement selon les lments. Ainsi, pour tous les lments relatifs la co-rsidence, que lon aurait pu penser les plus menacs par la baisse de la fcondit, les rductions paraissent, somme toute, modestes. Malgr le passage de la famille marocaine dominante de fratries de plus de 6 enfants survivants la famille plus moderne de 2 4 enfants, la rduction anticipe de la cohabitation entre personnes ges avec au moins lun de leurs enfants nest que de 13%, 15% pour ceux qui cohabitent et rencontrent quotidiennement un enfant, 9% pour ceux qui vivent dans le mme quartier ou douar. Ce sont des ordres de grandeur modestes, qui tiennent aux structures familiales marocaines : la cohabitation avec les personnes ges est la norme mme dans les familles de dimension restreinte. Ainsi cette composante essentielle de la solidarit, ne sera que faiblement affecte par la baisse de la fcondit. Plus srieuse est la rduction du nombre moyen denfants cohabitant qui pourra tre rduite de prs de moiti (-47%), passant de 2,9 actuellement 1,5 lhorizon 2025. En outre, avec une descendance amenuise, les personnes ges auront moins de possibilits de choix de lenfant avec lequel il souhaiteraient cohabiter, et en seraient donc plus frustrs27. Aux yeux de leurs parents les enfants, les garons surtout, auprs de qui les personnes ges choisissent de vivre, nont pas tous la mme valeur affective.

    La diminution de la taille future des familles affectera aussi ltendue du support matriel que les personnes ges recevront de leurs enfants qui nhabitent pas avec eux. Si les dons en nature : nourriture, habits, etc., dj peu frquents (ou en apparence peu frquents) ne varieront pas substantiellement, en revanche, les dons en argent pourraient connatre une certaine rduction, non pas tant dans la proportion de personnes ges qui sont aides financirement, qui se rduira de 6% seulement, mais dans celle du nombre moyen denfants qui aident leurs parents qui risque de tomber de 2,9 1,7 enfant, soit 41% de moins. Cependant, comme not dj dans un contexte assez voisin (Knodel et al., 1992), le montant total de laide matrielle fournie par les enfants qui ne vivent pas dans le mnage, ne baissera pas forcment de 41% linstar de la diminution du nombre moyen denfants qui aident. Il est possible, quun nombre rduit denfants manifestent chacun une plus grande solidarit, de sorte que au total les mmes montants sont transfrs. Enfin, la substituti