splendeurs et lumières des bibliothèques ecclésiastiques audomaroises
DESCRIPTION
Livret de l'exposition visible à la bibliothèque d'agglomération de Saint-Omer du 5 avril au 30 juin 2013.TRANSCRIPT
En guise d’introduction
Video : Taille d’une plume d’oie
Planche de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert :
la taille de la plume
Article : ecritures dans l’encyclopédie
Jusqu’au XIIe siècle, la grande majo-rité des livres est réalisée en parchemin, soit de la peau de bête, le plus souvent du veau ou du mouton, préparée de façon à pouvoir recevoir les encres et les pigments. Une peau de mouton permet de réaliser 4 feuilles de grand format. Cela signifie qu’une cinquantaine de bêtes est nécessaire à la réalisation d’un manuscrit de 200 feuillets.
La préparation de la page est longue et laborieuse. Il faut d’abord la poncer pour éliminer les aspérités qui peuvent gêner le glissement de la plume et provoquer des taches. Puis, on saupoudre la page de craie pour éliminer le gras.
Le copiste trace ensuite la piqûre fig. 1 (petits trous à intervalles réguliers sur les bords de la page) et la réglure (traçage de lignes droites) au stylet (instrument de forme pointue) ou à la mine de plomb (ancêtre du crayon de bois).
L’écriture se fait sur des feuillets isolés de parchemin. On commence par le texte
principal en noir.
Puis, dans les espaces réservés à cet usage, on ajoute la rubrique (du latin ruber qui veut dire rouge). Il s’agit des éléments de repérage écrits en rouge : titres, marques de paragraphes, numéros de chapitres, etc.
Vient ensuite le décor enluminé avec, en premier lieu, les initiales dont la taille et l’ornement varient en fonction de leur place dans le manuscrit : livre, partie, chapitre, paragraphe.
Le reste du décor comprend des éléments qui illustrent ou commentent le texte.
Les matériaux du livre au Moyen Âge
Quant au vélin, parchemin d’une grande finesse et
d’une grande souplesse, il provient de la peau de
veaux morts à la naissance, ce qui explique sa
rareté.
Une légende antique relate que la bibliothèque de
la ville grecque de Pergame fait concurrence à celle
d’Alexandrie, au point que le Pharaon décide de ne
plus lui fournir de papyrus. Le roi de Pergame est
alors contraint de trouver un autre support d’écri-
ture, et c’est ainsi qu’est inventé le pergamentum.
Fig. 1 : BASO, ms. 142, f. 30 : détail de la piqure et
de la réglure, XIIIe siècle.
L’oxyde de fer (la rouille) appelé minium en latin et
employé pour obtenir du rouge, a donné le mot
miniature parfois employé pour désigner les enlumi-
nures.
Le plus souvent les pigments sont d’origine minérale
ou végétale (noir de fumée, brou de noix), et sont
mêlés à un liant d’origine végétale (noix de galle*,
gomme arabique*), ou animale (colle de poisson,
jauned’œuf).
Parmi les pigments colorés il y a le lapis-lazuli ou
l’azurite qui donnent le bleu. Le vert est obtenu
avec de l’oxyde de plomb (le vert-de-gris), quant au
carbonate de plomb (céruse), il sert à faire le blanc.
Pour les textes les plus sacrés ou les plus presti-
gieux, il n’est pas rare que l’on emploie de l’encre
d’or chrysographie ou d’argent chalcographie, et
que le parchemin soit teinté à la pourpre, la couleur
des empereurs.
Les feuillets sont ensuite regroupés en cahiers cousus ensemble sur des nerfs, eux-mêmes fixés aux ais (planches) de bois. Ces ais sont recouverts d’une couvrure en cuir pour les protéger.
La couverture des manuscrits est souvent protégée par de gros clous métalliques fig. 2, les boulons, placés aux angles. Ils servent à éviter le frottement du cuir de reliure contre les rayonnages puisque les manuscrits sont rangés à plat.
On ajoute aussi parfois une « fenêtre », petite lamelle de corne ou de mica (minéraux) sous laquelle est glissé un morceau de parchemin avec le titre de
l’œuvre fig. 3.
Lorsque le livre est en accès libre, il est souvent attaché par une chaîne à son pupitre.
Fig. 2 : BASO, ms. 236, f. plat supérieur de la
reliure avec boulons et fermoirs, reliure en veau
brun a décor de filets dessinant des losanges et
de petits fers à froid, XVe siècle.
Fig. 3 : BASO, ms. 216, plat inférieur de la
reliure avec fenêtre en corne et trace de
boulons, reliure en peau de cervidé, fin du XIIe
siècle ou début du XIIIe.
Afin de ne pas se tromper dans l’ordre
des cahiers, ceux-ci reçoivent une si-
gnature fig. 4 (un numéro) et une ré-
clame : les premiers mots du premier
feuillet du cahier suivant.
Fig. 4 : BASO, ms. 50, f. 34v., signature de cahier.
L’exposition
Fig. 1 : Zacharie de Besançon, In unum ex quatuor
(BASO, ms. 30, f. 54) : initiale M historiée d’un copiste au
travail (l’auteur ?), Saint-Bertin, vers 1175-1199.
Retrouvez les enluminures sur la Bibliothèque numérique
de la Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer
NB : Les legendes soulignées en dessous des illustrations
renvoient au document numérisé quand il existe.
L’enluminure est la peinture pratiquée dans les livres. Le mot vient du latin illuminare, qui signifie « éclairer ».
Au Moyen Âge, on considère que la couleur est une émanation de la lumière : l’acte d’appliquer de la couleur sur une page est donc perçu comme une mise en lumière de celle-ci.
D’un point de vue esthétique, ces peintures sont conditionnées par leur situation sur les pages des livres. Elles peuvent être des compositions étroitement liées au texte ou purement ornementales.
Les données de composition d’une image (profondeur, couleurs, lignes…) traduisent souvent la pensée et la spiritualité de l’art médiéval.
Au Moyen Âge, le livre acquiert une valeur hautement spirituelle et sacrée. En effet, le Christianisme accorde, en tant que religion du Livre, une attention toute particulière à l’écriture. La dimension spirituelle de l’enluminure médiévale reste présente, de manière plus ou moins forte selon les époques.
L’enluminure, un art lumineux
Pierre Lombard, Sentences (BASO, ms. 159, f.
119v.) : initiale Q historiée figurant un saint
évêque écrivant, Saint-Bertin (?), fin du XIIe
siècle ou déb. du XIIIe s.
Speculum Humanae Salvationis (BASO, ms.
236, f. 68v.) : Moïse recevant les tables de la
loi, France du Nord, fin du XVe siècle.
Gratien, Décret avec la glose de
Barthélémy de Brescia (BASO, ms. 433, f.
296) : ill.de la cause 34 (France du Sud ou
Italie du Nord, 1350-1399.
Saint-Omer, Librairie Jeanjean, carte postale (BASO, 1Fi 168) : Vue de Notre-
Dame en 1q835.
La lecture des textes sacrés est au cœur
de la spiritualité monastique. Toute abbaye se doit de posséder une collection de manuscrits, bien rangés à plat sur les rayonnages de ses armoires à livres. Pour la constituer, elle peut bénéficier de dons de mécènes ou d’autres maisons religieuses mais souvent, elle se dote d’un scriptorium (atelier d’écriture) afin d’enrichir ses collections en copiant des ouvrages prêtés pour l’occasion.
Située dans la province ecclésiastique de Reims, diocèse de Thérouanne (archidiaconé de Morinie), une abbaye dédiée à Saint Pierre est fondée en 649 sur les terres données à l’évêque Omer par le seigneur morin Adroald, pour convertir les populations locales. En 746 elle prend le vocable de Saint-Bertin, du nom de son second abbé, et connaît rapidement un grand essor, grâce au rayonnement de son fondateur et à la prévoyance des premiers abbés. Le rôle important de
L’abbaye de Saint-Bertin dans la forma-tion du clergé local est l’un des moteurs de la production de livres au sein de ses murs.
La Collégiale de Notre-Dame de Saint-Omer est née en 820 d’une séparation opérée entre les moines du monastère bas (abbaye de Saint-Bertin) et ceux de l’église haute (église dédiée à la Vierge sur le mont Sithiu) qu’Omer fait édifier en 662. Cette dernière est sécularisée et confiée à 30 chanoines. Ils possèdent des livres pour assurer le service liturgique et d’autres manuscrits prestigieux comme en témoigne une Vie de Saint Omer du XIe siècle superbement illustrée. Certains chanoines ont eux-mêmes copié des manuscrits comme Lambert, qui a connu une grande renommée avec son Liber Floridus.
Le scriptorium (atelier d’écriture) n’est que rarement une structure permanente dans une abbaye, sauf si celle-ci a fait de la pro-duction de livres son activité principale. Il est mis en place en fonction des besoins de la communauté, puis supprimé lorsque ces besoins ont été satisfaits. Ainsi, les nom-breux incendies que Saint-Bertin a subit du-rant la première moitié du Moyen Âge cor-respondent à chaque fois à de lourdes des-tructions de ses livres et à une intensification de l’activité de copie des moines.
La Collégiale Notre-Dame ne
devient cathédrale qu’après la
destruction de Thérouanne par
Charles Quint en 1553.
La production de livres en Morinie au Moyen Âge
Librairie Jeanjean, carte
postale (BASO,
1Fi 187) : Ruines de Saint-Bertin
en 1820.
Adrien de Montigny, recueils de vues cavalières des processions du
Duc Charles de Croÿ, (Prague, Národní Knihovna Ceské republiky,
ms. XXIII/A9/1, f. 75) : Chartreux près St Omer [La chartreuse du Val
de Sainte-Aldegonde (Longuenesse)], vers 1590-1607 ©
Retrouvez le recueil :
Vues cavalières des processions du Duc Charles de Croÿ, (Prague, Národní
Knihovna Ceské republiky, ms. XXIII/A9/1, f. 75)
sur le site : http://www.manuscriptorium.com/?q=fr
Le prieuré de Clairmarais est fondé en 1128 par l’abbé des Dunes (l’abbaye des Dunes était située près de Furnes en Belgique). D’abord placé sous la règle bé-nédictine, il devient, grâce à Bernard de Clairvaux, une abbaye cistercienne en 1137 et édifiée sur son emplacement définitif en 1166. Elle bénéficie des lar-gesses de puissants seigneurs comme les Rois d’Angleterre ou les Comtes de Flandres, ce qui lui permet de se doter d’une belle bibliothèque dès la fin du XIIe siècle. L’abbaye l’enrichit par une activité de copie au sein de ses murs comme en attestent quelques noms de scribes cités dans le nécrologue de l’abbaye. Le plus ancien apparaît en 1175.
La Chartreuse du Val-Sainte-Aldegonde est fondée en 1298-1299 par les seigneurs de Sainte-Aldegonde. Elle a très tôt pour vocation d’accueillir les cadets des
notables locaux. On ne peut pas attester d’une réelle activité de copie au sein de
cette institution. En revanche, plusieurs artistes ou ateliers audomarois de talent, actifs dans la seconde moitié du Moyen Âge (XIIIe – XVIe siècles) ont été mis en évidence et souvent nommés d’après leur manuscrit de référence : « maître / atelier du ». Malgré leur contribution au rayonnement artistique de la ville, leur nom n’a été que très rarement conservé.
C’est aussi probablement le cas pour les nombreuses autres maisons religieuses de la région, dont la taille ne permet d’envisager qu’une production occasion-nelle de livres à usage personnel peu ou pas ornés.
Dom Bertin de Vissery, Synopsis historiae cronologicae […] monasterii Beatae Mariae de Claromarisco,
Clairmarais, 1748, (BASO, ms. 850-1, dessin encarté entre les f. 120-121) : Vue cavalière annotée du complexe
abbatial de Clairmarais.
Le Haut Moyen Âge désigne la période de l’histoire de la chrétienté d’Occident située entre la chute de Rome en 476 et la fin du Xe siècle. Pour notre territoire, cela comprend la période couverte par les dynasties mérovingienne (481-751) et carolingienne (751-987).
L’enluminure des âges barbares et de l’époque mérovingienne témoigne d’une sensibilité particulière pour l’abstraction géométrique fig. 1 et la figuration animale fig. 2. Cette forme d’expression vient notamment de l’orfèvrerie, art particulièrement développé chez les Francs et autres peuples germaniques, dont le caractère très graphique est facilement transposable sur parchemin. A cette époque, on a donc peu d’enluminures en pleine page. Par contre, les initiales ornées sont souvent représentées par des jeux d’entrelacs abstraits (répétition de motifs enchevêtrés) et de formes animales complexes.
Avec l’empire carolingien, le style évolue sous l’influence de la renaissance carolingienne. C’est le retour du goût pour l’Antiquité romaine qui inspire les enlumineurs de l’époque. Mais l’héritage
barbare perdure dans les lettres ornées et les entrelacs fig. 3. Parallèlement, les compositions narratives se développent notamment pour les textes sacrés (vies de saints, psaumes…).
L’enluminure du Haut Moyen Âge
Fig 1 : Jérôme de Stridon, Commentaire des Psaumes
(BASO, ms. 15, f. 103) : initiale Q ornée, Saint-Bertin, 1e moit. du IXe
s. Fig 2 : Jérôme de Stridon, Commentaire des Psaumes
(BASO, ms. 15, f. 218) : initiale D figurée par un
oiseau, Saint-Bertin, 1e moit. du IXe s.
Fig3 : Evangéliaire (BASO, ms.
192, garde contrecollée) :
initiale H ornée, Saint-Bertin, 2e
moit. du IXe s.
Vers la fin du IXe siècle, apparaît en Grande-Bretagne un nouveau type d’initiales, caractérisées par la présence d’animaux plus ou moins hybrides qui se mordent les uns les autres et se terminent par des entrelacs combinés avec des rinceaux (motifs d’arabesques de feuillage). Ce motif, qui se développe pendant le Xe siècle, est à l’origine des initiales habitées (motif à l’intérieur de la lettre mais ne faisant pas corps avec elle) ou figurées (le motif fait partie intégrante du corps de la lettre). Ces initiales connaîtront un immense succès durant l’art roman.
Du point de vue de la couleur, deux techniques se développent. La première est une peinture avec des couleurs opaques uniformes et des modelés rehaussés de blanc, le tout délimité par un contour à l’encre brune. La seconde, plus répandue, est le dessin polychrome avec un choix limité de couleurs, qui annonce les harmonies colorées de l’art roman.
Les documents les plus anciens que l’on
conserve de l’abbaye de Saint-Bertin
datent de la fin du IXe siècle et témoignent
de l’activité intense de son scriptorium.
Ces manuscrits sont essentiellement
ornés de lettres à entrelacs abstraits ou
de forme animale. Avec le déclin de l’ère
carolingienne, la production manuscrite
est marquée par une économie de
moyens qui se reflète dans les dessins à
la plume rehaussés de couleurs de la Vie
de Saint Wandrille fig. 4. On retrouve ce
style dans les Apocalypses de Trêves,
Valenciennes et Cambrai enluminées
dans un scriptorium moyen-rhénan
(région située vers l’actuelle frontière
belgo-allemande).
Fig 4 : Recueil de vies de saints (BASO, ms. 764, f.
9v.) : scène de dédicace, vallée du Rhin, fin du IXe
siècle ou début du Xe.
Evangiles (Boulogne sur Mer, BM, ms. 11, f. 10) :
Majestas Domini / Pantokrator, Angleterre
(Winchester ?), vers 990-1010. © Bibliothèque
municipale de Boulogne-sur-Mer.
Retrouvez les enluminures
sur le site
Enluminures
pour les manuscrits
conservés à la
Bibliothèque de
Boulogne-sur-Mer
Evangiles (BASO, ms. 56, f. 35) : Majestas Domini /
Pantokrator, Saint-Bertin, vers 990-1012.
Le terme « roman » est utilisé pour la première fois en 1818 pour caractériser les églises des XIe et XIIe siècles. Il est ensuite employé pour désigner l’ensemble de la production artistique du royaume Franc. L’art roman résulte d’une évolution de l’art carolingien pendant le siècle de l’An Mil.
Après le milieu du XIe siècle, la situation politique s’améliore dans le royaume Franc. Les Capétiens, au pouvoir depuis trois générations, voient les conflits diminuer. L’Eglise a largement contribué à cette accalmie en instaurant la « paix de Dieu ». Les basiliques sont rénovées et les scriptoria (ateliers d’écriture) à nouveau actifs. Après les ravages des invasions barbares, les communautés religieuses ont un grand besoin de livres pour la lecture des textes sacrés. L’expansion des grands ordres monastiques tels que Cluny (fondée en 909), les Chartreux (fondés en 1084) ou Cîteaux (fondée en 1098) génère une forte production de livres pour fournir les nouvelles abbayes.
Les ordres religieux sont peu influencés par les frontières politiques ou géographiques. Ainsi, les développements artistiques sont favorisés grâce à l’amélioration des réseaux de communication et aux échanges culturels qui se créent entre les abbayes. Il est courant que les abbés soient nommés loin de leur maison d’origine. Ainsi, Gérard de Brogne (mort en 959) et Richard de Saint-Vanne (mort en 1046), originaires de Lotharingie (vallée de la Meuse et du Rhin) ont dirigé un temps l’abbaye de Saint-Bertin d’où la diffusion d’expressions artistiques germaniques.
On trouve aussi parmi les manuscrits réalisés à Saint-Bertin sous l’abbé Odbert (987-1007) : un recueil des évangiles enluminé dans le style anglo-saxon de l’école de Winchester fig. 1 et fig. 2, et 3, et un manuscrit dont les lettres ornées ont été réalisées par les scribes Riculfe, d’origine anglo-saxonne et Baudouin, d’origine locale. Odbert lui-même a
enluminé des manuscrits dans un style mêlant l’héritage de l’art carolingien et l’influence des expressions artistiques ré-gionales de son époque fig. 4.
Ce mélange de cultures permet la
naissance et l’expansion de l’art roman,
qui s’étend progressivement entre la
seconde moitié du XIe siècle et la seconde
moitié du XIIe siècle.
l’An Mil et le début de l’art roman
Evangiles (Boulogne sur Mer, BM, ms. 11, f. 11v.) :
Annonciation (détail), Angleterre (Winchester ?), vers
990-1010 © Bibliothèque municipale de
Boulogne-sur-Mer.
Evangiles (BASO, ms. 56, f. 1) : détail de la
table des canons, Saint-Bertin, vers 990-
1012.
Fig. 4 Gesta Francorum Iherusalem expugnantium, 1e moitié du XIIe
siècle (BASO, ms. 776, f. 50v.) : plan de Jérusalem.
L’art roman est très influencé par la
pensée philosophique inspirée de Platon
qui conçoit le monde selon deux états
opposés :
le monde de la matière,
informe et en mutation
le monde des Idées, qui
représente la perfection.
Dieu, l’intelligence universelle, façonne la
matière à partir du modèle de ses Idées
dont la beauté transparaît dans ses
créatures ainsi modelées. L’art propose
des représentations qui expriment cette
idée originelle de la perfection. Ainsi, les
arts picturaux de l’âge roman sont
essentiellement des arts du trait et de la
couleur, d’où l’importance de la
géométrie fig. 2.
Durant la première moitié du Moyen Âge,
les artistes se servent des formes pures
pour exprimer la pensée du Créateur. Ce
n’est pas la réalité qui est montrée mais
une vision plus spirituelle du monde.
L’enluminure romane ne s’apparente
donc pas à un style réaliste mais reflète
un monde idéal fig. 4.
Dans la pensée médiévale et monastique,
les représentations ont trois rôles
principaux :
Magnifier la parole de Dieu :
importance de la lettre dans
l’enluminure romane.
Aider à l’interprétation du texte sacré : l’enluminure, très codifiée, illustre le texte sans en être totalement dépendante.
Inciter à la piété : par des enluminures grandioses et richesse des coloris pour subjuguer ou avec des figures « monstrueuses » pour effrayer afin que le lecteur reste dans le « droit
chemin » fig. 3.
Il existe également une production
artistique laïque d’expression moins
« spirituelle ». Mais, outre que l’on en a
conservé nettement moins de
témoignages, elle ne comprend que peu
d’enluminures, qui restent à cette époque
une production essentiellement
monastique.
les fondements de l’art roman
Fig 2 : Evangiles, Saint-Bertin, 1e moitié du XIe siècle
(BASO, ms. 56, f. 33v.-34) : l’évangéliste Matthieu et
incipit de son évangile avec Initiale L historiée
figurant le Roi David
Fig. 3 Recueil de textes patristiques et vie de
saint Brandan, Saint-Bertin, déb. XIIe siècle
(BASO, ms. 71, f. 80v.) : initiale S figurée et
habitée .
Fig. 3 Grégoire le Grand,
Morales sur Job, Saint-
Bertin, 3e quart du XIIe siècle
(BASO, ms. 12-1, f. 6) :
Initiale I historiée figurant
Job, la Patience, Grégoire le
Grand, un ange et le Christ.
Retrouvez sur le site
Enluminures
les manuscrits conservés à la Bibliothèque de
Boulogne-sur-Mer.
Le scriptorium de Saint-Bertin do-mine la production de livres enluminés au XIIe siècle dans l’audomarois. De nombreux manuscrits ont dû être réalisés suite à l’incendie de l’abbaye en 1090. Mais la renommée de cet atelier fait que ses enlumineurs produisent des livres ornés pour d’autres abbayes de la région (abbaye d’Hénin-Liétard, abbaye de Clairmarais).
Les manuscrits enluminés de cette époque font apparaître plusieurs identités artistiques et des styles bien affirmés. Le scriptorium de l’abbaye de Saint-Bertin connaît ainsi une nouvelle apogée sous Godescalc (1163-1179), digne de celle du temps d’Odbert.
Dans la première moitié du XIIe siècle, un enlumineur talentueux exécute des peintures dans plusieurs manuscrits de Saint-Bertin fig. 1. Son style brillant est influencé par l’enluminure anglo-normande de cette époque qui affectionne le dessin au trait coloré et la couleur diluée (lavis). On y retrouve également des éléments de l’art mosan (de la vallée de la Meuse) notamment dans le choix des compositions en médaillons superposés. Ce style se retrouve chez un enlumineur anonyme de Saint-Bertin des Evangiles d’Hénin-Liétard fig. 2: harmonie de couleurs, nombreux drapés, proximité avec les arts de l’orfèvrerie.
Un autre peintre, excellent coloriste, actif dans le troisième quart du XIIe siècle, nous a laissé son nom, Alexandre. On lui doit des enluminures du premier volume d’un exemplaire des Morales sur Job de Grégoire le Grand fig. 3 et d’une dizaine d’autres manuscrits de cette époque. Cet enlumineur est probablement un disciple ou un contemporain de l’enlumineur des Evangiles d’Hénin-Liétard.
l’enluminure romane en audomarois
Fig. 1 Origène,
Homélies sur la
Genèse, Saint-Bertin,
1e moitié du XIIe siècle
(BASO, ms. 34, f. 1v.) :
initiale I historiées de
scènes de la Genèse
et de représentations
des vertus.
Fig. 2 Evangiles
d’Hénin-Liétard,
Saint-Bertin,
milieu du XIIe
siècle (Boulogne
-sur-Mer, BM,
ms. 14-1, f. 23) :
Initiale L
historiée
figurant le roi
David, Abraham
et le Christ. ©
Bibliothèque
Municipale de
Boulogne-sur-
Mer.
Fig. 6 Grégoire le Grand, Morales sur Job, Saint-Bertin, fin du XIIe siècle (BASO, ms. 12-2, f. 194v.) :
Initiale Q habitée d’une sirène bicaude.
Entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe, se développe le style du « Maître de Zacharie de Besançon » dans de nombreux manuscrits fig. 4.
Il se caractérise par un dessin à la plume qui se concentre sur les lettres et associe rinceaux fig. 5 (motifs d’arabesques végétales) et entrelacs (dessins enchevêtrés) à des figures humaines ou animales fig. 6.
Par le dynamisme de ses compositions et sa dimension graphique, il est déjà engagé dans le tournant artistique que constitue le style 1200.
On retrouve son influence dans des lettres ornées de plusieurs manuscrits de Clairmarais sans que l’on puisse dire si ces derniers ont été envoyés à Saint-Bertin pour y recevoir leur décor ou si des enlumineurs de Clairmarais se sont directement inspirés de la production réputée de l’abbaye voisine.
Fig. 4 Grégoire le Grand, Morales sur
Job, Saint-Bertin, fin du XIIe siècle
(BASO, ms. 12-2, f. 84v.) : la Vierge
couronné recevant l’Esprit Saint, foulant
aux pieds un lion, et tenant un médaillon
où figure Job avec les attributs de la
patience.
Fig. 5 Grégoire le Grand, Morales sur Job, Saint-
Bertin, fin du XIIe siècle (BASO, ms. 12-2, f. 84v.) :
initiale Q ornée d’une palmette.
Fig. 1 De aspectibus, traduction
latine anonyme du Kitāb al-
Manāẓir ( traité d’optique (المناظر كتاب
Abū ʿAlī al-Ḥasan ibn al-Ḥasan ibn
al-Haytham (dit Alhazen ou
Alhacen - 965-1039), Paris (?), 2e
moitié XIIIe siècle (BASO, ms. 605,
f. 1) : miniature figurant Alhazen
enseignant.
Fig. 4 : Hugues de Fouilloy, Le pasteur et son troupeau, Saint-Bertin, vers
1210-1220 (BASO, ms. 94, f. 48) : Le Christ conférant sa charge pastoral à
l’abbé, le bon pasteur et le mauvais pâtre.
Fig. 2 Aristote,
Métaphysique, Paris, fin du
XIIIe siècle (Saint-Omer,
BASO, ms. 723, f. 1) : Page
ornée avec initiale C
historiée figurant Aristote
dictant son œuvre.
Pour l’enluminure, le style gothique apparaît au tournant du XIIe – XIIIe siècle avec le style 1200. A cette époque et grâce au développement des villes, le mécénat artistique de l’église se déplace des abbayes vers le clergé séculier qui vit au milieu des laïcs. Les écoles urbaines fig. 1 et les chapitres canoniaux (collèges de chanoines affectés à une collégiale ou cathédrale) supplantent peu à peu les écoles abbatiales et génèrent une augmentation de la production de manuscrits dans les villes où ils sont implantés.
Le clergé séculier, les courtisans et les bourgeois prennent de l’importance et influencent les changements dans la production manuscrite. On voit s’opérer une laïcisation des arts du livre. Même s’il reste religieux, l’art de la fin du Moyen Âge est de plus en plus destiné à des laïcs. La réalisation de manuscrits n’est plus seulement un acte de piété mais devient une opération de commerce soumise à la concurrence. Par ailleurs, la plus grande diversité de la clientèle entraîne une variété de livres produits et l’apparition de nouveaux thèmes iconographiques.
A cette époque, l’importance de la philosophie d’Aristote fig 2 joue un rôle dans l’évolution de l’art roman vers l’art gothique. Cette philosophie prône le pouvoir de la raison fig. 3 qui préconise de connaître l’homme et le monde avant d’atteindre le but ultime, la connaissance de Dieu.
Ce renouveau de l’intérêt pour l’humain modifie l’iconographie fig. 3. La peinture commence à mettre en valeur le corps humain notamment en insistant sur le côté charnel et humain des acteurs du sacré. Le Christ « s’humanise » et devient un Christ d’amour et de douleur qui a souffert dans sa chair pour le salut des hommes. La Vierge et les saints prennent de plus en plus d’importance et sont montrés en exemple.
Le style 1200 est tout à fait représentatif
de cette époque de transition.
Il apparaît principalement en pays mosan,
la vallée du Rhin, le Sud-Est de
l’Angleterre et la France septentrionale et
semble influencé par l’art de l’émail et du
vitrail.
Du « roman » au « gothique »
Fig. 3. Richard de Saint-Victor, Les 12 patriarches, Saint-
Bertin, début du XIIIe siècle (BASO, ms. 118, f. 1v.) :
diagramme illustrant signification allégorique des 12
descendants de Jacob.
Fig. 1 Hugues de Fouilloy, La roue de la religion, Saint-Bertin, vers 1210-1220 (BASO, ms.
94, f. 37v.) : La roue de la vraie religion.
Le style 1200 laisse peu de place à la pro-fondeur et à la perspective. La disposition de l’espace est plus symbolique que réaliste.
Les fonds restent essentiellement abstraits et placent les scènes dans un cadre intemporel.
Les personnages sont souvent juxtaposés et représentés à la même hauteur.
En revanche, les postures sont plus souples et plus gracieuses même s’il reste une légère rigidité dans la gestuelle. On retrouve le goût pour l’Antiquité dans la multitude des drapés. Néanmoins, les expressions sont figées, stéréotypées voire absentes.
Plusieurs manuscrits enluminés dans la région et conservés à Saint-Omer illustrent ce style. Les dernières productions du Maître de Zacharie de Besançon présentent des caractéristiques du style 1200 à Saint-Bertin.
L’un des plus célèbres exemples est un recueil contenant un traité sur la symbolique des oiseaux, enluminé pour l’abbaye de Clairmarais à partir de l’exemplaire de l’abbaye des Dunes (près de Furnes en Flandre-Occidentale)fig.1.
L’enlumineur du Traité des oiseaux de Clairmarais ou un de ses collaborateurs a aussi travaillé sur une Bible en images produite à Saint-Bertin et actuellement conservé à La Haye.
Cette attribution à l’abbaye de Saint-Bertin laisse supposer que l’ensemble des manuscrits associés à ce style proviendrait du même scriptorium.
On peut citer également un exemplaire de l’Elementarium doctrinae de Papias (lexicographe du XIe siècle) provenant de Clairmarais fig. 2 et un manuscrit liturgique destiné à la Collégiale Notre-Dame de Saint-Omer.
le style 1200 à Saint-Omer
Fig. 2 Papias, Elementarium doctrinae
erudimentum, Saint-Bertin, vers 1210-1220 (BASO,
ms. 193, f.78v.) : Initiale L habitée d’une chasse au
lièvre.
On retrouve un autre témoignage du style 1200 dans l’initiale historiéequi orne le début d’une Bible provenant-de Clairmarais fig. 3.
Mais l’enlumneur a employé une palette différente des autres manuscrits et les lettres sont colorées sans motifs floraux, ce qui laisse supposer qu’il provient d’un autre atelier que celui de l’abbaye de Saint-Bertin.
Certains manuscrits viennent de plus loin.
C’est vraisemblablement le cas de plusieurs manuscrits de Clairmarais dont le style suggère une origine anglaise qu’on retrouve dans un manuscrit réalisé à l’abbaye de Saint-Alban, en Angleterre.
Il se caractérise notamment par un décor géométrique particulier qui évoque le tweed fig. 4, et des lettres ornées de motifs végétaux qui se développent en girandoles de petites feuilles duveteuses fig. 5, vertes, bleues et vieux-rose.
Fig. 3 Livre de l’Exode avec la glose
ordinaire, Saint-Bertin (?), vers 1220-
1230 (BASO, ms. 100, f. 1) : initiale H
historiée avec la figure de Moïse.
Fig. 4 Pierre de Mora, Alphabetum in arte
sermoncinandi, Angleterre (Saint-Alban ?), vers
1200-1225 (BASO, ms. 217, f. 1) : initiale D ornée.
Fig. 5 Livre d’Isaïe glosé, Angleterre (Saint-
Alban ?), vers 1200-1225 (BASO, ms. 235, f.
1) : initiale L ornée.
Fig. 3 Second volume d’une Bible glosée, Saint-Omer ou Thérouanne, vers 1270-1290 (BASO, ms.
5, f. 247) : page ornée du début de l’épître de Paul aux Hébreux avec deux initiales historiées. Un P
figurant Timothée dans une tour et un M figurant le martyre de Paul.
A partir du milieu du XIIIe siècle, la
« rigidité » romane disparaît au profit d’un
style plus proche de la réalité. Un art
courtois se développe, élégant et raffiné,
avec des personnages menus et élancés
fig. 1.
Les drapés deviennent plus amples et
témoignent d’un intérêt grandissant pour
les effets de matière.
On remarque aussi une plus grande
attention apportée à l’expressivité des
personnages. Les visages sont nettement
plus individualisés et le peintre cherche à
figurer les expressions de façon plus
réaliste. Dans un premier temps, l’espace
reste abstrait mais la valeur symbolique
des éléments du décor est moins affirmée.
La disposition des personnages perd les
règles rigides des époques précédentes.
Ils sortent des cadres et occupent de plus
en plus la surface de la page.
Malgré l’importance de la production
parisienne fig. 2, les ateliers provinciaux,
très féconds, se développent fig. 3. Les
enlumineurs font preuve de liberté,
fantaisie et spontanéité. Cela se traduit
par l’importance de l’enluminure des
marges alliant observation de la réalité et
imaginaire débridé. Le décor marginal
n’est plus un prolongement de la lettre et
devient autonome.
A partir du XIVe siècle, on constate une
unité stylistique à travers l’Europe, grâce
aux échanges commerciaux entre le Nord
et le Sud. Cet « art gothique
international » se caractérise par une
grande élégance, une finesse des traits,
des postures gracieuses, beaucoup de
couleurs et une importance donnée à
l’architecture dans les scènes
représentées.
l’enluminure « gothique »
Fig. 1 Psautier glosé, Saint-Omer ou
Thérouanne, vers 1310-1320 (BASO,
ms. 35, f? 1) : Initiale B historiée avec le
roi David jouant de la harpe.
Fig. 2 Second volume d’une Bible
glosée, Paris, vers 1230-1335 (BASO,
ms. 4, f. 196v.-197) : pages ornées du
début du livre de Jonas avec initiale E
historiée figurant Jonas recraché par
la baleine.
Fig. 3 Grégoire IX, Décrétales (BASO, ms. 434, f. 158v.) : miniature du Livre 3
figurant des Indignes chassés pendant l'élévation, Paris, début du XIVe siècle.
A la fin du Moyen Âge, les abbayes audomaroises déclinent au profit du clergé séculier et des laïcs. La production d’enluminures se déplace des abbayes vers des ateliers laïcs.
Pour l’audomarois, Saint-Omer et Thérouanne sont les deux principaux centres urbains qui ont produit de nombreux manuscrits enluminés à cette période.
Dans les années 1280-1300, une douzaine de manuscrits enluminés dans un atelier local présente un style proche fig. 1 que l’on peut regrouper autour d’une encyclopédie enluminée à Saint-Omer avant 1297 pour un abbé de l’abbaye de Saint-Bertin, Eustache Gomer.
Le Psautier de Gilbert de sainte-Aldegonde (don de la Collégiale Notre-Dame de Saint-Omer à la Chartreuse de Longuenesse en 1323) constitue un autre groupe stylistique. Les lettres historiées sont de la fin du XIIIe siècle fig. 2 mais le frontispice avec la scène de dédicace est un ajout des années 1320 réalisé par un artiste local dont le travail s’est diffusé dans les diocèses artésiens et flamands.
l’enluminure gothique à Saint-Omer (fin XIIIe –
début XVe siècle)
Fig. 1 Missel à l’usage de Saint-Bertin
(BASO, ms. 89, f. 76) : page ornée du
début du sanctoral, Saint-Omer, vers
1280-1290.
Fig. 2 Psautier de Gilbert de Sainte-Aldegonde (BASO,
ms. 270, f. 20) : initiale D historiée avec le baptême du
Christ, Saint-Omer, vers 1275-1299.
Parallèlement, les riches audomarois se procurent des livres en dehors de la région. C’est le cas de nombreux manuscrits juridiques dont un exemplaire des Décrétales enluminé à Paris par un atelier influencé par l’art de Maître Honoré vers 1300-1310 fig. 3, ce qui témoigne de la diffusion de l’enluminure parisienne en province.
L’atelier du Maître de Méliacin, actif à Paris vers 1280-1310, enlumine un recueil de textes d’Aristote pour l’abbaye de Saint-Bertin. D’autres manuscrits juridiques de Saint-Bertin ou de la Collégiale Notre-Dame de Saint-Omer viennent du Sud de la France, d’Italie ou d’Espagne.
A partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, les débuts de la guerre de Cent ans et la Grande Peste entraînent un ralentissement économique dans la région. La production de manuscrits s’en ressent. Ils sont moins ornés et moins originaux que ceux des décennies précédentes.
Les décors marginaux peuvent, par exemple, se répéter à l’identique dans les différents chapitres comme dans une copie de la Somme de Jean le Lecteur fig. 4 et 5.
Il faut attendre 1390-1410 pour que l’Audomarois connaisse un nouvel élan intellectuel qui démarre chez les religieux. Plusieurs manuscrits enluminés à Saint-Bertin témoignent d’une expression artistique éloignée du goût parisien et des développements contemporains de l’enluminure flamande. Les personnages sont assez statiques mais une volonté de modernité transparaît dans le choix de techniques comme la semi-grisaille (peinture en camaïeu de gris avec de légers rehauts de couleur fig. 6.
Un maître enlumineur se distingue : Maître Honoré.
Cet enlumineur d’origine amiénoise dirige un atelier
à Paris vers 1292-1300, et se caractérise notamment
par un dessin très souple, une grande élégance dans
la gestuelle, un coloris assez modulé et un rendu très
dense des modelés qui suggèrent le volume. Maître
Honoré surpasse tous ses contemporains par la com-
position subtilement cadencée de ses scènes et ses
personnages soigneusement modelés qui acquièrent
une épaisseur nouvelle.
Fig. 4 et 5 Jean de Fribourg dit le Lecteur,
Summa confessorum ou Libelli quaestionum
casualium (BASO, ms. 124, Saint-Omer ou
Thérouanne, dernier tiers du XIVe siècle.
Fig. 6 Series abbatum bertinianorum (BASO,
ms. 755, f. C) : Fondation de l’abbaye Saint-
Pierre et Saint-Paul (plus tard Saint-Bertin) sur
les terres de la villa de Sithiu donnée par
Adroald à Omer alors évêque de Thérouanne,
Saint-Bertin, 1400-1407.
Fig. 3 Speculum humanae Salvationis, traduction française par Jean Miélot (BASO, ms. 183 f. 42), Saint-Omer vers
1450.
A la fin du Moyen Âge, les ateliers provinciaux renaissent et s’appuient sur le mélange entre un certain réalisme et l’expression d’une spiritualité individuelle et méditative.
Dans la seconde moitié du XVe siècle, certains noms de scribes ou
d’enlumineurs sont connus : la sœur
clarisse Françoise Heuchin, Jacques Broustel ou Ernoum le Fèvre. Parallèlement, le mécénat de l’abbaye de Saint-Bertin reprend de l’importance grâce à de prestigieux abbés comme Guillaume Fillastre (1451-1473) qui fait orner ses livres par les plus grands enlumineurs de son temps, tel l’Amiénois Simon Marmion fig. 1.
Vers 1450-1460, sont produits de petits livres de dévotion simplement enluminés de lettres ornées et d’encadrements aux motifs de feuillages fig. 4.
On ne sait pas s’ils ont été enluminés à Amiens ou Saint-Omer. Ce problème d’identification du lieu de production se pose également pour d’autres manuscrits comme les trois exemplaires du Speculum Humanae Salvationis de Jean Mielot, réalisés vers 1440-1460 pour l’abbaye de Saint-Bertin fig. 2, celle de Clairmarais fig. 3 et la Collégiale Notre-Dame de Saint-Omer.
L’enluminure à la fin du Moyen Âge
(seconde moitié du XVe-XVIe s.)
Fig. 1 Missel d’Odoard de Bersacques
(BASO, ms. 60,f. 65) : miniature de
l’office pour Saint Omer figurant ce
dernier, Bruges, atelier de Simon
Benning, vers 1540-1550.
Fig. 4 Psautier à usage
de Saint-Omer (BASO,
ms. 258, f. 1v.-2) : page
ornée, Amiens ou Saint-
Omer milieu des années
1450.
Fig. 2 Speculum
humanae Salvationis,
traduction française par
Jean Miélot ( BASO, ms.
184, f. 25) : la cour
céleste, Saint-Omer, vers
1470-1480
A partir de 1450, le développement de l’imprimerie transforme progressivement la production des livres. L’usage du papier se développe et se prête moins à l’enluminure que le parchemin. La gravure supplante peu à peu l’enluminure.
Cette dernière s’apparente de plus en plus à des tableaux fig. 5, en prenant parfois la forme de compositions en pleine page. Il y a moins d’initiales ornées.
Néanmoins la production de manuscrits perdure à travers les commandes des humanistes mais l’image perd son importance au profit de l’écriture.
Fig. 5 Guillaume Fillastre, Le livre de la Toison-d'Or (BASO, ms. 723, f. 5) :
miniature du premier chapitre « Cy sensieult quelle chose est et dont viend la
Thoyson dor et pour quoy lordre de la Thoyson se fit et est instituee », Saint-Omer
(?), vers 1500.
Au moyen âge les livres sont des objets coûteux à réaliser de par leurs matériaux de
fabrication : peaux de mouton pour le parchemin en grande quantité, pigments précieux
pour les encres, cuir pour la reliure, etc., mais aussi en raison du temps qu’il faut pour
les copier, les enluminer et les relier.
Ils sont font donc souvent l’objet d’un véritable mécénat artistique et culturel de la part
des puissants tant ecclésiastiques que laïcs et sont régulièrement l’objet des cadeaux
diplomatiques, de legs ou de dons.
Ces grands mécènes ont parfois été peints ou se sont fait figurer dans leurs livres,
offrant à la postérité le souvenir de leur grandeur.
C’est le cas d’Omer et de Bertin, de Bernard de Clairmarais, de Gilbert de
Sainte-Aldegonde, ou encore d’Odoard de Bersaques, dont vous pouvez admirer les
représentations dans des miniatures extraites de quelques un des plus prestigieux
manuscrits des collections de la bibliothèque, réalisés à différentes époques et
particulièrement représentatifs de leur style.
Présentation des mécènes
le Seigneur Adroald remet la terre de Sithiu à Omer, évêque de Thérouanne,
région mosane, fin du XIe siècle.
Vie de Saint-Omer (BASO, ms. 698, f. 15v.)
le copiste, frère Pierre Bourgois (futur abbé d'Auchy-les-
Moines), en prière devant saint Omer et saint Bertin, Saint-
Omer, 1405.
Jean le Long d'Ypres dit Yperius, Chronique des abbés de Saint-
Bertin, dite Chronique d'Yperius (BASO, ms. 739, f. 15v.)
Scène de dédicace figurant Robert de Béthune, abbé de
Clairmarais, offrant son livre à la Vierge à l'Enfant,
Cambrésis, vers 1265-1270.
Richard de Saint-Laurent, Traité des vertus (BASO, ms. 174, f. 2v.)
Gilbert de Sainte-Aldegonde en prière devant la Vierge à l'Enfant, Flandre
occidentale, 1er tiers du XIVe siècle.
Psautier de Gilbert de Sainte-Aldegonde (BASO, ms. 270, f. H)
miniature de l’office pour saint Omer figurant Odoard de Bersacques, Bruges, atelier de
Simon Benning, vers 1540-1550.
Missel d’Odoard de Bersacques (BASO, ms. 60, f. 65)
Antiquisant : inspiré par l’Antiquité
classique.
Armarium (a) : armoire en latin, nom
donné aux meubles contenant les livres.
Ars Nova : « art nouveau », expression qui
désigne la peinture flamande du XVe siècle.
Cerne : trait qui délimite une forme en
dessin.
Channel style : style qui se développe des
deux côté de la Manche (Channel en anglais)
Chrysographie : écriture à l’encore d’or.
L’encre d’or et d’argent peut être à la/en coquille , lorsque le métal est broyé très finement et incorporé à un liant, la préparation obtenue était alors conservée dans un coquillage qui lui a donné son nom. Dans le cas de surfaces plus importantes l ’enlumineur appl ique directement le métal à la feuille.
Codex : nom latin des livres reliés.
Composition narrative : image construite
pour raconter une histoire.
Diurnal : recueil des prières de la journée.
Drapés mouillés : rendu pictural du tissu
dont la multiplication des plis évoque les textiles mouillés.
Ecclésiastique (l') : livre biblique de l’
Ancien Testament, appelé aussi Livre de la Sagesse de Ben Sira ou Siracide, écrit vers 200 avant J.-C.
Grisaille : technique de peinture qui consiste
à n’utiliser qu’un camaïeu de gris. On parle de s e m i - g r i s a i l l e l o r s q u e l a composition est agrémentée de rehauts de couleurs
Hiératisme : qualifie une attitude
solennelle et majestueuse.
Isocéphalie : composition où les
personnages ont tous la tête au même niveau.
Lavis : technique picturale qui consiste à
varier les teintes d’une même couleur par dilution du pigment.
Lectio divina : pratique religieuse des textes
sacrés.
Lotharingie : Royaume de Lothaire II (855-
869), qui s'étendait entre les vallées de la Meuse, de l'Escaut et du Rhin, jusqu'à la mer du Nord.
Miniature : terme employé parfois pour la
peinture sur parchemin. Il dérive du nom latin de l’oxyde de fer (la rouille) minium, qui est employé pour obtenir du rouge.
Modelés : rendu de l’épaisseur des formes.
Mosan : relatif à la vallée de la Meuse.
Néoplatonisme : courant philosophique de la
fin de l’antiquité qui fut christianisé par les philosophes de l’école d’Alexandrie dont les grandes figures sont Philon († 50) puis Origène († vers 250) et Plotin († 270) qui sera l’une des principales sources de saint Augustin († 430).
Pantokrator : « omnipotent » en grec,
désigne certaines représentations de la majesté de Dieu dans l’art.
Parchemin : peau de de bête traitée pour
servir de support à l’écriture. Une légende antique relate que la bibliothèque de la ville g r e c q u e d e P e r g a m e f a i s a i t concurrence à celle d’Alexandrie, au point que le Pharaon décida de ne plus lui fournir de papyrus. Le roi de Pergame fut alors contraint de trouver un autre support d’écriture, et c’est ainsi que fut inventé le pergamentum.
Rinceau : motif ornemental composé
d’entrelacs végétaux.
Roman : à l’origine il s’agit d’un terme de
linguistique du XVIIIe siècle, qui désignait des parlés vernaculaires issues d’une dégradation du latin. Il désigne plus tard la culture du Moyen Âge centrale.
Rotulus (i) : « rouleau » en latin.
Scriptorium (a) : mot latin qui désigne
l’atelier d’écriture. Ce n’est que rarement une s t r uc tu r e pe r man en te d an s une abbaye, sauf si celle-ci a fait de la production de livres son activité principale.
Séculier : désignation du clergé qui reste au
contact des laïcs, en opposition aux réguliers qui vivent cloîitrés et obéissent à une règle.
Vélin : parchemin d’une grande finesse et
d’une grande souplesse qui provient de la peau de veau mort à la naissance. Vigneture : motifs ornemental en forme de feuilles de vignes.
GLOSSAIRE
Ouvrages et mémoires sur la Bibliothèque de Saint-Omer et ses manuscrits BLED (Oscar). « Les origines de la biblio-thèque de Saint-Omer et ses deux premiers conservateurs », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de la Morinie, tome XXXI, 1912-1913, p. 195-232. BERTELOOT (Stéphanie), Une vita du XIe siècle. La Vita Audomari ou la vie d'un Saint évêque mérovingien, Lille, 1994 (mémoire de maîtrise). DEREMBLE (Colette). « L’illustration romane de la Vie de Saint Omer, manuscrit 698 de la Bibliothèque de Saint-Omer », dans DELANNE-LOGIÉ (Nicolette) et HILAIRE (Yves-Marie) (éd.). La cathédrale de Saint-Omer : 800 ans de mémoire vive, Paris, 2000. GIL (Marc), NYS (Ludovic), Saint-Omer gothique : les arts figuratifs à Saint-Omer à la fin du Moyen âge, 1250-1550 : pein-ture, vitrail, sculpture, arts du livre, Valenciennes, 2004. GUILBERT (Anne), Etude d'une Bible. Le manuscrit 5 de la bibliothèque de Saint-Omer, Université de Paris-Sorbonne, 1988 (mémoire de maitrise). HERMANT (Charles). Variété historique. La bibliothèque communale de Saint-Omer et ses bibliothécaires, Saint-Omer, 1903. OURSEL (Henry), DEREMBLE-MANHÈS (Colette), THIÉBAUT (Jacques), Nord Roman, Flandres, Artois, Picardie, Laonnois, Abbaye de la Pierre-qui-Vire, 1994.
TIXIER (Frédéric), Un exemplaire de l'In Unum ex quatuor: Le Ms 30 de Saint-Omer, Paris X – Nanterre, 2004 (mémoire de maîtrise). TOUPIOL (Christine), Etude du Nouveau Testament de la Bible enluminée de Saint-Bertin (Manuscrit 68 de la Bibliothèque Municipale de Saint-Omer, Lille, 1997 (mémoire de maîtrise). On consultera également avec fruit les nombreux articles relatifs aux fonds de la bibliothèque dans les Mémoires et le Bulletin de la Société académique des Antiquaires de la Morinie ; ainsi que les nombreux articles d’André BOUTEMY sur les manuscrits d’Odbert et les publications de Jean-Charles BÉDAGUE sur la collégiale-cathédrale de Saint-Omer.
Quelques monographies de référence sur l’enluminure. La revue Art de l’enluminure, Paris, depuis 2002. AVRIL (François), REYNAUD (Nicole), Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520, Paris, 1994. AVRIL (François), L’enluminure à l’époque gothique, Paris, 1995. CAHN (Walter), La Bible romane, Paris, 1982.
BIBLIOGRAPHIE FRANCOPHONE INDICATIVE
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Q u e l q u e s c a t a l o g u e s d’exposit ions où furent présentés des manuscrits audomarois L’art du Moyen Âge en Artois, Arras, 1951. Les manuscrits à peintures en France : du VIIe au XIIe siècle, Paris, 1954 Les manuscrits à peintures en France : du XIIIe au XVIe siècle, Paris, 1955 Le vaste monde à livres ouverts : manus-crits médiévaux en dialogue avec l'art contemporain, Paris, 2002. La France romane au temps des premier Capétiens (987-1152), Paris, 2005. La représentation de l’Invisible. Trésors de l’enluminure romane en Nord-Pas-de-Calais, Valenciennes, 2007. Trésors carolingiens : Livres manuscrits de Charlemagne à Charles le Chauve, Pa-ris, 2007. Liber Floridus 1121: the World in a Book, Tielt, 2011 Miniatures flamandes, 1404-1482, Paris-Bruxelles, 2011.
Livret de l’exposition réalisé par la section patrimoniale
de la bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer
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Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer—Avril 2013