sociétés coloniales du côté des femmes

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www.histoire.presse.fr PLANS-RELIEFS AU GRAND PALAIS : LA FRANCE EN MINIATURE Aventurières et institutrices Victimes et combattantes SOCIÉTÉS COLONIALES du côté des femmes 3:HIKLSE=WU[WUX:?a@n@h@l@a; M 01842 - 371 - F: 6,20 E

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Une grande partie de l’histoire de la colonisation est restée longtempsimmergée. Ce furent d’abord des pages glorieuses qui exaltèrent lerôle des explorateurs et des conquérants.

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www.histoire.presse.fr

plans-reliefs au grand palais : la france en miniature

Aventurières et institutrices

Victimes etcombattantes

sociétés colonialesdu côté des femmes

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’Au lecteur

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 1 j a N v i e r 2 0 1 2 3

Des femmes sortent de

l’ombre Une grande partie de l’histoire de la colonisation est restée longtemps

immergée. Ce furent d’abord des pages glorieuses qui exaltèrent le rôle des explorateurs et des conquérants. Lorsque les premiers mou-

vements d’indépendance virent le jour, une histoire critique de la colonisa-tion s’est développée à son tour. Une histoire qui pouvait s’apparenter à celle des nationalités au xixe siècle : elle ne faisait pas le détail entre les sexes. Deux entités s’affrontaient, les hommes qui luttaient pour leur libération et les hommes qui défendaient les bases de leur domination. L’histoire mani-chéenne s’est nuancée, s’ouvrant à la complexité des rapports entre colonisa-teurs et colonisés. Mais c’était encore une histoire exclusivement masculine. Qu’en était-il, pendant ce temps, de la moitié féminine de la population ?

L’essor de l’histoire des femmes et de ce qu’on appelle l’histoire du genre, depuis une trentaine d’années, a permis de tirer de l’ombre cette partie

qui était occultée, le rôle des femmes. Notre dossier vise à offrir un aperçu des recherches récentes sur ce sujet très neuf. L’énorme bouleversement de la colonisation a chahuté aussi les limites du genre. Des deux côtés, la condition des femmes s’en est trouvée modifiée. Les européennes, longtemps tenues à distance, voire carrément interdites de présence, ont exercé un rôle de plus en plus actif dans l’entreprise coloniale, dans la médicalisation et la scolarisa-tion des « indigènes ». toutes ces femmes étaient des alliées, sans doute, d’un mouvement colonial fort peu contesté. Mais il y eut aussi des européennes au cœur de la protestation anticolonialiste, telles l’anglaise Mary Kingsley ou la Française Hubertine auclert. Les colonisées furent très durement trai-tées par l’économie coloniale, salariées au rabais, ou renvoyées dans leurs foyers. La prostitution en fit doublement des parias. Certaines, cependant, purent saisir l’occasion qui leur était donnée, par l’école, le petit commerce ou le vote quelquefois, en 1945, d’une émancipation nouvelle. Ce n’est pas qu’une histoire de victimes qui nous est ici racontée.

Le plus étonnant, sans doute, c’est de redécouvrir ici la part qu’ont prise les femmes d’afrique et d’asie aux résistances et même aux guerres de li-

bération anticoloniale. elikia M’Bokolo évoque, dans ce dossier, une galerie de figures féminines qui, de la dernière reine de Madagascar ranavalona iii à Djamila Boupacha en algérie, ont illustré les luttes d’émancipation, sans oublier les milliers de femmes physiquement engagées dans les combats. Les guerres finies, la reconnaissance des nouveaux États acquise, cette par-ticipation des femmes a été mise sous le boisseau par les nouvelles couches dirigeantes, toutes masculines. Un scénario connu. a peu d’exceptions près, l’inégalité entre les hommes et les femmes reste criante dans presque tous les États devenus indépendants. on peut gager que ce n’est pas le dernier mot de l’histoire.

L’Histoire

www.histoire.presserevUe MeNsUeLLe CrÉÉe eN 1978, ÉDitÉe Par soPHia PUBLiCatioNs 74, aveNUe DU MaiNe, 75014 Paris,

tÉL. : 01 44 10 12 90

Directeur de la publication : Philippe Clerget Assistante de direction : Christie Mazataud (13 74)

Abonnementstarif France : 1 an, 11 nos : 60 € 1 an, 11 nos + 4 nos Collections de L’Histoire : 80 € tarif international : nous contacter Écrire à : service abonnements L’Histoire, 17, route des Boulangers, 78926 Yvelines Cedex 9 tél. France : 01 55 56 71 19 tél. depuis l’étranger : 00 33 1 55 56 71 19 Courriel : [email protected] Belgique : edigroup Belgique tél. : 0032 70 233 304suisse : edigroup sa - tél. : 0041 22 860 84 01Achat de revues et écrins L’Histoire, 24, chemin Latéral, 45390 Puiseaux tél. : 02 38 33 42 88

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’sommaire

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 1 j a N v i e r 2 0 1 2 4

’actualitéon en parle16 La vie de l’édition - La femme en vue - en tournage

portrait 18 Dimitri Casali, rock and history Par Philippe-Jean Catinchi

concordance des temps 20 Ces riches qui veulent payerPar Nicolas Delalande

21 agenda : les rencontres du mois

bande dessinée 22 villon, ou la violence de la vie Par Pascal Ory

livre 23 La vertu des éléphants Par Jacques Berlioz

cinéma 24 Le monologue du bourreau Par Antoine de Baecque

25 Hoover secret Par Bruno Calvès

expositions 26 samouraïs ! Par Juliette Rigondet

27 Fébus, le comte qui se prenait pour le soleil Par Bruno Calvès

médias 28 Noirs de France Par Catherine Hodeir

29 La tragédie jean Zay Par Olivier Thomas

29 L’offense faite à Clemenceau Par Jean-Jacques Becker

anniversaire 30 « La quille, bordel ! » Par Christophe Gracieux

29 internet : les sites du mois

festival 32 Pessac : politique d’abord Par Antoine de Baecque

’Feuilletonles grandes heures de la presse86 Demandez « La Cause du peuple » !Par Jean-Noël Jeanneney

’GuiDela revue des revues88 D’ici et d’ailleurs - 81, année médiatique - suicide à Wannsee

les livres90 « L’Hippodrome de Constantinople » de Gilbert Dagron Par Patrick Boucheron

91 La sélection du mois

le classique96 « Érôs et agapè » d’anders Nygren Par Dominique Bourel

’Carte BlancHe98 extension du domaine du racisme Par Pierre Assouline

couverture : 1928, Congo belge, une consultation en plein air de la Croix-Rouge (Jacques Boyer/Roger-Viollet).

retrouvez page 34 les rencontres de l’histoire

abonnez-vous page 97Ce numéro comporte quatre encarts jetés : Le Monde de la Bible, Tapisseries d’Aubusson (abonnés), L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

’événement8 La France en miniature Par Joël Cornettea l’occasion de l’exposition au Grand Palais, histoire d’une entreprise folle entamée sous Louis Xiv : celle des plans-reliefs, œuvres d’art et archives d’un monde disparu.

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www.histoire.presse.fr10 000 articles en archives.Des web dossiers pour préparer les concours.Chaque jour, une archive de L’Histoire pour comprendre l’actualité.

N°371-jaNvier 2012

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38 La moitié oubliée Par Pascale Barthélémy, Anne Hugon et Christelle Taraud42 des hommes, des vrais ! Par Christelle Taraud 45 1958 : la bataille du voile

48 Mary Kingsley. « Femme de race masculine » Par Anne Hugon52 a l’école arabe de Mme Luce Par Rebecca Rogers54 Les bonnes sœurs en action

56 « elles n’ont pas hésité à combattre » Entretien avec Elikia M’Bokolo

58 Kartini, la mère de l’indonésiePar Rémy Madinier 60 Citoyennes, enfin !Par Pascale Barthélémy 64 Le supplice de djamila BoupachaPar Christelle Taraud

66 La colonisation de l’intime Entretien avec Ann Laura Stoler

40 Lexique46 Chronologie67 Pour en savoir plus

’dossier PAGE 36

SoCiéTéS CoLoniALES :du côté des femmes

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’recherche70 scènes de guérilla urbaine à rome Par Yann Rivière dans la capitale de l’empire romain, les émeutes pouvaient prendre des allures de véritables guerres de rue.

76 L’homme qui parlait avec les mortsPar Frédéric Chauvaud au-delà du mythe, le parcours du docteur Paul, le plus célèbre médecin légiste du xxe siècle.

80 Bruges, 1127. on a tué le comte de Flandre Par Laurent Feller a qui a profité l’assassinat du puissant Charles le Bon ?

Vendredi 30 décembre à 9 h 05 « La Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin Retrouvez Yann Rivière pour la séquence « L’atelier du chercheur » en partenariat avec L’Histoire

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’événement plans-reliefs

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Joël Cornette est professeur à l’université Paris-VIII-Vincennes- Saint-Denis et membre du comité de rédaction de L’Histoire. Spécialiste de l’Ancien Régime, il dirige actuellement, avec Jean-Louis Biget et Henry Rousso, une Histoire de France chez Belin et vient de publier avec Marie-France Auzépy L’Histoire du poil (Belin).

Contempler son royaume et ses nouvelles conquêtes jusque dans leurs moindres détails et depuis son cabinet ; préparer un siège, ou la défense d’une place en embrassant celle-ci du regard, une baguette à la main : c’est ce que rendit possible l’entreprise des plans-reliefs, entamée en France sous le règne de Louis XIV et poursuivie jusqu’au Second Empire. On peut voir seize de ces chefs-d’œuvre sous la nef du Grand Palais, à Paris, à partir du 18 janvier.

C’est allain Manesson Mallet, ingénieur et « maître de mathématiques des pages de la petite Écurie de sa Majesté », qui nous

révèle, dans Les Travaux de Mars ou L’Art de la guerre (1686, i, p. 173), l’origine des plans-reliefs : « Il n’y a pas longtemps, écrit-il, que l’invention de modeler des plans est reçue en France, et je crois que celui de Pignerol, que je fis pour le roi en 1663, est le premier qui ait été présenté à Sa Majesté ; je le fis par l’ordre de M. le marquis de Piennes, qui était alors gouver-neur de Pignerol, et qui fit ce présent au roi. J’avoue que j’en pris les idées sur l’ouvrage d’un ingénieur ita-lien, mais je puis dire que, par là, je donnai un modèle en France à beaucoup d’autres, que l’on a fait depuis d’une manière fort achevée. »

ainsi, l’usage du plan en relief au temps de Louis Xiv procédait d’une pratique déjà ancienne : le premier dont on ait la trace est celui de la cité de rhodes, alors contrôlée par venise, exécuté en 1521. Prévoyant un siège prochain par les turcs, le grand maître des Hospitaliers fit exécuter cette ma-quette par l’ingénieur Basilio della scuola, avant de la faire parvenir au pape Léon X. autrement dit, d’emblée, la réalisation de ces objets était motivée par la nécessité de connaître à distance la situation

et l’état de possessions lointaines assurant la sécu-rité d’un territoire.

La réalisation d’une collection normalisée de plans en relief fut ordonnée en France par Louvois, secrétaire d’État de la Guerre, en 1668, après la mainmise brutale sur une douzaine de places for-tes des Flandres espagnoles dans le cadre de la guerre de Dévolution (1667-1668). Le 25 novem-bre, il ordonnait que le plan d’ath soit construit, « en l’état qu’elle sera en sa perfection ». Le 23 mai 1670, Louis Xiv visitait l’atelier de l’ingénieur sauvage, à Lille, où on lui présenta les plans de Lille et de Courtrai.

Les premiers plans-reliefs furent réalisés dans les places fortes même par les ingénieurs du roi

Plans-reliefs

La France

Louis XIV en armure, le bâton de commandement à la main (vers 1695, atelier de Pierre Mignard).

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en poste dans les provinces. ils travaillaient sans doute rapidement, sans directives précises, ce qui explique les échelles différentes des « plans an-ciens » et « chiffonnés » que signale vauban dans son Inventaire de 1697. Dans tous les cas, il s’agis-sait, avec le plus grand réalisme possible et une ex-trême minutie, de reproduire, en miniaturisant le réel (le 1/600e de notre système métrique – 1 pied pour 100 toises – devint l’unique échelle à partir des années 1680), les principales villes fortifiées du royaume : les forteresses, mais aussi, à mesure que les maquettes se perfectionnèrent, leur envi-ronnement, avec les villages, les accidents topo-graphiques… Le tout s’inscrivait sur une surface qui représentait jusqu’à 20 fois la superficie de la

au Grand Palais en miniature

Neuf-Brisach, ou la forteresse idéale le plan-relief de Neuf-Brisach, une ville nouvelle destinée à fortifier la frontière est, restitue parfaitement la ville-forteresse idéale telle que la conçoit Vauban : une cité géométrique à partir d’une place carrée, la place d’armes, autour de laquelle sont groupés l’arsenal, l’intendance, l’hôpital militaire, l’église de la garnison et la maison du gouverneur. les maisons sont disposées en rang, comme au garde-à-vous, formant des carrés. longwy, sarrelouis, huningue, Mont-dauphin, Mont-louis, fort-louis, Montroyal et bien d’autres villes répondent à ce modèle. toutes abritaient des régiments de plus en plus souvent encasernés afin d’éviter le logement chez l’habitant, qui donnait lieu à de multiples abus. face à ces villes-forteresses délimitant la frontière, la france de l’intérieur tendait de plus en plus à devenir un espace civil où les remparts des villes, dont beaucoup furent démantelés au temps de richelieu, étaient peu à peu transformés en promenades, à l’image de Paris, dès les années 1670.

’DOSSIER femmes et colonisation

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« Elles n’ont pas hésité à combattre »

très peu de femmes figurent au panthéon des héros de l’indépendance. elles ont pourtant

participé aux luttes de libération. et subi, comme les hommes, la répression du pouvoir colonial.

Entretien avec Elikia M’Bokolo

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l’auteurDirecteur d’études à l’EHESS, Elikia M’Bokolo a notamment publié afrique noire. Histoire et civilisations (2 vol., Hatier-AUF, rééd., 2004). Il est le coauteur d’afrique(s). une autre histoire du xxe siècle (3 DVD, INA). Ses travaux portent sur le panafricanisme et sur l’homme politique ghanéen Kwame Nkrumah.

Guerrières Actives lors des guerres de décolonisation des colonies portugaises, les femmes défilent au moment des indépendances. Ici, en Angola, en 1975.

L’ H i s t o i r e N ° 3 7 1 j a N v i e r 2 0 1 2 57

L’Histoire : Lorsqu’on évoque la décolonisation, notamment en Afrique, il est très peu question des femmes. Elles n’ont donc joué aucun rôle dans la lutte pour l’indépendance ? Elikia M’Bokolo : Bien sûr que si ! Leur rôle

fut même souvent décisif. Mais nous sommes vic-times dans cette histoire du regard des colonisa-teurs, qui préféraient taire les affrontements avec les femmes, et de celui des acteurs de l’indépen-dance eux-mêmes. je pense à la lettre de Patrice Lumumba, le premier chef de gouvernement du Congo indépendant, à son épouse Pauline. Cette lettre célèbre fut écrite en captivité, en décem-bre 1960, quelques jours avant son assassinat1. Lumumba y explique le sens de son combat, la raison de son martyre et demande à sa femme d’accepter son sacrifice. en fait, cette lettre nous induit en erreur parce qu’elle donne l’impression que Pauline est spectatrice d’un drame auquel elle ne comprend rien. C’est un contresens complet : ce que l’on sait aujourd’hui, c’est à quel point ce couple a été uni dans son combat.

on trouve d’ailleurs des personnages fémi-nins reconnus pour leur rôle politique ou mili-taire parmi les tout premiers acteurs de la résis-tance au colonialisme, dès la fin du xixe siècle. a Madagascar, la reine ranavalona iii a tenu tête au général Gallieni en refusant le protecto-rat français, au risque de provoquer une guerre. Déposée et exilée en 1897, ranavalona iii n’en est pas moins la mère d’un processus qui a pris fin en juin 1960 avec l’indépendance de l’île. Le souvenir en a été perpétué : en 1958, lorsque de Gaulle ef-fectue son tour d’afrique pour exposer son projet de « communauté franco-africaine », il s’adresse aux Malgaches en désignant l’ancien palais de la reine : « Vous serez libres et indépendants comme vous l’avez été à l’époque où ce palais était habité. »

Béhanzin, qui a été, en-tre 1889 et 1894, le dernier roi du Dahomey (actuel Bénin), a quant à lui lutté contre les Français avec une armée dont les troupes d’élite étaient for-mées en grande partie des fem-mes de sa garde personnelle, les amazones. Ces combattan-tes ont été une référence pour la génération des nationalistes bé-ninois des années 1920, notam-ment tovalou Houénou, l’un des chantres de l’africanisme. Mais dans les années 1940 et 1950 les hommes politiques ont « oublié » le rôle des guerrières dans cet épisode fondateur du nationalisme au Bénin.

L’autre grand exemple de résistance féminine remonte à la fin du xixe siècle, en Gold

Coast, l’actuel Ghana, à la suite des guerres en-tre anglais et ashanti. en 1896, le roi ashanti a été arrêté et déporté aux seychelles. Le gouver-neur de la Couronne britannique s’est rendu dans la capitale pour réclamer le tabouret d’or censé être descendu du ciel et donné au roi par Dieu. Ce geste sacrilège a provoqué une réunion secrète à laquelle hommes et femmes participaient à éga-lité. La société ashanti est en effet une société ma-trilinéaire : la filiation se fait par les femmes, qui s’effacent pour laisser leur fils ou leur neveu au pouvoir, mais jouent un rôle de premier plan dans les conseils pour préparer la guerre.

RésistantesRanavalona III, dernière reine de Madagascar, symbole de la résistance de l’île face à Gallieni. Yaa Asantewaa a encouragé la révolte anti-britannique au Ghana. En exil, le roi Béhanzin du Dahomey pose ici avec des femmes – peut-être des amazones, ces soldats qui avaient fasciné les Français.

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béhanzin et ses amazones exilés en martinique

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’recherche émeutes à rome

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Scènes de guérilla urbaine

à Rome A rome, les émeutes populaires pouvaient prendre l’allure de guerres civiles : face aux soldats lourdement armés de

l’empereur, le peuple employait des techniques de guérilla urbaine, promises à un grand avenir.

Par Yann Rivière

En 390 de notre ère, 7 000 habi­tants de thessalo­

nique, rassemblés au préalable dans l’hippo­drome, périrent sous le fer des soldats, sur l’ordre de théodose ier, pour avoir lynché le commandant de la gar­nison de la ville. La ré­pression dans le sang des émeutes urbai­nes était courante sous l’empire romain, mal­gré la réprobation que suscitaient les meurtres collectifs.

Ce n’est en effet qu’au prix d’une péni­tence et sur la menace d’une excommunication que lui adressa l’évêque de Milan, saint Ambroise, que l’empe­reur théodose fut pardonné de ce massacre. Assurément, l’af­

fermissement de la morale chrétienne parmi les élites du monde romain en ce ive siècle finissant était encore une nouveauté. N’imaginons pas ce­pendant que les romains des siècles antérieurs, païens ou chrétiens, aient été insensibles au mas­sacre indistinct de civils par des soldats lourde­ment armés. Comme l’a souligné le grand his­torien américain Peter Brown, dans l’épisode de thessalonique, l’évêque de Milan, Père de l’Église,

a tenu le rôle traditionnellement dévolu aux philosophes, dépositaires de l’édu­cation classique et chargés de modérer la violence du pouvoir par leur effort de persuasion1.

Mais si les bains de sang ordonnés par un tyran à ses sbires ont toujours suscité le rejet des auteurs anciens, c’est moins en raison du sort des victimes que de l’injustice flagrante que représentait un combat inégal entre les soldats et une foule désarmée. Quant au dégoût ou à l’indignation que provoquent éventuel­lement aujourd’hui de telles scènes – ces sentiments ne sont pas universellement partagés, on le sait –, ils demeurent lar­gement déterminés par l’héritage des Lumières, l’avènement de l’âge de la po­lice au xixe siècle ou la diffusion d’une approche sociologique de la violence.

Aux yeux des anciens romains, les phénomènes de protestation, d’une part, leur répression, d’autre part, ne faisaient pas l’ob­jet d’une même approche sensible ou nuancée. Comme le souligne un autre historien américain ,Brent. D. shaw, « le monde était divisé en termes plus abrupts que les nôtres : les fines gradations de violence non étatique que nous distinguons faisaient défaut. Les vendettas de village, les raids de tribus, les divers types d’émeutes urbaines (alimentaires ou idéologiques) n’avaient pas d’existence autonome dans la définition romaine. Certes, nous sommes libres de faire le tri entre ces formes différentes de violence… Mais nous ne devons pas oublier que les Romains ne faisaient pas ces distinctions »2.

DécryptageDepuis ses premiers travaux sous la direction de Claude Nicolet, Yann rivière s’intéresse aux émeutes et au maintien de l’ordre en italie. Avec le souci de revenir, à l’époque, sur l’idée commune d’un État romain moderne, bien organisé, disposant avec les prétoriens de forces de l’ordre efficaces. Avec cet article, Yann rivière relit, avec des interrogations philologiques, les sources littéraires. en croisant les informations, en s’intéressant au vocabulaire, on peut découvrir dans le détail comment se déroulaient une émeute et sa répression : les lieux, les armes, les acteurs.

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L’auteuRMaître de conférence à l’EHESS, Yann Rivière a notamment publié Les Délateurs sous l’empire romain (École française de Rome, 2002) et Le Cachot et les fers : détention et coercition à Rome (Belin, 2004).

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En haut : cette fresque qui décorait une maison de Pompéi a souvent été rapprochée du récit que fait Tacite d’un affrontement sanglant entre « supporters » nucériens et pompéiens à l’issue d’un combat de gladiateurs (59 ap. J.-C.).En bas : bas-relief du iie siècle ap. J.-C. représentant des soldats d’élite avec leur casque à cimier, leur bouclier ovale, l’épée ou la lance. S’il ne s’agit pas forcément de prétoriens, ces derniers étaient toutefois également équipés d’un tel armement pour charger les émeutiers.

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Les Romains ne faisaient pas la distinction entre guerre extérieure et émeute puisqu’elles menaçaient également la tranquillité des habitants

Vendredi 30 décembre

à 9 h 05, dans

l’émission « La Fabrique de l’histoire »

d’Emmanuel Laurentin, retrouvez

Yann Rivière pour la séquence

« L’atelier du chercheur » et découvrez les dessous

du travail de l’historien.

En partenariat avec L’Histoire.