serge moscovici - introduction à la psychologie sociale

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    Serge Moscovici (dir.), Introduction la psychologie sociale. Tome I. (1972) 2

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    Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Prsident-directeur gnral,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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    Serge Moscovici (dir.), Introduction la psychologie sociale. Tome I. (1972) 3

    Cette dition lectronique a t ralise par mon pouse, Diane Brunet, bn-vole, guide retraite du Muse de la Pulperie de Chicoutimi partir de :

    Serge MOSCOVICI

    INTRODUCTION LA PSYCHOLOGIE SOCIALE.TOME I. Les phnomnes de base.

    Paris : Librairie Larousse, 1972, 325 pp. Collection : Sciences humaines etsociales.

    [Autorisation formelle accorde par Monsieur Moscovici le 1er septembre2007 de diffuser la totalit de ses publications dans Les Classiques des sciencessociales.]

    Courriel : [email protected]

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word

    2008 pour Macintosh.Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5 x 11.

    dition numrique ralise le 23 novembre 2013 Chicoutimi,Ville de Saguenay, Qubec.

    mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]
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    Serge Moscovici (dir.), Introduction la psychologie sociale. Tome I. (1972) 4

    Serge MOSCOVICI (1925- ) Directeur du Laboratoire Europen de Psychologie Sociale (LEPS)

    Maison des sciences de l'homme (MSH), Parisauteur de nombreux ouvrages en histoire des sciences, en psychologie sociale et politique.

    Introduction la psychologie sociale.Tome I. Les phnomne de base.

    Paris : Librairie Larousse, 1972, 325 pp. Collection : Sciences humaines et so-ciales.

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    Serge Moscovici (dir.), Introduction la psychologie sociale. Tome I. (1972) 5

    Volume 1Premire partie : les phnomnes de base

    Prsentation

    par SERGE MOSCOVICI Directeur dtude de psychologie sociale lcole Pratique des Hautestudes.

    Changement d'attitude etrole playing

    par Jozef M. Nuttin JrProfesseur l'Universit de Louvain, Laboratorium voor Experimentele So-ciale Psychologie (K. U. L.), Belgique.

    L'Homme en interaction : machine rpondre ou machine infrer

    par SERGE Moscovici Directeur dtude de psychologie sociale lcole Pratique des Hautestudes.

    La psychologie sociale : une situation, une intrigue et un scnario en qute de laralit

    par PHILIP G. ZIMBARDOProfesseur l'Universit de Stanford (Californie, tats-Unis).traduit par RGINE POITOUcharge de cours d'anglais au Dpartementde Psychologie de lUniversit de Provence.

    Un modle du sujet : l'quilibre de Heider

    par FRANOIS LONARDassistant de psychologie l'Universit Ren Descartes (Paris-V).

    Conformit, minorit et influence sociale

    par SERGE MOSCOVICI Directeur dtude de psychologie sociale lcole Pratique des Haute tu-des.et PHILIPPE RICATEAUassistant de psychologie sociale l'Universit Ren Descartes (Paris-V).

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    [2]

    Attrait et hostilit interpersonnels

    par DANA BRAMELProfesseur l'Universit dtat de Stony Brook (tat de New York).traduit par RGINE POITOUcharge de cours d'anglais au Dpartement de Psychologie de l'Universitde Provence.

    Jeux et conflits

    par MICHEL PLONcharg de recherches au C. N. R. S. Laboratoire de psychologie sociale.cole Pratique des Hautes Etudes.

    La catgorisation sociale

    par HENRI TAJFELProfesseur lUniversit de Bristol (Grande-Bretagne).traduit par PATRICIA NVE Diplme d'tudes suprieures de psychologie sociale.

    La reprsentation sociale

    par CLAUDINE HERZLICHcharge de recherches au C.N.R.S.

    Laboratoire de psychologie socialecole Pratique des Hautes tudes.

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    Table des matires Volume 1Premire partie : les phnomnes de base

    Quatrime de couverture Prsentation. (Serge Moscovici)

    Chapitre 1. Changement d'attitude etrole playing. (Jozef M. Nuttin Jr)

    1.0. Buts et limitation de ce chapitre [13]1.1. Quelques constatations scientifiques incitant la rflexion [14]

    1.1.1. L'effet produit par l'improvisation d'un faux plaidoyer surl'cran de la tlvision1.1.2. L'effet produit par la dramatisation des consquences cancri-

    gnes des cigarettes

    1.2. L'attitude sociale et le problme de son changement [19]

    1.2.1. Dlimitation du concept1.2.2. Le problme du changement d'attitude

    1.3. Vers une interprtation scientifique du changement d'attitude. [23]

    1.3.1. Lerole playing motionnel et le changement d'attitude vis--vis de la cigarette

    1.3.2. Lerole playing cognitif contre-attitudinal et le changementd'attitude vis--vis de la rforme universitaire1.3.2.1. La thorie de la dissonance cognitive et l'exprience

    de Cohen1.3.2.2. bauche d'une analyse exprimentale de l'interprta-

    tion festingerienne

    1.4. Considrations finales. [52]

    1.4.1. La rponse attitudinale et sa reprsentativit pour l'attitude1.4.2. Attitude et comportement1.4.3. Implications sociales et morales1.4.4. L'tude scientifique des attitudes sociales : recherche fonda-

    mentale au service de l'humanit

    Rfrences bibliographiques [57]

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    Chapitre 2. L'Homme en interaction : machine rpondre ou machine inf-rer. (Serge Moscovici) [59]

    2.1. La psychologie du sens commun [59]2.2. Partager les motions [63]

    2.2.1. Activation du systme sympathique2.2.2. Manipulation de l'information dite exacte 2.2.3. Cration d'un contexte cognitif2.2.4. Mesures2.2.5. Rsultats

    2.3. Les rgles d'induction quotidiennes [69]

    2.4. La transformation de la quantit en qualit [77]2.5. Remarques finales [80]Rfrences bibliographiques [81]

    Chapitre 3. La psychologie sociale : une situation, une intrigue et un scnarioen qute de la ralit. (Philip G. Zimbardo) [82]

    3.1. Les contributions de la psychologie sociale : situation, scnario et in-trigue [85]

    3.1.1. Dtermination par la situation3.1.2. Dtermination verbale3.1.3. Dtermination cognitive

    Rfrences bibliographiques [101]

    Chapitre 4. Un modle du sujet : l'quilibre de Heider.(Franois Lonard) [103]

    4.0. Introduction [103]4.1. Le modle d'quilibre de Heider [104]

    4.1.1. Vocabulaire4.1.2. Hypothses4.1.3. Proprits des relations4.1.4. Exemples4.1.5. Limitations

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    4.2. Formalisation [110]

    4.2.1. Graphes

    4.2.2. Dfinitions formelles de l'quilibre4.2.3. Le modle de Heider

    4.3. Exprimentation

    4.3.1. Mthodes d'expression d'une prfrence4.3.2. Mthode de compltion4.3.3. Mthode d'apprentissage : exemple De Soto (1960).4.3.4. Groupes rels4.3.5. Discussion

    4.4. Une perspective de recherche [129]4.4.1. Aspect exprimental4.4.2. Interprtation

    Rfrences bibliographiques

    Chapitre 5. Conformit, minorit et influence sociale. (Serge Moscovici etPhilippe Ricateau) [139]

    5.0. Remarques prliminaires [139]

    5.1. Deux modles du processus d'influence sociale. [146]5.1.1. Pourquoi commencer par la prsentation des modles5.1.2. Le modle de la rduction des incertitudes5.1.3. propos de quelques difficults5.1.4. Les modles de ngociation des conflits

    5.2. Les trois modalits d'influence sociale [162]

    5.2.1. Une recherche exprimentale relative aux processus de norma-lisation

    5.2.2. Influence sociale et les phnomnes de majorit conformisme5.2.3. L'influence sociale et les changements sociaux

    5.3. Conclusion [187]Rfrences bibliographiques [189]

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    Chapitre 6. Attrait et hostilit interpersonnels. (Dana Bramel) [192]

    6.1. La mesure des attitudes interpersonnelles [193]

    6.2. Histoire rcente de l'tude des attitudes interpersonnelles [197]6.3. Introduction la thorie et aux recherches [201]6.3.1. Similitude et attrait

    6.4. Attitudes et opinions interpersonnelles ou intergroupes contribuant justifier le tort fait autrui [220]

    6.4.1. Justification du tort caus6.4.2. Attitudes de l'observateur non compromis

    6.5. Pour conclure [235]

    Rfrences bibliographiques [237]Chapitre 7. Jeux et conflits. (Michel Plon) [239]

    7.0. Introduction [239]

    7.1. Deux modles d'interaction sociale [242]

    7.1.1. Le modle de Thibaut et Kelley7.1.2. Le modle issu de la thorie des jeux

    7.2. tude de l'interaction conflictuelle dans le cadre des jeux [249]7.2.0. Modalits d'utilisation et principaux axes de recherche7.2.1. Introduction de la notion de reprsentation sociale7.2.2. Les effets de la reprsentation du partenaire dans une interac-

    tion conflictuelle

    7.3. valuation pour une perspective [262]Rfrences bibliographiques [270]

    Chapitre 8. La catgorisation sociale. (Henri Tajfel) [272]8. 0. Introduction [272]8.1. Quelques aspects gnraux de la catgorisation [274]

    8.1.1. Les fonctions de la catgorisation8.1.2. Les continuits entre la catgorisation non sociale et la catgo-

    risation sociale

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    8.2. La catgorisation sociale et les valeurs [279]

    8.2.1. Le rle des valeurs pour la formation des catgories sociales

    8.2.2. Le rle que jouent les valeurs dans le maintien des catgoriessociales8.2.3. Conclusions gnrales sur les valeurs

    8.3. Catgorisation sociale et identit sociale [292]8.4. Conclusion [299]Rfrences bibliographiques [301]

    Retour la table des matires

    Chapitre 9. La reprsentation sociale. (Claudine Herzlich) [303]

    9.1. La reprsentation sociale : sens du concept [303]

    9.1.1. Origines, parents et obstacles9.1.2. L'approche psychosociologique de la reprsentation sociale

    9.2. L'tude empirique des reprsentations sociales [307]

    9.2.1. Reprsentation et langage, conditions d'mergence d'une repr-sentation sociale

    9.2.2. Le contenu d'une reprsentation sociale : analyse dimension-

    nelle9.2.3. Dynamique d'une reprsentation sociale9.2.4. Dtermination d'une reprsentation sociale

    9.3. La mise en uvre exprimentale. Reprsentations sociales et conduites [317]

    9.4. Conclusion [323]Rfrences bibliographiques [324]

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    Introduction la psychologie sociale.Tome I.

    QUATRIME DE COUVERTURE

    Retour la table des matires

    Les sciences humaines et sociales recouvrent tant les disciplinesqui tudient les comportements de l'individu pris en lui-mme (psy-chologie exprimentale, psychophysique, psychophysiologie, psycho

    logie de l'enfant, pdagogie), on en comparant les aptitudes des indi-vidus (psychologie diffrentielle), que celles qui dfinissent les fonc-tionnements de groupe (psychologie sociale) et analysent un rapportde groupe particulier, notamment la communication (smiologie, lin-guistique).

    Les sciences sociales tudient le groupe humain soit en rfrenceavec sa physionomie globale (sociologie, ethnologie, anthropologiesociale), soit encore sous un angle particulier de la vie du groupe(conomie, gographie conomique, dmographie) : certaines, enfin placent leur perspective dans l'volution humaine : (histoire politiqueidologique, conomique). En s'initiant aux problmes qu'elles posentun public averti pourra ainsi faire le point sur un dbat qui dominenotre temps.

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    Introduction la psychologie sociale.Tome I.

    PRSENTATIONpar Serge Moscovici

    Retour la table des matires

    En tant qu'Introduction la psychologie sociale, cet ouvrage a tconu comme devant s'adresser, avant tout, un public d'tudiants etde personnes qui, pour s'intresser la discipline, ne sont cependant pas bien au fait de ce qui s'y produit. D'o, sous certains rapports, sonapparentement un manuel, informant sur les aspects majeurs de larecherche contemporaine. Mais vouloir introduire le lecteur la

    science psychosociologique, c'est--dire le faire accder la compr-hension des problmes que les chercheurs s'efforcent d'y rsoudre, bref, et dans une certaine mesure, vouloir les former l'esprit de ladite science, il revt un caractre original. Ni somme d'un savoirconsidr comme clos, ni pure revue critique des rsultats acquis parla pratique thorique et empirique, ni inventaire de mthodes ou derecettes, ce livre prtend familiariser avec le mode de questionnemenque le psychosociologue applique la ralit sociale, comme avec letype de rponses qu'il apporte des problmes qui, par-del telle outelle formulation particulire, conservent une porte gnrale et cons-tante. C'est pourquoi il n'entend pas donner non plus une vision unitaire, homogne et totalisante sur ce que pourrait ou devrait tre l'objetde la psychologie sociale mais plutt le tmoignage, le point de vued'auteurs eux-mmes engags dans le processus de la recherche, enl'un ou l'autre de ses secteurs aujourd'hui importants. En cela peuventrouver aussi matire rflexion et information les psychosociologuesavertis qu'ils soient praticiens ou chercheurs.

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    Mme situe ce niveau, l'entreprise n'est pas sans prils. Ds lorsque l'on tente de saisir un domaine de recherche dans ses lignes domi-nantes, on risque de le figer et ce qui en est dit a de fortes chances

    d'tre incomplet dpass au moment o le livre parat, tant sont rapi-des l'volution de la pense et le progrs de la recherche, particulirement dans les secteurs qui mobilisent attention et efforts dans une production acclre. D'autre part, quand bien mme viterait-on toutvue systmatique sur l'ensemble de la psychologie sociale, demeure lerisque d'imposer au champ particulier que l'on prsente une organisa-tion quelque peu artificielle dans la mesure o les phnomnes visset leur tude ne s'offrent pas dans la cohrence que le discours leur prte. Il ne faut donc pas se masquer le double cueil qui guette unouvrage du genre Introduction ou Manuel : risque d'obsoles-cence et risque de systmatisation.

    Aussi bien demandera-t-on au lecteur de considrer les matriauxqui lui sont proposs ici comme un instrument, une grille d'accs partir de [8] quoi se reprer quand il se rfrera aux textes originauxou aux traits et recueils de textes dont il dispose par ailleurs. De cetinstrument il ne tirera pas la totalit de l'information avoir sur la psychologie sociale, mais il gagnera en comprhension de ce qu'elleest. Entendons-nous. Introduire une discipline n'est pas rsumer l'en-semble des travaux qui la constituent : ce n'est pas faire uvre ency-clopdique. Mais ce n'est pas non plus en communiquer une connais-sance lmentaire, simplifie par rapport au tout complexe qu'elleforme : ce n'est pas faire uvre de vulgarisation. C'est donner un cer-tain type de connaissance : faire sentir, vivre, comprendre au lecteur lafaon dont se constitue et progresse une rgion du savoir. Nous avonstenu prsenter des problmes, ayant comme tels un caractre de permanence, et des modles de rponse qui ont la stabilit d'une orientation gnrale l'gard d'un problme, plutt qu'un tat des solutionsconnues un certain moment - lequel est arrt par les contraintes du bilan dresser et non par la logique du dveloppement des recherche- parce que toute science est d'abord dfinie par les problmes qu'elle pose. Parce que les solutions accessibles en une coupe de temps don-ne, outre qu'elles sont menaces de caducit, ne sont jamais que l'ex pression d'un certain type de rponse que l'on entend donner aux pro blmes. Parce qu'enfin le vritable dbat scientifique s'instaure au niveau des problmes et des diffrentes rponses qui y sont proposes

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    ainsi qu' celui du rapport entre ces rponses et le rel o s'origine le problme. Mettre chaque fois en vidence le couple problme-rponse et le dbat thorique et empirique qui s'labore son propos

    permet de constituer cette grille de comprhension, ce code pour d-chiffrer le sens du pas pas de la recherche dont dpend toute forma-tion authentique. C'est pourquoi nous avons demand aux auteurs derechercher moins fournir une information complte sur l'accumula-tion des rsultats partiels obtenus dans le domaine dont ils ont traiterqu' offrir un panorama des questions que l'on formule, rendre fami-lire la manire de soulever et rsoudre les problmes fondamentauxqui l'animent. Muni d'une telle grille, le lecteur pourra ensuite aller enqute d'informations complmentaires.

    Un tel point de vue excluait donc que l'on s'attacht fournir de la psychologie sociale une vue complte, non plus que de chaque do-maine un aperu exhaustif. Seuls ont t retenus les champs d'tudeles plus saillants actuellement. Pour deux raisons : d'une part le pro-grs dans la discipline ne s'opre pas de faon uniforme, dans un d-veloppement parallle de tous les secteurs, mais au contraire par laconcentration des efforts et de la production en certains points chaudsqui, en prise avec les problmes que pose la socit un moment donn de son histoire, occupent une position cl pour l'avancement desconnaissances. D'autre part, les secteurs saillants sont aussi les plusvivants, les mieux mme dillustrer la dynamique de la recherchefonde sur la controverse et le mouvement des ides.

    Pour rendre sensible cette volution des proccupations et de laconnaissance l'intrieur des divers champs examins, les auteurs oneu soin de retenir quelques paradigmes susceptibles d'en faire com- prendre la physionomie, cartant le compte-rendu de nombreux tra-vaux qui apparaissent [9] comme simples variations sur ces paradig-mes. Par exemple dans le domaine de l'influence on passera sur descentaines d'exprience qui ne font que broder autour du paradigme

    fondamental de S. Asch dont la prsentation et l'tude ont mrit parcontre l'approfondissement dans la mesure o il a orient tout lechamp de la recherche durant des dcennies. ct de ces paradig-mes, toute recherche ayant une valeur explicative sera expose avecassez de dtail et illustre avec assez de rsultats pour permettre que lelecteur en mesure la porte et en tire le parti souhait du point de vuede la pntration des problmes. Ces rfrences empiriques auront

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    pour la plupart un caractre exprimental; il ne s'agit pas l d'un part pris, mais du reflet d'un tat de la discipline qui rclame d'tre mieuxconnu et o l'exprimentation constitue la part la plus dynamique et la

    plus fconde d'un point de vue conceptuel. D'ailleurs les thories etmodles qui inspirent et sous-tendent les travaux dans les diffrentssecteurs de la recherche seront exposs leur propos. On ne trouveradonc pas de chapitres rservs exclusivement l'examen du corpusthorique et conceptuel disponible en psychologie sociale. En revan-che, dans chaque chapitre, la dmarche thorique sera prsente com-me elle l'est effectivement dans la pratique de la recherche et le lecteuen prendra connaissance comme elle y est mise en uvre. Ce faisant,et travers les diffrentes parties de l'ouvrage, il sera en mesure dedgager les courants conceptuels qui structurent aujourd'hui la psy-chologie sociale. Enfin, ct des rsultats les plus illustratifs oufrappants, des acquis exemplaires, on a voulu dgager une vue pros- pective sur le devenir de chaque domaine en faisant ressortir les ten-dances qui, actuellement sous-jacentes, naissantes ou dominantes, se-ront susceptibles d'orienter ses dveloppements futurs.

    Cette orientation commune dans la prsentation des champs rete-nus comme majeurs en psychologie sociale est la seule discipline col-lective laquelle les diffrents auteurs ont d se plier. Pour le reste, ilsont exprim librement les proccupations surgies de leur pratique dansle domaine dont ils avaient parler.

    Il et t vain en effet, de prtendre, l'instar de certains auteurs demanuels, qu'un ouvrage de cette sorte puisse fournir un expos dfini-tif et neutre de la science. Ceux qui font cette science forment eux-mmes une communaut vivante, anime de courants de pense etd'attitudes diverses, comme en tmoignent leurs travaux. Commentdonc attendre de ceux qui en parlent qu'ils accdent ce point de vuede Sirius. d'o le jugement domine hors de tout engagement personneou laisser qu'ils s'rigent en statue du Commandeur pour mesurer

    quelque modle aussi lointain qu'implacable les fruits de dbats incer-tains. Que l'on se penche sur le produit de semblables positions illu-soires et l'on dcouvrira vite les constructions d'un systme de lascience tout personnel, les distorsions d'une vue idiosyncrasique surl'tat du savoir. Nous avons prfr une autre sorte de vrit, sommetoute plus fidle ce qu'est le mouvement de la psychologie sociale

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    quitte encourir le risque de marquer l'ensemble de l'ouvrage de cer-tains biais.

    Un premier biais nous semble li au type de collaboration qui a t[10] demande aux auteurs, en leur qualit de personnes travaillanteffectivement sur les domaines qu'ils avaient prsenter. Un tel enga-gement apparaissait comme le garant de la comptence et une bonnevoie pour favoriser chez le lecteur une apprhension de l'intrieur des divers courants de recherche. Mais, pour cela, il fallait que soitloisible chacun de formuler sa propre perspective, le point de vueauquel son contact ou son affrontement avec les problmes de la re-cherche l'ont amen, tout comme les rsultats qu'il a lui-mme obtenusdans le cours de sa rflexion thorique ou de sa prospection empiri-que. Il en rsulte que se rvleront travers les chapitres des optiquesdes attitudes diffrentes; des donnes nouvelles aussi, des matriauxoriginaux non encore publis. Toutes choses qui, si elles amnent lesauteurs se dpartir d'une prtendue neutralit, constituent de vrita- bles contributions la science sous forme de controverses, de ques-tionnements ou sous forme d'apports indits dans les champs concer-ns.

    Le deuxime biais est relatif aux sources plutt continentales desrecherches cites en rfrence. On remarquera d'abord que les collaborations cette introduction manent surtout d'auteurs franais et euro- pens, ce qui dj implique une orientation nouvelle et originale parrapport celles des manuels couramment accessibles qui nous vien-nent en gnral des tats-Unis. De plus, il tait demand aux auteursd'insister davantage sur la littrature europenne que sur la littratureamricaine. Bien que cette perspective aille contre-courant de l'usa-ge, elle ne constitue pas un biais vritable. Nous croyons au contraireredresser par l une image fausse de la situation actuelle de la psychologie sociale. Sans nier l'apport dcisif des courants de recherche amricains, il est regretter qu'une attention aussi tnue ait t porte jus-

    qu' prsent la production europenne quantitativement non ngli-geable et qualitativement marque par une tradition culturelle fertileen rebondissements Pour la discipline. Passe que les manuels amri-cains ne mentionnent que leurs travaux nationaux, encore que l'on soien droit de s'tonner que n'y figure jamais aucune rfrence des pu- blications europennes. Mais il faut aussi constater que, malgr lesapparences, les personnes qui sont charges denseigner la psycholo-

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    gie sociale en Europe sont plus familires avec ce qui se passe auxtats-Unis qu'avec ce que produisent les chercheurs de leurs pays oudes pays voisins. Il nous a donc paru ncessaire dfaire porter l'accent

    sur ce qui est fait en Europe d'autant qu'un courant de pense et derecherche proprement europen commence se dgager et qu'il vautla peine d'en tenir compte. Sur ce plan, de mme que nous conseillonsau lecteur de se reporter aux manuels amricains, pour complter cequ'ils trouveront ici, de mme aimerions-nous recommander au publicamricain la lecture de ce livre pour s'informer mieux de la totalit duchamp de recherche.

    Un troisime biais dcoule d'un souci d'efficacit. Puisque l'ouvra-ge s'adresse un public franais, ses analyses ont t tayes de prfrence sur des emprunts faits des textes de langue franaise. En insistant sur les ouvrages et articles publis en franais, nous esprons ren-dre plus facile le recours direct la littrature laquelle nous introduisons. Au risque d'une limitation dans les rfrences proposes, nousvoyons l un [11] moyen d'inciter le lecteur se reporter des critsoriginaux, moins rebutants parce que comprhensibles immdiate-ment, et, peut-tre, de rendre l'enseignant sa tche plus commode.

    Ces diffrentes exigences ou contraintes ont t explicitement po-ses dans la conception mme de l'ouvrage. Mais il se peut que, parailleurs, l'examen de ses diffrentes parties rvle d'autres points deressemblances dans la manire des chapitres, ou d'autres convergencesdans les positions exprimes par certains auteurs, dans la mesure o beaucoup d'entre eux entretiennent des rapports scientifiques et tra-vaillent en un contact intellectuel troit. De mme dclera-t-on, ici el, des prises de position dpassant le cadre de la discipline et enga-geant une vue de la socit dans son ensemble. Le style de l'entrepriseimpliquait de telles ventualits quon ne peut proprement parler,qualifier de biais. D'une part, en effet, elles ne revtent aucun caract-re systmatique, nulle optique n'tant partage par l'ensemble des au-

    teurs; d'autre part, certaines manires de travailler et d'apprhender les problmes font partie de la conception mme que l'on se fait de la pratique scientifique, des convictions que l'on partage sur ce que doit trela science. Comme telles, elles devaient trouver ici le lieu d'une libreformulation. Mais, quelles qu'aient t les perspectives des auteurs,quelle que fut la slection opre dans les expriences ou thories pour favoriser l'accs l'essentiel de la psychologie sociale, on a tou-

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    jours eu soin de rapporter de faon complte et claire ce qui a tchoisi. Rien n'est dit de faon superficielle, allusive, sous-entendueAucune notion, aucun concept n'a t employ sans tre tout fait ex-

    plicit, clarifi, et le lecteur ne sera pas renvoy un texte diff-rent pour en saisir le sens. L'invite qui lui est faite de se reporter auxoriginaux lui sera bnfique pour l'approfondissement des problmesmais n'est nullement ncessaire pour leur comprhension.

    Du point de vue de l'organisation des chapitres, l'ouvrage a t di-vis en trois parties.

    La premire partie (qui fait la totalit du prsent volume, le tome I)rassemble les chapitres portant sur des phnomnes psychosociologi-ques de base : les processus d'quilibre cognitif, l'influence sociale, lesconflits, les processus d'attribution, le contrle cognitif, etc. De tels phnomnes, quelque chelle qu'ils soient envisags, sont fonda-mentaux dans la vie sociale et dcisifs eu gard la thorie. Leur d-signation comme objets centraux pour la psychologie sociale met djen jeu une dfinition de la discipline. Ceci implique galement quetout changement de perspective dans le traitement de l'un d'entre euxintroduit un point de vue diffrent dans l'approche de l'interaction so-ciale en gnral.

    Le tome II contiendra la deuxime et la troisime partie de l'ouvra-ge. L'ensemble des domaines classiquement rangs sous les vocablesde processus de groupe ou dynamique des groupes est abord dans ladeuxime partie : crativit et rsolution de problmes, pouvoir, dci-sion en groupe, communication, relations inter-groupe, leadership, etcL'optique adopte pour saisir ces divers phnomnes se focalise sur lefonctionnement des [12] petits groupes, des groupes informels ou surles relations interpersonnelles. Ceci ne veut pas dire que les rsultatsobtenus ce palier de la ralit sociale ne puissent tre extrapols un

    autre palier. Mais, actuellement, les conditions de validit de tellesextrapolations ne sont pas encore assures et il reste prfrable derendre compte des donnes constates au niveau o les analyses ont port.

    C'est une psychologie de la vie sociale qu'est dvolue la troisime partie : communication de masse, identit sociale, pense sociale, diffusion des connaissances, changement social, etc. On aborde l une

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    psychosociologie des phnomnes macro-sociologiques sur lesquelsles reprsentants de notre discipline ont, d'une certaine manire, vitde se pencher depuis vingt ans. Il serait temps que la psychologie so-

    ciale revienne des proccupations qui furent les siennes, en ses d- buts, et propos desquelles elle a beaucoup apporter. Sans prtendrepuiser l'ensemble des secteurs auxquels elle pourrait s'appliquer,nous avons voulu dsigner quelques-uns de ceux qui paraissent lafois heuristiques et importants.

    SERGE MOSCOVICI.

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    [13]

    Introduction la psychologie sociale.Tome I.

    Chapitre 1CHANGEMENT DATTITUDE

    ET ROLE PLAYING Jozef M. Nuttin Jr.

    1.0. Buts et limitation de ce chapitre

    Retour la table des matires

    Ce chapitre n'est pas destin des spcialistes. En effet, il ne vise pas dresser un tat de la question ni faire une valuation critique -la critique impliquant la spcialisation - des principales contributionsen matire de changement d'attitude . Il s'adresse tous ceux quidsirent s'initier une approche scientifique du problme fondamentaet passionnant que pose le changement d'attitude. Cette initiation,conue pour un vaste public d'intellectuels et plus spcialement d'tu-diants en sciences psychologiques et sociales, sera aussi peu techniqueque possible. Nous nous proposons avant tout de former le lecteur en

    lui montrant concrtement comment le chercheur essaye d'analyserune ralit sociale hautement complexe, dans le but de dvoiler leslois psychologiques qui la rgissent. Le lecteur sera ainsi confrontavec quelques rsultats fascinants d'une entreprise aussi audacieuseque prometteuse, et cela dans l'espoir de susciter des rflexions et desdiscussions, voire mme des vocations scientifiques.

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    Ce chapitre se limite toutefois une approche exprimentale etthorique du problme. Le lecteur ne trouvera dans les exemples choisis aucune tude purement descriptive, telle par exemple la description

    d'un changement ventuel de l'attitude de la jeunesse franaise envers1'unification de l'Europe, pas plus que des tudes corrlationnelles oudiffrentielles, comme par exemple l'tude de la relation entre lechangement de l'attitude envers l'Europe et des variables socio-conomiques ou des variables de personnalit.

    Le point de vue adopt en l'occurrence est plutt celui de l'tude dumcanisme, du processus du changement d'attitude en soi. L'objectifessentiel est en effet de comprendre, d'interprter le phnomne fon-damental du changement d'attitude en dehors de son contenu spcifi-que ou de ses dterminants concrets. Les concepts utiliss pour cettetentative, base sur la mthode diteexprimentale,sont emprunts principalement la psychologie gnrale.

    [14]Si notre chapitre se situe dans une approche thorique et expri-

    mentale, il faut cependant y ajouter une dernire limitation trs importante, indique par le titre mme et qui limine une grande partie desrecherches couramment classes sous la rubrique changement d'atti-tude , savoir les recherches orientes vers le problme de la modi-

    fication de l'attitude l'aide de communications persuasives. Le lec-teur trouvera des exemples de changement d'attitude dans le contextede la communication aux chapitre 5 et 6 du volume II, qui portesur la communication sociale.

    Dans la premire partie de notre expos, nous nous bornerons la prsentation pure et simple de quelques faits, constats avec une ri-gueur scientifique. Ces faits sont choisis en tant qu'indices concrets etvaris du phnomne que constitue le changement d'attitude.

    La deuxime partie sera consacre l'laboration du concept scien-tifique de l'attitude sociale et la formulation gnrale du problme deson changement.

    Dans une troisime partie, nous allons examiner comment le psy-chologue social tche de progresser vers une solution scientifique - etdonc provisoire - des problmes que posent les diffrents phnomnesenregistrs.

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    Dans la partie finale du chapitre, nous essayerons de commenterl'importance fondamentale de ce type de recherche ainsi que certaines perspectives d'application.

    1.1. Quelques constatations scientifiquesincitant la rflexion

    1.1.1. L'effet produit par l'improvisation d'un faux plaidoyer sur l'cran de la tlvision1

    Retour la table des matires Jean-Marie, qui fait la deuxime anne de chimie l'Universit de

    Louvain (K.U.L.), est un tudiant progressiste. Tout comme la grandemajorit de ses amis, il se proclame fervent partisan de la rforme del'enseignement universitaire et il tient particulirement un dbut derforme rcemment introduit dans le systme d'examen. Nous sommesen pleine priode de contestation universitaire, quelques mois aprs larvolte de mai Paris, et Jean-Marie n'hsiterait pas protester avec

    vhmence dans la rue au cas o les autorits acadmiques dcide-raient de retourner l' ancien systme en cette matire. Si on luidemandait de se situer sur un continuum allant de trs fortementcontre - fortement contre - contre - plutt contre - neutre - plutt pour- etc. jusqu' trs fortement pour l'ancien systme d'examen , il sedclarerait sans [15] l'ombre d'un doute trs fortement ou forte-ment contre ce systme d'examen inhumain , conservateur et dpass .

    Un jour,aprs avoir particip volontairement une recherche psy-

    chologique, il rencontre par hasard une jeune femme qui l'invite aima blement participer une srie d'missions de la T.V. belge, consa-cre aux grands problmes de l'actualit, et plus spcialement une

    1 Une description complte de cette recherche trs complexe est donne dansle volume Attitude Change after Rewarded Compliance : Evidence for anon-cognitive Dissonance Theory Par NUTTIN Jr J. M., (avec la collabo-ration de BECKERS Annie). Leuven University Press, 1972 (sous presse).

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    mission sur la rforme du systme des examens universitaires. AprsJ'avoir conduit dans un studio de T.V. improvis, o Jean-Marie sevoit immdiatement sur l'cran du moniteur, elle lui explique qu'outre

    des professeurs d'Universit et des spcialistes internationaux, plu-sieurs tudiants sont interviews pour cette mission et qu'elle appr-cierait sa collaboration. Elle souligne toutefois que sa collaborationn'est valable que s'il accepte de tenir un fervent plaidoyer en faveur del'anciensystme d'examen, et donc contre la rcente rforme universi-taire en cette matire. Elle motive cette restriction en invoquant le faique les tudiants interviews prcdemment avaient tous dfendu larforme, et que la discussion profiterait d'un plaidoyer allant dans l'autre sens. Notre interviewer prcise en outre que Jean-Marie disposeraide quelque temps pour prparer son plaidoyer qui ne pourrait durer plus de cinq minutes et dans lequel il ne peut formuler aucun argu-ment en faveur de la rforme. Il lui est dfendu de se distancer du plaidoyer, son rle tant effectivement celui d'un tudiant conserva-teur. En guise de dmonstration, le magntoscope fait apparatre surl'cran le visage d'un journaliste trs connu dans les milieux universi-taires annonant de sa voix professionnelle Et maintenant, aprsavoir vu quelques tudiants qui se sont poss en dfenseurs convain-cus de la rforme des examens, nous allons couter un tudiant qui prend la dfense de l'ancien systme. Et l'exprimentatrice de dire

    C'est ici que votre plaidoyer interviendra dans le montage . L'inter-viewer ajoute qu'avant de commencer l'enregistrement proprement ditelle prsentera Jean-Marie au public des tlspectateurs en lui posantdes questions sur son identit (nom, domicile) et les tudes qu'il fait l'Universit de Louvain. Enfin elle lui dit que la B.R.T. (Office Natio-nal Flamand de Radio et de Tlvision Belge) est dispose le payer20 FB (2 FF) pour sa collaboration.

    Ds le dbut de la conversation, l'interviewer avait insist plu-sieurs reprises sur le fait que Jean-Marie doit se sentir tout fait librede s'engager ou non dans cette collaboration, et ce n'est qu'aprs avoirdonn des informations compltes sur ce qu'on attendait de lui qu'elledemande son accord formel. Jean-Marie accepte l'engagement, reoitles 20 FB promis et prpare son plaidoyer durant 15 minutes. L'inter-viewer enregistre ensuite ce plaidoyer sur magntoscope, tandis queJean-Marie s'observe loisir sur l'cran. L'interviewer l'invite r-couter et revoir l'enregistrement pour qu'il se rende bien compte

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    que la B.R.T. dispose dornavant de son plaidoyer anti-rforme quisera utilis prochainement lors d'une mission sur la chane nationale.

    Notre interviewer remercie enfin Jean-Marie d'avoir prt sonconcours et elle lui demande aimablement et avec naturel quelle est sa[16] propre opinion concernant le systme d'examen. Si je trace uneligne horizontale (ce qu'elle fait sur un bout de papier) allant de tout fait contre jusqu' tout fait pour l'ancien systme (un conti-nuum de 17 points quidistants) o vous situez-vous vous-mme ?

    Jean-Marie prend le crayon de son interviewer et se situe non pasdans la zone extrme trs fortement contre ou fortement contre comme il l'aurait fait avant sa collaboration, mais bien plus prs de lazone neutre du continuum, savoir dans la zone plutt contre .

    Nous prtendons que l'attitude de Jean-Marie envers le systmed'examen a nettementchangen comparaison de ce qu'elle tait unedemi-heure auparavant.

    Cette assertion n'est pas gratuite. Elle est base sur une stratgiescientifique. En effet, le cas de Jean-Marie n'tait pas un cas isol qui pourrait tre class comme exceptionnel. Notre interviewer, en l'oc-currence Mme

    L'essentiel en est que Jean-Marie et dix autres tudiants avaient tslectionnsau hasard parmi un groupe de plusieurs centaines d'tu-diants. Tous ils se sont trouvs individuellement dans une situationidentique, et tous ont rpondu l'invitation de l'exprimentatrice quiavait pris les dispositions ncessaires pour que personne ne se croit sujet ou cobaye d'une exprience scientifique. L'opinion attri- bue ci-dessus Jean-Marie est en ralit la moyenne des rponsesdonnes par ce groupe de onze tudiants et nous constatons clairemenque ces rponses sont trs diffrentes de celles fournies par onze au-tres tudiants - le groupe tmoin - eux aussi pris au hasard parmi lamme population statistique et qui tous, sans exception, ont rponduindividuellement la mme exprimentatrice qu'ils taient trs for-tement ou fortement contre l'ancien systme d'examen. Dans legroupe exprimental - celui qui avait tenu un plaidoyer devant la T.V.- deux tudiants seulement se situaient dans la zone occupe par legroupe tmoin.

    Annie Beckers, avait prpar avec soin une rechercheexprimentale extrmement complique que nous ne pouvons relaterici que trs fragmentairement.

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    L'unique diffrence entre ces deux groupes tait que les tudiantsdu dernier groupe n'avaient pas t invits improviser un faux plai-doyer avant d'exprimer leur opinion sur le systme d'examen. La

    comparaison entre les rponses donnes la question trs fortementcontre - trs fortement pour par ces deux groupes quivalents nous permet de conclure que le premier groupe achangson attitude et ce cause d'un ou de plusieurs facteurs manipuls exprimentalement danla condition faux plaidoyer devant la T.V. .

    Notons que le fait que ces deux groupes d'tudiants ont exprimdes opinions en moyenne trs diffrentes ne peut tre imput un phnomne artificiel du laboratoire. Aucun des tudiants examins nese croyait sujet dans une situation de recherche. Tous les membresdu groupe exprimental avaient librement consenti participer unemission de T.V. qu'ils considraient comme trs relle. En outre, onne peut objecter qu'il s'agit ici de deux types d'tudiants : les tudiantsdu groupe [17] exprimental comme ceux du groupe tmoin taientchoisis au hasard parmi la mme population d'tudiants masculins dela deuxime candidature en sciences. Seul le traitement exprimentatait diffrent pour les deux groupes. Ce sera donc dans les caractris-tiques concrtes et formelles de ce traitement qu'il faudra chercher larponse la question : quoi est d ce changement ? Comment peuton l'interprter ?

    Il est vident que le problme est trs complexe et peine pos. Nous nous limitons pour le moment la prsentation du phnomneAvant de nous arrter une deuxime srie d'observations, remar-quons toutefois qu'il n'y a pas lieu de considrer ce phnomne duchangement (observ indirectement ou dduit de la comparaison entrele groupe exprimental et le groupe tmoin) comme une raction pas-sagre. En effet, cinq semaines plus tard, ces mmes tudiants furentde nouveau invits exprimer leur opinion sur une chelle analogueQuoique de multiples prcautions aient t prises pour que les tu-

    diants ne se rappellent pas la rponse donne lors de la premire exprience, nous avons constat que la diffrence entre ces deux groupesdemeurait trs significative.

    Les faits sont l, provoqus et enregistrs avec grand soin. Ils nous posent bien des problmes auxquels nous reviendrons par la suite.

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    1.1.2. L'effet produit par la dramatisation des consquences cancrignes des cigarettes

    Retour la table des matires

    Notre deuxime srie de faits consigns avec rigueur est tire de latrs riche collection d'expriences publie par le Laboratoire de Yale -dans la tradition des fameux Yale Studies in Attitude and Commu-nication - et plus prcisment des tudes effectues par Janis etMann (1965 et 1968).

    Les sujets qui ont particip volontairement cette expriencetaient des tudiantes amricaines (E.-U.) d'environ vingt ans, qui, en juillet 1963, fumaient toutes un minimum de 15 et en moyenne quel-que 23 cigarettes par jour.

    Pour des raisons de clart, nous nous bornerons prsenter iciquelques faits constats chez 25 de ces tudiantes rparties au hasarden deux groupes : un groupe tmoin A ( N = 13) et un groupe expri-mental B (N= 12). Ces deux groupes s'avraient tre parfaitementquivalents non seulement quant leur degr d'asservissement lacigarette, mais encore pour ce qui est de leur niveau socio-

    conomique, leur niveau d'intelligence et de scolarit.En janvier 1964, le Ministre de la Sant Publique des tats-Unis

    lance la plus grande campagne jamais entreprise contre l'usage de lacigarette en donnant une trs grande publicit au Surgeon General'sReport on Smoking and Health .

    Deux mois plus tard, en mars 1964, nos chercheurs examinent chezles deux groupes de sujets dans quelle mesure ils ont pris connaissan-ce des principaux arguments exposs dans ce rapport. Les rsultatssont trs [18] satisfaisants et - ceci est important - les deux groupes peuvent tre considrs comme quivalents quant l'informationqu'ils ont acquise ce sujet. Les conclusions scientifiques du rapportet les arguments utiliss lors de la campagne sont donc assimils undegr comparable par les membres des deux groupes.

    la mme occasion, les chercheurs examinent la consommationde cigarettes, tout comme ils l'avaient fait en juillet 1963, et constaten

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    que le groupe exprimental B a rduit sa consommation de plus de lamoiti (de 23 10 cigarettes par jour), tandis que la rduction obser-ve parmi le groupe tmoin est infrieure au quart ( peu prs 5 ciga-

    rettes de moins par jour).Et qui plus est, 10 mois plus tard, en janvier 1965, nos chercheursconstatent que la consommation journalire du groupe tmoin est re-devenue identique celle de 8 mois avant la campagne anti-cigarette(23 cigarettes par jour). Le niveau du groupe exprimental, par contrese maintient aux environs de la moiti, savoir 11 cigarettes par jour.

    D'aprs ce qui prcde, il est vident que cette diffrence consid-rable dans la rduction du nombre de cigarettes ne peut tre imputeaux caractristiques de la campagne nationale, ni au degr d'assimila

    tion des arguments propags.Ces diffrences (maintien ou rduction du nombre de cigarettes) ne

    s'expliquent que si l'on rattache ces faits une autre srie de constata-tions, enregistres par ces mmes chercheurs sur les sujets du groupeexprimental cinq mois avant la publication du rapport gouvernemen-tal. ce moment, l'exprimentateur avait invit chacune des tudian-tes du groupe B jouer durant une demi-heure le rle d'une maladeayant subi un examen mdical trs complet et qui suppliait son mde-cin (rle jou par l'exprimentateur) de lui dire la vrit. Dans une mi

    se en scne trs raliste et dramatise, le mdecin prononait alors leverdict cancer du poumon en insistant sur la ncessit d'une inter-vention chirurgicale accompagne d'une hospitalisation minimum de 6semaines. Il affirmait galement avec certitude que la survie de sa pa-tiente tait conditionne par l'abandon total des cigarettes. L'tudiantequi jouait le rle actif de la malade, tait invite non seulement posede nombreuses questions sur son tat, les origines et les consquencesde l'opration, mais devait aussi exprimer ses penses et ses motionstel un psychodrame classique.

    La sance termine, l'exprimentateur posait nouveau les ques-tions qu'il avait dj formules avant la sance dramatique. Ce sont prcisment les diffrences, impliquant un changement, entre les r- ponses donnes avant et aprs la sance qui constituent, la deuximesrie de faits que nous voulons prsenter.

    Les catgories de questions qui nous intressent ici sont celles quiont rapport : 1) la conviction du sujet que la cigarette est cancrig-

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    ne; 2) au sentiment de peur que le sujet prouve envers le danger quereprsente la cigarette et 3) au dsir d'abandonner ou de diminuer saconsommation de cigarettes.

    [19] Notons au pralable que ces trois catgories de questions corres-

    pondent aux trois dimensions de l'attitude que l'on distingue couram-ment, savoir les composantescognitives-valuatives (les croyanceset attentes, opposes l'information neutre) ; les composantesaffecti-ves-motionnelles et les composantesconatives(l'orientation vers l'ac-tion).

    Sans entrer dans le dtail et en omettant les donnes statistiques,nous constatons pour chacune des trois catgories de rponses un d- placement trs significatif vers le ple ngatif du continuum pour-contre la cigarette . Ces constatations nous permettent de conclureque les sujets :

    1) sont devenus plus convaincus du danger de la cigarette;2) ont une plus grande peur du cancer du poumon;3) sont plus dsireux d'arrter ou de diminuer leur consomma-

    tion de cigarettes.

    Nous voici donc confronts une fois de plus avec un changementsoudain, frappant et durable dans ce que les hommes pensent, sententet dsirent, et cela aprs un traitement exprimental qui ne prend quequelques minutes. N'oublions pas non plus que, dix-huit mois plustard, ces mmes tudiantes chez qui ce changement d'attitude avait tconstat ne fumaient en moyenne plus que 11 cigarettes par jour, tan-dis que celles du groupe tmoin, qui n'avaient subi aucun traitementen 1963, continuaient fumer plus du double.

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    1.2. L'attitude sociale et le problmede son changement

    1.2.1. Dlimitation du concept

    Retour la table des matires

    Nous venons de constater que les rponses donnes aux questions tes-vous pour ou contre l'ancien systme d'examen ? et tes-

    vous pour ou contre la cigarette ? subissent une modification trssignificative la suite d'un processus dclench par les traitementsexprimentaux dcrits ci-dessus. Quel est prsent le statut concep-tuel de ces rponses ?

    Il est vident que les donnes de base des recherches relates sontdes ractions comportementales. C'est le comportement rponse une question pose par l'exprimentateur qui est chang. Notons quele changement de ce comportement ne peut tre attribu un changement du stimulus ou de la situation comportementale. En effet, lesquestions et la situation concrte dans laquelle la rponse est provo-que sont parfaitement identiques pour les groupes exprimentaux etles groupes tmoins. Aussi les variables de personnalit et d'exprien-ces individuelles antrieures ne peuvent-elles influer d'une faon sys-tmatique sur les diffrences entre les rponses qui ont t fournies.

    La seule catgorie de facteurs qui puisse tre invoque est la mani- pulation [20] exprimentale de ce qu'on pourrait appeler le traitemen pr-situationnel, pr- signifiant antrieur par rapport la situationconcrte dans laquelle la rponse est provoque. Pour les recherchesen question, ces facteurs exprimentaux pr-situationnels sont contr-ls par le chercheur, et c'est prcisment leur effet rsiduel qui a d-termin les rponses, donnes de base de notre analyse.

    Soulignons ici que la validit de ce raisonnement dpend de la neu-tralit des facteurs situationnels, c'est--dire que les caractristiquesvaluatives (qui indiquent la valeur que l'objet a pour la personne) dela rponse doivent tre dtermines au strict minimum par ces facteur

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    situationnels. Ils peuvent bien sr dterminer les caractristiques non-valuatives, par exemple la langue dans laquelle la rponse est don-ne, ou les composantes motrices de la rponse (crite, orale, au

    moyen d'un bouton, etc.). Il importe cependant que l'exprimentateuret tous les autres facteurs de la situation (externe ou interne) dtermi-nent aussi peu que possible - et idalement en aucune mesure - le de-gr de pour ou de contre , c'est--dire les caractristiques va-luatives de la rponse fournie par le sujet.

    Si ces conditions sont ralises, nous avons affaire une catgoriede ractions comportementales d'une utilit particulire pour la psy-chologie sociale. Il s'agit en effet d'un comportement qui, dans ses ca-ractristiques valuatives, est dtermin au minimum par la situationconcrte dans laquelle il est provoqu et au maximum par des facteursque nous avons appels pr-situationnels. Ce comportement sera donc particulirement rvlateur d'un tat, d'une disposition du sujet parrapport l'objet de la question.

    Remarquons que la question pose doit tre du type valuatif et au-ra donc trait ce qu'on pense de, ce qu'on sent pour ou ce qu'on dsirefaire par rapport un objet (personne, chose, ide, etc.) de valeurcontestable.

    Nous appelons la rponse que donne le sujet dans ces conditions de

    dtermination valuative maximale par des lments pr-situationnelsune rponse, une raction ou un comportement attitudinal .L'attitude sociale sera ds lors cette variable psychologique induite

    d'une ou d'une srie de ractions attitudinales ou, pour prciser davan-tage, d'une ou d'une srie deractions valuatives a-situationnelles.Le terme a-situationnel pourrait se traduire en anglais par situa-tion free , ce qui ne signifie pas que la raction a lieu dans le vide,mais plutt in vitro , c'est--dire dans une situation cre par lechercheur de telle faon qu'elle ne comporte qu'un minimum de d-

    termination valuative. Le terme situation free est utilis par ana-logie avec culture free test , test qui permet de mesurer la variabled'intelligence au moyen d'un instrument qui ne prsente qu'un mini-mum de facteurs culturels.

    Illustrons la distinction que nous venons d'tablir par un exempleconcret : lorsqu'un directeur demande sa secrtaire si elle aime sontravail, la rponse de la secrtaire, si nuance soit-elle, n'est pas un

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    comportement attitudinal, tout comme la participation une manifestation [21] ou la clbration d'un service religieux ne constituent pas pour autant des comportements attitudinaux. Ce sont l des ractions

    comportementales situationnelles, dont l'interprtation valuative ris-que d'tre dtermine par des facteurs situationnels proprement dits.La rponse positive de la secrtaire peut tre attribue au dsir de plaire son patron. Le comportement du contestataire et du dvot est peut-tre motiv par une pression sociale quelconque. Si les rponsesattitudinales, dans les trois cas prcits, taient mises dans une situa-tion o le dsir de plaire et les autres pressions sociales auraient tsoigneusement carts, elles pourraient rvler une attitude bien diff-rente de celle qu'on serait tent d'infrer des ractions comportementales observes.

    Cette distinction entre raction attitudinale et raction comporte-mentale par rapport un mme objet de valeur contestable n'est passans importance pour la psychologie sociale. Il ne nous appartient pasd'esquisser ici l'historique du concept d'attitude qui remonte aux origines mmes de la psychologie exprimentale (voir entre autres Mosco-vici (1962). Si la psychologie sociale attache tant d'importance auconcept d'attitude sociale (voir entre autres Moscovici (1963), McGuire (1966 et 1969 , c'est prcisment parce que les socio-psychologuess'intressent avant tout l'tude scientifique du comportement social(le comportement pour autant qu'il est dtermin par le comportementdes autres), et parce que ce comportement est conu comme rsultantd'une dtermination extrmement complexe dont un des facteurs prin-cipaux est le rsidu valuatif de comportements antrieurs.

    Il est en effet trs frappant de constater chez un mme individucombien les multiples comportements qu'il met par rapport un m-me objet ou catgorie d'objets sont caractriss par une constance valuative qui contraste avec la varit considrable des stimuli concretsque prsente la situation comportementale. Nous constatons en mme

    temps une grande diversit inter-individuelle dans le comportementmalgr l'identit vidente des situations comportementales envisagesPrenons l'exemple du comportement l'gard des cigarettes : certainsindividus n'accepteront jamais de cigarette, quelle que soit la situationtandis que d'autres profiteront de chaque occasion pour fumer. L'ex- plication de cette constance intra-individuelle et de la grande variabilit interindividuelle ne profitera certes pas beaucoup d'une analyse

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    fouille des facteurs situationnels tels le comportement d'autres per-sonnes prsentes, les cigarettes porte de la main, etc.

    Ces phnomnes de constance et de variabilit trouveront pluttleur claircissement dans les comportements antrieurs ou ce que l'on pourrait appeler l'histoire comportementale des individus examinsvis--vis de l'objet cigarette . Plusieurs processus psychologiques,tels l'apprentissage d'habitudes, la cration et la satisfaction de be-soins, les informations acquises sur l'objet, etc., jouent ici un rle d-cisif. Et c'est dans un essai d'conomie scientifique que l'on croit utiled'intgrer les effets rsiduels valuatifs de ces expriences antrieuresdans le concept d'attitude vis--vis de l'objet en question. L'tude desattitudes sociales [22] par l'intermdiaire des ractions attitudinales provoques par le chercheur devrait donc permettre une meilleurecomprhension du comportement social qui parat lui-mme dtermi-n en grande partie par cette disposition valuative pr-situationnelle.

    1.2.2. Le problme du changement d'attitude

    Retour la table des matires

    Le lecteur se rendra compte de l'ambition dmesure dont le cher-

    cheur fait preuve en utilisant le concept d'attitude sociale dans sa ten-tative d'expliquer et de prdire le comportement. Il ne faut pas trespcialiste en la matire pour saisir les difficults normes qui se po-sent au chercheur. Une attitude, si stable soit-elle, est par dfinitionune variable dynamique, dont le dveloppement est conditionn partoute exprience se rapportant l'objet de l'attitude. Tout comme uneattitude nat et se dveloppe, la suite d'interactions cognitives, affec-tives et comportementales avec un nouvel objet, l'attitude stabilisedemeure expose un apport nouveau d'informations, d'expriencesmotionnelles et comportementales relatives au mme objet ou lamme catgorie d'objets (personne, valeur, etc.). En ralit, une attitu-de ne peut se former, se dvelopper et changer qu'en fonction d'inte-ractions comportementales directes ou indirectes avec son objet, d'ola difficult inhrente la diffrenciation du changement du compor-tement et du changement de l'attitude.

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    Ce problme n'est-il pas un faux problme cr par une distinctionartificielle entre attitude et comportement ? Ce point de vue est dfendable. Toutefois, on peut galement prciser la problmatique en ana-

    lysant ce que nous avons appel lecomportement attitudinalqui estun phnomne comportemental en soi et dont on peut supposer queson explication psychologique se fonde prcisment sur ce rsidu valuatiforganiset structurdes comportements antrieurs. Ainsi, l'ana-lyse de cette disposition stabilise, structure et organise nous am-nera la dcouverte des lois qui rgissent le changement des ractionattitudinales. Ds que la psychologie sociale aura acquis une connais-sance suffisante de la faon dont les diffrents aspects cognitifs et af-fectifs de ce systme s'agencent, nous pourrons franchir une tapedans l'tude du changement du comportement attitudinal et, partantdans l'tude du changement du comportement tout court. Ceci supposevidemment que nous soyons mme de dvoiler les relations entrece comportement et l'attitude prexistante ou encore entre le compor-tement situationnel et le comportement valuatif a-situationnel.

    L'approche scientifique du problme du changement de l'attitude sefonde donc sur la conviction que l'homme change travers ses actes eque les consquences ou les rsidus valuatifs de ses comportementssuccessifs s'organisent dans un systme stable et dynamique, qui sontour dtermine en partie les comportements valuatifs ultrieurs. D-couvrir les lois gnrales de l'organisation et du changement de cesystme (abstraction faite du contenu concret de l'objet de l'attitude)constitue une des proccupations centrales de la psychologie sociale.

    [23]Concrtement, on peut entamer cette entreprise en essayant d'iden-

    tifier soigneusement les facteurs qui dterminent les changementsdans de multiples catgories de ractions attitudinales. La troisime partie de notre chapitre sera consacre l'exposition de deux exempled'une telle approche, savoir une premire analyse, trs rudimentairede facteurs affectifs-motionnels, et une seconde analyse, plus pous-se, de facteurs cognitifs.

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    1.3. Vers une interprtation scientifiquedu changement d'attitude

    1.3.1. Le role playing motionnel et le changement d'attitude vis--vis de la cigarette

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    Le lecteur se souviendra que Janis et Mann avaient invit des su-

    jets, adonns la cigarette, dramatiser le rle d'une malade qui ve-nait d'apprendre qu'elle souffrait d'un cancer du poumon.L'exprimentateur avait, sous un prtexte plausible, enregistr les

    rponses attitudinales avant et aprs la sance. L'analyse statistiquedes diffrences entre ces rponses dmontrait avec la clart voulueque les sujets se prononaient plus nettement contre la cigarette aprsla sance. Leur attitude avait chang, et cela aussi bien dans ses di-mensions cognitives et affectives que conatives. L'effet le plus saisis-sant de cette recherche ne fut toutefois pas le changement de l'attitude

    mais bien le changement dans le comportement mme de ces tudian-tes. Leur consommation de cigarettes s'tait rduite de 50% et cet effetait rest inchang lors d'une nouvelle enqute mene un an et dem plus tard. Un groupe de contrle, qui n'avait pas particip - ni activement ni passivement - la sance derole playing motionnel, avaitmanifest un lger changement dans le comportement suite la cam- pagne nationale contre l'usage de la cigarette, mais cet effet fut lgeret disparut compltement avant la fin de l'exprience.

    Le lecteur qui se rend compte de ce que signifie une rduction

    moyenne et permanente de 50% dans la consommation de cigarettessera, juste titre, stupfait du rsultat de ce brefrole playing motion-nel. Le contraste avec la vaste campagne nationale, qui n'aboutit qu'une faible rduction passagre, est particulirement frappant.

    Avant de nous interroger sur l'interprtation des phnomnes enre-gistrs, il nous parat souhaitable de rassurer le lecteur sceptique qui pourrait mettre en doute la validit mme des donnes exprimentales

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    allguant que les chercheurs n'ont pas constat de manire directe lechangement intervenu dans le comportement. En effet, ceux-ci se son borns interroger les sujets sur la quantit de cigarettes qu'ils fu-

    maient et on pourrait objecter que les rponses verbales ne conciden pas [24] ncessairement avec la ralit. La rfutation de pareil argu-ment peut tre double : (1) l'interviewer qui a recueilli les donnesfinales de cette exprience (dix-huit mois aprs la sance exprimen-tale) n'avait pas particip aux autres phases de la recherche, et il avait pris toutes les prcautions ncessaires pour que les sujets ne peroi-vent aucune relation entre l'interviewer et lerole playing motionnel ;(2) mme si le nombre de cigarettes mentionn dans la rponse neconcorde pas avec la quantit que le sujet fume effectivement, il nousfaut expliquer la diffrence considrable que nous observons entre lesrponses fournies par le groupe tmoin et celles du groupe exprimental. On ne voit pas pourquoi le groupe tmoin dirait la vrit tandisque le groupe exprimental tromperait un interviewer qui, dans lesdeux cas, tait parfaitement dissoci de la premire phase de la re-cherche. Le sceptique le plus obstin demeurerait confront avec lefait incontestable que les sujets du groupe exprimental prtendentfumer beaucoup moins, et notre avis, ce phnomne vaut lui seulla peine d'tre examin.

    Voyons maintenant comment Janis et Mann ont essay d'interpr-ter et d'analyser davantage les rsultats de cette recherche.

    Il importe d'abord de remarquer que, contrairement la deuximesrie d'expriences que nous allons prsenter dans cet article, le prin-cipal point de dpart ne se situe pas ici dans une thorie gnrale surle changement d'attitude, dont on aurait voulu vrifier l'une ou l'autredduction. Il a plutt t choisi de manire arbitraire dans le vaste r- pertoire de problmes concrets qui proccupent la socit et pour lasolution desquels cette socit attend, juste titre, la collaboration dechercheurs en psychologie sociale.

    Nos auteurs, s'intressant au problme du changement d'attitude, sesont demands pourquoi les campagnes d'information sur le danger den'importe quel type d'asservissement n'aboutissent gure une modi-fication durable des attitudes et du comportement. Ils furent toutefoisimpressionns par les rapports publis sur des cas individuels deconversion soudaine de grands fumeurs qui, d'un jour l'autre, ontrussi abandonner la cigarette. L'analyse de ces rapports semblait

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    indiquer l'importance du contact personnel et direct avec des victimesdu cancer, et plus spcialement des victimes avec qui une certaineidentification ou exprience de similitude avait t possible. Cette ex

    prience directe des consquences dsastreuses de la cigarette auraiun effet trs diffrent de celui que produit l'information statistique surle malheur qui touche des individus anonymes. On est confront avecune catastrophe qui aurait tout aussi bien pu s'abattre sur soi-mmeLe danger, d'abstrait et de lointain, devient une menace concrte quenon seulement on ne peut plus ignorer, mais qui, surtout, suscite unevive motion. Et ce serait ce choc motionnel qui dclencherait alorsle processus du changement d'attitude qui doit conduire une protec-tion efficace contre le danger menaant.

    Ce raisonnement, aussi peu compliqu qu'il soit, a inspir noschercheurs une exprience o les sujets seraient amens jouer le r-le, extrmement dramatis, d'une victime avec qui l'identifications'avrait assez [25] facile vu la ressemblance essentielle, le sujet et lavictime tant tous deux de grands fumeurs.

    Nous avons dj prsent les principaux rsultats de cette exp-rience. Toutefois, une interprtation fonde sur le sentiment de peurexcit la suite durole playing motionnel, implique au moins uneanalyse de contrle par la comparaison de ces donnes avec les rsul-tats obtenus chez des tudiantes n'ayant pas jou elles-mmes le rledramatis, mais chez qui l'exprience cognitive fut tous points devue semblable celle de la condition exprimentale. Dans ce but, untroisime groupe(C) d'tudiantes fut invite juger individuellement laqualit de la performance et l'intensit de l'motion vcue par un sujetdu groupe exprimental, dont la scne derole playing motionnel, particulirement russie, avait t enregistre. Ce groupe de juges(C) avait donc t expos l'ensemble des informations manant durole playing motionnel, sans toutefois avoir prouv l'exprience mo-tionnelle directe de l'actrice.

    Les rsultats en matire de changement dans les rponses attitudi-nales - recueillies avec soin de ce groupe de juges - sont particulire-ment frappants.

    Pour ce qui concerne la conviction des sujets que la cigarette estcancrigne et le sentiment prouv envers le danger que reprsente lacigarette, les ractions attitudinales moyennes d'avant et daprs la

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    sance exprimentale sont identiques. Quant la dimension conativede l'attitude envisage, c'est--dire l'intention exprime de rduire oud'abandonner la consommation de cigarettes, nos chercheurs consta-

    tent un lger changement, non-significatif, dans ce sens. Notons en passant que l'utilit des donnes de comparaison four-nies par ce groupe(C)ne rside pas seulement dans le fait que l'aspectinformatif de la sance dramatique n'a aucune valeur explicative, maisque les donnes recueillies auprs du groupe exprimental(B) ne doi-vent pas tre attribues la complaisance des sujets pour l'exprimen-tateur ( Demand characteristics, voir M.T. Orne (1962)). Si lessujets voulaient faire preuve d'un changement dans leurs rponses pour plaire aux chercheurs, on ne voit pas pourquoi ce serait prcisment le cas pour les sujets du groupe B, tandis que ceux du groupeC ne manifesteraient aucun changement.

    La comparaison des rsultats obtenus auprs du groupe juges passifs (C) avec ceux, trs significatifs, de la condition role playing motionnel , tmoigne de l'efficacit toute particulire decette technique pour provoquer le changement d'attitude.

    Nous tenons souligner ici l'importance que revt la notion d'atti-tude : l'motion prouve peut tre considre non seulement commecausant un changement dans la raction motionnelle provoque par

    la cigarette, mais elle dclenche rellement le changement d'attitudevis--vis de ce mme objet. Le phnomne est en effet plus complexequ'un simple conditionnement d'vitement o on utilise des stimulirpulsifs primaires pour conditionner toute une srie de stimuli neu-tres en stimuli rpulsifs secondaires.

    [26]Cette complexit se manifeste dans le fait que les opinions, ou

    composantes cognitives-valuatives de l'attitude, ont elles aussi chan-g, et cela uniquement pour ce qui est du groupe exprimental role playing motionnel . Quoique le groupe de juges, exposs passive-ment l'enregistrement sonore durole playing, ait assimil la mmeinformation que les sujets de la condition exprimentale, nous constatons des diffrences trs nettes dans ce que, la sance termine, cesdeux groupes d'tudiantes pensent sur le problme de la relation ciga-rette-cancer. Par exemple, les juges passifs taient plus convaincus, etde manire significative, que : 1) la relation causale entre la cigarette

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    et le cancer n'est pas prouve scientifiquement; 2) la prdispositionhrditaire est le facteur le plus important; 3) la mortalit par le cancerdu poumon est exagre; 4) la cigarette n'est qu'un risque parmi beau

    coup d'autres qu'offre la condition humaine...Ceci dmontre que ce n'est pas seulement le degr d'motion susci-t par des stimuli rpulsifs qui a chang, mais bien tout un systme decognitions et d'motions interdpendantes. C'est prcisment l querside l'intrt scientifique de la notion d'attitude sociale.

    Quant la relation entre le changement de l'attitude et le change-ment du comportement situationnel vis--vis de la cigarette, nousavons dj mentionn les rsultats fascinants obtenus pour le groupeexprimental(B) et pour le groupe tmoin(A) qui n'avait jamais t

    expos, ni activement ni passivement, aurole playingmotionnel.Comme il n'y a pas lieu de supposer que les situations comportemen-tales concrtes ont uniquement chang pour les tudiantes du groupeexprimental (cigarettes porte de la main, etc.), on peut admettre la plausibilit de l'hypothse selon laquelle ce changement dans le com portement est une consquence de la disposition valuative pr-situationnelle. elle-mme modifie par l'motion suscite durant l'ex- prience.

    Le lien entre attitude et comportement est plus complexe que le

    lecteur des publications de Janis et Mann pourrait le supposer. Preuveen est le changement durable observ dans le comportement situationnel des juges passifs .

    Ce changement dans la consommation effective de cigarettes futmoins impressionnant que celui du groupe exprimental, mais il per-sista cependant jusqu' la fin de l'exprience, dix-huit mois plus tardLe lecteur se rappellera qu'on avait constat un changement dans lesrponses attitudinales relatives l'aspect conatif de l'attitude inten-tion de diminuer la consommation de cigarettes). Ce changement n'at-

    teignit pas les limites de la signification statistique. Il se peut vi-demment que l'instrument utilis pour la mesure ordinale de l'attitudeenvisage n'tait pas suffisamment sensible pour enregistrer des chan-gements dans l'attitude, dont l'importance suffirait causer un chan-gement dans le comportement. Cet aspect du problme est toutefoistrop compliqu pour que nous puissions l'analyser ici davantage.

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    Il est possible galement que les juges passifs durole playing mo-tionnel avaient, elles aussi, prouv une certaine motion, quoiquemoins [27] intense que celle du groupe exprimental. La plausibilit

    de cette hypothse est corrobore par le fait que l'on constate, pourensemble des tudiantes places dans les conditions actives et passi-ves, une corrlation significative entre le degr de peur de la cigarettequ'elles expriment et le changement individuel dans le comportemensituationnel. Cette corrlation obtenue indpendamment du traitemenexprimental ajoute aussi l'importance que l'on accorde au rle del'motion suscite.

    En guise de conclusion, nous nous arrtons encore brivement autitre de ce paragraphe : Vers une interprtation scientifique du chan-gement d'attitude . Le lecteur, tout comme nous-mme, ne peut querester profondment frustr dans son besoin de comprhension intel-lectuelle de ce phnomne. Il est clair que l'exprience relate neconstitue qu'un premier pas; la dmonstration exprimentale en estrudimentaire et l'armature conceptuelle peu dveloppe. On imagineaisment la possibilit de raliser des comparaisons exprimentales plus nuances afin de dlimiter davantage le phnomne envisag(pour une tentative dans ce sens voir entre autres Mann (l967)). Lelecteur spcialis en psychophysiologie se demandera sans doute pourquoi on n'a pas eu recours aux mesures physiologiques de l'motion, variable essentielle de cette recherche.

    La rponse ces questions et bien d'autres encore dpasse les li-mites imposes cet article. Nous estimons avoir provisoirement at-teint notre but si le lecteur est dispos mettre une raction attitudi-nale positive et justifie l'nonc suivant : Il serait souhaitable quele Ministre de la Sant Publique octroie une part plus substantielle deson budget aux psychologues chercheurs . Il est difficile, en effet, denier que Janis et Mann ont russi obtenir des rsultats auxquels unecampagne cotant des millions de dollars n'a pas su parvenir.

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    1.3.2. Le role playing cognitif contre-attitudinalet le changement d'attitude

    vis--vis de la rforme universitaire

    Retour la table des matires

    Dans la premire partie de ce chapitre nous avons constat que desuniversitaires flamands trs favorables la rforme universitairechangeaient ou attnuaient considrablement leur attitude extrmeaprs avoir tenu un plaidoyer en faveur de l'ancien systme d'examensur l'cran de la T.V.

    Contrairement l'exprience portant sur l'attitude vis--vis de lacigarette, lerole playing n'est plus ici motionnel, mais plutt cognitifet contre-attitudinal. Cognitif parce que, le chercheur ne se proposan pas de susciter l'motion de ses sujets, la tche consiste essentielle-ment produire une argumentation, travail cognitif par excellence. Ils'agit en outre d'unrole playing contre-attitudinal, parce que la dispo-sition pr-situationnelle des sujets est telle qu'ils ne feraient jamais de plaidoyer en faveur de l'ancien systme s'ils n'y taient pas contraints par des facteurs situationnels. En effet, les sujets s'engagent dans ce

    role playing contre-attitudinal - dont les caractristiques valuativessont donc [28] contraires leur comportement attitudinal typique -sous la pression d'un ou de plusieurs facteurs de la situation expri-mentale.

    C'est le gant de la psychologie sociale moderne, Leon Festinger,qui a stimul de vastes programmes de recherche sur la problmatiquedu changement de l'attitude en fonction de ce qu'il a appel la forcedcompliance (complaisance force).

    En outre, un autre contraste avec l'tude prsente sur l'attitude vis-

    -vis de la cigarette consiste dans le fait que cette recherche n'est plusinspire en premier lieu par les besoins concrets de la socit, maisqu'elle est dite fondamentale, c'est--dire que son but essentiel rsidedans la vrification exprimentale d'une thorie scientifique. Il s'agiten l'occurrence de la thorie de la dissonance cognitive, formule parLeon Festinger (1957) et qui se prsente comme une thorie gnralesur l'organisation et la dynamique du systme cognitif.

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    Nous allons, dans le cadre de cet article, nous limiter l'expositionde la thorie de la dissonance cognitive pour autant qu'elle pourra ser-vir l'interprtation et l'analyse ultrieure des donnes, que nous

    avons prsentes, sur le changement d'attitude vis--vis de la rformeuniversitaire. Nous nous permettons toutefois d'insister sur le fait queen tant que chercheurs, nous ne nous sommes pas intresss l'attitu-de vis--vis de la rforme universitaire en soi. Le choix prcis de l'ob- jet de l'attitude (la rforme universitaire) est arbitraire dans ce sensque le but des recherches effectues n'est pas de mieux comprendreles dterminants concrets de cette attitude particulire, mais bien desoulever un coin du voile recouvrant le mcanisme du processus psy-chologique du changement d'attitude en gnral.

    Dans cette perspective, il y a lieu de signaler que les principauxcritres qui ont prsid au choix concret de l'attitude vis--vis de larforme universitaire, et dont le lecteur saisira aisment l'importancetaient les suivants : (1) les sujets exprimentaux attachent une grandevaleur l'objet de l'attitude; (2) ils se situent presque tous dans la m-me zone extrme du continuum de l'attitude; (3) l'objet se prte uneargumentation contre-attitudinale labore.

    Nous allons dmontrer le caractre arbitraire de ce choix de l'objetde l'attitude en prenant comme point de dpart de notre analyse unerecherche de A. Cohen (1962) portant sur une attitude qui est totale-ment trangre la rforme du systme d'examen. Cette recherche,inspire directement de l'exprience classique de Festinger et Carl-smith (1959), se prte admirablement une prsentation sommaire del'hypothse, dduite de la thorie de la dissonance cognitive, qui servira de principale hypothse de travail pour l'analyse plus dtaille quenous allons entreprendre. En outre, la structure formelle de l'exprience de Cohen est reprsentative d'une importante srie de rechercheseffectues dans ce domaine.

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    1.3.2.1. La thorie de la dissonance cognitiveet l'exprience de Cohen.

    Les sujets de cette exprience taient des [29] tudiants de l'Uni-versit de Yale (E.-U.) dont on savait qu'ils taient irrits par ce qu'ilsappelaient la rpression brutale de la police locale lors d'une r-cente chauffoure sur leur campus. Les sujets furent contacts indi-viduellement par un chercheur qui les invitait crire une brve com- position qui ne dvelopperait que des arguments en faveur de l'action policire. Le chercheur prcisa qu'il ne doutait pas que le sujet taitoppos l'action policire, mais prtendit qu'une tude scientifique du problme social pos par cette intervention profiterait d'un inventairedes arguments que les tudiants seraient mme de formuler pour etcontre l'action. Sous le prtexte qu'il valait mieux qu'un mme indivi-du ne produise dans des cas pareils que des arguments pour ou desarguments contre, et que le chercheur tait dj largement pourvud'arguments contre, tous les sujets des conditions exprimentales fu-rent amens jouer le rle d'un avocat de la dfense de l'action poli-cire, en rdigeant une composition unilatrale aussi convaincante,cratrice et profonde que possible.

    Les sujets s'engageant dans cerole playing cognitif contre-attitudinal taient rpartis, au hasard, sur quatre conditions exprimentales qui ne diffraient que par la somme d'argent promise par l'exp-rimentateur, en guise de rcompense pour leur collaboration : 10 $,5 $, 1 $, ou 0,50 $.

    Aprs avoir termin la rdaction de la brve composition justifiantl'action policire, les sujets taient invits remplir un questionnairedont la question cruciale devait fournir la rponse attitudinale des su- jets par rapport l'action policire. Sur une chelle de 31 points qui-distants, et pourvue tous les cinq points des indications complte-ment justifie - trs justifie - justifie - plus ou moins justifie - peu justifie - trs peu justifie - ou pas justifie du tout , le sujet pouvaiexprimer son attitude personnelle au sujet de l'action policire.

    Une simple analyse statistique des rponses attitudinales donnes par les sujets montrait clairement que celles-ci dpendaient de la r-

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    compense promise, ou, en d'autres termes, que l'importance de la r-compense (variable. exprimentale manipule par l'exprimentateurou variable dite indpendante) produisait un effet sur l'attitude (varia-

    ble dpendante ou dont la dtermination par la variable indpendanteest examine). Ceci revient dire que l'attitude vis--vis de l'action policire avaitchang en fonction de la valeur de la rcompense.Quelle forme cette relation entre le changement d'attitude et la valeurde la rcompense prendra-t-elle ? Le lecteur attentif aura peut-tre d- j formul sa propre hypothse et sa prdiction - trs plausible - sa-voir : plus on est rcompens pour tenir un plaidoyer contre-attitudinal, plus on s'efforcera de trouver des arguments probants, pluson subira l'influence de cette argumentation et plus on inflchira sa propre attitude dans le sens du plaidoyer.

    Notons en passant que cette hypothse est double parce qu'ellesuppose d'une part que la rcompense stimulera l'laboration cognitive(hypothse dustimulant)et renforcera ou facilitera l'acceptation desarguments produits d'autre part (hypothse durenforcement).La pr-diction est celle d'une relationdirecteentre importance de la rcom- pense et [30] changement de l'attitude (plus grande est la rcompenseet plus grand sera le changement de l'attitude dans le sens de l'argu-mentation rcompense).

    Cette prdiction et cette hypothse, quelque plausibles qu'ellessoient, ne sont toutefois confirmes en rien par les rsultats constats par Cohen. En effet, celui-ci a observ, tout comme l'avaient dj faiFestinger et Carlsmith (1959), une relationinverseentre importancede la rcompense et changement de l'attitude : plus la rcompensetait grande, moins l'attitude changeait. Remarquons que le sens danslequel s'opre le changement est nouveau dduit d'une comparaisonavec un groupe tmoin chez qui on avait simplement recueilli la r- ponse attitudinale sans que ces sujets aient pralablement t soumisau role playing cognitif contre-attitudinal.

    Les rsultats s'avraient particulirement rvlateurs : l'attitudemoyenne du groupe dont la rcompense s'levait 10 $ ne diffrait pas de celle du groupe tmoin. Les moyennes des sujets rcompenss par 1 et 0,50 $ taient plus favorables, de manire significative, l'action policire que celles des deux conditions prcites. La relation in-verse tait manifeste ce point que la diffrence entre l'attitudemoyenne du groupe 0,50 $ et celle du groupe 1 $ tait significati-

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    ve, la moyenne de la condition 5 $ tant intermdiaire celle de 1 ede 10 $.

    Comment interprter ces rsultats ? Pourquoi le changement del'attitude est-il en relation inverse avec le montant de la rcompense ?

    Comme nous l'avons dit plus haut, Cohen avait ralis son exp-rience afin de vrifier une hypothse dduite de la thorie de la dissonance cognitive de Festinger. Quelle est maintenant cette charpentethorique que Festinger nous prsente pour l'interprtation de l'exp-rience de Cohen ?

    Nous avons dit prcdemment que cette thorie porte sur l'organi-sation et la dynamique du systme cognitif. Ce systme cognitif hu-main, vide lors de la naissance, se dveloppe progressivement au fuet mesure que de nouveaux lments cognitifs s'ajoutent au savoirque l'individu a dj acquis. Toutefois, il ne s'agit pas d'une simpleaccumulation d'lments, mais bien d'une intgration cognitive, o unnouvel lment entre en relation dynamique avec un ou plusieurs lments particuliers. Il sera ainsi intgr dans un groupe d'lments biendfinis du systme cognitif prexistant, tandis qu'il laisse intacts tousles autres lments de ce mme univers cognitif individuel.

    La thorie de Festinger est centre sur un aspect de cette intgra-tion cognitive. En effet, cette relation dynamique entre lments co-gnitifs, si relation il y a, est conue comme pouvant tre de deux ty- pes : dissonante ou consonante. La relation entre deux lments cognitifs est dite dissonante