sainte rose philippine duchesne : la...
TRANSCRIPT
1
CATHÉDRALE NOTRE-DAME
GRENOBLE, France
12 novembre 2011
SAINTE ROSE PHILIPPINE DUCHESNE :
LA PREMIÈRE ET LA NOUVELLE ÉVANGELISATION
Introduction
C’est pour moi une source de très profonde joie de venir à Grenoble, où Sainte Rose
Philippine Duchesne est née, a été baptisée et a grandi jusqu’à l’âge adulte au sein de l’Eglise, et où
elle a entendu et répondu à l’appel de la vie religieuse. Je suis particulièrement heureux de pouvoir
installer demain une relique de première classe de sainte Rose Philippine dans la Collégiale Saint-
André, l’église de son quartier, dans laquelle elle a fréquemment assisté à la messe et prié devant le
tabernacle.
J’exprime mes sincères remerciements à Son Excellence Monseigneur Guy de Kérimel pour
son invitation à venir donner cette conférence sur la sainteté de vie héroïque de sainte Rose
Philippine Duchesne, qui a établi un lien durable entre les villes de Grenoble et de Saint Louis, dans
l’État du Missouri aux États-Unis d’Amérique, dont je fus l’Archevêque. Je suis profondément
reconnaissant pour l’hospitalité chaleureuse de Monseigneur Guy de Kérimel. Je remercie
également le chanoine Jean-Paul Trézières, de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, Chapelain
de la Collégiale Saint-André, qui fut le premier à demander la relique de sainte Rose Philippine et
qui inspira ce qui est pour moi un pèlerinage à Grenoble, c’est-à-dire un pèlerinage sur les lieux
sanctifiés par la vie de notre sainte. Je suis également honoré de la présence de Monseigneur Gilles
Wach, Prieur Général de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, et de tant de membres de
l’Institut. Je prie pour que, par l’intercession de sainte Rose Philippine Duchesne, Notre Seigneur
accorde beaucoup de bénédictions à l’Église dans le diocèse de Grenoble et à l’apostolat de
l’Institut.
Sainte Rose Philippine Duchesne naquit le 29 août 1769 à Grenoble et mourut le 18
novembre 1852 à Saint Charles, dans le Missouri, dans l’archidiocèse de Saint-Louis, dont j’ai eu la
grâce d’être l’archevêque du 2 décembre 2003 au 27 juin 2008. Elle a été béatifiée le 12 mai 1940
par le Vénérable Pape Pie XII1 et canonisée le 3 juillet 1988 par le Bienheureux Pape Jean-Paul II.
2
1 Pius PP. XII, Litterae Apostolicae, I, “Venerabilis Dei Famula Philippina Duchesne, e Societate Sororum a Sacro
Corde Iesu, beata renuntiatur,” die 12 Maii 1940, Acta Apostolicae Sedis 32 (1940), pp. 348-354.
2
Le Bienheureux Pape Jean-Paul Deux a commencé le Décrétale par lequel il déclara la
sainteté de sainte Rose Philippine Duchesne avec des mots du décret Ad Gentes, sur l’activité
missionnaire de l’Église : « Les instituts religieux, de vie contemplative et active, ont eu jusqu’ici et
ont une très grande part dans l’évangélisation du monde »3. Parlant des « multitudes innombrables
de religieuses qui, souvent secrètement et avec un grand esprit d’abnégation, ont vécu leur don total
d’amour au Christ par un infatigable service missionnaire »,4 le bienheureux Pape a déclaré que
Rose Philippine Duchesne est « comptée à juste titre au nombre de ces saintes religieuses qui nous
ont laissé un exemple splendide de la vie et de l’esprit missionnaire »5.
À l’heureuse occasion de ma visite à Grenoble, ville natale de sainte Rose Philippine
Duchesne, pour installer dans la Collégiale Saint-André une relique, en tant qu’Archevêque émérite
de Saint Louis, où sainte Rose Philippine s’est rendue de Grenoble pour s’acquitter de son travail
héroïque de missionnaire, je souhaite réfléchir avec vous sur sa vie comme une expression de la
première évangélisation des États-Unis d’Amérique et comme une source d’inspiration pour la
nouvelle évangélisation de ses deux patries : de la France (son pays natal) et des Etats-Unis (sa
patrie missionnaire). J’espère que cette réflexion inspirera la prière, pour obtenir par son
intercession la grâce de réaliser les travaux de la nouvelle évangélisation, et l’imitation de son
exemple héroïque dans l’œuvre difficile de l’évangélisation de notre culture, partout sécularisée.
Les racines de la vie et de l’esprit missionnaire
La vie et l’esprit missionnaire qui ont animé héroïquement sainte Rose Philippine aux Etats-
Unis, dans la première évangélisation de la population, notamment des Indiens d’Amérique, ont été
reçus dans l’Eglise domestique du foyer familial, situé au numéro quatre de la Grande Rue, et dans
l’Eglise particulière de Grenoble, à la fin du 18ème siècle. Le jour de son baptême dans l’église
Saint-Louis-de-France fut le 8 septembre 1769, en la fête de la Nativité de Notre Dame. Ses parents,
Pierre-François Duchesne et Rose-Euphrosine Périer, lui ont donné le nom de Rose Philippine,
invoquant le patronage de sainte Rose de Lima et de l’Apôtre saint Philippe.
2 Ioannes Paulus PP. II, Litterae Decretales “Beatam Rosam Philippinam Duchesne Sanctam esse decernitur et
definitur,”die 3 Iulii 1988, Acta Apostolicae Sedis 83 (1991), pp. 537-539. 3 “Instituta religiosa, vitae contemplativae et activae, maximam hucusque partem in mundi evangelizatione habuerunt et
habent.” Sacrosanctum Concilium Oecumenicum Vaticanum II, Decretum Ad Gentes, “De activitate missionali
Ecclesiae,” 7 Decembris 1965, Acta Apostolicae Sedis 58 (1966), p. 987, n. 40. Traduction française sur :
http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decree_19651207_ad-gentes_fr.html 4 “innumeras religiosarum multitudines quae, saepe secreto et magno cum abnegationis spiritu, totam suam Christo
donationem amoris exercuerunt per indefatigabile missionale servitium.” Ioannes Paulus PP. II, Litterae Decretales
“Beatam Rosam Philippinam Duchesne Sanctam esse decernitur et definitur,” 3 Iulii 1988, Acta Apostolicae Sedis 83
(1991), p. 537. [LDCan]. Traduction française par l’auteur. 5 “[i]n eiusmodi sanctarum religiosarum numero, quae fulgidum nobis reliquerunt vitae et spiritus missionalis
exemplum, iure habenda est.” LDCan, p. 537. Traduction française par l’auteur.
3
Le jour de son baptême, elle a reçu la vie dans le Christ au sein de l’Eglise. La semence de la
vie du Christ dans son âme a mûri, au fil des années, jusqu’à la réponse à Son appel à la vie
religieuse : appel à donner totalement sa vie au Christ par amour, comme épouse. Comme l’a fait
remarquer son biographe, Mère Louise Callan, une de ses filles spirituelles en Amérique, les
particularités de son baptême semblent providentielles6. Comme l’Apôtre saint Philippe, sainte
Rose Philippine, entrant dans l’âge adulte, répondra à l’appel de Notre Seigneur : «Venez et
voyez »7. Comme chez sainte Rose de Lima, la pleine floraison de sa vocation aura lieu en
Amérique. Enfin, elle a été baptisée dans l’église Saint-Louis-de-France, et la ville portant le même
nom dans l’État du Missouri deviendra le lieu où elle exercera sa mission religieuse.
Une fois introduite à la vie dans le Christ par le sacrement du Baptême, sa famille, avec
plusieurs tantes, oncles et cousins, l’ont aidée à grandir dans la connaissance, l’amour et le service
du Christ. Les deux familles Duchesne et Périer étaient connues pour leur « foi religieuse, leur
intégrité personnelle et leur force de caractère »8. Le nom "Duchesne", avec sa référence au chêne,
arbre puissant, dénote la détermination dont la sainte a fait preuve devant de grandes oppositions,
détermination héritée de sa famille paternelle. En effet, la foi de sainte Rose Philippine Duchesne a
été mise à l’épreuve quand de graves difficultés touchèrent sa France natale, ce pays où elle a
entendu pour la première fois l’appel de Dieu à la vie consacrée et où elle l’a embrassée avec toute
la force et toute la détermination dont son nom était un présage. Elle fut en effet un puissant chêne
spirituel, qui résista à de nombreux et violents orages, en servant Notre Seigneur de tout son cœur.
De sa mère et de la famille Périer, elle hérita d’une foi catholique profonde, fondée sur la saine
doctrine et nourrie par la prière quotidienne, la dévotion, la participation au Saint Sacrifice de la
Messe et la fréquentation régulière du sacrement de Pénitence.
Une de ses épreuves majeures, qui l’a affligée dès le début et tout au long de sa vie, a été la
fascination de son père pour la philosophie de Voltaire et pour la franc-maçonnerie. Bien qu’il fût
élevé dans une famille catholique dévote, Pierre-François Duchesne a été séduit par le rationalisme
qui relègue la foi religieuse au dernier plan, comme une question totalement subjective, sans aucun
fondement objectif, ou soi-disant scientifique. Il avait, en fait, deux sœurs qui étaient religieuses au
monastère de la Visitation de Romans9. Quand Rose Philippine grandit en âge, elle comprit, avec
une grande tristesse, que son père s’était dévié de la foi catholique. Cependant elle ne cessa jamais
de l’aimer et de prier pour lui. Pour sa part, même s’il s’opposa fortement à l’attrait de sa fille pour
la vocation à la vie consacrée, il finit par consentir à son entrée au monastère de la Visitation de
6 Cf. Louise Callan, R.S.C.J., Philippine Duchesne : Frontier Missionary of the Sacred Heart 1769-1852, Westminster,
Maryland: The Newman Press, 1957, pp. 14-15. [Hereafter, Callan]. 7 Jn 1:39.
8 “religious faith, personal integrity, and strength of character.” Callan, p. 14. Traduction française par l’auteur.
9 Cf. Callan, pp. 19-20.
4
Sainte-Marie-d’en-Haut. Sa mère demeura un exemple pour elle, dans ce double sentiment de
regretter de plus en plus le rationalisme athée de son père et, à la fois, de l’aimer d’autant plus. Bien
qu’il ait été pris dans l’ensemble du mouvement philosophique et populaire qui a conduit à la
Révolution, son père manifesta à la fin de sa vie du respect pour la foi dans laquelle il avait été
élevé. Il fut, sans aucun doute, beaucoup aidé par les prières de sa sainte fille.
Son caractère contemplatif
Dès son enfance, sainte Rose Philippine Duchesne a manifesté un caractère d’un aspect à la
fois fortement actif et contemplatif. Alors qu’elle était connue pour sa volonté forte et pour sa
conversation gaie, elle a ressenti également, dès ses premières années, un désir constant de passer
du temps seule, dans la prière et la méditation. Elle cherchait régulièrement dans sa vie quotidienne
des moments calmes de réflexion, au cours desquelles elle goûtait la communion avec Notre
Seigneur par la prière et la dévotion. Elle aimait, par exemple, passer des heures en prière devant le
Très Saint Sacrement dans le tabernacle. Dans le monastère de Sainte-Marie-d’en-Haut, après une
journée bien remplie d’activités diverses, elle avait l’habitude de demander à sa supérieure la
permission de passer une heure en prière devant le tabernacle. Son biographe écrivait, au sujet de
son amour pour l’adoration eucharistique silencieuse :
Ceux qui ont vécu avec elle à Sainte-Marie savaient toujours quand elle avait obtenu
la permission [pour passer une heure supplémentaire de prière avant de se retirer],
car si radieux était son sourire, si légère son allure lorsqu’elle passait dans le couloir
pour trouver sa place préférée au chœur devant le tabernacle. Elle y trouvait le repos
dans la prière. Parfois, oublieuse de tout sauf de la présence divine à l’autel, elle
passait une grande partie de la nuit, voire sa totalité, en adoration silencieuse, à
genoux, immobile, véritablement perdue en Dieu10
.
À aucun moment de sa vie elle n’a abandonné l’habitude de passer des heures en prière devant le
Saint-Sacrement.
Ce fut après la fondation par sainte Madeleine-Sophie Barat du couvent de sa nouvelle
congrégation religieuse dans ce qui avait été le Monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-
Haut qu’a eu lieu l’incident bien connu causé par ses périodes prolongées de prière immobile.
Louise de Vidard, une des élèves de sainte Rose Philippine à Sainte-Marie, qui est devenue plus
10
“Those who lived with her at Sainte Marie always knew when she had obtained the permission [to spend an extra
hour of prayer before retiring], so radiant was her smile, so light her step, as she passed down the corridor to her
favorite place in the choir before the tabernacle. There she found rest in prayer. Sometimes, forgetful of all but the
divine Presence on the altar, she spent a great part of night, even the whole of it, in silent adoration, kneeling
motionless, truly lost in God.” Callan, pp. 35-36. Traduction française par l’auteur.
5
tard une des Religieuses du Sacré Cœur de Jésus, décrivant l’exemple puissant de sainte Rose
Philippine, rappelle l’incident :
[La Mère Duchesne] nous a appris à offrir toutes nos actions à Dieu, nous conseillant
d’apprendre à utiliser les prières composées par Mère Marie de l’Incarnation, et par
ce moyen, elle nous a conduit progressivement à la dévotion au Sacré-Cœur. Ses
paroles avaient d’autant plus d’influence sur nous qu’elles étaient accompagnées par
une si grande vertu. Un ange en adoration dans l’église ne nous aurait pas
impressionnées plus, tellement elle était attentionnée et recueillie dans la prière. A
genoux sur le sol, droite et sans appui, les mains jointes, elle restait immobile
pendant des heures. On sentait la présence de Dieu en elle. Outre les heures saintes
de prière nocturne, habituelle chez elle, elle passait chaque année toute la nuit du
Jeudi au Vendredi Saint ravie en adoration devant le Saint Sacrement. Aloysia
Rambaud, qui la voyait souvent à la chapelle encore à dix heures du soir, et qui la
trouvait à la même place dans la matinée, coupa un jeudi soir des petits morceaux de
papier et les jeta sur la jupe de la robe de la mère Duchesne avant de se retirer. « Si
elle se déplace », fit-elle remarquer ouvertement, un brin espiègle, « les papiers me le
diront ». Se hâtant à la chapelle tôt vendredi matin pour recueillir les preuves, elle
trouva la bonne Mère dans la même posture, les morceaux de papier exactement là
où elle les avait mis, preuve que la mère avait passé toute la nuit immobile. Il est
facile de comprendre pourquoi nous la considérions sainte11
!
Il ne fait aucun doute qu’à partir d’un âge très précoce, sainte Rose Philippine cultivait une relation
très intime avec Notre Seigneur. Pour elle, il ne pouvait y avoir rien de plus souhaitable que de
passer du temps en sa présence eucharistique, s’entretenant avec Lui et contemplant le grand
Mystère de la Foi, le mystère de son amour incommensurable et sans fin envers l’humanité.
Lorsque, sous sa direction, durant les premières années de son activité missionnaire aux
États Unis, le couvent historique Saint-Ferdinand a été construit dans la ville de Florissant, dans le
Missouri, elle se choisit comme chambre un petit espace sous la cage d’escalier menant au premier
11
“[Mother Duchesne] taught us to offer all our actions to God, suggesting that we learn to use the prayers composed
by Mother Marie of the Incarnation, and by this means she gradually led us to devotion to the Sacred Heart. Her words
had all the more influence with us because they were accompanied by such great virtue. An angel in adoration in the
church would not have impressed us more, so reverent and recollected was she at prayer. Kneeling on the floor, upright
and without support, hands clasped, she remained motionless for hours. One felt the presence of God in her. Besides the
holy hours of prayer at night, which were the ordinary thing with her, each year she spent the entire night of Holy
Thursday to Good Friday rapt in adoration before the Blessed Sacrament. Aloysia Rambaud, who often noticed her in
the chapel as late as ten o’clock in the evening, and found her in the same place next morning, cut tiny bits of paper one
Thursday night and dropped them on the skirt of Mother Duchesne’s dress before retiring. ‘If she moves,’ the little imp
remarked covertly, ‘the papers will tell me so.’ Hurrying to the chapel early Friday morning to gather evidence, she
found the good Mother in the same posture, the papers undisturbed, so the whole night had been spent motionless. It is
easy to understand why we considered her a saint.” Callan, p. 146. Traduction française par l’auteur.
6
étage du couvent. Le petit espace en question était situé directement en face de la porte de la
chapelle. En fait, de sa chambre sous l’escalier, elle pouvait voir le tabernacle et les autres sœurs
comprirent immédiatement la raison de sa demande inhabituelle, à savoir, le désir d’être
physiquement le plus proche possible de son Seigneur eucharistique.
Lorsque, durant les dernières années de sa vie, lui a finalement été accordée la permission de
rejoindre les sœurs qui ouvraient la mission chez les Indiens Potawatomi à Sugar Creek, dans le
Kansas, elle savait que son âge et ses infirmités physiques ne lui permettraient pas d’apprendre la
langue des Indiens ni de supporter les tâches physiques plus exigeantes de l’enseignement des
enfants et le soin des malades. Elle rejoignit tout de même ses Sœurs pour donner sa vie dans la
prière pour elles et pour les Indiens auprès desquels elles exerçaient leur apostolat. Les Indiens,
même s’ils ne pouvaient pas communiquer avec elle par des mots, ont été profondément émus par
les heures qu’elle passait dans la prière devant le Saint Sacrement. En fait, ils lui donnèrent le nom
de Quah-kah-ka-num-ad, « Femme-qui-prie-toujours »12
.
Son esprit profondément contemplatif s’exprime dans une prière qu’elle avait écrite, au
début de sa vie religieuse, et qui a inspiré toute sa vie jusqu’à la fin :
O mon Dieu, je désire vivre comme une victime offerte dans un esprit de pénitence et
d’amour. Alors laissez-moi préparer tout ce qui est nécessaire pour un sacrifice
d’amour dont le parfum s’élèvera, jusqu’au Cœur même de Jésus. Que mon être tout
entier soit la victime, tout ce que je suis et tout ce que j’ai. Que mon propre cœur soit
l’autel, ma séparation d’avec le monde et tous les plaisirs terrestres le couteau
sacrificiel. Que mon amour soit un feu dévorant, et mon désir la brise qui l’attise.
Que j’y verse dessus l’encens et les parfums de toutes les vertus, et que j’apporte à ce
sacrifice mystique tout ce à quoi je suis attachée, pour que j’offre tout, brûle tout,
consomme tout, ne gardant rien pour moi-même. O divin amour, mon Dieu, acceptez
ce sacrifice que je désire Vous offrir à chaque instant de ma vie13
.
Le caractère extraordinaire de sa prière contemplative, qui était vraiment l’union de son cœur avec
le Cœur Sacré de Jésus, fut la source irremplaçable et l’aliment de toute sa vie, offerte
quotidiennement au Christ par amour.
12
“Quah-kah-ka-num-ad -- Woman-who-prays-always !” Cf. Callan, p. 652. Traduction française par l’auteur. 13
“O my God, I desire to live as a victim offered in a spirit of penance and love. Then let me prepare all that is needed
for a sacrifice of love whose perfume will rise even to the Heart of Jesus. May my whole being be the victim, all that I
am and all that I have. May my own heart be the altar, my separation from the world and all earthly pleasures the
sacrificial knife. May my love be the consuming fire, and my yearning desires the breeze that fans its. Let me pour on it
the incense and perfume of all virtues, and to this mystical sacrifice let me bring all that I cling to, that I may offer all,
burn all, consume all, keeping back nothing for self. O Divine Love, my very God, accept this sacrifice which I desire
to offer You at every instant of my life.” Callan, p. 719. Traduction française par l’auteur.
7
Son caractère actif
En ce qui concerne l’aspect actif de son caractère, sainte Rose Philippine lutta toute sa vie
contre une certaine impatience, irritabilité et hypersensibilité. Ces traits sont quelque peu
imputables à sa famille, surtout à son père, mais aussi aux luttes constantes et variées qu’elle
rencontra aussi bien à la maison que dans la société de son temps. À partir du moment où elle
entendit l’appel de notre Seigneur à la vie religieuse, elle rencontra l’opposition de sa famille. Puis,
une fois que sa famille avait consenti à sa vocation, la Révolution provoqua la fermeture du
monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut, dans lequel elle s’apprêtait à faire sa
première profession. Quand elle tenta de rouvrir le Monastère, elle fut confrontée à de nombreuses
épreuves, notamment des rumeurs et des critiques décourageantes, voire même nuisibles, de la part
de sa famille et de la communauté locale. Elle souffrait beaucoup de frustrations de ne pas pouvoir
répondre à son attrait toujours plus fort à la vie missionnaire.
Enfin, dans la dernière période de sa vie, elle vécut parmi les Indiens à la mission de Sugar
Creek, dans le Kansas, en offrant ce qui restait de ses forces, en particulier ses prières et sa
contemplation, pour leur salut et pour les intentions de ses sœurs qui travaillaient avec tant de
diligence au milieu d’eux. Mais, même alors, après seulement un an parmi les Indiens Potawatomi,
elle fut appelée à retourner au couvent de Saint Charles. Sa foi profonde, qui se manifeste dans un
abandon total à la Providence divine, se reflète dans son obéissant retour à Saint Charles, après
avoir passé seulement un an parmi les Indiens qu’elle avait tant désiré évangéliser. Elle écrivait :
Dieu sait les raisons pour lesquelles je fus rappelée… Je ne peux pas détourner mon
esprit des Indiens, mon ambition était de parvenir aux Rocheuses. Je ne peux
qu’adorer le plan de Dieu, qui me prive ainsi de ce que je désirais tant14
.
Ces paroles ont été écrites par une religieuse de soixante-douze ans dont le plus grand désir était,
dès les premières années de la vie religieuse, de devenir missionnaire auprès des Indiens de la
Nouvelle-France. En un an, à la mission de Sugar Creek, elle avait laissé la marque de sa maturité
spirituelle par la prière constante devant le Saint Sacrement et sa persévérance dans les missions,
malgré une santé en déclin. Ce sont les Indiens de Sugar Creek qui l’appelèrent la « Femme-qui-
prie-toujours ». Même si elle n’a jamais appris à parler leur langue, elle enseigna aux Indiens la
leçon la plus importante de la foi, c’est-à-dire de prier toujours et de persévérer dans la volonté de
Dieu en toutes choses.
14
“God knows the reasons why I am recalled… I cannot get my mind off the Indians; my ambition was to go to the
Rockies; I can only adore the plan of God, which thus deprives me of what I wanted so very much.” T. Gavan Duffy,
Heart of Oak: A Sketch of Philippine Duchesne, Florissant, Missouri: Friends of Old St. Ferdinand, Inc. 1988, p.19.
Traduction française par l’auteur.
8
Sa biographe, Mère Louise Callan, évoquant ses efforts pour établir un couvent de la
nouvelle fondation de Sainte Madeleine Sophie Barat dans l’ancien Monastère de la Visitation de
Sainte-Marie-d’en-Haut, commente :
Pourtant, on ne peut pas échapper à la conclusion que Philippine avait gravi le
chemin de la contemplation avant l’acquisition de ces habitudes de vertu qui sont
nécessaires pour stabiliser l’âme sur les marches inférieures de la vie quotidienne et
de l’activité apostolique. Impatiente, irritable, très sensible, elle avait désormais à
faire face et à reconnaître des pertes spirituelles douloureuses, survenues pendant ses
années en dehors du cloître. La douceur et l’humilité, qui constituent une partie si
distinctive de l’esprit des Visitandines, avaient subi une éclipse partielle dans son
âme. La lutte contre des circonstances si éprouvantes pour sa personne, l’opposition
qui utilisa tous les moyens pour la détourner de son but, et la persécution qui réveilla
son audace combative et son affirmation de soi : tout cela avait eu tendance à
développer le côté colérique de son caractère…15
.
Son amour toujours plus profond pour Notre Seigneur, en particulier sa dévotion à son Sacré-Cœur,
l’a aidée à maîtriser ces faiblesses qui, autrement, auraient entravé sa croissance dans les vertus.
En ce qui concerne la maîtrise de ses faiblesses, par-dessus tout, son irascibilité, Dieu lui a
fourni une aide remarquable dans la profonde amitié spirituelle qu’elle a formée avec sainte
Madeleine Sophie Barat. Sainte Madeleine-Sophie, qui avait la plus grande admiration et affection
pour sainte Rose Philippine, n’hésita pas à lui faire remarquer ses faiblesses et à l’encourager à les
corriger. À une occasion, sainte Madeleine-Sophie écrivit ces paroles à sa chère amie spirituelle et
co-fondatrice des Religieuses du Sacré Cœur de Jésus :
J’ai eu deux lettres de vous, ma chère fille, dont la lecture m’a fait grand plaisir,
parce qu’en elles vous promettez que vous êtes une fois pour toutes résolue de
corriger vos fautes de caractère, pour l’amour de Notre Seigneur et afin de Lui plaire
et d’attirer des âmes à Lui. Nous avons un double objectif dans nos efforts : notre
propre perfection et le salut des âmes. Nous devons être saintes. Si vous saviez avec
quelle ardeur je désire cela pour vous, je crois que vous feriez les efforts nécessaires.
Mais si vous saisissez combien plus Notre Seigneur le désire, alors vous seriez
15
“Yet there is no escaping the conclusion that Philippine had climbed the path of contemplation before acquiring those
habits of virtue which are needed to steady the soul on the lower walks of daily life and apostolic activity. Impatient,
irritable, highly sensitive, she had now to face and recognize some of the acute spiritual losses she had sustained during
her years outside the cloister. The gentleness, sweetness, humility which form so distinctive a part of the Visitandine
spirit had suffered partial eclipse in her soul. The struggle against circumstances that were personally so trying,
opposition that used every means to divert her from her purpose, and persecution that roused her combative daring, self-
assertion, and independence, all this had tended to develop the irascible side of her character….” Callan, p. 121.
Traduction française par l’auteur.
9
effectivement fidèle à son appel… J’espère que l’aide que Notre Seigneur vous
fournit maintenant par le contact personnel avec une âme qu’il aime si tendrement [la
Mère Thérèse Maillucheau] brisera votre longue résistance et vous permettra de
rivaliser avec elle dans la vertu16
.
Sainte Rose Philippine a appris de sainte Madeleine-Sophie que le zèle pour l’apostolat ne
pouvait jamais excuser de demander la perfection de la charité dans sa propre vie. En étudiant la vie
de sainte Rose Philippine Duchesne, on ne peut pas manquer de remarquer comment la grâce de
Dieu était à l’œuvre dans son âme, lui révélant ses faiblesses et lui donnant la force de les surmonter
pour son propre salut et pour le salut de beaucoup d’autres. En fin de compte, sa vie profondément
contemplative lui a donné l’inspiration et la force pour croître dans la perfection des vertus
chrétiennes.
L’influence des Saints
Dès sa plus tendre enfance, Rose Philippine trouvait une joie particulière à lire les vies des
saints. Les histoires de la sainteté héroïque de la vie des saints la captivaient et inspiraient en elle un
fort désir de les imiter dans leur amour total pour le Christ. Parmi les saints, outre sa dévotion forte
et constante à la Bienheureuse Vierge Marie, Reine de Tous les Saints, elle était particulièrement
attirée par saint François Xavier, le premier missionnaire jésuite.
Il est important de remarquer comment sainte Rose Philippine mit toute sa vie, et en
particulier sa vocation, sous la protection de la Bienheureuse Vierge Marie. Pendant la période de
grande incertitude, après la suppression du monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut,
elle écrivait:
Dès l’âge de douze ans et quelques mois, quand Dieu me donna la grâce d’une
vocation religieuse, je crois que je n’ai jamais laissé passer un seul jour sans Le prier
pour qu’Il m’éclaire à ce sujet et m’y rende fidèle. Dès le début, je l’ai mise sous la
protection de la Sainte Vierge, et le Memorare était la prière préférée et continue que
je lui offrais17
.
16
“I have had two letters from you, my dear daughter, which I loved reading because in them you promise that once and
for all you are resolved to love our Lord and to correct your faults of character in order to please Him and to draw souls
to Him. We have a double purpose in our efforts: our personal perfection and the salvation of souls. We must be saints.
If you realized how ardently I desire this for you, I believe you would make the necessary efforts. But if you grasped
how much more our Lord desires it, … then you would indeed be faithful to His call…. I hope that the help our Lord
now provides for you through personal contact with a soul He loves so tenderly [Mother Thérèrse Maillucheau] will
break down your long resistance and enable you to rival her in virtue.” Callan, pp. 135-136. Traduction française par
l’auteur.
17
“From the time I was twelve years and some months old, when God bestowed upon me the grace of a religious
vocation, I believe I never let pass a single day without praying to Him to enlighten me about it and make me faithful to
10
Sa forte dévotion à saint Francis Xavier et à d’autres saints la mena toujours finalement à placer sa
confiance dans l’amour maternel de la Mère de Dieu, qui est le canal de toutes les grâces dans notre
vie.
Après son entrée au monastère de la Visitation, elle se familiarisa particulièrement avec la
vie des saints jésuites, car la congrégation religieuse des Visitandines suit la spiritualité de saint
Ignace de Loyola et d’autres écrivains spirituels jésuites. Au moment de la suppression des Jésuites,
trois jésuites sont venus vivre à la résidence de l’aumônier du monastère de la Visitation de Sainte-
Marie-d’en-Haut et, après leur mort, ont légué leur bibliothèque au monastère. Parmi ces livres se
trouvait le fameux et très populaire traité sur la vie spirituelle en trois volumes : Pratique de la
perfection chrétienne, du Père Jésuite Alonso Rodriguez (qui a vécu de 1538 à 1616)18
. Leur
bibliothèque contenait également de nombreuses biographies de saints jésuites et leurs écrits. Sainte
Rose Philippine fit bon usage de ces livres et avait l’habitude de raconter des histoires de saints
jésuites à ses consœurs à la récréation.
A propos de saint François Xavier, elle écrivait :
Pendant les deux années entières de mon noviciat, je n’ai lu que du Rodriguez, sans
jamais m’en lasser ; et quand nous nous réunissions après les vêpres, je racontais à
mes sœurs la vie de presque tous les saints de la Compagnie de Jésus. Celle de saint
François-Xavier m’a touchée le plus… J’ai aimé ses appels touchants aux écoles
européennes de lui envoyer des missionnaires. Combien de fois n’ai-je pas dit de lui
depuis lors, dans mon impatience, « Grand Saint, pourquoi ne m’avez-vous pas
appelée? Je répondrais immédiatement. » Il est le saint de mon cœur19
.
C’est sans doute la proximité spirituelle de saint Rose Philippine Duchesne avec saint François
Xavier qui inspira et renforça son désir de servir le Christ dans les missions, chez les immigrés
européens incultes et les Indiens païens, dans ce qui était appelé alors le Territoire de la Louisiane.
Elle développa également une forte dévotion à un autre saint jésuite, Jean-François Régis,
qui inspira en elle un intense désir de servir les pauvres. Saint Jean-François Régis, qui a vécu de
1597 à 1640, entra dans la Compagnie de Jésus et, à partir de 1632, a été un missionnaire
infatigable dans sa France natale. Il était surtout connu pour avoir fondé des œuvres pour aider les
it. From the beginning I put it under the protection of the Blessed Virgin, and the Memorare was my favorite and
continual prayer to her.” Callan, pp. 81-82. Traduction française par l’auteur. 18
Cf. “Rodriguez, Alonso,” Enciclopedia Cattolica, Vol. X, Città del Vaticano: Ente per l’Enciclopedia Cattolica e per
il Libro Cattolico, 1953, coll. 1083-1084. 19
“During two whole years of my novitiate I read only Rodriguez, without ever tiring of it; and when we assembled
after Vespers, I used to relate to my Sisters the lives of nearly all the saints of the Company of Jesus. That of St. Francis
Xavier appealed most strongly to me…. I loved his touching appeals to the European schools to send him missionaries.
How often have I not said to him since then, in my impatience, ‘Great Saint, why do you not call me? I would respond
at once.’ He is the saint of my heart.” Callan, p. 34. Traduction française par l’auteur.
11
femmes malheureuses et les nécessiteux, et pour préserver et renforcer la foi catholique, en
particulier par les confréries du Très Saint Sacrement20
.
Sainte Rose Philippine entendit parler de saint Jean François Régis après son entrée au
Monastère de la Visitation, dans lequel sa relique était vénérée. On lit qu’elle priait souvent devant
la relique, en demandant la grâce de suivre son exemple dans l’apostolat. Quand elle comprit
qu’elle devait rétablir le monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut, qui avait été
supprimé au moment de la Révolution, elle fit un pèlerinage au tombeau de saint Jean François
Régis à La Louvesc. Bien qu’elle trouvât son tombeau dans un état dévasté, elle fut profondément
émue par la méditation qu’elle fit de sa sainte vie et par sa prière invoquant son intercession.
D’une façon particulière, elle a été inspiré par « son zèle missionnaire, son apostolat parmi
les pauvres de toutes catégories, dans lesquels il ne voyait que des âmes pour qui Jésus-Christ était
mort »21
. Pendant les années de son travail de missionnaire dans le centre des États-Unis, sainte
Rose Philippine Duchesne a favorisé une forte dévotion à saint Jean François Régis. Grâce au
travail missionnaire de notre sainte, le diocèse américain de Kansas City-Saint-Joseph continue de
vénérer la mémoire de saint Jean François Régis, patron secondaire du diocèse.
Influence des visites de missionnaires à Grenoble
Outre la lecture des vies de saints, notre sainte manifestait une grande attention au
témoignage vivant de missionnaires français aux États-Unis, qui venaient à Grenoble en visite. Un
missionnaire français, en particulier le Père Jean-Baptiste Aubert, de la Compagnie de Jésus, rentra
des missions d’Amérique pour s’installer à Grenoble. Il avait travaillé dans les régions de l’Illinois
et du Missouri, celles-là mêmes dans lesquelles sainte Rose Philippine serait envoyée en mission. Je
cite son biographe, Mère Louise Callan :
[Le Père Aubert] parla de lieux aux noms les plus étranges - Kaskaskia, où il avait
signé le registre paroissial jusqu’en 1764 ; Cahokia, juste de l’autre côté du fleuve
par rapport à un comptoir qui sera appelé Saint-Louis de France ; et Michigamea,
avec sa mission saint François Xavier abandonnée depuis longtemps. Des noms
indiens étranges sortaient de ses lèvres, mais ses yeux étaient mélancoliques,
lorsqu’il parlait du travail laissé inachevé auprès des peuples des forêts d’Amérique,
et lorsqu’il parlait de l’héroïsme des Jésuites qui avaient donné leur sang dans le
martyre dans la grande vallée du Mississippi. Ses histoires venues des régions
20
Cf. “Giovanni Francesco Regis, santo,” Enciclopedia Cattolica, Vol. 6, Città del Vaticano: Ente per l’Enciclopedia
Cattolica e per il Libro Cattolico, 1951, coll. 627-628. 21
“his missionary zeal, his apostolate among the poor of all categories in whom he saw only souls for whom Jesus
Christ had died.” Callan, p. 60. Traduction française par l’auteur.
12
sauvages captivaient Philippine. Un désir inextinguible de consacrer sa vie à l’œuvre
missionnaire fut allumé dans son âme, ainsi qu’une détermination toujours plus
profonde de faire de grandes choses pour Dieu, qui la portera, au beau milieu de sa
vie, aux confins de la civilisation occidentale22
.
Le travail apostolique remarquable, et même héroïque, de nombreux missionnaires français de
l’époque, qui se consomma souvent par l’acte d’amour suprême, le martyre, inspira à sainte Rose
Philippine le désir de se joindre à eux.
Sainte Rose Philippine attribua son premier attrait à la vocation missionnaire au récit des
missionnaires en visite. En ce qui concerne l’influence du Père Aubert sur sa vocation, elle écrivait :
Mon premier enthousiasme pour la vie missionnaire fut éveillé par les récits d’un bon
père jésuite qui avait été dans les missions de Louisiane et qui nous racontait des
histoires sur les Indiens. J’avais à peine huit ou dix ans, mais déjà je considérais
comme un grand privilège le fait d’être missionnaire. J’enviais leurs travaux sans être
effrayé par le danger auquel ils étaient exposés, car je lisais à ce moment l’histoire de
martyrs qui m’intéressait beaucoup. Le même bon Jésuite était confesseur
extraordinaire au couvent dans lequel j’étais devenue élève. Je suis allé me confesser
à lui plusieurs fois et j’aimais sa manière simple et informelle de parler, manière
qu’il avait utilisée avec les sauvages. Depuis ce temps, les mots Propagation de la
Foi et Missions Étrangères, ainsi que les noms des prêtres et des religieux qui étaient
envoyées dans ces régions lointaines, firent tressaillir mon cœur23
.
En écoutant les histoires du Père Aubert et d’autres missionnaires en visite, sainte Rose Philippine
comprit que le même Saint Esprit, qui avait inspiré la vie des martyrs et des autres saints dont elle
aimait lire la vie, travaillait encore dans l’Eglise. En fait, elle sentait en elle l’inspiration du Saint
Esprit de s’investir dans le travail des missions.
22
“[Father Aubert] told of places with the strangest names – Kaskaskia, where he had signed the parish register as late
as 1764, and Cahokia, just across the river from the site staked off that very year for a trading post to be called St. Louis
de France, and Michigamea with its mission of St. Francis Xavier long since abandoned. Weird Indian names rolled
smoothly from his tongue, but his eyes were wistful as he spoke of the work left undone among the forest folk of
America and the heroism of the Jesuits who had given their blood in martyrdom in the great valley of the Mississippi.
His stories of the wilderness held Philippine enthralled. An unquenchable desire to devote her life to missionary work
was enkindled in her soul, and an ever deepening determination to do great things for God that would carry her in
middle life to the farthest edge of Western civilization.” Callan, pp. 22-23. La traduction française par l’auteur. 23
“My first enthusiasm for missionary life was roused by the tales of a good Jesuit Father who had been on the missions
in Louisiana and who told us stories about the Indians. I was just eight or ten years old, but already I considered it a
great privilege to be a missionary. I envied their labors without being frightened by the dangers to which they were
exposed, for I was at this time reading stories of the martyrs, in which I was keenly interested. The same good Jesuit
was extraordinary confessor at the convent in which I became a pupil. I went to confession to him several times, and I
loved his simple, formal manner of speaking, a manner he had used with the savages. From that time the words
Propagation of the Faith and Foreign Missions and the names of priests destined for them and of religious in far-away
lands made my heart thrill.” Callan, p. 23. Traduction française par l’auteur.
13
Étudiante et novice au monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut
Une des expériences les plus significatives dans la croissance spirituelle et apostolique de
sainte Rose Philippine Duchesne fut l’année qu’elle passa au monastère de la Visitation de Sainte-
Marie-d’en-Haut, d’abord comme pensionnaire se préparant à la Première Communion (c’était en
1781), puis comme novice, en 178824
. Le Monastère de Sainte-Marie, construit sur le mont Rachais,
sur la rive gauche de l’Isère, a été fondé par saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal à la
demande des fidèles de Grenoble. De fait, on peut lire, au-dessus de l’entrée du monastère,
l’inscription suivante : « Saint François de Sales choisit cet endroit pour la fondation du quatrième
monastère de son Ordre de la Visitation Sainte Marie. La première pierre fut posée en sa présence
le 16 octobre 1619 »25
.
Les religieuses de la Visitation ont nourri grandement sa vie de prière et de dévotion, fondée
sur une connaissance profonde de la doctrine de la foi. À cet égard, la dévotion au Sacré-Cœur de
Jésus était au centre de la vie spirituelle des religieuses Visitandines et devint rapidement le centre
de la vie spirituelle de Rose Philippine. La dévotion qui naquit au moment même où le Cœur de
Jésus était percé sur la croix après Sa mort, reçut une impulsion particulière de la part de Notre
Seigneur Lui-même, grâce à ses apparitions à sainte Marguerite Marie Alacoque, au monastère de la
Visitation de Paray-le-Monial, juste un siècle avant l’entrée de sainte Rose Philippine à Sainte-
Marie-d’en-Haut. Son biographe, citant les paroles mêmes de Notre Seigneur à sainte Marguerite-
Marie, écrit :
Bientôt, « le cœur qui a tant aimé les hommes » devint le centre de la vie et de
l’amour de Philippine, lui donnant le courage de se prendre en main et de se
déterminer à corriger les aspérités de son caractère26
.
La dévotion au Sacré Cœur de Jésus correspondait parfaitement à la dévotion au Très Saint
Sacrement qui croissait dans l’âme de sainte Rose Philippine. La présence réelle du Christ - Corps,
Sang, Âme et Divinité -, qu’elle rencontrait dans le Très Saint Sacrement, a été de plus en plus
profondément comprise par la contemplation du glorieux Cœur transpercé de Jésus, source de toute
grâce dans l’Eglise, et en particulier du don de la Sainte Eucharistie.
En même temps, l’image du Sacré Cœur de Jésus et son invocation fréquente tout au long de
la journée aida sainte Rose Philippine, comme elle nous aide tous, à vivre toujours en la compagnie
24
Cf. Callan, pp. 20, 29, et 34. 25
“St. Francis de Sales chose this place for the foundation of the fourth monastery of his Order of the Visitation of Holy
Mary. The first stone was laid in his presence on October 16, 1619.” Callan, p. 20. Traduction française par l’auteur. 26
“Soon ‘the Heart that has so loved men’ became the center of Philippine’s life and love, giving her courage to take
herself in hand and determine to correct the asperities of her character.” Callan, p. 21. Traduction française par l’auteur.
14
de Jésus. Décrivant la période qui suivit son année comme pensionnaire au monastère de Sainte-
Marie-d’en-Haut, son biographe écrit :
En entrant gracieusement dans les projets de ses parents pour son éducation à la
maison, et en prenant part à la vie sociale de Grenoble, Philippine se tint
inflexiblement à une ligne de conduite qui nécessitait la force de la volonté et la
conviction courageuse. Elle ne négligea jamais ses pratiques de dévotion privée par
plaisir. La médiation du matin avait sa place chaque jour. Elle a bravé les critiques
ingénues de ceux qui, avec un préjudice janséniste, regardèrent de travers ses
confessions et communions tous les quinze jours. Son amour pour le Saint Sacrement
augmenta au fil de ces années à mesure que la dévotion au Sacré-Cœur prit plus
entièrement possession de son âme. L’esprit de réparation inspiré par cette dévotion
se développait en elle, et elle se voua à la pénitence volontaire avec une générosité
insoupçonnée de sa famille27
.
Avec le temps, ses parents, qui l’avaient retirée du Monastère de la Visitation, ayant vu combien
elle était fortement attirée par la vocation des moniales, finirent par accepter sa vocation, qui s’était
manifestée par des signes clairs et cohérents.
Son amitié avec sainte Madeleine Sophie Barat
Au fil des années, sainte Rose Philippine comprit que notre Seigneur l’appelait à une forme
de vie religieuse active dans l’apostolat de l’éducation et le soin des pauvres, mais à une vie qui soit
en même temps solidement et quotidiennement contemplative, enracinée dans l’amour de
l’Eucharistie et de la dévotion au Cœur eucharistique de Jésus. Son amitié avec sainte Madeleine
Sophie Barat fut un don très précieux de Dieu pour l’aider à connaître sa vocation et à l’embrasser
avec un cœur sans partage. Le Père Joseph Varin, à qui le Père Léonor de Tournély avait confié son
inspiration reçue dans la prière de « la fondation d’une congrégation de femmes consacrées au
Sacré-Cœur de Jésus pour aider à la régénération de la France par une vie contemplative, à laquelle
les activités d’enseignement et de direction de retraites serait ajoutées »28
, amena sainte Madeleine-
27
“While entering graciously into her parents’ plans for her education at home and taking part in the social life of
Grenoble, Philippine held inflexibly to a line of conduct that called for strength of will and courage of conviction. Her
private devotional practices were never neglected for pleasure. Morning meditation had a place in every day. She
braved the wide-eyed critics who with Jansenistic prejudice looked askance at her fortnightly confession and Holy
Communion. Her love for the Blessed Sacrament increased through these years, as devotion to the Sacred Heart took
fuller possession of her soul. The spirit of reparation inspired by this devotion was developing in her, and she gave
herself to voluntary penance with a generosity unsuspected by her family.” Callan, p. 27. Traduction française par
l’auteur. 28
“the foundation of a congregation of women consecrated to the Sacred Heart of Jesus to help in the regeneration of
France by a contemplative life, to which the activities of teaching and directing retreats would be added.” Louis Callan,
15
Sophie et sainte Rose Philippine à se rencontrer. Sans entrer dans les détails, d’ailleurs intéressants,
de la fondation de la congrégation des Religieuses du Sacré Cœur de Jésus (congrégation de
religieuses dont le charisme vient d’être décrit par le père de Tournély), je me contenterais
d’observer que la première rencontre des deux saintes femmes et leur amitié de toute une vie
scellèrent les bases de la nouvelle congrégation religieuse, en accord avec l’inspiration donnée au
père de Tournély.
C’était à sainte Madeleine Sophie que sainte Rose Philippine révéla finalement ses plus
profonds désirs de devenir missionnaire, désirs qui étaient également dans l’âme de sainte
Madeleine-Sophie. Grâce à une intense prière et une direction spirituelle sûre, sainte Madeleine-
Sophie comprit que sa mission était de rester en France pour œuvrer pour l’approfondissement de la
vie chrétienne dans son pays natal, et que la vocation de sa chère co-fondatrice, sainte Rose
Philippine, était d’être dans les missions du centre de l’Amérique du Nord.
Grâce à une rencontre providentielle avec Monseigneur Louis du Bourg, évêque de
Louisiane, dont la ville de Saint Louis faisait alors partie, sainte Rose Philippine sentit un très fort
désir d’accomplir sa vocation missionnaire dans la partie du monde sous la charge pastorale de
Monseigneur du Bourg. De passage à Paris, où la nouvelle congrégation avait établi sa Maison
Mère, Monseigneur supplia sainte Madeleine-Sophie d’envoyer certaines de ses sœurs en mission
en Louisiane. Finalement, la sainte supérieure accéda à sa demande et lui envoya cinq sœurs, sous
la responsabilité de Mère Rose Philippine Duchesne. Le Samedi Saint de l’année 1818, sainte Rose
Philippine et ses quatre compagnes partaient de Bordeaux pour l’Amérique. Elles arrivèrent en
Amérique, après un difficile voyage de deux mois, le jour de la fête du Sacré Cœur de Jésus. Sainte
Rose Philippine avait alors 49 ans.
Quand on étudie la vie de sainte Rose Philippine, il est remarquable de voir comment la
Divine Providence était à l’œuvre dans sa vie pour accomplir tant de bien pour son propre salut et
celui des âmes. D’une façon particulière, sa profonde amitié avec sainte Madeleine-Sophie, qu’elle
vénérait comme une mère spirituelle, l’a aidée à voir clairement la vraie nature de sa vocation
religieuse et missionnaire, et à y répondre à un degré héroïque.
Mission au centre de l’Amérique du Nord
Arrivée en Amérique, accomplissement de son profond désir missionnaire, sainte Rose
Philippine avec ses sœurs ont subi de nombreuses épreuves dans leur apostolat d’éducation et de
soin des pauvres. Leur première fondation à Saint-Charles, dans le Missouri, qu’elles avaient
Philippine Duchesne: Frontier Missionary of the Sacred Heart 1769-1852, Abridged Edition, Westminster, Maryland;
The Newman Press, 1965, p. 74. Traduction française par l’auteur.
16
entreprise à la demande insistante de Monseigneur du Bourg, connaissait des difficultés
particulières. Le froid et la pauvreté du petit pensionnat fondé par les Sœurs ne leur permirent pas
de rester à Saint-Charles. C’est alors qu’elles ont fondé à Florissant. Bien que les difficultés ne
diminuaient pas pour les Sœurs, elles commencèrent toutefois à recevoir des vocations. Leur
apostolat grandissait, sous la direction sage et forte de sainte Rose Philippine.
Malgré les maintes difficultés de la mission, douze ans après l’arrivée des sœurs en
Amérique, les Religieuses du Sacré-Cœur avaient déjà fondé six couvents, avec 64 sœurs professes
(14 Françaises et 50 Américaines). De toute évidence, Notre Seigneur bénissait abondamment la
réponse de sainte Madeleine Sophie Barat et de sainte Rose Philippine Duchesne à l’appel de fonder
une congrégation de religieuses qui soient à la fois contemplatives et actives.
Mais il restait au cœur de sainte Rose Philippine le désir d’être missionnaire chez les
Indiens. Elle demanda donc à sainte Madeleine-Sophie de la libérer de ses responsabilités de
supérieure des Religieuses du Sacré-Cœur de Jésus en Amérique. Il est à noter que ses rhumatismes
sévères, qui se manifestaient depuis un certain temps déjà, empiraient. En fait, sainte Madeleine-
Sophie refusa la demande de sainte Rose Philippine d’être envoyée en mission en Nouvelle-France,
à cause de sa santé. Mère Louise Callan, son biographe, a écrit la chose suivante au sujet de la
période de fondation du couvent des Religieuses du Sacré-Cœur dans l’ancien Monastère de la
Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut :
La présence [de Mère Madeleine Sophie] fut une joie énorme pour Philippine. Des
choses qui n’auraient jamais pu être écrites furent si facilement exprimées dans leur
conversation, occasion pour elles d’en discuter et d’en rire – car les tragédies de la
vie quotidienne deviennent souvent rétrospectivement des comédies. Philippine
aborda souvent le projet de la mission étrangère, mais la réponse était toujours la
même : « Pas encore », et il y avait de nombreuses raisons contre elle. L’une d’elles
était la santé de Philippine. La Mère Barat avait des raisons de s’inquiéter par
moment à ce sujet…. La voyant vaquer à ses tâches multiples, grande, droite,
résistante, même sous la pression du travail le plus lourd, peu dans la communauté
sont ceux qui soupçonnèrent que la souffrance physique était devenue une compagne
avec laquelle elle traverserait de nombreuses années de sa vie. Pourtant, les
rhumatismes étaient à l’œuvre dans son corps fort et actif, affectant notamment ses
mains, ....29
29
“Her [Mother Madeleine Sophie’s] presence was a tremendous joy to Philippine. The old intimacy was renewed; the
things that could never be put into writing were so easily expressed in conversation, talked over, laughed over – for the
tragedies of daily life are often comedies in retrospect. The project of the foreign mission was often broached by
Philippine, but the answer was always the same, ‘Not yet,’ and the reasons against it were numerous enough to form a
17
Sainte Rose Philippine continua néanmoins sans cesse à assumer l’apostolat.
Quand à l’occasion d’une visite en janvier 1841, l’héroïque Père missionnaire jésuite Pierre
de Smet exhorta sainte Rose Philippine à ouvrir une école chez les Indiens Potawatomi, elle
recommença à plaider pour la fondation, en demandant de faire partie du groupe de Sœurs envoyées
en mission. Il faut se rappeler que le Père de Smet n’avait alors que 40 ans, alors que sainte Rose
Philippine avait plus de 70 ans et que sa santé était en déclin. Sans entrer dans tous les détails de
l’accomplissement de sa volonté, sainte Rose Philippine figura dans le groupe de missionnaires, qui
comptait quatre sœurs, deux prêtres jésuites et un prêtre diocésain. Ils partirent en mission à Sugar
Creek le 29 juin 1841.
J’ai déjà décrit la nature des fonctions de sainte Rose Philippine dans la mission de Sugar
Creek. Sa vie extraordinaire de prière et de sacrifice a plus que compensé ce qu’elle ne pouvait pas
apporter à la mission par la force physique. Elle fut une vaillante religieuse qui a atteint la sainteté
héroïque dans la réalisation de la première évangélisation de l’Amérique. Vraiment, en sainte Rose
Philippine Duchesne, nous trouvons une femme héroïque qui a choisi « la meilleure part », celle de
tenir compagnie à Notre Seigneur dans la prière, et, en même temps, celle de faire la volonté du
Père avec un amour indéfectible et dévoué30
. Ce fut sa prière - si solidement acquise dès sa jeunesse
grâce à sa mère et grâce au Monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut - qui alimenta son
zèle missionnaire et qui lui donna la sagesse d’accepter la Providence de Dieu et à embrasser, avec
une obéissance totale, sa volonté, exprimée par ses supérieurs. Sa prière s’inspirait de l’union de son
cœur avec le Cœur Sacré de Jésus et, en même temps, augmentait cette union des cœurs tout au long
d’une vie marquée par de nombreuses épreuves et difficultés.
Sainte Rose Philippine Duchesne et la Nouvelle Évangélisation
Le temps ne me permet pas de commenter les nombreux aspects de la sainteté de vie
héroïque de sainte Rose Philippine. Avant de conclure, je voudrais tirer ma conclusion de
l’inspiration et intercession que notre sainte apporta en faveur de la nouvelle évangélisation de notre
culture, tant en France qu’aux Etats-Unis.
Le Bienheureux Pape Jean-Paul II a désigné la mission contemporaine de l’Église du terme
de « nouvelle évangélisation ». Il reconnaissait qu’à notre époque l’Église était appelée et envoyée
pour mener à bien sa mission dans un contexte social et culturel bien difficile.
litany. One of these reasons was Philippine’s health. Mother Barat had cause to worry at times about that…. Seeing her
going about her multiple duties, tall, straight, resilient even under the pressure of the heaviest work, few in the
community suspected that physical suffering was becoming a companion with whom she would travel through many
years of her life. Yet rheumatism was at work in her strong active body, affecting her hands particularly, ….” Callan, p.
167. Traduction française par l’auteur. 30
Cf. Lk 10:42.
18
Pasteur Suprême de l’Église universelle, le Pape Jean-Paul II, ne cessait jamais de méditer
dans son cœur les besoins les plus profonds de toute l’humanité, les besoins spirituels angoissants
des fils et des filles de Dieu, qui vivent dans un monde qui a perdu le sens de son origine en Dieu et
de son destin final en Lui. Le Pape Jean Paul II était profondément conscient de la nécessité
urgente, pour tous ceux qui vivent dans le Christ et dans l’Église d’enseigner la foi, de célébrer la
foi dans les sacrements et dans ce qui est leur prolongement : la prière et la dévotion. Le pape était
également conscient de la nécessité de vivre la foi à travers la pratique des vertus, comme la
première fois, c’est-à-dire avec l’engagement et l’énergie des premiers disciples, des premiers
apôtres de notre patrie, pour le salut du monde, c’est-à-dire pour que le Christ puisse assouvir la
grande faim spirituelle d’une culture sans Dieu. Devant la grave situation du monde d’aujourd’hui,
nous sommes, comme nous le rappelle le Pape Jean Paul II, comme les premiers disciples qui, après
avoir entendu le discours de saint Pierre à la Pentecôte, lui demandèrent : « Que devons-nous
faire ? »31
De même que les premiers disciples étaient face à un monde païen qui n’avait pas encore
entendu parler de Notre Seigneur Jésus Christ ; de même, nous aussi, face à une culture qui est
oublieuse de Dieu et hostile à Sa loi, pourtant écrite sur chaque cœur humain. Ne voyons-nous pas
que sainte Rose Philippine Duchesne a fait face à une situation similaire à son époque, demandant
au Seigneur ce qu’Il voulait d’elle, puis se donnant totalement à la tâche de Le porter à ses frères et
sœurs, en particulier aux plus nécessiteux ?
Devant le grand défi de notre époque, le Pape Jean-Paul II nous a avertis que nous ne nous
sauverons ni nous-mêmes ni notre monde en trouvant « une formule magique » ou en inventant un
« nouveau programme »32
. En termes non équivoques, il déclarait :
Non, ce n’est pas une formule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certitude
qu’elle nous inspire : Je suis avec vous !33
Il nous a rappelé que le programme grâce auquel nous devons répondre efficacement aux grands
défis spirituels de notre temps est finalement Jésus-Christ, vivant pour nous dans l’Église. Il
explique :
Le programme existe déjà : c’est celui de toujours, tiré de l’Évangile et de la
Tradition vivante. Il est centré, en dernière analyse, sur le Christ lui-même, qu’il faut
connaître, aimer, imiter, pour vivre en lui la vie trinitaire et pour transformer avec lui
31
Acts 2:37. 32
“formula veluti « magicam » …. « novo consilio ».” Ioannes Paulus PP. II, Epistula Apostolica Novo Millennio
Ineunte, “Magni Iubilaei anni MM sub exitum,” 6 Ianuarii 2001, Acta Apostolicae Sedis 93 (2001), p. 285, n. 29. [NMI].
Traduction française : Jean-Paul II, Lettre apostolique Novo millennio ineunte, “Au terme du Grand Jubilé de l’an
2000,” 6 janvier 2001, http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/apost_letters/documents/hf_jp-ii_apl_..., p. 13,
n. 29. [NMI-F]. 33
“Nullo modo: servabit nos nulla formula, verum Persona una atque certitudo illa quam nobis Ipsa infundit: Ego
vobiscum sum!” NMI, p. 285, n. 29. Traduction française: NMI-F, p. 13, n. 29.
19
l’histoire jusqu’à son achèvement dans la Jérusalem céleste. C’est un programme qui
ne change pas avec la variation des temps et des cultures, même s’il tient compte du
temps et de la culture pour un dialogue vrai et une communication efficace34
.
En bref, le programme menant à la liberté et au bonheur est, pour chacun de nous, la sainteté de la
vie. N’avons-nous pas vu comment la sainteté héroïque de la vie de sainte Rose Philippine
Duchesne avait des bases solides dans sa relation personnelle avec le Seigneur, vécue surtout dans
la dévotion eucharistique, et son prolongement dans la dévotion au Sacré Cœur de Jésus ?
Le Pape Jean Paul II, de fait, établit l’ensemble du plan pastoral pour l’Eglise en termes de
sainteté. Il l’explique ainsi :
En réalité, placer la programmation pastorale sous le signe de la sainteté est un choix
lourd de conséquences. Cela signifie exprimer la conviction que, si le Baptême fait
vraiment entrer dans la sainteté de Dieu au moyen de l’insertion dans le Christ et de
l’inhabitation de son Esprit, ce serait un contresens que de se contenter d’une vie
médiocre, vécue sous le signe d’une éthique minimaliste et d’une religiosité
superficielle. Demander à un catéchumène : « Veux-tu recevoir le Baptême ? »
signifie lui demander en même temps : « Veux-tu devenir saint ? » Cela veut dire
mettre sur sa route le caractère radical du discours sur la Montagne : « Soyez parfaits
comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48) 35
.
Le Pape Jean Paul II poursuivit, faisant référence au Concile œcuménique Vatican II, en nous
rappelant qu’« il ne faut pas se méprendre sur cet idéal de perfection comme s’il supposait une sorte
de vie extraordinaire que seuls quelques "génies" de la sainteté pourraient pratiquer ».36
Sainte Rose
Philippine Duchesne n’hésita pas à considérer que notre Seigneur l’appelait à l’amour parfait dans
les circonstances ordinaires de sa vie quotidienne.
34
“Iam enim praesto est consilium seu « programma »: illud nempe quod de Evangelio derivatur semper vivaque
Traditione. Tandem in Christo ipso deprehenditur istud, qui sane cognoscendus est, diligendus atque imitandus, ut vita
in ea trinitaria ducatur et cum eo historia ipsa transfiguretur ad suam usque in Hierosolymis caelestibus
consummationem. Institutum enim hoc, variantibus quidem temporibus ipsis atque culturae formis, non mutatur
quamvis rationem quidem habeat temporis et culturae, ut verum instituat diverbium efficacemque communicationem.”
NMI, pp. 285-286, no. 29. Traduction française: NMI-F, pp. 13-14, n. 29. 35
“Re quidem vera, si pastoralis ordinatio sub signo sanctitatis statuitur, aliquid compluribus cum consectariis
decernitur. Inde enim in primis firma aperitur sententia: si vera est Baptismus ingressio in Dei sanctitatem per
insertionem in Christum ipsum necnon Spiritus eius per inhabitionem, quaedam repugnantia est contentum esse
mediocri vita, quae ad normam transigitur ethnicae doctrinae minimum solum poscentis ac religionis superficiem
tantum tangentis. Ex catechumeno quaerere: « Vis baptizari? » eodem tempore est petere: « Vis sanctificari ? » Idem
valet ac deponere eius in via extremum Sermonis Montani principium: « Estote ergo vos perfecti, sicut Pater vester
caelestis perfectus est » (Mt 5, 48).” NMI, p. 288, n. 31. Traduction française: NMI-F, p. 15, n. 31. 36
“optima haec perfectionis species non ita est iudicanda quasi si genus quoddam secum importet vitae extraordinariae
quam soli aliqui sanctitatis « gigantes » traducere possint.” NMI, p. 288, n. 31. Traduction française: NMI-F, p. 15, n.
31.
20
Le Pape Jean Paul II nous enseigna la nature extraordinaire de notre vie ordinaire, parce
qu’elle est vécue dans le Christ et, par conséquent, produit en nous la beauté incomparable de la
sainteté. Il écrivait :
Les voies de la sainteté sont multiples et adaptées à la vocation de chacun. Je
remercie le Seigneur, qui m’a permis de béatifier et de canoniser ces dernières
années de nombreux chrétiens, et parmi eux beaucoup de laïcs qui se sont sanctifiés
dans les conditions les plus ordinaires de la vie. Il est temps de proposer de nouveau
à tous, avec conviction, ce « haut degré » de la vie chrétienne ordinaire : toute la vie
de la communauté ecclésiale et des familles chrétiennes doit mener dans cette
direction37
.
En voyant en nous la conversion de la vie quotidienne par laquelle nous nous efforçons d’atteindre à
la norme élevée de la sainteté (le « "haut degré" de la vie chrétienne ordinaire »), nos frères et
sœurs y découvriront le grand mystère de leur vie ordinaire propre dans laquelle Dieu les inonde
tous les jours de son amour incessant et incommensurable, les appelant à la sainteté de la vie dans le
Christ, Son Fils unique. Lorsque nous contemplons la vie de sainte Rose Philippine Duchesne, nous
sommes inspirés de mesurer notre vie quotidienne à ce « "haut degré" de la vie chrétienne
ordinaire », et ainsi d’apporter l’espoir et la joie à nos familles, à l’ensemble de la communauté et
au monde.
En pèlerinage au sanctuaire antique de saint Jacques le Majeur à Compostelle en Espagne,
en novembre 2006, le Pape Benoît XVI exhorta les Européens à reconnaître le grand don de
l’amour de Dieu dans le monde, en Jésus-Christ, et à le suivre dans la sainteté. Ses paroles aux
fidèles d’Europe, qui ont grandi si oublieux de Dieu et même hostiles à sa loi, s’appliquent
également à d’autres pays déchristianisés. Ses paroles sont encore éclairées par le contexte de son
pèlerinage, car le but même d’un pèlerinage est d’ouvrir nos yeux au grand mystère de l’amour de
Dieu dans nos vies, c’est d’ouvrir nos yeux pour voir la nature extraordinaire de la vie ordinaire.
Écoutons les paroles du Pape Benoît XVI :
Dieu est à l’origine de notre être et il est le fondement et le sommet de notre liberté,
et non son adversaire. Comment l’homme mortel peut-il être son propre fondement et
comment l’homme pécheur peut-il se réconcilier avec lui-même ? Comment est-il
possible que soit devenu public le silence sur la réalité première et essentielle de la
vie humaine ? Comment se peut-il que ce qui est le plus déterminant en elle soit
37
“Multiplices enim sanctitatis exsistunt viae atque cuiusque congruunt cum vocatione. Grates Domino referimus Nobis
quod concessit his proximis annis tot christianos et christianas inter beatos adnumerare ac sanctos, ex quibus plures laici
sanctimoniam sunt communissimis in vitae condicionibus adsecuti. Omnibus ergo tempus est iterum firmiter hunc
proponere « superiorem modum » ordinariae vitae christianae: ad hanc namque metam conducere debet omnis vita
ecclesialis communitatis ac familiarum christianarum.” NMI, p. 288, n. 31. Traduction française: NMI-F, p. 15, n. 31.
21
enfermé dans la sphère privée ou relégué dans la pénombre ? Nous, les hommes, ne
pouvons vivre dans les ténèbres, sans voir la lumière du soleil. Alors, comment est-il
possible que soit nié à Dieu, soleil des intelligences, force des volontés et boussole
de notre cœur, le droit de proposer cette lumière qui dissipe toute ténèbre ? Pour cela,
il est nécessaire que Dieu recommence à résonner joyeusement sous le ciel de
l’Europe ; que cette parole sainte ne soit jamais prononcée en vain ; qu’elle ne soit
pas faussée et utilisée à des fins qui ne sont pas les siennes. Il convient qu’elle soit
proclamée saintement ! Il est nécessaire que nous la percevions aussi dans la vie de
chaque jour, dans le silence du travail, dans l’amour fraternel et dans les difficultés
que les années apportent avec elles38
.
Les paroles de notre Saint-Père rendent clair le dynamisme inhérent à la vie du Saint Esprit en nous,
qui nous conduit à donner un témoignage au mystère de l’amour de Dieu dans notre vie, et donc de
convertir nos propres vies plus pleinement au Christ et à transformer notre monde. Sainte Rose
Philippine Duchesne est notre modèle pour laisser la lumière du Christ éclairer une fois de plus le
sens de notre vie quotidienne pour le salut du monde. De sa place au Ciel avec Notre Seigneur, elle
poursuit certainement, avec son zèle religieux et missionnaire, à nous aider dans les travaux de la
nouvelle évangélisation.
Acceptant le défi redoutable de la nouvelle évangélisation, sainte Rose Philippine nous
conduit à la prière et à la dévotion, surtout devant le Très Saint Sacrement, et elle nous fortifie par
son intercession. Comme la Vierge Marie, qui se tenait avec l’Apôtre Jean au pied de la croix et
élevait son Cœur Immaculé jusqu’au Cœur transpercé de Jésus, sainte Rose Philippine Duchesne
répondit à l’appel de Monseigneur du Bourg et à l’invitation du Père Pierre de Smet à travailler
avec eux dans l’évangélisation du troupeau, mettant au service de l’Eglise et de ses pasteurs ses
dons maternels. Sa vie, d’une manière particulière, nous rappelle combien le témoignage et les
apostolats des religieux consacrés sont importants dans la mission de l’Église. Prions, par
l’intercession de sainte Rose Philippine Duchesne, pour les jeunes femmes que le Seigneur appelle
38
“Dios es el origen de nuestro ser y cimiento y cúspide de nuestra libertad: no su oponente. ¿Cómo el hombre mortal
se va a fundar a sí mismo y cómo el hombre pecador se va a reconciliar a sí mismo? ¿Cómo es posible que se haya
hecho silencio público sobre la realidad primera y esencial de la vida humana? ¿Cómo lo más determinante de ella
puede ser recluido en la mera intimidad o remitido a la penumbra? Los hombres no podemos vivir a oscuras, sin ver la
luz del sol. Y, entonces, ¿cómo es posible que se le niegue a Dios, sol de las inteligencias, fuerza de las voluntades e
imán de nuestros coraziones, el derecho de proponer esa luz que disipa toda tiniebla? Por eso, es necessario que Dios
vuelva a resonar gozosamente bajo los cielos de Europa; que esa palabra santa no se pronuncie jamás en vano; que no se
pervierta haciéndola servir a fines que le son impropios. Es menester que se profiera santamente. Es necesario que la
percibamos así en la vida de cada día, en el silencio del trabajo, en el amor fraterno y en las dificultades que los años
traen consigo.” Benedictus PP. XVI, Homiliae, “Iter Apostolicum Summi Pontificis in urbem Compostellam – In
eucharistica celebratione sacro Compostellano anno recurrente,” die 6 Novembris 2010, Acta Apostolicae Sedis 102
(2010), pp. 881-882. Traduction française: Pape Benoît XVI, Homélie, Messe à l’occasion de l’Année Sainte
Compostellane, Place de l’Obradoiro à Saint-Jacques-de-Compostelle,
http://www.vatican.va/holy_father/benedict_svi/homilies/2010/documents/hf_ben-xvi..., p. 3.
22
à la vie consacrée aujourd’hui, qu’elles entendent son appel et y répondent avec tout leur cœur, à
l’imitation de l’exemple donné par de Sainte Rose Philippine Duchesne.
Conclusion
C’est mon espoir sincère que ces réflexions, inspirées par mon pèlerinage à Grenoble, nous
aidera tous à prendre part avec un engagement et une énergie renouvelés au travail de la nouvelle
évangélisation. Je prie pour que nous puissions tous recevoir les grâces d’une prière constante et de
la persévérance dans la volonté de Dieu, qui étaient si héroïquement à l’œuvre dans la vie de sainte
Rose Philippine Duchesne. Assurément, le défi de vivre la vie chrétienne à notre époque est grand.
Les tentations à la confusion et au découragement sont nombreuses. Mais nous ne devons jamais
perdre l’espérance, tout comme sainte Rose Philippine qui, à travers des épreuves sans fin, est restée
fermement convaincue que Notre Seigneur ne manquera pas de déverser sur elle, de son Sacré-
Cœur, les abondantes grâces de Sa miséricorde et de Son amour.
Que Sainte Rose Philippine nous inspire de donner notre cœur à Notre Seigneur Jésus, afin
qu’Il puisse le recevoir dans son Cœur glorieux, nous guérir et nous rendre forts dans son Cœur
transpercé, afin que notre cœur soit riche en son amour et soit grand ouvert pour recevoir Son
amour pour tous nos frères et sœurs.
Raymond Leo Cardinal Burke
Préfet du Suprême Tribunal de la Signature apostolique