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RÉSUMÉS
DES
COMMUNICATIONS
Colloque international
Enseigner la littérature
en questionnant les valeurs
21-22 novembre 2017
Canopé Grenoble
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LISTE DES RÉSUMÉS PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE
AHR Sylviane (U. Toulouse Jean Jaurès-ESPE, Laboratoire LLA/CRÉATIS, EA 4152)
« Littérature pour les collégiens » du cycle 4 : quelles valeurs ? quelles postures de lecture
face à ces valeurs ? »
Les programmes de français du cycle 4, en application à la rentrée 2016, invitent à développer
chez le lecteur adolescent une posture critique par rapport aux systèmes de valeurs portés par
les œuvres des littératures patrimoniale, contemporaine, antiques, étrangères, ou de jeunesse.
Parallèlement est proposée aux enseignants une nouvelle liste de « Littérature pour les
collégiens », qui tend à répondre aux enjeux littéraires mais aussi aux « enjeux de formation
personnelle ». Autant de facteurs qui invitent à examiner les (systèmes de) valeurs en jeu dans
les œuvres sélectionnées et, en particulier, dans celles, destinées aux collégiens de quatrième,
qui répondent au questionnement inscrit dans les programmes « Individu et société :
confrontation de valeurs ? ». Sont également à analyser les choix d’écriture réalisés par les
auteurs et leur incidence sur la nature du rapport aux univers fictifs qu’ils induisent.
Effectivement, comme le rappelle Vincent Jouve, « les valeurs véhiculées par le texte ne passent
pas seulement par les circuits balisés par le récit ; elles dépendent également du rapport que le
lecteur entretient avec l’univers fictionnel. L’attitude par rapport à la fiction, dans la mesure où
elle renvoie à l’opposition participation/distance ou fascination/recul critique, touche
directement à la question des valeurs. Le texte, pouvant conforter ou désamorcer
l’investissement dans le récit, a toute latitude pour conduire le lecteur soit à l’acceptation, soit
à la remise en cause des schémas qui lui sont inhérents » (2001 : 144). Questionner les valeurs
qui traversent telle ou telle fiction revient de fait à s’interroger aussi sur la relation personnelle
au monde fictif et aux personnages que son écriture favorise, perspective à laquelle il convient
de sensibiliser les enseignants.
ALBERT Sophie (U. Paris Sorbonne, « Etude et édition de textes médiévaux » EA 4347) et
LLORCA TONDA Maria Angeles (U. d’Alicante), « Images de l’Islam de part et d’autre
des frontières. Questionner les représentations de l’identité et de l’altérité par
l’enseignement de la littérature médiévale »
Comment amener des étudiant.e.s de licence à réfléchir sur des questions traversant les sociétés
contemporaines à partir de l’étude de la littérature médiévale ? Notre propos se centrera sur la
manière dont chacune de nous aborde par ses enseignements des questionnements éthiques
relatifs aux représentations de l’identité et de plusieurs « autres de l’homme occidental » : des
figures de l’altérité culturelle, religieuse et géographique, et en particulier le musulman, le
moro, tel qu’il est dépeint, imaginé et fantasmé dans des textes littéraires médiévaux français
et espagnols. Notre propos s’appuiera sur un projet de cours croisés que nous mettons en
pratique cette année dans nos deux universités.
Nous montrerons d’abord que ces questionnements ont une résonance distincte d’une part en
France et dans l’espace parisien, d’autre part en Espagne et dans le pays valencien. Nous
préciserons ensuite de quelle manière nous articulons une lecture contextuelle des textes, à la
lumière des modes de pensée médiévaux, et une lecture à la lumière de notions venues de
l’anthropologie culturelle dont nous essayons d’évaluer la pertinence et les conditions
d’application. Enfin, nous examinerons en quoi les différences d’interprétation entre le moment
de la production et le moment de la ou des réceptions peuvent ouvrir à une réflexion sur les
valeurs qui sous-tendent les textes et leurs interprétations. Nous espérons montrer que si
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l’enseignement de la littérature médiévale ne peut aucunement apporter de réponse à la « crise
des valeurs » contemporaine, il permet en revanche d’enrichir, de nuancer et de complexifier le
questionnement sur les valeurs, et de fournir aux étudiant.e.s, par le détour de la fiction et la
distance temporelle, des points de vue et des grilles de lecture fructueux.
ANSEL Yves (U. de Nantes – L’AMO EA 4276), « La question des valeurs dans
l'enseignement de la littérature est-elle compatible avec les orientations et apprentissages
de la discipline ? »
Depuis quelques décennies, l'histoire littéraire est revenue à l'ordre du jour, et la question des
valeurs avec elle. Mais quid du corpus, lequel élimine précisément les textes à thèse, les écrits
engagés qui sont autant de défenses et illustrations de valeurs ? Le panthéon scolaire n'aime
rien tant que les œuvres qui peuvent se présenter comme « au-dessus de la mêlée », inactuelles,
intemporelles, seulement soucieuses de style et de Beauté. Cela étant, les présupposés et
principes qui sous-tendent la présence (et l'absence) des auteurs dans les programmes scolaires
sont à interroger, à revoir.
Mais les corpus, les contenus, les démarches, les dispositifs, les postures, les programmations
et programmes mêmes ne sont sans doute pas ce qui déréalise, dévitalise le plus les textes
étudiés, ce qui empêche, de facto, d'« enseigner en se préoccupant des valeurs ». On n'aura
garde d'oublier en effet ce qui, pour « l'apprenant », matérialise, incarne, signe la discipline :
les exercices à faire, les contrôles, les épreuves du bac, les examens de fac. Et, c'est à ce niveau-
là aussi que le bât blesse, car, quels que soient par ailleurs les amendements que l'on pourrait
apporter aux corpus, aux postures, etc., aussi longtemps que l'on ne modifiera pas la nature des
apprentissages, aussi longtemps que l'on maintiendra le commentaire composé ou la
dissertation, « l'investissement éthique » relèvera d'une idée en l'air, d'une utopie, sans grande
incidence sur le terrain, sur les realia pédagogiques.
De fait, comment pouvoir « enseigner en se préoccupant des valeurs » si, par ailleurs, on se
garde de toucher aux pratiques de classe en vigueur, si on ne modifie pas les exercices d'usage
qui, c'est le moins que l'on puisse dire, n'ont cure de cette « préoccupation » ?...
AUGE Claire (Doctorante UMR 5316 LITT&ARTS / Litextra, UGA, Lycée Charlie Chaplin,
Décines ), « Lire collaborativement le Traité sur la tolérance de Voltaire pour faire
émerger une pensée personnelle sur le monde »
Il s'agit d'étudier l'appropriation du Traité sur la tolérance de Voltaire par une classe de
secondes d'un lycée général situé en banlieue lyonnaise (Décines). Suite aux attentats de Charlie
Hebdo en 2015, cet essai a été un best-seller des ventes. L'oeuvre patrimoniale a été reliée au
"monde dans lequel on vit" (Todorov, 2003) ; cela n'a pas été sans intriguer les élèves qui se
sont interrogés : "Pourquoi pour un évènement dramatique d'aujourd'hui, les gens ont-ils réagi
en allant chercher des réponses dans un texte écrit en 1763, il y a plus de deux cents ans? "
(Lucie) C'est dans cette perspective d'une lecture actualisante (Citton, 2007) que la lecture a été
proposée à la classe. Réunis en "cercles de lecteurs" (Tergwagne, 2006) et en "communautés
de recherche" (Soulié, Tozzi, Bucheton, 2008), les élèves ont lu collaborativement l’œuvre via
une plateforme numérique de lecture, Glose, et ont échangé lors de "discussions à visée
littéraire" (Soulié, Tozzi, Bucheton, 2008). Nous souhaitons étudier ici en quoi la lecture
collaborative a permis de faire émerger chez les élèves, et plus particulièrement les petits
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lecteurs, une "interrogation éthique" voire un "positionnement éthique" (Shwaky-Milcent,
2016). Pour cela, nous observerons les parcours de lecture de quelques profils de lecteurs afin
de voir en quoi les "discussions à visée littéraire" ont accompagné l'émergence d'un "sujet
moral" et d'une pensée personnelle sur le monde.
BAZILE Sandrine (U. de Montpellier, ALFA / LIRDEF EA 3749) :
« Théâtre contemporain pour la jeunesse et valeurs : quels critères pour un choix raisonné
d’œuvres pour la classe ? »
Cette proposition de communication s’inscrit dans le cadre général du projet TALC (Du texte
à la classe) porté par Brigitte Louichon (Université de Montpellier, ALFA-LIRDEF) qui vise
à décrire et analyser les pratiques effectives des enseignants de cycle 3 (CM et 6ème) en classe
de littérature. D’un point de vue méthodologique, afin de neutraliser un paramètre important de
la pratique enseignante que constitue le choix de l’œuvre ou du texte (Chabanne et al., 2008),
seront imposés aux enseignants le choix d’un genre (conte, roman, poésie et théâtre), d’une
œuvre et d’un extrait dans le cadre d’un parcours qui sera laissé libre.
Cependant, en amont de la mise en œuvre de ce projet (phase d’expérimentation) se pose la
question de la définition des critères qui vont orienter le choix de ces œuvres. Or c’est
précisément la définition de ces critères que notre proposition se propose d’interroger à la
lumière particulière du lien entre théâtre et valeurs : s’agit-il de définir ces critères au regard
des valeurs – éthiques ou esthétiques – issues des prescriptions institutionnelles ? Faut-il encore
favoriser les corpus aptes à favoriser l’investissement affectif et/ou éthique des élèves (Bazile,
2015) ou tout simplement les textes qui s’adressent au jeune public (Danan, 2015) ? S’agit-il
encore de questionner l’articulation entre valeurs et problématiques littéraires, le genre
devenant alors un argument saillant du choix (Bernanoce, 2013 ; 2015) ? Faut-il encore prendre
en compte les réticences des praticiens comme des chercheurs (Louichon, 2009) qui soulignent
conjointement l’inadaptation de ces textes réputés trop « résistants » pour permettre une
quelconque transmission ? Faut-il au contraire ne pas renoncer à des textes « politiquement
incorrects » au risque de heurter (Bazile, 2015) ? Peut-on en outre trouver des zones de
convergence entre les critères définis pour le genre théâtral et ceux définis pour les autres
genres, zones sans doute à trouver du côté des questions de l’axiologie et de l’incarnation des
valeurs (Louichon, 2015) ? Ou faut-il résolument penser la parole théâtrale comme un vecteur
particulier de ces valeurs (Corman, 2003 ; Meirieu, 2004) ?
BOUTEVIN Christine (U. de Montpellier, LIRDEF / ALFA), « Eduquer à la fraternité par
la poésie pour l'enfance et la jeunesse d'aujourd'hui »
Dans cette communication, nous nous demanderons s’il est possible aujourd’hui, à l’école,
d’éduquer à la fraternité par la poésie pour l’enfance et la jeunesse contemporaine (Ceysson,
1996 ; Boutevin, 2014). Nous interrogerons d’abord la notion même de fraternité en tant que
valeur républicaine dans le champ de l’éducation (Reboul, 1989 ; Mattei, 2004 ; Fabre et alii,
2016). Puis nous évoquerons la relation entre poésie et fraternité du point de vue des poètes et
des œuvres (Chamoiseau, 2017). Enfin, nous verrons à quelles conditions, cette éducation peut
avoir lieu (Jouve, 2002) en nous appuyant sur les œuvres de deux auteurs, François David (Les
hommes n’en font qu’à leur tête et Un rêve sans faim) et Jean-Pierre Siméon (Ici et Aie un
poète), préconisées dans les listes d’œuvres littéraires de référence au cycle 3 (CM1, CM2, 6e)
et au cycle 4 (5e, 4e, 3e).
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BREHM Sylvain (Université du Québec à Montréal), « La littérature en service commandé.
Le discours des manuels scolaires québécois sur les écrivains migrants »
Il s’agira d’examiner les caractéristiques et le produit du processus de valorisation de la «
littérature migrante » dans les six manuels de littérature québécoise destinés aux étudiants du
collégial. Le choix de ce corpus littéraire tient au fait qu'il accède à la reconnaissance du public
et de l'Institution au début des années 1990. Cela se manifeste notamment dans les anthologies
parues juste après la réforme de 1993 (Beaudet et Moisan, 2000). L'analyse du discours de ces
anthologies sur la littérature migrante fait apparaître un mélange implicite de considérations
éthiques et esthétiques, de jugements moraux et littéraires qui lient la littérature et la société
québécoises à une même destinée: «De même que la société québécoise, devant la présence de
communautés allogènes, a été amenée à mettre fin à l'homogénéité de son cantonnement
ethnique, de même la littérature voit l'occasion de redéfinir ses limites et de chercher de
nouveaux horizons» (Laurin: 2007: 223).
Il s’agira de mettre au jour les différents effets induits par la sélection des textes et des auteurs,
par les groupements dans des sections plus ou moins homogènes (tantôt fondées sur la « néo-
québécité » des auteurs, tantôt sur des critères esthétiques qui permettent de faire apparaître des écrivains immigrants et des écrivains québécois dans une même section), ainsi que par le
paratexte (discours d'escorte et consignes d'analyse données aux élèves). Ce travail permettra
de rendre compte de la manière dont la littérature migrante a été mise à contribution, au milieu
des années 1990, pour promouvoir une redéfinition de l'identité québécoise.
BRILLANT RANNOU Nathalie (U. Rennes 2, CELLAM EA 3206), « Faire participer sa
classe au Prix Louis Guilloux : un engagement littéraire, didactique et éthique »
En 2017, pour la 23è année consécutive, la Société des Amis de Louis Guilloux organise un
concours d’écriture. Le principe est de faire écrire des collégiens et des lycéens de façon
créative, à partir d’un sujet directement emprunté à l’œuvre de Louis Guilloux. Destiné à faire
connaître l’écrivain, le Prix suscite aussi une démarche de projet, la collaboration à un
événement inter-établissements et la diffusion d’une conception humaniste de la littérature. En
effet, la question des valeurs draine fortement les écrits autobiographiques de l’auteur qualifié
volontiers d’« engagé », ainsi que l’histoire de la réception son œuvre.
Nous voudrions donc évaluer la part d’intérêt que les enseignants peuvent porter à la question
des valeurs lorsqu’ils impliquent leurs élèves dans le Prix Louis Guilloux. Nous voudrions
savoir si cet aspect saillant de l’œuvre du romancier est un moteur didactique ou au contraire
un point aveugle pour son enseignement. En effet, dans quelle mesure la construction
axiologique fait-elle partie des activités fictionnalisantes du lecteur que les professeurs de
français cherchent à construire consciemment et méthodiquement chez leurs élèves ?
L’ambition de cette communication tient donc à la mise en évidence du rôle didactique joué
implicitement par les valeurs que l’enseignant reconnaît dans une œuvre littéraire. La question
touche donc à l’action éthique de la littérature, à sa performativité axiologique et à ses effets en
situation d’enseignement. Nous posons comme hypothèse que les valeurs qui ont pu motiver
l’enseignant à choisir de travailler sur une œuvre en classe ne sont pas nécessairement celles
que les élèves auront perçues et intégrées à propos de l’œuvre en question. Le cas particulier
du Prix Louis Guilloux peut nous donner un exemple de cette diffraction des valeurs, qui n’est
pas forcément une déconstruction, mais une reconfiguration axiologique par des lecteurs réels,
divers et singuliers.
La méthode employée pour cette recherche exploratoire combine plusieurs démarches. La
première étape consiste à analyser la liste des 23 sujets proposés et les critères d’évaluation des
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productions déclarés par les organisateurs du Prix, à l’aulne de la question des valeurs sous-
tendue. Le second ensemble de données résulte d’un questionnaire adressé aux enseignants
impliqués dans le Prix. Enfin, l’ensemble des productions de 2017, et des oeuvres lauréates des
années précédentes est analysé sous l’angle axiologique. Nous souhaitons que l’étude de cas
proposée débouche sur une redéfinition de certaines notions-clés en didactique de la littérature
dans le cadre d’une attention apportée au sujet lecteur.
BRUNEL Magali (U. Aix-Marseille-ESPE, UMR 5316 LITT&ARTS/ Litextra), DUFAYS
Jean-Louis (U. Catholique de Louvain), « Quelle gestion didactique de l’appréciation du
texte littéraire ? »
Dans le cadre d’un symposium, notre groupe de recherche international (Belgique, France,
Canada et Suisse) se propose de se concentrer, dans deux communications distinctes mais
articulées l’une à l’autre, sur l’analyse des valeurs mobilisées par les élèves dans le cadre de la
lecture de textes littéraires et sur leur exploitation didactique par les enseignants.
Partant du principe que l’appréciation du texte est une compétence qui s’enseigne et se
cultive, et qu’elle participe de l’actualisation de la littérature à l’articulation de la culture
personnelle ou de la « bibliothèque intérieure » de l’élève (Rouxel & Louichon 2010) et des
communautés interprétatives (Fish 2007), nous prendrons d’abord appui sur les données que
nous avons recueillies auprès d’élèves de 12 et de 15 ans à propos d’une nouvelle de Romain
Gary, « J’ai soif d’innocence », pour étudier la manière dont ils expriment leur appréciation du
texte : il s’agira d’observer comment l’élève déploie une activité évaluatrice et comment celle-
ci évolue entre 12 et 15 ans et d’observer si des différences apparaissent à ce propos entre les
élèves français, suisses, belges et québécois.
CALLEJA-ROQUE Isabelle (Litt&Arts), « Des Femmes savantes à L'Ecole des femmes : le
Molière des manuels, un miroir des valeurs prônées par l'école ».
Molière est l’auteur patrimonial par excellence. Depuis le XIX° siècle, l’exploitation de son
œuvre dans les manuels du secondaire témoigne de l’importance que l’institution scolaire a
toujours accordée à la valeur éducative de l’enseignement de la littérature, laquelle est
étroitement dépendante de l’évolution de la société et de ses mentalités. L’exemple de
l’exploitation de la comédie des Femmes savantes et de celle de L’Ecole des femmes est à ce
titre révélateur du fait que les manuels sont le miroir de l’évolution des valeurs prônées par
l’école. Parmi toutes les grandes œuvres canoniques régulièrement inscrites aux programmes
officiels, seule la pièce des Femmes savantes a disparu des manuels depuis la fin du XX° siècle,
remplacée par L’Ecole des femmes. Cette étonnante disgrâce, anticipée par les manuels qui
devancent les textes institutionnels, témoigne d’une évolution fondamentale dans la conception
de la littérature à l’école. Elle reflète les changements sociaux qu’opère le dernier quart du XX°
siècle et que vont entériner les instructions de 1981 et de 1987. Les textes littéraires ne sont
désormais plus considérés comme les garants d’une éducation morale. Ils s’inscrivent plutôt
dans une tradition humaniste, une culture ouverte, « libératrice » qui se doit d’être le reflet des
valeurs de la société de son temps. Miroir de l’évolution des mentalités, la sélection des extraits
choisis de l’œuvre de Molière dans les manuels de la fin du XX° siècle atteste ainsi du
changement de regard porté sur la femme. « L’admirable Henriette », égérie féminine donnée
en exemple aux élèves jusqu’au milieu du siècle précédent cède donc la place à « l’ingénue
Agnès », plus en phase avec les valeurs d’une société qui prône l’égalité des sexes.
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CASTRO Idoli (U. Lyon 2, Passages XIX-XXI, EA 4160), « Une po-éthique en projet : la
poésie en œuvre en classe d’Espagnol »
Partant de concepts nourris par le débat actuel autour de l’application et l’organisation des
nouveaux défis éducatifs de l’Education morale et civique, nous aborderons simultanément les
questions épistémologiques concernant la poésie et son enseignement, mais plus précisément
dans le cadre des cours de langue espagnole et, en amont, au sein de la formation MEEF des
stagiaires d’Espagnol. Nous pourrons ainsi présenter une variété de projets, dont « El grafitero
poeta », centré sur le « personnage » de Batania-neorrabioso (poète-graffeur installé à Madrid),
qui fera porter notre réflexion sur les traces poétiques dans l’espace public et les façons de
l’« habiter poétiquement » (tel que le conçoit Jean-Claude Pinson et suivant son concept de
« poétariat »). Cependant, nous centrerons essentiellement notre analyse sur des projets
construits pour des classes de 3ème et 2nd autour de l’action poétique El Gran poema de
nadie (Le grand poème de personne) fondé sur l’expérience du poète – performer Dionisio
Cañas, dans la perspective d’une écopoétique. Nous en analyserons les enjeux, à travers les
productions d’élèves, et envisagerons d’autres pistes d’exploitation pédagogique en cours
d’application, à travers un atelier poétique, fondé sur la com-préhension d’une fraternité des langues (il s’agit notamment de « sensibiliser » poétiquement un public français aux liens entre
la langue française, espagnole et arabe), gardant à l’esprit que l’homme se structure comme un
langage mais surtout que la langue que l’on parle (ou apprend, en l’occurrence, l’espagnol) est
oxygénée par d’autres langues. Ces projets visent à sensibiliser les élèves à l’ethos poétique,
aux « vertus éthopoïétiques » (Monchoachi) de la poésie, attentive au sort commun, aux
habitus et parlers du corps social et du corps intime comme à l’expérience contingente de
l’existence de chacun, auscultant tout « notre exercice de vivre » (selon la formule de
Montaigne citée en exemple par L. Gaspar).
COUTEAUX Cécile (U. Toulouse Jean Jaurès, EA LLA CREATIS, EA 4152), « Valeurs
humanistes / valeurs républicaines et enseignement du français en France depuis le
premier socle commun »
Il nous semble nécessaire, pour aborder la question des valeurs dans l’enseignement du français,
d’interroger l’histoire de la notion d’« humanités ». Dans un premier temps, nous tenterons de
définir cette notion difficile à saisir, et en évolution constante : apparentée à l’humanitas
romaine qui, grâce aux artes humanitatis hérités des grecs, rend possible la sociabilité
(Vesperini, 2015), son pluriel d’usage est lié à sa capacité à ‘’rendre plus humain’’ (humaniores
litterae), et partant, au programme d’éducation que l’expression sous-tend à partir de la
Renaissance (Fumaroli, 2000). C’est donc d’abord à des fins de renovatio qu’elles servent de
modèle (Hartog, 2011). Les humanities anglo-saxonnes en renouvellent d’ailleurs aujourd’hui
la portée, tirant le terme vers la philosophie et les sciences sociales (Citton, 2015). Partagé entre
conservation d’un patrimoine et renouveau, le mot est encore fécond : les nouvelles « humanités
numériques » en témoignent. Il continue de poser la question centrale : qu’est-ce qu’être un
« honnête homme » (ou une « honnête femme ») aujourd’hui ?
Dans un second temps, nous interrogerons le décalage constaté entre les prescriptions
institutionnelles pour le collège, influencées par la vivacité de la recherche sur les questions de
la « culture humaniste », des « humanités » et des « valeurs » communes depuis le premier
socle, et le peu d’écho que ces questions trouvent parmi les enseignants. Nous montrerons en
effet, à partir des archives de Weblettres et de Neoprof, les deux forums enseignants les plus
utilisés, la quasi-absence de ces problématiques dans les fils de discussion, au profit de
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questions portant sur les choix de corpus, peu souvent justifiés, et les méthodes. Nous
proposerons d’interpréter ces résultats par plusieurs facteurs, dont le manque d’explicitation de
la notion dans les textes officiels jusqu’à 2015, la résistance professionnelle à la dimension
transdisciplinaire de ces questions, la prédominance des interrogations pratiques et de la
méthode dans l’urgence des échanges quotidiens.
CROMBET Hélène (U. Bordeaux Montaigne, EA 4426 MICA), « Questionner l’expérience
duale de l’abject : le personnage de fiction comme support d’autonomisation éthique du
lecteur »
A partir d’extraits de romans de la littérature française du XXIe siècle ayant en commun
de relater la guerre d’Algérie, nous nous interrogerons sur les enjeux liés à l’immersion du sujet
à travers des personnages qui font montre d’une noirceur singulière, dans une approche orientée
vers la narratologie dite post-classique (Gerald Prince). Nous émettrons l’hypothèse que cette
expérience soulève l’émergence de l’abjection entendue comme une émotion conflictuelle qui
mobilise deux sensations contraires, entre fascination et révulsion du lecteur. A travers
l’expérience d’une vacillation pendulaire qui vient bousculer les frontières liminaires de son
identité, le sujet est amené à prendre pour objet l’abject : ces romans lui permettent de faire
l’épreuve d’un entre-deux dans un processus ambivalent entre deux pôles polémiques, entre un
processus de dépersonnalisation régressive et l’émergence de sa conscience morale. A travers
une réflexion ontologique et axiologique, nous montrerons ainsi que cette expérience le met en
présence d’une violence extrême qui le regarde mais qui le garde alternativement de lui-même.
Dans cette perspective, le personnage pourrait apparaître comme le substrat d’un
processus d’autonomisation éthique, tel un pilier fondamental autour duquel s’articulent des
moments d’indifférenciation et de différenciation du lecteur, en constituant un matériau
d’élaboration de son propre - ou de son impropre discours.
Aussi cette proposition est-elle susceptible d’ouvrir à une réflexion portant sur le rôle
de la littérature dans la représentation d’événements traumatiques, et sur ses enjeux mémoriels.
DENOYELLE Corinne (U. Grenoble-Alpes, UMR 5316 LITT&ARTS / RARE), BROUZES
Camille (U. Grenoble-Alpes, UMR 5316 LITT&ARTS / ISA) « Enjeux culturels et moraux
de l'enseignement de la littérature médiévale »
La littérature médiévale est difficile d’accès aujourd’hui pour les élèves du secondaire et pour
les étudiants : outre la différence de langue et la différence de construction narrative qui rebute
des lecteurs pas toujours aguerris, elle pose le gros problème des valeurs mises en scène. Une
jeune fille ou un jeune homme du XXIe siècle est forcément mis mal à l’aise par le regard
d’emblée misogyne posé sur les femmes, par l’indifférence aux violences qu’elles subissent,
par le mépris sadique des faibles, des fous, des infirmes, par la haine de l’étranger, du
musulman, par la croyance aveugle et fanatique en un Dieu vengeur. Pourtant ces textes font
non seulement partie de notre patrimoine littéraire, mais ils fondent aussi nombre de nos mythes
occidentaux et notre imaginaire.
Nous chercherons comment il est possible de donner aux jeunes lecteurs les clés d’entrée dans
ces textes sans trahir cette période historique, en l’édulcorant ou en la noircissant. Mais au-delà
nous nous interrogerons sur le sens que l’on peut donner à cet enseignement. Comme le
demandait Christopher Lucken au sujet de la Chanson de Roland au programme de l’agrégation
en tant que « œuvre majeure de notre littérature », qu’attend-on de l’enseignement des textes
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anciens aujourd’hui ? « Les valeurs qu’elle met en scène ne concernent-elles que son analyse
thématique ou sont-elles destinées à l’éducation morale d’un lecteur qui doit s’y rapporter afin
d’y puiser des modèles de comportement ? À quoi se réfère d’ailleurs exactement ce ‘fonds
commun de la culture nationale’ et que signifie le possessif ‘notre’ appliqué au terme de
littérature ? »
En nous appuyant sur des exemples tirés de chansons de geste ou de romans parmi les plus
célèbres, souvent au programme du secondaire, et en travaillant entre autres sur quelques
adaptations pour la jeunesse qui ont été faites de ces textes, nous poserons la question de la
portée éthique de cet enseignement.
DIAS-CHIARUTTINI Ana (U. Lille, Théodile-CIREL, 4354), « Réceptions scolaires du
Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry. La formation éthique du sujet lecteur »
A partir du verbatim échangé lors d’un débat interprétatif et à partir des écrits préparatoires de
25 élèves portant sur ce qu’ils ont aimé ou n’ont pas aimé pour chaque chapitre de l’opus de
Saint Exupéry, nous examinerons une modalité de fusion entre le débat interprétatif et les
discussions philosophiques (Dias-Chiaruttini, 2015). Il s’agira de voir comment entre
réceptions singulières et réception collective le sens du texte se construit, se déconstruit et
contribue à la formation éthique des sujets didactiques en situation de lecture. Les jugements
que portent les élèves sur le comportement de chaque personnage rencontré construisent
progressivement une réception contrastée qui oscille entre morale chrétienne et doctrine
marxiste. Les confrontations et désaccords qui s’expriment entre les élèves portent précisément
sur ces deux visions du monde, deux abimes que le texte exupérien rejette et réconcilie à la fois.
La figure de l’adulte cristallise toutes les critiques d’un monde matérialiste exempt d’altruisme
et de compassion à partir duquel les élèves débattent sur deux plans axiologiques : le vrai vs le
faux ; le bien vs le mal. Le personnage du Petit Prince n’est porteur d’aucun projet sociétal ;
c’est confronté à son humanité et à sa solitude qu’il devient le symbole de l’immortalité et d’une
sagesse universelle, que les élèves perçoivent et discutent.
L’analyse des métatextes écrits et oraux permet d’interroger l’efficience des dispositifs
didactiques (appréciations écrites et débat interprétatif) et éclaire comment les élèves oscillent
entre identification et distanciation (Dufays, 2006), entre coopération et interprétation (au sens
de Eco, 1977) et contribuent ainsi à la formation éthique des sujets didactiques dans leur triple
dimension d’élève, de sujet lecteur et de sujet moral. Nous verrons comment ces dimensions du
sujet s’articulent pour appréhender l’activité de réception de valeurs portées par le texte.
DISPY Micheline (inspectrice de l’Enseignement, directrice pédagogique de L’Ecole
Supérieure de Pédagogie de la Province de Liège, collaboratrice scientifique de L’Université
de Liège), « Comment aider les instituteurs à pourvoir les élèves de capacités de mettre en
question les valeurs présidant aux conduites des personnages des récits de fiction ? »
En Belgique francophone, la récente introduction, dans l’enseignement primaire, d’un cours
d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté pourrait laisser penser qu’il y avait, dans
l’éventail des disciplines, un vide à combler. Or, parmi les missions générales attribuées par les
responsables politiques à l’institution scolaire, missions que chaque enseignant devrait assumer,
figure celle de « preparer tous les eleves a etre des citoyens responsables, capables de contribuer
au developpement d’une societe democratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres
cultures ».
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Après avoir succinctement caractérisé la formation des instituteurs en Belgique francophone et
rappelé finalités assignées à l’école fondamentale, je ferai part de quelques initiatives qui
pourraient être prises afin de pourvoir ces derniers de quatre aptitudes. L’aptitude à émettre un
jugement sur la valeur relative d’une œuvre destinée à la jeunesse. L’aptitude à déterminer des
objectifs d’apprentissage. L’aptitude à concevoir des tâches propres à développer une
inclination à juger de la valeur des récits de fiction et à mettre en question les valeurs présidant
aux conduites des personnages. L’aptitude enfin à énoncer les savoirs, les savoir-faire, les
savoir-être et les valeurs que la réalisation de ces tâches est censée permettre aux élèves de
s’approprer.
Je m’appuierai pour ce faire sur la triple distinction que Nathalie Heinich opère dans le champ
sémantique du nom « valeur », sur l’analyse d’un dispositif didactique que propose notre équipe
et sur les facteurs de l’effet-valeur potentiel que répertorie Vincent Jouve.
Je concrétiserai mes propositions en envisageant quelques albums que j’ai abordés dans le cadre
de la formation continue des maitres : Je suis le plus fort et Je suis le plus beau, de Mario
Ramos, Petite tache de Lionel Le Néouanic et L’agneau qui ne voulait pas devenir un mouton
de Didier et Zad.
EMERY-BRUNEAU Judith (U. du Québec en Outaouais), CAPT Vincent (HEP Vaud,
Lausanne), FLOREY Sonia (HEP Vaud, Lausanne), « Le discours des élèves sur les valeurs
du texte littéraire : quelle évolution de 12 à 15 ans, et quelles variations selon les pays ? »
Dans le cadre d’un symposium, notre groupe de recherche international (Belgique, France,
Canada et Suisse) se propose de se concentrer, dans deux communications distinctes mais
articulées l’une à l’autre, sur l’analyse des valeurs mobilisées par les élèves dans le cadre de la
lecture de textes littéraires et sur leur exploitation didactique par les enseignants.
Nous souhaitons dans cette seconde communication mesurer, à l’aune de notre corpus de
séances (dans chacun des quatre pays, six séances ont été filmées et transcrites, à raison de trois
pour chacun des deux niveaux d’âge), comment les enseignants prennent en charge cet aspect
de la lecture de l’élève : un espace est-il ouvert pour l’appréciation du texte littéraire ? Si oui,
selon quels cadres et quels dispositifs didactiques ? A quel moment ce questionnement apparait-
il dans le scénario didactique ? L’évaluation personnelle de l’enseignant joue-t-elle un rôle dans
le déroulement de ces activités ? Certaines appréciations sont-elles collectivement retenues et,
si oui, sur quelles bases ?
FADILY Nourredine (Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ben M’Sik, Casablanca),
« Une œuvre pour la jeunesse en classe de FLE : Quel enseignement pour quelles
valeurs ? »
La réforme qu’a connue le système éducatif marocain au début de ce siècle a apporté un souffle
nouveau à l’enseignement des langues, le français en l’occurrence. A cet égard, au cycle
secondaire collégial, les programmes scolaires sont révisés et de nouveaux manuels scolaires
sont lancés.
De toute vraisemblance, les langues véhiculent un moyen de promotion des valeurs. Imprégnés
par cette conviction, les curricula plaident pour l’éducation aux valeurs qu’ils considèrent
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comme une dimension de la plus haute importance au sein du dispositif pédagogique et une
préoccupation institutionnelle de premier ordre. Parmi les choix accordés à la classe de FLE,
nous citons la lecture d’une œuvre intégrale à la fin de ce cursus. Ceci dit, à l’issue du cycle
susmentionné est programmée une œuvre appartenant à la littérature de jeunesse : l’île au trésor
de Robert Louis Stevenson. Œuvre pour la jeunesse, récit d’aventures ou œuvre d’éducation,
l’objectif s’avère intéressant : confronter l’élève aux situations délicates de la vie et l’inviter à
établir des correspondances et des liens avec le monde actuel, surtout qu’il suit scrupuleusement
un héros à qui il peut s’identifier étant donné le même âge, les mêmes préoccupations et les
mêmes réflexions.
Le dernier semestre, correspondant à la sixième période, propose une panoplie d’activités
tournant autour de ce roman : juger un personnage, critiquer une conduite, organiser un procès,
incarner un rôle… Concernant la question des valeurs et son traitement en classe, nous
rappelons que les textes officiels insistent sur la nécessité d’aborder les valeurs comme finalités
et comme fondements culturels et non comme contenus spécifiques et développés à étudier en
classe en tant que tels. Nous comprenons ici que les différentes activités (de lecture,
d’expression orale ou écrite) subordonnées à l’œuvre en question ne sont pas décontextualisées.
Au contraire, elles sont tellement liées au contexte du récit qu’on peut en transposer l’essentiel
dans la vie réelle par le truchement du débat, de l’argumentation et de l’expression d’opinion
personnelle.
Nous nous demandons comment l’approche didactique mise en avant, où l’éducation aux
valeurs ne requiert pas de démarche pédagogique particulière sur le plan méthodologique, est
susceptible d’interpeller les enseignants et les apprenants et de solliciter davantage (ou non) la
posture axiologique tout en rapportant des expériences vécues avec les élèves de troisième
année du secondaire collégial marocain chaque fois que cette œuvre littéraire est abordée en
classe de FLE.
FINET Béatrice, (ESPE d’Amiens - CAREF EA 4697), « Que faire des émotions ? »
Nous nous intéresserons à la question du type de lecteur que l’école souhaite faire émerger. Le
lecteur autonome est celui qui est capable de s’emparer d’un texte et de le comprendre sans
l’aide de ses maîtres. Le lecteur modèle est alors celui qui est capable de faire des inférences,
de questionner le texte sur le fond et la forme et de le mettre à distance. C’est celui qui est
capable de l’interroger voire de le remettre en question. Dès lors, l’entreprise de formation du
lecteur consiste à donner aux élèves les moyens de dépasser une lecture purement heuristique
pour aller vers une lecture herméneutique.
La première entrée dans la lecture, se fait de façon heuristique par le biais de l’identification
aux personnages et à leurs émotions, tandis que l’accès à la littérature relève de
l’herméneutique. Les actuels programmes d’EMC invitent les enseignants à travailler la
question de la sensibilité avec les élèves en s’appuyant sur la littérature pour la jeunesse, dès le
cycle2. Cette invitation, qui prend en compte la littérature comme lieu de connaissance et
d’expérimentation ne peut être efficace, c’est -à-dire distincte d’une entreprise moralisante
voire de moralisation, qu’à condition que les émotions soient comprises et ensuite dépassées,
de façon à permettre la réflexion et la formation éthique de l’élève. Dans cette articulation entre
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littérature et formation du citoyen, il nous semble alors important de nous intéresser aux
émotions et à leur rôle dans la formation du lecteur, du citoyen et du sujet. Comment à la fois
s’appuyer sur celles programmées par le texte et ressenties par les élèves, tout en les mettant à
distance pour que les apprentis lecteurs dépassent cette première forme de connaissance pour
en faire une expérience ? Cette réflexion prendra appui sur un corpus d’ouvrages de littérature
pour la jeunesse portant sur la première guerre mondiale et adressés à des élèves de cycle3.
FOURGNAUD Magali (U. Bordeaux-Montaigne, ESPE, laboratoire TELEM) « Lire les
contes philosophiques de Diderot : une expérience éthique »
Il s’agira ici de s’interroger sur les spécificités du conte philosophique : en quoi sa lecture
permet-elle de développer le sens éthique du lecteur ? La fonction philosophique (c’est-à-dire
éthique) de ce sous-genre réside dans le mode de déchiffrement qu’il induit. D’une part, ces
récits en appellent à l’empathie du lecteur, d’autre part, ils mettent en scène des dilemmes
moraux, conduisant ce dernier à suspendre son jugement. En somme, le conte philosophique se
propose comme une expérience de philosophie morale. La lecture s’apparente dès lors à une
épreuve initiatique : la démarche herméneutique conduit à un éclairement des consciences. Pour
vérifier cette hypothèse, je m’appuierai sur trois contes de Diderot : Les Deux amis de
Bourbonne (1770), Madame de La Carlière, ou l’inconstance du jugement public (1773) et
Entretien d’un père avec ses enfants ou du danger de se mettre au-dessus des lois (1781). Loin
de proposer une morale univoque ou des personnages manichéens, ces trois contes mettent en
évidence la subjectivité (et donc la relativité) de toute action morale. En outre, ces trois récits
se caractérisent par une esthétique et une éthique de la contradiction : le lecteur devient ainsi
enquêteur, cherchant à débusquer le faux du vrai. En ce sens, ces récits peuvent servir de
supports pédagogiques pour favoriser en classe une réflexion sur « l’éthique complexe », selon
le mot d’Edgar Morin, c’est-à-dire à une approche de l’éthique dans ce qu’elle a d’opaque,
d’incertain et de problématique. Nous pourrions dès lors proposer une séquence didactique,
destinée à une classe de 1ière, consacrée à l’étude de l’Entretien d’un père avec ses enfants.
GUERRINI Jean-Claude, (ICAR / CNRS – ENS Lyon), « Les valeurs au cœur de la
littérature et du langage. Éloge de la méthode comparative »
La question des valeurs n’est pas extérieure à l’enseignement de la langue et de la littérature,
elle en constitue le cœur. Si l’on est attentif à la manière dont s’expriment les jugements, les
points de vue, les partis pris des personnages (de roman ou de théâtre), des poètes, des auteurs
d’essais ou de manifestes, on dispose d’une matière inépuisable pour une enquête méthodique
sur le mode de formulation des valeurs et des jugements de valeur.
L’un des moyens de ce travail de sensibilisation consiste en une approche comparative. C’est
en effet dans les conflits qui animent les intrigues romanesques ou les fables dramatiques, dans
les rivalités qui opposent les courants littéraires, dans les choix d’écriture singuliers qui
viennent bouleverser les attentes du lecteur, qu’il est possible de procéder à une véritable
initiation aux enjeux éthiques, moraux, esthétiques, politiques de l’existence.
En me limitant au cadre restreint de l’étude des textes prévue pour l’épreuve anticipée de
français, je voudrais montrer comment l’attention à la subjectivité langagière (Kerbrat-
Orecchioni, 1980, Angenot, 1982) constitue une entrée privilégiée dès lors que l’on ne se
contente pas de caractériser localement tel ou tel usage des termes péjoratifs ou mélioratifs,
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mais que l’on cherche à repérer les récurrences et les oppositions significatives qui construisent
une position axiologique. Traiter la question des valeurs ne consiste pas seulement à repérer et
commenter les mots- drapeaux (liberté, solidarité, beauté, etc.), mais aussi à mettre en évidence
les réseaux lexicaux, les relations actantielles, les parcours spatiaux, temporels ou narratifs qui
permettent la valorisation ou la dévalorisation d’un objet, d’une personne, d’une pratique, d’une
idée (Perelman, 1958, Greimas, 1979, Guerrini, 1999). Les cas que je présenterai ne prétendent
à aucune originalité, mais sont susceptibles de faire apparaître clairement comment des
positions de valeur peuvent être identifiées dans l’étude des textes et conduire à des
problématiques permettant d’organiser un groupement de textes, l’étude d’une œuvre complète,
ou même de structurer le travail de toute une année. Je mobiliserai notamment les exemples
suivants :
- le débat sur « sauvages et civilisés » au XVIIIe siècle
- la relation maîtres et valets au XVIIIe siècle
- la question de l’optimisme et du pessimisme
- le problème de l’éducation des filles
- les représentations du voyage
Le cas du roman de Victor Hugo Quatre-vingt-treize qui fournit un cas particulièrement
intéressant de distribution de rôles axiologiques face à une situation de crise sera examiné un
peu en détail.
Mais c’est aussi la présentation des principaux courants littéraires qui relève d’une enquête
axiologique : le dosage des préoccupations esthétiques et éthiques, l’accent mis sur le moi,
l’autre humain ou non-humain (la nature ou les objets), le surnaturel, l’idéal, l’imaginaire,
déterminent des choix d’écriture et des postures d’engagement au sein desquelles les
singularités trouvent à s’exprimer. C’est ce que je tenterai d’illustrer chemin faisant, en
montrant comment les enjeux anthropologiques de la littérature s’enracinent dans des choix
axiologiques concurrents qui permettent de comprendre ce que sont les valeurs et pourquoi elles
comptent dans la vie de chacun.
HEINICH Nathalie ( EHESS, UMR 8566 CRAL ), « Définir la valeur d’un point de vue
sociologique »
Qu’est-ce qu’une valeur ? Au rebours de la métaphysique et de la philosophie morale, qui ont
longtemps monopolisé cette question, l’approche sociologique autorise à la fois une ontologie
de la notion de valeur, en mettant en évidence la pluralité des sens qu’elle revêt pour les acteurs ;
et une pragmatique du rapport aux valeurs, appuyée sur l’observation des situations effectives
dans lesquelles les valeurs sont sollicitées par les acteurs, et sur l’analyse des conditions de leur
efficacité.
Contrairement à la philosophie morale, qui prétend dire ce que seraient les « vraies » valeurs,
la « sociologie axiologique » s’attache concrètement à ce que sont les valeurs pour les acteurs :
comment ils évaluent, opinent, pétitionnent, expertisent ; comment ils attribuent de « la »
valeur, en un premier sens, par le prix, par le jugement ou par l’attachement ; comment les
différents objets ainsi valorisés – choses, personnes, actions, états du monde – deviennent des
« valeurs » en un deuxième sens (la paix, le travail, la famille…) ; et comment ces processus
d’attribution de valeur reposent sur des « valeurs », en un troisième sens, c’est-à-dire des
principes largement partagés (la vérité, la bonté, la beauté…) mais diversement mis en œuvre
selon les sujets qui évaluent, les objets évalués et les contextes de l’évaluation.
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L’analyse pragmatique de jugements produits en situation réelle, de controverses, de différends
impossibles à clore – tels les débats sur la corrida – permet de mettre en évidence la culture des
valeurs que partagent les membres d’une même société. L’on découvre ainsi que, contrairement
à quelques idées reçues, l’opinion n’est pas réductible à l’opinion publique, pas plus que la
valeur ne l’est au prix, ni les valeurs à la morale ; que les valeurs ne sont ni de droite ni de
gauche ; et qu’elles ne sont ni des entités métaphysiques existant « en soi », ni des constructions
arbitraires ou des dissimulations d’intérêts cachés.
HENRION LATCHE Johanna (U. Clermont-Auvergne, ACTÉ, EA 4281), « Esprit critique
en lycée professionnel : l’exemple des discussions à visée philosophique comme pratiques
dialogiques de résilience culturelle »
La pensée critique nécessite d’être étayée par différentes aptitudes (sociales, émotionnelles,
cognitives) afin de permettre l’exercice de l’esprit critique et réflexif avec des élèves. Quand
ces élèves, au stade de l’adolescence, abordent des comportements dysfonctionnels traduisant
des manques en lien avec des parcours chaotiques, il est possible de travailler en groupe l’esprit
critique dans une praxis de résilience dans l’objectif de rebondir sur ses pensées autour de
discussions situées à l’aide de supports littéraires de type conte ou récit « ad-hoc » permettant
de questionner à bonne distance les problématiques humaines et existentielles. Si ces questions
sont situées dans un cadre porteur, garantissant la loi, permettant de créer des liens, en
développant du sens, alors, le protocole s’inscrit dans une démarche de résilience culturelle,
comme garante du sens commun. Notre contribution s’appuie sur des présentations de supports
et des expériences conduites en lycée professionnel, avec des adolescents des lycées du
bâtiment.
JAVERZAT Marie-Claude (ESPE d’Aquitaine, Lab. E3D), « La figure de la ruse en
littérature de jeunesse à l’école primaire : un mensonge acceptable ? »
La capacité qu’ont les jeunes enfants à construire des mondes fictionnels et à s’y situer (Deleau
2002, Bruner, 130) n’implique pas nécessairement d’enfermer les enfants dans des dilemmes
moraux. Le terme de ruse catégorise ces mensonges acceptables dans un monde fictionnel qui,
s’il fait référence aux règles morales du monde réel, n’en est pas une imitation. Ainsi, la
dimension subversive de la littérature pourrait-elle être perçue sans mettre en péril le
développement moral du jeune enfant.
Notre hypothèse est donc que les jeunes enfants (5-6 ans) à partir des textes qui leur sont lus
peuvent percevoir la spécificité des mondes fictifs et situer la ruse comme une « action qui
répond à une obligation » (Harris 2007, 166).
Nous analyserons ainsi l’activité langagière en situation de lecture en classe lorsque l’enfant
explicite la ruse dans le monde fictionnel qu’il vient de découvrir et nous la comparerons à une
situation de transposition dans un monde réel. Deux types de ruse seront explorées : la ruse
utilisée par le plus faible pour échapper à un prédateur (Zouzou, Poule rousse et Renard Rusé),
la ruse pour s’emparer d’un objet convoité (Le corbeau et le renard). Nous comparerons le
processus d’évaluation axiologique en s’appuyant sur des catégorisations issues des études
linguistiques (Langue française 2014-4) ou socio-cognitives (revue OSP). Nous essaierons de
déterminer s’il existe chez ces jeunes enfants une axiologie propre au littéraire.
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KOLDE Antje-Marianne (HEP Lausanne), « Débattre de valeurs avec les Grecs »
L’étude des textes qui analysent et définissent les principes et valeurs de la démocratie
athénienne, qui les critiquent, les amendent, en voient les dangers contre lesquels ils proposent
des remèdes, permet de poursuivre avec les élèves un objectif double : d’une part, s’insérer dans
« une réflexion active sur les remèdes possibles et les erreurs à rectifier, qui est venue compléter
les premières aspirations, et ouvrir tous les débats dont se nourrit encore aujourd’hui
l’Occident » (Romilly, p. 10-11) et la poursuivre ; d’autre part, s’interroger sur les
modifications que les principes et les valeurs ont traversées jusqu’à notre époque et sur ce que
ces changements ont apporté.
Cette mise en perspective, facilitée par la grande distance chronologique qui sépare les élèves
de ces textes, permet, semble-t-il, de stimuler les « capacités qui sont essentielles selon Martha
Nussbaum pour la santé de toute démocratie : la « pensée critique, la capacité à dépasser les
intérêts locaux pour affronter les problèmes mondiaux en ‘citoyen du monde’, enfin la capacité
à imaginer avec empathie les difficultés d’autrui ».
Ma communication consistera en deux parties. Dans la première, elle articulera quelques
réflexions qui montreront pourquoi la lecture de textes antiques, grecs et latins, en langue
originale, en bilingue ou en traduction, a sa place dans un enseignement questionnant les
valeurs. La seconde partie livrera quelques exemples de débats sur des valeurs lancés à partir
de textes antiques et menés par des élèves de 13-14 ans dans le canton de Neuchâtel, Suisse.
LACOUR Isabelle (ESPE Clermont-Auvergne, EA 2288 DILTEC), « Poésie et valeurs.
Quelques orientations de manuels scolaires récemment édités. »
L’enseignement de la poésie est-il le lieu d’une réflexion sur les valeurs ? Si oui, comment
celle-ci est-elle menée dans l’enseignement secondaire ? Notre intervention propose
l’observation de dispositifs d’étude de la poésie dans des manuels scolaires récents (Hatier,
Magnard, Belin, 2016).
Nous montrons tout d’abord que l’accent qui fut mis sur les caractéristiques génériques des
poèmes dans les manuels scolaires de français antérieurs aux nouveaux programmes (Hatier,
Magnard, Belin, 2014) n’excluait en rien une réflexion axiologique bien que cette dernière fût
insuffisamment inscrite dans une contextualisation linguistique et historique et qu’elle laissât
en suspens la création d’une relation entre des événements du passé et ceux que nous
connaissons dans le monde contemporain. Mais qu’en est-il alors dans des manuels très
récents ?
Rappelant l’inscription et la place relative de la poésie dans les programmes de 2015,
l’intervention s’intéresse alors à la configuration de manuels de 2016 qui procède du
renouvellement bien visible des corpus poétiques (auteurs et thèmes), de la distribution des
poèmes dans différentes entrées du programme et de nouveaux dispositifs de lecture. Nous
observons que ces manuels favorisent bien l’expression du sujet lecteur mais sans aller toujours
jusqu’au développement d’une réflexion éthique et politique où les valeurs seraient nommées
et interrogées. Au fond, si l’introduction de la poésie dans les différentes entrées des
programmes fait mieux apparaitre la fonction du poète dans le monde contemporain, peut-être
les modalités d’une articulation entre lecture distanciée et lecture subjective sont-elles encore
à penser si l’on veut faire de la poésie le lieu d’une discussion et d’une construction de valeurs
chez les adolescents. Ce qui passerait par la détermination de valeurs universelles portées par
des poèmes du passé, et du présent, pour les identifier, les confronter, les intégrer.
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L’intervention fera remarquer que des manuels récents s’emparent peu des Enseignements
Pratiques Interdisciplinaires dont les relations entre les Lettres et l’Histoire, les Lettres et l’EMC
ont pourtant pour objectif de favoriser la réflexion éthique dans le cadre de réalisations
concrètes.
L’intervention développera enfin la présence au sein de manuels récents d’activités d’écoute,
de mises en voix de poèmes et de productions écrites mises en voix pour montrer que ces
activités peuvent devenir des moments d’engagement bien réel de l’élève dans des
problématiques axiologiques en raison même de la posture de lecteur et de créateur sollicitée.
LALAGÜE-DULAC Sylvie (U. Bordeaux – ESPE, EA 4140 LACES), « Enjeux
contemporains des fictions historiques pour la jeunesse : un chemin singulier pour
développer une citoyenneté refusant les frontières ? L’exemple des romans historiques
pour la jeunesse dédiés à l’esclavage en France et aux États-Unis. »
Nous nous proposons dans cette communication de tenter de répondre à ces questions par le
biais de l’étude d’un corpus de fictions historiques pour la jeunesse traitant de l’histoire de
l’esclavage dans deux pays directement concernés, la France et les États-Unis. De fait, même
si l’asservissement d’êtres humains par d’autres êtres humains est le point commun aux romans
s’intéressant à ce thème, l’histoire de l’esclavage est cependant un objet d’étude polysémique,
le concept recouvrant une pluralité d’expériences singulières variant selon les époques et les
lieux (régions, pays, continents).
Nous interrogerons le poids des valeurs sociales sur la littérature de jeunesse en ce domaine en
nous demandant si la nationalité, l’histoire des auteurs influent de manière flagrante sur leurs
choix narratifs. Est-ce pour ces écrivains une réponse à leur passé, à un militantisme qui pourrait
en découler, ou, tout simplement, à une commande de leur maison d’édition dans un contexte
de devoir de mémoire, les deux possibilités s’inscrivant nécessairement dans un point de vue
national ? De fait, certaines questions historiques pouvant toucher différemment les pays voire
certains continents, les politiques menées par les éditeurs ne vont-elles pas privilégier plutôt tel
ou tel sujet en fonction de décisions politiques nationales et, parfois, dans certains cas
internationales (actions menées par l’UNESCO) ? Aussi, certaines mises en scène inscrites dans
un contexte historique précis sont-elles récurrentes selon les pays concernés et les mêmes
valeurs sont-elles encouragées que l’on soit en France ou aux Etats-Unis ?
Nous nous demanderons enfin si la manière de convoquer la sensibilité des jeunes lecteurs dans
ces deux pays passe par des scenarios comparables et joue sur les mêmes registres (indignation
empathie, …) et permet, ce faisant, de faire passer un message universel en plaçant au cœur de
ces fictions la question de la liberté et celle des droits de l’homme avec l’ambition d’en favoriser
le respect. Si ce type de publications transcende les frontières mentales créées par les
représentations d’hommes et de femmes aux passés si différents pour former une communauté
d’élèves soucieux des valeurs humanistes, nous voudrions interroger, pour finir, la place de la
lecture de romans historiques traitant de sujets sensibles au sein de l’éducation à la citoyenneté.
Doit-on la favoriser davantage pour aborder des questions sensibles en classe ?
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LOUICHON Brigitte (U. Montpellier, LIRDEF EA 3749), « Lire Martha Nussbaum en
didacticienne »
En 2010, Solange Chavel, traductrice de Martha Nussbaum et coordinatrice d’un numéro de
Raison publique consacré à la philosophe, regrettait le peu de diffusion en France de sa pensée,
lors même, écrivait-elle que son travail est « abondamment discuté et commenté dans le
monde ». De fait, alors que les premiers écrits de Nussbaum datent des années 80, il faut
attendre 2008 pour qu’un premier ouvrage paraisse en France. Mais depuis cette date, les
traductions s’enchaînent et la pensée de Martha Nussbaum suscitent des échos dans le monde
de l’éducation, notamment depuis la parution en 2011 des Emotions démocratiques : Comment
former le citoyen du XXIe siècle ?, ouvrage dans lequel elle prône une éducation aux arts et par
les arts, susceptible de nourrir une culture des émotions, par lesquelles se développe la
compréhension de l’autre, vertu nécessaire à l’exercice d’une vie bonne (good life). D’autre
part, en 2010, était paru en français, La Connaissance de l'amour : Essais sur la philosophie et
la littérature, ouvrage dans lequel l’auteure développe un usage philosophique de la littérature
– en l’espèce il s’agit essentiellement des romans de James et de Proust.
La réception française de ces deux ouvrages s’est opérée essentiellement dans le champ de la
philosophie morale (Chavel, 2012 ; Fasula, 2015) et dans le champ de la théorie littéraire
(Jouve, 2012 ; Zanin, 2012). Les positions sont assez contrastées et les propos de Martha
Nussbaum ne suscitent pas nécessairement l’adhésion.
On souhaiterait ici envisager une « lecture didacticienne » de ces deux ouvrages consacrés, pour
partie et différemment, à la littérature et à son enseignement, à un moment où « le tournant
éthique », dont participe l’œuvre de Nussbaum, semble gagner la sphère de la didactique
(Michel, 2016) et de l’institution scolaire. Les programmes de littérature des cycles 3 et 4 ne
confèrent-ils pas à la culture littéraire et artistique des enjeux de « formation personnelle » (BO,
2015) dont la formulation même semble faire écho au Comment former le citoyen du XXIe
siècle ?
Peut-on tirer de cette lecture autre chose que des raisons d’exister et peut-être d’espérer ? Telle
est la question qui guidera cette lecture.
MARPEAU Anne-Claire (ENS de Lyon - CERCC et University of British Columbia – FHIS)
et GRAND D’ESNON Anne (ENS de Lyon), « Les violences sexistes et sexuelles dans les
textes littéraires : quels enjeux pédagogiques de lecture, quelle posture éthique pour
l'enseignant( e) ? »
Notre proposition s’inscrit dans le prolongement de discussions initiées à l’ENS de Lyon entre
enseignant.e.s et étudiant.e.s, sur la question de l’enseignement des textes représentant des
violences sexuelles et sexistes, grâce à une collaboration entre le département des lettres et
l’association féministe étudiante. Cette initiative partait d'un double constat : une occultation
fréquente des violences sexuelles et sexistes dans l'enseignement de textes canoniques d'une
part ; un manque d’outils et une absence de formation spécifique sur cette question pourtant
pratiquement inévitable dans l'enseignement du français d'autre part. Pour répondre au
problème pédagogique de l’apprentissage d’une posture éthique des élèves au cours de leur
lecture, il nous semble important de ne pas oublier la question de la formation des
enseignant⋅e⋅s, peu armé⋅e⋅s face à cette problématique. Si le formalisme, la méfiance à l'égard
d'une lecture d'identification et la posture critique distanciée longtemps placés au centre de la
formation littéraire peuvent constituer un obstacle à l’apprentissage de cette posture éthique,
la valorisation plus récente d’autres modalités de transmission des textes dans le secondaire
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n’est pas une condition suffisante à l’approche critique et éthique de l’idéologie d’une oeuvre,
en particulier dans le cas des violences sexistes ou sexuelles, qui reposent sur des croyances
concernant l'amour, la séduction et le désir largement répandues parmi les élèves mais aussi
parmi les enseignant⋅e⋅s. Nous tenterons par conséquent d’identifier des stratégies
pédagogiques efficaces pour enseigner les textes qui représentent des violences sexuelles et
sexistes, mais également de réfléchir aux outils à mettre en place dans cette perspective pour
les enseignant⋅e⋅s. Nous nous intéresserons ainsi aux processus de sélection dans les manuels,
les recueils de textes scolaires et les programmes officiels, à l’éventuelle évacuation des
passages violents dans le décalage entre lecture cursive et lecture analytique, et aux problèmes
qui en résultent. En nous appuyant sur des retours d'expérience, nous nous attarderons sur la
façon dont ces textes peuvent être abordés pour favoriser une approche éthique et critique chez
l’élève, si l’enseignant⋅e décide d’évoquer la question des violences sexuelles et sexistes en
classe. Il s’agit en particulier d’éclaircir le problème complexe de la contextualisation souvent
très hâtive de ces violences dans des textes dits « classiques », alors même que, dans le temps
de la réception, les lecteurs ou lectrices peuvent être amené⋅e⋅s à euphémiser ou justifier
certaines de ces violences (violences conjugales liées à la jalousie, viols commis sans l’usage
de la force, ou inscrits dans un contexte amoureux, etc.). Nous aborderons enfin la question
de l'anticipation et de l'encadrement des réactions que peuvent susciter ces textes dans le cadre
de l'étude en classe.
MAS Marion, (U. Lyon 1 - ESPE, UMR 5317 IHRIM), « La littérature au risque du
conflit »
Les réactions des élèves, face aux œuvres mettant en jeu des questions éthiques, sont
essentiellement guidées par « l’affectif » et une « approche moralisante », (Le Fustec et Sivan,
2004, p.55), voire, prennent la forme d’un discours convenu et bienpensant sur le respect ou la
tolérance, d’un discours désincarné, débité comme une leçon bien apprise, conforme aux
attentes supposées de l’institution scolaire. De telles réactions révèlent la difficulté qu’il y a à
« questionner les valeurs » en enseignant la littérature. Et pourtant, d’après Martha Nussbaum,
la littérature peut beaucoup dans la formation éthique de l’individu.
Selon Sandrine Darsel (dont les travaux s’inscrivent dans la lignée de ceux de Martha
Nussbaum) les œuvres d’art (et en particulier les oeuvres narratives) sont le lieu d’une
expérience tout à fait particulière, à la fois perceptive, sensible, émotionnelle, imaginative et
cognitive, d’une expérience qui engage l’intégralité de la personne et demande à « penser de
manière sensible ». La philosophe ajoute que l’œuvre, pour fonctionner esthétiquement (pour
plaire, émouvoir et être comprise) appelle un engagement moral de la part du spectateur. Et cet
engagement le conduit à affiner et à questionner ses concepts moraux (Darsel, 2012). Si l’on
admet cette thèse, les réactions d’élèves évoquées rappellent aussi que toutes les œuvres ne se
valent pas en termes de « provocation » éthique du lecteur. Se pose alors la question des corpus :
quelles œuvres, quels textes choisir pour faire de la littérature une expérience bouleversante,
une expérience qui engage moralement les élèves, les conduise à problématiser leurs jugements
moraux, une expérience qui engendre un questionnement éthique à l’écart des discours
convenus ?
Pour tenter de répondre, d’une part, nous nous proposons de mener une modeste enquête auprès
d’élèves de collège et de lycée aux publics très différents (un collège moyen de Bretagne, un
collège international et un lycée professionnel) pour essayer de mesurer ce qui, dans les textes
étudiés en classe, les ébranle, d’un point de vue éthique. D’autre part, d’offrir à l’étude de ces
élèves des textes considérés comme « conflictuels » ou problématiques du point de vue de la
mise en texte des valeurs (à l’image des Bienveillantes, de Jonathan Littell, ou, pour le jeune
19
public, d’un roman comme Nous voulons tous le paradis. Le procès, d’Els Breeten). Ces
données, articulées à une réflexion sur le fonctionnement esthétique de ces textes (entre autres,
sur la manière dont ils engagent moralement le lecteur, sur les émotions qu’ils configurent,
qu’on avait appelées « émotions esthétiques » dans la proposition de communication initiale),
devraient nous permettre de dégager des critères pour faire du texte une « performance
éthique » (Darsel, 2012). Les retombées didactiques seraient donc les suivantes : élaborer des
critères permettant de constituer des corpus de textes aptes à susciter, chez les élèves, un
questionnement éthique authentique et critique.
MASSOL Jean-François, (U. Grenoble-Alpes, UMR Litt&Arts) « Lire des romans de
« mauvais genre » aux cycles 3 et 4 : à propos de la collection « Souris noire »
« Alors sois bon et doux », conseille Juliette au bon petit diable Charles. De par sa dimension
éducative qui est l’une de ses déterminations originelles, la littérature de jeunesse présente des
valeurs, le plus souvent morales, soit explicitées comme dans la fable ou certains des romans
de la Comtesse de Ségur (Un bon petit diable, 1865), soit implicites lorsqu’il revient au lecteur
de déduire des bêtises et malheurs des jeunes personnages les normes et valeurs bafouées. Si le
dernier quart du XXe siècle a (momentanément ?) changé la donne sur la question de
l’enseignement des valeurs morales (dans son essai de 1992, F. Marcoin évoque le règne de
l’hédonisme dans la littérature pour la jeunesse), une collection comme « Souris noire » créée
au éditions Syros par J. Périgot en 1989, amène à poser les questions autrement. L’objectif des
créateurs de la collection étant de proposer aux enfants à partir de 7 ans des romans noirs écrits
par des auteurs pour adultes (D. Daenincks, T. Jonquet…), on peut penser qu’une certaine
valorisation de la violence, l’ambiguïté morale et la contestation de certaines normes sociales
seront au premier plan, ce qui ne laisse pas d’être problématique lorsqu’il s’agit de lectures
destinées aux enfants. De fait, non seulement les romans de la collection adaptent au public visé
certains traits du polar en les atténuant, mais la vitalité première de la collection amène à
intégrer des textes de genres divers (Le maître voleur des Grimm, la prosopopée d’une arme du
crime (Cœur de pierre de Ph. Dorin)… De ce fait, la question des normes et valeurs morales se
pose au cas par cas dans les textes de cette collection. Après avoir étudié plusieurs dispositifs
romanesques concernant la représentation des crimes et des valeurs, la communication
analysera plusieurs dispositifs pédagogiques et leurs effets dans des classes de CM2 et 6e entre
compréhension des récits, « réactions axiologiques » et débats éthiques.
MEKAYSSI Abdelmajid (U. Mohamed V de Rabbat), « Les valeurs dans le texte destiné à
la jeunesse »
Passer par les valeurs, en littérature de jeunesse, est inévitable. Parce que la jeune lectrice et le
jeune lecteur sont en devenir, c'est-à-dire en construction, il est primordial d’étayer leur
développement par des principes moraux et des valeurs constructives. Encore faut-il ne pas
omettre dans la foulée les valeurs esthétiques de la littérature et des arts. Transmettre des valeurs
certes mais sans les dévoiler par un discours trop direct pour respecter l’intelligence du
destinataire. En dommage collatéral, ce discours direct entamerait même les constituants
artistiques et esthétiques.
Qu’en est-il dans les magazines destinés au jeune public ? Il ne s’agit pas seulement de définir
les valeurs à transmettre mais d’analyser surtout comment ces valeurs sont véhiculées pour
cibler les jeunes.
20
Par ailleurs, l’étude du texte littéraire peut parfois, dans le collège ou le lycée, instrumentaliser
directement les valeurs pour passer outre des aspects narratifs du texte. La valeur est
généralement donnée comme à priori qui serait à même de faciliter l’approche du texte alors
qu’elle devrait être une idée à construire à partir de la compréhension du texte. C’est là que la
valeur est édifiante car elle n’est pas sollicitée pour elle-même. Les différentes approches
utilisées dans l’enseignement du français au Maroc n’ont pas bien profité des valeurs pour faire
aimer le texte littéraire aux jeunes. Depuis l’AVDP (la méthode A vous de parler), à la
pédagogie par objectifs, en passant par l’approche globale et la pédagogie différenciée,
l’enseignement du texte littéraire au Maroc a surtout insisté sur les aspects techniques de la
langue sans trop s’attarder sur les valeurs véhiculées (textes coupés de leur contexte, valeurs
contradictoires, simultanéité entre changement et stabilité, valeurs sociétales en décalage avec
les valeurs du texte littéraire…)
Quand le texte littéraire est traduit, les valeurs posent un autre problème qui dépasse l’aspect
linguistique. La langue de départ et la langue d’arrivée n’ont pas les mêmes visions du monde
ni les mêmes découpages de la réalité. De ce fait, le passage d’une langue à l’autre requiert un
double effort d’adaptation. Le jeune lectorat est, encore une fois, au centre de l’acte traduisant.
Le traducteur s’adresse à lui selon une représentation tout à fait différente de celle du
destinataire du texte initial.
Les valeurs dans les magazines de jeunesse, dans l’enseignement du texte littéraire et en
traduction, tels sont les trois axes que je projette d’analyser pour participer à ce colloque.
MEZZADRI Agathe (Docteur en littérature française, professeur de lettres dans l'Académie
de Vesrailles) et ADAM Heloïse (Professeure de philosophie dans l'Académie de Vesrailles ),
« Les valeurs à travers les passions et les caractères des sujets littéraires. Enjeux et
risques didactiques d'un enseignement éthique de la littérature au lycée »
Nous proposons d’explorer concrètement les enjeux et risques didactiques d’une perspective
moins morale qu’éthique de l’enseignement de la littérature au lycée. La visée en est la
description fine des situations et des passions du texte, plutôt que la formulation d’impératifs
auxquels obéiraient des personnages. En outre, l’approche éthique s’intéressera à tous les genres
et toutes les oeuvres, y compris celles qui ne sont pas marquées du sceau du dilemme moral. Il
s’agira de passer de la « controverse » morale, mise en scène à des moments dédiés du cours, à
une « conversation »11 éthique qui infuse la question des valeurs dans toute construction de
cours.
Du point de vue de l’ancrage philosophique, nous substituerons à la question morale « que dois-
je faire ? », l'interrogation aristotélicienne « quelle sorte de personne dois-je devenir ? »12,
autrement dit, « quel personnage ? ». Nous retrouverons la problématique de l'identité
personnelle comme récit, qui fait droit aux sujets en devenir, que sont notamment les
adolescents. Cette approche interrogera de l’intérieur les comportements des sujets représentés
– personnage, narrateur, « je » lyrique -, non comme illustrations d’un principe transcendant,
mais comme choix d’êtres situés et affectés, construits par le texte littéraire13 et dotés de
caractères et de passions. Le sujet tout entier sera alors convoqué dans la délibération morale :
avec ses penchants, son inscription sociale, ses désirs, et sa complexité psychologique14. Nous
nous réfèrerons alors à la tradition moderne de réflexion sur les
Passions (« Traité des Passions » cartésien, théorie spinoziste des passions dans l’Éthique).
Du point de vue de la méthodologie, nous envisagerons une séquence articulée autour du
traitement littéraire d’une seule passion : la jalousie. Nous l’envisagerons notamment dans les
textes de Shakespeare, Racine, Rimbaud, Proust et Robbe-Grillet.
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OLIVIER Isabelle (U. d’Artois-ESPE, EA 4028, Textes et cultures), « La dystopie au
collège, entre lecture littéraire et lecture philosophique »
Très représentée depuis quelques années dans les secteurs de l’édition jeunesse et des
littératures de l’imaginaire, la dystopie porte en elle des interrogations sur le rapport au pouvoir
et les modèles de société actuels et à venir. C’est la raison pour laquelle cette forme du roman
d’anticipation – que de nombreuses entrées dans les programmes actuels du cycle 4 permettent
d’aborder – suscite d’emblée l’investissement éthique des élèves comme sujets. Parallèlement,
suscitant l’immersion fictionnelle en particulier par l’inventio et l’elocutio, elle invite à sortir
d’une rhétorique restreinte dans le cadre de l’approche des genres. Comment, dès lors, articuler
les valeurs éthiques et esthétiques de ce genre lors de l’acte interprétatif des élèves ? On se
demandera, en particulier, en quoi une entrée dans l’interprétation des œuvres dystopiques par
la question des choix des personnages et des valeurs qui les motivent pourrait permettre
d’amener les élèves à mobiliser des jugements esthétiques et des connaissances rhétoriques. En
retour, on pourra également s'interroger sur la manière dont l’activité fictionnalisante des sujets
lecteurs pourrait les conduire à construire et éprouver une réflexion axiologique dans ce cadre.
PERRIN-DOUCEY Agnès (U. Montpellier, LIRDEF / ALFA, EA 3749), « L’enseignement
effectif de la littérature au cycle 3 à l’épreuve des valeurs »
Notre communication interrogera les pratiques effectives d’enseignement littéraire au cycle 3
de l’école élémentaire et du collège en s’appuyant sur les données recueillies en mai juin 2017,
dans le cadre du projet Linum. En effet, dans ce projet, une séquence didactique, conçue par des chercheurs en didactique de la littérature et pensée comme un va et vient dialogique entre
participation et distanciation du sujet-lecteur, du roman pour la jeunesse, Rêves Amers est
proposée à environ 25 classes de cycle 3 réparties entre les écoles primaires et quelques collèges
des Académies de Montpellier et de Créteil. Cette séquence, entièrement modifiable par chaque
enseignant et adaptable aux différents élèves, propose des séances dédiées à la réflexion morale
et civique en favorisant le repérage, l’analyse et la mise en débat des « foyers idéologiques »
mis en œuvre par le texte. L’application LINUM recueillent les traces des séquences réalisées
(séances, activités et typologie des activités, chronologie, saisie d’indices, auto-correction
numérique ou non, etc.) et des activités des élèves (exercices, carnets de lecteur, fiches
personnages, lieux ou événements). De fait, ces données permettent une analyse descriptive des
pratiques effectives de l’enseignement littéraire : place conférée à la séquence initiale, choix
réalisés, activités mises en œuvre, réponses proposées, etc.
Notre communication interrogera les données recueillies en mai juin 2016 dans l’étude de
l’œuvre de Maryse Condé, traitant du travail des enfants à Haïti à la fin du 20ème siècle, de la
violence qu’ils subissent et de l’émigration non maitrisée que ces faits peuvent générer. Après
avoir présenté œuvre et choix didactiques initiaux, nous comparerons les séquences mises en
œuvre par les enseignants participant à la recherche pour dégager une typologie de leurs
pratiques effectives et tenter de répondre aux questions suivantes : comment abordent-ils la
question des valeurs dans un texte pour la jeunesse qui ne sacrifie pas au happy end souvent
attendu ? Actualisent-ils le texte en le confrontant à la réalité du contexte international actuel ?
Invitent-ils les élèves à formuler un jugement axiologique et à le confronter au réel pour
développer leur réflexion morale et civique ? Comment réagissent les élèves ? Comment
interagissent-ils avec le texte ?
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PICARDI Emmanuel (U. Catholique de Louvain – GEMCA et UPEC – LIS), « La lecture
philosophique : une méthode « nouvelle » pour le développement du potentiel éthique des
destinataires »
Les études de P. Hadot et M. Foucault sur la philosophie de l’Antiquité ont montré, on le sait,
que celle-ci n’était pas simplement discours spéculatifs abstraits de la réalité concrète de
l’existence, mais principalement « manière de vivre ». Il faut savoir cependant que ces études,
dans la foulée, ont aussi dégagé de l’histoire un rapport particulier au langage qui a été quelque
peu oublié par les sciences humaines (M. Foucault ; P. Hadot). En réalité, ce rapport avait pour
fonction principale de développer les capacités réflexives et délibératives (phronésis) des
hommes concernant les choix (proairésis) par lesquels ils se conduisaient dans le monde et dans
la cité (Aristote ; Aubenque). Le développement de ces capacités s’effectuait grâce à des
opérations de l’esprit qui ont été patiemment rassemblées et cultivées par la philosophie
classique jusqu’à la Logique de Port-Royal et celle de J.-B. Bossuet.
Ce rapport particulier au langage, bien qu’issu de la réflexion et de la pratique philosophiques,
servait aussi pour se rapporter aux discours littéraires. D’un point de vue plus technique, il
consistait à très nettement distinguer en soi, à la faveur d’un discours à écrire ou à recevoir,
d’une part, les opérations résultant directement de la sensation (la rhétorique) et, de l’autre, les
opérations qui relèvent après coup de la réflexion et de la délibération (la logique : Arnaud ;
Bossuet). Cette distinction entre des opérations « sensitives » et des opérations spécifiquement
« intellectives » conduit à faire de l’inventio, non pas seulement une liste d’arguments à
distribuer ou à identifier lors de la production ou de la réception d’un discours, mais, tel que
nous l’indique Socrate dans le Phèdre de Platon, la capacité à situer les différentes connexions
logiques qui les articulent entre eux ainsi que, surtout, à reproduire ces connexions en soi, en
toutes circonstances (M. Foucault).
Il y a là, en germe, une théorie particulière de la réception littéraire qui au lieu de focaliser
l’attention du destinataire seulement sur les opérations spécifiques à la sémiologie (U. Eco ; M.
Escola), l’étend en outre et davantage sur les opérations logiques regardant spécifiquement la
délibération qui, quant à elle, s’appuie sur des séries d’articulations et de connexions infiniment
variées d’arguments probables, ceux-là mêmes par lesquels les hommes sont censés se conduire
dans l’existence et dans la cité (Aristote ; Arnaud ; Bossuet). Cette manière de se rapporter aux
discours littéraires, tout en laissant le champ libre aux émotions et aux plaisirs éprouvés par la
lecture, avait en outre pour fonction de sensibiliser les destinataires de manière non directive à
des problèmes à la fois moraux et politiques, mais surtout de développer leurs capacités
intellectives et leurs dispositions d’esprit afin qu’ils puissent y réfléchir et en délibérer à propos.
Lors de ma communication, après avoir présenté succinctement les principaux points théoriques
et méthodologiques de ce rapport particulier au langage issu de la réflexion philosophique
« classique », je m’appuierai sur les Caractères de la Bruyère pour en montrer tout le potentiel
pratique.
PRAIRAT Eirick (U. de Lorraine, LISEC EA 2310 / Normes et valeurs), « Les valeurs : une
question philosophique, un défi pédagogique »
La première partie de notre contribution se propose de présenter brièvement les grandes
interrogations qui retiennent aujourd’hui l’attention des philosophes. Celles-ci relèvent de ce
que l’on a coutume d’appeler la métaéthique. Cette dernière, on le sait, reste silencieuse sur les
23
valeurs à défendre ou à promouvoir. Ce sont là des questions substantielles qui ne relèvent pas
de ses prérogatives. Elle se propose de répondre à des questions moins « immédiates » : « Quels
rapports la valeur entretient-elle avec la norme ? », « Les valeurs sont-elles objectives ou ne
sont-elles que des projections subjectives sur le monde ? », « Nos jugements de valeur nous
inclinent-ils à agir ou requièrent-ils un adjuvant pour que nous nous engagions vraiment ? ».
La philosophie de l’éducation s’intéresse, quant à elle, à des questions d’ordre substantiel :
« Quelle(s) valeur(s) confère(nt) de la valeur à l’enseignement ? ». « Quelles valeurs l’école
doit-elle de promouvoir ? », « Quelles valeurs convoquer dans l’acte d’enseignement ? ». Les
débats en philosophie de l’éducation relèvent donc, en partie, de ce que l’on appelle l’éthique
normative. Répondre à ces questions : c’est sa tâche. Le monde de l’éducation et de
l’enseignement attend toujours avec impatience ses arbitrages. Mais la philosophie de
l’éducation pour essentielle qu’elle soit pour orienter et donner un cap à l’Ecole n’est pas encore
l’enseignement. Celle-ci est toujours une question pratique qui se résume ainsi : « comment
transmettre des valeurs ? ». Car comprenons bien que lorsque le professeur enseigne la justice
à Paul, ce n’est pas seulement pour lui donner quelques lumières sur l’idée de justice mais c’est
pour qu’il devienne juste à son tour. Enseigner les valeurs n’est donc pas un enseignement
comme les autres. On ne peut esquisser de perspectives à ce redoutable problème qu’à partir
certes d’une précompréhension de ce que l’on appelle une valeur mais aussi à partir d’une
réflexion sur les curricula proposés, sur la mise en scène pédagogique de ceux-ci et, au-delà,
sur la forme de vie que doit être l’Ecole.
RAMERO Chiara (U. Grenoble-Alpes, UMR 5316 Litt&Arts / Litextra), « La fiction
contemporaine pour adolescents aborde le handicap : une littérature « moralisante » ou
« moralisée ? »
Inconsciemment ou pas, la littérature, en tant que produit social, se forge en lien avec les
principes de la société dans laquelle elle s’insère, en se fondant sur des enjeux non seulement
pédagogiques ou éthiques mais également politiques. D’« édifiante » ou « moralisante » la
littérature pour adolescent qui traite de thématiques telles que le handicap, est devenue
aujourd’hui «moralisée» : le texte se développe autour de principes moraux que le lecteur
élabore, enrichit ou refuse, par son rôle actif dans la lecture et la construction des significations.
Quand le handicap est au centre du récit, la littérature offre rarement à ses lecteurs adolescents
la possibilité de choisir le mal. Au contraire, elle est comme contrôlée par une force morale qui
la pousse à pénétrer cette thématique jusqu’à en décrypter toutes les facettes et en mettre en
lumière les aspects les plus enrichissants. Le but principal de cette littérature est de favoriser un
rapprochement de la part du jeune lecteur, afin d’éviter que ce dernier ne contribue à la diffusion
de comportements mauvais et d’opinions erronées dans son univers réel. Elle revêt un rôle d’«
accompagnement » ou de «prévention» contre l’intolérance vis-à-vis du handicap. Cependant,
quand la littérature s’arrête à l’angélisme, il revient au lecteur d’aller au-delà, en dépassant les
limites de cette représentation et en accroissant ses compétences critiques et herméneutiques.
Quelles sont les valeurs que le lecteur reçoit concernant le handicap ? Comment les perçoit-il ?
Quels textes peut-on lui proposer en classe ? Pour répondre à ces questions, on s’appuiera sur
les résultats d’un atelier de lecture, autour de la fiction contemporaine pour adolescents qui
aborde le handicap, auquel ont participé 200 classes environ, françaises et italiennes.
24
RAUX Hélène (U. Montpellier, ALFA / LIRDEF, EA 3749), et SUVILAY Bounthavy (U.
Paul Valéry, EA 4209 RIRRA 21) « Le manga, mauvais genre d'un nouveau genre ? »
Un processus de reconnaissance scolaire du manga semble en marche, que nous proposons
d’examiner pour identifier quels mécanismes et circuits sociaux produisent la valeur littéraire
du manga accepté à l’école.
Le manga paraît lancé sur la trajectoire de « mauvais genres » plus anciens, comme le roman
policier ou la science-fiction, aujourd’hui banalisés parmi les supports d’enseignement via
quelques auteurs consacrés comme classiques scolaires. On retrouve sans doute dans ces signes
d’ouverture le souci manifesté depuis les années 1970 de ne pas négliger les pratiques de lecture
des élèves : le manga a « en quelques années complètement séduit des milliers d’adolescents
qu’il a su pour la plupart amener ou ramener vers la lecture. Après avoir été violemment décrié,
c’est surement un de ses plus grands mérites ! », lit-on dans le Français aujourd’hui. On
discerne également des phénomènes de distinction qui démarquent les œuvres retenues des
séries les plus populaires.
Certaines dynamiques observées à propos des anciennes « paralittératures » semblent donc se
rejouer, mais les traits communs à la scolarisation de divers mauvais genres ne doivent pas
occulter les mécanismes de légitimation scolaire propres à ce genre en particulier, qui modèlent
sa forme scolaire. Concernant le manga, l’audiovisuel semble par exemple avoir joué un rôle
unique : n’est-ce pas le cinéma de Miyazaki, introduit au programme d’école et cinéma dès
2004, qui aurait permis de changer le regard sur le manga, discrédité par son entrée en France
via l’anime et la production télévisuelle la plus commerciale (quand Télérama s’élevait contre
les « japoniaiseries » du club Dorothée) ? De tels effets de brouillage inter-médiatique autour
de la bande dessinée japonaise sont à mettre en relation d’une part avec l’aspect multimodal de
ce médium qui, par sa proximité avec la série animée, présente d’importantes différences avec
les codes de la bande dessinée européenne (le sens de lecture n’en est que la partie émergée),
d’autre part avec un cadre intertextuel asiatique souvent peu connu du lectorat hexagonal.
Tout cela invite à analyser comment l’école accueille, ou adapte, cette production
transnationale, en interrogeant par exemple non seulement les critères de choix des œuvres,
mais aussi les effets des éditions et traductions retenues. En dessinant ainsi les contours
(balbutiants) du manga à l’école, notre réflexion peut contribuer à révéler les valeurs véhiculées
par l’enseignement de la littérature à travers les choix et hiérarchies présidant à la constitution
des corpus.
ROSSI Marie-Laure (U. Paris 7 – CERILAC), « Enseigner l’engagement contemporain »
Si notre histoire littéraire se révèle particulièrement chargée d’exemples d’engagement
courageux au service d’une cause particulière ou, plus largement, de la Patrie, il semble plus
difficile d’enseigner les formes que peut prendre l’engagement tel qu’il se réalise par les
écrivains qui réagissent aux violences de notre temps. Or, dans la mesure où la posture éthique
à former chez les élèves – tout particulièrement au lycée - a pour première fonction de les aider
à se situer dans l’époque où ils vivent, il apparaît comme particulièrement nécessaire de leur
donner à connaître aussi les enjeux du débat collectif tels qu’ils sont pris en charge par le monde
littéraire, et non pas seulement par les penseurs et essayistes de tous bords qui agitent l’espace
médiatique.
Qu’est-ce qui rend si difficile la mise en œuvre d’un enseignement de l’engagement littéraire
dans le temps présent ? Dans un premier temps, cette intervention se propose d’observer les
outils mis à disposition des enseignants de lycée (manuels, revues…) depuis deux ans afin
d’expliciter avec précision la place faite à l’enseignement des postures politiques adoptées par
25
les écrivains depuis le début des années 1980. Il importe ensuite de cerner les raisons qui rendent
l’engagement contemporain plus difficile à percevoir et à décrire aujourd’hui, en analysant les
évolutions des acteurs du champ littéraire par rapport à la notion d’engagement. Enfin, une
réflexion sur les possibilités offertes par un enseignement de la présence médiatique (dans la
presse, à la radio, la télévision, sur des sites internet ou sur les réseaux sociaux) des écrivains
d’aujourd’hui permettrait d’ouvrir des voies afin de donner aux élèves des clés pour se situer
plus directement dans les débats politiques qui structurent leur époque.
SAUVAIRE Marion (CRIFPE, Université Laval, Québec), « Littérature et imagination
éthique »
Nous proposons une esquisse des rapports possibles entre théorie de la lecture et théorie éthique
dans l’herméneutique littéraire de Paul Ricœur.
D’une part, sur le plan de la constitution de soi, l’éthique et la théorie de la lecture entretiennent
des relations de complémentarité qui ne sont pas exemptes de conflits. Selon Ricœur, aucun
récit n’est éthiquement neutre, mais il appartient au lecteur, en dernière instance, « de choisir
entre les multiples propositions de justesse éthique véhiculée par la lecture » (1986, 447). La
théorie du récit s’oppose ainsi à la prétention de l’éthique à régir seule la constitution de la
subjectivité. Toutefois, la limite inhérente à l’identité narrative (le risque de dissolution dans
les variations imaginatives que propose la fiction) n’est dépassée que grâce à l’introduction de
la notion éthique du maintien de soi, liée à la promesse faite à autrui (1990, 149).
D’autre part, la constitution de soi lecteur n’épuise pas la question des rapports entre la
littérature et la visée éthique, définie comme « la visée de la vie bonne, avec et pour les autres,
dans des institutions justes » (Ricœur, 1990, 202). À ce titre, dans Soi-même comme un autre,
le passage des études consacrées à l’identité narrative vers la réflexion éthique s’accompagne
d’un abandon des questions relatives à la lecture. L’entrée dans la réflexion proprement éthique
s’accompagnerait-t-elle d’une sortie hors de la littérature? Cet abandon, qui n’est qu’apparent
et transitoire, constitue en fait un détour permettant une mise en garde contre les écueils de
l’utilisation de la littérature aux fins du discours de l’éthique. La possible réduction, par la
critique éthique (Nussbaum, 1990; Booth, 1988), de la lecture littéraire à la résolution de
dilemmes moraux sera alors discutée (Korthals Altes, 1999). Si les textes littéraires ne délivrent
pas une connaissance pratique susceptible d’orienter la délibération morale, ce n’est pas parce
qu’ils sont en défaut par rapport à une sagesse pratique (Jouve, 2013), mais parce qu’ils
excèdent les termes même dans lesquels cette sagesse pratique s’énonce. Ainsi, par un retour
qualifié d’« intempestif » à la littérature, Ricœur livre sa lecture d’Antigone de Sophocle et
signale ainsi ce qui dans la tragédie « instruit l’éthique » (1990, 281).
Nous proposons donc, en premier lieu, de suivre la pensée de Paul Ricœur, allant de la théorie
de la lecture vers la définition d’une visée éthique, comme sagesse pratique, pour, dans un
second temps, refaire le chemin inverse, de la visée éthique vers la pratique de la littérature. Ce
cheminement comporte trois mouvements : la constitution de soi, la sollicitude envers autrui
(dans le dialogue interpersonnel entre un « je » et un « tu ») et la reconnaissance de la pluralité
des tiers au sein d’institutions justes. Cette tentative de prolonger la visée éthique, telle que
définie par Ricœur, dans une théorie didactique de la lecture littéraire, nous semble prometteuse,
d’abord, parce qu’elle permet de postuler la réciprocité entre constitution de soi (soi-même
comme un autre) et reconnaissance d’autrui (comme un autre soi-même) grâce au dialogue entre
sujets lecteurs, ensuite, parce qu’elle permet de questionner l’extension de ce rapport
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intersubjectif à la pluralité de « tous ceux que le face-à-face entre le « je » et le « tu » laisse en
dehors au titre de tiers » (1990, 228). Constater la limite de toute tentative pour reconstruire le
lien social sur la base d’une relation strictement dialogale, fut-elle empreinte de sollicitude ou
d’empathie, est essentielle pour dépasser les errements d’un discours institutionnalisé sur le
vivre ensemble. Cela implique de repenser, peut-être, la visée éthique de l’enseignement de la
littérature comme une « imagination éthique », un effort pour inventer d’autres rapports à « la
pluralité des tiers qui ne seront jamais des visages » (Ricœur, 1990, 228).
SCHNEIDER Anne (U. de Caen-ESPE, LASLAR, EA 4256 ), « La question des valeurs
dans les manuels scolaires (école primaire, collège, lycée) à propos de la francophonie :
une présence-absence problématique »
A l'heure du changement des programmes scolaires, les éditeurs ont proposé pour 2016 de
nouveaux manuels scolaires en littérature pour les trois cycles de l'école : le primaire, le collège,
le lycée. L’étude de ces manuels scolaires révèle des corpus nouveaux dont le choix des textes
met explicitement en avant la question des valeurs, terme qui remplace une entrée
traditionnellement fondée sur la littérature francophone.
Ainsi, pour les manuels scolaires de littérature de l'école primaire, les auteurs, souvent de
littérature de jeunesse, sont davantage représentés du côté de la diversité culturelle, notion
affirmée par le programme du socle commun de connaissances, de compétences et de culture
qui parle de tolérance, de refus des discriminations, d'égalité, d'ouverture à l'altérité et qui met
l'accent sur la formation de la personne et du citoyen. Si l'on étudie les manuels scolaires du
collège, en particulier pour les classes du cycle 4 où la francophonie est davantage présente,
certains chapitres sont intitulés explicitement sur la question des valeurs, avec un choix
d'auteurs et de textes contemporains de littérature de jeunesse : par exemple, Maryse Condé,
Tahar Ben Jelloun ou l'extrait de la bande dessinée Aya de Youpougon qui sont convoqués pour
une réflexion sur la fraternité, la lutte contre les discriminations, en particulier le racisme, le
rôle de l'école dans l'émancipation des filles, les symboles de liberté bafouée (Charlie Hebdo).
Quant aux manuels de la classe de lycée, on note une absence de la place des auteurs
francophones, tandis que les manuels d'histoire-géographie, enseignement moral et civique,
pour le collège et le lycée, prennent le relais du côté de l'enseignement de l'histoire de la
colonisation et de l'immigration, proposant eux-mêmes des textes, des images, des documents
relevant du champ de la littérature francophone et justifiant l’entrée par les valeurs.
A partir de cette analyse, on pourra pointer quelques problématiques induites par ce glissement
et par l’omni-présence du terme de valeurs dans les manuels scolaires :
Quels sont les textes retenus pour interroger la question des valeurs ? L’approche sur « les
valeurs partagées » ne conduit-elle pas à une approche non littéraire et instrumentalisée de la
littérature francophone ? N'y a-t-il pas un risque d'une vision littéraire déconnectée de la réalité
historique et d'une décontextualisation du texte littéraire francophone, tributaire du transfert de
la question historique (colonisation, décolonisation, immigration) aux manuels scolaires
d'histoire-géographie ? La place de la littérature francophone, présente mais non signifiée
comme telle, est-elle réduite et/ou pensée autrement ?
Nous répondrons à ces questions par l’analyse des auteurs, des aires géographiques, de la nature
des textes proposés, des paratextes, de la place de l’image dans les manuels scolaires, à travers
une vaste étude longitudinale englobant les manuels scolaires de littérature de 2016 (école
primaire, collège, lycée) et de ceux d’histoire-géographie et enseignement moral et civique de
2016 (école primaire, collège, lycée).
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SORCI Antonino (U. Paris 3 Sorbonne nouvelle - CERC EA 172), « Mélancolie ou
Catharsis ? Une question éthique »
Au long des siècles, la catharsis a été interprétée de différentes manières sans que pour autant
le mystère qu’entoure le sens et la portée de cette notion ait été définitivement éclairé.
Cependant, au sein de la narratologie, un accord substantiel fondé sur la solidité du rapport qui
unit le concept de « mimesis » à la narration entendue comme un « tout » fonctionnel, jusquà
la création de la « catharsis » finale, n’a jamais été mis en discussion.
Il s’agira, à travers la mise en question du modèle de la Poétique et une réévaluation du modèle
nietzschéen de la Naissance de la Tragédie, de souligner l’importance de la notion de
mélancolie pour les études narratologiques. La question consiste à savoir si la « catharsis », et
en général le dispositif de la « reconnaissance » à l’intérieur de l’« acte de lecture » , au lieu de
posséder une grande valeur éthique, ne cacheraient en vérité, sous le masque de la légitimité
« sociale », la volonté de la part du lecteur et de l’écrivain de se complaire artificiellement d’un
système conformiste et antidémocratique de partage des idées.
De ce fait la « mélancolie » pourrait représenter une notion d’importance cruciale pour les
études littéraires. La mélancolie, qui selon Freud surgit d’une sensation de « manque substantiel
», serait capable de préserver le caractère « indicible » de l’expérience vécue. L’écrivain au
service de la mélancolie, loin de vouloir provoquer une « purgation » des émotions chez le
lecteur, souhaite au contraire le « choquer », en lui proposant une vision alternative de la réalité
extérieure.
L’« œuvre mélancolique » posséderait une valeur éthique et éducative considérable, qui
stimulerait le questionnement existentiel, historique et social chez le lecteur, par-delà
l’ouverture de ce dernier à l’expérience de l’«autre ».
TONOLO Manuel (U. Grenoble-Alpes, ESPE de Chambéry), « Raconter des histoires :
pour endormir ou pour apprendre à ne pas s'en laisser conter ? »
Les disciplines de la littérature et de la philosophie ont longtemps été concurrentes dans
l'éducation des vertus morales et civiques. La philosophie dès ses débuts a affirmé ses
prétentions à prendre en charge cette éducation, en critiquant l'appel aux poètes pour conduire
la cité. Il convient de questionner cet affrontement, tant dans l'Antiquité où il prend naissance,
que dans le monde contemporain, où il est repensé à nouveaux frais.
A quel type particulier d'expérience éthique peut conduire l'expérience de la lecture littéraire ?
L'émotion esthétique conduit-elle nécessairement à une motion éthique ? La littérature peut-
elle prétendre former non seulement la sensibilité morale, mais aussi le jugement ? La littérature
moderne est-elle, à l'instar de la philosophie, une « manière d'être », une « stylistique de
l'existence », qui permet d’incarner et de rendre sensibles et intelligibles les enjeux moraux et
sociaux ?
L'enjeu de cette réflexion consistera à questionner de manière contradictoire la référence aux
textes de fiction dans un but d'enseignement moral. L’apport de la littérature à l’enseignement
moral dépend sans doute, comme nous le verrons à propos de quelques exemples, non
seulement du type de textes étudiés, des principes qui dirigent leur interprétation, mais aussi de
l'usage auquel on les destine. Faute de quoi le recours à l'esthétique pourrait ne déboucher que
sur une leste éthique.
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VILARROIG Jessica ( Professeur de lettres en « soins-études », Annexe du lycée Lakanal,
clinique Dupré, Sceaux ), « Les refus d'apprendre : analyse de séquences de contre-
transfert, ayant une fonction de miroir ou d'apologue »
Qu’ont à nous dire et à nous apprendre les adolescents en grande souffrance psychique,
scolarisés en soin études, sur la douleur d’apprendre qui s’érige face à nos enseignements ?
Dans un premier temps, il s’agira de dresser les portraits des différents refus d’apprendre au
moyen d’archétypes littéraires, de Bartleby à Julien Sorel en passant, en autres, par Antigone et
Zazie. Ces figures issues de la littérature, en vertu d’un désir triangulaire constructif, permettent
de mieux comprendre la souffrance psychique et la révolte des adolescents face aux attentes
scolaires. Elles invitent les professeurs à réinterroger leurs postures, leurs rigidités, mais aussi
les rôles vers lesquels les élèves tentent de les pousser, les menant régulièrement vers des
impasses pédagogiques.
Dans un second temps, il s’agira de démontrer que grâce à la médiation des textes littéraires,
l’opposition des adolescents peut se déplacer sur le terrain de la construction des savoirs en lien
avec celle de l’élaboration d’une pensée autonome. Les textes littéraires permettent d’ouvrir un
espace à la rêverie, là où s’élaborent les idéaux, tout en proposant des modèles identificatoires
de qualité aux adolescents, pour qu’ils puissent construire leur réalité future et mieux penser le
monde qui les entoure.
Comment prendre appui pédagogiquement sur l’opposition adolescente pour initier un travail
du négatif dans l’espace utopique du littéraire ? Comment et à quel rythme, accompagner avec
des activités pédagogiques d’oral et d’écrit la métamorphose psychique des adolescents en
situation d’apprentissage ? Serait-il possible que le travail d’élaboration d’une pensée littéraire,
à l’écrit comme à l’oral, permette aux élèves d’entreprendre un véritable « travail du négatif »,
en lien avec un travail des défenses et de l’inhibition, à l’articulation de leur monde interne et
du monde externe ? Comment les déplacer sur le terrain intermédiaire du littéraire pour qu’ils
deviennent constructifs ?
Pour essayer de répondre à ces questions, toutes les notions théoriques sont interrogées et
expérimentées pédagogiquement avec des exemples concrets ancrés dans une pratique
quotidienne de l’enseignement des lettres.