revue juridique du master droit privé approfondi … · ! 3! 1 - le droit de préemption des...

45
1 LES CHRONIQUES DU DPA Revue Juridique du Master Droit Privé Approfondi d’Amiens DOCTRINE Droit des biens Le droit de préemption des indivisaires – J. Thibaut et L. Lavigne Procédure pénale Réflexion sur les contrôles d’identité jugés discriminatoires – (Cass. Civ 1 ère , 9 novembre 2016) – S. Delval Droit de la famille L’assistance médicale à la procréation et les couples homosexuels – S.Leblond-Duniach Droit pénal L’articulation entre la justice restaurative et le procès pénal – C. Zengomona HISTOIRE DU DROIT Référendum Débat républicain à Notre-Dame-des-Landes, Danton Et Robespierre à la tribune ! – V. Gobin Droit bancaire Aux origines duales de la banque – V. Gobin « CULTURE » JURIDIQUE Droit pénal De l’apport de Nabila Benattia au débat scientifique sur la summa divisio – V. Gobin N°4 – Juin 2017 INTERVIEW La réforme de l’IEJ à Amiens - Interview de Mme Daury- Fauveau– par O. Quin Oré. ACTUALITÉS La légitime défense des forces de l’ordre : les réformes s’enchainent… – par O. Lecocq PORTRAITS 1 - Céline Fabis – par M. Picart 2 - Clotaire Zengomona – par V. Forré 3 – Jean-Pierre Delahousse – par S. Leblond-Duniach

Upload: ngoduong

Post on 15-Sep-2018

233 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  1  

LES CHRONIQUES DU DPA

Revue Juridique du Master Droit Privé Approfondi d’Amiens

DOCTRINE

Droit des biens Le droit de préemption des indivisaires – J. Thibaut et L. Lavigne Procédure pénale Réflexion sur les contrôles d’identité jugés

discriminatoires – (Cass. Civ 1ère, 9 novembre 2016) – S. Delval Droit de la famille L’assistance médicale à la procréation et les couples homosexuels – S.Leblond-Duniach Droit pénal L’articulation entre la justice restaurative et le procès

pénal – C. Zengomona

HISTOIRE DU DROIT

Référendum Débat républicain à Notre-Dame-des-Landes, Danton

Et Robespierre à la tribune ! – V. Gobin Droit bancaire Aux origines duales de la banque – V. Gobin

« CULTURE » JURIDIQUE Droit pénal De l’apport de Nabila Benattia au débat scientifique sur la summa divisio – V. Gobin

N°4 – Juin 2017

INTERVIEW La réforme de l’IEJ à Amiens - Interview de Mme Daury-Fauveau– par O. Quin Oré.

ACTUALITÉS

La légitime défense des forces de l’ordre : les réformes s’enchainent… – par O. Lecocq

PORTRAITS

1 - Céline Fabis – par M. Picart

2 - Clotaire Zengomona – par V. Forré

3 – Jean-Pierre Delahousse – par S. Leblond-Duniach

  2  

Contributeurs (par ordre alphabétique)

 Sarah DELVAL

Master 2 DPA Lucie LAVIGNE

Master 2 DPA Marianne PICART

Master 1 DPA

Valentine Forré Master 2 DPA

Soledad LEBLOND DUNIACH Master 2 DPA

Orbélinda QUIN ORÉ Master 1 DPA

Vincent Gobin Master 1 DPA – 2015-2016

Ophélie LECOCQ Master 2 DPA

Jeanne THIBAUT Master 2 DPA

Clotaire ZENGOMONA Master 2 DPA

 

Comité scientifique

Hélène CHANTELOUP Directrice du Master DPA Professeur UPJV

Morgane DAURY-FAUVEAU Directrice de l’IEJ Professeur UPJV

Sophie PELLET Co-Directrice du Master de droit des affaires Professeur UPJV

Sommaire général

DOCTRINE Le droit de préemption des indivisaires – Lucie Lavigne et Jeanne Thibaut 3 Réflexion sur les contrôles d’identité jugés discriminatoires – Sarah Delval   6 L’assistance médicale à la procréation et les couples homosexuels – Soledad Leblond-Duniach   10 L’articulation entre la justice restaurative et le procès pénal – Clotaire Zengomona   15  HISTOIRE DU DROIT

Débat républicain à Notre-Dame-des-Landes, Danton et Robespierre à la tribune ! – Vincent Gobin   21 L’évolution historique du rôle des banques – Vincent Gobin   24  INTERVIEW

Entretien avec le Professeur Morgane Daury-Fauveau : la réforme du concours d’accès au CRFPA – Orbélinda Quin-Oré   29  ACTUALITÉS  

La légitime défense des forces de l’ordre : les réformes s’enchainent…– Ophélie Lecocq   31  CULTURE JURIDIQUE  

De l’apport de Nabila Benattia au débat scientifique sur la summa divisio – Vincent Gobin   35 PORTRAITS  

Céline FABIS – Notaire assistant – Marianne Picart   39 Clotaire ZENGOMONA – Étudiant en droit - Valentine Forré   40 Jean-Pierre DELAHOUSSE – Vice-président du Tribunal de commerce d’Amiens 42 Remerciements –  Hélène  Chanteloup   45

  3  

1 - Le droit de préemption des

indivisaires

Par Lucie Lavigne et Jeanne Thibault

Illustration de David, Nouvelle République)

L’indivision est définie comme la situation juridique dans laquelle plusieurs personnes sont titulaires de droits de même nature sur un même bien ou ensemble de biens1. Cette institution est abordée en 1804 sous le seul angle de son caractère précaire, mais plusieurs évolutions législatives accordent une plus grande place à l’intérêt commun des indivisaires et à la « gestion efficace » des biens indivis2. Le droit de préemption des indivisaires fut instauré en 1976 et est aujourd’hui régi par les articles 815-14 et suivants du Code civil 3. Il s’agit d’un mécanisme de protection : lorsqu’un indivisaire souhaite céder sa part dans l’indivision à titre onéreux, ses co-indivisaires peuvent procéder au rachat de la part cédée en priorité et évincer ainsi les tiers acquéreurs. Une obligation d’information des co-indivisaires pèse donc sur le cédant qui doit notifier, par acte extrajudiciaire, sa volonté de céder. La notification doit comporter les conditions et le prix de la cession ainsi que des informations personnelles au cessionnaire potentiel afin de l’identifier. Les co-indivisaires disposent d’un délai d’un mois pour déclarer leur intention de

                                                                                                               1 C. Albiges, Indivision (généralités), Répertoire de droit civil, Dalloz 2 S. Huyghe, Gestion efficace, Rapport n°2850 de la commission des lois, déposé le 8 février 2006. 3 Loi n°76-1286 du 31 décembre 1976 relative à l’organisation de l’indivision.

préempter, puis de deux mois pour réaliser la cession. L’article 815-14 alinéa 4 dispose que, si plusieurs indivisaires exercent leur droit de préemption, l’acquisition des quotes-parts se fait en indivision. La ratio legis en 1976 était de protéger les indivisaires restant contre l’entrée dans l’indivision d’un tiers dont la présence pourrait nuire à la gestion des biens. Jusqu’en 2006 seuls les actes de conservation, qui impliquaient une urgence à agir, pouvaient être pris par un indivisaire sans l’accord des autres4. Les actes d’administration et de disposition devaient être décidés à l’unanimité et supposaient alors de préserver l’entente établie entre les propriétaires en indivision. L’égalité des indivisaires a été remise en cause par la réforme de 2006 et depuis, l’unanimité des consentements n’est nécessaire que pour les seuls actes de disposition ou la conclusion des baux ruraux, commerciaux, artisanaux ou industriels. A des fins de souplesse, le nouveau droit de l’indivision prévoit qu’une majorité représentant les 2/3 des droits indivis suffit pour conclure tous les actes d’administration des biens indivis. Logiquement alors, l’impact de l’entrée d’un tiers au sein de l’indivision est aujourd’hui à relativiser dans la mesure où la mésentente pourrait être limitée aux seuls actes pour lesquels l’unanimité est requise, soit les actes de disposition et les baux susvisés. Cela n’est pas sans conséquence, nous le verrons, s’agissant de l’efficacité du droit de préemption. L’indivision repose donc sur le pouvoir de gestion et de prise de décision d’une collectivité de propriétaires sur un même bien. De ce constat découle la problématique de la relation des indivisaires avec les tiers qui a inspiré le droit de préemption. Cette priorité offerte aux indivisaires dans l’acquisition des parts de l’un d’entre eux est-elle absolue ? Autrement dit, le droit de préemption offert aux indivisaires permet-il une protection efficace de l’indivision ? Il s’avère que l’exercice du droit de préemption répond à des conditions qui limitent nécessairement son champ d’application. L’article 815-14 du Code civil limite le droit de préemption aux cessions à titre onéreux au bénéfice d’un tiers à l’indivision. A l’évidence, le droit de préemption des indivisaires connaît donc des limites puisqu’il peut être mis en échec par l’intervention conjointe du cessionnaire et du cédant (I) et que les cessions de quote-parts entre les

                                                                                                               4 La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités modifie les règles de gestion des biens indivis aux articles 815-2 et suivants du Code civil.

  4  

coindivisaires ne sont pas libres de toute entrave (II). Enfin, n’oublions pas que les conditions qui encadrent la réalisation même de la préemption sont amenées à restreindre son efficacité (III).

I – Cessions à un tiers : les difficultés d’exercice du droit de préemption

Le champ d’application matériel du droit de préemption se trouve cantonné aux cessions à titre onéreux et ne saurait concerner les cessions à titre gratuit. Aux fins de le contourner, les parties peuvent donc avoir recours à une donation apparente, c’est à dire une donation dont le prix a été dissimulé. Ceci constitue une contrelettre au sens de l’article 1201 du Code civil5. Le contrat apparent est constitué par la donation et dissimule un contrat occulte qui est une vente. Si les indivisaires prouvent l’existence de la fraude, ils pourront se prévaloir de la vente passée en contradiction de leur droit de préemption afin d’en demander l’annulation. Il reste, toutefois, que la preuve d’un contrat occulte est parfois difficile à rapporter.

En outre, l’échange peut également rendre le droit de préemption inefficace. En effet, la Cour de cassation a déjà jugé que le droit de préemption ne peut s’appliquer dans le cadre de l’échange si l’indivisaire souhaitant l’exercer se trouve dans l’impossibilité absolue de fournir la prestation convenue6. Une équivalence de prestation est essentielle à la préemption qui s’apparente à une cession de contrat. Dans cette affaire, la Cour d’appel avait estimé que « si la contrepartie est unique, le co-indivisaire préempteur a néanmoins la possibilité de s’adresser au coéchangiste étranger afin de se la procurer auprès de lui, pour être ensuite en mesure de satisfaire à sa place aux termes de l’échange ». Cette solution est largement critiquable puisque, dans ce cas, l’indivisaire n’exerce plus un droit de préemption : il ne se substitue pas aux tiers dans la cession aux mêmes conditions mais devient un intervenant supplémentaire. Il s’agit seulement de convaincre le tiers de renoncer à acquérir les parts indivises et de vendre le bien qu’il souhaitait échanger contre elles. Autrement dit, le tiers obtient un avantage sur le préempteur puisqu’il pourra négocier les conditions de la cession de son bien. De plus, la situation est précaire pour l’indivisaire                                                                                                                5 Article 1201 du Code civil : « Lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre, produit effet entre les parties. Il n'est pas opposable aux tiers, qui peuvent néanmoins s'en prévaloir ». 6 Civ 1ère, 21 mai 1997, n°95-12460.

souhaitant préempter sachant que rien n’oblige le tiers à renoncer à l’échange initialement prévu.

Enfin, il convient de souligner que le droit de préemption trouve à s’appliquer lorsque la cession porte sur les droits indivis et non lorsqu’elle porte sur le bien vendu en son intégralité. La Cour de cassation a jugé que la vente d’un immeuble indivis faite par un indivisaire est valable uniquement pour la portion indivise qui lui appartient7. Donc, la vente irrégulière d’un bien indivis par un indivisaire seul équivaut à une cession de ses quotes-parts indivises. Cette décision est également contestable. Elle revient à contourner le droit de préemption puisque, sous couvert d’une vente, l’indivisaire pourrait ainsi vendre ses quotes-parts indivises à la personne qu’il souhaite. Toutefois, les indivisaires peuvent demander l’annulation de la vente sur le fondement de l’article 1201 du code civil. Si la vente du bien est réalisée avec la complicité du tiers dans le seul but de parvenir à une cession de parts indivises et que les indivisaires parviennent à établir l’existence de cette simulation, ils seront en droit d’obtenir l’annulation de la cession des parts sur le fondement de l’article 815-16 du code civil.

La protection des indivisaires par le droit de préemption est donc relative et les difficultés persistent lorsque sont en cause des cessions de parts entre les indivisaires eux-mêmes.

II – Cessions entre indivisaires : la primauté d’une facilité de gestion sur la protection des droits des indivisaires

Le droit de préemption n’a pas vocation à jouer entre les co-indivisaires, l’idée étant de préserver le groupement initial en prévenant l’entrée d’un nouveau membre. Depuis l’instauration en 2006 d’une majorité qualifiée suffisante pour effectuer des actes d’administration, les indivisaires ne sont plus des propriétaires égaux, indépendamment de la proportion de leurs droits dans l’indivision8. Et l’on observe d’ailleurs en ce sens que l’article 815-15 du Code civil permet aux indivisaires titulaires de cette majorité de demander au tribunal l’autorisation d’aliéner un bien indivis. Dans une telle hypothèse, les indivisaires « majoritaires » pourraient être autorisés à conclure un acte de disposition et à

                                                                                                               7 Civ 3ème, 12 mai 2010, n°08-17186. 8 Loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

  5  

l’imposer à leurs coindivisaires « minoritaires ». Certes, l’autorisation suppose qu’il n’y ait pas d’atteinte excessive aux droits de ceux qui n’ont pas conclu l’acte mais la distinction implicitement admise entre indivisaires majoritaires et indivisaires minoritaires rompt à l’évidence la règle de l’égalité. Au-delà de son aspect purement patrimonial, l’importance des quote-parts revêt donc un intérêt essentiel pour la gestion et la disposition des biens biens indivis. Dès lors, l’absence de droit de préemption lors d’une cession entre indivisaires devient regrettable puisqu’elle contribue à renforcer l’inégalité et à affaiblir les indivisaires minoritaires9 La question se pose alors de savoir pourquoi le législateur n’a pas étendu le domaine de la préemption lorsqu’il a instauré une règle de majorité qualifiée. Un auteur considère qu’il n’était pas opportun d’étendre le droit de préemption entre indivisaires car l’essence de ce droit est de permettre une gestion efficace des biens indivis, mais n’est pas de préserver l’équilibre des pouvoirs dans l’indivision10. Dès lors, la prise de décision est facilitée chaque fois qu’un indivisaire obtient plus de droits car ses pouvoirs augmentent corollairement. Une autre raison pourrait est exprimée dans les Travaux préparatoires de la loi de 2006. Elle est celle de la volonté du Législateur de ne pas « remettre en cause la nature particulière de l’indivision » ou de « bouleverser [son] économie ». La paralysie du droit de préemption pourrait alors être conçue comme le moyen de préserver le caractère précaire de l’indivision lequel est très souvent mis en échec par les mesures visant à faciliter la gestion des biens. Ainsi, les éventuels conflits entre majoritaires et minoritaires se règleront par le partage de l’indivision.

Le droit de préemption entre indivisaires serait construit de manière équivalente à celui exercé aux dépens des tiers, sous réserve toutefois de quelques aménagements nécessaires. Le droit de préemption aurait vocation à jouer pour une part des droits cédés équivalentes à la quote-part des droits dans l’indivision de celui qui exerce ce droit. Si tous les indivisaires ne souhaitent pas préempter et que le cédant persiste à vouloir céder ses parts, plusieurs solutions sont envisageables : soit une répartition par part viriles entre le cessionnaire et les indivisaires exerçant le droit de préemption, soit l’attribution au cessionnaire des                                                                                                                9 En ce sens : A. Tadros, « Pour une réécriture du domaine de la préemption en matière d’indivision », Recueil Dalloz 2014, p.2537. 10 J-B. Donnier, « Faut-il étendre le domaine de la préemption en matière d'indivision ? » Libres propos, JCP G. n° 5, 2 Février 2015, p.110.

quotes-parts pour lesquelles le droit n’est pas exercé, soit enfin, sur le modèle de l’article 815-14 du Code civil, la répartition proportionnelle selon les droits de chaque indivisaire préempteur.

Le droit de préemption des indivisaires comporte des limites, comme nous l’avons constaté. Il convient désormais de s’interroger sur ses effets lorsque les conditions de sa mise en œuvre sont réunies.

III - Les lacunes du régime du droit de préemption

Les effets du droit de préemption sont doubles. Tout d’abord s’ils sont correctement informés par l’indivisaire cédant, les co-indivisaires peuvent exercer leur droit de préemption pour se substituer au tiers cessionnaire. A l’inverse, si le cédant n’a pas respecté son obligation d’information ou a réalisé la cession avec le tiers nonobstant la déclaration de préemption de l’un – ou plusieurs – de ses co-indivisaires, une action en nullité est ouverte pour faire échec à ce transfert de propriété.

Ce constat soulève une première question : l’information donnée par le cédant à ses coindivisaires est-elle irréversible ? En d’autres termes, dès lors qu’il a alerté ses partenaires de son intention de céder ses parts, l’indivisaire est-il tenu de contracter et de quitter l’indivision ? Cette hypothèse est celle de la rétractation par l’indivisaire et la particularité de cette rétractation est qu’elle concerne à la fois l’offre de cession au cessionnaire, mais également l’intention de quitter l’indivision transmise aux indivisaires. Une jurisprudence constante affirme que la notification aux indivisaires de céder ses droits indivis à un tiers ne vaut pas offre de vente.11 L’auteur de la notification peut donc se rétracter librement malgré l’intention d’un autre indivisaire d’exercer son droit de préemption. Cette solution est à saluer au regard du nouvel article 1115 du Code civil qui prévoit que l’offre est librement rétractable si elle n’est pas parvenue au destinataire. La qualification d’offre et l’absence de caractère obligatoire qui la caractérise répondent à la volonté générale de préservation de a liberté contractuelle et ne remet pas en cause la cohérence de l’indivision dès lors que la rétractation maintient le groupe indivisaire initial.

                                                                                                               11 Civ 1ère, 9 février 2011, n°10-10759.

  6  

Une deuxième question pourrait-être celle des conditions auxquelles le préempteur peut s’emparer de la cession. Sur ce point, le principe veut que les conditions de la cession projetée s’imposent à au préempteur. Dans un arrêt du 18 janvier 2012, la Cour de cassation a rappelé que la préemption exercée par un co-indivisaire est nulle de plein droit à défaut d’un acte conforme aux conditions de la vente projetée12. En l’espèce, la condition d’octroi d’un prêt que s’était réservée l’indivisaire préempteur n’était pas prévue dans l’offre initiale et la substitution ne saurait être autorisée à des conditions nouvelles et plus favorables. Dans le même sens, le droit de préemption est paralysé si la contrepartie offerte au cédant n’est pas fongible13. Dans cet arrêt de 1985, le tiers cessionnaire avait accepté une obligation de soin qui conférait au contrat de vente un caractère intuitu personae incompatible avec la substitution. En réalité, dans tous ces cas, c’est la fonction même du droit de préemption qui impose la sévérité d’analyse dès lors que la substitution impose que l’indivisaire « prenne la place » du tiers comme s’il avait lui-même négocié la cession projetée. La règle est proche de celle admise pour la cession de contrat. Enfin, une dernière question pourrait être celle du délai pour agir en nullité de la cession faite en contradiction du droit de préemption. L’article 815-16 du code civil prévoit une action en nullité qui se prescrit par cinq ans, mais ne prévoit pas le point de départ de ce délai. La Cour de cassation estime, conformément au droit commun de la prescription, que le délai court à compter du jour où les co-indivisaires ont eu connaissance de la vente14. Mais la Cour ajoute qu’ils sont réputés en avoir connaissance au jour de la publication de la vente - en l’espèce, la publication avait eu lieu à la Conservation des hypothèques. Or une publication n’est pas une notification laquelle est pourtant exigée aux termes de l’article 815-14 dans le but d’informer personnellement les indivisaires. La décision peut se comprendre au regard de l’effet de la publication à la Conservation des hypothèques : l’acte publié est opposable erga omnes15, donc la vente des parts dans l’indivision est opposable aux co-indivisaires du cédant. Cependant, il faut s’intéresser à la raison d’être de la publicité foncière pour comprendre le problème posé par cette décision.                                                                                                                12 Civ 1ère, 18 janvier 2012, n°10-28311. 13 Civ 3ème, 3 octobre 1985, Recueil Dalloz 1986 p.373, note André Breton. 14 Civ 1ère, 5 mars 2014, n°12-28348. 15 Civ 3ème, 11 juin 1997, n°95-16550.

La doctrine identifie deux fonctions de la publicité foncière : l’information des tiers sur l’état juridique d’un bien immobilier et l’opposabilité d’un transfert de droit réel immobilier16. Si on s’attache à la première fonction énoncée, la décision de la Cour de cassation semble justifiée, les co-indivisaires étant effectivement tiers à la cession. Toutefois, l’opposabilité de la publication a pour but d’ « obliger ceux qui acquièrent un droit concurrent à s’incliner devant le droit publié»17. Or le droit de préemption place en principe les indivisaires dans une situation de préférence face aux potentiels acquéreurs, ce qui exclut la concurrence. Partant de là, on comprend difficilement pourquoi les indivisaires iraient consulter la Conservation des hypothèques. La Cour de cassation, par cette décision, fait courir le risque aux indivisaires de ne pas avoir connaissance de la cession et donc de ne pas pouvoir en demander l’annulation dans les délais. Cette jurisprudence revient à anéantir le droit de préemption des indivisaires18 et vide de sa substance l’obligation d’information du cédant qui en est le corollaire. On regrettera que la connaissance potentielle prime ici sur la connaissance effective de l’acte, d’autant plus qu’une décision inverse avait été rendue, quelques années plus tôt, en matière de bail rural19.

2 - Réflexion sur les contrôles d’identité jugés discriminatoires

Par Sarah Delval

                                                                                                               16 L. Aynès et Ph. Dupichot, Rôle de la publicité foncière, Droit et Patrimoine n°205, 01 juillet 2011, p.109. 17 Ibid. 18 S.Pellet, Point de départ du délai de prescription : pouvoir est-il devoir  ?, L’essentiel du droit des contrats, 2014 n° 5, 05 mai 2014, p.5. 19 J-J. Barbieri, Du point de départ du délai pour agir en nullité en cas de méconnaissance du droit de préemption rural, note sous Cass. Civ 3ème, 23 novembre 2011, JCP N n° 7, 17 février 2012, p.43.

  7  

Les contrôles d’identité, bien que délicats en pratique, restent nécessaires pour assurer le bon équilibre et le maintien de l’ordre public et nécessitent la collaboration de tous les intéressés. C’est la raison pour laquelle l’article 78-1 alinéa 2 du code de procédure pénale dispose que « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité »20. Ce contrôle peut donc être défini comme « l’opération par laquelle les forces de police habilitées demandent à des personnes se trouvant sur le territoire national, lesquelles doivent y déférer, d’apporter la preuve documentaire de leur identité »21. Mais, historiquement, ces opérations ont toujours suscité une certaine méfiance de la part des citoyens puisqu’ils semblent s’opposer, à première vue, aux libertés individuelles et plus précisément à la liberté d’aller et venir22. L’obligation qu’elles entrainent de pouvoir attester à tout moment de son identité par la production de documents est souvent perçue comme inutilement contraignante et même choquante pour ceux qui n’ont rien à se reprocher. Plus gravement encore, ces contrôles, normalement aléatoires, peuvent être exercés de manière discriminatoire et emporter une éventuelle atteinte aux droits fondamentaux. En conséquence, ces opérations doivent être strictement encadrées et délimitées. Il est bien évident, tout d’abord, que le contrôle ne peut être régulier que s’il existe au moins une raison de soupçonner l’individu d’avoir commis une infraction ou d’être l’objet de recherches judiciaires. De la même manière, le contrôle ne saurait être discriminatoire et être mis en œuvre au seul regard de l’apparence d’une personne. 23. De manière générale, le Code de procédure pénale, nous le verrons, s’efforce d’encadrer les conditions dans lesquelles les contrôles d’identité doivent être exercés. Malgré cela, les règles régissant les contrôles d’identité se voient trop souvent reprocher de « délaisser les principes de liberté au profit de celui de sécurité » et nombre de citoyens jugent ces opérations excessives et

                                                                                                               20 Rédaction issue de la loi n°99-291 du 15 avril 1999 relatives aux polices municipales. 21 Gildas Roussel, Procédure pénale, 7e édition, 2016-2017, Editions Vuibert, p.219, §508 22 L’article 2 du Protocole n°4 additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme énonce ainsi : « Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement » (Voir également : Article 12 du Pacte international sur les droits civils de 1966). 23 Jérôme Karsenti, « Contrôles d'identité : comment lutter contre le contrôle au faciès ? », GP, 14 janvier 2012, n°14, p. 19.

attentatoire à leurs droits. De nombreux contentieux se sont élevés à ce sujet et les juges se doivent, dans le respect des règles applicables, de sanctionner tout contrôle abusif et ne reposant pas sur des considérations objectives. Le contexte actuel de lutte contre le terrorisme et l’augmentation sensible des mesures de sécurisation compliquent immanquablement le juste équilibre voulu par le Code de procédure pénale. On observe depuis quelques mois un certain relâchement des conditions légales de mise en œuvre du contrôle d’identité (I) justifiant sans nul doute certaines prises de position de la Cour de cassation lorsqu’elle a à statuer sur le caractère discriminatoire d’un contrôle d’identité (II). I – Le relâchement des conditions de mise en œuvre du contrôle d’identité : un contexte favorable aux pratiques discriminatoires Tenant compte d’un contexte particulièrement difficile sur le sol français, le législateur a voté la loi du 3 juin 2016 modifiant ainsi certaines dispositions relatives aux contrôles d’identité et a remanié, notamment, la lettre des articles 78-2 et 78-2-2 du Code de procédure pénale24. L’article 76-2-2 du Code de procédure pénale s’inscrit dans le prolongement de l’article 78-2 et permet aux autorités compétentes, « sur réquisitions du procureur de la République et aux fins de recherche et poursuite d’infractions spécifiquement désignées, de procéder non seulement à des contrôles d’identité mais aussi à des fouilles de véhicules »25. L’évolution la plus éclatante de l’article tient à l’élargissement des actes couverts dans le but de renforcer la prévention d’actes terroristes. L’article 78-2 du Code de procédure pénale prévoit, quant à lui, que « l'identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ». Le contrôle pourrait ainsi se trouver parfois fondé exclusivement sur l'apparence extérieure d’un individu, à titre préventif. Ce texte laisse donc une place assez importante à la subjectivité des forces de l’ordre, alors

                                                                                                               24 Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. 25 G. Grécourt, « Contrôles d’identités : les changements issus du nouvel article 78-2-2 du Code de procédure pénale », GP, 26 juillet 2016, n°28, p. 20.

  8  

que l’objectivité devrait être la règle s’agissant des contrôles d’identité. A ce sujet, un auteur remarque que l’article constituerait désormais « le seul fondement légal des contrôles d'identité systématiques »26. Il est pourtant souhaitable de se pencher sur la ratio legis de cette disposition pouvant apparaitre comme une porte ouverte aux contrôles d’identité purement discrétionnaires. Le principal souci du législateur est de concilier « l'efficacité indispensable à l'ordre public et la garantie impérative des libertés »27. C’est pourquoi, il a dû encadrer ces opérations en laissant certains contrôles « à la seule initiative du procureur de la République pour éviter tout risque d'atteinte aux libertés, et en obligeant au respect de strictes conditions d'exercice »28. Ce contrôle requis ne peut donc être opéré que par les agents de la force publique dès lors qu’il a été autorisé par le procureur de la République. Toutefois, même si ce type de contrôle ne permet pas une systématisation des contrôles d’identité, il multiplie les opportunités de contrôles et dispense de tout justification fondée sur le risque pénal. Dès lors, et comme le souligne un auteur, l’article 78-2 paraît être « en contradiction notoire avec une jurisprudence de la Cour de cassation29 qui exigeait qu'un lien de causalité soit établi entre le risque de trouble à l'ordre public et le comportement de la personne contrôlée »30. En effet, un contrôle qui se fonderait exclusivement sur l’apparence physique d’une personne indépendamment de l’existence d’un trouble à l’ordre public, constitue, ce que l’on appelle communément, un « contrôle au faciès ». Cette conception condamnable n’est évidemment pas celle qu’a entendu instaurer le législateur à travers les dispositions relatives aux contrôles d’identité prévues dans le Code de procédure pénale. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler récemment, dans plusieurs décisions, très attendues, et rendues par la première chambre civile le 9 novembre 201631. Dans ces treize affaires, plusieurs personnes prétendaient avoir fait l’objet d’un contrôle d’identité uniquement fondé sur leur apparence physique. Selon les intéressés, les contrôles avaient été réalisés au seul

                                                                                                               26 Jacques Buisson, Fasc. 10 « Contrôles, vérifications et relevés d’identité », Nov. 2016 - JurisClasseur Proc. Pén. §89. 27 Jacques Buisson, voir préc. §88 28 Jacques Buisson, voir préc. §88 29 Cass. Crim., 10 novembre 1992, Bull., n° 370 30 A. Alexandre, Chroniques du DPA – Octobre 2016 – p.33 31 Cass. Civ 1ère, 9 novembre 2016, n°15-25873.

motif de leur origine africaine déduite de la couleur de leur peau et de leur tenue vestimentaire. Arguant du caractère discriminatoire du contrôle dont ils avaient fait l’objet, tous avaient assigné l’agent judiciaire de l’Etat en réparation de leur préjudice moral. Le 24 mars 2015, la Cour d’appel de Paris avait rendu plusieurs arrêts. Dans cinq cas, la responsabilité de l’Etat fut reconnue justifiant une condamnation au paiement de dommages et intérêts. Dans les huit autres cas, la responsabilité de l’Etat n’avait pas été retenue. Des pourvois avaient donc été formés contre ces treize arrêts, certains par l’agent judiciaire de l’Etat et d’autres par les personnes contrôlées. Les caractéristiques physiques étaient au cœur du débat et la Cour de cassation était alors invitée à rappeler le sens strict des dispositions prévues par le législateur sur ces questions et à les préciser davantage, en cas d’obscurité. II - La preuve du caractère discriminatoire des contrôles d’identité Par ces arrêts, la Haute juridiction affirme qu’un « contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée », sans qu’il n’y ait de justifications objectives préalables, est discriminatoire et engage la responsabilité de l’Etat. La Cour estime, en effet, que « la faute lourde résultant d'une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi (…) doit être regardée comme constituée lorsqu'il est établi qu'un contrôle d'identité présente un caractère discriminatoire ». Elle précise qu’en l’espèce, la faute lourde est constituée dès lors qu’un contrôle d'identité est réalisé « selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable » au regard de l'article 78-3 du Code de procédure pénale. Trois éléments essentiels sont donc à retenir dans la solution dégagée par la Cour de cassation :

- un contrôle d’identité jugé discriminatoire engage la responsabilité de l’Etat,

- une discrimination existe si le contrôle d’identité est réalisé sur la seule base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, indépendamment des données objectives,

  9  

- la Cour précise les conditions d’admission des modes de preuve de la discrimination.

Les juges du droit détaillent, en trois étapes, la façon dont la discrimination doit être prouvée. Tout d’abord, la personne faisant l’objet d’un contrôle d’identité et saisissant les tribunaux, doit apporter des éléments de preuve qui laissent présumer l’existence d’une discrimination. Il s’agit d’une application du droit commun laissant à la charge de celui qui prétend un fait d’en démontrer l’existence. Ensuite, c’est à l’administration de démontrer l’absence de discrimination ou alors une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs. En effet, les personnes placées dans une situation similaire, voire identique, doivent être traitées également, de la même façon. A défaut, il faut pouvoir justifier d’une différence de traitement tenant à des circonstances objectives. Enfin, c’est au juge d’exercer son contrôle au regard des éléments de fait dont il dispose après débat contradictoire. Dans ces arrêts, la Cour de cassation constate que les juges du fond ont correctement appliqué cette méthode. In fine, l’Etat est condamné lorsqu’il n’a pas su démontrer que la différence de traitement était « justifiée par des éléments objectifs »32. A contrario, l’Etat ne saurait être condamné lorsque la différence de traitement était justifiée par des éléments objectifs, comme « lorsque la personne contrôlée correspondait au signalement d’un suspect recherché33 » par exemple. Enfin, l’Etat ne peut être condamné en cas d’insuffisance de preuves de la prétendue discrimination, lorsque « la personne contrôlée n’a pas apporté les éléments de fait qui traduisaient une différence de traitement et qui laissaient présumer l’existence d’une discrimination »34.Par exemple, l’invocation de statistiques qui attestent de la fréquence de contrôles effectués sur une même catégorie de population, visant les « minorités », ne constitue pas, à elle seule, une preuve suffisante. Celle-ci doit être corroborée par d’autres éléments. La force probante des éléments de preuve apportés est toutefois laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. Cette solution doit être saluée, puisque, comme le remarque, le Défenseur des droits, il s’agit d’une « avancée majeure pour la garantie des droits des

                                                                                                               32 Pourvoi n° 15-25873. 33 Pourvoi n°15-24210. 34 Pourvoi n°15-24212.

citoyens » 35. Nul doute qu’elle devrait avoir des répercussions sur les pratiques des forces de l’ordre puisque désormais, en cas de poursuites, celles-ci devront être en mesure de démontrer que les contrôles étaient fondés sur des critères purement objectifs et individualisés. Cette solution est donc conforme à l’article R434-16 du code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale, qui impose que «(…) le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement précis motivant le contrôle ». Par ailleurs, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser certains éléments d’extranéité sur lesquels doivent être fondés les contrôles d’identité. La Cour a ainsi posé une obligation de caractérisation du risque d’atteinte à l’ordre public, faisant peser sur les officiers de police judiciaire une véritable obligation de précision36. Le procès-verbal doit mentionner des circonstances qui risqueraient de mettre en danger « la personne même faisant l’objet du contrôle » mais également les personnes se trouvant à proximité ou encore « des biens qui l’entourent »37. Les autorités de police disposent donc de toute latitude pour apprécier l’opportunité de ce qui se présente comme un « contrôle d’extranéité »38. Malgré tout, la Haute juridiction rend une décision qui a le mérite d’avoir pour objectif d’améliorer les relations entre la population et les forces de l’ordre en renforçant la transparence de l’action policière. De plus, plusieurs procédés de « contrôle des contrôles d’identité » ont déjà été envisagés afin d’éliminer toute suspicion de discrimination. L’idée d’un récépissé délivré lors de chaque contrôle d’identité revient au cœur des débats politiques. Le récépissé aurait pour objet de comptabiliser les contrôles d’identité par la mise en place d’un système de traçabilité qui permettrait, à la personne faisant l’objet d’un contrôle, de disposer d’un document attestant de ce contrôle.                                                                                                                35 Source tirée du journal Le monde du 9 novembre 2016 Pour rappel, le Défenseur des droits, autorité constitutionnelle indépendante, a publié, le 16 octobre 2012, un rapport sur les relations des forces de l’ordre avec la population et dans lequel figure plusieurs mesures destinées à prévenir les « contrôles d’identité au faciès ». 36 En ce sens : Cass. Crim, 12 mai 1999, Dr. Pénal, 1999, n°134, obs A. Maron. 37 Etienne Cornut – « Entre confusion et distinction : propos autour des contrôles d'identité » – D. 2002. 992. 38 J. Buisson, « Contrôles et vérifications d’identité », J-CL Procédure pénale, 1998, Fas 10, n°119 et ss.

  10  

Le principe du récépissé n’a toutefois pas été adopté et a été décrié par le Ministère de l’intérieur Manuel Valls. Toutefois, il est possible de remarquer la mise en place, récemment, d’une méthode expérimentale. En effet, l’enregistrement vidéo serait désormais obligatoire en cas de contrôles d’identité. Cette mesure concerne « 23 zones de sécurité prioritaires » face aux événements récents liés à une violente interpellation, suscitant de nouvelles tensions entre les forces de l’ordre et la population dans les zones urbaines dites sensibles39. Ce dispositif permettrait donc d’apaiser la relation police/population lors d’un contrôle et d’éviter tout débordement ou une éventuelle bavure policière. Il est à espérer qu’une solution soit trouvée afin de pacifier les relations et préserver la paix sociale.

3 - L’assistance médicale à la procréation et les couples

homosexuels

Par Soledad Leblond-Duniach

La loi n°2013-404 du 17 mai 2013 légalisant le mariage de personnes de même sexe a également permis l’adoption d’enfants par les couples homosexuels. Si cette loi a offert aux couples gay le droit à l’adoption de l’enfant de leur conjoint et le droit à l’adoption conjointe, d’autres revendications relatives à la filiation sont restées sans réponse. Il en va notamment ainsi de la question de l’accès aux procédures d’assistance médicale à la procréation. En effet, en l’état du droit positif français, nous le verrons, l’assistance médicale à la procréation est réservée aux

                                                                                                               39 Information recueillie dans l’article du 1e mars 2017 du journal Le point « Contrôle d'identité : l'enregistrement vidéo obligatoire à l'essai »

couples hétérosexuels et ne peut être ni sollicitée ni proposée aux couples homosexuels. Logiquement alors, de nombreux couples de femmes n’hésitent pas à se déplacer dans un pays étranger pour bénéficier des procédures d’assistance médicale à la procréation et contourner l’interdiction française. Le phénomène est d’autant plus important que de nombreux Etats européens, proches de la France, autorisent le recours des couples homosexuels féminins à l’assistance médicale à la procréation. C’est le cas de la Belgique, du Danemark, de l’Espagne, de la Finlande, des Pays-Bas, du Royaume-Uni ou encore de la Suède. La proximité géographie de législations plus libérales incitent alors nombre de couples françaises à franchir les frontières. Dès lors que les déplacements sont essentiellement motivés par la volonté de contourner le droit français, ils sont susceptibles de caractériser un comportement frauduleux et soulèvent à l’évidence un problème juridique important. Mais l’affaire se complique plus encore, et plus gravement peut-être, lorsqu’après la naissance de l’enfant ainsi conçu par l’une des épouses, sa conjointe exprime la volonté de l’adopter, car dans cette hypothèse, le droit d’adopter pourrait se heurter à l’origine frauduleuse de la conception de l’enfant. Pour comprendre les enjeux de ces questions juridiques mêlant droit civil et droit international privé, il paraît indispensable de rappeler la teneur des règles en vigueur en matière d’assistance médicale à la procréation (I), avant de saisir la manière dont les tribunaux règlent concrètement la question de l’adoption de l’enfant né à la suite d’une procédure réalisée à l’étranger par un couple de femmes françaises ou vivant en France (II). I - L’hétérosexualité du couple : condition légale de l’accès à l’assistance médicale à la procréation L’assistance médicale à la procréation est régie à la fois par les articles 311-19 et suivants du code civil et par les articles L.1241-1 et suivants du code de la santé publique. Il convient donc de combiner les deux sources légales afin d’identifier toutes les conditions d’accès à la procréation médicale assistée telles qu’elles sont fixées par le législateur français. Les articles du code civil ne prévoient aucune condition d’altérité sexuelle pour le recours à l’assistance médicale à la procréation et se contentent de faire référence aux « époux » ou au « concubins ». Ils doivent cependant être lus à la lumière des articles

  11  

du code de la santé publique qui s’avèrent nettement plus précis et restrictifs. L’alinéa 3 de l’article L.1242-2 du code de la santé publique dispose, en effet, que « l’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination ». La lettre de ce texte ne laisse alors aucun doute : l’assistance médicale à la procréation est réservée aux couples mariés ou vivant ensemble depuis au moins deux ans et seuls les couples constitués d’un homme et d’une femme sont autorisés à recourir à cette procédure de conception. Interprété a contrario, ce texte constitue donc un obstacle dirimant au droit pour les couples homosexuels de bénéficier de l’assistance médicale à la procréation. Il n’est donc pas surprenant que dans sa décision du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels, le Conseil constitutionnel ait pu juger que le recours à l’assistance médicale à la procréation par des couples homosexuels était contraire à la législation en vigueur et ce, indépendamment de la nouvelle validité des mariages homosexuels40. Le Conseil avait été saisi par plusieurs requérants soutenant que « la possibilité d’un établissement de la filiation à l’égard de deux personnes de même sexe incitera ces couples à recourir à l’étranger à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui en fraude à la loi française ». Les critiques ainsi portées dépassaient alors les frontières territoriales et mettaient l’accent sur l’encouragement implicite donnée par le Législateur français aux pratiques frauduleuses de délocalisation des procédures. Cette argumentation davantage fondée sur les conséquences pratiques de la nouvelle loi était vouée à l’échec et, c’est donc sans surprise, que juges constitutionnels ont estimé que « l’éventualité d’un détournement de la loi lors de son application n’entache pas celle-ci d’inconstitutionnalité » et « qu’il appartient aux juridictions compétentes d’empêcher, de priver d’effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques »41. Il est donc indéniable que pour le juge constitutionnel le recours à l’assistance médicale à la procréation par des couples homosexuels constitue une pratique illégale susceptible d’être sanctionnée.

                                                                                                               40 Cons. const., déc. 17 mai 2013, n° 2013-669 DC, § 58 : JurisData n° 2013-011692 41 Décision précitée.

Cette décision constitutionnelle fournissait alors deux enseignements importants : les époux homosexuels n’ont pas les mêmes droits que leurs homologues hétérosexuels en matière d’accès à l’assistance médicale à la procréation et mal leur en prendrait de vouloir contourner l’interdiction qui leur est faite en profitant des législations étrangères plus permissives car ils se rendraient coupables d’une pratique illégale susceptible d’être sanctionnée. Néanmoins, malgré la clarté de la loi et l’interprétation stricte qu’en livre le Conseil constitutionnel, il semble que les juridictions du fond aient été plus enclines à reconnaitre en France les effets d’une assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger par un couple de femmes et le droit à l’adoption de l’enfant ainsi conçu. II – La jurisprudence récente : vers la reconnaissance de l’assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger et de l’adoption de l’enfant conçu L’évolution de la jurisprudence s’est faite progressivement et se divise en trois périodes distinctes. La première période, antérieure à la loi du 17 mai 2013, est celle de la double interdiction. Antérieurement à la consécration du mariage homosexuel, les juridictions du fond refusaient logiquement de faire droit à l’adoption d’un enfant issu d’une procédure d’assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger. Outre la fraude commise pour accéder à la procréation, les membres du couple ne pouvant être unis par les liens du mariage se voyaient refuser tout droit à l’adoption. C’est ainsi qu’un arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 mars 2011 rappelle la règle de l’article 365 selon laquelle l’adoptant de l’enfant du conjoint ne peut bénéficier d’un partage de l’autorité parentale que s’il est uni par le mariage au parent de l’enfant 42. Dans cette affaire, la partenaire de la mère de l’enfant conçu par insémination artificielle s’est donc vue refuser le droit à l’adoption prévue à l’article 365 au motif que « le partage de l'autorité parentale que dans le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint, et qu'en l'état de la législation française, les conjoints sont des personnes

                                                                                                               42 Cass. Civ, 9 mars 2011, n°10-10385.

  12  

unies par les liens du mariage ». A l’évidence, c’est parce que les deux femmes n’étaient pas mariées (et ne pouvaient pas l’être) que le droit à l’adoption fut paralysé. Dans un deuxième temps et postérieurement à la loi du 17 mai 2013, on observe que certaines juridictions du fond ont continué à rejeter les demandes d’adoption émanant de l’épouse d’une femme ayant eu recours à une procédure d’assistance médicale à la procréation dans un pays étranger. S’il n’était plus possible de fonder le refus de la demande sur l’inexistence du lien marital, il était toujours possible de paralyser les effets des nouvelles règles françaises par le jeu de la fraude. Ainsi, par exemple, le Tribunal de grande instance de Versailles, dans plusieurs jugements en date du 29 avril 2014 , a refusé de faire droit à la demande d’adoption au motif que « le procédé qui consiste à bénéficier à l’étranger d’une assistance médicale à l’étranger, interdite en France, puis à demander l’adoption de l’enfant conçu conformément à la loi étrangère mais en violation de la loi française, constitue une fraude à celle-ci et interdit donc l’adoption de l’enfant illégalement conçu »43. Une partie de la doctrine approuve un tel raisonnement et considère que « le fait, pour une femme française vivant sur le territoire national, d'aller dans un pays étranger, dont la législation sur l'AMP est plus souple que celle de la France, dans le seul but d'y bénéficier de ce qu'elle ne pourrait obtenir dans son propre pays, constitue une fraude. Par un moyen licite, la liberté de circulation, elle parvient, en effet, à obtenir ce qui est interdit en France : une insémination artificielle avec donneur en dehors d'un couple hétérosexuel, tout en entendant développer les conséquences de celle-ci dans l'hexagone »44 . Il convient également de rappeler ici que le fait de recourir à une procédure d’assistance médicale à la procréation est attentatoire à l’ordre public international privé français. Or, même si l’on sait qu’une situation régulièrement acquise à l’étranger bénéficie de l’ordre public international atténué, ce n’est qu’à la condition que les effets à produire sur notre territoire ne méconnaissent pas nos valeurs fondamentales. Dès lors se pose la question de savoir si le recours par des couples homosexuels aux procédures d’assistance

                                                                                                               43 Tribunal de grande instance de Versailles 29-04-2014 n° 13/00168 44 MOULY, Jean, « La « délocalisation procréative » : fraude à la loi ou habileté permise ? », Recueil Dalloz 2014 p.2419

médicalisée à la procréation, dans des pays étrangers, afin de s’émanciper des conditions françaises autorisant le recours à une telle procédure, ne pouvaient pas bénéficier des effets de l’ordre public international atténué. On peut à ce sujet considérer que la famille se conçoit aisément comme la première institution sociale. Ainsi, chaque État en définit le fonctionnement en considération de ce qu’il considère comme étant fondamental. Il semblait donc normal que la jurisprudence de l’époque refuse de faire application de l’ordre public international atténué. Ce refus était d’autant plus justifié qu’à l’issue de cette seconde période, la situation des couples homosexuels était identique à celle des couples hétérosexuels qui ne remplissent pas les conditions de l’article L.1241-1 du code de la santé publique (soit les couples hétérosexuels non mariés et ne vivant pas ensemble depuis deux ans ou les personnes célibataires). On peut dès lors estimer que le refus d’appliquer l’ordre public international atténué ne tenait pas au fait que l’homosexualité était contraire aux valeurs fondamentales française, mais plutôt au fait que le recours aux procédures d’assistance médicale à la procréation supposait que l’enfant à naitre puisse bénéficier d’une double filiation. Néanmoins, refuser l’établissement de la filiation biologique de l’enfant né d’une procédure d’assistance médicale à la procréation ne peut réellement être considéré dans son intérêt étant donné que cela revient de facto à le priver de filiation. Enfin, la troisième période ouvre la voie vers plus de libéralisme et de souplesse. En effet, depuis la parution de deux avis rendus par le Cour de cassation, le 22 septembre 2014, la jurisprudence antérieure semble avoir été remise en question45. Dans ces deux affaires, deux femmes mariées avaient eu recours à la procréation médicale assistée offerte à l’étranger. L’une d’elles avait suivi les soins et accouché d’un enfant. Sa conjointe sollicitait l’adoption plénière de l’enfant et les deux couples avaient saisi le Tribunal de grande instance de Poitiers. Par demande d’avis en date du 23 juin, les juges poitevins avaient sollicité l’avis de la Cour de cassation et formulé deux questions :

- « le recours à la procréation médicalement assistée, sous forme d’un recours à une insémination artificielle avec donneur inconnu à l’étranger par un couple de femmes, dans la

                                                                                                               45 Avis n° 15011 du 22 septembre 2014 (Demande n° 1470006) et avis n° 15010 du 22 septembre 2014 (Demande n° 1470007)

  13  

mesure où cette assistance ne leur est pas ouverte en France, conformément à l’article L.2141-2 du code de la santé publique, est- de nature à constituer une fraude à la loi empêchant que soit prononcée une adoption de l’enfant né de cette procréation par l’épouse de la mère »

- « l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit à la vie privée et familiale exigent-ils au contraire de faire droit à la demande d’adoption formulée par l’épouse de la mère de l’enfant ? ”

Prenant le contrepied de leur ancienne jurisprudence, les juges du Quai de l’horloge ont rendu l’avis suivant : « le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant »46. A la lecture de ces deux avis, force est de constater que la Cour de cassation désolidarise désormais la conception de l’adoption de l’enfant. Ce faisant, elle permet aux parents d’instaurer une filiation adoptive alors même que la naissance de l’enfant a eu lieu dans des conditions jugées illicites en droit français. Cette solution semble logique dans la mesure où sanctionner l’illicéité de la conception de l’enfant revenait précédemment à ne pas établir sa filiation avec son parent biologique. Or, il est indéniable que priver l’enfant de sa filiation biologique va à l’encontre de son intérêt. Ainsi, étant donné que l’on a renoncé à cette solution aux fins de préserver les intérêts de l’enfant, il semblait dès lors incohérent de reconsidérer le caractère illicite de la PMA dans les rapports avec le conjoint. De plus, Il est difficile de ne pas voir dans l’avis de la Cour de cassation l’influence des arrêts dits Mennesson et Labassee rendus par le Cour européenne des droits de l’homme47. Dans ces décisions, les juges de Strasbourg avaient condamné la France pour avoir refusé de retranscrire le lien de filiation paternelle réelle d’une enfant née d’une convention dite de mère porteuse réalisée à l’étranger. Les juges européens avaient fondé leur décision sur l’article 8 de la

                                                                                                               46 Avis n° 15011 du 22 septembre 2014 (Demande n° 1470006) 47 CEDH, 26 juin 2014, nos 65192/11, Mennesson c/ France et n° 65941/11, Labassee c/ France.

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme relatif au respect de la vie privée de l’enfant et de son intérêt supérieur. Le parallèle établi entre les avis rendus le 22 septembre 2014 et la jurisprudence de la Cour européenne a été souligné par les auteurs qui relèvent que « l’avis de la Cour de cassation s’inscrit parfaitement dans cette politique de la CEDH, protectrice des intérêts de l’enfant, qui n’a certainement pas manqué de l’inspirer » 48. Les mêmes auteurs font également valoir que, si on avait admis la notion de fraude, il aurait par conséquent fallu fait application de l’adage selon lequel la fraude corrompt tout (fraus omnia corrumpit) et refuser de reconnaître le lien de filiation à l’égard de la mère biologique et ce en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme49. La lecture des avis de la Cour de cassation doit donc se faire à l’aune de l’intérêt de l’enfant. La Cour se penche essentiellement sur le respect des conditions de l’adoption et l’intérêt de l’enfant. Elle retient donc une analyse concrète et juridique porteuse d’une solution équilibrée et susceptible de conduire à des résultats cohérents dans la vie quotidienne des intéressés. Bien évidemment, il importe de faire observer que la décision de la Cour de cassation ne constitue qu’un simple avis au sens de l’article L.411-1 du Code de l’organisation judiciaire, et qu’à ce titre, il ne revêt pas la même autorité qu’un arrêt. Toutefois, il est fort probable qu’à sa suite, les juridictions du fond s’aligneront sur la solution préconisée par la Cour de cassation. On relèvera au demeurant que, même avant cet avis, certains tribunaux avaient devancé le raisonnement de la Cour de cassation. Ainsi, par exemple, dans trois décisions du 8 juillet 2014, le Tribunal de grande instance de Nanterre avait prononcé l’adoption plénière de l’enfant issu d’une assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger aux motifs que toutes les conditions légales de l’adoption étaient réunies50. Néanmoins, il faut remarquer qu’une telle jurisprudence tend indéniablement à encourager les

                                                                                                               48 Rein-Lescastereyres Isabelle et Courmont-Jamet Mélanie, « Le recours à la PMA avec donneur anonyme à l’étranger ne fait pas obstacle à l’adoption de l’enfant de son conjoint dans les couples homosexuels », Gazette du Palais - 06/01/2015 - n° 006 - page 42 49 Rein-Lescastereyres Isabelle et Courmont-Jamet Mélanie, « Le recours à la PMA avec donneur anonyme à l’étranger ne fait pas obstacle à l’adoption de l’enfant de son conjoint dans les couples homosexuels », Gazette du Palais - 06/01/2015 - n° 006 - page 42 50 Tribunal de grande instance de Nanterre,08-07-2014, n° 13/14804

  14  

couples de femmes à avoir recours à une assistance médicale à la procréation à l’étranger. Est-ce un encouragement judiciaire à la fraude ? Une autorisation de délocalisation opportuniste ? Dans les deux cas, la solution n’est malheureusement pas satisfaisante et constitue à l’évidence un « rafistolage » dont il serait heureux qu’il soit momentané. On ne manquera pas alors de rapprocher cette question de celle du recours aux conventions de mère porteuse qui inspire les mêmes réserves juridiques. Le recours à la gestation pour autrui est interdit et le droit français frappe de nullité absolue toute convention qui la mettrait en scène. L’article 16-7 du code civil dispose ainsi que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Logiquement, c’est donc la formation et l’exécution de tels accords ayant pour objet le corps de la mère porteuse qui doivent disparaître, et quels qu’ils soient, les effets produits par la volonté des parties ne sauraient être validés. Mais à nouveau, l’impact de ces conventions ne se réduit pas aux relations entre leurs cocontractants. Un enfant naît qui mérite une filiation indépendamment des interdictions initialement posées. Les tribunaux ont d’abord tenté de gérer les effets des conventions de mères porteuses en se fondant sur le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes 51 avant de se fonder par la suite sur la notion de fraude à la loi 52, puis sur l’article 47 du code civil53. Toutefois, un arrêt récent rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation indique qu’en présence d’un acte de naissance qui n’est ni irrégulier ni falsifié et qui atteste de faits correspondant à la réalité, la convention de gestation pour autrui conclue entre le père de l’enfant et la mère porteuse ne fait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance54. Ainsi, ici aussi, l’interdiction du droit français est malmenée par la tolérance affichée à l’égard des droits étrangers. Pour en revenir à la question de l’adoption de l’enfant né à la suite d’une assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger en contravention avec les conditions posées par la législation française, on remarquera que devant l’ampleur du problème et des

                                                                                                               51 Voir par exemple, Civ 1ère, 6 avril 2011, Bull. civ. I, n°72 52 Voir par exemple, Civ 1°, 13 septembre2013, Bull. civ. I, n°176 53 Voir par exemple CA de Rennes, 7 mars 2016 54 Cas., ass. plén., 3 juillet 2015 (14-21.323)

questions qu’il soulève, notamment quant à la question de l’illicéité du recours à ce type de procédure par les couples homosexuels, certains auteurs, comme Monsieur Jérôme Roux, préconisent de s’en tenir à l’interprétation littérale de la loi et à la décision du Conseil constitutionnel55. Néanmoins cette proposition semble désormais difficilement acceptable car, comme on l’a vu, sanctionner l’illicéité d’un tel recours revient à priver l’enfant de sa filiation biologique ce qui ne peut en aucune cas être perçu comme préservant ses intérêts. Par ailleurs, il convient de souligner que de nombreux acteurs de la vie civile ont récemment fait manifester leur volonté de voir la procédure d’assistance médicale à la procréation élargie aux couples de femmes ainsi qu’aux femmes célibataires. Ainsi, par exemple, dans un avis en date du premier juillet 2015, le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes recommandait d’étendre l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes sans discrimination56. Le même jour, lors d’une audition au Sénat, le défenseur des droits Monsieur Jacques Toubon se prononçait dans le même sens. On soulignera également que dans un manifeste lancé à l’initiative du docteur René Frydman, 130 médecins reconnaissaient en mars 2016 avoir « accompagné certains couples ou femmes célibataires dans leur projet d'enfant dont la réalisation n'est pas possible en France »57. Ces appels ne doivent pas faire oublier que de nombreux citoyens sont extrêmement défavorables à l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femme. C’est particulièrement le cas des militants du mouvement « la manif pour tous » ou de « sens commun ». En définitive, il reviendra aux prochains gouvernements qui auront le courage de s’y atteler, de définir le point d’équilibre entre les enjeux, les sensibilités, les controverses morales, sociales et juridiques et de trancher une question dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne trouve que de troubles et précaires réponses.

                                                                                                               55 ROUX Jérome, « L'appel ignoré du Conseil constitutionnel à « priver d'effet » le recours illicite à la PMA et à la GPA », La Semaine Juridique Edition Générale n° 16, 20 Avril 2015, doctr. 483 56 Communiqué Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, 1er juillet 2015 57 « PMA : vers une extension à toutes les femmes ? », Revue Juridique Personnes et Famille, Nº 9, 1er septembre 2015

  15  

4 - L’articulation entre la justice restaurative et le procès pénal

Par Clotaire Zengomona

« Monsieur le Premier président, Monsieur le Procureur général, Monsieur le Professeur, Mesdames et Messieurs.

Cela est un immense privilège et véritable honneur, pour l’étudiant que je suis, de prendre la parole devant vous dans l’illustre Grand'Chambre de la Cour d’appel d’Amiens au cours de cette enrichissante journée d’échanges. C’est pourquoi je tiens à remercier très sincèrement l’ensemble des organisateurs de cette journée, et je vous remercie plus particulièrement, Monsieur le Procureur général, de votre générosité et de votre bienveillance. Bienveillance qui est cœur de cette approche humaniste qu’est la justice restaurative. Depuis la loi du 15 août 2014, une idée est apparue en droit pénal français. Celle d’une vengeance, non pas vindicative et archaïque, mais vindicatoire et citoyenne, visant à rétablir l’Harmonie sociale troublée : le délinquant n’est plus réduit à l’acte commis, la victime aux blessures subies, la communauté aux fractures ressenties. Cette idée est véhiculée par la justice restaurative, qui trouve place à l’article 10-1 du Code de procédure pénale58 au sein du Titre

                                                                                                               58 Article 10-1 du Code de procédure pénale : « A l'occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l'exécution de la peine, la victime et l'auteur d'une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative. Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu'après que la victime et l'auteur de l'infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à

préliminaire, une place privilégiée attribuée par le législateur. La Place Vendôme y attache également un intérêt tout particulier, comme le démontrent la Circulaire du 15 mars 201759 ainsi que la lettre du 18 avril dernier du Garde des Sceaux, Monsieur Jean-Jacques Urvoas60, au futur ministre de la Justice dont il ne connaissait pas encore le nom, Monsieur François Bayrou.

Il semble que l’apparition de la justice restaurative en France ne soit pas un hasard, dans un contexte général de recherche d’autres modes de règlements des conflits et dans le prolongement de la contractualisation du droit pénal. Néanmoins, la philosophie restaurative cultive de nombreuses singularités et tire ses origines de sources variées, à la fois ancestrales et internationales. John Braithwaite, dans son ouvrage Crime, Shame, and Reintegration61, énonçait que la honte infligée à l’infracteur est une stigmatisation ou un étiquetage, le conduisant à se construire une identité déviante, à intérioriser une image d’exclu. A l’inverse, une honte réintégrative permettrait le retour de l’infracteur dans la Cité, qui ne le stigmatise pas, mais qui l’envisage. C’est là le point de départ de la justice restaurative. Confronté à l’extériorisation de sa souffrance par la victime, le délinquant est en mesure de faire l’expérience d’une honte l’amenant à se responsabiliser.

La justice restaurative s’engage sur la voie du rétablissement de l’humanité de chacun, par la rencontre et le dialogue, en replaçant les intéressés au centre du contentieux qui les opposent. Là où la justice pénale ne peut pas prendre le temps ; là où la justice pénale doit garder sa solennité, ses rituels, la justice restaurative prend le temps de l’apaisement et contribue à une meilleure resocialisation des délinquants et à la prévention de la récidive. En somme, il est question de l’ouverture de certaines

                                                                                                                                                                                           cet effet, sous le contrôle de l'autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l'administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République. » 59 Circulaire n°SG-17-007/13.03.2017 du 15 mars 2017 relative à la mise en œuvre de la justice restaurative applicable immédiatement suite aux articles 10-1, 10-2 et 707 du Code de procédure pénale, issus des articles 18 et 24 de la loi n°2014-896 du 15 août 2014. 60 J.-J. Urvoas, Lettre du garde des Sceaux à un futur ministre de la Justice. Partageons une ambition pour la justice, Dalloz, 2017. 61 John Braithwaite, Crime, Shame, and Reintegration, 1989.

  16  

portes au sein d’un espace de dialogue afin de mieux les refermer.

La justice restaurative peut donc contribuer, à sa façon, à la désistance et à la résilience. Il convient toutefois de préciser qu’elle ne suit ni une démarche religieuse, ni une démarche thérapeutique : seul un sentiment d’humanité laïcisé la gouverne.

Il est nécessaire de se demander quelle est la place de la justice restaurative au sein du système pénal français. Bien évidemment, elle n’a pas pour ambition de le remplacer : elle s’y ajoute. La justice restaurative s’envisage comme un renforcement de la justice pénale là où se révèlent ses lacunes : elle est une réponse en équité à côté de la réponse de droit, et se focalise sur les répercussions de l’acte infractionnel. Pour autant, l’articulation de la justice restaurative avec le procès pénal peut sembler difficile. Certains y voit une dérégulation normative du système pénal français octroyant naturellement une place centrale à la Loi. Si la mise en œuvre des différentes mesures de justice restaurative, « à tous les stades de la procédure [pénale] », est à l’origine d’interrogations, il n’en reste pas moins que celles-ci ne sont pas insurmontables, ce que la présente réflexion s’efforcera de démontrer.

L’étude des principes essentiels de mise en œuvre se doivent d’être rappelés à l’aune de la procédure pénale (I), avant de s’intéresser à l’articulation entre certaines mesures de justice restaurative et le procès pénal (II).

I - Les principes de la justice restaurative à l’aune de la procédure pénale

Les conditions d’application de la mesure de justice restaurative - La mesure de justice restaurative est subordonnée à différentes conditions, énoncées à l’article 10-1 du Code de procédure pénale.

En effet, la victime et le délinquant doivent recevoir une information complète sur la mesure et doivent y consentir expressément – sans pour autant que ce consentement soit définitif, puisqu’il leur est loisible de quitter le dispositif restauratif à tout moment. Cette hypothèse ne sera pourtant pas un échec, car le processus préparatoire est tout aussi bénéfique que la mesure en elle-même. Un contrôle du consentement éclairé et des motivations précises des intéressés doit être effectué, afin que la mesure ne soit pas un prétexte pour échapper à une éventuelle condamnation ou pour satisfaire un désir de vengeance vindicative. En outre,

la mesure doit être mise en œuvre par un tiers indépendant spécialement formé et sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou de l’administration pénitentiaire à sa demande. Cela signifie précisément que l’autorité judiciaire effectue un contrôle de légalité de la mesure, et non un contrôle de son opportunité.

La question essentielle qui se pose, à l’aune de la procédure pénale, concerne plus précisément la condition de reconnaissance des faits par les participants. Cela concerne la victime, mais aussi l’auteur, qui doit reconnaître SON implication dans les faits. Rappelons qu’une mesure de justice restaurative est envisageable avant les poursuites, pendant l’information judiciaire, pendant l’instance pénale, pendant la phase d’exécution de la peine ou encore après l’exécution totale de la peine.

Or, avant le prononcé de la culpabilité, un principe directeur de la procédure pénale s’impose et devrait logiquement s’appliquer à la justice restaurative. Vous l’aurez compris, il s’agit de la présomption d’innocence, « toute personne suspectée ou poursuivie [étant] présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie »62. Eu égard à la teneur de certains

                                                                                                               62 Article préliminaire du Code de procédure pénale : « I.-La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles. II.-L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale. III.-Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi. Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur. Si la personne suspectée ou poursuivie ne comprend pas la langue française, elle a droit, dans une langue qu'elle comprend et jusqu'au terme de la procédure, à l'assistance d'un interprète, y compris pour les entretiens avec son avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l'exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées en application du présent code. Les mesures de contraintes dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne. Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable. Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction.

  17  

échanges au cours de la mesure restaurative, n’y aurait-il pas un risque de violation de la présomption d’innocence ? Que recouvre la reconnaissance de l’implication dans les faits par l’auteur ? Finalement, la participation d’un mis en cause, d’un mis en examen, d’un prévenu ou d’un accusé à une mesure restaurative ne pourrait-elle pas influencer la procédure pénale ?

Rassurons-nous, une réponse négative s’impose. La mesure de justice restaurative n’est pas une alternative aux poursuites, mais une voie parallèle, pouvant être envisagée même lorsque l’infraction ne peut pas être poursuivie. Il ne s’agit pas d’un acte de procédure pénale mais d’un processus complémentaire, facultatif et autonome. En ce sens, les principes directeurs de la procédure pénale ne s’appliquent pas en justice restaurative, comme le rappelle la Circulaire du 15 mars 2017. De surcroit, il est fait interdiction à l’autorité judiciaire de s'appuyer sur la participation à une mesure restaurative, afin d’en tirer des conclusions diverses et d’influencer le jugement.

C’est ici qu’un grand principe de la justice restaurative apparaît : la confidentialité. L’autorité judiciaire ne peut être informée du contenu des échanges existant dans le cadre de la mesure : seule la mention de sa proposition peut figurer au dossier, sans aucune autre appréciation. Toutefois, l’accord des parties ou l’existence d’un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions peuvent écarter la confidentialité. Cela pourrait être le cas lorsqu’un meurtrier révèle d’autres crimes dans l’espace de dialogue restauratif.

Le lien entre la justice restaurative et la pénologie française - Somme toute, la justice restaurative n’est ni étrangère ni incompatible avec la procédure pénale. Certaines peines sont d’ailleurs investies d’une philosophie restaurative, tel le TIG, la réparation du dommage et la médiation pénale pour les majeurs ou encore la réparation pénale pour les mineurs. Les détracteurs de la justice restaurative estiment donc que celle-ci est inutile eu égard à ces alternatives aux poursuites. Néanmoins, une différence fondamentale existe entre ces mesures pénales et la justice restaurative : l’impulsion du procureur de la République63. Comme énoncé précédemment,

                                                                                                                                                                                           En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui. » 63 Voire de la juridiction d’instruction ou de jugement concernant la réparation pénale du mineur.

l’autorité judiciaire ne contrôle que la légalité de la mesure restaurative : elle ne contrôle pas son opportunité. Il s’agit d’un processus volontaire et non imposé. Coexistent donc une médiation pénale et une médiation restaurative. A cet égard : la médiation restaurative pourrait-elle se substituer à la médiation pénale ? Cela ne serait possible que si le ministère public décidait de ne pas poursuivre et de laisser les parties régler elles-mêmes leur différend dans un processus restauratif64, ce qui pourrait apparaitre délicat en raison de la réminiscence de la vengeance vindicative. L’importance du consentement éclairé à la mesure se trouve donc confortée.

La justice restaurative et la dimension civile du procès pénale - Les éléments que nous venons d’aborder concernaient précisément le volet pénal de la procédure. Mais qu’en est-il du volet civil ? Certains auteurs voient dans la justice restaurative un risque de confusion avec le droit de la responsabilité civile. En effet, si la philosophie restaurative vise avant tout le dialogue, certaines mesures aboutissent à une réparation des répercussions de l’infraction, formalisée dans un accord restauratif. Aussi, une question légitime se pose : « La réparation par le biais de la mesure restaurative a-t-elle pour effet d'éteindre l'action civile » 65 ? Plusieurs précisions se doivent d’être apportées.

La justice restaurative ne poursuit pas la réparation matérielle du préjudice : elle s’intéresse aux répercussions de l’infraction et donc à des aspects qui ne sont pas pris en compte par les dommages et intérêts traditionnels. La réparation restaurative n’est donc pas une répétition de la dimension civile du procès pénal et elle peut matérialiser la prise de conscience par l’infracteur des souffrances qu’il a causées.

La réparation restaurative peut notamment prendre d’autres aspects qu’un dédommagement pécuniaire portant sur les répercussions du crime, comme des obligations positives au bénéfice de la victime66 ou un travail au profit d’une institution ou de la communauté. Il convient d’insister sur le fait que cette réparation est une démarche volontaire de l’infracteur, et non une imposition. Selon les mesures et le stade de la procédure, l’homologation de l’accord par l’autorité                                                                                                                64 G. Rabut-Bonaldi, « La mesure de justice restaurative, ou les mystères d'une voie procédurale parallèle », D. 2015. 97 65 Ibidem. 66 Par exemple des restitutions, des services ou encore l’engagement de suivre des formations.

  18  

judiciaire peut être nécessaire, dans le respect du principe de confidentialité. L’exécution de l’accord restauratif, quant à elle, est réalisée sous la supervision de l’animateur.

Il serait possible de considérer que le processus restauratif est une occasion de conférer à la victime une place encore plus importante au sein de la justice pénale. Bien que la justice restaurative prospère dans systèmes de Common law, qui ne connaissent pas la constitution de partie civile, celle-ci n’est pourtant pas en contradiction avec notre système pénal : la philosophie restaurative a le souci de tous les protagonistes subissant les répercussions de l’infraction. Par ailleurs, il conviendrait de se demander si la place accordée à la victime dans le procès pénal est suffisante, non pas en termes purement juridiques, mais en termes de cheminement personnel, d’apaisement des répercussions de l’acte.

Il est désormais temps d’envisager l’articulation de certaines mesures restauratives avec le cours du procès pénal.

II - La mesure de justice restaurative et le procès pénal

Les rencontres directes et indirectes - A titre liminaire, une distinction s’impose entre les rencontres directes, mettant en rapport le délinquant et sa victime, et les rencontres indirectes, mettant en rapport une victime et un délinquant issus de dossiers différents mais concernant des faits similaires.

Bien évidemment, les rencontres directes ne sont pas souhaitables en matière d’atteintes aux personnes dans la sphère familiale, où sont susceptibles d’exister des situations d’emprise. En l’occurrence, il est préférable que soient organisées des rencontres indirectes.

Les rencontres directes peuvent être envisagées : dans le cadre d’une alternative aux poursuites, durant la phase d’exécution de la peine et après l’exécution totale de celle-ci.

Concernant les phases d’information judiciaire et d’instance pénale, les risques d’influence, d’intimidation par l’infracteur et ses proches, mais aussi les risques d’exaltation d’une vengeance purement vindicative par la victime ou ses proches peuvent troubler le bon déroulement de la procédure pénale. C’est pourquoi il apparaît préférable de mettre en œuvre des rencontres indirectes, eu égard aux

enjeux de la procédure. Ce sera notamment le cas des rencontres détenus/victimes ou condamnés/victimes.

Il n’en reste pas moins que, devant le juge des enfants en charge de l’instruction, une mesure de justice restaurative directe est envisageable, l’instruction étant en l’occurrence essentiellement à dimension éducative.

La césure du procès pénal - De surcroit, dans le cadre de l’instance, il peut être très opportun de mettre en oeuvre des mesures directes au cours d’une suspension du processus judiciaire. Cette technique est aussi appelée césure du procès pénal et se matérialise par la dispense de peine ou l’ajournement du prononcé de la peine en matière correctionnelle67. Nous focaliserons notre analyse sur l’ajournement du procès pénal, en précisant qu’une mesure restaurative peut être un préalable volontaire à la dispense de peine68.

Nous n’avons pas besoin de rappeler que l’ajournement consiste, pour la juridiction de jugement, à établir une séparation entre le prononcé de la culpabilité et le prononcé de la peine69. Inspiré des recommandations du Haut magistrat Marc Ancel, il peut se présenter sous différentes formes, outre l’ajournement simple. C’est notamment le cas de l’ajournement pour enquête70 crée par la réforme du 15

                                                                                                               67 Article 132-58 du Code pénal : « En matière correctionnelle ou, sauf dans les cas prévus aux articles 132-63 à 132-65, en matière contraventionnelle, la juridiction peut, après avoir déclaré le prévenu coupable et statué, s'il y a lieu, sur la confiscation des objets dangereux ou nuisibles, soit dispenser le prévenu de toute autre peine, soit ajourner le prononcé de celle-ci dans les cas et conditions prévus aux articles ci-après. En même temps qu'elle se prononce sur la culpabilité du prévenu, la juridiction statue, s'il y a lieu, sur l'action civile. » 68 Article 132-59 du Code pénal :« La dispense de peine peut être accordée lorsqu'il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l'infraction a cessé. La juridiction qui prononce une dispense de peine peut décider que sa décision ne sera pas mentionnée au casier judiciaire. La dispense de peine ne s'étend pas au paiement des frais du procès. » 69 Article 132-60 du Code pénal : « La juridiction peut ajourner le prononcé de la peine lorsqu'il apparaît que le reclassement du coupable est en voie d'être acquis, que le dommage causé est en voie d'être réparé et que le trouble résultant de l'infraction va cesser. Dans ce cas, elle fixe dans sa décision la date à laquelle il sera statué sur la peine. L'ajournement ne peut être ordonné que si la personne physique prévenue ou le représentant de la personne morale prévenue est présent à l'audience. » 70 L’ajournement aux fins d’investigations sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale et social est prévu à l’article 132-70-1 du Code pénal : « La juridiction peut ajourner le prononcé de la peine à l'égard d'une personne physique lorsqu'il apparaît nécessaire d'ordonner à son égard des investigations complémentaires sur sa personnalité ou sa situation matérielle, familiale et sociale, lesquelles peuvent être confiées au service

  19  

août 2014.

Le tribunal peut donc prononcer, dans un premier temps, la culpabilité voire des mesures d’indemnisation de la victime, puis renvoyer à une audience ultérieure le prononcé de la peine afin d’obtenir davantage d'informations sur la personnalité ou la situation matérielle familiale et sociale l'auteur.

Un tel processus de césure existe également au sein de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante71. Concernant tous les mineurs, toutes les mesures encourues72 et toutes les juridictions pour mineurs73, l’ajournement est possible dans les conditions du droit commun, mais aussi lorsque les perspectives d’évolution du mineur ou la nécessité d’investigations supplémentaires sur sa personnalité le commandent. La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle a également rétabli la procédure de convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le juge des enfants. Ce dispositif permet, par dérogation au principe de l’information obligatoire, de juger un mineur dès sa première comparution devant le juge des enfants et de répondre immédiatement aux demandes éventuelles de la partie civile. Supprimée en 2011, la « COPJ JE » peut se combiner avec la césure du procès pénal, permettant à un même juge des enfants de suivre l’ensemble de la procédure74.

Ainsi, la justice restaurative trouverait, dans le temps octroyé par l’ajournement, un cadre adéquat de mis en œuvre – même si ce laps de temps est considérablement court face au processus restauratif75.

                                                                                                                                                                                           pénitentiaire d'insertion et de probation ou à une personne morale habilitée. Dans ce cas, elle fixe dans sa décision la date à laquelle il sera statué sur la peine. La décision sur la peine intervient au plus tard dans un délai de quatre mois après la décision d'ajournement, sous réserve des délais plus courts prévus au troisième alinéa de l'article 397-3 du code de procédure pénale quand la personne est placée en détention provisoire. Ce délai peut être prolongé pour une nouvelle durée maximale de quatre mois. » 71 Depuis la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. 72 Peines, sanctions éducatives et mesures éducatives. 73 Juge des enfants statuant en chambre du conseil ou tribunal pour enfants. 74 Ce qui est conforme avec la décision des Sages de la rue Montpensier du 8 juillet 2011 (Cons. constit., 8 juillet 2011, n° 2011-147 QPC). Le ministère public peut également requérir la césure du procès dans le cadre d'une convocation ou d'une présentation immédiate devant le tribunal pour enfants, en l'absence d'éléments suffisants sur la personnalité obtenus par les services de la Protection judiciaire de la jeunesse. 75 Concernant la justice des majeurs, le renvoi s’effectue quatre mois au plus tard si le prévenu est libre ou deux mois non

Si cette logique pourrait se rapprocher de l’ajournement avec mise à l’épreuve, elle s’en distingue néanmoins puisque le délinquant n’est pas soumis à des obligations imposées par le juge.

Dans cette hypothèse de césure du procès, la justice restaurative s’accorde parfaitement avec la dimension de personnalisation de la peine, chère à Marc Ancel. Elle pourrait notamment participer de la réduction du recours trop systématique à la peine privative de liberté en matière correctionnelle. Néanmoins, il importe d’informer l’infracteur qu’en dépit de l’ajournement du prononcé de la peine et de la participation à une mesure restaurative, cette dernière ne le fera pas nécessairement échapper à toute sanction pénale, afin que la justice restaurative ne soit pas perçue tel un prétexte par le délinquant.

Les mesures de justice restaurative - Comme énoncé précédemment, différentes mesures de justice restaurative s’accordent avec l’ensemble des stades de la procédure pénale. Nous focaliserons notre analyse sur les plus emblématiques.

La médiation restaurative, tout d’abord, consiste en une rencontre volontaire entre la victime et l’auteur de l’infraction, avec le soutien d’un médiateur, dans le but d’évoquer les faits et leurs répercussions. Elle vise à conduire chacun à reconsidérer le point de vue de l'autre et à envisager les contours d’une réparation. La médiation restaurative peut notamment être mise en oeuvre au cours de l’instance pénale, dans le cadre de la césure du procès. L’auteur et la victime ont ainsi la possibilité de participer activement à la résolution du conflit et de déterminer les termes de la réparation. La médiation restaurative peut se concevoir également au cours de l’information judiciaire, mais aussi après le jugement. Dans ce dernier cas, elle ne possède pas le même rôle, une sanction ayant été prononcée et une indemnisation éventuellement effectuée : elle permet précisément d’aborder des aspects du conflit qui n’ont pas pu être pris en compte par le procès.

Dans le même esprit que la médiation restaurative, il existe une mesure particulièrement adaptée pour les mineurs voire les jeunes majeurs : la conférence restaurative ou conférence de groupe familial. Celle-ci

                                                                                                                                                                                           renouvelables s’il est en détention provisoire. Concernant la justice des mineurs, le renvoi peut se faire dans le délai de six mois, mais des ajournements successifs sont possibles, à condition que la décision sur la mesure éducative, la sanction éducative ou la peine intervienne au plus tard un an après la première décision d’ajournement.

  20  

permet la rencontre entre l’auteur et la victime, avec la participation des personnes pouvant apporter aux protagonistes un soutien76. Cette mesure envisage les modalités de l’aide que l’environnement familial et social peut leurs apporter en vue de l’apaisement et de la responsabilisation. Elle aboutit également à un accord restauratif, sous le contrôle de légalité réalisé par l’animateur et sa soumission à l’autorité judiciaire. Elle peut s’appliquer dans les mêmes hypothèses que la médiation restaurative77.

Les rencontres détenus/victimes ou condamnés/victimes consistent, quant à elle, en la création d’un espace de parole, où un groupe de détenus ou de condamnés et un groupe de victimes, ne se connaissant pas mais étant concernées par un même type d’infraction, échangent sur les répercussions de l’acte commis, en présence de deux animateurs et de deux membres de la communauté. Concernant les délinquants, de telles rencontres indirectes ne sont susceptibles d’intervenir qu’après qu’une sanction a été prononcée et est en cours d’exécution. Concernant les victimes, il pourrait être envisageable qu’elles souhaitent, au cours de l’instruction ou de l’instance pénale, participer à ce type de rencontres indirectes, dans la perspective du procès pénal.

Enfin, les cercles restauratifs concernent des situations ne permettant pas d’engager l’action publique – en raison d’un classement sans suite, de l’extinction de l’action publique78, ou encore en cas d’une relaxe ou d’un acquittement. Ils offrent un espace de parole tant à la personne mise en cause qu’à la victime afin d’aborder notamment les questions relatives à la résolution de leur différend.

Je ne saurais terminer mes propos sans vous lire ces quelques vers de Paul Eluard, dans lesquels il décrivait poétiquement ce qu’il entendait par Bonne justice79 :

« C'est la chaude loi des hommes Du raisin ils font du vin Du charbon ils font du feu Des baisers ils font des hommes

C'est la dure loi des hommes Se garder intact malgré

                                                                                                               76 Précisément des proches ou des personnes de confiance. 77 A savoir au cours de l’information judiciaire, au cours de l’instance et lors de l’exécution de la peine. 78 Apparue pendant l’information judiciaire. 79 Paul Eluard, « Bonne justice », Pouvoir Tout Dire, 1951.

Les guerres et la misère Malgré les dangers de mort C'est la douce loi des hommes De changer l'eau en lumière Le rêve en réalité Et les ennemis en frères Une loi vieille et nouvelle Qui va se perfectionnant Du fond du cœur de l'enfant Jusqu'à la raison suprême ».

S’il est malheureusement peu envisageable que, dans un futur proche, le système pénal français fasse sienne les velléités hulsmaniennes d’abolition du système pénal, il est beaucoup plus vraisemblable que la philosophie restaurative soit l’avènement d’une nouvelle approche en droit et en procédure pénale.

Belle promesse humaniste, la justice restaurative ne demande qu’à être appliquée de manière effective par l’ensemble des acteurs de la Justice, Justice qui doit se donner les moyens matériels de respirer pleinement ce parfum restauratif. L’enseignement supérieur et les formations professionnelles doivent également contribuer à la diffusion de cette approche. C’est dire l’insigne mérite de cette journée d’échanges du 7 juin. C’est exprimer la nécessité de ce souffle nouveau. C’est révéler son évidence dans l’œuvre de Justice.

Certains diront que l’application de la justice restaurative n’est qu’une utopie au sein de notre système pénal, qu’elle ne pourrait prospérer que dans la ville d’Amaurote chère à Thomas Moore dans son œuvre Utopia. Pourtant, comme nous le dirait Théodore Monod : « L'utopie ne signifie pas l'irréalisable, mais l'irréalisé. L'utopie d'hier peut devenir la réalité ». La justice restaurative s’est inscrite dans notre réalité en 2014. Dans quelques heures, elle s’inscrira officiellement dans la réalité de la Cour d’appel d’Amiens.

Pour l’heure, il n’est qu’un seul vœu possible : puissions-nous cultiver notre jardin, et récolter, dans un avenir prochain, les fruits de l’arbre restauratif ».

  21  

1 - Débat républicain à Notre-Dame-Des-Landes, Robespierre et Danton à la tribune !

Par Vincent Gobin

C'est près d'un demi-million de citoyens qui s’est déplacé le 26 juin 2016 pour répondre à la consultation locale relative au projet de construction d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Décidé par le Président de la République sur proposition de sa Ministre Emmanuelle Cosse, ce référendum a permis au corps électoral de se prononcer majoritairement par un « oui », sur un score de 55,17 %. Cette réponse vient conclure – du moins sur le papier – l'un des plus vifs débats du quinquennat du Président Hollande. La polémique, pour en rappeler brièvement les termes, opposait des « pro-aéroport » intéressés par cette expansion des infrastructures de transport susceptible d’engendrer des créations d'emplois locaux et attachés au respect des décisions publiques, aux « anti-aéroport » soucieux, quant à eux, de préserver les surfaces forestières et agricoles, l'environnement ainsi que le confort des riverains, et considérant cet agrandissement couteux et superflu.

Nous n'entendons pas, dans ces pages, revenir sur le fond politique de ce débat – aujourd'hui tranché ? – mais plutôt prêter l'oreille à l'écho juridique de la victoire du « oui » pour la suite. Car une suite semblait bien devoir être envisagée dès lors que les militants ne se résignaient pas à évacuer les lieux après la fermeture des bureaux de vote. Aussi l'Agence France

Presse publiait-elle, dès le lendemain du scrutin, ces propos recueillis parmi les Camille (comme se surnomment eux-mêmes lesdits occupants pour conserver l'anonymat) : « Nous appelons tous les soutiens et comités, partout en France et au-delà, à se mobiliser et à redoubler de vigilance dans les semaines et mois à venir (...) Il n'y aura pas d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ! ».

Ainsi posée, la situation appelle la question suivante : qu'en est-il sur le plan philosophique, politique et juridique, de la volonté affichée des Camille de poursuivre la lutte en dépit des suffrages exprimés en leur défaveur ? Avant de fouiller cette interrogation, il nous appartient de redire que nous ne nous ferons ici la voix d'aucune des deux coteries rivales, laissant le fond de cette affaire à ses experts et à ses militants. Pour notre part, nous nous intéresserons seulement à la question qui nous semble revenir – de droit, pourrait-on dire – au juriste : quelle doit être, en la circonstance, la place du vote exprimé ? Autrement dit, le résultat des suffrages citoyens doit-il toujours faire loi ? Est-il des cas dans lesquels il est possible de s'en émanciper ? Pour en juger, nous rappellerons tout d'abord les limites connues de l'autorité de tout ordre juridique (I), avant d’évoquer les arguments de deux hommes à la fois experts dans le domaine de la loi et celui de l'insurrection, Robespierre et Danton. L’opposition historique de leurs deux doctrines (II) permettra sans doute d’apporter une réponse concrète à la question qui nous taraude (III). I - Limite naturelle de l'autorité de la Loi

Il est communément admis que l'autorité de l'ordre juridique peut être contestée lorsqu'elle se fait l'outil de l'oppression. C'est ainsi que l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 consacre « la résistance à l'oppression » comme l'une de ses libertés naturelles et imprescriptibles. Déjà sous l'Antiquité, les Romains se référaient à l'adage « Vim vi repellere licet » (« il est permis de repousser la force par la force »). Ce principe, qui laisse somme toute le dernier mot à l'appréciation de ce que recouvre la notion même d'oppression, semble légitimer la volonté des Camille de poursuivre leur lutte - volonté notamment manifestée, de manière symbolique, le soir-même du scrutin, par l'édification d'un dôme de

  22  

foin et de terre appelé à devenir un lieu d'assemblée 80. Mais ce raisonnement peut-il avoir cours lorsque la décision en cause émane du peuple lui-même ? Voilà qui nous ramène à l'interrogation qui hantait un autre Camille… Aux pires heures de la Terreur Révolutionnaire, Camille Desmoulins s’interrogeait déjà : « Le peuple peut-il devenir lui-même oppresseur ? ».

Pour déterminer quelle place doit être dévolue au résultat prononcé par ce rare vestige de démocratie directe qu'est le référendum, et apprécier partant si une contestation peut en être envisageable, nous serions bien inspirés de rechercher l'éclairage de l'Histoire. Quelle lanterne plus éclairante dès lors que celle de la Révolution Française, amoureuse des libertés et fondatrice de notre ordre juridique ? Aussi désirons-nous entendre à la tribune, les voix de deux figures emblématiques de cette période, celle de Maximilien Robespierre et Georges Danton.

II - Contexte d'un éclairage historique

L'imagerie populaire retient de Robespierre et Danton qu’ils étaient l’un et l’autre avocat, ténors de la Convention Nationale siégeant sur les bancs de la Montagne. Le premier surnommé « l'incorruptible », le second réputé grand corrompu et concussionnaire. Ce sont aussi deux nomophiles81 œuvrant pour arracher à la souveraineté royale des libertés sacrées sanctifiées par la Loi dont ils se faisaient la plus haute idée. Pourtant, bien qu'appartenant au même courant politique et fréquentant tout deux le Club des Jacobins, leur opposition fit rage au temps de la Terreur. Cette dernière consistait pour le Comité de Salut Public, conduit alors par Robespierre, à durcir par la force le mouvement révolutionnaire pour éviter toute remise en cause de ses acquis, notamment par l'emploi d'une justice sommaire. De l'été 1793 à sa décapitation en avril 1794, Danton n'eut, quant à lui, de cesse de lutter contre cette dérive qu'il qualifia de « fanatique », prenant la tête du bien-nommé courant des « Indulgents ». Il demanda ainsi la création d'un comité de clémence chargé d'examiner le bien-fondé des arrestations prononcées et plaida, plus tard, pour une amnistie générale des condamnés. Cette opposition politique, dont il nous fallait redessiner brièvement les contours pour garder à

                                                                                                               80 « Notre consultation à nous », publié par les Camille dans le quotidien « Aujourd'hui en France », 27 juin 2016. 81 Nomophile : passionné des lois et des normes.

l'esprit son contexte historique, fut la traduction d'une opposition doctrinale tout aussi franche entre les deux hommes.

« Temps exceptionnels, mesures exceptionnelles », déclarait Robespierre au sortir de l'hiver 1793, « dans une situation de péril, le processus légal ordinaire n'a plus sa place ». C'est de cet argument en faveur d'un droit à outrepasser l'ordre juridique en présence d'une menace particulièrement prégnante que naquît, le 10 mars 93, le Tribunal révolutionnaire auquel doivent être imputés l’assassinat de plus de cent mille vies durant la Terreur. Danton lui-même, alors rallié aux idées de Robespierre, en fut l'un des principaux instigateurs, ce dont il se repentit en ces termes lors de son procès devant cette-même juridiction : « Je connais cette cour, c'est moi qui l'ai créée, et j'en demande pardon à Dieu et aux hommes », avant de conclure, après l'avoir qualifié de « fléau de l'humanité », qu'elle était devenue « l'assassinat des consciences ». Comprenons que, pour Robespierre, ainsi que d'autres révolutionnaires partageant sa doctrine tels que Saint Just ou Couthon, la vertu devait primer sur la volonté générale. C'est en effet cette recherche de la vertu – décrivant à l'époque le vrai révolutionnaire, donc le plus entier – qui avait seule justifié la mise à l'ordre du jour de la Terreur. Cette dernière fut ainsi marquée, le 17 septembre 1793, par l'adoption de la Loi des suspects, permettant l'arrestation de tous citoyens étant dans l’impossibilité de prouver leur adhésion aux idées de la Révolution. Ce texte légalisa les arrestations menées sur la base d’un simple soupçon – la présomption tournant dès lors en faveur de la culpabilité. Ce système entièrement orienté vers l'exécution sommaire de toute une fange de la population, et que Desmoulins qualifia lors de son procès de « parodie de justice », était pourtant bien fondé sur la primauté de la vertu - « La vertu sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur sans laquelle la vertu est impuissante », comme l'avait affirmé Robespierre en séance.

De cette page de notre histoire, de ses victoires et de ses bassesses, il nous semble nécessaire de tirer une leçon certaine : qu'un groupement minoritaire s'élève contre le plus gros de la population pour lui imposer ses vues en prétendant agir au nom du bonheur du plus grand nombre est un sombre présage pour la démocratie. Nous entendons sans peine que les partisans de Robespierre aient agi, à cette époque, par conviction,

  23  

croyant progresser sur la route, cahotante mais prometteuse, d'une société meilleure. Mais il demeure que cette soif insatiable de vertu dépassait de très loin les envies du peuple et se révéla finalement funeste pour lui. Ici se trace la frontière avec la doctrine « dantonniste » qui s'en tient, quant à elle, à la satisfaction de la volonté générale. En atteste cette réplique de Danton à son frère-ennemi Robespierre lors de leur ultime entrevue : « Tu veux élever l'homme jusqu'à des sommets où il est impossible de respirer ». Aussi prescrivait-il de s'en tenir à ce à quoi le peuple avait expressément adhéré en réfutant toute intention de faire le bien de la population malgré elle. D'ailleurs, cette recherche de la vertu en dépit de son refus par le peuple porte en elle-même sa propre contradiction. En effet, en cherchant à légitimer l'action d'une minorité supposément détentrice de solutions meilleures ignorées par la masse, elle sous-tend nécessairement que les voix des citoyens qui la composent pèsent d'un poids plus lourd que celles des autres électeurs. Dès lors, cette quête de vertu renie le principe d'égalité politique qui participe pourtant de la vertu elle-même.

De ces observations générales s'ensuit à notre sens la conclusion suivante pour le cas qui nous préoccupe.

III - Application au référendum de Notre-Dame des Landes

Il est possible que les militants opposés à l'aéroport aient objectivement raison, mais là n’est pas le débat. Seule compte l’analyse de leur opposition aux envies exprimées de la population. A l’évidence, la résistance « camilliste » rappelle en tous points la conception « Robespierrienne » plaçant la recherche du Bien au-dessus de la volonté générale. Un positionnement qui, bien qu'intrinsèquement noble et sincère, nous apparaît néfaste pour la démocratie. En effet, en plus de rompre l'égalité en droit établie entre les citoyens, un tel procédé détériore la liberté des populations en imposant une solution minoritaire au plus grand nombre. Ainsi naît alors une forme de tyrannie de la vertu. Or, il est fort à craindre que, même gouvernée au mieux, une société ne puisse réellement garantir l'épanouissement de ses membres si elle viole par ailleurs leur liberté élémentaire de participer à leur propre gouvernance.

Mais, l’objectivité s’impose, et dans le souci d’une

parfaite transparence de la discussion, il nous faut accorder un droit de cité aux contradictions que pourraient soulever nos observations.

La première, fondée sur l'Histoire, remet en cause la souveraineté de la vox populi que nous avons défendue jusqu'alors. Elle se fonde sur l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler, appelé par les urnes en l'Allemagne en 1933. Si la démocratie a pu se fourvoyer au point de confier la direction d'une nation à un tel tyran professant une aussi macabre doctrine, comment lui reconnaître encore la suprématie que lui accordait Danton ? La vertu rigide prônée par Robespierre n'est-elle pas alors mille fois préférable ? En revenant à la réalité des chiffres, on découvre pourtant la non-adéquation de cette contestation. En effet, si le Parti nazi (NSDAP pour son libellé électoral d'alors) a bien été mis en majorité par les élections de novembre 1932, qui ont poussé le Président Hindenburg à confier à Hitler la chancellerie fin janvier 1933, ledit parti n'avait pourtant recueilli que 33,1 % des suffrages. La souscription électorale à l'endroit des nazis ne traduisait donc pas l'opinion de la pleine majorité du peuple. Or, il ne s'agit pas que de menus calculs, mais bien de la philosophie-même de notre propos selon laquelle la tyrannie commence lorsqu'une obédience minoritaire contraint la majorité du peuple à se plier à ses vues. A l'évidence, l'exemple de la prise de pouvoir Nazie, dans une République de Weimar, manquant par ailleurs de souffle institutionnel et traversant une crise majeure, ne peut donc en aucun cas être invoquée au soutien d'une contradiction – précisément parce qu'il ne s'agit pas là d'une expression de la plus grande partie du peuple. Autrement dit, si des résistants s'étaient constitués à l'époque comme tel fut le cas à Notre-Dame-des-Landes, leur action ne se serait nullement heurtée aux limites posées par la conception dantoniste dès lors qu’elle ne pouvait prétendre à s'opposer à la majorité des citoyens, mais seulement à 33,1 % d'entre eux (donc une autre minorité).

La seconde contradiction, fondée quant à elle sur les faits présents, s'attache aux conditions de réalisation du référendum en cause. Sans entrer plus avant dans les questions de fond, nous devons toutefois faire état de contestations basées sur de possibles manipulations des masses électorales au cours d'une campagne qui fut jugée inéquitable par certains défenseurs du « Non ». Mais à dire vrai, et quand bien même de telles allégations s’avèreraient exactes, il conviendrait, sur le plan de la stricte philosophie démocratique, de réfuter

  24  

la conclusion consistant à invalider la réponse du corps électoral82. En effet, même si iniquité il y avait eu dans la conduite de la campagne, c'est-à-dire dans les promotions d'idées organisées autour du scrutin, en contester le résultat reviendrait à soutenir que le peuple a pu être influencé. Cela paraît pourtant inconcevable puisque pour être influencé, il devrait être influençable. Or si l’on admet que le peuple peut être manipulé au point de remettre en cause ses propres jugements, c’est le principe même de la démocratie qui est ébréché. En effet, comment s'en remettre au jugement d'une entité que l'on sait susceptible d'être manipulée ? La manipulation ne suppose t-elle pas l'abolition du libre arbitre, ou du moins son altération ? Et plus encore, comment pourrait-on distinguer les cas dans lesquels le peuple se sera prononcé librement, sans avoir fait l’objet d’une quelconque manipulation de ceux dans lesquels son choix a pu être perverti ? C'est pourquoi, si nous sommes attachés à la démocratie, qui semble somme toute demeurer, selon la formule de Churchill, « le pire des régimes à l'exception de tous les autres », nous devons toujours postuler l'infaillibilité du peuple. Car, en un mot, admettre que le peuple puisse s'être prononcé une seule fois sous l'influence délétère de quelque cénacle reviendrait à entamer dramatiquement la crédibilité du fonctionnement démocratique. Le risque s'en trouverait dès lors créé de voir un jour quelque faction minoritaire, contestant les jugements du plus grand nombre en se rassemblant sous l'étendard du bien commun, menacer bientôt la démocratie elle-même, toujours vers le meilleur, mais souvent pour le pire.

                                                                                                               82 Il est à noter sur ce point que notre propos vise uniquement les supposées manipulations ayant pu biaiser le débat, et non les hypothèses, bien différentes, de fraudes électorales, dont aucune à notre connaissance n'a pour l'heure été soulevée.

2 - Aux origines duales de la banque

Par Vincent Gobin

Alors que sur ses affiches promotionnelles, une célèbre enseigne bancaire charge son écureuil de vanter « La banque, nouvelle définition », il semble bienvenu de s'interroger sur les origines plurielles de cette institution centrale de l'économie moderne. Ce regard porté sur la lente construction de ces établissements devenus si familiers, visera à extraire des trésors de l'Histoire, les clefs de compréhension du présent en expliquant la dualité d'activités qui habite la banque depuis l'aube des Temps modernes, et est encore en débat de nos jours.

« S'il n'y avait jamais eu qu'une seule espèce de banque, le mot qui l'exprimerait ne laisserait dans l'esprit aucune incertitude. (…) Mais le mot banque ne dit rien d'absolu » notait en 1798 le rapport du député Lecointe-Puyraveau sur les projets de banques présentés alors au Conseil des Cinq-cents83. La même circonspection habite encore aujourd'hui les dictionnaires les plus spécialisés, qui préfèrent bien souvent définir la banque à travers ses utilités (accueil de dépôts, de réalisation de virements ou d'octroi de crédits), plutôt que dans son identité même84. Cette ambiguïté tient précisément aux deux réalités que recouvre historiquement la notion de banque selon qu'elle désigne une institution spécialisée dans les opérations de dépôts, ou dans celles de virements. L'articulation de ces deux vocations –

                                                                                                               83 M.Lecointe-Puyraveau, Rapport fait par Lecointe-Puyraveau sur les projets de banques, Paris, Imprimerie nationale, An VII, p. 31 84 Voir en ce sens : X.Lacaze (dir.), « Banque », Dictionnaire encyclopédique de la finance, Gesperfi, 1993, p.127 : « il est difficile de définir de manière précise et synthétique le mot « banque ». Il est plus facile d’en établir le rôle au sein de l’économie et l’utilité pour le bon fonctionnement économique et financier d’un pays comme du monde entier ».

  25  

complémentaires pour les uns, incompatibles pour les autres – se situe au cœur du débat actuel sur l'encadrement juridique de ces établissements. Cette question prend racine dans les origines respectives de chacun de ces deux modèles de banque, forgés bien avant la révolution industrielle sous l'influence des doctrines économiques d'alors : la banque de dépôt, et celle de virements (dite également d'affaire, ou encore de circulation). I - La conciliation des deux types d'activité bancaire, un débat contemporain

La loi du 26 juillet 2013 redessine la ligne séparatrice, au sein du secteur bancaire, entre les activités comptables, relatives aux dépôts, et les opérations spéculatives intégrées à la marche des affaires85. Une volonté est ainsi exprimée de restaurer l'ancienne cloison entre l'accueil de l'épargne des particuliers (pratiquée par les banques de dépôt), et le financement des entreprises par le biais de la sphère boursière au sens large (placé aux mains des banques d'affaire). La distinction formulée par le titre Ier de cette loi - Séparation des activités utiles au financement de l'économie des activités spéculatives – tend d'ailleurs à une certaine opposition entre ces deux domaines. La différenciation est, en effet, si marquée que l'emploi de l'adjectif « utile », placé dans le camp des activités de dépôts, revêt presque une consonance réprobatrice à l'endroit de la spéculation.

Cette défiance envers la pratique spéculative des banques découle directement de la dernière crise boursière. Nombreux sont les observateurs à considérer, à l'instar de Mme Catherine Karyotis, que « le métier originel de la banque est celui de l'intermédiation (collecte des dépôts et distribution de crédits) »86 , et à dénoncer, dans l'éloignement de ce principe de base, l'une des causes de la crise des subprimes survenue aux Etats-Unis en 2007 et 2008. La raison en est double. Il s'agit, d'une part, de la responsabilité dénoncée des activités spéculatives dans la contagion du marché par les subprimes. Il est vrai que ces prêts hypothécaires concédés aux ménages modestes, coupables d'avoir surestimé la solidité du marché immobilier, furent abondamment échangés sur les marchés dans les derniers mois avant le début du krach, démultipliant les effets de leur chute. Aussi est-

                                                                                                               85 Loi n°2013-672, JO 27 juillet 2013, p. 12530. 86 C. Karyotis, Une heure de lecture en 3D de la crise bancaire, Expansion Management Review, 1/2010, n°136, p. 122 et ss.

il permis de penser que, sans cette circulation fortement débridée par le décloisonnement bancaire, le dramatique écho du décrochage de ces titres aurait été plus circonscrit. On accuse, d'autre part, ce décloisonnement d'avoir permis la mise en jeu – et la perte – de l'épargne des particuliers sur les marchés boursiers. L'exemple le plus significatif en fut, dans notre pays, la perte de 4,8 milliards d'euros par le trader Jérôme Kerviel pour le compte de la Société Générale en janvier 2008. L'argument fut alors maintes fois avancé que ces prises de risques, motivées par le seul profit des banques, s'effectuaient aux dépens éventuel des petits épargnants – justifiant, en cas de perte, le secours de l'Etat aux frais de la masse des contribuables. A ces rappels doit se borner notre propos sur la question du décloisonnement des activités bancaires, qui, au-delà, pénètre le terrain de l'économie, et plus encore, celui de la politique. Il incombe seulement à l'historien du droit de contribuer à l'éclairage de cette problématique en remontant le fil de son évolution. Aussi nous faut-il seulement rappeler, toujours au chapitre de l'époque contemporaine, que le choix du décloisonnement de ces deux compétences, entraînant la déspécialisation des banques, avait été posé, en France, par l'adoption, en 1966 et 1967, des décrets Debré-Haberer. Ce textes revenaient sur la « doctrine Germain »87 qui affirmait l'incompatibilité des activités d'investissement et de dépôt, précisément dans le souci de maintenir l'épargne des particuliers à distance des fluctuations de la finance d'affaire. L'effacement de cette distinction jusqu'à lors fondamentale, fut encore confirmée par la loi du 24 janvier 1984 qui, au sens de Mme Christine Lejoux, consacre la notion de banque universelle88, c’est-à-dire la banque entièrement déspécialisée et habilitée aussi bien aux opérations de dépôt qu'à celles des investissements. A titre d’exemple, d’ailleurs, on se rappellera la fusion entre la banque de dépôt BNP avec la banque d'affaires Paribas. A chaque étape de cette évolution somme toute rapide, furent mis en avant les avantages de consolidation financière, de la rationalisation administrative des établissements bancaires ainsi que de l'optimisation du rendement de leurs produits proposés aux petits épargnants (par intéressement aux profits dégagés de

                                                                                                               87 Cette ligne de pensée forgée par le banquier Henri Germain avait connu pour la plus notable consécration le « Banking Act » adopté par les Etats-Unis en 1933. 88 C. Lejoux, L’histoire des banques françaises, un éternel recommencement : la loi bancaire de 1984 consacre la banque universelle, La tribune, 21 août 2014.

  26  

l'activité spéculative). Cette mesure de modernisation et de fluidification ambitionnait également d’accroitre les drainages de fonds à destination des entreprises cotées sur les marchés, avec en point de mire une augmentation substantielle de leurs investissements.

Bien que la lutte ait été âpre au XXè siècle et qu’elle semble devoir refaire surface de nos jours entre les partisans et les détracteurs du décloisonnement, nous retenons pour notre part que cette question tient pour beaucoup d'un calcul risques/avantages dont les évènements seuls semblent pouvoir se faire arbitres. Aussi avancerons-nous qu’aucune réponse structurellement juste ne peut y être apportée. Seules des postures, plus ou moins en adéquation avec la conjoncture du moment, constituent les clés du débat. Mais pour discerner plus clairement encore les raisons de cette différenciation, et entrevoir les possibilités de rapprochement entre les deux modèles de banque, il convient à présent d'approcher cette problématique de la torche de l'Histoire, en revenant sur leurs origines respectives, pour voir se dessiner de plus près leurs spécificités.

Abordons tout d'abord le modèle de la banque de dépôt qui rayonna au cours du Moyen Age.

II - La Banque de dépôt, un opérateur financier La banque de dépôt fut la première forme sous laquelle se manifesta la banque proprement dite. Cette définition lui assigne deux compétences principales : l'accueil de numéraire (au titre de contrats de dépôt) et la fourniture d'avances (à raison de contrats de prêt). Cette banque traditionnelle puise donc ses profits dans les droits de garde et les intérêts sur remboursement qu'elle perçoit. Elle occupe en outre une place isolée au sein de l'économie, à bonne distance de la finance d'affaire et du pouvoir politique89.

Il est difficile de dater avec précision l'apparition de ce modèle, né d'améliorations issues de la pratique, et dont on remarque la présence formelle dès le début du Moyen Age. Un important débat entoure par ailleurs la question du lien entre ce type d'établissement et les

                                                                                                               89 Voir J. Audreau, La banque et les affaires dans le monde romain, Ed. Seuil, 2001, p. 16 : « Tout indique (…) que les banquiers de métier ne pouvaient influer sur la vie politique ni de la même façon ni dans le même sens que les financiers de l’élite ».

premiers manieurs d'argent antiques. En soutenant que « la banque romaine [est] une fiction moderne », le Professeur Alfons Bürge éclaire précisément la ligne séparatrice des conceptions traditionnelle et moderne de la banque en déniant à la première tout droit de comparaison avec la seconde90. L'activité bancaire, dans son acception la plus large de manipulation professionnelle de fonds, était pourtant bel et bien connue des Antiques. En témoigne M. Jean Andreau qui date au Vè siècle av. J-C l'apparition des trapézites grecs et à la fin du IIIè siècle av. J-C celle des argentarii romains91. Ces banquiers, que l'on pourrait qualifier de « primitifs », se concentraient en réalité sur des activités de change entre les diverses unités monétaires colportées par les négociants. Leur activité peut donc être perçue comme une ancêtre de la banque de dépôt.

Un indéniable point commun entre ces deux étapes de l'évolution de la banque tient à son positionnement par rapport à l'économie productive. La banque de dépôt du Moyen Age, tout comme les trapézites ou les argenterii de l'Antiquité, fait en effet figure de simple opérateur financier intervenant par des échanges bilatéraux de monnaie présente. Ses guichets ne voient ainsi passer que des espèces sonnantes et trébuchantes, dans le cadre d'opérations entrantes (de dépôt) ou sortantes (de crédit), sans la moindre création monétaire. Que cette banque accueille ou avance des fonds, elle n'en procure donc pas de nouveaux pour l'économie dans son ensemble92.

Cette définition de la banque correspond parfaitement à la pensée mercantiliste qui dominera la fin du Moyen Age et toute la Renaissance. Cette école mesure la puissance d'un pays à ses possessions de métaux précieux et n'envisage d'autres échanges monétaires que ceux de numéraire, à savoir de monnaie réelle, « sonnante et trébuchante »93. Dans cette optique, les

                                                                                                               90 A. Burge, Fiktion und Wirklichkeit : soziale und rechtliche Strukturen des römischen Bankwesens, ZRG, Roman Abteilung, 1987, p.508. 91 J. Andreau, op cit., p.65. 92 Voir en ce sens Guinard, Séance du Tribunat du 23 germinal An XI (13 avril 1803), La Législation de la Banque de France (1800-1839. Guinard écrit ainsi : « la banque de dépôt la plus connue est celle d’Amsterdam : son capital est exactement pareil à la somme du papier qu’elle a émis, appelé Monnaie de banque ». Voir également : Gillet-Lajacqueminières : « la banque de dépôt est celle qui conserve religieusement en nature, dans ses caisses, la totale et identique valeur de ses émissions en billet livrés à la circulation, ou crédits ouverts » (Séance du Corps législatif du 24 germinal An XI (14 avril 1803), ibid, p. 80). 93 Cette célèbre expression issue du Moyen-Age fait référence à la quantité d’or et d’argent composant les pièces ainsi qu’à leur

  27  

seuls moyens d'accroissement de la monnaie en circulation sont l'extraction physique de métal et l'accaparement des espèces étrangères. Cette disposition d'esprit en faveur de la monnaie physique, ne fait toutefois pas obstacle à de premières utilisations de papiers représentatifs d'espèces. Les deux premières manifestations en seront le reçu de dépôt94 et la lettre de change95 qui donnent chacun lieu à une délivrance de numéraire à raison d'un placement préalable. C'est précisément le développement de ces techniques et leur détachement progressif d'avec la monnaie réelle, qui conduiront à l'émergence du second modèle de banque. III - La banque de virement, un moteur économique Bien qu'encore marginales au sein de l'activité bancaire médiévale, les innovations du reçu de dépôt et de la lettre de change avaient fait revêtir aux banquiers les plus avant-gardistes96, le statut transitoire de « changeur au long court »97, en inscrivant leur intervention dans la durée, et, ce faisant, dans le cycle des échanges commerciaux. Ces opérations nouvelles dessinaient ainsi d'un trait fin les contours d'un nouveau modèle de banque. A compter du XVIè siècle, les doctrines physiocrate et classique réfutent d'une même voix le postulat mercantiliste selon lequel la richesse résiderait uniquement dans la monnaie réelle. Concevant désormais le travail et les échanges commerciaux comme les véritables mesures de la puissance économique, ces nouvelles écoles s'ouvrent à l'idée d'une utilisation bancaire du papier pour                                                                                                                                                                                            absence d’altération. La monnaie est ainsi sonnante lorsque sa forte composition en or ou en argent lui permet d’émettre le bruit attendu auquel l’oreille de l’orfèvre est habituée. Elle est également trébuchante lorsque le trébuchet (balance utilisée par les orfèvres) indique le juste poids des pièces et atteste, de fait, l’absence de rognure. 94 Le « reçu de dépôt » est un récépissé d’espèces déposées en banque qui prévoit leur restitution à vue, c’est-à-dire sur présentation du billet. 95 Dans son schéma primitif, pratiqué au Moyen-Age, la lettre de change prend la forme d’un ordre adressé à la banque de délivrer les fonds préalablement déposés par un particulier – ordinairement négociant – à l’un de ses guichets. Cette technique intervient principalement lors d’un déplacement pour permettre à un marchand de déposer ses espèces dans sa ville de départ, puis d’entreprendre son voyage en s’épargnant les difficultés d’un transport de numéraires, pour retirer enfin les fonds en cause dans sa ville de destination. 96 Sont particulièrement notables au rang des banques à la pointe de ces nouvelles pratiques, la Banco della piazza di Rialto, fondée à Venise en 1587 et la Banque de Hambourg, ouverte en 1619. Voir pour la description de ces établissements d’avant-garde : N. Olsak, Histoire des banques centrales, PUF, Coll. Que sais-je ? 1998, p.14 et ss. 97 H. Bonin, La banque et les banquiers en France du Moyen-Age à nos jours, Histoire, Références Larousse, 1992, p.24.

représenter la richesse et bientôt anticiper sa création.

L'émergence de la banque de virement, destinée à devenir un véritable moteur de l'économie de par son imbrication étroite dans l'activité productive et sa faculté de création monétaire, est donc liée à la mise au point des premiers « papiers de banque ». Ceux-ci se présentent comme des améliorations – des modernisations – du reçu de dépôt et de la lettre de change tels que pratiqués au Moyen-Age. Pour le premier, cette évolution perce dans le Londres de 1640. En réaction aux saisies brutales de lingots opérées par le Roi Charles Ier, certains orfèvres proposaient aux marchands de soulager leurs inquiétudes en accueillant leurs espèces en dépôt98. Ils entreprirent alors l'émission de reçus, au demeurant comparables à ceux pratiqués tout au long du Moyen Age, mais dotés nature juridique nouvelle. La différence, presqu’imperceptible en pratique mais révolutionnaire du point de vue de la théorie monétaire, tint à ce que les reçus ainsi délivrés ne désignaient plus la somme déposée de manière individualisée. Ils ne donnaient dès lors plus droit à la restitution des espèces placées en particulier, mais seulement à un prélèvement égal sur la réserve globale de l'établissement. Par cette absence d'individualisation, jouant sur la fongibilité des espèces déposées, la banque s'éloignait du domaine de la garde d'objet pour entrer dans celui de l'émission d'un titre représentant, en valeur, une portion du capital détenu en gage. Prenant ensuite conscience que tous les billets émis ne donnaient pas lieu à une reconversion en espèces, les orfèvres londoniens purent, peu à peu, entreprendre des émissions supérieures aux dépôts. L'attache du papier aux espèces devenant plus souple, les banques modernes se livrèrent dès lors à une véritable création de monnaie. A titre d'illustration, la Banque de France, lors de sa création en 1800, aura pour politique d'émettre trois francs en papier pour l'accueil d'un franc en numéraire. Dans ce schéma, les deux francs avancés en billets sans assise en espèces, relèvent bel et bien d'une pure création qui passera majoritairement par le biais de l'escompte.

L'opération d'escompte découle quant à elle d'une évolution de la lettre de change moyen-âgeuse. L'emploi de cette dernière évolue en effet sensiblement au XVIIè siècle. Dans cette configuration révisée, la lettre de change permet au client (en situation de                                                                                                                98 Voir M. Montoussé, Economie monétaire et financière, (dir) J-L. Bailly, G. Caire, A. Figliuzzy, Ed Bréal, 2006, p.55 et ss.

  28  

tireur) de donner à sa banque (lors en position de tiré), l'ordre de délivrer une somme d'argent représentant une créance préalable (la provision) à l'endroit d'une tierce personne (appelée le bénéficiaire), et ce, à une échéance convenue99. L'escompte, en plein essor au siècle suivant, utilisera cet outil en lui apportant toutefois une modification fondamentale : l'absence de provision. Il s'agit dès lors, pour la banque, d'une pure avance de billets (corrélée à sa réserve avec une certaine marge de création), dans l'attente d'un recouvrement auprès du tireur à l'échéance exprimée par la lettre de change – le bénéficiaire, présentateur à l'escompte, demeurant toutefois débiteur solidaire en cas de défaillance de son cocontractant. L'avance est naturellement minorée d'un pourcentage, désigné comme le « taux de l'escompte », qui représente le profit de l'établissement100. La Banque d'Angleterre, créée en 1694, sera le fer de lance de cette évolution. Son succès considérable fera dire au milieu du XVIIè siècle, à l'économiste britannique David Hume que « si tout l'or de l'Angleterre disparaissait dans le même instant, toutes les classes du peuple contracteraient sur le même pied d'égalité qu'auparavant »101, comme si les billets émis par cette banque avaient rendu les espèces obsolètes.

Grâce à la dépersonnalisation des dépôts et l'avance de monnaie fiduciaire dans un volume supérieur aux réserves en numéraire, la banque de virement devient donc pleinement acteur de l'économie. Cessant d’être un simple manieur de monnaie réelle, elle prétend devenir un régulateur des émissions de monnaie papier, veillant à l’équilibre des volumes en circulation qui déterminent la valeur des titres. De par la pratique de l'escompte – ancêtre du chèque –, elle resserre également ses liens avec les autres agents économiques puisque toute défaillance du tireur, non couverte par l'escompté, entraine une dévalorisation sine qua non des billets émis. De telles émissions ne sont en effet que partiellement gagées par la réserve en numéraire

                                                                                                               99 Cette définition est empruntée à S. Braudo, La lettre de change, Dictionnaire du droit privé, consultable à l’adresse suivante:https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/lettre-de-change.php 100 En cas de défaillance des parties prenantes, les billets avancés « sont garantis par le capital numéraire (la monnaie réelle) formant des actions (réunies dans le capital). (…) Quand ces pertes arrivent, elles sont supportées par les bénéfices d’escompte qui en sont d’autant diminués et par suite le dividende des actionnaires », Guinard, op. cit, p.79. 101 D. Hume, Essai sur le commerce, le luxe, l’argent, l’intérêt de l’argent, les impôts, le crédit public, la balance du commerce, sur la jalousie commerciale et sur la population », 1752, nouv. Ed., Osnabrüch-Otto Zeller, 1966, p.49.

de l'établissement. L'incapacité des agents économiques à rembourser les avances des banquiers, entraine donc mécaniquement une dévalorisation des titres papiers, du fait d'une assise en monnaie réelle délibérément inférieure aux émissions. Ce risque encouragera promptement les banques de virement à entamer de véritables collaborations avec leurs clientèles pour éviter cet écueil. Au moment de la crise financière qui frappe la place de Paris en 1803, on verra ainsi la toute jeune Banque de France prendre à sa charge la vente des marchandises stockées par certains grands négociants de la capitale pour éviter leurs faillites et les protêts qu'elles auraient entrainés. Cette relation nouvelle sera alors propice au développement du conseil et de la gestion active des comptes de chaque société, à la recherche de solutions transversales (comptes-courants, prêts, émissions d'obligations, épargne classique, placements boursiers). La proximité ainsi établie sera bientôt si étroite, dans le même exemple de la Banque de France du début du XIXè siècle, que ces clients réguliers seront invités à devenir eux-mêmes actionnaires de l'établissement. Ces souscriptions d'actions sont alors perçues par la direction de l'établissement comme un gage supplémentaire des avances qu'il concède par le biais de l'escompte. Mais au-delà de cet objectif à court-terme, ce rapport témoigne bien d'un intéressement mutuel de la banque et de ses sociétés clientes, à leurs résultats réciproques. IV - De la cohabitation à la réunion partielle Il est primordial de garder à l'esprit que ces deux modèles, apparus à deux époques consécutives, ne se sont pas pour autant succédés dans l'Histoire. Ainsi, les banques de dépôt traditionnelles persisteront malgré l'émergence de celles de virement. La France de l’Ancien Régime demeurera d'ailleurs indubitablement plus attachée à ce premier modèle et se montrera peu réceptive aux innovations papier, principalement importées par les banquiers italiens102. On pourra ainsi déplorer longtemps dans l'hexagone l'absence « d’une banque suffisamment solide pour prêter à tout banquier ou négociant en manque de liquidités, donc pour ''escompter'' les effets de commerce et de banque, c'est à dire prêter sur la seule                                                                                                                102 Après avoir interrogé « le retard français », Bonin conclut ainsi que « la France n’est pas le champ privilégié de l’expansion de la profession bancaire pendant les Temps modernes », expliquant que « l’économie agricole domine, et (…) que les règlementations paralysent la concurrence et les initiatives », Bonin, op cit, p.34.

  29  

foi d'un billet portant la signature de l'emprunteur »103. Cette carence ne sera définitivement comblée qu'avec la création de la Banque de France sous le Consulat, plus d'un siècle après que l'Angleterre et la Suède aient franchi ce pas. Il convient cependant de remarquer que ces deux modèles de banque, traditionnel et moderne, n'établiront plus, à compter du XVIIIè siècle, une ligne séparatrice rigoureuse à l'échelle de l'établissement. Il ne sera pas rare, en effet, d'y rencontrer des banques mixtes empruntant pour partie à chacune de ces deux logiques d'activité104. C'est davantage sur le plan politique que perdurera cette distinction qui imprègne profondément les mentalités et conditionne jusqu'au vocabulaire même de la banque. Cette dualité théorique imposera ainsi à tout concepteur d'institution bancaire nouvelle, un choix tranché entre ces deux vocations historiques : opérateur financier fonctionnel ou moteur économique dynamique. En témoigne Le Dictionnaire de la conversation et de la lecture, paru en 1861, qui distingue avec grand soin la banque de dépôt « où les personnes de toutes classes viennent opérer des versements de sommes plus ou moins considérables »105, de la banque de virement, « où tout marchand a le droit de déposer en espèces monnayées telles sommes qu'il veut, et ensuite d'y faire ses encaisses et ses payements »106. Cette définition, pourtant posée dans la seconde moitié du XIXè siècle, distingue rigoureusement la banque de dépôt accueillant les espèces des particuliers dans un rapport bilatéral de la banque de virement qui répond aux besoins des professionnels en devenant une interface financière entre des cocontractants. La répartition ainsi actée entre particuliers et professionnels atteste en outre, une fois encore, de l'imbrication plus étroite dans l'économie productive de la banque de virement.

Ainsi naquirent, s'étoffèrent et se rapprochèrent les deux formes historiques de la banque jusqu'à ce qu'intervienne au XXè leur (con)fusion aujourd'hui remise en question. Sans savoir davantage à quel degré cette combinaison est actuellement souhaitable, nous pourrons retenir de cet éclairage historique que ces

                                                                                                               103 Ibid. 104 Dans cette optique, des banques de dépôt pourront, par exemple, pratiquer l’escompte pour s’attirer des profits complémentaires à leur activité principale de conservation de fonds. Voir à ce sujet : W. Duckett, « Banque », Dictionnaire de la Conversation et de la lecture, Inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous, Comptoir de la Direction, 1861, Paris, Tome 2, p. 456 et ss. 105 Ibid, p. 456. 106 Ibid.

deux modèles répondirent à des besoins économiques différents par l'emploi de techniques bancaires adaptées à chacun d'eux. Cette observation doit sans nul doute nous persuader que le juriste possède aujourd'hui toute sa place aux côtés de l'économiste et du responsable politique, pour réfléchir à des mécanismes cambiaires et bancaires toujours plus pointus afin que la conjugaison des avantages de chacun de ces modèles ne débouche pas sur un renforcement des risques de leurs pratiques respectives.

Entretien avec Madame le Professeur

Daury-Fauveau, directrice de l’IEJ d’Amiens :

La réforme de l’examen du CRFPA

Par Orbélinda Quin Oré

Après de multiples tentatives, la réforme du concours d’accès aux centres de formations des avocats est finalement intervenue par décret en date du 17 octobre 2016107. Parmi les dispositions de ce texte, l’une retient tout particulièrement l’attention. Elle est celle qui organise la confection des sujets et caractérise la nationalisation de l’examen. L’article 3 énonce ainsi : « Une commission nationale élabore les sujets des épreuves écrites d'admissibilité. Elle est également                                                                                                                107 Décret n°2016-1389 du 17 octobre 2016 modifiant les conditions d’accès aux centres régionaux de formation professionnelle d’avocats.

  30  

chargée d'une mission d'harmonisation des critères de correction de ces épreuves et établit à cette fin des recommandations qui peuvent prendre la forme de grilles de notation à destination des jurys et des correcteurs »108. L'examen écrit est désormais national. Les modalités de l’examen restent sensiblement les mêmes : les épreuves d’admissibilité précèdent les épreuves d’admission. En revanche, le nombre d'options a été réduit, et le programme, fixé par arrêté du 17 octobre 2016, est lui aussi remodelé. Annoncée au milieu des épreuves de la session 2016, c’est en septembre 2017 que la prochaine salve d’étudiants expérimentera cette réforme. Présentée par le Garde des Sceaux et le Secrétaire d’état à l’Enseignement supérieur, cette nationalisation est censée répondre au principe d’égalité109. La réforme ne fait cependant pas l'unanimité et certains s’inquiètent du fait que l’examen pourrait progressivement devenir un véritable concours. « Si les disparités d’un IEJ à un autre sont trop criantes, que ce soit s'agissant des modalités de l'examen ou des taux de réussite, le passage à un examen national ne résout pas toutes ces difficultés et en crée de nouvelles »110 . Par la voix de son président, Monsieur le Professeur Pierre Crocq, l’Association des directeurs d’I.E.J affirme une « ferme opposition à un examen national qui (…) présente plus d’inconvénients que d’avantages »111. Madame Daury-Fauveau, professeur de droit privé et directrice de l’IEJ d’Amiens évoque les nouvelles difficultés auxquelles les étudiants devront faire face pour réussir l’examen après la réforme. Le nouvel examen du CRFPA est-il devenu un concours déguisé ? Ce n’est pas un concours déguisé puisqu'il suffit d'avoir la moyenne pour le réussir. Avoir 10/20 à un concours peut ne pas être suffisant. En l’occurrence, il n’y a pas de numerus clausus pour l’examen, donc on ne peut pas le qualifier de concours.                                                                                                                108 Article 3 du décret précité, insérant un article 51-1 au décret n°1991-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat. 109 J-J. Urvoas et T. Mandon, Communiqué de presse du 8 juillet 2016, http://www.presse.justice.gouv.fr/art_pix/examenenecolesavocats.pdf 110 M. Benillouche, « Point sur la réforme du CRFPA : le ministère persiste… », http://www.legavox.fr/blog/mikael-benillouche/point-reforme-examen-entree-crfpa-21069.htm#.WPIl9XfpPQg 111 Association des directeurs des IEJ, Communiqué à l’issue de la réunion du 7 janvier 2016.

L’examen est-il désormais intégralement national ? Les sujets des écrits seront nationaux .Tous les centres d’examen distribueront aux étudiants le même sujet, le même jour, à la même heure, dans toute la France. En revanche, les épreuves orales seront toujours organisées localement. À terme, il n'est pas impossible que l'on se dirige vers une organisation complètement « nationalisée ». Quel avenir et quel rôle pour les IEJ ? Dans la configuration actuelle, le rôle des IEJ reste à peu près identique. La simple différence est que les IEJ n’auront plus à constituer les sujets, ils seront déjà préparés par la commission nationale avec des grilles de correction appliquées. Selon moi, il y a peu de chances que cela change quelque chose pour nos étudiants amiénois. Nous avons collaboré avec les autres IEJ pour préparer les sujets d’examen, ils étaient ainsi très comparables même avant la réforme. En effet, la réforme de l’examen ne semble être qu’un pas vers une nationalisation complète des épreuves tant écrites qu’orales. La situation est un peu alambiquée et il n’est pas certain que cela demeure ainsi. La réduction du nombre d’avocats dépendra aussi de cette évolution de l’examen. Il est difficile de faire un pronostic à l’heure actuelle sur l’impact qu’aura la réforme sur la profession. Peut-on craindre une plus grande concurrence avec les « prépa » privées ? Oui, c’est une crainte pour les directeurs d’IEJ et du président de l’association des directeurs d’IEJ. Cette réforme facilite le travail des prépas privées qui essayaient jusqu’alors de s’adapter aux IEJ en fonction des sujets et de l’enseignement local. Il est fort probable que, dans un premier temps, les élèves aient encore plus peur de l’examen. Pour se rassurer, ils iront davantage vers les prépas privées. Les directeurs d’IEJ ne sont pas favorables aux prépas privées, car cela créé une inégalité entre les étudiants qui ont les moyens de financer une telle dépense privée et ceux qui ne les ont pas. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la plupart des prépas font faire du bachotage aux étudiants. Cela les prépare en effet à l’examen, mais pas nécessairement à la profession d’avocat.

  31  

L’imprécision du programme peut-elle porter préjudice aux étudiants ? Il y a moins de matières. Il n’y a plus les petits oraux qui rattrapaient parfois beaucoup d’étudiants ayant moins bien réussi le grand O. Il n’est pas certain que le taux d’admissibilité des étudiants amiénois change à l’écrit car nous avons toujours fait en sorte de faire des sujets adaptés. Nos épreuves écrites n’étaient ni plus faciles ni plus dures que les autres. En revanche, concernant l’oral, cela reste encore à vérifier, à l’heure actuelle il est difficile de mesurer l’impact de la suppression des petits oraux. Quels conseils pouvez-vous donner aux étudiants qui se préparent au prochain examen du mois de septembre ? La commission nationale devrait, au moins pour la première année, fournir des sujets très classiques. Il est très peu probable de rencontrer des sujets très annexes ou des cas pratiques pièges. Il faut que l’étudiant s’assure qu’il a bien acquis les fondamentaux des matières passées à l’écrit et qu'il suive tous les entrainements que son IEJ propose. En particulier, l’IEJ d’Amiens renforce actuellement les entrainements dans chacune des matières concernant autant les cas pratiques que les notes de synthèse. Nous organisons plus d’entrainements blancs pour que l’étudiant soit préparé au mieux à cet examen national. Attention toutefois, il est inutile de s’affoler pour les écrits. Je ne doute absolument pas de nos étudiants amiénois : ceux qui l’auraient eu avant la réforme seront admissibles quand bien même les sujets deviennent nationaux. Le taux de réussite à l’admissibilité de l’IEJ d’Amiens ne variera sans doute pas. J’ai confiance en mes étudiants et s’ils étaient capables de traiter les sujets donnés jusqu’à présent, ils le seront tout autant après la réforme.

La légitime défense des forces de

l’ordre : les réformes s’enchainent….

Par Ophélie Lecocq

(image Europe 1 – mai 2016)

« Tout moyen est honnête pour sauver nos jours lorsqu'ils sont exposés aux attaques et aux poignards d'un brigand et d'un ennemi. Car les lois se taisent au milieu des armes, elles n'ordonnent pas qu'on les attende lorsque celui qui les attendrait serait victime d'une violence injuste avant qu'elles pussent lui prêter une juste assistance »

Cicéro – Extrait du Discours pour Milon. Comme l’illustre cette citation, la notion de légitime défense est l’une des plus anciennes en droit pénal et Cicéron, lui-même, l’élevait déjà au rang des droits naturels considérant que tout homme est en droit de se défendre quand sa vie est en danger et ce, quand bien même, la loi civile lui ordonnerait de s’abstenir. Peut-être est-ce parce qu’elle s’imposait d’elle-même que, quelques siècles plus tard, la légitime défense n’était envisagée que succinctement dans le code pénal de 1810 aux articles 328 et 329 ? Il revenait alors aux tribunaux de préciser ses conditions et son champ d’application et d’en étoffer le régime. Aujourd’hui, la légitime défense est visée aux articles 122-5 et 122-6 du code pénal qui en explicitent les conditions. Ces articles rendent irresponsable pénalement la personne qui, face à une atteinte injustifiée envers elle-même ou

  32  

autrui, ou encore pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte positif pour se défendre. Cependant pour que soit retenu l’état de légitime défense, certaines conditions doivent être remplies notamment celles relatives à l’immédiateté, la proportionnalité et la nécessité. La légitime défense n’est pas réservée aux particuliers. Elle bénéficie également aux professionnels du maintien de l’ordre public et du respect de la loi, policiers et gendarmes notamment. On observera alors que les forces de l’ordre sont soumises aux conditions habituelles de la légitime défense telles que visées dans le code pénal sans faire l’objet d’aucune particularisation. Toutefois, l’étude de la jurisprudence révèle que les tribunaux font montre d’une réelle volonté de protection des forces de l’ordre illustrée notamment par un faible nombre de condamnations des fonctionnaires ayant fait usage de leurs armes et par le prononcé de peines relativement modérées. A cette première disparité s’en ajoute une seconde puisque l’analyse des décisions de justice révèle également que les règles de la légitime défense n’ont pas toujours été appliquées de la même manière selon que l’acte de défense était le fait d’un policier ou d’un gendarme. Il conviendra alors de comprendre les raisons de ces différences de traitement (I), d’en mesurer l’impact et le sort qui leur est aujourd’hui réservé en réaction aux attentats (II). Enfin on s’interrogera sur la nécessité de consacrer la règle de la présomption de légitime défense au profit des forces de l’ordre (III). I – L’ancienne différence de traitement entre les policiers et les gendarmes Bien qu’ils exercent une mission similaire de maintien de la sécurité et de l’ordre public, policiers et gendarmes étaient anciennement soumis à des statuts différents. Les gendarmes sont des militaires et obéissent aux dispositions du Code de la défense. A ce titre, ils ont toujours bénéficié d’un recours à la légitime défense plus souple que celui réservé aux policiers. Avant les réformes, l’ancien article L 2338-3 du code de la défense énonçait que : « les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou

administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants : 1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu'ils sont menacés par des individus armés ; 2° Lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu'elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ; 3° Lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés de " Halte gendarmerie " faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s'arrêter que par l'usage des armes ; 4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt. Les militaires mentionnés au premier alinéa et les volontaires dans les armées, en service au sein de la gendarmerie sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés tels que herses, hérissons, câbles, pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s'arrêtent pas à leurs sommations ». S’il est exact que les hypothèses de légitime défense étaient ainsi listées précisément, il n’en demeurait pas moins que les situations visées étaient larges et les conditions facilement remplies. La Cour de cassation avait tout de même tenté de restreindre le jeu de la légitime défense des gendarmes en précisant dans un arrêt du 12 mars 2013 que ces militaires ne pouvaient faire usage de leurs armes qu’en cas d’absolue nécessité 112. De leur côté, les policiers étaient soumis aux conditions de droit commun de la légitime défense telles que prévues à l’article 122-5 du code pénal : « N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte. N'est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre

                                                                                                               112 Cass. Crim., 12 mars 2013, n°12-82683

  33  

qu'un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l'infraction ». A l’évidence, le régime de la légitime défense accordée aux gendarmes était plus souple que celui réservé aux policiers lesquels n’étaient alors habilités à utiliser leurs armes pour se protéger que dans les cas les plus extrêmes, l’usage de la violence devant rester pour eux l’ultime recours. A l’inverse, les gendarmes étaient en droit de se défendre après sommations restées sans effet sans qu’il soit besoin de caractériser le caractère extrême de la situation. L’état de légitime défense du gendarme pouvait ainsi être établi plus tôt et plus souplement. Suite aux attentats qui ont frappé récemment la France ainsi que les divers heurts auxquels ont été confrontées les forces de l’ordre, le Législateur a souhaité assouplir les conditions de la légitime défense et uniformiser les règles applicables à toutes les forces de l’ordre. II - Les réformes de 2016 et 2017 Les attentats survenus en janvier et novembre 2015 ont inspiré une première réforme du régime de la légitime défense finalement consacrée par la loin n°2016-731 du 3 juin 2016 dite loi « renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme »113. Le dispositif législatif uniformise le régime de la légitime défense applicable aux forces de l’ordre et le nouvel article 122-4-1 du code pénal énonce ainsi que le policier ou le gendarme est autorisé à utiliser son arme pour « un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsque l'agent a des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme ». La loi opère un assouplissement des conditions de recours à la légitime défense dans la mesure où, à titre d’exemple, le policier ou le gendarme sera autorisé à intervenir en présence d’un individu armé et qui,

                                                                                                               113 Journal officiel du 4 juin 2016

même s’il ne vise pas les forces de l’ordre, refuse de déposer son arme. Le principal intérêt de la loi du 3 juin 2016 fut de mettre, pour la première fois, sur un même pied d’égalité, les forces de l’ordre quel que soit le régime auquel elles sont soumises. Pour autant, elle fut jugée insuffisante par les principaux concernés. Dès l’automne 2016, et à la suite de plusieurs actes de violence dont ils furent victimes, les policiers organisaient des manifestations et plaçaient à nouveau la légitime défense au cœur des débats et revendications. L’ancien Ministre de l’intérieur, Monsieur Bernard Cazeneuve, tentait alors d’apaiser le mouvement en déclarant : « les conditions d’évolution de cette légitime défense vont être de nouveau examinées pour protéger au maximum les forces de l’ordre dans un cadre juridique scrupuleusement conforme à notre état de droit ». C’est ainsi que fut adoptée la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique portant modification du code de la sécurité intérieure et complétant le Livre IV par un chapitre V relatif aux règles d’usage des armes. Cette loi a abrogé l’article 122-4-1 du code pénal issu de la loi du 3 juin 2016. Désormais, la légitime défense des forces de l’ordre est visée au nouvel article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure qui énumère les cas dans lesquels policiers et gendarmes peuvent faire usage de leur arme dans l’exercice de leurs fonctions dès lors qu’ils sont revêtus de leur uniforme ou qu’il y a un signe apparent de leur qualité : « 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d'autrui ; 2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ; 3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s'arrêter, autrement que par l'usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ; 4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les

  34  

occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ; 5° Dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsqu'ils ont des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes ». L’apport de ce nouveau texte est qu’il assouplit plus encore les conditions de la légitime défense, notamment en donnant la possibilité aux forces de l’ordre d’utiliser leur arme dans des situations qui n’étaient pas visées auparavant. Ce texte répond ainsi en partie aux revendications des policiers et des gendarmes dans la mesure où il leur permet d’être plus largement couvert par la légitime défense et de bénéficier d’une plus grande protection dans l’exercice de leurs fonctions. Cependant, le prix de ce libéralisme ne doit pas être excessif et comme le souligne M. Matthieu Bonduelle, membre du syndicat de la magistrature, le risque existe aujourd’hui que ce texte soit interprété comme « un message de revendication d’impunité lié à une catégorie de personnes et non à des circonstances particulières ». En dépit des progrès accomplis en 2017, certains policiers et syndicats vont encore plus loin et plaident pour l’instauration d’une véritable présomption de légitime défense au profit des policiers. III – La question de l’intérêt de la présomption de la légitime défense au regard des forces de l’ordre et de l’Etat de droit La présomption de légitime défense a pour intérêt de dispenser celui qui l’invoque d’apporter la preuve de la réunion de conditions d’immédiateté, de proportionnalité et de nécessité propres à la légitime défense. Cette présomption est prévue à l’article 122-6 du code pénal : « Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l'acte : 1° Pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ; 2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence ».

Aussi efficace soit-il, ce texte connaît des limites significatives puisqu’il ne vise que deux hypothèses seulement et qu’il n’est pas applicable aux forces de l’ordre. Une nouvelle étape s’annonce peut-être ainsi…. qui permettrait alors d’étendre le bénéfice de cet allègement probatoire à tous les policiers et gendarmes. S’il advenait qu’une présomption de légitime défense soit mise en œuvre, elle ne pourrait être qu’une présomption simple et non irréfragable, car comme nous le savons, la présomption irréfragable ne peut être contredite par une preuve contraire et pourrait conduire, en matière de légitime défense, à octroyer un véritable « permis de tuer ». Nul doute qu’elle serait alors contraire à notre Etat de droit ainsi qu’à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui garantit le droit à la vie. De plus, les forces de l’ordre pourraient être tentées d’utiliser leurs armes sans pour autant s’interroger sur la nécessité de ce recours. Admettre une présomption de légitime défense risquerait alors de provoquer une augmentation massive de dysfonctionnements et de contentieux. En ce sens, on notera que Maître Laurent-Franck Liénard, avocat spécialiste de la défense des policiers et gendarmes a pris le parti de s’opposer à la présomption de légitime défense. En effet selon lui « une telle présomption placerait les policiers dans une fausse impression de sécurité juridique et pourrait les conduire à user de la force plus facilement, avec moins d’attention qu’ils ne le font aujourd’hui » 114. Ainsi faudrait-il que le policier apporte la preuve que les conditions susvisées ci-dessus soient réunies retournant donc à l’application du droit commun avec l’article 122-5 du code pénal. L’argument de la légitime défense à l’égard des forces de l’ordre paraît être politique. Pour conclure, la jurisprudence interprète toujours la légitime défense selon l’absolue nécessité. Ainsi la présomption de légitime défense demandée par les policiers conduirait toujours à la même chose notamment l’état de nécessité ce qui renverrait implicitement à l’état de la légitime défense.

                                                                                                               114 « Présomption de légitime défense : une fausse bonne idée… » de Franck Liénard du 9 novembre 2015

  35  

De l’apport de Nabila Benattia au débat scientifique sur la summa divisio

Par Vincent Gobin

L'intéressée en serait sans doute la première surprise, mais par ses récents démêlés judiciaires, Nabilla Benattia aura pourtant utilement concouru au débat qui doit, à notre sens, entourer la question de la summa divisio qui règne entre les droits public et privé. Pardonnez-nous, chers lecteurs, l'offense que nous commettrons ici en rappelant les termes de ladite summa divisio, cette séparation d'origine doctrinale qui figure parmi les incontournables de nos cours de première année universitaire. Elle se définit couramment comme une segmentation entre le droit ayant vocation à solutionner les conflits des personnes privées entre elles (le droit privé), et celui destiné aux litiges mettant en jeu au moins une personne publique (le droit public). Cette classification est apparue sous la Révolution, consacrée pour la première fois par la loi des 16 et 24 août 1790, établissant un ordre de juridiction distinct pour connaître des affaires mettant en jeu l'administration. Cette innovation, inspirée du principe de séparation des pouvoirs, tenait compte de l'idée, formulée notamment par Portalis, selon laquelle « juger l'administration est une autre manière d'administrer ». Le sujet de notre étude consistera à interroger la place de la matière pénale au sein de ce découpage (I). Cette relecture se nourrira des enseignements à tirer de

« l'affaire Nabilla » (II), qui nous conduiront à repenser l'architecture même de la summa divisio (III).

I- De la place du droit pénal dans la nomenclature traditionnelle

Avant de céder la place à notre muse, il nous faut détailler la position du droit pénal au sein de l'actuelle summa divisio, et rappeler qu’il est, en vérité, qualifié de droit mixte – qualification au demeurant surprenante qu'il nous faut interroger plus avant. Nous reviendrons donc tout d'abord sur la nature du rattachement de la matière pénale au droit public (1), avant de procéder de même en ce qui concerne son rapport au droit privé (2). A l'issue de ces développements, nous nous pencherons enfin sur l'articulation de ces deux parentés, curieux de savoir si elle est porteuse d’une conciliation ou d’une contradiction (3).

1/ Un rattachement au droit public inspiré par une lecture orthodoxe de la summa divisio

Le lien tissé entre la matière pénale et le domaine public tient à l'essence-même du positionnement traditionnel de la summa divisio qui intéresse la qualité des parties présentes à l'action. Dans le cadre de la justice pénale, l'action est bien exercée au nom de la société, par un représentant de l'Etat : le ministère public. Le terme d'action publique, pour désigner la procédure d'accusation, souligne bien cette opposition entre un particulier et la société, incarnée par les magistrats du parquet. Cette lecture, bien que rigoureusement logique, doit cependant supporter une nuance en ce sens que si la magistrature debout représente bel et bien la société, elle se trouve néanmoins, dans le cadre du procès-même, placée à égalité avec la défense. Le parquet est certes investi de tout le prestige d'une magistrature, mais au delà de la symbolique, il intervient au procès comme un acteur privé ne pouvant en aucune façon faire usage de prérogatives de puissance publique. S'il en était différemment, les deux plateaux de la balance judiciaire se trouveraient déséquilibrés. Il est donc important de remarquer que les prérogatives dont dispose le parquet (possibilité d'auto-saisine, direction des forces de police, accès privilégié aux informations de l'instruction...), se bornent à la phase préparatoire de la justice pénale, ne s'étendant pas à son exercice proprement dit, à savoir le procès. Il en ressort que, d'un point de vue matériel, la dimension publique du

  36  

parquet concerne davantage la procédure pénale (qui s'arrête à la phase d'instruction) que le droit pénal (qui n'est convoqué qu'au stade du procès). Toutefois, cette observation ne saurait constituer davantage qu'une nuance puisqu'il demeure constant que, dans le cadre du procès-même, le ministère public – véritable adversaire de la défense – représente indéniablement la société. Le lien entre le droit pénal et le droit public est donc bien réel. Si cette application rigoureuse de la summa divisio positionne nettement le droit pénal dans le champ des matières publiques, d'autres arguments plaident en faveur de son intégration au domaine privé.

2/ Un rattachement au droit privé conforme à sa pratique

Nous ne devrions point nous étonner que nombre de juristes praticiens aient oublié le lien que nous venons de rappeler entre la matière pénale et le droit public. L'explication tiendrait au caractère évident de sa dimension privée, qui transpire de sa pratique. En témoigne, premièrement, l'ordre de juridiction dont dépend la justice pénale, à savoir l'ordre judiciaire. Les juridictions pénales se composent en effet des mêmes structures (personnels, locaux, hiérarchie, compétences territoriales), que celles dévolues aux affaires civiles, malgré une indéniable autonomie et un fonctionnement procédural propre. Le tribunal correctionnel se présente ainsi comme un tribunal de grande instance siégeant en formation pénale. Seule la Cour d'assise, compétente en matière de crimes, se détache véritablement des tribunaux civils, eu égard à son caractère périodique et sa composition intégrant des jurés. Mais si son lien avec l'ordre judiciaire est moins évident sur le plan structurel, il se révèle néanmoins à travers la compétence de la Cour de Cassation – juridiction supérieure de l'ordre judiciaire – pour connaître des recours fondés sur de mauvaises applications du droit. Deuxièmement, on aura remarqué que les avocats pénalistes sont, pour une large majorité, de formation privatiste, et plaident généralement aussi bien au pénal qu'au civil. Troisièmement, le procès pénal admet en son propre sein une dimension civile, à savoir la question du dédommagement de la victime présumée. Or, cette question traitée dans le cadre de la justice pénale, tient entièrement de la résolution de conflit entre deux personnes privées.

De plus longs développements ne sont point nécessaires pour attester de la perception, également privatiste du droit pénal. Ça ressemble à du droit privé, ça a le goût du droit privé, et pourtant... Pourtant la contradiction demeure avec la vision, plus théorique mais tout aussi admissible, d'un droit pénal public, tel que nous l'avons exposée plus tôt. Aussi faut-il à présent nous interroger sur l'articulation de ces deux argumentaires, sous-tendue par la notion de « droit mixte », qui semble actuellement recueillir une majorité d'opinions.

3/ De l'articulation de ces deux parentés

Il serait permis de considérer, de prime abord, que la nature mixte du droit pénal n'ait été établie que pour synthétiser l'évidente contradiction dont nous venons de faire état. Sans plus d'assise, cette qualification interviendrait comme un simple partage reconnaissant à chacun sa part de vérité, à la manière d'un Salomon, entre les domaines public et privé. Elle apparaîtrait alors comme un compromis peu satisfaisant, révélant l'incapacité du critère de qualité des parties à rendre pleinement compte d'une summa divisio pourtant universellement admise. Mais ce caractère mixte possède, pour son salut, une autre raison d'admission dans les esprits juristes qui réside dans une vision plus finaliste du droit pénal. Il est, en effet, possible de reconnaître au droit pénal une vocation double. Celle, d'une part, de mettre un terme à un conflit né entre deux personnes privées (l'auteur de l'infraction et sa victime), et celle, d'autre part, de résorber le trouble qui en résulte pour la société. Si l’on prend l’exemple du viol, la condamnation du violeur poursuit le double objectif d'apaiser la victime (en apportant une reconnaissance à sa souffrance et en la protégeant de son agresseur) et de préserver l'ordre au sein de la société (en établissant un exemple dissuasif et en conduisant le fauteur de trouble sur le chemin de la réinsertion sociale par l'intermédiaire d'une peine carcérale). Dans ce schéma, le pont du droit pénal enjambant la summa divisio, retrouve l'équilibre en s'établissant sur un point de conciliation entre les deux argumentaires exposés précédemment. Cette conciliation relève d'une conception finaliste, et s'érige sur une triangulation qui met d'abord en scène les deux personnes privées entre lesquelles a eu lieu l'infraction, pour faire intervenir ensuite une autorité publique représentant la société troublée par l'écho de ce litige et le climat d'insécurité

  37  

qu'il sous-tend. Ainsi consolidé, le caractère mixte du droit pénal semble plus admissible. Mais cette construction demeure fragile, et pourrait bien être ébranlée par les enseignements qu'a à nous délivrer la susnommée Nabilla.

II - Des enseignements apportés par « l'affaire Nabilla »

Le 19 mai 2016, la jeune femme rendue célèbre par des émissions de télé-réalité, était condamnée à deux ans d'emprisonnement dont six mois fermes, pour avoir fait acte de violence, à deux reprises, sur la personne de son compagnon, Thomas Vergara, les 8 août et 6 novembre 2014. Les chefs d'accusation de tentatives d'homicide et violences volontaires aggravées avaient été retenus. Or, ce qui doit retenir notre attention dans cette affaire – qui serait somme toute banal si ses protagonistes n'étaient des incontournables du petit écran – c'est le positionnement, pour le moins inattendu, du sieur Thomas Vergara. Cette autre vedette de programmes télévisés populaires, cumule en effet, dans ce feuilleton judiciaire, les statuts de victime et de compagnon de la prévenue. En témoignent ses tweets publiés quelques instants après le verdict : « C'est terminé (…) Nouvelle Vie », « Merci à tous pour votre soutien (…) On vous aime ». A travers ces déclarations, le jeune homme se positionne sans détour dans le camp de sa petite amie – et néanmoins auteur de l'agression – contre laquelle il n'avait d'ailleurs pas déposé plainte, et qu'il avait même tenté de « couvrir » en prétendant s'être blessé seul, par accident, au cours de leur dispute. Or, si cette attitude réclame toute notre attention, c'est qu'elle offre un exemple, on ne peut plus éloquent, d'affaire pénale qui n'oppose nullement deux personnes privées. Comment pourrait-on considérer, en effet, que Nabilla Benattia et Thomas Vergara entretiennent un conflit que la justice devrait trancher alors-même qu'ils affichent abondamment une liaison amoureuse au beau fixe sur les réseaux sociaux ? L'équilibre fragile sur lequel tenait jusqu'à lors la nature mixte du droit pénal s'en trouve dès lors ébranlé. Nous nous rappelons que le critère de la qualité des parties classait sans appel la matière pénale dans le champ du droit public. Nous gardons également à l'esprit que cette constatation souffrait la lourde contradiction de toute la pratique – éminemment privatiste – de la justice pénale. Cette contradiction

trouvait donc l'apaisement dans le compromis consistant à retenir que le droit pénal avait en réalité deux conflits à résoudre, entre trois personnes (ou types de personnes) : le premier entre deux particuliers (l'auteur de l'infraction et sa victime), le second entre un particulier et une personne publique (l'auteur de l'infraction et le représentant de la société troublée par sa commission). Mais l'espèce en présence fournit le parfait exemple d'une affaire dans laquelle il n'existe à l'évidence aucun conflit entre les deux personnes privées que sont la condamnée et sa victime – lesquelles ont précisément traversé ensemble le parcours judiciaire, et attendu d'un même espoir son issue pour « commencer à deux [leur] nouvelle vie », (dixit Thomas Vergara). Le « cas Nabilla » démontre ainsi que le droit pénal est susceptible d'intervenir en dépit de l'absence de conflit privé à résoudre. Or cette conclusion submerge les fondations de la qualification mixte du droit pénal qui s'érigeaient précisément sur une dualité de conflits – l'un privé, l'autre public. Ce cas n'est certes pas commun, et il n'est guère courant d'assister à une scène d'embrassade digne d'une comédie romantique hollywoodienne entre victime et condamnée à la sortie d'une salle d'audience... ! Mais toute définition générale doit voir sa validité éprouver sur des cas marginaux, et son incapacité à les englober révèle toujours une faiblesse. Or, observer que l'instance a pu se dérouler et déboucher sur une condamnation malgré l'absence évidente de conflit entre les deux personnes privées qu'étaient la prévenue et sa victime, revient à reconnaître que le droit pénal a pu sévir avec pour unique support un conflit entre un particulier et la société. Cette observation, qui voit succomber la théorie du « double-conflit » appelée au soutien de la qualification mixte, nous conduit dès lors à conclure, conformément à la définition admise de la summa divisio, que le droit pénal se classe définitivement sur la rive du droit public ! Mais alors, l'institutionnalisation – résolument privée – des juridictions pénales, tout comme son classement universitaire dans le domaine privatiste, seraient-ils donc erronés ? Cette hypothèse instille le doute jusqu'au sein même de notre corporation : nos confrères étudiants en Master de droit pénal seraient-ils à bannir – par la faute de Nabilla – du département privatiste de nos promotions ? « Non mais allô quoi ?!... »

  38  

Bien qu'ayant pleinement saisi la difficulté que pose ce cas dans l'application des critères de classification traditionnels, nous ne pouvons nous résigner à voir s'éloigner la matière pénale – une sœur pour les civilistes, une cousine pour les commercialistes, et bien entendu une mère pour les étudiants pénalistes – vers les lointains rivages du droit public. La considération de l'ensemble des traductions matérielles de ce droit, profondément imprégnées d'usages privés, ne nous permet pas, en effet, d'envisager sérieusement son classement parmi les matières publiques. Aussi nous faut-il à présent réfléchir à une meilleure façon de flécher le tracé de la summa divisio, de telle sorte que plus jamais ce pan du droit ne soit ainsi écartelé entre sa théorie et sa pratique.

III - D'une architecture alternative de la summa divisio

Puisque son critère traditionnel, basé sur la seule qualité des parties en litige, nous est apparu rendre trop perméable la summa divisio, attelons-nous donc à lui en procurer un nouveau, qui lui saille davantage. Nous restaurerons ainsi l'effectivité de cette cloison intellectuelle entre les domaines privé et public qui facilite fortement leurs études, et traduit salutairement la distinction d'origine révolutionnaire entre les ordres juridictionnels judiciaire et administratif.

Nous nous proposons, pour ce faire, de nous abreuver à la source de la philosophie du contrat social. Ce courant de pensée familier des juristes, schématise l'entrée en société comme la conclusion d'un contrat par lequel les hommes se dépouillent de leurs pouvoirs pour les remettre aux mains de l'Etat. Telle en est l'image la plus simple, traduisant la décision partagée de constituer, ensemble, une communauté se plaçant sous l'égide d'une institution abstraite, incarnée par certains pour représenter tous. De là, notre idée selon laquelle tous les litiges qui ont trait au contrat social, qui n'auraient pas eu lieu sans lui, relèvent du droit public. Par ce critère, il est aisé de reconnaître comme public un conflit opposant un administré à sa mairie, un contribuable à son percepteur, ou un usager à la direction du service public qu'il utilise. Il n'y aurait pas, en effet, de collectivités territoriales, de fiscalité ou de services publics, si n'était intervenue entre les hommes la conclusion d'un contrat social. Suivant une logique inversée, il apparaît sans plus d'équivoque que des unions pourraient se former, des

enfants naître, des fortunes s'accroître, leurs détenteurs mourir en les voulant transmettre, ou bien des crimes se perpétrer, en l'absence de tout contrat social. Ces dernières actions nous semblent en effet avoir trait à l'humain plus qu'à la société, et pourraient à ce titre fort bien avoir lieu au sein d'un collectif dépourvu d'organisation, d'une pluralité d'hommes s'abstenant de former une communauté étatisée. A ce titre, les disciplines telles que le droit de la famille, des affaires, des successions, ainsi que le droit pénal, devraient être retenues comme exclusivement privées.

On pourrait, certes, être tenté d'objecter à cette fiction son apparente faille consistant à invoquer des matières juridiques dans le cadre d'une société sans Etat, et par là-même sans droit. Mais ce serait là mal cibler l'objet de notre propos qui n'est nullement de confronter le droit à l'image d'une société sans Etat, mais seulement d'examiner si la présence de cet Etat est, ou non, requise dans la formation des conflits qui appellent l'exercice de tel ou tel droit. Notre idée consiste ainsi à conduire le tracé de la summa divisio le long des réponses à cette seule question : le conflit en présence aurait-il pu exister en dehors d'une communauté étatisée ? Dès lors, la qualification du droit dont le litige relève est privée dans l'affirmative, et publique dans la négative. Cette gymnastique simple, pour l'expliciter encore, permet de discerner, à l'aune de la notion de contrat social, si le litige en présence a trait à l'organisation sociale qui l'a vue naître – et réclame en ce cas un traitement public – ou est seulement le résultat de comportements humains réalisés indépendamment de la société qui les entoure, commis en son sein mais non par rapport à son incarnation étatique, et appelant en cela un traitement privé. Nous aurons tenté par cette réflexion de ramener le droit pénal dans le giron privatiste, au moyen d'un redécoupage cohérent de la summa divisio. Nous en voudrons pour résumé cette seule formule : du public pour tou ce pour quoi le contrat social est nécessaire ; du privé pour tout ce pour quoi le contrat social est contingent.

Sur ces conclusions, nous souhaitons maintenant renvoyer la balle dans le camp de nos confrères étudiants publicistes. Nous les invitons donc à nous disputer cette prise de guerre en prenant la part qui leur revient dans le débat sur le juste tracé de la summa divisio et dans les colonnes d'un prochain numéro des Chroniques du DPA... !

  39  

1 - Céline FABIS – Notaire assistant

Par Marianne Picart

Au 1er étage de l’office notarial, en plein centre-ville de Compiègne, nous retrouvons Céline Fabis… plus exactement Maître Céline Fabis, notaire assistante. Dans son bureau, des placards débordent de dossiers classés et sa table de travail est recouverte d’affaires en cours... Maître Fabis, pouvez-vous décrire votre parcours universitaire ? J’ai obtenu ma licence à Paris I, Panthéon Sorbonne, et j’ai poursuivi dans cette même université en maîtrise de droit privé. J’ai ensuite déménagé pour poursuivre mes études à l’université d’Aix-Marseille où j’ai fait une seconde maîtrise, spécialisée en droit notarial. J’ai obtenu ce qu’on appelait à l’époque un DESS, ancienne appellation des masters 2 professionnels. Après l’obtention de votre DESS, combien d’années se sont écoulées avant que vous deveniez notaire ? Alors après l’obtention du DESS de droit notarial, je suis revenue m’installer en Picardie et je me suis inscrite au DSN de Lille (Diplôme Supérieur du Notariat). Le DSN est un diplôme réservé aux étudiants ayant validé leur master 2 de droit notarial

qui leur permet d’acquérir le diplôme de notaire à l’issue de deux années. Pendant cette formation, j’avais une journée de cours à Lille, et le reste de la semaine j’étais en “stage” en tant que notaire stagiaire au sein d’une étude à Pont-Sainte-Maxence (Oise). L’obtention du DSN suppose la validation de quatre semestrialités de cours ainsi que la soutenance d’un mémoire. J’ai consacré le mien à la question de “L’égalité des copartageants”. Après la soutenance j’étais officiellement notaire assistante. On connaît la différence entre le statut de notaire associé et les autres statuts de notaire, mais on connaît peu la différence entre le notaire salarié et le notaire assistant. Qu’est-ce qui les différencie le plus selon vous ? La différence tient essentiellement à la signature, si je puis m’exprimer ainsi. C’est vraiment la signature qui engage la responsabilité du notaire, et le notaire assistant n’est pas habilité à signer les actes authentiques. Il a donc moins de responsabilités, et quand on débute ce n’est pas plus mal à mon avis. De son côté, le notaire salarié peut recevoir ses propres actes, a ses propres clients, il n’a pas besoin que son acte soit contresigné. En revanche, s’agissant des dossiers à traiter, le notaire salarié et le notaire assistant font pratiquement le même travail, à savoir de la rédaction d’actes et des missions de conseils à destination des clients. Enfin, et il faut bien le dire aussi, le salaire entre notaire salarié et notaire assistant n’est pas le même. Vous-même êtes notaire assistant. Ne souhaitez vous pas devenir associée ? J’y pense régulièrement, mais acheter une étude est très onéreux. Il vaut mieux racheter des parts, mais encore faut-il trouver la personne avec laquelle on peut s’associer. En outre, le statut d’associé contraint à de responsabilités supplémentaires. Si j’étais notaire associée, je devrais cumuler les responsabilités de notaire avec celles de chef d’entreprise, sans parler de la vie de famille et des enfants en bas âge. Ce n’est pas forcément facile à gérer.

  40  

Quelle différence existe-t-il entre le notaire assistant et le collaborateur ? Font-ils le même travail ? Oui en quelque sorte. Tous traitent de mêmes dossiers en fonction, notamment, de leur spécialisation. Moi je traite beaucoup de dossiers de divorce, j’en ai fait ma spécialité. Mai, il est vrai qu’en tant que notaire assistante, je peux être habilitée par un notaire associé à me déplacer chez un confrère pour recevoir un acte à sa place. Ce qui se fait peu chez les collaborateurs de notaire aujourd’hui. Si vous aviez une observation à faire sur les études ou bien sur le métier de notaire assistant, quelle serait-elle ? A mon avis dans la formation universitaire on manque cruellement de pratique. Tout est beaucoup trop théorique. L’étudiant se présente à l’examen du DSN sans avoir suffisamment de recul sur le métier, sur sa pratique et cela peut être handicapant. Le cœur du métier ne s’apprend pas sur les bancs de la fac, mais sur le terrain, dans les dossiers que l’on a tous les jours. Si je pouvais modifier les formations du notariat, je proposerais de décaler les examens du DSN, non pas à toutes les semestrialités, quatre fois en tout, mais en examen terminal au bout des deux ans. Je suis certaine qu’il y aurait plus de réussite à l’examen.

2 - Clotaire ZENGOMONA – Étudiant en droit

Par Valentine Forré

Entraide et bon conseil sont les « indispensables » pour la réussite de nos études, quelle que matière que ce soit. Très impliqué au sein du Master « Droit privé approfondi », Clotaire Zengomona, étudiant de 5ème année, a accepté de répondre à nos questions. Clotaire, pourquoi as-tu décidé de t’orienter vers le droit ? Était-ce une évidence pour toi ou un choix par défaut ? À la suite d’un baccalauréat scientifique, spécialité « Mathématiques », j’ai choisi un cursus juridique, ce domaine m’ayant intéressé. En effet, c’est un stage de 3ème réalisé au sein du Tribunal d’instance de Montdidier qui m’a ouvert les yeux sur ma vocation de travailler dans le milieu judiciaire. En outre, j’étais passionné par les problèmes de société, ainsi que par la littérature et l’histoire, en dépit de ma filière scientifique. Comme une évidence, je me suis inscrit en première année de droit à l’Université de Picardie Jules Verne. Il est possible de trouver mon parcours atypique, dans la mesure où la plupart des lycéens des sections scientifiques se dirigent naturellement vers des études scientifiques, à l’instar de la médecine ou d’un cursus d’ingénieur. Pour autant, ma formation m’a permis d’acquérir une très bonne méthode de travail, de raisonnement et de recherche, ce qui est essentiel pour les études juridiques. Le cursus de droit se divisant en droit public et droit privé, quel a été ton choix ? Etant attiré par le milieu judiciaire, notamment grâce aux stages réalisés au cours de mes études, mon choix s’est orienté vers le droit privé bien que les matières publicistes soient passionnantes, notamment le droit administratif - ce qu’aucun étudiant en Licence 2 ne contredirait ! Plus précisément, ce sont les cours de droit pénal et de procédure pénale qui ont conforté ce choix. Et c’est ainsi que je suis aujourd’hui étudiant dans la branche « droit pénal » du Master 2 de droit privé approfondi. Le droit pénal t’intéressant plus particulièrement, tu as alors décidé de réaliser un mémoire de Master 1 en droit pénal spécial. Peux-tu nous en parler ? En effet, j’ai réalisé un mémoire en droit pénal spécial sous la direction de Madame le Professeur Daury-Fauveau sur le thème de « la qualification d’injure

  41  

publique dans l’affaire du mur des cons ». La réalisation de ce mémoire a véritablement suscité en moi un attrait pour le travail de recherche et la rédaction. Pour résumer l’affaire, un journaliste de France télévision avait réalisé avec son équipe une interview dans le local syndical parisien du Syndicat de la magistrature, syndicat de magistrats. Ce journaliste découvrit sur un pan de mur diverses photos de personnalités principalement de droite, tels Nicolas Sarkozy, Nadine Morano ou Brice Hortefeux. « Avant d’ajouter un con, vérifiez qu’il n’y est pas déjà », tel était l’une des nombreuses légendes du célèbre « mur des cons ». A l’insu des magistrats, le journaliste fit une capture vidéo de ce mur et la diffusa. C’est ainsi que ce scandale alimenta la presse et les réseaux sociaux en 2013, et fut à l’origine de violentes critiques à l’égard de l’ensemble de la magistrature. De nombreuses personnalités portèrent plainte pour injures publiques à l’encontre de la présidente du syndicat de l’époque, Madame Françoise Martres. Suite à une information judiciaire menée à son encontre, l’ancienne présidente du syndicat était alors renvoyée devant le Tribunal correctionnel de Paris du chef d’injures publiques. Cette affaire sera jugée par le 17ème Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris du 4 au 7 décembre 2018. Dans cette affaire, il est évidemment question de savoir s’il y a injure publique ou non à l’égard des personnes visées sur ce mur. Si le terme « con » est une injure, s’agit-il pour autant d’une injure publique prévue par la loi du 29 juillet 1981, c’est-à-dire un délit, ou d’une injure privée constitutive d’une contravention ? La question de la prescription de l’action publique faisait l’objet de mes développements. J’ai abordé également l’aspect syndical et politique de cette affaire. En effet, Monsieur Eric Ciotti, député « Les Républicains », proposa à l’Assemblée nationale de supprimer le droit syndical des magistrats, ce qui est une pure aberration. Ce débat semble d’ailleurs clos au regard de la réforme pour la justice du XXIème siècle, qui a explicitement inscrit le droit syndical des magistrats à l’article 10-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Tu as obtenu la note de 19/20 à ce mémoire et il est possible de dire, Clotaire, que tu comptes parmi les meilleurs étudiants de cette faculté. Pourquoi être resté à Amiens et ne pas avoir rejoint une prestigieuse faculté de droit de Paris ? Plusieurs raisons expliquent mon choix. Tout d’abord, le master de droit privé approfondi proposé à l’UPJV est une très bonne formation, préparant parfaitement à toutes les carrières judiciaires possibles grâce aux enseignements dispensés par des professeurs et des professionnels. De plus, j’occupe en parallèle de mon Master 2 un poste d’assistant de justice au sein du Tribunal de grande instance d’Amiens, me permettant de découvrir la pratique du droit pénal et de la procédure pénale ainsi que les missions concrètes des magistrats. Peux-tu nous préciser quel est ton rôle et tes missions au sein de ce poste ? J’assiste dans ses missions la procureur de la République adjoint du TGI d’Amiens, ayant en charge le pôle « action publique et exécution des peines », dont la supervision TTR, traitement en temps réel. Mon rôle consiste notamment, sous son contrôle, à rédiger des projets de décisions concernant l’orientation des poursuites. Je rédige également des réquisitoires définitifs par lesquels le procureur de la République requiert le renvoi devant un tribunal correctionnel, la mise en accusation devant une cour d’assises, la requalification ou le non-lieu à la fin d’une information judiciaire. Par ailleurs, j’ai la chance d’assister à diverses audiences à ses côtés. Peux-tu nous donner ton ressenti sur tes capacités lors de ton arrivée à ce poste ? T’es-tu senti désorienté ou pas du tout ? Mes connaissances en droit pénal général, en droit pénal spécial et en procédure pénale ont particulièrement facilité l’appréhension des diverses tâches qui me sont confiées. Pour autant, la frontière entre la théorie et la pratique m’est vite apparue. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur le fait qu’il ne faut pas se contenter de suivre son cursus à la faculté : une multiplication des stages et expériences professionnelles est indispensable. Il peut être également utile d’assister à des audiences. Il est impossible d’être certain de vouloir devenir avocat

  42  

pénaliste ou magistrat en se contentant d’apprendre un cours théorique en droit pénal ! Penses-tu que le fait de pratiquer aide à mieux comprendre les enseignements théoriques ? En effet, la pratique aide énormément à la compréhension des enseignements théoriques : effectuer soi-même une mission juridique sous le contrôle d’un professionnel, assister un professionnel dans ses missions et échanger avec lui sur des points concrets contribuent à mieux comprendre et à mieux maitriser un enseignement qui peut paraitre trop abstrait de prime abord. Quelle est ton ambition professionnelle ? J’envisage de devenir magistrat. Ce choix est bien évidemment conforté par mon expérience enrichissante au sein du TGI d’Amiens. A l’issue de mon Master 2, je souhaite intégrer une classe préparatoire et passer le concours de l’ENM. Selon toi, quelle est la meilleure méthode de travail pour réussir ses études de droit ? Voilà une vaste question ! Je vais faire part de ma méthode de travail, sans pour autant affirmer qu’il s’agit de la meilleure. Ce qui est primordial est d’assister à tous les cours, de les retravailler par la suite à l’aide de manuels et des bases de recherche accessibles grâce à la bibliothèque universitaire. Il convient avant tout de comprendre le raisonnement juridique, la logique propre à une matière et ses relations avec les autres branches du droit. En revanche, il n’est pas utile de s’obstiner à apprendre tout par cœur sans comprendre. Cela n’a pas de sens dans la mesure où le droit évolue rapidement au gré des réformes législatives et des interprétations jurisprudentielles. Il faut néanmoins maitriser parfaitement les rudiments de chaque matière, se tenir informé de l’actualité juridique, connaître les grandes questions du moment. Je pense que le point le plus important est de garder un esprit ouvert, en multipliant les sources et approches différentes d’un problème ou d’une décision judiciaire afin de se forger sa conviction et de développer son esprit critique. Par ailleurs, l’avis de tel auteur n’est pas obligatoirement le nôtre : il est possible d’émettre un avis critique et développer sa propre pensée, au

moyen d’arguments juridiques mais aussi extra-juridiques en puisant dans sa culture générale. En somme, ce n’est pas une fatalité de ne pas tout connaître dans les moindres détails. Il ne nous est pas demandé d’être des Précis Dalloz ou des Traités Lexis Nexis ambulants : il nous est simplement demandé d’être des étudiants en droit éveillés. Le mot de la fin, Clotaire ? Il faut toujours avoir de l’ambition et aller jusqu’au bout de ce que l’on veut accomplir. Ne pas baisser les bras afin de ne pas avoir de regrets. Les moments de doute, de questionnement et de prise de recul sont également importants dans toutes situations, et aident à cheminer intellectuellement et à aller de l’avant. Bien évidemment, il ne faut jamais oublier de se ménager des temps de pause, pratiquer des activités diverses (sportives, artistiques, associatives), de cultiver ses relations familiales et amicales. Et bien sûr, il faut garder un esprit ouvert : le droit est glacial et sa pratique est aride si l’on reste étranger à la société dans laquelle le droit se construit, si l’on oublie qu’il est fait par et, pour les citoyens, humains avant tout.

3 - Jean-Pierre DELAHOUSSE - Vice-président du Tribunal de

commerce d’Amiens

Par Soledad Leblond-Duniach

Monsieur le Vice-président, quel a été votre parcours jusqu’au poste que vous occupez aujourd’hui ? Mon parcours professionnel m’a notamment amené à travailler le droit de l’immobilier et à avoir des relations d’affaires avec l’ancien Président du tribunal de commerce d’Amiens, Pierre Vignon. Ce dernier m’a alors proposé de me présenter aux élections consulaires, ce que j’ai accepté. Je dois d’ailleurs dire qu’il était plaisant de se voir reconnu comme un homme capable d’être intégré dans cette fonction

  43  

J’ai donc été élu il y a plus de vingt ans et je suis devenu juge consulaire, puis président de chambre, puis enfin, vice-président, et ce après une petite interruption. Il est vrai que c’est généralement par contact que cela fonctionne et avoir l’aval des juges en exercice est un atout. Depuis les années 1990, beaucoup de voix se sont élevées contre la règle d’une élection des juges des tribunaux de commerce, en raison notamment du risque de conflit d’intérêts et du manque de transparence. Que pensez-vous de l’élection des juges des tribunaux de commerce par leurs pairs commerçants ? Selon moi, le fait d’être un juge issu du monde de l’entreprise est un réel avantage et non un handicap. En effet, les juges consulaires ont ainsi une véritable connaissance et une expérience concrète du terrain qui procurent finalement une approche humaine des problèmes qui se présentent à eux. Les juges consulaires du Tribunal de commerce d’Amiens offrent un panel des professions commerçantes très diversifié : on y trouve un ancien dirigeant de toutes les branches d’entreprise, comme par exemple, un assureur, un restaurateur, un ancien notaire, un ancien banquier un opticien … En ce qui concerne les risques de conflit d’intérêts, je dirais qu’à Amiens tout se passe très bien. Nous sommes en effet très attachés à la déontologie. On se doit d’être intransigeants. J’aimerais attirer l’attention sur une particularité du Tribunal de commerce d’Amiens qui me semble très intéressante en matière de lutte contre d’éventuels conflits d’intérêts. Il s’agit du système dit « du juge d’astreinte ». Lorsqu’un juge, saisi d’une affaire, réalise qu’il lui est impossible de statuer sur le cas en considération de circonstances particulières, un juge d’astreinte peut le remplacer immédiatement. Ce système nous permet de lutter efficacement contre le risque de conflit d’intérêts sans pour autant décaler l’audience. De nos jours, on entend beaucoup parler du manque de moyens de la justice civile et pénale et de son impact sur les justiciables. En est-il de même pour les juridictions consulaires ? Les juges consulaires sont bénévoles. Ils ne constituent pas à ce titre une charge financière pour l’état et ceux

qui voudraient remplacer les juges consulaires par des juges professionnels pourraient réfléchir au coût d’une telle mesure. Toutefois, nous avons la possibilité de nous faire rembourser les frais exposés dans le cadre de nos fonctions (comme par exemple les frais de déplacement) par le biais de notes de frais. Cependant, face aux lourdeurs administratives d’une telle démarche, je ne pense pas que les juges y aient recours. Je n’y ai d’ailleurs, à titre personnel, jamais recouru. On remarque que certains pays, notamment les Etats-Unis spécialisent leurs tribunaux de commerce afin de les rendre plus compétitifs. Pensez-vous que cette piste pourrait être intéressante pour un pays comme la France ? La spécialisation a, dans une certaine mesure, déjà commencé. En effet, depuis 2016, des tribunaux de commerce spécialisés (ils sont au nombre de 18) se sont vu attribuer la compétence des affaires concernant les procédures collectives des entreprises dont l’effectif est égal ou supérieur à 250 salariés et dont le montant net du chiffre d’affaire est d’au-moins 20 millions d’euros. Le tribunal de commerce spécialisé compétent pour notre région est celui de Lille, qui se situe en réalité à Tourcoing. Beaucoup de juges consulaires ont été froissés par cette réforme. Je pense d’ailleurs, à titre personnel, que nous étions compétents pour connaître de telles affaires. En outre, cette réforme peut poser des problèmes d’ordre pratique comme, par exemple, des problèmes de distance. Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de cette réforme, nous n’avons pas encore été confrontés à des affaires nécessitant le déport à un tribunal de commerce spécialisé. Le développement de l’arbitrage a t-il eu un impact sur le contentieux du tribunal de commerce ? Le développement des modes alternatifs de règlement des conflits est certes important en théorie mais il l’est moins en pratique. Dès qu’il est possible d’y avoir recours, nous le rappelons aux parties. Néanmoins, cette pratique n’a pas eu beaucoup d’écho jusqu’à présent. Notons, tout de même, qu’un ancien juge occupe désormais le rôle de conciliateur au sein du tribunal.

  44  

Quels sont les contentieux les plus importants au Tribunal de commerce d’Amiens ? A première vue, la part la plus importante du contentieux concerne les cautionnements. Je considère d’ailleurs, à titre personnel, que le cautionnement est l’un des actes les plus dangereux. En effet, peu de gens se rendent compte qu’en plus de la somme cautionnée, ils devront également s’acquitter des intérêts. Hormis cette garantie, le contentieux le plus fréquent est incontestablement celui relatif aux problèmes de bâtiments. Le droit pénal des affaires est de plus en plus conséquent et quasiment illisible pour les non professionnels du droit. Pensez-vous qu’une dépénalisation partielle de la matière serait souhaitable ? Pour répondre à cette question, je souhaite me référer au discours de rentrée solennelle prononcé par Madame Beaurain, Présidente du Tribunal de commerce d’Amiens. En effet, au-delà des impacts de la pénalisation de la vie des affaires, Madame la présidente insistait sur le rôle primordial de la prévention, et plus particulièrement, sur l’importance du « rôle accru de la prévention, déjà pratiquée chez nous ». La Commission européenne insiste d’ailleurs également sur le rôle central de la prévention en ce domaine. Sachez par exemple que, lors du dépôt des comptes des entreprises, une cellule de prévention examine lesdits comptes et peut adresser une convocation informelle aux entreprises si leur bilan le justifie. Environ 50% des personnes convoquées se rendent à ces convocations. Le principal problème qui se pose réside dans le fait que, généralement, lorsqu’une entreprise se présente devant le tribunal de commerce, sa situation est déjà compromise et il est par conséquent quelquefois un peu tard pour y remédier. Avec la réforme du droit des obligations entrée en vigueur le 1er octobre 2016, une partie de la doctrine parle de « déspécialisation du droit commercial » et de son rapprochement avec le droit commun. Qu’en pensez-vous ? En droit commercial, l’apport de la réforme est principalement de rééquilibrer les pouvoirs entre créancier et débiteur et mieux protéger la partie faible.

Toutefois, la protection de la partie faible doit être raisonnable en droit commercial car une protection trop accrue pourrait décourager les initiatives. Les effets secondaires d’une trop grande protection deviendraient alors plus néfastes que les effets désirés. Le rôle du juge me semble également accru et je partage à ce titre le constat de Madame la Présidente Beaurain qui mettait en garde contre les dangers qui peuvent résulter d’une trop grande intervention du pouvoir judiciaire dans les affaires. Par ailleurs, cette réforme de fond est lourde et complexe et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle ne simplifie pas vraiment l’état du droit, notamment pour les petites et moyennes entreprises. Elle ne m’apparaît donc pas comme un vecteur d’efficacité. Quel est, selon vous, l’impact de la loi du 18 novembre 2016, dite loi de modernisation de la Justice du XXI° siècle, sur la justice commerciale ? Cette réforme offre une plus grande protection statutaire aux juges consulaires, sur le modèle des juges professionnels et comporte un volet sur la déontologie mais cette dernière est au cœur de la pratique depuis bien longtemps. En ce qui concerne la formation professionnelle permanente des juges consulaires, le partenariat entre la Conférence générale et l’Ecole nationale de la Magistrature est officialisé. Toutefois, je pense qu’une partie importante de la formation est interne. Au Tribunal de commerce d’Amiens, nous avons une réunion de roulement, organisée une fois par trimestre, au cours de laquelle nous abordons les questions techniques, rencontrées en pratique. J’ajouterai que le fait que cette réforme interdise aux hommes et femmes de plus de 75 ans d’exercer les fonctions de juge consulaire a pour effet de mettre fin à mes fonctions lors de la prochaine rentrée. Cela me fait bien mal au cœur et j’en suis bien contrarié. C’est à regret que je quitterai donc mes fonctions et l’excellente ambiance de travail du tribunal. Sur un mode humoristique, je suis pour finir étonné que, sur ce point, le législateur nous impose une limite d’âge qu’il ne juge pas bon de s’appliquer à lui-même ! C’est d’autant plus dommage que nous autres, retraités, sommes très disponibles et avons acquis une bonne expérience judiciaire.

  45  

REMERCIEMENTS

Lorsqu’au printemps 2016, l’idée fut lancée de créer une revue juridique destinée à tous les étudiants juristes d’Amiens et rédigée par ceux du Master de droit privé approfondi, l’enthousiasme de tous fut particulièrement prometteur et annonçait sans doute le succès de cette modeste entreprise. A l’époque, et je peux l’avouer aujourd’hui, mes craintes étaient nombreuses de voir les envies s’effriter et l’inspiration se dissiper, car rares sont les idées collectives que l’on peut mener à bien en toute quiétude et sur un long terme. Mais, l’idée des Chroniques du DPA n’était pas une idée comme les autres…. Elle était celle d’une entière communauté universitaire et fut portée par les étudiants du Master. Il ne fait aucun doute aujourd’hui que c’est à eux qu’elle doit sa pleine réalisation et réussite et je tiens évidemment à les en remercier et les féliciter. Il me revient ici de dire leurs efforts, leurs initiatives, leur imagination et implication. Le travail de rédaction qu’ils ont accompli au fil des jours n’a jamais démérité et a été mené avec ferveur, ténacité et sérieux. Il a permis de publier quatre numéros en cette année universitaire 2016-2017, et avouons-le, personne n’aurait parié son Code civil sur une telle fréquence de publication.... Nul doute que cette aventure rédactionnelle fut d’ailleurs une succession de belles surprises : du choix des thèmes proposés par chacun aux convictions personnelles affichées et défendues, de l’audace des interviews aux finesses des analyses scientifiques, tout fut source de satisfaction pour l’enseignante que je suis. Un grand merci à tous mes étudiants du Master 1 et 2 DPA avec lesquels il est si gratifiant de travailler.

Hélène Chanteloup