responsabilit e civile et contr^ole de la soci et...

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Responsabilit´ e civile et contrˆole de la soci´ et´ e Etienne Grosbois To cite this version: Etienne Grosbois. Responsabilit´ e civile et contrˆ ole de la soci´ et´ e. Law. Universit´ e de Caen, 2012. French. <NNT : 2012CAEN0100>. <tel-00821471> HAL Id: tel-00821471 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00821471 Submitted on 10 May 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

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  • Responsabilite civile et controle de la societe

    Etienne Grosbois

    To cite this version:

    Etienne Grosbois. Responsabilite civile et controle de la societe. Law. Universite de Caen,2012. French. .

    HAL Id: tel-00821471

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00821471

    Submitted on 10 May 2013

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinee au depot et a la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publies ou non,emanant des etablissements denseignement et derecherche francais ou etrangers, des laboratoirespublics ou prives.

    https://hal.archives-ouvertes.frhttps://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00821471

  • UNIVERSITE DE

    CAEN BASSE-NORMANDIE

    U.F.R. DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES

    ECOLE DOCTORALE DROIT-NORMANDIE ED-98

    THESE

    prsente par

    M. Etienne GROSBOIS

    et soutenue

    Le 4 dcembre 2012

    en vue de lobtention du

    DOCTORAT DE LUNIVERSITE DE CAEN BASSE-NORMANDIE

    Spcialit : droit priv et sciences criminelles Arrt du 7 aot 2006

    RESPONSABILITE CIVILE

    ET

    CONTROLE DE LA SOCIETE

    MEMBRES DU JURY

    M. Franois-Guy TREBULLE, Professeur l'Universit Paris I, Panthon-Sorbonne (directeur de thse)

    Mme Mireille BACACHE-GIBEILI, Professeur lUniversit Paris-Descartes (rapporteur)

    M. Thierry BONNEAU, Professeur lUniversit Paris II, Panthon-Assas (rapporteur)

    Mme Corinne REGNAUT-MOUTIER, Professeur lUniversit de Caen Basse-Normandie

    Mme Jocelyne VALLANSAN, Professeur lUniversit de Caen Basse-Normandie

  • - 3 -

    A la mmoire de ma Grand-Mre, pour Jean-Baptiste-Jacques lie de Beaumont

  • - 5 -

    Je remercie trs sincrement Monsieur le Professeur Franois-Guy Trbulle pour sa disponibilit, la patience dont il a toujours su faire preuve et lattention quil porta mes travaux. Je ne peux que louer ses nombreux et judicieux conseils ainsi que ses qualits humaines d'coute, de comprhension et ses encouragements sans lesquels cette thse naurait jamais vue le jour.

    Je remercie tous les enseignants de la facult de droit de Caen ainsi que mes collgues doctorant , qui sont devenus pour beaucoup des amis, et avec qui nous avons partag tant de si bons moments que nous en avons oubli les moins bons. Je pense surtout Alexandrine, Fanny, Graldine, Loc, Marie, Mathieu, Olivier et Thibault.

    Je remercie encore tous les tudiants que jai eu la chance et le plaisir davoir dans mes TD. Ils ne se douteront sans doute jamais combien ils ont pu parfois inspirer ce travail.

    Je remercie enfin ma famille pour son indfectible soutien et surtout mon Thomas envers qui ma dette de Lego va se compter en semaines voire en mois.

  • - 7 -

    TABLE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS

    Act. proc. coll. Actualit des procdures collectives

    Actes prat. ing. socitaire Actes pratiques et ingnierie socitaire

    Administrer Revue Administrer

    AFEP Association franaise des entreprises prives

    AJ Actualit jurisprudence

    AJDA Actualit juridique de droit administratif

    AJF Actualit juridique famille

    AJP Actualit juridique pnale

    ALD Actualit lgislative Dalloz

    AMF Autorit des marchs financiers

    AN Assemble nationale

    Ann. Univ. Annales de lUniversit de

    Annonces Seine Les Annonces de la Seine

    Argus Argus de lassurance

    art. article

    Banque et droit Revue banque et droit

    Banque mag. Banque magazine

    BDEI Bulletin du droit de l'environnement industriel

    BF Lefebvre Bulletin fiscal Francis Lefebvre

    BRDA Bulletin rapide de droit des affaires Francis Lefebvre

    Bull. civ. Bulletin des arrts de la Cour de cassation (chambres civiles)

    Bull. CNCC Bulletin de la Compagnie national des commissaires aux comptes

    Bull. COB Bulletin mensuel de la COB

    Bull. crim. Bulletin des arrts de la Cour de cassation (chambre criminelle)

    Bull. Joly Bourse Bulletin Joly Bourse et produits financiers

    Bull. Joly Entr. Diff. Bulletin Joly Entreprises en Difficult

    Bull. Joly Socits Bulletin Joly Socits

    CA Cour dappel

    Cah. Dr. entr. Les Cahiers de droit de lentreprise

    Cah. Soc. barreau Paris Cahiers sociaux du barreau de Paris

    Cass. 1re civ. 1re chambre civile de la Cour de cassation

    Cass. 2e civ. 2me chambre civile de la Cour de cassation

    Cass. 3e civ. 3me chambre civile de la Cour de cassation

    Cass. ass. pln. Assemble plnire de la Cour de cassation

    Cass. civ. Chambre civile de la Cour de cassation

    Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation

    Cass. req. Chambre des requtes de la Cour de cassation

  • Cass. soc. Chambre sociale de la Cour de cassation

    CDE Cahier de droit de lentreprise

    CE Conseil dEtat

    Chron. Chronique

    CJCE Cour de justice des Communauts europennes

    CNCC Compagnie national des commissaires aux comptes

    CNPF Conseil national du patronat franais

    COB Commission des oprations de bourse

    Comm. Commentaire

    Contrats conc. consom. Contrats, concurrence, consommation

    CPC Code de procdure civile

    D. Recueil Dalloz

    D. affaires Dalloz affaires

    Defrnois Rpertoire du notariat Defrnois

    dir. sous la direction de

    Doc. fr. Documentation franaise

    Doctr. Doctrine

    DP Dalloz priodique

    Dr. adm. Droit administratif

    Dr. env. Droit de lenvironnement

    Dr. et socit Droit et socit

    Dr. ouvrier Droit ouvrier

    Dr. social Droit social

    Dr. socits Droit des socits

    Droit et patrimoine Revue Droit et patrimoine

    Droits Revue Droits

    Eco. et compt. Economie et comptabilit

    Ed. Edition

    Gaz. Pal. La Gazette du Palais

    inf. rap. Informations rapides

    JCl. JurisClasseur

    JCP A La semaine juridique, dition administration et collectivits territoriales

    JCP CI La semaine juridique dition commerce et industrie

    JCP E La semaine juridique, dition entreprise

    JCP G La semaine juridique, dition gnrale

    JCP N La semaine juridique, dition notariale

    JCP S La semaine juridique, dition sociale

    JO Journal officiel

    JOCE Journal officiel des Communauts europennes

    Journ. not. Journal des notaires et des avocats

  • Journ. socits Journal des socits

    Journe soc. lgisl. comp. Journes de la socit de lgislation compare

    JSL Jurisprudence sociale Lamy

    Jurispr. Jurisprudence

    Jurisp. soc. UIMM Jurisprudence sociale de lUIMM

    Liaisons soc. Liaisons sociales

    LPA Les petites affiches

    n spc. numro spcial

    MEDEF Mouvement des entreprises de France

    OCDE Organisation de coopration et de dveloppement conomiques

    ONIAM Office national dindemnisation des accidents mdicaux

    Option fin. Option finance

    PCG Plan comptable gnral

    prat. pratique

    prc. prcit

    Propr. intell. Proprit intellectuelle

    Quot. jur. Quotidien juridique

    RCS Registre du commerce et des socits

    RD aff. int. Revue de droit des affaires internationales

    RD bancaire et bourse Revue de droit bancaire et de la bourse

    RD bancaire et fin. Revue de droit bancaire et financier

    RDC Revue des contrats

    RDP Revue du droit public et de la science politique

    Rec. Recueil Lebon

    Rp. Rpertoire

    Rp. civ. Dalloz Rpertoire civil Dalloz

    Rp. com. Dalloz Rpertoire commercial Dalloz

    Rep. Min. Rponse ministrielle

    Resp. civ. et assur. Responsabilit civile et assurance

    Rev. AMF Revue mensuelle de lAMF

    Rev. crit. DIP Revue critique de droit international priv

    Rev. huissiers Revue des huissiers de justice

    Rev. jur. env. Revue juridique de lenvironnement

    Rev. Lamy dr. aff. Revue Lamy droit des affaires

    Rev. Lamy dr. civ. Revue Lamy droit civil

    Rev. Lamy dr. conc. Revue Lamy droit de la concurrence

    Rev. loyers Revue des loyers

    Rev. proc. coll. Revue des procdures collectives

    Rev. socits Revue des socits

    RFDA Revue franaise de droit administratif

  • RGDA Revue gnrale du droit des assurances

    RID comp. Revue internationale de droit compar

    RID co. Revue internationale de droit conomique

    RJ com. Revue de jurisprudence commerciale

    Rev. jur. env Revue juridique de lenvironnement

    RJIF Revue juridique dIle de France

    RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires

    RJPF Revue juridique personnes et famille

    RJS Revue de jurisprudence sociale

    RPDS Revue pratique de droit social

    RRJ Revue de la recherche juridique

    RSC Revue de sciences criminelle

    RT CA Versailles Revue trimestrielle de la Cour dappel de Versailles

    RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil

    RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial

    RTDE Revue trimestrielle de droit europen

    RTDF Revue trimestrielle de droit financier

    S. Recueil Sirey

    SA Socit anonyme

    SARL Socit responsabilit limite

    SAS Socit par actions simplifie

    SCS Socit en commandite simple

    SCA Socit en commandite par actions

    SNC Socit en nom collectif

    somm. sommaire

    spc. spcialement

    TGI Tribunal de grande instance

    T. com. Tribunal de commerce

    V. Voir

  • - 11 -

    INTRODUCTION

  • Introduction

    - 13 -

    Mon attitude lgard de mes fonctions est trs diffrente selon que je suis le trustee

    dune institution ou lagent des investisseurs. Si je suis un trustee, qui sont les bnficiaires

    du trust ? A qui dois-je mes obligations ? Ma conception est la suivante. Trois groupes de

    personnes ont un intrt dans linstitution. Lun deux se compose de quelque cinquante mille

    personnes qui ont apport leur capital la socit : il sagit des actionnaires. Un autre

    groupe est form de prs de cent mille personnes qui consacrent la socit leur travail et

    leurs vies. Le troisime groupe est celui des consommateurs et du public en gnral. Les

    consommateurs ont le droit de demander quune entreprise aussi importante que la notre ne

    conduise pas simplement ses affaires honntement et correctement, mais que, de plus, elle soit

    la hauteur de ses obligations publiques et satisfasse ses devoirs publics quen un mot,

    lourd de sens, elle soit un bon citoyen 1.

    1. Le contrle-surveillance de la socit. En 1929, Young avait dj bien conscience du rle

    Social de lentreprise. Lactivit conomique nest pas une fin en soi, elle est guide par lide

    de service rendu un intrt qui lui est suprieur : lintrt gnral.

    Le lgislateur autorise les entrepreneurs, pour mutualiser les moyens et pour organiser leur

    entreprise, constituer des socits. Ces dernires, sauf le cas de la socit en participation ,

    seront dotes de la personnalit morale. Cette notion est apparue en droit romain mais na

    vritablement fait lobjet dune discussion doctrinale quau moment de la Rvolution

    franaise puis de la rdaction du Code civil2. Les auteurs se sont alors opposs, entre tenant de

    la thorie de la fiction et thorie de la ralit. Le dput Thouret, partisan de la premire,

    soutenait que la personnalit morale ne pouvait qutre une cration de la loi, tandis que

    Savigny militait pour une reconnaissance de la personnalit morale indpendamment de toute

    conscration lgislative. Le premier la emport. Aujourdhui, il nexiste pas en principe de

    personne morale sans quune inscription ou un enregistrement soit ncessaire : la personne

    morale nexiste que par la volont de lautorit tatique3.

    Ds lors que la personnalisation du groupement nest quune autorisation particulire de la

    loi, on se doit dadmettre que la personnalit morale existe dans un but autre que le simple

    intrt propre de ses membres. Lentreprise qui accde au statut de personne joue un rle

    Social. Son existence se justifie par la place quelle tient dans lordonnancement conomique.

    1 O. D. YOUNG, Prsident de la General Electric, 1929. Cit par A. TUNC, La socit anonyme et lintrt gnral , in

    Droit et libert la fin du XXe sicle, influence des donnes conomiques et technologiques Etudes offertes Claude-Albert Colliard, Ed. Pedone 1984, p. 607, spc. p. 612

    2 A.-M. PATAULT, introduction historique ou droit des biens, PUF 1986, n 170 et s. 3 par exception, la jurisprudence admet pourtant parfois la thorie de la ralit pour permette des groupements daccder au

    juridiction

  • Introduction

    - 14 -

    Elle est source de richesse tant pour ceux qui lont constitue que pour ceux qui lont

    autorise. Les socits ont en effet une importance capitale dans lconomie nationale et

    mondiale. Il suffit pour sen convaincre de constater linquitude partage des citoyens et de

    lautorit face la crise financire et aux difficults des entreprises nationales et

    internationales. Le gouvernement est aujourdhui au chevet de ces malades . Le

    gouvernement franais actuel en a mme cr un ministre : le redressement productif. Que ce

    soit par le Prsident de la Rpublique, Monsieur Hollande, ou Monsieur Montebourg, son

    ministre, lEtat est reprsent au ct des salaris et des reprsentants des collectivits locales

    dans la lutte pour la sauvegarde de loutil de production. On peut penser tout particulirement

    lusine ArcelorMittal de Florange ou encore au site dAulnay-sous-Bois de PSA4.

    La socit se trouvant au cur dun systme conomique internationalis, elle nest plus la

    chose des associs. Elle doit tre reconnue comme une entit propre dote dun intrt

    personnel distinct de celui de ses membres et dont la conduite, comme tout citoyen, doit aussi

    tre guide par le bien commun. Ds lors, le pouvoir de dcision quant aux affaires sociales

    ne doit pas tre confi aveuglment une poigne de dirigeants car cela prsente un risque

    trop important. La succession de crises conomiques mondiales5 a conduit la doctrine puis le

    lgislateur sintresser aux thories relatives la corporate governance6.

    Les dcisions des dirigeants, et plus largement lensemble du fonctionnement social,

    doivent faire lobjet dun contrle. Le contrle sentend ici dans son sens premier : il sagit de

    lide de vrifier, surveiller, voir sinformer. A ct des dirigeants sociaux, la loi a instaur

    des organes de contrle de la socit. Il sagit du conseil dadministration, du conseil de

    surveillance, du commissaire aux comptes et surtout de lassemble gnrale. Ils ont pour

    mission principale de surveiller la gestion des dirigeants. Ce pouvoir, ou ce devoir, nest pas

    un simple droit linformation. Il est beaucoup plus efficace que cela car il est sanctionn : il

    confre au contrleur des droits et des obligations en fonction de son rsultat. Nous verrons

    que les organes de contrle peuvent notamment rvoquer le dirigeant indlicat ou au contraire

    augmenter la rmunration de celui faisant preuve de comptences exceptionnelles. La

    sanction de ce contrle peut galement tre sanctionne par le devoir den rendre compte dans

    un rapport, soit aux autres organes de contrle, soit mme un tiers.

    4 Cet intrt nest pas nouveau, le Prsident Nicolas Sarkozy avait lui mme tent dempcher la fermeture de lusine

    dArcelorMittal Gandrange, sans y parvenir. 5 A. REBERIOUX, Gouvernance dentreprise et contrle des dirigeants : 1932-2008, dune crise lautre , in La

    gouvernance des socits cotes face la crise - Pour une meilleur protection de lintrt social, V. MAGNIER (dir.), LGDJ 2010, p. 3

    6 V. infra n 54 et s.

  • Introduction

    - 15 -

    Si le dveloppement de la corporate governance a renforc ce contrle organique

    garantissant la comptence et lautonomie de ces contrleurs, il nen reste pas moins que cette

    surveillance reste interne la socit. Il sagit dune forme dautocontrle de la socit par ses

    organes sur ses organes. Or nous avons montr que lentreprise ne pouvait plus tre

    considre sa seule chelle mais que sa place dans le systme conomique conduit les

    autorits publiques et les tiers, partenaires ou simples voisins, sintresser de plus en plus

    aux actes de ces dirigeants. Ces tiers intresss constituent la masse des stackeholders7. Le

    risque que la socit constitue pour eux impose quil dispose galement dun droit de regard

    sur les affaires sociales et les dcisions directoriales. Ils vont donc galement disposer dun

    pouvoir de contrle sur la socit, soit par lintermdiaire dinstitutions publiques (AMF,

    ACP, Autorit de la concurrence, juridictions, prfet), soit par lintermdiaire dun contrle

    contractuel (audit, notation). Tout comme pour les organes sociaux, leur contrle sera

    finalis et donc sanctionn.

    2. Le contrle-direction de la socit. Lobjet du contrle-surveillance exerc par les

    organes sociaux et les tiers est laction directoriale. Ce sont les actes du dirigeant qui vont

    faire lobjet dune attention particulire et dune apprciation. Ces dirigeants sont

    gnralement eux-mmes des organes sociaux. Sont ainsi qualifis de dirigeants les grants de

    socits, les directeurs gnraux et directeurs gnraux dlgus, les administrateurs, les

    membres du directoire et le prsident de la SAS8. Ces organes de direction ne sont pas les

    seuls disposer dun pouvoir de dcision au sein de la socit. Le pouvoir directorial peut

    avoir t contractuellement dlgu un dlgataire qui exercera les prrogatives

    normalement dvolues un dirigeant de droit. Le pouvoir de direction de la socit peut

    galement avoir t investi judiciairement un tiers en cas de dysfonctionnement des organes

    lgaux : cest le cas en cas de paralysie des organes de direction mais galement lorsque la

    socit se trouve en difficults financires et quelle est place en procdure collective. Enfin,

    une personne peut, par son seul comportement sarroger les pouvoirs de direction : on parlera

    de dirigeant de fait.

    Dans tous les cas, ces personnes titulaires, de droit ou de fait, du pouvoir de dcision quant

    la direction de lentreprise se voient dotes dun pouvoir de contrle sur la socit. Le terme

    contrle doit alors sentendre au sens de maitrise, direction. Le mme mot peut en effet

    recouvrer deux significations : au sens commun, contrler cest tout autant surveiller que

    7 F. G. TREBULLE, Stakeholders Theory et droit des socits (1re partie) , Bull. Joly Socits, 2006 n 123, p. 1337, et

    Stakeholder theory et droit des socits (2me partie) , Bull. Joly Socits 2007, n 1, p. 7 8 V. infra n 10

  • Introduction

    - 16 -

    diriger : le contrle que subit ltudiant vocation surveiller son apprentissage, le contrle

    que perd le conducteur dun vhicule avait pour but den assurer la direction.

    Le contrle, quil soit surveillance ou direction, fait peser sur son titulaire un risque : celui

    de voir engage sa responsabilit.

    3. La notion de responsabilit. Si le mot responsabilit napparat en Europe que vers la

    fin du XVIIIe sicle, le terme responsable semble plus ancien et remonter au XIIIe sicle9.

    Le responsable est celui qui, originellement, doit assumer certaines obligations. Ce sens nous

    est rest encore aujourdhui, par exemple lorsquon accde un poste responsabilit .

    Cest encore ce sens quil convient de donner lobligation aux dettes sociales qui pse sur

    les associs de socits responsabilit illimite. Cest au second sens du mot responsable,

    celui plus communment admis par les juristes, que nous ferons rfrence dans la suite des

    dveloppements : la responsabilit au sens de rpondre de ses actes. Cette responsabilit peut

    tout la fois tre civile, et dans ce cas elle a vocation rparatrice, ou tre pnale ou

    disciplinaire, et dans ce cas elle vocation sanctionnatrice.

    La prsente tude nentend se consacrer qu la responsabilit civile du fait du contrle.

    Cette responsabilit est dfinie en droit commun par larticle 1382 du Code civil : Tout fait

    quelconque de l'homme, qui cause autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il

    est arriv le rparer . Les rdacteurs du Code civil considraient quil sagissait l dun

    principe fondamental10. Lvolution de la socit, et notamment ses avances techniques,

    ainsi que le dveloppement de lassurance a profondment boulevers le dogme initial de

    responsabilit pour faute. On assiste depuis la fin du XIXe sicle un recul de la faute sous la

    pression des tenants des thories du risque ou de la garantie. Lexemple absolu en est la

    responsabilit des pres et mres du fait de leur enfant mineur qui a vu disparatre la ncessit

    dune faute tant des parents que de lenfant lui-mme.

    Ce recul de la faute na pas encore atteint le droit des affaires o, nous le verrons, elle reste

    une condition sine qua non de lengagement de la responsabilit tant des dirigeants sociaux

    que des personnes charges de les surveiller. La responsabilit du fait du contrle reste donc

    traditionnellement et classiquement attache la faute, au dommage et au lien de causalit.

    Le contrle est source de responsabilit car il fait peser sur son titulaire au minimum une

    obligation de prudence et de diligence dans la ralisation de sa mission.

    9 V. sur lhistoire de cette notion : M. VILLEY, Esquisse historique sur le mot responsable , in La responsabilit, Archive

    de philosophie du droit, t. 22, Sirey 1977, p. 45 J. HENRIOT, Note sur la date et le sens du mot responsabilit , in La responsabilit, Archive de philosophie du droit, t. 22, Sirey 1977, p. 59

    10 FENET, t. XIII, p. 474

  • Introduction

    - 17 -

    4. La responsabilit du fait du contrle-direction. Lavnement du Code civil et de

    larticle 1382 na pas boulevers la vie des dirigeants de socit11. Ceux-ci ont conserv une

    relative immunit jusqu la seconde moiti du XXe sicle. Oeuvrant pour le progrs

    conomique et social, membres de la classe aise, ils sont peu inquits par le juge. A la fin

    du XIXe sicle, le dveloppement de la mcanisation et la multiplication des accidents qui en

    rsultrent conduisirent nanmoins instaurer une prsomption de responsabilit de

    lemployeur en cas daccident du travail. Mais ce nest que dans les annes soixante-dix que

    les magistrats prirent rellement leur indpendance et quils commencrent contester

    limpunit dont bnficient ces capitaines dindustrie, gnralement en qualit demployeur,

    au dtriment de leurs salaris. Les premires condamnations pnales tombent dans des

    affaires ou le dfaut grave de scurit conduit des blessures des employs.

    La responsabilit des dirigeants sociaux telle quelle figure dans la loi et quelle est

    apprcie par la jurisprudence a considrablement volu depuis le XIXe sicle12. Jusquen

    1935, seul le dpassement de lobjet social pouvait donner lieu sanction du dirigeant. Tant

    que ce dernier respectait le cadre statutaire de ses fonctions, il ne pouvait tre inquit. La

    jurisprudence se livrait une analyse fonctionnelle de ses pouvoirs et non finaliste : peu

    importe quil ait agi dans son seul intrt personnel ds lors quil pouvait lgalement le faire.

    Les dcrets-lois de 1935 sont revenus sur cette impunit aprs quelques scandales

    financiers de la fin du XIXe sicle. Ces dispositions concernaient nanmoins essentiellement

    le cas de la socit en difficult : les sanctions pesant personnellement sur le dirigeant de la

    socit dbitrice furent renforces et lon vit apparatre la possibilit de mettre sa charge le

    passif social. La volont de responsabiliser les dirigeants sociaux sest galement traduite par

    une rforme du mode de gouvernement des entreprises dinspiration germanique : la

    conscration dun seul et unique dirigeant social pour viter une dilution du pouvoir et donc

    de la responsabilit.

    Cette rforme lgale sest accompagne dune volution jurisprudentielle. Les magistrats

    ont, partir des annes quarante, adopte une vision finaliste du pouvoir directorial.

    Dsormais, lexercice dun pouvoir attribu lgalement ou statutairement ne doit plus tre

    dtourn au profit de son titulaire sous peine de sanctions, au moins civiles.

    Les crises conomiques qui se succdrent partir des annes soixante-dix ont pourtant

    entrain un retour en arrire et un recul de la responsabilisation des dirigeants qui sest

    11 A. CABANIS et M.-L. MARTIN, Le juge et lentrepreneur : perspective historique , in Tous responsable, J. Igalens (dir.),

    Ed. dOrganisation 2004, p. 9 12 J. BISSILA, Lvolution des conceptions relatives la responsabilit des dirigeants de socits commerciales des

    codifications napoloniennes nos jours, thse Orlan 1996

  • Introduction

    - 18 -

    traduite notamment par lapparition de la notion de faute dtachable au profit de ces derniers.

    Paradoxalement, ces trente dernires annes ont vu se dvelopper la corporate governance,

    lide que laction des dirigeants devait tre troitement encadre et surveille, et le sentiment

    gnral dimpunit des dirigeants sociaux que lon voit sauter de lentreprise en difficult

    fermement accrochs leur parachute dor. Cette dresponsabilisation croissante est dautant

    plus contestable que dans le mme temps, celui qui tait charg de surveiller la gestion sociale

    a vu la judiciarisation du contentieux relatif sa mission exploser.

    5. La responsabilit du fait du contrle-surveillance. Si le conseil dadministration et le

    conseil de surveillance ont bnfici de limmunit qui profitait aux dirigeants sociaux, un

    autre organe de contrle a vu sa responsabilit de plus en plus souvent mise en cause : cest le

    commissaire aux comptes.

    Laudit lgal des comptes remonte au XVIIIe sicle avec le contrle des livres de comptes

    de la Compagnie des Indes13. La loi de 1867, qui la premire fixe vritablement le contour de

    la mission des commissaires aux comptes, calque leur responsabilit sur celle du mandataire.

    Nanmoins, bnvoles, ne disposant ni de la comptence, ni des moyens ncessaires

    laccomplissement de leur mission, ils ne voient quasiment jamais leur responsabilit

    engage. A partir des annes trente, la mission va se professionnaliser. En 1927 est cr un

    brevet dexpert-comptable puis partir de 1936 le commissariat aux comptes ne sera plus

    accessible quaprs un examen technique. Les mises en causes des commissaires restent

    pourtant trs rares. La Loi de 1966 consacre pleinement la mission du contrleur lgal des

    comptes qui a dsormais pour mission de certifier ces derniers mais aussi de surveiller et de

    dresser des rapports sur les actes des dirigeants les plus importants. Les annes qui ont suivi

    ont vu se dvelopper le contentieux relatif la responsabilit des commissaires aux comptes

    tel point que ces derniers ont soulev les difficults de lexercice de leur mission et les risques

    que cette responsabilisation croissante faisait naitre.

    Si laudit lgal est en premire ligne pour affronter le retour de la responsabilisation des

    affaires, les autres contrleurs ne sont pas loin derrire. Les dirigeants eux-mmes voient leur

    immunit seffriter. Si depuis une trentaine dannes des voix slvent pour rclamer un

    retour une certaine moralisation des affaires, la crise conomique mondiale que nous

    traversons depuis la crise des subprimes de 2007, a acclr la cristallisation des questions de

    responsabilit du fait du contrle.

    13 sur lhistoire du commissariat aux comptes, V. Y. FOOS, Histoire et volution du commissariat aux comptes dans la socit

    anonyme franaise, thse Nancy 2001

  • Introduction

    - 19 -

    6. Le renouveau de la responsabilit du fait du contrle. La doctrine a t sans doute lune

    des premires smouvoir de ce recul de la responsabilit des dirigeants sociaux. Depuis une

    vingtaine dannes, elle appelle un retour dune certaine morale des affaires14. Lide que la

    socit nest pas la chose des parties mais intressait lintrt gnral faisait son chemin.

    Certains auteurs ont alors milit pour une rhabilitation de la responsabilit civile des

    dirigeants sociaux 15. A linverse, les commissaires aux comptes soulvent aujourdhui le

    risque que fait peser sur le monde des affaires la multiplication des contentieux les

    concernant. Dans le mme temps, la crise de la dette publique a mis en avant le rle majeur, et

    jusque-l discret, des agences de notation dans le systme conomique international : pouvoir

    grandissant non assorti de responsabilit. Enfin, les diffrents accidents industriels majeurs,

    AZF en France, Fukushima au Japon, ont fait prendre conscience de limportance que revtait

    aujourdhui le contrle environnemental.

    Le renouveau de la question du contrle et de la responsabilit des acteurs de la vie sociale

    est parfaitement illustr par les travaux rcents de la Commission europenne. Depuis 2006,

    elle a lanc plusieurs consultations : Responsabilits du conseil dadministration et

    amlioration de linformation en matire financire et de gouvernement dentreprise ,

    Cadre de la gouvernance dentreprise , Responsabilit des contrleurs des comptes ,

    Consultation sur la politique en matire daudit . Elle a galement dress plusieurs

    rapports sur Le rle des agences de notation de crdit , qui ont conduit ldiction de

    rglements et normes techniques. Elle a mis en place un systme communautaire de

    management environnemental et daudit (EMAS) Le contrle de la socit, le cadre de sa

    ralisation et la responsabilit qui en dcoule sont donc au cur des proccupations de la

    Commission europenne et plus largement des institutions internationales.

    7. Problmatique. Devant ce renouveau de la question de la responsabilit des acteurs du

    monde des affaires, la question se pose de lunit qui la traverse. Les diffrents intervenants

    dans la vie sociale, quils dirigent ou quils surveillent, rpondent-ils un mme rgime de

    responsabilit ? Assurment non si lon sarrte au droit positif, dabord parce que le contrle-

    direction et le contrle-surveillance trouvent leur fondement soit dans la loi, soit dans un

    contrat, soit mme dans un comportement de fait.

    Pour dresser un tat des lieux sommaires du contrle social et de son encadrement lgal,

    commenons par le cas des titulaires dun contrle-direction. Les organes lgaux de direction

    14 V. par exemple PH. LE TOURNEAU, Lthique des affaires et du management au XXIe sicle, Dalloz 2000 P. DIENER,

    Ethique et droit des affaires , D. 1993, p. 17 - 15 F. DESCORPS DECLERE, Pour une rhabilitation de la responsabilit civile des dirigeants sociaux , RTD com. 2003, p. 25

  • Introduction

    - 20 -

    disposent dun pouvoir de contrle trs tendu en vertu de la loi. Ils ont tout pouvoir pour agir

    au nom de la socit. Sils savrent dfaillants, la justice pourra leur substituer un ventuel

    administrateur provisoire, il en va de mme si la socit est en procdure collective16. Dans

    les deux cas, le pouvoir de direction va tre encadr par la dcision du juge : il peut ntre que

    partiel. Les organes de direction peuvent galement dcider de dlguer, leur convenance,

    une partie de leur pouvoir un salari. Enfin, un tiers peut simmiscer dans la gestion sociale

    et agir en qualit de dirigeant de fait. Pour une mme dcision fautive, la responsabilit de ces

    diffrents dirigeants, de droit ou de fait va pourtant reposer sur des fondements diffrents :

    soit sur un texte spcial du code de commerce, soit sur un texte spcial du Code civil, soit sur

    le droit commun de la responsabilit contractuelle, soit encore sur le droit commun de la

    responsabilit civile.

    Le mme problme se pose en matire de contrle-surveillance. Les organes spcifiques de

    contrles voient ltendue de leur mission fixe par la loi. Il en va de mme pour leur

    responsabilit qui repose sur plusieurs textes du Code de commerce. Lassemble gnrale

    dispose galement de prrogative de contrle dorigine lgale mais sa responsabilit sera

    engage sur le fondement de larticle 1382 du Code civil. Les institutions publiques de

    contrle (AMF, ACP, Autorit de la concurrence, Prfet) agissent, elles aussi, en vertu de

    la loi. Leur responsabilit repose par contre sur les rgles de la responsabilit administrative.

    Enfin, les contrleurs contractuels (auditeur, agence de notation, banque) agissent en vertu

    dun contrat pass soit avec la socit, soit avec un tiers. Cest cet acte qui dfinit le cadre de

    leur mission et leurs moyens. Cest donc sur le fondement contractuel quils engagent leur

    responsabilit lgard de leur cocontractant et sur le fondement dlictuel quils rpondent de

    leur contrle lgard des tiers.

    Le contrle trouve son fondement dans une grande varit de sources et la responsabilit

    quil fait naitre repose galement sur de multiples fondements. A lheure o la responsabilit

    du fait du contrle social apparat comme une question cruciale dans le monde des affaires,

    une telle complexit est-elle rellement justifie ? Nest-il pas possible de rduire le contrle

    une seule et mme opration ? Si oui, est-il envisageable de restituer un minimum de

    cohrence la cacophonie qui rgne au sein des diffrents rgimes de responsabilit pesant

    sur les acteurs du contrle ?

    8. Annonce de plan. En nous livrant une analyse dtaille des fonctions respectives des

    diffrents organes sociaux, nous verrons quen ralit le contrle-direction et le contrle-

    16 on parlera alors dadministrateur judiciaire

  • Introduction

    - 21 -

    surveillance se rejoignent en une dfinition unitaire du contrle. Nous constaterons alors que

    cette dfinition sapplique tous les intervenants dans la vie sociale et permet dcarter de

    toute responsabilit du fait du contrle les personnes qui ne sont titulaires que dun simple

    droit linformation.

    Si le contrle doit tre conu comme une seule et mme opration, la question se pose

    alors du bien fonde de la multitude de rgimes de responsabilit qui pse sur les titulaires

    dune mission de contrle. Il sagira cette fois dtudier en dtail les conditions et le rgime

    de leur responsabilit. Nous constaterons alors que par del les divergences de rgime, les

    conditions de mise en jeu de cette dernire : la faute, le dommage et le lien de causalit, sont

    identiques, quel que soit son fondement. Nous pourrons alors critiquer les ingalits de

    rgimes de responsabilit pesant sur les dirigeants et les contrleurs et proposer un retour

    une certaine cohrence par une rvision, somme toute peu difficile, de la responsabilit du fait

    du contrle.

    Partie 1 : La notion de contrle

    Partie 2 : La responsabilit du fait du contrle

  • - 23 -

    PARTIE 1 :

    LA NOTION DE CONTROLE

  • - 25 -

    Le contrle, en droit des socits, sentend gnralement du pouvoir dont dispose la socit

    mre sur sa filiale ou de la mission daudit lgal du commissaire aux comptes. Pourtant, cette

    notion de contrle au sens commun est plus riche. Elle dsigne soit le pouvoir de maitrise et

    de direction quun individu peut exercer sur une chose ou une personne (voire soi-mme), soit

    le pouvoir de surveillance du comportement de cette chose ou de cette personne. Il existe

    donc un pouvoir de contrle-direction et un pouvoir de contrle-surveillance.

    En tudiant les droits et pouvoirs respectifs des organes sociaux, il est pourtant possible de

    constater que cette dichotomie nen est pas une. En ralit, lacte de contrle-direction et

    lacte de contrle-surveillance ne sont pas si loigns lun de lautre quand bien mme lun

    sexercerait sur lautre. Le contrle peut tre dfini de faon unitaire et ne dsigner quune

    seule et mme opration. Les organes de direction et de surveillance exercent tous un contrle

    social. Ce qui va les diffrencier, cest le caractre actif ou passif de leur mission.

    Aprs avoir dfini la notion unitaire de contrle, nous pourrons ltendre aux diffrents

    intervenants dans la vie sociale. En effet, comme nous lavons dj dit, la socit nest pas

    isole. Les interactions quelle a avec les tiers sont de plus en plus nombreuses et pour le bon

    fonctionnement social mais aussi Social17, le lgislateur et les cocontractants de la socit

    disposent parfois dun pouvoir de contrle sur la socit. Dautres sarrogent parfois ce

    pouvoir en dehors de toute prescription lgale. Ce contrle de fait est essentiellement le

    contrle du dirigeant de fait.

    Ltude de lapplication de la notion unitaire de contrle aux tiers intresss va galement

    permettre de distinguer ceux qui disposent dun vritable pouvoir de contrle, finalis, et ceux

    qui en ralit nont quun simple droit linformation.

    Chapitre 1 : La dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le

    contrle organique

    Chapitre 2 : Lapplication de la dfinition unitaire du contrle

    17 de la socit civile dans son ensemble

  • - 27 -

    CHAPITRE 1 :

    DEFINITION DU CONTROLE AU REGARD

    DES ATTRIBUTIONS DES ORGANES SOCIAUX :

    LE CONTROLE ORGANIQUE

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 29 -

    La dichotomie de la notion de contrle se retrouve en droit des socits dans ltude des

    organes sociaux. Certains organes de la socit ont vocation dcider de ses actes : ils vont

    grer , diriger , administrer la socit. Ce faisant, ils disposent de la matrise de la

    personne morale, parfois mme sans la reprsenter. Il sagit des dirigeants sociaux : les

    directeurs gnraux, les grants, les administrateurs Dautres organes de la socit nont t

    conus que pour surveiller les actes des premiers. Ce sont des organes de surveillance :

    lassemble gnrale, le conseil de surveillance, le conseil dadministration et le commissaire

    aux comptes. Ltude des attributions de ces organes permettra de dgager les diffrents sens

    que la loi, la jurisprudence et la doctrine donnent au mot contrle et le pouvoir quil

    confre ses titulaires.

    Nous reviendrons ensuite au mot contrle lui-mme. Ltude smantique de cette

    notion nous permettra den donner une dfinition unitaire. Le contrle est la recherche de

    ladquation dun rle et dun contre-rle . Nous transposerons cette dfinition aux

    diffrents organes sociaux prcdemment tudis pour qualifier ce que seront en droit des

    affaires ce rle et ce contre-rle . Cela confirmera que le contrle est bien une notion

    unitaire qui saffranchit aisment de la distinction direction - surveillance . Nous

    verrons alors que la diffrence entre les dirigeants, que nous qualifierons de contrlaires et

    les surveillants, les contrleurs , ne se situe pas dans le type de mission de contrle qui leur

    est confie mais sur le caractre actif ou passif de leur contrle. Enfin, nous constaterons que

    le contrle a pour particularit dtre finalis, sanctionn. Il entraine au profit ou la charge

    de celui qui lexerce des droits ou des obligations. Cest ce qui le distingue du simple droit

    linformation.

    Section 1 : Les diffrentes acceptions juridiques de la notion de contrle

    Section 2 : La notion unitaire de contrle

  • - 31 -

    SECTION 1 : LES DIFFERENTES ACCEPTIONS JURIDIQUES DE LA NOTION

    DE CONTROLE

    Le mot contrle peut tre utilis pour dsigner soit laction des dirigeants, soit le

    pouvoir des associs sur la socit, soit encore la mission ou le droit de surveillance exerc

    par les organes de contrle de la socit sur les actes des dirigeants. Nous ne pouvons pas

    ignorer ces diffrents sens donns au mot contrle .

    Le contrle des dirigeants est un contrle actif. Ils ont pour mission principale de conduire

    laction sociale, de prendre toutes les dcisions de gestion et dadministration utiles la

    ralisation de lobjet social. Il sagira donc dans un premier temps dtudier ltendue exacte

    de cette mission afin dtablir quelles sont les lments caractristiques du contrle-

    directoral. Quentend-on par direction de la socit ?

    Dans un deuxime temps, nous nous intresserons au rle tenu par les associs. A premire

    vue, la socit est leur bien. Il semblerait donc vident quils disposent de prrogatives

    particulires quant lorientation quils souhaitent donner la gestion sociale. Nous verrons

    pourtant que les associs ne disposent que de droits trs limits en ce domaine, voire

    inexistants. Ils nont que le pouvoir de dfinir le cadre du contrle-direction. Lessentiel de

    leurs droits leur permet surtout dtre les premiers contrleurs de la socit : dexercer un

    contrle-surveillance sur laction des dirigeants. Dans certaines formes sociales, ils sont

    parfois seconds dans cette mission des organes spcifiques de contrle-surveillance que nous

    tudierons dans un troisime temps.

    Sous-section 1 : Le contrle-direction par les dirigeants

    Sous-section 2 : Le contrle-surveillance par les associs

    Sous-section 3 : Le contrle-surveillance par les organes de surveillance

    SOUS-SECTION 1 : LE CONTROLE-DIRECTION PAR LES DIRIGEANTS

    9. Lusage du mot contrle au sens de direction. Le mot contrle au sens de

    direction de la socit nest pas employ par le lgislateur ni mme par la jurisprudence. Il est

    utilis par la doctrine, mais son usage reste trs rare en ce sens. Vanhaecke fait partie de ses

    rares auteurs lemployer. Il utilise la notion de contrle directorial pour dsigner

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 32 -

    laction des directeurs et administrateurs de socits18. On peut galement penser que cest

    dans ce sens que Monsieur Champaud utilise ce terme lorsquil crit : Ladministration de

    la socit anonyme, qui incombe thoriquement la collectivit des actionnaires gaux en

    droit, a chu en fait un petit nombre dentre eux, ceux qui la contrlent et qui sigent, ou

    qui sont reprsents, au conseil dadministration 19.

    Dun point de vue purement smantique, rien ne semble nanmoins sopposer ce que le

    terme contrle soit utilis pour dsigner le pouvoir de gestion des dirigeants de socits20.

    Ltude du contrle-direction doit donc se faire en exploitant les travaux raliss sur la

    direction de socit.

    10. La notion de dirigeant. Au contraire, le terme dirigeant est trs frquemment utilis

    en droit des socits21 sans pour autant faire lobjet dune vritable dfinition lgale22. Selon

    Monsieur Gibirila, il existe plusieurs conceptions doctrinales possibles, plus ou moins

    extensives, de la notion de dirigeant23. Dans le sens le plus troit, seront considres comme

    dirigeants uniquement les personnes investies du pouvoir de direction de la socit, par

    opposition au pouvoir dadministration. Est dirigeant celui qui dispose de la facult de

    prendre une dcision et de la faire excuter par le personnel subalterne . On peut ensuite

    adopter une vision plus large de la qualit de dirigeant en lappliquant tout reprsentant de

    la personne morale investi dun quelconque pouvoir dadministration24, de gestion ou de

    direction dans une entreprise 25. Enfin, dans une conception plus extensive, le terme de

    dirigeant peut sappliquer toute personne qui dtient ou exerce officiellement, donc

    lgalement, de manire continue ou temporaire, tout ou partie des pouvoirs dadministration,

    18 M. VANHAECKE, Les groupes de socits, LGDJ 1959, spc. p. 115 19 CL. CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration de la socit par actions, Sirey 1962, spc. n 26 p. 25 20 V. infra n 98 21 V. par ex. pour la doctrine : M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des socits, Litec, 24e d., 2011, spc. p. 129 -

    D. VIDAL, Droit des socits, LGDJ, 7e d. 2010, spc. p. 203 : ces auteurs utilisent le terme de dirigeant comme intitul de section ou de chapitre Pour le droit positif : propos du RCS, article L. 123-5-1 al. 1er du Code de commerce : A la demande de tout intress ou du ministre public, le prsident du tribunal, statuant en rfr, peut enjoindre sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procder au dpt des pices et actes au registre du commerce et des socits auquel celle-ci est tenue par des dispositions lgislatives ou rglementaires - ou encore pour la procdure dalerte, article L. 234-2 al. 1er du Code de commerce : Dans les autres socits que les socits anonymes, le commissaire aux comptes demande au dirigeant, dans des conditions fixes par dcret en Conseil dEtat, des explications sur les faits viss au premier alina de larticle L. 234-1. Le dirigeant est tenu de lui rpondre sous quinze jours Enfin, pour la jurisprudence : Cass. ass. pln., 31 mars 1995, n 92-15077 : Bull. Joly Socits 1995, p. 780, note M. JEANTIN : Mais attendu que, le jugement ordonnant la cession totale des actifs des socits ayant t prononc le 13 mars 1987, larticle 1844-7.7 du Code civil, dans sa rdaction rsultant de la loi du 5 janvier 1988, ntait pas applicable en la cause ; que, ds lors, les socits ntaient pas dissoutes et que leurs dirigeants avaient le pouvoir de les reprsenter en justice ; que par ce motif de pur droit, substitu celui de la cour dappel, larrt se trouve lgalement justifi de ce chef

    22 A. PAUGET-BEYDON, La notion de dirigeant de groupement, thse Toulouse I, 2004, spc. n 7 p. 17 23 D. GIBIRILA, Le dirigeant de socit, Litec 1995, spc. n 7 et s. p. 8 et s. : pour cet auteur, le terme administration

    sentend au sens organique : il sagit de laction des membres du conseil dadministration 24 Au sens fonctionnel 25 Pour une dfinition des termes administration , gestion et direction , V. infra n 15

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 33 -

    de gestion ou de direction de la socit . Cela exclut les dirigeants de fait dont limmixtion

    dans la direction de la socit nest pas justifie lgalement26.

    Si lon adopte cette vision extensive, laquelle repose sur la seule analyse de la loi, la notion

    de dirigeant de socit dsigne donc en pratique les grants de socits civiles, de SNC, de

    SCS, de SCA et de SARL, les directeurs gnraux, directeurs gnraux dlgus, membres du

    conseil dadministration et du directoire de SA et de socits europennes, ainsi que les

    prsidents et directeurs gnraux de SAS. Sagissant du conseil dadministration et du

    directoire, seuls leurs membres doivent tre qualifis de dirigeants, et non lorgane lui-mme.

    En effet, selon la jurisprudence, le conseil dadministration nest pas dot de la personnalit

    morale27. Il ny a pas dcran entre lorgane et ses membres28. Larticle 106, 3 de la loi NRE

    du 15 mai 2001 avait pourtant confr son prsident le pouvoir de reprsenter le conseil, ce

    qui lui confrait implicitement la personnalit morale. Il sagissait dune volont expresse du

    gouvernement29. Larticle 117-1 de la Loi de scurit financire du 1er aot 2003 est revenu

    sur cette disposition, consacrant le refus de confrer la personnalit juridique au conseil. En ce

    qui concerne le directoire, dans le silence des textes et en labsence de jurisprudence, on ne

    peut que se fonder sur labsence de reprsentation du directoire par son prsident, lequel

    reprsente la socit, pour en dduire que, tout comme le conseil dadministration, il ne

    dispose pas de la personnalit morale

    26 Il convient, ce stade de la rflexion, dexclure ce dirigeant de fait afin de ntudier que le cadre de la direction lgale de

    la socit. Nanmoins, la substitution de fait des dirigeants sociaux fera lobjet dune examen plus approfondi dans le chapitre 2 : V. infra n 193 et s.

    27 Cass. com., 3 oct. 2006, n 05-12410 : RTD com. 2007, p. 164, note P. LE CANNU ; Rev. socits 2007, p. 117, note PH. MERLE ; RJDA 2007 n 170 ; D. 2006, p. 2670, note A. LIENHARD ; Bull. Joly Socits 2007, p. 33, note J.-F. BARBIERI : le conseil dadministration, sil a qualit, aux termes des articles L. 225-233 du Code de commerce et 188 du dcret du 23 mars 1967, pour dcider le relvement des fonctions de commissaire aux comptes de la socit, doit, en labsence de personnalit morale, agir en justice par lintermdiaire du reprsentant lgal de la socit

    28 V. par ex. Cass. com., 11 oct. 1988, n 87-14116 : Bull. Joly Socits 1988, p. 953 : dans un jugement relatif aux dispositions fiscales sur les biens professionnels non pris en compte pour lassiette de limpt sur les grandes fortunes, le tribunal avait retenu que la qualit de membre du conseil dadministration ne peut elle seule tre considre comme une fonction de direction, de gestion ou dadministration au sens de la loi fiscale et quun administrateur na pas de pouvoir personnel dans la socit . La Cour de cassation casse le jugement au motif que les dispositions de larticle prcit [885-0-4 ancien du CGI] sappliquaient Mme X... en qualit de membre du conseil dadministration appele participer sous sa responsabilit lexercice des fonctions dadministration attribues par la loi cet organisme social

    29 E. BESSON, Rapp. AN n 2864, 2000-2001, sur le projet de loi relatif aux nouvelles rgulations conomiques, spc. p. 156 : Ce dernier [le Snat] a en effet supprim la fonction de reprsentation du prsident du conseil dadministration, au motif quil est impossible de reprsenter un organe social, tel le conseil dadministration, qui na pas de personnalit morale. Le Gouvernement a donn un avis dfavorable cette suppression, car elle rduit trop le rle du prsident du conseil dadministration. Votre Rapporteur partage cette analyse. Il ressort certainement du rle du prsident du conseil dadministration de sexprimer au nom de ce dernier. La fonction de reprsentation simpose. Votre Rapporteur vous propose donc de rintroduire cet lment

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 34 -

    Les membres du conseil de surveillance nont pas la qualit de dirigeant30. En effet, la loi

    leur attribue expressment une mission de contrle de la gestion de la socit31. Il leur est

    interdit de simmiscer dans cette gestion32.

    11. Direction et reprsentation. Ces dirigeants de la socit sont pour la plupart

    lgalement en charge de reprsenter la personne morale. Cest le cas pour les grants de

    socits civiles, de SNC, de SCS33, de SCA et de SARL, les directeurs gnraux, directeurs

    gnraux dlgus34 et le prsident du directoire des SA35 et des socits europennes36, ainsi

    que les prsidents37 et directeurs gnraux ou directeurs gnraux dlgus38 de SAS.

    Nanmoins, il est intressant de noter que la qualit de dirigeant est indpendante du pouvoir

    de reprsentation, certains organes se trouvant dots du pouvoir de gestion de la socit sans

    en tre les reprsentants lgaux. Le contrle-direction est donc indpendant de toute ide de

    reprsentation.

    Paragraphe 1 : Le contrle-direction par les reprsentants de la socit

    Paragraphe 2 : Le contrle-direction par les organes non dots du pouvoir de

    reprsentation : la distinction entre reprsentation et direction

    30 Rp. min. n 8732, JO Snat Q. 19 avril 1990, p. 876 : Larticle 12, alina 2, de la loi du 24 juillet 1966, applicable par

    renvoi des articles 24 et 251 aux socits en nom collectif et en commandite, soumet les dirigeants de la personne morale grant une telle socit aux "mmes responsabilits civile et pnale que sils taient grants en leur nom propre, sans prjudice de la responsabilit solidaire de la personne morale quils dirigent". Dans lhypothse o cette personne morale est une socit anonyme, la notion de dirigeant doit alors sentendre des membres du conseil dadministration ou du directoire, chargs aux termes des articles 89 et 119 de la loi dadministrer et de diriger la socit, mais non des membres du conseil de surveillance. Cet organe, en effet, nest investi daucune fonction de direction mais exerce, par application de larticle 128, le contrle permanent de la gestion de la socit par le directoire V. galement Cass. com., 12 juill. 2005, n 03-14045 : Bull. civ. 2005, IV n 174 ; JCP E 2005, p. 2163, note J.-J. CAUSSAIN, F. DEBOISSY et G. WICKER ; Bull. Joly Socits 2006, p. 22, note B. SAINTOURENS ; Dr. socits 2005, comm. 175, note J.-P. LEGROS ; D. 2005, p. 2071, note A. LIENHARD ; Rev. socits 2006, p. 162, note F.-X. LUCAS ; JCP E 2006, 1066, note Ph. PETEL et M. CABRILLAC : Attendu quen se prononant par de tels motifs impropres caractriser en quoi les consorts X... avaient, en dehors de lexercice de leur mission de membres du conseil de surveillance, en fait, exerc, sparment ou ensemble, et en toute indpendance, une activit positive de direction dans la socit, la Cour dappel na pas donn de base lgale sa dcision - Contra : A. PAUGET-BEYDON, La notion de dirigeant de groupement, prc., spc. n 724 p. 359

    31 article L. 225-68 du Code de commerce : Le conseil de surveillance exerce le contrle permanent de la gestion de la socit par le directoire - V. infra n 65

    32 Ph. MERLE, Droit commercial, Socits commerciales, Dalloz, 15e d. 2012, spc. n 451 p. 551 33 dans ces trois formes sociales, le lgislateur emploie la mme expression : Dans les rapports avec les tiers, le grant

    engage la socit par les actes entrant dans lobjet social : articles 1849 du Code civil, L. 221-5 et L. 222-2 du Code de commerce (renvoyant larticle L. 221-5)

    34 la formule change. Dans ces socits, le grant, le directeur gnral ou le directeur gnral dlgu est investi des pouvoirs les plus tendus pour agir en toute circonstance au nom de la socit : articles L. 226-7, L. 223-18 et L. 225-56 du Code de commerce

    35 article L. 225-66 du Code de commerce : Le prsident du directoire ou, le cas chant, le directeur gnral unique reprsente la socit dans ses rapports avec les tiers

    36 article L. 229-7 du Code de commerce renvoyant aux dispositions relatives la SA 37 article L. 227-6 al. 1er du Code de commerce : La socit est reprsente lgard des tiers par un prsident dsign

    dans les conditions prvues par les statuts 38 article L. 227-6 al. 3 du Code de commerce: Les statuts peuvent prvoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs

    personnes autres que le prsident, portant le titre de directeur gnral ou de directeur gnral dlgu, peuvent exercer les pouvoirs confis ce dernier par le prsent article

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 35 -

    PARAGRAPHE 1 : LE CONTROLE-DIRECTION PAR LES REPRESENTANTS DE LA

    SOCIETE

    Le droit positif dfinit diffremment les prrogatives des dirigeants reprsentant la socit

    en fonction de la forme sociale. De mme, la doctrine ne donne pas une dfinition uniforme

    sagissant de ces pouvoirs et la comptence des dirigeants fait donc lobjet de dfinitions

    floues. Il sagira donc dans un premier temps dtudier les attributions directoriales des

    reprsentants lgaux de la socit (A).

    Il nest pas possible dtudier la mission des reprsentants lgaux de la socit sans

    sintresser au cadre de celle-ci. Il nous faudra donc tudier dans un deuxime temps les

    limites du pouvoir des dirigeants reprsentant la socit (B).

    A : LES ATTRIBUTIONS DIRECTORIALES DES REPRESENTANTS LEGAUX DE LA SOCIETE

    Le Code civil et le Code de commerce dfinissent de plusieurs faons la mission de

    contrle-direction des dirigeants de socit selon la forme sociale. En ralit, il semble quil

    ny ait pas de raison dattribuer des comptences plus tendues certains dirigeants plutt

    qu dautres. A linverse, la doctrine est beaucoup plus divise sur le sens quil faut donner

    la dfinition lgale du pouvoir des dirigeants. Il faudra donc tudier cette dfinition lgale (1)

    avant den dgager une interprtation doctrinale (2).

    1 : La dfinition lgale et jurisprudentielle du contrle-direction

    12. Dfinition lgale. La loi utilise deux formules pour dsigner les pouvoirs gnraux

    des organes dirigeants reprsentant la socit. Les grants de socits civiles, de SNC, de SCS

    et de SARL, dans les rapports entre associs et dfaut de disposition statutaire particulire,

    sont comptents pour accomplir tous actes de gestion dans lintrt de la socit 39. De

    leur cot, les directeurs gnraux et directeurs gnraux dlgus de SA et de socits

    europennes, les grants de SCA, les prsidents, directeurs gnraux ou directeurs gnraux

    de SAS et les grants de SARL, dans les rapports avec les tiers, disposent des pouvoirs les

    plus tendus pour agir en toute circonstance au nom de la socit 40.

    39 articles 1848 du Code civil, L. 221-4, L. 222-2 et L. 223-18 du Code de commerce 40 articles L. 225-56, L. 229-7, L. 226-7, L. 227-6 et L. 223-18 du Code de commerce

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 36 -

    Doit-on admettre une distinction entre ces formulations ? En faveur dune spcificit du

    sens de chacune, Madame Pauget-Beydon41 relve que le grant de SARL est comptent pour

    tous actes de gestion dans lintrt de la socit 42 dans les rapports entre associs, tandis

    que dans les rapports avec les tiers il dispose des pouvoirs les plus tendus pour agir en

    toute circonstance au nom de la socit 43. Le lgislateur semble donc donner un contenu

    diffrent chacune de ces attributions. Nanmoins, la dfinition des pouvoirs du grant de

    SARL a t modifie par la Loi de 1966. Larticle 24 de la Loi du 7 mars 1925 disposait que

    sauf stipulation contraire des statuts [] les pouvoirs pour agir au nom de la socit en

    toutes circonstances . La loi de 1966 a procd par renvoi aux dispositions relatives la

    SNC44. Le grant de SARL peut accomplir tous actes de gestion . Daprs les travaux de

    la commission des lois de lAssemble nationale, la Loi de 1966 dtermine ltendue des

    pouvoirs du grant dans les rapports entre associs sans apporter dinnovation importante

    aux rgles rsultant de la Loi du 7 mars 1925 45. Le lgislateur lui-mme semble donc ne pas

    faire de distinction entre ces deux formules. En outre, comme le relve Madame Pauget-

    Beydon, il ne semble pas y avoir de logique dans leurs domaines dapplication46.

    Si lon doit gnraliser la rflexion, les expressions tous actes de gestions et pouvoirs

    les plus tendus font toutes deux rfrence la plnitude des pouvoirs des dirigeants. Dans

    les deux cas, elles laissent entendre que lomnipotence est le principe. Elles ont donc le mme

    sens. En outre, la loi renvoie lintrt de la socit ou lide de reprsentation de la

    socit. Or, le dirigeant est bien tenu dagir dans lintrt de la socit quil reprsente47. L

    encore, les deux expressions sont synonymes. Ainsi, quelle que soit la formulation utilise

    pour dsigner les pouvoirs de contrle-direction dun dirigeant, le sens que lon doit lui

    donner est identique.

    13. Dfinition jurisprudentielle. La jurisprudence ne semble pas non plus faire de

    distinction particulire. Elle rattache la qualit de dirigeant le pouvoir de gestion, de

    direction et dadministration de la socit sans dfinir ces termes. Pour retenir la qualit de

    dirigeant de fait, elle relve par exemple que ce dernier exerait la direction et la gestion de

    41 A. PAUGET-BEYDON, La notion de dirigeant de groupement, prc., spc. n 115 p. 58 42 article L. 221-4 sur renvoi de lart. L. 223-18 du Code de commerce 43 article L. 223-18 du Code de commerce 44 R. ROBLOT, Les socits commerciales ; commentaire de la loi du 24 juillet 1966, LGDJ 1968, spc. n 967, p. 508 45 Cit par M. HAMIAUT, La rformes des socits commerciales, loi n 66-537 du 24 juillet 1966, t. I, Dalloz 1966, spc.

    p. 64 46 A. PAUGET-BEYDON, La notion de dirigeant de groupement, prc., spc. n 116 p. 59 47 Sur le lien entre contrle-direction et intrt social : V. infra n 136

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 37 -

    la socit en toute indpendance et souverainet 48, ou quil dtenait tous les pouvoirs

    dadministration, bien au-del de ceux dun directeur technique consultant 49.

    Si lon peut saccorder pour une identit de sens des formules dsignant les pouvoirs des

    dirigeants de socits en droit positif, la dfinition de ces pouvoirs est pourtant loin de faire

    lunanimit au sein mme de la doctrine.

    2 : La dfinition doctrinale des pouvoirs de contrle-direction des dirigeants

    14. Dfinitions classiques. On peut tenter de dfinir les pouvoirs de contrle-direction des

    dirigeants par rfrence la nature des actes quils sont en droit de faire. Ainsi, une partie de

    la doctrine estime que les organes dirigeants de la socit sont comptents pour tous les actes

    dadministration et la plupart des actes de disposition ds lors que ces derniers ne remettent

    pas en cause la ralisation de lobjet social50. Dautres auteurs contestent cette dfinition en

    relevant que les concepts civilistes dactes de disposition et dadministration sont insuffisants

    pour dfinir les contours des pouvoirs des dirigeants. Pour ces derniers, lacte

    dadministration ne peut tre ici caractris par sa nature juridique pour tre oppos lacte

    de disposition, car le grant est oblig de faire des actes de disposition, notamment de vendre

    des marchandises ou du matriel hors dusage 51.

    Les pouvoirs des dirigeants ne devraient pas tre dfinis au regard de la nature de lacte en

    cause mais en fonction de la gravit intrinsque des actes quils sont autoriss accomplir52.

    Les actes graves relveraient de la comptence de lassemble gnrale et ne seraient donc

    pas des actes de gestion53. Une telle dfinition impose une apprciation conomique de

    lacte et la prise en compte de facteurs lis par exemple la nature de lactivit de la socit

    ou sa taille54.

    48 Cass. com., 6 janvier 1998, n 95-18478 : Bull. civ. 1998, n 6 ; JCP G 1998, II, 10068, note J.-J. DAIGRE ; BRDA 1998,

    n 18, p. 4 49 CA Toulouse, 19 nov. 2007, n 06/05447 : Jurisdata n 2007-348681 50 P. ET PH DIDIER, Droit commercial, t. 2, Les socits commerciales, Economica 2011, spc. n 271 p. 230 - Y. GUYON,

    Droit des affaires, t. I, Droit commercial gnral et socits, Economica, 12e d. 2003, spc. n 265 p. 268 - M. DE JUGLART, B. IPPOLITO par J. DUPICHOT, Cours de droit commercial, t. 2 ,Les socits commerciales, Montchrestien, 10e d. 1999, spc. n 210-b - Ph. MERLE, Droit commercial, Socits commerciales, prc. spc. n 139 p. 176 - J. LEBLOND, Les pouvoirs respectifs de lassemble gnrale, du conseil dadministration, du prsident, et du directeur gnral adjoint dans la doctrine institutionnelle , Gaz. Pal. 1957, 1, doctr. p. 29, spc. p. 31

    51 G. RIPERT et R. ROBLOT, par M. GERMAIN et V. MAGNIER, Trait de droit de affaires, t. 2, Les socits commerciales, LGDJ 20e d. 2011, spc. n 1195 p. 169 V. galement PLANIOL, RIPERT et BOULANGER, Trait lmentaire de droit civil, t. 1, LGDJ, 3e d. 1946, spc. n 2184 p. 726

    52 PLANIOL, RIPERT et BOULANGER, Trait lmentaire de droit civil, t. 1, prc., spc. n 2719 p. 893 - R. SAVATIER, le rajeunissement de la tutelle franaise des mineurs , D. 1965, chron. p. 51, spc. n 22 bis p. 57

    53 M. MARTEAU PETIT, La notion dacte de gestion et le droit des socits, thse Paris II, 1992, spc. n 511 p. 377 - B. ALIBERT, La gestion, essai de dfinition juridique , LPA 26 fvr. 1997 p.10, spc. p. 14 et s.

    54 M. MARTEAU PETIT, La notion dacte de gestion et le droit des socits, prc., spc. note n 3 p. 379

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 38 -

    Nanmoins, fonder les pouvoirs des dirigeants uniquement sur la nature des actes quils

    accomplissent ou leur gravit nest pas suffisant. Il faut galement prendre en considration le

    but quils poursuivent55. Ce but varie nanmoins selon les auteurs. Pour certains, il sagit de la

    ralisation de lobjet social56, pour dautres de laccomplissement de lactivit sociale 57 ou

    encore de lintrt dfini par les associs58.

    15. Lattribution lgale des pleins pouvoirs de gestion, dadministration et de

    direction. Critiquant ces dfinitions, Madame Pauget-Beydon tente, dans sa thse, den

    proposer une troisime. Le dirigeant de socit serait dot de pouvoirs dlgus lui confrant

    souverainet et indpendance59. Ce pouvoir lui permet de prendre toutes dcisions

    stratgiques en matire de gestion, dadministration et de direction de la socit60. Il semble

    effectivement quil faille reconnatre au dirigeant une telle plnitude de pouvoir. Nanmoins,

    celle-ci trouve son fondement non dans une quelconque dlgation mais plutt dans la loi

    elle-mme.

    En effet, la dlgation est une opration tripartite : une personne titulaire de droits

    subjectifs voit ses droits mis en uvre volontairement ou involontairement par une seconde

    personne, qui ds lors devient titulaire dun pouvoir. Cette seconde personne, au lieu

    dexercer elle-mme ce pouvoir demande une troisime, en son nom mais pour le compte de

    la premire, dexercer ce pouvoir en tout ou partie 61. Pour Madame Pauget-Beydon, le

    pouvoir de gestion appartient initialement la collectivit des membres du groupement 62.

    Il sagirait donc du titulaire initial des droits subjectifs. Mais alors qui serait la seconde

    personne ? La personne morale ? Il serait prfrable, si lon suit la thorie de Madame

    Pauget-Beydon, de parler de mandat. Ce dernier se dfinit comme l acte par lequel une

    personne donne une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son

    nom 63. Mais l encore, cela ne semble pas satisfaisant. Le mandat a pour effet essentiel la

    55 PLANIOL, RIPERT et BOULANGER, Trait lmentaire de droit civil, t. 1, prc., spc. n 2184 p. 726 56 CL. BERR, Lexercice du pouvoir dans les socits commerciales, Sirey 1961, spc. n 66 p. 59 - Y. GUYON, Droit des

    affaires, t. I, Droit commercial gnral et socits, prc., spc. n 266 - Ph. MERLE, Droit commercial, Socits commerciales, prc., spc. n 139 p. 176 - G. RIPERT et R. ROBLOT, par M. GERMAIN et V. MAGNIER, Trait de droit de affaires, t. 2, Les socits commerciales, prc., spc. n 1195 p. 169 - J. LEBLOND, Les pouvoirs respectifs de lassemble gnrale, du conseil dadministration, du prsident, et du directeur gnral adjoint dans la doctrine institutionnelle , prc., spc. p. 31

    57 M. MARTEAU PETIT, La notion dacte de gestion et le droit des socits, prc., spc. p. 534 58 D. SCHMIDT, Les conflits dintrts dans les socits anonymes, Joly dition 2004, spc. n 16 p. 24 59 A. PAUGET-BEYDON, La notion de dirigeant de groupement, prc., spc. n 596 et s. p. 288 et s. 60 A. PAUGET-BEYDON, La notion de dirigeant de groupement, prc., spc. n 433 et s. p. 206 61 F. MARMOZ, La dlgation de pouvoir, Litec 2000, spc. n 284 p. 95 62 A. PAUGET-BEYDON, La notion de dirigeant de groupement, prc., spc. n 601 p. 289 63 article 1984 du Code civil

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 39 -

    reprsentation64. Or le pouvoir de contrle-direction nest pas lapanage des reprsentants de

    la socit65. On ne peut donc expliquer ltendue des prrogatives des dirigeants de la socit

    que par lattribution lgale de ces pouvoirs. La personne morale, en tant quentit autonome,

    est incapable dexprimer elle-mme son intrt. Ds lors, seule la loi peut attribuer un tiers

    le pouvoir dexprimer cet intrt66.

    Madame Pauget-Beydon, si elle se mprend sans doute sur les fondements du pouvoir

    directorial, dfinit par contre de faon pertinente les trois domaines que recouvre le contrle-

    direction : gestion, administration et direction. Ainsi, elle envisage la gestion comme

    lensemble des actes juridiques et matriels effectus dans le cadre de lentreprise,

    lexception des actes de contrle , tandis que ladministration est lensemble des dcisions

    stratgiques cest--dire des actes juridiques caractre relativement gnral ayant pour

    but dinfluer notablement sur lavenir de lentreprise , et des actes matriels visant la prise

    de dcisions stratgiques . Elle dfinit enfin la direction comme lensemble des actes

    juridiques et matriels de gestion courante et de gestion stratgique 67.

    Le pouvoir de contrle-direction des dirigeants sociaux est dfini trs largement68. Il est

    nanmoins encadr par la loi et la jurisprudence.

    B : LES LIMITES DU POUVOIR DE CONTROLE-DIRECTION DES REPRESENTANTS DE LA SOCIETE

    Quelle que soit la dfinition que lon adopte des attributions des dirigeants de socit, ces

    pouvoirs ne sont pas absolus. Ils connaissent plusieurs limites : lobjet social, la rpartition

    lgale des pouvoirs entre organes sociaux, les limitations statutaires et lintrt social.

    Nanmoins, ces limites divergent selon que lon se trouve dans lordre interne (1) ou dans

    lordre externe (2).

    1 : Dans lordre interne

    16. Principe de spcialit, objet social et clauses statutaires. Dans les rapports des

    dirigeants avec la socit et les autres organes sociaux, les limites du contrle-direction sont

    64 J. HUET, Les principaux contrats spciaux, J. GHESTIN (dir.) LGDJ 2e d. 2001, spc. n 31202 p. 1140 - PH. MALAURIE,

    L. AYNES et P.-Y. GAUTIER, Les contrats spciaux, Defrnois 5e d. 2011, spc. n 530 p. 238 - H. et L. MAZEAUD, J. MAZEAUD et F. CHABAS, Leons de droit civil, t. 2, vol. 1, Obligations, thorie gnrale, Montchrestien 9e d. 1998, spc. n 150 p. 144 V. cependant PH. DIDIER, De la reprsentation en droit priv, LGDJ 2000, spc. n 38 et s. p. 28 et s. pour qui ce nest que par un accident de lhistoire que le droit franais a li mandat et reprsentation

    65 V. infra n 27 66 V. infra n 130 67 A. PAUGET-BEYDON, La notion de dirigeant de groupement, prc., spc. n 439 p. 207, n 444 p. 209 et n 449 p. 212 68 Pour lanalyse de ltendue de ce pouvoir : V. infra n 19 et s.

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 40 -

    les mmes dans toutes les formes sociales. La premire restriction est lapplication du

    principe de sparation des pouvoirs. Il remonte lanalyse de la loi de 1867 par la doctrine et

    concerne linterdiction dempiter sur les prrogatives des autres organes sociaux69. Ce

    principe a t consacr par le clbre arrt Motte du 4 juin 194670 : Attendu, en effet, que la

    socit anonyme est une socit dont les organes sont hirarchiss et dans laquelle

    ladministration est exerce par un conseil lu par lassemble gnrale ; quil nappartient

    donc pas lassemble gnrale dempiter sur les prrogatives du conseil en matire

    dadministration . En lespce, lassemble gnrale avait attribu au prsident-directeur

    gnral lensemble des prrogatives normalement attribues au conseil dadministration. La

    seconde restriction des pouvoirs des dirigeants concerne le respect de lobjet social tel quil a

    t dcid par les associs et inscrit dans les statuts71. Enfin, les dirigeants, reprsentants

    lgaux de la socit, doivent agir dans le respect de lintrt social72.

    Les statuts peuvent aussi contenir des clauses limitant le pouvoir des dirigeants, par

    exemple en imposant laccord de lassemble gnrale pour un acte quen principe ils auraient

    pu passer seuls. Le non-respect de ces limitations de pouvoir est sanctionn politiquement : le

    dirigeant peut ainsi se voir rvoqu de ses fonctions. Ce dpassement de pouvoir peut mme

    constituer un juste motif de rvocation lorsque celui-ci est exig73. Il constitue galement une

    faute engageant la responsabilit de son auteur lgard de la socit (voire des tiers en cas de

    faute dtachable)74.

    69 V. par ex. HOUPIN et BOSVIEUX, Trait des socits, t. II, Adm. du journal des notaires et des avocats 7e d. 1935, spc.

    n 1226 70 Cass. civ., 4 juin 1946, Motte : JCP G 1947, II, 3518, note ; Journ. socits 1946, p. 374, note P. B. - J.-P. BERDAH,

    Fonctions et responsabilit des dirigeants de socits par actions, Sirey 1974, spc. n 26 p. 37 71 articles 1849 du Code civil, L. 221-5, L. 225-56, L. 225-64, L. 227-6 et L 229-7 du Code de commerce 72 ce qui constitue, pour certains auteurs, le devoir de loyaut : lobligation pour le dirigeant de socit de ne pas utiliser

    son pouvoir ou les informations dont il est titulaire dans un intrt strictement personnel et contrairement lintrt de la socit ou celui des associs : H. LE NABASQUE, Le dveloppement du devoir de loyaut en droit des socits , RTD com. 1999, p. 273 Sur les diffrentes conceptions doctrinales de lintrt social : V. infra n 113 et s. Sur le lien entre direction et intrt social : V. infra n 136

    73 V. par ex. Cass. com. 29 mai 1990, n 88-12840 : Bull. Joly Socits 1990, p. 795 : Mais attendu quaprs avoir relev que les associs, auxquels M. X... avait soumis le projet de participation de la SARL la constitution dune socit en formation, avaient mis un vote favorable ce projet sous rserve de lapprobation des statuts de la future socit, en cours dlaboration, la cour dappel a retenu que M. X..., sans obtenir laccord sans rserve des associs et sans mme les en tenir informs, avait sign les statuts en qualit de grant de la SARL ; quen ltat de ces nonciations et constatations, la Cour dappel, qui nest pas sortie des limites du litige et qui a procd la recherche invoque, a pu dcider que la faute commise par M. X... constituait un juste motif de sa rvocation - V. galement Cass. com., 17 janv. 1968 : Bull. civ. 1968, n 27 : La cour de cassation rejette le pourvoi form contre un arrt dune cours dappel ayant souverainement jug que la violation des statuts souleve comme juste motif de rvocation ntait pas, en lespce, caractrise

    74 articles 1850 du Code civil, L. 223-22 et L. L. 225-251 du Code de commerce : les grants, administrateurs ou directeurs gnraux sont responsables, envers la socit ou envers les tiers , des violations des statuts V. par ex. Cass. com., 16 juin 1998, n 96-13863 et Cass. com., 19 oct. 1999, n 96-14711 : dans ces deux arrts, la Cour de cassation rejette le pourvoi form contre un arrt de Cour dappel ayant reconnu la responsabilit du grant pour violation des statuts et faute de gestion

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 41 -

    2 : Dans lordre externe

    17. La limite relative de lobjet social. Dans les rapports entre la socit et les tiers, le

    contrle-direction des dirigeants diffre selon la forme de la socit. Dans les socits

    responsabilit limite (SARL, SA, SCA, SAS et SE), depuis la directive europenne du 9

    mars 196875, lobjet social ne constitue plus une limite au pouvoir des dirigeants dans lordre

    externe76. Dans ces socits, la protection des tiers est assure au dtriment de celui des

    associs77. Lobjet social nest opposable aux tiers que sil est dmontr que ceux-ci en

    avaient connaissance. La charge de la preuve pse donc sur la socit78. La publication des

    statuts ne suffit pas constituer une telle preuve79. On aurait pu effectivement penser que la

    publicit donne cette occasion lobjet social aurait permis de poser une prsomption de

    connaissance de cet objet lencontre des tiers. Il nen est rien et certains auteurs ont critiqu

    cette absence de critre objectif80. Monsieur Martin a galement critiqu lomnipotence

    individuelle des grants et le sacrifice des associs engendrs par lapplication de la

    directive europenne, rappelant que lintrt des associs vaut bien celui des tiers 81.

    Dans les socits responsabilit illimite, le risque pesant sur les associs devient

    prpondrant au regard de latteinte lintrt des tiers82. Lobjet social reste dans ces socits

    (socits civiles, SNC et SCS) une limite au pouvoir des dirigeants dans lordre externe83.

    Nanmoins, il semble que la jurisprudence accepte de reconnatre lerreur lgitime du tiers

    cocontractant pour mettre la charge de la socit un acte pass par son dirigeant en

    mconnaissance de lobjet social84.

    75 HOUIN, Les pouvoirs des dirigeants de socits anonymes et des socits responsabilit limite et la coordination des

    lgislations nationales dans la CEE , RTDE 1966, p. 307 76 articles L. 223-18, L. 225-56, L. 225-64, L. 226-7, L. 227-6 et L. 229-7, procdant par renvoi, du Code de commerce : la

    formule employe est toujours la mme : La socit est engage mme par les actes du [dirigeant] qui ne relvent pas de lobjet social, moins quelle ne prouve que le tiers savait que lacte dpassait cet objet ou quil ne pouvait lignorer compte tenu des circonstances, tant exclu que la seule publication des statuts suffise constituer cette preuve

    77 CL. CHAMPAUD, note in RTD com. 1970, p. 412, spc. n 11 p. 416 - R. HOUIN, note in RTD com. 1969, p. 999, spc. n 25 p. 1022 - D. MARTIN, Les pouvoirs des grants des socits de personnes , RTD com. 1973, p. 185, spc. n 5 p. 189

    78 R. HOUIN, note in RTD com. 1969, p. 999, spc. n 25 p. 1022 79 articles L. 223-18, L. 225-56, L. 225-64, L. 226-7, L. 227-6 et L. 229-7, procdant par renvoi, du Code de commerce :

    La socit est engage mme par les actes du [dirigeant] qui ne relvent pas de lobjet social, moins quelle ne prouve que le tiers savait que lacte dpassait cet objet ou quil ne pouvait lignorer compte tenu des circonstances, tant exclu que la seule publication des statuts suffise constituer cette preuve

    80 D. MARTIN, Les pouvoirs des grants des socits de personnes , prc., spc. n 14 p. 196 81 D. MARTIN, Les pouvoirs des grants des socits de personnes , prc., spc. II. p. 198 et n 26 p. 203 82 M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des socits, prc., spc. n 277 p. 162 ; PH. SIMLER, Cautionnement et

    garanties autonomes, Litec 1991, spc. n 162 - J. PICARD, Lacte conclu par un dirigeant avec dpassement de ses pouvoirs , Dr. socits 06/1998, chron. 6, spc. n 6 p. 4

    83 articles 1849 du Code civil, L. 221-5 et L. 222-2 du Code de commerce : la formule est identique : Dans les rapports avec les tiers, le grant engage la socit par les actes entrant dans lobjet social

    84 Cass. com., 23 avril 1969 : Bull. civ. 1969, n 135 ; D. 1969, somm. p. 110 ; RTD com. 1969, p. 1022, note HOUIN ; Rev. socits 1970, p. 115, note M. A. : en nonant quil avait pu lgitimement apparaitre la socit Schiebling et

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

    - 42 -

    18. Linopposabilit des clauses statutaires. Dans toutes les formes sociales, par contre,

    les clauses des statuts limitant le pouvoir de contrle-direction sont inopposables aux tiers85,

    mme si ceux-ci en avaient connaissance86. A linverse, les tiers peuvent tout fait se

    prvaloir dune telle clause pour contester un acte87. Le caractre gnral de linopposabilit

    des limitations statutaires de pouvoir a fait lobjet de critique. En effet, dans les socits

    responsabilit illimite, on peut stonner que les tiers doivent sinformer de lobjet social afin

    de sassurer de ltendue des pouvoirs du grant alors mme quils ne sont pas tenus de

    vrifier les limitations statutaires de ce pouvoir. Pire encore, les tiers peuvent refuser de se

    voir opposer ces limitations statutaires alors mme quils en ont eu connaissance. Cette

    difficult est dautant plus gnante en cas de pluralit de grants lorsque les associs

    souhaitent circonscrire individuellement les comptences de chacun88. Linopposabilit des

    limitations statutaires en cas de cogrance nest pas forcment favorable aux tiers, car elle

    risque dengendrer une certaine anarchie dans la direction de la socit89.

    PARAGRAPHE 2 : LE CONTROLE-DIRECTION PAR LES ORGANES NON DOTES DU

    POUVOIR DE REPRESENTATION : LA DISTINCTION ENTRE REPRESENTATION

    ET DIRECTION

    Le conseil dadministration et le directoire ne semblent pas dots par la loi du pouvoir de

    reprsenter la socit envers les tiers. Dans les socits conseil dadministration, cette

    Steuer que les engagements de caution pris en faveur de la socit Mazier, entreprise de construction, rentraient dans lobjet social, trs largement dfini par les statuts, de la socit Regina qui se livrait habituellement des oprations se rapportant la construction, la Cour dappel a pu [] statuer comme elle la fait sans commettre aucune dnaturation desdits statuts V. galement CL. CHAMPAUD, note in RTD com. 1970, p. 412, n 11 p. 416 - M. GUIBERTEAU, note sous Cass. civ., 19 nov. 1970, Rev. socits 1971, p. 427 - J. PICARD, Lacte conclu par un dirigeant avec dpassement de ses pouvoirs , prc., spc. n 7 p. 4

    85 articles 1849 du Code civil, L. 221-15, L. 223-18, L. 225-56 et L. 225-64 du Code de commerce V. galement J. PICARD, Lacte conclu par un dirigeant avec dpassement de ses pouvoirs , prc.

    86 Pour une SARL : Cass. com., 2 juin 1992, n 90-18313 : Bull. civ. 1992, n 213 ; Bull. Joly Socits 1992, p. 946, note P. LE CANNU : une Cour dappel avait jug opposable la socit le contrat de prt sign par le grant en labsence dautorisation des associs, contrairement aux stipulations des statuts. La Cour de cassation rejette le pourvoi qui avait soulev lobligation pour le prteur de prendre connaissance des statuts et donc de la clause litigieuse : les clauses statutaires limitant, comme en lespce, les pouvoirs des grants des socits responsabilit limit [], sont inopposables aux tiers, peu important quils en aient ou non connaissance V. galement, pour une SCI : Cass. 3e civ., 24 janv. 2001, n 99-12841 : Bull. civ. 2001, n 10 ; JCP G 2001, II, 10496, note F.-X. LUCAS ; Dr. et patrimoine juill. 2001, p. 112, note D. PORACCHIA ; Dr. socits 2001, comm. 76, note TH. BONNEAU ; Bull. Joly Socits 2001, p. 529, note F.-X. LUCAS : les clauses statutaires limitant les pouvoirs des grants sont inopposables aux tiers, sans quil importe quils en aient eu connaissance ou non . En lespce, le pourvoi rejet avait soulev labsence de bonne foi du tiers, tentant un parallle avec la limite de lobjet social

    87 Cass. 2e civ., 23 oct. 1985, n 83-12007 : Bull. civ. 1985, n 159 ; Rev. socit 1986, p. 408, note B. BOULOC : vu larticle 113 de la loi du 24 juillet 1966, ensemble larticle 117 du nouveau Code de procdure civile ; Attendu que la disposition du premier de ces textes qui dclare inopposable aux tiers les dispositions des statuts limitant les pouvoirs du prsident du conseil dadministration dune socit anonyme ninterdit pas aux tiers de sen prvaloir pour justifier du dfaut de pouvoir de ce prsident figurer au procs comme reprsentant de la socit

    88 D. MARTIN, Les pouvoirs des grants des socits de personnes , prc., spc. n 18 et s., p. 198 et s. 89 H. ROLAND, La porte de la clause statutaire exigeant le concours de tous les grants dans la SARL , D. 1961, chron.

    p. 61, spc. I B p. 63 et s.

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

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    prrogative est dvolue au directeur gnral90, et dans les socits conseil de surveillance,

    elle relve de la comptence du seul prsident du directoire91.

    Il sagira dans un premier temps dtudier les pouvoirs propres de direction de chacun de

    ces deux organes (A) avant de sintresser plus particulirement au lien entre direction et

    reprsentation (B).

    A : LES POUVOIRS DE CONTROLE-DIRECTION DU CONSEIL DADMINISTRATION ET DU DIRECTOIRE

    Nous tudierons dans un premier temps la mission du conseil dadministration (1) puis

    nous nous intresserons aux attributions du directoire (2)

    1 : Les attributions de contrle-direction du conseil dadministration

    19. Evolution historique. En 1867, le lgislateur avait prvu que les administrateurs, en

    qualit de mandataires sociaux, ne dtenaient que des pouvoirs dlgus, lassemble gnrale

    tant dtentrice du pouvoir suprme 92. Ces pouvoirs faisaient lobjet dune numration

    dans les statuts. Cette situation sest poursuivie mme aprs linstauration du conseil

    dadministration en 1940. Mais, petit petit, la thorie des pouvoirs dlgus steint au profit

    de la reconnaissance de pouvoirs propres au conseil dadministration. Cette thorie fut

    consacre par larrt Motte en 194693.

    Prenant acte de cette volution, la Loi du 24 juillet 1966 disposa que le conseil

    dadministration tait investi des pouvoirs de gestion les plus tendus pour agir en toute

    circonstance au nom de la socit . Selon Monsieur Paillusseau, ce pouvoir de gestion

    englobait toutes les oprations qui contribuent la dtermination de la politique gnrale

    de lentreprise , autrement dit, le conseil dadministration constituait un organe dont la

    fonction est de grer lentreprise, cest--dire de concevoir, dlaborer et de dcider sa

    politique gnrale 94.

    Cette notion de pouvoir de gestion entrana nombre dinterrogations, notamment sur la

    question de lventuelle exclusion du pouvoir de disposition que semblait inspirer cette

    90 article L. 225-56 al. 2 du Code de commerce : Il [le directeur gnral] reprsente la socit dans ses rapports avec les

    tiers 91 article L. 225-66 du Code de commerce : Le prsident du directoire ou, le cas chant, le directeur gnral unique

    reprsente la socit dans ses rapports avec les tiers 92 G. RIPERT et R. ROBLOT, par M. GERMAIN et V. MAGNIER, Trait de droit de affaires, t. 2, Les socits commerciales,

    prc., spc. n 1670-2 p. 498 93 Cass. civ., 4 juin 1946, Motte : prc. note 70 - V. supra n 16 94 J. PAILLUSSEAU, La socit anonyme, technique dorganisation de lentreprise, Sirey 1967, spc. p. 214

  • Dfinition du contrle au regard des attributions des organes sociaux : le contrle organique

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    formule. Ds 1967, le texte fut modifi, le conseil dadministration tant dsormais investi

    des pouvoirs les plus tendus pour agir en toute circonstance au nom de la socit .

    Cette nouvelle formulation ne fit pas non plus lunanimit. On lui reprocha notamment sa

    similitude avec la dfiniti