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C’est la Cour européenne des droits de l’Homme qui a tranché la question de la rétroactivité de la loi anti-Perruche. Elle l’a fait dans deux arrêts de Grande Chambre du 6 octobre 2005. Les faits : Dans les deux affaires, suite aux diagnostics effectués avant la naissance, on annonce aux parents que leur enfant ne risque pas d’être atteint d’une maladie génétique. Toutefois, l’enfant se retrouve tout de même atteint d’une maladie génétique (erreur de diagnostic). Les parents assignent l’établissement de santé en réparation du préjudice. La juridiction saisie va condamner cet établissement à réparer le préjudice moral des parents. En revanche, en ce qui concerne les soins, les frais d’éducation spécialisée, les frais de construction d’une nouvelle maison, d’acquisition d’un véhicule et d’un fauteuil roulant électrique, elle considère considère qu’il s’agit de «charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant de son handicap» qui ne peuvent engager la responsabilité de l’établissement de santé en vertu de la loi du 4 mars 2002, qui devait s’appliquer aux instances en cours. Les parents se sont alors tournés vers la CEDH. Plusieurs dispositions de la Convention EDH pouvaient ici être applicable : Art. 6§1 ? : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » Les parents se fondaient sur un arrêt Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c/ Grèce du 9 décembre 1994 qui affirme que le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable (en particulier le principe de l’égalité des armes) s’opposent à toute ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige, sauf pour des motifs d’intérêt général impérieux. Mais la CEDH n’a pas estimé nécessaire d’examiner séparément ce grief. Elle a en effet principalement fondé son argumentation sur :

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Page 1: resp med

C’est la Cour européenne des droits de l’Homme qui a tranché la question de la rétroacti-vité de la loi anti-Perruche.

Elle l’a fait dans deux arrêts de Grande Chambre du 6 octobre 2005.

Les faits :

Dans les deux affaires, suite aux diagnostics effectués avant la naissance, on annonce aux parents que leur enfant ne risque pas d’être atteint d’une maladie génétique.

Toutefois, l’enfant se retrouve tout de même atteint d’une maladie génétique (erreur de diagnostic).

Les parents assignent l’établissement de santé en réparation du préjudice. La juridiction saisie va condamner cet établissement à réparer le préjudice moral des parents. En re-vanche, en ce qui concerne les soins, les frais d’éducation spécialisée, les frais de construction d’une nouvelle maison, d’acquisition d’un véhicule et d’un fauteuil roulant électrique, elle considère considère qu’il s’agit de «charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant de son handicap» qui ne peuvent engager la responsabilité de l’établissement de santé en vertu de la loi du 4 mars 2002, qui devait s’appliquer aux ins-tances en cours.

Les parents se sont alors tournés vers la CEDH.

Plusieurs dispositions de la Convention EDH pouvaient ici être applicable :

Art. 6§1 ? :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, éta-bli par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Les parents se fondaient sur un arrêt Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c/ Grèce du 9 dé-cembre 1994 qui affirme que le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable (en par-ticulier le principe de l’égalité des armes) s’opposent à toute ingérence du pouvoir législatif dans l’administra-tion de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige, sauf pour des motifs d’intérêt général impérieux.

Mais la CEDH n’a pas estimé nécessaire d’examiner séparément ce grief. Elle a en effet principalement fon-dé son argumentation sur :

- Art. 1 du Protocole n°1 :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Est-on en l’espèce en présence d’un «bien» au sens de cet article ?

Selon la Cour, la notion de «biens» peut recouvrir tant des biens actuels que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines situations, des créances. Pour qu’une créance soit protégée par Art. 1 du P1, il faut qu’elle ait une base suffi-sante en droit interne (ex : confirmée par une jpc bien établie des tribunaux).C’est là qu’entre en jeu la notion d’espérance légitime : Selon la Cour, avant la loi du 4 mars 2002, les parents déte-naient une créance qu’ils pouvaient légitimement espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun de la resp. pour faute, et donc un bien au sens de l’Art. 1 du P1.

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La Cour analyse l’application de la loi du 4 mars 2002 aux instances en cours comme une privation de liberté qui ne peut être justifiée que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

En l’espèce, pas contestable que l’ingérence soit prévue par la loi.Cause d’utilité publique : La Cour estime que la volonté du législateur français de mettre un terme à une jpc qu’il désap-prouvait et de modifier l’état du droit en matière de resp. med, même en rendant les nouvelles règles applicables aux si-tuations en cours, servait une cause d’utilité publique.

En revanche, la Cour estime que cette ingérence n’est pas proportionnée car la loi a purement et simplment supprimé, avec effet rétroactif, une partie essentielle des créances en réparation, de montants très élevés, que les parents auraient pu faire valoir contre l’établissement de santé.

L’article 1 du P1 a donc bien été violé.

Suite à ces arrêts, les hautes juridictions françaises ont repris le raisonnement de la Cour, notamment en ce qui concerne la notion d'espérance légitime :

Pour le CE : CE, 24 février 2006, RCA 2006, Comm.127Pour la Cass. : Civ. 1ère, 24 janvier 2006, Bull. civ. I n° 31.

La Cour de cassation a ensuite réduit un peu plus la portée de la loi de 2002 par un arrêt Civ. 1ère, 8 juillet 2008, n°07-12159. Elle a en effet décidé que la loi de 2002 ne pouvait s’appliquer rétroactivement aux dommages causés avant son entrée en vigueur, peu importe la date de l’introduction de la demande en justice.

La volonté du législateur de 2002 a donc été contrecarré par la jurisprudence de la CEDH, puis par les juridictions in-ternes.

Conséquences de l’affaire Perruche et de ses suites sur l’assurance RC médicale

Suite à l’arrêt Perruche du 17 novembre 2000, certains assureurs se sont retirés du marché de la RC des gynéco-logues-obstétriciens (ex : AIG a résilié tous ses contrats de RC médicale à effet du 31 déc. 2001) D’autres ont augmenté le montant des primes de plus de 300% (pratique validée par le Conseil de la concurrence). Beaucoup de cliniques et de spécialistes, faute de pouvoir faire face à l’augmentation des primes, ont préféré suspendre les actes médicaux à grands risques.

Suite à la condamnation du caractère rétroactif de la loi Kouchner, le problème s’est de nouveau posé : des assureurs RC des spécialités médicales à risque ont envisagé de quitter ce marché si les pouvoirs publics ne prenaient pas des me-sures pour aider les médecins à payer leurs primes d’assurance. (Le montant des primes est au minimum de 15 000 € par an, avec des garanties limitées).

Une loi du 13 août 2004 a permis aux médecins d’obtenir une aide au paiement des primes d’assurance, prise en charge par l’assurance maladie obligatoire. Cette aide est égale au 2/3 du montant des primes pour les médecins dont les hono-raires sont fixés par l’assurance maladie et à 55% aux autres.

Enfin, il convient de préciser que les gynécologues-obstétriciens représentent la part la plus importante des saisines du Bureau central de tarification pour l’assurance RC médicale.