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LA SYNTAXE DES MONDES Une lecture de Par delà nature et culture de Philippe Descola Raphaël Bessis Assoc. Multitudes | Multitudes 2006/1 - no 24 pages 53 à 61 ISSN 0292-0107 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-1-page-53.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Bessis Raphaël, « La syntaxe des mondes » Une lecture de Par delà nature et culture de Philippe Descola, Multitudes, 2006/1 no 24, p. 53-61. DOI : 10.3917/mult.024.0053 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Assoc. Multitudes. © Assoc. Multitudes. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.55.119.49 - 07/08/2013 21h44. © Assoc. Multitudes Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.55.119.49 - 07/08/2013 21h44. © Assoc. Multitudes

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  • LA SYNTAXE DES MONDESUne lecture de Par del nature et culture de Philippe DescolaRaphal Bessis

    Assoc. Multitudes | Multitudes

    2006/1 - no 24pages 53 61

    ISSN 0292-0107

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-1-page-53.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Bessis Raphal, La syntaxe des mondes Une lecture de Par del nature et culture de Philippe Descola, Multitudes, 2006/1 no 24, p. 53-61. DOI : 10.3917/mult.024.0053--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Philippe Descola 1 est-il fou ? Pourtant sans arrogance, dune forcede travail hors du commun et dune humilit sans gale dans le milieuu n i ve rs i t a i r e , il a accompli ce que Sisyphe lui-mme sest refus damor-c e r : une remonte ve rs les structures mmes de la pense, d e p u i sltourdissante danse des phnomnes humains que des centaines demonographies ont rpertories : rien de moins que lquivalent de pro-duire lesquisse du tableau de Mendeleev dans le champ du symbolique.Son matre, Claude Lvi-Strauss, ne lavait-il pas prvenu : seul unfou pourrait envisager dinventorier de faon exhaustive le systme g-nral de nos ides. (p.144) 2 Philippe Descola est un bien trange h-ritier de ce grand structuraliste, pour avoir nomm son uvre majeureactuelle : Par del nature et culture. Ne craint-il donc point loffense auxdieux ? Mais peut-tre que les dieux dans leur vieillesse ont de lapp-tit pour linsolence, ou encore, comme le dit Gilbert Lascaux, que lefils rebelle est souvent le vritable hritier .

    Kant achuarDans quelle ave n t u r e , au juste, nous conduit-il et ve rs quels prils ri s-

    quons-nous de sombrer, le suivre ? Ce livre repose sur le pari, nousdit lauteur, quil est possible de mettre au jour des schmes lmentairesde la pratique et de dresser une cartographie sommaire de leur distribu-tion et de leurs arrangements , mais ceci ne pourra se faire quaprsavoir repr, d c rit et analys les m at rices ontologi q u e s fondamenta-les qui ne sont autres que les pices lmentaires dune sorte de s y n t a-xe de la composition du monde (p.180). Quatre schmes fondamentauxs t ructurant lexprience au monde (ou quatre mat rices ontologiques) se-ront ainsi exhums de limmense champ des monographies ethnologi-q u e s , s u rprenant sans doute le lecteur de la force dordonnancement durel que permet ce jeu doutils conceptuels, mais dans le mme temps, l edroutant, pire, le dtrnant de son pistmologie ethnocentre. Pa-reil un Kant achuar qui raliserait une critique de la raison naturaliste,Philippe Descola conduit le lecteur occidental sur les bords de son r-gime pistmologique, la limite du vertige o, un un, les couplesconceptuels habituellement requis (la Nature et les cultures, le sauva g eet le domestique, les substances et les esprits, etc.) se voient relativi-s s , jusqu mme perdre de leur a u ra pistmologi q u e, pour finir par treclipss sous la puissance heuristique dautres concepts plus unive rs a u x(la continuit et la discontinuit, lidentit et la diffrence, la ressem-blance et la dissimilitude).

    Ce puissant ftiche qui nous est propre (p.90) quest la N at u r e ,na pu tre observ comme tel que depuis la distorsion contrle (lana-

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  • m o rphose) qua provoque chez lauteur la rencontre des A c h u a rs.Cest cette rencontre que lon doit sans doute linvention dune pis-t m o l ogie anamorp h i q u e,o les formes dcologie symbolique sont enfinreprables, sous leffet du dplacement ethno-pistmologique. Cestpar l, par cette refonte de lappareillage pistmologi q u e , que nous in-viterons notre tour le lecteur entrer dans cet unive rsq u a d ri - p e rs p e c t i ve,o la syntaxe des mondes ne nous est plus dissimule.

    lpistmologie schmatique descolienne Chaque enfant apporte en naissant, et sous forme de structures men-

    tales bauches, lintgralit des moyens dont lhumanit dispose detoute ternit pour dfinir ses relations au Monde et Autrui (p.139),nous annonce Claude Lvi-Strauss, mais ces moyens, prcise PhilippeDescola, ne se ramnent pas seulement des structures mentales in-nes : ils consistent surtout en un petit nombre de schmes pratiquesintrioriss, synthtisant les proprits objectives de toute relation pos-sible avec les humains et les non-humains . Cest le reprage de cess c h m e s , puis de larchitecture symbolique quils composent, qui va cons-tituer lessentiel du travail de Philippe Descola.

    Pa rmi ces schmes qui naffleurent pas la conscience, c e rtains sont hautement thmatiques et sadaptent une grande varit de situa-t i o n s (p.153) , ils seront nomms : schmes intgrat e u rs, tandis que dau-tres ne sont activs que dans des circonstances bien part i c u l i r e s , a u s s iseront-ils dsigns comme schmes spcialiss (ou habitus). Les schmesintgrateurs sont des structures cognitives gnratrices dinfrences, do-tes dun haut degr dabstraction, distribues avec rgularit au seindes collectivits la dimension variable, et qui assurent la compatibi-lit entre des familles de schmes spcialiss tout en permettant denengendrer de nouveaux par induction .

    Les schmes intgr at e u rsdes pratiques peuvent tre ramens deuxmodalits fondamentales de structuration de lexprience individuelleet collective (p.163) , que Philippe Descola appelle i d e n t i f i c at i o n et r e l a-tion. Le schme didentification me permet dtablir des diffrences et desressemblances entre moi et des existants, en infrant des analogies et descontrastes entre lapparence, le comportement et les proprits que jemimpute et ceux que je leur attribue . Lauteur prcise que ce mca-nisme de mdiation entre le soi et le non-soi parat antrieur et extrieursur le plan logique lexistence dune relation dtermine avec un autreq u e l c o n q u e . Ds lors chacune des formules ontologi q u e s , c o s m o l o gi-ques et sociologiques que lidentification rend possible est elle-mmecapable doffrir un support plusieurs types de relation : considrer

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  • un animal comme une personne plutt que comme une chose, par exe m-ple, nautorise nullement prjuger du rapport qui sera nou avec luiet qui peut relever aussi bien de la prdation que de la comptition oude la protection (p.164). Ainsi, la relation ajoute une dterminationadditionnelle aux termes primaires que lidentification dcoupe .

    Philippe Descola poursuit son laboration en posant lhy p o t h s eque tout humain se peroit comme une unit mixte dintriorit et dep hy s i c a l i t , t at ncessaire pour reconnatre ou dnier autrui des carac-tres distinctifs drivs des siens propres (p.169). Par intriorit ,il faut entendre ce que lon appelle dordinaire lesprit, lme ou laconscience intentionnalit, subjectivit, rflexivit, affects, aptitude signifier ou rver (p.168), et par physicalit , lensemble desexpressions visibles et tangibles (la forme extrieure, la substance, lesprocessus physiologiques mais aussi le temprament ou la faon dagirdans le monde) des dispositions qui rsultent des caractristiques mor-phologiques et physiologiques (p. 169) dune entit.

    Dot de cet outillage conceptuel, Philippe Descola russit produireune premire classification des diffrents modes du schme de lidenti-fication. Face un autrui quelconque, humain ou non humain, prci-se-t-il, je peux supposer soit quil possde des lments de physicalitet dintriorit identiques aux miens [le totmisme], soit que son int-riorit et sa physicalit sont distinctes des miennes [lanalogisme], soitencore que nous avons des intri o rits similaires et des physicalits ht-rognes [lanimisme], soit enfin que nos intriorits sont diffrentes etnos physicalits analogues [le nat u r a l i s m e ] . (...) Ces principes didenti-fication dfinissent quatre grands types dontologie [totmique, analo-gi q u e , a n i m i q u e , n at u r a l i s t e ] , cest--dire [quatre] systmes de propri t sdes existants, lesquels servent de point dancrage des formes contras-tes de cosmologi e s , de modles du lien social et de thories de lidenti-t et de laltrit. (p.176)

    Cet appareillage pistmologique doit son existence ce que PhilippeDescola appelle un u n i ve rsalisme relat i f. L u n i ve rsalisme relatif ne partpas de la nature et des cultures, des substances et des esprits, (...) maisdes relations de continuit et de discontinuit, didentit et de diffren-c e , de ressemblance et de dissimilitude (...). L u n i ve rsalisme relatif nexi-ge pas que soient donnes au pralable une matrialit gale pour touset des significations contingentes, il lui suffit de reconnatre la saillancedu discontinu, dans les choses comme dans les mcanismes de leur ap-prhension, et dadmettre (...) quil existe un nombre rduit de formulespour en tirer parti. (p.419) Cest l tout le gnie de ce contemporain,qui embrasse laffolante multiplicit des systmes symboliques hu-

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  • m a i n s , non pas sous lunique point de vue dune seule stru c t u r e - m a t r e ,mais au travers dune quadri-perspective structurale.

    les quatre ontologies fondamentalesTchons de d f i n i r moins succinctement ces quatre mat rices ontolo-

    giques qui permettent dtablir les diffrences et les ressemblances en-tre soi et les existants.

    Ce qui caractrise gnralement lanimisme cest limputation parles humains des non-humains dune intriorit identique la leur (p.183). Cette dfinition minimale nous ouvre lide essentielle que ce nest pas au moyen de leur me quhumains et non-humains sediffrencient, mais bien par leurs corps . Cest ce dont tmoigne AnneChristine Taylor lorsquelle affirme que, dans les socits animiques, ce qui distingue les espces, en dfinitive, cest lhabit (p.185).Ainsi,les plantes et les animaux sont des pers o n n e s , revtues dun corps ani-mal ou vgtal dont elles se dpouillent loccasion pour mener une viecollective analogue celle des humains : les Makuna, par exemple, di-sent que les tapirs se peignent au roucou pour danser et que les pca-ris jouent de la trompe durant leur rituels, tandis que les Wari prten-dent que le pcari fait de la bire de mas et que le jaguar ramne saproie la maison afin que son pouse la cuisine . Le corps possdedonc le rle qui est dordinaire dvolu lme pour les occidentaux,celui dun diffrenciateur ontologique (p.188).

    Le naturalisme inverse la formule de lanimisme en articulant unediscontinuit des intri o rits et une continuit des phy s i c a l i t s (p.241) .SelonV i veiros de Castro, si lanimisme est m u l t i n at u r a l i s t e p u i s q u efond sur lhtrognit corporelle de classes dexistants pourtant do-ts dun esprit et dune culture identiques , le n aturalisme est m u l t i-culturaliste en ce quil adosse au postulat de lunicit de la nature lareconnaissance de la dive rsit des manifestations individuelles et collec-t i ves de la subjectivit. (p.242)Cependant, a u j o u r d h u i , r e l ve PhilippeDescola, les savants (thologues, cognitivistes, juristes) sont moinsprompts affirmer une discontinuit entre les humains et les non-hu-mains (p.251). Il est probable que le mode didentification naturalistevit, sans doute sous leffet des processus lis la mondialisation, unesrie de mutations qui lachemine plutt en direction dun fonctionne-ment de type analogique.

    Lanalogisme est un mode didentification qui fractionne lensem-ble des existants en une multiplicit dessences, de formes et de substan-ces spares par de faibles carts, parfois ordonnes dans une chellegradue, de sorte quil devient possible de recomposer le systme des

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  • contrastes initiaux en un dense rseau danalogies. (p.280) Cette for-me dontologie est trs commune sur la face du monde, et sexpri-m e , par exe m p l e , dans les corr l ations entre microcosme et macrocosmequtablissent la gomancie et la divination chinoise, ou dans lide, c o u-rante enA f ri q u e , que des dsordres sociaux sont capables dentraner desc atastrophes climat i q u e s .Au centre de cette ontologi e , cest bien la d i f-f r e n c e infiniment dmultiplie qui fait ltat ordinaire du monde,et la r e s-s e m b l a n c e le moyen espr de le rendre intelligible et support a b l e . (p.281)

    linverse, dans le totmisme, ce nest pas lclatement, lmiette-ment en singularits qui menace, mais la fusion au sein dun collectifhy b ride dindividus (humains et non humains).Au cur de cette onto-logie se situent les tres du Rve (tres originaires) qui sont le plus sou-vent prsents comme des hy b rides dhumains et de non-humains djrpartis en groupes totmiques au moment de leur venue. Ils sont hu-mains par leur comport e m e n t , leur matrise du langage, l i n t e n t i o n n a l i t dont il font preuve dans leurs actions, les codes sociaux quils respec-tent et instituent, mais ils ont lapparence ou portent le nom de plan-tes ou danimaux et sont lorigine des stocks desprits, dposs dansles sites o ils disparurent, et qui sincorporent depuis dans les indivi-dus de lespce (p.207). Cest parce que les humains, les totems ettous les autres existants furent placs dans lordre social-et-naturel parles tres du Rve quil existe entre eux tous une relation prenne dori-gine et de substance communes (p.228), nous dit Francesca Merlan.Cest cette continuit interspcifique des physicalits et des intriorits (p.225) qui fait la spcificit de cette ontologie.

    les problmatiques des subjectivits coextensives auxmatrices ontologiquesDot de ces nouveaux outils (les modes principaux didentificat i o n ) ,

    Philippe Descola nous ouvre ensuite les portes dune comprhensions t ructurale des formes de subjectivit propres chaque mat rice ontolo-gique, comme il nous permet dtablir le questionnement existentielauquel ces subjectivits sont livres.

    Si le sujet animique est partout, dans loiseau drang qui senvoleen protestant, dans le vent du nord et la dbcle grondante, dans le ca-ribou traqu qui fait soudain vo l t e - face pour toiser le chasseur (p.388) ,a l o rsle questionnement subjectif qui lhabite est le suiva n t : c o m m e n tsassurer que des non-humains humaniss ne sont pas vraiment des hu-mains ? (p.391), ou plus angoissant encore : sous le corps de lani-mal ou de la plante que je mange, que subsiste-t-il de sa subjectivith u m a i n e ? A i n s i , au cur de la subjectivit animique se loge un trouble

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  • m t a p hysique et moral, ce quexprime limpidement cette parole du cha-man Inuit Ivaluardjuk : le plus grand pril de lexistence vient du faitque la nourriture des hommes est tout entire faite dmes. (p.392)

    Tandis que lanimisme dchiffre les signes de laltrit dans la dis-continuit des corps, le naturalisme les reconnat dans la discontinuitdes esprits (p.399), aussi les sujets naturalistes diffrent-ils les uns desautres en fonction de leurs coutumes, de leurs langues mais aussiindividuellement lintrieur de chaque culture (p.398). Le relati-visme culturel nest tolrable (...) quen tant quil se dtache sur le fondmassif dun unive rsalisme nat u r e l , mais la permanence de l a r b i t ra i r ec u l t u r e l introduit une source dinquitude perm a n e n t e que la science nar-rive pas rsorber.

    Les totems de filiation, les totems de conception, les mes-enfants,les sites totmiques mmes [qui sont les vritables sujets de ces soci-ts] i n s t ru m e n t a l i s e n t les humains en se servant de leur dynamisme et deleur vitalit afin de reproduire, gnration aprs gnration, le grandordonnancement segment (p.401), nous rappelle Philippe Descola.Le sujet actif nest autre, en consquence, que cette classe prototypi-que des lments humains et non humains ayant une mme origine etquun collectif nomm reprsente (p.402) . Dans ce cadre, le question-nement subjectif est le suiva n t : comment se singulariser sans ambigutau sein dun collectif hybride dindividus humains et non humains fu-sionns ? (p.404). La solution offerte est alors de penser chaque indivi-d u , cest--dire chaque incarn ation dune me-enfa n t , comme l a c t u a-lisation dun des tats successifs par lesquels est passe la gense delidentit collective propre lensemble dont il fait partie (p.407).

    Les subjectivits analogiques prolifrent en tout lieu, comme dans lesc o s m o l o gies animiques, mais sur un mode beaucoup plus diffus et am-bivalent, rfractes quelles sont dans des supports imprvus (p.409).Lindividualit se dissimule toujours derrire la brume quivoque desapparences et des fa u x - s e m b l a n t s , ce qui fait dire la mre dAmadouHampat Ba : je voudrais savoir lequel des Amadou qui lhabitent estl en ce moment ? (p.410) .Cest parce que le morcellement est immen-se et que les assemblages sont toujours inconsistant que la subjectivitanalogique est soumise linvariance de ce questionnement : com-ment authentifier un point de vue rassembleur dans ce cosmos dim-manences part i c u l a ri s e s ? (p.412) , dans ce chaosmos de singulari t s ?

    du naturalisme hybrid lanalogisme mondialisLe travail amorc par Philippe Descola ne fait que commencer. Car

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  • sajouter plus de cinq autres modes principaux structurant lexpri e n c edes humains au monde (la temporalit, la spatialisation, la figuration,la mdiation et la catgorisation). quoi sajoute le fait que les diff-rents modes didentification ne se trouvent jamais (ou presque jamais)sous leur forme p u r e ou idal-typique dans le rel. Leur mode dexis-tence le plus habituel , prcise lauteur3, existe sous des formes plusou moins hy b ri d e s.(...) [Par exemple,] lanalogisme est encore trs pr-sent dans le monde naturaliste, y compris dans le monde naturalisteurbain : limportance que lon continue dattacher lastrologie en estun indice probant. Cette hybridation des modes issus dun schme in-tgrateur (ici lidentification) est une des voies dexploration vers la-quelle nous mne le travail de Philippe Descola, qui nous offre ce se-cond exemple en nous rappelant que si la plupart des Europens sontspontanment naturalistes en raison de leur ducation formelle et infor-melle, cela nempche pas certains dentre eux, en certaines circons-t a n c e s , de traiter leur chat comme sil avait une me [pratique animique],de croire que lorbite de Jupiter aura une influence sur ce quils ferontle lendemain [pratique analogi q u e ] , ou encore de sidentifier tel point un lieu et ses habitants humains et non-humains que le reste dumonde leur parat tre dune nature entirement diffrente de celle ducollectif auquel ils sont attachs [conception totmique] (p.322). Onpeut alors imaginer les centaines dimbri c ations possibles entre des mo-des didentification, de relation, de temporalit, etc., qui serviront demodle thorique lanalyse de la singularit complexe de chacune dessocits contemporaines en devenir.

    Pour ne prendre quun seul exe m p l e , et tcher de simplifier au mieuxun cas dune complexit pourtant redoutable comme lOccident contem-porain, posons-nous la question de savoir vers quel type dhybridationspcifique le naturalisme actuel sachemine. Sagence-t-il plus favora-blement, dans son devenir mondialis, un animisme ou un tot-misme ? Selon Philippe Descola, le systme naturaliste soumis desfortes pressions depuis quelques dizaines dannes (lies entre autres lessor des biotechnologies et au mouvement de libration animalecomme aux thiques environnementalistes ) se dirige vers un analo-gisme rel . [L o] les collectifs analogiques avaient tous lillusionquils taient le monde, mme des collectifs de trs faible dmogr a p h i e ,(...) avec lexpansion des changes, la circulation des inform at i o n s , e t c. ,nous dit Philippe Descola, on va probablement se diriger vers un sys-tme dans lequel ce collectif-monde sera la dimension de la plante, avecdes fragmentations internes du type de celles des collectifs analogi q u e s :des hirarchies, des segmentations, et une place sans doute diffrente

    6 0 M U LT I T U D E S 2 4 PRINTEMPS 2006

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  • pour les non-humains (sagissant la fois des art facts et des organismesbiologiques) lintrieur du collectif. 4

    Karl Po l a nyi nous avait montr la sparation progr e s s i ve des sphres c o n o m i q u e , politique et religieuse opre par lOccident moderne surquelques sicles, sparation parallle celle qui fut conduite dans lechamp de lpistmologie afin de produire une N at u r e objective cou-pe dune Humanit subjective. Cependant, aujourdhui, ne vivons-nous pas une seconde Renaissance ? Sous le joug des processus lis lam o n d i a l i s ation (intern a l i s ation ou i m m a n e n c e de laltri t , c h o - s y s t m i edes phnomnes locaux se transformant en phnomnes globaux, hy-bridation des systmes culturels donnant lieu des pistmologies etsociologies paradoxales, etc.) ne sommes-nous pas tout prs de retrou-ver lencastrement des sphres, lembotement des mondes quela rationalit naturaliste avait disjoints ? Si cette hypothse possdequelque fondement, les dveloppements raliss par Philippe Descolaautour du schme didentification quest lanalogisme risquent plus quejamais dtre une source fconde la comprhension de ce collectif-monde la dimension de la plante qui est en train de se former sousnotre regard, et qui prend la figure, chaque jour un peu plus, dun c h a o s-mos de singularits qui appelle les interprtations en abme, les pensesfractales, les cosmologies analogiques.

    (1) Cet article correspond la version courte dun article que lon trouvera en ligne sur

    le site de la revue.(2)Toutes les citations sans rfrences prcises autre que la page renvoient louvrage de

    Philippe Descola : Par del nature et culture (Ed. Gallimard, 2005).(3) P. Descola, Des mondes trangers , confrence la Cit des sciences et de lindus-

    trie, 15 Dcembre 2004.(4) Ibid., Les frontires de la socit , confrence la Cit des sciences et de lindustrie,

    8 Dcembre 2004.

    6 1COPOLITIQUE NOW M A J E U R E

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