renvoi relatif à la réforme du sénat
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25 avril 2014TRANSCRIPT
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COUR SUPRME DU CANADA
RFRENCE : Renvoi relatif la rforme du Snat, 2014 CSC 32 DATE : 20140425 DOSSIER : 35203
DANS LAFFAIRE DUN renvoi par le Gouverneur en conseil au sujet de
la rforme du Snat, institu aux termes du dcret C.P. 2013-70
en date du 1er fvrier 2013
TRADUCTION FRANAISE OFFICIELLE
CORAM : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein,
Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
MOTIFS DE JUGEMENT :
(par. 1 112) La Cour
NOTE : Ce document fera lobjet de retouches de forme avant la parution de sa version dfinitive dans le Recueil des arrts de la Cour suprme du Canada.
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RENVOI RELATIF LA RFORME DU SNAT
DANS LAFFAIRE DUN renvoi par le Gouverneur en conseil au sujet de la rforme du Snat, institu aux termes du dcret C.P. 2013-70 en date du 1er
fvrier 2013
Rpertori : Renvoi relatif la rforme du Snat
2014 CSC 32
No du greffe : 35203.
2013 : 12, 13, 14 novembre; 2014 : 25 avril.
Prsents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
RENVOI PAR LE GOUVERNEUR EN CONSEIL
Droit constitutionnel Institutions canadiennes Snat
Modification constitutionnelle Le Parlement peut-il unilatralement prvoir des
mandats dune dure fixe pour les snateurs? Le Parlement peut-il unilatralement
instaurer un rgime dlections consultatives en vue de nommer les snateurs? Le
Parlement peut-il abroger unilatralement les par. 23(3) et (4) de la Loi
constitutionnelle de 1867, selon lesquels les snateurs doivent possder des terres
dune valeur de 4 000 $ dans la province pour laquelle ils sont nomms ainsi quun
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avoir net dau moins 4 000 $? Peut-on avoir recours la procdure normale de
modification ou faut-il recourir la procdure de consentement unanime pour
apporter une modification constitutionnelle abolissant le Snat? Loi
constitutionnelle de 1982, art. 38(1)(2), 41e), 42(1)b)c), 43, 44.
Le gouverneur en conseil a soumis les questions suivantes la Cour en
vertu de lart. 53 de la Loi sur la Cour suprme :
1. Pour chacune des limites ci-aprs proposes pour la dure du mandat
des snateurs, le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour
apporter les modifications larticle 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 afin de prvoir :
a) un mandat dune dure fixe de neuf ans, tel que le propose
larticle 5 du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat;
b) un mandat dune dure fixe de dix ans ou plus;
c) un mandat dune dure fixe de huit ans ou moins;
d) un mandat dune dure fixe de deux ou trois lgislatures;
e) le renouvellement du mandat des snateurs, tel que le propose
larticle 2 du projet de loi S-4, Loi constitutionnelle de 2006 (dure du mandat des snateurs);
f) une limite la dure du mandat des snateurs nomms aprs le
14 octobre 2008, tel que le propose le paragraphe 4(1) du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat;
g) une limite rtrospective la dure du mandat des snateurs nomms avant le 14 octobre 2008?
2. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 91 de la Loi
constitutionnelle de 1867 ou de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour dicter des lois qui
permettraient de consulter, dans le cadre dun processus national, la population de chaque province et territoire afin de faire connatre ses
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prfrences quant la nomination de candidats snatoriaux, conformment au projet de loi C-20, Loi sur les consultations concernant la nomination des snateurs?
3. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de
1982, la comptence lgislative voulue pour prvoir un cadre qui viserait ldiction de lois par les lgislatures provinciales et territoriales conformes lannexe du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat,
pour consulter leurs populations afin de faire connatre leurs prfrences quant la nomination de candidats snatoriaux?
4. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour abroger les paragraphes 23(3) et (4) de la Loi constitutionnelle de 1867
concernant la qualification des snateurs en matire de proprit?
5. Pourrait-on, par lun des moyens ci-aprs, avoir recours la procdure
normale de modification prvue larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour abolir le Snat :
a) ajouter une disposition distincte prvoyant que le Snat serait aboli
une date prcise, titre de modification de la Loi constitutionnelle de 1867, ou de disposition distincte des Lois constitutionnelles de 1867
1982 sinscrivant nanmoins dans la Constitution du Canada;
b) modifier ou abroger en tout ou en partie les renvois au Snat dans la Constitution du Canada;
c) abroger les pouvoirs du Snat et liminer la reprsentation des provinces en vertu des alinas 42(1)b) et c) de la Loi constitutionnelle de 1982?
6. Si la procdure normale de modification prvue larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne permet pas dabolir le Snat, faudrait-il
recourir la procdure de consentement unanime prvue larticle 41 de cette loi?
Arrt : Les questions 1, 2, 3 et 5 reoivent une rponse ngative. La
question 4 reoit une rponse affirmative lgard du par. 23(4). Labrogation
complte du par. 23(3) requiert une rsolution de lassemble lgislative du Qubec,
en application de lart. 43 de la Loi constitutionnelle de 1982. La question 6 reoit
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une rponse affirmative. La mise en place dlections consultatives et de mandats
snatoriaux dune dure limite requiert le consentement du Snat, de la Chambre des
communes et de lassemble lgislative dau moins sept provinces dont la population
confondue reprsente au moins cinquante pour cent de la population de toutes les
provinces (art. 38 et al. 42(1)b)). Labolition du Snat requiert le consentement
unanime du Snat, de la Chambre des communes et de lassemble lgislative de
chaque province canadienne (al. 41e)).
Le Snat est une des institutions politiques fondamentales du Canada. Il
se situe au cur des ententes ayant donn naissance la fdration canadienne.
Malgr des critiques persistantes et lchec des tentatives visant le rformer, le
Snat na pas beaucoup chang depuis sa cration. La loi qui a cr le Snat la Loi
constitutionnelle de 1867 fait partie intgrante de la Constitution du Canada. Elle
ne peut tre modifie quen conformit avec les procdures de modification prvues
par la Constitution (Loi constitutionnelle de 1982, par. 52(2) et (3)). Le concept de
modification de la Constitution du Canada , au sens de la partie V de la Loi
constitutionnelle de 1982, doit tre compris au regard de la nature de la Constitution,
des principes qui la sous-tendent et des rgles applicables son interprtation. La
Constitution ne doit pas tre considre comme un simple ensemble de dispositions
crites isoles. Elle a une architecture, une structure fondamentale. Par extension, les
modifications constitutionnelles ne se limitent pas aux modifications apportes au
texte de la Constitution. Elles comprennent aussi les modifications son architecture
qui altrent le sens de son texte.
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La partie V reflte le consensus politique selon lequel les provinces
doivent avoir un droit de participation aux modifications constitutionnelles mettant en
cause leurs intrts. Elle prvoit quatre catgories de procdures de modification. La
premire, la procdure normale de modification celle du 7/50 (art. 38,
complt par lart. 42), exige un degr apprciable de consensus entre le Parlement et
les lgislatures provinciales. La deuxime, la procdure de consentement unanime
(art. 41), sapplique certaines modifications juges fondamentales par les auteurs de
la Loi constitutionnelle de 1982. La troisime, la procdure relative aux arrangements
spciaux (art. 43), vise les modifications apportes des dispositions de la
Constitution qui sappliquent certaines provinces uniquement. La quatrime, la
procdure de modification unilatrale fdrale et provinciale, concerne certains
aspects dinstitutions gouvernementales mettant en cause des intrts purement
fdraux ou provinciaux (art. 44 et 45).
Question 1 : Dure du mandat des snateurs
Un changement de la dure du mandat des snateurs modifierait la
Constitution du Canada, puisquil exigerait la modification du texte de lart. 29 de la
Loi constitutionnelle de 1867. Le texte de lart. 42 de la Loi constitutionnelle de 1982
ne mentionne pas les changements la dure du mandat des snateurs. Cela ne veut
pas dire pour autant que lart. 44 sapplique tous les changements relatifs au Snat
qui ne sont pas viss par lart. 42. La procdure de modification unilatrale par le
Parlement a une porte restreinte. Il ne sagit pas dune procdure dont le champ
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dapplication est vaste et qui vise les changements constitutionnels tous les aspects
du Snat que ne vise pas expressment une autre procdure de modification dcrite
la partie V. Lhistorique, les termes et la structure de la partie V indiquent que la
procdure normale de modification de la Constitution est prvue lart. 38 plutt qu
lart. 44. Les changements qui mettent en cause les intrts des provinces relatifs au
Snat en tant quinstitution faisant partie intgrante du systme fdral ne peuvent
tre apports quen application de la procdure normale de modification.
Larticle 44, qui constitue une exception la procdure normale, envisage des
mesures prises en vue du maintien et du changement du Snat, sans pour autant
modifier ses nature et rle fondamentaux.
Limposition aux snateurs dun mandat dune dure fixe met en cause
les intrts des provinces en transformant les nature et rle fondamentaux du Snat.
Les snateurs sont nomms toutes fins utiles pour la dure de leur vie
professionnelle active. Cette inamovibilit vise permettre aux snateurs de prendre
leurs dcisions en toute indpendance lorsquils procdent lexamen des projets de
loi. La nomination des snateurs pour une priode dune dure fixe constituerait un
changement important leur mandat. Le mandat dune dure fixe tablit une
inamovibilit plus fragile. Il suppose que les snateurs restent en fonction pour une
priode limite et offre ncessairement un degr moindre de protection lgard des
consquences que pourraient entraner des opinions quils expriment librement au
sujet des projets lgislatifs de la Chambre des communes. Limposition dun mandat
fixe, si long soit-il, constitue un changement qui met en jeu les intrts des provinces
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en tant que parties prenantes dans lordre constitutionnel canadien et exige
lapplication de la procdure normale celle du 7/50 nonce lart. 38 pour que
se ralise cette modification constitutionnelle.
Questions 2 et 3 : lections consultatives
Lintroduction dlections consultatives en vue de nommer les snateurs
mtamorphoserait larchitecture de la Constitution canadienne en confiant ces
derniers un mandat de reprsentation de la population qui est incompatible avec les
nature et rle fondamentaux du Snat titre dassemble lgislative complmentaire
charge de porter un second regard attentif aux projets de loi. Le point de vue suivant
lequel la mise en uvre des propositions relatives la tenue dlections consultatives
modifierait la Constitution canadienne trouve appui dans le texte de la partie V de la
Loi constitutionnelle de 1982. Les termes qui y sont utiliss servent de guides pour
dterminer quels aspects de notre systme de gouvernement font partie du contenu
constitutionnel protg. Suivant lal. 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982, la
procdure normale de modification (le par. 38(1)) sapplique aux modifications
constitutionnelles portant sur le mode de slection des snateurs . Cette expression
au sens large ne vise pas uniquement la nomination officielle des snateurs par le
gouverneur gnral et couvre la mise en place dlections consultatives. En utilisant
ce libell, les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont tendu la protection
constitutionnelle prvue par la procdure normale de modification tout le processus
de slection des snateurs. En consquence, la mise en place dlections
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consultatives relve de lal. 42(1)b) et est assujettie la procdure normale de
modification, sans que les provinces puissent sy soustraire . Elle ne peut se faire
conformment la procdure de modification unilatrale fdrale. Larticle 44
sapplique expressment sous rserve de lart. 42 c.--d. que les catgories de
modification vises lart. 42 sont soustraites lapplication de lart. 44.
Question 4 : Qualifications en matire de proprit
Le Parlement peut abroger, en vertu de la procdure de modification
unilatrale fdrale, lobligation pour les snateurs de possder un avoir net personnel
dau moins 4 000 $ (Loi constitutionnelle de 1867, par. 23(4)). Cette mesure
constitue prcisment le type de modification que les auteurs de la Loi
constitutionnelle de 1982 entendaient inclure dans le champ dapplication de lart. 44.
Elle met jour le cadre constitutionnel rgissant le Snat sans toucher ses nature et
rle fondamentaux. De mme, la suppression de la condition relative lavoir foncier
obligeant les snateurs possder des terres valant au moins 4 000 $ dans la province
pour laquelle ils sont nomms (Loi constitutionnelle de 1867, par. 23(3)) ne
modifierait pas les nature et rle fondamentaux du Snat. Toutefois, labrogation
complte du par. 23(3) rendrait inoprante la possibilit offerte aux snateurs du
Qubec par le par. 23(6) de possder leur qualification foncire dans leur collge
lectoral respectif, ce qui les obligerait effectivement rsider dans le collge
lectoral quils reprsentent. Cette mesure constituerait une modification au
par. 23(6), qui prvoit un arrangement spcial applicable une seule province, et
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entrerait donc dans le champ dapplication de la procdure relative aux arrangements
spciaux. Une telle modification requiert donc le consentement de lAssemble
nationale du Qubec en application de lart. 43 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Questions 5 et 6 : Abolition du Snat
Labolition du Snat ne concerne pas uniquement les pouvoirs ou les
snateurs au sens o il faut entendre ces termes pour lapplication des al. 42(1)b)
et c) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ces dispositions visent la rforme du Snat,
qui suppose le maintien de son existence. Ainsi, labolition pure et simple du Snat
chappe lapplication de ces alinas. Interprter lart. 42 comme envisageant
labolition du Snat irait lencontre du sens ordinaire de son libell, et pareille
interprtation ne trouve aucun appui dans le dossier historique. La mention des
modifications portant sur les pouvoirs du Snat et le nombre de snateurs pour chaque
province prsuppose le maintien de lexistence dun Snat et interdit toute abolition
indirecte de linstitution. La porte de lart. 42 permet de modifier considrablement
les pouvoirs du Snat et le nombre de snateurs. Dpouiller totalement le Snat de
ses pouvoirs et rduire zro le nombre de snateurs outrepasseraient toutefois la
porte de cette disposition. Labolition de la chambre haute impliquerait une
modification structurelle importante de la partie V. Les modifications de la
Constitution du Canada sont soumises au contrle du Snat, qui peut opposer un veto
aux modifications introduites en application de lart. 44 et retarder ladoption de
modifications apportes au titre des art. 38, 41, 42 et 43 pendant au plus 180 jours.
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Llimination du bicamralisme rendrait inoprant ce mcanisme de contrle et
transformerait dans les faits la dynamique du processus de modification
constitutionnelle. La structure constitutionnelle de la partie V serait
fondamentalement modifie dans son ensemble. Labolition du Snat changerait
donc fondamentalement notre architecture constitutionnelle en supprimant la
structure bicamrale de gouvernement qui sous-tend larchitecture de la Loi
constitutionnelle de 1867 et modifierait la partie V, ce qui exige le consentement
unanime du Parlement et des provinces en application de lal. 41e) de la Loi
constitutionnelle de 1982.
Jurisprudence
Arrts mentionns : Projet de loi fdral relatif au Snat (Re), 2013
QCCA 1807 (CanLII); Figueroa c. Canada (Procureur gnral), 2003 CSC 37,
[2003] 1 R.C.S. 912; Renvoi : Comptence du Parlement relativement la Chambre
haute, [1980] 1 R.C.S. 54; Renvoi relatif la scession du Qubec, [1998] 2 R.C.S.
217; Renvoi relatif la rmunration des juges de la Cour provinciale de
lle-du-Prince-douard, [1997] 3 R.C.S. 3; Renvoi relatif la Loi sur la Cour
suprme, art. 5 et 6, 2014 CSC 21; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
Edwards c. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124; R. c. Big M Drug Mart
Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-cosse
(Prsident de lAssemble lgislative), [1993] 1 R.C.S. 319; Renvoi relatif aux droits
linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; SEFPO c. Ontario (Procureur
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gnral), [1987] 2 R.C.S. 2; Renvoi : Rsolution pour modifier la Constitution,
[1981] 1 R.C.S. 753; Renvoi : Opposition du Qubec une rsolution pour modifier
la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793; Renvoi relatif la Loi sur les valeurs
mobilires, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837.
Lois et rglements cits
Loi constitutionnelle de 1867, prambule, art. 17, 22, 23(3), (4), (5), (6), 24, 29, 32,
35, 37, 53, 91(1), 92(1).
Loi constitutionnelle de 1965, S.C. 1965, ch. 4, art. 1.
Loi constitutionnelle de 1982, partie V, art. 38, 41, 42, 43, 44, 45, 47, 52.
Loi sur la Cour suprme, L.R.C. 1985, ch. S-26, art. 53.
Projet de loi C-7, Loi concernant la slection des snateurs et modifiant la Loi
constitutionnelle de 1867 relativement la limitation de la dure du mandat des snateurs, 1re sess., 41e lg., 2011, art. 3, ann., art. 1.
Projet de loi C-20, Loi prvoyant la consultation des lecteurs en ce qui touche leurs
choix concernant la nomination des snateurs, 2e sess., 39e lg., 2007.
Projet de loi C-60, Loi modifiant la Constitution du Canada dans certains domaines
ressortissant la comptence lgislative du Parlement du Canada et prvoyant les mesures ncessaires la modification de la Constitution dans certains autres domaines, 3e sess., 30e lg., 1978, art. 62 70.
Projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (dure du mandat des snateurs), 1re sess., 39e lg., 2006.
Doctrine et autres documents cits
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RENVOI par le Gouverneur en conseil au sujet de la rforme du Snat,
institu aux termes du dcret C.P. 2013-70 en date du 1er fvrier 2013. Les questions
1, 2, 3 et 5 reoivent une rponse ngative. La question 4 reoit une rponse
affirmative lgard du par. 23(4). Labrogation complte du par. 23(3) requiert une
rsolution de lassemble lgislative du Qubec, en application de lart. 43 de la Loi
constitutionnelle de 1982. La question 6 reoit une rponse affirmative.
Robert J. Frater, Christopher M. Rupar et Warren J. Newman, pour le
procureur gnral du Canada.
Michel Y. Hlie et Josh Hunter, pour lintervenant le procureur gnral de
lOntario.
-
Jean-Yves Bernard et Jean-Franois Beaupr, pour lintervenant le
procureur gnral du Qubec.
Edward A. Gores, c.r., pour lintervenant le procureur gnral de la
Nouvelle-cosse.
Denis Thriault et David D. Eidt, pour lintervenant le procureur gnral
du Nouveau-Brunswick.
Heather S. Leonoff, c.r., et Charles Murray, pour lintervenant le
procureur gnral du Manitoba.
Nancy E. Brown, pour lintervenant le procureur gnral de la
Colombie-Britannique.
D. Spencer Campbell, c.r., Rosemary S. Scott, c.r., et Jonathan M. Coady,
pour lintervenant le procureur gnral de lle-du-Prince-douard.
Graeme G. Mitchell, c.r., et J. Thomson Irvine, pour lintervenant le
procureur gnral de la Saskatchewan.
Margaret Unsworth, c.r., Randy Steele et Donald Padget, pour
lintervenant le procureur gnral de lAlberta.
-
Philip Osborne et Barbara G. Barrowman, pour lintervenant le
procureur gnral de Terre-Neuve-et-Labrador.
Bradley E. Patzer et Anne F. Walker, pour lintervenant le procureur
gnral des Territoires du Nord-Ouest.
Norman M. Tarnow et Adrienne E. Silk, pour lintervenant le procureur
gnral du Nunavut.
Lhonorable Serge Joyal, c.p., en personne.
Nicholas Peter McHaffie et Paul Beaudry, pour lintervenante
lhonorable Anne C. Cools.
Sbastien Grammond, Mark C. Power, Jennifer Klinck et Perri Ravon,
pour lintervenante la Fdration des communauts francophones et acadienne du
Canada.
Serge Rousselle, pour lintervenante la Socit de lAcadie du
Nouveau-Brunswick Inc.
Daniel Jutras, John J. L. Hunter, c.r., Brent B. Olthuis, Claire E. Hunter
et Kate Glover, pour lamicus curiae.
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Version franaise de lavis rendu par
LA COUR
I. Introduction
[1] Le Snat est une des institutions politiques fondamentales du Canada. Il
se situe au cur des ententes ayant donn naissance la fdration canadienne.
Pourtant, depuis ses premires sances, des voix se sont leves pour rclamer sa
rforme, et mme, parfois, son abolition.
[2] Le gouvernement du Canada pose maintenant essentiellement quatre
questions la Cour, en vertu de lart. 53 de la Loi sur la Cour suprme, L.R.C. 1985,
ch. S-26 : (1) Le Parlement peut-il unilatralement instaurer un rgime dlections
consultatives en vue de nommer les snateurs? (2) Le Parlement peut-il
unilatralement prvoir des mandats dune dure fixe pour les snateurs? (3) Le
Parlement peut-il retrancher unilatralement de la Loi constitutionnelle de 1867
lexigence selon laquelle les snateurs doivent possder des terres dune valeur de
4 000 $ dans la province pour laquelle ils sont nomms ainsi quun avoir net dau
moins 4 000 $? (4) Quel est le degr de consentement provincial ncessaire pour
abolir le Snat?
-
[3] Nous concluons que le Parlement ne peut unilatralement apporter au
Snat la plupart des changements proposs, qui exigent le consentement dau moins
sept provinces dont la population confondue reprsente au moins la moiti de la
population de toutes les provinces. Nous concluons en outre que labolition du Snat
exige le consentement de lensemble des provinces. En effet, labolition de cette
institution modifierait de faon fondamentale la structure constitutionnelle
canadienne, y compris les procdures de modification de la Constitution. Un tel
changement exigerait un consensus fdral-provincial unanime.
[4] Cela dit, nos conclusions se limitent aux questions prcises qui ont t
poses la Cour qui il nappartient pas de spculer sur lventail complet des
changements susceptibles de toucher le Snat. Dans le dbat actuel sur lavenir de
cette institution, le rle de la Cour consiste plutt noncer le cadre lgal applicable
pour la mise en uvre des changements prcis envisags par les questions dont elle
est saisie. Il ne nous revient pas de juger de lopportunit de ces changements; il
appartient plutt aux Canadiens et leurs institutions lgislatives den dcider.
II. Les questions poses dans le renvoi
[5] Le 1er fvrier 2013, le gouverneur en conseil a pris le dcret C.P. 2013-70
soumettant les questions suivantes la Cour en vertu de lart. 53 de la Loi sur la Cour
suprme :
-
1. Pour chacune des limites ci-aprs proposes pour la dure du mandat des snateurs, le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour
apporter les modifications larticle 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 afin de prvoir :
a) un mandat dune dure fixe de neuf ans, tel que le propose larticle 5 du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat;
b) un mandat dune dure fixe de dix ans ou plus;
c) un mandat dune dure fixe de huit ans ou moins;
d) un mandat dune dure fixe de deux ou trois lgislatures;
e) le renouvellement du mandat des snateurs, tel que le propose larticle 2 du projet de loi S-4, Loi constitutionnelle de 2006 (dure du mandat des snateurs);
f) une limite la dure du mandat des snateurs nomms aprs le 14 octobre 2008, tel que le propose le paragraphe 4(1) du projet
de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat;
g) une limite rtrospective la dure du mandat des snateurs nomms avant le 14 octobre 2008?
2. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de
1982, la comptence lgislative voulue pour dicter des lois qui permettraient de consulter, dans le cadre dun processus national, la population de chaque province et territoire afin de faire connatre ses
prfrences quant la nomination de candidats snatoriaux, conformment au projet de loi C-20, Loi sur les consultations concernant la nomination des snateurs?
3. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de
1982, la comptence lgislative voulue pour prvoir un cadre qui viserait ldiction de lois par les lgislatures provinciales et territoriales conformes lannexe du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat ,
pour consulter leurs populations afin de faire connatre leurs prfrences quant la nomination de candidats snatoriaux?
4. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour abroger les paragraphes 23(3) et (4) de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant
la qualification des snateurs en matire de proprit?
-
5. Pourrait-on, par lun des moyens ci-aprs, avoir recours la procdure normale de modification prvue larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour abolir le Snat :
a) ajouter une disposition distincte prvoyant que le Snat serait aboli une date prcise, titre de modification de la Loi
constitutionnelle de 1867, ou de disposition distincte des Lois constitutionnelles de 1867 1982 sinscrivant nanmoins dans la Constitution du Canada;
b) modifier ou abroger en tout ou en partie les renvois au Snat dans la Constitution du Canada;
c) abroger les pouvoirs du Snat et liminer la reprsentation des provinces en vertu des alinas 42(1)b) et c) de la Loi constitutionnelle de 1982?
6. Si la procdure normale de modification prvue larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne permet pas dabolir le Snat, faudrait-il
recourir la procdure de consentement unanime prvue larticle 41 de cette loi?
[6] Pour illustrer le contenu des changements proposs au Snat, les
questions font rfrence aux projets de loi S-4, C20 et C7. Les deux premiers ont
t dposs respectivement en 2006 et en 2007, tandis que le troisime a fait lobjet
dune premire lecture le 21 juin 2011. Ces trois projets de loi sont morts au
Feuilleton.
[7] Le projet de loi S-4 proposait de remplacer le mandat actuel des snateurs
qui prend fin lorsquils atteignent lge de 75 ans par des mandats
renouvelables de huit ans.
[8] Pour leur part, les projets de loi C-20 et C-7 proposaient chacun dtablir
un rgime dtaill dlections consultatives permettant de choisir des candidats
-
aux postes de snateurs. Suivant le projet de loi C-20, les noms des candidats retenus
lors dlections consultatives nationales auraient t transmis au premier ministre du
Canada pour quil en tienne compte au moment de recommander au gouverneur
gnral des candidats pour combler les postes vacants au Snat.
[9] De mme, le projet de loi C-7 prvoyait confier aux snateurs un mandat
non renouvelable de neuf ans et nonait une loi provinciale et territoriale type
prescrivant la tenue dlections consultatives. Il disposait aussi que le premier
ministre tien[drait] compte des personnes dont le nom aurait figur sur les listes
de candidats retenus (art. 3), et la loi type qui y tait annexe nonait le principe
selon lequel les snateurs devraient tre choisis parmi ces candidats : art. 1.
[10] La Cour nest pas la premire se pencher sur les questions poses en
lespce. Quand le Parlement a prsent le projet de loi C-7, le gouvernement du
Qubec a demand la Cour dappel de cette province si les changements au Snat
proposs pouvaient tre apports par une intervention unilatrale du Parlement.
[11] La Cour dappel du Qubec a conclu que le Parlement ne pouvait pas
modifier unilatralement la dure du mandat des snateurs ou prvoir la tenue
dlections consultatives en vue de leur nomination : Projet de loi fdral relatif au
Snat (Re), 2013 QCCA 1807 (CanLII) (le Renvoi qubcois relatif au Snat ).
Selon elle, ces changements relvent plutt de lart. 42 de la Loi constitutionnelle de
1982 et ne peuvent tre raliss quavec le consentement des assembles lgislatives
dau moins deux tiers des provinces dont la population confondue reprsente au
-
moins la moiti de la population de toutes les provinces. Toujours selon la Cour
dappel du Qubec, les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont voulu
constitutionnaliser le statu quo lgard du Snat jusqu ce quun large consensus se
ralise propos de sa rforme.
[12] Bien quon ne lui ait pas demand directement de se prononcer sur la
faon dabolir le Snat, la Cour dappel du Qubec a affirm que labolition de cette
institution exigerait le consentement unanime des provinces : par. 29. Selon son
raisonnement, labolition du Snat changerait implicitement les procdures de
modification de la Constitution prvues la partie V de la Loi constitutionnelle de
1982, or lal. 41e) de cette loi exige le consentement unanime des provinces pour
raliser un tel changement.
III. Le Snat
[13] Il convient dabord dexposer brivement la nature et lhistoire de
linstitution au cur du prsent renvoi.
[14] Les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1867 ont cherch adapter le
modle de gouvernement britannique un nouveau pays, pour doter celui-ci dune
constitution reposant sur les mmes principes que celle du Royaume-Uni :
prambule. Ils souhaitaient ainsi prserver la structure parlementaire britannique
constitue dune chambre lgislative basse o sigent des reprsentants lus, dune
-
chambre lgislative haute forme de membres de llite nomms par la Couronne, et
de la Couronne en tant que chef de ltat.
[15] Ainsi, la chambre haute appele Snat par les auteurs de la
Constitution a t cre sur le modle de la Chambre des lords britannique, mais
adapte au contexte canadien. Comme au Royaume-Uni, elle a t conue pour
permettre de donner un [TRADUCTION] second regard attentif ( sober second
thought ) aux mesures lgislatives adoptes par les reprsentants du peuple la
Chambre des communes : John A. Macdonald, Province du Canada, Assemble
lgislative, Dbats parlementaires sur la question de la Confdration des provinces
de lAmrique britannique du Nord, 3e sess., 8e parlement provincial (les Dbats de
1865 ), 6 fvrier 1865, p. 35. Elle a toutefois aussi assur une forme distincte de
reprsentation des rgions qui staient jointes la Confdration et qui, ce faisant,
avaient cd une partie importante de leurs pouvoirs lgislatifs au nouveau Parlement
fdral : Figueroa c. Canada (Procureur gnral), 2003 CSC 37, [2003] 1
R.C.S. 912, par. 164 166, le juge LeBel. Mme si la reprsentation des nouvelles
provinces canadiennes la Chambre des communes tait proportionnelle leur
population, chaque rgion obtenait un nombre gal de reprsentants au Snat, peu
importe sa population. Cette rgle dgalit visait assurer aux rgions que leurs
voix continueraient de se faire entendre dans le processus lgislatif, mme si elles
devenaient minoritaires au sein de lensemble de la population canadienne : George
Brown, Dbats de 1865, 8 fvrier 1865, p. 87; D. Pinard, The Canadian Senate : An
Upper House Criticized Yet Condemned to Survive Unchanged? , dans J. Luther,
-
P. Passaglia et R. Tarchi, dir., A World of Second Chambers : Handbook for
Constitutional Studies on Bicameralism (2006), 459, p. 462.
[16] Avec le temps, le Snat en est aussi venu reprsenter divers groupes
sous-reprsents la Chambre des communes. Il a servi de tribune aux femmes ainsi
qu des groupes ethniques, religieux, linguistiques et autochtones auxquels le
processus dmocratique populaire navait pas toujours donn une opportunit relle
de faire valoir leurs opinions : B. Pelletier, Rponses suggres aux questions
souleves par le renvoi la Cour suprme du Canada concernant la rforme du
Snat (2013), 43 R.G.D. 445 ( Rponses suggres quant au renvoi sur le Snat ),
p. 485 et 486.
[17] Mme sil a t le fruit dun consensus, le Snat a rapidement fait lobjet
de critiques et de propositions de rforme. Certains taient davis quil chouait
donner un second regard attentif aux projets de loi et quil y rgnait le mme
esprit partisan qu la Chambre des communes. Dautres lont critiqu parce quil
navait pas rellement russi reprsenter les intrts des provinces comme on lavait
voulu au dpart, et ont insist sur son manque de lgitimit dmocratique.
[18] Durant les annes ayant prcd le rapatriement de la Constitution, les
propositions de rforme portaient principalement sur trois aspects : (i) modifier la
rpartition des siges au Snat1; (ii) circonscrire les pouvoirs du Snat2; et
1 Voir par exemple Le Comit spcial mixte du Snat et de la Chambre des communes sur la
Constitution du Canada : Rapport final (1972) (le rapport Molgat-MacGuigan ), p. 35; Rapport sur
-
(iii) changer le mode de slection des snateurs3. Ces propositions tenaient pour
acquis que le Snat continuerait dexister, mais visaient amliorer sa contribution au
processus lgislatif.
[19] En 1978, le gouvernement fdral a dpos un projet de loi pour rformer
compltement le Snat en rajustant la rpartition des siges entre les rgions, en
retirant au Snat le veto absolu dont il dispose lgard de la plupart des lois et en lui
confrant plutt le pouvoir de retarder ladoption de ces dernires, et en confiant la
Chambre des communes et aux lgislatures provinciales le pouvoir de choisir les
snateurs : Projet de loi de 1978 sur la rforme constitutionnelle (projet de loi C-60),
20 juin 1978, art. 62 70. Le projet de loi na pas t adopt. Dailleurs, en 1980, la
Cour a conclu que la Constitution, dans ltat o elle se trouvait lpoque, ne
permettait pas au Parlement de modifier unilatralement les caractristiques
fondamentales du Snat ou de labolir : Renvoi : Comptence du Parlement
relativement la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54 ( Renvoi relatif la Chambre
haute ).
[20] Malgr des critiques persistantes et lchec des tentatives visant le
rformer, le Snat na pas beaucoup chang depuis sa cration. La question dont nous
sommes maintenant saisis nest pas celle de lopportunit de rformer le Snat ni
certains aspects de la Constitution canadienne (1980) (le rapport Lamontagne ), p. 36-37;
P. McCormick, E. C. Manning et G. Gibson, Regional Representation : The Canadian Partnership
(1981), p. 109-110. 2 Voir par exemple la Commission de lunit canadienne, Se retrouver : Observations et
recommandations (1979) (le rapport Pepin-Robarts ), p. 105 et 136-137. 3 Voir par exemple le rapport Molgat-MacGuigan, p. 35; M. Lalonde, La rforme constitutionnelle : La
Chambre de la Fdration (1978), p. 7 et suiv.
-
celle de dterminer quelles rformes seraient prfrables, mais plutt celle
dexaminer comment les changements prcis envisags dans le renvoi peuvent tre
mis en uvre dans le respect de la Constitution. Ce constat nous amne la question
relative aux modifications constitutionnelles au Canada.
IV. Les procdures de modification prvues la partie V
[21] La loi qui a cr le Snat la Loi constitutionnelle de 1867 fait partie
intgrante de la Constitution du Canada. Elle ne peut tre modifie quen conformit
avec les procdures de modification prvues par la Constitution : Loi constitutionnelle
de 1982, par. 52(2) et (3). Nous devons donc dterminer si les modifications
envisages dans le renvoi modifient la Constitution et, le cas chant, quelles sont les
procdures de modification applicables.
[22] Avant de rpondre ces questions, nous nous pencherons sur le problme
de la modification de la Constitution canadienne de faon gnrale. Nous
examinerons successivement la nature et le contenu de la Constitution du Canada, le
concept de modification constitutionnelle, puis les procdures de modification de la
Constitution.
A. La Constitution du Canada
[23] La Constitution du Canada forme un ensemble complet de rgles et de
principes offrant un cadre juridique exhaustif pour notre systme de
-
gouvernement : Renvoi relatif la scession du Qubec, [1998] 2 R.C.S. 217
( Renvoi relatif la scession ), par. 32. Elle dfinit les pouvoirs des lments
constitutifs du rgime gouvernemental canadien lexcutif, le lgislatif et le
judiciaire ainsi que le partage des comptences entre le fdral et les provinces :
Renvoi relatif la rmunration des juges de la Cour provinciale de
lle-du-Prince-douard, [1997] 3 R.C.S. 3 ( Renvoi relatif aux juges de la Cour
provinciale ), par. 108. Elle rgit aussi la relation de ltat avec le citoyen. En
outre, un pouvoir gouvernemental ne peut tre exerc lgalement que sil est
conforme la Constitution : Loi constitutionnelle de 1982, par. 52(1); Renvoi relatif
la scession, par. 70-78; Renvoi relatif la Loi sur la Cour suprme, art. 5 et 6, 2014
CSC 21 ( Renvoi relatif la Loi sur la Cour suprme ), par. 89.
[24] Le paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 dfinit la
Constitution du Canada en ces termes :
52. [. . .]
(2) La Constitution du Canada comprend :
a) la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la prsente loi;
b) les textes lgislatifs et les dcrets figurant lannexe;
c) les modifications des textes lgislatifs et des dcrets
mentionns aux alinas a) ou b).
Les documents numrs lannexe de la Loi constitutionnelle de 1982, comme
faisant partie de la Constitution, comprennent la Loi constitutionnelle de 1867.
Cependant, larticle 52 ne dfinit pas de faon exhaustive le contenu de la
-
Constitution du Canada : Renvoi relatif la Loi sur la Cour suprme, par. 97-100;
Renvoi relatif la scession, par. 32.
[25] La Constitution met en place une structure de gouvernement et doit tre
interprte au regard du texte constitutionnel lui-mme, de son contexte historique
et des diverses interprtations donnes par les tribunaux en matire
constitutionnelle : Renvoi relatif la scession, par. 32; voir, de faon gnrale,
H. Cyr, Labsurdit du critre scriptural pour qualifier la constitution (2012), 6
J.P.P.L. 293. Les rgles dinterprtation constitutionnelle exigent que les documents
constitutionnels reoivent une interprtation large et tlologique et quils soient
situs dans leurs contextes linguistique, philosophique et historique appropris :
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 155-156; Edwards c.
Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (C.P.), p. 136; R. c. Big M Drug Mart
Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344; Renvoi relatif la Loi sur la Cour suprme,
par. 19. De faon gnrale, linterprtation constitutionnelle doit reposer sur les
principes de base de la Constitution, tels le fdralisme, la dmocratie, la protection
des minorits, ainsi que le constitutionnalisme et la primaut du droit : Renvoi relatif
la scession; Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale; New Brunswick
Broadcasting Co. c. Nouvelle-cosse (Prsident de lAssemble lgislative), [1993] 1
R.C.S. 319; Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721.
[26] Ces rgles et principes dinterprtation ont amen la Cour conclure que
la Constitution possde une architecture interne , ou une structure
-
constitutionnelle fondamentale : voir aussi le Renvoi relatif la scession, par. 50;
SEFPO c. Ontario (Procureur gnral), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 57; voir aussi le Renvoi
relatif la Loi sur la Cour suprme, par. 82. La notion darchitecture exprime le
principe selon lequel [c]haque lment individuel de la Constitution est li aux
autres et doit tre interprt en fonction de lensemble de sa structure : Renvoi
relatif la scession, par. 50; voir aussi lanalyse relative lapproche adopte par la
Cour lgard de linterprtation constitutionnelle dans M. D. Walters, Written
Constitutions and Unwritten Constitutionalism , dans G. Huscroft, dir., Expounding
the Constitution : Essays in Constitutional Theory (2008), 245, p. 264 et 265.
Autrement dit, la Constitution doit tre interprte de faon discerner la structure de
gouvernement quelle vise mettre en uvre. Les prmisses qui sous-tendent le texte
et la faon dont les dispositions constitutionnelles sont censes interagir les unes avec
les autres doivent contribuer notre interprtation et notre comprhension du texte,
ainsi qu son application.
B. Les modifications de la Constitution du Canada
[27] Le concept de modification de la Constitution du Canada , au sens de
la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, doit tre compris au regard de la
nature de la Constitution et des rgles applicables son interprtation. Comme nous
lavons vu, la Constitution ne doit pas tre considre comme un simple ensemble de
dispositions crites isoles. Elle a une architecture, une structure fondamentale. Par
extension, les modifications constitutionnelles ne se limitent pas aux modifications
-
apportes au texte de la Constitution. Elles comprennent aussi les modifications son
architecture.
C. Les procdures de modification prvues la partie V
[28] La partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 dtermine la procdure
ncessaire pour modifier la Constitution du Canada (voir lannexe). Elle prcise
quelles modifications peuvent tre apportes unilatralement par le Parlement et les
lgislatures provinciales, quelles modifications exigent un degr apprciable de
consentement fdral et provincial, et quelles modifications ncessitent un
consentement unanime.
Historique
[29] La formule de modification prvue la partie V reflte le principe selon
lequel les modifications constitutionnelles mettant en cause des intrts provinciaux
exigent la fois le consentement du Parlement et un degr apprciable de
consentement provincial. Puisque, avant le rapatriement, la Loi constitutionnelle de
1867 tait une loi du Parlement britannique, une modification la Constitution du
Canada exigeait ladoption dune loi du Parlement britannique en rponse une
rsolution conjointe que devaient lui adresser le Snat et la Chambre des communes.
Il ny avait aucune exigence formelle de consulter les provinces. Toutefois, en
pratique, tout au long du 20e sicle, le gouvernement fdral a consult les provinces
relativement aux modifications constitutionnelles touchant directement les relations
-
fdrales-provinciales et obtenu leur consentement avant de soumettre une adresse
conjointe au Parlement britannique : Canada, Ministre de la Justice, Modification de
la Constitution du Canada (1965) ( Favreau ), p. 15 et 16. Au moment du
rapatriement, cette pratique tait devenue une convention constitutionnelle selon
laquelle il fallait un consentement provincial apprciable pour solliciter des
modifications constitutionnelles ayant un effet direct sur les relations
fdrales-provinciales : Renvoi : Rsolution pour modifier la Constitution, [1981] 1
R.C.S. 753 (le Renvoi sur le rapatriement ), p. 889 895; Renvoi : Opposition
une rsolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793.
[30] partir des annes 30, le gouvernement fdral et les provinces ont tenu
une srie de confrences pour discuter de la possibilit dadopter une formule de
modification formelle. Ces discussions ont donn lieu plusieurs propositions : voir
en particulier la formule Fulton-Favreau, dans Favreau, p. 110 115; et la Charte de
Victoria, dans Confrence constitutionnelle : Dlibrations (1971), ann. B. En
octobre 1980, dans le cadre des efforts visant raliser une rforme constitutionnelle
denvergure, le gouvernement fdral a dpos une nouvelle proposition de formule
de modification la Chambre des communes et au Snat : Projet de rsolution
portant adresse commune Sa Majest la Reine concernant la Constitution du
Canada , dans La Constitution canadienne 1980 : Projet de rsolution concernant la
Constitution du Canada (1980). En rponse, les premiers ministres provinciaux ont
labor une contre-proposition l Accord davril de 1981 qui est devenue le
-
canevas de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 : Accord constitutionnel :
Projet canadien de rapatriement de la Constitution (1981).
[31] LAccord davril et, en dfinitive, la partie V refltent le consensus
politique selon lequel les provinces doivent avoir un droit de participation aux
modifications constitutionnelles mettant en cause leurs intrts.
[TRADUCTION] L objectif sous-jacent de ces textes consiste restreindre les
pouvoirs de modification unilatrale de la Constitution confrs au fdral :
P. J. Monahan et B. Shaw, Constitutional Law (4e d. 2013), p. 204; Renvoi relatif
la Loi sur la Cour suprme, par. 98-100. On y consacre aussi le principe de
lgalit constitutionnelle des provinces comme partenaires gaux au sein de la
Confdration : Accord constitutionnel : Projet canadien de rapatriement de la
Constitution, observations gnrales dans la partie A, p. 1. En principe, les provinces
sont sur un pied dgalit en ce qui concerne les modifications constitutionnelles, et
toutes les provinces jouissent des mmes droits dans le processus de modification. La
formule de modification ainsi tablie est conue pour favoriser le dialogue entre le
gouvernement fdral et les provinces sur les questions relatives la modification de
la Constitution, et pour prserver le statu quo constitutionnel au Canada jusqu ce
que les parties prenantes sentendent sur des rformes.
Les procdures de modification
[32] La partie V prvoit quatre catgories de procdures de modification. La
premire, la procdure normale de modification (art. 38, complt par lart. 42), exige
-
un degr apprciable de consensus entre le Parlement et les lgislatures provinciales.
La deuxime, la procdure de consentement unanime (art. 41), sapplique certaines
modifications juges fondamentales par les auteurs de la Loi constitutionnelle de
1982. La troisime, la procdure relative aux arrangements spciaux (art. 43), vise
les modifications apportes des dispositions de la Constitution qui sappliquent
certaines provinces uniquement. La quatrime, la procdure de modification
unilatrale fdrale et provinciale, concerne certains aspects dinstitutions
gouvernementales mettant en cause des intrts purement fdraux ou provinciaux
(art. 44 et 45).
La procdure normale de modification
[33] Larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 prvoit :
38. (1) La Constitution du Canada peut tre modifie par proclamation du gouverneur gnral sous le grand sceau du Canada, autorise la fois :
a) par des rsolutions du Snat et de la Chambre des communes;
b) par des rsolutions des assembles lgislatives dau moins deux tiers des provinces dont la population confondue reprsente, selon
le recensement gnral le plus rcent lpoque, au moins cinquante pour cent de la population de toutes les provinces.
(2) Une modification faite conformment au paragraphe (1) mais drogatoire la comptence lgislative, aux droits de proprit ou tous autres droits ou privilges dune lgislature ou dun gouvernement
provincial exige une rsolution adopte la majorit des snateurs, des dputs fdraux et des dputs de chacune des assembles lgislatives
du nombre requis de provinces.
(3) La modification vise au paragraphe (2) est sans effet dans une province dont lassemble lgislative a, avant la prise de la proclamation,
-
exprim son dsaccord par une rsolution adopte la majorit des dputs, sauf si cette assemble, par rsolution galement adopte la majorit, revient sur son dsaccord et autorise la modification.
(4) La rsolution de dsaccord vise au paragraphe (3) peut tre rvoque tout moment, indpendamment de la date de la proclamation
laquelle elle se rapporte.
[34] Cette disposition dcrit le processus gnralement applicable pour
modifier la Constitution canadienne. Celui-ci reflte le principe selon lequel il est
ncessaire dobtenir le consentement dun nombre apprciable de provinces pour
apporter des modifications constitutionnelles qui touchent leurs intrts. Larticle 38
codifie ce quon appelle communment la procdure 7/50 , selon laquelle les
modifications la Constitution du Canada doivent tre autorises par des rsolutions
du Snat, de la Chambre des communes et des assembles lgislatives dau moins
sept provinces dont la population confondue reprsente au moins la moiti de la
population de toutes les provinces. Il confre aussi ces dernires le droit de se
soustraire aux modifications constitutionnelles drogatoires [] l[eur] comptence
lgislative, [ leurs] droits de proprit ou [. . .] [] tous autres droits ou privilges [de
leur] lgislature ou [de leur] gouvernement .
[35] En exigeant un consensus provincial apprciable plutt que lunanimit,
lart. 38 [TRADUCTION] ralise un compromis entre les exigences de lgitimit et de
souplesse : J. Cameron, To Amend the Process of Amendment , dans
G.-A. Beaudoin et autres, Le fdralisme de demain : rformes essentielles (1998),
315, p. 324. Cette disposition [TRADUCTION] vise fondamentalement [. . .] assurer
-
aux provinces que leurs droits et privilges ne seront pas touchs sans leur
consentement : Monahan et Shaw, p. 192.
[36] La procdure prvue lart. 38 reprsente lquilibre que les auteurs de la
Loi constitutionnelle de 1982 ont jug appropri pour la plupart des modifications
constitutionnelles, soit toutes les modifications sauf celles vises par une des autres
dispositions de la partie V. Lart. 38 dcrit donc la procdure normalement applique
pour modifier la Constitution canadienne. Les autres procdures nonces la
partie V devraient alors tre considres comme des exceptions cette rgle gnrale.
[37] Larticle 42 complte lart. 38 en prvoyant expressment certaines
catgories de modifications auxquelles sapplique la procdure 7/50 nonce au
par. 38(1) :
42. (1) Toute modification de la Constitution du Canada portant sur
les questions suivantes se fait conformment au paragraphe 38(1) :
a) le principe de la reprsentation proportionnelle des provinces la Chambre des communes prvu par la
Constitution du Canada;
b) les pouvoirs du Snat et le mode de slection des snateurs;
c) le nombre des snateurs par lesquels une province est habilite tre reprsente et les conditions de rsidence quils doivent remplir;
d) sous rserve de lalina 41d), la Cour suprme du Canada;
e) le rattachement aux provinces existantes de tout ou partie
des territoires;
-
f) par drogation toute autre loi ou usage, la cration de provinces.
(2) Les paragraphes 38(2) (4) ne sappliquent pas aux questions
mentionnes au paragraphe (1).
[38] Cette disposition poursuit deux objectifs. Premirement, donner aux
auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 la certitude que la procdure 7/50
sapplique aux modifications portant sur certaines questions qui y sont expressment
incluses : J. D. Whyte, Senate Reform : What Does the Constitution Say? , dans
J. Smith, dir., The Democratic Dilemma : Reforming the Canadian Senate (2009), 97,
p. 102. Deuximement, dclarer que le droit des provinces de se soustraire
certaines modifications vises aux par. 38(2) (4) ne sapplique pas aux catgories de
modifications prvues lart. 42. Ainsi, les modifications apportes sous le rgime
de lart. 42 sappliquent de manire uniforme toutes les provinces et les
changements viss par la disposition sont mis en uvre de manire cohrente partout
au pays.
[39] Lalina 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982 prvoit expressment
que la procdure normale de modification sapplique aux modifications portant sur
les pouvoirs du Snat et le mode de slection des snateurs . Nous discuterons
plus loin du sens donner ces termes et de leur incidence sur les questions dont
nous sommes saisis.
-
La procdure de consentement unanime
[40] Larticle 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 nonce une procdure de
modification exigeant un consentement unanime pour certaines questions :
41. Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait par proclamation du gouverneur gnral sous le grand sceau du Canada, autorise par des rsolutions du Snat, de la
Chambre des communes et de lassemble lgislative de chaque province :
a) la charge de Reine, celle de gouverneur gnral et celle de lieutenant-gouverneur;
b) le droit dune province davoir la Chambre des communes un
nombre de dputs au moins gal celui des snateurs par lesquels elle est habilite tre reprsente lors de lentre en vigueur de la
prsente partie;
c) sous rserve de larticle 43, lusage du franais ou de langlais;
d) la composition de la Cour suprme du Canada;
e) la modification de la prsente partie.
[41] Larticle 41 exige le consentement unanime du Snat, de la Chambre des
communes et de toutes les assembles lgislatives provinciales pour les catgories de
modifications qui y sont dcrites. Il [TRADUCTION] confre le plus haut niveau de
protection et de conscration constitutionnelles aux questions numres :
W. J. Newman, Living with the Amending Procedures : Prospects for Future
Constitutional Reform in Canada (2007), 37 S.C.L.R. (2d) 383, p. 388. Cette
disposition constitue une exception la procdure normale de modification. Elle cre
une procdure de modification exigeante destine sappliquer certains
-
changements fondamentaux apports la Constitution du Canada. Le professeur
Pelletier dcrit avec justesse la raison pour laquelle lunanimit est exige pour les
catgories de modifications numres :
[L]a rgle de lunanimit, affirme par larticle 41 de la Loi de 1982, se justifie par la ncessit quil y a [. . .] de confrer chacun des
partenaires du compromis fdratif canadien un droit de veto par rapport aux sujets qui sont considrs comme les plus fondamentaux pour la
survie de ltat.
(B. Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada (1996), p. 208)
La procdure relative aux arrangements spciaux
[42] Larticle 43 de la Loi constitutionnelle de 1982 prvoit ce qui suit :
43. Les dispositions de la Constitution du Canada applicables certaines provinces seulement ne peuvent tre modifies que par proclamation du gouverneur gnral sous le grand sceau du Canada,
autorise par des rsolutions du Snat, de la Chambre des communes et de lassemble lgislative de chaque province concerne. Le prsent
article sapplique notamment :
a) aux changements du trac des frontires interprovinciales;
b) aux modifications des dispositions relatives lusage du franais ou de langlais dans une province.
[43] Larticle 43 vise les modifications portant sur les dispositions de la
Constitution du Canada applicables uniquement certaines provinces.
Ltablissement de son champ dapplication et des effets de son interaction avec les
autres dispositions de la partie V prsente de grandes difficults conceptuelles. Ces
-
dernires ont amen le professeur Scott qualifier cet article de [TRADUCTION] cube
Rubik de la partie V : S. A. Scott, Pussycat, Pussycat or Patriation and the New
Constitutional Amendment Processes (1982), 20 U.W.O. L. Rev. 247, p. 292 298.
Nos remarques sur lart. 43 se limiteront ce qui est ncessaire pour rpondre aux
questions du renvoi dont nous sommes saisis.
[44] Lart. 43 entre en jeu, tout le moins, lorsquune modification
constitutionnelle touche une disposition de la Constitution du Canada qui prvoit un
arrangement spcial , applicable uniquement une ou certaines des provinces.
En pareil cas, le recours la procdure 7/50 aurait une porte trop large, car il
subordonnerait ladoption de la modification au consentement de provinces
auxquelles ne sapplique pas la disposition. Larticle 43 permet aussi dviter quune
disposition qui prvoit un arrangement spcial puisse tre modifie sans le
consentement des provinces vises par larrangement : Monahan et Shaw, p. 210.
Les procdures unilatrales fdrale et provinciale
[45] Les articles 44 et 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 prvoient des
procdures de modification unilatrales par le fdral et par les provinces :
44. Sous rserve des articles 41 et 42, le Parlement a comptence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada
relatives au pouvoir excutif fdral, au Snat ou la Chambre des communes.
45. Sous rserve de larticle 41, une lgislature a comptence
exclusive pour modifier la constitution de sa province.
-
[46] Ces articles jouent essentiellement le mme rle que jouaient les
par. 91(1)4 et 92(1)5 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui ont t abrogs lors de
ladoption de la Loi constitutionnelle de 1982 : Accord constitutionnel : Projet
canadien de rapatriement de la Constitution, notes explicatives 7 et 8; P. W. Hogg,
Constitutional Law of Canada (feuilles mobiles), p. 4-31 4-34; Pelletier, Rponses
suggres quant au renvoi sur le snat , p. 462 et 463; G. Tremblay, La porte
largie de la procdure bilatrale de modification de la Constitution du Canada
(2011), 41 R.G.D. 417, p. 428; W. J. Newman, Defining the Constitution of
Canada Since 1982 : The Scope of the Legislative Powers of Constitutional
Amendment under Sections 44 and 45 of the Constitution Act, 1982 (2003), 22
S.C.L.R. (2d) 423, p. 494; Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada,
p. 117 et 181; voir aussi R. I. Cheffins, The Constitution Act, 1982 and the
Amending Formula : Political and Legal Implications (1982), 4 S.C.L.R. 43,
p. 52-53.
4 Le paragraphe 91(1) confrait au Parlement comptence lgislative sur :
1. La modification, de temps autre, de la constitution du Canada, sauf en ce qui concerne les
matires rentrant dans les catgories de sujets que la prsente loi attribue exclusivement aux
lgislatures des provinces, ou en ce qui concerne les droits ou privilges accords ou garantis, par la
prsente loi ou par toute autre loi constitutionnelle, la lgislature ou au gouvernement d une province, ou quelque catgorie de personnes en matire d coles, ou en ce qui regarde lemploi de langlais ou du franais, ou les prescriptions portant que le parlement du Canada tiendra au moins une
session chaque anne et que la dure de chaque chambre des communes sera limite cinq annes,
depuis le jour du rapport des brefs ordonnant llection de cette chambre; toutefois, le parlement du Canada peut prolonger la dure dune chambre des communes en temps de guerre, dinvasion ou
dinsurrection, relles ou apprhendes, si cette prolongation n est pas lobjet dune opposition exprime par les votes de plus du tiers des membres de ladite chambre. 5 Le paragraphe 92(1) confrait aux lgislatures provinciales comptence sur :
1. Lamendement de temps autre, nonobstant toute disposition contraire nonce dans le prsent acte, de la constitution de la province, sauf les dispositions relatives la charge de
lieutenant-gouverneur;
-
[47] Les paragraphes 91(1) et 92(1) de la Loi constitutionnelle de 1867
accordaient aux gouvernements fdral et provinciaux le pouvoir de modifier leurs
constitutions respectives, condition que les modifications ne mettent pas en cause
les intrts des autres ordres de gouvernement. Rdig en termes gnraux, le
par. 91(1) permettait au Parlement de modifier la Constitution du Canada , sous
rserve de certaines restrictions. En 1980, le gouvernement fdral a demand la
Cour si le Parlement pouvait procder unilatralement une rforme majeure du
Snat en vertu du par. 91(1). La Cour a conclu que ce paragraphe autorisait le
Parlement modifier la constitution du gouvernement fdral dans les matires qui
concernent uniquement ce gouvernement : Renvoi relatif la Chambre haute, p. 71.
Le par. 91(1) ne confrait donc pas au Parlement le pouvoir dapporter
unilatralement des changements constitutionnels telles labolition du Snat ou la
modification de ses caractristiques essentielles parce que ces changements mettaient
en cause les intrts des provinces tout autant que ceux du gouvernement fdral :
ibid, p. 74, 75 et ss. De mme, le par. 92(1) permettait aux lgislatures provinciales
dadopter des modifications dans la mesure o elles portaient uniquement sur le
fonctionnement dun organe du gouvernement de la province, pourvu quelle ne soit
pas par ailleurs intangible parce quindivisiblement lie la mise en uvre du
principe fdral ou une condition fondamentale de lunion : SEFPO, p. 40, le juge
Beetz.
[48] Les art. 44 et 45, qui ont remplac ces dispositions, accordent au
Parlement fdral et aux lgislatures provinciales la capacit de modifier
-
unilatralement certains lments de la Constitution qui concernent leur propre ordre
de gouvernement, mais qui ne mettent pas en cause les intrts des autres ordres de
gouvernement. Ce pouvoir limit deffectuer des changements unilatralement reflte
le principe selon lequel le Parlement et les provinces sont des acteurs gaux dans la
structure constitutionnelle canadienne. Aucun des ordres de gouvernement, agissant
seul, ne peut modifier les nature et rle fondamentaux des institutions cres par la
Constitution. Toutefois, ces institutions peuvent tre maintenues et mme changes
jusqu un certain point en vertu des art. 44 et 45, condition que leur nature et leur
rle fondamentaux demeurent intacts.
V. Comment peuvent tre apports les changements envisags dans le renvoi?
[49] Les questions du renvoi requirent que nous donnions notre avis sur la
capacit du Parlement, agissant seul, de rformer le Snat en instaurant des lections
consultatives pour slectionner les candidats aux postes de snateurs choisis par les
lecteurs des diffrentes provinces et territoires, en limitant la dure du mandat des
snateurs par ltablissement dun mandat dure dtermine, et en supprimant les
conditions relatives la fortune personnelle et lavoir foncier auxquelles doivent
satisfaire les snateurs. Nous aborderons chacune de ces questions tour de rle.
A. lections consultatives
[50] Le libell de la Loi constitutionnelle de 1867 prvoit la nomination
officielle des snateurs par le gouverneur gnral :
-
24. Le gouverneur-gnral mandera de temps autre au Snat, au nom de la Reine et par instrument sous le grand sceau du Canada, des personnes ayant les qualifications voulues; et, sujettes aux dispositions de
la prsente loi, les personnes ainsi mandes deviendront et seront membres du Snat et snateurs.
32. Quand un sige deviendra vacant au Snat par dmission, dcs ou toute autre cause, le gouverneur-gnral remplira la vacance en adressant un mandat quelque personne capable et ayant les qualifications voulues.
En pratique, lorsquil comble les vacances au Snat, une convention constitutionnelle
oblige le gouverneur gnral suivre les recommandations du premier ministre du
Canada.
[51] Le procureur gnral du Canada (avec lappui des procureurs gnraux de
la Saskatchewan et de lAlberta ainsi que dun des amicus curiaes) soutient que la
mise en place dlections consultatives pour choisir les snateurs nest pas une
modification de la Constitution du Canada. Selon lui, cette rforme ne modifierait ni
le texte de la Loi constitutionnelle de 1867 ni la faon de choisir les snateurs. Il
souligne que le mcanisme formel de nomination de ces derniers leur nomination
par le gouverneur gnral sur avis du premier ministre resterait intact. Il soutient
subsidiairement que, si lintroduction dlections consultatives constitue une
modification de la Constitution, le Parlement peut alors y procder unilatralement en
vertu de lart. 44 de la Loi constitutionnelle de 1982.
[52] notre avis, largument selon lequel lintroduction dlections
consultatives nest pas une modification de la Constitution est trop formaliste. En
effet, il rduit la notion de modification constitutionnelle la question de dterminer
-
si le texte de la Constitution se trouve modifi. Cette approche restrictive ne respecte
pas les exigences de linterprtation et de la conception larges et tlologiques de la
Constitution qui ont t exposes prcdemment. Certes, le libell des dispositions
concernant la nomination des snateurs resterait le mme, mais les nature et rle
fondamentaux du Snat en tant que corps lgislatif complmentaire charg de donner
un second regard attentif aux projets de loi seraient considrablement modifis.
[53] Nous concluons que chacune des propositions dlections consultatives
constituerait une modification de la Constitution du Canada et exigerait un
consentement apprciable des provinces selon la procdure normale de modification,
sans toutefois que les provinces aient le droit de se soustraire la modification
(art. 42). Nous concluons ainsi pour trois raisons : (1) les lections consultatives
proposes transformeraient fondamentalement larchitecture de la Constitution; (2) la
partie V rend expressment la procdure normale de modification applicable une
modification de cette nature; et (3) la modification propose se situe en dehors du
champ dapplication de la procdure de modification unilatrale fdrale (art. 44).
Des lections consultatives transformeraient fondamentalement larchitecture de
la Constitution
[54] La mise en place dlections consultatives modifierait la Constitution du
Canada en en transformant fondamentalement larchitecture. Elle modifierait le rle
tenu par le Snat dans notre ordre constitutionnel en tant quorganisme lgislatif
complmentaire responsable de porter un second regard attentif aux projets de loi.
-
[55] La Loi constitutionnelle de 1867 prvoit, pour le Parlement fdral, une
structure prcise reposant sur les mmes principes que celle du Royaume-Uni :
prambule. Elle cre la fois une chambre lgislative basse compose dlus et une
chambre lgislative haute dont les membres sont nomms : art. 17. Elle dispose
expressment que les dputs de la chambre basse, la Chambre des communes, sont
lus ( shall be elected dans la version anglaise) par la population des diffrentes
provinces : art. 37. En revanche, aux termes de la Loi, les snateurs sont
mand[s] (c.--d. nomms) par le gouverneur gnral : art. 24 et 32.
[56] Le contraste entre llection des dputs la Chambre des communes et
la nomination des snateurs par lexcutif ne reprsente pas un accident de lhistoire.
Les rdacteurs de la Loi constitutionnelle de 1867 ont dlibrment choisi le mode de
nomination des snateurs par lexcutif pour que linstitution o ils sigent puisse
jouer le rle prcis dorganisme lgislatif complmentaire charg de porter un
second regard attentif aux projets de loi.
[57] Comme la crit la Cour dans le Renvoi relatif la Chambre haute, [e]n
crant le Snat de la manire prvue lActe, il est vident quon voulait en faire un
organisme tout fait indpendant qui pourrait revoir avec impartialit les mesures
adoptes par la Chambre des communes : p. 77 (nous soulignons). Les rdacteurs
ont cherch soustraire le Snat au processus lectoral auquel participaient les
dputs de la Chambre des communes, afin dcarter les snateurs dune arne
-
politique partisane toujours soumise aux impratifs des objectifs politiques court
terme.
[58] Paralllement, la dcision de confier lexcutif la tche de nommer les
snateurs visait aussi garantir que le Snat deviendrait un organisme lgislatif
complmentaire, plutt quun ternel rival de la Chambre des communes dans le
processus lgislatif. Les snateurs nomms nauraient pas le mandat de reprsenter la
population : ils ne devraient pas rpondre aux attentes dcoulant dune lection
populaire et ne jouiraient pas de la lgitimit quelle confre. Ainsi, ils sen
tiendraient leur rle de membres dun organisme dont la fonction principale est de
revoir les lois, et non dtre lgal de la Chambre des communes. Comme la
expliqu John A. Macdonald lors des dbats parlementaires sur la Confdration,
[TRADUCTION] [i]l y aurait [. . .] de plus grands dangers de conflits entre les deux
chambres si la constitution du conseil lgislatif au lieu dtre laisse entre les mains
de la couronne devait tre remise entre celles du peuple (Dbats de 1865, 6 fvrier
1865, p. 37). Un snat dont les membres sont nomms aurait pour rle de modrer
et [de] considrer avec calme la lgislation de lassemble et [d] empcher la
maturit de toute loi intempestive ou pernicieuse passe par cette dernire, sans
jamais oser sopposer aux vux rflchis et dfinis des populations : ibid., p. 36
(nous soulignons).
[59] Le fait que les snateurs soient nomms, de mme que le postulat correct
en dcoulant selon lequel leur nomination empcherait le Snat doutrepasser sa
-
fonction dorganisme lgislatif complmentaire, faonnent larchitecture de la Loi
constitutionnelle de 1867. Pour ces raisons, les rdacteurs de cette dernire nont pas
jug ncessaire de prciser par crit comment sarticuleraient les relations entre les
pouvoirs du Snat et ceux de la Chambre des communes non plus que les moyens de
rsoudre une impasse entre les deux chambres. En effet, la Loi constitutionnelle de
1867 confre, premire vue, une comptence lgislative aussi grande au Snat qu
la Chambre des communes, lexception de la rgle selon laquelle les projets de loi
relatifs aux impts et laffectation des crdits doivent tre prsents par la Chambre
des communes (art. 53). Comme le rsume bien le professeur Smith :
[TRADUCTION] La premire solution [des rdacteurs] au conflit invitable entre des
assembles dlus tait de nommer les snateurs. Cela permettait au gouvernement jouissant de la confiance de la Chambre des communes dtre normalement mme de faire adopter ses lois par le Parlement,
tout en habilitant le Snat agir comme instance de contrle dans les rares cas o ctait absolument ncessaire.
(D. E. Smith, The Canadian Senate in Bicameral Perspective (2003),
p. 169; voir aussi A. Heard, Constitutional Doubts about Bill C-20 and Senatorial Elections , dans Smith, The Democratic Dilemma, 81, p. 95.)
[60] Les lections lgislatives proposes transformeraient fondamentalement
larchitecture constitutionnelle que nous venons de dcrire. Il sagirait alors, par
extension, dune modification de la Constitution. Ces lections affaibliraient le rle
du Snat en tant quentit charge de porter un second regard attentif aux projets de
loi et lui confreraient la lgitimit dmocratique voulue pour bloquer
systmatiquement les projets de la Chambre des communes, contrairement la
fonction constitutionnelle qui lui tait assigne.
-
[61] En pratique, une loi fdrale prvoyant llection consultative des
snateurs les soumettrait aux pressions politiques du processus lectoral et leur
confierait un mandat populaire. Les snateurs choisis parmi la liste des candidats
deviendraient des reprsentants du peuple. Ils auraient remport un vritable duel
lectoral (Renvoi qubcois sur le Snat, par. 71) au cours duquel ils auraient
vraisemblablement prsent une plateforme de campagne et fait des promesses
lectorales : Pelletier, Rponses suggres quant au renvoi sur le Snat , p. 470 et
471. Ils se joindraient au Snat aprs avoir obtenu le mandat et la lgitimit que
confre une lection au suffrage populaire.
[62] Le procureur gnral du Canada rplique que ce changement structurel
denvergure ne se produirait pas parce que le premier ministre conserverait le pouvoir
de ne pas tenir compte des rsultats des lections consultatives et de nommer qui il
veut au Snat. Nous ne pouvons accepter cette prtention. Les projets de loi C-20 et
C-7 ont t conus pour entraner la nomination au Snat de candidats choisis par la
population des provinces et des territoires. Le projet de loi C-7 est le plus explicite
des deux puisquil prvoit que le premier ministre tient compte des personnes
dont le nom figure sur la liste des candidats lus. Certes, en thorie, le premier
ministre pourrait ignorer les rsultats des lections et ne recommander au gouverneur
gnral que rarement, voire jamais, les gagnants des lections consultatives.
Cependant, lobjet des projets de loi est clair : que le Snat devienne une entit dote
dun mandat populaire. Nous ne pouvons tenir pour acquis que les futurs premiers
ministres contrecarreront cet objet en ignorant les rsultats dlections consultatives
-
coteuses et prement disputes : voir titre dexemple la rflexion de M. D. Walters,
The Constitutional Form and Reform of the Senate : Thoughts on the
Constitutionality of Bill C-7 (2013), 7 J.P.P.L. 37, p. 47 et 48. Une analyse
juridique de la nature et des incidences constitutionnelles de projets de loi ne peut se
fonder sur lhypothse que la loi chouera entraner les changements quelle vise
mettre en uvre.
[63] En bref, la mise en uvre des propositions visant la tenue dlections
consultatives contenues dans les questions soumises en lespce modifierait la
Constitution du Canada. En effet, elle transformerait le rle du Snat au sein de notre
structure constitutionnelle; dun organe lgislatif complmentaire charg de porter un
second regard attentif aux lois, il deviendrait un organe lgislatif dot dun mandat
populaire et dune lgitimit dmocratique.
Le texte de la partie V indique que la mise en uvre de la proposition visant la tenue dlections consultatives entrane lapplication de la procdure
normale de modification
[64] Notre conclusion suivant laquelle la mise en uvre des propositions
relatives la tenue dlections consultatives modifierait la Constitution canadienne
trouve appui dans le texte de la partie V. Les termes qui y sont utiliss servent de
guides pour dterminer quels aspects de notre systme de gouvernement font partie
du contenu constitutionnel protg. Suivant lal. 42(1)b) de la Loi constitutionnelle
de 1982, la procdure normale de modification (par. 38(1)) sapplique aux
modifications constitutionnelles portant sur le mode de slection des snateurs
-
( the method of selecting Senators en anglais). Cette expression au sens large
couvre la mise en place dlections consultatives, et indique quune modification
constitutionnelle effectue conformment la procdure normale de modification est
requise : H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (5e d. 2008),
p. 343; Whyte, p. 106; voir aussi C.-E. Ct, Linconstitutionnalit du projet
dlections fdrales snatoriales (2010), 3 R.Q.D.C. 81, p. 83, cit dans le Renvoi
qubcois sur le Snat, par. 50; Walters, The Constitutional Form and Reform of
the Senate , p. 52.
[65] Lexpression mode de slection des snateurs ne vise pas uniquement
la nomination officielle des snateurs par le gouverneur gnral.
[TRADUCTION] [L]alina 42b) renvoie au mode de slection, et non au mode de
nomination, des personnes aptes tre nommes : Whyte, p. 106 (italiques dans
loriginal). En utilisant ce libell, les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont
tendu la protection constitutionnelle prvue par la procdure normale de
modification tout le processus de slection des snateurs. Les lections
consultatives envisages dans les questions du renvoi permettraient dtablir des listes
de candidats, dont seraient censs se servir les premiers ministres au moment de
procder des nominations au Snat. La compilation de listes de candidats
snatoriaux par la tenue dlections nationales ou provinciales et territoriales et la
prise en considration de ces listes par le premier ministre avant la prsentation de ses
recommandations au gouverneur gnral seraient incluses dans le mode de slection
des snateurs . En consquence, la mise en place dlections consultatives relve de
-
lal. 42(1)b) et est assujettie la procdure normale de modification, sans que les
provinces puissent sy soustraire .
[66] Dans un mme ordre dide, le procureur gnral du Canada plaide que
des lections consultatives ne constitueraient pas, de par leur caractre vritable ,
des modifications portant sur le mode de slection des snateurs . Il sappuie ici
sur la doctrine du caractre vritable utilise par les tribunaux dans les affaires de
partage des comptences pour dcider si une loi a t validement adopte par un ordre
de gouvernement : voir Hogg, p. 15-7 15-10. Les tribunaux se demandent dans de
tels cas si la loi, de par son objet et ses effets, relve dun des chefs de comptence
constitutionnelle de lautorit lgislative : Renvoi relatif la Loi sur les valeurs
mobilires, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 63-66. Selon le procureur
gnral, une loi visant la mise en place dlections consultatives ne constituerait pas,
de par son objet et ses effets, une modification relative au mode de slection des
snateurs . Il restreint ainsi le sens de cette expression au mcanisme officiel de
nomination des snateurs par le gouverneur gnral.
[67] Comme nous lavons vu, lexpression mode de slection des
snateurs , suivant le sens ordinaire des termes qui le composent, ne vise pas
uniquement le mcanisme officiel de nomination. Lemprunt dune doctrine issue de
la jurisprudence sur le partage des comptences ncarte pas les difficults que pose
le texte constitutionnel. Mme si la doctrine du caractre vritable tait pertinente
pour la prsente analyse, son application ne saurait justifier une interprtation
-
restrictive des dispositions pertinentes relatives la modification de la Constitution.
En effet, il convient de rappeler que les art. 38 et 42 de la Loi constitutionnelle de
1982 visent assurer quun consentement provincial apprciable sera obtenu pour les
modifications constitutionnelles mettant en cause des intrts provinciaux. La
procdure 7/50 constitue la rgle gnrale applicable pour modifier la Constitut