rencontre avec minkacreation par le magazine deco actuelle

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42 Déco Actuelle DECO TALENT Khalil Minka, un designer narrateur Khalil Minka, jeune designer qui vit entre le Maroc et la France a créé MKcréation. Derrière ce sigle, des oeuvres qui se situent au point de croisement entre le design moderne, l’artisanat, la technologie et la culture populaire traditionnelle marocaine. Résultat : des tapis berbères devenus universels qui racontent l’histoire d’aujourd’hui. Nous l’avons rencontré à Marrakech dans le cadre de Min Yadina où il nous a expliqué sa démarche, passionnément. Par Valérie TAZI Photos MKcréation 03 Deco Rencontres.indd 2 29/08/09 13:16:50

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interview avec Minka Khalil de minkacreation designer marocain actife au maroc et en france

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Page 1: rencontre avec Minkacreation par le magazine DECO ACTUELLE

42 Déco Actuelle

Deco talent

Khalil Minka, un designer narrateur

Khalil Minka, jeune designer qui vit entre le Maroc et la France a créé MKcréation.Derrière ce sigle, des oeuvres qui se situent au point de croisement entre le design moderne,

l’artisanat, la technologie et la culture populaire traditionnelle marocaine. Résultat : des tapis berbères devenus universels qui racontent l’histoire d’aujourd’hui.

nous l’avons rencontré à Marrakech dans le cadre de Min Yadina où il nous a expliqué sa démarche, passionnément.

Par Valérie taZIPhotos MKcréation

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C’est en bus, au départ de Bordeaux que Khalil est venu présenter

ses créations à l’exposition des entreprises d’artisanat Min Yadina

qui s’est tenu à Marrakech en juin dernier. «Ainsi, je fais de belles

rencontres que je traduis dans mon travail et je ne pollue pas». Cette

phrase résume assez bien le personnage. A 28 ans, Khalil vit sa vie

dans le respect des autres et de son environnement.

La naissance d’un designerOriginaire de Khenifra, il partage son temps entre Bordeaux et le

Maroc. Après son bac, obtenu à Agadir, il a suivi des études de

design à l’Ecole supérieure des Beaux-Arts de Dijon. ‘J’aimais bien

créer des choses quand j’étais petit, avec du bois, du fil de fer, des

piles électriques, ce qu’on trouvait dans la rue en somme, j’aimais

dessiner, faire des plans» explique-t-il pour justifier son orientation.

Après avoir obtenu son diplôme, option «Design d’espace» avec

un mémoire de fin d’étude sur «l’acte de s’asseoir», Khalil a quitté

Dijon pour Bordeaux où il a fait une licence professionnelle de

design et communication de projet. Ce choix a été motivé par

«l’importance de l’image et de l’identité visuelle pour un designer».

Un stage de deux mois chez le grand artisan créateur Hicham El

Madi lui a donné l’occasion de revenir au Maroc. Les deux mois

se sont transformés en sept mois et Khalil continue à travailler

avec Hicham sur l’aménagement de riads, d’hôtels, la collection

de céramiques réalisées en collaboration avec les artisans de

Safi, … En parallèle, et parce que Khalil est créatif et dynamique,

il mène des projets avec une agence d’identité visuelle et d’image

de marque «Projection Name» à Bordeaux et occupe la fonction de

directeur artistique chez MSA design&com, agence de design et de

communication basée à Agadir. Mais ce qui lui tient le plus à coeur,

ce sont ses créations de tapis.

des tapis qui racontent des histoires d’aujourd’huiLes grands-parents du designer étaient fabricants et marchands

de tapis à Khénifra. Et après une rupture de 14 ans, période

pendant laquelle il n’est jamais retourné dans sa région d’origine,

Khalil sur les conseils d’Hicham El Madi revient à Khenifra pour

relancer la production de tapis. Quand il est arrivé il a constaté

que plus personne dans la famille n’avait de lien avec le tapis. «Les

tapis locaux ne se vendaient pas bien car ils ne correspondaient

plus à la tendance actuelle avec leurs motifs surchargés». Khalil

s’attelle alors à la conception d’une nouvelle collection «qui

puisse séduire un public plus large grâce à l’épuration du tapis,

un graphisme très minimaliste qui encombre le moins possible le

regard» explique-t-il. Ainsi, on parvient plus facilement à intégrer le

tapis dans un espace, qu’il soit contemporain ou traditionnel. «Mes

grands parents faisaient des dromadaires. Je veux sauvegarder la

fonction secondaire du tapis qui consiste à raconter une histoire,

un événement, un déménagement d’une région à l’autre, des dates

précises, la naissance d’un enfant, un mariage,… Mais aujourd’hui,

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Deco talent

ces tapis racontent le passé puisque les motifs n’ont pas changé.

Le tapis a donc perdu sa fonction de sauvegarde de l’histoire. Et

moi, je veux lui redonner cette fonction.» Pour cela, Khalil dessine

sur ses tapis des paraboles, des 4X4, des consoles de jeux, des

poteaux électriques symboles de l’arrivée de l’électricité dans les

campagnes, ces objets du monde moderne qui ont atteint le

monde rural. Le designer a également créé une nouvelle gamme de

couleurs plutôt inhabituelles pour des tapis et parfois survitaminées

comme le gris, le vert pistache, le violet dégradé, le bleu touareg, le

bleu ciel, le rose… Il travaille ses teintes avec Lamine Mouras, un des

plus éminents teinturiers de la médina de Marrakech. Quant à la

laine, elle est achetée dans les petits souks de la région de Khénifra

car elle est de meilleure qualité et son prix est abordable. Khalil qui

intègre du cuir dans ses tapis récupère des chutes dans les usines

italiennes au Maroc.

une démarche soLidaireEnsuite, il a fallu trouver les tisseuses. L’équipe est composée d’une

dizaine de femmes et de deux chefs d’équipe très expérimentées.

«Ce sont en général des femmes divorcées, des anciennes

prostituées, des personnes qui ont un besoin concret et sincère de

travailler.» Elles ont des bases et ont été formées sur le dessin et la

broderie sur tapisserie. Elles ne savent pas écrire, et ne savent pas

ce qu’est un centimètre. Il faut donc utiliser une échelle de mesure

adaptée à leurs connaissances. Ils ont choisi le doigt qui se décline

en deux doigts, un coude, un bras. «C’est notre langage » ajoute

Khalil. Il leur faut en moyenne cinq jours pour réaliser un tapis de

2 m2. Les femmes travaillent à la maison ce qui leur permet de

garder leurs enfants auprès d’elles et de subvenir à leurs besoins.

La démarche de MKcréation est une démarche solidaire puisqu’elle

soutient moralement et économiquement des femmes qui ont très

peu de moyens de subsistance dans cette région. Les tapis une fois

terminés voyagent en bus de Khénifra à Marrakech ou Bordeaux…

du tapis au meubLeMais l’ambition de Khalil ne se limite pas à créer des tapis. Il a une

autre idée derrière la tête : faire passer le savoir-faire du tissage du

support sol et plat à d’autres formats : canapés, chaises,… «La

création de meubles en volume serait un nouveau marché pour le

tissage». MKcréation réalise ainsi des tapis en formes de sculptures

décoratives : des tours Eiffel, des statuts de la liberté. «Pour accentuer

l’idée qu’on ne doit pas rester sur un produit local mais s’ouvrir à

d’autres cultures et proposer un produit que tout le monde puisse

comprendre.» Khalil Minka est un faiseur de tendances qui puise

son inspiration dans le métissage culturel de l’Europe occidentale et

de l’Afrique du Nord. Un artiste à suivre de près pour sa créativité, sa

générosité, sa démarche équitable et ses désirs d’universalisme.

Les tapis mkcréation sont exposés dans des show-room de

marrakech (chez design & craft, Fan Wan nour et design &

cook à sidi ghanem) et de bordeaux (La galerie du Loup).

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