recueil de lettres

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lettres de bonne maman et autres

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RECUEIL DE LETTRES

Préambule :

Il s’agit des parents d’Isabelle Piquois Davy, mère de

Paul Davy, lui-même père de Pierre. Elle est mariée à Jean

Davy (Jean). Les « parents Davy » sont Jean 83 ans et une

seconde compagne (la mère de Jean est décédée depuis 22 ans

(Jean avait 22 ans)). La « tante Marie » et l’oncle Abbé Charles

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dont parlent les lettres sont une sœur et un frère d’Auguste

(bon papa). Isabelle a une sœur Amélie et un frère Charles.

Jean est receveur des postes et télégraphes et Auguste

inspecteur des écoles.

Lettre de Marie Piquois(dite bonne

maman) à son mari Auguste Piquois.

Il y a 4 lettres :

-Dans la 1er lettre bonne maman (42ans) est chez

Isabelle (23ans) à Versailles. Isabelle est mariée depuis 6 mois

à Jean-Marie (44 ans), elle attend son 1er enfant Marie, sœur

ainée de Paul, qui naîtra 5 mois ½ plus tard. Auguste a alors 56

ans. Amélie a 20 ans et Charles 15 ans.

-dans les lettres 2 et 3 (elles ont 2 mois d’écart), bonne

maman a 43 ans, Auguste 57, Isabelle 24, Jean 45, Amélie 21,

Charles 16 et Marie 1 an.

-Dans la 4ème

lettre, bonne maman a 46 ans, Auguste 60,

Isabelle 24 (elle a eu son 2ème

enfant Paul il y a 1 an), Jean-

Marie 45, Amélie 24, Charles 19 et Marie 4 ans. Jean Davy(le

père de Jean-Marie décèdera 1 mois1/2 plus tard et Auguste 3

ans plus tard.

Isabelle est décédée à 36 ans de la grippe, Paul avait 10

ans. Jean-Marie Davy a une demi-sœur : Françoise Lefeuvre.

C’est la famille dont parlent les lettres.

Bonne maman a vécu 96 ans jusqu’en 1932, elle a été

très proche de la fratrie de Pierre.

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Versailles, le 6 mars 1878,

Mon cher Auguste

Comme je te le disais avant-hier, mon voyage a été très heureux ; je fus tout le long du chemin en compagnie convenable et Mr et Mme Davy étaient à m’attendre ; j’étais vraiment bien heureuse de les trouver et d’être arrivée ; nous nous sommes occupés de l’acquisition de ma robe ; j’ai réussi à trouver une étoffe qui me convient et la couturière que nous avons vue ensuite me l’a promise pour samedi. C’est un commissionnaire qui l’apportera pour vingt sous. Pendant que j’allai avec Isabelle chez Mme Luce, Jean se rendit au Lycée St Louis et nous devions après notre visite aller les retrouver mais le neveu était sorti. Jean monta jusqu’à sa chambre et écrivit un petit billet pour l’engager à venir passer la journée de dimanche avec nous. Viendra-t-il ? Et répondra-t-il ? Cela me tracasse, car je crois bien que son cousin, qui est déjà surpris qu’il ne leur ait pas donné signe de vie depuis la nouvelle année ne serait pas disposé à l’inviter de sitôt.

Ici, j’ai trouvé notre jeune couple dans leur intérieur, tel que nous le pensions, heureux, gai et bien portant ; néanmoins dans les circonstances actuelles, c’était bon que je vienne un peu parler et encourager notre Isabelle. La sœur de Valentine a eu dernièrement une petite fille qui est venue morte et la mère a été

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cruellement éprouvée ; cette nouvelle n’était guère encourageante pour notre pauvre chérie. Je tâche de dissiper cette impression fâcheuse. Du reste elle est admirablement courageuse et confiante et son cher Jean s’efforce de nous remplacer près d’elle.

Mais je viens de lire ta bonne lettre qui nous a fait bien plaisir, c’est ton gendre qui nous l’a apportée en rentrant ; quoiqu’il dise que papa Piquois le flatte il est bien content d’être tout à fait de la famille maintenant.

La lettre d’Amélie à Isabelle est bien gentille et a fait bien plaisir à la sœur aînée, dis-lui que je suis bien contente qu’elle l’ait écrite et que je m’unis à Isabelle pour lui souhaiter une bonne fête que nous célébrerons par translation à mon retour ; mais nous n’allons pas en parler à Jean parce que nous sommes convenus Isabelle et moi de ne parler que de nos fêtes de Saints plutôt que d’anniversaire. Tu aimeras mieux cela aussi n’est-ce pas mon Auguste.

Hier matin Isabelle et moi avons flâné, après déjeuner nous sommes partis tous trois, par Trianon, le commis fut obligé de nous quitter et comme nous regrettions de n’avoir pas pris un livre ou de l’ouvrage, nous revînmes en chercher et retournâmes, près des chaumières du petit Trianon, il faisait beau et bon, aussi il y avait du monde un peu partout ; tu penses bien que nous avons ainsi passé un bien agréable après-midi ;

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Isabelle rêve sans cesse à Pâques et au bonheur qu’auront Amélie et Charles à voir toutes ces belles choses ; ce matin nous sommes allées au marché acheter trois gentilles soles pour le déjeuner.

Mais justement le déjeuner m’a fait interrompre ma lettre, après j’ai fait un tour sur le boulevard de la reine avec Isabelle, puis nous sommes allées chez Mme Sarrazin qui a été bien gentille et avec laquelle on voit qu’Isabelle est vraiment à l’aise ce qui fait grand plaisir.

De là chez le commissionnaire qui…(je n’ai pas la fin de la lettre)

Isabelle aurait voulu t’écrire mais c’est pour la prochaine fois

M Piquois (bonne maman)

Le Val St père, le 18 août 1879,

Mon cher Auguste,

Comme je suis longtemps sans recevoir une lettre de toi ; pourtant je la désire beaucoup ; j’espère que le facteur va m’en apporter une aujourd’hui, mais je ne l’attends pas pour t’envoyer celle-ci, parce que Charles et

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Isabelle vont aller à Avranche et la porter en même temps.

N’as-tu pas eu quelqu’inquiétude en apprenant le grand accident de Flers, si ce n’eût été la mi-août, c’est justement dans ce train-là que ce seraient trouvés Marie et Melle Hardray, elles ont vu les traces de ce grand malheur et le convoi qui emportait les morts, tout le monde était consterné, on ne peut rien imaginer de plus triste et dire que c’est un ivrogne qui a été cause de tout cela, car c’est en s’occupant de cet individu qui voulait monter malgré lui dans le train que le sous-chef de gare a différé de prendre connaissance d’une dépêche qui lui disait de retarder le départ du train, il l’ouvrait comme il partait mais il était trop tard, le malheureux voulait se tuer.

Mais tu connais les détails par les journaux et je reviens à nous promptement, car Charles attèle, vont-ils être heureux d’aller tous deux de cette manière à Avranche. Amélie tient sa nièce qui est toujours bien gentille. Elle nous donna une mauvaise nuit hier, la dernière aurait été très bonne, sans les taquineries d’une méchante puce qui l’a éveillée bien trop tôt.

L’abbé n’est pas encore tout à fait bien. Marie de Lisieux est très bien. Melle Hardray, Mr Boutin, Charles et Amélie font des parties de toutes sortes. Mademoiselle de Larturière est engagée pour dîner et

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Madelaine revient demain. Mais celui que tous désirent c’est toi, rien ne sera tout-à-fait bien surtout pour la toute affectionnée

M. Piquois (bonne maman)

Ne manques pas de donner de nos nouvelles à Mr l’abbé, à Melle Vallois et à la famille Felon.

Dis à Rose que je pense bien à elle et que nous en avons parlé bien des fois.

Versailles, 21 Octobre 1879

Mon cher Auguste,

Comme je suis ennuyée qu’Amélie t’ait ainsi laissé tout seul cette semaine ; je voudrais m’en aller te trouver dès maintenant mais pourtant je veux d’abord avoir ta prochaine lettre et puis j’aurais voulu qu’Isabelle pût aller une fois au théâtre avec son mari pendant que je suis ici ; elle en a été empêchée aujourd’hui, d’ailleurs le temps était peu engageant et son rhume n’est pas encore fini ; dans une demi-heure Jean va revenir au lieu de cela ; comme il n’avait que 2 heures de bureau depuis 11 heures du matin, il aurait pu la promener un peu et ce soir après la séance, ils auraient couché dans l’appartement Auby, où tu sais que Jean couche tous les 2 jours. Et comme il

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n’entre qu’à 11 heures demain ils auraient encore pu profiter des premières heures de la journée.

A moins que tu ne désires trop mon retour ou qu’il n’y ait quelqu’autre empêchement ils pourront mettre ce projet à exécution jeudi que le service de Jean sera le même qu’aujourd’hui. Il pense que sa nomination pourrait lui arriver avec l’ordre de ne se rendre à Caen qu’à expiration du congé réel mais cela n’est pas du tout sûr, pourvu que cela soit. Tout cela m’embarrasse car si je repars avant cette nomination je ne puis pas emmener la petite n’étant sûr de rien et ne pouvant pas enlever à notre Isabelle son unique distraction ; d’un autre côté je ne puis pourtant te laisser seul indéfiniment, cela me taquine bien, je t’assure.

Le préfet n’a-t-il point reçu de réponse de son ami, c’est malheureux si cela ne mène à rien, car plus les jours se succèdent et plus c’est onéreux pour notre jeune ménage en plus que les soucis.

La veuve Belanger a demandé dimanche 300 Fr tandis que le déménageur d’ici, qui est venu voir le mobilier, avait demandé 260 Fr et consentirait probablement pour 250 car il a promis, après la visite, de diminuer quelque chose tout est aussi prêt que possible.

Mr Sarrazin vient d’être nommé receveur du bureau attenant à la chambre et qui continuera de faire

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en même temps le service du public. Il aura un cautionnement plus élevé et perdra 2000 Fr qu’il recevait du sénat. Mais la santé de Mme est très ébranlée, elle redoute énormément le séjour de Paris et comme ils désirent toujours une perception vers Sédan, ils vont garder leur maison ici provisoirement. Jean n’a rien du tout de nouveau. J’ai dit à Isabelle de l’engager à aller voir Mr Savary pour voir s’il ne pourrait pas hâter cette affaire.

Jean dit qu’on est moins pressé à son bureau qu’à la fin du mois, il s’est très bien remis à ce service, car il ne lui est encore arrivé d’erreur tandis qu’il en arrive souvent à Mr Jeannot son collègue et au receveur dans ses comptes, il y a beaucoup d’expéditions pour l’étranger et les colonies et ils voient beaucoup de très grands personnages. Mais il n’a rien appris de nouveau du tout le concernant.

J’ai bien envie d’être à demain, mon bon Auguste, pour recevoir une lettre de toi, j’en veux à Amélie de t’avoir quitté et à Tante Marie d’avoir été te l’enlever.

Je voudrais beaucoup entendre parler de toi, mon ami, et je n’ose trop te tourmenter pourtant à cause de tes états, je serai bien contente car si tu avais quelques tournées cela te désennuierait.

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Mais bonsoir, mon pauvre cher ami, l’heure avance, je t’écris dans le salon, arrive sur le prie-Dieu à côté du feu qu’on a allumé pour finir de brûler quelques morceaux de bois qui restaient encore, Jean me fait pendant et Isabelle tricote entre nous deux. Marie dort depuis une heure et nous nous menons de parler de toi. Isabelle racontait tout de suite tous les petits bouts de chant que tu jettes dans la maison pour l’égayer de temps en temps et moi je disais comme tu imitais ta petite filleule.

Moi j’ajoute que je suis dévouée et toute affectueuse

Marie Piquois

Bernay, le 6 Octobre 1882

Mon cher Auguste

C’est à Caen que je vais t’adresser cette lettre plus sûre qu’elle t’y parvienne exactement que partout ailleurs ; nous étions bien désireux d’avoir de tes nouvelles ; c’est malheureux que ton rhume n’ait fait que s’aggraver, cela rend bien souffrant quelque fois et est toujours bien gênant ; nous sommes bien privés de ne pas savoir comment tu es maintenant, tu auras eu une bonne journée à Mesnil Amand ; mais le temps est très froid et

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nous n’osons pas sortir les enfants parce qu’ils sont aussi très enrhumés depuis 2 jours. Jean est revenu d’hier la nuit ; Mr Lefeuvre qui avait encore eu une crise douloureuse et très inquiétante il y a 19 jours est très … maintenant ; mais le pauvre bon papa Davy est très affecté d’avoir les jambes si enflées qu’il a beaucoup de peine à aller de chez Mr Lefeuvre chez lui avec un bâton ; c’est un symptôme bien alarmant, je crois.

Isabelle ne se ressent plus de ses misères, Marie sera bien contente de voir son bon papa et tu seras émerveillé de la raison et de l’obéissance de ton petit fils, notre pauvre vieux pouce l’enchante, mais la malheureuse bête est moins enchantée de ses empressements.

Nous comptons sur toi vendredi soir ou plus sûrement dans la journée de samedi, tante Marie m’a à peu près promis qu’elle se réunira à nous dimanche.

Mr Nonant a écrit à Isabelle qu’il préfèrerait lundi à mardi s’il était également sûr de se trouver avec Mr Piquois. Isabelle lui a répondu que nous espérions bien que tu arriverais samedi. De sorte qu’il est entendu que ce sera lundi matin que notre aimable hôte nous arrivera.

Tu lui rendrais service à Isabelle si tu pouvais demander à la grande quincaillerie du boulevard St Pierre Harel, elle croit, les pièces de l’intérieur du foyer

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d’une cuisinière à pieds en fonte, n°20 fabrique Odelin-Paris.

Etant à Caen, ce quincaillier lui a déjà fourni ces pièces qu’elle ne peut se procurer ici.

Je viens d’écrire à Charles, je lui donne les nouvelles que nous avons de toi, il attendra ta visite vendredi et te dira sa sortie de lundi. Puisses-tu rencontrer chez lui Mr Joli et surtout le professeur d’allemand. Tu te souviens que la famille Desdevises nous a prévenu que c’était un jeune homme zélé et n’aimant pas les recommandations ; pourtant il devrait bien prendre en considération qu’il a fait échouer déjà 2 fois cet élève, qu’il n’a cessé de travailler depuis, que découragé du baccalauréat ès lettres ; il a obtenu auparavant celui des sciences, qu’il y revient maintenant parce que tu l’as désiré ; enfin qu’il avait le 1er accerit d’allemand l’année dernière, de sorte que tu espères.

Maintenant, mon bon Auguste, espérons que les affaires ne vont pas te retenir trop longtemps ; d’ici tu pourras aussi bien les expédier. Ne manques pas d’aller chez Mr Desdevises, parles-lui de tes visites à ces Mrs si elles sont faites, il saura te donner un conseil à ce sujet si elles ne le sont pas quand tu le verras et tu connais son dévouement. Dis à ces dames que nous ne savons pas le jour de notre retour car je sais que tante Marie rêve de nous réunir tous chez elle le dimanche 19 afin de féliciter

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ou de consoler Charles. Si c’est possible nous partirons d’ici le samedi afin d’aller voir Mr Gounn… Isabelle … si elle avait du nouveau et nous retournerions à Caen avec Charles le dimanche soir. Mais avant tout nous attendons ton arrivée avec impatience. Isabelle se réjouit de penser que c’est de ta bouche même qu’elle entendra le récit de ton voyage. En attendant ce plaisir nous t’envoyons nos amitiés et je me dis toute à toi.

M Piquois

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Lettre d’Isabelle à son mari Jean

Coutances, 12 Juin 1883

Mon bien bon ami,

Il n’est guère que 6 heures du matin, et je trouve le lit très bon, mais je suis si désireuse de t’envoyer cette lettre pour que tu l’aies tantôt que je secoue le sommeil, et, me mettant sur mon séant près de notre fillette qui souffle, je viens causer un peu avec toi. Un petit encrier de poche dont je suis ravie est posé sur la table de nuit, et j’écris sur mon sac de voyage renversé (le sac de Rennes, souvenir de notre voyage de noce).

Je veux vite te remercier de ta bonne lettre de samedi. Elle me faisait désirer le facteur, mais on me dit que le dimanche il n’allait guère dans les écarts, je me hâte donc de m’apprêter pour la messe, et le désir d’avoir plutôt de tes nouvelles n’était pas pour peu dans mon zèle ; mais dans le bourg point de facteur.

J’entrais dire mon chapelet dans l’église tandis que Marie Desbouillons allait à l’école chausser ses filles, qui étaient en blanc à l’occasion de la Ste Enfance qu’on fête très bien à Cambernon. Et voilà qu’à la fin de la messe, cette chère Marie me remit ta lettre, je fus bien contente, car tu ne me donnes que de bonnes nouvelles, et tu as la générosité de me cacher ton ennui… Tu es bien bon et je

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te remercie beaucoup. Veux-tu aussi remercier Rose du service qu’elle nous rend et lui dire que je serais heureuse de la voir à mon retour, pour cela je la prie de ne pas partir samedi, car je ne puis quitter Coutances que vendredi, à mon regret : Louise Berlon avait tant insisté pour que je m’en retourne à Caen par Landelles que nous étions tentés papa et moi ; mais Mr Dudouyt le dentiste, qui m’a plombé 3 dents hier, a trouvé les 2 dernières encore trop sensibles pour être plombées sans danger et s’absentant aujourd’hui et demain pour le service de sa belle-mère, il ne peut achever le travail que jeudi. Cela me retient plus longtemps que je n’aurais voulu, mais puisque j’ai fait le voyage pour mes dents en grande partie, il fallait absolument, n’est-ce pas ? les faire bien mettre en état. C’est pour cela que samedi, le coton imbibé de caustique s’étant enlevé, je suis venue l’après-midi à Coutances les faire cautériser. Edouard voulut atteler et Marie m’apporta en ville : nous fîmes le voyage en moins de 2 heures et demi, et petite Marie, qui n’avait pu se décider à rester à la Groudière où nous avions dîné, resta sans difficulté à la Fauvisière, où elle a pris ces jours-ci beaucoup de plaisir avec ses cousines et surtout avec Louise ma filleule. Oh ! je ne te raconte pas la journée de dimanche ! Papa vint la passer avec nous à la Fauvisière, avec Adèle, son fils et sa nièce et Eugène Desbouillons, profitant de la sortie du lycée. Ceux de la Groudière y étant, nous étions 16. On habilla tous les

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enfants après dîner et en arrivant à l’église, la petite Maria et ta fille allèrent bravement trouver dans le cœur la maîtresse d’école qui les plaça près de Louise, et leur donna à chacune un oriflamme !... Tout le temps qu’ont duré : un dialogue récité par les petites filles, vêpres, couplets et le salut, elles ont fait bonne contenance. Mais je ne ferais pas bonne contenance moi, devant le bureau de poste si la levée était faite, et comme je n’ai plus que 50 minutes pour m’habiller, déjeuner et m’y rendre, je suis forcée de te quitter.

Maman doit t’écrire pour t’engager à venir dimanche à Caen, puisque tes comptes seront faits de samedi, j’espère bien que cela te sera possible et je le désire vivement. Eugène et Marie de la Groudière y seront. Ils viennent avec nous pour revenir lundi. Je ne t’ai pas parlé de ma santé : elle est bonne.

Nous soupions hier soir chez Ch. Cher. Tu vas bien deviner, en voyant les journaux pourquoi lui n’était pas là. Il revient ce matin de Paris. Il a de bien beaux et intéressants garçons. Mais je m’oublie.

A bientôt, mon cher Jean, mon bien-aimé mari, le bonheur de te voir et de t’embrasser comme je t’aime.

Isabelle

Maman nous donne les meilleures nouvelles de Paul. Marie a d’excellentes nuits. Elle s’éveille juste à

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temps pour envoyer un baiser à son petit père chéri. Elle voudrait une petite lettre de lui. La maison est à moitié couverte.

Tu peux m’écrire chez Mr Le Marchand. Je ne retourne pas à Cambernon cette semaine, puisqu’il eût fallu revenir pour jeudi. Demain nous dînons chez Mr Guillon. Je vais voir tantôt Mme Bellencoutre qui est ici pour 2 ou 3 jours.

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Correspondance entre Coutances (ou de Caen)

lieux de résidence de bonne maman (dans la maison

que nous avons connu comme celle de Tante Marie-

Rose) et Rouen lieu de résidence de Jean avec ses

enfants. Un des 4 enfants, à tour de rôle, allait vivre

chez bonne maman. La plupart des lettres sont de

bonne maman adressée à Marie, sœur ainée de Paul

mais en 1891 c’est le tour de Marie d’aller vivre à

Coutances ; les lettres sont alors d’Isabelle sa mère. Il

y a aussi des lettres de bonne maman à Jean ou des

enfants à leur grand-mère. J’ai précisé qui écrit et à

qui avant chaque lettre, quand il n’y a pas de

précision, il s’agit de lettre de bonne maman à Marie.

En réalité Isabelle et Jean ont vécu à Versailles

au début de leur mariage puis à Bernay, à Rouen et

enfin à Coutances au fil des mutations de Jean.

Leur correspondance dure sur 10 ans de 1884

(Marie a alors 6 ans, Paul 3 ans, Georges moins d’un

an et bonne maman 47 ans) à 1894, sachant que

Isabelle, la mère de Marie et fille de Bonne Maman

est décédée en décembre 1891. Elle s’achève par le

déménagement de Jean à Coutances à l’été 1894 (dans

la maison dont Pierre a hérité par la suite).

Le mari de Bonne maman est décédé le 20 juin

1885.

PS : Bonne maman a détruit sa correspondance, il ne

reste donc plus rien des lettres qu’Isabelle et Marie lui

ont écrit.

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Caen, le 22 septembre 1884,

Ma chère petite fille,

Ta lettre m’a bien surprise et je me suis d’abord demandé comment tu avais pu si bien faire, puis j’ai deviné que le bonne petite mère avait dû crayonner en dessous ; n’importe, tu t’es bien appliquée et je t’en remercie ; cette petit lettre m’a fait penser au temps qui n’est pas bien éloigné, je l’espère où nous pourrons toutes deux nous écrire tout-à-fait, toi faisant tes lettres sans déranger ta petite mère et pouvant lui lire toi-même celles que je t’écrirai ; il faudra pour cela bien t’appliquer cette année à l’écriture ; il y a bien des choses qu’il est utile que tu apprennes cette année. J’ai cherché et j’ai trouvé pour toi une joli petit livre de l’ange gardien, je te le donnerai quand tu viendras nous voir avec papa et maman, j’espère que tu apprendras dedans de belles prières et des choses qui te feront plaisir à lire. Ta cousine Lucile avec Mme Hardray que vous ne verrez probablement pas avant mercredi te parlera de nous, car elle a passé plusieurs jours ici, cela nous a fait bien plaisir car elle est bien bonne, cousine Lucille, et nous l’aimons tous beaucoup, ta tante Amélie était bien contente de l’avoir avec elle et nous l’avons encore été bien plus quand ton oncle nous est arrivé.

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Hier, je me réjouissais de penser que vous étiez tous bien content aussi de l’avoir chez vous et je pensais surtout à la joie de ma chère petite Marie.

Dis à Paul que je lui écrirai bientôt une petite lettre si ta petite mère m’apprend qu’il est bon enfant. Embrasse-le pour moi, ainsi que Georges je me réjouis de penser que je vous aurai bientôt tous trois avec ton papa et ta maman. D’ici ce moment, j’espère, ma chère petite, qu’on aura toujours un bon témoignage à me donner de ta sagesse et de ta docilité.

Ta bonne maman M. Piquois

Caen 22 Octobre 1884,

Ma chère petite fille

Je commence ce soir à t’écrire cette lettre pour partir avec celle que je ne tarderai pas à écrire à ta maman.

Il paraît, ma chère petite fille, que tu es un peu malade, c’est pourquoi je viens te faire d’autant plus volontiers le plaisir d’une petite lettre.

Tu diras à ta petite mère que je ne sais pas si je me trompe d’ici, mais d’après ce qu’elle me dit, je ne crois que ce soit la rougeole qui t’as rendue malade. Tant mieux,

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car il serait bien probable que Georges l’aurait après toi ; mais dès lors que tu as des élevures il faut que tu sois raisonnable comme quand tu as eu la petite vérole à Pont-l’Evèque. Si tu n’es pas guérie quand cette lettre arrivera tu diras à ton papa et à ta maman que je serais contente que Mr Blin te vît et alors qu’on pût à lui demander si ce ne serait pas une scarlatine et si c’est contagieux pour tes petits frères.

Je suis bien contente que la bonne Rose de Lisieux aille demain aider ta petite mère, car elle aurait fini, cette chère maman, par être trop fatiguée.

Tu l’aimeras bien Rose, car elle est très bonne et elle te plaira beaucoup ; tu devrais, ma chère petite, demandé au bon dieu, de vous faire trouver une bonne qui ressemble à Rose. Maintenant, je vais te dire que Paul est vraiment très bon enfant et très gentil ; il se porte très bien lui, il mange beaucoup et trouve de son goût la cuisine de bonne maman. Je crois bien que ma petite Marie serait de même, aussi quand elle sera guérie, elle viendra pour que je lui fasse aussi des choses bien à son goût.

Cette après-midi nous sommes allés tous trois jusque chez Mr Gilbert pour nos chapeaux d’hiver, nous nous sommes reposés sur un banc de la place de l’hôtel de ville et puis nous sommes venus au chapelet et au salut de la visitation où Paul s’est si bien tenu qu’il a fait

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l’édification de tout le monde ; il était bien content parce qu’il avait une toupie à ressort que je lui avais achetée sous le passage Belivet et dans l’autre poche pour un sou de patience dans un petit sac tout ouvert, afin qu’il pût puiser dedans quand il en avait envie. Maintenant il dort paisiblement sur un joli petit matelas. Il a bien envie de te faire voir sa toupie et il parle bien souvent de sœur Marie.

Il faut encore que je te dise notre grande nouvelle, c’est qu’avant-hier j’ai acheté 2 souricières et qu’elles m’ont déjà attrapé 10 souris. Devines si nous en avons beaucoup Paul ne parle que de cela.

Embrasses bien pour moi, ma chère petite fille ton petit frère Georges j’ai hâte de savoir ce que Mr Blin aura dit de ses bobos et de tes élevures. Dis à ta bonne petite mère que je serai bien contente quand vous serez tous ici, avec ton cher petit père et toi, ma petite chérie je t’aime et t’embrasse de tout mon cœur de bonne maman.

M Piquois.

Hélas voici que dès 3 heures cette nuit, Paul est mouillé.

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Caen, 29 Octobre 1884

Ma chère petite amie

Tante Amélie et moi avons bien regretté quand nous nous en aperçûmes que la lettre de bon papa n’eût pas été mise dans l’enveloppe hier.

Je suis bien contente, ma chère petite fille que Mr Blin t’ait permis de te lever, cela te désennuiera et cela prouve que tu vas mieux et que tu seras bien vite guérie, je l’espère. Pendant que je t’écris, petit Paul rôde autour de moi, il me disait en l’habillant qu’il voudrait bien sœur Marie et petite mère et il a prié pour vous tous, hier il passé plus d’une heure avec les delles Le Monnier, il fut très aimable et on lui a donné une toute petite cruche dorée qui lui plaît beaucoup. Georges est assis dans un de nos vieux fauteuil à côté de moi parce que tante Amélie est en bas à surveiller son lait qui est sur le feu. Petite Georges m’attire à lui pour me sourire probablement à l’adresse de sa chère petite sœur Marie, de son petit père et de sa petite mère. Paul voudrait bien t’écrire par ma main mais Melle Adèle qui vient d’arriver attend que j’ai fini.

Adieu donc, je t’embrasse bien, ainsi que ta petite mère et ton petit père. Souhaite aussi le bonjour à Rose de ma part.

Ta bonne maman M. Piquois.

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Caen, 8 novembre 1884

Ma chère petite convalescente,

Ce n’est pas sur une belle feuille de papier que je t’écris moi, mais j’attrape vite ce petit morceau qui se présente pensant que tu l’aimeras encore mieux que rien.

Tonton Charles nous a écrit qu’il restera auprès de sa chère petite nièce tout le temps qu’il pourra. Malheureusement ce ne sera pas encore bien long, car il faudra qu’il se présente ici à la gendarmerie 48 heures après son départ de Versailles. Mais du moins c’est toi, ma chère petite qui l’auras vu la première et quand Mr Blin te le permettra, tu viendras nous voir ici, tu resteras un peu chez nous avec Paul et puis c’est toi qui nous resteras afin de bien voir ton cher tonton et pour te dédommager d’avoir été longtemps en chambre.

Heureusement qu’elle est sur le bord de la rue, ta chambre, que ton papa et ta maman t’y entourent d’affection, que Rose leur aide à t’y distraire et que ton petite oiseau même t’y divertit.

Chère petite malade, penses-tu à remercier le bon Dieu d’avoir tant de gens à t’aimer, à te chérir, à te dorloter. Après l’avoir remercié, demandes-lui de guérir le pied de bon papa, car il y a souffert un peu cette nuit et cela le contrarierait beaucoup si cette douleur durait ;

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j’espère que non pourtant, car il était mieux sur le matin qu’hier soir.

Adieu, ma chère petite Marie, je t’aime beaucoup et je désire t’embrasser bientôt.

Ta bonne maman. M. Piquois.

(Lettre en 2 parties : une écrite par Amélie,

l’autre par bonne maman)

Caen 14 décembre 1884,

Ma chère petite Marie,

Ta petite lettre m’a fait bien plaisir, je l’ai trouvée en revenant des vêpres où je suis allée avec bon papa et tonton Charles et qui ont été bien longues, nous sommes revenus quand la lampe était allumée parce qu’il y avait eu un sermon, petit Paul vient de se coucher et il chante avant de s’endormir et parle des petits oiseaux.

C’est demain que Joséphine s’en va, heureusement qu’elle a retardé son départ de 2 jours car elle désirait partir hier mais il ne lui eût pas été facile de voyager hier par suite d’une mauvaise digestion mais aujourd’hui elle est mieux et nous espérons bien que demain il n’y paraîtra plus.

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Elle vous dit bien des choses Joséphine à tous, elle t’embrasse et désire bien que nous allions tous au Mesnil-Amand après Pâques alors que les jours seront longs et qu’il y aura beaucoup de fleurs dans les rues. Mais avant d’aller au Mesnil-Amand, j’espère bien, ma petite Marie, que tu viendras nous voir. Sais-tu qu’il y a un an tu étais avec nous, bonne maman était à Bernay et tante Amélie te faisait du bon lait bouilli parce que dans la semaine on ne faisait pas beaucoup de soupe à la graisse et puis nous en fûmes à Lisieux et pendant que nous y étions le petit Georges est né. C’est bientôt noël, il n’y a plus que dimanche à passer, seras-tu à Bernay ou à Caen en ce jour-là, tu viendras te promener et puis au salut avec ton « ange gardien » tu connaîtras notre nouvelle maison, Les demoiselles Lemonnier qui le demandent souvent comment tu vas, si tu viendras bientôt, elles sont bien aimables et tu les aimeras bien, Petit Paul les aime bien aussi, il parle beaucoup d’elles et est très content quand il les rencontre, il était décidé tantôt, petit Paul à s’en aller avec Joséphine au Mesnil-Amand mais rassure-toi, il n’ira pas et il attendra à Caen petite mère, sœur Marie et petit Georges.

Bonne maman va mieux, elle est allée ce matin à la messe dans la chapelle de la Visitation qui n’est pas bien loin de nous.

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Maintenant, ma chère petite Marie, il commence à être tard, on va faire la prière et aller coucher. Je te charge d’embrasser pour moi petit père et petite mère et petit Georges et dis à petite mère de t’embrasser de la part de ta tante qui t’aime beaucoup.

Amélie

Ma chère petite fille, Je suis contente de savoir que le livre de l’ange gardien t’ait fait plaisir, contente aussi de savoir que tu lis tous les jours ta prière dedans, car il est grand temps que tu l’apprennes par cœur, afin d’apprendre du catéchisme ensuite. Beaucoup d’enfants de ton âge savent déjà bien des choses en plus et les récitent agréablement. Je présume que tu t’appliques à apprendre à écrire, car comme tu le dis, ce sera bien agréable quand tu sauras toi-même faire tes lettres. C’est le moment, ma chère petite, pendant que tu n’es pas bien malade ; surtout sois bien docile et bien aimable avec ta chère maman qui veut bien prendre la peine de te servir de maîtresse ; embrasse-la pour moi ainsi que ton papa et ton cher petit Georges et crois-moi.

Ta bonne maman bien aimée. M. Piquois

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1885 : décès de bon papa en juin 1885- Marie a

7 ans, Paul a 4 ans et Georges 1 an presque 2

(Isabelle Piquois à Marie)

Bernay, 23 janvier 1885

Ma chère petite Marie

Il faut bien garnir ton joli portefeuille aussi je réponds ce matin à la petite lettre que bon papa a bien voulu écrire pour toi. T’exerces-tu sérieusement à faire des pages pour faire bientôt toi-même ce que tu es forcée de demander ?

En attendant, remercie bon papa de ma part en l’embrassant tendrement. Nous sommes tous très heureux de savoir que tu as fait hier une gentille promenade, voilà que le bon soleil en promet encore d’autres. Tu ne sais pas, ma petite Marie, combien ton papa et ta maman sont heureux de te voir sortir.

Paul s’en est réjoui aussi quand je le lui ai appris ; pendant que je t’écris, il transporte d’une place à l’autre les paillots, à pied ou à cheval, mais en regrettant que le grand cheval que Georges lui prête n’ait pas d’étriers. Lui le petit frère voyageait aussi, mais il s’est trouvé involontairement assis, et il en a pris son parti, ayant près de lui ton bureau de poupée qu’il vide et remplit. Paul est

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maintenant beaucoup plus gentil avec lui, et pendant son sommeil, va coller des boîtes avec son papa. Il va venir en ville avec moi tout à l’heure.

Tu me demandes si Georges dit des mots nouveaux : il dit très bien feu, et dadats quand il voit des soldats ou officiers, mais en plus que cela et papa, maman, il ne dit que des exercices de prononciation, toutes sortes de choses qu’on ne comprend pas mais il en comprend beaucoup lui, et ne rêve que de baisers, il est toujours prêt à nous en faire, et à se faire câliner le soir.

Depuis le commencement de cette lettre, ton petit oiseau n’a pas cessé une minute de chanter à plein gosier : tu vois qu’il se porte très bien.

Une chose que j’oubliais, c’est que Georges imite le chemin de fer, surtout quand on lui demande où est partie sœur Marie avec bonne maman. Il vient de t’envoyer un baiser, et Paul aussi, après m’avoir demandé : est-ce t’il de ce côté-là ? Ton papa t’en envoie beaucoup ainsi que ta petite mère.

Isabelle

Devine ce que c’est, d’après Paul, qu’une rivière où il y a un noyeau. C’est quand il y a assez d’eau pour se noyer.

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Caen, 20 novembre 1885

Ma chère Marie

Si je ne craignais pas que ma lettre fût trop lourde, je te mettrais une grande feuille, certes tu la mériterais bien pour m’avoir écrit une lettre appliquée comme celle que j’ai reçue de toi. J’espère que l’année prochaine, elles seront encore mieux tes lettres et alors tu verras que la correspondance est un véritable dédommagement de l’absence et de l’éloignement. Appliques-toi bien afin de continuer de mériter de bonnes notes, ce sera un bon exemple pour tes petits frères, une grande joie pour nous tous et ton bon papa demandera au bon dieu de bénir tes efforts et ta bonne volonté.

Tu vas dire à ta petite mère que j’arrive du marché, après la messe de 9 heures. Je n’ai vu en tout que 7 dindes, des plus grosses on demandait 12 francs ; comme je désirais en porter une à cousine Adèle, j’en ai acheté pour 7 francs et 3 sous une dont je suis contente ; je viens de la peser, elle pèse 8 livres ½. C’était plus commode que la faire venir de Bernay, quoiqu’ un peu plus cher. Ma petite Marie, dis à ta tante Amélie que c’est à elle que j’écrirai la prochaine fois, embrasse la pour moi, ainsi que ton petit père, ta petite mère et tes petits frères, souhaite aussi le bonjour de ma part à Virginie.

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Pour toi, ma chère petite, je me souviendrai que tu étais la chère petite filleule de ton bon papa et je t’aimerai pour lui et pour moi.

Ta bonne maman

M. Piquois

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1886 : Marie a 8 ans, Paul a 5 ans et Georges 2

ans, Isabelle nait en Mai

Caen, 27 janvier 1886

Ma chère Marie

Je te remercie de m’avoir écrit. Je suis guérie maintenant et ce midi nous avons dîné dans la salle ; j’ai envie d’aller demain à la messe de 8 ou de 9 heures et ensuite je sortirai pour mes affaires.

Je regrette que Paul se soit abimé la figure, dis-lui que je désire bien qu’il n’y paraisse plus quand je le verrai ; je désire que ce soit bientôt ; mais tu sais qu’il faut auparavant que je fasse un voyage dans la manche ; pour m’en aller, j’attends tante Marie, je lui ai écrit pour l’engager à voir Monsieur l’inspecteur demain, car s’il ne trouvait pas possible qu’elle s’absente, je partirais probablement lundi, peut-être avec ta tante Amélie. Mais s’il en était ainsi, j’écrirais à ta maman avant mon départ.

Tu m’as fait bien plaisir, ma petite Marie de mériter de très bonnes notes en classe. J’espère que tu vas continuer, car c’est si agréable de recevoir des félicitations. Sois rassurée sur le compte des lettres qu’on t’avait prêtées à la classe ; dis à ta maîtresse que je les posterai d’ici une 15aine de jours.

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Maintenant, ma chère enfant, je te charge d’embrasser pour moi ta petite mère, ton petit père, Paul et Georges et de recevoir toi-même les amitiés de ta bonne maman.

M. Piquois

Souhaite le bonjour à Virginie de ma part.

Caen, 16 octobre 1886

Ma chère petite fille

Ta lettre propre et écrite avec application, m’a fait vraiment plaisir, aussi je ne veux pas te faire attendre la réponse.

Ma chère petite amie, j’aurais autant de plaisir qu’il m’est possible d’en avoir maintenant, de te voir dans ma maison de Coutances et d’inviter à venir t’y voir tous tes petits cousins et cousines, nous irons encore ensemble à Cambernon à Mesnil-Amand et au Val-St-Père, mais en attendant fais des efforts pour être toujours bien polie et aimable avec ta bonne petite mère. Tu sais comme je l’aime et comme je désire qu’elle soit heureuse ! Eh bien, une des plus grandes joies qu’elle puisse avoir c’est que sa fille aînée soit un bon exemple pour ses frères et sa petite sœur ; tu nous aime bien, ma petite Marie, et tu es ordinairement bien aimable avec moi, sois-le

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toujours avec ton papa et ta maman, demandes à ton bon ange de t’aider et penses à lui et à bon papa chaque fois que tu seras tentée d’être un peu maussade.

Paul est aussi bien gentil avec nous, il lit et écrit gentiment tous les jours, il a fini aujourd’hui son cahier, et lundi il commencera son neuf. Il n’est presque plus enrhumé, mais il n’est pas sorti hier à cause du mauvais temps et aujourd’hui c’est encore bien pis : Pont L’Evèque pourrait bien être inondé et ton amie Marguerite risquerait de ne pas s’en trouver bien.

Tu ferais bien d’écrire à tante Marie une gentille lettre, bien appliquée aussi, cela la distrairait si elle est encore condamnée à la réclusion et elle serait contente de te voir une écriture propre.

Monsieur Le Monnier et ces demoiselles ne sont pas encore revenus, s’ils ne reviennent pas lundi, je leur écrirai, car bien des gens qui ont affaire à eux viennent les demander et je finis par craindre qu’ils ne soient malades là-bas. Je suis bien aise, par ce mauvais temps, que vous soyez toute la journée et plus près les uns des autres grâce à cela, j’espère que le rhume de Georges va vite être passé et que vous n’en gagnerez ni les uns ni les autres.

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Paul vous adresse des baisers à tous et nous te chargeons de faire des gentillesses à tous ceux qui t’entourent.

Ta bonne maman-marraine. M. Piquois

Attention ! à mériter de bonnes notes.

Caen, 23 novembre 1886

Ma chère petite fille

Je désire t’écrire un petit mot dès maintenant. Tu sais que je t’aime beaucoup, mais c’est précisément à cause de mon affection pour toi que je souhaite que tu deviennes une enfant sensée et raisonnable. C’est demain que tu dois retourner en classe, j’espère que tu feras tout ton possible pour faire des progrès et si on me rend bon témoignage de ta conduite et de ton application, je ferai mon possible aussi pour que tu viennes passer avec nous tes vacances du jour de l’an.

Ma chère enfant, tu es l’aînée de la famille, si tu réfléchis à cela, tu comprendras combien il est nécessaire que tu ne donnes que de bons conseils et de bons exemples aux plus jeunes et particulièrement à Paul. De lui-même, il est bon et sage. Si tu t’appliques à être de même vous pourrez faire la joie de vos parents, augmenter le

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bonheur de votre cher bon papa et plaire au bon dieu qui vous voit toujours et partout.

N’oublies pas cela Marie si tu veux toujours être ma petite amie.

Ta bonne maman

M. Piquois

Caen, 25 novembre 1886

Ma chère petite Marie

De même que tu m’écrivais l’autre jour à la place de ta maman empêchée, je t’écris aujourd’hui pour te charger de dire à ta petite mère que je viens de prévenir tante Marie que samedi prochain, c’est-à-dire après-demain, nous irons tous 4 coucher chez elle ; tante Amélie, Paul et moi partirons dès midi mais ton oncle Charles ne nous rejoindra que le soir. Si tante Marie eût été bien portante le mieux qu’elle vînt avec nous passer à Bernay la journée de dimanche, mais comme cela pourrait lui faire du mal, il est probable que nous accepterons de dîner chez elle le midi, mais s’il est possible d’en quitter dès une heure 1/2, je le ferai, à moins que si ton papa pouvait y venir avec nous.

Je désire vous trouver tous en bonne santé, toi, ma petite chérie, ayant presque oublié tes souffrances de

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l’autre jour, le petite Isabelle bien remise de son indisposition, ta petite mère pas trop fatiguée de toutes les nuits de sommeil interrompu que vos indispositions lui donnent, ton papa toujours courageux et Georges disposé à revenir lundi avec nous.

Paul repartira volontiers, mais pourtant il se plaisait bien avec nous et était bon enfant.

Ces dames Desdevises que nous avons vues aujourd’hui nous ont dit mille amitiés pour vous tous, ainsi que tes amies les demoiselles Le Monnier, qui nous parlent bien souvent de toi.

Pour ta commission, nous te parlerons dimanche, en attendant, je t’embrasse et je t’aime beaucoup, beaucoup.

Ta bonne maman M. Piquois

Ta maman n’avait pas mis dans l’enveloppe la lettre de tante Marie dont elle me parlait dans sa lettre. Nous serons bien aise de retrouver ton cousin Auguste à Bernay, car nous l’avons à peine vu ici.

Dis à ta petite mère que je désire coucher dans sa chambre comme la dernière fois et tante Amélie y sera avec moi.

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Caen, 15 décembre 1886,

Ma chère petite fille

J’ai été si contente d’apprendre que tu avais été la première de ta classe que je veux te féliciter dès aujourd’hui ; ton cher bon papa en eût été si heureux qu’en souvenir de lui je t’envoie une image. Il se fût doublement réjoui de ce succès, d’abord parce que cela va t’encourager à bien t’appliquer à l’avenir et aussi à cause du bonheur que cela donne à ta chère petite mère qui s’est si souvent donné bien du mal dans le passé à faire étudier sa chère fille aînée et qui a été bien souvent attristée par son peu de bonne volonté et même hélas par son indocilité. Marie, ma chère petite, prends une sérieuse résolution d’être à l’avenir polie, obéissante et aimable pour ta maman si bonne et si dévouée pour toi. Penses que dieu et bon papa te voient et demandes leur de d’aider et de bénir tes efforts.

Vois, comme on est agréablement récompensé par le succès, la peine qu’on a eue au travail. J’ai reçu ce matin une lettre de tante Marie, sa santé est meilleure, elle ne me dit pas qu’elle doive aller demain à Bernay, mais je pense qu’elle ne tardera pas, car elle a bien envie de vous revoir tous et particulièrement sa petite filleule. Moi aussi, ma chère petite, j’ai hâte de voir les progrès de ta petite sœur ce sera, je pense de lundi en 8 à 9 heures ½. En attendant, appliques toi à mériter de bonnes notes,

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à contenter ton papa et ta maman, à donner le bon exemple à Paul que tu vas embrasser pour moi, ainsi que ta chère petite sœur.

Ta bonne maman. M. Piquois

Tes lettres sont propres, mieux écrites, surtout quand les mots sont un peu gros. Il y a aussi moins de fautes d’orthographes. Veuilles à ne pas séparer les lettres d’un même mot. Georges est gai et bon enfant, mais il remet toujours au lendemain à aller voir les demoiselles Le Monnier, je ne sais pas s’il ira avant que tu ne l’y conduises ; hier, il est venu chez Mr Desd. Avec ta tante et moi, il s’y est très bien conduit, il est très ami avec Me Gervais. Elle est toujours peu forte et bien souffrante de l’estomac.

Dis à Virginie que je lui souhaite une meilleure santé.

Ta petite cousine Louise Marie a une sortie d’honneur aujourd’hui.

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1887 : Marie a 9 ans, Paul 6 ans, Georges 3 ans

et Isabelle 1 an

Caen, 28 Mars 1887

Ma chère petite fille

J’attendais avec impatience ta lettre et j’espère que tu en as recommencé une nouvelle que tonton Charles m’apportera, s’il va vous voir samedi ; j’ai confiance que tu pourras te donner de très bonnes notes dans celle-ci mais n’oublie pas que je te donne un vrai témoignage de confiance en te demandant de te décerner toi-même des notes de conduite. Pour que tu sois digne de cette confiance, il faut que tu sois sincère bien entendu, mais aussi juste, et que tu réfléchisses pour bien te rappeler, le soir, tout ce qui s’est passé depuis le matin. Quoique cela puisse t’être pénible à dire, avoue toi pourtant, si c’est exact que tel jour tu n’as mérité qu’une note médiocre parce que si tu as fait effort pour devenir bonne enfant, à tel moment tu l’avais oublié et tu avais été. Etc…

Ma chère petite fille, j’ai grande confiance qu’avec de la bonne volonté et le secours du bon dieu, il te deviendra facile d’être toujours une bonne fille, qui fasse ma consolation et la joie de ta maman.

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Je t’embrasse, ma chère petite en souvenir de ton bon papa, qui demandera à Dieu de bénir tes efforts et qui t’aime toujours, ainsi que ta bonne maman

M. Piquois

Embrasse bien affectueusement de ma part ta maman, ta chère petite sœur et tes deux petits frères. Dis à ton papa que je suis bien aise qu’on lui fasse un état de lieux et que je ne doute pas que son Barouge ne soit revenu coucher. Le commissaire trouve-t-il qu’il y ait quelqu’inconvénient à ce qu’on le laisse libre dans la cour la nuit.

Souhaite le bonjour de ma part à Mme Irma que je suis bien aise qui ait passé q.q. jours avec vous.

Dis-lui que je la prie de présenter mes respects à ces dames Turpin, avec mes remerciements des bontés qu’elles ont eues pour vous.

Dis aussi à Mélie que je lui souhaite le bonjour.

As-tu répondu à Melle Auby.

Coutances, 20 juin 1887

Ma chère petite Marie,

Je te remercie d’avoir pensé à m’écrire pour l’anniversaire du jour où ton cher bon papa noua a

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quittés, dis à ta petite mère et à tante Amélie que je les remercie aussi de leurs lettres. Dis leur aussi de se tranquilliser sur le compte de ton oncle Charles, j’ai reçu ce matin une lettre de lui et de tante Marie ; il a bien fait de résister au désir qu’il avait d’aller à Rouen, car le directeur lui a écrit de retourner à Deauville. Il avait d’ailleurs beaucoup de travail à faire pour se mettre en règle et je craindrais qu’il n’eût pas trouvé ensuite le moyen de le faire avant de retourner d’un autre côté. Il me dit qu’il rentrera demain à Caen ; je suis bien aise qu’il y arrive avant nous ; il est probable que nous ne partirons d’ici que mercredi à 4 heures ou jeudi matin. Tante Marie ayant affaire à Caen y viendra aussi jeudi. Tu peux dire à ta petite mère que je vous reconduirai Paul aussitôt que tonton Charles sera envoyé d’un autre côté, cela ne tardera probablement pas beaucoup.

J’ai un grand désir de vous revoir, ma chère petite fille, et surtout de savoir que tu n’es plus du tout malade. Aussitôt que tu seras en vacances, on tâchera de trouver le moyen que tu viennes à Caen et je tâcherai de te rendre forte et solide pour toute l’année. En attendant sois bonne enfant et surtout docile et polie à la maison, penses souvent à ton bon papa dont tu peux augmenter le bonheur par les efforts que tu feras pour être telle qu’il te souhaitait, ton cher parrain.

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J’espère que ta petite mère ne se ressent plus de son indisposition et que vous êtes tous en bonne santé.

Pour que ma lettre soit emportée par Augustine en retournant à la classe afin qu’elle porte à 5 heures, je termine en me disant ta bonne maman.

M. Piquois

Tous ceux qui m’entourent me chargent d’amitiés pour toute la famille. Nos parents de Cambernon sont probablement venus pendant que cousine Adèle était sortie. Après la messe de Mr le curé, je suis allée jusqu’au canal payer 90 Fr pour un parquet.

Nous allons voir nos parents tantôt probablement.

Caen, 6 décembre 1887

Ma chère petite fille,

Je te remercie de la lettre que tu m’as écrite, elle est bien propre et bien appliquée, mais je présume ou plutôt ne doute pas qu’on ne t’ait aidée pour l’orthographe et même la disposition des lignes. Paul aussi m’en a écrit une qui m’a vraiment surprise tant l’écriture était bien pour un enfant de son âge ; c’est lui-même qui l’avait préparée, mais ensuite ta maman l’avait corrigée et il l’avait recopiée sous sa surveillance. Il paraît que la

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petite Isabelle fait des progrès en langage, s’y applique et puis s’approuve en disant bi-en.

Mais je vais, ma bonne petite, m’appliquer à répondre au questionnaire de ta lettre. Déjà des nouvelles de notre retour et t’aura dit combien mon petit compagnon fut intéressant et bon enfant partout. Tante Marie et Melle Hardray n’iront pas à Rouen de sitôt probablement, tu comprends, ma chère petite que cette saison n’est pas engageante pour les voyages. Mais Mr et Mme Le Neveu iront voir leur famille de Rouen dans le mois de Janvier. Ton Amie Marguerite se porte bien à Trouville et ne tousse pas comme les autres hivers, Mr et Mme Gamare vont très bien. Pierre m’a paru devenir un peu gamin. Tu sais qu’il va en classe et s’y plaît bien. Paul est de la taille de Georges, quoiqu’il ait 7 mois de moins, il est plus sage que son frère, mais il ne parle encore guère bien, c’est surtout avec Pierre que Georges s’est très bien amusé ; tu comprends qu’il avait grand plaisir à courir dans le grand jardin avec les chevaux et les carioles de ses petits amis. Nous allâmes seulement de la gare à la maison, car nous n’avions que 5 heures à passer à Pont L’Evèque. Notre ancienne maison n’a probablement pas changé de nouveau, mais tu sais qu’il y a longtemps que tout a été bouleversé. Maintenant c’est la maison de Mr Flon qui est changée, on l’a vendue et les nouveaux propriétaires l’ont mise dans l’alignement de la

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rue et pour cela il a fallu abattre toute la façade, quand l’occasion se trouvera de te faire revoir tout ce cher pays, sois sûre, ma chère petite, que je ferai mon possible pour t’y conduire, en tout cas tous nos amis aiment à me parler de notre petite Marie et tous seront heureux de te revoir. Ta petite mère te dira comme Georges a été amusant chez sa marraine, à qui il demanda si elle voudra bien qu’il revienne la voir quand la petite lampe de sa grotte sera allumée (on l’avait enlevée à cause des travaux qu’on fait à côté pour la maison de Mme Le Bredonchel). Ton petit frère fait ici souvent des visites aux Delles Le Monnier, chez qui va venir dans 15 jours, Marie-Thérèse avec sa maman. Ta tante et ton oncle t’embrassent de tout leur cœur, ainsi que le petit Georges et ta bonne maman te chérit doublement, c’est-à-dire pour deux.

M. Piquois.

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1888 : Marie a 10 ans, Paul 7ans, Georges 4

ans et Isabelle 2 ans

Lettre de Paul à Marie (avec les

fautes…l’orthographe n’était pas plus facile à

apprendre pour les enfants de 1888…) l’année n’était

pas précisée, je pense que c’est 1888 par déduction…

Rouen le 13 Janvier 1888

Chère Marie,

Tu vas savoir que j’ai était bien lontemps sant te répondre mes c’est parceque j’ai perdu ta lettre et je l’ai cherchez hier, je n’ai pas pu la trouver. Il y a 3 jours Monsieur Desdevises est venu, il m’a demandé ce que je voulais je lui é dit 3 fois et a la 2e il m’a dit es une livre es des bonbons j’ai dit non et à la 3e il a entendu j’ai dit allez vous entendre cette fois et Monsieur Desdevises, est parti. A Caen il n’i a plus de verglas du tout je. C’est demoiselle m’on de mandé c’il falait te répondre à t’a jentille lettre du jour de l’en. Ce n’es pas selle que tu mas emvoyer qui est perdu mais c’est la une des lettre que je t’avais écrite. Je suis allé chez ces demoisells voir une belle lanterne magique il y avait des paysage il y a eu listoir du petit chaperon rouge et celle du polichinel. Un jour dans la maison de polichiner il le jeta par la feunêtre

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son petit qui tonba dans la hote du chifonier un jour polichinel ala chercher une nourice pour son petit, Un jour le petit du polichinel alla re gardé par la fenêtre d’une couturier et un jour il la bati. Si vous y aviez était Georges Isabelle et toi j’aurais était bien cotent, mademiselle Caron m’a chrgé de t’embrasé bonne maman dit qu’elle sera contente quand tu seras la premier a la classe je t’embrasse de tout mon cœur ton petit frère qui t’aime

Paul Davy

Coutances, 18 janvier 1888

Ma chère petite Marie,

Il me semble qu’il y a bien longtemps que je ne t’ai pas vue et je veux me dédommager de cette privation en causant un peu avec toi.

J’ai reçu aujourd’hui une lettre de ta cousine Marie-Thérèse, elle m’anonce son arrivée probable pour samedi prochain, j’espère qu’elle restera avec nous 2 ou 3 jours avant d’aller vous voir à Rouen.

La petite amie de Georges, Marie-Thérèse Gohier est repartie de ce midi avec sa maman, elles vont passer quelques jours à Vire chez Mr Jules avant d’aller revoir le papa, André n’est pas venu ici aux vacances du

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jour de l’an et Mme Gohier est allée seule à Beaumont passer 2 ou 3 jours, de sorte que les 2 petits cousins ne se sont pas vus ; elle a été bien gentille avec Georges, Marie-Thérèse et lui ont joué ensemble bien souvent, elle lui prêtait sa poupée qui a un trousseau comme une belle dame et cinq ou 6 toilettes complètes à changer et elle montait sur le grand cheval mécanique qui est réparé et que je suis sûre que tu as bien envie de voir, j’espère que l’occasion s’en trouvera bientôt, au plus tard ce serait à Pâques, or le carnaval étant dans 4 semaines, Pâques ne sera que 6 semaines plus tard, ce sera bientôt passé et alors je pense que tu auras de belles vacances que tu viendras passer ici.

Tu sais, n’est-ce pas, que je suis allée au Val St Père, voir ton oncle l’abbé, je craignais de la trouver triste ou ennuyé dans son lit depuis 6 ou 7 semaines. Eh bien pas du tout, il était contant de me voir et nous avons passé ensemble une journée bien agréable ; le cher tonton il a bien souffert pourtant et pendant quelques jours qu’il ne pouvait pas se dresser, il buvait à même une bouteille du lait ou du bouillon, maintenant il souffre peu mais il n’ose encore se lever à cause d’un de ses genoux qui le fait souffrir quand il cherche à l’allonger, mais il espère que bientôt il pourra quitter son lit ; il me dit qu’une de ses distractions pendant sa maladie a été de se souvenir de son beau voyage de Rouen, il aime à penser à vous tous,

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ma chère petite, et se fait fête de vous recevoir tous chez lui, quand je serai à Coutances. Sais-tu que ma maison sera bientôt prête, que cousin Désiré a l’intention d’aller vous voir la semaine prochaine, mais tu le verras sans doute bien peu, car il ne sera pas longtemps.

Ton oncle Charles est en voyage pendant 4 ou 5 jours chaque semaine, j’appréhendais qu’il ne vînt de la neige, mais Dieu merci, il n’en est pas encore venu et comme les jours vont allonger les voyages deviendront moins désagréables.

Je souhaite, ma chère petite, que tu te plaises toujours bien avec tes bonnes maîtresses et que tu continues de faire des progrès, je trouve que tu en as fait de bien grands depuis que tu vas à St Joseph. Nous parlons souvent de toi avec Georges et il sera bien heureux le jour où il se retrouvera avec sœur Marie. Pourtant il ne s’ennuie pas ici et se porte très bien ; j’aurais encore bien à te dire mais par lettres il faut bien se borner. En attendant le plaisir de te voir je t’embrasse de tout mon cœur de bonne maman.

M. Piquois.

Ta tante Amélie t’envoie toutes ses amitiés et aime à parler de toi à nos aimables voisines.

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Caen, 6 avril 1888

Ma chère petite Marie

Puisque tu seras en classe la semaine prochaine, je t’écris aujourd’hui et tu sauras peut-être trouver moyen de me répondre avant la rentrée.

J’ai pensé bien souvent à toi depuis mon retour, ma chère petite, et je trouve que c’est bien dommage que nous soyons si éloignées. Seulement comme ce regret ne peut nous rapprocher je ne veux pas trop y penser ; Je vais plutôt te dire et te charger de dire à ta maman que j’arrive de la lessive avec tante Amélie, mais nous n’y sommes pas restées, les 4 femmes ayant assez de besogne pour remplir leur journée ; j’ai résolu de ne pas étendre du tout aujourd’hui, d’autant plus qu’il fait un grand vent bien froid et que le linge sera mieux et plus droit d’être égouté. Comme tante Marie viendra demain et peut-être cousin Janière, je n’étendrai pas non plus demain, mais il est convenu avec Mem Guillouet et la mère Palhéron que ce sera lundi s’il fait beau ou mardi si lundi n’est pas beau. C’est pourquoi, que ta maman ne s’inquiète pas de la rigueur du temps pour nous. Tonton Charles m’a écrit de Pont L’Evèque hier matin, il me disait qu’il allait très bien et qu’il partait pour Annebault, d’où il compte revenir demain de bonne heure. Melle Hardray est repartie hier par le train de 2 heures 54, nous n’allâmes pas la conduire à la gare, quoique je l’eusse désiré mais je ne sais trop

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pourquoi je n’étais pas à mon aise hier m’étant levée de grand matin avec une migraine qui me rendit mal en train toute la journée mais aujourd’hui c’est passé et je vais très bien.

Nous avions en avant-hier Mr Nonant à dîner à midi avec Melle Hardray et il aura dit hier matin la messe pour bon papa au lieu de la dire aujourd’hui vendredi mais je ne pus pas y aller. Ce matin je suis allée à celle de 9 heures à St Etienne avec tante Amélie et après nous sommes allées toute deux au marché. Partout là, ma chère petite amie, je pense à toi et je me promets de t’avoir tout le temps des grandes vacances, cela va venir bien vite va.

Hier j’eux une bien affectueuse lettre de madame Bucaille, nous aimerons à nous voir toutes deux quand je serai à Coutances, dis à ta maman, que son fils est encore avec elle, il n’aime pas à la laisser seule probablement et il eût voulu l’emmener avec lui, mais elle me dit qu’elle désire se trouver un peu seule avec tous ses souvenirs, mais cependant qu’elle a promis de se rendre à Paris pour la 1ère communion de sa petite Mathilde. Ce matin c’est une lettre de Claire Néel que j’ai eue, je lui avais écrit ; et il est convenu qu’elle reviendra avec nous et puis il est probable qu’elle viendra ensuite vous voir à Rouen, elle me dit que cela lui fera bien plaisir d’aller chez ta maman, faire la connaissance de tous ses petits-enfants ;

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j’espère qu’ils sont toujours bien gentils et que j’aurai plaisir de les faire voir à nos parents et amis.

Cousine Adèle aussi m’a écrit avant-hier, elle me disait que Mr Carpentier était très content que les murs de son jardin fussent réparés. C’était fini et les maçons s’en allaient au bâtiment où ils vont travailler jusqu’au 21 courant. L’ouvrier avait rapporté le bois de lit et le buffet qui est très beau me dit cousine Adèle.

Ce qui m’ennuie c’est que Poutrel a dit qu’il manque 25 entes à la Lande-Hurel. Mais comme la saison est bien avancée pour les planter, j’ai récrit à cousine Adèle de dire aux cousins de ne pas en acheter plus de 6 ou 8 cette année, d’autant plus que Poutrel ne voudrait pas en planter davantage à ses frais, parce que le plus grand nombre manquaient avant qu’il ne vienne sur la terre.

Voilà, ma chère Marie, une lettre d’affaires un peu sérieuses pour toi, mais c’est parce que j’ai pensé que tu ferais volontiers mes commissions à ton papa et à ta maman, de plus tu vas les embrasser, pas trop fort, par exemple, et une seule fois ainsi que tes deux frères et notre toute petite.

Tu vas aussi dire à Paul et à Georges que je ne tarderai pas à leur écrire. Paul s’applique-t-il beaucoup à son cahier neuf ? Dis à madame Aubin que j’aime à

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penser qu’elle vous chante de jolis cantiques, et que je suis bien aise que mes petits-enfants aient une grand-mère pour veiller sur eux quand leur maman s’absente. Enfin, ma chère petite, j’aimerai à apprendre que tu t’es bien habituée à la classe avec tes maîtresses qui t’ont marqué tant de bienveillance dès le début, j’aime à espérer qu’elles auront toujours à se louer de ton application et de ta docilité aussi je t’aime et t’embrasse bien bien affectueusement.

Ta grand-mère.

M. Piquois

J’espère que le clou de ta maman est guéri maintenant, pourtant j’ai hâte d’avoir une lettre qui m’en assure. Elle aurait eu tort de sortir par ce temps froid et aride, car cela aurait pu lui faire du mal.

Coutances, le 20 octobre 1888

Il y a bien longtemps que je différais de t’écrire, j’ai toujours beaucoup d’occupation et de préoccupations, de sorte que je vais souvent au plus pressé sans trouver à peine le temps de raccommoder mes bas. Hier la matinée, je suis allée voir Mme Dombreval, puis Mr Me Tounelier pour la vente des bois, l’après-midi j’examinai avec le jardinier et le père Girard ce qu’il est à propos de faire aux pommiers des plants puis l’espèce et le nombre

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des arbres que je vais acheter cette après-midi et ce matin, je vais retourner chez le notaire ; j’avais l’intention de ne pas te parler d’affaires à toi, ma chérie, mais il faut pourtant que je te charge d’apprendre à ton papa et à ta maman que je reçus avant hier soir une lettre de François le Mare qui me fit bien plaisir, parce qu’elle m’apprenait que la fontaine était enfin débouchée ; sans cela j’allais procurer un relevé du cadastre et me voir dans la nécessité d’entamer un procès, ce qui me faisait peur parce qu’on dépense toujours beaucoup d’argent à ces sortes d’affaires.

Avec les souvenirs de François et du père de Julie, je me sus souvenue comme elle était gentille autrefois cette fontaine, avant la construction de la maison de Joséphine ; il y avait à l’angle du haut et fort mur du vieux colombier plusieurs frênes qui avaient poussé là sur une ancienne souche ; le chemin très mouillé en cet endroit les piétons avaient si souvent passé entre ces frênes et le dessus de la fontaine qu’il y avait un sentier, en dessous du sentier et en dessus et en arrière de la fontaine. Il y avait 2 grosses pierres debout assez brutes, mais un peu concaves qui lui formaient comme un dôme pour la protéger contre ce qui aurait pu tomber dedans ; combien elle fut changée par la construction de cette maison et combien j’aimerais à ce que tout fût dans l’état où c’était alors…

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Avant-hier nous avons eu la visite de ton oncle du Val-St-Père. Il me dit à plusieurs reprises qu’il était bien content de son voyage mais je crains qu’il n’en soit bien fatigué, car outre l’aller et le retour de chez lui à la gare, il a été ici sur pied à peu près tout le temps. Nous avons pour la 1er fois mangé avec lui dans la salle finie de la veille, sauf un peu de bordure qui manque ; elle est tout-à-fait à mon goût et sera au tien, j’en suis sûre. Le buffet fait très bel effet, en face des fenêtres, près de l’escalier, on a raboté le parquet que sous le buffet, on ne le finira que quand nous serons prêts de partir de crainte qu’il ne se trouve endommagé. Cousin Auguste va de mieux en mieux, seulement qu’il n’est pas fort. J’ai reçu hier et mercredi des lettres de ton oncle Charles. Il ne compte pas revenir de sitôt car il a pris une chambre, s’est acheté une lampe et des accessoires. Je lui ai écrit, son adresse est 12 boulevard des filles dieu-Chartres. Il paraît content de son installation dans une maison occupée par le propriétaire et où on se mirerait du haut au bas.

Je regrette d’être déjà au bout de mon papier et de n’avoir plus que la place de te charger d’embrasser pour moi ta petite sœur que je charge d’embrasser ensuite de ma part frère et sœur ainsi que père et mère.

Ta bonne maman. M. Piquois.

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Coutances, 14 novembre 1888

Ma chère petite fille

Dès maintenant j’aime à répondre à ta lettre que j’ai reçu hier matin ; je suis bien aise que tu m’aies dit toutes les places que tu as obtenues, mais je souhaite les voir encore un peu meilleures quand tu pourras me les donner de vive voix à Rouen, je souhaite aussi que tu fasses un peu moins de fautes d’orthographes en écrivant, car, vois-tu, ma chère petite, tu n’es plus tout-à-fait une enfant maintenant que tu as 2 chiffres à ton âge et que tu songes à ta 1ère communion ; je voudrais que tu t’appliques si bien à tes devoirs que les fautes d’orthographes deviennent exceptionnelles ; c’est à 12 ans que les enfants passent leur certificat d’étude et je t’assure que pour en être là tu n’aurais plus de temps à perdre. Souviens-toi que tu me disais autrefois, vous verrez, bonne maman, que quand je me mettrai au travail, je ferai de grands progrès, le moment est venu, Marie, de tenir cette promesse et pour cela, il est nécessaire que tu ne fasses rien sans attention.

Voici, entr’autre chose, que je remarque que ma petite Marie, qui sait si bien me faire un récit de vive voix et qui toute petite avait des réflexions justes et intéressantes, n’est que la 3ème en style. Je suis persuadée qu’elle peut faire mieux et si elle est 1ère, comme je ne doute pas qu’elle le puisse la prochaine fois qu’elle fera

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cette composition, je lui promets la moitié d’un écu et l’autre moitié si elle me l’annonce par une lettre non moins longue que celle d’hier et qui n’ait plus de 3 ou 4 fautes d’orthographe. Souviens-toi aussi, ma chère petite que ton bon papa était inspecteur des écoles et qu’il ne serait pas flatté que sa chère petite fille ne fût pas plus souvent à la tête d’une classe peu nombreuse et peu avancée. Ainsi donc, j’ai confiance que tu vas résolument t’armer de courage et d’application pour que les places de 1ère dominent dans tes prochaines compositions et pour que tante Marie, qui les aime tant, puisse te féliciter.

Dis à Paul que je regrette, comme Georges, que la lettre qu’il lui avait préparée ait eu un accident, mais que nous espérons qu’il nous la remplacera prochainement. Bien souvent je vous voudrais ici l’un et l’autre, mes chers petits, malgré la boue et la pluie ; Georges brave tout cela avec ses sabots et son béret, vendredi il avait tant aidé son père Girard à mettre de la terre et des cailloux dans sa brouette que le soir il tenait sa main droite bien grande ouverte pour qu’une ampoule qui se trouvait dedans lui fît moins mal. Hier et avant-hier, il a vu piller nos pommes, et avec un pinceau et de la peinture grise, il aidait Mr Laisney, son grand ami, à changer la couleur de la barrière et de la grille de la route. Lundi, cousin Edouard, cousine Marie de la

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Fauvisière et Louise dînaient avec nous, et on lui donna des cigares de chocolat dont il fut très fier.

Avant-hier, Georges Néel vint le voir avec son papa, qui nous apporta une barrique de 60 pots parce que je prévoyais qu’une de 4 hectolitres, que cousin de la Groudière nous a prêté et celle du vin ne suffiraient pas pour mettre tout le cidre ; tu diras à ton papa et à ta maman que celle du vin est remplie de cidre presque pur, la plus grande sera encore bon et la plus petite qui est pleine du plus faible sera bu la 1ère. Tu sais, ce sont des provisions pour les vacances de l’année prochaine. Dis à Paul que je réserve aussi des travaux pour cette époque ; travaillez bien maintenant tous deux, pour bien vous amusez alors et vous vous promènerez librement dans tout ce qui nous appartient. Avant-hier, nous avons vu aussi Mr Le Loude, ces dames et leurs enfants. Le petit garçon, qui a 9 ans du mois de mars est très timide, la petit Alice qui a 3 ans et demi l’est moins et donnait la main à Georges, hier Mme Jules Vigot vint nous voir, ainsi que Mr et Mme Lemarchand, qui nous avaient fait aller chez eux, tante Amélie et moi dimanche soir, comme j’avais trouvé que Georges, qui a sommeil de bonne heure ne pouvait y venir, il était resté avec cousine Adèle et Augustine qui le couchèrent et passèrent la soirée à côté de lui ; Désiré qui est à faire ses 2 mois à St Lô, revint dimanche dernier en costume de soldat, il n’était parti que

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depuis une semaine et il compte venir encore dimanche prochain ; c’est être soldat pour rire cela.(pas bien compris, c’est

pourtant bien écrit cela !) Mardi Mr et Mme Eugène Le Chevalier vinrent aussi nous voir, tous les parents ou amis nous parlent de vous tous et cousine Adèle aime à leur parler de la petite Isabelle qui fut bien aimable avec elle. Claire et sa belle-sœur sont aussi venues cette semaine et désirent que tante Amélie et Georges passent l’après-midi de demain chez elle, de là nous irons jusqu’au Cancel où j’ai une note à payer. Le mur du jardin de Mr Cauvin va être fait cette semaine et il vînt hier soir m’en prévenir, les pièces qui restent à vendre passeront d’aujourd’hui en huit en adjudon , ceci est pour ton papa et ta maman, le tout contient 16 vergers. Mr Cauvin en avait offert 20090 Fr, il m’a dit que les régis lui suffiraient et qu’il se passerait bien du clos Ferron. Mais il faut que je cesse de causer avec toi, ma chère petite amie, embrasse bien Paul et Isabelle de la part de la bonne maman qui t’aime bien.

M. Piquois.

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Caen, 27 Novembre 1888,

Ma chère petite Marie,

J’aurais bien souhaité de passer la journée de jeudi avec toi, comme tu le souhaitais ; mais cela n’est pas possible, nous sommes revenus depuis trop peu de temps, il faut bien démoisir un peu la maison, y faire du feu pendant quelques jours et remettre un peu d’ordre. Nous avons rapporté de Coutances toutes les affaires de Georges sales, si bien qu’hier que nous eûmes la visite de Mr Nonant, il resta avec Mme Gervais parce qu’on n’avait pas un sarreau convenable à lui mettre.

J’en étais là, quand la lettre de ta maman est arrivée ; dis-lui que je ne puis résister à vos instances affectueuses, et qu’à moins d’empêche imprévus, nous partirons d’ici lundi prochain par le train de 2 heures 50, nous coucherons chez tante Marie d’où nous repartirons mardi vers une heure ; d’ici là nous irons demander des nouvelles de bonne maman Desdevises, de Mme Ton et de son petit Paul puis si tonton Charles ne revient pas comme c’est bien probable, je lui enverrai un petit paquet de lainage, il faut aussi que j’attende un peu de linge donné à Melle Adèle à blanchir, et puis nous n’allons pas manquer d’occupation. Nous avions été si précipités au moment du départ pour Coutances que malgré les efforts que ta chère maman a faits en repassant, bien des choses étaient en désordre. Une grosse que je fis hier, c’était de

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lier toute la paille qui encombrait la cave, je venais de finir, et Mme Gervais achevait de nettoyer la cave pendant que je lui cherchais le linge sale, quand un Mr et sa Delles vinrent pour visiter la maison.

Je ne sais s’ils l’ont louée car ils l’auraient voulue même avant le 25 Mars, sans doute pour qu’on pût la réparer avant cette époque, mais j’ai dit que je ne pouvais pas quitter auparavant.

Pour que ma lettre soit emportée par Madame Gervais, je suis obligée, ma chère petite fille, de remettre à la semaine prochaine la suite de la conversation, pourtant il faut encore que je te dise, maintenant que tante Amélie m’a allumé la lampe, que 2 dames quêteuses sont venues cette après-midi, l’une d’elle Mme Boudet, que tu as vue chez Melle Caron, s’est informée de toi, et a eu l’amabilité de me faire compliment de tous mes petits-enfants.

Georges va très bien et est de bonne humeur, il ne s’ennuie pas plus ici qu’à Coutantes, il vient de passer chez ces Delles Le Monnier, qui m’ont chargée de vous dire leurs amitiés.

Tante Amélie aussi se réjouit de vous voir bientôt et en attendant je me joins à elle et à Georges pour vous embrasser bien tendrement.

Ta bonne maman toute amie. M. Piquois

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Un baiser particulier pour Paul, puis un autre pour petite Isabelle.

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1889 : Marie a 11 ans, Paul a 8 ans, Georges a

5 ans et Isabelle a 3 ans.

Coutances, 8 juillet 1889

Ma chère petite fille

J’ai envie aussi et bien envie de voir finir ce mois de Juillet pour vous faire voir notre chez nous de Coutances et jouir d’être bien en liberté dans nos beaux plants. Avec vos bons petits yeux vous n’avez pas de peine à découvrir alors toutes les pommes que contiennent nos pommiers, tandis qu’à présent, cousine Adèle, tante Amélie et moi avons bien du mal à en apercevoir quelques-unes ; vous verrez aussi notre grand beau jardin qui nous donne plus de salades que nous n’en pouvons manger, des choux et autres légumes en abondance. Si Coutances était une grande ville comme Rouen, je pourrais en vendre. Cousine Adèle s’est donné tant de mal que les limaces et les autres vilaines petites bêtes ont laissé pousser toutes les graines tandis que la plupart des gens ont été obligés d’en semer plusieurs fois. Malheureusement je suis obligée de ne pas jardiner du tout moi, car même de sarcler un peu me gêne beaucoup. Seulement Célina est une bonne personne que tu aimeras bien et elle sarclera un peu de temps en temps, je ne l’ai pas eue depuis vendredi parce qu’elle avait hier chez elle

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son frère et sa famille qui demeurent dans la campagne se St Nicolas et leur petite fille aînée repassait en rang, tandis qu’un frère plus jeune faisait sa 1er communion et Célina repassait samedi tout ce qui leur était nécessaire. Aujourd’hui c’était la confirmation. Sais-tu que la 1ère du catéchisme de St Pierre est morte d’une méningite, on l’enterrait vendredi. Toute la ville a pris part au chagrin de ses parents. Un petit garçon a seul dit les vœux à St Pierre et à côté de lui, le cierge de la pauvre petite défunte était allumé pour des fonts…

Tu vas dire à ta maman, ma chère petite, que j’attends avec bien de l’impatience la lettre qui m’annonce l’arrivée de la garde-robe, j’ai été surprise qu’on m’ait fait payer le prix que j’ai dû payer pour l’envoyer et je serais bien contrariée si elle ne vous arrivait pas en bon état. Par exemple les 5 ou 6 fraises et les fleurs de Paul, n’y seront bien sûres pas en bon état.

Je te dis adieu, ma chère petite, et à bientôt. Tante Amélie m’avertit que le potage est prêt. Bonsoir embrasse tous ceux qui t’entourent et que j’aime de la part d’une bonne maman qui t’aime tendrement.

M. Piquois.

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Caen, 29 Juillet 1889

Ma chère petite fille

Je pense bien à toi aujourd’hui et à ton cher parrain, qui eût été bien heureux de voir que tu te plais en classe, que tu es respectueuse pour tes maîtresses, que tu as déjà mérité de bonnes notes et que l’année prochaine que rien ne t’empêchera, il faut l’espérer, d’être assidues à la classe, tu obtiendras des prix.

Je t’envoie sa photographie, elle sera pour toi-même afin que tu te souviennes mieux de bon-papa qui t’aima tendrement.

Ma petite Marie, en attendant que tu viennes ici amuses-toi bien avec ton petit frère Georges et prend bien garde qu’il ne lui arrive quelqu’accident. Je souhaite vivement que ta maman m’annonce que vos rhumes sont mieux et qu’elle peut reposer un peu tranquillement la nuit. Il faut, ma chère chère petite, en souvenir de ton bon-papa, et pour lui plaire, t’appliquer à être obéissante à ta bonne petite mère et à ton cher papa.

Paul serait très bon enfant, s’il consentait à lire ; mais je serais obligée d’être sévère pour obtenir cela ; comme il n’a pas encore 4 ans, je préfère le laisser tranquille encore à ce voyage-ci et peut-être qu’en te voyant devenir studieuse, il le deviendra aussi.

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Embrasse bien gentiment de ma part ta maman, ton papa et ton petit frère.

Et toi, ma chère petite, reçois toutes les tendresses de ta bonne maman.

M. Piquois.

Coutances, 19 novembre 1889,

Ma chère Marie

J’ai été bien surprise hier soir, en rangeant des lettres d’en trouver une de toi, sans doute, mais qui doit être du lendemain de ton retour à Rouen, car tu me dis que tu as fait avec ton papa un très bon voyage ; je l’avais si bien oubliée que j’étais plus que surprise que tu ne m’eusses pas écrit depuis ton retour.

Je ne t’ai probablement même pas répondu, j’en aurai eu l’intention, puis ayant différé j’aurai cru l’avoir fait ; en tout cas, j’avais la conscience très tranquille sous ce rapport et même, le croirais-tu, j’allais jusqu’à t’accuser, tout bas, de négligence, tandis que c’est moi que j’aurais dû en accuser, aussi je ne veux pas mettre de retard à t’adresser toutes mes excuses.

Dis à ta petite sœur que j’ai bien envie de lui adresser aussi une lettre à elle-même, mais elle sait qu’il

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faut pour cela qu’on me donne un témoignage parfait sur son caractère pendant toute une semaine ; pour l’encourager à être bonne enfant, embrasse-là bien gentiment de ma part, dis à Paul que je lui souhaite, ainsi qu’à toi, ma chère petite, d’être tout-à-fait débarrassé de son rhume et de faire cette semaine une si bonne composition qu’elle lui vaille une très bonne place. Dis à ta petite mère, qu’aussitôt ma dernière lettre partie, je me dépitai de ne pas lui avoir demandé des nouvelles de ses oreilles et de vos rhumes ; heureusement que sa lettre d’hier soir est venue me tranquilliser sous ce rapport ; j’ai vu aussi avec vive satisfaction que le bureau de ton papa va enfin être mieux monté, de sorte qu’ayant plus de repos de corps et d’esprit, j’ai confiance que son estomac s’en trouvera bien ; j’ai l’espoir que votre santé à tous se trouvera bien du cidre doux, mais ce n’est pas encore près que vous puissiez en boire, puisqu’on ne le pile que demain ; il mettra m’a-t-on dit environ 8 jours à vous aller et il lui en faudra plus de 15 à se reposer et même à ce moment, il ne sera peut-être guère buvable. Dis encore à ta maman que le cidre que nous buvons actuellement est dans la barrique où était le bon, nous en avons encore une 50aine de pots qui n’est pas fameux mais la grande barrique est toute prête à partir, je pense que la moitié du jus de nos pommes sera suffisant pour l’emplir, l’autre moitié sera mis avec tout le repilé dans le tonneau de François la Mare et je pense que je ne

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manquerai pas de trouver à le vendre avantageusement, dans quelques mois d’ici. Cousin Eugène de la Groudière est ravi du marché que Charles lui a fait faire, il est allé chercher pour 238 Fr de pommes aux environs de Vire, il a fait avec un tonneau de gentil cidre qu’il vient de vendre 230 Fr, et en plus a empli de plus petit un autre tonneau pour leur boisson et une tonne de 1400 pots.

Mais assez parlé de boissons, n’est-ce pas, ma chère Marie, j’aime mieux venir en peu à Georges ; il dort on ne peut mieux en ce moment, à côté de moi, il se plaît beaucoup dans le coin de mon grand lit, c’est pourquoi je lui ai fait le plaisir d’y coucher tout le temps, seulement il s’éveille toujours de bonne heure. Il voudrait bien que je reste un peu près de lui à faire la conversation, comme bon-papa la faisait autrefois avec toi et avec Paul mais je suis presque toujours pressée de me lever, car figure-toi que quand j’ai le jardinier particulièrement, il arrive non pas au jour, mais au clair de la lune avant 6 heure 1/2 du matin. C’est Maria qui lui ouvre, mais enfin j’ai souvent quelque chose à lui dire puis Mme Sourcis vient chercher un pot de lait vers 7 heures, puis quand je veux donner une lettre à Augustine c’est aussi à 7 heures. Georges désire souvent se lever aussi vite que moi, souvent c’est tante Amélie qui l’habille avant de s’en aller à la messe de 7 heures 1/2, puis il fait en tour dehors, rentre à déjeuner et a grande hâte de

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repartir, ordinairement c’est vers ce moment que tante Amélie le fait lire et écrire ; il aime bien quand ce peut être bonne maman mais il est toujours pressé de retourner à sa brouette, à Loulou etc… et hier soir il me disait, j’aurai beaucoup d’ouvrage à faire demain, car il y a aura bien des ouvriers, en effet le jardinier doit venir aujourd’hui, puis Henri le Hulz pour finir d’employer la chaux a divers petits ragréments et les charpentiers, pour achever la cloison de porée, ajuster une porte et enfin mettre des préservatifs aux jeunes « ences » je regrette de n’avoir pas mis une seconde feuille entière car j’aurais encore bien à te dire. Je finis, ma chère petite fille en t’embrassant bien tendrement. Ta bonne maman

M. Piquois.

Coutances, 8 décembre 1889

Ma chère Marie

Je ne vais t’écrire que quelques lignes puisque Tante Amélie va te raconter elle-même la fête à laquelle elle regrettait que tu n’eusses un rôle à jouer.

Vraiment, ma pauvre Marie, tu n’es pas chanceuse pour les pièces, il se trouve toujours quelqu’empêchement pour que tu y aies un rôle. C’eût vraiment été dommage que tu ne sois pas à la fête de la bonne madame Ste Ambroise. J’espère que ton

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indisposition ne va pas durer et que je te trouverai en bonne santé dans quelques semaines, car il n’y a plus que quelques semaines pour que nous soyons réunis.

En ce moment j’entends Georges qui chante dans la cuisine tout ce qu’il sait de latin devant un autel de sa façon. Les rues mal ou pas balayées étaient aujourd’hui si pleines de neige fondue que je n’ai pas voulu lui mettre les pieds dedans, de sorte que pendant la grande messe il a tenu compagnie à cousine Adèle qui faisait cuire une poule pour l’envoyer à Désiré et cette après-midi à Maria qui est très complaisante pour lui.

Je m’oublie avec toi, ma chère petite et Georges arrive me dire qu’il tient à écrire à Marie donc je lui cède la place et t’embrasse de tout mon cœur auparavant. Ta bonne maman.

M Piquois

On écrit ordonné avec 2 n. J’ai confiance, comme toi que tes places seront bonnes. Pourtant je sais que tu es avec des élèves plus avancées de sorte qu’il en faudra tenir compte. Embrasse pour moi ta chère maman.

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1890 : Marie a 12 ans, Paul a 9 ans, Georges a

6 ans et Isabelle 4 ans

Coutances, 3 janvier 1890

Je tiens avant que la journée commence, à t’envoyer cette petite lettre pour te remercier de celle que tu m’as écrite à l’occasion de l’année 1890.

Je sais, ma chère enfant, que nous sommes amies de vieille date déjà et j’ai confiance que le bon dieu exaucera les prières que tu lui adresses pour ta grand-mère. De plus j’ai confiance que nous aurons la joie de nous revoir prochainement, que je trouverai ma petite Marie grandie en taille, en raison, en bonté et promettant de faire dans l’avenir la joie et le bonheur de toute sa famille et en particulier de sa chère petite mère. A mon retour ici, je ferai cultiver notre jardin et j’aurai plaisir à voir pousser et éclore les plantes et les graines qui seront quelques mois plus tard appréciées par mes petits-enfants. Plus d’une fois avant leur arrivée, j’en suis persuadée, mon cœur sera si pénétré de reconnaissance en voyant les dons de Dieu que je regretterai qu’ils ne soient pas près de moi pour que nous puissions le remercier tous ensemble. D’ici l’heureux jour de votre arrivée travaille avec courage, ma chère petite, car les efforts que tu fais maintenant porteront aussi plus tard

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leurs fruits et Dieu les bénira comme ceux du laboureur et du jardinier.

Vraiment ce papier est bien trop petit pour te dire combien j’aime mon amie petite fille.

Ta grand-mère qui aime à se croire ta marraine.

M. Piquois.

Coutances, 31 janvier 1890

Ma chère petite Marie

Je crois que tu m’as écrit plusieurs lettres auxquelles j’ai négligé de répondre ; je regretterais, ma bonne enfant que tu en eusses été contrariée. Sois sûre que ce n’est pas faute que je ne pense bien souvent à ma petite Marie, mais j’ai eu, tu sais, bien des affaires, bien des soucis, de sorte que dans mes lettres, je vais souvent au plus pressé. Quand tu me récriras, parle-moi un peu de ta classe, quoique tu aies cette année des compagnes bien plus âgées que toi, n’arriveras-tu pas quelque jour à passer par devant quelques-unes avec grande courtoisie, cela va sans dire, mais enfin si tu pouvais parvenir à leur jouer quelques tours de ce genre, ta bonne maman s’en réjouirait.

Hélas, ce qui ne la réjouit pas pour le moment, c’est de ne pouvoir préciser le moment de son arrivée près

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de vous. Si ce malencontreux procès n’y met pas obstacle, je voudrais partir d’ici, au plus tard, dans la semaine du premier lundi de Carême ; voici que c’est demain le premier jour de Février de sorte que quand 3 semaines seront passées, nous serons bien près de cet heureux moment ; avant cela, je me réjouirais si ton oncle Charles pouvait aller passer quelques jours avec vous ; seulement je ne sais pas si cela lui sera possible.

Ce qui est toujours possible, c’est de nous aimer de loin comme de près, sans nous voir, d’agir comme si nous étions près les uns des autres, nous encourageant sous le regard de Dieu et de ton cher bon papa. Embrasse particulièrement de ma part notre petite Isabelle, ta maman.

M. Piquois.

Coutances, 7 mars 1890

Mes chers petits-enfants,

Vos lettres de ce matin m’ont fait le plus grand plaisir et je ne veux pas mettre de retard à y répondre. Je remercie Dieu que vous soyez bien raisonnables pendant l’absence de votre maman et je suis bien contente de voir que Marie songe sérieusement à bien faire ses compositions. Je félicite Paul d’avoir gagné tant de places en Français depuis sa 1ère composition et d’être

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attentif à obtenir de bonnes notes. J’ai confiance que votre papa et votre maman seront bien contents des succès de leurs enfants à la fin de l’année. Votre bonne maman en sera plus heureuse qu’elle ne saurait dire et fera tout son possible pour vous procurer d’agréables vacances.

Dites à votre cher papa que je lui suis bien reconnaissante d’engager votre maman de rester. Mais près de 15 jours loin de vous seraient bien longs et malgré le désir que j’aurais qu’elle fût ici mardi, je ne veux pas retarder son départ.

Mais Georges qui allait très bien depuis son arrivée a eu une si mauvaise nuit qu’elle a décidé de ne pas partir aujourd’hui. En ce moment, il est très gai et ne paraît pas du tout malade. Votre petite mère et tante Amélie sont en ce moment à reconduire votre oncle Charles à la gare. Il vint hier soir vers 6 heures et a dû repartir aujourd’hui dès 2 heures, car il a une tournée demain, mais c’est votre maman qui vous donnera de vive voix tous les détails.Vous allez dire à Albertine que je la remercie de s’informer de ma santé, j’espère que cette indisposition va prendre fin et qu’après Pâques nous pourrons aller passer quelques semaines près de vous.

D’ici là, continuez d’être de bons enfants, bien complaisant l’un pour l’autre ; bien polis mutuellement et appliqués à vos devoirs de tel façon que vous fassiez de grands progrès.

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Votre bonne maman qui vous aime de tout son cœur.

M. Piquois.

Coutances, 11 avril 1890

Ma chère petite Marie,

Je ne veux pas tarder d’avantage à répondre à la lettre que tu m’as écrite pendant que vous aviez la société de tante Marie et de mademoiselle Hardrey. Leur présence te donnait bien sûre des distractions, car il t’a échappé quelques grosses fautes d’orthographe qui sortent tout-à-fait du commun. Je me demande si tu rentres en classe la semaine prochaine, je le présume et pourtant Louise Desbouillons ne rentre que la semaine suivante. Sais-tu que Maria fera sa première communion au mois de Juillet et un peu auparavant elle aura de nouveau un petit frère ou une petite sœur. La présence de tante Marie et Melle Hardray va vous avoir fait passer d’agréables vacances. J’aspire déjà le mois d’Août moi pour vous voir tous arriver. Vous serez très bien à vous amuser dans la grande allée que j’ai fait faire au bas du jardin, derrière les remises de Porée, excepté le matin, on y aura toujours de l’ombre et vous aurez là de la place et de la tranquillité.

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Je crains bien, ma chère petite, de ne pouvoir être au renouvellement de ta 1ère communion, ce sera peut-être dans la saison du foin et si c’était avant, je ne serais peut-être pas encore bien rétablie. Pourtant je me sens mieux aujourd’hui et je prends confiance.

On m’a dit que tu travaillais de tout cœur ton piano, tu as raison, profites bien des leçons qui te sont données, puisque ton papa et ta maman font le sacrifice de t’en donner, Melle Caron apprendra avec plaisir que tu fais des progrès.

Tu vas en faire à toutes choses, ma chère petite fille, car tu es tout-à-fait dans l’âge de l’étude, aussi j’ai appris avec plaisir que tu étais parvenue à conquérir quelques bonnes places et la cordelière d’honneur. J’espère que tu ne la mériteras pas moins à la maison qu’à la classe. Il faut, ma chère amie, que tu sois attentive sur ce point. Oh ! que je serai heureuse si je vois ta sœur et tes frères te rendre à l’envi bon témoignage. Pour cela, il ne suffit pas, ma petite fille, de les aimer beaucoup, mais il faut surtout, toi qui sais réfléchir maintenant, avoir pour tous des égards, des prévenances, de la douceur, de la patience. Le bon Dieu vous a tous heureusement doués, ma petite Marie, il faut faire valoir ses dons, et t’appliquer à voiler les petits défauts que tu remarquerais dans les autres et tâcher de te débarrasser peu à peu des trous.

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En commençant cette lettre, ma chère petite fille, j’aurais voulu qu’elle fût gaie et distrayante, mais il m’arrive souvent de faire autrement que je ne souhaitais. Cela pourrait bien venir du grand désir que j’ai de voir, ma chère petite filleule, devenir la joie et l’orgueil de sa maman.

En attendant, je l’aime bien tendrement et tante Amélie me parle d’elle souvent. Dis à Georges qu’il arrive souvent à Maria de mettre son couvert par distraction. C’est encore arrivé hier. J’aimerais à voir ici Albertine avec Maria mais que j’ai hâte surtout de vous y voir tous.

Ta bonne maman M. Piquois

N’avez-vous pas reçu le 5 ou 6 courant un petit paquet contenant ta chemise neuve et différents petits objets.

Coutances, 5 mai 1890

Ma chère petite fille,

Je me suis réjouie que tu fusses du pèlerinage et de la belle promenade de jeudi matin. J’aurais eu grand plaisir à vous accompagner et à jouir avec ta maman de vos jeux et de vos plaisirs.

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J’ai confiance que Dieu se laissera toucher par les prières de mes petits intercesseurs et me rendra la santé. Mais tu sais, toit Marie, que la persévérance et une des qualités de la prière, ne vous lassez donc pas mes chers enfants. Le temps commence à me paraître long, amis pourtant je ne m’ennuie pas comme on pourrait croire. Pour faire plaisir à ta petite sœur, je vais lui consacrer le revers de cette feuille, tu vas m’en excuser, n’est-ce pas, c’est de crainte que ma lettre ne soit trop lourer et j’ai eu envie de ne pas attendre à la prochaine fois.

Ta bonne maman M. Piquois

Ma petite Isabelle

Hier pendant la grande messe, je restai dans mon lit pour que mes jambes soient moins fatiguées hier soir, tu vois qu’elles ne ressemblent guère aux tiennes qui marchent si bien sans se fatiguer ; mais ma pensée ne ressemble pas à mes jambes et elle arrive toujours vite vers ma petite Isabelle qui serait ici avec tante Amélie et moi, si je n’étais pas malade. La fenêtre et la porte de la chambre de tante Amélie étaient ouverte en face de moi, j’apercevais le ciel du bon Dieu, et quelques arbres parmi lesquelles un peuplier dont les feuilles tremblent toujours, puis je voyais des oiseaux qui volaient de ce peuplier à des sapins voisins, puis s’encouraient promptement je ne

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sais où, du côté de Rouen peut-être car il me semblait que tout cela était dans la direction et je pensais à tous mes chers petits, et je priais Dieu de les bénir et leur bonne maman, les aime bien tendrement.

M. Piquois

Dis à Albertine que je souhaite apprendre que son rhume est tout à fait passé.

5 mai 1890 Mon cher Paul

Quelle belle matinée vous avez passée jeudi et si Dieu n’a pas encore accordé à vos prières la fin des maux de ta bonne maman, du moins il lui a donné une véritable joie par le récit de cette pieuse et belle matinée.

J’ai aussi appris avec plaisir que tu t’amuses bien avec tes camarades et que tu n’es ni le moins souple, ni le moins adroit.

Que j’aimerais à te dire comment faire pour te débarrasser de la lenteur et surtout de la distraction qui nuisent tant à tes succès. Je crois, mon cher ami, que le meilleur moyen est de vouloir bien sérieusement être attentif en prenant garde de t’attarder à ce qui te préoccupait l’instant d’avant, surtout si ce sont des bagatelles. Courage, mon bon Paul, avec la volonté de

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réussir, tu arriveras et tu seras la joie de tes bons parents et de ta bonne maman qui t’aime bien.

M. Piquois

C’est toi que je charge de mes amitiés pour ton petit père.

Coutances, 5 mai 1890, mon cher Georges,

Tu ne vas pas être très content car tu ne vas pas avoir une lettre pour toi tout seul, j’en avais pourtant l’intention et puis j’ai trouvé que cela faisait bien que je vous dise quelque chose à chacun sur la même feuille et le mieux sera de prier ta maman de la ramasser. Hier pendant la grande messe, c’est cousine Adèle qui gardait la malade et les 2 maisons parce que cousin Désiré arrivait dans la matinée, il s’informe souvent de toi et cousin Edouard me demande souvent de tes nouvelles. Moi je pense avec plaisir que dans 3 mois nous serons tous réunis, tu verras la belle petite génisse que tonton l’abbé a offerte à tante Amélie et je suis sûre que vous vous amuserez bien avec elle ; elle est de bonne hauteur pour que tu puisses la caresser et je t’assure qu’elle aime déjà bien à gambader. Mais mon papier finit plus vite que je ne voudrais et j’ai bien du mal à trouver un petit coin

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pour te dire que tu es toujours le petit ami de ta bonne maman M. Piquois

Coutances, 25 mai 1890

Ma chère Marie

En relisant ta lettre du jour de l’Ascension, je m’aperçois que je n’y ai pas répondu c’est pourquoi je ne veux pas différer davantage.

Tout d’abord je veux te féliciter d’être arrivée première en récitation, tu t’es certainement donné de la peine pour cela, ma bonne enfant, et je me réjouis que tu aies eu la satisfaction du succès.

J’aurais été bien contente si Paul avait aussi vu ses efforts couronnés de succès, car le pauvre petit a montré bien de la bonne volonté et cela l’eût encouragé. J’ai confiance ma petite Marie, que tu sais être aimable et encourageante pour lui, tu sais qu’il est très bon.

Je suis touchée en pensant comme vous priez tous avec ferveur pour moi, ma chère petite, ma maladie est certainement en décroissance, seulement un clou mal avisé s’est posé en évidence sur l’os de ma jambe droite et je ne sais guère appuyer sur cette jambe ces jours-ci, ce

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qui fait que je ne suis pas allée à la messe du Carmel ce matin et que je ne me suis levé qu’à 11 heures passée.

Aussi ma jambe est bien moins enflammée qu’hier et j’espère que cela ne va pas durer. Dis à ta petite mère que le sommeil m’a reprise et que sauf ces misères ma santé est bonne.

Tante Amélie va aussi très bien et se propose de faire voir la ville et notre domaine à Valérie qui vient ici demain revenant de chez ses parents. Elle couchera et repartira mardi à midi.

Que j’ai hâte, ma petite Marie, de vous voir tous arriver et à ce moment de pouvoir vous accompagner partout et particulièrement ton papa qui connaît si peu tout cela.

Dis-lui, ainsi qu’à ta maman, les choses les plus affectueuses de la part de ta bonne maman qui t’aime et t’embrasse de tout son cœur.

M. Piquois

26 mai Ce matin j’ajoute avant de partir que bonne maman a eu une très bonne nuit. Je suis bien mal posée.

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Lettre de bonne maman à Isabelle (la mère de

Marie)

Coutances, 22 août 1890

Ma chère Isabelle,

Il me faisait un peu ennui de ne pas entendre parler de vous tous.

Tu fais bien de profiter de l’occasion d’aller à la Janière et je serai bien aise d’avoir par toi de leurs nouvelles. Je présume que ton oncle va prendre son cabriolet et que vous serez seuls tous trois, Amélie, qui peut plus aisément retrouver une occasion restera avec les enfants. Tu ne me dis pas à quelle heure vous arriverez samedi. De sorte que je ne ferai rien préparer pour le repas du midi, même je te dirai que l’expert architecte, venant samedi j’aime autant que vous n’arriviez que par le train du soir. Tu sais comme j’ai besoin de calme pour une chose semblable et il faut peu de chose pour me troubler. Donc, il est convenu que vous ne me viendrez qu’à 6 heures 46, par le même train que Jean et moi sommes venus.

Tu sais mon Isabelle si j’aspire ce moment…

J’ai écrit aux Le Kusby, j’espère qu’ils seront fidèles au rendez-vous. Je ne puis trouver Me Daniel chez lui, Mme est à Coutainville et il y est toujours. Je doute que Duperronzel et lui soient là samedi, mais

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j’aimerai autant cela. Porée n’a rien donné du tout et c’est affiché dans le journal. Mais j’ai tort de t’entretenir de tout cela. Jouissez plutôt tous de dernier jour que vous passez chez ton bon oncle. J’espère que rien n’empêchera qu’il ne nous arrive avec tante Marie comme il est convenu.

Dis leur bien mes amitiés, ainsi qu’à Amélie et un baiser pour tes 4 bons enfants.

Ta maman. M. Piquois

Augustine, la bonne, va aller porter cette lettre à la gare pour que le facteur la porte ce midi au Val. L’idée me vient de l’adresser à Amélie, supposant qu’elle peut être restée ; du reste elle est pour toutes deux.

J’ai écrit à Charles à mon retour et je me dis comme toujours, n’ayant pas sa réponse il viendra peut-être samedi, à moins que je n’aie une lettre d’ici là. Je serais bien contente s’il était là avec l’expert. Mais je n’ose l’espérer.

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Marie a passée l’année scolaire 1890-1891 à

Coutances auprès de bonne maman ; en conséquence

pendant cette période c’est Isabelle qui lui écrit de

Rouen.

Rouen, le 26 décembre 1890

Ma chère fillette

Ce ne serait vraiment pas raisonnable de t’envoyer encore cette lettre ce soir, mais du moins je la commence avant de me coucher, pour me consoler de n’avoir pu t’écrire en même temps qu’à bonne maman, et d’avoir à peine eu le temps de parler de toi. Il est presque 10 heures, nos petits dorment, et je me demande si notre grande tousse ou dort sans souffrir.

Lundi soir. J’allais dormir après m’être demandé cela, parce que petit père monta plus tôt que de coutume. Il s’est éveillé bien des fois cette nuit et souffrait encore toute la matinée et beaucoup pour manger, mais ce n’était sans doute qu’une fluxion intérieure, puisque rien n’a crevé.

Et toi, ma chérie, ne souffres-tu plus de l’oreille ? Tousses-tu moins ? Je serais bien contente de savoir cela, et je crains que bonne maman n’attende à m’écrire après le passage de Mr Hébert. C’est parce que je suppose que tu seras seule demain que je tiens à ce que tu reçoives ma lettre à laquelle tu pourras répondre en la

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relisant pendant que bonne maman et tante Amélie seront occupées demain l’après-midi.

Ta petite sœur n’a plus l’air malade, mais son pauvre petit nez coule sans cesse et elle a bien toussé cette nuit, beaucoup plus que le jour. Je lui ai fait chauffer du lait ce qui l’a calmée. Aujourd’hui, j’étais ennuyée de Melle Moulin qui n’est pas venue quoique je lui prisse du lait pas mal tous ces jours, et ton papa, s’il avait continué de manger si difficilement en eût bien pris. L’autre jour qu’Isabelle était malade elle manqua aussi, j’en envoyai chercher rue de l’hôpital à 4 sous la mesure. C’est bonne maman qui ferait de bonnes affaires avec ses 4 vaches !

Nous avons été émus du chagrin qu’a montré Dorinne de quitter son pays et la pauvre Albertine croyait qu’elle allait être consolée en retrouvant Rosette et que la génisse allait être bien contente. Mais non ! Elle ne se souvient sans doute pas plus de sa mère que d’une autre : ce ne sont que de pauvres animaux… que le bon Dieu a créés pour nous, pour notre utilité et même notre agrément, témoin la belle fécule et la délicieuse soupe à la crème de notre petite Marie vendredi, et mille autres friandises.

Pendant que nous parlons de bonnes choses, je te recommande de dire à bonne maman combien nous nous régalons tous les jours des poires et des pommes qu’elle nous a envoyées. Je mange les pommes avec tout plaisir

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mais pour les poires, je regrette que vous vous en soyez privées, puisque justement bonne maman, tante Amélie et toi les préférez beaucoup aux pommes. Nous avons tous croqué aussi avec grand plaisir les noisettes de Cambernon, et même goûté ce midi du cidre nouveau, un vrai sucre.

J’étais bien contente à 11 heures : nous avions rempli la grande barrique avec 70 bsocs de cidre et 40 bsocs d’eau. Il restait même de la lie, et embarrassée qu’en faire, je l’ai laissée dans la barrique puisque l’autre était pleine et j’y ai ajouté un peu d’eau. Je ne sais ce que cela fera. Albertine m’a très bien aidée, allant à l’eau pendant que ses bsocs s’emplissaient de cidre et me les donnant tous. J’étais sur une caisse près de la barrique, versant de haut sans entonnoir et sans jeter, et masquant ce que je versais.

Cette après-midi, je suis allée m’acheter un joli chapeau de velours noir avec une passementière noire et or et un petit nœud de ruban au milieu d’un de velours en haut devant. Bon papa gardait Isabelle et Georges pendant ces choses-là. Je te dirai que j’ai à raccommoder une foule de choses. Dis à bonne maman que je me demande s’il faut t’envoyé ta robe bleue soyée : le jupon me semble si court ! Je ne suis pas sûre de pouvoir me faire une jupe avec mon étoffe bleue et rouge, sinon c’est elle que j’enverrais un de ces jours.

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Bonsoir, ma petite fille, je te charge de bien embrasser grand-mère, tante et cousines et aussi Mme Le Marchand si elle est revenue. Je n’ai pas de nouvelles de Rennes, je dois écrire à Marie-Thérèse à Paramé. Je t’embrasse pour tous ceux qui m’entourent et pour moi. Ta petite mère.

Isabelle

Est-ce bien une bande de liège qu’il y avait à la barrique ? Le cidre semble devoir être très bon mais il a le parfum moins fort que l’année dernière.

Je suis contente que tu sois bien raisonnable, car c’est encore pour quelques temps qu’il faut rester dans la chambre.

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1891 : Marie a 13 ans, Paul 10 ans, Georges 7

ans et Isabelle 5 ans

Rouen, 12 Janvier 1891

Ma chère Fillette,

Je ne t’envoie ce soir qu’une toute petite lettre pour répondre à la bonne grande gazette que tu m’as écrite l’autre jour, mais vers 3 h quand je pensais me mettre à écrire à bonne maman et à toi, Mme Petit est arrivée pour me voir, et sa visite m’a retardée. A propos de visite, j’étais toute ennuyée samedi de ne pouvoir aller faire la mienne à Mme Jaconet : ma robe n’était pas finie. La pauvre couturière pleurait en y travaillant de n’avoir pu l’achever, elle ne l’a envoyé que dimanche matin. Ton papa alla seul, et m’excusa en parlant de la petite angine d’Isabelle, et il faudra que j’aille dans quelque temps.

Dieu merci, ce n’est pas petite sœur qui m’eût empêchée de sortir, car elle n’est plus du tout souffrante ni même grognon. Elle rit tout à l’heure en jouant aux soldats, avant dîner, elle a lu avec petit père, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps, elle fait de petits progrès quand même, et s’occupe beaucoup en ce moment d’orthographe verbale.

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Georges et Paul ne rêvent que glissades, ils deviennent très forts dans cet exercice. Il paraît que beaucoup de dames vont patiner au Petit-Quevilly, invitées comme pour un bal par des messieurs qui les accompagnent et les soutiennent. Mais quittons les dames du monde pour ton cher couvent. J’allai hier avec tante Amélie aussitôt après les vêpres de St Ouen pour voir ces dames, mais elles étaient à l’office. La sœur Marguerite Marie je crois, me dit qu’elles allaient bien.

Embrasse tendrement bonne maman pour moi, dis bonjour à Augustine et nos amitiés à cousine Adèle et à Virginie. Travailles-tu bien en toutes choses ?

Bonsoir, ma mignonne chérie, je t’embrasse et t’aime.

Ta maman Isabelle.

Rouen, 23 Janvier 1891

Ma chère petite Marie,

Je suis toute contente du joli voyage que vous avez fait, bonne maman et toi, et de bon oncle ; mais au lieu de te parler du temps que vous avez eu, et de celui qu’il fait maintenant, je veux commencer pour ne pas oublier encore, par te dire que les chaussettes que tu as faites

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pour ton papa vont bien, malgré leur court talon ; il les a aux pieds cette semaine, et en est d’autant plus content qu’il songe en les portant que sa fillette a beaucoup travaillé pour son petit père.

Georges me demandait ce soir quand il pourra mettre les siennes. Ce n’est pas encore tout à l’heure, mais Paul se trouvait bien si cela se pouvait de quitter ses bas, car une maladroite couturière lui a fait un pantalon trop élégant. C’est la nièce de la blanchisseuse Mme Lenu. La pauvre fille me fit pitié l’autre jour qu’elle rapportait des chemises ; sa tante a eu une attaque de paralysie, son oncle qui a 71 ans a été remercié dans la teinturerie où il travaillait comme trop vieux. Je sais qu’ils ont chez eux un fils infirme et idiot et cette nièce qui les soignait tous malades. Elle fait des pantalons d’enfant pour un magasin, et je lui en ai donné un à faire pour Paul. Je l’avais taillé (large) et pour la grosseur de ceinture et de jarretière, je lui donnai malheureusement un pantalon de jersey. Elle a trouvé mes morceaux trop larges et les a si bien retaillés que je serai sans doute obligée de le passer à Georges.

Pendant que je parle des frères, je vais te charger de dire à bonne maman que Paul est 6e français cette semaine et que la St Charlemagne aura lieu le samedi gras 7 février. T’avais-je dit que Melle Cappon avait envoyé une lettre à moi et toi pour inviter de la Ste Enfance ? Nous y sommes allés ta tante et moi. Paul,

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Georges et Jean hier matin, mais c’est une bien moins grande fête qu’à coutances.

Je voudrais bien, ma chérie, entendre un peu parler de ta classe, de tes devoirs, compositions, leçons de dessin et musique. J’ai rencontré Ste Philomène un de ces jours, toutes ces dames vont bien. Nous irons les voir un jour sous semaine. Les demoiselles du haut, petites et grandes vont à la paroisse St Godard ainsi que plusieurs autres enfants que connait Mme Cappon. Nous t’y mettrons très probablement l’année prochaine. En attendant, travaille bien pour faire honneur à la personne de ta maman qui t’aime et t’embrasse mille fois. Est-ce assez ?

I.Davy

Rouen, 1er février 1891

Ma chère petite fille,

Je suis contente de ta place en orthographe et de toutes les satisfactions que tu as eues cette semaine, en particulier de la présence de ton cher oncle Charles.

Cela fait un peu envie à tante Amélie de penser qu’il viendra peut-être encore plusieurs jours la semaine prochaine, et je crains de ne pouvoir la décider à me rester jusqu’à ce que vous veniez la chercher jusqu’ici, ou

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bien nous rejoindre à Lisieux. Elle me parle des jours de foire qui donneront trop de fatigue à bonne maman. Je sais bien qu’avec les bêtes, Augustine a beaucoup à faire, et que les voyages à la pension peuvent souvent être un embarras. Et pourtant je ne puis demander que tu sois demi-pensionnaire, car il faut bien que la petite compagne de lit soit aussi la compagne de table de sa grand-mère. J’aime à croire que c’est une petite compagne agréable, soumise, empressée, bonne enfant enfin, remplaçant près de sa chère bonne maman, autant que possible, tout ce qui lui manque.

J’ai pris une petite feuille pour t’écrire, car Paul a l’intention d’envoyer lettre à bonne maman, lettre à Marie. Une composition d’anglais à préparer ne va peut-être pas lui en laisser le temps, d’autant plus que les offices sont longs aujourd’hui. La belle fête de l’Adoration perpétuelle tombe cette année un dimanche, et est, par conséquent, fort solennelle. On n’aurait que l’embarras du choix aujourd’hui, car Monseigneur est à St Godard, et il y a fête dans plusieurs paroisses.

Paul a sa carte d’invitation pour dîner samedi 7 à 10 h ½ au lycée. T’ai-je dit qu’à la préfecture, le mardi gras, il y a matinée enfantine et costumée, et que la petite Jaconet sera petit chaperon rouge.

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Charles Petit est bien heureux, le pauvre garçon, d’avoir attrapé sa seconde place de 2e à la dernière composition avant la St Charlemagne.

Ton papa a ses comptes aujourd’hui : je lui ai fait ses additions de recettes : tout va bien, il se joint à moi, à tes frères, à ta petite sœur pour t’envoyer de tendres baisers.

Ta maman chérie. I. Davy

Il y a longtemps que je n’avais touché à mon piano, j’ai joué plus d’une heure avant vêpres. Et toi ? Qu’étudies-tu ?

Rouen, 11 mars 1891

Faut-il écrire une longue lettre à une fillette qui a mal à un œil ? Ce n’est pas sûr que ce lui soit bon, mais comme bonne maman va bien vouloir la lui lire tout haut, je prends quand même une grande feuille de papier, quitte à ne pas la remplir toute entière ce soir, car petit père va bientôt monter, tante Amélie, qui couche avec Isabelle, va revenir aussi, et on va faire la prière. Pendant que je parle de ta tante, il faut que je te raconte sa fête. Je la lui ai souhaitée ce matin, et j’ai fait des crèmes pour ce midi. Ton papa est allé m’acheter une brioche, et puis au dessert, lui a présenté un complément si pompeux qu’il s’est éteint dans les éclats de rire de l’héroïne de la fête.

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Juges-en : en levant son verre : célébrons donc l’anniversaire du jour où commença à rayonner sur la terre, un nouvel astre etc…

Nous nous doutions bien que vous pensiez à nous, et je n’ai pas été surprise ¨que la lettre de ce soir fût adressé à tante Amélie. Nous ne pouvons pas bien lire le prix de vente de La Blanche est-ce 35 Fr ou 38 Fr ? Bonne maman ne nous dit rien de la Patte-Rouge. J’aime à croire qu’elle se porte très bien maintenant, et qu’elle et Brunette grossissent et embellissent. Il est bien désirable que l’herbe, quand elle va pousser, fasse augmenter Dorinne. Sans cela, on croirait que Marie Forget et Auguste de la Janière, qui la disait bientôt usée, avaient raison.

Comment s’appelle le nouveau chien ? Tu devrais nous faire son portrait. Est-il attaché ? Est-ce une forte ou bonne bête ?

Aujourd’hui mercredi, que je reprends cette lettre, je ne veux pas revenir aux bêtes. J’aime mieux te demander si la visite du jeune homme qui a dû vous arriver ce matin, adressé par nous vous a fait surprise et plaisir, et si ce jeune homme est de votre goût. J’aime mieux te dire aussi aujourd’hui que Paul est 4e en lecture et récitation ; le 1e à 19 point ¾, le 2e 19 ½, le 3e 19 ¼ et Paul 19. Le premier d’aujourd’hui, Provotel est un pensionnaire qui n’a plus que 4 points pour détrôner le 1e à

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l’excellence ; le petit Beausain est assez loin d’eux, le 4e sur la même ligne presque que le 3e, c’est Thomas, fils d’un capitaine, les 5e et 6e sont égaux, c’est notre petit voisin de la maison pleine de grands oiseaux et de petits enfants, Müller et Lucas. Paul est à 3 points d’eux. Mme Pierson les anime, les excite, les encourage. Ils n’ont pas eu les places de catéchisme, leur aumônier est sans doute malade, mais Paul n’avait pas eu le temps de la finir.

Tu me demandes toujours des nouvelles de ces dames du couvent : je croyais t’avoir dit qu’on ne peut leur faire visite en Carême ; nous irons la semaine de Pâques. Si Mme Ste Thérèse avait eu une maladie grave, j’en aurais fait prendre des nouvelles, mais c’est de sa maladie de foie ordinaire qu’elle souffrait. Il paraît que ce sont des souffrances cruelles. Je regrette de ne pas t’avoir donné plus tôt l’idée que tu aurais pu écrire soit à elle ou à Mme Ste Ambroisie. J’aime à te voir reconnaissante et attachée à tes maîtresse, et cela leur eût fait plaisir ; Mais tu as mal aux yeux et puis tu vas arriver.

Nous avons reçu hier matin une lettre de cousin Désiré, bien content d’être à peu près remis, après avoir passé presque tout Février à souffrir et ne rien gagner. Il faut espérer qu’il oubliera tout cela, et en portant toute sa barbe, il ne laissera rien voir des traces, seulement cela le vieillira beaucoup d’être si barbu. On ne le reconnaîtra

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pas. Ton papa avait été une fois 2 ans sans allés chez lui, et n’avait pas prévenu qu’il avait laissé venir sa barbe. Papa Davy le vit entrer sans rien lui dire…puis il alla chez ta marraine qui dit à son frère : qu’est-ce que vous désirez, Monsieur ? Marie-Thérèse le prit pour un monsieur d’Antrain, au loin aussi.

Mais comment la barbe fait-elle pour m’amener à la fin de mon papier ! Et sans que je t’ai encore embrassée, ni chargé d’embrasser bonne maman ! Je me hâte de le faire, en me disant ta chère maman.

I. Davy

Rouen, le 24 avril 1891

Ma chère grande fille,

C’est bien à ton tour de recevoir une lettre, aussi je commence par toi, quitte à te charger plus tard de remettre des lettres à droite et à gauche, si le temps ne me manque pas, car je commence à t’écrire près de la table servie, ne sachant pas exactement l’heure de notre dîner, car la famille Du Bois va le partager, ce soir, et un jour de déménagement, on ne peut rien dire d’avance . Heureusement qu’il n’y a pas à craindre de laisser dessécher le rôti, puisque c’est vendredi. Si tu t’en souviens, c’est un vendredi aussi que nous déménageâmes à Bernay, et soupâmes chez les bonnes dames Turpin. Je

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n’oublierai jamais l’affectueuse complaisance qu’elles eurent pour nous et je suis bien aise de rendre un peu service à d’autres fonctionnaires déménageant, quoique les connaissant depuis peu. Et je me rappelle les départs que nous avons vus à la maison : Mr et Mme Grisy partant pour Nîmes, et que nous n’étions pas sûrs de jamais revoir, la famille Ropert, à qui je pense beaucoup depuis que je viens d’apprendre le mariage de Mr Alain ; la famille Suby quand elle quitta Versailles, que je ne croyais pas revoir à Dieppe et ici. Quant à ma chère dame Sarrazin qui était malade et sans sa bonne la semaine que nous partîmes, elle regretta beaucoup de ne pas nous réconforter et nous héberger… Et moi je regrette de ne l’avoir pas revu depuis bientôt 12 ans…

Mais arrivons à nous, en commençant par toi. Nous te félicitons petit père et moi, et Paul, et même Isabelle de tes bonnes places en orthographe et écriture. Quand tu nous en annonceras une bonne aussi, 3e par exemple, en histoire ou en géographie, je serai bien contente. Sais-tu à quelle époque ont lieu les examens pour le certificat d’études ? Vous occupe-t-on un peu plus de calcul ?

Je reprends aujourd’hui samedi, car on m’interrompit hier, juste au moment où ton papa était forcé de redescendre au bureau. Melle Jeanne regrette beaucoup Rouen : sa maman a eu beaucoup de chagrin

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au dernier moment de quitter une ville où elle avait été longtemps si triste et ennuyée. Le petit garçon nous a plu beaucoup, et Paul et lui auraient été vite amis : il est bien élevé, doux et sérieux. Ses places devenaient bien meilleures : il était 4e l’autre jour. Nous ne sommes pas allés les conduire à la gare parce qu’ils allaient en omnibus. Avant-hier, jeudi nous sommes montés à Bon-Secours : il faisait très beau mais le vent soulevait des nuages de poussière. Nous allâmes jusqu’autour du monument qu’on élève à Jeanne d’Arc, et nous fûmes tentés de descendre à la route de bas par la falaise ou le talus. On serra la mécanique : Paul descendait très bien devant en allant doucement et en côté, et louvoyant. Ton papa tenait une main d’Isabelle et allait bien quoique sans canne : moi j’étais bien aise de m’appuyer sur mon ombrelle. Et on arriva sans encombre ni glissade au bas, où un pauvre bonhomme nous dit que cela lui avait fait peur de nous voir descendre. Isabelle fut brave sans dire un mot. Elle dédommageait après en disant : » je n’osais pas faire un soupir » Elle est bonne enfant, et se promène toujours avec son petit père. Quelles tristes nouvelles tu nous apprends, ce jeune bon laugier, ce pauvre maître de musique ! Comment vit toute la famille de l’autre maître de musique mort le 1er ?

Ma petite Marie, bonne maman m’a écrit que tu es bonne enfant, cela nous rend heureux. Continue et tu

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feras notre joie, as-tu fait des efforts pour être douce et polie et soigneuse ? Je t’embrasse tendrement.

I. Davy

Lettre de Paul à Marie

Rouen, 25 avril 1891

Chère petite Marie,

Pendant que je suis condamné a resté couché à cause de mon mal au genou j’ai résolu de t’écrire pour me désennuyer et pour te raconter mon petit accident, puis pour te raconter toutes sortes de choses de fêtes et de grand souper car il n’y en a eu qu’un. Ma chère petite Marie que j’aime tant tant ! Je vais te dire que hier matin je suis allé au lycée comme a l’habitude puis après la classe comme il n’était que dix et que le cathéchisme il y a étude et récréation. A la récréation de l’étude j’ai joué à la cloinuchette en l’air puis au quatre coin sous le préau qui glisse beaucoup et quand j’y étais je suis tombé puis me suis relevé puis je me suis bandé comme j’ai pu avec mon mouchoir puis j’ai continué à courir ; et, une fois revenu à la maison mon genou me faisait très mal puis maman après m’y avoir mis de l’eau-de-vi elle me l’a bien bandé puis elle était indécise de me laisser aller au

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lycée puis elle y a consentit et comme il était 3h moins le quart quand je suis arrivé il y avait à peine un card’heure que tout le monde était là car le lycée retardait le devoir était donné et lon expliquait une leçon d’histoire naturelle et math. Pierson entendant les autres me dire : tiens copie sur mon cahier copie sur mon cahier m’a dit Davy le devoir est donné je ne veux pas que vous le copiyez puis ce n’est qu’ala fin qu’il m’a donné un verbe a faire mais ma pauvre Marie maman me dit qu’il est l’heure mais je veux te dire que je te ranconterait le reste une autrefois. Je t’embrase de tout cœur et tous ceux qui t’entoure.

Ton petit frère qui est heureux d’avoir une sœur comme toi.

Paul

Maman avait invité le soir Mr et Mme Dubois à cause de leur déménagement a souper et a coucher avec Florent qui couchait dans ma chambre et était très jentil pour moi et m’a dit en partant au revoir car peut étre nous reveroons nous plus grands nous avons parlé le matin des professeurs des compositions placesn et places a l’exellence puis mademoiselle qui est partie le matin sans que je la voie, j’aime bien mieux Florent qu’elle et Mme Dubois près de qui j’étais au souper m’a dit bon soir aussi.

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Ma chère Marie je te raconterai cela en détail la prochêne fois car il y a bien des choses que j’étais résolu de te mettre et que je n’ai pas mises. Je te prie de méscuser si c’est mal écrit mais je me dépèche a cause de l’heure et tremble à cause que je suis dans le lit. Encore te dire que j’ai mis ma signature si tôt c’est parce que je craignais que le courrier arrive car mamn m’avait dit de me dépècher si tu ne t’y reconnais pas c’est parce que je ne sais ou mettre les choses que je veus te dire. Je serai bien content quant je te reverrais. Au revoir d’une lettre aussi longue que celle-là. J’ai beaucoup de faute parce que je n’ai pas eu le temps de les corriger. Bonsoir ma petite Marie.

Rouen, 21 Mai 1891

Ma chère Marie

Je t’adresse une grande lettre puisque tu as profité de ton petit congé pour nous écrire et je me charge de te remercier aussi pour ton papa, qui, tu sais, aime assez à n’écrire qu’une fois pour deux. Du reste, en ce moment, il est fort occupé, fort occupé, à faire prendre une sérieuse leçon de lecture à son élève, qui ne lui a pas du tout fait honneur devant tante Marie, et n’a pas du tout montré son savoir.

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Puisque je viens de parler de savoir et de tante Marie, sais-tu que Louis Samy, avec une petite dispense d’âge va passer l’examen du certificat d’études ainsi que Marie de Bellevue, la filleule de tonton l’abbé. Attention à travailler calcul, histoire, géographie, et à ne pas négliger ton écriture. Nous désirons beaucoup que tu passes bien ce petit examen, tu sais, comme le font tant d’enfants des écoles. Te rappelles-tu des semaines où bon papa faisait passer ces examens-là ? C’était très fatigant pour lui, mais cela ne lui déplaisait pas car il aimait tant les enfants.

Comme il aimerait, ma petit Marie, à te faire travailler !

Tu ne t’imagines pas comme le temps s’est envolé pendant que tante Marie était là ! Elle vit l’autre jour ton cahier des prix, compositions de 90 et le regarda assez longtemps ; elle a vu le cahier de notes de Paul (qu’elle a payé 100 sous) mais nous nous sommes aperçus après coup qu’elle n’a pas vu un seul de ses devoirs. Samedi c’était l’arrivée, dimanche les longs offices, lundi matin la messe et toute l’après-midi de whist, car dimanche soir avait été pour le gilles. Nous n’avons pu faire la moindre promenade : 1e parce que le temps était très mauvais, 2e parce que Melle Hardrey avait peine à marcher depuis sa chute. Cela me tourmentait un peu les suites que pouvait avoir cette chute, je lui trouvais par moment la

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figure et la bouche surtout un peu contracté, mais heureusement elle dormit parfaitement la nuit de lundi à mardi. Nous sommes allés sous la pluie faire un tour en ville et dans 2 ou 3 magasins. Tante Marie a voulu donner à Isabelle une petite jaquette bleue, qui fait bien sur sa robe blanche allongée, sur sa robe bleue claire retournée et sur tout. Je suis tenté de t’envoyer la pareille au lieu d’une beige, mais on doit en recevoir d’autres dans le magasin demain soir ou samedi matin : je vais attendre pour les voir. Je regrette bien de n’avoir pas ta longueur de bas ou quelque autre mesure. J’ai oublié de le demander. Melle Hardrey a donné un bien gentil porte-monnaie à Paul, Isabelle a une balle, un pasoinien, le fameux pasoinien doré à fermoirs. Croirais-tu que tante Marie lui disant en venant de la gare ici : te souviens-tu que je t’ai promis un livre de messe ? – oui, je m’en souviens, voilà la lettre…elle s’était munie, dans sa poche, sans qu’on s’en doutât, de la promesse écrite, qu’elle connaissait au milieu de ses autres lettres !

Elle ne retrouve pas vite bonne mine ta petite sœur, mais elle mange beaucoup mieux. Elle est venue aux vêpres du lycée et y a été fort sage. Sa capote que j’ai démontée, lavée et repassée moi-même en longueur de dentelle, a été remontée parfaitement par Mme Le

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Blond en chapeau rond. Je suis moins contente de ma coiffure à moi.

Mais l’heure m’arrête. Embrasse tante Amélie bien tendrement pour moi, ainsi que mon pauvre petit Georges, qui va regretter de n’avoir pas de lettre. Paul en a fait la moitié d’une, et a paressé de façon à ne pas l’achever. Il avait un mal de tête venant peut-être de l’estomac, peut-être de son attention à écouter les sermons cette après-midi. Il vient de souper légèrement et de prendre du thé. Charles petit était de la 1er communion, ils n’étaient que 14 et l’année prochaine, m’a dit Mme Lucas, ils seront 43. Bonsoir vite, sois bonne, bonne enfant pour bien finir le mois de mai. Un baiser de ta maman.

Je n’ai pas le temps de te causer des belles noces ni des honneurs d’Augustine. Je les croyais faite le mois dernier. Mr Lepasquier a joué au whist avec nous mardi jusqu’à l’heure du train. Il va bien. St Ouen a été volé, rien que les troncs.

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Deux lettres d’Isabelle ne sont pas datées, j’ai

choisi de les positionner là.

Ma chère fillette,

Je ne veux pas que tu ignores plus longtemps que nous avons bien reçu le petit portrait d’Isabelle, que nous avons trouvé bien gentil et même ressemblant. Remercie-en bien Melle Théonie de ma part. Je suis toute satisfaite que les élèves soient encore toutes en blanc pour la distribution des prix ; j’aurais été très surprise du contraire. Je suis comme Mr l’aumônier, j’aime beaucoup mieux les robes blanches que les toilettes de couleur. Je me réjouissais ce matin en apprenant la grande et belle promenade que vous fîtes jeudi. Georges n’était sans doute pas fatigué, puisqu’il est bien allé à Isneauville une après-midi avec ton papa : c’était plus long.

C’est Isabelle qui se promène avec papa maintenant, et hier elle était en plus venue au marché. Jeudi, nous pensions à vous, mais vous croyant simplement dans les plants. Nous allâmes, nous, au jardin des plantes, par le tramway jusqu’à St Sever. Ton papa nous y rejoignit, y passa un bon moment et revint avec nous. Le temps, comme à Coutances, devient beau, mais pas encore chaud. Tu vas dire à bonne maman de ne pas se gêner pour m’envoyer du beurre trop tôt. J’en achetais hier de très passable à 31 sous, les œufs 22 sous, mais pas

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de volailles ; il n’y en a pas presque sur le marché. J’ai vu aujourd’hui Melle Dupuy, que j’avais demandée au couvent, parce que je m’étais trompée en les payant, mais elle n’a rien voulu accepter pour la petite leçon plus courte. Seulement je lui ai pris 2 billets pour l’œuvre de l’adoption. Isabelle demande quels lots nous gagnerons. Elle eût été bien chagrin de n’avoir aucune réponse à toutes ses lettres : je lui ai donné, comme si c’eut été adressé à elle, la moitié de la lettre de tante Amélie, à qui elle en avait commencé une, aussi petite proclame-t-elle la gentillesse de sa tante, qui écrit une réponse avant qu’on lui ait encore envoyé de lettre, tandis que les autres…

Mais bonsoir, ma petite fille, c’est toi que je charge de nos tendresses pour ton petit frère, pour bonne maman et les cousines. Dis bonjour à Augustine pour moi.

Je tiens beaucoup à ce que tu m’écrives au retour de bonne maman pour me dire en conscience si tante Amélie n’aura eu absolument qu’à se louer de vous deux.

Il faut pourtant que je t’embrasse, fut-ce la tête en bas.1

1 C’est écrit à l’envers sur la lettre.

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Ma chère petite fille,

Tu m’as si bien gâtée de lettres depuis quelque temps que j’ai eu la mauvaise idée de m’imaginer qu’il allait m’en venir une hier ou ce matin, ou ce soir. J’ai donc attendu pour envoyer les nôtres, et je le regrette vivement.

Tu vas dire à bonne maman que tout cela était prêt hier-soir et que j’hésitais. Je me demande si la Ste Catherine est bien demain ou si elle est remise, si ta robe est arrivée à temps, de quelle couleur elle est. Je m’imagine que ce n’est pas de l’uni, et j’en suis bien aise. Ni bonne maman ni toi ne m’avez parlé de coiffure.

Dis à bonne maman que nous nous sommes mis hier au pot de confitures de rhubarbe. Je l’avais mis un peu dans le four peu chaud en rentrant à Rouen, ce qui empêche le moisi, elles sont délicieuses. Mais comme cela ne durera pas bien longtemps, ni celles de prunes non plus (elles sont aux ¾), je désire la recette de celles de citrouilles. Je fais cuire ces jours dans le fourneau, les jours où on allume, des poires dont j’ai acheté un panier, avec du cidre doux. Cela fera encore du dessert pour un bout de temps. Le beurre venu quand Mr de Grisy était là, il y a presque 6 semaines est encore bon sur le pain.

Bonsoir entre les confitures et les tartines de beurre. Ta maman. I. Davy.

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2ème

partie par Georges

Cherre Marie,

Je veux té crire pour ta non cé que papa ma a geté un mar to une enclume et papa a a geté a isa belle un baque et un fer et maman nous fait des che mice domme et elle ma di que main te nana nous ne mé te rien puisque des che mises dhomme.

J’ai ageté les et trenne di sa belle ces une petits cou ri mécanique. Dimanche j’ai goi aux car tes et j’ai gagné 2 sout et perdu 1 sou chaurés bien vous lu que tu cois avec nous.

Je tant brace et bonne maman et tantamélie et cousine adelle et augustine et di atant que ge lui et crisré la prochenn fois.

Georges Davy2

Fin de la lettre par Isabelle :

9gr gingembre

9gr de séné 9gr de poivre, le tout en poudre

Deux blancs d’œufs.

2 Remarque : même les agrégés de philosophie peuvent avoir

des débuts difficiles…

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Bien mêlés, le tout ensemble, mettre les œufs, mettre entre deux linges, appliquer sur la partie malade, le soir pour toute la nuit, mettre dans une serviette pliée en 8.

Le même cataplasme peut servir 2 fois en ajoutant la 2ème fois un nouveau blanc d’œuf.

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Marie à ses parents

Coutances le 23 Juillet 1891

Cher papa et chère maman

Je vais commencer ma bonne petite mère par vous faire les commissions de crainte de les oublier. Voudriez-vous apporter à Georges un col marin pour aller avec son costume de toile dont la vareuse est bleue et le pantalon bleu et blanc ? Voudriez-vous me dire si mes souliers blancs de 1ère communion ne sont pas restés à Rouen, je sais qu’avant Pâques je les ai mis et qu’ils ne me faisaient pas mal aux pieds. Mais surtout, mon cher petit Père et ma chère petite Mère, voudriez-vous me dire quel jour vous arriverez car c’est surtout cela que je désire savoir ! Les ouvriers se mettront-ils à faire des réparations ? Que feront-ils dans la maison ? Je crois que vous m’avez écrit qu’ils la recouvriront, est-ce que cela sera en zinc ou en ardoise qu’ils feront la couverture ? Il faut espérer que papa pourra prendre malgré cela une quinzaine de jours de vacances.

Marie Vautier (repasseuse) vient d’apporter ma robe de première communion, il ne manque plus que les rubans roses, vous savez que j’ai des gants.

Les prix du Sacré-Cœur sont le samedi 25 Juillet au matin. Amélie et Louise y viendront et elles resteront pour mes prix.

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J’espère avoir un prix de dessin, mais Melle Quesnel a dit que jamais il n’y avait de prix d’excellence en dessin, alors (il y a en dessin, 3e le prix d’ornement, 2e le prix d’usuel, 3e le prix de tête et 4e le prix de paysage) si par exemple j’ai été 1e en tout, et bien je n’aurai qu’un prix mais je serai nommé la première, et le prix que j’aurais ce serait le prix dont parmi mes compositions j’aurais le mieux fait. Ma phrase n’est pas très claire, elle est difficile à comprendre mais dans trois semaines j’expliquerai cela de vive voix.

Ce matin toutes les élèves du catéchisme de persévérance sont allées à la messe de 8 H et ensuite, après avoir entendu une instruction de Mme Le Bourgeois, Mr Bouillon a distribué, à tous ceux qui avaient fait les rédactions un très gentil petit crucifix. J’étais du nombre de ceux qui en ont eu et j’étais bien contente.

Les lettres que vous envoyez pour arriver le soir arrivent toujours le lendemain matin.

Mon cher papa et ma chère maman, je vous embrasse de tout cœur ainsi que Paul et Isabelle.

Votre petite fille qui vous aime beaucoup. M. Davy

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Je croyais que Georges écrivait à Paul et à Isabelle alors je ne leur ai pas écrit, je le regrette beaucoup et dès demain matin je me mettrai à leur écrire.

Rouen, 26 Juillet 1891

Ma chère petite fille,

Je pensais beaucoup à vous hier toute l’après-midi, et à la distribution de l’année dernière au couvent, et en soupant, je disais à ton papa : quelle bonne idée ce serait, en revenant de l’Hôtel de ville, de mettre un palmarès à la poste ! Cette bonne idée, on l’a eue, et nous étions tout contents ce matin d’y chercher ton nom, heureux d’y trouver 5 prix, 6 peut-être, à cause du certificat d’études, mais un peu confus (tu auras dû l’être aussi) de 18 nominations !! C’est vraiment extraordinaire que toutes les élèves moins une, toutes même quelquefois, soient nommées dans chaque composition : les derniers accessits n’ont ainsi aucune valeur. Heureusement, tu en as plusieurs premiers, heureusement aussi on a sectionné votre division car Jeanne Le Huby et Hélèna Hameline sont de terribles concurrentes. Nous serons bien contents d’avoir plus de détails, de savoir si vous vous êtes bien tirées, ta compagne et toi, du morceau à 4 mains. Notre petit Georges devait être bien content de voir consonner sa sœur, et bonne maman devait se souvenir des

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distributions d’autrefois. Augustine a-t-elle pu quitter le magasin pour y assister ? Qui présidait ? Ces messieurs de St Nicolas y étaient-ils ? Amélie et Louise sont-elles restées avec vous jusqu’à demain lundi ?

Il faut que tu excuses mon écriture, mon cher 1er prix, car j’ai si sommeil que j’étais tentée tout à l’heure de me coucher vis-à-vis des étoiles et de la place avec ses réverbères. Il fait si chaud que nous fermons seulement quand ton papa monte.

Ce matin entre la 1ère messe de 6 heures et la grande, la lecture du palmarès m’a pris tout le temps.

Après dîner, malgré le soleil, nous sommes partis pour Bois G. où nous avons assisté aux vêpres à la Trinité, écouté le cantique et même un sermon de Mr le curé, puis trouvé la maison des Delles Moulin, où nous avons bu du lait. Rentrés après 7 h pour souper, je ne pouvais faire partir une lettre. Je vais encore essayer d’arriver demain soir, ton papa verra le receveur Pl. si celle-ci n’arrive pas demain lundi, c’est que, au lieu de les expédier à Mantes, on les envoie à Paris, où elles arrivent après le départ du train puisqu’elles l’ont croisé ! Heureux ceux dont le départ prendras les raisons que j’ai données à bonne maman. Je ne puis faire reculer les travaux : ce serait absolument inconvenant en retour. Tout sera certainement fini pour le 15 août, assurent ces messieurs et quoique je brule d’envie d’être avec vous, je

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ne puis partir cette semaine ni peut-être la suivante. Cela dépendra des gens que je verrai là ! Ces 2 semaines ou 3 semaines me semblent bien longues mais on en verra le bout. Ce qui me les adoucira, ce seront les bonnes nouvelles que tu voudras que bonne maman puisse me donner.

Je t’embrasse et te charge de mes baisers pour tous. Ta maman chérie.

I. Davy

Lettre de Jean à sa femme Isabelle

Rouen, le 27 Août 1891,

Bien chère amie,

Ta bonne et longue lettre de dimanche m’a fait le plus grand plaisir ainsi que celle de Marie, que j’ai reçu ce matin, bien que celle-ci soit trop abrégée, il y a bien des détails que je ne connais pas. Ce sera, je l’espère, pour la prochaine fois.

Je t’ai dit, je crois, que Mme Petit m’avait invité à dîner dimanche avec eux, sans cérémonie. A midi, j’étais au rendez-vous, je passai avec eux toute l’après-midi, nous ne fîmes pas une longue promenade, car il était près de 5 heures quand nous sortîmes, nous étions restés à

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causer, et le sujet ne roula pas tout le temps sur la poste, comme tu le supposes, sans doute. Nous allâmes ensuite chanter. Le petit Charles chez les Ducasse, le dernier nous accompagna un peu, et je rentrai pour souper : ils m’invitèrent ensuite de rester avec eux mais je tenais à rentrer.

Mardi, dans l’après-midi, j’allai encore faire une promenade avec Mr et Mme Petit, père et fils, depuis je ne suis pas sorti en compagnie. Les peintres ont commencé le nettoyage du bureau mardi soir, ils y travaillent toute la journée, ce qui nous gêne beaucoup pour le service ; c’est surtout le lessivage du plafond qui nous dérangeait, aujourd’hui c’est terminé pour le plafond et les murs, le plus sale de la besogne est fait, il y a encore à lessiver et à peindre le bas des murs. Ils ne finiront peut-être pas cette semaine mais je crois bien que lundi soir, au plus tard, tout sera terminé.

J’ai reçu hier la visite de Mr et Mme Beq, qui m’ont demandé de tes nouvelles. Ils m’ont annoncé leur nomination à Beaumont le Royer. Ils regrettent Cormeilles, où ils se plaisaient beaucoup, mais ils n’ont pas voulu refuser cet avancement. Beaumont le Royer est un bureau de 2e classe, qui rapporte brut 9500 Fr.

Vous avez dû être favorisés d’un beau temps pour votre voyage à Paramé. Je suis étonné que Mr et Mme Le Marchand n’y soient pas allés. Vous ne me dites pas si

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Melle Elisa y était, ainsi que le petite Isabelle. Amélie avait … se tes filles. Vous êtes sans doute allés à St Malo et à Dinard. Vu le temps peu favorable, il y a peut-être aussi à Paramé beaucoup moins de baigneurs que d’habitude. Quel dommage que tonton l’abbé et tante Marie ne soient pas allés avec vous !

Cet après-midi le temps est long, bien qu’il fasse un vent violent, la pluie commence à tomber. Albertine a commencé le lavage des chambres. Elle a lavé le salon et la chambre, le cabinet de toilette ainsi que la salle à manger. Elle a commencé à repasser les rideaux qui sont bien réussis. Albertine demande des chiffons pour les glaces et les carreaux, elle vous souhaite le bonjour à tous.

Charles avait bien reçu ma lettre à temps puisqu’il t’attendait à la gare. Ce que tu me dis de Mme Gamare est bien attristant, il ne faut cependant pas déjà désespérer ? J’ai fait ta commission près de Mme Petit qui me charge ainsi de ses meilleurs compliments.

Sois mon interprète pour dire mille choses aimables à tous, et reçois pour toi, mon Isabelle, les meilleurs baisers de ton mari, qui t’aime beaucoup, beaucoup.

J. Davy

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Cette lettre expédiée par le courrier de 7H20 ce soir devra t’arriver demain 28, au Val, vers midi.

Coutances, 6 octobre 1891

Ma chère Marie

J’ai appris avec bien de la satisfaction que tu allais entrer en classe et que Melle Ancelin et sa maison avaient plu à ton papa et à ta maman.

J’ai confiance que tu vas t’appliquer sérieusement et assidûment au travail ; tu sais toutes les raisons qui peuvent t’y engager ; elles dont des plus sérieuses.

J’ai vu avec plaisir ton voyage à Pont-l’Evèque, afin que tu révises cette ville qui nous rappelle à tous tant de souvenirs…Madame Gamare aura été bien aise de te revoir et tu as fait connaissance avec la petite Marguerite. A Lisieux, chez ta bonne tante Marie, tu n’as pas manqué non plus de satisfactions ; maintenant que vous êtes rendus à la vie ordinaire, c’est de vous tous et de toi en particulier qu’on va attendre des satisfactions.

Ici, ta petite sœur est gaie et bonne enfant, elle est bien contente d’entendre parler de vous ; elle va très bien, mais elle s’éveille souvent dans la nuit ; elle est bien tranquille la pauvre minette, mais enfin elle ne dort pas comme vous faîtes tous ; comme Augustine couchait dans

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ta chambre en l’absence de ta tante, petite avait pris la place de Georges, au coin de mon grand lit ; j’espérais qu’elle dormirait plus profondément quand elle coucherait seule, mais elle est encore éveillée en ce moment à 4 heures 1/2 et elle me dit que nous avons ronflé bien fort, par exemple. Elle va refaire un somme comme hier, je pense.

Elle fut bien gentille hier avec Mr Lecarpentier, elle courut l’embrasser quand il arriva, en ouvrant ses 2 petits bras et en souriant d’une façon bien aimable.

Je t’écris dès maintenant quoique je ne doive envoyer de lettre qu’après en avoir reçu une de ta maman. Cousine Adèle est revenue d’hier. Melle Blanchet ne voulait pas d’abord laisser partir Augustine mais enfin, comme on lui indiqua hier une jeune fille pour la remplacer, elle lui dit hier soir qu’elle serait libre pour mardi. Cela lui donnera bien peu de temps, mais enfin il faut bien qu’elle s’en contente. Nous allons avoir hâte maintenant de recevoir une lettre de ta maman qui nous dise que c’est une affaire conclue définitivement.

Un jour s’est passé depuis le commencement de cette lettre. Isabelle ne se rendormit pas, elle eut cependant une très bonne journée et dort très bien cette nuit ; je ne sais pas très bien ce qui a pu causer ces sortes d’insomnies qu’elle a eues 3 ou 4 nuits ; elle ne dort pas dans la journée, ne se couche que vers 8 heures, plutôt

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même après. Comme elle est gaie et pas du tout malade, je ne m’en inquiète pas. Je n’ai que la place de te mettre mes amitiés.

M. Piquois

J’écrirai à Paul et à Georges la prochaine fois ; Embrasse-les de ma part. Qu’avez-vous trouvé de la maison, Georges et toi ?

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1892 : Marie a 14 ans, Paul a 11 ans, Georges 8

ans et Isabelle 6 ans. Isabelle, leur mère a

succombé de la grippe en décembre 1891…

Coutances, 13 février 1892 (2 mois)

Ma chère Marie,

C’est à toi que j’écris puisque j’ai commencé par ton papa. Nos lettres se sont croisées, mais comme nous avions un égal désir d’avoir de nos nouvelles, c’est tant mieux.

Tu peux dire à Georges que sa lettre a fait bien plaisir à votre petite sœur. Je souhaite qu’ils puissent tous deux trouver le temps de bien repasser les réponses de la messe ; mais je présume qu’ils vont s’y appliquer sans qu’il soit à propos de les en tourmenter. Je ne sais comment il se fait que ton chapeau ait été changé avec celui d’Isabelle, mais à cause de la forme de sa tête, j’aurais cru que le sien te serait assez grand ; n’est-ce pas l’élastique que j’ai fait déplacer qui te serre trop et te fait paraître plus petit ; il serait si difficile et coûteux d’en faire l’échange qu’il faut tâcher de s’arranger comme cela.

J’ai été surprise, ma chère enfant, que tu aies demandé à ton papa de t’acheter un sarreau neuf, tu ne m’avais pas dit que tu en désirais et le tien qui venait d’avoir des manches neuves, était en très bon état.

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Explique-moi donc cela, je te prie dans ta prochaine lettre.

Ce que je voudrais savoir aussi, ma chère enfant, c’est l’état de tes relations avec tes frères ; c’est là, je t’avoue ce qui me donne un grand souci. Si tu voulais m’être agréable, ma chère fillette, tu m’écrirais quelques lignes jour par jour, que tu ne m’enverrais qu’au bout de la semaine, pour me dire sincèrement et équitablement comme la journée s’est passée ou bien encore, pour abréger, marque-moi cela par des notes chiffrées. D’ici je te promets de ne gronder personne si tu es juste et sincère ; ce que je devinerai bien je pense. Je laisserai toi-même faire tes réflexions ; il serait bon de me faire ce petit récit le matin, tu t’apprêterais pour la classe un quart d’heure avant le moment de partir et tu me parlerais de la veille. Cela offrirait ainsi, après la nuit passée, plus de garanties d’impartialité. Il est vrai que les querelles commencent aussi souvent la journée.

Oh ! Puissent-elles cesser et notre fille aînée, la chère petite Marie de sa maman devenir sensée et raisonnable. Tout dépend d’elle. Si elle s’applique à devenir telle que nous la souhaitons ; elle sera surprise du changement qui se fera en ses frères. Ce sera une précieuse récompense de ses efforts et de sa persévérance. C’est cette vertu de la persévérance que sa bonne maman lui souhaite de tout son cœur.

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M. Piquois

La génisse donne bien moins de lait ici qu’à la Fauvisière ; hier 18 pintes. La blanche 19 et Brunon

presqu’autant. Dis à cousine Adèle que je n’oublierai ni ses bouts de manche ni son châle la semaine prochaine

(fin écrit par bonne maman)

Madame Jeanne est venue travailler avec nous et Isabelle un peu intimidée dit qu’elle n’a plus d’autres pensées, supplée-y, ma chère Marie et devines toutes les amitiés qu’elle pense pour toi pour ton petit père, cousine Adèle et tes frères. Dis leur également les meilleures choses de ma part. Ta bonne maman

M. Piquois

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Tante Amélie revient de voir Mme Le Marchand qui est toujours à peu près dans le même état.

Mme Jeanne me demande de la rappeler au souvenir de cousine Adèle et au vôtre. Mme Campain commence les travaux de la maison qui sera près de la leur. Mme Le Marchand voudrait bien une maison en ville.

22 février 1892

Ma chère Marie

Dis à cousine Adèle que puisqu’Augustine lui écrit, c’est à toi que je m’adresse, ce qui va un peu revenir au même du reste. D’ailleurs Augustine lui aura sans doute dit les nouvelles que j’aurais pu lui donner d’ici. Aujourd’hui nous avons un temps splendide aussi petite mignonne va se promener presque tout l’après-midi ; elle est d’abord allée avec tante Amélie m’acheter des enveloppes de cartes chez Mme Le Poultel et un étui à chapelet que tante lui donne pour sa fête et pour ramasser un charmant petit chapelet que bonne maman lui donne, ce petit chapelet est précieux parce qu’il a été mis sur le cercueil des petites tantes. A leur retour Isabelle est repartie à la gare avec Augustine porter un petit colis que vous arrivera à domicile. Vous trouverez dedans le châle de cousine Adèle et ses bouts de manche ; une

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chemise pour Paul et une pour Georges ; je ne ferai les 2 autres que quand je saurai que celles-ci vont bien ; car j’ai travaillé un peu à tâtons ne pouvant pas les essayer et puis ma machine ne va pas bien ce qui m’ennuie. Georges trouvera aussi sa chère carte, avec un tantinet de beurre frais tout salé mais si blanc, si blanc que ce n’est guère appétissant ; j’espère vous en envoyer de nouveau en vous envoyant la laine, mais il ressemblera sans doute à celui-ci parce que les vaches ne sortent plus, enfin il y a aussi 2 mouchoirs de Paul qui étaient restés. Tu peux dire à cousine Adèle que la génisse ne donne guère plus de lait que la Blanche, dit Augustine je prends garde de le dire aux cousins, car ils en seraient bien contrariée ; pourtant 8 Fr de son ne font pas plus de 10 jours aux 3 qui donnent du lait et on lui en donne plus qu’aux autres. En vendant Brunon au 1er lundi, nous manquerons encore de lait, c’est bien ennuyeux. Mr Le Terrier en manque aussi tout de suite car il nous en achète un litre presque tous les jours, mais il a une vache bientôt prêt à lui donner un veau ; après il vendra du lait maintenant.

Comment se fait-il, pauvre enfant, que je te parle tant des bêtes avant de te dire que je t’engage beaucoup à ne pas sortir trop vite, car c’est la convalescence qui est surtout à craindre ; j’avais bien envie de recevoir de tes nouvelles et tante a été comme moi bien contente de recevoir ta lettre. Moi aussi je vais un peu mieux, samedi

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j’avais eu une très mauvaise journée et je n’allais pas à la messe hier matin, mais ne me levai qu’à 11 heures. La journée fut bien meilleure et celle d’aujourd’hui lui ressemble pourtant la nuit n’a pas été parfaite mais je ne trouve pas le temps long quand je ne dors pas parce que je le passe en compagne des lettres de ta chère maman. Cela me fait un peu revivre de la vie du cher temps passé. Que je me félicite de les avoir conservées, je t’en ferai voir tant que tu voudras. Dis à Paul qu’il est beaucoup question de lui dans celles que j’ai lues récemment, c’était avant la naissance de Georges. Il faut toujours y penser à votre bonne petite mère, mes chers petits-enfants, et prier pour elle. Dieu lui fit de si grandes grâces qu’il a pu être plus exigent et malgré l’espoir que nous avons de sa félicité, il ne faut pas cesser de prier pour elle. Isabelle nous en parle bien souvent, elle disait ce matin : moi, je voudrais rêver un rêve vrai que maman me tient sur ses genoux et me raconte des histoires…

Adieu ma chère enfant, toutes les places du papier sont prises.

Ta bonne maman. M. Piquois.

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Coutances, 1er mars 1892

Ma chère Marie

Je viens de faire acheter de tout grand papier noir, car le pareil à celui que je vous ai donné est si petit qu’il n’est bon que pour écrire aux gens à qui on n’a rien à dire et celui-ci est lourd. Je vous en enverrai chacun un cahier par le prochain colis postal.

Dis à cousin Adèle une chose qui va lui faire plaisir, c’est qu’Augustine me restera l’année prochaine ; quand je lui en parlai, elle me répondit sans la moindre hésitation. C’est très heureux sous bien des rapports et en particulier pour ta petite sœur pour qui elle est toujours charmante. Dis-lui encore à cousine que je ne ferai pas vendre Brunon lundi parce que nous manquerons de lait pendant le carême et comme les 3 pots 1/2 de lait qu’elle donne chaque jour paie grandement sa nourriture, on ne la vendra qu’aux Rameaux.

Sauvage est venu 2 jours, je lui ai fait planter 10 grandelliers car j’ai bien envie que le jardin nous donne assez de petites groseilles pour nos confitures, il a aussi planté 50 choux, semé 2 planches de pois, une d’oignons et poireaux, fait des pommes de terre et taillé les arbres.

Tante Amélie est allée voir Mme Le Marchand hier, on la portée dimanche en voiture chez Mr Muriel, mais les progrès ne sont pas très marqués depuis notre

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retour. Mr Dudouyt donne l’espoir que le mieux continuera. Ton papa sait-il que ta cousine Marie-Thérèse a été bien malade ; elle est bien mieux mais le jour qu’on en recevait des nouvelles, on lui mettait son 5ème visicatoire. Melle Elisa ayant affaire chez elle est partie le lundi, elle reviendra la semaine prochaine. Mr Le Marchand voit double, comme a été tonton l’abbé ; il ne s’en inquiète pas, il pense que cela vient d’avoir attaché ses espaliers par un grand soleil. Tant mieux qu’il ne s’inquiète pas. Ma tante Beaupré a encore eu une syncope hier matin qui s’est passée comme de coutume. A la Fauvisière, tous sont enrhumés et cousine Marie en était même bien malade car elle n’est pas allée dimanche à la messe, elle est restée couchée, on vint même chercher Mr Dudouyt, mais il ne put y aller. Heureusement qu’hier, elle se trouvait mieux.

Nous avons reçu une lettre de Mme Gamare qui va de mieux en mieux ; elle pèse 6 kilos de plus qu’en arrivant. On l’engage à faire une saison aux eaux Bonnes pour affermir son rétablissement. Mme Gourdan m’a écrit qu’elle viendra me voir, elle voudrait bien te connaître.

Ton oncle nous a écrit dimanche, il allait commencer ses tournées cette semaine, il en était tout content, il a, comme à Menton, un temps splendide ; il me parlait de ses chers petits neveux et nièces à qui il pense

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beaucoup et me chargeait de ses amitiés pour ton papa et pour cousine Adèle. Louise Bois nous a écrit ce matin pour nous faire part de la naissance d’un petit garçon à Paul Campain mais il faut clore ma chère fillette, car la place me manque aussi.

Ta bonne maman

M. Piquois

Coutances, 9 mars 1892

Ma chère petite fille

Voici une autre lettre pour toi que j’ai retrouvée dans les miennes et que je t’envoie pour que tu puisses la classer dans les tiennes. Je regrette de n’avoir pas pensé à te donner l’idée, que tu aurais peut-être bien eue par exemple, de profiter du petit congé que t’a donné ton indisposition pour les bien classer les lettres de ta petite mère.

Oh ! Ma petite fille, conserves-les bien précieusement, relis-les souvent, ce sont des trésors que tu apprécieras de plus en plus.

Oh ! Quel malheur nous a tous frappé, ma chère enfant, mais peut-être toi, pauvre petite, encore plus que

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toute autre. Tu comprendras de plus en plus ce que tu as perdu, en perdant une mère comme était la tienne.

Oh ! Pleures, ma petite Marie, et penses de temps en temps aux pieuses et tendres exhortations de cette mère incomparable.

Surtout quand tu seras pour communier, souviens-toi d’elle. On vous conduira, je présume pour le jour St Joseph ! Ah ! Que le souvenir de ta maman te soit comme un second ange gardien plus présent à ta pensée que le premier, car il te reste tant de souvenirs…Ma petite Marie, tu l’aimais bien. Ah ! Ne l’oublie pas et quand tu es tentée de faire ou dire quoique ce soit qu’elle eût désapprouvé, ah ! pense à elle et obtiens son bonheur ou l’augmente, par les efforts que tu feras pour être discrète, douce, bonne, calme, indulgente, sincère, studieuse, pieuse enfin, car c’est là ce qui t’aidera à acquérir les vertus qui te sont souhaitable pour votre paix et votre bonheur à tous.

Ma petite Marie, tu m’aimeras aussi, n’est-ce pas, car c’est là ce qui soutiendra mon courage en me donnant la meilleure consolation que je puisse avoir.

Je regrette bien les lettres que vous m’avez écrites jeudi et que je n’ai pas reçues. Je pense tant à vous tous, que j’ai besoin d’en entendre souvent parler. Ta petite sœur nous parle de vous et du passé à chaque instant, elle

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aime beaucoup à lire et hier elle s’est bien amusée d’histoires de poupées que Mme Néel a eu la complaisance de lui apporter et qui avaient amusé sa nièce quand elle était petite fille.

C’est demain le jour de naissance de tante Amélie. Vous seriez bien gentils de lui écrire demain jeudi. Embrasse gentiment tes frères de la part de leur bonne maman qui vous aime tous bien tendrement.

M. Piquois

J’écrirai à cousine en envoyant le colis postal à la fin de la semaine je pense

Coutances, 21 mars 1892

Ma chère petite fille

Tu vois que je pense à toi et à ta toilette puisque je t’ai envoyé cet ancien corset, je sais qu’il ne te va pas bien, mais comme je savais aussi que ton noir était très délabré, je t’ai envoyé celui-ci en attendant un neuf qui serait déjà venu si la ville de St Denis ne m’avait oubliée dans la distribution de ses catalogues ; je vais en demander un et aussitôt après, ou plutôt, la semaine prochaine, je ferai venir diverses choses dont nous avons besoin ; en

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attendant, ma pauvre Marie, fais des boutonnières à ton pantalon, tu les mettras aux boutons du corset et de cette manière cela tiendra tes jupons car vraiment il est aussi ennuyeux que malséant de les perdre. J’ai bien pensé aussi qu’on pourrait teindre ta robe bleue. Quand j’irai à Rouen, je porterai celle d’Isabelle qui pourra aussi être teinte ainsi que tous les morceaux. Je pense que je pourrais très bien t’arranger ensuite une toilette avec, seulement il faudrait que je fusse pour cela au moins 2 ou 3 jours avec vous. Donnez toujours à teindre ta bleue et tous ses accessoires et quoique je n’ai pas eu une bonne nuit, ma jambe n’est pourtant pas plus mal, de sorte que je ne désespère pas encore d’aller vous voir vers le milieu d’Avril, pendant vos vacances de Pâques. En attendant ta jaquette te fera mieux pour aller en classe par ce beau temps que ton grand vêtement d’hiver. Demandes à ton papa de porter les chapeaux de tes frères à teindre, le chapelier s’en chargerait peut-être bien, ou bien encore demander à la teinturerie où vous adresser pour cela. Paul et Georges vont déjà penser aux chaussettes, je suis sûre, mais il ne faut pas se hâter de se dévêtir, la lune rousse n’est pas passée et elle est souvent bien froide et c’est dans cette saison que l’on gagne le plus aisément de longs rhumes. Soyez prudents mes chers enfants et écoutez bien les avis de cousine Adèle.

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Je n’enverrai cette lettre que demain matin, après avoir vu Augustine ce soir. Je pense que ton papa trouvera sa petite fille grandie et changée ; elle a très bonne mine et se porte parfaitement.

Augustine n’est pas revenu hier soir, elle a probablement manqué le train ; tante Amélie alla chez Melle Blanchet, qui trouvait que cela dérangeait ; mais tante lui expliqua que ce n’était bien sûr pas sa faute, mais plutôt celle de ceux qui auront voulu la rapporter à la gare. Mais je ne vais envoyer cette lettre qu’après l’avoir vue. Dès maintenant, je veux te dire, ma chère petite, que tes lettres me font d’autant plus plaisir qu’à première vue ton écriture me rappelle celle de ta maman.

Ta petite sœur est vraiment son petit ange, faisant ses prières avec moi et ne voulant pas que je les raccourcisse à cause d’elle ainsi dimanche pendant que tante et Augustine étaient au sermon, nous dîmes notre chapelet, je lui proposai presqu’après chaque dizaine de s’arrêter là, mais elle voulut me le répondre tout entier. Et le matin, elle tient beaucoup aux litanies.

Remercie Melle Ancelin en lui souhaitant le bonjour pour moi. Mérites-tu toujours de bonnes notes ma chère Marie et le p… de silence ?

Combien tu as été plus heureuse que Paul, c’est ta petite mère qui te prépara à partir à ta 1ère communion.

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Ma petite fille sois bonne et obligeante pour Paul en souvenir de ta maman et de ta 1ère communion.

Ta bonne maman M. Piquois

Coutances, le 8 avril 1892

Ma chère Marie

Je suis bien aise que ton papa veuille bien te laisser aller passer tes vacances à Lisieux. Je sais tout le plaisir que cela te fera. Hélas ! Ni là ni ailleurs tu ne retrouveras pourtant ta bonne petit mère. Mais penses à elle partout, ma chère enfant, et penses à agir toujours en vue de lui être agréable.

Dis à ton papa que l’ai reçu dès hier une lettre de ton oncle Charles, pour me dire dès son retour que son rhume est bien passé et qu’il vient de parcourir encore un bien beau pays vers le Buis. Le temps est superbe mais le mont Ventoux encore blanc et la vallée toute rose des fleurs des pêchers.

Nos pauvres petits pêchers à nous sont bien gentils aussi mais Augustine a vu tes coquins petits amis les oiseaux venir leur enlever des fleurs, nos petits cerisiers vont aussi bien fleurir et un de nos pruniers seulement. Par le petit bouquet, vous avez pu voir que nos

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ravenelles commencent à fleurir et à sentir bon. Quelques tulipes sont aussi boutonnées. Et les vôtre ?

Tu as donné en même temps que ta robe bleue tous les morceaux qui restaient n’est-ce pas, tu les emporteras tous à Lisieux avec des doublures et tu prieras ton papa de te donner de l’argent pour payer la façon, je voudrais bien qu’il irait te rechercher lui-même. Il y a bientôt 15 jours que nous n’avons vu ces dames Néel. Ma tante Beaupré doit venir lundi, je lui souhaiterai le bonjour pour vous ainsi qu’à toute la famille. Mercredi nous eûmes la visite de Mme Roquetin et Mme R…. La petite fille de Mr Louis est chez sa grand-mère avec sa nourrice, la pauvre petite n’aura pas connu sa maman. Melle Panthion vint le même jour et Mme Olive avec sa sœur qu’elle emmenait à Vire avec elle. Tante Amélie et petite Isabelle t’envoient leurs amitiés.

Ta bonne maman M Piquois

Lettre de Jean à Marie : il écrit très mal, je n’ai

pas pu tout déchiffrer !

Rouen, le 19 avril 1892

Ma chère Marie

Il est temps que je me décide à répondre à ta petite lettre, qui m’a fait bien plaisir. Je pense bien souvent à toi

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et je regrette que tu n’aies pas un plus beau temps pour tes vacances.

On se croirait tous ses temps-ci sous un climat de Sibérie. Le jour de Pâques, la neige ne cessa de tomber toute la matinée et même une grande partie de l’après-midi. Nous étions heureux d’avoir les offices pour passer le temps. Les vêpres furent longs mais je ne m’en plaignis pas ; il était près de 6 heures quand cet office fut terminé. Nous eûmes un beau sermon, poursuivi du St sacrement, bénédiction etc…Je trouvai tout de même le temps d’écrire à bonne maman et la journée se passa ainsi.

Le lundi, la matinée fut maussade mais en compensation, nous eûmes une très belle après-midi, bien que froide. Nous en profitâmes pour faire une promenade à Bon-Secours. Dans une de ses lettres, bonne maman avait exprimé le désir que Paul et Georges mettent un cierge devant la Ste Vierge, dans cette chapelle où leur petite mère avait prié avec tant de ferveur. C’est dans ce but que nous nous y rendîmes. Il y avait beaucoup de monde ce jour-là, c’était probablement un jour de pèlerinage. Nous vîmes les travaux du chemin de fer, qui sont poussés avec assez d’activité et nous revînmes en descendant le coteau dont la pente est abrupte pour retomber sur la route de Rouen. Ce fut une belle promenade qui me rappela bien des souvenirs.

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Munis de tes images, Paul et Georges ont pris les deux pareilles et cousine prit l’autre.

(Zone effacée). Je crains que ton retour ne lui cause trop de dérangement. Dis-lui que je pourrais aller à ta rencontre à …. Ne m’oublie pas près de Mme …

Ton papa qui t’aime bien.

J. Davy

Coutances, 22 avril 1892

Ma chère petite fille

Tes lettres me font toujours bien plaisir, mais celle que tu m’as écrit jeudi m’a particulièrement été agréable, aussi je l’envoie à ton oncle Charles, il y lira lui-même ce qui le concerne et il se trouvera un peu mis au courant de la façon dont ton temps s’est passé chez tante Marie. Je suis sûre que cela va bien lui faire plaisir que tu sois allée à Pont-l’Evêque mais avant de la lui adresser et pendant que je l’ai encore sous les yeux, je vais répondre aux questions que tu me fais.

D’abord tu sauras qu’il n’est pas encore 10 heures 1/2 du soir, j’ai déjà fait un petit somme et mes misères m’ont réveillée, or c’est pour me distraire un peu et ne pas céder à l’envie de travailler un peu mes misères que je

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t’écris, mais hélas qu’il est difficile de trouver une position passable. Ma tante Beaupré n’a pas eu d’attaque depuis qu’elle vint passer un lundi avec nous et cousin Eugène va bien mieux. Les cousines Louise et Hélène Bois vinrent nous voir il n’y a pas bien longtemps. Helène Campain était restée avec sa bonne maman mais je regrette qu’il soit trop tard que tu pries tante Marie de te conduire au Carmel ; cousine Marie eût été bien contente, je pense de parler un peu avec toi. Melle Duvivray est à Jersay en ce moment pour recueillir de l’argent qui lui est dû et qu’elle craint de perdre. Les Duclos sont rarement et tous bien portants, ils sont assez peu aimables en ce moment parce qu’ayant eu plusieurs petits torts vis-à-vis de moi, cela les met peu à l’aise, leurs maisons ne sont pas vendues. On en bâtit une neuve près de Mr Jeanne. Toutes celles qui étaient à louer le sont. Un grand malheur c’est la mort de Pierre Marie, tu sais le gros quincaillier qui était si aimable pour moi, il mourut subitement au moment de se coucher avant-hier soir, sa femme et ses enfants étaient à passer les vacances à la campagne. Quand le prêtre et le médecin arrivèrent, il était mort. Comme à ton bon papa Auvray….

Heureusement que sa sœur, la bonne Louise, l’entendit l’appeler.

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Claire Néel vint me voir samedi, elle est avec Georges à Gavray cette semaine chez Mme Leroux, l’amie de pension de tante Amélie.

La petite fille de Mr Louis Roguelin est avec sa nourrice Mme Roguelin. C’est une très belle enfant, que Mr et Mme Rouault aiment beaucoup. Augustine te remercie de ne pas l’oublier, ses mains sont à peu près guéries, mais elles la piquaient dur hier soir, après avoir arraché des racines d’orties qui envahissaient de jeunes entes. Elle passe en ce moment tous ses moments disponibles à arracher des doches qui ont poussées plus nombreuses que jamais. Je pense que les pommiers n’ont pas souffert du froid et de la gelée ni du brouillard de ce soir mais il était temps que ce mauvais temps vienne car il y en avait plusieurs dont les feuilles étaient déjà ouvertes et laissaient voir les fleurs toute prêtes à éclore. Ils promettent d’être très beaux, les pauvres petits pêchers sont tristes, ainsi que les pruniers, ceux de la maison avaient fleuri, les cerisiers n’avaient pas encore leurs fleurs ouvertes. Nos tulipes ont de gros boutons dont on pressent la couleur ; ce sera joli tout au long du parterre, les ravenelles sont bien fleuries, mais toutes pareilles, la rhubarbe pousse doucement ; les fraisiers commencent à fleurir et les artichauts percent le terre, te voilà, ma chère petite à peu près au courant de tout ce qui eût comme toi, intéressé ta chère maman. Cela m’a distraite

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de mon mal de te conter tout cela, maintenant je vais essayer de dormir, si je ne le puis encore, j’ai toujours dans le coin de mon lit mon sac donné par ma chère Isabelle et rempli de ses lettre, qui me donnent l’illusion de vivre encore un peu avec elle. Sa petite Isabelle, le long du jour nous distraies ta tante et moi, j’admire comme le chère petite est gaie et s’amuse aisément. Souvent je regarde en la voyant les portraits de mes chers absents et il me semble que nous jouissons tous ensemble de sa gaieté et de sa gentillesse. Embrasse pour moi tante Marie, cousine et Amie et reçois, ma chère fillette les embrassements maternels.

M. Piquois

(Lettre de tante Marie (la sœur d’Auguste) à Rouen

mais qui éclaire la lettre suivante)

Coutances, 7 Mai 1892

En voici une nouvelle alerte comme nous venions de dîner, Augustine va pomper de l’eau dans le plant pour mon verre d’eau, elle voit de la fumée sortir d’une porte et d’une fenêtre des remises Cauvin ; toute troublée, elle vient m’avertir, allez vite, lui dis-je, chez Mr Cauvin. On ne tarde pas à s’attrouper, la fumée sort de plus en

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plus, tout en est rempli et les flammes commencent à sortir par les sablières puis par les fenêtres. Mr le Carpentier me propose d’emmener la petite à Mme. C’était me rendre un grand service car je voulais être dans le plant et il n’était pas à propos que la chère petite y fût.

Enfin on arrive très très nombreux ; 3 pompes fonctionnent, les élèves du séminaire de l’école normale et une quantité de gens s’organisent. Des chaînes sous la direction des gendarmes, on prend de l’eau partout, au lavoir de Mme Lambert, aux pompes etc… Et je vois que le corps de bâtiment des remises Cauvin va seul brûler. Pourtant la cahute au pétrole me faisait peur ; Mr le Terrier était tellement hors de lui qu’il en était désagréable. Il me faisait reproche que le puit de la pompe fût couvert par l’auge etc…Melle Néel voulait que je fasse jeter la paille et le foin qui sont dans les greniers etc… Le fait est, qu’à un moment des flammèches sont tombées sur la couverture. Mais comme de suite on y a dirigé le jet d’une pompe et vraiment il n’y avait pas bien du tout s’alarmer. Une pompe va rester cette nuit, on a jeté tous les sacs d’Eudes dans le jardin du Carmel, du bois et des débris par chez nous et je pense que c’est fini, mais si malheureusement c’était arrivé la nuit, tout le quartier était grandement menacé… Enfin, c’est une alerte, et pour nous cela se borne à cela…

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Je reçus hier matin la lettre de Marie et de Georges, j’avais eu une meilleure nuit que d’habitude et j’étais pleine de l’espoir de vous aller d’ici une 15aine de jours, je me mis au reçu des lettres à écrire à Marie, une lettre que je me gardai bien d’envoyer hier soir car la journée fut mauvaise et la nuit dernière déplorable.

Enfin, me voici même derechef et je suis prompte à espérer, je désire tant vous aller bientôt, Marie et Georges voudront bien prendre leur part de cette lettre que je suis très pressée d’envoyer. Melle Blanchet a envoyé Augustine me voir. Mmes Guillon et Roguetin sont arrivées, jusqu’aux dames Girres et à Melle le Pomelée, on fait la chaîne… En ce moment ces dames Néel sont à voir dans le plant. Adieu, elles vont rentrer. Petite Isabelle venant voir avec Mme Le Carpentier et ces dames Roulier quand tout a été éteint a dit qu’elle serait contente de rester avec bonne maman, la chère petite n’a pas eu peur, la fumée la contrariait.

J’ai bien reçu hier une lettre de Mr le Marchand. Mme est toujours dans le même état. Ils ont vu le parrain de Paul qui se propose fermement, dit Mr le Marchand d’assister à sa 1ère communion. Vous lui avez fait savoir la date n’est-ce pas ? Recevez, tous et toutes mes amitiés. Votre tante dévouée.

M. Piquois

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Coutances, 9 Mai 1892

Ma chère petite fille

Dis à ton papa et à cousine Adèle de se tranquilliser à mon sujet, la journée d’hier ne fut pas bonne pourtant, mais la nuit a été passable et comme mon pied et ma jambe sont à peu près désenflés, je suis persuadée que le mieux va devenir sérieux.

Nous avons eu une vraie déception ce matin ; tonton l’abbé ayant dit à tante Amélie qu’il avait un grand désir de venir me voir et que si sa santé lui permettait, et que le temps fût favorable, il viendrait cette semaine. Nous l’attendions si bien que j’avais engagé ces Delles Bois et Campain qui ont affaire ici cette semaine de venir dîner avec lui demain et puis nous recevons une carte postale nous disant : que Jeanine lui a écrit que son beau-frère et sa sœur avaient projeté d’aller le voir en famille aujourd’hui si cela ne le dérangeait pas ; il a cru devoir leur répondre qu’il serait à leur disposition et il se propose de nous venir la semaine prochaine, de sorte que quand même je serais en état de partir au commencement de la semaine, je ne pourrai vous aller que le samedi.

Hier les élections ont été si vives que la feuille que je joins à cette lettre pourra vous en donner une idée, vous allez recevoir avant cette lettre 2 journaux, je vous en enverrai 2 autres la semaine prochaine et vous

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pourrez deviner à peu près la situation. Il parait qu’on posait affiches sur affiches hier. Voilà 5 conseillers municipaux nouveaux qui entraveront sûrement le projet de l’emprise du jardin de l’évêché. Je suis bien bien aise que vous ayez cousin Désiré demain, il se trouvera renseigné à peu près sur les nouvelles Coutançaises et la semaine prochaine ton papa pourra lui envoyer les journaux après en avoir pris connaissance. Peut-être pourrais-vous envoyer ceux-ci à Nyons quoique cela intéresse moins ton oncle que ton cousin.

Hier toute la ville vint voir la place de l’incendie. Hélas ! Plus nous y pensons, plus l’on s’épouvante en pensant ce que cela pouvait être. Mr et Mme Eugène Le Chevalier, Mme Vigot et cousine Céleste vinrent nous voir hier. Aujourd’hui, Mr Gautier, curé de Bricqueville est venu aussi, tous ont tremblé pour nous à la pensée de ce que ce pouvait être.

Ma chère Marie, je pense à vous tous et à ton costume en particulier, amis comme j’espère vous aller dans une 12aine de jours ? Il sera plus commode d’en parler sur place. Aussi bien il sera encore bien temps d’acheter ce que tu désires offrir à Paul.

Je finis, ma chère Amie, en te chargeant de mes amitiés pour tous et en particulier pour cousin Désiré ; tu vas dire à sa maman que je suis bien bien contente qu’ils se voient enfin un peu.

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Tante Amélie vous envoie aussi ses amitiés, ainsi que la petite Isabelle qui est bien contente de penser qu’elle sera bientôt à Rouen. Tu débarrasseras son rayon, si c’est possible, car je présume qu’elle aurait un gros chagrin de le voir supprimée.

Ta bonne maman

M. Piquois

Tu fais ton lit tous les jours, n’est-ce pas, Marie ?

Coutances, 23 Mai 1892

Voilà tante Amélie bien attrappée, heureusement que j’avais retenu de rendre la gentille montre si quelqu’autre personne en donnait une, de sorte que cela ne fera pas de difficulté ; maintenant nous allons nous entr’aider toutes deux à imaginer ce qui pourrait faire plaisir à notre petit Paul. Que je voudrais le voir un peu, te voir près de lui, ma chère Marie et connaître votre disposition d’esprit.

On ne sait donc rien du résultat de l’examen que tu ne m’en dis rien. Paul n’aura donc pas d’acte qu’il ne lui est pas encore donné, pauvre petit enfant… Pourquoi sa bonne et chère maman n’est-elle plus près de lui…

Ce matin, je suis moins découragée qu’hier ; la semaine dernière a été cruellement douloureuse et

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conséquemment décourageante, mais je pense que le mieux va encore revenir une fois et je souhaitais tant vous aller que je veux encore espérer. En tout cas, dis à cousin que vous aurez du beurre. Depuis longtemps le linge blanchi est rangé dans la malle ; si je n’y allais pas, tout cela ferait bien de l’excédent. Si je puis partir, je vous écrirai de veille. Peut-être que je vous enverrai quand même un colis demain, j’y mettrai un peu de beurre, les petites affaires dont je t’ai parlé et surtout le pantalon que j’ai fait pour Georges auquel il ne manque que les boutons. Cela presse, au cas qu’on voulût le faire teindre, car en a-t-il un pour mettre avec la vareuse. Pour toi, ma chère petite, je comprends que tu sois un peu embarrassée, je comprends que 2 chapeaux ne seraient pas de trop et celui de feutre recouvert ne peut plus compter en cette saison. C’est pourtant ennuyeux d’en acheter un pour la petite à qui un seul pourrait suffire. Si je pouvais vous aller seulement samedi. Les 3 jours de la semaine seraient bien suffisants pour t’en faire faire un. Tante Amélie en a un neuf en crêpe, mais avec voile en arrière et voilette en avant. Elle a aussi une très jolie robe.

Dis à ton papa qu’il faut que cousine Adèle ne soit pas trop surchargée et puisse aller à la cérémonie, c’est pourquoi il faudrait demander à Cyrielle de donner le plus de temps possible la veille, le jour et même le

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lendemain. Comme les gigots de Rouen sont très lourdes, demande à cousine s’il ne serait pas possible d’en faire couper 2 livres au bout qu’on mettrait à la casserole la veille, dis-lui de compter sur une bonne poule et un bon poulet de Coutances, on pourrait encore mettre du bœuf à la mode que cousine arrange si bien ; je crains que le coucher ne soit plus embarrassant que la cuisine surtout si tonton l’abbé allait venir ce qui n’est pas impossible, tu pourrais coucher avec tante Amélie dans la chambre d’Albertine, mais ton lit étroit ne conviendrait guère pour une grande personne. Et si je vous allais, je suis difficile à installer avec mes misères. A moins que notre bonne cousine ne me cédât son lit et ne put se mettre avec ta tante. Il faudrait bien que petit père prît dans son lit le parrain de Paul et on mettrait Georges sur le lit de sangle pour qu’il rendît celui de sa petite sœur. Mais sur place, vous saurez mieux faire que je ne puis dire d’ici. Si Mme et Mr le Coute allaient venir et tonton l’abbé ou tante Marie, je ne sais comment ton papa s’y prendrait, il faudrait bien en tout cas, que tonton l’abbé occupât la chambre bleue. Mme de Grisy m’a écrit pour savoir quand elle passerait à Lisieux, elle ou tante Marie pourraient bien donner le livre de Paul. En tout cas, comme pour ton chapeau, les 3 premiers jours de la semaine suffiront bien pour que tu achètes quelque chose. Faisons donc des vœux pour que nous vous arrivions samedi, dans ce cas ta tante Marie ne nous verra qu’au

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train, car nous prendrions le train de 8 heures 1/2 et continuerions sans arrêt. Dis à ton petit père que je pense bien à lui ainsi qu’à Georges mais tout particulièrement à Paul et toi, ma chère petite.

Ta bonne maman M. Piquois

Coutances, 25 mai 1892

Ma chère petite

C’est en rentrant de la chapelle en Juger que j’ai trouvé la lettre de cousine Adèle et la tienne. Le voyage s’est mieux passé que je ne l’espérais. J’avais arrangé de mon mieux mes jambes et mes pieds et j’ai vu avec une grande satisfaction que je pouvais introduire ceux-ci dans mes vieilles chaussures caoutchoutées ; je les en ai ôtées dans la voiture pour les envelopper dans la grande couverture de voyage de bon papa et poser le tout sur une chauffrette, petite Isabelle était bien contente près de moi dans le fond de l’américaine et tante Amélie était près du conducteur, en arrivant, j’ai pu remettre mes chaussures, aller, en m’appuyant sur mon parapluie dans l’église et la sacristie, me tenir à genoux pendant qu’on me lisait l’évangile et pendant qu’on la lu à ta petite sœur pour obtenir qu’elle soit préservée dans l’avenir des vilains maux qui m’ont tant fait souffrir, depuis une 10aine de jours surtout ; ce qui me préoccupait à l’avance, c’était

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dans quel état que j’allais avoir mes maux en les débandant. Aussi ne souffrant pas trop, j’ai résolu de manger d’abord, il était près d’une heure. Enfin il a bien fallu procéder au pansement et le pied et la jambe gauche n’était pas en bien meilleur état que je ne craignais. J’’ai essayé de me poser sur mon lit mais je n’ai pu y tenir, maintenant j’ai les pieds sur un oreiller posé sur une petite chaise, imagine-toi, ma pauvre enfant que j’ai aussi le bras gauche et surtout le coude en très mauvaise état et que je ne puis du tout rester sur la cuisse gauche.

Enfin, je suis bien contente d’avoir fait mon pèlerinage de ce matin, l’idée me vint tout-à-coup si claire, que mes prières présentées par ce saint, qu’il plut souvent à Dieu d’exaucer, seraient sans doute mieux accueillies et c’est avec foi et confiance que je suis partie, me croyant guidée par ta petite mère, dont je ne me lasse pas de relire les lettres d’il y a 2 ans à cette époque. Maintenant vous irai-je, je ne puis encore l’assumer ; en tout cas, ce ne pourrait-être avant lundi ou mardi. Mais je n’en désespère pas ; j’ai écrit la lettre de ton papa cette nuit quand j’étais très mal à mon aise, après l’avoir écrite, j’ai pu trouver un peu de calme et de sommeil qui m’ont fait tant de bien que je n’étais plus la même…

Mais que je suis donc privée de ne connaître rien de la manière dont notre petit Paul est préparé, cher enfant, n’est-il point plus distrait ou scandalisé

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qu’édifiée ?... Que je suis sûre qu’il eût aimé à entendre chanter de beaux cantiques pieux, que je souffre d’être loin de lui…

Pour ta toilette, ma chère Marie, je ne suis pas surprise que ta robe ne fut plus bien convenable, mais cela t’en fera beaucoup de noires et puis c’est vraiment bien cher. Celle de tante Amélie ; qui est très très bien ne lui reviendra pas à 45 Fr. Voici le conseil que j’aurais donné de faire faire à l’orpheline cette toilette avec la polonaise de voile de ta petite mère ; il faudra bien en tirer parti et bien faite c’eût été charmant. Ne serait-il pas encore temps, c’est très désirable. Tu sais, ma petite fille qu’il faut être bien raisonnable et puis j’aurais préféré un nouveau chapeau de crêpe et tu aurais mis le tien déjà pas mal défraîchi à tout aller. C’est ce qui a été fait pour ta tante et surtout quelque chose de peu cher, le deuil est plus commode qu’autre chose sous ce rapport.

C’est ta petite sœur qui est mal montée de robe, la sienne pareille à la tienne n’est vraiment guère convenable et celle qu’on lui fit avec une vieille de tante Amélie peut à peine être mise dans la maison. Voyant que tu en avais une, je fais demander à Mme Carpentier si elle ne pourrait pas lui en faire une vendredi ou samedi ; je ferais acheter du voile et j’espère qu’elle ne dépenserait pas 15 ou 20 Fr. On lui fait des bottines, car les

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brodequins de chevreau lui gênent les pieds et ses gros ne seraient pas habillés.

Dis à cousine de faire de son mieux pour ne pas froisser Cyrielle, ni Mme Ameline s’il y a moyen. Embrasse de ma part tes 2 frères et reçoit, ma chère enfant, toutes les amitiés de ta bonne maman.

M. Piquois

Je vais te confier que Caillard fait pour Paul une table noire jolie et solide avec 2 tiroirs fermant à clef. C’est ce que tante Amélie lui offrira en place de la montre. Peut-être que tu pourrais lui offrir un gentil tapis pour mettre dessus et si personne ne lui donnait de livre, je pourrais lui offrir mais sois très libre. Petite Isabelle a dit d’elle-même, puisque Paul aura une montre, je voudrais lui donner un porte-montre.

Moi, je voudrais, ma chérie, être pendant un jour entier ressembler à ta petite mère pour pouvoir vous voir sans être vue et pour connaître à fond les dispositions de notre Paul et le suivre partout un jour…

Dis encore à cousin puisque j’ai pris une nouvelle feuille, que je vois de nos fenêtres nos pommiers superbes, c’est de même aux environs de Coutances, mais vers Marigny et la chapelle, ils ont bien moins belle apparence, beaucoup ont des feuilles et pas de fleurs. Je crains que Virginie n’apprenne que je suis passée si près d’elle, mais

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impotente comme je le suis, cela m’eût gênée beaucoup de descendre et d’arrêter. Ce mal est plus répandu et bien plus douloureux qu’il y a 2 ans.

Dis à Georges que je voudrais bien une longue lettre de Georges.

La polonaise étant trop longue, ne pourrait-on pas du surplus faire au bas un ou 2 petits volants.

Coutances, 18 Juin 1892

Ma chère Marie

J’ai réussi à trouver 3 paires de gants neufs de sorte que vous recevrez ceux de Georges en même temps que cette lettre ; ils sont accompagnés de quelques fleurs et de la cueillette de fraises de la journée. Figurez-vous que nous n’en n’avons guère mangé plus que ce que nous vous envoyons. Je ne savais comment m’expliquer cela, enfin j’ai reconnu que c’était nos gueuses de poules qui venaient s’en régaler, bien avant même qu’elles ne fussent arrivés à maturité, aussi depuis 3 jours, elles sont en pénitence, c’est-à-dire enfermées dans le poulailler. Je n’ai pas trouvé jusqu’ici les gants de laine de Georges. Nous avons aujourd’hui un temps splendide et le foin du petit herbage qu’on ramasse aujourd’hui est excellent à

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tous égards. Voisin fauche la pointe de Mr Gendron et un peu moins d’une vergée laissé dans le haut du grand herbage.

Paul a eu une bonne nuit et moi aussi. La journée est également passable pour tous deux. Surtout pour Paul qui vient d’aider à tasser 240 bottes (à peu près la moitié) ce matin, il est allé prendre sa leçon. Mr le Marchand lui a commencé le latin dès le commencement de la semaine et avant-hier, il écrivait sur son cahier : je suis on ne peut plus contente de mon petit élève. Les 2 devoirs sont sans faute. C’est très encourageant pour nous deux. Ces devoirs étaient un thème latin.

Nous vous félicitons d’être aux premières places pour voir vos belles fêtes, Paul a été sensible à la pensée de Mr le Parquier, mais il regrette encore davantage la distribution pour les belles fêtes.

En somme, je suis bien aise de l’avoir ramené, il a souffert hier toute la journée, dites à Mr Le Parquier que son conseil était bon et que nous lui souhaitons tous le bonjour. Dis à ton cher papa les choses les plus affectueuses et embrasse Georges de notre part.

Ma chère Marie, une chose m’a bien surprise et inquiétée dans ta lettre à Paul. C’est de n’y voir même pas le nom de notre bonne cousine. Pourtant, je ne doute pas, ma chère amie, que tu ne l’entoures toujours de

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l’égard et de l’affection qu’elle mérite. Je présume que ton papa engagera les cousins Briard à dîner. Tu communiqueras, bien entendu, cette lettre à ton papa, qui voudra bien m’excuser de ne pas lui écrire cette fois ; il m’est très difficile de trouver une bonne position pour écrire. C’est singulier, mais c’est quand je marche que je souffre le moins. Aussi j’ai pas mal marché aujourd’hui, et quoiqu’il ne soit pas 6 heures, je ne vais pas tarder à aller dans mon lit. Petite Isabelle a toussé longtemps, mais elle va très bien maintenant, elle est avec Paul à porter du cidre à Voisin. Tante Amélie repasse dans la maison de cousine. Reune est bien ennuyeux, il a laissé le foin à moitié charrié et au 1/2 bottelé pour aller charrier du sable pour les reposoirs. Va-t-il réussir et à quelle heure ?

Adieu, je vous embrasse tous de tout mon cœur.

Ta bonne maman M. Piquois

Si vous avez trouvé les images de Paul. Envoyez m’en quelques-unes. Donnez-en une à cousine Adèle pour Désiré.

Coutances, 7 octobre 1892

Ma chère Marie

J’attendais de vos nouvelles avec impatience, et j’en attendrai d’autres avec encore plus d’anxiété, afin de savoir comment va la gorge de notre petit Georges. Je

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me demande si vous avez la recette de la potion du couvent, de crainte que vous ne l’ayez pas, je vais te la donner.

Potion : 200 grammes d’eau bouillante, on y jette 5 grammes de chlorate de potasse et quand elle est un peu refroidie, on la mélange avec 30 grammes de sirop Diacode et une petite cuillerée d’eau de fleur d’oranger.

Il faut faire bien attention de mettre bien exactement les quantités, particulièrement l’eau bouillante, parce qu’il pourrait être inefficace si la dose était trop faible et malfaisante si elle était trop forte. Je suis pressée par l’heure, ma chère Marie. Surtout ne tardez pas à me donner des nouvelles.

Ta bonne maman

M. Piquois

Ta petite sœur a été bien contente de ta lettre, elle se proposait de te répondre, mais comme j’ai encore les pilleurs, je suis souvent debout et ne peux m’occuper de la lui faire écrire. Dis à tante Amélie de mettre des bas de laine à tes frères. De veiller à ce que les poires ne s’endommagent pas, il doit s’en trouver delà de bonnes à manger. L’eau a abimé le raisin, il y en a peu maintenant et les fraises ne savent plus mûrir.

Je suis taquinée qu’Augustine qui est enrhumée, veuille rester sous les averses et dans l’herbe mouillée à

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ramasser des pommes avec Aglaë ; il y en a de plus en plus.

Dis à ton père que je lui écrirai prochainement.

Paul à Marie Davy

Coutances, 28 juin 1892

Chère Marie

Je me suis souvenu ce matin que je te devais une lettre. Je te remercie du récit des fêtes que tu m’as envoyé. Mais comme j’ai été chez monsieur Lemarchand et que j’ai eu mal aux dents, je ne t’écris qu’aujourd’hui. Le matin je ne suis pas allé chez monsieur Lemarchand parce que cette semaine il est du jury. A la place, j’ai été au foin ou j’ai attrapé deux ampoules. Ce midi j’ai eu mal aux dents. Mais c’est fini. Il y avait trois que je n’y avais eu très mal ainsi ça va mieux. La pauvre bonne maman a beaucoup souffert ce midi et a eu une très mauvaise nuit. Cet après-midi mademoiselle Clair est venue ; je lui ai fait tes commissions et elle m’a chargé de te dire bien des choses de sa part. La petite Louise était avec Melle Clair. J’ai fait aussi tes commissions a ceux de Cambernon. Est-ce que je vous avais dit dans la dernière lettre que Maria Duclos et Maria de la Groudière étaient recus au certificat d’étude. L’une

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demande des nouvelles de ton jardin. Dans les trois petits ronds il y a de petites ravenelles. Les feuilles chinoises vont pas mal je les arrose assez souvent. Dans le parterre Guillot jardinier a apporté du réséda et des géraniums. Notre cerisier a des cerises et nos grodiers des grades et nos framboisiers des framboises. Dis à Georges que j’ai planté sur notre couche des fraisiers et que j’en mettrai encore. Sais-tu qu’Isabelle a un gentil petit jardin ou il y a un poirier, un ortensia des fraisiers, des ravenelles des capunes et de la pervanche. Ma chère Marie je t’embrasse de tout mon cœur et te prie d’embrasser pour moi cousine Adèle papa Georges et dis-lui encore que bonne maman m’a donné 2 oignons tulipe.

Dis à papa combien j’ai envie de le revoir. Je t’embrasse uns seconde fois.

Ton frère qui t’aime tendrement.

P. Davy

Surtout donne moi des nouvelles de vous tous.

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Paul à Marie Davy

Coutances, 7 juillet 1892

Chère Marie,

En revenant de porter une lettre à la boite je tiens à répondre à ta bonne lettre. Je relis ta lettre de 10 pages pour répondre à toutes les questions. Louis Duclos n’a pas travaillé au foin il y avait la femme Desmonlius et la femme Haunequin avec Aglaë et Augustine qui a bottelé avec Sauvage. Jean Voisin a fauché toutes les pièces ont été fauchés sauf les touffes du grand herbage et ont donné environ 2400 ou 2500 bottes. Il y a encore une vieillotte du plant à botteler. Tu me demande ton jardin jusqu’ici il y a le gazon et dans les ronds. Il y a des ravenelles. Mais dis-moi comment tu veux qu’il soit et je le ferai si c’est possible. C’est ennuyeux qu’on ne dise plus de messes au couvent. Je t’assure que le jour de la cavalcade je n’y pensais pas car je souffrais aux dents mais il ne faut pas en parler parce qu’il reviendrai. Hier avant de commencer ta lettre j’ai balayé comme l’année dernière le toit qui est sur les cabinets et le hangar parce que la gelée avait cassé des tuiles. Je n’en ai pas eu mal aux oreilles ce dont je suis content car ça prouve que je suis guéri maintenant. Les vaches et les génisses vont bien. Elles donnent peu de lait parce qu’elles sont mal nourries par ce qu’il n’y a pa beaucoup d’herbe tout est fauché et la Blanche sera a terme le 11 août. Les deux Maria sont

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reçues au certificat d’étude. J’ai fait tes commissions a tante Beaupré et à nos parents de Cambernon. Ils vont tous bien. Hier soir madame et mademoiselle Vigot sont venues. Nous avons eu un billet de logement pour 2 soldats ils ont dit qu’ils étaient de l’Oise et qu’ils allaient à Saint-Nazaire pour aller garder les forçats dans la Guyane à Cayennes. Puisque le papier me force à terminer ma lettre je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que tous ceux qui t’entourrent.

Ton frère qui t’aime tendrement.

P. Davy

Coutances 8 juillet 1892

Ma chère Marie (suite)

Je m’aperçois que je ne t’ai pas répondu à toutes les questions de ta lettre c’est pourquoi je reprends une feuille. Bonne maman va un peu mieux mais il lui pousse des cloches sous les pieds et il y a de l’exéma sous les doigts de pied. Isabelle et moi et tante Amélie allons très bien j’ai 2 dents de percés je n’en ai plus que 2. Je n’ai pas vu Georges Néel depuis que je suis ici, je n’ai vu que Melle Clair et petite Louise. Monsieur Lemarchand va bien et madame a toujours un bras et une main de paralysée. Elle est venue hier avec madame Muriel et le petit Muriel dans sa voiture. Augustine la bonne me dit

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que tu es bien aimable de la remercier pour si peu. Tu as dit dans ta lettre de 10 pages que tu écrirais à Isabelle et… Je t’embrasse uns seconde fois de tout mon cœur.

Ton frère qui t’aime tendrement.

P Davy

8 juillet 1892

Ma chère Marie

Veux-tu être ma commissionnaire près de cousine Adèle, pour lui dire que je lui écrirai prochainement mais que dans ces derniers temps où Paul et moi avons beaucoup souffert, je n’étais guère disposée à écrire. Je suis mieux cette semaine et tout me fait espérer que ce mieux va continuer. Aussi tu vas dire à ton papa que je compte que cousine Adèle t’acconduira avec Georges.

Tu as travaillé beaucoup et je suis sûre que le grand air est utile à ta santé maintenant. Je sais que tu as l’intention de bien employer tes vacances, mais comme tante Marie viendra passer quelque temps avec nous, je la connais assez pour être sûre qu’elle ne demandera pas mieux que de te donner quelques leçons et tu sais qu’elle a l’habitude de la préparation aux brevets. Et puis qui sait

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si Mr Lemarchand lui-même n’offrira pas de s’occuper un peu de toi.

Si ton papa trouve le temps trop long, il pourra venir après la mi-août ; s’il se sent le courage d’attendre au commencement de septembre, il y attendra et à une de ces dates comme à l’autre, tante Amélie avec la petite Isabelle qui passe ici toute l’année, pourra aller lui tenir compagnie pour que tu restes ici le plus longtemps possible.

Dis-lui que c’est là ce que je désirerais, je présume qu’il aimera mieux aller manger au restaurant que de manger seul et tu ferais bien de l’engager à demander à Cyrille si elle ne pourrait pas coucher à la maison, de cette façon elle ferait son déjeuner, sa chambre, ses chaussures avant d’aller à son autre ménage et ce serait moins triste pour ton papa que de se sentir tout-à-fait seul dans la maison.

Dis-lui aussi à ton bon petit père que je le remercie de la semaine religieuse ; j’ai lu à tante Amélie et à Paul le beau et intéressant discours du père Montsabré, je voudrais la communiquer à tonton l’abbé.

Dis encore à ton petit père, qu’en voyant le joli petit chapeau de dentelle d’Isabelle, frais comme s’il était tout neuf, mais qu’elle sera trop grande pour porter après le deuil, j’ai regretté de ne pas l’avoir porté à Rouen.

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Ton cousin Auguste aurait pu l’emporter pour une de ses petites nièces. Si ton papa le désire, je l’enverrai d’ici à Mme Leconte. A-t-on donné des images à ton cousin pour la famille. Penses à me le dire parce que j’en mettrais quelques-unes avec le chapeau. Vous en reste-t-il beaucoup. Il faudra apporter celles qui restent. Mais je me hâte de finir en te chargeant de mes amitiés pour ton papa et pour notre chère cousine. Dis à Georges que j’ai grand hâte de vous voir tous deux.

Ta bonne maman M. Piquois

Jean à Marie

Rouen le 23 août 1892

Ma chère Marie,

Je me demandais hier si je ne devais pas t’écrire puis le temps se passa sans y songer. Je t’avoue cependant que le temps me parait bien long. Le matin, je suis encore assez occupé, mais l’après-midi, je ne sais trop comment passer mon temps. Je vais bien faire une petite promenade quand la chaleur commence à baisser, vers les 4 heures mais j’ai tellement vu et parcouru tous les quartiers que je ne sais plus de quel côté diriger mes pas. Je commence vraiment à me fatiguer de Rouen, si je n’étais pas obligé d’y rester j’en serai bientôt parti.

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Dimanche il faisait bien chaud, je n’eus pas le courage de faire une longue promenade. J’allais, vers les 5 heures assister de loin au lancement d’un ballon, qui devait partir du cours de la Reine. Il y avait beaucoup de curieux sur le pont de Pierre et sur les quais. A 5 heures ½ on vit le ballon s’élever majestueusement dans les airs, avec la nacelle et les personnes qui étaient dedans, il plana longtemps sur Rouen, on l’apercevait très bien de tous les quartiers de la ville, puis il descendit tout doucement dans les prairies voisines. Si je m’ennuie passablement, je vois qu’il n’est est pas ainsi pour toi et pour tes frères, heureusement, vous faîtes bien de profiter des vacances pour vous amuser et faire de bonnes promenades. Moi aussi je suis allé à Bricqueville la Blouette et je me souviens avoir aperçu sur la gauche en allant au pont de la Roque la superbe église de Bricqueville dominant majestueusement les maisonnettes d’alentour.

Avant de terminer, je vais te dire d’embrasser pour moi Paul, Georges et ma petite Isabelle.

Ton papa qui t’aime beaucoup

J. Davy.

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Coutances, 13 octobre 1892

Ma chère Marie

Je sais que je suis depuis longtemps dans ta dette et je m’en ferais des reproches, si je n’avais de bonnes excuses qu’il est inutile que je t’énumère ; même en ce moment, à 3 heures du matin, après avoir écrit longuement à ton papa, mes jambes qui ont bien du mal à être tout-à-fait accommodantes, aimeraient mieux que je m’allonge que de rester dans la position nécessaire à la correspondance et ma plume ou mon encre, comme tu peux le remarquer, ne facilitent pas mon désir de converser un peu avec toi, tant pis. Bravant tous ces obstacles, je vais flâner un peu ; te dire d’abord que j’ai oublié de marquer à ton papa que j’ai reçu lundi une lettre de Mr le Marchand me donnant des nouvelles de madame. Elle est toujours à peu près de même ; ils arrivaient d’Autrain où ils avaient passé 8 jours, mais ta cousine de Rennes était repartie avec ses enfants. Toute la famille de ton papa allait bien. Mr le Marchand me demande de lui donner de vos nouvelles et me dit : envoyez spécialement mon bonjour à Paul, et s’il parle de moi dans ses lettres, dites le moi soigneusement, car je parle de lui souvent.

C’est pourquoi dis à Paul, qu’il ferait bien, s’il peut trouver un moment de lui écrire et ton papa aimera sans doute à y ajouter quelques mots. Mr et Mme le Marchand

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ne reviendront pas avant la Toussaint, je crois, seulement, ma chère Marie : dis à tante Amélie, qu’il faut que vous laissiez Paul faire sa lettre tout-à-fait seul, qu’il la fasse voir ensuite d’abord à son papa, qui voudra bien lui dire s’il y a de trop grosses fautes d’étourderie.

J’ai envie de voir si tu pourras te maintenir à la tête de ta division. Je pense comme ton papa qu’on peut attendre que le jour de l’an soit passé pour que tu recommences tes leçons de piano. Je voudrais bien que tu présentes mon respect à Melle Ancelin et à Melle Dupuy si tu en trouves l’occasion, tu lui diras même (poliment) que je la remercie de ne pas oublier tes études.

Embrasse bien affectueusement ta tante de ma part, ainsi que Paul et notre petit Georges dont j’ai bien envie d’entendre parler.

Adieu, ma chère fillette, comme aimait à dire ta petite mère. Hélas ! Hélas voici 10 mois aujourd’hui qu’elle nous a quittés. Prie bien pieusement ma petite Marie pour que Dieu lui donne les joies du paradis et lui permette de le prier. Ah ! Puisse-t-elle être notre guide et notre conseil à tous, ainsi que ton bon papa. Demande leur surtout de prier pour ton oncle Charles, si éloigné de nous, demande de ma part à tes frères de prier particulièrement pour lui.

Ta bonne maman toute amie. M. Piquois

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Nous avons trouvé des pommes si bonnes, si bonnes que je vous en enverrai quelques-unes. Le beurre est superbe. L’eau a bien endommagé ce qui restait de raisin. J’en ai suspendu dans la chambre de ta tante 2 grappes remarquables pour les conserver pour Mme Bois si elle vient lundi si le temps est favorable. Je détruirai toutes les vignes pour n’avoir que l’espèce de parterre car il est très supérieur. Ta véronique est superbe.

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1893 : Marie a 15 ans, Paul a 12 ans, Georges 8

ans et Isabelle 7 ans

Coutances, 24 Janvier 1893

Ma chère Marie

Ta tante Amélie n’est guère mieux de sa douleur, son bras est immobilisé comme s’il était paralysé et elle a toujours de bien mauvaises nuits, c’est pitié de l’entendre gémir ; dis à tes frères de prier Dieu pour elle, les journées sont passables, mais les nuits sont toujours pénibles. Pourtant il y a maintenant quelques heures de sommeil, je continue de coucher dans le salon pour qu’elle soit dans mon lit. Heureusement que je vais bien en ce moment. Hier nous eûmes la visite des cousines Louise et Hélène. Nous avons parlé de toi et de vous tous. La bague envoyée par tonton Charles à cousine Hélène est bien jolie ; elle a 2 grosses perles dans le genre de celles qui étaient à celle de ta petite mère et puis de tous petits brillants. Je suis un peu ennuyée que Mrs Campain père et fils n’aient pas fait mystère du mariage de sorte que bien des personnes le savent, ce qui me met dans la nécessité de l’annoncer aux parents et amis intimes et comme on n’en sait pas l’époque, c’est l’annoncer bien tôt je trouve.

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Bien entendu que tout ce que je te dis est aussi pour ton papa, avec qui j’aimerais encore à pouvoir m’entretenir. Dis aussi à cousine Adèle que Poutrel est venu hier, il fait très bon charrier le fumier mais comme il a vendu son vieux cheval, il n’a qu’un poulain de 20 mois qu’il craint de fatiguer de sorte que cela ne va pas vite.

Nous avons très bien reçu le mouchoir, la petite chemise, mais on avait ouvert le paquet et on ne s’était pas donné la peine ni de replier les bouts du papier, ni de la reficeler, la ficelle était tournée plusieurs fois dans le même sens et c’est heureux que le mouchoir n’ait pas été perdu.

Je regrette d’avoir donné la peine à cousine de chercher mon bonnet, car il ne m’en manque pas, au contraire, nous en avons un des tiens, je crois. Il est vrai qu’un de tante Amélie est resté.

Tu as bien fait de t’exercer sur le piano avant de reprendre des leçons, maintenant que les jours allongent, ce sera plus commode ; je pense que ton papa voudra bien t’accompagner chez Melle Dupuis, cela vaudrait peut-être aussi bien que de la laisser revenir. Je pense bien, ma chère petite, que tu t’appliques à mériter de nouveau la cordelière et je serai heureuse de te faire offrir de nouveau un agréable dessert. Hélas ! Hélas ! Dis à tes frères que j’attendrai leurs lettres avec impatience et que

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je leur souhaite de passer une agréable fête dimanche. C’est dommage que votre petite sœur ne puisse vous voir un peu plus souvent. Un de ses soirs, après avoir bien joué avec Augustine en se couchant, je sentis qu’elle ne s’endormait pas et il me sembla que la chère mignonne pleurait ; je fus la trouver et fis mon possible pour obtenir ses confidences. Elle me dit seulement, je voudrais voir papa. Pauvre toute petite, malgré tous nos efforts, nous ne pourrons jamais, ni papa, ni moi, lui rendre ce qu’elle a perdu, ce que vous avez tous perdu, mes pauvres petits. Mais en souvenir de la chère maman, aimons-nous bien les uns les autres et agissons comme sous son regard et pour lui plaire. Dans ces pensées, je t’embrasse bien maternellement, ma petite Marie.

M. Piquois

Mme Jouvet ne va pas du tout mieux, au contraire, j’appréhende d’aller la voir. Ma tante Beaupré et nos parents de Cambernon vont bien mais le petit Ludovic a une brûlure au cou par de la soupe d’une casserole sur lui qui éclabousse. Un petit garçon de Mr de Mons, est mort samedi après être tombé la tête dans de l’eau bouillante. Tante Amélie a une moins mauvaise nuit. Voici plusieurs bons sommes. Cette après-midi, tante n’est pas plus mal, au contraire. Poutrel est allé chercher une barrique de 120 pots que Ch. Néel veut bien

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nous prêter, je compte vous l’envoyer après demain avec une de ça. Décidemment je prends une autre feuille…

J’aurais mieux fait de ma décider plus vite à prendre une seconde feuille, vous avez grand peine à vous y reconnaître.

Dis à ton papa que j’avais bien ici 2 barriques de 50 pots. J’en enverrai une pleine de cidre avec celle de Charles Néel, il faudra les vider à l’arrivée, ou peu après, dans votre grande et les renvoyer, afin que je puisse rendre celle que j’emprunte, ce sera aussi bien de l’adresser directement chez Mr Néel. Le cidre est très fort et très apprécié des connaisseurs.

Eugénie étend l’engrais. Poutrel le porte. Pascal débite, arrache et fagotte les pommiers morts, puis remplit et nivelle la place. Augustine autant qu’elle le peut à ceux-ci ou à ceux-là, mais les vaches prennent bien du temps en cette saison. Enfin le temps en cette saison est propice et tout va très bien, j’aimerais que petit père vît comme son grand herbage va être tout noir d’excellent engrais.

Adieu, car l’heure arrive et puis je vais faire louer la barrique.

Tous à vous tous.

M. P.

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Dis à cousine que vu les grandes frais, Augustine hésite à vendre sa terre avant d’avoir 21 ans.

Pensez à la messe jeudi si Mr Authianne peut la dire.

Coutances 29 janvier 1893

Ma chère Marie

En écrivant les lettres de ton papa et de Georges, je n’avais pas l’intention de t’écrire aujourd’hui, mais comme leurs feuilles sont remplies, je t’envoie celle-ci pour vous dire que n’ayant rien appris de la Groudière, ni Madame Delalonde non plus, nous espérons que les syncopes de ma tante Beaupré se sont passées comme de coutume.

Ce matin en mettant la camisole qui va vous parvenir en même temps que cette lettre, en la mettant, dis-je, à ta petite sœur, j’ai trouvé qu’elle lui était si grande que j’ai pensé qu’il valait mieux vous l’envoyer pour un de tes frères et vous demander de nous en expédier de suite une de leurs petites, c’est urgent, car la camisole tabac d’Isabelle a les manches en très mauvais état ; il faudrait m’envoyer de la laine tabac, en même temps que la camisole pour que je les répare. Si la camisole en question est sale ou en train de service, envoyez-là quand même. On la lavera ici. Dis à cousine Adèle, qu’Augustine a enfin une lettre de Mr Le Grand

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qui lui dit d’aller mardi à Marigny, elle trouvera tous ses comptes réglés. Elle écrira à sa tante aussitôt qu’elle le pourra.

Tante Amélie est venue à la messe et aux vêpres. Nous allons bien.

Ta bonne maman. M. Piquois

Ta petite sœur a porté ce midi un gentil bouquet de roses de noël sur la tombe de petite mère. Cousin Augustine nous accompagnait tous les 2.

Coutances, 4 février 1893

Mon petit premier

Quoique cousine Hélène soit ici, avec sa tante Louise et que je n’ai reçu ta lettre que ce matin, j’ai pourtant aussi envie que toi de te donner le dessert de demain.

C’est pourquoi je me hâte et Augustine va monter à la porte en portant son lait.

Nous allons toutes bien et irons mardi au Val Saint Père. Si Marie a la cordelière ou Paul une place de premier qu’ils tâchent que je le sache lundi matin pour pouvoir leur faire de la galette.

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Je profite que les cousines sont en ville pour t’écrire. Depuis leur départ nous avons eu la visite de Mr Le Parquier et de ces dames et une longue de madame Dombreval.

Embrasse Marie et Paul de la part des cousines, de tante, de petite sœur et de ta bonne maman qui t’aime de tout son cœur.

M. Piquois

Coutances, 13 février 1893

Ma chère fillette

J’arrive à toi toute pressée car cousin Eugène sort d’ici avec cousine Marie de la Groudière ; dis à cousine Adèle qu’ils attendent un nouvel enfant pour la fin de mars.

Mais vite que je me hâte de te féliciter d’avoir la cordelière ; j’aurais bien désiré vous faire de la galette mais nous ne coullons plus du tout de lait de sorte que je suis obligée de me contenter de vous envoyer des timbres.

Georges m’a écrit plusieurs fois et je serai bien contente d’avoir de nouveau une lettre de lui. Dis à Paul qu’il faut qu’il me dédommage par une très longue, de ne m’avoir encore écrit qu’une fois.

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Dis à ton papa que j’attends une lettre de tonton Charles un de ces jours lui ayant récrit récemment. Aussitôt après je vous donnerai de ses nouvelles et des nôtres.

Je suis mieux de la tête et des oreilles aujourd’hui qu’hier et les 2 dernières nuits ont été meilleures. Je crois bien que j’avais eu froid à Cambernon.

Adieu, bonsoir à tous. L’heure presse. Je vous embrasse et me dis ta bonne maman. M. Piquois.

Bonne maman à Jean

Coutances, 7 mars 1893

Cher ami,

Je ne comprends pas ce que vous me dites de votre cidre. Vous avez sans doute non seulement reçu la barrique de 114 pots, mais aussi celle de 97. Alors je pensais que vous aviez mis ces 171 pots de cidre dans votre barrique de 300 pots que vous aurez remplie d’eau et que pendant qu’il se faisait avec l’eau et se reposait, vous acheviez de boire celui que vous aviez. Je ne doute pas qu’ainsi arrangé il ne soit encore très bon et fort. Comme vous aviez tardé à m’en parler, j’ai mis sur les 150 pots environ qui me restaient de pur, près de 200 pots de tout petit repillé. Il est encore très bon, bien trop fort

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pour boire en mangeant. Mais nous sommes toujours à notre vieux qui n’est pas désagréable. Dans sa lettre Marie ne me parle pas de Melle Dupuy de sorte que je ne sais pas si elle a repris des leçons. Je vous engage aussi, mon cher ami, à ne pas oublier les dents de Paul, voyez, ou chargez Marie de voir s’il ne lui est pas venu d’autres surdents ; il faut veiller aussi à la bouche de Georges.

Dites à Paul que j’aimerais qu’il m’eût annoncé lui-même sa place de 1er… J’espère pouvoir leur envoyer un peu de galette car j’ai pu réserver à cette intention un petit pot de lait.

Je n’ai encore vu personne pour louer la Lande-Hurel. Aujourd’hui j’ai donné à Beuve une affiche pour mettre à sa maison. C’est lui qui me fait tous les charriages pour les maçons, il a un très bon cheval et jusqu’ici cela va bien, mais nous étions loin d’avoir du beau temps la semaine dernière, outre la boue cela faisait perdre du temps. Aujourd’hui la journée a été bonne. Les charpentiers sont venus. Un des chênes va passer à faire les morts-couvertures pour les fenêtres et choses de ce genre.

Les fermiers d’Edouard et de son frère Emile se sont chargés de tout apporter pour 80 Fr, ils ont apporté dans leurs 2 chartils, samedi, 3 chênes et un orme, ils reviendront demain apporter l’autre chêne et un sapin. Il

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ne restera ensuite que les coupelles et environ 150 fagots qu’un homme s’est chargé de faire pour cent dix sous du cent.

Mr Le Terrier et sa servante sont calmés, si le temps est favorable, dans 15 jours nous serons bien avancés j’espère… Je vais bien et aime à en profiter, mes jambes sont encore un peu enflées et rugueuses à la place du mal, mais ce n’est rien.

Amélie et petite Isabelle vont très bien. Hier nous avons vu cousine Augustine ; elle ne sait pas encore si sa terre sera vendue ou non.

Un gendarme vint un jour que j’étais sortie, demander l’adresse de Désiré. Nous ne l’avions pas, il dit qu’il reviendrait. Augustine nous l’a donné hier. Si c’est pour qu’il fasse son temps au mois d’Avril, je prendrai mes dispositions pour vous rester pendant ce temps et je serai bien aise que le travail que je fais faire maintenant soit fait.

Je vous assure qu’il m’en coûtait pourtant beaucoup de m’y mettre. On fait aussi bien du travail en ville pour les conduites d’eau, on remplace les tuyaux de terre par des tuyaux de fonte.

Vous pouvez dire à Marie et à ma cousine que j’ai vu hier Mme Jouvet, elle n’est pas mieux du tout, pourtant elle me parla très sensément de nous tous. Mais

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elle hait son mari et son fils, elle ne veut pas voir celui-ci et le pauvre mari ne pourra pas y tenir, elle le frappe, l’injurie, etc…C’est bien triste ; il y a toujours une religieuse.

Aujourd’hui toute la ville est préoccupée de la police correctionnelle. Un ancien commis de Mme Cerisier que tout le monde voyait bien, sauvage chemisier, a été accusé par la fille de Goudal et d’autres voisines de faits qui l’ont fait emprisonner. On le plaint et on a chausonné les filles etc, etc… Je vous envoie le courrier. Adèle pourra l’envoyé à Désiré. Le notaire de Carenton dont il y est parlé est le cousin germain de Mme Dombreval. Mais adieu, mon ami, bien des amitiés de ma part aux enfants. Quoique je sois peut-être dans leur dette, je voudrais bien une lettre des deux frères quand ils pourront.

Votre toute dévouée

M. Piquois

Coutances, 21mars 1893

Ma chère petite Marie

Tu vas dire à cousine Adèle qu’un gendarme revint samedi chercher l’adresse de cousin Désiré, il

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tenait à la main le livret militaire du cousin et comme je lui demandais s’il allait être appelé pour faire ses 28 jours, il examina la classe et le reste, mais ne put pas me le dire ; toutefois il ajouta que ce ne serait sans doute pas au mois d’avril, parce qu’il aurait déjà des ordres. Dans cette incertitude, j’écrivis hier matin à Désiré lui-même pour le prier de m’écrire aussitôt qu’il saura à quoi s’en tenir, car tu vas comprendre, ma chère Marie, que si je dois aller remplacer cousin au mois de mai, malgré le désir que j’avais d’aller passer avec vous les vacances de Pâques, cela ne se pourra pas. Je t’en prie, ma chère petite fille, ne t’en contrarie pas trop, je compte que tu seras assez raisonnable pour accepter comme il convient ce petit contretemps et par intéresser tes frères de quelque manière pour que ces vacances ne leur semblent pas trop longues et pour qu’ils ne soient pas trop fatigants pour notre bonne cousine ; tu t’occuperas beaucoup de ton piano pendant ce temps et puis ton papa voudra bien vous promener le plus possible. Tu penseras à ce qu’aurait pu faire ta petite mère et en souvenir d’elle, Marie, tu t’appliqueras à être vraiment digne d’être l’aînée.

Maintenant j’ai une nouvelle à t’annoncer qui va te faire plaisir, j’en suis sûre. Je t’ai dit que nous aurions prochainement un petit cousin ou une petite cousine à la Groudière, mais ce que vous ne savez pas, c’est que ce n’est pas Georges et Alice Delalande qui en seront

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parrain et marraine, mais Paul et Marie Davy, cousine de la Groudière tient absolument que ce soit ainsi, son petit neveu et sa petite nièce, il est vrai, n’ont encore fait leur 1ère communion ni l’un ni l’autre.

Je pense bien que vous accepterez tous deux avec plaisir, c’est pourquoi hâtez-vous de choisir les noms, tu sais que si c’est une fille, c’est à toi de choisir le 1er et Paul le second, mais si c’est un garçon, c’est à Paul de donner le 1er, et puis il faut en donner 2 ou 3 à choisir, mais mettez au 1er rang celui qui vous plaît davantage, consultez cousine Adèle, qui est du pays et peut savoir un peu ce qui ne plairait pas aux parents, ainsi, je suis persuadée que Henri et Jeanne ne plairaient pas, il faut encore ne pas donner pour premier des noms qu’on dénature, ainsi Auguste voudrait mieux en second qu’au premier, pour qu’on ne dise pas Gust., Eugénie qu’on dit Ugine. Et puis surtout Marie ; concertez-vous tous deux paisiblement, avec égard l’un pour l’autre, comme compère et commère qui s’estiment et pensez à prier le bon Dieu de bénir ce petit enfant et ses parents. C’est vraiment une dignité pour vous deux de devenir, comme dit cousin Janière les tuteurs spirituels de ce petit enfant, votre petite mère, qui fut bien heureuse autrefois d’être marraine d’abord d’un enfant pour le Mare, puis plus tard de sa petite sœur, eut le chagrin de les voir mourir tous deux, espérons que vous serez plus heureux. Cousin

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Edouard a été malade cette semaine de douleurs violentes dans tout un côté, cela les avait effrayés, mais Mr Dudouyt a dit que cela venait d’une mauvaise digestion… Il l’a purgé 2 fois. Il est encore à peine bien. J’ai dit hier aux cousines que Marie ne les oublies jamais dans ses lettres mais tu sais que nous ne voyons pas aussi souvent cousine Hélène. Ta petite sœur était toute inquiète l’autre jour, de penser que son oncle serait aussi celui de Paul Aluny qui lui disait qu’il l’aimait beaucoup, elle lui disait : mais comment peux-tu tant l’aimer puisque tu ne le connais pas ? Mais vous connaissez tous votre bonne maman qui vous aime tendrement.

M. Piquois

Lettre de bonne maman à Jean

Coutances, 21 mars 1893

Cher ami,

Pour ne pas oublier, je commence par vous dire que je n’ai aucun souvenir d’avoir payé la casquette de Georges, je savais que vous la lui donniez, c’est pourquoi si je l’avais payée à votre compte je l’aurais dit pour qu’elle soit inscrite aux dépenses ; je vous avis répondu à ce sujet dans une de mes lettres, mais comme c’était dans la parge, vous l’auriez sans doute pas remarqué.

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Maintenant, si je vous allais prochainement, comme j’en avais le projet, je vous donnerais des explications au sujet du cimetière et je ne verrais Montaigne qu’à mon retour, mais comme vous, j’ai hâte que ce soit réglé. On n’a pas encore fait payer le terrain de la mairie. Je me suis renseignée sur un projet qui me préoccupe depuis bien longtemps, mais que j’aimerais bien mieux vous confier de vive voix que par écrit. Vous savez que je regrette, comme je sais que l’eusse regretté nos défunts que leur sépulture ne se touchent pas, de plus j’ai toujours des regrets que mon père, et je crois vous avoir donné à ce sujet des explications, n’ait plus de cercueil de bois et bien voici ce que je sais tant que la place d’Isabelle n’est pas payé et que sa croix n’est pas posée, vous n’auriez pas à ce sujet que les mêmes frais si c’était à une autre place, pour l’exhumation, ce n’est pas bien considérable et ce serait bien entendu mon affaire, puisque ce serait sur mon désir, pour moi j’aurais à prendre une nouvelle concession, mais comme huit années sont déjà passées, cela la prolongerait d’autant puisque ce serait de 20 ans, à partir de maintenant. Mon cher ami, si cela ne vous contrarie pas trop, je suis décidée à faire cela, je sais que cela ferait plaisir à Marie et si nous mourrions les uns et les autres, vous savez que vous pourriez être près de nous réuni à Isabelle et moi avec mon mari. Ce serait le même prix si les tombes se touchent ou sont séparées. A cause des croix, mieux vaut,

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il me semble qu’elles soient séparées et je présume que cela pourrait aussi vous convenir davantage au lieu d’être comme ceci, ce serait comme cela.

Si à cause des 28 jours de Désiré je ne puis vous aller à Pâques, je ferais faire cela dès ce moment si vous approuvez, ou si je vous vais ce serait qu’à mon retour.

Ce serait le même prix, cent Fr par place dans un cas que dans l’autre. Vous me direz vos conventions avec le marbrier, car je ne m’en souviens pas.

J’ai reçu une lettre de madame de Grisy. Madame le Court vient d’avoir une bronchite, elle demande qu’on prie pour elle. Dites-le aux enfants, qu’ils se souviennent que leur maman n’eût pas manqué de les faire prier pour elle et pour sa famille. Georges particulièrement n’y manquera pas. Félicitez-le de sa place de 1er. Dites que j’en prends note, mais que je réserve les desserts pour les vacances de Pâques. Courage à notre Paul. Amitiés à tous et à vous, mon ami, tout mon dévouement.

M. Piquois

Davy Auvr

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Au vray

Pi quois

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Eugène Desbouillons ferasses 28 jours le mois prochain, à Dinan, il y a longtemps qu’il a sa famille de route.

Coutances, 31 mars 1893

C’est toi, ma chère fillette, que je vais prévenir que demain soir nous serons avec vous, et de plus je vais te dire que Maria de la Groudière nous accompagnera peut-être ; je le lui proposai comme son père revenait de la chercher pour les vacances, cette pensée la fît sourire et son papa l’engagea d’accepter, disant que sa maman, à qui on aller bien entendu soumettre l’idée, allait probablement l’engager à profiter d’une si bonne occasion car comme je le disais, je ne puis être que très peu de temps. Petite Isabelle ne rêve plus qu’au départ. Oh ! Bonne maman que Rouen est gentil. Il est bien gentil papa, gentille Marie, gentil Paul, gentil Georges, gentil cousine Adèle aussi Cyrille. Demain soir nous y serons à Rouen mais bonne maman, nous serons pas encore tout à fait heureuse… chère petite, je crois qu’elle n’oubliera jamais sa bonne petite mère, elle m’en parle si souvent et se rappelle si bien toutes sortes de traits, je me souviens, bonne maman, comme si c’était là… Ah ! Puissiez-vous, mes pauvres petits enfants, vous en souvenir tous et en

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parler souvent ! Pour être le petit ange de petite mère, notre chère petite ferait les plus grands sacrifices et s’arrêterait au moment des plus grands oublis. Puisse, ma chère Marie, la pensée de votre chère maman, de sa présence probable, être pour vous tous un bouclier dans l’avenir et surtout vous faire éviter les tristes querelles qui sont toujours si préjudiciables à l’amitié et au bonheur des familles.

Dis à cousine Adèle, qu’elle ne se dérange pas de son lit, mais qu’elle me mette dans le salon, avec toi ou avec Maria ; je voudrais bien que ce fût avec toi, ma chère Marie, mais je ne voudrais pas que Maria fût témoin de scènes entre Paul et Georges. Ton papa voudra bien donner à Georges une petite place dans le coin de son lit et Georges cédera sa place à Isabelle cela se trouve bien mal que le commencement du mois se trouve juste à ce moment. Dis à ton papa de ne pas se gêner pour venir au-devant de nous demain soir, puisque Cyrielle sera là, cousin pourra peut-être y venir avec vous, sinon, je connais bien le chemin.

Dis à ton papa qu’hier, j’ai reçu une dépêche de tonton Charles, m’annonçant qu’il rentrait de tournée et qu’il allait m’écrire. Donc, il n’est pas resté au fond d’un précipice. Pour tout le reste, je vous dis à bientôt à tous et je vous embrasse de tout mon cœur.

Ta bonne maman. M. Piquois.

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Coutances, 9 avril 1893

Ma chère Marie

Je tiens à te remercier de ta lettre de ce matin. Dis à Georges que sa petite sœur ne tardera pas à vous répondre aussi, mais aujourd’hui je suis très pressés, tenant que ma lettre vous arrive demain matin et ayant l’intention de nous en aller à la Groudière après dîner, cousin Eugène me disait hier, je viendrai vous chercher cette semaine mais j’aime mieux le devancer et lui donner seulement le peine de nous rapporter.

Je me sens bien assez allante pour faire cette petite course et Augustine cousine va pouvoir nous faire le plaisir de venir avec nous. Mon nez est toujours à peu près aussi désagréable. Mais de ne pas être plus mal malgré la poussière et l’échauffement du voyage me fait espérer qu’il va aller mieux.

Après la messe nous avons rencontré Mme Bellencoutre avec Adrienne, qui est devenu fort gentille. Elle n’est pas plus grande que toi et ne porte que des robes demi-longues. Elle m’a paru charmante. J’espère que mes chères petites filles ne feront non plus que gagner en grandissant. Quel dommage que petite mère ne jouisse d’elles alors.

Ta bonne maman qui te charge d’amitiés pour cousine Adèle. M. Piquois.

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Coutances, 26 avril 1893

Ma chère Marie

Les chapeaux nous sont arrivés hier à très bon port, en m’écrivant dis-moi, ou plutôt copie moi la note de Mme Le Blond, parce que je serai bien aise de connaître ses prix. J’ai hâte que nous soyons aux vacances, ma chère Marie pour restaurer un peu ta toilette ; j’ai parlé de ta pèlerine à Mme Carpentier ; elle se rappelle très bien (ta gentille pèlerine) et comme moi, elle pense que ce serait grand dommage de la teindre, prends seulement bien garde qu’elle ne se chiffonne, on pourra toujours bien…(feuille déchirée : il manque du texte)…ordinairement on taille par cette grande chaleur. Ta petite sœur est nantie d’une gentille petite pèlerine, d’après le désir de tante Marie ; je sais, ma chère fillette que tu as un besoin très pressant de camisole de flanelle, aussi j’ai fait venir de la flanelle et j’aurais voulu t’en envoyer une avec le petit colis, mais ma machine n’a jamais voulu me prêter son concours. J’essaierai de nouveau, ou je m’en passerai, car je t’en enverrai au plus tard avec ton corset, tes bas et tes gants. Comme ce sera plus commode quand vous serez près de moi…

Il n’y a encore qu’un couvreur sur la maison, mais je pense qu’ils...(feuille déchirée : il manque du texte)…plus de sa chute, il peut maintenant se servir de son poignet, mais on ne veut pas encore jusqu’ici qu’il travaille. Cela

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nous a bien dérangés, le père est venu seul pendant plusieurs jours parce qu’ils avaient du travail urgent ailleurs ; enfin les 2 têtes de cheminées sont finies ; il n’y a plus qu’à garnir les joints au ciment et les charpentiers, qui ne viennent qu’au fur et mesure qu’ils sont utiles vont venir achever de chevronner. Je serai bien aise que ce soit fini et tous les comptes réglés ; j’irai demain payer le caillou, en allant au cimetière. Dès la semaine dernière je fis effort pour aller à la Mairie dire que nous renoncions au transfert ; il faut aussi que j’aille chez Montaigne mais c’est à regret que je renonce à profiter de l’avantage qu’on voulait bien me faire sur nos deux places. C’est plutôt à ton papa que je devrais écrire cela, mais je vais plutôt faire ta lettre plus longue et n’écrire qu’à toi, j’ai beaucoup à vous dire et je suis un peu fatiguée. Mon nez est toujours dans le même état (en a des deux côtés) et la misère de ma jambe n’augmente que lentement ; je ne veux pas m’en tourmenter, mais dis à notre bonne cousine que je prends diverses tisanes et enfin que je pense à me soigner. Dis-lui aussi qu’hier, j’ai envoyé le colis de cousin Désiré ; je lui ai écrit en même temps et je lui ai demandé de me récrire si la petite caisse contenant diverses petites provisions était arrivée à bon port. Augustin a écrit dimanche à son oncle Briard pour savoir s’il avait trouvé de l’argent ; car sinon il faudra vendre sa terre et faire pour cela de nouveaux frais. J’ai vu Poutrel lundi, il n’a encore ni place ni terre, mais c’est

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un rusé, je lui avais fait dire de venir afin de lui donner de la trémène pour semer dans son orge ; j’ai fait faire 10 nouvelles affiches et la terre est dans le courrier. Il continue de me dire que nous …

(manque la fin de la lettre)

Tu ne me dis rien de ton piano. Appliques-toi, étudie, ma petite Marie pour être en état d’enseigner à ta sœur ce qu’on t’aura appris.

Coutances, 29 avril 1893

Ma chère petite fille

Tante Amélie va se disposer à partir lundi ou mardi, elle compte coucher à Lisieux et vous arriver soir mardi ou mercredi. Comme son départ était tout-à-fait imprévu et que c’est demain dimanche, elle ne peut pas partir plus vite.

Cette après-midi nous allons toutes deux voir madame Desdevises à Lessay. Augustine va aller conduire et chercher à la classe petite Isabelle, et comme le temps est très doux aujourd’hui, elles vont traire et porter le lait ensemble.

Tonton l’abbé a écrit ce matin qu’il ne peut pas venir à cause de 2 grands services qu’il a la semaine prochaine.

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Dis à cousine et à Désiré que j’ai confiance que le repos et le grand air remettront vite le convalescent. S’ils sont pressés de revenir, pour un jour, ma chère fillette, tu te chargerais bien, je présume, des soins du ménage et il n’est pas indispensable que cousin et tante se trouvent ensembles. Je voudrais savoir si vous avez encore de la graisse, je vous enverrais ce que j’en ai et lundi je vous achèterai du beurre. A couse de tout cela je pense que ta tante ne pourra partir que mardi ; mais Désiré pourrait bien venir en avant s’il cela lui est agréable.

Enfin dis à cousine de faire du mieux qu’elle croira.

Comme vous nous avons toujours un temps superbe, tantôt chaud, tantôt glacial et aride ; mais ici on ne parle pas de maladie.

Pour moi, ce n’est rien ou très peu de chose jusqu’ici que mes misères, n’en soyez point en peine.

J’aurais eu bien des jours tristes et pleins de mélancolie si je n’avais été si occupé comme je l’ai été.

Votre maison a très bon aspect et vous plaira, je l’espère, mais que c’est triste de penser que ta chère petite mère n’aura pas du tout joui de tout ce qui lui eût fait tant de plaisir. Chère petit mère, si elle peut voir ses enfants bons et affectueux, elle sera bien heureuse et je sais que de grand cœur elle eût accepté la mort pour obtenir cette

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suprême faveur. Aimez-là toujours tendrement, mes chers petits, conservons pieusement sa mémoire et entraidons-nous tous à achever son œuvre qui est d’entourer votre cher papa de vos soins et de vous rendre tous mutuellement dignes d’elle et de lui.

Dis-lui à ton cher père que la croix sera enfin placée tout prochainement. Montaigne et sa femme m’ont fait voir celle que vous avez choisie, elle n’est pas semblable aux nôtres, elle est plus haute et moins épaisse, ils m’ont assuré que c’est celle-là.

Je vous aurais envoyé aujourd’hui un petit colis, mais tante vous le portera, il y aura, pour toi 2 camisoles de flanelle, l’une est finie et l’autre l’est presque.

Je joins à ma lettre 2 petites d’Isabelle qui sont faites depuis longtemps, mais elles auraient rendu ma dernière trop lourde.

Tante Amélie vous dira toutes les autres choses que vous pourrez désirer ; aujourd’hui je m’arrête et vous embrasse tous de tout mon cœur.

Ta bonne maman. M. Piquois.

Coutances, 12 Mai 1893

J’ai appris avec bien de la satisfaction, ma chère petite, que ton malaise était passé ; je t’ai prévenu que cela

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pourra se renouveler ; mais patience, cela ne durera pas ; puisses-tu n’être pas plus gravement indisposée d’ici les vacances et alors le bon air de notre campagne te sera très salutaire, de plus nous aurons du lait en abondance à ce moment et tu nous prépareras toi-même si cela te plaît tous les mets qui te seront agréables.

Dis à tante Amélie que je n’étais trompée de 3 semaines pour Rosette, d’abord on avait cru qu’elle serait à terme pour le 9 de Mai, mais après réflexion ce ne sera que le 30. C’est tant mieux. Je voudrais bien lui écrire à ta tante, mais je crains que le temps me manque. Je vais aller payer l’impôt du chien chez Mr Le Lièvre, lui demander s’il aurait un trapin de sable de ravin à me vendre pour les couvreurs, il n’y en a qu’un sur la maison de sorte que cela n’en finit pas. Tous les autres sont à la campagne.

Nous n’avons pas eu d’eau du tout et tout le monde gémit, c’est une sécheresse comme on n’a bien rarement vu, en cette saison surtout c’est initialement mes pauvres enfants qu’on s’occuperait de vos jardins car il faudrait ensuite prendre soin de les arroser et tu penses bien qu’il est impossible qu’on arrose régulièrement ; si la pluie vient on vous mettra tout en ordre.

Je suis en peine si la ville de Saint Denis ne vous a pas envoyé la différence du prix. Le corset que j’ai retourné était de 9.75 plus le prix du colis que j’ai dû

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avancer….0.85=10.50 auquel on pourrait ajouter le port de mes lettres et ils vous ont

expédié un corset de 3.25 et des gants de 1.85 5.20 de 10.50 5.20 5.30 Ils sont redevables d’au moins 5.30.

Ce matin je suis allée au service de Mr Le Loutre, j’avais dit à cousine Hélène d’engager Mr Campain son père à dîner s’il y était venu mais elle m’écrivit hier soir qu’il me remerciait, mais se sentait trop souffrant encore pour voyager. J’étais assez contente d’être un peu tranquille car sans être bien plus mal, ma jambe ne se guérit pas plus que mon nez et mon estomac même devient bien délicat. Mais tout cela est peu de chose.

Je suis bien aise que tante Marie aille au renouvellement de Paul, car moi je n’irai pas, j’en serai certainement privée, mais ce sera juste au moment du foin. J’ai appris avec plaisir que Désiré n’avait pas perdu sa place, je pense qu’il ne tardera pas beaucoup à repartir, mais il est bien content d’avoir un peu de congé et il ne trouve pas encore ses forces revenues.

Dis à Paul que nous attendons prochainement de ses nouvelles et à Georges que si je ne lui envoie pas de timbres aujourd’hui c’est que j’espère ne pas tarder à lui

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envoyer un petit colis, pourtant en y réfléchissant, je pense que Georges va préférer un, tu tiens à un tu l’auras et je mets des timbres. ( ?)

Ta bonne maman M. Piquois.

Coutances, 24 Mai 1893

Ma chère Marie

J’aspirais vos lettres d’hier matin car il me semblait qu’il y avait longtemps que je n’avais eu de vos nouvelles ; tu vas dire à ton papa que je pense beaucoup à lui et qu’il me ferait plaisir, s’il avait un petit moment de disponible, de me parler un peu de vous tous et de lui-même.

Je regrette d’être retenue encore pour longtemps ici, car si l’eau d’orage, dont nous n’avons pas encore eu assez, a été ennuyeuse pour les jeunes personnes qui avaient de gentilles robes à étrenner, elle a fait grand bien aux herbes et doublera la petite quantité de foin que l’on récoltera cette année. Cela fait que nous n’avons pas fauché cette semaine et je ne sais même pas au juste quand nous faucherons. Je ne sais pas non plus si Brunette sera encore bien des jours sans nous donner son veau ; j’ai pourtant hâte d’avoir son lait, car cela m’ennuie d’acheter du beurre et puis j’aimerais à vous en envoyer un peu de frais avec les fraises. Aussitôt qu’il y en aura assez de

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mûres des grosses pour vous en envoyer, je le ferai, mes pauvres chéris ; mais c’est ennuyeux de payer leur valeur au chemin de fer ; la prochaine fois, je mettrai le colis en gare, ce sera quelques sous en moins. Ah !que ce sera plus commode quand vous serez ici. En attendant, ma chère petite, profite bien des leçons que ton papa te paie, j’aime à espérer que tu auras mis bien à profit ces quelques jours de vacances pour étudier ton piano. Je n’ai pas besoin de t’engager à bien t’appliquer pour ces précieuses leçons.

Cela vous a donné une distraction à ta tante et à toi de vous occuper des bonbons, mais tu sais qu’à la campagne on n’a pas besoin de faire de grands frais, je parlerai de cela avec cousine de la Fauvisière et il sera convenable, et je crois que ton petit père sera de mon avis, de faire à peu-près, comme ils ont fait en semblable occasion ; j’ai acheté lundi, en promenant ta petite sœur, un petit draps léger bleu et blanc à carreaux que j’ai offert à cousine de la Groudière pour faire la 1ère robe du petit Charles. C’est aussi moi qui offre sa toilette de baptême, ou plutôt la maman la choisira, c’est convenu quand on a réglé pour le voyage de Maria. Elle est comme toi, Maria, elle a de temps en temps des malaises et vous grandissez sans doute toutes les deux. Jules et elle n’ont pas eu de congé à la pentecôte ; tout le reste de la famille, moins le petit Charles, dinaient lundi à Beauvais, ma

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tante Beaupré et la Fauvière en étaient de sorte que nous les avons peu vus. Cousine Hélène est à passer 15 jours à Gerville ; je crois avoir dit à la tante, dans ma dernière lettre que tonton Charles m’avait écrit ; il paraît que ses épaules élargissent, il a fait couper sa barbe du menton, ce qui lui fait paraître un double menton. Il me dit qu’il pense beaucoup à vous tous et qu’il faut vous transmettre ses amitiés. En lui écrivant, ma chère fillette, je lui ai dit que tu me recommandais dans tes lettres de lui transmettre tes embrassements.

Je te quitte, ma chère enfant, car je suis un peu fatiguée d’écrire, mon pied, toujours un peu malade et encrouté sur le col, n’aime pas toutes les positions, autrement mon nez n’est pas plus mal, au contraire et mon estomac se trouve mieux, je crois, que je prenne peu de remèdes. Tu peux dire à ta tante que mes digestions sont bien plus faciles et que je mange davantage. Par exemple, j’ai tant de sortes de bruits dans les oreilles quand je suis au lit, que c’est peu agréable.

Embrasse bien affectueusement tes frères pour moi, ma chère Marie, et tous trois dites bien attentivement votre petite prière pour votre maman, mes chers enfants, rappelez-vous là dans la journée afin de ne manquer ni de complaisance ni de politesse les uns pour les autres. Oh ! Souvenez-vous bien de procurer en augmentant autant que vous le pouvez le bonheur de la

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pauvre petite mère. Marie, ma chère aînée, je compte particulièrement sur toi. Que j’ai ici de lettres qui te toucheraient et t’intéresseraient. Adieu.

Ta bonne maman. M. Piquois.

Coutances, 26 mai 1893

Ma chère petite fillette,

C’est notre petit Georges qui va être le distributeur de toutes les lettres aujourd’hui ; j’espère que son genou est tout-à-fait bien maintenant et que Paul et lui vont avoir repris l’étude avec plaisir ; je te souhaite à toi, ma chère petite Marie, que tes malaises deviennent de plus en plus rares et ne t’empêchent pas de travailler avec ardeur. Dis-moi donc si le photographe Fontaine vous a remis la photographie de ta maman sinon je prie ton papa d’y aller, tu te souviens d’y être venue avec moi et tu es au courant de nos conventions ; il ne faut pas qu’il tarde davantage, c’est même beaucoup trop.

Demain matin, cousin Désiré partira par le 1er train ; j’écris à tante Marie en même temps qu’à toi pour lui dire d’envoyer Valérie à la gare, afin qu’il lui remette une petite boite contenant des fraises que je viens de lui cueillir ; la 1er cueillette sérieuse sera pour vous, peut-être bien mardi.

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J’ai reçu hier une lettre de tonton l’abbé dont la santé n’est qu’à demi-satisfaisante, cousine Moulin est ennuyée, me dit-il de faire des remèdes sans retrouver sa force ni son courage.

Voici que ta petite sœur rentre de la classe, elle va très bien, mais toussote encore un peu de temps en temps.

Je ne trouve que 2 bonbonnières pouvant servir, une petite rose et une bleue. Mais comme je te le disais, il en faut peu et d’ailleurs il ne faut pas les acheter avant la fin de juillet. Le petit Charles qui vient très bien a le muguet en ce moment, mais on n’y attache pas d’importance, on l’a soigné de bonne heure et comme il est fort et déjà plus tout petit c’est peut-être déjà passé. A bientôt de vos nouvelles, dis mes amitiés à ton papa et à ta tante et reçois toi-même, ma chère petite toutes mes amitiés.

Ta bonne maman. M. Piquois.

Coutances, 2 juin 1893

Ma chère Marie,

Hier matin, j’assistai aux deux messes qui se succèdent aux Carmel, pour tâcher de mieux m’unir de pensée et de prière à notre petit Paul. Je souffrais, mes

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chers enfants, d’être si éloignée de vous pour ces grandes solennités. As-tu senti, ma chère enfant, ton rôle de sœur aînée, hélas, tu représentais à toi seule, ta sainte petite mère, invisible maintenant pour nous tous et ton affligée grand-mère, même ton affectueuse petite sœur ; comme il est utile, ma chère Marie, que ton cœur se pénètre de bonté, de douceur, d’indulgence, de courage, de piété ; enfin plutôt comme tu as besoin, ma bien chérie, que le Saint-Esprit répande sur toi tous ses précieux dons et te fasse comprendre le besoin que tu as de son secours. A toi, de donner aux plus jeunes, ou plutôt de suggérer l’intelligence et la réflexion des saintes choses. A toi de comprendre ce que peuvent pour le bien et l’honneur des familles le dévouement, la bonté, l’indulgence et la discrétion. Que ton rôle a d’importance, mon enfant… Prie Paul de te faire voir l’extrait d’une lettre de bon papa à ton oncle Charles, quelques mois après son entrée au lycée de Caen. Pénètres-toi respectueusement de la première partie surtout et joins y les conseils qu’il aurait pu y joindre, ou plutôt qu’il y joindrait s’il pouvait te les adresser. Ah ! Ma chère petite, c’est à toi surtout qu’il dirait courage Marie. Par ta bonne volonté acquière la modération, la douceur, sois bonne et dévouée. Mais j’aime mieux te laisser à tes propres réflexions. Comme à Paul, je te dirai que j’ai été heureuse que la petite prière de ta maman soit de ton goût. Dis-là donc aussi pieusement qu’attentivement et tâches de te la rappeler

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dans la journée. Mais surtout dis bien le pater. Il dit tout. Vois-tu et je remercie de tout mon cœur la bonté de notre seigneur Jésus de nous l’avoir enseigné.

Maintenant tu sauras, que ta tante a pu aller prendre un bain qui lui a fait du bien, cependant elle ne vint pas avec moi au cimetière, où je tenais à aller hier. Mais elle a le désir d’aller à la messe ce matin. Petite Isabelle a été bien contente de la revoir et se félicitait hier du congé du jeudi, elle pria hier bien dévotement pour Paul ; elle aime beaucoup depuis quelque temps à nous faire elle-même la prière du soir.

Tu vas dire à cousine Adèle, que son neveu se St Gilles ayant affaire à Coutances avant-hier vint pour la voir, il resta avec nous à attendre l’heure du train. Augustine est venue coucher cette nuit ; elle se trouve très bien dans la petite chambre où je l’ai installée ; mais hier la nuit, Melle Blanchet, qui m’avait vue passer revenant avec Isabelle de la clôture (par Mr Bouillon) du mois de Marie de la cathédrale, Melle Blanchet donc, m’avait prévenue qu’elle n’allait pas venir. Et nous ne la reverrons que dimanche. Dis-lui encore à cousine, que notre petit veau va très bien maintenant mais que la pauvre Brunette a toujours une mamelle énorme, elle ne paraît pourtant pas en souffrir. Dis-lui encore et surtout toute ma reconnaissance et mon amitié. Dis à ton papa que j’ai bien regretté pour lui que la communion du lycée

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fût un 1er pourvu que les prix ne soient pas le 1er août. Dis à notre petit Georges que je l’aime de tout mon cœur, dis-lui de t’embrasser de ma part, ainsi que Paul.

Ta bonne maman. M. Piquois.

Coutances, 7 juin 1893

Ma chère Marie,

Vous avez dû recevoir hier une bourriche, contenant quelques poires de Châtellerault et un peu de beurre. Celui-ci était mou à cause de la grande chaleur et hier en goûtant du nôtre, je regrettais de vous l’avoir envoyé, tant il était peu bon ; les poires viennent du vieux petit poirier qui se trouve en haut du jardin, non loin du figuier, il ne faut pas attendre qu’elles soient molles pour les manger, car elles deviennent vite blètes ou blêches, je ne sais ; enfin il vaut mieux qu’elles soient croquantes et comme le voyage les aura avancée, elles ne vont pas tarder à être bonnes. Une des bonbonnières qui les accompagnent est bien fraîche et pourra être donnée à Augustine, notre bonne, la bleue pourra être pour nous, peut-être. Vraiment bon et neuves trouveront bien leur placement, pourtant il me semble qu’on peut se dispenser d’en donner à Beauvais et à la Fauvisière. Autant de cornets trouveront presque leur placement. Mais surtout

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n’oublie pas la petite capeline qu’on a fait nettoyer, je l’ai annoncée à cousine Marie. Il paraît qu’il est très fort et très gentil, votre petit filleul.

Amélie et Louise sont allées, cette semaine avec Ludovic et son papa chercher Jules pour qu’il repasse en rang dimanche et soit confirmé lundi. Toute la famille viendra dîner chez nous. Mais hélas, les douleurs de tante Amélie lui sont revenues surtout depuis samedi. Dimanche elle vint encore à la grand-messe mais elle revint péniblement ; elle souffre tantôt à une place, tantôt à une autre, au col d’un pied, puis de l’autre, ou bien dans le dos, ou dans la poitrine et cela gêne même sa respiration. Elle dort presque comme de coutume mais elle se remue très péniblement dans son lit, l’appétit est à-peu-près le même. Comme je ne comprends rien à ce genre de douleur j’ai fait appeler Mr Dudouyt 2 fois, qui l’a très attentivement oscultée ; il ne trouve rien du tout à l’intérieur et pense que cela vient des nerfs ; il a ordonné une purgation qui a très bien fait, puis des bains, nous y sommes allées hier, cela ne semble pas avoir produit grand effet. Et puis, ma vilaine jambe n’embellit guère, enfin elle ne m’empêche pas de marcher.

Nous avons aussi de grandes chaleurs, par moments, puis quand on croit à l’orage, un vent du nord ou de l’est arrive et le chasse pourtant mardi nous en eûmes pour de bon et une très forte averse qui fit

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beaucoup de bien. Malheureusement, s’il n’en revient pas, il n’y paraîtra pas longtemps. Guyot vint un peu mardi planter des bettraves et puis mercredi, il travailla tant qu’en un seul jour le jardin est transformé. J’ai déjà 800 bettraves de piquées et j’en mettrai encore, toutes sont bien reprises. Bien entendu que cette lettre est pour tous, ma chère Marie. J’ajoute que j’ai les maçons pour relever ce qui ne l’avait pas été du conduit des herbages, plusieurs tuyaux étaient tout-à-fait bouchés. Notre pompe donne assez d’eau pour notre usage et nos vaches ; on a conduit une fois les vaches à l’abreuvoir, mais Augustine eut bien du mal avec elles sur la route et elles ne voulurent pas de cette eau, qui n’est pas belle comme celle dont elles ont l’habitude. Mais on va par le passage avec la brouette pour aller laver. Montaigne ne s’est pas encore exécuté ; si ton papa était là, il pourrait lui rappeler sa promesse ; mais j’ai toujours tant d’occupation que je ne fais pas tout ce que je voudrais.

Ta petite sœur était hier à la sainte enfance, très ravie d’être marraine d’une petite chinoise. Mais je finis en te disant que j’ai reçu une lettre de tonton Charles hier soir, il a bien chaud aussi à faire ses tournées et est parfois bien fatigué ; il en aura à peu près fini vers le 10 Août ; après, ce sera ses écritures, puis il espère avoir un congé d’un mois vers le 10 septembre ; il me dit que le même courrier porte une lettre à cousine Hélène. Je

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présume qu’ils se marrieront dans la seconde 15aine de septembre ; espérons que ton papa aura un peu de liberté à ce moment et que tante et moi-même serons plus allantes que tout à l’heure.

Ma chère Marie, embrasse tes frères de ma part et en souvenir de ta petite mère, sois bonne et dévouée pour eux ; certainement c’est la vraie manière de lui être agréable. Penses-y souvent, ma bien chère enfant, et quand vous avez quelques joies, ne l’oubliez pas, la pauvre petite mère, sitôt ravie à notre tendresse à tous. On dit qu’en priant pour les âmes du purgatoire, on obtient beaucoup, ces delles Le Monnier avaient une très grande confiance en ces prières ; priez donc, mes chers petits pour ceux que nous avons perdus, car s’ils ne sont encore en paradis, du moins nous pouvons croire qu’étant dans le lien d’expiation, ils y parviendront.

Mais adieu, car l’heure avance et je suis obligée de me lever chaque jour plutôt que je ne voudrais. A bientôt, mes petits chéris.

Ta bonne maman. M. Piquois

Dis à ton papa et à cousine qu’Augustine a écrit à Marigny ; je pense que le retard vient de Mr Delarue. Elle écrira dimanche à sa tante. Te souviens-tu d’une gentille robe blanche que ta maman t’avait faite, elle était rayée, je crois. Si tu savais où elle se trouve, elle

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pourrait servir à Isabelle à la distribution mais il ne faudrait pas tarder à l’envoyer.

Coutances, 23 juin 1893

Oui, ma chère Marie, voilà 8 ans passés que ton cher bon papa est mort. Paul, qui n’avait pas 4 ans, s’en souvient-il toujours bien ? Parles-lui en quelque fois, pour te le rappeler toi-même, ma chère petite fille, cela d’ailleurs vous fait vous rappeler mieux de votre petite mère elle-même. Quand donc Fontaine vous donnera-t-il la photographie. Cela m’attriste, en y pensant, que vous ne l’ayez pas encore, j’avais pensé qu’elle vous ferait plaisir à tous. Notre petite Isabelle va très bien, toujours sa toux, qu’elle n’a plus guère qu’une fois ou 2 la nuit, généralement vers 11 heures du soir, et qui ne dure qu’un moment, n’est évidemment ni rhume ni coqueluche, je me suis demandé à son sifflement et à l’espèce de suffocation qu’elle cause si ce ne serait pas une toux de vers et je lui ai donné un petit vers de Brou de noix un ou 2 soirs, je continuerai, car cela fit bien et l’empêcha. J’espère, ma chère Marie, que les grosseurs de ton cou ont disparu et que tu n’auras pas les oreillons, mais que vous nous arriverez tous en bonne santé. J’espère toutefois le passage du facteur ce matin, puisque tu m’as promis de

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m’écrire hier jeudi ; j’aurais aimé à te répondre au reçu de ta lettre, mais cousine va pouvoir te dire ce que j’ai eu de soucis et d’occupations. Je suis toute contente de remplir ma promesse envers madame Desdevises, et d’aller me reposer un peu près d’elle et parler d’autres choses que de mes bêtes et de ce qui les concerne ; il est convenu qu’on nous attendra demain à 2 heures 40. Nous repartirons seulement lundi vers 10 heures 1/2, irons dîner au Hoquet en revenant et rentrerons ici vers 7 heures du soir lundi. Que n’es-tu avec nous, ma chère Marie ? D’autant plus que la famille Marie s’y trouve à cause d’affaires, on a été obligée de renoncer au voyage de Clermont qu’on avait projeté pour cet été.

J’attends une lettre de ton oncle Charles, car il m’a envoyé une dépêche me disant que ses plus grandes tournées étaient finies et qu’il allait m’écrire.

Enfin tante Amélie est rétablie ; elle a même un peu repassé hier ; dis à Georges et à Paul que le cerisier a 6 ou 8 cerises. Vous ne trouverez pas vos jardins bien beaux, mes pauvres enfants, jusqu’à ton pommier souffre de la sécheresse. Isabelle est bien fière d’une pomme de terre qui s’épanouit dans son jardin et elle a été heureuse que son gradiller lui donne beaucoup de fruits mais je crois que tout est récolté à peu près. A bientôt, ma chère fillette comme disait ta petite mère.

Ta bonne maman. M. Piquois

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Cette lettre serait partie un jour plus tôt si je n’avais attendu celle que tu m’annonçais.

Coutances, 27 juin 1893

Ma chère fillette,

J’ai été bien aise de recevoir de vos nouvelles et d’apprendre que tu étais à peu près bien. Je suis bien aise que tu ailles voir passer l’examen oral demain, espérons que dans un an tu seras en mesure de bien passer cet examen ; d’ici là tu auras quelques agréments, je l’espère, un sur lequel tu ne comptais pas, sera d’aller à Lessay passer quelques jours avec tes cousines, Marie, qui ont été toutes on ne peut plus aimables pour Isabelle. Madame Desdevices ne semble pas malportante quand elle est assise, mais elle grossit beaucoup et est si essoufflée aussitôt qu’elle remue que c’est pitié. Le matin elle appréhende beaucoup de s’habiller, c’est pour elle un grand travail.

Nous sommes revenus par le Hoquet, comme j’en avais l’intention, on y va bien aussi et les 2 Hélène viendront après demain à l’ordination ; tu sais que là aussi j’avais reçu une invitation pour toi, mais ce pourrait bien être pour une autre fois, car si le mariage a lieu, on sera bien occupé auparavant ; ma chère Marie, tu sais que ce ne serait pas la 1ère fois qu’un projet de cette nature échoue

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et ton oncle qui n’a guère parlé qu’une fois à ta cousine, peut bien trouver qu’il la connaît bien peu et hésiter à s’engager pour le reste de sa vie. C’est bien malheureux qu’il soit si loin que je ne puisse aller le voir et lui parler.

Tu vas dire à ton papa qu’Augustine pense que ses affaires auront été remises à huit jours, puisqu’elle n’en a pas entendu parler, dis-lui que je le prie de nous faire savoir quand il aura reçu ses titres ; demandes lui aussi à qu’elle époque à peu près qu’il désire qu’on fixe le baptême, puisque cousine de la Groudière tient à ce qu’il y soit, c’est lui qui devra fixer à peu près. Comment s’arrangera-t-il cette année pendant les vacances ; est-ce qu’il prendra Cyrille, si oui, qu’il pense à s’entendre à l’avance pour le prix. Remercie-le, ma chère Marie, d’avoir pensé à m’envoyer les semaines religieuses ; petite Isabelle regrette de ne pas lui avoir écrit pour la St Jean d’été, elle voudrait bien aussi écrire à Paul, mais cela ne lui sera peut-être pas possible, dis à Paul qu’elle priera pour lui son illustre patron. Tu pourras profiter du 14 Juillet pour aller choisir les bonbonnières, comme on sait à Lessay que vous serez parrain et marraine, il faudra peut-être en prendre une de plus, enfin j’ai mis en place la lettre dans laquelle tu en parlais, je l’examinerai de nouveau et t’en parlerai en te récrivant. Je suis allée cette après-midi chez le Séné avec ta petite sœur comme ses bottines de chevreau lui étaient si justes, elle les a eues

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tous les jours et le dessous était usé, pour 3 Fr, le Séné va les allonger et les remettre bien en état et lui en faire des neuves.

Mais toi, ma pauvre enfant, comment me dit-on que tu es chaussée ; j’ai dit au Séné ton désir d’être chaussée par lui, il en a été très flatté.

J’ai grand hâte, ma chère enfant de vous voir arriver tous et j’ai l’espoir d’être assez bien pour aller à votre rencontre ; d’ici là travaillez bien tous, amis surtout souvenez-vous que votre chère maman aimait que vous fussiez polis, bons et complaisants les uns pour les autres. Ah ! Souvenez-vous bien d’elle, mes chers enfants et vivez comme sous son regard. Sa photographie sera-t-elle bientôt encadrée, sera-t-elle dans le salon? C’est peut-être là que ce serait le mieux…

Dis bien mes amitiés à cousine et reçois, ma chère petite Marie, les tendresses de ta bonne maman.

M. Piquois

Tante Amélie se sent encore un peu de son indisposition.

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Coutances, 13 Juillet 1893

Ma chère petite fille,

Je t’assure que j’aspire bien votre arrivée ; j’ai confiance que tes malaises disparaitront, mais en attendant ne te tourmente pas de saigner du nez et surtout ne te le bourre pas d’amidon.

Mieux vaut, pour éloigner le sang qui afflue trop vers la tête, mettre tes mains dans de l’eau tiède, ou encore pour prévenir ces saignements de nez, prendre quelques bains de pied le matin à jeun, ou met dedans une poignée de gros sel et puis prie ton petit père de laisser toujours du vin dans le buffet et si éprouvais des coliques ou quelqu’autre malaise tu prierais cousine de t’en faire chauffer un peu avec un peu de sucre. Ce qui fait encore que j’ai hâte de vous voir arriver c’est pour profiter pendant que je peux encore marcher, car mon mal grandit toujours, quoique lentement ; pourtant il est bien moins douloureux que les autres années, mais je voudrais bien qu’il n’augmenterait pas davantage. Mais j’aurais dû commencer par te donner des nouvelles de ta tante.

Heureusement que le mieux se maintient, ce soir la douleur était redescendue sur le col du pied. Mais c’est bien moins gênant que quand c’est à l’intérieur, mais à demain, ma chère enfant, car le sommeil me vint et j’acheverai plutôt demain matin.

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Comme j’ai pensé qu’il n’y aurait pas de distribution aujourd’hui 14 juillet, je ne me suis pas gênée pour l’achever ce matin et cette après-midi, je puis te dire que la nuit a été bien meilleure, presque tout-à-fait bonne pour tante Amélie et le dessus d’un des pieds qui la faisait souffrir hier est mieux aussi aujourd’hui ; j’ai confiance que nous allons enfin voir le bout de son long malaise qui m’a inquiétée sérieusement la semaine dernière. Aujourd’hui, vers 2 heures, nous est venue de l’orage et une pluie si abondante que les 2 routes formaient un lac dont l’eau se déversait dans la cour. Mme Duclos a dû calfeutrer le bas de sa porte et Mr Le Terrier était hors de lui. Quoique le conduit du plant soit plein de grande herbe et mal nivelé, l’eau est allée jusque dans le petit herbage ; j’en ai fait dégarnir un peu la petite tranchée et l’eau s’est répandue sur une assez grande surface en entraînant quelques vilains vers blancs, car nous en avons à bien des endroits.

Tu prieras cousine Adèle de m’acheter 10 livres de chocolat ; si vous en avez besoin, vous pourrez bien en réserver une ou 2 livres pour vous.

Si je ne craignais de vous donner trop d’excédant je vous demanderais aussi de m’apporter une boîte de bougie creuse mais seulement si elle est vendue moins de 20 sous ; il faudra me rapporter la bourriche dans laquelle je vous ai envoyé les poires. Vous pourriez

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mettre vos chaussures dedans. Prenez garde qu’elles ne soient perdues les poires. Elles doivent être toutes brunes à manger maintenant. Cousin Janière a écrit à tante Marie, il est probable que ses petits-enfants avec leur maman ne vont pas tarder à arriver à Lisieux de sorte que tante Marie ne viendra pas en même temps que vous. Tante Marie doit vous écrire, je crains qu’il ne lui soit difficile de vous loger tous en passant. A bientôt, ma chère Marie, en attendant votre arrivée, je vous embrasse de tout mon cœur de grand-mère.

M. Piquois.

Coutances, 19 juillet 1893

Ma chère Marie,

J’aurais répondu hier à ta lettre, mais je dis à ton papa ce qui m’a fait remettre à aujourd’hui. Je pense que les abricots vous serons parvenus en bon état ; la sécheresse et tout ce qu’elle engendre sont cause qu’ils ne soient pas plus beaux ; tels qu’ils sont, ils sont les 1er de notre abricotier et je pense qu’ils vous auront fait plaisir ; les poires se gâtent vite et ne sont pas bien bonnes ; aussi malgré la bonne volonté du poirier je le condamne à mort, mais j’aurais aimé que le bel espalier de Chatellerault se fût affruité auparavant et cette année il m’a donné qu’une seule poire, elle est belle par exemple, et nous nous la

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partagerons demain ou après-demain ; tous nos pruniers ne nous ont donné en tout que 3 prunes et c’est le même qui les avait toutes ; par exemple nous avons quelques pêches et surtout des raisins en abondance, ainsi que des mêmes espèces de poires de l’année dernière. Mais, patience, mes chéris, vous allez bientôt venir voir et jouir de tout cela.

Hélas !... Elle ne vous accompagnera pas !... Celle que j’aurais tant aimée à en faire jouir. Merci, ma petite Marie, de m’avoir envoyé la semaine religieuse. Dis-moi qui a marqué la page et le récit de certaine guérison miraculeuse. La poste tolère-t-elle ces indications au crayon. Elle n’admet peut-être pas davantage l’envoi des abricots, mais prie petit père de ne pas nous dénoncer à Mr Le receveur et ton attention m’a fait grand plaisir. Mais à quel saint m’adresser ; j’aime à croire que je connais une sainte qui aimerait à me prêter secours ; mais hélas ! Sais-je prier comme il faudrait et surtout nous sommes sûrement bien peu dignes d’une telle faveur. C’est déjà beaucoup si on n’obtient celle de souffrir sans murmure. Ah ! pourtant j’avoue que je voudrais bien être guérie pour votre arrivée, mes chers petits, mais jusqu’ici, il n’y a nulle apparence de mieux, tout au contraire.

Mais bast, n’y pensons pas trop. Isabelle autour de moi et je ne sais trop ce que je te dis, hier madame

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Dombreval nous a envoyé 2 melons délicieux dont j’aurais aimé à vous faire part. Dis toutes nos amitiés à notre bonne cousine. Dis-lui que tante Amélie est beaucoup mieux.

Il faudra, ma chère Marie, faire tout le possible pour que cousine aille à ta distribution et à celle de tes frères, elle fera peut-être quelque cérémonie, mais je suis sûre que vous lui ferez plaisir d’insister et tu peux lui dire que je serais contrariée si elle n’y assistait pas. J’espère que votre papa jouira des succès de ses enfants. Prions Dieu pour que la joie en soit aussi une pour ta petite mère.

Hélas ! Qu’elle eût été heureuse de vos succès, mes chers petits et qu’elle le méritait bien. Pensez-bien à elle toujours et efforcez-vous, mes petits-enfants, d’augmenter son bonheur ou de l’obtenir si elle ne le possède déjà.

Embrasse pour moi tes frères et reçois toutes les tendresses de ta bonne maman.

M. Piquois

Avez-vous reçu une lettre de tante Marie ? Isabelle te recommande de ne pas oublier de rapporter les mémoires d’un petit garçon. Elle aimerait aussi Bigarette et tante Amélie un petit carnet oublié dans le tiroir de la bibliothèque.

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Coutances, 22 juillet 1893

Ma chère Marie,

Je me trouve encore quelques feuilles de ce tout petit papier et je les utiliserai avec vous. Ta petite sœur va bien maintenant et pour la distraire, ainsi que tante Amélie, nous sortîmes un peu hier l’après-midi ; nous allâmes jusque chez Claire où nous nous assîmes à peine parce que ces dames étaient prêtes à sortir pour aller chez un photographe qui les attendait ; mais elles y furent peu de temps et vinrent nous voir ensuite. Georges et Louise les accompagnaient. Georges paraît devenu raisonnable mais Louise, qui aurait pu être gentille est très gâtée, très mal élevé et désagréable. C’est autre chose de la petite Germaine Blanchet qu’on te confiera tout un jour, si comme je le pense, cela te fait plaisir ; elle est charmante tout-à-fait tu verras, il me semble que Paul aussi sera contant de la voir, ainsi que petit Georget.

Je présume, ma chère Marie, que si tu es contente sous un rapport, d’aller en avant à Lisieux, sous un autre tu regretteras de ne pas être à la distribution de tes frères. Si du moins c’était ton papa qui t’y avait conduite, cela lui aurait procuré la distraction d’un voyage et tante Marie eût été heureuse de la voir. Tante Amélie se demande si la delle que Melle Dupuy accompagne ne voyage pas en 1ère, je me figure que c’est plutôt en seconde.

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Pour les bonbonnières, prends au goût de Paul et au tien car je ne puis savoir ce qui plaira davantage. Si on était sûr du moment que viendrai ton papa, on attendrait à ce moment pour faire le baptême.

Autrement on le fera plutôt en août, je pense, pour ne pas trop prolonger la dispense d’ondoiement. Le petit Charles est né. J’attends le réveil de tante qui a enfin une bonne nuit, pour dès maintenant je te charge de mes amitiés pour tous.

Ta bonne maman. M. Piquois.

Dis à cousine qu’elle me contrarierait de ne pas être à vos distributions. Mr de Lamarche dont il est question dans la semaine religieuse était l’ancien recteur de ton papa à St Brieuc. Il m’en a souvent parlé.

Coutances, 29 juillet 1893

Je ne veux pas laisser passer un seul courrier sans adresser à notre Marie mes compliments et mes félicitations pour ses brillants succès. Dès avant-hier la lettre de la petite sœur était prête à partir mais j’en ai retardé l’envoi jusqu’à la réception de celle que j’attendais ; elle a déjà lu un de ses prix, petite Isabelle et si elle n’a pas encore lu les 2 autres, c’est qu’elle avait

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trouvé ce premier la si intéressant qu’elle se figure que les 2 autres ne peuvent pas l’être autant.

Après 2 très mauvaises journées, mardi et mercredi, suivies de nuits pitoyables, tante Amélie est de nouveau beaucoup mieux, presque guérie et a repris toutes ses habitudes.

Espérons que cela va être fini. Malheureusement, je ne suis pas de même, mais enfin je suis debout et j’aime à espérer, mes chers petits, que votre arrivée va me faire du bien.

Dis à Paul de ne pas oublier son robot, car je prévois que les 2 frères menuiseront ferme ayant à leur disposition la maison neuve et beaucoup de rognures de bois que j’ai fait mettre en place.

Votre petite sœur ne parle plus que de vous, nous espérons vous préparer une agréable arrivée.

A bientôt donc, ma chère fillette aînée, la joie de te revoir et de vous recevoir tous bien maternellement.

Ta bonne maman. M. Piquois.

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Coutances, 11 octobre 1893

Ma chère fillette

C’est ainsi que petite mère aimait à t’appeler quelque fois, donc, ma chère fillette, je ne veux pas te faire trop attendre une réponse à ta lettre, puisque cela te fera plaisir. D’abord je veux te dire de féliciter Paul et Georges d’être raisonnables et bien disposés à travailler ; dans ta prochaine lettre, n’oublie pas de me dire, en plus, et positivement, si notre bonne cousine a à se louer de tous, tu sais que c’est à cela que je tiens par-dessus tout. N’oubliez pas, mes chers petits, que cousine Adèle tient non seulement ma place près de vous, mais aussi celle de votre petite mère ! Elle nous rend, avec un dévouement bien rare, un service inappréciable, c’est bien le moins que vous l’entouriez de respect, de reconnaissance et d’affection. Lis cela à tes frères pour leur rappeler leurs bonnes résolutions, puis embrasse les biens tendrement de ma part, les chers petits ; dis leur aussi qu’il faut que vous priez tous pour tonton l’abbé, je suis inquiète de ce bon oncle… Et quand même il se rétablirait, il souffre beaucoup maintenant et il n’a personne, ou à peu près, pour le distraire un peu et le consoler.

Il fut bien attristé lors de la visite de votre oncle et de votre tante, de ne pouvoir quitter son lit pour les recevoir ni pour manger avec eux ; je regrette de ne pas avoir de ses nouvelles depuis, tante Amélie ira

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prochainement le voir et passer un jour avec lui. Pour moi, je ne saurais aller loin en ce moment, mon pied est pourtant bien mieux, mais c’est au-dessus du talon que je souffre, surtout à marcher à cause d’une fente qui se trouve dans l’enflure ; je voudrais pourtant bien aller ce matin au train de huit heures pour voir mes deux voyageurs qui vont partir pour Nyons, s’arrêter d’abord à Lisieux jusqu’à demain puis de même un jour à Paris seulement, car, quoique le congé de votre oncle soit prolongé de huit jours à la demande de son directeur de Valence, le 28, jour où il devra prendre le contrôle de Quintin, avec résidence à St Brieuc, arrivera bien vite ; il ne compte pas pouvoir passer moins de huit ou dix jours à Nyons pour remettre son service, régler toutes ses affaires et expédier sur St Brieuc ce qui lui appartient. Samedi, Mr Campain et ces dames Bois vinrent dîner ici, comme il était convenu, la cousine Céleste allant ce jour-là chez son neveu Hervé à Coutainville ne put venir avec eux comme nous le désirions ; dimanche François et Léonie vinrent nous voir puis par le plus beau temps du monde votre oncle et votre tante firent une 20aine de visites ; ils trouvèrent à peu près la moitié des gens, parmi lesquels ces dames Bucaille, extrêmement aimables, Mr et Mme Guilleumette, Le Parquier, le parrain de tante etc, etc…La toilette de ta tante lui allait très bien, le matin ils étaient venus tous 2 à la grande messe de St Nicolas et à 7 heures du soir ils partaient

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pour St Sauveur. Le lendemain, l’après-midi surtout nous avons eu ici un vrai déluge, avec du tonnerre et des éclairs, malgré cela ils sont allés à Lessay comme ils l’avaient projeté, je le sais par une lettre que tante m’écrivit hier soir pour me demander d’envoyer à la gare la clé de la chambre de Nyons que tonton a oublié ici ; madame Desdevises était seule chez elle, elle les a reçus avec une grande bonté et hier soir je recevais une aimable carte lettre de Mme Marie et une autre de son frère me disant de les engager à passer par Clermont en revenant de Nyons, mais comme ils n’y seront qu’au mois d’Octobre, je vais écrire que cela ne se peut pas. D’ailleurs cela ne se pourrait pas quand même car il faut bien qu’on soit un peu raisonnable et à tout âge, il faut bien, ma chère petite, se priver de bien des choses… J’ai confiance que notre chère aînée va retrouver tout son courage et toute son application pour l’étude et alors le temps passera bien plus vite. Je lui souhaite en plus, pour être gaie et contente d’elle-même, d’apporter en toutes choses, autant de diligence que d’application de mettre chaque chose en ordre et en place, avec bonne (…)

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Coutances, 14 octobre 1893

Ma chère Marie,

Etant inquiète de ton oncle du Val, et ne sachant comment en avoir des nouvelles, ta tante Amélie partit hier matin pour aller le voir ; heureusement qu’il est mieux, depuis 3 jours il se lève 2 ou 3 heures chaque jour, il souffre peu maintenant, mais il est très faible et a peu d’appétit, il a peine à se tenir sur les jambes, ou plutôt, il peut à peine se soutenir pour aller de son lit à son fauteuil ; enfin, on peut espérer que le mieux va continuer ; cousine Marie de Mortain doit venir le voir prochainement. Maintenant je vais répondre à ta lettre ; d’abord dis à ton papa de décider lui-même pour la 1ère communion de Georges ; pour moi je ne verrais pas grand inconvénient à ce qu’il la fît cette année, je l’ai faite au même âge et ta petite mère aussi à peu près. Georges est intelligent et saura, j’en suis persuadée, aussi bien se préparer cette année que plus tard. Et à plusieurs égards, il y aurait des avantages.

Si ton papa s’y décide, il faudra me le faire savoir ; dis leur à tes 2 frères qu’ils me feront plaisir de m’écrire bientôt ; je comptais un peu sur une lettre d’eux hier, mais je comprends que la belle promenade leur ait laissé peu de temps ; heureusement que leur sœur sait en trouver quand même. Tu ne me dis pas, ma chère enfant, si cousine en était ; dis-lui, à notre cousine, qu’elle me

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fera plaisir de m’écrire aussi, je voudrais savoir si elle se rhabitue à Rouen, si elle a reçu des nouvelles de Désiré et puis, hélas, ce que je crains qu’elle ne me dise pas bien, c’est si elle est entourée d’égards et de bons procédés, tes lettres, ma chère Marie, qui me parlent si peu d’elle, me donnent de l’inquiétude ; ne souffre-t-elle point de boire de si mauvais cidre, comme tu me dis qu’est le vôtre ; je suis surprise qu’il ait aigri puisqu’il est en bouteille, la barrique est-elle vidée et bien lavée ? Il faudra sûr l’envoyer la semaine prochaine quoique je ne puisse savoir encore quand je pillerai, non seulement parce que les pommes ne sont pas assez mûres, mais surtout par la difficulté de me procurer un pressoir ; j’ai vu voisin, qui reviendra dimanche ; il pille tout ce mois-ci chez un marchand de vin qui fera bouillir 40 tonneaux de cidre ; chez Sourcis le pressoir est retenu jusqu’au mois de décembre et Pascal demande un prix exorbitant, je dois le revoir demain soir. J’ai pensé à demander à voisin Eugène de vous en piller une barrique de pots, ce qui le dérangerait le plus, je pense, serait de l’apporter à la gare, lever en billet avant etc, etc… Je pourrai voir lundi s’il vient à la ville ; à moins que ton papa n’en achète à Rouen un petit baril.

J’ai reçu très bien la petite caisse ; c’est dommage que la modeste n’ait bien voulu reprendre la toque ; ici plusieurs des petites compagnes d’Isabelle en ont de tout à

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fait semblables pour aller en classe. Je vais faire teindre la robe bleue pour qu’elle l’ait à la Toussaint mais je doute qu’on puisse remettre la brune à sa taille, ne pourrait-on pas plutôt en s’aidant de celle-ci te faire servir la tienne ; je le pense malgré la répugnance que tu éprouves, ma pauvre chérie, à porter autre chose que du noir, ta petite mère, nous engagerait, je suis sûre, à tirer parti de ces choses qui s’endommagent ; cependant, j’aimerais mieux que tu ne portas son vêtement gris qu’ici ou bien changé de forme, car à Rouen il serait trop bien reconnu ; je suis bien aise que tu te serves de la redingote, elle ne sera pas reconnu de même et te fera un bon vêtement d’hiver, avec ta jaquette pour t’habiller ne sera-ce pas assez ; toutefois je pourrai t’envoyer la robe d’Isabelle quand elle en aura une autre si elle peut servir pour ta pelisse, porte ton chapeau de feutre à Mme Le Bloud pour qu’elle te le garnisse de ruban ou de velours mais tu peux porter encore pendant quelque temps tes chapeaux de paille noire ; je vais écrire à la ville de St Denis et je te promets que je n’oublierai pas de demander des gants, mais je suis embarrassée pour faire un gilet à Georges, sans modèle et sans pouvoir l’essayer ; aussitôt les gants venus je vous enverrai un petit colis des choses laissées ici ; j’ai travaillé hier au sarreau de Paul, mais aussi un peu au hasard pour l’encolure ? A-t-on acheté un sarreau noir pour la classe de Georges ?

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Les compositions sont-elles recommencées au lycée et chez Melle Ancelin qui m’enverra une place de premier.

Je n’ai pas envoyé de lettre de faire part à Melles Dupuy ou Ancelin, si tu désires que je le fasse, tu n’as qu’à le dire, ma chère petite.

Je n’ai pas encore de nouvelles et nos voyageurs, je pourrais bien en recevoir aujourd’hui ou demain. A moins qu’ils ne m’écrivent que de Nyons, où ils ne comptent pas arriver avant mercredi ou même jeudi. Je me demande quel corsage tu vas mettre en classe, mes pauvres petits, je vous ai renvoyés peu remis en ordre, c’est bien incommode d’être si loin.

Dis mes amitiés à ton papa, à cousine qu’elle me manque bien ici et à tes frères que je les embrasse, ainsi que toi, ma chère fillette, de tout mon cœur de bonne maman.

M. Piquois

J’ai hâte de savoir ta toux passée. Pour tes toilettes, prends conseil de cousine Adèle et pour toutes choses. Je reçois ce matin une lettre de tante Marie. Ils vont partie pour Paris jeudi à une heure.

Isabelle est touchée que tu lui aies écrit une lettre.

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Coutances, 4 novembre 1893

Ma chère Marie,

J’ai écrit hier à Mr Piquois, contrôleur de Quintin en résidence à St Brieuc ; j’espère que cette lettre arrivera, car il n’est pas douteux que le facteur n’ait déjà eu plusieurs papiers administratifs à remettre à ce monsieur, mais tante Hélène, qui m’avait écrit le surlendemain de leur arrivée avait oublié de ne le donner leur adresse. Il est déjà en tournée pour la seconde fois, ton oncle et il a eu bien à faire en quittant Nyons et en arrivant à St Brieuc ; je ne sais pas s’ils pourront venir tous deux chercher leurs affaires ; j’ai bien hâte de savoir qu’ils ont trouvé une maison.

J’ai été bien contente de savoir que Paul t’accompagnait mardi mais il me tarde qu’il trouve un petite moment pour m’écrire. Quand tu me récriras, parles-moi de tes frères, ma chère Marie, je suis bien surprise qu’ils n’aient encore eu qu’une place de Français. Est-ce Mr Vacander qui fait le catéchisme à Georges cette année. Paraît-il faire attention à lui.

Je suis taquinée que votre barrique n’arrive pas, je suis allée chez Le Quin lui recommander de la porter chez le pilleur Hédouin aussitôt qu’elle sera arrivée. Ils n’ont pas été surpris qu’elle ne le soit pas encore

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cependant les pommes pressent à piller. Hédouin reviendra dimanche voir s’il peut les enlever lundi.

Tu as bien fait de penser à écrire à tonton l’abbé, cela lui aura fait plaisir ; en lui écrivant hier, je lui dis que c’est d’eux-mêmes que les enfants de notre bonne Isabelle ont pensé à lui écrire, car tes frères ont aussi écrit, n’est-ce pas.

Je présume que tu seras très bien mise avec la toilette de draps noir, doublera-t-on chaudement le corsage, comme on ne porte pas les jupes si larges comme en ce temps-là, on t’a peut-être fait pèlerine ou jaquette en plus. Je me demande enfin si tu auras assez chaud et le jour de la Toussaint, avais-tu ta jaquette de chevrette réparée. Je pense bien au gilet de Georges et aux pantalons, mais j’ai fait peu de chose cette semaine, outre la fête ; je suis plus invalide que d’habitude et toute enfiévrée par moments ; mon exzéma était presque fini, mais la jambe n’enfle davantage surtout vers un point, où finira je pense par apparaître un clou, il a peine à montrer sa tête. Sans doute il est indécis. Ces misères de cette année ont commencé au moins de point au mois de Janvier par un clou, elles vont sans doute finir par un.

Espérons qu’elles ne reviendront pas l’année prochaine, et qu’à votre déménagement je serai très bien. Comme toi, ma chère petite, j’ai hâte de vous voir ici ; Dis à Georges qu’on y mange en ce moment de bien bon

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beurre et qu’il y a une tante, une petite sœur et une bonne maman qui vous aiment de tout leur cœur.

M. Piquois.

Demandes à ton papa combien que Marmion vend son cidre le pot. Ici ce n’est que 80 ou 90 Fr le tonneau, sans compter les droits, bien entendu.

Tante Amélie ne tardera pas à répondre à ta lettre, mais je n’ai pas voulu l’attendre, Isabelle petite a écrit à tonton l’abbé mais sa lettre était moins bien que les vôtres, qu’elle fît vite et simple.

Coutances, 17 novembre 1893

Ma chère petite fille

Ne te préoccupe pas du rhume de ta petite sœur, cependant je l’ai gardée à la maison mercredi et encore ce matin, elle était très enrhumée du cerveau mardi soir, cela lui donnait de la fièvre, mais la nuit lui fit du bien et c’est un peu par excès de prudence peut-être que je continue de la dorloter, pourtant je l’ai laissée aller à la classe cette après-midi. Je l’ai un peu regretté après son départ, car le temps est devenu très mauvais pour son retour ; enfin elle est couchée maintenant, un peu avant huit heures, la pauvre chérie s’étant éveillée dès 5 heures ce matin avait bien besoin de se reposer ; elle ne tousse

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pas ou à peu près et elle mange comme de coutume ; excepté mardi qu’elle était un peu abattue et avait mal à la tête, elle a appris les leçons de chaque jour et s’en préoccupait même plus que je n’aurais voulu. Ce soir Mme Le Marchand est venue passer un moment avec nous, elle a fait quelques parties de dominos avec Isabelle. Melle Elisa l’avait chargée d’amitiés pour nous.

Hier je reçus une lettre de ta tante de St Brieuc, ils vont très bien, dis à ton papa et à cousine Adèle qu’ils sont convenus avec leur propriétaire qu’il va leur meubler dans le courant de la semaine 2 pièces qui communiqueront avec les leurs ; de plus, une cave et le tout meublé ne leur coûtera que 700 Fr par an ; aussitôt que ce sera prêt, ils mangeront chez eux ; tante Hélène qui n’était pas bonne marcheuse fait des progrès en compagnie de ton oncle, elle me dit qu’ils ont fait une si longue promenade qu’elle n’en pouvait plus ; ils avaient bien fait 4 lieues. Cela n’eût pas épouvanté ta petite mère bien au contraire puisque les lettres te font plaisir, ma chère Marie, je vais te charger des commissions, dis à notre cousine que j’ai écrit à Désiré, pour lui annoncer le départ d’un petit fût de cidre contenant 114 litres, dis à ton papa qu’hier le camion de la queue a pris aussi sa barrique, je n’ai payé le port ni de l’une ni de l’autre, car en cas d’accident, c’est autant qu’on n’aurait pas à réclamer, j’en ai prévenu aussi Désiré. François a enfin

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apporté hier notre joli tonneau de châtaigner, il est bien plus grand que je ne le souhaitais, il y a dedans plus de 600 pots de cidre pur que ton petit père pourra faire convertir en eau de vie si cela lui est agréable. Cette après-midi, on a apporté déjà 350 pots de repillé pour mettre dans le tonneau du cellier de la cuisine, demain matin à 9 heures on apportera les reste, les pommes de Melle Duvivray sont enlevées, Guillotte prendra pour lui ce qui en reste et tout sera mis en place pour cette année. J’en aurai vendu 180 barretées et brassé 130 ; on peut ajouter qu’il y en a eu pas mal de perdues des 1ères . On dit que beaucoup de cidres achetés tous faits aigrissent ; aussi tout le monde fait de l’eau de vie ; j’ai confiance que le nôtre sera bon ; je lui trouvai bien bon goût hier en le goûtant. Je fus hier bien taquinée et inquiète parce que le vieux cheval avec lequel François avait amené le tonneau se trouva malade de coliques : il dit qu’il l’avait vu souvent de même et que la route allait lui faire du bien mais je désire bien savoir s’il est rentré à bon port ; je lui ai recommandé de l’écrire et je ne vous enverrai cette lettre que demain en cas qu’une lettre de lui ne me vienne demain matin.

Je suis surprise, ma chère Marie, que tu ne me parles pas dans tes lettres de la conduite de tes frères envers cousine Adèle, toi-même semble éviter d’écrire son nom, cela m’inquiète.

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C’est maintenant dans 5 semaines que je compte aller vous voir avec votre petite sœur car si rien n’y met obstacle, j’ai le désir de vous arriver pour noël, puissiez-vous d’ici là être vraiment de bons enfants, c’est le grand désir de votre bonne maman.

M. Piquois

Je crois qu’on écrit rapporté et non raporté. Ta toux est aussi tenace que le fut celle de ta petite sœur à la fin des vacances. Hâtes-toi donc de la chasser et ne manques pas de m’en donner des nouvelles.

Je n’ai pas eu de lettre de François ce matin, je vous envoie celles-ci quand même, car vous ne les recevrez que lundi. Isabelle a eu une très bonne nuit.

Coutances, 24 novembre 1893

Ma chère petite fille,

Cela me fait toujours bien plaisir de recevoir une lettre qui me donne de vos nouvelles à tous, mais je suis toujours surprise et un peu inquiète quand je n’y vois pas le nom de ma bonne cousine et quand tu ne me dis rien de la conduite de tes frères à son égard. Je t’assure, ma chère Amie, que j’ai non moins envie que toi que noël approche afin d’aller vous voir, rappelle à Paul et à Georges que dans 4 semaines je vous arriverai et qu’ils

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me donneraient des étrennes qui me seraient bien agréables si c’était un bon témoignage de cousine sur leur compte.

Je voudrais bien aussi savoir, ma chère Marie, si tu ne tousses plus du tout ; ta petite sœur est très bien maintenant et elle sait sa répétition des leçons de la semaine pour demain matin, sur le bout du doigt et je t’assure qu’on n’a pas besoin de l’exciter à l’étudier, au contraire, elle nous poursuit partout pour la réciter et la réciter encore et encore quand elle sait.

Je ne sais plus bien quel jour je vous ai écrit, dis à tes frères que j’aimerais à leur écrire plus souvent, mais j’attends toujours qu’ils m’écrivent eux-mêmes ; pourquoi donc ne m’ont-ils pas appris eux leurs places ? Toi, ma chère fillette, qui aime à m’écrire, je vais te dire que tante Hélène Bois venant lundi à Coutances pour affaire, accepta de coucher comme je l’y avais engagé, elle resta même mardi et vint avec nous au cimetière… puis elle repartit seulement mercredi midi. J’ai bien pensé à toi pendant ce temps, ma chère Marie. Isabelle fut bien gentille pendant ce temps. Nous attendons toujours cousine Jeanne, ennuyées de l’attendre, tante Amélie écrivit l’autre jour à sa sœur pour lui demander ce qu’elle était devenue. Il paraît qu’elle est toute prête à venir et que si elle retarde c’est parce qu’elle attend son fermier du Mesnil qui lui avait fait dire qu’il irait lui porter de

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l’argent. Ton oncle et ta tante de St Brieuc vont très bien, je ne sais si je vous ai dit (je dis vous, parce que je parle aussi à ton papa et à cousine) qu’on leur loue 2 chambres qui communiquent avec la leur et une cave dans l’en bas, ce qui leur fait 4 appartements meublés et la cave en plus pour 700 Fr par an. Ton oncle est allé en tournée 2 jours de cette semaine ; tante Hélène est bien contente d’avoir la société de Sigure en son absence ; ils se promettent de venir quand je serai revenue de Rouen.

Dis à cousine et à ton papa que le républicain est supprimé maintenant que Mr Daireaux a acheté l’imprimerie de Salette et je t’ai dit, je crois que Mme Le Pouttel a acheté la librairie et s’installe en ce moment dans la maison de Salette, qui est mort dernièrement.

Ce que vous ne savez pas c’est que le 3 décembre, Mgneur bénira solennellement un beau calvaire élevé sur la paroisse St Pierre. Charles Néel en a donné l’emplacement dans sa pièce et Claire a généreusement contribué à l’achat du calvaire. Aussi on leur réservera des places auprès de la croix et ils nous ont engagées à y aller. Claire quêtera avec Melle de la Morinière. Mgneur prêchera. Le dîner, auquel Charles est convié, bien entendu, sera au presbytère de St Nicolas parce que les appartements y sont plus grands qu’à St Pierre.

Aujourd’hui la ville était toute en émoi, parce que un facteur qui demeure au Pont-de-Soulle ayant

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demandé chez Mr Baize de la Santonine pour ses 2 petits-enfants qui avaient des vers, l’élève s’est trompé et a donné de la morphine. Mr Baize a passé la nuit près d’eux, on espère sauver l’un d’eux qui a vomi abondamment, mais on craint beaucoup pour l’autre. On ne parlait que de cela en ville aujourd’hui.

Dis à Paul et à Georges qu’aujourd’hui on a apporté la moitié du bois qui servira à faire les planchers des chambres ; Doublet vient la semaine prochaine faire les fenêtres du 1er et les portes extérieures et à mon retour de Rouen on se mettra à travailler de diverses manières.

Mais adieu, ma chère fillette, je voudrais te faire voir tes lettres dans lesquelles ta petite mère me parlait de sa chère petite Marie. Puisse-t-elle veiller toujours sur la chère enfant et lui obtenir avec la sagesse, la force et le courage. Elle sait qu’elle a, ainsi que sa petite sœur, ses frères et son cher papa, toute la sollicitude d’une bonne maman qui t’aime de tout son cœur.

M. Piquois

Jeudi dernier, il y avait un grand bal chez Hervé Vigot. Auparavent c’était chez le receveur particulier. Mme Bucaille et Mathilde étaient à l’un et à l’autre. Les delles Girre, Jartel etc…

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Il y a eu hier 8 jours que le cidre est parti ; ton papa fera bien d’aller voir au commencement de la semaine s’il est arrivé. Il doit mettre de 9 à 13 jours.

Coutances, 9 décembre 1893

Mes chers petits-enfants,

Je ne sais comment vous dire l’émotion que m’ont causée vos trois lettres, en ce jour où je reçus de votre bonne petite mère, ma chère Isabelle, tant de témoignages de la plus tendre affection…

Il m’a semblé que c’était encore un peu d’elle, puisque c’étaient ses enfants, qui pensaient à venir en ce jour béni me dire : bonne maman, nous vous aimons bien et nous prions Dieu pour vous. Car vous l’avez un peu prié à cette intention, n’est-ce pas mes chéris, et la Sainte Vierge à qui ma chère maman à moi me confia, je lui dis chaque jour et souvent avec émotion ; ma mère et ma patronne je les mets tous, mes vivants et mes défunts, sous votre protection. Je les jette avec confiance dans le sein de votre miséricorde…

C’est pendant l’octave de cette fête de l’Immaculée conception, le jour même qu’on la fêtait à l’église, que Dieu, nous reprit votre bonne petite mère. Nous ne pouvons pas pénétrer ses desseins mais je ne saurais oublier qu’à ce moment même, je la confiai avec tout l’élan

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d’une ferveur extraordinaire, à la Sainte Vierge, ma patronne…

Mes biens chéris, à qui votre petit père a-t-il demandé une messe pour le 13. Pourrez-vous y assister comme c’est un mercredi cette année, le jeudi vous serait peut-être plus facile ; ici Mr le Bourgeois dira sa dernière messe, comme vicaire de St Nicolas, et ce sera pour votre maman ; aujourd’hui, Mr Le Gallais va la dire pour mes vivants et pour mes défunts. Ce soir après votre prière voulez-vous ajouter un pater et un ave à la même intention et puis surtout, mes petits-enfants, Paul et Georges surtout réfléchissez un peu et tâchez pendant ces jours de si tristes souvenirs d’être vraiment de bons enfants. Faites efforts, mes pauvres petits, pour faire trêve de discussions de contestations, pour être plus attentifs, plus soumis, moins bruyants, de telle sorte que le soir, en donnant votre cœur à Dieu, vous puissiez en repassant votre journée, espérer que le bon Dieu est content de vos efforts, et comme ce sera en souvenir de votre maman que vous vous serez efforcé de plaire à Dieu, ne vous semblera-t-il pas que vous aurez augmenté son bonheur céleste, ou au moins, hélas !... Car qui peut se flatter positivement d’avoir reçu sitôt après sa mort la récompense.

Voici que votre petite sœur s’éveille en me demandant ce que c’est que le mot ou…Quel zèle ; je lui

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dis : as-tu donné ton cœur à Dieu 2 oui, bonne maman et dit bonjour à petite mère aussi… Mais il est 6 heures ½. Rosalie est partie traire. J’entends Augustine qui va aussi y partir ; elle m’a dit qu’il fait très noir ces jours-ci le matin et qu’elle ne peut apercevoir que les vaches qui ont du blanc, comme elles sont au libre, cela lui donne à chercher, on les met le soir dans le grand herbage et le matin dans le plant de la pompe, aujourd’hui on va leur ouvrir la barrière du petit herbage, car c’est presque fini de l’herbe de ce plant et puis il faudra leur donner du foin.

Benne ayant un cheval blessé par son collier, c’est le père Robin qui a porté hier la démaçonneuse qui était dans les coins de la maison neuve, auprès de Mr Gendon.

Doublet travaille toujours aux portes extérieures, elles seront en très beau bois de chêne, mais il en faut tant que je crains qu’il n’en reste pas assez pour le parquet de la salle.

Adieu, mes chers petits, je vous embrasse tous les 3 de tout mon cœur, promettez-moi de vous embrasser en recevant ma lettre, bien affectueusement tous trois, et puis faites-en autant à votre papa et à cousine. Souhaitez encore le bonjour à Cyrille pour moi et puis soyez assurés du dévouement de votre bonne maman.

M. Piquois

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C’est Mme Marie qui m’a écrit la grande nouvelle ; elle paraît très contente. On a parlé pour Madeleine du notaire de Lessay nous a dit Guillotte.

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1894 : Marie a 16 ans, Paul a 13 ans, Georges 9

ans et Isabelle 8 ans

Coutances, 6 janvier 1894, 6 heures du matin,

Ma chère Marie,

Je tiens à vous arriver dès ce soir pour vous dire que nous avons fait un très bon voyage, malgré la température exceptionnellement rigoureuse sur toute la ligne ; nous venons d’avoir une excellente nuit et je pense que notre chère petite ne s’apercevra pas d’avoir eu froid en chemin ; de ce temps les bouillottes ne sont pourtant pas longtemps chaudes. Tout le temps nous avons été en très bonne et à St Lô, madame Collette monta dans notre wagon. Comme j’eus l’agréable surprise d’arriver ici une heure plus tôt que je n’avais cru, nous montâmes à pied à la maison ce qui était moins froid que d’attendre le départ de l’omnibus. Les 2 cousines furent toutes joyeuses de nous revoir à Lisieux, la bonne tante nous attendait sur le quai et avait même envoyé Valérie au train précèdent. La cousine Carmélite était bien contente de parler un peu avec nous et contente aussi d’offrir à Isabelle une charmante petite crèche de sa façon qui fera le pendant de la petite grotte mais adieu, ma chère Marie, le temps est au moins aussi froid ici qu’à Rouen et cette nuit, malgré un tas de couverture, mes pieds n’ont pu tout à fait

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échauffer ; que n’étais-tu dans le coin de mon lit, ma chérie !...

Je ne cesse de penser à Paul et à Georges si mal équipés pour la classe. Dis à Paul qu’il fera peut-être bien de prendre des bas et puis son pantalon usé n’est guère chaud, pendant ce grand froid, il me semble qu’il pourrait ou même qu’ils pourraient prendre leurs bons pantalons de cheviotte, ou bien en mettre un léger en dessous de son ordinaire en guise de caleçon et ton papa est-il encore enrhumé ; c’est le cas de mettre le col de fourrure. Dis à cousine que je vais m’occuper de son vêtement. Mon dieu que de gens malheureux !... Les vieux palletots de tes frères feraient du bien à de pauvres enfants.

Ton oncle Charles et tante arrivent ce soir ; ils l’ont écrit. Mais Adieu, portez-vous bien, soyez amis, ma chère Marie. Prenez garde au froid et recevez tous les baisers de votre bonne maman.

M. Piquois

Pensez à être serviables à cousine. Prie ton papa d’excuser que ce ne soit pas à lui que j’adresse cette 1ère lettre. Je ne sais plus les mesures de cousine.

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Coutances, 9 janvier 1894

Mon cher Georges,

J’ai été toute tranquillisée de savoir que le froid ne vous fait pas trop souffrir ni toi, ni Paul, mais que vous le supportez vaillamment et vous réjouissez même en faisant de belles glissades. Espérons qu’en les faisant, il ne vous arrivera aucun accident. Vous serez en cela plus heureux que votre oncle Charles ne le fut hier, non en glissant, mais en sautant de dessus une haie, son pied glissa sur de la neige gelée et il eut quelques tendons forcée probablement, car il souffrit ensuite un peu en dessous et en avant de la cheville, il alla quand même assez facilement, avec tante Hélène chez Mr Le Tonnelier, mais ils demandèrent en revenant l’omnibus pour venir les chercher pour la gare, car il lui eût été impossible de faire la route à pied. Je me souviens que ton bon papa a eu autrefois à peu près la même chose et qu’il s’en ressentit pendant plusieurs jours ; le pis est que ton oncle doit être rentré jeudi à St Brieuc ; enfin il va revenir ici ce soir, car j’hésitais à me rendre à l’invitation de ces dames Bois de les accompagner à St Sauveur, mais je n’ai plus d’hésitation, nous allons prendre une voiture pour le rapporter ce soir. Je ne vais envoyer, ou plutôt je n’enverrai cette lettre que demain pour pouvoir vous donner des nouvelles de notre retour, dis à Marie

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que c’est à elle que j’’en donnerai ; je ne m’attends pas qu’il soit mieux, au contraire.

François Le Mare et Léonie vinrent dimanche comme c’était convenu ; tu peux dire à cousine que je vous enverrai un de ses gros poulets ; il n’aura pas chaud le long du voyage, mais j’espère que cela ne l’empêchera pas d’être bon. Dis-lui aussi, à notre bonne cousine, qu’Augustine m’a chargée de la remercier du bon portefeuille que je lui ai remis de sa part ; Melle Blanchet voulut bien la laisser dîner et coucher ici dimanche soir ; cela lui fit grand plaisir et nous passâmes tous ensemble une bonne soirée ; cousine Jeanne et tonton Charles racontaient gaiement leurs souvenirs de jeunesse, moi le récit de mon voyage ; nous parlions beaucoup de vous, mes chers petits, et je me disais que Marie serait particulièrement heureuse d’être avec nous.

Enfin, nous avions notre petite Isabelle pour vous représenter tous ; elle était ce qu’elle devait être, sage et sans demander qu’on s’occupe trop d’elle, aussi je n’ai que des éloges à lui adresser ; cousine Jeanne a commencé une robe pour son bébé, ce qui la rend bien heureuse. Tonton l’abbé avait désiré, et se faisait fête de réunir jeudi, toute notre maison avec la famille de Mortain ; mais il est probable qu’il n’aura personne ; je lui ai écrit hier à ce sujet. Cousine Marie de Mortain craint le froid, étant encore bien peu solide, et son petit Georges

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était d’ailleurs souffrant, cousine Jeanne qui croyait être appelée à Avranches pour ce jour, pour les affaires du notaire de Ducey n’a pas été appelé. L’accident de tonton Charles ne lui permettra pas cet arrêt et cette course. Adieu, mon cher enfant. Je voudrais bien te savoir toujours ce que je souhaite : un bon garçon, propre et poli autant qu’un bon écolier.

Ta bonne maman

M. Piquois.

Coutances, 3 février 1894

Ma chère petite Marie,

J’espère bien comme toi, moi, que la chère maison sera finie à temps pour vous recevoir, mais il est plus sage de ne pas hâter maintenant des travaux que la température pourrait ensuite détériorer et quoique les Huby doivent revenir me parler dans 15 jours ou 3 semaines, cousin Edouard me disait lundi, qu’à ma place il ne ferait pas faire les enduits avant la fin de mars et cette 1ère couche des enduits doit être mise avant les cloisons et les plafonds, mais rassure-toi, il n’y en aura pas pour longtemps ensuite, les plafonneurs travaillent très promptement et les menuisiers préparent en attendant leur travail. Doublet est là, toujours actif et bon garçon, d’ici une 15aine de jours, peut-être avant, il aura fini les

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fenêtres ; ensuite il se mettra à l’escalier qui peut être fait et posé dans le coin de la salle en attendant qu’on le pose, il y en a pour longtemps à faire l’escalier, c’est le morceau le plus important. Pour chaque marche on prend 8 Fr de façon quand ce n’est pas à la journée. Donc cela suppose pour chacune plus de 2 journées de travail. Il préparera en même temps les chambranles des portes intérieures, car aussitôt la 1ère couche des enduits données, on placera les cloisons et on posera à tous les bords des murs des cache-arêtes, puis la 1ère couche des plafonds étant mise aussi et même avant les cloisons de bois, on placera les parquets, ce qui n’est pas très long, alors un second ouvrier viendra avec Doublet, puis ils mettront les plintes autour des parquets et là vous penserez comme moi que cela avancera, en même temps on posera les cheminées, on mettra la dernière couche des enduits, la seconde des plafonds, tout cela vers le mois de mai et alors ce genre d’ouvriers feront place aux peintres pour les 1ère couches qui sont déjà données du reste sur ce qui est fait, mais vraiment en cette saison, il n’y a guère que les menuisiers à pouvoir travailler. Quel dommage que les voyages soient si onéreux, ce serait vous plutôt qui viendriez à Pâques, mais il est vrai, ma pauvre chérie, que tu t’occuperas alors activement de ton piano. Mais courage et patience.

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Il n’y a encore que 8 jours que j’ai Flavie, mais nos vaches et toutes nos bêtes sont très bien habituées à ses soins ; elle ne les négligera pas, j’espère et son caractère me paraît franc et agréable ; il faudra peut-être plutôt être un peu en garde contre trop de familiarité.

Toutes tes espiègles suppositions sur certain Mr sont risibles et amusantes mais je me réjouirais, en somme, que tu ne te fusses pas trompée, car ce serait un bien bon parti pour ta cousine ; car en somme c’est un excellent homme, le constant intérêt qu’il vous porte l’atteste ; il a des goûts de famille et sa femme n’aurait pas à craindre qu’il quittât la maison pour le cercle ou le café. Il aime le travail et l’étude ; enfin il a, pour un jeune homme de son âge une superbe position, et sa femme pourra, à cause de cela fréquenter un monde intelligent et souvent distingué. Toutes ces choses excellentes se rencontrent bien rarement réunies et mériteraient bien qu’on leur sacrifiât quelqu’agrément extérieure. Pour la tournure d’esprit cela se modifie avec les années et la société qu’on fréquente, surtout si on a la bonne fortune de rencontrer de la bienveillance chez quelqu’ami respecté et sincère. Mais je pense, ma chère enfant, que tout ce que tu as cru n’est qu’un rêve et ne se réalisera jamais, donc n’en parlons plus. Ce Mr peut prétendre et prétendra une position plus brillante et plus fortunée que notre gentille et chère cousine ne pourrait lui donner.

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Hier elle nous a envoyé les mouchoirs de Georges et de Paul qu’elle avait emportés, tu verras, ma chère amie, comme elle est adroite et aimable. Elle a brodé sur les 4 petits bleus d’Isabelle des initiales gothiques et ta petite sœur est aux anges. Mme Véron a eu subitement un mieux surprenant ; elle qui était si mal quand Jeanne nous quitta, qu’elle fût effrayée en la revoyant, c’était le lundi, elle la quittait le mardi et y retournait le samedi. Dieu se laissa-t-il toucher par les ardentes prières de la pauvre dame, lui demandant la grâce de voir son fils dire sa première messe, je ne sais, mais toujours est-il que le samedi elle était bien moins enflée, parlait bien plus aisément et pouvait même circuler dans ses appartements. Le médecin n’y comprenait rien et ne pouvait croire qu’une nouvelle potion qu’il avait ordonnée eût produit un si prompt et si heureux résultat sur une personne dont il désespérait absolument. Aussi il pense que ce mieux ne va pas se maintenir. Toutefois, s’il se maintient, cousine Jeanne ira achever le Carême à Lisieux. Je regrette bien, moi de l’avoir si peu vue, je vais lui écrire pour la remercier et quand vous aurez reçu les mouchoirs vous ferez de lui écrire aussi ; vous n’oublierez pas de dire quelqu’amitié pour ses petits neveux et sa petite nièce Marie qu’elle aime beaucoup.

Aussitôt que cousine Adèle aura reçu des nouvelles de cousin Désiré, je voudrais bien le savoir.

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Ici, Mr Le Terrier n’a levé qu’avant-hier pour faire son lit depuis 8 jours, je fus le voir hier ; il va mieux et ne s’inquiète pas parce que tous les hivers il est souffrant, il était plutôt gai. Rosalie aussi a été bien souffrante, mais comme Guillotte, Anaïs, Reuve etc Elle n’a pas allité, mais Félix le mari de Rosalie a été 3 jours dans le délire. Mr La Forge a eu un nombre étonnant de ventouse. C’est un remède très employé ici. Mr Jeanne est mieux. Mais une nouvelle. Mr Fauvel se marie, à une jeune orpheline, née ici, mais dont les parents se sont enrichis à Paris.

Autre nouvelle : un Mr Doré, curé vers Tessy a pris à son service Augustine, il a écrit à tonton l’abbé qu’il connaît pour avoir des renseignements sur elle.

Une vieille nouvelle c’est que ta bonne maman t’aime bien tendrement. M. Piquois

Ta petite sœur ayant reçu de Msieur Le Pouttel une gentille image, la considérant ces jours dit : Oh ! Pour une enfant de Marie. Cela conviendrait bien à Marie puisse qu’elle se nomme Marie si je la lui envoyais, bonne maman, elle est bien gentille et à elle qui m’a souvent donné tant de gentilles choses et elle les énumérait, cela lui ferait plaisir et alors elle s’en faisait une joie qui t’eût touchée comme je l’étais. Elle projetait de t’écrire en te l’envoyant de sorte que je ne sais si elle n’a consenti à la mettre dans cette lettre.

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Ma chère amie, je ne renverrai pas ton corset, car cela occasionne toujours des frais et puis il peut bien te servir maintenant par-dessus ta camisole et ensuite tu prendras peut-être de l’embonpoint.

A son sujet tu ne fais pas de reproches à ta bonne maman, elle en mérite peut-être pourtant.

Coutances, 11 février 1894

Ma chère petite Marie,

Je t’écris sur cette feuille de papier dit Breton, que tante Hélène m’a donnée, tonton Charles l’avait acheté disant : c’est maman qui aimerait à écrire sur ce papier, il ne se trompait pas, surtout quand je puis donner dessus de bonnes nouvelles à ceux que j’aime ; cependant c’est pour une fois, car je ne sais me séparer de mon papier bordé de noir. Par ce qui précède, ma chère enfant, tu peux reconnaître que la convalescence de ton oncle continue et que j’ai l’espoir fondé qu’il sera bientôt tout-à-fait rétablie ; mais il a été bien malade et la pauvre tante Hélène a été bien étonnamment amaigrie ; enfin il va prendre de plus en plus de nourriture : de sorte qu’il espère pouvoir faire ses tournées qui doivent commencer le 19. Grande tante Hélène va y rester encore quelque temps, c’est bien commode pour eux et

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bien tranquilisant pour moi, bien entendu que tout ceci est aussi bien pour ton papa et pour cousine que pour toi.

Le mal ne s’est pas du tout porté sur la poitrine, mais sur l’estomac aussi il a rendu étonnamment de bile ; il a fait son premier repas à table jeudi avant mon départ. Tante avait acheté et préparé elle-même une bonne petite poulette qu’elle fît rôtir et il en mangea avec plaisir un peu de blanc et désira boire du cidre ; madame Bois lui avait envoyé 2 bouteilles de malaga, mais on a pas encore osé lui en donner ; enfin j’ai confiance que c’est fini. Maintenant, aussi je t’assure que je ne voyais pas les choses sous le même aspect en revenant qu’en allant quoique je le susse déjà bien mieux.

Je suis bien contente d’y être allée mais le voyage m’a paru bien bien long, à travers ce pays inconnu tout me paraissait froid et triste en allant ; il y avait très peu de voyageur, c’était le mardi gras et la plupart étaient des marins soûls ou avinés ; en revenant j’ai été avec une excellente personne tout le temps ; sa tante qui l’avait acconduite au train est une religieuse très âgée qui me parut extrêmement respectable et distinguée, elle dirige depuis de très longues années un orphelinat fondé par une dame riche et bienfaisante pour 3 communes, il y a une

40aine d’enfants à qui on apprend à travailler pour gagner leur vie ; quand elles ont une 20aine d’années, on les place. Sa nièce, qui est de Montebourg lui demandera

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si on pourrait y recevoir une pauvre enfant à laquelle je m’intéresse, mais ce n’est pas probable puisque c’est pour 3 paroisses désignées et les paroisses sont grandes en Bretagne. Mais les églises ne sont pas belles comme dans la Normandie ; la cathédrale de St Brieuc n’est pas belle du tout. St Michel, la paroisse de ton oncle et de ta tante est en style Roman, mais l’entrée ressemble autant à une sorte de temple grec avec 5 ou 6 belles colonnes de granit, la ville n’est pas belle non plus. Tante Hélène et tonton ne paraissent pas s’y déplaire du tout, malgré un logement qui ne serait pas du tout à mon goût et d’où je les voudrais bien sortis, excepté leurs 2 chambres tout est si obscurs qu’il faut presque toujours de la lumière et l’accès est à faire rêver.

Je pensais beaucoup à ma petite Isabelle en revenant, je l’ai retrouvée très bien, ainsi que tante ; elle vient de faire un rêve qui la faisait pleurer, mais ma lumière l’a rassurée tout-à-fait et je crois rendormie depuis que je l’ai allumée ; elle rêvait qu’un Mr que nous connaissons, mais dont elle ne pouvait se rappeler le nom voulait tuer petit père et quoique me parlant, elle ne pouvait se rassurer la pauvre mignonne ; elle est bien contente que Marie Cauvin soit revenue à la classe malgré ce qui avait été dit, elles sont amies et elle est aimable avec ta petite sœur.

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Tante Amélie est bien moins endolorie. Dis mes amitiés à ceux qui t’entourent et puis je voudrais savoir si vous êtes polis et complaisants les uns pour les autres et tous pour notre bonne cousine et dévouée cousine. C’est le vœu de ta bonne maman.

M. Piquois.

Coutances, 14 février 1894

Mon cher Paul

J’ai été bien contente de recevoir ta lettre, je ne sais plus si je suis aussi dans la dette de Georges en tout cas, celle-ci sera un peu pour vous deux ; je trouve que je n’en reçois pas assez souvent de lettres de vous deux et vous ne me faites pas connaître toutes vos places, il me semble ; je ne sais pas aussi souvent comme je le voudrais à vous féliciter de vos places de 1er. Pourtant je serais disposée comme par le passé à vous envoyer des timbres pour acheter le dessert. Allons lequel de vous 2 aura les premiers ? Sera-ce Paul en thème latin ou en grec. Georges je ne sais pas en quoi seront ses prochaines compositions. Est-il bon garçon maintenant notre petit Georges, sensé et raisonnable. Avant-hier en apercevant son gentil sapin, il me semblait, en le voyant se dresser vers le ciel, qu’il voulait me dire : dis donc à mon jeune propriétaire que j’ai hâte de l’élever au-dessus des

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terreaux de débris et de tout ce qui m’entourait jusqu’ici ; maintenant je respirerai plus librement, voyant de plus haut, je verrai de plus loin et je progresserai de plus en plus. Demandes-lui s’il désire faire comme moi, ne plus trop prêter l’oreille aux discours plus ou moins confus et baroques de ses petits compagnons mais s’assimilant, à mesure qu’il fait des progrès, des pensées et des sentiments plus dignes de quelqu’un qui grandit et qui conséquemment doit chercher de plus en plus à comprendre et à aimer notre créateur. Moi, je ne serai jamais qu’un pauvre arbre dont on aura peine à interpréter le langage. Pourtant, j’en ai un langage tout dans la nature en a, depuis les vermisseaux et les limaces qui souvent gênent les plantes et les jeunes arbres jusqu’aux grands arbres qui se répondent harmonieusement quand les vents les agitent et les balancent les uns vers les autres et qui se renvoient l’écho des gentils oiseaux du bon Dieu. Hélas ! Hélas ! Combien sont heureux les hommes qui peuvent voir et approcher Dieu de plus près… Du moins je m’élèverai mieux de la lumière du beau soleil, de la pureté de l’air.

Dis encore à mon jeune maître que j’ai envie qu’il me trouve prospère et en bonne voie quand il me reverra. Puisse-t-il, lui qui deviendra bientôt un jeune homme faire la joie et le bonheur de tous ceux qui l’aiment.

Ainsi, mes chers petits, j’aimais à interpréter la pose et l’attitude du jeune sapin ; ton marronnier, mon

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cher Paul, me disait moins, il est encore tout dépouillé de ses feuilles et comme confus de la grave opération qu’on lui a faite ; mais il a de gros boutons qui ne tarderont pas je pense à se développer et c’est alors sans doute que je pourrai comprendre ses confidences si toutefois il semble vouloir m’en faire. Tout ceci est entre nous 3. Vous savez bien, c’est trop intime pour être comme de tout le monde. Mais quand vous serez grands tous deux, j’espère que vous saurez bien mieux que moi interpréter les voix ou même les poses de toutes les créatures du bon Dieu. D’ici là, souvenez-vous qu’il vous voit toujours, le bon Dieu, et qu’il nous a tous mis sur terre pour le connaître et conséquemment l’aimer. Aimons-nous tous bien aussi, mes chers petits. C’est le vœu de votre bonne maman.

M. Piquois

Surtout n’allez pas taquiner Marie en cherchant à lui faire croire qu’il y a des secrets dans cette lettre.

Mon petit Paul, n’écris jamais intérressant mais intéressant. Je ne sais plus bien comment vous êtes costumés, j’en étais pourtant bien préoccupée en vous quittant, mais j’ai oublié.

J’ai rapporté un pantalon de ton oncle, mais je n’ai pas tes mesures pour le faire. Ce sera plus commode quand vous serez ici.

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Coutances, 17 mars 1894

Ma chère Marie,

Tu peux dire à Melle Dupuy que je lui suis bien reconnaissante de t’avoir fait voir le cortège des funérailles de votre illustre archevêque. C’est dommage que tes frères n’en aient vu quelque chose et cousine Adèle n’en a-t-elle donc rien vu non plus ? Nous avons été bien contents de recevoir la semaine religieuse, nous voudrions bien aussi avoir celle de la semaine dernière, car c’est elle qui devait annoncer la mort ; je regrette de n’avoir pas pensé à demander à ton papa quelque journal de la ville à ce moment, pour voir ce qui était dit. Pour moi, la mort d’un homme si remarquable, encore en pleine vigueur, m’a fait une véritable peine.

Maintenant parlons de cette fête, à laquelle Mme Morize a bien voulu te convier, je comprends le plaisir que tu en éprouves. Du moment que ton petit père a bien voulu te permettre d’y aller en grand deuil, surtout avec une robe de drap, mais il me semble que ta robe blanche convient très bien, ce serait grand dommage de la faire teindre.

Tu pourras mettre dessus soit ta pèlerine beige, soit même ta bleue et grise, car ce n’est que pour aller et revenir ; tu pourrais parler de cela à Melle Dupuy, qui saurait certainement te donner un bon conseil.

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Je serai bien aise aussi de me trouver là les jours précédents, le plus tard que j’arrive sera certainement le samedi saint.

Le temps a vraiment jusqu’ici été bien trop rigoureux pour que ton oncle puisse sortir ; il est toujours bien peu solide et pourtant l’appétit revient ; tous les jours il est tenté de se recoucher l’après-midi et puis ce désir se passe ; il ne se lève que vers 10 ou 11 heures, mais il dort peu après 3 heures du matin ; hier on est venu faire sa barbe qui ne l’avait pas été depuis St Brieuc ; tante Hélène avait pris le train de 6 heures pour aller voir sa bonne maman qui la désirait beaucoup et qui est restée toute malaise depuis les émotions et les inquiétudes qui lui a fait éprouver la maladie de notre cher convalescent, elle désire beaucoup le voir, s’il va de mieux en mieux on l’y conduira peut-être en voiture fermée la semaine prochaine. Mr Campain et Mr et Mme Aluny, avec leurs enfants ont le désir de venir le voir mardi l’après-midi. Mr Le Terrier semble se remettre plus vite, il alla en ville hier pour la 1ère fois et vint voir ton oncle, il était tout gai, cousine Adèle va être bien aise d’avoir tous ces détails, dis-lui que j’ai reçu une lettre de cousin Désiré, qui va bien. Augustine aussi va très bien. Dis-lui aussi que je serai contente de lui donner de vive voix toutes les nouvelles que je saurai. Une que je vais te dire dès maintenant, c’est que c’est que c’est mardi prochain le

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mariage de Louise Marie, j’ai reçu une lettre de Mme Desdevises, mais je t’ai déjà dit cela. Mme Georges a été bien malade de l’influenza, son mari a été bien inquiet. Enfin ils vont venir pour le mariage, sans cette maladie, elle serait déjà arrivée pour aider pour les derniers apprêts, c’est la poitrine qui a été prise à la suite. Si c’est triste de laisser des orphelins, il me semble que ce serait encore plus pénible pour sa mère et pour son mari, si elle était morte, qu’elle ne leur eût pas laissé d’enfants…Mais Adieu, ma chère Marie, dis toutes mes amitiés à ton papa, sois toujours prévenante et affectueuse pour notre bonne cousine, douce et bonne pour tes frères et crois que ta bonne maman t’aime bien tendrement.

M Piquois

Petite Isabelle est ravie de faire presque tous les jours des compositions ; hier on les a conduits à confesse. Elle apprend l’évangile des rameux et le catéchisme comme si elle devait faire prochainement sa 1ère communion. A bientôt. Quand Paul fera-t-il ses Pâques.

Flavie est pleine de bonne volonté et toujours de bonne humeur.

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Coutances, 4 mai 1894

Cher ami,

Voici que Charles et Hélène nous ont quittés mercredi à 1 heure 45, se rendant au Val St Père où ils ont dû passer la journée d’hier et aujourd’hui. Ils vont arriver à St Brieuc. Charles a repris bonne mine et paraît très bien rétabli ; il a même supporté, mieux que je n’osais l’espérer diverses fatigues de la fin de son congé ; ainsi mardi, il a aidé à emballer, charger et décharger les meubles qu’ils avaient achetés, le soir ils revenaient pour partir le lendemain ; lundi, ils étaient partis d’ici après avoir dîné avec nos parents de Cambernon, dimanche ils étaient tous allés à la Groudière.

Dites à ma cousine qu’Augustine es y avait accompagnés, puis n’ayant pas d’autre jour, ils n’avaient pas cru devoir refuser aux Néels d’aller dîner à 7 heures et passer la soirée chez eux. Amélie et petite Isabelle les y accompagnèrent et ils y prirent tant d’agrément qu’ils ne rentrèrent qu’à une heure du matin. Isabelle m’avait tenu compagnie dans la journée, car Ludovic de la Groudière ayant eu la rougeole, je n’avais pas voulu l’y exposer, pour le soir, je n’aurais pas voulu laisser la garde de la maison à Flavie. Cette fille a de nombreuses qualités, mais est trop causeuse pour être sûre.

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Samedi Mr Campain avec Mr et Mme Aluny étaient venus dire adieu et dîner avec Charles et Hélène. Vous comprenez, cher ami, que toutes ces amabilités auraient pu fatiguer un convalescent. Aussi je finis par être de l’avis de Charles ; qu’il n’avait eu ni fièvre muqueuse, ni intermittente mais un fort embarras gastrique causé peut-être par le changement de nourriture et de climat ; en tout cas la convalescence, depuis mon retour de Rouen, est venue si complète et si rapide, que j’avais peine à croire ce que je constatais.

Maintenant je suis chargée de vous remercier pour les démarches que vous avez eu l’obligeance de faire au sujet de Mme Cuveiller. Charles a aisément trouvé son acte de naissance à la mairie de Coutances ce que Mr Bois avait fait avant lui, du reste, mais à St Sauveur, impossible de se reconnaître aux registres, pour trouver l’origine du père et de la mère et conséquemment pour établir le degré de parenté. Donc les choses en resteront probablement là.

Mr Campain, qui arrivait de Paris samedi matin, après avoir passé la nuit en chemin de fer, était ravi du voyage et de diverses acquisitions qu’il y avait faites ; sa santé est très bonne en ce moment, on dit que quand il n’a pas ses maux de tête, il s’en trouve si heureux, qu’il est alors d’une activité excessive.

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En tout cas, il se montre très aimable et très affectueux pour Charles (il s’est même montré généreux).

Voilà, mon cher ami, à peu près le compte-rendu de nos derniers jours. Maintenant je compte me reposer un peu. J’ai vu hier Mr Guillomette, il y a eu mardi 8 jours, il faisait encore son audience puis une piqûre d’Eglantier lui a fait enfler le petit doigt de la main droite, le mal s’est envenimé, toute la main et le poignet sont enflés et ce qui augmente le mal, c’est qu’il ne prend rien ou à peu près ; s’il veut boire quoique ce soit, il s’engoue et cela ne passe pas, Mme me fit montrer hier après la messe. Je fus saisie en entrant dans la chambre par le calme et le silence, aussi bien que par l’aspect de dignité du malade.

Je lui demandai s’il souffrait beaucoup, il me fit signe que non, ses 2 mains étant allongées sur les draps, je lui serrai celle qui n’est pas malade et je me retirai ; une religieuse de la miséricorde le veille et le soigne depuis mardi, car Mme et sa bonne ne pouvaient pas à elles seules le changer et passer les nuits. Mr Pigeon chanoine, qui le voyait quelquefois, et qui l’avait confessé lors de son mariage, alla mercredi demander de ses nouvelles, ce fut tout, mais il doit y retourner aujourd’hui. En ville tout le monde parle des services qu’il a rendus, de son intelligence, de son affabilité ; il paraît qu’il laissera beaucoup de regrets. Pour moi, ce sera certainement une

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perte et je ne dois pas oublier tous les services qu’il m’a rendus, tout récemment encore pour le contrat de Charles.

Vous n’oublierez sûrement pas non plus, mon cher ami, qu’il était à nous attendre à 11 heures du soir à la gare de Coutances quand nous arrivions avec notre bien-aimée Isabelle.

Elle ferait prier sûrement ses enfants pour que Dieu accorde à ce vieillard une bonne mort et pour qu’il l’accueille miséricordieusement. Lui qui fut bon et obligeant pour tant de gens.

Je ne vais envoyer cette longue lettre que cette après-midi pour voir le courrier de ce matin ; vous comprendrez, mon pauvre ami, que toutes les lettres qui me viennent de Rouen me sont toujours précieuses… C’est singulier comme je puis encore me faire cette illusion de mettre comme en réserve toutes sortes de confidences pour quand je verrai à loisir ma bonne Isabelle. En attendant ; tout ce que je fais me semble être comme mes apprêts de départ. Dieu veuille que je ne sois pas trop pressée quand il faudra partir…

Votre toute affectueusement dévouée

M. Piquois

Les progrès d’Isabelle continuent d’être surprenants, en orthographe particulièrement… Mais elle

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a trop de leçons. Ses camarades les ayant déjà apprises en partie les années précédentes. Ainsi pour aujourd’hui 4 pages de catéchisme avec les autres leçons. C’est trop, je l’engage toujours d’en laisser.

Coutances, 14 mai 1894

Ma chère petite Marie

Il me semble qu’il y a longtemps que je ne t’ai écrit directement et pourtant ce serait mal à moi d’être négligente envers toi, qui malgré la préparation de ton examen ne mets jamais de retard à me donner le plaisir de tes lettres. Tu voudras bien m’excuser si je suis trop en retard, car si cela t’avait peinée ou même surprise, je t’assure que je le regrette beaucoup, mais en ce moment après avoir fatigué le jour, je dors la nuit, ou bien je paresse un peu, d’ailleurs, j’ai beaucoup à penser, à réfléchir et puis enfin j’avais à répondre à ton papa et à écrire à cousine pour ses affaires de sorte que je disais, à Marie la prochaine fois.

Je t’assure que nous pensons toutes 3 beaucoup à toi et à ton examen, tous les soirs nous ajoutons à ton intention le subtunne à notre prière et une invocation à la sainte vierge ; je t’assure que ta petite sœur ne le laisserait pas oublier ; la chère petite pense beaucoup à votre arrivée et à votre installation. Elle va bien souvent

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voir votre gentille chambre qui lui plaît beaucoup, en ce moment qu’un menuisier travaille aux greniers elle grimpe sans la moindre crainte tout le long de la grande échelle qui remplace l’escalier qui ne sera placé qu’à la fin de ce mois ; c’est très long à faire un escalier, on me dit encore huit jours pour l’achever et 8 jours à 2 pour le placer, pendant cela un autre fera les portes intérieures, car ils sont 3 en ce moment ; le 1ère est enfin presque fini pour la menuiserie. Le plafonneur en sera quitte ensuite et sera remplacé par les peintres ; il ne restera que la salle à qui on se mettra après l’escalier.

Ce qui me préoccupe beaucoup en ce moment, ce sont nos foins, le temps est si peu favorable que nous n’avançons pas et puis il est difficile de faire coordonner les convenances de voisin pour boteler et Reune pour charrier. Le temps est si froid que j’ai gagné un peu de rhume à aller voir le temps et les gens ; heureusement que tante Amélie continue d’aller mieux, elle a déjà conduit Isabelle 2 ou 3 fois et a même repassé hier. Isabelle était bien contente de retourner avec sa tante, les 1ère fois que la petite Aglaë l’avait conduite, elle n’en n’était pas fière du tout, mais maintenant elle lui plaît beaucoup ; Aglaë est très fidèle à venir et comme il y a beaucoup à sarcler dans le jardin, elle s’y occupe et cela la fatigue moins que d’aller au foin.

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Tonton l’abbé m’a écrit hier ; sa bonne vieille Virginie est partie chez un neveu, elle ne sera probablement plus jamais capable de travailler si elle guérit. Tonton l’abbé en est bien contrarié et bien en peine quelle servante il trouvera ; en attendant Louise, la sœur ainée de Marie, que tu as vue au Val St-père y est.

J’attends des nouvelles de St Brieuc mais tant pis, je ne vais pas attendre leur arrivée pour t’envoyer cette lettre, quoiqu’elle se croisera peut-être bien avec une de toi ou de tes frères ; dis leur qu’ils devraient bien te suppléer, car vraiment, ma pauvre petite, je sens comme je voudrais qu’en ce moment tout le monde pense à toi et à te venir en aide. Hélas ! Puisse celle qui eût tant aimé à venir en aide à sa chère fillette, t’obtenir toutes les grâces qui te sont utiles en ce moment. Combien ton cher bon papa eût aimé aussi à passer le temps qui reste avec vous pour te guider et te préparer tout en te régayant. Bon, je ne sais comment écrire cela, je vais dire à Isabelle de faire ce verbe- là.

J’ai été heureuse que tu me dises que tes frères travaillent bien leurs compositions. Embrasses-les pour moi et dis leur que je désire qu’ils m’écrivent. Je regrette qu’ils n’en n’éprouvent jamais le désir comme ma chère petite Marie.

Ta bonne maman

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M. Piquois

Quelle robe mets-tu tous les dimanches par ce froid-ci. Quand tu seras débarrassée, je t’engage à faire mettre à ta taille la robe grise neuve de ta maman. Elle te sera très commode, c’est dommage que tu ne l’aie déjà.

Coutances, le 19 juin 1894

Ma chère Marie

Il était tout naturel que vous crussiez qu’une lettre allait accompagner les échantillons des papiers, mais vraiment le temps m’a manqué. Je suis souvent fatiguée quand je me couche et puis je dors et il m’en coûte de me mettre à écrire quand je m’éveille ; aussi ce soir pour ne pas mettre de retard je commence en me mettant au lit.

La journée a été suffisamment laborieuse pour moi. Debout à 5 heures ¼ pour voir avec voisin dans quel état était le foin des vieillottes, nous avons constaté que l’abondance des eaux qu’il avait reçues nécessitait qu’il soit retendu. C’est ce qui a été fait mais comme on ne s’est mis à botteler qu’à 10 heures ½ et que dès 5 heures il est revenu un peu d’eau la journée qui commençait splendide et été trop courte ; enfin le foin de la croix, sous le jardin de Mr Gendron, ainsi qu’un petit morceau du grand herbage sont rentrés ; si le temps était beau demain, tout le petit herbage qui est au vieillottes serait bon à rentrer.

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Il y en a environ 600 bottes dans le grenier. Mais à tantôt, car j’ai sommeil ; je voudrais bien avoir des nouvelles de Paul. Et n’oubliez pas de nous envoyer une dépêche si tu es reçue à l’écrit ; je ne suis nullement en peine de l’oral pour toi, ma grande fillette. Tu t’en tireras certainement à ton honneur. Bonsoir, à demain.

Je reprends après quelques heures de bon sommeil ; je pense à la nuit que je passais, ou plutôt que nous passions près de ton bon papa, il y a 9 ans…On va dire la messe pour lui particulièrement ce matin. Ordinairement c’est le jeudi, maintenant pour mes défunts. Car au commencement de cette année, avant de me remettre aux grosses dépenses de la maison, je suis allée porter l’argent d’un annuel de messes. Prie pour eux, mon enfant, avant ton examen particulièrement, car tu sais que par la prière pour les âmes du purgatoire, on obtient beaucoup de grâces, en même temps qu’on remplit un devoir.

Si je vous ai adressé quelques échantillons de papiers, c’est que le peintre Duliot en vend maintenant ; ils ne m’ont pas paru plus chers qu’à Caen, au contraire, cela lui ferait plaisir et serait plus commode. Cependant si vous en voyez à Rouen de bien à votre goût, vous pourriez me l’envoyez en colis postal, par exemple, pour la chambre de ton papa ou pour la salle, celui que vous avez choisi pour la salle étant assez cher.

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Sur un petit échantillon, on ne se rend pas bien compte de l’effet. Si celui que vous avez désigné pour la chambre bleue plaît bien à ton papa, on pourrait le mettre à sa chambre et vous en aurez pour celle-là. Mais ne vous en occupez pas du tout avant ton examen, tu auras bien le temps après. Paul pourra-t-il m’écrire demain. Je voudrais bien de ses nouvelles ; pour qu’il ne soit pas allé en classe, il était donc bien souffrant. Oh ! Que je voudrais bien savoir comment il est… Ne mettez pas trop de retard à me le faire savoir. Dis-lui que je l’embrasse bien, que j’aimerais à le dorloter un peu. Dis à Georges que je l’embrasse bien aussi et que vous êtes tous 4 mes chers petits-enfants.

Votre bonne maman. M. Piquois

Je viens d’écrire à tonton Charles. Tante Amélie est bien invitée d’aller à Lisieux pour les fêtes religieuses. Dis mes amitiés à cousine Adèle. Dis-lui aussi que plusieurs servantes se sont présentées. Une me plairait bien mais elle n’est pas forte. Elle a 32 ans, a été 9 ans vachère chez Mr Demons, en est sortie par maladie il y a un an d’une bronchite.

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LETTRES DE PAUL DAVY

Lettre de Paul enfant à sa grand-mère bonne

maman (à 13 ans)

NB les fautes d’orthographes sont d’origines…

Rouen 12 Juillet

Chère bonne maman

Aujourd’hui Jeudi que je suis en vacances je ne veux pas manquer de vous écrire. Nous avons été aujourd’hui nous promener assez loin, nous avons fait une bonne promenade d’environ 3 heures, nous sommes allés visiter les chantiers de construction normands construits dernièrement, il y a déjà un bateau de commencé, c’est très interressant à voir, il y a une telle quantité de machines à vapeur, de bureaux, de petites rails où circulent de petits wagonets portant des paques de fer de 2 mêtres carré et plus. Le commencement de bateau était placé entre deux espèces de murs, formés d’échafaudages en bois. Sur la route où nous sommes allés il y avait sans cesse des usines à Saxéoline, à Luciline, pour épurer le pétrole et bien d’autres. La route suivait le bord de la Seine et allait jusqu’aux quais. Maintenant nous sommes en vacances, d’abord aujourd’hui c’est jeudi, demain nous avons vacances parce que Mr Casimir Périer nous a

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donné un jour de congé puis samedi c’est 14 Juillet nous avons vacances et dimanche c’est congé. Nous avons ainsi 4 jours de congé, mais les prix sont le 31 et après il y aura des vacances plus sérieuses : nous irons voir bonne maman ! La petite Isabelle ! Et tante Amélie si elle est revenue !

Quel joie, mais d’ici là il y a encore un peu plus de 10 jours. Chère bonne maman je m’apperçois qu’il est l’heure

Adieu

Votre petit garçon qui vous embrasse et vous aime

P Davy

Rouen 19 Juillet 1894

Chère bonne maman

Vous avez dit dans votre lettre que ma lettre vous avait fait aujourd’hui jeudi je n’ai pas voulu manquer de vous écrire, aujourd’hui encore nous avons fait une jolie promenade. Cela m’a bien ennuyé d’apprendre que le sapin de Georges n’allait pas bien du tout et que notre jardin était un peu négligé mais je voudrais savoir des nouvelles de mon maronnier, si vous avez tenu ou plutôt pensé à tenir vos promesses vous m’avez dit que vous mettriez un oignon de daliah au bout

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de la haie à droite pour cacher le vilain trou qui est au milieu de la haie et pour la terminer et si vous nous avez fait planter par Guillote une bouture de lilas et si vous avez fait semer du muguet dans le petit coin de terre que vous nous avez donné en face de notre jardin et fait border de corbeille d’argent ce même coin de terre.

Chère bonne maman je ne vous fais qu’une lettre très courte parce que j’ai envie d’écrire à Isabelle (la sœur de Paul qui a 8 ans, sa mère est déjà décédée) Cependant je veux autant que mon papier me le permettra penser à dans quelques jours, j’irai voir bonne maman, Isabelle et tante Amélie dont nous avons reçu une lettre qui nous a fait bien plaisir ce matin. Dans 24 jours !

Chère bonne maman je vous embrasse de tout mon cœur et vous prie d’embrasser pour moi tous ceux qui vous entourent.

Votre petit garçon

Je croyais pouvoir écrire à Isabelle mais Marie

(son autre sœur de 16 ans) vient de me dire que je ne pouvais pas lui écrire je le regrette beaucoup car j’avais déjà commencé sa lettre mais le lui écrirai la prochaine fois.

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Lettre de Paul à son père. Il a 17 ans et

s’interroge sur son avenir, il ne sait pas encore

qu’il sera professeur agrégé de mathématique…

Avranche le mardi 30 Août 1998,

Mon cher papa

Je cherchais tout à l’heure mon papier à lettre pour vous écrire, mais je ne l’ai pas trouvé, aussi je prends celui-ci. Le matin j’ai pris une leçon avec Mr Dalimier et j’ai travaillé chez lui presque toute la journée à part le dîner au Val St Père ainsi tante Marie. Cousine Lucile est revenue ce soir et partira demain matin pour Caen et Lisieux. Mais une nouvelle plus importante que tout cela. Vous savez qu’indécis je feuillette souvent l’Annuaire de la Jeunesse pour trouver des positions. Depuis quelques jours je l’ai étudié d’avantage et je crois que j’ai trouvé quelque chose qui pourrait peut-être convenir si du moins vous l’approuvez. Je vous écris donc afin de vous l’annoncer et pour vous demander votre avis. Je vais vous dire ce que c’est tout de suite pour ne pas vous faire attendre : l’Ecole Forestière. On n’exige pas le baccalauréat, le service militaire d’un an est fait comme sous –lieutenant, on gagne 1500 F l’année qui suit la sortie de l’Ecole puis 200 F.

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Voici des détails : (extrait de l’Annuaire) L’école forestière est destinée à assurer le recrutement du personnel supérieur de l’administration des forêts. Les cours durent 2 ans (l’Ecole est à Nancy) et les élèves y reçoivent un traitement de 1200 F absorbé par les frais de nourriture et de casernement. Les parents doivent de plus verser au moment de la première année une somme de 1200F pour l’équipement et l’uniforme plus une somme annuelle de 600F (pendant 2 ans)(au borda pension annuelle 700F+ trousseau) pour les frais de tournées, le cours d’escrime etc.

Avant leur entrée à l’école les élèves contractent un engagement militaire de 3 ans qui confère à leurs frères la dispense. Ils sont considérés comme présents sous les drapeaux pendant leurs 2 années d’études, ils sont ensuite pendant un an sous-lieutenants de réserve etc… Les élèves sont astraints à l’uniforme et portent le sabre.

Les jeunes gens qui ont passé par l’école forestière atteignent le grade d’inspecteur (400F) vers 42 ans, presque tous arrivent à 600F, les plus favorisés à 8 et 1200.

Préparation. Les jeunes gens qui veulent entrer à l’école doivent d’abord passer 2 ans à l’institut national agronomique de Paris, ils concourent à la sortie pour les 12 places qui sont libres chaque année à Nancy. Limite

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d’âge 22 ans au 1er janvier de l’année d’administration (j’aurais probablement 2 ou 3 concours) (Le programme de cet examen coûte 0F30).

Institut national agronomique. A l’avantage d’ouvrir beaucoup de positions sans exiger le baccalauréat. Pour concourir les élèves doivent avoir 17 ans au 1er Janvier de l’année du concours (je serai ainsi l’année prochaine). Le niveau du concours est un peu supérieur à celui du baccalauréat de Math élème. (c.’à.d. correspond tout à fait aux études que j’ai faites à St Charles)

Voici les positions : l’institut agronomique a pour but 1°) de former des agriculteurs instruits, 2°)Des professeurs pour l’enseignement agricole dans les écoles nationales 3°) des administrateurs des forêts 5°) pour l’administration des haras 6°) des directeurs de stations agronomiques 7°) des chimistes ou directeurs pour les industries agricoles (sucreries, féculeries, distilleries, fabriques d’engrais) 8°) des ingénieurs agricoles (drainage, irrigations, constructions de machines) 9°)le diplôme de l’école est considéré comme une licence pour ceux qui possesseurs du baccalauréat désirent concourrir pour les emplois : 1°) d’attachés d’ambassade, 2°) d’élèves consuls 3°) d’attachés payés à la direction politique et aux sous-directeurs des affaires commerciales de la section des consulats.

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Le baccalauréat donne 15 points (max 400)- Revers de la médaille-Le régime de l’école est l’externat ; la direction indique aux familles des établissements d’instruction ou des maisons particulières pour y prendre pension. La rétribution scolaire est de 500F par an. Des bourses et ½ bourses peuvent être accordés aux candidats. 10 de ces bourses consistent dans la remise de rétribution scolaire 6 ont une valeur de 1000F et 4 de 500F et donnent droit à la gratuité de l’enseignement. Il y a des bourses de la Seine et de la ville de Paris pour les parisiens.

Voilà de nombreux renseignements, j’ai envie de savoir votre avis pour le cas où j’échouerais au Borda. Je pense qu’en tout cas on peut se présenter au 2 de même que les candidats de Polytechnique se présentent en même temps à l’école normal ou réciproquement. Pour l’institut national agronomique, on doit adresser les demandes au ministère de l’agriculture avant le 25 Mai. Enfin nous pourrons en parler à Coutances, demander des renseignements à cousin Janière. Mais avant tout je veux savoir si cela vous plairait et ce que vous en pensez. Cousine Lucile est partie ce matin à 6h moins 25’, je suis seul avec tante Marie. Madame Moulin viendra le 15 Septembre, c. à d. quand je partirai, elle l’a récrit à tante Marie. Cousin Janière est parti ainsi que André et

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Aimée. Il va être quelques jours là-bas pour régler ses affaires.

Je vous embrasse bien ainsi que tous ceux qui vous entourent.

Votre petit garçon qui vous aime beaucoup

Paul Davy

Avez-vous écrit à St Charles pour savoir s’ils voudraient que je revienne à la rentrée ? Avez-vous reçu la lettre que j’ai écrite à Marie pour sa fête le 27 ?

Lettre de Paul, âgé de 30 ans, à ses parents (cela se passe 5 mois avant son mariage

avec Charlotte)

Laval, jeudi 8/6/1911

Chers parents,

Voici terminé ce petit voyage à Paris et les vacances touchent à leur fin. Elles ont été bien chaudes ces vacances et malgré cela j’ai fait un voyage très agréable. Vous savez déjà notre emploi du temps : dimanche au bois de Boulogne où nous avons vu les Olive, lundi à Gagny, mardi à Fontainebleau et mercredi à Paris (Georges était invité à déjeuner chez

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les Boutroux). Le mardi nous avons fait une bien jolie excursion en voiture dans le forêt de Fontainebleau.

Un grand break portant 30 personnes nous a conduits dans une foule d’endroits célèbres depuis 1 h ½ jusqu’à 6 h du soir, le tout pour 3 ct par personne, ce qui n’est pas exagéré.

Hier mercredi nous avons sonné en vain chez Mr Doubreval ( ?) et chez Mr Olive. Je suis parti de Paris à 11 h50 du soir pour arriver ici vers 5 h ½ du matin avec pas mal de retard.

Lundi matin avant d’aller à Gagny nous avons été chez Melle Corner qui était absente. Je n’en suis pas autrement fâché, car je trouve la jeune fille de Caen très gracieuse. Je suppose qu’elle est en même temps une personne sérieuse. Si en outre sa santé est bonne, je ne vois pas ce qu’on pourrait désirer de plus. Si donc on lui fait des avances et si elle y répond favorablement on pourrait enfin faire savoir à la jeune fille de Paris que la chose est enterrée. On aura mis le temps à le lui dire. Mercredi matin je suis allé chez Mr Nieuveuplouvski. Il est en tournée et ne dit rentrer à Paris que pour le 16 ou 17. Je lui ai laissé ma carte. Je n’ai pas eu plus de succès au ministère où je demandais

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Mr Lucien Poincaré3. Il était en train de prendre tranquillement son café avec Georges, car c’était l’un des invités de Boutroux. D’ailleurs il ne reçoit que sur convocation.

Je reviens à la jeune Caenaise. Est-il facile d’avoir quelques renseignements complémentaires ? Et s’ils sont favorables est-il facile d’entrer en matière ? Georges m’engage à essayer de voir le plus tôt possible s’il y a chances de réussite de ce côté.

Je vous embrasse bien fort. Paul

Je ne trouve pas ici mes gants de peau propres. Les aurais-je oubliés dans ma pelisse ?

Un garçon d’honneur doit-il être en habit ou en redingote ? Quel cadeau donner à Charles ?

Je viens d’acheter un pantalon de toile (lavable) gris avec 8% des raies noires verticales (comme du papier réglé pour écrire) J’ai pris en même temps un veston

3 *Lucien Poincaré (1862-1920), scientifique et haut

fonctionnaire français, frère cadet du futur président de la République, et cousin germain de l'illustre mathématicien Henri Poincaré

Georges, frère de Paul, était professeur de sociologie agrégé de philosophie et grand officier de la légion d’honneur.

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d’alpaga gris. J’ai peur que cela n’aille pas bien ensemble et j’ai presque envie de changer le pantalon gris pour 2 pantalons blancs. J’attends votre avis.

Lettre de Paul à Charlotte pendant la 1er

guerre mondiale (3 ne sont pas datées) :

Dimanche 13 sept 14

Ma chère Charlotte,

Voilà un petit voyage qui n’a pas duré longtemps. Nous sommes déjà de retour à Versailles. Nous étions partis pour renforcer le 1er corps, mais il paraît qu’il n’en a pas besoin.

Ici nous sommes heureux de pouvoir acheter tout ce dont nous avons besoin. A Esternay comme à Condé en Brie, on ne pouvait rien se procurer. Pas de papier à lettre, pas d’œufs, de vin, de café, rien. Toutes les maisons ayant été pillées par les allemands, il ne reste plus rien, pas même des habitants. On ne peut ni recevoir ni envoyer de lettres car il n’y a pas de train poste. On se procure difficilement de l’eau, il faut faire queue pendant longtemps pour en avoir. En fait de pain, il n’y a naturellement que celui de l’armée.

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Nous n’en avons certes pas manqué, car nous avons passé la nuit à faire la chaîne entre un train de Paris et un dépôt. Je ne saurais dire combien de 1000 boules m’ont passé par les mains. En revanche nous avons vu la veille beaucoup de fantassins qui en manquaient de pain et mendiaient le nôtre. Les fantassins ont l’air un peu fatigués, tandis que les artilleurs ont l’air très dispos. Nous avons vu passer beaucoup des uns et des autres. Mais ce que nous avons vu le plus ce sont des anglais. J’ai causé avec plusieurs. L’un arrivait Ct des Indes (3 brigades), d’autres venaient d’Angleterre. Ils ont de très bons chevaux et paraissent pleins d’entrain.

Deux des wagons de notre train étaient occupés par des blessés allemands.

On va nous dire dans 10 minutes ce que l’on va faire de nous.

A bientôt

J’ai voulu t’envoyer une dépêche, mais le bureau du commissaire n’ouvre qu’à 8 h du matin. Cette nuit nous avons couché dans le grand manège d’une caserne de Versailles. Nous étions fort bien

Bons baisers à tous Paul

Sur ma plaque d’identité il y a Davy Paul 1901 St Lo 164

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Mardi 27 octobre 14

Ma chère Charlotte

Demain nous allons nous déplacer de 3 km. Nous arriverons dans une commune de 600 habitants, une grande ville par rapport au village où nous sommes aujourd’hui. Mon adresse ne sera pas changée puisque je pars avec la 21e section de munitions.

Ma dernière lettre a dû arriver plus vite que par la voie normale. J’ai eu la chance de pouvoir la donner à 2 anglais qui passaient en auto et s’en allaient je crois à Amiens.

J’ai bien hâte de savoir si tu es en bonne santé et pas trop fatiguée. Si seulement tu avais eu le temps de te reposer de ton voyage avant de supporter les émotions de la séparation !

T’ai-je dit que j’ai couché la dernière nuit au 28 r St Victoire. Je ne voulais pas m’enfermer 24 rue de Beauveau alors que peut-être tu arriverais vers 9 h du soir à 200m de moi. Mais n’ayant pas de réveil j’avais peur de manquer l’appel du matin, je me suis donc couché tout habillé (mais nu pieds) c’est pour moi un moyen infaillible de l’éveiller de bonne humeur.

Ici on se lève bien plus tard. Il suffit d’être à l’appel à 7h du matin. Il n’y a d’appel qu’une fois par jour. Il est arrivé ici aujourd’hui des artilleurs du 22e

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régiment amenant des chevaux et qui s’en retournent à Versailles, les veinards ! Je ne puis renvoyer à Versailles que mes plus affectueux baisers

Paul

Aujourd’hui 28 je n’ai pas encore envoyé cette lettre. Je pense bien à toi aujourd’hui et t’envoie un bien gros bi de 28

Ma chère Charlotte

Cette fois je t’écris sur une selle, ce qui convient évidemment à 1 cavalier. D’ailleurs si j’avais bien envie d’écrire sur une table j’irais à notre nouvelle cantine. Tout est nouveau puisque nous (la 21e section) avons déménagé hier. Je me suis trouvé séparé de 2 jeunes gens sympathiques qu’on a versés dans une autre section. La mienne est maintenant composée presque exclusivement de vieux territoriaux qui depuis le début de la guerre en ont vu de plus dures que nous. Au moment de la retraite ils sont restés jusqu’à 36h à cheval, et couchaient à la belle étoile.

C’est seulement depuis quelques jours qu’un nouveau colonel veut qu’on mette hommes et chevaux à

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l’abri dans les villages. Cette nuit donc j’étais à l’abri sur de la paille.

Ici encore on entend trotter les rats. Leur abondance tient sans doute au voisinage de la rivière qui donne aussi quelques brouillards.

Ceci est la 3e lettre que je t’écris et je désire bien savoir si tu les recevras et dans combien de temps. J’ai hâte aussi d’avoir de tes nouvelles, mais il est possible que je sois encore plusieurs jours sans rien recevoir. On se passe quelques rares journaux, mais j’ai dit rares et non pas vieux. Ils sont récents ce qui est bien l’essentiel.

Nos chefs ont l’air beaucoup plus sympathique que ceux de Versailles.

Pendant que j’y pense dis-moi le plus tôt possible quelle sera ton adresse lorsque tu auras quitté Versailles. Si cette lettre met longtemps à te parvenir, je ne sais pas où tu seras. Je suis très embarrassé pour savoir quelle adresse mettre. Si tu ne me dis rien j’adresserai désormais mes lettres chez Gustave4.

Ce que j’ai vu de plus intéressent hier, c’est la canonnade dirigée contre un aéroplane. Les bombes qui vont éclater près de lui à une très grande hauteur forment de petits nuages qui restent longtemps à la même place. 4 Gustave était le demi-frère de Charlotte.

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Quant à l’aéro, il prend vite une plus grande hauteur, et les artilleurs renoncent à le canarder.

J’ai bu hier un verre de cidre.

Je t’embrasse de tout mon cœur.

Paul

Maintenant que je n’ai plus de lettres, il me semble que je suis à l’autre bout du monde.

Ma chère Charlotte

Ce matin lever à 3h pour aller embarquer 80 chevaux à la gare des matelots. En même temps partaient 30 conducteurs et 20 servants soient 50 hommes de notre batterie. D’autres batteries fournissaient également hommes et chevaux. En tout je crois qu’il y avait 900 hommes. A la gare nous avons vu passer un train de blessés allant vers la Normandie et plusieurs trains d’hommes et de chevaux en sens contraire. Le résultat de cette énorme saignée c’est qu’il ne reste plus beaucoup d’ancien à la batterie. Heureusement il y a beaucoup de bleus pour nous aider à faire la besogne. Pour choisir les partants on a d’abord demandé des volontaires on a complété en prenant les plus jeunes. Comme je suis presque territorial, je n’ai pas fait partie

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de cette journée. Je crois qu’ils vont faire du ravitaillement.

Cet après-midi nous avons vu évoluer assez longtemps au-dessus de Versailles un beau dirigeable, français évidemment, car il n’a pas lancé de bombes. Il est vrai que ce pourrait être un anglais.

Ici on voit souvent des avions, amis je n’avais encore pas vu de dirigeable.

Pendant que j’y pense n’oublie pas d’envoyer à Mr Martin le reçu qu’il te demande.

Vous allez être bien renseignées sur le chapitre anecdotes si Georges va au lycée s’occuper des blessés, et pour peu que Marie les arrange un peu, elle nous en contera surement de drôles.

Ici il ne se passe rien d’intéressent. Après l’embarquement qui a duré jusqu’à 8h ½ du matin nous avons pris le gris (café) puis fait de la manœuvre à pied, ensuite on nous a conduits à la cuisine éplucher des pois enfin la soupe qui devrait être prête à 10h ½ nous fut donnée à 11h ¼. Si tu te rappelles que nous étions levés depuis 3h tu devineras qu’elle fut mangée de bon appétit.

Un peu de liberté puisqu’à l’appel de midi ½ me permit de me débarbouiller sérieusement ce que je n’avais pas eu le temps de faire le matin. Cet après-midi nous avons déménagé les 31 chevaux qui restent. Ils

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étaient dehors dans un parc très chic. On les a installés dans un hangar appartenant je crois à la Cie du gaz. Quand il pleuvra (comme cette nuit) les chevaux seront à l’abri ainsi que les bonhommes chargés de les garder.

Je n’ai pas mis cette lettre à la boîte hier soir et cela me permet de te dire combien j’ai été heureux de recevoir enfin hier soir 3 lettres de toi. Sans nouvelles je commençais à trouver le temps long, plus long encore que d’habitude. Merci bien de m’écrire souvent et longuement.

Je t’embrasse bien fort, bien fort ainsi que tous

Paul

Mardi

Ma chère Charlotte

Cette nuit j’ai pris la garde armée. C’est la 1ère fois que cela m’arrive, car même dans l’active je n’avais pris que des gardes d’écurie. D’ailleurs ce n’était pas bien dur. J’avais 3 factions Hier de 11h ¾ à 13h puis de 19 à 21h et ce matin de 3h à 5h. Mais j’ai eu une déception. Je pensais avoir d’assez nombreux loisirs pour t’écrire longuement, et je n’ai pas même pu t’envoyer une carte.

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Voici pourquoi c’est devant les bureaux de la préfecture que j’étais de garde. Or dans l’un de ces bureaux, un colonel avait à faire envoyer un grand nombre de plis urgents. Il a fait réquisitionner les hommes de poste et nous a occupés toute la journée ! Après une composition d’écriture en 2 lignes, il lui parut évident que j’étais désigné pour écrire les adresses. D’autres pliaient des imprimés. Ce matin je profite de ce que ces Mr ne sont pas encore levés pour venir causer avec toi et t’embrasser bien fort. Ne tarde pas à me donner des nouvelles de petite Marie et de tante Isabelle.

Remercie Georges et tous ceux qui veulent bien m’écrire. C’est toujours à toi que je m’adresse mais je sais bien qu’en te donnant de mes nouvelles j’en donne à tous.

N’as-tu pas recommencé un cahier ? N’y manque pas. Cela me fait tant de bien d’avoir toujours à ma disposition celui que tu m’as donné et d’y boire un petit coup de réconfort de temps en temps.

Je suppose que le moral des Coutançais va mieux depuis que nous sommes victorieux et que les Allemands se sauvent.

J’ai vu Gustave dimanche. Nous avons passé plus d’une heure à la recherche du gendre de Mr Chevalier, mais sans succès.

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Quelle mauvaise plume et quelle hâte pour t’écrire. J’ai peur que les officiers n’arrivent.

Bons baisers à tous

Paul

LETTRE D’ISABELLE (mais en fait collective !) LORS D’UN VOYAGE

ESTIVALE EN ESPAGNE

Eté 1969, Lloret de Mar,

La famille Davy en vacances… !!

A l’heureuse famille Teissier

Réunis sur la vaste terrasse, abritée par le linge qui sèche, aérée par le ventilateur des cuisines de l’immeuble voisin, nous jouissons des musiques variées des appartements similaires aux nôtres. Lloret de Mar bénéficie d’une plage de sable fin.

Le HLM que nous occupons est bien aménagé, la température est entretenue par un robinet d’eau chaude qui fuit. Chaque exonération est suivie d’une bousculade entre d’une part, ceux qui font la queue pour : se laver, prendre une douche, aller au WC, s’isoler pour se changer, se coiffer devant la glace unique de l’appartement…, d’autre part celui qui veut remplacer le

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défaut, au plus vite, de la chasse d’eau par une action manuelle. Evidemment, c’est le centre de l’appartement : accès à l’entrée, à la cuisine, aux deux chambres et au sus-dit lieu d’importance. Nous sommes le 4 août, et nous attendons avec impatience la formation du premier glaçon dans le frigidaire. Une interview du concierge laisse penser qu’aucun appareil de location ne peut suppléer cette insuffisance. Ne croyez pas cependant que toute la vie est noire, l’appartement a d’autres avantages, jusqu’ici pas de temps perdu au ménage puisqu’il n’y avait pas de balai. La machine à laver pourrait servir pour les mouchoirs si toutefois on pouvait la brancher. Pas question évidemment, d’y laver les draps dont le nombre était inférieur à celui des lits, ni les vêtements qu’on ramène enmazoutés de la plage ? A part ça pas de problèmes : nous vivons au rythme d’une population disparate, je devrais dire cosmopolite, où chacun ajoute ses avantages et ses inconvénients : pour le shopping, cette disparité (prélude de l’Europe unie) est un avantage qui s’ajoute au folklore déjà intéressent de Lloret de Mar.

Pour le repos, il en va tout autrement, chacun faisant son bruit à son heure ; l’appartement dominant une rue étroite et en pente, où passent de nombreux camions, cars, touristes impatients de découvrir des beautés nouvelles, notre vie se trouve ponctuée de résonnances diverses dont les moindres ne sont pas celles des klaxons

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impatients, exigeants voir impératifs, auxquels s’ajoutent les radios, les téléviseurs et divers moteurs du voisinage. Les bruits du matin se prolongeant par ceux du soir et ceux du soir par ceux du matin pénètrent d’autant mieux jusqu’à nous que la vie n’est possible que fenêtres ouvertes : Jean-Luc soigne avec patience un catarrhe tubère rapporté de St Briac qui l’isole du monde, mais lui permet de dormir. Maman a une angine qui jusqu’ici lui a sauvé la vie –à Lloret de Mar, la plage est tellement en pente, et les abords si occupés qu’on doit pour se baigner perdre immédiatement pied si l’on va réussi à passer avec succès les gros rouleaux qui protègent la surface thalassienne - Denis couve une otite, Sophie ne s’ennuie pas pour une fois elle » n’en a pas marre ». Sauf par instants 2 en 20 mn.

Nous ne sommes pas dépaysés, les pavés remuent comme à Dreux, mais rien n’indique qu’ils recouvrent un trésor. Ça nous manque ! Cette année, pas de vaisselle familiale, la cuisine supportant difficilement « une » personne. Notre dynamisme n’est pourtant pas atteint et nous nous unissons pour vous embrasser bien affectueusement.

Isabelle

Il n’en reste pas moins que 12 français sont à jamais dégoutés de la Costa Brava ! Marguerite

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Recueil de Lettre

Préambule 1

Lettres de Marie Piquois à son mari Auguste 2

Lettre d’Isabelle à son mari Jean 14

10 ans de correspondance entre Rouen et Coutances 18

1884 19

1885 28

1886 32

1887 40

1888 46

1889 63

1890 71

1891 89

1892 121

1893 167

1894 237

Lettres de Paul Davy

Enfant à bonne maman 265

à 17 ans 268

à 30 ans à son père 272

à Charlotte en 1914 275

Lettre des Davy d’Espagne 284

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Annexe : une lettre de bonne maman

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