quinzaine littéraire 94, mai 1970
DESCRIPTION
Faulkner (sa correspondance, par Coindreau), Barthes (l'Empire des signes et sur Kristeva), Benvéniste, Zabriskie Point, Roger CailloisTRANSCRIPT
a3f
Caillois
e eUlnZalnelittéraire du 1er au 15 mai 1970
SOMMAIRE
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1213
14
15
LIVRESDE LA QUINZAINE
ESSAI
CORRESPONDANCE
ROMANSETRANGERS
ROMANS FRANÇAIS
DOCUMENTS
ETUDE
ARTS
Roger Caillois
Roland Barthes
Malcolm CowleyWilliam Faulkner
Irvin FaustValentin KataïevGuillermo Cabrera Infante
Romain GaryJean·Pierre GaxieViviane ForresterYves Buin
Paul LidskyGabrielle Russier
Pascal Quignard
Wolfgang BrücknerHerman J. Wechsler
L'écrit ure des piern'sCases (rUII échiquier
Cem pirI' cles siglles
Corresp0/l(L((//ce. 1944-1962
L 'aciaigLeLe puits sacréTrois tristes tigres
Chiell bLallcGruffilesAillsi des exiLésLa N/iii l'erticaLe
Les écril:aills cOlltre La CommulleLellres cie prisoll
L'être du baLbutiemellt
1magerie popuLaire aLLem((//de.La I!ral'ure. art ma;eur
par Gilles Lapouge
par Françoise Choay
par Maurice.Edgar Coindreau
par Jean Wagnerpar Y. C.par Jacques Fressard
par Cella Minartpar Claude Bonnefoy
par Pierre du Bois
par Martin Fortpar Maurice Nadeau
par Jean-Noël Vuarnet
par Jean Selz
16 EXPOSITIONS
18 ECONOMIEPOLITIQUE
19 LINGUISTIQUE2021
22 HISTOIRE
24 PSYCHIATRIE
25 THEATRE26
27 CINEMA
28 FEUILLETON
Denis RocheRohert Latlès
.T ulia KristevaLeonard BloomfieldEmile Benveniste
Eugen Kogon
Sous la direction deFranco Basaglia
René EhniRacineJean Genet
Galeries parisiennes
CarllacMille milliards de dollars
SéméiotikéLe LallgageLe vocabuLaire desillstit ul iOlls illdo-européennes
L'état 5.5,
L "illstitution en négatioll
Super-PositionsBéréniceLes Bonnes
Zabriskie Point
W
par Gérald Gassiot-TalabotNicolas BischowerGuy C. Buys~
par Alain Jaubertpar Bernard Cazes
par Roland Barthespar Angèle Kremer-Mariettipar Françoise Bader
par Roger Errera
par P. F. Guatlari
par Simone Benmussapar Gilles Sandier
par Annie GoldmannDar .lacaues-Pierre Amette
par Georges Perce
Crédits photographiques
La Quinzainelittéraire
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Directeur de la publicationFrançois Emanuel.
Imprimerie: Graphiques GambonImpression S.LS.S.Printed in France
p. 3p. 5
p. 6
p. 8p. 9p. Il
p. 12
p. 13
p. 15p. 16
p. 17
p. 21
p. 23
p. 25
p. 26p. 27
Skira éd.Skira éd.
Cartier-Bresson, Magnum
Gallimard éd.,
Gallimard éd.
Denoël éd.
MasperoRichard Bouchara
Atelier René Jacques
Michel CenetEtienne Hubert, Point Car·dinal
Minuit éd.
Roger ViolletCarla Cerati, Snark
BèrnaudD.R.
Caillois, l'arpenteurQUINZAIN.,
Deux livres de Roger Caillois.quelle fête, et pourtant cetinfâtigable découvreur ne franchit cette' saison aUCURe nouvelle frontière, Il campe surdes positions déjà balisées :l'un de ses ouvrages décritdes pierres, L'autre, Casesd'un échiquier, rassembleles thèmes de ses livres précédents, On dirait qu'après delongs périples, Caillois a voulu dresser son bivouac,
1Rog~r \.aillois1/écrilllre de.~ pierre~
(~ ~~s s~ntier~ de la l'réal ion ))SkI ra, e<l., HO Il.
1Cfl.~e~ d'lIll échifJllierGallimard, éd. 344 p.
Non qll'il soit fatigué ,I~ "agahOluler mais il a recueilli tant ,I~
pépiles et si ,Iissemhlahles 'Ill'il,élll'ollve la nécessité de classer sonhésor. Ali premier regal'll, ,'e trésor est ,lécOlll'ertant. Il ~st fail ,lehric ~t de hroc : <les nli 1I0ux è,l,Ips scarabées, FanltHnas et leh:lIl1're.III, les fêles et les rê, es, lesrpligions 1'1 le (·el'f-yolant. laguelTe el le pape. line anthologiechinoise dite par Borges n'est paspins san~'renlle et l'on compren,1(Ine Caillois, observe une pauseafin ,l'organiser ~a cue'lleUe.
Il ,I~mellre fi<lèle Ù S\I manièremais les ohje1s qll'il examine, ailliell <l'être cellx qne Illi propo,.:elltle mon,le' on l'es 'rê,"es ,les IHllilllles',sont les oh,jets pl'o,11I its pm' sonpropl'e espl·it. Sous son micl'oscopedément les liHes qll'il a ,léjÙ "omp'lsés. El sllr ces lin'es, l'e c1assifi.'.lteur épenln se met à la hesoI!ne. Il le" confronle on les 0llpose.11 ,Iécrit l'or<lre qui les sOl'ti~nt.
11 les traite ('omme IIne "oll~l'Iion
,le flelll's. De sorte (In~ l'OIuTagemél'ile dellx lel'l~II'es. soit 'Ill'on y,'hen'he les hantises habitnelles <I~
Cailloi,.:, enri.'hies de qnelqnes jol,esses, soit qu'on le lise "'Hllmele IIll'fle, d'emploi de l'espl'it ,leCai l'ois.
C'est celle secolHle lectllrt~ qlleno:,s' l'et ienill'(lIIs pOlir lu raison(Ille C!lillois ne nous a jamais gâtésen confi,lences. Pour lu prerilièrefois, il nOlis parle de lui-même,mais que l'on n'allende pas de cetéeri,'ain' halltain, glacial et céré·moniellx un q lIelnHlqlle ~panche.
ment., Impl'llpre au lyrisme etpOllrtant SOlicieux de se dire, il achoisi nn, ehemin ohliqnc pour
transporter sa ('(Hlfe"sion. t :elle-.'inuit "omme 1111 ('hanl brouillé, non,le la voix elle-mêm~, non ,les dllls",s qll'" ,lit l'elle voix, mais plllltlt,Ips relut ions qn'enlr",t iennent ensemble les piè('es ,lu puzzl", qn'ila ,Ies"iné en tl'ente années. De (,epuzzle, nous connaissons déjà biendes 1II0rceallX mais ils sont ici réunis ~t r~taillés, (Ians I~ ,I~ssein deformer la totalité jamais aperçue.p~u Ù p~u se compose sons nosyeux la géognlphie (l'lin espl'it, linportrait en miroir ,le l'anteur.
\.e portrail est animé d'Ilne passion fon,lamentale, celle (le l'or.h'p. Taxinomiste forcené, Cailloisaurait pn (Iem~urer nn gnunmairien excellent, lin érudil on 111I logicien si une p~tit~ foli~ n'l)\'aitpas penerti SOIl penl'hant il lac1assirication. C'e't que, l'elle pas_sion fie 1'0nJr~, il l'applique il ré(luire le (Iésonlre. Il l'onsacre son•UlClII· ,les l'atégories à ce 'luiéc!'appe anx catégories el sa logi.que à l'extrav!lgant. Son œuvreesl alors sans resselllhlance. Elleénlql"e la chall"e-solll'is : les lerritoires qui attirent Caillois sontceux <lui hantent les visionnail'es,I~s I~Tiques ou les nOl't lII'nesrê,'e, inwi!ination, inconscient,monstnreux ou anormal. Mais sesIIlnyens sont ~mprllntés aux logicieus et allx posit i,'istes. De IÙ leton uniuue <le ,.:a pl'()se : IIne voixl'aisounahle pOlir dire lit déraison,l'ne j"resse gm)\'ernée, uue géométrie chargée <le jeler ses lacs elses figures sur l'informe et surl 'in(li Hél'encié.
Mendeleïev
Le heau texte sur Men<l~leïev
illustre ccII'" i(lée. On sait que l~
chimiste l'usse s'~st interrogé sllrla mat ii·re. Recensaut les élélII~nls; il a déconvel't la règle 'lu iles cOll1nHIIHle et la loi <le lellr SIlCcession, ~n fonct,ion (I~ lellr masseaillmique. Il a ainsi élahoré, parla seille 10gi(J1re, un tahleau descorps simples. (h, Ù son époqlle,cerlains (le ces C()J'ps étaieut inconnlls et (ks cases demellntient inoccupées SHI' l'échiquier. Menfleleïevn'en ,avait cure. Sa confian(~~ en laIngiqlle était ,intacle ~t Ips annéessllivantes, en effel,' on vit tout~s
les cases dn tahleall l'ecevoir leurslocataires et ces locataires - leséléments lnanqilants - avaientexactement la masse atomique an-nOlicée l'al' MeÎuleleïev. '
V()iIÙ le genre (l'affaire <fui en·
Agate œillée (Uruguay),
('hante Caillois. Il rêve d'un Men.deleïev de la nuit 011 (I~ l'ilTégulier. l\e pourrail.on pas étahlir,(Ians <les champs plus incerl.ainsqlle l'ehri de la l'himie, 111I tahleauanalogue (Iont l't-('onomie fixeraitles lois de l'imaginaire, la l'égularilé de l'anormal, l'algèbre desténèbres? Projet qui n'est passuns énlqller (:elu i qll~ Baullelaireassil!nait Ù la poési~ - ,'t nlll nes'étollnera que Caillois place Bau11~laire au pr~mier rang parmi lespoèl~s.
TOlites ces idées nous l'envoientail thème (le la collee! ion. Le heauliHe Slll' l'Ecritllre de,~ J!ierre,~
nons rappelle qne Caillois a desuperhes collect inns cie minéraux.Celle ll1ani~ n'est pas insigni.fiante. On la retrouve (Ialls heallcnllp (l'esprits <iu premier mériieet l'on pOllrrait se (Iistraire Ù isoler, .Ians celle collection que fOl'ment l'ensemhle des écrivains, lacollect ion plus étl'(lite 'lue con~ti
tuent les é('I'ivains (,(llJel'lionneurs : au hasanl, Goethe onRousseau et leurs herbiers, Lévi·Strauss el ses pensées sau\'a~'es,
Jünger et ses coléoptères, Borgeset ses hiblinlhè(Ines, f:aillois et sespie.-res. Et pourquoi ne pas utiliser celte classe d'écrivains (,ollectionnellrs en nIe (le (Iélimiter pillsjustement, pal' le jeu des (lifférellces et (les res"emhlailces, le lieuexal'I 0 .. fOll('tiolln~ \.ai 1I0is?
f:hoisissons Jiin~er. Il a destraits communs avec Caillois. Il estégalement fasciné par l'insolite,les insectes, le je,n d'échecs, lecristal ou la gue.-re. Mais lés mêm~s ohsessiollf sont soumises à fIestrait~ments opposés. Si J'un etl'autre patrouilJel1t. flans les mê-
mes territoires, Caillois ne (:èd",guère il ses fas('inations et "on pro.pos est (le soumettrc l'in('onllu aul'onlll\, J iinger opère an contraire .Il ne se porte aux confins du connuqne pour (~ontempler (Ians unesorle <l'extase, l'innolllmé.
Sur l'autre frontière
Sur l'autre frontière. Borges.Ses (~oJlel'tions sont plus rares,elles rassemhlent (les lin'I's, tlesanimaux imaginai l'es, (les th~olo
I!ies et ,les gnoi-;es. Comme Cail·lois, Borges est un logicien, maisla (Iifférenœ eRt ra<lil'ale. Cai 1J0isse saisit d'une propoliitiun qui 'Qf~
Cense la logiqlle et il lui passe lelieol de la ra'Ïson: On '(lirai.! fl"tHl
chien de herger qui l1-?aime queles hrebis (Iont h tpte ~sl un peufêlée, mais qui pa~se son t~mp~
Ù leur faire rejoil11lre le troupeap:Bor~es chemine à l'envers.' Sonhonheur est ,le traiter 11I11' formulesimple, inl'ontestahle, et (le la nÜ·
'nel', (le la pervertir pal' la ~l'âce
fl'une 10l-(ique ,plllS rigOllreuse oupl,lIs fine ..(Jne sOl'le (le Zimon,(léverl-(0n(lé. Il s'agit tians nn ('as deramenel' la déraison à la logitlue,(Ians l'autre, de faire de la 10giq~le
lin virilS fie la (Iéraison. L'un veut,réfluire le verlige à la l'èrtitu(le.L'autre pal·t (l'une eertiltlfle pourahoutir au vertige.
Il est une antre (Iistinction. Borges est un farceur et un sceptique.Son ironie (Iésespérée ruine toutefoi et tout l'onfort. Il est fascinépar la mélaphysique et la théolo.gie, mais comme il est agnosti(llIe.on conviendra <I"e cet intérêt estplutôl hizarre et assez ludique.Rien de tel chez Caillois, Il ne
La Quinzaine littéraire, du r au 15 mai 1970
~ Caillois, l'arpenteur
quitte jamais son seneux. Sousl'apparente frivolité .Ie ses collections, malgré une légère telHlanceà la préciosité, c'est une interrogation grave qu'il exprime.
Tout se passe comme si l'énergiede cette œllvre naissait ,l'ulle pani'l"e. Caillois semMe tel' rOI isé àl'idée du chaos. Pour un rien,pour une distraction, tout l'édificebâti par les hommes risque des'anéantir comme se ,Iévide un tricot mal terminé. La longue recherche revêt alors un caractè-repathétique car c'aillois se portetoujours au lieu ,Ill plus grandpéril. Il fortifie les frontières, ilcolmate les brèches, il veille auxportes ,le la cité et dès flue les armées des ténèhres font mouvement, il intervient pour rpduirel'anolllai ie ou pOllr portel' la lumière dans la nuit. Romain hienplus (pIe Grec, il consolide, il civilise, il trace des routes et lancedes ponts, il légifère.
Plus proohe de Linnéque de Darwin
Ainsi, cette pensée (l'apl)arenceant i.lristOl'j'l(ue - plus proche ,leLinné IJl1e de Darwin - n'est passans relations intimes avec l'histoire, Caillois sait que la meuaceest incessante. Il tient que la gra!lleur de la civilisation et .le l'histoire (et sans rloute pense-t-il ensecret, rIe l'Occident) est ,l'avoir,iu~ulé, par l'exercice alistère ,lela pensée, les vagues de la lIuit.« La civi/i.~atirm est une cOl/qllêtefragile, proté5{ée seuLement 1'''1'ulle mince épaisseur de verre ; illaut l'our la maintenir une vigiInnee '111i ne se lais,~e l'a.~, rem pla.cel' par le sentiment que Les avantages lentement acquis crm.~tit1lellt
une ,~o,.te d'état lIaturel. Les rn:mstres demeurent à l'affût n.
Jamais tramfuille, c'aillois n'est(lonc jamais vraiment satisfait. Ilne lu.i suffit pas que l'universsoit or(lonné et gouverné. Il veutaussi fJlle le monde soit clos etqu'il se nrnge ~u principe .lel'tmité. Pour lui, l'illimité estauss'i infJ1liétant que le désorrIredont il n'est qu'une autre figure.De cette secon,le hantise, d'autresimages renrlent compte : la tahlede Mendeleïev rassnre Caillois enprouv.ant qu'il y a rIe l'orrlre damles choses. Le jeu rl'échecs luisuggère que le monde est égale.ment limité, Qu'enseigne en effetce jeu? Il montre qu'avec une col.
lection réduite ,le pleces, on peutmener ,les I.arties innomhrahles,on peut produire l'illimité. c'etapologue peut se tra,luire ,lans laréalité : on ne doit pas s'alarmerpuce que l'imivers est un lahyrin.the inextricahle. Le jeu ,l'échecsnous apprend que celle p,'ofusiondécourageante ries formes n'est envérité qne la combinaison rIe quel.'lues éléments simples et limités.Si l'on sait .léchiHrer la syntaxedu mon.le, on s'apen;oit que ledédale ,les phénomènes recouvreen rpalité une structure simple etclose, dont seule la fér'olHlité combin<!toire est infinie. Ainsi, commevingt-q.uatre leures forment l'lesbiLliothèques sans fin. quel(luesfigures élémentaires (Iohnent nais.sance à l'enchevêtrement rIes for·mes.
Une métho.le, celle de la ,~ciellce
diu,'!ulwle. ,-a fournir lin contenudémonstratif à l'nsa!!e ,le l'échiquie~, Qn'est-ce que fa science ,Iiagonale? C.aillois propose ,l'éclairer l'nn par l'antre deux champsque la tra,lition scientifique séepare. Il ccmpare les dessins rIespierres avec ceux ries peintres, oubien les arabesques des papillonsavec les emblèmes ,les civilisationsarchaÏfrues. Ainsi parvient. il à ,Iésensevelir, sous It's classes onlinail'es .le la eonnaissance, des classesinaperçues (Jont le 1)I'emier méritet'st d'énoncer l'unité de champsséparés. Toute l'œnvre de Cailloisest ainsi constellée (le carrefoursoù se prodnisent de hizarres rencontres: l'inanimé avec le vivant,le minéral avec le végétal, la chimie avec le rêve, l'animal avecl'humain.
On a pa1'fois l'epToehé à unetelle méthode son anthropomor.phisme.", C'est le eontraire qn'ilfa,mlrait dire. Ce que c'aillois mon·tre, c'est que J'homme fait p,artierIe l'univers animal, même minéral - et 'IU'il ne s'en r1isÜnf!;neque par la raison. c'elle premièreleçon est simple. II en est uneautre, plus l'Ure. La science diago.na'e enseif!;ne ceei : il arrive lJue,leux formules homolo~ues, rlanscette com hinatoire qne constituel'univers, apl)araissent en l'leuxpoints très floignés l'lm de l'autreet en ries champs tenus pour iso·lés. Par exemple, une premièrefois ,Ians le poisson hippocampe,une ,Ieuxième fois ,lans le chevalrlu jeu d'pchecs (et Caillois estconvaincu qu'entre les fIeux for·mes il n'y a pas influence mais
coïncidence). Autre exemple: lemême .lessin pl'écis et complexeorne à la fois le ,-entre ,J'une arai.gnée de Flori,le et le masque ,lesllivinités mexicaines. De telles l'en.('ontres ra"issent c'aillois. Elles lui,lisent (Ine ,lans l'embrouillamini'-erti~ineux .Ie "l1ni,-ers, les combinaisons possibles ne sont pas illimitées puisqu'il a Lien fallu utili·sel' certaines de ces comhinaisonsà deux reprises. Le mOlllle n'estpas seulement onlonné. Il est fini.
Une tension austère
c'es hantises que nous avons essayé de dire commandent un certain stvle, ,J'ailleurs aclmirahle.Rien ,I~ vague et rien d'inutile.Une tension austère. Le poète estcelui 'lui nomme, le f!;arrlien desmots, clonc ,le la réalité que lesmots découpent et ('ont rôlent.L'ér'riture ,le Caillois fuit aussihien les images et le flou ,le lapoésie insllirée que les hl'umesdont s'enveloppent à h fois laphilosophie et celle littératurecontemporaine ,Iont Ca:llois nefait pas gran,1 ('as. Style .le cristalet .le métal, il tran..tH~, il taille,il définit, il indse, il polit et ilgouverne. Ses mOllèles sont à cher.('her du côté de Montesquieu,mienx encore chez Tac:re : 10111gne (Iure et sans havnre, parfaite,elle étincelle d'une poésie sèche et,le l'espèce rIe crépitement électri.rlue qui montre que le courantn'est jamais cOl!rt·cin~uité par ancnn désorrlre. Langue (Iont onpourrait r1ire ce que- c'aillois ,lit(le eelle .le Taeite : faite pour lemarbre et le hronze, pour l'immuahle par l'immuable.
Cette attirance pour le métal oupOUl' le minéral pose une autrequestion. Une lente ,1érive semhlecOIHluil'e Caillois vers l'les pays.:!~es de plus en plus austères, Il acommencé par étlHlier les hommes, leurs sociétés, leurs reli~ions,
leurs guerres. Puis il a accordéune place croissante au monde ani.mal, celui des insectps. Enfin,lapassion des pierres, si elle est an·cienne, tend à ,Ievenir envahis.sante. Cioran, qui a noté dansc'ai\lois cette fascination du miné.l'al, y lit I.a hantise rIes commence·ments. c"est exact, mais encorefaut·il préciser : la pierre qui séeduit Caillois n'est pas tout à faitcelle rIes commencements. Elle nedurcit qu'après le maf!;ma, aprèsl'inrli(férencié (les vrais commencements. Elle marque plutôt la fin
,lu ehaos, la prenllere signaturelisible du monde et son é,'ritlll-eori;.::inelle. Elle propose ,Iéjil, clanssa perfectinn et ,Ians snn étel'll ité,la première éilalJ('he ,le ('elle 01'·,Iollnanee ,lont 1,ll1s tarcl la 10gi'luedes hommes étendra la sou"enli.neté à la totalité de la ,'réation.
Ce système dont on peut ,Ié(,hiffrer les linéaments il tnn"ers lesmoreeaux é,'latés proposés aujollr.,J'hui est d'une arehiteclure assezmajestueuse. Cet énivain s'est as·signé la mission ,l'être m:linteneur, (·ivilisatellr. {Tn eonsel'\ateurau sens le pIns nohle ,lu mot. Est·il pel'mis eepelulant ,le mal'quer11I1 regl'et et ,le se demalHler siles ('ontraintes (11lïl s'est imposéesne sont l'as t roI' sévèœs ? Le stylemême de Caillois souffre parfois,l'un exeès de contrôle. Un riencl'incertitlHle jetterait des éclatsplus lointains .Jans ('es heaux l'ris.taux oÙ l'on a~'lIerait que passentnon seulement ,le dures clartés,mais aussi les reflets ,les hrouil·lar,ls et ,les spectres.
~ous aimons il croire (l'le c'aillois est conscient de ces ehoses,(fUel'l'les allusions glissantes lesU/-l~èrent. Et son gOIÎt .le 1'0r,Ire,sa passion rIes hiérarchies ne vontpas sans quelqne ptran1!eté. Carenfin, ,le lllPme que le hlltisseur,le ponts ,Ians la cité antique,passe pour Facri lège et entretient(Iuelque ar'cointance avec le malet les ténèbres, cet écrivain quis'acharne pal' le moyen ,les scienees ,lial-(ona les, à jeter des pontsentre les règnes, il rassemhlerl'inanimé et le vivant, "animal etl'homme, est aussi un homme riela trans~ression. A force rIe fabriquer Iles chimères, ne hrouille.t·ilpas cet ordre (lu monde auquel ilfait révérence? Un nécromant sediFsinll1le sous le législateur.
c,'est pourquoi il est licite d'eu1f'nIIre sous cette helle l'rose mollitrisée les échos et les rnmeurs ciela mer des ténèhres. Ces tentat ions, ces invites (lu délire et del'ivresse ont toujours été conte.nues, jusqu'ici, denière les ,Ii/-lueset les fortifications rlont c'ailloisa encerclé l'inconnu. Le livl'e qu'ilpublie aujourd'hui est un livred'arpenteur, il recense les forte.l'esses qn 'il a installées aux avant·postes. On voudrait imaf!;iner quec'est r1ans l'intention informuléede s'abandonner, un jour, aux dé.1ires dont ce livre dit en dépit delui.même, les fascinations.
Gilles Lapouge
L'entploi des signesPar symi-trie, c"e line eÎJt pu,,'apl,clel' POlir le JapolI, puis.CIIlC le Jilpon, en tant qu'œu"reet i-c'riture ;.dohale, y jOlie pourRol"'lIl Barthes· rriti'l"e lemênu- rôle 'lue na~l1ère l'œu,,recJe Rac'ille .Ian!' POLIr Racilll',c~onstitue la même sollil'itat ion(.. l'lare "ide mais éternellementofferte a la si;.:nifil"ation ll).l'une semhlahle lel'tllre rréa.tril'e.
1Roland BarthesL'em pire dl!.~ signe,~
Skira, éd., 150 p,
Mais sans cloute ce titre est-ilmeilleur ilont le premier mot estconllne la métaphore de la néces·llaire ledure plurielle et indiquecl'emhlée au moins trois ré;.:ionsoit se déploie le texte : l'empirf,(.Iu !'oleil levant) ainsi ronnotép·arce <lue le Japon est visé horsréférence à la révolution industrielle ; le .Iomain~ et la puis!'anceIles si;.:nes clans sa totalité ; et encore l'empire au sens raciniend'ascendant, d'une clominationpas:,ionne!le exercée par une l'ert:!ine incarnation Iles si;.:nes.
Dès le lIépart, Barthes l'rellllsain Il'avertir <IU'il refuse fa situa.tion touristique ou ethnologique.Il s'a~ira Il'un pays imarinaire :prélever un cel'tain nomhre IJetraits (( et de ('e,~ truit,~ former délibi>rémeTlt III' sntème. C' e.~t re,~ystème que j'~,}pellerni le ./a.Imn '1. Dès lors le voil:i lihre Ilechoisir dans cet IInivers oit l'emprise des signifiants est telle quel'opac·ité cie la lan;.:ue n'est qu'unmoyen sllpplémentail'e de s'yahandonner. r.es traits seront Iloncle T/'p~I,~, l'OlllpO!'é, créé comme lUI
tableau (l'a,;"embla~e, par touche!'de la hal!uette, qui, cI"êtant sur leplatelnl • palelle, montre, transporte, refait, écrit; la villc' Ol'l'absence d'adresse écrite con·traint à la cl'éation Ile traces; lepoème, intelli;!ihle, mais qui neveut rien dil'e, simple adéquationIl'un événement bref. à sa justeforme; le visage (. sans hiérarchie morale Il où la paupière des·sine l'ouverture du vide, L'attraitcie ces si;.:nes vivants est à' chaquefois si intense qne le système sem.hie n'affleurer que IUlr ac·.·illent :le centre vide Ile la ville l'envoyantà celui clu paquet qui se Ilét;loieautour d'un presque rien, celui Ilupaljuet à celui clu poème ou clu
('orp,~ «(( grancle em'el0l'pe ,ide Ilela parole ll), dans la circularitéméthodolo;!ÏC/ue exemplaire .11'l'anthroplllo~ie strllcturale. Brcf,la situation présente du lan;.:a;.:e,.Iu sens et ..Ir' l'prriture pOlir la1'l~f1exion oceillentale ouvre sou·(Iain le Japon II un déchiffrementpo!'sihle, hors la tra.litionnelle ethavarlle projection .Ie nos proprescatp~ories : la Icrture .Ie Barthesspmi,le bien à ce jour inpl!alpe.
Mais elle n'est pas une fin ensoi. r.e .Iéchiffrement qui est unetechnicfl,e cIe clépaysement, lemoven .l'un éhranlement, cI'unl( r~l1versement cles anciennes leI"tlnes )1, cie la saisie cI'une diffé·rence, renvoie en abyme le systèmede l'Occident. En lisant le Japon,11ans un Ilouhle jeu cie miroirs,nous nous lisons nous-mêmes etnous·mêmes le lisant. Le repas ja.ponais nous renvoie l'ima;re du re·pas' occiclental fi~é autour ducentre (fui l'orflonne, le palaisroyal, omhilic fantomatique de lacité à nos centre-villes redondants,Ips corps écritures à nos corpsphysiolo~dCfues.Nous sommes ceuxpour qui existe une substance cIel'aliment, lin si;.:nifié clu silence oudu poème, une âme dans le corpsau nom Ile laquelle nous échappel'intelli;.:ihilité cie la politesse japonaise 0\1 (( le salut peut êtresO/lstrait à toute humiliation,il tO!lte vanité parce qu'à ICI lettreil ne sf/lue personne ll. Ainsi, dansce miroir étranl!er nous apparaîtl'étran!!eté Ile nos structures oil leplein et le vi.le, l'intérieur et l'extérieur, le dehors et le dedansc'onstituent le thpâtre .Iu sens et.Iu non-sens.
Bnthes écrit clans Critique c'tVérité (lUe l( la vél'itahlf' (1 cl'iti'iue Il .les institutions et des laill!a~!es ne consi-te pas à les (( ln;rer II mais à les di.,:tillf{uer, II lessr'puT/'r, à les dédoubler )1. r.e quif"t fait pour le Japon: il s'a;rissait.11' .Iévoiler la Jlossibilité cl'un~
.Iifrérence .Illns la propriété clessystèmes symboliques, « la fissure~êl11e du symholique 1). Mais no·tre évocation !Iura laissé entelulreque contrairement au préceptecité, cette éc1'Îture cie l'Orient estelle-même orientée, traverséell'une préférence, ll'un jugementà tout le moins esthétique, sinonéthique, et même clavanta;re. Et,tout naturellement, la question verti;rineuse - se pose à chaqueinstant : la voie ne nous est-ellepas historiquement ouverte quimène cie l'empire cles mots à celui
Ites signes, n'est-ce point aux pay·sages évoqués par Barthes qllemène la (1 cléconstruction Ilu lo;ro.centrisme II invoquée par J acqllesDerrilla ?
On pourrait en lire la marquedans les eHorts d'une certaine pein.ture actuelle mais, de façon pluséclatante dans l'œuvre de Matisse,progressive déconstruction, fête designes d'autant mieux déscnglués desens que plus parfaitemcnt limpides. Pourtant, Barthes tente demasquer sa préférence et fliffèretoute réponse par quelques phra!les anodines, et même un peu tri·vi,ales, semblahles à des lapsus vo.lontain's. Ainsi il relè;.:ue clansl'omhre Je Japon industriel etaC'c~uItnralisé et surtont, il note llUhas d'une pa;.:e, en commentaireIIe5 photo;.:raphies de cieux jellneschantenrs à la mocle : (( Le laponl'III rI' clans la mue occidentale: illJf'rd ses signe's, comme on pc'rd se,~
c!WVI>UX, S('S dents, sa peau; ilpassc~ dl~ la signification (vid(~) àla communication (de masse). »On serait tenté de réponclrequ'après tout la fissuration clusymbolique pourrait bien être lafaçon .Iont le Japon (industrialisé)risque aujourd'hui de conquérirl'empire du monde.
Mais on pent aussi lire cefteaffirmatiou réaliste comme uneformule ma~ique : déclarer à tra·vers elle que l'empire des signesest à jamais différé et différent,que le la/mn fut une métaphoreofferte à Barthes par le dieu desvoyageurs, n'est-ce pas conjurer le
vertige du vicie Ilui monte .Iel'Empire fIes signes?
Car ce livre merveilleux est sansdoute celui oil Barthes s'est,"'ancé le plus loin flans son in.terrogation cie J'écritlll'e, oit le sys·tème peut enfin s'étoiler hors detoute systématique, Bartheséchappe ici à l'âcreté Iles écritspolémiques, à la pesanteur desécrits théoriques où la rè~le corn·mamIe cie laisser apparentes lescontnres (cl'analyser cles cas lIé·monstratifs, de forger un lexique).La collection cie Gaétan Picon pla.cée sons le si;.:ne .Ie l'hnmenr luipermettait une liberté jamais re·trouvée depuis Sur Racine', LaC'omposition p,ar touches (1), pardéroulement de notes sans hiérar·chie ni centre (on I>eut le commen·cer par les Baguettes, le Visageécrit, les Courbettes ou l'Effractioncll/. se.m), au ;':l'é de mots simplesqui ne visent apparemment an·eune profondeur, clonnent à !la ,'Ié·marche la mohilité, la préci!lion,la lé1-!f.reté et le bonheur re!rarclésclans les :restes qui si~nent le Ja.pon. Mais la séclndion rIe l'Em·pire des signes tient pent.êtreavant tout au fait que ce livre estle si~ne cI'un empire - au sen.sracinien - d'un pouvoir passion.nel, daté et localisé, d'un ravisse·ment à l'occident.
Françoise Choay
1. A quoi conlribue également - etde façon aulonome - l'image, remar·qu~blement mise en page.
La Quinzaine liUéraire, du 1- au 15 mai 1970 5
COBBIIS.
PONDANCIIS
Fa··ulkner, "'".. ",'
Par Maurice·Edgar CoindreauLe jour où. en 1946, ayant
feuilleté le Portable Faulknerde Malcolm Cowley, mes yeuxtombèrent sur la phrase suivante: «Dans les parties lesplus reculées du Mississippi,on dit parfois d'une femmeenceinte, mais plus souventd'une jument ou d'une vache:elle sera légère en août ou enseptembre", phrase où William Faulkner aurait trouvé,d'après Cowley, son titre Lightin August, je sus qu'il ne fallait p<;ls attendre de ce critiquedes jugements littéraires trèspénétrants.
1Malcolm Cowley,William FaulknerCorrespondance 1944-1962Gallimard, éd., 216 p.
On ne pouvait même pas luidonner le Lénéfice de la nouveautécar, dans le New York HeraldTribune du 12 mars 1933, IsaLelPatterson, qui tenait la rubriqueTurn ,âth a bookrvorm dans cejournal, écrivait les lil!nes suivantes: « A propos, le bruit courtque Ben IV(/'s.~on a aimé tou t particulièrement le titre d!1 nollt'eauroman de Blair Nile.~_ Li!!htAl!ain, parce qu'il amit tro;"'éau.~.\i que Light in Au/-(ust, deIFillian! Faul/mer était Ul/ titremerveilleux. C'est pm.~ible, maisévidemment Ben IVaxmn ne comprend pa.~ ce que le titre deW. Falll1.:ner signifie, all.~.~i nou.\cr()yon.~-nous obligés de révélerqll'il ne .~'a{{it nullement d'illllminfltio)l; "liv,ht" veut dire lecontraire de "heavy" et Ben feraitsagement de jeter lin coup d'œilsur l' hi.~toire d'Angleterre ju.\((Il' il ce qu'il apprenne ce ((l/(' lareine Elizabeth dit qlland l'lie sutqlle la reine Mary venait dedonner un héritier au trôned' Eco.\.~e. 1)
Isabel Patterson était une femme de beaucoup d'esprit et quitenait à ce que personne ne l'ignore, mais eHe me joua le vilaintour .Je mourir sans me .Jonnerle temps IJe lui .Jeman.ler cequ'avait .Jit Ja reine ElizaLeth. Etje crains b;en de ne jamais lesamir. En 193ï, étant allé passer plusieurs jonrs chez WilliamFaulkner, en Californie, .ie luillosai la question. Il sourit, .lit :"It's "l'r:,<' funny" et me confirma
que .t'avais eu ra]~on fIe (lonner àson livre le titre de Lumièrl'fl',Joût car il s'al!issait Lien d'unelumière qu~, Lien plus tard, ild':crira en détail au cours fIe sesentretiens avec les étudiants IIpl'['niversité de Virl!inie que troublaient un peu les vaches .Ie Ml';Cowley.
Plus I!rave, ,Ians ce Portnblf,Faul/mer, était la mutilation desPalmiers sauvages, roman double,écrit, comme Faulkner l'a dit etr~t!il, en mauière de hll!ue auxthèmes savamment imhriqués.':X'en puhlierqu 'une partie étaitune mons! ruosité.
j'Oln'ris 110nc cel te correS'lonIlance avec une c~rtaine n\l~fjdnce.Dès les commentaires ,lu déLut jet)'011\' ai Iles inexact it u,les en cequi concerne les déLuts tle FaulkIler en France. Il est Hai queMalcolm Cowley n'a jamais étét l'ès Lien informé Ile ce qui sepassait dans notre pays en matièrelittéraire. Quanll, une année, à lacleman,le de Gaston Gallimarllj'écrivis à Ilivers cl'itiques américains pour leur demaluler ,le sejoinflre à nous pour renllre hom,ma~e, en quelques lignes, à sap,restil!ieuse maison qui av'ait tantfait ponr les lettres contemJloraines, Malcolm Cowlev fut le seulà refuser en des ter;nes qui, tra-
fluits litt':ral~mpnt en {rançai.;,donneraipnt : « Je me f01l,\ rovalement de la N.H.F. '/ui, il TIIacoftnai.\.\ance. n'a .;amai.\ rien faitpour les lettre.\ américaines. ) .l~
lui envoyai alors le calalo:me enlui exprimant mes rel!rets ,I~ n'ypas voir fil!urer ses propres œuvres, et je reçus qu~lques mol sIl'excuse.
Donc, tluancl il'eti vient au lanl'pment Ile Faulklier en FraICI'e, ildil simplement : il y eut le romanI·ier AlHlré Malraux. Il ne sait pasque Valery Larbaud, avant queparaisse la préfat'e qu'Alulr': Malraux écrivit pour Sanctuaire en19:n ~vait puLlié dans CommerceXXIX: Vile Uo.~e fJOur Emilie(hiv'er 19:~:n, que la même année,la :X.R.F. avait puLlié Septembreardellt en suite à un art ide fluej'avais Ilonné il la même revue leP juin 19:H, que la préfat'e IleLarLaud pour TflIuli.~ qUI' rago"Ùe avait été écl'ite avant la préfa(,e Ile Sanctuaire, comme en témoi~ne le dernier paral!raphe:« 11 faut .mullaiter que le .mccè.~
obtenu en f)(/,:'<'s de languf' frwlçaise par cettel:er.~ioll de As 1lay Ilyinl! l'ngage ['éditeur il publier une l'er.~Îfm de Sanctuary. »
Or, il alhint que RaimLaultavant terminé cette ve'rsion et And~é Malraux sa préface, les deux
ouvral!es se trouvèrent ~n lil!lW~n mt-me t~mps pour la cours~
final~. Pour ,I~s raisons commerciales, .il" crois, Pt trios sal!~s durpste, Sanctuaire prit le d':partI~ premi~r ~t Talldi,\ I/ue .ïa!{onisesuivit de quelques mois. ValeryLarLaud, quand il insèra sa prèfaeP. dans Ce Vicl' impulli la lecture supprima le derni~r paraI!raphe Ilui n'avait plus sa raisond'ptre. Il est donc exact que lal'n''face d'Andrè Malraux lançaFaulkner en France, mais c'estValery Larbaud qui lui avait faitfranchir l'ocf'an. Malcolm Cowl~y
il!nore tout cela, mais Faulknerne l'il!norait pas el 111'~n sut toujours gré.
.J'aurais aimé trouver à la lecture de cette corr~spondanc~ l'occasion Ile Ilonner à Malcolm Cowley sinon le taLleau d'honneur,tout au moins un Lon point. Or ilm'a paru sinl!ulièrement rapetisséalors que William' Faulkn~r ensortait mal!nifi quenlent I!ramlî.Ses, lettres sont admiraLles parIp-ur dil!nit':, leur simplicitc\ leurcalme, leur dés;r de n~ pas cOIn"licIup-r les chosp-s inutil~IIJent,
lettres de I!rand seil!nellr prêt àtout accepter sauf Ile trallsilferavec' ses principes. Le ton en ehanI!e pro!!ressivement. Le ~7 o!'tobre 19.:\.5, (Jour 1lP- citerfJue cetexemple, quand Malcolm Cowleylui a!)preIHI qu'il a chanl!é( 41uhomme n eil l( l'homme» il accepte ave(~ résil!nation celle ahsurf!eeorrection de pet-de-loup en expliquant toutefois à son correspondant pourquoi il avait, à dessein,pris cette IiLerté avec la I!rammaire française, (( de l'homme »ne pouvant pas l0l!iquelllent setransformer en Doom.
I.es choses se I!â!eront plus tarll,quand, eélèLre en Europe, et surtout après le prix ~oLel, Faulknersera devenu une ri(~he matièrepour la puhlicité. On le harcèlealors de toute parI. Malcolin Cowley s'al!ite, Il va même jusqu'àporter Iles jUl!ements littérairelt.Le l:r février 194·6, il donne desconseils a RoLert Linscott quiavait eu l'e:oœellente idée de puLlier en un volume, dan::l la Mollem Library, le Brllit et la Fureur et Taluli.\ que j'agoni.~e. « JecOTltinue à m.' dem.ander, éeritil, si le choix Ifue l'OU.~ faite.~ d"roman destiné à relancer Failli..·ner .\lIr le marché littéraire estheureux. jl1e.~ doute.\ viennent des
le nloraliste
'57 ILLUSTRATIONS
Vient de paraître
Il a été tiré à part1000 exemplaires numérotés
reliés pleine peau
Jean Starobinski
Portrait de l'artisteen saltimbanque
Dans toutes librairiesVolume broché 16,5 x 21,5 cm .couverture acétatée. F 35.-
.J e me permellrai de suggérerque, dans les éditions futures decette correspon,lance, on suppri.me .lIes fautes de français, qui nesoni peut-i-tre que des fautes d'impression, que l'on ne transformepas la Paris Reviel(; en Rqvue ·dePari,~ et que l'on rende leur ~exeà ,Jeux femmes de lettres qui, l'o·mancières, se voient. appeléesromanciers. C'est. un détail maisqui a tout de même son impor.tance.
Pa!!es admirables et pathétiques. Sans emphase ni gran,liloquence. La révolte de l'hommetraqué, de l'homme qui écrivaità. son tortionnaire (bien intentionné, mais tortionnaire tout demême) 'lu ~il 'aurait voulu, sic'eÎlt été possible, ne pas si!!nNses livres eomme certains auteursélizabethains et qu'on bornât sabio!!raphie à ces simples mots :« Il écrivit ses livres et il mOIl'
rut. Il (leltre ,lu Il février 1949)
Il faut lire celle correspondance. On en trouvera rarement,l'aussi digne et d'aussi pathétique. William Faulkner le roman·cier devient Faulkner le mora·liste et y trace le plus beau POl'·trait que je connaisse de ce qu'auGrand SièeJe on appelait un honni-te homme.
ce trat'ail sans L'otre assentimentet ,;e pensais (lue vous devriez lesavoir. Il (p. 153) L'artide paruten cIeux numéros, 5 et 12 odobre195:1. Quand, lors ,l'un séjour àNew York, Faulkner se trouvaen face ,le Robert Cou~hlan quilui dem:mda ce 'lu 'il pensait deson article, il répondit comme ilavait répondu à Malcolm Cowleyaprès l'article sur Hemin!!way:« Je ne l'ai pa,~ lu, mai,~ ,;e ,missûr Iju'il est bien» (p. 154). Oncroirait entendre le colonel SaI"toris s'adressant à des Snope5.Parfois un beau chien de race sevoit suivi d'une troupe Ile petitsroquets aboyeurs qui cherchent àlui voler son os. J'en ai connu unqui, au bout ,le quelques minutes,perdait patielll:e, 'levait la patte etles asper!!eait. Après quoi, il leurdonnait un bon coup de ,lents.Ce coup de dents, Faulkner finitpar le donner, et ce fut le magni.fique article qui parut en 1955dans Harper's Magazine sous letitre On Privacy. Sachons !!ré àMalcolm Cowlev ,J'en avoir inclusune partie dan~ son livre. Il nousdevait bien cela.
questions que je me pose moi·même sur As 1 lay dyin~. Là, jene suis pas d'accord avec Faulk·ner et je ne le considère pas com·me un de ,~es nwilleurs romans.Trop de sauts continuels d'un ét.atd'â.me à lin autre. Pa,~ assez decontraste avec The Sound and theFury, les deux romans étant. desromans psychologiqlles. II
Les bras en tombent quand onlit de semblahles insanités. Lemarché littéraire ! Il ne sera plusguestion ,l'autre chose dans leslettres de Cowlev et cela amt-neraFaulkner à cha;"!!er de ton et à,lire non et non à tout effort deses tortionnaires de le tran~for·
mer en produit Ile consommationet en objet ,le publi,·ité. MalcolmCowley a une excuse. Il avaitbeaucoup fréquenlé Hemin!!wayet son optique' était faussée; ilavait pris de mauvaises habitu·des et n'était jamais parvenu àcompren,Ire que les lieux hommes ne se ressemblaient en rien.Il en était mi-me si loin qu'il pro·posa à Faulkner ,l'écrire un article sur lui, comme il en avait écritun sur le m'as-tu-vu chas5eur de!!rosses bi-tes. Faulkner naturelle·!nent dit non, ou, plus exaete·ment, il essava : (( re.~saie de direNON, mai,~ ~n dix pages de motspol.v.~yllabil/lles, parce que maconscience, mon cœllr, mes goûtset tOllt le fon:d de gratitllde 'I"eje peux en('ore at'oir, m'empê.chentd'écrire ce mot. simple etrapide. » (p, J.t3) Cowley ne luienvoya pas moins son article, d'oÙla répons!' : (( J'ai vu l'otre arti·cle .mr lIemillgll'ay. Je ne l'ai paslu, mai,~ ,;e ,mis qu'il est bon, sansqlloi l'I)//,~ ne l'ail riez pas signé.Et pOlir cettl' rai.~on jl' suis certainqu'IIemingll'ay pense IIU' il pstbon et .i' e,~père qu'il en tirera pro·fit, si tant l',~t qu'un brave homoml', un arti.~tl' pui,~se at'oir be,~oin
dl' tirer profit de quoi que CI' soit.tHais ';1' sui,~ l'Iicorl' plus convaincu(l't résolu) illl(' jamai;~ lJue celan'l'st pa.~ pour moi. JI" protest(>·rai jll,~qu'au·bollt... )) (p. 147)
Mais Malcolm Cowley était plusenti-té que ces mules que Faulkneraimait tant et sur lesquelles ilécrivit de si belles pa!!es.N'ayant
, pas réussi, il tenta de lancer dansl'arène un rédacteur dé Lifl', Ro·bert Cou'!!hlan, et il va jusqu'à.proférer des mf\naces; affirmantà Faulkner que, s'il n'àccepte·pasl'article ·,JeCou!!hlan, Lifl> « trou·vI'ra··queiqu'un·d'autrl' pour faire
. La Quinzaine liuéraire, du 1" au 15 mai 1970
ROMANS
ÉTRANGERS
Une cruauté•sans concession Kataïe'v
c'est dur. C'est cynique.C'est même d'une cruautésans concession. Pas la moindre tendresse. C'est un univers d'où tout sentiment adisparu. C'est plein de bruit- un véritable tintamarre mais il n'y a pas la moindrefureur : la fureur exige unminimum de passion, doncd'humanité. Or ce roman estun perpétuel ricanement si·nistre. Mais les éclats de cericanement suffisent à faired'Irvin Faust l'un des écri·vains les plus impressionnants qui nous soient venusdes Etats-Unis depuis dix ans.
1Irvin Faust
'UAciaigleTrad. de l'américainpar André Simon.Gallimard éd., 245 p.
Le premier ouvrage de l'auteur:Hardi les lions! publié il y a troisans, était un recueil de nouvellessur divers personnages exemplaires de la société américaine. C'étaitbien fait, ironique et cruel maisavec un, soupçon de tendresse quitempérait l'acuité de la vision. Letalent était là, mais on peut lirechaque année dans Esquire et dansle Saturday Evening Post - où cesrécits avaient d'ailleurs paru des nouvelles d'égale qualité. Rienne laissait prévoir ce roman impitoyable qui dépasse de loin la ·société américaine même si c'est cettedernière qui est la première cible.
Irvin Faust part d'un événement contingent : le refus de Ken·nedy de céder à la menace deKrouchtchev sur Cuba. La psychosede panique décrite dans le romanest évidemment exagérée et invrai·semblable, mais elle appartient ausystème d'outrance voulue par l'écrivain et elle revient comme unesorte, de leitmotiv concret à traversles multiples débordements du hél'os. Ce dernier est juif, professeurde littérature anglaise, marié, homome tranquille et sans histoire, sesphantasmes et ses désirs secrets demeurant toujours jugulés par lecadre de sa vie policée.
L'événement historique sert decatalyseur : la fin du monde étantattendue, il décide de vivre sa vie.C'est là où apparaît l'habileté deFaust. Dans le roman de Karleja :Je ne joue plus, le héros aussi dé·
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cidc d'aller au-delà de ses habitudcs de vie et il se met à dire touthaut ce qu'il pense et ce que tout len'0nde pense tout bas. Faust agitdifféremment : le héros veut simplement mettre en pratique le seulidéal qu'on lui a enseigné et vivreau rythme de ses mythes. Quelssont ces mythes? Le base-ball, lecinéma, la bande dessinée, la publiocité, la démocratie, le sexe, la fa·mille et l'Amérique une et indivisible.
Une randonnéepassionnante
Dans sa classe, il commence afaire l'éloge d'un champion debase-bail (et le conformisme de sesétudiants est tel que cet éloge estconsidéré comme la définition au·dacieuse' du héros élisabéthain), ilinsulte son chef de service et culbu·te la plus prude de ses collègues, laquelle découvre soudain son véritable tempérament. Mais ce n'estqu'un début : tout se situe encoreà l'intérieur du roman réaliste, même s'il est traité sur le mode burles·que. Alors il prend l'avion et com'mence une randonnée invraisemblable et passionnante où le présentest envahi par le passé, où le hérosincarne tour à tour les mille et unpersonnages qu'on lui a appris àaimer et à considérer comme exem·plaires. Le discours devient un mé·lange de vaudeville et de culturesubtile, l'itinéraire du héros devientune suite de catastrophes qui lelaissent pantois, et il n'a plusqu'une se~le ressource : le relourau foyer et au collège désertés.
Ccst, on ra deviné, totalementdésespéré. L'homme qui s'échappedu conformisme de l'American Wayof Life n'a qu'une issue : se plonger dans les mythes qu'on lui a enseignés parce qu'il n'en connaît pasd'autres. Or, ces mvthes sont lesproduits de ce confoimisme : le résultat ne peut être que désastreux.Quoi qu'il fasse, l'homme est prisau piège. Toute velléité de révoltese termine comme la menace rieKrouchtchev sur Cuba, par une di·lution de l'événement dans letemps. Le pire événement du monde n'est jamais qu'une péripétiesans importance : tout le reste estfabrication de mythes.
Une rigueur d'écriture
Cette destruction de toutes lesvaleurs ne va pas sans un bouleversement du langage, mais Faustest logique : de même que le monde ne peut être détruit par l'hommcsans' risque d'un isolement morteLle langage ne peut être lui non plusdétruit totalement. C'est à l'intérieur des structures qu'il va éroderle langage. C'est pendant deux centspages un feu d'artifices où brilleune écriture elliptique,prgotiquc,volontiers précieuse, pleine de raccourcis qui sont autant de trouvailles. Faust fl\it feu de t0ut bois :il utilise les titres de films (certains connus seulement des spécia.listes), les scénarios, les dialoguesdes bulles de bandes dessinées, lesslogans publicitaires.
Je sais bien que ce roman peutprofondément irriter : Irvin Faustva, en effet, jusqu'au bout de sonpropos, c'est-à-dire jusqu'au mauvais goût. J'ai écrit tout à l'heurele mot cynique. Faust l'est sansapprêt. On songe aux films de JeanPierre Moeky ou de Marco Ferreriqui ravissent les uns et font hurlerles autres. Ce qui donne plus depoids à ce cynisme, c'est qu'il estsoutenu par une rigueur d'écritureque n'ont pas toujours les cinéastesprécités.
Jusqu'à présent, le nom d'IrvinFaust n'a pas encore été inscrit surles tablettes des spécialistes de lit·terature américaine. C'est pourtantun écrivain de plus à ajouter à cette é~ole juive qui a fait couler tantd'encre. Irvin Faust s'inscrit dansles tout premiers rangs. Personnellement, je n'hésite pas à le mettreen tête.
Jean Wagner
1Valentin KataïevLe puits sacréTrad. du russepar Lily DenisGallimard, éd., 166 p.
A plus de soixante-dix ans, Valentin Kataïev se retrouve sur unetable d'opération. On lui administre . des anesthésiques et lé voilàse promenant en Géorgie, rencontrant Ossip Mandelstamm. effectuant un voyage aux Etats-Unis à larecherche de la l( vraie Amérique ll,
introuvable d'ailleurs. Heureuxpays où les anesthésiques produisent de tels effets ...
En fait, il s'agit d'abord d'unechronique qui se veut eriti<lue.L'U.R.S.S. fait l'objet d'une ironieassez mordante : le chat parlantmeurt au cours de son dressagependant la Révolution, car il n'apas réussi à prononcer le mot « néo·colonialisme ll, le cc guide » officiel,cupide, lèche-bolles nous rappellece que l'on savait déjà : tous lesrégimes ont leurs profiteurs.
En revanche, rien de plusconventionnel que la satire desU.S.A. : le fric, le problème noir,les maisons mortuaires. Tout a étédit, redit sur cc thème. Curieùse·ment, Kataïev est muet sur la dro·gue : le sujet serait·il tabou enU.R.S.S. ?
Une méditationsur le temps
Mais on aimera quelques bonheurs d'écriture, la descriptionamoureuse des paysages et de lavie simple de Géorgie. On sera sen·sible à la méditation poétique surle temps qui, tel l'anneau de Moebius, se tord, se distord, se resserre,se ferme sur lui,même, perd parfoistoute réalité et finit par anesthésier.
Ce livre mélancolique d'un septuagénaire serein ressemble fort autestament d'un vieillard pour lequella vie devient statique et qui attendla mort dans une sage immobilité.Cet écrivain qui ne fut jamaisexceptionnel trouve là des. 'accentspersonnels au point qu'on peut sedemander parfois si c'est bien levaudevilliste de Je veux voirMioussov qui a écrit cette chroni·que triste et tendre. Kataïev serait·il enfin lui-même ?
Y.C.
Cuba, avant Fidel
LE NOUVEAU
Claude Vivien (Henry James), Roger Munier (Orphée)Kenneth White. Charles Racine
, André Dalmas (Effusion de Sens), , 'Rappel: cahier 14 ' ,
(M. Heidegger: Qu~est-ce que la Métaphysique?)Cahiers de littérature en librairie et Nouveau ~rtier Latin,
78, boulevard St-Michel, P(lris-16<Le cahier : 20 F. 'Abonn;ment: 55 ./
•__.;... ...;',;..;...;.._.;.. ".J.
COMMERCEvient de paraltre
'ma. ironique et ten,lre, centré s... rLa Havane d'avant la rl~volnlion
'et sa faune :noeturne : cover.:rirlsà prétent ions hollywoodiellll!'!1,musieiens de l'aLarets, journalis.tes, photo).!raphes, prostituées ca·piteuses, et, Lien entendu, touris·les en qu(-te de spe('tades affrio·bnts. CaLrera, Infante évoquetout ce petit mOlllle de ni:rhtduLs et ,le promena,les en tor"édos sur le Lord de mer avec uneluci,lité non (lépourvue ,le noslal:rie. Bien qu'il Ile soit aw(une·ment question ,le politiqn?, ondevine à certains traits, cà et là,,qne ses "entiments à l'éWtrd .Iunouveau ré:ri,ne et ,le ses .li:rni.laires sont pour le moins m:~lan·
i!ès. Témoin cette fli!l'he à l'adres·se ll'Alejo Carpentier, « le der·ni"r romancier frnnçltis qui écrit1'/1. espagnol pour rendre la politesse à Heredia ll, ou cette remar·que, qu'on a quelque peine àcroire purement Ilhilole:rique, surle fi cuLa in à l'envers)) qui l'es·semble à ,du ru"se.
Vn beau liv!',!, en somme, ,quiéehappe à tOlite classifil'ation('omme il tout eJllLri~~:Hlement. etqu'on lit avec plaisir en dépi,t ,ludérapa!!e final. Ajoutons que l'au·teur a eu la e"~ nce de voir sonouvral-!e confié à un traducteur,le I-!rande clas3~, (lont le tal!'nt,l'écrivain, le sens inné du jeu ·demots, s'al'cordent miraculeusement à son style. AILert Bensous.san - dont on n'a pas oublié lèsBagllQulis (2) - nous offre une vé·ritable, recréation d'un texte appa·remment intrallllisihle. Si quelquejury s'avisait de l'ellonner du .lus.trI' à un art mé"onnu autant quelIlal rémunéré, il devrait couron·11er ce mérite·là.
luct/ues' Fressard
1. Gallimard, Co.ll. « La Croix duSud Il, 1962.
2. ,Me...,ure de Fran(:e, 1965,
•
et les œuvres de
Traité des TropesDU MARSAIS
Cahier 15·16
ml~ditat!on en action sur les rap·ports de la' r"alité et ,lu la'n~a~e.
Qn'on n'aille pas (,roire pOl!r:tu tant que nos Trfiis trist(,s ti1!l'/i.~
se /'p,IÙisent à une sorte ,le fat tasie oÙ la jon:rlerie le ,l'sputf' ill'intelleetÜali"me, L'auteur nOI~s
raconte aussi .les histoires, et ille fait meneillellsemeat Lien,ave(( un art ('ollsommé (le la nou·velle qui l'onfirme les qualités deson précèdent recueil, Dans lapaix comme dall,~ la guerre (1),L'hisloire .11' La Estrella, l'énor·me ('hanteuse nQire, eaehalot mé.('OI111U flu boléro, a toute la beau·té tri"te ,l'une lilélodie de jazz.Le rél'Ît de MI'. Camphell nousoffre à la fois un apolo:rue à va·riations .multiples, sur une anec·,lote plus vraie que nature, et ~ II
portrait joyeusement féroce ,lutouriste américain typique flans lep[/r(ld,:,~ pour prospeetus en cou·leurs des CaraïLes.
Tout le livre, ,l'ailleur,,, se prp.senlt' "Ollllllt' un vaste Tr.opicora.
Quant au reste, la réussite estcerlaine. Elle tient sans doute à('1' que tous les procéflés énullléré~
plus hallt sonl employés sansl'omhre fIe la moindre péllanterie,ave,' 1111 parfait naturel, à la fa~on
d'une lan~ue native en «uelquf'sorte, et presque ini!.(·numenl.L'auteur s'y meut à son aise elnous met à l'aise. Il utilise le matl~riau qui lui eon"ient et ne cherl'he pa~ à jeter de la poudre auxyenx, Rien ('hez lui qui sente lelahoratoire ou l'éf'riture pourl"~eriture, S'il affirme, à l'ol'casion, que le vTai sujel de son l'o·man ~,.;t la Litt/'rature, entpndonsque ,,'est dans la Ulf'~Sl1re oÙ ('l'Il",·
ci fait part il' inlé~ral1te 411' la v'if'fles );/'1'0"; flu'il met en scène, Ih~
mème (Pf' r(trrroclH'.I~"{!:lle Ifuidonne !'on titre il rouvra:re n'estpas nu simple jeu verhal l'fl fairmais une autheut i'lue "Olllpt ineCF Laine.
S:"nplo1llatif"lle en~'ore il ('etél:.ar,L l'elllp~oi ,lu m()nolo~ue
dans l~s étinl'elantes !1équenfesdn dèLut : la forme appart~nte estcelle .Ill monolo·!ue intérieur flansla li~née .le .lo;·ce. En fail, (·ha·que personna~e prt'!ld /a parale,tout haut, qu'il s'adresse à un pu·Lli(', qu'il réfli:re une lettre, qu'ilra(:on'e une hisloire au télép)lOneou qit'il ,e narle à lui·même. Le"dent ,le Cahre,'a Infante consiste,lrme à ,lécouvrir, a"ec honheur,une transposition lilléraire con·"'Iincante de ces différents parl('r,~ cu1Jai,ns, captés à l'ori:rine surle vif. D'Uli côté, la vie imite lalitt{·rature ou le sner'tae1e, ('ommeml le v;oit dans le « viol)) (lésopilant d'« Inl!rid Ber~ame», vé·cu dans le plus pur !'tyle (le nosC'Ihiers du cinéma; ,le l'autre,
'la littérature mime la vie pal' l'in.termédiaire d'un lan~al-!e spéci.fi,que, (lui fonl}e l':I~uvrf'. D'oÙl'importanl'e de la parodie et dupastiche. Parodie, par exemple, destaxinomies érudites, à la façon deBorl-!es (mais ,avel' plus d'exuLé·rance et sans la souveraine l'ete·nue fIe l'Ar~entin) ; pastiche, en·t1'e autres, des :rrands noms (le lalittérature cuLaine, sur le thèmede la mort de Tl'otsky (le lecteurfran~ais apnréciera au moins lav,~rSlOn ,l'Alejo Carpentier etcelle ,le Nicolas Guillén, particu.li,èremellt savoureuses). Ces exer·cices de style, dont le livre esttruffé, vont plus loin que le libremouvement d'une imal-!ination,Iébri·dée : ils nous proposent une
Guillermo Cahrera Infante,Trois tristes ÛgresTra,l. ,le l'espa~l101
par Albert BensoussanColl. « Du monùe enlier»Ga Il imard, éd., ,I():~ Il,
Palindrome,.;, l'aHi~ralllme,.;,provl'rhe" sllrréalistes «( Tt'l qui ritvendredi. robinson pleurera,»« L'Ilavanie l'st mère> ,le tous lesvif'es. »), manipulations typo~r:I
phiqlles en tonl ~I'nre, pa~e hlan"he pour la rêvel'ie>, pa~e noire ,letOlite son encre 10rs(IU'un Ile,.; héros l'hoit dans le> néant, mot,.; hif.fés, él'orchés, in n~rsés, .lé,'er ...ésil flots, en italiques ou en "api~a'
les, lacis de lapsus freuduleusement enlacés, où la « métaphysi.(lue » voisine av'e(' le « méal phy.sique» qui annonce la « sylphi.lis (le Chopin »', tout l'attirail hé·tl~rodite fIe l'universelle avant·~aTfle - nualH'é ,l'lin soup<;onIl',:tlmanal'h Vermot semLleaHlil' é'!é ré~lIli ,Jans ('1' livre, enl'ollection interminaLle et verti·~ineuse.
De .1 oVl'e à BlItor ou Co:',azar,,l~ Lewi~ Carroll il Rayinonfl Que.neau en passant par Henry ',1 i1IflT,' tous les :rralllh; sont au rende':!;·VOliS, tOlItes les influences s'entre·l'roisent, et l'auteur ne s'en caèhepas le moins du momIe, 'nom·mant ses m ..:iilres lui.même, à laLonne franquette, sOHli~nanl àplai!'ir ses em:lrunts, l'omme danscet épilo;!ue qui ..f:ollllense el ,pa·l'Ollie le hmeux chanitre finald'Uly.~,~e, On pourrait ;Tainflre lepire, l'inlli:restion, l'allel'l..'ie aud{'jà vu, l'ennui qui s'installe, ehL'en pas ,lu tout, CaLrera Infantenous tient en haleine sans désem·parer ,lnrant trois cents pa:res,l'un texte tour à tour drôle, co·c:t"se, sai irique, PO(~t ique, émou·v'ant. Iiis~ns trois (~ents pal-!es, ('al'dalis le dernier quart il faut Lienrel'onnaÎlre que les (,hoses se I-!â.tent un peu, On croit entendre lecrépitement d'une machine à écri.rI' emQallée qui (léviflerait !1alts
.arrêt les mêmes mot!1 dans tousles sens, COllllne la mitrailleuse dela florde SUllt.'age, pour pren(lre,une (le ces ('omparaisons cinéma·to:rraphiques dont Guillermo Ca·~rera Infante hit un si I-!énéreuxemploi. C'est un I-!rand art que
'de savoir s'aITêter à temps, maispeut.on raisonnaLlement l'exil-!er,l'un tempérament Laroque parexeellelll'e, .qui met tout SOli I-!é.nie ,lans la profusion ?
Là Quinzaine littéraire, du r au 15 lJUJi 1970 ,t
ROMANS
FRANÇAIS
Romain Garyface au racisme
Viviane ForresterAinsi des exilés« Lettres Nouvellcs))Denoël, 192 p.
1Romain GaryChien blancGallimard, éd., 256 p.
Quand Romain Gary se heurteà quelque (~hose qu'il ne peutchanger, qu'il ne peut résoudre,qu'il ne peut redresser, il l'élimine; il l'évacue dans un livrepour cesser J'en être oppressé.C'est ce qu'il explique lui-mêmedans Chien blanc, qui est néJ'une indignation tellement viyeque l'on se demande, à la fin, siles vertus thérapeutiques de l'écriture auront, cette fois encore, pufaire leurs preuves avec efficacité.
Chien blanc est un récit vécudont le sous-titre pourrait être« Romain Gary face au racisme ».C'est un livre d'humeur, intéressant pour cela même, où les événements se bousculent et où latral!édie est souvent évoquéeavec esprit et sarcasme. C'est unlivre lucide, nourri Ile révolte, etqui permet de découvrir unUomain Gary a s s e z nouveau,plus journaliste que romancier,brusque, tranchant, nerveux, irr:table, mais capable de b~.'lUX
él'}ns et se sentant pris entre deuxchaises dans ce monde cont?mporain qui le passionne tout en luidonnant périodiquement Iles envies irrésistibles de fuite: commedans son précéllent roman Adieu,Gary Cooper, on retrouve icil'évocation nostalgique de la(( Mongolie Extérieure)), il h·quelle Gary rêve chaque fois qu'ilvoudrait se trouver transporté ailleurs, à l'extérieur d'un mondeIlemt il épouse, é;Jillermiquemenl,les maux.
Cela commence le 17 février19é8, un soir Où les Gary recueillent Ilans leur maison de Hollywood un chien perdu, un maf!nifique berv,er allem.:md aussitôtrebaptisé Batka. L'événementn'aurait pas grande importance sice chien ne s'avérait pas, au boutde quelques jours, être un I( Chienblanc)), c'est-à-dire une bêtespécialement dressée pour s'attaquer aux Noirs. Voilà donc Romain Gary contraint une fois deplus de plonf!er dans le problème
-raci al. Or, autour de sa femme,l'actrice Jean Seberl!, s'al!itent denombreux l!roupes Ile libéraux,j,lus ou moins authentiquementi.ll·alistes, qui transforment sou-
. vent le salon en salle de réunion
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et à qui il ne cache pas son exaspération: « Je leur avais expliqué que .i'aL'ais déjà eu beaucoupdl' mal à me débarrasser du V ietnam, du Biafra, du sort de.~ 1ndiens mas.~acrés en Amazonie,des inondations au Brésil, du sortdes intellectuels soviétilJue.~, il fallait tOllt de même savoir s'arrêter. )l Mais à cause de ce chien- remis sans grand espoir à unzoo, pour rééducation - et surtout parce que la question noireavale aujourd'hui quiconque setrouve aux Etats-Unis,- Gary reprend des contacts, tâte le poulsde l'Amérique, écrit et dpcrit.
Une excellente santéintellectuelle
D'où ce livre, où l'on trouvetout compte fait, beauwup plusIh .hoses qu'il n'y paraissaitd'abord et, au premier chef, uneexcellente santé intellectuelle. Aug:~ fhs événements - et ils furentnombreux, à eette époque, depuis les émeutes de Watts jusqu'aux assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy- on sent Gary fai.re des effortsdésespérés pour ne pas se laissergagner par la _ violence, pourl'obliger à demeurer verbale:c'est ce qu'il appelle « se maintenir en laisse n. Rencontrantavec la m<-me faëilité les dirigeantsN01rs les plus extrémistes, BobKennedv ou les intellectuels améri.ca ins dont « le signe distinctif parexcellence est la culpabilité)) car(( avoir mauvaise conscience, c'estd:'monfrer que l'on a une bonneconscience ('Tl parfait état dl! marche et, pour commencer, une('muc;ence tOllt courf )), il essaiede se ménager les haltes nécessai.res pour l'organisation de sesidées. Il écrit alors: « Le Vietn:lm ('st la pire· chose qui pouvaitarriVf'r au Vietnam, mais la meil·leure chose qui pouvait arriver àl'A mérique: la fin des certitudes, la rem;se en question, lasommation à la métamorphose. Jene sais pas ce que sera la nouvelle Amérique, mais je sais quel' er:plosion noir(~ l'empêchera depou.rrir sur· pied dans l'immobilisme des structures sclérosées auxsapes invi.~ibles. l.~ A mérique sera.~auvép par le défi noir, ce challenge dont parle Toynbee, que lescivilisations relèvent en .~e transemutant.)) Devant l'hallucinante
surenchère dans la violence il laquelle on assiste, on ouhlie pre~
que l'histoire du chien; et pourtant, elle est horrible, puisqu';' lafin du livre « Chien blanc » seradevenu « Chien noir )), tellementbien dpbaI'rass~ (le ses odieuseshabitudes, qu'il ne fera qu'unebouchée .lu premier homme blancqu'il rencontrera. « Bral.'o l't nll'rci, dira Gary au dresseur Noir appartenant à la secte· des Bla('kMuslims - qui aura opéré eerevirement s;-Jeetaculaire, comnwça, au moills, nous ne .~olnntl'.~
plus seuls à nous déshonorer! »
Mai 1968. Fati~ué Ile souffriraméricain, Gary an'ive à Parispour souffrir français. En bluejeans, barbu, il se (ait matraquerpar un a~ent en sortant de d:ezLipp. Il fonce chez lui, enfile soneostume le plus distin~ué, épin~le la rosette, coiffe le « Hombur~
hat)) Ile chez Gellot, accrocheson parapluie. Retour dans larue. Les C.R.S. s'effacent, prévenant, les éludiants lancent desinsultes. Ce passage du livren'ayant pas été clairement compris par la critique, Gary s'estengagé à le rendre plus intellif!ible dès la prochaine édition.Mais où sommes-pous ? En pleinhappen;ng. « .le suis un minoritaire-né)) écrit Gàry retour desChamps-Elysées, le jour du défilégaulliste.
Non-conformisme et exhibitionnisme vont de pair dans Chil'nblanc. Mais entre ceci et cela,quelques remarques pertinentrssur la société américaine très judicieusement définie comme étantde provol'ation, ou sur la situation des Noirs - « le jeune Noir·r/.t' sait pas qu'il fait partie d'uneminorité. Vivant parmi des centaines de milliers et de millionsd'au tres No-irs concentrés dan.~ lesghettos... il en vient à oublÙ~r
complètement l'aspect numériquede la supériorité des Blancs l)
ajoutent encore à l'efficacité durécit. Ce n'est pas négligeable.On reproche à Romain Gary sonincapacité de se ranger totalement et sans réticences d'un côtéou de l'autre, l'absence de manichéisme, en somme. Cela peutagacer, en effet; mais cet aga·cement ne ramène-t-il pas au.point de départ, c'est-à·dire à celui que suscitent, précisément, lesminoritaires ?
Cella Minart
1Jean-Pierre GaxieGraffitesSeuil, éd. 160 p.
1Premiers livres de leur auteur,
publiés au même moment, Graffites et Ainsi des exilés sont corn·me ces jumeaux qui ne se rcssemb1ent pas. D'évidence, ils ne sortent pas du même œuf. Graffitesest un recueil de proses, allant dela brève notation poétique à lanouvelle, Ainsi des exilés est unroman. Pourtant, d'une certainemanière, ils appartiennent à lamême famille, comme au mêmetemps, ils présentent des tracesd'une hérédité commune.
Jean~Pierre Gaxie et VivianeForrester écrivent après les recherches diverses du nouveau roman.Sans celles-ci, ils ne seraient pasce qu'ils sont. Ils ne sont pas fascinés par elles pour autant. Poureux, cl'lles-ci appartiennent à unpaysage culturel où font égalementsigne d'autres œuvres, différenteset plus anciennes. Ici comme là,plus tliscrète chez Viviane Forrester qui semble par instant être unpersonnage de Marguerite Durashumant lei' vents humides sur les'plages de Julien Gracq, plus vivechez Gaxie qui se perd dans la mi.ture et goûte les réalités fantastiques, se révèle une secrète nostalgie du romantisme. Mais ce qui,par delà des écritures très différentes, rapproche le plus ces deuxauteurs, c'est un sens très certainde l'effleurement, de l'allusion, unfaible marqué pour les retours sursoi, les présences furtives, les absences insistantes, les souvenirs effilochés et obsédants, un art detaire, enfin. qui est moyen de désigner. Mai~ ~('s parentés se situentau plus profond et chacun a choisid'avoir son propre visage.
D'un texte à l'autre - le pluscourt, Enfance, a moins d'une page, le plus long, Libretto, en compte vingt - Jean-Pierre Gaxie passeinsensiblement du poème en proseà la nouvelle. Du moins c'est cequ'il semble si l'on s'en tient à uneclassification arbitraire. En fait, lesdifférences sont moins nettes. Toujours on entend la même voix,
Après le Nouveau roman Réseaux
La Quinzaine lilléraire, du 1"' au 15 mai 1970
qu'elle dise je. qu'elle décrive unI)aysage ou qu'elle raconte l'histoirecie Pazzi, passant paisible dans unvillage tranquille, c'est-à·dire toutaussi énigmatique que lui-même.Ou plutôt, c'est la même main la même plume - qui griffe le papier, agrippe lïnstant. rallrappepar brihes le temps perdu. Cruffites. ce sont des notes. analoguesaux graffiti, qui fixent. non par letrait. mais dans récriture. la trace(fun geste, la couleur d'un ciel. lejeu - au sens scéni({ue - d'unerencontre. et jusqu'au mouvementd'une émotion.
Un univers auxfrontières fragiles
De run ù l'autre, ces « graffites ». poèmes. descriptions ou récits - ou le tout ensemble - dessinent lIII univers aux frontièresfragiles el néanmoins repérables.Apparemment. les cadres temporelssont aholis, mais tout se joue tou·jours entre un maintenant qui estle' temps du discours. du pélerinageal:X lieux de jadis. de récoute des\' iei Iles pierres ou des sensa': iO:lsrenaissantes et une enfance. ulleadolescence. un amour perdu ctLJlljours vif. De même, il est dif·ficile de savoir ee qui est vrai, ce<lui est songe. Mais tout est réécrit,repris. transposé tandis que le nal··rateur. le poète sans cesse retrouve.penl. réinvente les mêmes chemins.les mêmes parcours et les odeursqui les ellvelovpenl. Là, sans dou·te. dans celle attention au sensible,dans ces errances romantiques quisont moyen de faire surgir les pay·sages, les personnages et leurs fan·tômes est le meilleur du livre. Sion peut regretter quelques précio.sités de style, quelques adjectifs« COI'uscants» qui n'ajoutent rienà son talent. il est certain queJean.Pierre Gaxie fait là des déhutspromclleurs.
Viviane Forrester. aussi, a legoÎlt des dévoilemcnts progressifs.des glissements dans la durée descorrespondances cntre lcs lieux, lespersonnes, les situations, les évé·nements, des promenades dans lesouvenir, des bouffées d'enfance oude passé colorant 1Ïnstant présentou se dissolvant en lui. Mais aucontraire des incantations de Jean.Pierre Gaxie, son écriture vise audépouillement, à l'économie. Son
élégance est d'être sobre. Elle n'ha·!tille pas une histoire avec des mots,
ri r;wl(' ·Forr('~U'r.
elle J,a laisse s'infiltrer, s'insinuerell iïe les mots, se développer à tra·\ers une série de gestes quotidiens.de ll:ltal.i:lIls brèves, de points denie différents.
En cf'Cet. rhistoire dl' Sarah Ma·rielle. actrice jadis célèbre, toujourscélèbre. qüi tourne le dos à cequ'elle fllt ou plutôt à ce qu'oncrut qu'elle était, pour trouver surune petite plage de Hollande unesorte de sérénité, pour retrouver SORvrai visage et meUre de l'ordredans ses souvenirs nous est contéepar plusieurs voix qui, sans cesse,s'entremêlent, la sienne et eeHesde ses amis d'autrefois ou d'aujoul"lrhui. En même, temps queI"image de cette femme sort de la
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Calmann-Lévy
Trois nouveaux romans chez Cal·mann-Lévy: La ville sur la mer, parSuzanne Prou, satire sociale et politique où l'on retrouvera les obsessionsfilmilières de l'auteur des Patapharis,des Demoiselles sous les ébéniers etde l'Eté jaune (voir les numeros 16, 36et 59 de la • Ouin,zaine "), élargies,cependant. et approfondies par' ladimension inhabituelle des interrogations qu'elle a su poser ici. Le pont del'Academia, par Pier Pasinetti, chronique romanesque qui a pour tôile defond non seulement le 'quartier deVenise qui lui <lonneson titre. maisaussi la Californie, et dont le projetnarratiJ vise et réussit à briser lescadres traditionnels dans une optique
mythologie cinématographique et serecompose devant nous, comme lafigure d'un puzzle. la petite villede Scheveningen, d'abord anonymeet neutre, simple décor de sa nou·velle vie, se révèle et révèle sonpassé, ses fissures nées de la guerreet que rien ne peut combler.
En fait, à travers ces voix, cen'est pas seulement l'h istoire deSarah Marielle qui, du village d'enfance, proche du lieu où elle tournason plus grand film et connut sonplus tragique amour jusqu'à la plage désolée et monotone où elle s"invente de nouvelles racines et sereconnaît enfin elle·même qui sedessine et s'impose, c'est en filigrane, l'histoire de notre monde.bouleversé par la guerre, hanté parle souvenir des horreurs qu'ellesuscite, par la nostalgie d'une innocence perdue.
Tout ici s'inscrit dans les jeuxdu rappel et de l'oubli, de la quêteet de la fuiie. Et tout s'inscl'it éga·lement dans ce paradoxe : vou!antfuir dans le souvenir, Sarah Ma·rielle se rapproche de son innocenceprimitive, et finalement se retrouve,cherchant roubli et voulant créerautre chose. Ses amis. ou les ha'litants de Scheveningen sont au con·traire repris par leur passé, s'avancent vers l'enlisement ou la dé[~ra
dation. Ce double mouvement, Viviane Forrester a su moins le dé·erire que le suggérer, avec un senstrès juste de la nuance. Derrièreles gestes de tous les jOli rs ou desconversations banales, elle revèledes abîmes. Désormais, il faudracompter avec elle.
Claude Bonlll'foy
qui s'inspire de la révolution joycienne.L'Apocalypse écarlate, par Victor Gardon. qui est à la fois un poème lyrique,un récit épique et un témoignage sur('univers des réfugiés arméniens. installés à Tiflis pour échapper aux massacres des Turcs.
Ed. du Seuil
Sous le titre de l'Etudiant, parait auxéditions du Seuil un inédit de Mi.cheletd'une • actualité surprenante" ainsique s'en explique Gaëtan Picon dansl'essai qu'il lui consacre et qui accompagne le ,volume:,. Michelet et la pa·role histo~ique", L'Etudiant regroupel'ensemble des cours que l'historiencontinua à rédiger pour son p(oprecompte lorsque, après les événements.de ,1848, il fut contraint de quitter leCollège de "France. '
1Yves BuinLa Nuit verticaleGrasset, é(l., 174 p.
Un lonl! reeJt aux sonorités (li~
('rètes, pr~squ~ assourdies, haletant lhns ses cheminements l'OUterrains, en\oÎltant l'lus que sé41uisant, semblable (lans sa morephol0l!ie à des fonds marins. ()ue~on accès soit r~ndu malaisé par\'usal!e .l'un (Iollbl~ j~u d~ for·mes typo!!rarh;qnes (pleine pal!eet colonne) n 'enlève rien à s~s
qualités l\'intelIi~eJlee et (le poésie. Yves Buin, qui a 1';I1~tru
ment d'une belle lanl!u~ a(~êrée
comme du silex, aventure son (liscours littéraire silr le terrain desdiva~'ations, des « aberrations (lesfacultés mentales H, savammentmaîtrisées, ordonnées suivant deslois qui relèvent bon I!ré mal I!rédn calcul de~ l'robabilité~. \-ar. il;nlrtir (le sepsations, d'impressio.ns, de réfle" :ons provolJnéespar le choc ressent i à la vue, à lalecture et à l'écoute d'~'uvres despeintres Frani': Marc et Marc 1'0'hey, du poète Georl! 'l'rakI, (lujoueur (le jazz Charlie Parker ettlu eompositelll' Anton \Vebern(toutes œuvres unies par un mê·me lien s~eret), l'écrivain écrit,prodnit un te':te aux sounlesbeautés qui semble traduire end'autres sil!nes - ceux de l'éeri·ture syncopée - les phrases, lespalpitations, les rythmes d'unepartition de jazz.
D~ lonl!ues I!ammes ehromati·ques qui monlent (lu hleu aupourpre et de,~('elldent llu noir aublanc se eonju!!uent avec ll'ato·nales arabesques musicales. A vraitlire, l'art Ile BlIin tient en cequ'il Illet il eO'lt ribut ion tons lessens. La Nuit verticale e~t le ru·b~Hl eluel!istreur de leurs manifes·tations. Point n'est besoin (le semunir d'une clé Ilour entrer flans('~s areanes. Buin le (lit lui-même,il fait du sens avee du non-sens.Aussi son cheminement ressemblet-il il un parcours en forêt vier!!e- quantI le chasseur ouvre àt'oups (le maehete (les pistes quise referment aussitôt sur lui,quand, s'étant trop profontlémentenfoncé (lans l'épaisseur des tail.lis et (les lianes, il e~t contraint .lereven i r sur ses pas (lesquels?).Sous J'apparente raison .les motscoule la déraison (les motivationsqui ont (léclellché les réactions enchaîne du phénomène .le création.[,a Nuit verticale est l'itinérairesensé (les investil!ations, des é~a'·e·
~Il
Les écrivainscontre la Commune
ments hors du temps et du sens.Yves Buin, qui procède par jux.tapositions, voire par télescopagesde phrases courtes, comme pas·sées au laminoir, donne librecours à ses musiques intérieures, àses fantaisies impromptues quise rencontrent dans un concert deréminiscences. Le texte, qui semble apparemment sour.dre par laseule vertu de l'écriture ,automatique, obéit en fait aux flux dela vie inconsriente. Un étranl!eréseau de connivences lie les 1I1ul·tiples personnages qui l'habitent.Leur llénominateur commun setrouve être une ville, Salzbourl!,où se passe l'événement (lequel?peu importe, l'essence du dis,cours est ailleurs). '
Salzbourg, que raconte, que faitexister dans sa chair (morte ouvive) une jeune femme, juivepolonaise anonyme, absente enfait et qui n'est là que pour axerles dérè~dements du récit, est leli,èu d'élection du poète Trakl.Rien n'est fortuit. La nécessitédi,cte à Buin son inspiraÙon. Epvérité, le titre parle de lui.même,qui accole deux concepts de pri.me abord inconciliables mais semarient dans un beau fracas (10·
décaphonique. Il dit la finali,té dulivre. La vnticalité qui.. surdéter·mine la nuit, l'ouvre sur le vertige, l'élève, elle qui est ombre,lieu de tous les possibles, à lallimension démiurgique.
Par sa coufiguration, le l'ecU(comment le qualifier autre·ment ?) fait penser à un spectrequi opère un choix parmi lesrayons lumineux pour ne garderque ceux qui satisfont à ses condi·tions, en les déviant, en les transformant. Il est à la fois un avecl'auteur et autre. En même tempsqu'il s'él'l'it, s'écrit son histoire,L'érriture fait (~orps (I( s'incar·ne ») avec elle·même. Elle est sonpropre destin. Buin n'est plusque le label d'un produit qui, sesuffisant à lui.même, se consti·t,uant en république autareique,ge conserve de lui que son nom.Le récit efface le récit, il se remeten cause à l'instant même oÙ ils'affirme. La parole, dont Buinse délivre, est dérobée à eUe·mê·me" à sa fonction première decommunication. Le mot excède lemot. Il s'évade de sa sphère dedésignation, s'érige en objet tota'litaire. « Le moindre de vos mots,dit la voix de la Nuit verticale,est un absolu, un lieu de vérité il)'dépassable. » Pierre du BoÏJ
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1Paul Lidsky ,Les écrivains 'contre la ,CommuneCahiers lihres, 167·168.Maspero, éd., 180 p.
Issu, ll'un diplôme d'étudessupérieures de Lettres, cet ouvragese propose de mettre en lumièreet d'expliquer l'altitude (les écri·vains de 1871 qui, à quelquc~
exceptions pl'è's (les plus ilIustr('~
étant .Rimbaud, Verlaine, Villiel'sde l'Isle·Allam et bien entenduVictor Hugo)' se déchaînèrent àqui mieux mieux contre la'Commune, pendant comme après,
Avec Hne pl'Obité parfaite,l'auteur n'avaJ1(~e rien qui ne soitétayé l'al' Iles textes «Iont il a'déniché la plupart dans la corres·pondance Iles intéressés ou dansdcs articles de journaux, et l'onsOl,ffre Ile voir Théophile Gau·tier (le doux Théo )', Alexand,'e Dumas, Flaubert, Leconte deLisle, Zola ou'Georl!e Sanll expri.'mer une rage, une haine d·'tineviolence stupéfiante!
Les moins féroces sont Gobi·neau, les Goncourt, qui (et c'est uncommencemellt d'explication) ontvu des scènes ou' vécu, commeCatulle Mendès, à Paris au milieudes' Communards. Gobineau mon·tre le cortège des prisonniers« n'ayant ni dormi ni reposédepl/.i.~ dix jours» « frappés enroute par le soleil» et tom·bant « foudroyés sur les bas·côtés du chemin, On a amené deilxcharrettes pleines de ces morts, » Ily a vu « des femmes en. quantité,des jeunes filles de quatorze à quinze ans» sur lesquelles les hussardsde l'escorte « frappaient à coups'de sabre », il note la foule des,spectateurs applaudissant, riant,« charmée » de voir « fendre latête d'un homme qui n'avançaitl'US »). Il rlécrit une «( dame res·pectable, son livre de messe à lamain» et qui donne de l'argentà un soillat parce qu'il a « expèdiéd'un coup de baïonnette un enfantincendiaire ».
Catulle Mendès a assisté à larépression sur place : l( on amèneft!S Fédérés vingt par vingt, on lescondamne; conduits sur la place(du Châtelet) les mains liées der~
rière le dos, on leu.r dit « tournez·VOliS». A cent pas il y a unemitrailleuse; il.s tomb(mt vingt,l'ar vingt, Méthode expéditive.
'Da,ns une cour, rue Saint·Denis,;il Y a, une écurie rerJtplie de cadao,
Dessin de Gustave Doré.
V"I'S. J'ai VII cela de me," proprl'syeux. »
Et c'est cela qu'approuvp-nt, quiremplit d'une joie furihonde deshommes de lettres, rles poètes.Un Vigny qui a écrit '«( Chatwr·ton», un Leconte de Lisle quiétait socialiste, une George Sand,auteur du Compagnon du tour deFrance.
La désillusion qui asuivi la révolution de 48
Une des grandes raisons de cellerage sanglante, J'auteur Ja voitclans la désillusion qui a suivi larévolution de 1848. Romanciers etpoètes avaie':'t en général épouséavec plus ou moins d'exaltation lacause (lu peuple en qui ils voyaientl'ennemi du bourgeois, ce bourgeois, leur seul lecteur possible>,et qui ne les comprenait pas. Touspensaient alors naïvement (etorgileilleusement) ( qu'il suI/itd'aller aux masses 'et de leur direla vérité pour que celle-ci appuraisse lumineusement». Or, lesmasses fermèrent leurs yeux etleurs oreilJes à J'élite intellec·tuelle : 5 millions de voix pour,( le neveu rle J'oncle» en 1850,18.000 à Lamartine. Oubliant que,aux yeux du peuple ils faisaientpartie eux·mêmes des bourgeoiset qu'entre lui et eux s'était creuséun abîme en juin 1848, ils pensè.rent que (( l'Action n'est pas lasœur du Rêve », se replièrent surleur rêve, sur leur art et leur Tour
(l'hoil't', se méfiant désormais cie(~ette (( race d"esclave.~ qui nI' peutvivn' salis bât et sans joug»(Maxime Du Camp).
.Mais celte attitude, possible enpério(le de calme, les fera tt'éhucher au premier vent de l'histoire,et tomber, l'épouvante au cœur,au sein de la forteresse bourgeoisequi les défenclra eux et leurshiens, sans les{Juels ils ne pOUl'·raient se livrer à leurs chèresoccupations, à l'abri de la racailJe. La Commune et Paris serontle mal, Versaillës et l'Armée serontle bien et selon une lliall'diqueconnue, leur langage (lem' grandearme) sera à la meSUl'e de leur('lIpitulation intérieure, c'est·à.(lire d'une bassesse incroyable. Le,.Jlapitre IV du livre, consacré au\'ocahulaire des auteurs anti.communards serait comique s'iln'exhalait une puanteur de sang.
Un chapitre qui ne manque pasde saveur est celui qui fait desrapprochements entre mai 1871 etmai 1968. Citant les journaux, lesdiscours radio(liffusés et télévisés,il souligne l'identité de réflexes(les couches con<ervatrices de laSociété. De même qu'en 71, il nes'agissait que de ( brutes sangui.naires » menées l'al' des( voyous », par des « étrangers »et qui « crevaient de jalousie »vis·à·vis des Bourgeois, en mai 68,presque toute la presse se refuse enchœur à prendre en consirlérationles causes réelles, c'est·à·dire poli.tiques et sociales, de cet immensemouvement étudiant et ouvrier.C'est « une fièvre obsidionale »,une (( maladie », une ( gangrène »,
un ( virus », bl'ef quelque chosede passager et d'imprévu, le seulproblème étant cie trouvt'r le mé·dicament approprié pour que lemalade retrouve la santé et le sou·rire. Il y a des harrica(les, desgrèves monstres, on en minimisela portée en les attribuant à desfauteurs rle troubles, à de;; COol·plots internationaux, ou à la pè.gre. Chose curieuse, la même musique est chantée, et à pleine voix,par « l'Humanité » qui se distingue par une hystérie aussi sauvageque celle des écrivains en 1871. Làoù la bourgeoisie plus sage em·ploie dans son langage surtout lebouclier, le P.C.F. fulmine, met·tant en évidence un conservatisme{le gauche aussi lourd et plus sus·ceptible que le conservatisme dedroite.
Livre à lire et à méfliter.Martin Fort
Pour Gabrielle
l'
P.S. - L'éditeur de ce~ lellre~ n!,u~'
fail indderrimenl savoir que le pro.duitde. leur puhli,calion doit rev.enir l!J!1I'enfanls de Gabrielle Ru~sier,
quoi elle l~royai t s'~st effOlulré.Sur l'et amas de dèeomLres ell~ vaplacer son cadavre.
Histoire momie s'il en fnt, elexempla"ire, qui méritait Lien leslarmes d'un président de la République. « Compremw qui vou·dra ... », le vers d'EIÜan! visait(( une fille I!ahnte » (le l'ocf~upa
tion, une malheureuse toncJue dela LiLération. Victime pour victime, il est également on ne peutplÙs moral que la suici(lé~ ait reçuce eoup (le pied de l'rIDe.
Maurice lVaileau
((Les grandes vaguesrévolu tionnaires"
collection dirigée par Mautice Nadeall
une image, agrandie jusqu'au mythe, de l'homme d'aujourd'hui quela violence tourmente et fascine, ·JacquelinePiatier. LE MONDE uristyle haché, violent, rapide, d'une remarquable efficacité narrative.Bernard Pingaud. LA QUINZAINÈ LITTÉRAIRE
Cher point du mondé
.' ..
Les Lettres Nouvelle~
nir de"aill d'autres jUl!es. L'insti.tution nommée Education natio·nale entreprend cie se déLarrass~r
(le la breLis lf.aleuse. Alors, Ga·brielle pren~1 pellr et s'affole. Sonamour sali. elle·mêmé réputée in·fi'tme, privée lIe ('e qui pour elle aété toujours plus qu'un gagne.pain,l'exereiee (le son métier, se vovantoblil!ée cIe ('onfi"er à l'Assist.~n:'ecIeux jumeaux Ile six ans qu'elle aeus cI'un mal'ial!e précol'e, son('()ural!e l'aLanIJonne. Elle. n'aplus la force de vIvre en Lête marquée llans une ..·société qui la consi.dère cOll11lleanormale. Plus en·l'ore: elle ne ·croit· plus, sli pei'llepUTl!ée, "à'1a possiLilité de repartirI)our ljne 'nou.velle vie. lout ce ·à
sa eollèl!ut' Pt, très tôt, il l'avaitdis: inl!uée clu lot. Son sérieux, sasoif dt' ('onnaÎtre en allant aufond des l'hoses, la présence enl'lit' ll'une « ('prtaine exil!elH'e intc"rit'ure qui pouv'ait la eonduire ilIPle ét raul!e forme de clépassenient de soi» (el qui venait sansdoute dt' sa formation protestante), nl'.lis aussi « ('e qu'il ya'ail de refus, de défi cahré elparfois de prOHwat ion en t'Ile nIlli font évoquer l'Alissa de Gide,Antil!one, une héroïne d'Anto·nioni. Ces référelll'cs lillérairessont de mise à pr<.>pos de quel.qll 'un - t't l'~lte l'orrespondanl'een (-.lit foi - qui s'était mis entêlt' de délllentir l'affirmation deHilllLaud : (( la \Taie vie est ab·sente n. Moins uaïv'e, moins éprised'absolu, plus sOUl',c-use de ('1'
qu'il faut el ne faut pas faire, GaLrielle eÎ11 pu ('ouler Iles joursd'hypol'l'ite Lonheur avec son jeu.ne amant. Au lieu de cela, et portéeil l'e (( dépasst'menl d'elle-même»par la val!ue de mai qui la faitvivre en ('Omlllllllauté de penséeet cie sent iments avee ses élèves,elle conçoit sa passion comme uneétape vers l'elle « vraie vie » qui,durant quelques semaines, semblaità portée de la main. En se disantheureuse, elle d(:'fie les pharisiens.Quoi d'étonnant il ('e qu'elle soitell1!lorlée dans le reflux?
Jelée en prison, son rêve l'onti·nne de l'h:lbiter : « Di,~.moi, éc'rit·elle il un de ses amis, (lUi' 1(' ,~()l('il
l'\:i,~tt', tl'W la vérité 1'1 la purl'té,~()III dl' Cl' Tllund!" '1'1t' .il' n(' rêl'ai,~
pas ... ». La voi('i devant le triLu·nal et son histoire cie nouveau éta·lée en puLli(:. Elle ne bronehepas. C'en est trop. Le pro('ureurestime qlle la peine est trop lé·gère, (j'ue la condamnée doit reve·
Sans doute v a·t-il quelque('hÜse ~Ie I!enant ~Ians une tellepubli('ation; et de plus I!ênanl en('ore il "pn~er qu'elle va de"enirun sU('('ès. de librairie. C..rtes, laI!ralHI .. presse s'en ..st tenue I!éné.ralement au niveau lill fait di,:el's~('al\4laleux. Pal' ('ompellsatiOl'I,fallt·ilfail'c d'Ilne jeune femme~Iésespérée une sainte de l'amour,une IH:'roïne et une martyre '?
Entre le fait divers t~t le mythe,Raymon~1 Jean, prt"sentateur de~~p!te ('ollrte mai~ illtense et bOIlleversante ('orrespondalll'e, a trouvé le ton jnste. A' l'indil!nat ion,au "athélique, il l'exaltati(m, il apréféré l'analyse fond(',,, sur unsolide ~ens des réalités de la vieet sur le ·sens, moins ('ommun, de('es ('omposantes ('ontradidoiresqui forment le ('adre de noIreexistell('e sociale et ~l"i (lissillllllent, pour les poissons a"eul!lesqlle 1I0llS ~ommes, l'élat de kll'harie dans leqllel nolis vinll\s, (:equi a droit de ('ité dans les li, re .. ,('e l'Jlli est ma;!1Iifié dans la poési .. P.I le rOlllan : l'amOllI' d.. deuxêtres libres, ({;abrielle et C'Jris.tian l'étaient et en· s'aimant nefaisaienl tort il personne) n'e ..1aU('llIIement toléré par une sociétéqui l'l'fuse de ('ollfondre la lillé·r:llure ave(' la vie. Toléranle enapparence ,;euleml,nt, par la mar('he normale de ses institutions,sans tapal!e el sans ('olère, anonymement, elle ft"taLlit le l'ours na·turel lies ('hoses, lin moment perturLé, (:'Iimiile les I!êneurs. EUe al'assentiment de tous l'es (( -honnêtes vens » dont parle Prévert etqui, en l'ol't'Urellee, d'lin pro('ul'l'Ill' (( :lOlInêle» il d'(( honnêtes('ommunistes » de parents font lachaîne pour éviler (!Ile ne I!al!nel'inl'endie. L'arl!Umenl sans répli.(/Ill' (Jui a tué GaLrielle Ru,.;s'errelè\'e (le ('e,; I!énéralisat ions im·bé('i les llont est prod il!ue lafameu,;e ."a!!es.. e des nal iOlls ': (( Et,~i l()lI,~ le,~ flr()fe,~,~('"r.~ .~e TI/./'l/rrÎl'1l1
ri ('r",('llI'r (("('(' It'''r,~ (;lt~J'('s... »
Précisénll'Ilt, "Raymond Jean,avel' un tad et lH1e ~Iéli('atesse
iufrn:s, monlre en quoi GahrielleRussie,.. était un être partil'ulieret l'e fJu'ayait d'unique son (( aven·ture» aV'e(' le jeune Chr:stian.Ravmollli Jean avait eu GahriellepO;lr é)èn~ avant qu'elle llevienne
1Gauriel1e RussierLellre~ de pri~oll
pré('é~lé de (( Pour Gabrielle»par Ravmon~1 Jeal!.Ed. du Seuil. 144 p;
Lu Quinzaine liltéraire, du 1" au 15 /liai 1970 :13
ETUDE
Sacher Masoch
'La Quinzaine,11t-"
43 rue du Tempte, Paria •.C.C.P. 15.551.53 Paris
1. Gill('s De!('U7.c_ Présell/a/ioll cle SIIrlwr MIISO,." (avee (1' lexIe inlé~ral dl'là \'1~IlUS à la fourrure). Ed. de Minuil.1%7.
gOISSC. s'institue par le fameux('olltrcll. Le contrat instaure dumoi la dépossession. la souffran;'l'heun'use (li masochisle .. ), par« une parole C/iJsolUlIIl'lIt clCJIlllée ".Dans la figure qu'il donne dul'ont raI. Quil-\nard fail entendre queli Il' conlral supplée la lransgres"ion .. ct. par là. il silue MasochaU-llelà des grandes provocationssl'xUl'lIl's Ilui de Smic à Balaille scdonncnt comme lransl-\rcssives ouIc demeurenl malgré ellcs. L'idl;l'force (cl là. I)Cut-i:lre. un paralli'leavec Gilles Deleuze devrail êtremainlenu. malgré cc qu~en dit Quinard lui-même) est <lue. de la mortde Dieu nail une d~sinlégralion quistipule l'ers le cUlltrat. Mais ce,au-delà de la visée de la transgression_ car (1 MC/soch est hors el'ulletelle l'ISl'e: ~a reiC/tioll illtl'relittrclllsgressioll_ Ll's rd~t iOlls sacrées.le.~ 1'//rois théoLo~iques. LeseléclalIIC/tiollS de la IIwLéeliction se sont1·I/CJllelré('s. De LC/ III or/ de Dieu'WÎt La désilltégrC/tioll. La lIulI-/i:wtioll elu pire... »
Depuis eNte désintégralion, laparole du halbutiement suscite laloi qui la soumet. stipulant versle eonlral - comme l'œuvre peutêlre.' vers une forme à la foisconlractée et contractuelle qui laplie et la l'eplie sur elle-même.
j eU/I-Noël V llUrllet
-.:rit un abo_tD d'un an 58 F 1 Etranger 70 F
0, de six mois 34 F 1 Etranger 40 F
'règlement joint par
_0 mandat postal a chèque postal
o chèque bancaire
Renvoyee cetle carte à
Il.~'
vm.Da.
rlr », dans un texte comme éeritsur une' bande de Moebius ct l.1uitoujours à la périphérie d'unanneaU déecntré. rép<-lc cl prél'isc.effaee sans l'effacer son origille illlpossibll'.
Dès lors. pounluoi nc pas citerpour dire Qui~nard œ que Quignard dit de 1\1asoch'! « Le l'es·sort des œUl'n's' dl' Mc/SO(-[, l'st lC/répétitioll. LC/ métC/phore... ('(' quituurlle ll'.~ pages à lïlltérieur destextes cLl' Masoch. l'st {"attl'Ildre.le sl!spelle/I! à tuute répétition...ALors Les poillts Ile suspellsio/l oÎt
soure/ent e/ se pere/l'lit ('ette non/illité e/e la pC/roll'. et ce/IOIl-Cll'{>111'111 l'II t ell! sile/lce. crIl/te /C/rolll'xcl'ptiulI/teILe. /1I/1lC'lIt le bC/lbutielllellt ci rexpl'('/atioll ... » Nouantle parler et l'angoisse. le line nefait pas « revenir ». scull'mentl\'lasoch mais aussi dan's une certaine mesure la violence feutréed'un B1am'hot. la violence fraeturante d'un du Bouchet.
l\1ais. )luisl(ue Masoch nous faitpenser Véllus_ /lmrrures. crcwaches... qu'en esl-il, scion PascalQuignard. du masochisme directement (sexuellement) envisagé '?Lorsque la mort devient mère,Masoch (C au plus près de la mort,l'éloigne et en rel ranche la possibililé. la violence nue. Il s'agild'avoir femme comme la vie procure une mère, une mort il quoiL'un s-a//iLie ». Celle affiliation,Ilui est unc ruse renversanl (oudifférant) l'expeC'lation de l'an-
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« Qu'Cil. l'st-il de la pIaille'! LapIaille est ill/illie. Elle n 'est pasLa ml'sure du regard. au regarddu projet... n'où si La pLaille estma m('re. si 1/1(/ l'OÎ.1; l'II est déLéguée. si l'Ile est excès et /11/11·
totalité. FerrI' l'II elle: y ètrl' àlïlltérie!:.r exdut CJlte F~~ a(mrde.y mel/(/('e le pire : le continu. leplI r OUl'er/. la m or/. là oÎt rèt reest de Il'c~tre pas JE. ilÙ sïllClil'iduer s·éparpille., oÙ tout resollllemais de perSOIlIlI'... »
Par de telles concrétions métaphoriques. l'éeriture se distribueautour de quelques imal-\es centrales ou quasi-thèmes (lu pLai/H'. lI'doublet CClïll-jésus. La siri>lIe et lemiroir /c~/é... ). par lesquelles ne setrouye pas désignée l'œuvre deMasoeh. m'ais dans lesquelles celleœuvre devl·ail. au meilleur cas.revelllr.
Un tel revenir (et revcnir autre)caractérise une recherche <lui eslsymptomatologie, mais surtout volonté d'inlerprétation. parce qu'ellerompt avec lous les crilères del'ohjeetivité cl >'e manifeste commeeffort d'invention créatrice. Ene!Tel, celui qui tienl la plume invente le visage de son précurseur(Masoeh), invente celle originedont nous savons bien qu'elle estet qu'elle n 'est pas. Car s'agit-il,au fait, d'un essai sur Saeher Maroch '! L'Etre dl! balbutiement.c'est au>'si et peut-êlre surtout lefait de « chânter. balbutier, mou-
1Pascal QuignardCEtre du baLbutieml'II tEssai sur Sacher MasochMercure de France éd., 191 p.
Dans ravant-propos du livrequ"il a consacré à Sacher Masoch(J). Gilles Deleuze écrit : « Il sepeut que La critique (au sells Littéraire) et la clillique (au sells médicaL) soiellt déterminées à l'litrerdans de nombreux rapports où{'/lne apprend de rautre et réciproquemellt. La symptomatologieest toujours "//aire d·urr. .. » C'cstune telle « symptomatologie " quetente Pascal Quignard dans unessai dont ni le contenu ni l'artne se peuvent séparer, sous lesigne de Sacher Masoch, d'unevisée à la fois clinique et poétique:
« Balbutier, c 'est la parole dulangage rendu, de la parole absolument donnée. C'est RedoubLement" c 'est la passion de la passivït.é, passion de la passion. C'l'stM étap/wre. c 'e,~t la Passioll de La!Jassioll. passioll de La Passioll ...[,e bClllmt iem l'lit est La parole duretour, du dé tour au retour même.cl la mère, du retour au détourmême, cl la mort. )1
Par une rhétorique dont n 'estpas mince la puissance d'effraction, Pascal Quignard fait irruption dans le discours philosop'Jique. Mais a la limite extrêmeoÙ ce discours. disjoint. n'est plusd'un réseau métaphorique inquietùe lui-même et constamment tra·"el'sé par ses doubles éblouissant,;ou obscurs.
II n'est pas sftr que l'Etre dubalbutiement, en ce que son pm·l'os présente d'encore très phénoménologique malgré la volontl;excessive ou excédente de l'auteur,s'inscrive au même ciel que laPrésentation de Sacher Masochrédigée par Gilles Deleuze. Néan·moins, rapproche existentielle etlinguistique de Quignard corres·pond à une dimension qu'il n'étaitpas dans le propos de GillesDeleuze de mettre en relief : di·mension pathique, émotionnelle,située là oÙ le discours se retournesur ses fantômes non discursifs,sur le formalisme sensible qui lehante. C'est pourquoi la méditation de Pascal Quignard est decelles que les lecteurs préoccupésde Masoch comme ceux qui sontpréoccupés par l'idée d'un renou·vellement formel en philosophil·.n'éluderont pas.
ARTS
Six siècles d'estampes
Lu Quinzaine litléruire, du 1" IIU 15 IIlIIi 1970
Herman J. WechslerLa Gravure, art majeur137 il!. dont 16 pl. en coul.Cercle d'Art, 244 p.
une· seule planche de bois) biendes années après que Gutenbergeût mis au point (vers 1448) soninvention des caractères mobiles.L'Ars Moriendi et la BilJlia Puupernnt en sont de célèbres exemples dans la seconde moitié du XV"siècle.
Cette conLinuité d'une esthétiqueprimiLive fut la cause de bien deserreurs de datation, certaines 'planches du XVIII" et même du débutdu XIX" siècle ayant été attribuéesà un travail de beaucoup antérieur.Les changements de technique, mê·me au début de ('époque de la ré\olution industrielle, ne fUrent pastoujours, d'ailleurs, aecompa~nés
d'un changement d'esprit, ni d'unrenoncement aux habituelles méthodes de composition. C'est unedes caractéristiques les plus remar·quables de l'imagerie populaire quela représentation d'un fait historique pouvait fort bien s'accommoderd'une part de pure imagination.Et c'est en cela sans doute que lesmots image et imaginaire ont abolila frontière qui séparait leurs si·gnifications. Une lithographie allemande de Gustav Kiihn, de Neuruppin, intitulée l'Attaque du, Louvre pendant la révolution de juil.let 1830, nous fait ainsi voir, sousles coups de feu des assiégeants, lePalais des Doges de Venise!
Les Bilderbogen lithographiéesauront encore, à Munich et ailleurs,une période charmante avec le romantisme sentimental des com-
~lS
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~a~ uncerfrou\v{c.~~J~
'i)ig. 11.
Bois gravé allemand, X V Ile siècle.
'iJig, 8. ~cr 'liiffe!woll.
Bois gravé allemand, X V Ile siècle.
restera pour eux le moyen de prédilection qui leur permettra d'igno.rel' longtemps toute évolution stylistique. C'est aussi ce qu'avaientfait les imprimeurs de livres, nousdit de son côté Herman Wechsler,en continuant à imprimer des ouvrages entièrement xylographiques(dont chaque page de texte était,comme son illustration. gravée SHI'
de très primll1ves xylographies duXV" siècle et se termine par unposter Pop munichois de 1967. Etl'on 'reconnaÎtra son mérite si l'onsonge au temps 'que représente larechcrchc, dans les eaLinets d'l'stampes, des· pièces qui, seules, Tl;'
pondcnt aux caractères de l'image.rie populaire, alors qu'elles n'ysont jamais rassemblées sous la désignation de celle catégorie, maisclassées aux noms de leurs auteurs,généralement inconnus.
C'est grâce à cette patience queBriickner a pu étaLlir, pour chaque époque, l'activité des principaux ateliers, que dominaient auXV" siècle ceux d'Augsbourg, deMayence et de Nuremberg, et observer l'apparition des nouveauxthèmes qui s'imposèrent pour untemps plus ou moins long, parfoispour pl~sieurs siècles, dans l'imagerie.
Beaueoup de ces thèmes étaientconnus ailleurs qu'en Allemagne (leCouple mal assorti, la Fontaine dl'Juuvence, le Monde à l'envers, etc.),mais, sans parler des images depropagande religieuse, aussi biencatholique que protestante - endépit dcs iconoclastes réformistes-, c'est en AfIemagne que furentsurtout répandus, autour de la Ré·forme, certains sujets où se reflètent les angoisses et les superstitions d'une époque malheureuse.La Mort, le Diable, les sorciers etles sorcières, y jouent un rôle prépondérant, en même temps que sontimagés avec une maladresse qui nes'oppose pas à une force expressivevéritablement dramatique, les calamités, les actes de vandalisme.et les plus inquiétants phénomènescélestes qui s'étaient abattus oumenaçaient de s'abattre sur la terre.
Un des thèmes les plus rares horsd'Allemagne est celui de Marieenceinte, ici représenté par uneimage d'Augsbourg, la Vierge deBogenberg, inspirée d'une figuration vénérée au Moyen Age. L'enfant est visible sur le ventre deMarie où il se tient debout et comme dévoilé par une exploration radiographique.
L'histoire de l'imagerie populai're se confond avec celle des tech·niques d'impression. Mais alors qul'les imagiers utiliseront tous les procédés qui viendront successivements'ajouter à la gravure sur bois taille-douce, eau-f~rte, plus tardlithographie, etc. - le bois gravé
Tous ceux que concernent lesformes les plus modernes dereproduction de la penséeécrite ou dessinée en sontredevables aux premiers xylographes dont le travai 1 est àl'origine de toutes les techniques d'imprimerie. y compris celles du livre. Cependant, nul, à ma connaissance.n'a commémoré d'une façonou d'une autre, en cette an·née 1970, le sixième centenaire de la gravure dont leplus ancien exemple connu,le fameux bois Protat. auraitété taillé en 1370. Ces lignesfavoriseront peut-être la réparation d'une injustice ou d'unoubl i.
Lcs études consacrées aux incunaLles de l'estampe s'accordenl loutcs à démontrer le earactère essentiellement populaire dcs premiersboi:; gravés, qu'il s'agisse de petifP;;images de piété ou de cartes àjouer. C'est aussi ce que nous enseignent les auteurs des deux nouveaux ouvrages dont nous signa.Ions aujourd'hui le g!'and intérèl :l'Imagerie populaire allemande, deWolfgang Briiekner, et la Gravure,art majeur, de Herman J. Weehsler. L'importante documentationiconographique (plus de 300 estampes reproduites dans les deux volumes) sur quoi se fonde l'étude desauteurs, a pour nous un attraitd'autant plus grand que les origi.naux ne nous sont pas facilementaccessibles et qu'ils nous sont enpartie inconnus.
Pour Wechsler, la plupart desexemples publiés dans son livre ontété choisis dans la collection deLessing J. Rosenwald, fondateur dumusée destiné à sa conservation,l'Alverthorpe Gallery de Jenkintown, en Pennsylvanie. Pour Brückner, c'est dans les collections privées et les musées d'Europe Centrale, principalement ceux oe Berlin, Hambourg, Munich et Nuremberg, qu'il a trouvé cette admirablesérie d'images qui commence par
1Wolfgang BrücknerImagerie populaire allemande199 il!. dont 45 pl. en cou!.Elccta-Wcber, 224 p.
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~ Jean Selz Un tourplaintes et des histoires racontéesen feuilles volantes. Remarquonsque l'imagerie enfantine fut tard ive et ne compta, le plus souvent.que pour une faible part de la production. De tous temps les imagesservirent à la décoration des intérieurs villageois : les Kistenbilderdésignaient celles qu'on collait àl'intérieur des bahuts et des coffres, parfois découpées en pcti lsmorceaux, ornant les bois de lit etles portes, ou même, comme ce fl1tle cas, à répoque baroque, d'un certain « Pctit château des Chanoines », à Dürnstein, en Basse-Autriche, tapissant les murs par centaines, les feuilles les plus populairess'y trouvant réunies, pêle.mêle, àces Callotliguren dérivées des Cubbi Je Jacques Callot.
Les enfants, cependant, eurentleurs histoires, leurs jeux et leurssoldats à découper, aussi bien enbois gravé et en taille-douce qu 'enlithographie. Et lorsque, vers 1870.apparut la chromolithographie, cespetites images brillantcs qu'on appelle en Allemagne des « hosties "(Oblaten) s'offraient à eEX, colléessur des pains d'épices ou. sur despages festonnées de papier dentelle.Ce fut une des dernières formes.et l'une ùes plus jolies, de lïmagerie véritablemcnt populaire. Onpeut en voir actuellement une excellente collection à l'exposition d'()bla/en qui vient de s'ouvrir àl'Allonaer Museum de Hambourg.
C'est aussi dans la seconde moi·tié du XIX'- siècle que les imngesgravées sur bois debout connurcntune srande vogue en Europe aprèsque cet emploi eût fait, cinquanteans plus tôt, son apparition dansl'illustration du livre. Un bel exemple nous en est mantré dans la Cruvur!!, art majeur avec la reproduc.tion d'une page de l'ouvrage IleThomas Bewick, History 01 BritishBirrls.
Ce que sont les particularités dubois debout, ce que sont toutes lestechniques de l'estampe (il en estaujourd'hui de nouvelles et de trèscompliquées), c'est ce que \Vechs1er explique fort bien dans son liVl'e, et c'est ce qu'il est utile deconnaître alors que le Louvl·e. laBibliothèque Nationale et de nombreuses galeries nous invitent constamment à contempler dcs gravures : nous n'y prendrions peut-êtrepas un plaisir aussi grand si nOlisignorions toutes les difficultés «(uedoit surmonter le graveur.
Jean Selz
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Conceptnon concept
Le moindre paradoxe de cecompte rendu c'est qu'il paraîtra au moment où s'achèvel'exposition qu'il concerne etque cela n'a strictement aucune importance. Parmi lesréfiexts que l'art conceptuelmet en question, celui de visiter une exposition, comme aubon vieux temps, après avoirété informé de son organisation, est sans doute l'un deceux qui paraissent des plussuoerflus lorsque l'on fait lebilan de l'opération « 18 ParisIV. 70 n.
Ce sigle signifie que 18 artistes,sollicités par Michel Claura, ont participé en avril 1970, à Paris, 66, rueMouffetard, à une «exposition" quetout le monde s'acharne à considérercomme «conceptuelle" bien que l'organisateur se défende vigoureusementde n'avoir rien fait de tel. Celui-ci seiivre même à une critique du terme etde l'usage qu'on en fait, et ajoute(<< Opus international" n° 17) que lemot, « d'une part, devient synonyme defacilité et~ d'autre part, fait référenceà une cérébralité de bon aloi ".
Donc, 18 artistes européens, améric[lins (ct japon1!,is) ont été invités àparticiper il cette opération désignéesous' la référence 18 Paris IV. 70. Lapremière surprise qui attendait les visiteurs non initiés c'est que 6 seulementd'entre eux (je crois) avaient laissésur les murs quelque chose qui ressemblait à une trace de leur invention: Gilbert et George montraient leurs effi·gies; Toroni, des empreintes de pinceau; Lamelas, la projection de troisfilms de trois minutes chacun sur des~ortions de temps pris en tournagecontinu; Jean Dibbets, une suite narrative de' plusieurs photos prises dans lemétro à chaque arrêt, pendant quinzeminutes; Ruscha, un livre accordéondéplié avec un gâteau (français) aubout et, si je ne m'abuse, il y avaitencore des carrés de couleurs de Djia:let des compositions de Ryman. Que.s'",tait-i1 donc passé qui explique cetétrange phénomène de dilution?
Il faut tout d'abord rappeler que l'artconceptuel posant l'absence de touteréalité esthétique formelle, les moyensàe concrétisation du concept peuventcertes être extrêmement variés (tilms,documents dactylographiés, photos,bandes magnétiques, etc ... ), mais égaIement non apparents, non concrets. Lesup;1ort matériel ne constitue, à aucunmoment, l'œuvre elle·même qui demeure mentale. D'où l'importance ducatalogue qui constitue l'élément centrai et essentiel de l'exposition. Ainsi,René Denizot peut écrire: • Le catalogue rassemblant des documents sansréalité esthétique est donc la totalitéde l'exposition te conceptuelle.. aussibien d'un point de vue formel commeutalogue de l'exposition (panorama de
Jean Di"I",\-.
ce qui est présenté) que du point devue du fond (le catalogue constitue leconteru de l'exposition). Il ('st à la foisle sens de l'exposition et sa réalitésensible ».
On se réfèrera donc au petit livrenoir édité par Seth Siegelaub, .. prochic·teur" de l'exposition, et établi parMichel Claura. Il révèle la raison profonde de la débandade à laquelle cetteexposition a donné lieu et noc!s montreen quoi celle-ci sortait effectivementdu cadre « conceptuel ". Claura a concul'intervention des artistes en deux étapes : il leur a demandé, le 20 novembre1969, la soumission d'un premier projet pour le 15 décembre, ét2nt entenduque tous les projets reçcs seraientretournés à chacun des artistes invités,qui renverraient, un mois et demi plustard, leur participation définitive, modifiée ou non, après donc avoir pris connaissance des intentions de tous lesautres. On a beau dire que l'art conceptuel démystifie le terme de « création"et que l'activité du conceptualismes'intègre entre les domaines de larecherche et ceux de la communication(Catherine Millet), la bonne dose desubjectivisme, de prudence, de carriérisme et d'égocentrisme, qui anime laplupart desdits conceptualistes, a provoqué un mouvement de volière effarouchée. L'idée diabolique de Claura afait remonter plus d'un sur son perchoir. Certains ont rompu tout de suite(on ne les nommera pas), d'autres ontcherché des alibis, des dérobades subtiles, ont voulu sauver la face: Weinerlaisse aléatoire la réalisation de sapièce; Sol Lewitt efface son premierprojet; Broodthaers envoie un certificatmédical de bonne s;:m~é, pour s'excuser, Barry donne dans la divagation: .
D'autres (Brown, Richard Long, d'unecertaine façon On Kawara), les vraisconceptuels de service, ont maintenusans broncher ou presque leurs premiers projets. L'évolution des participants • concrets» que nous avons citésplus haut a consisté surtout dans desajustements ou des accommodementsde leur première mouture. Il faudra donGse reporter, pour saisir les subtilités deces comportements et de ces réactions,au petit catalogue noir (en vente danstoutes les bonnes librairies, c'est-à-dire
dans une dizain~ de points à Paris).Il est véritabler:lE''lt .. le sens et laréalité sensible" de cette expositionextraordinai remen ~ ratée, donc sour·noisement réussie dans la mesure oùelle signifiait autre Ghose qu'une paradeconceptuell e.
C'est, en effet. il une entreprise dedér.1olition que s'est livré Claura, à uncarambolage intelligent qui visait moinsles quelques artistes réunis - biensympathiques au demeurant - à qui ilne veut aucun m,,1. que le problème del'art reposé par leurs activités variéeset leur charmant dilettantisme et lefonctionnement même de ce que l'onanpelle une « manifestation artistique ",c'est-à-dire une revue statique, normative, obligatoire, solennelle et cloisonnée.
Le système de l'intervention en deuxtemps, au lieu de provoquer une • action" sur l'exposition de la part desartistes, a donné un mouvement derecul se traduisant par un refus ou uneparticipation passive et spectatrice,que Claura analyse dans la pœtface deson catalogue; il fait ainsi lui-mêl'le lacritique de son entreprise et des réactions des participants - ce qui n'estpas la moindre originalité de sa tentative,
Les causes de ce mouvement derecul ou de passivité, résident essentiellement dans l'esprit de sérieux desofficiants et dans la référence à unecertaine idée de l'art (l'art est une« réponse à donner" et non une « question ,,) que' gardent au fond d'euxmêmes ceux-là mêmes qui en disloquent les apparences. «Sur uneidée, sur un concept, des spéculations cie tous ordres repartent bontrain sous la houlette de l'art ».
Effectivement, sauf chez' deux irréductibles : Toroni et Buren, et chezun participant qui détonne et détonnebrutalement dans la complaisance del'ensemble: Francois Guinochet. Toroniet Buren ont déêonnecté l'exposition,non seulement en se référant à destravaux effectués en -dehors d'elle, maisen donnant à ces travaux, l'un avecimpassibilité, l'autre avec ironie et insolence, une valeur critique et révélatrice.Ainsi Buren, qui dans un premier projetavait proposé de faire la critique de
dans les galeriestous les autres projets (ce qui n'a pasété pour rien dans la débandade decertains), a répliqué dans son intervention définitive par cc la réalisationlittérale de son premier projet, c'est-àdire: des bandes verticales bleues etblanches ont été visibles en dehorsdes limites de cette exposition du 25au 31 mars, dans 110 stations demétro ". Ainsi Buren a opposé l'ensemble de son travail (sur lequel il faudraitrevenir dans un autre article) à latotalité de l'entreprise conceptualiste,à ses équivoques et à ses complaisances. Le retournement de la menacecritique, contenue dans le premier projet, en une gifle massive est bien dansla manière de ce dangereux individuqui déjoue (presque) tous les piègesqu'on lui tend depuis deux ans et poursuit son entreprise de mise en questionde l'art avec une précision et unelogique étonnantes.
Quant à François Guinochet, il a étéle plus expl icite: critique de l'avant·garde, de la spécificité de l'art commeactivité parcellaire, des rapports decelui-ci avec un système social devantlequel il est impuissant, etc. Même si.l'on ne partage pas ce radicalisme durefus de l'art comme moyen - et c'estpour une part mon cas - son intervention est une bouffée d'air frais dans lemarais conceptualiste, une réponserationnelle et cohérente devant quinzemaniérismes mentaux, un réquisitoiresans bavure sur "imposture de la plusmanifeste opération de • dépassementrécupération" à laquelle on ait assistédurant cette décennie.
Gérald Gassiot-Talabot.
HantaiUn espace triste : le musée d'art
moderne; un maté.riau pauvre : desmètres de papier couverts de signespeints. Hantaï prouve que le monumental tient seulement à la perfectiondu oeste qui l'écrit. Et les dimensionsde ce mur géant de papier qui serabientôt réalisé en tôle émaillée, démultiplient, en quelque sorte, la recherchemenée par le peintre dpuis une dizaine d'années et permettent d'enmieux saisir l'organique continuitéavec ses commencements.
(Musée d'Art moderne.)
Affiches deChine populaireUne exceptionnelle série d'affiches
jamais montrées qui datent d'avant la• révolution culturelle ". Il faut allerles voir pour réfléchir objectivementsur les directives de l'art, leur évolution et leur destin dans la penséemarxiste-léniniste et sur le poids d'unetradition artisanale et picturale dontla puissance est ici, non point encoreréprimée, vulgarisée ou niée, maisau contraire exaltée par la fraîcheuret la joyeuseté avec laquelle lesthèmes révolutionaires y sont inté·grés.
(Galerie Vercamer J.)Jusqu'au 6 mai.
Claude Georges
Perturbations, éruptions, explosionsde couleurs structurées par ce graphisme si caractéristique de ClaudeGeorÇJes. Le découpage des tableaux,formés de la réunion de plusieurstoiles, ainsi qu'une bande dessinée quisert de préface expriment clairementle désir du peintre de se placer dansla perspective d'une" abstraction nar·rative " : description en plusieurs imaÇJes de scènes" interplanétaires " totalement abstraites. S'il en était besoin, la force d'une telle expositionmontre que - malgré quelques reten·tissants naufrages d'artistes de l'Ecolede Paris depuis 10 ans - les meilleurscréateurs de l'abstraction lyrique ontune aventure picturale dont les recher·ches actuelles sont très vivantes.
(Le Point Cardinal.)Jusqu'au 23 mai 1970.
Bertholo
L'univers des modèles réduits deBertholo est constitué par quelquesé'6:n,nts naturels primaires (le soleil,l'eau, le vent, et ses fameux nuages)dont on observe l'action sur une situation schématique qui est anecdotepure : une maison et deux palmiers,un bateau à quai. Le globe solaire ap·paraît ou disparaît sur la ligne d'horizon et l'ombre des palmiers se raccourcit ou s'allonge; une balise marine est ballotée par les flots. Dansles dernières œuvres, un élémentaléatoire est introduit par la coursed'une bille folle dont on peut suivreles avatars dans un boîtier transparent; ainsi sont programmés les recouvrements partiels des trois nuag~s
de • nuaÇJe à surface variable ", oule saut d'un dauohin dans une merhouleuse. La beauté de la mécaniqueet des enqrenages apparents, la lenteur et la précision des mouvementsfascinent aussi.
(Chez Lucien Durand.)Jusqu'au 9 mai 1970
Nous remettons au prochain numéro la critique de l'expositionMatisse qui nous a semblé mériterune étude approfondie dans sa présentation définitive. Mais' nous siÇJnalons dès à présent à nos lecteurs l'exceptionnelle qualité del'accrochage dû à Jean Matisse, lefils du peintre. Moquant les modes.et sans autre système que celuide la sensibilité, non seulement ila su respecter le cheminement del'œuvre sans être l'esclave de lachronologie, mais il a différenciél'organisation des cimaises selonles périodes de la vie du peintre :bourrant presque les premières sal-
Claude Ct'or!(es, huile sur toile, détail.
Eva AeppliTrente poupées grandeur nature, en
sachées dans de longues robes de velours châtaigne, d'où n'émergent queles longues mains de squelette et latête, dont la forte ligne du nez accentue l'arc d'un crâne prognathe. Trentetêtes identiques aux méplats marqués,qu'une légère variation dans la miseen place de l'œil ou de la bouche,quelques roussissures légères suffisent à rendre différentes.
Ces visages, ces mains que l'on dirait sculptés, sont en réalité faits detissu et ces poupées sont d'étrangespersonnages asexués dont le hiératisme intemporel provoque la réminiscence littéraire et en autorise lamise en scène.
Etres d'entre vie et mort, ils siègent chez lolas dans "attente d'onne sait quel jugement, juges ou accusés, victimes ou bourreaux, empreints de toutes les ambiguïtés délectables de la culpabilité.
(Galerie Alexandre lolas.)
Nicolas Bischower
les, au gré d'expériences extraordinairement diverses et au goût del'époque, aérant ensuite, jouant dela hauteur, des contrastes et desrapprochements. C'est une des pre·mières fois qu'il nous aura étédonné de mesurer positivement (etnon négativement comme dans lecas de la triste exposition Picasso)la triple valeur heuristique, esthétique et didactique de l'accrochage.
F. C.
Grand Palais jusqu'au 21 septembre 1970, tous les jours de 10 h à20 h et le mercredi de 10 h à 22 h.
Roel d'HaeseDeux totems semblent veiller sur
l<>s confins de l'exposition de Roeld'Haese comme pour mieux "isolerdu monde extérwur. A l'entrée, Diderot soulevé par le jaillissement d'uncri déchirant. Au fond, Gœthe, tel unPégase aptère pétrifié par quelquefoudroiement chtonien au moment deprendre son vol, cloué au sol par unehésitation qui fige son corps dansune scrutation inquiète. Entre cesdeux pôles, que Claude Bernard semble avoir dressés à dessein, commedes bornes initiatiques, aux extrémités de cette exposition, un univershermétique, clos, gardé par ces divi·nités tutélaires.
L'invocation de celles-ci ne paraîtpas gratuite. Chacune d'elles inGarne,à sa manière, dans la mythologie familière qui nous tient lieu de lecture,une image de sérénité, tantôt aima·ble et souriante, tantôt grave et appolinienne. Roel d'Haese les restitue àun univers profondément chaotique etbaroque où la joie et la légèretén'éclatent, de haute lutte, qu'au sommet d'une infrastructure analyséeavec une humilité méticuleuse, comme dans la Madelon, ou érigée sur unpromontoire écra!lflnt, comme 1e spieds massifs de l'Aviateur.
Chacune de ces œuvres relève dela métamorphose, aboutissements nocturnes d'associations hybrides, que lebronze perpétue dans leur dérisoireincongruité. Dans les dessins, en re·vanche, la fluidité et la mobilité deslignes accentuent leur fragilité. Noyésdans les spirales et les circonvolu·tions du rêve, les visages et lescorps se confondent comme des reflets perçus par à-coups dans une dérive envahissante.
(Galerie Claude Bernard.)
Guy C. Buysse
La Quinzaine littéraire, du r au 15 mai 1970 17
CarnacMille' lIlilliards
de .'dollars
:\li~llt'nlCnls de Kerrnaria.
1Denis RocheCarnacPhotos de J.-R. MassonTchou éd., 256 p.
A la fois carnet de routc, guidchuristique ct recueil de citations,un livre' récent ouvre en quclques~;·te une parenthèse dans la sériede3 « Guides noirs» que publieté~ulièrement l'éditeur ClaudeT~:hou.
. Carnac est en effct le dossierd'une irritante énigme qui n'a pasu'anqué de fasciner, après des génerations d'archéologues, d'historiens, d'écrivains, le poète DenisRoche. L'ordre mégalithique2.200 menhirs, 4.500 dolmcns, 70ali~nements et 106 cromlechs duterritoire français, monstres depierre que Ics spécialistes s'efforcent de recenser mais auxquels ilsne peuvent donner d'explicationsatisfaisante. Le grand menhir briséde Locmariaquer aurait mesuréplus de 20 mètres et pesé dans les30.0 tonnes. L'une des dalles decouverture du dolmen de Bagneuxpèse 52 tonnes. Les alignements 'deCarnac comprennent près de 3.000!.l1enhirs plantés sur 4 kilomètres.Or nous ne savons rien des hommes (des « civilisations» ?) qui ontpu édifier ces monuments, ni destechniques employées.
Quelques ossements, quelqucsohjets pas toujours contemporains,quelques gravures ne nous renseignent guère. Les données ethnolo-
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giques et anthropologiques Ics plusrécentes permettent tout au plusd'émettre quelqucs hypothèses, Iledéceler quelques filiations. Le dolmen, souvcnt enfoui sous un tumu·lus aurait cu un rôle funéraire. Lemcnhir est plus ambigu : poteau·totem, stèle votivc ou eommémorativc, silhouette humaine, phallus?Le phénomène mégalithique touchcdes régions aussi diverscs que leTibet, rInde, la Corée, rEthiopie,la Syrie, rAfrique du Nord, laCorse ou le Danemark. S'agit-il dephénomènes de convergence '! Peuton interpréter Ics aires de dispersion 'européenncs par rextenslOnd'une Il religion » venue par merdu Moyen-Orient '! Autant d'interrogations que Denis Roche ne manque pas de rappeler.
Mais (1 hors des mégalithes, riend'autre ne caractérise le mégalithisme ». En effet, que dire '! Nousn'avons aucune donnée « historique», rien qui réponde à uneotle, à quelque possibilité de déchiffrement. Absence de sujet cer·tes, mais non pas absence de discours : des génér~tions de « commentateurs malheltl eux» se sontsuccédé avec la même frénésied'explication radicale. Et c'est sur·tout cette disproportion entre notreignorance et l'abondance du di~"
cours qui a frappé l'auteur. !.lnlivre sur les mégalithes ne peut êtreque l( l'histoire des rhétoriques duI/l(;/{alithisme». Ainsi, le dolmen,l( sa signification n'existant pas,est-il possible que signifie à sontour la façon que nous avons de le
1Robert T,aui-s11 ille Milliarris dl' DollarsEdition spé"iale, 222 p.
Ce livre, écrit dans un esprit assez analogue à celui Ile J,-J. Ser\'an-Schreibcl', mais clavantage('('ntré sur les entrcpl'ises, reposcsur un raisonnement par extra·polalion construit semble-t-il comme suit: les ~()() premières firmesaméri,'aines, ct les 100 premièresfirmes non américaines ont ,louhlé leUI' chiffre Ira.ITaires en huitans. Cela nous donne une hypothèse de croissanee - 1(' doublementen huit ans -, ct une idée Ilesproportions entre sociétés améri·('aines ct non amél'icaines - einqà un. Il est plus difficile de direpourquoi l'auteur a ehoisi ensuitede ('oneentrer le projeeteur surles soixante plus grandes entre-
raconter r »
Quel est cc lieu, Carnac? Comment explilluer ces alignemcnts demilliers d'énormes blocs dressés?Armée romaine figée par Saint Corneille, vestiges d'un camp de César"monument druidique, cimelière« préhistorique », figuration zodiacale, monument égyptien (Carnac= Karnak !), champ de bataille ...Chaquc époque secrète des interprétations, chaque auteur projelleses funtasmes, entendez sa eellomanie, son égyptomanie, son nal ionalisme; ct les textes que cite longuement Denis Roche, ne manquent pus de saveur. Quelqucs écri"ains s'en sont mêlés : Chateauhriand «( Teutatès veut du sang:il a parlé dans le chêne des clruides») ou Fluubert «( Le champ de
,Carnac est IlIl large espace dansla campagne, oÙ l'on voit onze filesde pierres noires... »). '
En fait, le livre risque de laissersur sa faim le lecteur curieux : pasde ~rande synthèse, pas d'explieution définitive et rassurante. seulement quelques hypothèses n 'eslce pas, tout compte fait, une démarche scientifique? Ainsi, not rescience n'ayant pu se l'approprier,le classer, le mégalithe demeu redisponible, ouvert à tous les discours. C'est ce constat agaçant quedresse Carnac. Signalons les bellesphotographies de Jean-Robert Masson qui apportent à l'ouvrage sonindispensable complément graphique.
Alain Jaubert
prIses (a\'ee lc même' pu rtugc:lO + 10). Est-cc pal'ce (lue lechiffre (ruffaires de ce groupeétait en 1968 (Ic ronlt'e de 2:>0millianls de tlollal's. ce (plÎ ave,"lu règle précitée, le fait Ilualint.plcr ,l'ici 198:> et le porte UII ('hiffre « parlant» de 1.000 milliards,titre de l'ouvragc ? On uuruit puen effet opérer le même calculavec les 600 firmes, et Iruilleurs)1. Lattès é('rit quelque l'urt IllIele llIonde développé sera ,lominééconomi'iuement pal' 1.')0 ent repl'ises, alol's que d'alltres ont parléde 300.
Le ('hiffre n'est pas l'essentiel,au demeurant. Ce qu'il s'agit Ilefaire ressOl·tir, e'est d'uboJ'(1 lu tendance il la l'onl'entration éeonomiqlle, et jI n'est pus sÎtr qlle l'extrapolation soit un bon instrumentde prévision, car en 1930 BerIeet Neans s'étuient déjà essayés àun tel exerei('e, et l'évolution réelle n'a pas ('onfirmé leIII' pronostic.Le second oh.iectif, à mon avis leplus intéressant, ('onsiste à souli·gner qlle dans le~ échanges éconoIII i'lues internationaux, l'investissement direct effedllé il l'étrangerdevient allssi important qlle l'expOl'lal ion. D'oÙ la néecssité de ré\'iser certaines unalyses économi'lues qui tlatent Ile l'époque oÙc!Jaque Elat n'avait affaire qu'àdes entreprises pu rement autochlones. alors qlle de nouveaux centres de décision apparaissent, à savoir les firmes dites multinationales Ilui échappent (moins totalement pourtant que l'auteur ne lesuggère en forçant le trait 1 à J'influence de la pclitique économique ou monétuire. On auraitd'uillcurs tort de croire que lephénoJlti'ne sc limite aux seuleséconomies indust delle" de l'Ouest,car ,les sodétés multinationalesanglo-saxonnes s'installent dansle Tiers-Monde pour y transformer des matières premières alimentaires, et elles commencent àfail'e Ile même dans des pays del'Est IBulgarieL
La partie «effets de civilisaI ion» du phénomène est moinsconnlincante, parce que trop rapillement traitée. Je préfère làdessu,; renvoyer le lecteur au livrede Mishan, de la London Schoolof Eeonomics, The Costs of Econo·mir Crowth, qui vient de paraîtreen livre de poche chez Penguin,en formulant le vœu qu'il soithientôt traduit en français.
Bernard Cazes
LIRaVISTICI 1JE
L'étrangère
La Quinzaine littéraire, du r au 15 lII<ti 1970
par Roland Barthes nous a fait découvrir. Le premieracte de ce dialogisme, c'est, pour lasémiotique, de se penser à la foiset contradictoirement comme science et comme écriture - ce qui. jecrois, n'a jamais été fait pa'r aucunescience, sauf peut-être par la sciencematérialiste des présocratiques, etqui permcttrait peut-être, soit diten passant, de sortir de l'impassescience bourgeoise (parlée) / scienceprolétarienne (écrite : du moinsposlulalivcmcnt ).
La valeur du discours kristevien,c'est que son discours est homogèneà la théorie qu'il énonce (ct cettehomogéné'ilé est la lhéorie même) :en lui la science est écriturc, lesignc est dialogique, le fondementest destructeur : s'il paraît « difficilc » à certains, c'est précisémentparce qù 'il est écrit. Cela veut dire(1 uoi '! D'abord qu'il affirme et pratique à la fois la formalisation etson déplacemcnt, la mathématiquedevenant en somme assez analogueau travail du rêve (d'où beaucoupde criailleries). Ensuite qu'il assumeau tilre même de la théorie le glissement terminologique des défini·tions dilcs scienlifiques. Enfin qu'ilinslalle un nouveau type de transmission du savoir (ce n'est pas lesavoir qui fait problème, c'est satransmission) : récriture de Kristeva possèdc à la fois une discursi.vité, un « développement» (on vou·drait donner à ce mot un sens « cy·c1istc » plus que rhétorique) et uneformulation, une frappe (trace desaisissement et d'inscription), unegcrminalion : c'est un discoürs quia~it moins parce qu'il « représente »unc pensée que parce que, immédialement. sans la médiation de lalcrnc écrivance, il la produit et ladestine. Cela veut dire que la sémanalyse, Julia Kristeva est la seule àpo";voir la faire: son discours n'estpas propédeutique, il ne ménagepas la possibilité d'un « enseignement» ; mais cela veut dire au,ssi,à l'inverse que ce discours noustransforme, Il 0 U s déplace, nousdonne des mots, des sens, des phrases qui nous permettent de travailler et déclenchent en nous le mouvement créatif même : la permutation.
En somme, ce que Julia Kristevafait apparaître, c'est une critique dela communication (la première, jecrois, après celle de la psychanalyse). La communication, montret:elle, tarte à la crème des sciencespositives (telle la linguistique), desphilosophies et des politiques "II« dialogue », de la « parli('ipation "
~1!1
• Nous définissons le texte commeun appareil translinguistique qui redistribue "ordre de la langue, en mettanten relation une parole communicativevisant l'information directe, avec différents types d'énoncés antérieurs ousynchroniques. Le texte est donc uneJ:rvductivité, ce qui veut dire : 1 r:O'l
rapport à la langue dans laquelle ilse situe est redistributit (deslructivoconstructif), par conséquent il estabordable à travers des catégories logiques plutôt que purement linguistiques; 2. il est une permutation detextes, une intertextualité : dans l'espace d'un texte plusieurs énoncés, prisà d'autres textes, se croisent et seneutralisent -.
Le texte
La théorie
• La recherche sémiotic/ue resteune recherche qui ne trouve rien aubout de la recherche (. aucune clépour aucun mystère", dira LéviStrauss) que son propre geste idéologique, pour en prendre acte, lenier et repartir de nouveau.
Julia Kristeva
ve, dialectique, irréductible à un sensuniaue mais faite de type de pratiquessignifiantes dont la série plurielle reste sans origine ni fin. Une autre histoire se profilera ainsi, qui sous-tendl'histoire linéaire : l'histoire récursivement stratifiée des signifiancesdont le langage communicatif et SOI.
idéologie sous-jacente (sociologique,historiciste, ou subjectiviste) ne représentent que la facette superficielle ".
rie de la sémiologie : « Toute semiotique ne peut se faire quecomme critiqlLe de la sémiotiqup. ».Une tclle proposition ne doit pass'cntcndrc eomme un vœu pieux ethypocrite «( critiquons les sémioticiens qui nous précèdent »), maiscomme l'affirmation que dans sondiscours même, et non au niveaudc cluelques clausules, le travail dela science sémiotique est tissé derclours destructeurs, de coexistences contrariées, de défigurationsproductives.
La science des langages ne peutêtre olympienne, positive (encoremoins positivistc), in-différente,adiaphorique, comme dit Nietzschc;elle est elle-même (parce qu'elle estlangage du langage) dialogique. notion mise à jour par Julia Kristeva à partir de Bakhtine, qu'elle
L'écriture et la science
La sém.analyse
.''Si le sémioticien vient après l'écri·vain, cet • après - n'est pas d'ordretemporel : il s'agirait, pour l'écrivaina:lssi bien que pour le sémioticien,de produire simultanément des langa·ge!'. Mais la production sémiotiquea~ra la particularité de servir de transmission entre deux modes de production sionifiants : l'écriture et la science; la sémiotique sera donc le lieuoù la distinction entre elles est destinée à s'articuler-.
• Faisant éclater la surface de lalargue, le texte est l'. objet" qui permettra de briser la mécanique conceptuelle qui met en place une linéaritéhistorique et de lire une histoire stratifiée : à temporalité coupée, récursi-
L'histoire
• Le problème de l'examen critiquede la notion de signe se pose à toute démarche sémiotique : sa définition, son développement historique,sa validité dans, et ses rapports avecles différents types de pratiques signfiantes. La sémiotique ne sauraitse faire qu'en obéissant jusqu'aubout à la loi qui la fonde, à savoirla désintrication des démarches Si
gnifiantes, et ceci implique qu'ellese retourne incessamment sur sespropres fondements, les pense etles transforme. Plus que • sémiologie» ou • sémiotique -. cette science se construit comme une critiquedu sens. de ses éléments et de seslois - comme une sémanalyse-.
l'œuvrc dc Julia Kristeva est cetavertisscment : que nous allonstoujours trop lcnlemcnt, que nousperdons du temps à « croire », e 'està-dirc à nous répélcr ct à nous eomplairc, qu"il suffirait souvent d'unpetil supplémenl de libcrlé dans unepcnsée nouvellc pour gagner desannécs dc travail. Chcz Julia Kristeva, ce supplément est théoriquc,Qu'est-ce que la théorie'! Ce n'estni une abstraction, ni unc généralisation, ni une spéculation, c'estune réflexivité; c 'cst en quelquesorte le rcgard rctourné d'un langage sur lui-même (ce pour quoi,dans une société privée de la pratiquc socialistc, condamnée par làà discourir, le discours théoriqueest transitoirement néet'ssaire). C'esten ce sens quc, pour la prcmièrefois, Julia Kristeva donnc la lhéo-
Quoique récente, la sémiologie a déjà une histoire. Dérivée d'une formulation toutolympienne de S a u s sur e(<< On peut concevoir unescience qui étudie la vie dessignes au sein de la vie sociale "), elle ne cesse des'éprouver, de se fractionner,de se désituer, d'entrer dansce grand carnaval des langages décrit par Julia Kristeva. Son rôle historique estactuellement d'être l'intruse,la troisième, celle qui dérange ces bons ménages exemplaires, dont on nous fait uncasse-tête, et que forment,paraît-il, l'Histoire et la Révolution, le Structuralisme etla Réaction, le déterminismeet la science, le progressisme et la critique descontenus. De ce .. remueménage ", puisque ménagesil y a, le travail de JuliaKristeva est aujourd'hui l'orchestration finale il enactive la poussée et lui donne sa théorie.
Lui devant déjà beaucoup (el dèslc début), je vicns d'éprouver uncfois de plus, et cette fois-ci dansson cnsemble. la force de ce lravail. Force veut dire ici déplacement. Julia Krisleva change la placedes choses: elle délruil Loujours ledernier préjlLgé, cel u i donl oncroyait pou v 0 i r se rassurer els'enorgueillir; ce qu'elle déplace,c'est le déjet-dit, c'est-à-dire l'insistance du signifié, c'est-à-dire la bêtise; ce qu'elle subvertit, c'est l'autorité, celle dc la scicnce monologique, de la filialion. Son travailest entièrcmcnt neuf, exact, nonpar purilanisme scientifique, maisparce qu'il prcnd toute la place dulieu qu'il occupe, l'emplit eXlIctement, obligeant quiconque s'cn exclut à se découvrir en posilion dcrésistance ou de censure (c'est cequ'on appelle d'un air très choqué:le tcrrorisme).
Puisque j'en suis à parler d'unlieu de la recherche (laissant à quclques citations que j'ai choisics lesoin de rappeler les arliculations decctte pensée), je dirai que pour moi
1Julia KrislevaSéméiotiké,Recherches pour une sémanalvse.Coll. Tel Quel. .Le Seuil éd., 381 p.
Un classiquede la linguistique
et de l' Il échange », la communica·tion est une marchandise. Ne nousrappelle-t-on pas sans cesse qu'unlivre Il clair» s'achète mieux, qu'untempérame~tcommunicatif se placefacilement? C'est donc un travailpolitique, celui·là même que faitJulia Kristeva, que d'entreprendrede réduire théoriquement la corn·munication au niveau marchandde la relation hitmaine, et de l'intégrer comme un simple niveau fluctuant à la signifiance; au Texte, appareil hors-sens, affir.mation victo·rieuse de la Dépense sur l'Echange,des Nombres sur la Comptabilité.
Tout cela fera-t-il son chemin ?Cela dépend de l'inculture française : celle-ci semble aujourd'huiclayoter doucement, monter autourde nous. Pourquoi ? pour des rai·sons politiques, sans doute; maisces raisons semblent curieusemfmtdéteindre sur ceux qui devraient l~
mieux leur résister; il y' a un petitnationalisme d e l'intelligentsiafrançaise; celui·cl ne porte pas,b i e n sûr, sur· les nationalités(Ionesco n'est-il pas, après tout, lePur. et Parfait Pet i t BourgeoisFrançais ?), mais sur le refus opioniâtre de l'autre langue. L'autrelangu~ est celle que l'on parle d'unlieu politiquement et idéologiquement inhabitable : lieu de l'interstice, du bord, de l'écharpe. du boi·tement : lieu .cavalier puisqu'il tra·verse,· chevauche, panoramise et of·fense. Celle à qui nous devons unsavoir nouveau, venu de l'Est etde l'Extrême·Orient et ces instru·ments nouveaux d'analyse et d'engagement que sont le paragramme,le 'dialogis'me, le texte, la producti.vité, ~'intertextualité, le nombre etla formule, nous apprend à travail'1er dans la différenc~, c'est·à·direpar dessus les différences au nomde quoi on nous interdit de fairegermer ensemble l'écriture et lascience, l'Histoire et la forme, lascience des signes et la destructiondu signe : ce sont toutes ces bellesantithèses, confortables, 'conformistes, obstinées et suffisantes, que letravail de Julia Kristeva prend enécharpe, balafrant notre jeu n e.science sémiotiq\.le d'un trait étranger(ce qui est bien plus difficilequ'étrange), conformément à la première p h ras e de Séméiotiké :Il Fq.ire de la ,langue un. travail, œuvrer dans la matérialité de ce qui,pour la société, est un moyen. decontact et de compréhension, n'est.ce pas se faire" d'emblée; étrangerà.la langlJe ?»
Rolqnd Barthes
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La traduction en français del'ouvrage fondamental de lalinguistique américaine doitêtre salué comme un événe·ment de l'ordre de .Ia culturegénérale; il est douteux, eneffet, qu'en linguistique cettetradl.!ction puisse e x e r c e rencore que 1que influenceactuellement. Certes, l'impor·tanc.e de cette Bible ou de cevade·mecum de la linguistiqueaméricaine n'est plus à établiret, depuis la date de sa paru·tion, 1933, le livre a été lu,comme il est à souhaiter,même en France.
l.eonard Bloomfield,Le Langagf'.Trall. de l'américainpar Janick Gazio,a\ ant·proposde Frédéric François.Payot, éd., 525 p.
Toutefois, il faut le dire dèsmaintenant, beaucoup de lecteurs,.non linl!uistes et linguistes, bénéfjcieront de ce taLleau complet etsystématique du fondement de lalinl!uistique structurale actuelle.De ce point de vue, on trouveraitdifficilement l'équivalent de cel'ôté-ci de l'Atlantique: un ou·Ha!!e qui prend le lecteur sans·prénotion aucune et qui le conduit, dé chapitre. en chapitre, àla connaissance de la ling:uistique.Ce' fondement a donc' double valeur, et scientifique et pédagogique.
L'avant-propos de FrédéricFrançois tente de discerner defaçon claire et intéressante Il cequi est vivant» et (( ce qui estmort », ou plutôt le vrai et lefaux, d'un tel travail d'ensemble.Il a l'avantal!e d'attirer l'attentionsur les roints litil!ieux et sur lesquels la discussion reste ouverteet susceptible d'être féconde. Ilressoit Ile ce texte liminaire que.la lin!!uistique de Bloomfield estissue .l'une idéol01tie propre, maisn'en dirait·on pas de même desautres? Aussi apparaît flonc unpremier problème général : celuidu rapport de l'idéologie et dela sl'ience sociale, car lalinl!uistique est, pour ·Bloomfielll commeponr Trubetzkoy, ni science de la·nature ni science de l'e"prit, maisscienCf' .~ocialp.
Sans doute, ICI encore, seraeQnfirmée l'observati~n selon, laquelle' des chercheurs d'inspira.
tion différente parviennent finale·ment à des formulations et à dessolutions anal0l!ues. Mais, (~omme
le soulil!ne l'introduc~teur, ces so·lutions ne sont pas idfmtiqLlf's.Par exemple, Bloomfield hésitesouvent entre critère physique(aceent très fort, fort, ou faihle)et critère fonctionnel (fonction(~ulminative, .Iémarcative, ou expressive). Tandis que pour Truhetzkoy seules les fonctions lin/-!,uistiques de l'accent ont quelque valeur clarifiante.
Autre problème I!énéral et ll'ailleurs extra-linl!uistique, celui fIela différf>flcf' qui s'instaure fatalement entre les précurseurs etleurs SUf~('esseurs : ce que ces der·niers ~a)!nent en rigueur sur lespremiers ne s'obtient qu'au détriment .Ie la richesse et de lamu1tiplil'ité des voies ainsi sacrifiées. Faire é('ole entr3îne doncnél'essaire mutilation; d'où laprudence qui c01nmande la relecture de ce qu'il est convenud'appeler les Il classiques n : leurcontenu Ilépasse largement leurpostér.ité. C'est aussi en quoi laleeture du Langage de Bloomfields'impose trente ans après. Unmême ret(;ur aux sources .le la linI!uistique européenne n'est pat!sans conséquences: l'intérêt d'uneétude du Cerele fIe Pra!!ue n'aIl'ailleurs pas échappé. Si J'histoire exigeait quelque justification, voilà qui est fait.
Il est vrai, comme l'affirmeMalmberl! ,lans Lf's flOU I:ellf',~ tendances de la linguistiqllf' (P.U ,F.,1966), que l'analyse de Bloomfieldne se distingue pas de celle desphonolo)!ues de Pra)!ué. Aussis'est-on interrogé sur l'oril!inedes similitudes qu'offrent les travaux .le Bloomfield avec les principes et les méthofles des formesdites structurales de la lin)!uistique européenne. Y a-t~il eu dépendanee réelle, puisque entre 1914,,Iate de l'Introduction to tlze Study of languagf' et 19~3, Bloomfield avait pu prendre connais·sance des tenrlances européennes ,?Ou bien, s'al!it-il d'un accord.« nécessaire Il s'expliquant parl'ohjet lui·même. rie l'étudebloomfieldienne Je lanl!agehumain?
La "conception du lan)!al!e comme produit social, Bloomfiehl apu la trouver chez son compatrio.te Sapir, qui lui·même comme lesuppose Adam SchaH (in: Lan·gage et connaissance, éd. Anthropos, 1969) concorde avec Hum·
Loldt. En fait, Sapir; a été fornH~à
l'éeole des ethnologues (~Omllle
Boas, et Bloomfield à celle ,leWundt d'abord et des behaviorlstes ensuite. De toutes façons,Bloomfield· a vivement repoussél'interrm~t~tionpsYl'hologisante de.Hermann Paul. Il v a chez Bloomfield un refus' très net dunlf'''tali.~11I(', au bénéfice d'une.Iescription linl!uistique adéq\.late,permettant d'ailleurs grâce à uneri~~ueur toute "cientifique d'apporter les. conelusions historiqllPs néj'essaires adaptées à une ten(~ description. Tels sont les principesd'une étude lin)!uistique de l'évo·lution. Conune l'éerit FrédéricFrançois: Il la distinction pntrel'ariatiuns p/w.nétiques continuesf't variations phonologiqups dis·continues, aboutissement des prenlièrt,.~, peUt seule en f'I/(·t rt!ndrec(~;r lois intelli,~ibles... (~llf;n lesloi.~ ne deviennf>nt intelligiblesque .~i on les envisage commel( structurales n, c'est-à-dire com·me traduisant lf's prt's.sionsqu'exercent 11111 tuellf>nwnt le,~
plzonènws les UliS sur les autrt!s,causes stru.cturdf's qui fournis.wnt1(,. cadrt~ dans lequel des considé·ra-tions de ling1listiqup externepeuvent. jouer (emprunts, invasions, etc.) » (p. XIII.XIV). AinsiBloomfield raual'he-t-il ril!0ureusement toute l'onclusion historieque concernant la. lanl!ue à laprésupposition d'une analyse syn·chronique. .
Depuis Bloomfield, les troisrelations syntaxiques suivantesont été définies rar les linl!uistesaméricains d'après les rapportsentre les constituants immédiatset l'unité: relation de suborlli·nation (l'unité et un seul desconstituants appartiennent à lamême clàsse fonnelle), relation del'oordination (la classe formelle del'unité est celle même de chacunries constituailts), relatioil deconstruction exocentrique (la clas.se formelle rie l'unité est autreque ~elle des constituants). Onidentifie ces constructions avec lesfonctions de la glossématique<l:dossèmes : les plus petites uni·tés de sil!nalisation): la' sélec·i·ion, la combinaison, la solida·rité. Il faut savoir, en outre, queBloomfield a relevé le caractèreindécomposable ,du mot qu'Ü dé·finit comme "minimal free form" :forme libre minimale. Ce critèrea le défaut d'exclure les préposi.tions et conjonctions mais il{onctipnne négativement po»r,
Le vocabulaireindo-européen
La Quinzaine Iitl4lraire. du 1:" cu 15 mai 1970
(' lasser les unités liées (comme leait de mangeait). Ainsi le mél'itede cette définition du mot estd'être purement linguistique, etnon sémantique.
L'ouvrage lui-mi-me procèllf'd'une présentation pro~ressive.
L'observation est la base de cetenseignement. « Jac/,' et Jill descendent un sentier. Jill a faim.Elle ,'oit une pomme sur un arbre.Elle fait un bruit alWC son larynx.sa langue et sps lèvres. Jack sautela barrière, grimpe à l'arbre,prend la pomme, rapporte à Jill,la pose dans sa main, Jill mangela pomme)) (p. 26-27). Bloomfie!l1 décompose l'incillent en troisparties: « A. Actions pratÎque.~
précédant l'acte de parler. El Ll'discours. C. Actions pratiques suivant l'acte de parler.)l Il y ad'une part en A des éléments quisont le ,~timulus du locuteur, fl'autre part, en C, nous assistons àla réponse de l'auditeur. Quant àl'événement-parole, il se décompose ainsi : BI : mouvements desl'ordes vocales, de la mâchoire inférieure, de la langue, qui sontune réaction au stimulus : réactionlinguistique de substitut; B2:mouvement des ondes sonores;B3: vibration des tympans deJack, audition-stimulus : stimuluslinguistique-substitut. Qu'est-ceque le langage ? Ce sont les ondessonores qui comblent la séparationentre les corps du locuteur et del'auditeur. Et si : « Un groupe' social humain est réellement uneunité d'un ordre supérieur à celuid'un animal seul, de même qu'unanimal composé de plusieurs cellules est une unité d'un ordre supérieur à celle d'une simple celIule» (p. 31), le langage n'estautre que ce qui coordonne legroupe social. Les communautéslinguistique~ ont des types Ilediscours qui sont: 1. la languelittéraire standard; 2. la languestandard padée; 3. la languestandard provinciale; 4. la langue sous-standard; 5. le dialectelocal. Si, des trois phases de l'incident Jack-J ill, on admet queA et C constituent notre monde et,par le fait, renferment la signification de B, et concernent doncla sémantique.
Une étude du langage peut semener sans préjugés spéciauxquant à la signification, c'est laphonétique: c.a.d. la phonétiquede laboratoire qui étudie la langue du point de vue acoustiqueet physiologIque. Au contraire,
« la phonologie ne prend pasgarde à la nature acoustique desphonèmes, mais les acc('pte simplement comme dl's unités distinctes)) (p. 131). Bloomfieldmontre la nature et la portée dela méthode comparativl' qui permet des reconstructions; mais:« La méthode comparative nelWU,~ hu/iqul' en principe rien ence qui concerne la forme acoustique des formes reconstruites;elle n'identifie les phonèml's d(,sfonnes reconstruites que conlmede,~ unités récurn'lltes » (p. 291).La métholle comparative supposedes ruptures et « reconstruit de,~
langue,~ mères uniformes, existantà certains moments du passé, pt
suit des changements qui ont ('ulieu après que chaque languemère se soit scindée jusque dansla langue mère qui a .mil;i dansla langue enregistrée)l (p. 293).Il en résulte une généalo~ie deslangues. De quoi dépenll l'expansion des traits linguisti{IUeS, sinon des conditions sociales? Etquand peut-on parler de changement phonique? Seulemf'nt,« lorsque la substitution de l'habitudl' a conduit à une altérationde la structur<' de ·la langl/('))(p. 344). Le chan~ement phonétique « l'st un changement dans le.~
habitudes d' ('xécution des mouI;enlent.~ producteurs de ,~on))
(p. 347) ; mais il existe d'autreschangements; tout d'abord lechangement analo.gique, ne provenant pas d'un prolongement altéré de formes plus anciennes etrésultant d'un processus de forma~ion étudié par Bloomfjeld etqui n'est autre que le mécanismede la quatrième proportionnelle
A P
B xA et B étant de même nature,
la relation Ax doit être nécessaIre.
Autre changement : le changement sémantique, ce sont « lesinnovations qui chan!{ent le senslexical plutôt que la fonction!{rammaticale d'une forme» (p.402). Et Bloomfield montre que« la métaphore poétique ('st en!{rande partie une excroi.~sance
des emplois figurés du discoursordinaire)) (p. 219). Il est permis, en tout cas, d'espérer quela linguistique pourra permettreune meilleure compréhension dessociétés humaines. Telle est laconclusion de Bloomfield.
Angèle Kremer-M'arietti
Emile BenvenisteLe vocabulaire des1nstitutions indo-européennesT. 1. Economie, parenté, sociétéT. 2. Pouvoir, droit, religion.Minuit éd., 376 p. et 340 p.
A l'heure où la linguistique s'estdégagée de la grammaire comparéed'où elle est issue, et rejette sou·vent l'histoire pour se vouloir uni·quement structurale, un linguistenous restitue « le vocabulaire desinstitutions indo.européennes»M. Benveniste fait revivre sous nosyeux les institutions des Indo-Européens, leur économie, leur système de parenté, leurs relationssociales, leurs conceptions du pouvoir, du droit, de la religion, aumoyen de la seule comparaison deslangues par eux léguées à la partiedu monde qu'a soumise leur organisation politique et sociale. solidement structurée.
La matière est vieille : l'apparition des Indo-Européens dansl'histoire date de près de quatremillénaires ; Bopp, l'un desfondateurs de la grammaire comparée, est mort il y a plus d'unsiècle, et dans nombre de nos facultés, cette discipline décline. Maisneuf est le dessein : la langue, loind'être à elle-même son propre objet d'étude, est utilisée, et elleseule, comme instrument permettant de ressusciter la culture répandue par les tribus indo-européennesde l'Atlantique au Turkestan.Aussi la comparaison ne se limitet-elle plus à la grammaire : alorsque l'étude du vocabulaire, souventnégligée, n'avait en général donnénaissance qu'à des répertoires, toutici, est synthèse, et organisation dedonnées lexicales disparates. Voici donc que son t conciliées histoireet structure, « diachronie » et« synchronie ll, et qu'avec cet exem·pIe magistral de structuration dulexique « la dimension temporelle...devient une dimension explicative )l.
La méthode aussi est renouvelée.Les comparatistes, guidés par lesouci de reconstruire des formes,ont souvent mis l'accent sur l'étymologie. Le propos de l'auteur est,au contraire, de préciser avant toutle sens d'un terme, d'en donner unereconstruction interne dans des langues particulières, par l'analyse de
Emile Benveniste,
ses emplois, connotations historiques, connexions et opposi tionsdans le contexte, et de définir saplace à l'intérieur d'un système :bref, de distinguer sa « signification )l, notion centrale autour delaquelle s'organise un ensemblelexical cohérent, des « désignations», fruits de développementshistoriques particuliers.
Dans cette entreprise - et c'estlà le paradoxe -, l'auteur sertl'étymologie, mais ne s'en sert quepeu ou point. Ainsi la comparaisontraditionnelle pose pour le nom du« frère » un prototype bhràter,d'où procèdent les formes historiquement attestées (latin frater, anglais brother, russe bàtja, etc.),compte tenu des évolutions phonétiques connues pour chaque langue. L'originalité est ici de montrerque ce terme s'insère dans un système de parenté classificatoire, etnon généalogique, car en grec, lenom du « frère de sang » est autre(adelphos), et phrater, désignantun membre d'une phratrie, témoigne d'une signification indo-européenne large, et encore prégnantechez les confréries religieuses dumonde italique, Frères Arvales àRome, ou Atiédiens en Ombrie. Ailleurs, les interprétations traditionnelles sont renversées : le sens« richesse II de peku (cf. françaispécuniaire) ne vient pas, commeon le pensait, d'une extension sémantique de l'acception «bétail ll,
mais est l'appellation générique dela « richesse mobi1iêre et personnelle l), ayant fini par désignerdans certaines langues la propriété...
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~ Benveniste
spécifique qu'est le bétail pour unesociété d'éleveurs.
L'auteur démasque des structures voilées par plusieurs siècles oumillénaires d'évolution. les peuplesont parfois conservé le fonctionnement de certaines institutions, enen renouvelant l'expression. Lesquatre divisions sociales et territoriales de plus en plus larges dumon d e indo-européen, famille,clan, tribu, pays, sont désignées eniranien par des termes dont les troispremiers ont d'ailleurs des correspondants formels, mais n'ont plusla même ordonnance : et de montrer comment le grec, par exemple,a rénové ici son appareil lexical.en conservant l'institution. Parfois,.les transformations du vocabulairereflètent l'évolution des structurespolitiques: le vieux nom du « roi ))qu'ont encorc l'Inde et Rome(rex) témoigne d'une représentationplus religieuse que politique de laroyauté; mais celle-ci est plus moderne et démocratique en Grèce,où elle s'exprime par deux termesnouveaux, le lcallax. seul détenteurdu pouvoir et le bllsiLeus, qui, s'ilexerce des fonctions magico-religieuses, est un homme et non pInsun dieu comme le rai indien. Etl'étymologie, qui n'est jamais tenue pour condition suffisante de lareconstruction d'un sens n'est même pas nécessaire : aucun termene peut être rapproché de la « hanne» germanique, institution quisurvit jusqu ïl l'époque modernechez les riverains de la Mer duNord, mais l'étude des emplois enseigne que, si elle est devenue uneassociation économique de marchands, elle est à l'origine une compagnie de jeunes guerriers, queTacite décrit dans sa Germanie.
Saussure disait déjà que dans lalangue il n'y a que des différences,et ce sont elles que M. Benvenistefait surgir ou aplanit, en restauranttantôt la diversité de ce qui paraîtun, tantôt l'unité de ce qui sembledivers, pour découvrir la signification d'un mot, perdue et grâce àlui retrouvée : contrairement àl'opinion reçue, l'animal mâle .1.1,
non pas un, mais deux noms qui,s'ils riment et pnr un accident del'histoire se sont confondus en sanskrit, sont distincts. L'un, physique,désigne l'espèce mâle comme opposée à la femelle (ers :. grec arsen),l'autre, fonctionnel, transpose la no-
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tion initialc de pluie comme humeur fécondante, en celle de reproducteur du troupeau (wers : p.ex. grec e (w) érsè « rosée » et latin verres « verrat))). Il y a là refus d'admettre la synonymie et désir de réduire la polysémie.
Dans cette quête, des divergenccs sont ramenées à l'unité : l'undes noms du « droit» en grec,diké peut être rapproché du latindico « dire », dont il sembleéloigné, parce que la racmedeik-, qui leur est commune, signifie « montrer ce qu'on doit faire )) : la diké est la formule dedroit qui se transmet, dans unesociété où le rôle du juge est de« prononcer avec autorité» (dico)le formulaire.
N'ayant plus besoin d'un supportformel, la comparaison franchit lecercle de la linguistique, et dumonde indo-européen. De la tripartution sociale spécifique de ce dernier en classes hiérarchiséesprêtres, guerriers, agricultcurs dégngée par M. Dumézil. M. Bcnveniste donne de nombreux exemples d'application au lexique. Maisil fnit intervenir aussi des usagesd'autres sociétés. Le potLatch, typede relations qui repose sur unsystème dc dons et contre-dons,bien connu notamment chez les populations indiennes du Nord-Ouestde l'Amérique, rcnd compte, entreautrcs, des sens successifs du latinhostis « .hôte» puis (( ennemi »,mais en réalité à l'origine (( celuiqui est en relntions dc compensation )). Le nom allemand du c( nobIc» Edel, étymologiquement(c nourrisson », s'explique par lapratique du foslerage, qui consisteà faire élever les enfants noblespar des parents nourriciers, et qui,de règle dans les sociétés scandinave et surtout ccltique pour les enfants roynux, existe aussi chez lanoblesse de Géorgie. Si l'on a crujusqu'à maintenant que la grandefamille indo,européenne était organisée autour du père, la terminologie garde des traces d'une liliation matrilinéaire.
A insi s'universalisent les perspectives ouvertes par ce livre, quitranscende le vocabulaire des institutions iodo-européennes et la linguistique même.
Françoise Bader
HISTOIRB
Autrichien, déporté à Buchenwald de 1938 à 1945, EugenKogon fut l'un des premiersà décrire après la guerre, lesystème des camps de concentration allemands. Publiédès 1946 en ·Allemagne etl'année suivante en France,peu avant les Jours de notremort de David Rousset, sonouvrage vient d'être réédité.Il faut saluer cette initiative,rare dans l'édition.
1Eugen KogonL'Elat S.S.Coll. PolitiqueLe Seuil, éd. 380 p.
Le phénomène concentrationnaire nazi a touché l'Europe cntière : le nombre des victimes (huitmillions environ, dont six millionsde Juifs) et. leur origine variée ontfait que les classes, les pays, lesopinions et les confessions les plusdiverses ont été représentés dansles camps. Il y a aussi sa durée :même si le système en tant que leIn'apparaît que tard, il demeureque Dachau ouvre ses portes en1934. La machine à exterminertuera jusqu'au bout. Les derniersconvois quittent Paris le 15 aoî,t1944, Lille le 2 septembre; quelques jours avant l'armistice, l'aviation anglaise bombarde au large dcHambourg et de Lubeck des navires allemands où les déportés ontété parqués et abandonnés. Considérons aussi l'extension dans l'espace : on trouve des camps enAllemagne (Dachau, Buchenwald,Neuengamme, Bergen-Belsen, Ravensbruck), en Autriche (Mauthausen), en Pologne (Auschwitz, Treblinka, Maïdanek), en Tchécoslovaquie (Flossenbourg, Theresienstadt), en France enfin (Le Struthof-Natzweiler, en Alsace).
Le système concentrationnaire,loin de naître en 1933, n'apparnÎtqu'à partir du moment où la guerres'étend à l'ensemble du continent.Certes il 'J a, bien avant 1942, descamps, des déportés, des bourreaux,des massacres. Mais les différencesavec ce qui va suivre sont essentielles : on peut, jusqu'au déclenchement de la guerre, sortir descamps (Bruno Bettelheim sera ainsile premier à révéler aux Américainsîncrédules ce qu'il avait vécu). Lessévices, reéls, sont encore individuels et ne sont pas le résultat savant d'une organisation quasi-scientifique. Enfin et surtout la finalité
reste. la réclusion, non l'extermination ou l'exploitation à des finsindustrielles. Si, d'autre part, desexterminations massives ont lieualors, c'est sans r e cou r s àl'institution concentrationnaire. pardes voies clandestines (cas ùu prflgramme d'euthanasie cn 19391941) ou des moyens « artisanaux»(massacres perpétrés par les Einsa/zgruppen sur le front de l'Est).Pour que l'on se trouve cn p.'ésence du système proprement dit,il faudra autre chose : la mainmise militaire allemande sur toulel'Europe, l'accroissement dans desproportions énormes des déportéset des (( déportables » (1ui fs. tziganes, résistants, opposants de tousbords sans oublier les prisonniersde droit commun et tous ceux quidurent leur déportation au hasard),le développement des bcsoins del'économie de guerre allemande. Aces facteurs géographiques, numériques et économiques vient s'ajouter un dernier fait : le régimenazi se transforme : le primat del'idéologie sur toutes les autresconsidérations, même stratégiques,est absolu. Une bureaucratie politico-policière spécialisée dans l'administration de la terreur, dans latechnique de l'extermination industrielle, prend une place capitale :les S.S. (D'où le titre du livred'E. Kogon).
C'est ce système qu'il a décrit, àpartir non seulement de sa propreexpérience de Buchenwald, mai..d'informations recueillies sur d'autres camps. Plusieurs chapitres relatent avec précision de quoi étaientfaites la vie et la mort des déportés : l'entassement, la lutte permanente pour l'existence, les conditions inhumaines de travail, la maladie, la faim, le froid, l'insécurité,les tortures. Quant à l'essence dusystème, elle repose sur deux éléments.
Le premier est ce que l'on pourrait nommer l'administration indirecte. Les camps étaient administrés par les détenus, sous la surveillance d'une hiérarchie SS parallèle.Au commandant du camp (Lagerführer) correspond le doyen ducamps (Lageraiteste). Viennent ensuite les responsables de bloc(Bloclcalteste), de chambre (Stubendienst) et les messagers (Lauler).Coiffant le tout, des services administratifs spécialisés : le ravitaillement, source de nourriture, doncde vie et de contacts possibles avec
Le système• •concentrationnaire
COLLECTIONS
«R»
La Quinzaine littéraire, du 1« au 15 mai 1970
1 cxterieur ; l'hôpital (Re1'ler). poste clé pour s'abriter, faire abriterun ami, mais aussi éliminer unadversaire ou prendre l'identitéd'un mort. Au-dessus, une sortede ministère de l'intérieur : le Secrétariat (Schreibstube). tient rétatcivil de cette ville immense; la section politique (Politische Abteilung) dispose des informations politiques sur les détenus et permctdonc de les connaître, de discernerles ennemis de camoufler un allié;une sorte de police intérieure (La~erschütz) maintient cc l'ordre ».Enfin l'administration du travail,oÙ le rôle essentiel est joué parl ,1rbeitstatistik, qui répartit lesemplois, d'où dépendent chaquejour la vie et la mort. Kapos etvorarbeirers surveillent les esclaves.
A toutes ces fonctions s'attachentdes privilèges considérables : plusde nourriture, moins de coups,l'exonération des travaux les plusmeurtriers, en un mot la possibilitédirecte ou indirecte, d'écarter oude rapprocher la mort. Tel est l'enjeu de la lutte pour le pouvoir.Pour comprendre par qui et comment seront exercées ou contrôléesces responsabilités, il faut passerau second élément du système : ladifférenciation des déportés. Il n'yaurait pas de pire erreur que cellequi consisterait à imaginer unemasse homogène de détenus faisantface aux 55, L'hétérogénéité desdéportés est fondamentale : différenciés par la langue, la nationalité, la confession, les détenus sontenfin et surtout divisés par le motif de leur déportation. Aux politiques s'opposeront les droits communs, Réelle, cette hétérogénéitéest consacrée dès l'arrivée au camp.Chaque détenu doit porter un triangle indiquant son origine : rougepour les politiques, vert pour lesdroit-commun, jaune pour lesJuifs, rose pour les homosexuels,violet pour les Témoins de Jéhovah,sans oublier l'indication, par unelettre, de la nationalité. L'une oul'autre de ces qualités peuventd'ailleurs se conjuguer. La couverture du livre de Kogon reproduitces insignes,
Propriétaire du système et l'exploitant, la bureaucratie 55 règnesouverainement sur les déportés.Sadisme, pédanterie administrativeet préoccupations économiques voisinent chez elle. Méticuleuse, volontiers didactique et moralisatrice«( Le travail rend libre »; (c Achacun son dû »; cc Un pou, tamort »), elle secrète son propre
langage, on trouve dans les archivesdes exemples innombrables du vocabulaire aussi neutre et aussi technique que possible alors en vigueur,qu'il s'agisse de la désignation descamps ou de celle des traitementsinfligés aux déportés,
A propos du comportement deceux-ci, E. Kogon émet des jugements que les études publiées depuis vingt ans ont en gros confirmés. Ainsi celui-ci : l'accoutumance psychique, donc la résistancephysique et la survie étaient directement fonction de la force de caractère et de la présence de convictions politiques, religieuses ou morales chez les détenus.
Encore n'est-ce pas tout. Cet univers totalement réglementé étaitaussi celui où régnaient l'arbitraire,voire le bouffon. Arbitraire, la classification des camps, contenue dansune circulaire de Hevdrich du -;décembre 1941 qui ~nonce gravement que les camps de premièrecatégorie (Dachau, Sachsenhausenel... Auschwitz 1) sont réservés auxdétenus susceptibles d'amendement.ceux de la seconde catégorie (dontBuchenwald, Neuengamme et Auschwitz II) aux détenus sur lesquelspèsent de lourdes charges, maisencore susceptibles d'amendement.Comme le note Mme Olga Wormser-Migot dans sa remarquable .thèse «( Le système concentrationnairenazi - 1933-1945 », Presses Universitaires de France, 1968), ils'agissait là d'une opération de camouflage parmi d'autres : « Volonté de déguiser la réalité concentrationnaire en se donnant à soimême, à ceux auxquels s'adressentles directives, et qui sont pourtant
dans le secret des camps, l'illusionque tout ce qui se passe dans lescamps est strictement dosé, vouluet qu'il peut se concevoir des degrés dans la situation concentrationnaire ». Arbitraire parfois l'affectation aux déportés de tel ou teltriangle, comme le note E. Kogon :cc Les insignes donnés aux prisonniers ne fournissaient aucune garantie absolue quant à leur qualitéet leur appartenance réelle. ) Lebouffon ? Il suffit de se rappelt'rque Buchenwald eut des équipessportives aux maillots impeccables,des orchestres, une salle de cinéma, une bibliothèque et une maisonclose, Les camps avaient aussi desprisons et des cachots. Laissonsconclure Jean Cayrol :
« Neuf millions de mOl·ts hantentce paysage. Qui de nous veille danscet étrange observatoire pou r nousavertir de la venue de nouveauxbourreaux ? Ont·ils vraiment unautre visage que le nôtre '? Quelquepart, parmi nous, il y a des kaposchanceux, des chefs récupérés, desdénonciateurs inconnus. II y a tousceux qui n'y croyaient pas, ou seulement de temps en temps. Et il Ya nous qui regardons sincèrementces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mortsous les décombres, qui feignons dereprendre espoir devant cette imagêqui s'éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire,nous qui feignons de croire que toutcela est d'un seul temps et d'un seulpays,et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin. »
Roger Errera
«Jeune éditeur qui a choisi pourprogramme liberté dans diversité cherche pour dernière née de ses collections auteurs personnellement concernés par révolte particulière, individuelleou collective, d'aujourd'hui ou d'autrefois, sur laquelle il leur serait demandéd'apporter regard neuf et conceptionssubjectives. Universitaires et pédantsde tout poil s'abstenir.»
L'annonce, est-il besoin de le préciser, est de notre cru et nous n'espérons guère la voir figurer demain' dansles pages spécialisées des grandsquotidiens. Cela n'aurait rien de choquant. cependant, aux yeux de ceux quitiennent - et ils sont nombreux que les temps sont proches où toutcitoyen normalement constitué se sentira sinon tenu du moins habilité àprendre la plume, soit pour rendrecompte de son aventure particulière,soit pour reprendre à son compte telleaventure de l'humanité qui lui paraitoffrir avec la sienne propre tout unréseau de correspondances éclairantpour l'une et pour l'autre.
Gageons, en tout cas, que si notreappel devait être entendu, la chosen'aurait rien pour déplaire à Jean Plumyène et Raymond Lasierra qui président, chez André Balland, aux destinéesde la collection « R» (comme Révolte,Rébellion, Révolution) et dont le grandproblème à l'heure présente n'est pasde trouver des idées nouvelles, il s'enfaut, pas même de gagner à leur entreprise un public qui, à en juger par l'accueil fait aux premiers titres, semblelui avoir été acquis d'entrée de jeu,mais bien de découvrir de nouveauxtalents capables de tenir la gageurequ'ils leur proposent.
Car du talent, il en faut beaucouppour réussir à concilier la passion etla rigueur scientifique, l'érudition et latenue littéraire, le coût du détail, de lacouleur, des faits, et celui de l'analyse,de l'eXégèse. de la démythification.C'est ce dont Gilles Lapouge nous faitla brillante démonstration lorsque, traitant de l'histoire des Pirates (voir lenuméro 87 de la « Quinzaine»), il nouspropose tout ensemble une fascinantegalerie de portraits, le récit haletantd'une des révoltes les plus extrêmeset, en tout état de cause, les plus étendues dans le temps qu'ait connuesl'humanité, et un essai anthropologique,sociologique et philosophique à traverslequel se fait jour le sens même d'unprojet à contre-courant de l'ordre établi,d'une mythologie insolite quoique fondée sur ces thèmes devenus aujourd'hui familiers que sont l'impossible,l'échec et la transgression.
De même, Claude Mettra, ressuscitant dans le Grand printemps desgueux ces révoltes à demi-muettes, cesmouvements presque souterrains desmasses populaires qui, en 1925, allaientallumer en Allemagne un immenseincendie, choisit de le faire par le truchement de Thomas Münzer, familierd'Erasme et de Dürer, dont le témoignage passionné ajoute ainsi unedimension inhabituelle à cette étuderemarquablement documentée.
C'est dans une optique non moins« personnelle. que Joël Schmidt, étudiant cette révolution fondamentale queconstitue pour l'humanité l'apparitiondu christianisme au sein de "Antiquitédans un livre qu'il intitule le Christdes profondeurs, s'attaque avec un
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PSYCBIATRI..
La contestationsavoureux mélange de fougue et derigueur qu'il doit à sa formation protestante à la problématique même durap·port entre Rome et les chrétiens quilui paraît mieux que toute autre approche éclairer l'histoire du christianisme.Et la, même démarche pousse JeanBécarud et Gilles Lapouge à analyserdans les Anarchistes d'Espagne les origines lointaines de la flambée de 1936pour mieux interpréter toute rhistoirerécente de l'Espagne et, au-delà de cephénomène singulier, les fondementsmêmes des relations entre la libertéet ('Etat, l'idée et le réel.
Dernier titre paru de la collection,Les esclaves noirs de Hubert Gerbeau,est le récit terrible de ces révoltesabsolues parce que dés~spérées quimarquèrent l'histoire de l'esclavage, enmême temps que l'exégèse d'un phénomène inquiétant pour l'esprit en cequ'il menace de subsister longtempsencore, quel que soit le progrèsdes sociétés, dans l'inconscient del'homme.
Circonstance piquante, qu'on ne saurait manquer de souligner, la collection« R - a été conçue à une époque où,si l'on s'en souvient, la France s'ennuyait ferme, c'est-à-dire un mois avantl'explosion de mai 1968. Bien des livresont été écrits sur les événements quiréussirent si bien alors à désennuyer laFrance. Aucun, semble-t-il, n'a réussi àfaire surgir cette « lecture au seconddegré - qui est l'idéal poursuivi et sou·vent atteint par "ensemble des étudesque nous venons d'évoquer.
OUVRAGES A PARAIIRE
Les écrivains encagés (titre provi·soire), par Françoise d'Eaubonne qui, àtravers quelques cas exemplaires telsque Saint-Jean de la Croix ou Genet,retrace l'histoire des écrivains qui, entout temps et en tous pays, euren1maille à partir avec la justice régulièreou séculière.
Les Dandys, étude historique, sociologique et philosophique sur le phénomène du dandysme, par E. Carassus.
Les .Gnostiques, par Jacques Lacarrière, qui analyse le problème de lagnose depuis les chrétiens aberrantsdès . premiers siècles après Jésus·Christ jusqu'à ces résurgences modernes de l'esprit gnostique que sont,çI'après l'auteur, le surréalisme ou lephénomène hippy.
'Toujours chez André Balland, vientd'être créée une collection d'essaispolémiques avec, pour premier titre, lepamphlet de Jean-Jacques Brochier paruce m'dis-ci sous le titre de Cllmus. philosophe pour classes terminales. ParmIles ouvrages à paraître prochainement:A r a g 0 n, prisonnier politique, parAlain Huraut, jeune poète· qui met enquestion l'art poétique de cet auteur,dégradé ou tout au moins infléchi,s·eJon lui, par ses appartenances poli·tiques; Demain le parricide ou la dé·mission du père dans le conflit degénérations actuel, par André Coutu,auteur de deux ouvrages parus chezFayard: Dix siècles de violence auquartier latin et La lune n'est pas.morte, En préparation, un pamphlet deJeiln-François Steiner contre la clientèle de « L'Express -.
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" Ceux qui étaient enfermésici, priaient pour mourir;nous étions entassés à quatrevingts dans des dortoirs grillagés, gilets de force pour les
.épaules et les pieds, attachésà un arbre dans la cour... » Letémoignage d'Andréa, un aveugle interné depuis de longuesannées à l'hôpital psychiatri·que de Gorizia, sur la frontièreitalo·yougoslave, tout près deVenise, donne le ton du livrecollectif du psychiatre italienFranco Basaglia et de sonéquipe.
L'Institution en négation.30us la direction deFranco Basaglia.Tracl. de l'italienpar Louis Bonalumi.Coll. « Combats n.Le Seuil, éd., 288 p.
C'est en terme cIe lutte militanteque nous est retracée, en une quin.zaine de témoignages enregistrés,de comptes rendus de cliscussions,d'extraits de journaux de borllpermnnels et d'articles, cette sor·te de guerre de libération qui aété menée Ilepuis dix années pour« renverser n l'institution trallïtionnelle. Et cela sans le moindre pédantisme. D'emblée, un re·fus violent de toute pseullo- neutralité scientifique dans ce domaine, qui, pour les auteurs, est éminemment politique.
Les cho~es ont commencé en1961. La nouvelle direction del'}>ôpital - sous l'impulsion duDr Basaglia, a opéré 1< une brusque rupture de la soliclarité fonc·tionnelle II au sein du personnel,le démarqual!e d'une « avantgarde» qui refusera d'assumerplus lon~temps le « mandat Ilecure et de surveillance» confiépar la société répre~sive. Progressivement, tous les sen;ces serontouverts ; Iles assemblées généralesou\'erte~ à tous wnt instituées, onintensifie les communications,l'organisation des loisirs et de lasocial-thérapie...
Au début, « personne ne desserrait les dents n, puis ce fut ledégel, une vie intense gagne tousles services, plus de cinquanteréunions par semaine pour l'ensemble de l'hôpital, d.es améliorations spectaculaires sont obtenues, des malades sont renvoyés
chez eux après Ilix, quinze ouvinl!t ans d'hôpital.
Basaglia et Minguzzi cléciclentalors cie mener une en<!uête appro.fonllie sur les expériences similaires en France, celles clu courantde Psychothérapie inst itu! ion·nelle, et en Angleterre, cenedes Communautés thérapeutiques(Dingleton sous la clirection deMaxwell Jones). Progressivelnent,ils Ilégagent leurs propres conceptions, prennent leur distance àl'é!~anl Ile ces autres tentativesqu'ils jugent trop réformistes etremettent en cause leurs propresIlémarehes initiales.
Jusque là, c'était l'équipe diri-geante « l'avant-garde> li
qui « octroyait des pri\jlège~ II
aux malades. Les dés étaient pi.pés. Basa/!lia et son équipe Ilécilient, en 1965, Ile clévelopper plusà fond la « culture communautai.re II qui, peu à peu, gagne duterrain et modifie les rapports deforce réels entre le personnel etles malades. Les conceptions cieMaxwell .Jones sont critiCfuées:ils consiclèrent que les techniquesdu « reachin/! a consensus II nesont, après tout, qu'une nouvelleméthode d'intégration clu malafleà la société répondant à « l'illéalde panorganisation de la société"néocapitaliste" Il (p. 149, LucioSchiter). La fameuse « troisièmerévolution psychiatrique », ne serait, selon les auteurs, qu'« unetnrdive adaptation des m{)dalilé.~
de contrôle social dll comportement pat/lOlogi(IUe all:t méthode.~
de prodllction perfectionnées a"cours des quarante dernières (fn
née.~ par ies .~ociologlle.~ et lestechniciens de la communicationde masse. » (p. 149).
Ils refusent Iionc toute politiqued'amélioration et de consolidationdes hôpitaux, cette politique qui,en France, devait mener les couranIs psychiatriques les plus nova·teurs à collaborer étroitement avecle ministère de la Santé, à élaborer, avec les hauts fonctionnaire",les circulaires de réforme des hô'pitaux psychiatriques, etc. Expérience, à la longue, décevante etamère qui a conlluit au Ilésespoir certains psychiatres français,parmi les meilleurs (1).
En Italie, la situation des hôpi.taux et de la législation étant sansIloute une des plus archaïquesIl'Eurolle, de telles illusions nepouvaient guère être de mise
(coup de tampon infâmant ~ur
le casier jUllic'iaire de l'interné,inter!Iiction cles clroits civiquespenclant cinq ans, torture ill'étranglette: « un draf' le plu.~
.~()/i,.enl mouillé pour ('mp(;('''er [are.~piratio·n (I"e ['on tord étroitenu'nt mltour dll cou : [fi perte decml1l(1i.~.mllce e.~t imnl(~diate» (p.W-t., Basaglia).
Basaglia ne se fait pas Il'illu·,ion sur l'expérience de Gorizia:son avenir est condamné: aumieux, les eh oses y évoluerontconnne llans les Communautésthérapeutiques de Maxwell Jonesà Dingleton, c'est·il-dire dans un« engagement lliclactique et thérapeutique plus pou~sé au niv'eaudu staff, mais qui s'enferme clansla sphère particulière des intérêtsinstitutionnels n (p. 10(1).
A la différenl'e de ce qui sepasse généralement ailleurs, la« révolution psychiatrique Il (leBasaglia et de son équipe n'estpas « pour rire ». D'année en année, on assiste il une véritable e~'
calade qui a d'ailleurs entraînécIe graves clifficultés à ses promoteurs. (C L'open 11001' », l'ergothérapie, la socialthérapie, la sectorisation, tout cela est mis en placemais n'ac'croche pas de fac:on satisfaisante. Est·ce le contexte du« Mai ramnant li italien qui entraîne ce refus permanent Ile touteauto-satisfal'tion ? Ou bien e~t-ce
l'indifférence de l'Etat italien etson incapacité à promouvoir desréformes qui décourage toute tentative de rénoralion ? De toutesfac:ons, « l'avant-garclen de Gorizia n'en est pl us là: le « butcommun Il c'est maintenant le« renversement institutionnel », la« néga1ion Ile l'institution »,
l'équivalent italien Ile l'<mti-psychiatrie de Lail'g et Cooper enAngleterre (2).
L'honnêteté même Ile ce livreconduit à nous interroger sur lecaractère désespéré de celle tentative. N'est-elle pas habitée secrètement par un désir de voir leschoses craquer? Le proeès clialectique n'est-il pas en train de semuer en fuite en avant, et, en unsens de se trahir lui-même? Pour1'« anti-psychiatrie n, l'interven·tion politique constitue le préaJa.hIe cIe toute thérapeutique. Maisle mot d'orllre de 1< Négation del'institution n qui n'a de sens ques'il est assumé par une avant-garfJeréelle et solidement amarrée dansla réalité sociale, ne risque-t.j]pas de servir de tremplin .à une
psychiatriqueUne pièceconvenable
nou\'elle forme .Ie répression so"iale, celle fois au niveau Ile laSociété glohale el visant le statutmême de la folie?
llasaglia déclare 'lU 'avec les médicaments (ju'il administre « leméllecin calme sa propre anxiéli.face à un malalle a\'ec lequel ilne sait pas entrer en contaet nit rou\'er un langage commun » (p.117). Formule ambigui.: et peutêtre Ilémagogique, la ps.y<:hopharmacologie n'est pas, en soi, unescience réactionnaire! C'est lecontexte Ile son utilisation qui Iloitt-tre mis en question.
La nosographie également estpeut-être un peu légèrement jetéepar-dessus honl. Les voies .le larépression sont quelquefois suhtiles ! Plus efficaces que des policiers, peu\'ent devenir les tenants.l'une normalité il tout prix ! Avecles meilleures intent ions du monde, morales ou politiques, on envient à refmer au fou le Ilroitd'être fou, le : « c'est la faute àla société)), peut masquer unefaçon Ile réprimer toute déviance.La négation institutionnelle devieillirait alors une dénégation Verneinung, au sens freudien du fait singulier .Ie l'aliénationmentale. Avant de prendre optionsur la nosographie, Freud s'estemployé à donner vraiment laparole aux névrosés, à les Ilégagerde tout effet de mggestion. Renoncer à la suggestion médicale pourtomher dans la suggestion ('oUective ne constituerait qu'un héné·fice illusoire.
Je pense que Basaglia et sescamarades seront amenés à dépas~er certaines de leurs formulationsactuelles, un peu trop à l'emportepièce, et IC creuseront» leur pro-
pre écoute Ile l'aliénation mentalesans la rahattre systématiquementsur l'aliénation sociale. Les choses sont relativement simples etse doÎ\'ent d'être violentes quanllil s'agit cIe nier l'institution rép'·essive. EUes sont heaucoup plusdifficiles lIuatul il s'agit d'entendre la folie. Quelques formulesIl'inspiration sartrienne ou maoïste n'y suffisent pas.
La causalité politique ne régitpas aussi directement la causalité.le la folie. C'est peut-être, à l'inverse, un agencement signifiant inconscient, où loge la folie, quiprédétermine le champ structural où se déploient les options poliliques, les pulsions et les inhihitions révolutionnaires, à côté,au delà Iles déterminismes sociauxet économiques.
Bien heureusement, l'entreprisecIe Basaglia n'a pas basculé dan.;un dogmatinne théorique. Celivre est pré<:ieux en ce 'lu 'il posemille questions que les doctes dela psychiatrie contemporaine évitent soigneusement.
P.F. Guattari
1. Dernièrement ent'ore, la réformede l'ensei~nement de psyl'!liatrie, miseau point par les servÏ<'es d'Edgar Fauredevait semer la ('onfusion dans les rangsde la "ontestation psyl'!liatrique d'aprèsmai 19611. La SO('iété de Psyt'hothérapieInstitutionnelle elle-même s'est malremise du mouvement de mai, t'el' tainspsyl'!liatres estimant « qu'il ne s'étaitrien passé en mai Il, rien en tout (,asqui puisse ('Olll'erner la psydlothérapÎeinstitutionnelle, des positions violemment ('ontradi('toires s'affrontèrent lorsd'un C()n~rès International à Vienne en19611, Con~rès que Basaglia finit parquiller en ('laquant la porte.
2. Cf. « Politique de l'expérience»Laing, Ed'. Sto(:k et Recherches c( Spé·dal enfanœ aliénée >J, Il, dé.:embre 68.
1René EhniSuper-Positionsau Théâtre 347
Un plateau de théâtre, un lit,une productrice Nini " marxistestyle Express ", dit l'auteur, unmetteur en scène Vava ," marxiste style Nouvel Observateur JI, quelques comédiensstyle Béjart, on répète unepièce qui pourrait, on le suppose, être 0 Calcutta. Et c'estun débat sur le théâtre dit « politique " qui va s'engager car laproductrice Nini a fait venir« l'ami de la préfecture Il quipeut permettre ou interdire lespectacle.
Déjà, là, je ne comprends pastrès bien. On a, "c'est vrai, beaucoup de nùs sur le théâtre en cemoment et de spectacles ditsrévolutionnaires, mais je ne savais pas qu'on avait besoind'une permission ministériellequelconque et si on en avaitbesoin, tous ces gens étantmarxistes s'en passeraient. Onsait donc, a priori, que l'auteurne va pas parler de véritablethéâtre politique, mais d'unthéâtre qui se prétend tel et quiest tout à fait commercialisé.
La pièce, dans sa premièrepartie, est construite commeune pièce de boulevard, c'està-dire qu'on présente la productrice, le metteur en scène comme étant des types de notrethéâtre courant, on nous présente des comédiens amorpheset on nous parle de « l'ami dela préfecture JI, en préparantson entrée. Il arrive en effetà grand renfort de bruits desirène, sifflets, coups de freins,etc. Fin de la première partie.
C'est surtout dans la secondepartie que le débat s'installe.Les idées échangées sont souvent très confuses. Bien sûr,l'attaque contre les "artistesgauchistes" qui mêlent sur leurthéâtre 1ibération sexuelle etlibération politique, le tout parfumé d'encens et de yoga, estjuste, si du moins ce que montre Ehni est "' gauchiste ". Enfait, l'auteur dénonce un théâtrecommercial qui s'affuble desplumes du gauchisme. Mais onsait bien que ce ne sont pas làdes spectacles politiques, seulsles régimes en place ont intérêtà les considérer comme tels.
Vava est un metteur en scènede gauche tel que la droite sele représente. C'est en cela quela position d'Ehni n'est pasclaire: ou bien c'est une dénonciation du théâtre commercialdit politique (ce que je crois),ou bien c'est une dénonciationdu théâtre gauchiste non commercialisé mais, qui relève aussi.bien de l'amalgame et du confusionnisme car on y mêle souvent le Che, le dollar, le nu, .onpeut aussi ajouter le spiritualisme, la croix, le rite, etc.
Face à Vava et Nini, caricatures, images stéréotypées etparisiennes de la gauche, le personnage de « l'ami de la préfecture " est le seul à avoir unecertaine poésie, une certainetendresse. Il n'est jamais ridiculisé, il garde son individualité etparce qu'il est interprété sansexcès par Fernand Gravey, cequ'il dit prend valeur de véritépour le public et on est tenté decrolre que l'auteur parle à travers lui. Il a donc toutes lescartes en mains et il saura' 'Sansdifficulté manipuler Vava. SOilargument (celui de l'auteur,' jesuppose) selon lequel' il fautlaisser faire la révolution surune scène pour éviter qu'elle sefasse dans la rue, toute actionreprésentée étant une actiondésamorcée, relève d'une analyse superficielle du théâtre politique.
Quant à Nini, on a, par moment aussi, l'impression quel'auteur parle à travers elle. Sonargument est fort quand elle, difqu'on accepte la pornographiesur tous les murs, dans .toutesles publicités, qu'elle est, admise dès qu'elle représente unecertaine puissance d'argent etqu'on la refuse au théâtre aunom d'un moralisme Tartuffeparce que le théâtre dispose demoins de pouvoir d'argent, donc'de moins de p~uvoir tout court.
En somme, cette pièce con·vient parfaitement au régimedans lequel n 0 u s sommes.e L'ami de la préfecture ,,' estaussi un ministre aux idéese progressistes ", car enfin tousces gens-là entre eux c'est bonnet blanc et blanc bonnet, selonun mot célèbre. Je ne sais ,pa~,
au juste quel dossier plaideRené Ehni.
Simone Benmussa
La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 mai 1970 '25
TH*ATR.
Miroirs partout
Miroirs partout sur les scènes. Bérénice, vue par Planchon,les Bonnes dans la mise enscène de Garcia, en espagnol,les deux formes de tragédie,celle de jadis et celle d'aujourd'hui, inscrites toutes deux da:;sun labyrinthe de miroirs, se r3trouvent comme chez elles.
1RacineBérénice (par Planchon)Théâtre du Montparnasse
1Jean GenetLes Bonnes(par Victor Garcia)Cité universitaire
On savait déjà que le théâtrede Genet se fonde sur un jeude glaces; voilà que, dans Planchon, le jeu des glaces se fourreinsolemment dans la dramaturgie racinienne, dont il opèreune « mise en pièces .. autrement implacable que celle qUePlanchon fit semblant d'infligerau Cid. « Toute l'invention· consiste à faire quelque chose derien ", disait Racine. Jamais cerien n'a éclaté sur la scène avecune telle évidence; c'est lespectacle - et l'analyse - dece rien, qui fait la matière dece superbe exercice de troisheures.
J'admire la ruse de Planchon.Pour traiter cet .. objet archaïque.. qui est aujourd'huipour nous la tragédie racinienne,et voulant oublier toutes les
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exegeses qui en ont été faites,s'acharnant seulement à traquerles personnages dans ce qu'ilsd:seilt et ce qu'ils font, Planchon n'a cassé ni violé le cl dis-
. cours .. racinien, comme auraitpu le faire sauvagement Chéreau. Il l'a subtilement déplacé.De l'élégie magique. louisquatorzienne et classique, de 1670,il a fait un jeu de constructionbaroque, logé dans .une CourLouis XIII de roman précieux, un[eu sur l'amour et la gloire etleur mécanique compliquée,comme on I.es aimait vers 1630,avec une héroïne dure, à l'orgueilleux courage, sortie toutdroit de Corneille. 11 suffisait d'ypenser.
Donc, on nous montre quoi?Trois personnages de roman(presque de bandes dessinées) ,toujours prêts à prendre desposes, trois êtres jeunes et narcissiques se contemplant, multipliés, dans des miroirs, « semirant dans leurs monologues ",comme dit Planchon pris au jeude leurs paroles plus ou moinsdoubles, plus que livrés à devraies passions, ne croyant pasnécessairement à ce qu'ils disent, cc corrigeant d'une scène àl'autre le sens qu'ils donnent àleurs actes » et créant de leurssincérités successives une réalité à demi fantasmatique. unmonde incertain, presque imaginaire ou rêvé, que le jeu desmiroirs irréalise davantage encore; imaginaire comme cetteCour idéale sortie d'un rêve et
multipliée par les glaces: unmonde de figurants tyranniques,joliment habillés de tons pastels par René Allio. architectede ce palais : officiers, gentilshommes, dames de Cour, cardinal romain, et un Paulin-Col·bert armé de la raison d'Etat;tout ce « monde extérieur .. , tyranniquement présent, et chargéde figurer Rome et sa Loi,arpente le plateau (un plateaucarré qui s'enfonce de guingoisdans le public) selon les mouvements, rectilignes et à angledroit, d'une géométrie qui compose un espace parfaitementirréel; un monde où le bruit despas se répercute à l'infini, insolite et menaçant comme dansles songes, ou comme la voixdu Dieu janséniste, spectateuret muet. A la fin, quand Bérénice, lionne blessée dans sonorgueil, arrache dans sa colèrele pan d'une alcôvé qui s'effondre, c'est moins le mur du palais de Titus que les briques duthéâtre qui apparaissent : toutecette réalité - en fait cesallées et venues et cette rhétorique - n'était que jeux de théâtre et fantasmes d'adolescents:il ne s'est rien passé.
Rien. Dès le début. d'ailleurs.Titus sait qu'il renverra Bérénice; il ne l'aime plus ou dumoins ne sait plus s'il l'aime,ce qui revient au même; cequ'il sait c'est qu'il est probablement empereur de Rome,puisqu'il se voit et veut se voirtel dans ses miroirs. et que cejeu nouveau est plus fascinantqu'une maîtresse déjà ancienne : adolescent fragile et crispé,empereur-enfant maladroit etembarrassé, à la fois apeuré, etsadique sur les bords, il est,aprés tout, fort racinien. Antiochus, aussi gosse mais plus romantique ou plus romanesque,s'enivrant délicieusement deson malheur, de sa vocation del'échec, est un Oreste modéréoue la folie ne menacerait Pd s,Quant à Bérénice, heureuse rrincesse de magazine tant qu'elleignore ce qui l'attend, blondeinsouciante aux coquetteriesgamines. l'amour ni le désespoir. sauf par bouffées, nel'étouffent; c'est l'orgueil blessé qui la rend furieuse, et femelle terrible, le seul homme,finalement de la pièce. Bref onest à mille lieues de l'élégietragique et du déchirant adieu;
nous ne nous en plaindrons pas.
Sami Frey, malgré sa voixcoincée dans le nez, Denis Manuel, Antiochus de roman. etFrancine Bergé - on sait depuisles Abysses· quelle comédienneelle est - ont été excellemment ce que Planchon voulaitqu'ils fussent. Transposant euxaussi dans l'espace, par leursdéplacements rigoureusementgéométriques, l'artifice et laconvention de l'alexandrin detragédie, et diversifiant le discours tragique à travers un savant appareil de cris, soupirs,silences, déclamations. joutesoratoires, ils rendent la tragédie à sa machinerie rhétorique.Bref, je me trompe peut-être,mais il me semble que, dans cetrès brillant exercice de man·darin, Planchon, en décapantainsi Bérénice comme il avaitdécapé Tartufe ou Richard III,prend un malin plaisir à nousdire que Racine (du moins dansBérénice) n'est pas Shakespeare, ni Molière, et que cettequintessence de la culture française n'a finalement rien à nousdire aujourd'hui sur l'homr.:e.son destin et son histoire (dpart. peut-être, le néant - janséniste - du monde, mais çaintéresse qui?) et que mettreen scène ce rien est un plaisirde choix pour un homme dethéâtre très intelligent et un peudésabusé.
Il est bien certain, en tout cas,qu'une tragédie modeste ·com.me les Bonnes nous parle unlangage singulièrement .plus riche que ces jeux raciniens, àquelque niveau, ou selon quel·que grille, qu'on les déchiffre.Quand on a vu la mise en scèneque Victor Garcia a présentéedes Bonnes à Barcelone et à Ma..drid - et pour quelques joursà la Cité Universitaire - (ainsique le fragment de film, haliucinant, réalisé sur sa mise enscène du Balcon à Sao Pauloj,on comprend que Genet, dansl'enthousiasme, ait donné à Garcia les droits sur son œuvre.On a l'impression de voir lesBonnes pour ·Ia première foistelle qu'on imaginait l'œuvre :cc une version admirable - ditGenet - qui rajeunit mon texteet lui donne de nouvelles dimensions »; non, sa vraie dimension plutôt. Dans un labyrinthede miroirs - non plus la Galerie des glaces logée par Allio
CINEMA
A ··.' ntonlonl
et de ses différents mondes, sans liens
Une image frappante de l'Amérique
entre eux. Un montage brutal et rapide.
celui omniprésen des forces de répression, policiers bardés d'antennes,plus semblables à des habitants d'unmonde étrange qu'à des hommes.
Contrairement à ses précédentsfilms, où il utilisait u" style feutré etallusif pour décrire un monde indéciset inquétant, Antonioni utilise ici degros plar.s brefs, des zooms, un montage brutal et rapide (sauf dans' laséquence du désert. bien entendu)ahn d'exprimer la violence d'un univers où toutes les forces sont agressives. Deux séquences sont particu-
lièrement réussies: l'arrivée du petitavion bariolé de tendres couleurs psy·chédéliques, petit papillon hésitant etfragile pris en chasse et cerné implacablement par les voitures de police et le morceau de bravoure du film,destruction imaginaire du motel où setient la réunion d'affaires et, par enchaînement. de toute la société américaine: les aliments,' les vêtements,les produits de toutes sortes, y compris les livres, s'éparpillent dans unchatoiement de couleurs explosivessur un fond de ciel bleu, terminant cebeau film dans une apothéose quel'emploi du ralenti rend encore plusinquiétante.
C'est une œuvre qui frappe surtoutpar sa, clarté, sa simplicité, l'efficacitédes moyens employés. Peut-être pourrait-on reprocher à son auteur de nefaire que constater une crise déjà bienconnue, mais il est un des premiers àl'avoir exposée avec une maîtrise quiest le propre des classiques.
Annie Goldman."
Dans Zabriskie,Point, il va plus loin. Iln'est plus passible de ne pas prendreparti, de s'évader dans une sérénnéartificielle; il Y a un lien entre lamort du jeune homme et le groupefinancier pour lequel travaille Daria.Mais, comme toujours chez Antonioni,ce lien n'est pas indiqué, C'est à Daria, et éventuellement au spectateur,de le faire. Le seul moyen d'empêcher de telles morts est de détruireune société au service d'lIne classedominante. Déjà, le caractère facticedu paradis rêvé par Daria était suggé-
ré dans la scène d'amour: la jeunefille imagine le désert peuplé de couples, trios, groupes faisant l'amour,mais leurs gestes étaient caricaturauxet la poussière qui recouvrait leurscorps les apparentait à des cadavres;cet. âge d'or n'en était pas un, car seretirer dans le désert ri'est pas possible tant qu'il y aura des gens pour letransformer -' par l'argent - en unejungle cruelle et mortelle.
Les amateurs d'Antonioni apprécieront comment en quelques plans il adonné une image frappante de l'Amérique: son gigantisme (énormes panneaux publicitaires, camions-citerneslléants, autoroutes vertigineuses), sesfantastiques moyens techniques, sesmillions de dollars. Plus encore, lajuxtaposit:on des différents mondessans liens entre eux: celui des affaires, uniquement préoccupé d'investissements et de rapports, celui· descontestataires, celui des • laisséspour compte", petits blancs silencieux, isolés, perdus dans des snackspoussiéreux, 'enfin, par-dessus tout,
Le dernier film d·Antonioni. Zabriskie Point, surprendra peut·être lesspectateurs dans la mesure où il ré·vèle un certain « engagement» de sonauteur, lequel paraissait jusqu'alorsse tenir à l'écart des courants du cinéma critique. En réalité, il ne fai1que développer d'une manière plussimple, plus directe et plus claire, uneproblématique déjà contenue dans sesfilms antérieurs, en particulier depuisl'Eclipse.
Le dernier film d'Antonioni.Zabriskie Point, suscite desprises de position passion·nées et contradictoires. Nousdonnons ci-dessous d euxpoints de vue opposés. Lelecteur - qui sera vraisemblablement aussi spectateur- jugera.
Dans Blow Up, Antonioni, dressaitle constat d'un échec: celui d'unesociété en apparence heureuse et facile, en réalité fausse et sinistre;mais il terminait sur une note pessimiste : le héros prenait conscience decette facticité mais s'y résignait.
Dar.s un campus de l'Université deCalifornie, les étudiants noirs se réu·nissent pour décider l'occupation del'université et convient leurs confrères blancs à les suivre. Différentesthèses s'affrontent: radicalisation desmilitants, hésitation, enthousiasmedes Blancs. L'un d'entre eux, peuconvaincu de l'efficacité des méthodes proposées et las des discussionsstériles, quitte la réunion. Cependant,il participe à la manifestation et tue- de sang-froid - un policier. Obligéde fuir, il s'empare d'un avion privé etvole vers le désert proche. Or, làjustement, roule en voiture une jeuneétudiante, Daria, secrétaire d'un homme d'affaires chargé de créer un énorme complexe immobilier dans cettezone. Les deux jeunes gens se rencontrent - d'une manière un peu sophistiquée, il faut le dire - mais sile garçon par son acte, se trouve déjàà un certain point de non-retour, lajeune fille, en revanche, préfère croire en la possibilité d'une évasion individualiste - la drogue, les méditations d'un douteux «maître à penser» - et se moque des révolutionnaires qui préfèrent lutter dans la réalité plutôt que « d'élargir le champ déleur imagination". Après une halteau point central du désert, ZabriskiePoint, gigantesque paysage lunaire desable et de roc, lesieunes gens seséparent. Naïvement, le garçon croitpouvoir rendre impunément l'avionvolé et la jeune fillp- part rejoindreson patron, en conférence avec ungroupe financier. éventuel bailleur defonds. Mais, évidemment, la police seprépare à accueillir le jeune voleurqui est tué avant même de sortir del'avion, et Daria, comprend en apprenant la nouvelle, qu'elle ne peut plusse réfugier dans l'évasion et qu'il nelui reste qu'une solution, abandonnerson travail et rejoindre - éventuellement - les grounes révolutionnairesfbien que ceci ne soit pas clairementdit dans le film).
GiUes Sandier
Jamais cette violence sacrilège à travers laquelle deux pa·rias ne parviennent pas à exorciser leur condition de parias,cependant que la consciencedes maîtres. retournée commedoigt de gant. est jetée à j'encan et rendue à sa pourriture,jamais cete messe, selon Genet, n'avait atteint cette altitudetragique, ni ce pouvoir de dénonciation. Il fallait que Garciavînt.
dans un cabinet Louis XIII, maisuri mur de plaques de métalmobiles et verticales, cernantun haut-lieu de sacrifice et demeurtre, Garcia, avec son sensespagnol, cérémonial, érotiqueet funèbre, rend la scène, com·me le veut Artaud, à sa desti·nation de 1ieu rituel. dont l'au·tel. au centre - c'est-à-dire lelit - ressemble à ce trou d'ombre sur lequel les devins antiques évoquaient les morts. Etla messe noire commence. jusqu'à la consommation du rite,jùsqu'aux noces sacrilèges desdeux sœurs, la criminelle et lasainte.
Une messe dont la liturgie estconduite au rythme d'une tran·se continue, qui nous projetted'emblée dans l'onirique, selonles lois d'une déclamation savante, rompue, accélérée, à lascansion démente, usant d'unfantastique apparei 1 de rupturesde ton, de dédoublements, dechangements de registre desvoix, toute une construction verbale et gesticulatoire chargéede porter ce terrible jeu c1'images et de signes à travers quoideux pauvres filles, deux souillons en blouse noire, pariasvouées à l'amour et la hainesans issue, jouent jusqu'aubout de leur condition d'humiliées: tantôt grimpées sur descothurnes pour jouer la cérémonie dont Madame est l 'hostie, tantôt tapies dans leur ordure gratta:=It la terre comme desenfants de Bunuel ou des bêtesapeurées. Quand Madame apparaît, tombant des cintres comme un Jupiter d'Opéra, toute caparaçonnée d'or et de toc et sepavanant, divinité idiote, dansun bruit de clochettes, commence alors la lente ascensionvers le rite du crime, qui devient en fait une lente descentedans la mort.
Lli Quin7.aine littéraire, du 1" au 15 mai 1970 27
~Antonioni
FEUILLETON
Tout ~a est de la vieille histoire. Je conseillerai à
Antonioni la lecture complète des œuvres de Brecht.
par Georges Perec
A tort ou à raison, chaque film deMichelangelo Antonioni est considérécomme un événement. Si vous aVez'le malheur d'être considéré comme uncinéphile, on ne commence plus parvous dire bonjour quand on vous rencontre, on vous demande: «Qu'est-ceque vous pensez du dernier Antonioni,Zabriskie Point?» On a envie de répondre: «Pa.s fameux» et d'allerboire un verre sur les bords de ·IaSeine en regardant les jeunes fillesqui rient comme ça, pour rien, à latable d'à côté. Enfin puisqu'jl fautparler de Zabriskie Point, parlons-en.C'est un film qui touche à beaucoupde problèmes à la fois, qui est fait debeaucoup de sujets très à la mode:la révolte étudiante, la drogue chezles jeunes, l'impérialisme américain,plus agressif et auto-satisfait que j~
mais, le problème du couple et la revolution sexuelle, la société unidimensionnelle, etc.
Au premier abord, tout ceci sembleun peu décousu: je veux dire dans
le film, ou plutôt mis bout à boutcomme des éléments d'une démonstration pas très convaincante parceque d'un' mécanisme trop simplet.L'histoire est facile à résumer. Unjeune étudiant contestataire blancs'aparçoit que les flics de son paysn'hésitent pas à cogner, et rneme àtuer pour faire régner l'ordre (uncomble pour la 'glorieuse Amérique,pays de la liberté et du coca-cola), ilvole donc un avion pour fuir cetteterre d'agents d'affaires et de policiers armés de fusils à lunette et debonne conscience (celle de ce queM. Nixon appelle la majorité silencieuse). Il s'envolera sous les yeux ébahis des mécaniciens de l'aérodrome.Il rencontrera dans le désert une jeune fille en vditure fuyant son amantagent d'affaires, sorte de Jean-JacquesServan-Schreiber ne rêvant que management, technocratie et Club Méditerranée pour toutes les bourses. Lejeune contestataire et la femme enrupture d'amant iront faire l'amour àZabriskie Point, un désert minéral quiblanchit les corps mais hélas ne purifie pas les âmes de ses tourments.Les plans du coït, filmés selon uneesthétique très magazine • Play Boy",montrent, comme toujours chez le réalisateur, la parfaite solitude des partenaires. L'affaire se terminera tragiquement mais logiquement. A p r è savoir traîné sur les routes au volantd'une vieille voiture grise, ce coupleen fuite finira par revenir au point dedépart. Le garçon posera l'avion surl'aérodrome pour se faire abattre parles flics comme un vulgaire gibier.La jeune femme retournera auprès deson <lmant, lui dira bonjour et trouverasa tête vraiment insupportable de contF!ntement. Elle reprendra alors sa voi·ture et rêvera que la maison saute,que le cauchemar climatisé vole dansle,s airs, avec ses bouteilles de Coca,
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ses cigarettes Lucky Strike, ses frigidaires bourrés d'épinards en boîte.
. Bref, elle rêve de faire sauter la société. Point final. Par ici la sortie m'es-sieurs dames.
Ce film donne l'impression terrifiante d'être admirablement composé surle plan technique. Antonioni sait choisir ses objectifs, diriger un travelling,mais exactement comme un photographe de mode sait trouver l'anglede prise de vue. Cela donne donc unfilm glacé, élégant, avec des beauxpaysages, des têtes de flics plu~
vrais que nature et des couples qUiroulent nus dans la poussière. Toutceci ne serait pas gênant si on nesentait une volonté de faire pensersur l'échec de la société, sur le malêtre de l'individu moderne, sur le malheur de ces deux personnages d'aujourd'hui à la recherche d'un nouvelEden. Les personnages ont l'air surpris de n'avoir pas trouvé le bonheuren roulant l'un sur l'autre, loin desvilles et de la civilisation corruptrice.
Ces enfants du Coca-Cola et de Rousseau (mais plus encore de D.H. Thoreau puisqu'ils sont américains) traînent leur ennui et se replient sur euxmêmes. On finit par trouver qu'ils seprennent trop au sérieux, qu'ils s'écoutent trop vivre. Notamment la jeunefi!le dans la dernière bobine, qui joueles Jeanne Moreau désabusées, en errant l'air dégoûté le long des vitresd'une sorte de villa accrochée à unrocher. A aucun moment les personnages n'ont l'idée de passer de larévolte individuelle à une prise deconscience collective. L'idée que lemonde peut se changer ne les effleure pas. Ils se replient sur eux-mêmes.Ils cultivent leur désespoir avec unsoin assez morbide. On aurait enviede leur dire: ne vous regardez plusle nombril et passez à l'action politique. Mais non. Ils restent coincés,peureux finalement, tragiques et naïfsà la fois, individualistes forcenés quifinissent par en crever sous l'œil impassible des flics américains (quiont vraiment l'air très imoassibles,même en tirant au pistolet!l.
Antonioni a voulu montrer l'Amérique telle qu'il. la voyait: sorte de désert rouge. de désert où ne poussentque la violence, le dollar et les agentsd'affaires. Ses deux personnages ressemblent à de modernes Paul et Virginie s'apercevant que le monde n'estpas fait pour les enfants rêveurs. Ilscherchent la fuite par tous lesmoyens. La drogue étant la plus priséeactuellement. Mais tout ça est de lavieille histoire, Il y a longtemps queles hommes cherchent l'ailleurs et finissent par retomber sur la fornication, la lecture des journaux, le bridge,le suicide mJ la lecture. Pour cettedernière. je conseillerai à Antonionila lecture complète des œuvres deBertolt Brecht.
Jacques-Pierre Amette
La conception des enfants est, surW, l'occasion d'une grande fête quel'on appelle l'Atlantiade.
Les femmes W sont tenues dansdes gynécées et soumises à une gardeextrêmement vigilante, non par craintequ'elles ne s'échappent - leur docilité est exemplaire, et elles ont dumonde extérieur une vision plutôt effrayée - mais pour les protéger deshommes: de nombreux athlètes eneffet, généralement parmi ceux queles lois impitoyables du sport W ontécarté des Atlantiades, tentent presque quotidiennement, en dépit dessanctions extrêmement sévèrE;ls quipunissent ce genre d'agissements, des'introduire par effraction dans le Département des Femmes et d'atteindreles dcrtoirs. L'optique particulière quirégit la Société W trouve d'ailleurs iciaussi une application originale: la rigueur du châtiment infligé à l'athlèteest en effet directement proportionnelle à la distance qui le sépare desfemmes au moment de son arrestation:s'il est surpris aux abords de la ceinture électrifiée qui entoure le gynécée, il risque d'être passé par les armes séance tenante; s'il réussit àfranchir la zone des patrouilles, il peuts'en tirer avec quelques semaines decachot; s'il parvient à passer le murd'enceinte, il ne se verra infliger qu'unesimple bastonnade et s'il a la chanced'arriver aux dortoirs - la chose nes'est jamais vue mais elle n'est pasthéoriquement impossible - il serafélicité publiquement sur ·Ie stade centrai et recevra le titre de Casanovad'honneur. ce qui lui oermettra de participer officiellement à la prochaineAtlantiade.
Le nombre des femmes est assezrestreint. Il excède rarement le demimillier. La coutume veut en effet quel'on laisse vivre la totalité des enfantsmâles (sauf s'ils présentent à la naissance quelque malformation lés rendant inaptes à la compétition, étantentendu qu'aux pentathlon et décathlon une infirmité physique mineureest souvent considérée davantaoecomme un atout que comme un handicap], mais que l'on ne garde qU'unefille sur cinq.
Jusque vers 13 ou 14 ans, 18s fillespartagent la vie des garçons dans lesMaisons de Jeunes. Puis les garçonssont envoyés dans les villages, où ilsdeviennent novicGs et plus tard athlètes, et les filles gagnent le gynécée.Elles s'y livrent à longueur de journée à des activités d'utilité publique:tissage des maillots, des survêtements et des étendards, fabricationdes souliers, confection des costumesde cérémonie, tüches alimentaires etménaqères diverses, à moins, évidemment, qu'elles ne soient sur le pointd'accoucher ou qu'elles ne s'occupent,pendant quelques mois, des pouponsen bas âge. Elles n8 sortent jamais dugynécée, sauf pour les Atlantiades.
Les Atlantiades ont lieu à peu prèstous les mois. On amène alors sur lestade central les femmes qui sont présumées fécondables, on les dépouillede leurs vêtements et on les lâche surla piste où elles se mettent à courirdu plus vite qu'elles peuvent. On leurlaisse prendre un d8mi-tour d'avance,puis on larce à leur poursuite lesmeilleurs athlètes W, c'est-à-dire lesdeux meilleurs de chaque disciplinedans chaque village. soit en tout, puisqu'il y a vingt-deux disciplines et qua-tre villages, cent soixante-seize hommes. Un tour de niste suffit généralement aux coureurs pour rattraper lesfemmes et c'est 111 plus souvent enface des tribunes d'honneur, soit surla cendrée soit sur la pelouse, qu'ellessont violées.
Ce protocole particulier qui fait queles Atlantiades ne ressemblent à aucune autre compétition W a, on le devine, plusieurs conséquences remarquables. En'premier lieu, ~lIe p!ivecomplètement les non-classes (memes'ils ont triomnhé dans les Spartakiades) et les troisièmes des championnats de classement (par exemple,Perkins aux 400 m W, Shanzer aupoids Nord W, Amstel aux 100 m NordOuest W, etc.) de toute chance d'obtenir une femme tant au 'ils resteronttroisièmes ou, • a fortiori ", non clas·sés (et cela même si ce troisième est,par ailleurs, premier ou deuxièmedans un championnat local, une épreuve de sélection ou une compétitionolympique). En second lieu, le nombredes femmes étant toujours inférieur
bl· #pU" leSau 20 avril
Livresdu 5
Mikhaïl M. BakhtineProblèmes de hipoétique de DostoïevskyTrad. du russepar Guy Verret.Ed. de l'Age d'Homme,325 p., 28 F.
Le même ouvrage. estpublié au Seuil, dansune' autre traduction,
Bernd RulandDossiers intimesdu poùvoirTrad. de l'allemandpar N. Nideriniller.Presses de la Cité,318 p., 16,90 F;
De clara Petacci àSoekarno, en passantpar Eva Braun.. Evita .Peron et Trujillo, uneÇlaleri('l de portraitsdignes de laRenaissance italienne.
Jacques WeygandWeygand, mon pènFlammarion, 512 p.; 30 F,32 p. hors texte.
Une biographie appuyéesur des documentsinédits 'et sur lacorrespondance' intimede Weygand.
A. Michel, 276 p., 18 F.Une étude précisesur l'un desplus énigmatiques.des personnages duXVIII' siècle.
.Mikhaïl M. BakhtineLa poétiquede DostoïevskiTrad. du russepar 1. Kolitaheff.
. Présentationde Julia Kristeva.Coll. « Pierres vives ",Seuil, 336 p:, 30 F.Un ouvrage fondam'ental,qui constitue un des' ,apports majeurs du "formà1isme russe àlathéorie de' la littérature.
CRITIQUBRISTOIRJil:LITTBR,J\IRB
• Zoé OldenbourgSaint BernardA. Michel, 420 p., 28 F.
Une étude neuve etobjective sur celuiqui fut le plus grandingénieur des âmes dela France médiévale.
• Karl GeiringerJean·Sébastien BachTrad. de l'anglaispar Rose Celli.Seuil, 384 p., 30 F.Une étude à la foisbiographique et critique,par un professeur del'Université deCalifornie.
P. Céria et F. Ethuin('énigmatique comtede Saint-GermainUn'e reproduction horstexte.Coll. « Les chemins del'impossible ",
B IOGRAPBIESMEMOIRESCORRES·PONDANCES
Charles Lè QuintrecLa marche des arbresA. Michel, 144 p., 19,50 F.
Romain RollandBeethoven,Les grandes étapescréatricesA. Michel, 1500 p., 69,50 FA l'occasion dubicentenaire de lanaissance du musicien.
Raymond ChasleLe corailleur des limbespréèéc;lé de versosinterditsPierre·Jean Oswald,95 p., 9,60 F.
M. Villa-GilbertMon amourtout habillé de blancTrad. de l'anglaispar C.-M. Huet.A. Michel, 192 p., 16,50 FLa confession d'unadolescent hanté parses obsessions.
Jack VanceUn monde d'azurColl. • Ailleurs etdemain "Trad. de l'américainpar J. Rémillet.Laffont, 232 p., 16 F.Un récit où lascience-fiction rejointle conte philosophique.
. Emile ZolaLes Rougon·MacquartTome III: Une paged'amour, Nana etPot·BouillePrésentation et notesde Pierre C·ogny.Coll. • L'Intégrale ",Seuil, 522 p., 20 F.
'REEDITIONSCLASSIQUES
Jacques Harnelin"ckHorror vacuiTrad. du néerlandaispar Maddy Buysse.Coll. • Nouvellesnouvelles ".A. Michel, 192 p., 19,50 FUn recueil de nouvellesinsolites, entre lecauchemar et le rêve.
ROMANSETRANGERS
Homero AridjisPerséphoneTrad. de l'espagnolpar Irma Sayol.Gallimard, 224 p., 18 F.Par un jeune poètemexicain, un vastepoème en prose à •l'avant-garde de la jeune Ror W~lf .
Poésie latino.américaine. Le tembl~ festinTrad. de 1allemandpar Lily Jumel.Gallimard, 232 p., 19 F.Un roman exubérantcomme un tableau deBreughel et dont lethème principal estl'appétit sous toutes sesformes.
Georges TouroudeLes pavésde la haineA. Michel, 320 p., 15,90 FUn roman d'amourqui a pour toile de fondles événementsde la Commune.
Mercedes Sali sachsLa frontièrede l'amourTrad. de l 'espàg.l'IO1par Denise Nast.Laffont, 344 p., 20 F,Coll. «Pavillons-.Les problèmes majeursde la vie d'uri couple.
Zaharia StancuLa tribu .Trad. du roumainrar Léon Negru~zi.
'.- A. Michel, 376 p., 28 F.L'epopée d'une tribude' Tziganes d'origineroumaine pendant la
.~. deuxième guerremondiale.
Roger PeyrefitteDes Français .Flammarion, 296 p., 25 F. ,
La chroniquescandaleuse de lasociété françaisecontemp.oraine.
Michel Sage"Le rendez·vous de~arcelone ou unejournée à NurembergLaffont, 304 p., 20 F.
Une nuit, à Barcelone,un' homme à la .r"echerche du tempsperdu et· des amoursmortes.
Claude Longhy Willi HeinrichLe cri et le silence ~éométrie amoureuse
Trad. de l'allemandLaffont, 296 p.., 55 F. par Louise Marsiac.Le récit, inspiré A. Michel, 336 p., 15,90 F.rie notre passé récent, La peinture crue maisd'une nuit d'angoisse véridique d'un couplevécue par une femme au bord de la rupture.qui attend qu'on lui .annonce l'exécution de .José Cardaso Piresl'homme qu'elle aime. . le Dauphin .
Trad. du portugaispar R. Quemserat .Gallimard, 224 p., 18 F.A la fois une histoired.e chasse, unechronique stendhalienneet une fresque sur lePortugal' et ses mythes.
Jean ChatenetPetits blancs, vousserez tous mangésSeuil, 272 p., 21 F.
Un • reportage fiction"sur l'Afrique. au~ prises .italo Calvinoavec la cooperation. Temps zéro
Trad. de l'italienpar J. Thibaudeau.Seuil. 160 p., 16 F.Dix récits dans laveine des Cosmicomics(voir le n° 55 de la• Quinzaine").
Jacques Folch·RibasLe démolisseurLaffont, 224 p., 16 F.
Par un écrivaind'origine es!)agnole etde langue françaisequi vit actuellement àMontréal.
ROMANSFRANÇAIS
Hervé Bazinles bienheureuxde la DésolationSeuil. 256 p., 20 F.A:Jpuyée sur un faitdivers qui passionnarécemment lessocirnogues d'OutreManche, l'odysséeétonnante des habitantsde l'île de Tristan daCù.nha dévastée parl'irruption d'un volcan.
Pierre Nord. ProvoCations à Prague
Flammarion, 224 p., 12 F.
Dans les coulissesdes machinations russes'ou les dessous .politiques du« Printemps de Prague ".
Jean Hougronta gueulenhine de dentsPlon, 528 p., 27,50 F.
Un roman qui fait suiteà « Histoire de GeorgesGuersant « et qui a pour
. cadre l'Indochine.
Pour compenser ces différences etrétablir un tant soit peu l'équilibre,l'administration des Atlantiades a progressivement assoupli les règles de lacourse et a admis des procédés quiseraient évidemment inacceptablesdans le cadre d'une compétition normale. C'est ainsi· que l'on a d'abordtoléré le croche-pied, puis, d'une manière plus générale, toutes les manœuvres ayant pour but de faire· perdre l'équilibre à un concurrent: poussée des épaules, .coup de coude, coupde genou, poussée de la main ou desdeux mains,' percussion transcutanéedu poplité interne entraînant uneflexion réflexe de la jambe, etc. Pendant un "certain temps, on a tenté d'interdire des types d'agression jugéstrop violents, comme la strangulation,la morsure, J'uppercut, le coup du lapin (manchette au niveau de la troisièMe vertèbre cervicale), le coup detête au plexus solaire (ou coup debO:.Jle), . l'énucléation, les coups detr-.utes sortes portés au sexe, etc.Mais ces attaques devenant de plusen plus fréquentes, il s'est avéré deplus en plus difficile de les réprimeret l'on a fini Par les admettre dansles règles. Néanmoins, pour éviter queles concurrents ne dissimulent sousleurs maillots des armes (non pas desarmes à feu dont l'usage est évidemment interdit aux athlètes, mais, parexemple, ces lanières de cuir plombéqu'utilisent les pugilistes, les fers delance des javelistes, les poids. deslanceurs, ou divers instruments contondants, ciseaux, fourchettes, couteaux qu'ils auraient pu se procurerl,ce qui aurait exagérément fait dégénérer la compétition, et l'aurait transformée en un carnage aux consé:juencesimprévisibles ~ ce sont; après tout,les meilleu;'s éléments des vil~ages,
en fin de· compte les meilleurs sportifli de "île, qui. sont admis à se pré··senter aux Atlantiades - on a imposéque les adversaires soient, comme lesfemmes qu'ils poursuivent, entièrement nus. La seule tolérance admise- elle se justifie dans la mesure oùil s'agit teut de même d'une course àpied, même lli son clépart en est passabJement mouvementé - concerneles chaussures, dont les pointes· sontaiguisées ·et rendues particulièrementacérées et lacérantes.
Les sprinters de 100 01 et de200 01 s'asphyxient souvent avantd'arriver au but, les coureurs de. fondou de marathon ont du mal à s'impo"s·er. sur une distance qui excèd_e rarem::lnt un tour de stade, c'est-à-dire550 mètres. Quant aux non-coureurs,si les sauteurs ont parfois une mai(F"l chance, les lanceurs et les luttp.urs son t pratiquement éliminésd'avance.
(à suivre)
à cent soixante-seize (il dépasse enfait rarement la cinquantaine), la plupJrt des athlètes autorisés à courirl'Atlantiade, souvent les deux tiers,parfois plus, n'obtiendront absolumentrien. Il est enfin évident que, vu lamlture même de la compétition et ledemi-tour d'avance concédé aux femmes, ce sont les Coureurs de demifond ou, à la limite, les sprinters de400 01 qui sont les plus favorisés.
La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 mai 1970 2lI
Livres publiés du 5 au 20 avril 1970
par René Pavans. .Elie WieselColl. « Science ouverte " Entre deux soleilsSeuil, 368 p., 35 F. Seuil, 256 p., 20 F.Un ouvrage méthodolo- Un ensemble de textes,gique, où l'auteur légendes, dialogues,discute l'usage qui a été témoignages qui font lefait jusqu'ici du principe tour de la questiond'uniformité. juive.
Abel Clarté
Eros et Rastignacou la Maison RodelcoDix caricatures dePinatel.Ed. de la Source,160 p., 20 F.
Un pamphlet contreles mœurs littéraireset, notamment, les prix.
• Paul LidskyLes écrivains contrela CommuneMaspero, 184 p., 14,80 F.
La réaction bourgeoiseen 1871. à travers sesécrivains les plusreprésentatifs, ou lesmécanismes essentielsd'une 1ittérature dedroite.
• Pierre PascalDostoïevsky,sa vie, son œuvreEd. de l'Age d'Homme,400 p., 33 F.
Par un spécialistede la civilisation russe,une étude anticonformiste et trèséclairante.
SOCIOLOGIEPSYCHOLOGIE
R. BlumMarc NedelecLa médecine de groupeSeuil. 176 p., 18 F.Un professeur demédecine en retraites'interroge sur l'avenirde la profession .
Pierre SolignacPour un médecinde familleFlammarion, 226 p., 18 F.Par un médecingénéral iste et unneuropsychiatre, uneétude qui met l'accentsur le rôle humain etpsychologique dumédecin.
Robert SoupaultLettre ouverte à unmalade en colèreA. Michel, 160 p., 9,60 F.Par un ancien chirurgien,aujourd'hui à la retraite,une étude sur lesproblèmes actuelsde la médecine et lerôle social du médecin.
EN SEIGNEMENTPEDAGOGIE
• Alexandre S. NeillLibres enfantsde SummerhillTrad. de l'anglaispar M. Laguilhomie.Préface deMaud Mannoni.Maspero, 328 p., 20.80 FL'aventure d'une écoleautogérée, créée parl'auteur en 1921 dansla région de Londres.
Eugène RethaultTrois postulats de lapsycho-pédagogiemoderneE.S.F. éd., 110 p., 20 F.Un ouvrage destinéaux éducateurs, auxpédagogues et surtoutaux parents.
Henri WadierLa réforme del'enseignementn'aura pas lieuLaffont, 272 p., 18 F.Un ouvrage objectifsur la situation del'enseignement enFrance, par un
enseignant qui s'appuiesur l'expérience de touteune vie.
ESSAIS
• Roger CailloisCases d'un échiquierGallimard, 344 p., 25,20 F(Voir ce numéro, p. 3).
Gabriel DelaunayL'herbe et le ventA. Michel, 272 p., 18 F.Un nouveau recueilde «Feuillets dutemps volé '.
Marcel HaedrichEt Moïse créa DieuLaffont. 224 p., 18 F.Par le commentatéurd'Europe n° 1, unenouvelle lecture de laBible à travers laquellese dégage "histoire dupeuple juif.
R. HooykaasContinuité etdiscontinuitéen géologieet biologieTrad. de l'anglais
Roger IkorLettre ouverteaux JuifsA. Michel, 160 p., 9,60 F.Une méditation surl'ensemble desproblèmes qui seposent aujourd'hui auxJuifs d'Israël et de ladiaspora.
Peter KolosimoDes ombressur les étoilesTrad. de l'italienpar S. de VergennesColl. «Les cheminsde· l'impossible '.38 documents hors texte,A. Michel, 384 p., 25 F.Ecrite en 1969, unehistoire de l'explorationde "espace connu etinconnu qui prendaujourd'hui un tonrrémonitoire.
HISTOIRE
Roland AuguetCruauté et civilisation:les jeux romainsFlammarion, 272 p., 24 FUne vaste synthèsehistorique,psychologiqueet sociologique.
Cecil Maurice BowraL'expérience grecqueTrad. de l'anglaispar G. et F. Chevassus.64 p. d'illustrations.Fayard, 256 p., 45 F.Le message laissé àl'humanité par lacivilisation grecque,des épopées homériquesjusqu'à la chuted'Athènes.
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Discours, parcours et FreudPsychanalyse' existentielle
la grande terreurLes purges staliniennes
Du rural à "urbainUne sàciologie appliquée
Etudes de styleUn philologue épris de totalité
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e Eldridge CleaverPanthère noireTrad. de l'américainpar Thomas Gumprecht.Coll. ft Combats ",Seuil. 224 p., 16 F.Par l'auteur d' ft Unnoir à l'ombre.:aujourd'hui exilé à Alger.
CIélude Fohlenl'agonie desPeaux RougesR~.sma, 236 p., 24,15 F.L'histoire d'une tragédiequi dure depuis troissiècles: celle desIn'Iiens d'Amérique duNord menacés de mortlente.
Jacques DuclosMémoires· Tome III:dans la batailleclandestineFayard, 304 p., 20 F(Voir le numéro 59 dela ft Ouinzaine.• )
eH. Darin-Drabkinle Kibboutz;société différenteTrad. de l'anglaispar Michel Janin. 'Seuil. 352 p., 25 F.Le kibboutz, institutionoù le communisme, M. Barelli Gallagherl'égalité absolue, la Ma vie avecgestion démocratique Jackie Kennedysont appliqués, et ses Trad. de l'américain
Heinz Gollwitzer rapports avec la nation par F.-'v1. Watkins.L'impérialisme israélienne. Presses de la Cité,de 1880 à 1918 318 p., 16,90 F.Coll. ft Histoire illustrée e Charles de Gaulle La petite histoire de la
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