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Jean-Claude Maleval est psychanalyste à Rennes (France). Il est membre de l’École de la Cause
Freudienne (ECF) et de l’Association Mondiale de Psychanalyse (AMP). Il est professeur de
psychopathologie et de psychologie clinique à l'université de Rennes-II ; auteur de cinq livres sur
les psychoses et l'autisme : Folies hystériques et psychoses dissociatives (Payot, 1981) ; Logique
du délire, (Masson, 1997) ; La forclusion du Nom-du-Père, (Seuil, 2000) ; L'autiste, son double et
ses objets, (Presses Universitaires de Rennes, 2009) ; et son dernier livre vient de paraître en
octobre 2009 au Seuil : L'autiste et sa voix.
IntroductionJean-Marc Duru : C'est avec un grand plaisir que le Pont freudien accueille en cette fin de
semaine, pour sa 29ème rencontre, Monsieur Jean-Claude Maleval qui nous arrive d'une très belle
région de France, la Bretagne.
Jean-Claude Maleval, Bonsoir,
Vous êtes psychanalyste, membre de l'École de la Cause Freudienne et de l'Association Mondiale
de Psychanalyse.
Vous êtes Professeur de psychologie clinique et pathologique à l'université de Rennes.
Vous êtes responsable du Laboratoire de psychopathologie et clinique psychanalytique de cette
université.
Merci à vous, Jean-Claude Maleval, de venir nous rencontrer ici au Québec, à Montréal, et
d'accepter de partager avec nous, ce soir et toute cette fin de semaine, votre expérience et votre
recherche sur la structure clinique de la psychose et la spécificité de l'autisme.
Vous avez écrit plusieurs ouvrages sur ces thèmes depuis quelques années :
Folies hystériques et psychoses dissociatives (Payot, 1981) ;
La logique du délire (Masson, 1997) ;
La forclusion du Nom-du-Père (Seuil, 2000) ;
L'autiste, son double et ses objets, sous votre responsabilité (Presses universitaires de Rennes,
2009) ;
Et votre dernier livre paru au Seuil en octobre 2009, dont il sera question ce soir : L'autiste et sa
voix.
Ce sont ces personnes autistes dont il est question dans votre livre, et de votre approche
psychanalytique sur cette position subjective particulière du sujet, qui diffère de l'approche
déficitaire du DSM IV.
Les témoignages montrant les capacités exceptionnelles de mémorisation de certains autistes
connus, l'invention de certains objets dits "autistiques" permettant à la personne de contenir une
forme de jouissance envahissante dans son rapport à l'Autre, semblent se décaler de la définition
comportementale de l'autisme, comme trouble fondamental du développement, des fonctions
motrices, cognitives et celles permettant l'acquisition du langage.
Votre recherche sur l'autisme et ses énigmes suscitent bien évidemment des questions, comme
celle sur la spécification des deux traits pathognomiques fondamentaux de l'autisme infantile
décrit par Léo Kanner en 1943 : l'extrême solitude, l'aloneness et l'immuabilité, la samenes.
L'autisme est-il une position subjective particulière dans la structure de la psychose infantile ?
Qu'en est-il du rapport du sujet autiste à l'énonciation par le langage ?
Qu'en est-il également de l'appui sur l'objet autistique lorsqu'il est inventé par le sujet autiste,
objet qui peut faire prolongation de corps pour contenir son rapport à l'Autre ?
Quelques questions, quelques explications surtout sur cette approche psychanalytique
lacanienne, que suscite le thème de votre conférence ce soir et que nous aurons plaisir à
entendre.
Nous réservons un temps de questions bien sûr à la fin de la conférence où le public pourra vous
interroger.
Je rappelle que le travail se poursuit à l'hôpital Notre-Dame samedi et dimanche sur le thème :
« Fantasmes psychotiques et clinique du désert », avec trois temps de travail : un séminaire de
lecture samedi matin, un séminaire clinique samedi après-midi où Patrick Rivard et moi-même
présenterons chacun un cas clinique, et le séminaire théorique dimanche matin.
Notre prochaine rencontre du Pont Freudien aura lieu à l'automne 2010.
Soyez donc le bienvenu, Jean-Claude Maleval, et merci encore d'être venu nous visiter.
Qui sont les autistes ?Jean-Claude Maleval : Existe-t-il une structure autistique ? C’est l’hypothèse implicite d’un des
plus fins cliniciens de l’autisme. Il y a une constance de ce type clinique, affirme Asperger. «À
partir de deux ans, ces traits sont très reconnaissables – ils perdurent toute la vie. Bien sûr les
capacités intellectuelles et du caractère se développent ; il y a des traits qui apparaissent ou
disparaissent au cours du développement et les difficultés changent. Mais l’essentiel reste
invariable […] C’est l’unité des symptômes et leur constance qui rend cet état aussi typique »1.
[…] « Les symptômes décrits ne montrent rien d’évolutif, restent stables durant toute la vie »2.
Dès lors, si nous faisons l’hypothèse d’une structure autistique, comment caractériser ce qui reste
constant ? Pour la dégager, il semble qu’il faille se souvenir d’un enseignement méthodologique
essentiel donné par Freud et Lacan dans l’étude des psychoses. Rappelons que l’IPA3 et les
cognitivistes considèrent la psychose comme une défaite de la pensée, comme une défaillance du
moi ou comme un dysfonctionnement cognitif. La psychose qui semble le mieux répondre à ce
modèle est la schizophrénie, de sorte qu’elle fait l’objet de toute leur attention et de la majorité
de leurs études. Freud et Lacan font au contraire l’hypothèse que c’est en partant des formes les
plus élaborées de la défense psychotique que l’on peut comprendre les formes les plus frustres.
Freud et Lacan privilégient la paranoïa et les Mémoires du Président Schreber4 pour appréhender
la psychose. L’étude du schizophrène n’éclaire guère le fonctionnement du paranoïaque, en
revanche le paranoïaque permet souvent de mieux comprendre le schizophrène, surtout quand, à
l’instar de Schreber, il connut une phase schizophrénique avant d’élaborer une paranoïa.
Cette méthodologie, qui consiste à partir des formes les plus hautes de la défense, afin d’éclairer
après-coup les formes plus sommaires, celle de Freud et de Lacan pour l’étude de la psychose,
me paraît devoir être la plus heuristique pour l’étude de l’autisme. C’est l’autisme de haut niveau,
et celui d’Asperger, qui doit permettre de jeter des lumières nouvelles sur l’autisme de Kanner.
Or nous disposons depuis une vingtaine d’années de quelques textes remarquables, produits par
des sujets d’une exceptionnelle finesse dans la description de leur fonctionnement, des textes qui
sont l’équivalent pour l’appréhension de l’autisme de ce que furent les Mémoires de Schreber
pour l’appréhension de la paranoïa.
Nombreux sont aujourd’hui les autistes de haut niveau qui écrivent. Plusieurs d’entre eux me
semblent se hisser par leurs écrits au niveau de Schreber. Tout particulièrement : Donna Williams,
Temple Grandin, Birger Sellin, Daniel Tammet, voire, à un degré moinde, Sean Barron, Annick
Deshays et bien d’autres encore (Jim Sinclair, Tito Mukhopadhyay, Joffrey Bouissac, etc.).
Dans certains milieux, il est aujourd’hui une mode qui considère politiquement correct de ne plus
parler des autistes, mais uniquement des « personnes avec autisme », suggérant ainsi que
l’autisme serait une maladie parasitaire éradicable. Ce n’est pas l’opinion des principaux
intéressés. Même une Temple Grandin, qui conçoit pourtant l’autisme comme une maladie
génétique, même elle affirme : « Si je pouvais, d’un claquement de doigts, cesser d’être autiste,
je ne le ferais pas. Parce que je ne serais plus moi-même. Mon autisme fait partie intégrante de
ce que je suis »5. Malgré sa réussite sociale, Williams ne cesse de se considérer autiste et
témoigne de la persistance de son fonctionnement original, même s’il est de mieux en mieux
adapté. Jim Sinclair, un autiste américain de haut niveau, est plus explicite encore sur ce point :
« L'autisme, écrit-il, n'est pas quelque chose qu'une personne a, ou une "coquille" dans laquelle
une personne est enfermée. Il n'y a pas d'enfant normal caché derrière l'autisme. L'autisme est
une manière d'être. Il est envahissant ; il teinte toute expérience, toute sensation, perception,
pensée, émotion, tout aspect de la vie. Il n'est pas possible de séparer l'autisme de la personne...
et si cela était possible, la personne qui vous resterait ne serait pas la même personne que celle
du départ.
C'est important, aussi prenez un moment pour y réfléchir : l'autisme est une manière d'être. Il
n'est pas possible de séparer la personne de l'autisme»6.
La lecture attentive des textes des autistes paraît confirmer l’existence d’une constante, non
seulement dans le mode de fonctionnement de ces sujets, mais de surcroît ce qu’ils ont en
commun se discerne déjà pour l’essentiel chez une enfant autiste aussi jeune et aussi différente
d’eux que Marie-Françoise, enfant de trente mois, dont la cure fut relatée par Rosine et Robert
Lefort dans Naissance de l’Autre7.
Cette constante résiste au discours de la science, car pour la dégager il faut prendre en compte
ce que la science doit méthodologiquement rejeter, à savoir le sujet qui la fait. Une structure
autistique ne se dégage qu’à la faveur d’une étude de l’économie de la jouissance et des
pulsions. Il apparaît de surcroît nécessaire de prendre au sérieux l’adjonction faite par Lacan de
l’objet vocal aux trois objets pulsionnels déjà révélés par Freud (oral, anal et scopique). Issu des
travaux de Lacan sur les hallucinations et la psychose, l’objet voix s’avère remarquablement
heuristique dans une autre clinique, celle de l’autisme.
L’indication de Lacan selon laquelle « les autistes s’entendent eux-mêmes »8 est essentielle,
pourtant elle est moins clinique que structurale : elle pointe une intimité principielle de l’autiste à
sa voix. La conséquence en est le clivage a / S1 sur lequel les Lefort ont mis l’accent. Dès lors, la
structure autistique me paraît pouvoir être caractérisée par les deux points suivants :
1°) Une rétention de l’objet de la jouissance vocale, suscitant un primat du signe dans la langue
fonctionnelle de l’autiste.
La voix est un objet pulsionnel ajouté par Lacan aux trois objets freudiens (oral, anal et scopique).
C’est une notion particulièrement difficile à saisir. Elle ne correspond pas aux notions intuitives
que nous en avons, qui tendent à l’identifier à l’intonation de la parole. Quand la voix est mise en
place par la castration symbolique, elle se coupe de son support, le corps, elle devient aphone, se
loge dans le vide de l’Autre, et permet au sujet d’y placer son énonciation, ancrant celle-ci dans le
symbolique et le lien social. C’est précisément ce qui ne se produit pas chez l’autiste, la voix ne
se coupe pas de son support, elle est retenue, l’énonciation ne se place pas au champ de l’Autre,
elle reste pour l’autiste un objet de jouissance encombrant et inquiétant.
Pour saisir de manière un peu plus intuitive ce qu’est la voix en tant qu’objet de jouissance, il
convient de souligner qu’elle ne s’entend que pour les sujets autistes ou psychotiques. Elle
s’appréhende de la manière la plus pure, non connectée au signifiant, dans les hurlements
angoissants qui peuvent s’imposer à eux. Toutefois, chez les autistes, la voix est maîtrisée, ce
qu’indique nettement le fait qu’un grand nombre d’entre eux soient mutiques. En revanche, chez
les psychotiques, la voix peut se déchaîner dans les hallucinations verbales. Autistes et
psychotiques sont en prise avec une voix pulsionnelle inquiétante non tempérée par la fonction
phallique.
2°) Un retour de la jouissance sur le bord (Éric Laurent) ; ce bord étant constitué par trois
éléments imbriqués les uns dans les autres : l’objet autistique, le double et l’îlot de compétence.
Ils localisent la jouissance du sujet et lui servent de protection. Le bord est une frontière érigée
par le sujet autiste, à partir de son objet, entre son monde sécurisé et immuable et le monde des
autres, incohérent et angoissant.
Partons d’un exemple clinique pour illustrer le premier point :
Pendant des semaines, relate Mira Rothenberg à propos de Peter un jeune autiste, j’ai corrigé son
expression orale, en lui demandant de mettre dans sa voix un peu plus d’énergie – « Pour être
vivant quand tu parles », lui expliquais-je ». Elle constata qu’il « restait sourd » à ce conseil. Elle
insista en essayant la même technique avec la lecture : elle lui demanda de lire d’une façon
vivante. « Quelque chose dans mes propos avaient dû le toucher, rapporte-t-elle. Je reçus un coup
de pied dans les tibias ». Elle ne se découragea pas pour autant. Excédé Peter se mit à lire
« comme il frappait – avec énergie et vitalité ». Une telle lecture n’impliqua pas nécessairement
qu’il y engagea sa présence énonciative, de surcroît elle ne fut pas une expression de son propre
ressenti, mais il perçut bien que c’était cela qui ne cessait de lui être demandé. Il fit des efforts
pour satisfaire sa thérapeute. « Un jour, rapporte-t-elle, il me lut une histoire avec une force et
une animation que je lui avais rarement vues auparavant. Je m’exclamai :
- C’est formidable, c’est ça que je voulais dire.
Soudain, il leva les yeux vers moi, terrifié. Sidérée par l’expression que je lisais sur son visage, je
balbutiai :
« Qu’y a-t-il, Peter ?
Il hurla :
- Parce qu’après, il y a le cimetière !
- Après quoi ?
- Quand vous êtes bien. Alors, après, il y a une voie sans issue et le cimetière ».
Mira Rothenberg interprète avec pertinence cette dernière phrase en supposant qu’il voulait dire
« qu’après avoir connu la vie il faut mourir ». Donner vie au langage, c’est pour l’autiste faire
entendre l’angoissant objet de la jouissance vocale, or il est au principe de sa structure subjective
qu’il ne soit pas mortifié par le signifiant, de sorte que rien ne saurait être pour lui plus
angoissant. La suite de ce fragment clinique exemplaire le confirme. Elle lui fit part de ce qu’elle
avait compris du rapport qu’il établissait entre la vie et la mort. « Il se mit à trembler et à
transpirer. Puis il courut à la fenêtre, se fit tout mou, se replia sur lui-même comme s’il se
desséchait et commença à compter – ce qu’il n’avait plus fait depuis très longtemps ». Soulignons
le retour du repliement sur soi et de celui d’un mécanisme de protection abandonné, ce qui
témoigne fortement de la résonance subjective de l’incident. Bien entendu, il ne persiste pas
dans ses efforts pour mobiliser l’énonciation, « inutile de dire, commente Rothenberg, que sa
manière de parler et de lire redevint plus monotone que jamais ».
« Après cet épisode, poursuit-elle, Peter essaya de m’éviter. Il dit à sa mère qu’il ne voulait pas
que [je lui] parle. […] À moi, il disait : « Peter ne veut pas que vous alliez avec lui chez le Dr
Goldstein ». Quand je lui en demandais la raison, il me répondait seulement : « Parce que Mira
dira au Dr Goldstein ». Je l’interrogeais : « Dire quoi ? » ; il me répliquait invariablement ; « Parce
que Mira sait », ou bien « La vérité ». » N’approcha-t-elle pas en effet du plus près qu’il soit
possible la vérité de l’autiste en n’hésitant pas à lui formuler que son angoisse prenait sa source
dans l’expression du vivant ?
L’incident de la lecture eut un profond retentissement sur leur relation. « Il créa entre nous une
fêlure », relate Rothenberg, qui travaillait alors avec Peter depuis trois ans, de sorte que « nous
avons ainsi fait marche arrière pendant près de six mois ». Elle tenta de lui interpréter ce qui se
passait, en lui disant « qu’il faisait semblant d’être mort parce que, peut-être, il avait vraiment
peur de mourir s’il se mettait à vivre. Peter s’écarta alors de moi, rapporte-t-elle, et, souvent, il
essaya de me faire du mal physiquement, car, disait-il, « Mira connaît la vérité ». À la suite de
quoi elle se sentit quelque peu « effrayée de sa fureur » contre elle. Elle devina même
confusément qu’elle avait dû commettre une erreur, ne cachant pas qu’elle « se sentait très
culpabilisée par son attitude », de sorte que, pendant les six mois de froideur, elle essaya
désespérément de renouer le contact9.
Cette vignette clinique met l’accent sur le refus de l’autiste, refus pas toujours si conscient que
chez Peter, de mobiliser la jouissance vocale pour servir à l’expression verbale. Ce que les Lefort
notent un clivage a/S1. Rien n’angoisse plus l’autiste que de céder sur sa jouissance vocale en
l’aliénant dans la langue de l’Autre.
Kantzas par exemple fait la même constatation : « Nous avons souvent demandé avec insistance
à Lapo de parler au lieu de chanter, rapporte-t-il. Lapo se raidissait alors, se cachait les oreilles et
s’angoissait »10.
L’imagerie populaire qui fait de l’autiste un être muet n’est pas sans pertinence : le mutisme
constitue la manière la plus radicale de retenir la jouissance vocale. Pour qui n’accepte pas de
loger sa voix au champ de l’Autre, la parole peut devenir impossible.
Pourtant, plus de la moitié des enfants autistes parlent, mais leurs verbalisations sont originales :
elles suggèrent d’emblée à Kanner les notions de « langage de perroquet » ou d’« écholalie à
retardement ». Asperger note que leur parole ne semble pas naturelle, elle a l’air d’une caricature
et évoque la dérision. De plus, ils ne s’adressent pas à un interlocuteur, ils parlent dans le vide11.
Parfois les parents constatent qu’ils acquièrent avec aisance des mots nouveaux, sans apprendre
pour autant à parler, au sens où la parole témoigne d’une expressivité du sujet. Ils décrivent le
phénomène en notant que l’enfant prononce des mots, mais ne les utilise pas. De surcroît on sait
que l’emploi correct du « Je » est toujours tardif, et parfois n’advient jamais. À l’autre extrémité
du spectre clinique, chez les autistes de haut niveau, se rencontre régulièrement une voix
artificielle, particulière, sans expressivité. En outre, les mots restent « émis plutôt que parlés », ils
proviennent d’un « répertoire mental mémorisé », rien n’est plus difficile à ces sujets qu’une
« expression personnelle »12. Quand ils parlent, c’est sans s’impliquer dans leur parole, sans
prendre appui sur leur ressenti. Ils n’engagent pas la jouissance vocale dans le langage.
Que la représentation la plus commune de l'enfant autiste en fasse un être muet repose sur une
certaine prescience de la carence énonciative qui détermine cette pathologie : elle ne saurait être
plus évidente qu'en ce silence obstiné. Quand le sujet autiste cherche à communiquer, il le fait
autant que possible d’une manière qui ne met en jeu ni sa jouissance vocale, ni sa présence, ni
ses affects. S’il est une constante discernable à tous les niveaux du spectre de l’autisme, elle
réside dans la difficulté du sujet à prendre une position d’énonciateur. Il parle volontiers, mais à la
condition de ne pas dire.
La difficulté à exprimer son ressenti incite Grandin à comparer sa manière de penser à celle d’un
ordinateur. « J’ai récemment assisté, rapporte-t-elle en 1995, à une conférence où une sociologue
a affirmé que les êtres humains ne parlaient pas comme des ordinateurs. Le soir même, au
moment du dîner, j’ai raconté à cette sociologue et à ses amis que mon mode de pensée
ressemblait au fonctionnement d’un ordinateur et que je pouvais en expliquer le processus, étape
par étape. J’ai été un peu troublée quand elle m’a répondu qu’elle était personnellement
incapable de dire comment ses pensées et ses émotions se raccordaient. Quand elle pensait à
quelque chose, les données objectives et les émotions formaient un tout. […] Dans mon esprit, ils
sont toujours séparés »13. Le rapprochement effectué par Grandin entre sa pensée et le
fonctionnement d’un ordinateur n’est pas sans quelque pertinence, si l’on conçoit que ce qui
caractérise la « pensée » d’un ordinateur réside dans son absence d’affects. « Qu'un ordinateur
pense, note Lacan, moi je le veux bien. Mais qu'il sache, qui est-ce qui va le dire ? Car la
fondation d'un savoir est que la jouissance de son exercice est la même que celle de son
acquisition. »14 Or c’est précisément une telle acquisition de savoir, produite à l’occasion du
chiffrage de la jouissance par l’entrée du sujet dans la chaîne signifiante, qui fait défaut aux
autistes. La « pensée » de l’ordinateur se déroule dans un désert absolu de jouissance, elle
constitue un idéal autistique.
Primat du signe
On sait que les Lefort ont soutenu qu’il n’y a pas de S1 dans l’autisme, de sorte que la jouissance
du sujet ne serait pas chiffrée, parmi d’autres arguments pour soutenir cette thèse ils invoquent
l’absence du babil. Il convient de nuancer cette affirmation, si l’on s’en tient à une approche des
phénomènes apparents ce n’est pas le cas le plus fréquent, les spécialistes s’accordent plutôt à
considérer que le babil de l’enfant autiste est pauvre, anormal ou idiosyncrasique.
Selon les linguistes contemporains, « le babillage n’est pas le langage, mais il est un langage qui
fournit un cadre pour le développement de la parole »15, si bien qu’il n’y a pas de discontinuité
entre les formes du babillage et celle des premiers mots : certains enfants donnent ainsi
l’impression de choisir leurs premiers mots parmi les sons du babillage qu’ils ont aimé
produire »16. On a longtemps cru que le babil n’était qu’un chaos non structuré ; or il s’est avéré
que dès le huitième mois il révèle une précoce adaptation aux principes structuraux de la langue
maternelle. Le babil d’un enfant anglais est différenciable de celui d’un français, d’un suédois,
d’un algérien ou d’un japonais, de sorte qu’il témoigne déjà d’un ancrage du sujet et de son
énonciation dans le discours de l’Autre. De surcroît, il est contemporain des premières
segmentations en syllabes de l’onde continue de la parole, de l’acquisition des premiers mots et
de la découverte qu’ils sont porteurs de sens.
Une étude précise du « babil » d’enfants autistes, âgés de trois à cinq ans, a montré des
différences significatives avec le babillage ordinaire. Effectuée par D. M. Ricks, elle amène à
conclure que les vocalisations des enfants autistes sont idiosyncrasiques, car seules leurs mères
peuvent comprendre certaines expressions qui s’y manifestent, telles qu’une demande, une
frustration, une surprise ou un signe de bienvenue. Il s’agit donc d’un babil produit à partir d’une
rétention de la voix : témoignant nettement que celle-ci n’est pas placée au champ de l’Autre.
L’autiste, comme le notait Lacan, entend rester « maître du langage » : inventer sa propre langue
est une manière d’y parvenir. Quand il produit un babil, inauthentique, celui-ci est
idiosyncrasique, il n’est pas régi par les découpages syllabiques propres à sa langue maternelle. Il
se confirme qu’il n’accepte pas de lâcher le réel en jeu dans le sonore qui ferait advenir la perte
de jouissance que le passage par l’Autre nécessite. Chaque enfant possède initialement la
capacité de développer tous les phonèmes, mais pour civiliser sa jouissance, il doit accepter une
réduction massive de celle-ci. Or, même chez une autiste de haut niveau telle que Williams, les
découpes pertinentes se font mal, quand elle crée des chansons, elle discerne que pour elle les
mots restent enchassés dans l’onde sonore : ils « faisaient partie de la mélodie, écrit-elle, ils en
provenaient ».
Pour ces diverses raisons, fondement écholalique de la langue privée, inexistence d’un babil
authentique, inventions de néologismes, non ancrage des premiers mots dans le ressenti,
découpes pertinentes de la langue qui tendent à rester enchassées dans la mélodie, il semble
que l’on puisse confirmer la thèse des Lefort selon laquelle, chez l’autiste, ne s’opère pas la
mutation du réel au signifiant. Ils soulignent à juste titre la non-fonction du « S1 unaire, celui de la
jouissance préalable, par lequel le sujet se pose, à partir de la voix de l’Autre, par son babil. Les
rares indications de Lacan concernant l’autisme s’orientent vers la même approche. Dick, affirme-
t-il, en 1954, vit « dans un monde non-humain » parce qu’il « ne peut même arriver à la première
sorte d’identification qui serait déjà une ébauche du symbolisme […] il a déjà une certaine
appréhension des vocables, mais de ces vocables il n’a pas fait la Bejahung – il ne les assume
pas »17. Dick, note encore Lacan, « est tout entier dans l’indifférencié », suggérant qu’il vit dans
un monde inorganisé dans lequel le signifiant n’a pas introduit ses découpes.
Incapacité à généraliser, pauvreté de la capacité d’abstraction, disent les spécialistes, certes,
mais plus précisément, faute d’avoir eu accès au signifiant, l’autiste pense d’abord avec des
signes, lesquels se caractérisent de conserver un rapport étroit avec leur référent. Lorsque
Grandin affirme « penser en images », elle atteint parfois à l’idéal du code autistique : celui qui
fonctionne à l’aide de représentations en tous points identiques à la chose. « Mon imagination,
affirme-t-elle, fonctionne comme les logiciels d’animation graphique qui ont permis de créer les
dinosaures réalistes de Jurassic Park. Quand j’essaie une machine dans ma tête ou que je travaille
sur un problème de conception, c’est comme si je le visionnais sur une cassette vidéo. Je peux
regarder l’appareil sous tous les angles, me placer au-dessous ou en-dessous, et le faire tourner
en même temps. Je n’ai pas besoin d’un logiciel sophistiqué pour faire des essais en trois
dimensions »18. Une telle image constitue la forme la plus achevée du signe iconique. On sait
que, parmi les différents signes, les enfants autistes apprécient particulièrement les icônes, c’est-
à-dire des signes motivés, au moins partiellement, qui représentent schématiquement l’entité, la
personne, l’événement ou l’attribut désignés (par exemple le Z sur les panneaux routiers pour
désigner des lacets ; le plan d’une maison, des images d’hommes ou de femmes à l’entrée des
W.C, etc.). Ils les apprécient parce que l’icône constitue le signe le plus approprié à leur recherche
de codage du monde : en elle s’avère immédiatement manifeste une connexion rigide du signe à
l’image du référent.
Au mieux, quand ils ne sont pas sans référent objectivable, les signes ne prennent en charge les
objets du monde que image par image ou séquence par séquence. Le concept de chien renvoie
inextricablement pour Grandin à chacun des chiens qu’elle a connu dans sa vie. Pour l’autiste, le
langage ne fait pas inexister ce dont il parle, le mot n’est pas totalement le meurtre de la chose.
Or ce n’est qu’à cette condition, celle de la significantisation, que le monde devient
« semblantifié »19. Tous les observateurs s’accordent à constater que le « faire semblant » est
déficient chez l’autiste. Or, au principe de cet acte, se trouve le décollement du signifiant et de
l’objet, ce qui permet à l’enfant de prétendre qu’un soulier est une voiture, qu’une banane est un
avion, que le chien fait miaou et la chat ouah-ouah, etc.
L’autiste n’ayant pas la possibilité de mobiliser le signifiant pour s’exprimer, il en passe par des
signes auxquels il s’efforce de donner une signification absolue. Selon Lacan, le signe représente
quelque chose pour quelqu’un, réduisant ainsi son acception à l’icône et à l’indice au sens de
Peirce. L’exemple qu’il convoque, celui de la fumée comme signe du feu, analogue à la girouette
comme celui du vent, relève de l’indice selon Peirce. Une caractéristique majeure de tels signes
est qu’ils n’effacent pas totalement la chose désignée, puisqu’ils restent avec elle dans un
rapport de similarité ou de contiguïté. Le référent des signes se trouve dans le monde des choses.
Tel n’est pas le cas du signifiant : s’il est appréhendé, selon la définition donnée par Lacan,
comme ce qui représente le sujet, et sa jouissance, auprès d’un autre signifiant, il se trouve
coupé de la représentation. Le signifiant rompt le lien avec ce qu’il signifie, il ne vaut que par la
différence qu’il introduit, ce qui lui permet de faire advenir le symbole, au sens de Peirce, qui « ne
peut pas indiquer une chose particulière » mais seulement « un genre de choses »20. Les
obstacles rencontrés par les autistes pour généraliser ou pour faire semblant manifestent leurs
difficultés d’accès au symbole pris dans cette acception. Toutefois il est abusif d’affirmer que les
autistes n’ont pas accès à l’abstraction, leurs capacités de symbolisation qui en passent
essentiellement par l’indice, voire par l’icône, sont plus rudimentaires que celles du sujet du
signifiant, elles mettent malgré tout en œuvre un processus de substitution qui permet de porter
la chose au langage. De plus, pour décrire le monde, la langue fonctionnelle de signes parvient à
utiliser des signes sonores ou scripturaux issus de la langue de l’Autre.
Les signes qui forment l’Autre de synthèse de l’autiste possèdent deux différences majeures avec
les signifiants qui constituent l’inconscient freudien : d’une part, et c’est essentiellement ce que
décrit Grandin en parlant de « penser en images », ils restent parasités par le référent, ils
n’effacent pas la chose représentée ; d’autre part, ils n’ont pas la propriété de fonctionner comme
« godet de la jouissance » (Lacan), ou comme « marqueurs somatiques » (Damasio), c’est-à-dire
qu’ils ne représentent pas la pulsion, ce que tous les autistes soulignent en notant l’absence de
connexion entre le langage et la vie émotionnelle. Les Lefort mettaient l’accent sur ce point :
« dans la structure autistique, affirmaient-ils, le signifiant manque à devenir corps et manque
ainsi à faire affect »21. Pour qui pense avec des signes, la structuration de l’être ne se fait pas en
utilisant la matière signifiante ; or, cette dernière possède l’étonnante propriété d’emprunter non
seulement au son, un signifiant laisse une trace sur la bande magnétique, mais aussi au corps, ce
que montrent les conversions hystériques, l’hypnose ou l’effet placebo. Le langage n’est pas un
simple outil de communication, c’est, selon Lacan, l’habitat du sujet, il tresse dans le corps des
brins de jouissance. Le symbolique avec lesquels les autistes se structurent induit une propension
à recourir aux indices et aux icônes pour appréhender le monde, or ces signes ne s’inscrivent pas
dans le corps et ne sont pas porteurs de la jouissance vocale, d’où l’obligation de « tout
comprendre par l’intellect » soulignée d’emblée par Asperger.
Le bord dynamique
Du bord, Bettelheim nous propose une approche clinique par l’intermédiaire de ce qu’il nomme le
« comportement de frontière » observé chez beaucoup d’enfants autistes. Ceux-ci créent une
frontière, entre eux et le monde extérieur, qui leur sert de protection, de sorte qu’ils se tiennent
régulièrement à l’intérieur des surfaces délimitées par les frontières qu’ils créent22. « Les plus
avancés, affirme Bettelheim, le font avec des matériaux tels que des chaînes en papier ou des
ficelles ». Il est notable que cette frontière participe d’un bord pour le sujet, « le contact constant
avec une surface est un préliminaire important au vrai « comportement de frontière », note
Bettelheim. La frontière est une surface dont le sujet décolle à peine23.
Laurie, enfant autiste mutique de huit ans, « construisait des frontières selon des conceptions
complexes qui devaient obéir à des spécifications rigoureuses. Elle utilisait le sable par exemple
pour faire des frontières sur le petit mur qui bordait le bac à sable, ce dernier devenant ainsi son
domaine. » Or, ce comportement de frontières mobilise parfois des capacités tout à fait
étonnantes de la part d’enfants dont les acquisitions intellectuelles paraissent très pauvres. « Il
peut paraître exagéré, note Bettelheim, d’avancer que Laurie possédait, ou avait acquis des
concepts géométriques complexes qu’elle utilisait maintenant. Cependant, il faut préciser que
Laurie créa une rangée continue de plus de vingt mètres de long faite de cinquante ondes
sinusoïdes presque parfaites, à l’aide d’un matériau aussi peu pratique que l’écorce, sur un petit
mur séparant une de nos cours de jeux d’un trottoir. (Photo parmi les documents en annexe). Fait
beaucoup plus remarquable, elle sut résoudre avec beaucoup d’habileté le difficile problème de
négocier le coin que formait le mur sans interrompre cette courbe continue. Elle se tenait toujours
à l’intérieur de ses frontières ; celles-ci séparaient toujours son monde privé du reste de
l’univers »24.
Williams précise le vécu que l’autiste peut avoir de ces phénomènes : « Lorsque je m’enfermais
moi-même, c’était aussi les autres que j’enfermais dehors »25 ; « Dessiner des cercles, des
frontières, des lignes de bordure, sert de moyen de protection contre l’invasion extérieure, venue
« du monde »26 ; « Ce qui me terrifiait, commente-t-elle, c’était qu’on pût me contraindre à faire
ce que je ne voulais pas, à m’empêcher d’être moi-même et à me refuser la liberté de me
réfugier dans ma propre prison, certes bien solitaire, mais tellement sûre »27.
Le bord délimite donc une monde intérieur de liberté et de toute-puissance, tandis qu’il constitue
une protection à l’égard du monde extérieur, mais il faut souligner qu’il se prête à un traitement
complexe de la part du sujet, à l’occasion duquel il s’avère parfois développer de remarquables
capacités.
C’est une constante souvent soulignée de la clinique de l’autisme : l’aptitude de ces sujets à
développer ce que l’on nomme des « îlots de compétence ». Ils se présentent souvent comme
des érudits dans un domaine très localisé : les trains, les automobiles, les plantes carnivores, les
isolateurs électriques, etc. Les compétences qu’ils acquièrent en ce domaine se généralisent
parfois jusqu’à leur permettre une insertion professionnelle (Joey devint électricien).
Le bord est une frontière protectrice, qui peut devenir le lieu de déploiement d’un îlot de
compétence, mais c’est aussi le lieu où le sujet situe un objet-double qu’il maîtrise. Un objet-
double qui lui permet parfois d’avancer des « pseudopodes », comme disait Kanner », pour
s’aventurer au-delà de la frontière.
Quand il introduit la formule du retour de la jouissance sur le bord, en 1992, Éric Laurent donne
comme exemple du bord la « carapace » de Tustin, c’est-à-dire des objets autistiques protecteurs
dont la dimension de double est particulièrement accentuée28. Nous élargissons un peu plus le
concept de bord autistique en y incluant un autre élément, l’îlot de compétence, une des sources
majeures de l’Autre de synthèse, qui participe tout aussi régulièrement que le double et l’objet à
la localisation de la jouissance du sujet, si l’on prend en compte les formes évolutives de
l’autisme infantile précoce. La fréquente interpénétration de ces éléments justifie de surcroît de
les regrouper sous le concept de bord autistique.
Le bord est d’abord une protection, mais c’est aussi et surtout le lieu de la jouissance du sujet ;
c’est en se branchant sur celui-ci qu’il trouve sa dynamique. Ce phénomène n’est jamais plus
évident que dans l’observation de Joey.
Sur son bord, il avait construit une machine, dont la fonction majeure était de lui fournir de
l’électricité. Cet objet autistique complexe lui permettait de tenter de réguler sa jouissance pour
lui fournir une énergie vitale. Se brancher sur eux l’anime, se débrancher le laisse sans vie. Dans
les premiers temps de son séjour à l'École orthogénique, il semblait fonctionner par
télécommande, comme un « homme mécanique » mû par des machines qu'il avait créées et qui
échappaient à son contrôle. « Il y avait des moments, par exemple, relate Bettelheim, où une
longue période de non-existence était interrompue par la mise en route de la machine et de son
passage à un régime toujours plus élevé, jusqu'à ce que le dénouement soit atteint dans une
« explosion » pulvérisatrice. Cela se produisait plusieurs fois par jour et se terminait lorsque Joey
projetait brutalement une lampe de radio ou une ampoule électrique qui éclatait en mille
morceaux dans un bruit d'explosion.[...] Dès qu'était arrivée l'heure de faire exploser le monde,
cet enfant qui vivait muet et sans bouger, dans le plus grand calme, brutalement devenait
complètement fou, courait dans tous les sens et criait « Crack ! Crack ! » ou « Explosion ! » en
lançant une ampoule ou un moteur. Dès que l'objet lancé s'était brisé et que le bruit s'éteignait,
Joey s'éteignait aussi. Sans transition aucune, il retournait à sa non-existence. Dès que la
machine avait explosé, il n'y avait plus de mouvement, plus de vie, plus rien »29. Les
branchements de Grandin sur sa trappe à serrer, pour réguler son énergie vitale, ou ceux de
Williams sur ses compagnons imaginaires, afin de pouvoir fonctionner socialement sont du même
ordre.
Bien que Tustin considère que les objets autistiques sont des objets pathologiques, de sorte qu’ils
devraient disparaître dans le cours d’une cure, elle a constaté que la suppression brutale de la
protection qu'ils apportent risque d'avoir des conséquences néfastes. « Je suis très inquiète, écrit-
elle, quand j'entends des gens parler de « supprimer l'autisme », de le « guérir », ou encore de le
« percer ». J'ai vu des enfants, ou entendu parler d'enfants, qui avaient été traités en fonction de
telles conceptions : ils étaient devenus hyperactifs ou même nettement schizophrènes »30. En
effet, quand le sujet autiste est mis dans l’impossibilité de situer sa jouissance sur le bord, elle
fait retour sur le corps. Quand c’est une partie du corps qui fait fonction d’objet et de frontière
avec le monde extérieur, il devient extrêmement difficile de distinguer entre un tableau
schizophrénique et un tableau autistique.
Les objets construits sur le bord possèdent une importance majeure pour les sujets autistes. Tous
convergent dans leurs propos et leurs comportements pour indiquer que ces objets leur sont
d’une aide précieuse. « Pour des raisons importantes, écrit Sellin, je peux trouver la sécurité
seulement dans des objets » ; « depuis ma plus tendre enfance, note Grandin, je suis beaucoup
plus intéressée par les machines que par mes semblables ». Williams est plus précise encore :
« Pour moi les personnes que j'aimais étaient des objets, et ces objets (ou les choses qui les
évoquaient) étaient ma protection contre les choses que je n'aimais pas, c'est-à-dire les autres
personnes[...] Communiquer par le biais des objets était sans danger ».
Grandin insiste sur l’erreur que commettent beaucoup d’éducateurs d’enfants autistes quand ils
veulent balayer leurs fixations et leurs « obsessions ». « Ils feraient mieux, dit-elle, en s’appuyant
sur son expérience personnelle, d’élargir le champ obsessionnel et d’essayer d’orienter l’intérêt
manifesté par l’autiste vers des activités constructives. Par exemple, si un enfant est un fanatique
de bateaux, il faut tirer profit de son obsession des bateaux pour l’inciter à lire, à faire des
mathématiques, à consulter des livres spécialisés et à résoudre des problèmes de vitesse et de
nœuds. Les fixations sont une source de motivations. Leo Kanner a déclaré un jour que le chemin
du succès, pour certains autistes, consistait à transformer une fixation en carrière
professionnelle. »31 On sait par exemple que l’enfant-machine de Bettelheim, Joey, passionné par
l’électricité et les ampoules, devient électricien à l’âge adulte.
Beaucoup de critiques ont été adressées à la communication facilitée pratiquée avec les autistes.
Ces derniers témoignent tous avoir longtemps besoin que leur main soit soutenue par celle du
facilitateur pour parvenir à taper sur le clavier, ce qui incite certains observateurs à considérer
que leur main est guidée par le facilitateur et qu’ils ne sont pas réellement les auteurs des textes.
En fait, en progressant, beaucoup arrivent à restreindre leur besoin d’aide, parfois même à
pouvoir s’en passer, de sorte qu’il ne fait guère de doute qu’ils soient réellement les auteurs des
textes produits. La fonction du facilitateur n’est étrange et suspecte que pour qui ne conçoit pas
la nécessité du branchement sur un double pour que l’autiste trouve une dynamique. Se
supporter de la main du facilitateur pour agir n’est qu’une variante de la conduite si fréquente qui
consiste à prendre l’adulte par la main pour lui faire exécuter un acte que l’enfant autiste lui-
même pourrait faire s’il n’était pas inhibé dans son agir.
L’autiste est capable de garder son double à sa main. C’est une remarquable spécificité du
fonctionnement autistique que de pouvoir parvenir à maîtriser la division du sujet par
l’intermédiaire d’un contrôle du double. Dans la névrose, la division se trouve symbolisée par
l’entremise du signifiant phallique, mais elle reste immaîtrisable ; tandis que pour le psychotique,
la division se manifeste dans le réel, par l’entremise d’initiatives de l’Autre, génératrices des
hallucinations aussi bien que des malveillances des persécuteurs. On sait que Lacan a souligné la
fonction persécutrice du double psychotique. Dès son travail avec Aimée, il constate que ses
persécutrices sont « les doublets, triplets et successifs « tirages » d’un prototype », à savoir le
type de femme qu’elle-même rêve de devenir32. Quelques années auparavant, en 1919, Tausk
avait déjà montré que l’appareil à influencer, dans la schizophrénie, représente une projection du
corps du sujet dans le monde extérieur. Cela, écrivait-il, découle de manière univoque des
déclarations de sa malade, Natalia, « l’appareil possède avant tout une forme humaine, qui,
malgré les particularités qui l’en écartent, peut être reconnue sans la moindre hésitation et, fait le
plus important, reconnue comme telle par la malade. Il a pris à peu près l’apparence de la
malade. La malade éprouve toutes les manipulations de l’appareil aux endroits correspondants de
son corps propre. L’appareil n’a plus d’organes génitaux depuis que la malade ne ressent plus de
sensations sexuelles, et l’appareil avait des organes génitaux aussi longtemps que la malade
était consciente de telles sensations »33. Qui plus est, Tausk note que l’appareil est une
projection du corps propre, considéré dans son entier comme organe génital, ce qui ne signifierait
rien d’autre, selon lui, que « Je suis tout sexualité »34. Il discerne ainsi finement que le
surgissement du double persécuteur s’accompagne d’un envahissement de jouissance, rapporté
par Lacan à la non-extraction de l’objet a.
La forclusion du Nom-du-Père produit une réduction du rapport à l’autre à la pure relation
spéculaire. Cela se confirme tant dans la psychose que dans l’autisme. Cependant le double du
psychotique est vécu comme un objet autonome et malveillant, sur lequel la volonté du sujet est
impuissante à s’exercer, sauf à le détruire. Tel n’est pas le cas pour le double de l’autiste,
rassurant quand il peut être maîtrisé, ou quand il est admis parmi les objets familiers.
Un frère ou une sœur constituent l’une des incarnations du double parmi les plus structurantes
que puisse rencontrer un enfant autiste. On note alors bien souvent, quand ce partenaire est
accepté dans son monde, l’étrange relation qui les unit. « Leur relation était certes belle, constate
une mère à propos de ses deux enfants, l’un autiste, l’autre non, mais elle n’en restait pas moins
excessive et ne leur apprenait pas réellement comment communiquer avec d’autres enfants.
Leurs disputes étaient rares et se terminaient toujours quand le vainqueur tendait au vaincu le
jouet objet du litige, avec des excuses. C’est un comportement qui ne se produit pas dans les
relations habituelles entre enfants », souligne-t-elle pertinemment, si bien qu’elle savait pouvoir
les laisser seuls, certaine qu’ils ne se chamailleraient pas et s’amuseraient mutuellement35.
Gunilla Gerland, une autiste de haut niveau, met l’accent sur le fait que les autres enfants ne sont
pas appréhendés par elle comme des rivaux. Sa manière de maîtriser le double n’est pas de
l’avoir à sa main, mais de le tenir à distance. « Mon absence de jalousie, écrit-elle, pouvait en
imposer aux autres enfants et me faire passer pour très sage et raisonnable. Je voyais bien
comment les autres devenaient verts de jalousie dans certaines circonstances : sentiment que je
ne connaissais pas. Certes, je pouvais souhaiter acquérir des objets, mais je ne prenais jamais la
place d’autrui. Il ne m’arrivait pas de convoiter ce qu’un autre avait, ni de vouloir être un autre.
Dans l’ensemble la teneur de mes envies s’écartait de celles des filles de mon âge.[…] La
jalousie, je ne savais pas ce que c’était et ne pouvais pas me le représenter. Je n’avais jamais eu
de pensée assez abstraite pour désirer me mettre à la place d’autrui. Quand je souhaitais des
objets, mes désirs étaient tout à fait indépendants de ce que les autres souhaitaient ou pas »36.
Il faut souligner que la voix, comme le double, ne sont pas des données empiriques immédiates :
l’une et l’autre sont des constructions du sujet. Mais elles ne sont pas du même ordre. La voix
introduit le traumatisme de la langue dont elle est un effet ; c’est pourquoi elle doit être retenue.
En revanche, la construction du double est apaisante. Initialement, le sujet autiste a un rapport
transitiviste aux petits autres, comme aux objets. Alors le double est partout. Pour souligner
l’absence de médiation, certains cliniciens font état d’une identification adhésive. À ce niveau de
fonctionnement, le rapport à l’autre risque aisément de verser dans la violence ; c’est ce que
décrivent les Lefort du rapport au double. Selon eux, pour le sujet autiste, « le monde est à
détruire, ou bien le détruit ». Le double autistique apaisant n’advient que quand il est construit,
sur un bord protecteur, qui localise la jouissance, et dont le sujet possède la maîtrise. Alors ce
n’est plus un rival, mais un appui. Bettelheim le nommait « un moi auxiliaire ».
L’apprentissage ne suffit pas
Un large examen récent de la littérature scientifique internationale concernant les « interventions
éducatives, pédagogiques et thérapeutiques proposées dans l’autisme » aboutit au constat d’une
extrême diversité et d’une grande hétérogénéité des méthodes employées. Il conclut qu’on ne
peut « proposer actuellement d’algorithme thérapeutique simple et que les recommandations de
bonne pratique ne reposent que sur un niveau de preuve très limité »37 – contrairement à la
publicité faite par certaines.
Le constat d’incertitude qui se dégage des recherches en cours ne saurait faire obstacle à
l’opinion aujourd’hui répandue selon laquelle la priorité serait de proposer aux autistes des
stratégies éducatives évaluables. Ce postulat s’accompagne en règle générale d’une référence
non interrogée à l’homme normal qui serait l’achèvement du processus éducatif. Des
conséquences immédiates en découlent qui semblent l’évidence même : il apparaît nécessaire de
s’opposer aux dites « obsessions » du sujet autiste, de même qu’il s’imposerait de le priver dès
que possible de son objet autistique. Or, les monographies cliniques et les récits
autobiographiques exclus de la littérature scientifique internationale sur l’autisme s’inscrivent
bien souvent en faux à l’encontre de cette supposition.
Les parents de Derek Paravicini, en particulier sa « Nanny », ont fait dès sa première enfance tout
ce que la plupart des spécialistes déconseillent, en favorisant ses « obsessions » pour la musique,
et son attachement à un objet autistique, en l’occurrence un « orgue électrique », pourtant « à
mesure que ses capacités musicales prirent de l’ampleur, constatèrent-ils, le lien entre celles-ci et
son développement intellectuel et social devint de plus en plus marqué »38. Toutes ses
acquisitions passèrent par le truchement de son îlot de compétence jusqu’à lui permettre, à l’âge
adulte, non seulement de se produire en concert, seul ou avec un orchestre, mais aussi d’acquérir
un sentiment de lui-même suffisant pour affirmer sa volonté, de manière appropriée, dans la
conversation avec un étranger39. L’autonomie sociale de Tammet à l’âge adulte est plus
marquée encore que celle de Paravicini, or lui aussi avait des parents « indulgents » à l’égard de
ses « obsessions »40 ; de même Williams et Grandin ont pu se consacrer à leurs « obsessions » et
cultiver leur attachement à leurs objets autistiques. Dès lors, on peut légitimement se demander
si le fait d’avoir échappé à une prise en charge par des spécialistes de l’autisme n’a pas été pour
eux une chance.
On sait que Kanner n’était pas loin de se poser la même question en considérant le devenir des
onze enfants de son article princeps vingt-sept ans après la parution de celui-ci. Deux d’entre eux
étaient parvenus à échapper aux institutions de soins et à s’intégrer socialement, or il est
manifeste qu’une éducation permissive et la culture de leurs « obsessions » les avait beaucoup
aidés. En ce qui concerne Donald, quand il atteignit neuf ans, ses parents le placèrent dans une
ferme distante d’environ 10 miles de chez eux. « Une assistante sociale qui vint le visiter trois ans
plus tard fut « surprise de la sagesse » du couple qui s’occupait de lui. Bien loin de l’avoir
« cadré » par des apprentissages systématisés, ils avaient réussi « à donner des buts à ses
stéréotypies ». Il lui avait fait « utiliser sa préoccupation des mesures en lui donnant un puits à
creuser dont il mesurait la profondeur. Quand il se mit à collectionner des oiseaux morts et des
insectes, ils lui ont donné un endroit pour faire un « cimetière » et lui ont fait mettre des
marques ; sur chacune d’elles il écrivait un premier nom, l’espèce de l’animal comme nom du
milieu et en dernier le nom du fermier comme ceci : « Jean – escargot – Lewis. Né, date inconnue,
mort (date à laquelle il avait trouvé l’animal) ». Quand il s’est mis à compter sans fin les rangs de
maïs, ils les lui ont fait compter pendant qu’il les labourait. Pendant ma visite, note l’assistante
sociale, il a labouré six longs rangs, il était remarquable de voir comment il maniait le cheval et la
charrue, et faisait tourner le cheval. Il était évident que M. et Mme Lewis l’aimaient beaucoup et
tout aussi évident qu’ils étaient gentiment ferme avec lui. Il fréquentait une école de campagne
où ses particularités étaient acceptées et où il a bien progressé sur le plan scolaire »41. À l’âge
de 36 ans, il travaillait comme caissier dans une banque, jouait au golf, possédait une voiture,
etc. Quant à Frédéric, à 34 ans, il était employé dans un bureau, effectuant un travail routinier en
rapport avec des machines à dupliquer ; or, selon Kanner, il avait bénéficié d’un aménagement de
ses conditions de vie similaire à celui dont avait profité Donald : dans le cadre des Écoles
Devereux, Frédéric avait été « intégré petit à petit à des objectifs de socialisation par le biais de
ses aptitudes à la musique et à la photographie »42.
Le devenir des neuf autres enfants observés par Kanner en 1943 fut beaucoup moins favorable.
« On ne peut s’empêcher, écrit-il à la suite de ce constat, d’avoir l’impression que l’admission à
l’hôpital d'État a été l’équivalent d’une condamnation à vie : avec la disparition des étonnants
faits de mémoire automatique, l’abandon du combat pathologique antérieur, mais actif, à
maintenir l’immuabilité, la perte d’intérêt pour les objets ajoutée à la pauvreté fondamentale de
la relation à autrui – en d’autres termes, un retrait total vers le quasi-néant »43. Un savoir
essentiel est là à portée de main sur la thérapeutique de l’autisme. Kanner note que l’immuabilité
et l’intérêt pour les objets témoignent d’activités psychiques précieuses, que leur suppression
conduit les sujets vers le quasi-néant. À l’inverse, Donald et Frédéric mettent en évidence le profit
qu’un autiste peut tirer de ses « obsessions » et de ses îlots de compétence. Or, ce savoir va être
rapidement recouvert par des sédiments superposés d’études du développement, centrées sur
l’idéologie de l’homme normal, censé n’avoir ni attachement excessif à des objets, ni
comportement d’immuabilité. Ou pire encore, des approches biologiques viendront suggérer que
ces enfants-là sont trop atteints pour que leurs bizarreries méritent attention et puissent
posséder une fonction. Les spécialistes ne sont pas prédisposés à admettre que des « malades »
puissent avoir un savoir digne d’intérêt sur leurs troubles. Birger Sellin en a fait la cruelle
expérience : son témoignage ne concordant pas avec les savoirs dominants sur l’autisme, une
campagne de presse a cherché à mettre en cause l’authenticité de ses écrits. Une des raisons de
l’acharnement de certains contre l’utilisation de la communication facilitée avec les
autistes44 puise aux mêmes sources : le discours de la science ne fait pas bon ménage avec la
singularité du sujet, de sorte qu’il ambitionne toujours de le faire taire.
En fait, les réussites les plus hautes dans le fonctionnement social de sujets autistes n’ont pas été
obtenues par l’application de techniques d’apprentissage, ni par des cures balisées par des
étapes de développement, mais par la voie de démarches singulières, d’une grande diversité,
dont la progression n’a pas été bloquée par le savoir des soignants sur l’autisme.
Il n’y a pas que les psychanalystes pour avoir saisi que la meilleure aide qui puisse être apportée
au sujet autiste n’est pas celle des techniciens du psychisme, mais celle d’éducateurs ou de
thérapeutes capables d’effacer leurs a priori pour faire place aux inventions de l’autre. À cet
égard, la thérapie par le jeu d’inspiration rogérienne effectuée par Virginia Axline avec Dibs peut
être donnée en exemple. Elle n’aborda pas la cure en sachant d’avance le parcours qu’aurait dû
effectuer son patient, bien au contraire elle s’efforça de ne rien lui dire qui eût pu indiquer un
désir de sa part de le voir faire quelque chose de particulier. Elle se contentait de communiquer
avec lui, en n’essayant pas de pénétrer de force dans son monde intérieur, mais en cherchant à
comprendre la spécificité de son système de références. « Je voulais, écrit-elle, que ce fût lui le
guide. Je voulais simplement le suivre ». Elle avait pour souci qu’il n’ait pas le sentiment d’avoir
l’obligation de lire dans les pensées de sa thérapeute afin de lui proposer une solution déjà
préalablement conçue pour lui. Elle avait l’audace de penser que tout « changement significatif »
devait venir du sujet lui-même45. L’application de cette méthode la conduisit à l’une des
réussites les plus éclatantes en matière de thérapie d’un sujet autiste. Ce témoignage
remarquable, mondialement connu dans les années 1960, n’entre plus aujourd’hui dans le cadre
méthodologique du discours scientifique. Il a pourtant bénéficié de conditions exceptionnelles
puisque toutes les séances en ont été intégralement enregistrées. Qu’importe : la revue de la
littérature mondiale sur l’autisme évoquée plus haut ne connaît pas son existence. L’expérience
d’Axline, nous suggère-t-on ainsi, doit être maintenant considérée comme nulle et non avenue.
Encore son sort est-il enviable par rapport au déferlement de critiques posthumes adressées à
l’un de ses contemporains qui partageait son souci d’apprendre des autistes et qui témoigna peu
après elle de résultats thérapeutiques plus remarquables encore. En créant le premier lieu
spécialement conçu pour eux, en prônant leur accompagnement dans un parcours non tracé par
avance, et en ne s’embarrassant pas de préjugés sur les « obsessions » et les objets autistiques,
Bruno Bettelheim a rendu possible la stabilisation et la socialisation de nombreux sujets passés
par l'École orthogénique de Chicago. Joey a pu en témoigner. De même que Stephen Eliot. Certes,
ce dernier, aujourd’hui banquier d’affaires, diplômé de Yale et de Columbia, n’était pas autiste, il
présentait néanmoins de sévères troubles mentaux. Il ne brosse pas un portrait idyllique de
Bettelheim, autoritaire, parfois violent, quelque peu imbu de lui-même, mais il se montre
indulgent pour ses faiblesses, car il avait construit une École dont les structures avaient été
pensées en fonction des enfants46, et parce qu’il affirmait que « pour comprendre un enfant, il
fallait voir le monde de son point de vue à lui »47. Une mère d’enfant autiste, qui vantait une
méthode d’apprentissage sur un site internet, adoptait exactement la position inverse, en notant
que depuis qu’elle avait découvert celle-ci elle pouvait enfin « contrôler » son enfant. Tout indique
pourtant que ce « contrôle » est l’un des obstacles majeurs que rencontrera l’enfant pour
s’autonomiser. Eliot sait de quoi il parle quand il note que la marque des grands éducateurs, ceux
qu’il a rencontrés à l’École orthogénique, était d’être « capables de voir en [eux] des personnes à
part entière »48, ce qui implique de leur prêter un savoir et de faire confiance à leurs inventions.
Les méthodes d’apprentissage partent de l’hypothèse inverse : il s’agit de transmettre un savoir
dont le sujet est démuni, ses « obsessions » et ses inventions sont alors appréhendées comme
des parasites qui font obstacle à la tâche. Leur fonction de protection contre l’angoisse étant
méconnue, certaines techniques deviennent des violences faites au sujet. Faute d’être entendus,
beaucoup d’autistes finissent par se résigner à ce qu’on leur impose ; en revanche, quand le sujet
possède les moyens de s’exprimer, il s’en insurge. Ainsi, Williams ne cache pas sa révolte en
présence de certaines techniques éducatives. Dans les années 1990, elle fit un stage en Australie
dans une maison spécialisée pour enfants en difficulté. Elle y observa deux éducateurs zélés dans
leur travail avec une autiste. Elle fut frappée par leur méconnaissance du monde intérieur de
l’enfant. « J’étais malade, écrit-elle, de les voir envahir son espace personnel avec leur corps, leur
haleine, leurs odeurs, leurs rires, leurs mouvements et leurs bruits. Quasiment fous, ils agitaient
des hochets et des objets devant elle comme deux sorciers trop zélés espérant exorciser
l’autisme. Selon eux, apparemment, il lui fallait une overdose d’expériences que leur infinie
sagesse « du monde » savait lui apporter. S’ils avaient pu utiliser un levier pour forcer l’ouverture
de son âme et la gaver « du monde », ils l’auraient sans doute fait sans même remarquer la mort
de leur patient sur la table d’opération. La petite fille criait et se balançait, se bouchant les
oreilles avec ses bras pour amortir le bruit et louchant pour occulter le matraquage de la
détonation visuelle. J’observais ces gens, souhaitant qu’ils connaissent eux aussi l’enfer des sens.
J’observais la torture d’une victime qui ne pouvait pas se défendre dans un langage
compréhensible. […] Ces chirurgiens opéraient avec des outils de jardinage et sans
anesthésie »49. Sans doute s’inspiraient-ils d’une méthode classique d’apprentissage, qui
consiste à présenter un stimulus en séquences répétées, puis à observer la réponse de l’enfant,
et à donner une conséquence pour la renforcer ou l’inhiber. C’est une application systématique de
ces principes qui est prônée par la méthode Lovaas. Cela pendant deux ans, à raison de 40
heures par semaine, avec des enfants dont le consentement n’est pas recherché, bien que l’on
sache que pour la plupart ils ressentent les demandes comme intrusives et menaçantes
Lorsque Sacks dans les années 1990 visite aux USA une maison spécialisée dans l’éducation des
autistes, plus inspirée par la méthode Teacch, il constate que beaucoup ont appris à fonctionner
tant bien que mal, mais il ne peut se départir d’un certain malaise. « Ils parvenaient, écrit-il,
formellement ou extérieurement au moins, à se plier à certaines conventions sociales – mais la
formalité ou l’extériorité de leurs comportements étaient déconcertantes en tant que telles.
L’artificialité des ces adaptations m’avait frappé notamment un jour où j’avais visité une école.
Les enfants qui s’y trouvaient m’avaient débité, d’une voix forte mais totalement dépourvue de
modulations et tout en me tendant une main rigide : « Bonjour, je m’appelle Peter… je vais très
bien merci comment allez-vous », tout cela sans ponctuation ni intonation – un peu comme s’ils
récitaient une litanie désincarnée. L’un ou l’autre de ces jeunes gens, m’étais-je demandé,
réussirait-il jamais à devenir autonome ? »50 Il ne suffit pas en effet de leur faire acquérir des
connaissances, ce à quoi se prêtent leurs bonnes capacités de mémorisation, encore faut-il leur
donner la possibilité de les intégrer. « Comme des fichiers informatiques, note Williams à propos
du fonctionnement des autistes, on peut mentalement mémoriser des jeux d’émotions, les
extraire et les interpréter. Le jeu n’en est pas pour autant lié à un sentiment réel et on ne
comprend pas nécessairement l’émotion représentée, hormis le simple mécanisme du mode et
parfois du moment de son imitation »51. Il est nécessaire de souligner fortement qu’un
apprentissage authentique se distingue d’un dressage : il ajoute à l’acquisition d’un
comportement l’assimilation par le sujet de son sens. Tout indique que cela ne peut être obtenu
avec un autiste qu’à certaines conditions, l’une d’entre elles étant de respecter l’appui qu’il doit
prendre sur un double pour s’approprier un savoir, or il n’accepte pas que cette fonction lui soit
imposée. Pour être en mesure de tenir la place du double d’un autiste, il faut parvenir à ce que
celui-ci vous accueille en son monde.
« Les cognitivistes, note pertinemment J. Berger, ont apporté des outils de travail utiles au
quotidien, mais leur tentative d’explication globale erronée a encouragé des pratiques rigides
appuyées sur l’idée de rééducation. Sans tenir compte du sujet pensant, même s’il s’agit d’un
sujet pensant de travers. Il y a ce postulat de normalité qui est normatif donc asséchant d’un
point de vue créatif, voire dangereux quand il est dominant. […] Chaque apprentissage
s’effectuait par une séquence de gestes décomposés que les enfants apprenaient toujours à faire
dans le même ordre, chaque mouvement, purement mécanique, étant privé de sens et de désir.
Pas si loin du dressage d’un animal […] de telles attitudes me paraissent tout l’inverse de celles
qu’il faut adopter avec les enfants autistiques, car elles sont de nature à renforcer leur
désinvestissement du monde. Porteurs d’une violence dont ils ne saisissent pas le sens, que
peuvent-ils comprendre de la violence en retour, hormis la peur, qui les coupe encore un peu plus
d’autrui ? C’est l’inverse d’une expérience émotionnelle correctrice. Quant aux apprentissages
que je qualifierais de « stéréotypés » – toujours les mêmes pour tous les enfants, selon un rythme
et un séquençage imposé par un adulte –, que produisent-ils d’autre, pour ceux qui les subissent,
que le sentiment d’être un objet ? Ces méthodes coercitives me paraissent à bannir, quel que soit
l’enfant »52.
Certes, les méthodes d’apprentissage invoquent en leur faveur des statistiques éloquentes
attestant de leur efficacité. Sans entrer en d’interminables discussions sur leurs interprétations et
sur ce qui est réellement saisi par les chiffres, soulignons surtout qu’il est incontestable que des
résultats au moins équivalents peuvent être obtenus par d’autres méthodes plus respectueuses
du sujet. À s’en tenir au seuls récits de mères qui sont parvenues, par des méthodes empiriques
d’inspirations différentes, à sortir leur enfant du retrait autistique, il apparaît clairement que les
améliorations obtenues par la douceur et le jeu ne sont moindres que celles acquises par la
violence et la coercition.
Quand les Copeland découvrent dans les années 60 que recourir aux « caresses-récompenses et
aux claques-punitions » avec leur fille améliore nettement son comportement, ils croient avoir
trouvé la clef si longtemps recherchée du traitement de l’autisme. « Ils essayèrent donc de lui
faire toucher tous les objets devant lesquels elle avait témoigné de la terreur. Et ils étaient
innombrables. La première fois, elle hurla de toutes ses forces et à bien des reprises, la démarche
parut impossible. Mais enfin, ils la tinrent solidement par le poignet et lui administrèrent une
correction à chaque tentative de résistance. Puisque telle était la méthode adoptée, il fallait la
suivre. Et, effectivement, au cours de semaines épuisantes, les réticences de Anne fondirent
nettement »53. Or, les améliorations obtenues plus récemment par Anne Idoux-Thivet avec son
fils ne furent pas moindres, pourtant elle s’est toujours refusée à « user du bâton et de la
carotte », pratiquant une « ludothérapie » orientée par les réactions, les angoisses et les
manifestations de la curiosité de son enfant54. Bref, le rapprochement de ces deux témoignages
opposés atteste que ce qui peut être obtenu par la violence peut l’être mieux encore par le jeu.
La cure de Dibs opérée par V. Axline, en s’appuyant sur les jeux de l’enfant accompagnés dans
une approche non directive, l’avait établi dès les années 1960.
Une autre mère d’enfant autiste, Hilde de Clercq, considérant la diversité des méthodes, aboutit à
la constatation suivante, à laquelle on ne peut que souscrire : « il est bien plus agréable, pour
tout le monde, de suivre la façon de penser de ces enfants et de rester positif, que de leur
imposer de s’adapter et d’être confrontés constamment à des problèmes de comportement. La
meilleure stratégie pour éviter des problèmes de comportement est de les anticiper »55. Or, pour
ce faire, il est incontournable de prendre en compte leurs manières de lutter contre l’angoisse.
La méthode ABA se borne pour l’essentiel à l’approche des comportements qu’elle s’emploie à
normer sans chercher à pénétrer leurs fonctions et sans se préoccuper de la vie affective. En
revanche, le programme TEACCH s’appuie sur une fine connaissance du fonctionnement cognitif
de l’autiste, et met en place des techniques qui en tiennent compte, mais dans cette perspective,
la vie affective et le travail de protection contre l’angoisse restent impénétrables. L’approche
psychanalytique de l’autiste est plus heuristique parce qu’elle ne fait l’impasse sur aucun
domaine de fonctionnement de l’être humain : elle est la seule capable de proposer une
compréhension, non seulement du fonctionnement affectif, mais aussi des conséquences de
celui-ci sur le cognitif. Elle est la seule à pouvoir rendre compte de la fonction de l’objet
autistique, du primat du signe et de l’étrangeté de l’énonciation. Elle est la seule à pouvoir
dégager, derrière la diversité des comportements, ce qu’il y a de constant dans l’autisme. Bref,
elle s’appuie sur une connaissance de l’ensemble de la subjectivité (certes partielle et provisoire),
tandis que la méthode ABA réduit l’enfant à ses comportements, et que le programme TEACCH ne
saisit du sujet que sa conscience cognitive. Les approches qui prennent en compte la subjectivité
ont des conséquences majeures pour le traitement : en ne se focalisant pas sur une partie du
fonctionnement du sujet, elles ne font pas obstacle à une écoute non restrictive de ce qu’il
exprime, dès lors elles permettent de s’appuyer sur ses inventions propres. En outre, elles
valorisent l’enfant autiste qui n’est pas d’emblée appréhendé comme un débile manipulateur
mais comme un enfant intelligent entravé par ses angoisses.
La riche expérience collectée en des institutions dont les méthodes puisent leurs sources dans
l’approche psychanalytique incite clairement à constater qu’un sujet autiste « apprend souvent et
parfois mieux par la tangente que lorsqu’il est confronté directement, et sans échappatoire
possible, à la tâche en question. Même s’il a l’air absent, il observe et apprend par l’intermédiaire
des autres enfants et pourra ensuite reproduire ce qu’il a vu faire par d’autres »56. Dès lors, à
l’Antenne 110 de Bruxelles, dans les autres institutions du RI357, comme en celles pour
lesquelles la découverte freudienne constitue une orientation majeure, le travail avec le sujet
autiste cherche, non pas à appliquer à tous une technique pré-déterminée, mais à inventer pour
chacun une manière de faire. « Nous partons de l’enfant tel qu’il est, affirme-t-on en ces lieux,
avec ses potentialités et ses incapacités, mais aussi avec son objet privilégié – cela peut être un
bâton, une ficelle, un circuit, Walt Disney, etc. – et nous inventons des outils, des stratégies pour
étendre, déplacer, généraliser ce centre d’intérêt privilégié et amener progressivement l’enfant
vers un processus d’apprentissage. De ce fait, l’attention et l’intérêt de l’enfant sont suscités par
le travail demandé, qui devient donc motivant en soi et source de satisfactions »58. Un exemple
clinique simple, relatant une observation maintes fois réitérée en de tels lieux, illustre leur
expérience quotidienne. « À son arrivée à l’Antenne, Hubert n’était absolument pas prêt à
intégrer un apprentissage pédagogique : dans la classe de logopédie, il ne répondait pas aux
questions, n’écoutait pas les consignes, ne dévoilait rien de ce qu’il savait. Il tenait toujours à la
main un bâton, objet préférentiel auquel il imprimait sans cesse un battement. Plutôt que de
donner à ce comportement le statut restreint d’une simple stéréotypie dysfonctionnelle à éliminer
d’emblée, nous avons fait l’hypothèse que cet intérêt pour un bâton avait une fonction et nous
l’avons, dès lors, utilisé comme point de départ d’un travail individualisé. C’est ce qui a permis à
Hubert de s’intéresser ensuite au battant de la cloche de l'Église de Genval, puis aux deux
aiguilles de l’horloge de cette même église, ce qui lui a donné l’envie d’apprendre à lire l’heure et
pour cela d’apprendre les chiffres avec la logopède, d’abord de 1 à 12 (cadran de l’horloge), puis
de 13 à 24 (24 heures du jour), puis jusqu’à 60 (60 minutes par heure), etc.
Dès lors, les ateliers qui, durant quelques semaines, ont eu pour but d’aller examiner église,
cloche et horloge ont permis de tracer un chemin depuis l’objet préférentiel de l’enfant jusqu’à
l’apprentissage des chiffres, puis des lettres et ont fait naître de surcroît chez lui un goût, une
motivation pour l’apprentissage pédagogique. »59
L’apprentissage consenti mobilise une dynamique subjective qui, dans l’apprentissage contraint,
fait défaut ou s’exerce à l’encontre du travail. Certes, on ne saurait douter qu’en règle générale
les techniques d’apprentissage contraint parviennent à améliorer le QI du sujet et ses capacités
cognitives. Malgré leur diversité, toutes s’avèrent relativement efficaces sur ce point. Elles
contribuent aussi à l’acquisition de compétences sociales, parfois inculquées sans ménagement.
Cependant la question majeure posée par les méthodes purement éducatives de traitement de
l’autisme est bien celle que soulève Sacks : quel gain en autonomie ? Il est manifeste que celui-ci
n’est pas étroitement corrélé à l’amélioration cognitive. Ceux qui sont parvenus à franchir un pas
décisif à cet égard témoignent que l’autonomie résulte d’un choix qui ne s’enseigne pas. Elle
n’advient que par une décision majeure qui produit une mutation subjective ; et pour cela il est
nécessaire que cette décision ne soit pas entravée par l’entourage. Il convient non seulement que
le sujet autiste accepte de prendre le risque de lâcher sur sa maîtrise du monde, mais il faut aussi
qu’il ne soit pas confronté à un Autre surprotecteur qui y fasse obstacle. Certains autistes de haut
niveau s’emploient à le faire savoir : « les bienfaits du recours aux aides scolaires ne sont pas une
évidence, affirme Jerry Newport, et plus tôt votre enfant pourra s’en passer, mieux ce sera. Au
plan social, ils donnent le baiser de la mort. Je vois comme les parents ne cessent de revenir sur
la question des études. Parce qu’elle est simple et prévisible en comparaison de celle du
développement social »60. À l’instar de tant d’autres, il a constaté que les acquisitions scolaires
ne s’accompagnent pas nécessairement d’un gain en indépendance.
Ceux-ci n’adviennent que d’actes décisifs dont le sujet doit prendre la responsabilité. Pour
Williams, ce fut d’abord d’accepter le risque de révéler son monde intérieur, en publiant son
premier livre. Elle témoigne que ce fut pour elle une épreuve qui n’alla pas sans angoisse ; tandis
que Grandin n’hésita pas non plus à prendre des risques pour s’ouvrir au monde, elle relate
précisément comment sa quête d’autonomie fut scandée par des choix concrétisés par le
franchissement de portes symboliques. Un tournant dans l’existence de Tammet se produisit de
même quand il prit la décision « à la fois effrayante et très excitante » de partir à l’étranger.
Daniel Tammet resta longtemps très dépendant de sa famille, mais quand il atteignit dix-huit ans,
à la fin de ses études secondaires, il éprouva le sentiment de devoir faire quelque chose pour
s’évader de sa chambre d’enfants. Il souhaita alors aller travailler dans un autre pays en
répondant à une annonce de recrutement de personnes intéressées par du volontariat. Il en parla
à ses parents. Ceux-ci doutèrent de la pertinence de son projet, mais au lieu de le considérer
comme un handicapé trop vulnérable, au lieu de se précipiter à l’en dissuader, ils prirent le risque
de ne pas décourager son initiative61. De manière quelque peu inattendue, Tammet parvint à
franchir la sélection, si bien qu’il se trouva affecté à Kaunas en Lituanie pour une mission d’un an.
Ses parents s’inquiétèrent : leur fils allait-il être capable de vivre si longtemps loin de leur
maison ? Mais Daniel tint à faire ce qu’il considérait « comme un grand pas en avant dans [sa]
vie ». Il fut ravi d’aller enseigner l’anglais à des étrangers. « J’éprouvais de l’angoisse, bien sûr, à
l’idée de ce voyage, écrit-il. Je me demandais également si j’allais ou non donner satisfaction, à
ce poste. Mais il y avait autre chose aussi : l’excitation de prendre finalement en charge ma vie et
mon destin. Cette pensée-là me coupait le souffle. »62
À presque vingt ans, il n’hésita pas à faire un saut dans l’inconnu, il rompit avec son monde
sécurisé, il prit le risque de poser un acte dont les conséquences n’étaient pas calculables. Malgré
sa « différence », il s’adapta fort bien à son travail et à la vie en Lituanie. Il s’y fit quelques amis
parmi les femmes qui assistaient à ses cours. Il s’y trouva en mesure de prendre une nouvelle
décision majeure, en rupture avec ses attitudes conformistes antérieures, par quoi se confirma
une modification de sa position subjective. Il osa téléphoner à une association gay. « Ce coup de
fil, écrit-il, fut l’une des décisions les plus importantes de ma vie »63. Ce fut le premier pas sur la
voie d’une acceptation de son homosexualité. Il l’assuma quelques temps après son retour en
Angleterre en vivant avec Neil rencontré par Internet. Ses parents ne s’y opposèrent pas. Dès
lors, Tammet estime à juste titre que le soutien de sa famille a été « l’une des raisons principales
de [son] succès dans la vie »64. Il convient en effet de souligner que ce fut un soutien éclairé,
acceptant une prise de risque, laissant une place au non savoir, dès lors capable de parier sur la
responsabilité du sujet. Ils ont ainsi mis en place les conditions permettant à leur fils d’opérer une
mutation subjective décisive, en rompant avec la sécurité d’un monde routinier, afin d’accéder à
l’une des stabilisations de l’autisme parmi les plus réussies.
Une grande clinicienne telle que Mira Rothenberg savait elle aussi qu’il fallait laisser Peter décider
« quand et comment ne pas avoir peur », ainsi que du moment où « il devait se séparer [d’elle],
de sa mère et de son foyer ». C’est à cette condition que ce sujet présentant un sévère tableau
d’autisme infantile parvint à vingt-huit ans à travailler comme coursier, en vivant dans un centre
d’accueil pour jeunes adultes, tout en ayant une vie sociale, des amis, et en faisant des études65.
Certains cliniciens, inféodés à une théorie déficitaire de l’autisme, et il s’en rencontre aussi parmi
les psychanalystes, affirment que les enfants autistes qui deviennent des adultes indépendants
ne sont plus des autistes. Ils le soutiennent au nom d’a priori que la clinique infirme, quand on
constate le passage de l’autisme de Kanner à celui d’Asperger, et à l’encontre de l’opinion des
principaux intéressés. Williams s’exprime nettement à ce propos : « Certains estiment que des
autistes peuvent se débarrasser de l’autisme, qu’ils peuvent guérir (et ceux qui ne voient aucun
« remède » à l’horizon abandonnent) ». Rappelons en effet que toute conception purement
biologique de l’autisme risque d’induire auprès des équipes soignantes un défaitisme
thérapeutique. « En cas de « guérison », poursuit Williams, certains décident qu’il y a eu erreur de
diagnostic. D’autres enfin considèrent que les seuls véritables autistes sont les incurables ». Son
expérience ne la conduit pas à partager de telles approches. Elle considère l’autisme comme un
mode de fonctionnement original qu’il s’agit de prendre en compte et de respecter. « À mon avis,
écrit-elle, les autistes disposent de tout un éventail de conscience sociale, d’aptitudes
linguistiques et de lacunes ou d’excès sensoriels et perceptuels. Des contextes donnés
permettent d’arrondir les angles ou de produire des robots. La « réussite » de quelques autistes
peut même faire penser qu’ils ne le sont pas. Je ne crois pas qu’il soit possible d’enseigner à des
autistes l’expérience de tout ce qu’ils peuvent réaliser. Vous ne pouvez pas leur faire ressentir des
émotions pour leurs images, leurs « visages », leurs comédies et leurs répertoires comme s’il
s’agissait d’une véritable expression personnelle. Le sentiment inspire l’action. L’inverse revient à
analyser les sentiments qu’une personne pourrait ressentir pendant l’action. Vous pouvez trouver
l’idée d’un sentiment : il ne deviendra pas pour autant le vôtre. Une idée n’est jamais un
sentiment, simplement le souvenir ou le répertoire mental mémorisé de son impression. On ne
peut pas tout faire à l’envers […]. Je pense toutefois que, même si vous réussissez pleinement à
défigurer les diverses expressions qui peuvent être extraites en fonctionnant à l’envers, le
système demeure autistique »66. Les constats de Williams orientent nettement vers des
traitements qui sachent prendre en compte l’affectivité du sujet autiste et sa capacité à mobiliser
ses propres ressources créatives pour construire des modes de stabilisation qui lui soient propres.
Une approche purement éducative de l’autisme, reposant sur le savoir de l’enseignant, sans faire
place à la subjectivité, et à ses choix, améliore certes en règle générale le comportement social,
mais ne permet guère d’obtenir une capacité à prendre en compte le manque de garantie de
l’Autre avec quoi tout sujet doit composer pour accéder à une certaine autonomie et se sentir
responsable de ses actes. Dès lors, il n’est pas vrai, comme l’écrit un rapport récent sur les
interventions proposées aux autistes, qu’il y ait un consensus sur la nécessité d’interventions
construites « sur des objectifs hiérarchisés et spécifiques reposant sur une évaluation
fonctionnelle »67. Il est cependant exact qu’il s’agit d’une opinion répandue.
Aussi utiles et bien intentionnées soient-elles, les méthodes d’apprentissage rencontrent des
bornes. Leur efficacité, constate le rapport Baghdadli, est généralement limitée à l’acquisition
d’une compétence spécifique ciblée par l’intervention étudiée, de sorte qu’elle n’implique pas un
changement significatif du fonctionnement de la personne qui bénéficie de l’intervention68. Il n’y
a pas lieu de douter de ce constat. Or, trop d’études s’y arrêtent, ne laissant guère d’espoirs sur
le devenir des enfants autistes. Leur refus méthodologique de prendre en compte les
monographies cliniques, et les biographies d’autistes, qui recèlent un savoir permettant de le
dépasser constituent à l’évidence un obstacle épistémologique. « À trop regarder par la lorgnette
de la toute-puissance scientifique, observe justement J. Berger, nos esprits gavés de certitudes
désapprennent l’aléatoire humain et sa créativité »69.
Ce n’est pas aux études randomisées permettant une évaluation scientifique impeccable
auxquelles il convient de demander en premier lieu comment y faire pour traiter l’autisme ; ce
sont les sujets concernés qui ont le plus à nous apprendre. Ils possèdent un savoir précieux sur
eux-mêmes. Certains autistes de haut niveau sont capables et désireux de nous enseigner ce que
serait « la meilleure approche » pour les aider. Prenons au sérieux les conseils donnés par Jim
Sinclair aux parents, tout aussi pertinents pour les éducateurs et les cliniciens : « nos manières
d'entrer en relation, affirme-t-il au nom des autistes, sont différentes. Insistez sur les choses que
vos attentes considèrent comme normales, et vous rencontrerez de la frustration, de la
déception, du ressentiment, peut-être même de la rage et de la haine. Approchez
respectueusement, sans préjugés, et ouverts à apprendre de nouvelles choses, et vous trouverez
un monde que vous n'auriez jamais pu imaginer »70. Une autiste mutique cultivée telle que
Annick Deshays se montre tout aussi véhémente pour revendiquer une prise en charge des
autistes qui ne fasse pas l’impasse sur leur singularité : « Pourquoi faire des palabres sur des
écrits officiels concernant la prise en charge des personnes autistes si les intéressées elles-
mêmes n’ont pas droit aux informations, encore moins à la parole ? »71 écrit-elle sur son
ordinateur. Elle s’oppose aux méthodes éducatives qui dressent a priori le programme des étapes
du développement à franchir : « Dresser un plan scientifique d’éducation avec les autistes, de
manière uniforme et unilatérale, dispense un régime de protectrice dictature, affirme-t-elle. […] Il
prime d’abord de trouver la faculté (ou les facultés) de chaque personne autiste avant d’établir
une démarche éducative ». Elle considère que « faire du comportementalisme c’est inciter à nous
rendre « facile » par un formatage réduisant notre liberté d’expression ; c’est durcir notre grave
problème d’identification et d’humanisation ». Elle cherche à se faire entendre auprès des
spécialistes pour faire passer le message suivant : « Dire aux décideurs, dès aujourd’hui, que
penser pour nous risque de vider la « substantifique moëlle » de notre raison d’exister »72. À
l’encontre de ces méthodes, elle prône « le risque d’un dialogue », la volonté d’« apprivoiser la
peur isolante », elle invite même à chercher à « goûter les traits humoristiques propres » à la
manière des autistes de « visionner la vie », tout cela, ajoute-t-elle, « oblige à travailler plus en
unicité qu’en uniformité, plus en relation duelle qu’en propos unilatéraux ». À l’instar de la plupart
des autistes de haut niveau, elle demande à être considérée comme un sujet capable d’une
créativité qu’il convient de prendre en compte : « Hisser nos connaissances selon notre bon
vouloir, souligne-t-elle, déploie un potentiel qui nous est propre ».
Donna Williams corrobore ces indications et n’hésite pas à s’engager fortement, « la meilleure
approche », écrit-elle, ce serait « celle qui ne sacrifierait pas l’individualité et la liberté de l’enfant
à l’idée que se font de la respectabilité et de leurs propres valeurs les parents, les professeurs
comme leurs conseillers »73. Même Temple Grandin confirme : « … les personnes qui m’ont le
plus aidée ont toujours été les plus créatives et les moins attachées aux conventions »74.
Accordons à Sinclair, Deshays, Williams, Grandin et tant d’autres autistes qu’ils savent de quoi ils
parlent et prenons au sérieux leurs indications.
Le traitement des autistes doit certes être averti de la spécificité de leurs facultés cognitives, ce
que des méthodes telles que le programme TEACCH savent intégrer, mais il doit de surcroît
prendre en compte la spécificité de leur vie affective, ce sur quoi seule la psychanalyse s’est
avérée capable d’apporter une ouverture. L’autiste incite spontanément les cliniciens à faire ce
que constate Lacan quand il commente la pratique de M. Klein avec Dick : l’autiste demande une
greffe de symbolique75. Cependant elle ne peut prendre, c’est-à-dire être assumée par le sujet,
qu’à la condition de ne pas méconnaître l’originalité de son mode de jouissance, qui se fonde sur
un bord dynamique – notion ignorée des méthodes d’apprentissage.
Quand le sujet autiste est placé dans des conditions où ses inventions et ses îlots de
compétences sont valorisés, et non tenus pour des obstacles à son développement, quand le
choix de ses doubles et de ses objets est respecté, il s’avère possible pour lui, non pas de sortir
de l’autisme, mais de son monde immuable et sécurisé, ce qui lui ouvre un accès à la vie sociale.
Alors seulement peut advenir une mutation faisant de l’autiste un sujet responsable et assumant
pleinement son devenir.
Applaudissements.
Période de questionsJean-Marc Duru : Merci beaucoup pour ce riche exposé. Je vais donner la parole au public. Est-ce
qu'il y a des questions sur ces propos ? J’imagine qu’il y en a quelques unes ? Est-ce que
quelqu'un veut s'engager pour la première question ?
Hélène Colas-Charpentier : C'est une question qui n'est pas très structurée. Vous parlez
beaucoup de l'angoisse des autistes, mais qu'est-ce qui fait la possibilité de ce sentiment-là par
rapport à d'autres sentiments comme le plaisir ? Enfin, comment placez-vous l'angoisse par
rapport au reste de l'affectivité ?
Jean-Claude Maleval : Qu'est-ce que l'angoisse ? C'est une question bien difficile. Lacan dit que
l'angoisse est un affect qui ne trompe pas, lié à l'émergence de l'objet ou à la présence de l'objet.
Freud évoquait déjà le fait que lorsqu'on est angoissé, on le sait, on n'a pas de doute là-dessus.
Les sujets autistes le disent : la plupart affirment que le pire pour eux, c'est l'angoisse. Cette
souffrance psychique qu'ils ressentent... Ils n'ont pas de doute sur le fait qu'ils ressentent quelque
chose d'extrêmement pénible et qui n'est pas lié à des circonstances particulières, qui n’est pas
une peur par exemple. La peur est liée à des circonstances tout à fait définissables ; alors que
l'angoisse, ça vous tombe dessus bien souvent sans raison ; et ce que peut dire le sujet, c'est
qu'il l'éprouve, il sait qu'il l'éprouve.
Hélène Colas-Charpentier : Ma question n'était pas vraiment : « Qu'est-ce que l'angoisse ? »
parce que bien sûr je sais un peu ce que c'est... Je voulais savoir pourquoi les autistes ne
peuvent-ils pas éprouver un sentiment de plaisir avec quelqu'un ou de joie dans un contact. Est-
ce bien cela que vous vouliez dire ?
Jean-Claude Maleval : Eh bien non... Non, bien entendu, ils ne sont pas toujours angoissés. Ils
sont comme chaque sujet... Il y a une angoisse dont ils se défendent d'une manière spécifique.
La névrose est une manière de se défendre contre l'angoisse, la psychose aussi. Toute la
psychopathologie se réduit à la manière de se défendre contre l'angoisse. On se défend avec le
fantasme dans la névrose ; avec un fétiche dans la perversion ; avec un délire, par exemple, dans
la psychose.
Les autistes, eux, se défendent avec un bord, essentiellement. C'est ça qui est spécifique, mais
bien entendu, je ne prétends pas que les autistes, pas plus que les névrosés ou les psychotiques,
soient toujours angoissés. Si on les laisse dans leur monde sécurisé et immuable, ils ne sont pas
du tout angoissés. Ils sont même tout à fait à l'aise. Si on les laisse utiliser leurs défenses, ce ne
sont pas des sujets particulièrement angoissés. Seulement, dès qu'ils sont confrontés à la
demande de l'Autre, dès qu'on leur retire leur objet, dès qu'on leur demande de parler en leur
nom propre, cela les angoisse.
Mais ce sont des sujets qui peuvent avoir un grand plaisir à jouer avec leurs objets. Comme tous,
ils ont des sentiments divers, mais il y a une angoisse qui est quand même assez présente dans
certaines circonstances. Comme pour les sujets psychotiques, ce sont certainement des sujets
qui sont plus angoissés que les névrosés, parce que leurs défenses sont plus lourdes à mettre en
place.
Hélène Colas-Charpentier : Peuvent-ils être amoureux ?
Jean-Claude Maleval : Oui. Bien sûr qu’ils peuvent être amoureux ! Mais ce n'est pas facile pour
eux. Encore que l'amour leur soit plus facile que le désir. Ce qui est très difficile pour eux, comme
pour beaucoup de sujets psychotiques, c'est de mettre en jeu le désir. Comme ils n'ont pas la
fonction phallique pour interpréter le désir de l'Autre, ce n'est pas très facile. Mais, et là aussi, il y
a parfois des compensations qui sont mises en place, et certains sujets autistes ont des relations
amoureuses – même des relations homosexuelles comme Tammet – tout à fait durables d'ailleurs.
Très souvent, ils ont des relations amoureuses avec des doubles, c'est-à-dire avec d'autres
autistes, mais pas toujours. L'ami de Tammet n'est pas un autiste, par exemple. Donc, ils peuvent
connaître l'amour aussi. De même que les psychotiques, les autistes sont très différents les uns
des autres. On peut observer des sujets autistes pour qui l'amour est un sentiment absolument
inconnu. À l’instar de certains psychotiques, de schizophrènes ou même de psychotiques
ordinaires, qui vous disent : « L'amour, je ne sais absolument pas ce que c'est. J'en ai entendu
parler, tout le monde dit : « L'amour, c’est extraordinaire ! » Moi, je n'ai jamais ressenti quelque
chose comme ça ».
Et puis vous avez, à l'autre extrême – puisqu'au fond, l'amour et le désir ne sont pas régulés dans
la psychose – des sujets qui sont toujours amoureux, ou bien qui ont le sentiment que les autres
les aiment (l'érotomanie) ; ou bien des sujets qui se caractérisent d'avoir un désir qui ne
fonctionne pas du tout ou qui fonctionne dans l'excès : certains sujets psychotiques (c'est plutôt
du côté de la paranoïa d'ailleurs) baisent avec tout ce qui passe : un animal, un homme, une
femme, un enfant, etc. Il y a aussi parfois cela dans la psychose : on trouve tous les modes de
dérégulation.
Chez les autistes, il s’agit plutôt d’une difficulté avec le désir, mais il y en a certains qui
parviennent à avoir des relations amoureuses durables. Cependant ces relations amoureuses sont
souvent platoniques. Le désir fonctionne assez mal. Williams témoigne que dans ses relations
amoureuses, elle a longtemps recherché un double. Elle a d’abord vécu avec deux autistes, avant
de se stabiliser, avant de se marier avec un sujet qui n'est pas autiste. Ce n'est pas tellement la
question du désir qui est centrale pour elle, même si elle rapporte que avec ce sujet qui n'est pas
autiste, elle est parvenue à éprouver du plaisir sexuel, alors qu'avec les autres, elle ne ressentait
rien. Il est assez exceptionnel qu’un autiste parvienne à la satisfaction sexuelle, mais il n’y a rien
là d’impossible..
Sophie Lapointe : Une question de diagnostic différentiel. Comment peut-on distinguer un
autiste d'un psychotique, vers l'âge de 5 ans à peu près ?
Jean-Claude Maleval : Il y a des points communs entre autisme et psychose, puisqu’il y a
forclusion du Nom-du-Père dans les deux cas. Il y a des troubles du langage qui peuvent être
semblables, par exemple des néologismes. Chez des enfants qui n'ont pas construit la défense
spécifique de l'autisme qui est l’appui sur un bord, qui ne l'ont pas construit, ou bien dont on a
cassé les défenses en leur enlevant leur objet, il devient bien difficile de les distinguer des
schizophrènes.
Si l'objet autistique est une partie du corps, la langue par exemple, ou la lèvre (c'est parfois un
objet autistique), la jouissance étant localisée sur un élément du corps, la différence entre
schizophrénie et autisme devient bien difficile à discerner. Cependant il existe une différence
foncière, il n'y a pas de rétention de la voix dans la schizophrénie ni dans la paranoïa, il n'y a pas
de compensation par un langage de signes (dans la schizophrénie, cela peut se voir de temps à
autre, mais c'est plutôt exceptionnel). On peut voir aussi un objet prendre une place privilégiée
pour un schizophrène, mais là aussi c'est exceptionnel, il ne s’agit pas d’une défense spécifique.
Pour le schizophrène, il y a mise en place du signifiant unaire, c'est-à-dire que la jouissance est
chiffrée par le signifiant. Il y a des intuitions délirantes diverses, et éventuellement, s'il fait un
délire systématisé, cela peut être connecté ultérieurement au S2. Tandis que chez l'autiste, il y a
une difficulté à chiffrer la jouissance sous le signifiant unaire, ce qu’il compensera par un langage
de signes. Ceci est très spécifique de l'autisme.
Il y une autre manière de parler pour l'autiste (dont je n'ai pas parlé dans l'exposé) : c'est une
lalangue qui reste une jouissance solitaire de la voix. C'est une lalangue qui ne permet pas de
communiquer. Il y a une langue qui permet de communiquer, c'est une langue fonctionnelle, mais
cette langue-là est coupée de la vie affective, coupée de la jouissance. Une langue
d'accumulation de faits, dit Williams, une langue de signes. Et puis il y a une autre langue, qui est
prise au signifiant, et avec cette langue-là qui est connectée à la jouissance, le sujet tient un
langage verbeux, il se parle à lui-même. Williams explique qu'on lui avait dit à un moment qu'elle
jouissait de sa voix. C'était l'impression qu'avaient ceux qui l'écoutaient, c'est-à-dire qu'elle se
parlait à elle-même, elle soliloquait. C’est très fréquent que les autistes soliloquent, utilisant un
langage verbeux. Dans ces circonstances il y a une jouissance solitaire de la voix qui est très
différente du langage fonctionnel.
Ils utilisent aussi quelque chose qui est très surprenant. Ce sont les phrases spontanées à
l’occasion desquelles ils deviennent extrêmement présents : « Rends-moi ma boule ! », « Retire-
moi ça ! ». Ce sont des phrases dans lesquelles la voix s’affirme et se trouve logée au champ de
l'Autre – puisqu’il y a qu'il y a une adresse. Donc dans l'autisme, il y a aussi une inscription dans
le signifiant (quand il y a une adresse), mais cela reste temporaire ; très vite, ils vont retourner
dans leur mutisme.
La non distinction entre la langue verbeuse et la langue fonctionnelle produit beaucoup de
confusions concernant la théorisation de l'autisme. Si l’on ne distingue pas ces deux manières de
parler, alors on théorise en englobant les deux et l'on n'y comprend plus rien. On dit qu'il y a du
S1, d'autres disent qu'il n'y a pas de S1 . Les deux sont vrais. Il y a du S1 dans la langue
verbeuse, mais il n'y en a pas dans la langue fonctionnelle.
Reine-Marie Bergeron : Merci. Je trouve ça vraiment formidable. J'ai un enfant comme ça qui
s'est promené pendant des heures dans mon bureau, en fait à chacune des séances où il venait.
J'avais fait l'hypothèse qu'il se racontait des histoires. Et le fait de lui dire à un moment donné
qu'il se racontait des histoires a produit un attachement. Alors il y a des lieux qu'il investit dans le
bureau, quand il se raconte des histoires, parce que maintenant il se les mime – chose qu'il ne
faisait pas avant. Il a maintenant dix ans. Et parfois, je repère bien que c'est comme un petit bout
d'histoire qu'il recommence incessamment. Et puis, il y a l'autre lieu où il s'assoit à une table où il
écrit ou bien dessine. Il y a cette particularité dans mon bureau que devant la petite table, il y a
un miroir. Parce que je suis justement partie, il y a très longtemps, il y a trente ans, avec les
théories des Lefort76 et le stade du miroir – et donc j'ai toujours travaillé avec un miroir avec les
autistes.
Comment positionnez-vous ce que vous apportez, par rapport au stade du miroir et au miroir ?
Jean-Claude Maleval : Oui, j'ai effectivement parlé très peu du stade du miroir. En même temps,
je parle beaucoup du double. Je n'ai pas une réponse précise. C'est une question à laquelle il
faudrait que je réfléchisse un peu. Quel est le rapport au miroir ? Il y a une constitution du sujet
dans l'image au miroir. Ceci dit, il y a certains autistes qui ne reconnaissent pas leur image dans
le miroir. Le double est une construction qui n'est pas donnée d'emblée : il faut qu'ils puissent la
faire. Quand ils la font, c'est un double apaisant. Il y a donc certainement des positions diverses
du sujet autiste devant le miroir.
J'ai quand même traité de cette question quand j'ai lu très attentivement Donna Williams et ce
qu'elle raconte de son positionnement face au miroir. Il y a plusieurs manières chez elle. À un
moment, elle voit une horreur dans le miroir, c'est-à-dire qu'elle voit plutôt un déchet – ce que
voient aussi certains sujets psychotiques –, c'est-à-dire qu'elle voit l'objet petit a dans le miroir.
Après, elle voit un double, qui est Carol. Elle pense que l'image qu'elle voit, c'est-à-dire elle-
même, est un de ses compagnons imaginaires. Et ce qui est très étonnant, c'est qu'elle considère
qu’il s’agit réellement d’une personne. Elle n'arrive pas à concevoir que Carol, qu'elle voit dans le
miroir, sa propre image en fait, ne soit pas quelqu'un. Elle se lance contre le miroir pour essayer
de pénétrer dans le monde de Carol. Plus tard même, à la fin de son dernier ouvrage, elle a toute
une discussion avec une de ses amies qui lui explique que ce qu'elle voit dans le miroir n'est pas
une personne réelle, et elle ne comprend pas. Donc, il y a quelque chose de son être qui est dans
ce double. Ce double dynamique, comme on le voit bien dans la clinique de l'autisme, ce double
cadre quelque chose de l'objet réel. Il y a une erreur quant au point d'insertion de la libido, disait
Colette Soler, ce qui est assez juste. Le point d'insertion de la libido est dans le double, qui a
vraiment une consistance tout à fait étonnante.
Williams le décrit dans son deuxième ouvrage point par point. Elle n'arrive pas au stade du miroir,
c'est-à-dire au moment où il s'agirait de se retourner vers l'autre pour attester qu'il s'agit bien
d'une image. Pour elle, l'image reste réelle, ce n'est pas une image virtuelle. Alors est-ce le cas
pour tous les autistes ? Je ne pense pas. Mais on voit qu'il y a une difficulté avec l'assomption du
miroir. Celui dont vous parliez, tantôt il mime les choses, tantôt il écrit. Qu'est-ce qu'il écrit ?
Reine-Marie Bergeron : Au départ, il écrivait des lettres avec des couleurs différentes. Il
s'asseyait et écrivait pendant une heure, parfois plus d'une heure. C'était tout à fait
incompréhensible, jusqu'à un moment où il est allé à l'ordinateur – parce que j'avais un ordinateur
ouvert dans mon bureau –, il est allé sur le site de Télétoon, qui est un site de télévision. Il est allé
voir la programmation et j'ai compris que les lettres qu'il écrivait correspondaient à la première
lettre de toutes les émissions de ce canal-là, qui est un canal pour enfant. J'ai découvert par
déduction que les couleurs représentaient les émissions qu'il pouvait regarder et celles qu'il ne
pouvait pas regarder, parce qu'il était à l'école ou qu'il était couché. Alors une fois que ça a été
déchiffré et interprété, il a pu passer à autre chose.
Jean-Claude Maleval : Cela montre bien que l'acquisition du langage se fait beaucoup plus
aisément chez l'autiste, à condition qu'on le coupe de l'énonciation. Donc l'écrit qui constitue un
objet aussi bien que le passage par l'ordinateur se prêtent assez bien pour eux à être investi,
parce que c'est coupé de l'énonciation. Ou alors l'imitation, l'imitation par les gestes, est quelque
chose qui pour les autistes n'est pas angoissant, parce qu'il n'y a pas de mise en jeu de la
jouissance vocale.
Participant : Je crois que vous avez dit que l'autiste s'appuie sur un bord. Pouvez-vous nous dire
de quoi il s'agit ? À quoi cela s'opposerait-il par exemple ?
Jean-Claude Maleval : Le bord, je le définis de manière spécifique. Il y a trois éléments dans ce
bord. Il y a le double, l'objet (l'objet autistique) et un îlot de compétence. Ces trois éléments, chez
les autistes de Kanner, peuvent très bien être intriqués et difficile à différencier.
Chez une autiste comme Temple Grandin, ils sont très bien différenciés. Le double, c'est la vache.
Elle est une image de la vache. Elle voulait intituler son deuxième ouvrage « Comment on voit
par les yeux d'une vache ». Elle-même pense qu'elle voit comme une vache.
Son objet, c'est sa trappe de contention, un objet autistique. Tout son traitement, son auto-
thérapie, est passé par la construction de cette trappe de contention dans laquelle elle se plonge
de temps à autre pour réguler sa jouissance.
Et son îlot de compétence, ce sont ses activités professionnelles. Elle est maître de conférence en
« trappe à bétail ». C'est une spécialiste mondiale des trappes à bétail qui permettent de tuer les
animaux, les vaches notamment, de la manière la plus douce possible.
Vous voyez qu'il y a une intrication entre les trois éléments. Le double, c'est la vache ; la trappe
de contention dans laquelle elle se met elle-même comme les vaches, c'est l'objet. Et son îlot de
compétence relie les deux choses, puisque c'est « comment tuer le bétail de la manière la plus
douce », par une trappe justement – pas une trappe de contention, mais une trappe qui est très
proche. Il y a une interaction entre ces trois éléments et toute sa jouissance y est localisée. Elle
passe son temps à faire des conférences sur l'autisme et sur les trappes à bétails, et il n’y a que
ça qui compte vraiment dans sa vie.
C'est une chose qu'on retrouvera chez tous les autistes qui développent des défenses complexes.
Tustin montre, elle, que l'objet est aussi un double. Par exemple, c'est une toupie chez un sujet
autiste de quatre ou cinq ans qu'elle traite. Cette toupie, quand il la fait tourner, il fait tourner son
pénis en même temps. Il n’a pas d'îlot de compétence, mais on peut penser que son îlot de
compétence va partir de son intérêt pour ses objets.
Je définis le bord de cette manière : îlot de compétence, double et objet, qui sont parfois intriqués
ou parfois désintriqués. Une des grandes spécificités de l'autisme, c'est que la défense s'appuie
sur un bord.
L'autre spécificité, c'est la rétention de la jouissance vocale qui conduit à trois manières bizarres
de faire avec le langage : le mutisme, la langue verbeuse et la langue fonctionnelle. Ceci est aussi
très typique de l'autisme.
L'essentiel de ce que j'essaie d'introduire concernant la structure autistique, c'est d'une part, la
rétention de la voix et ses conséquences, et d'autre part, le retour de la jouissance sur un bord,
défini comme je viens de vous le dire. Dans l’autisme, la jouissance n’est pas située dans l'Autre
comme dans la paranoïa, ni dans le corps comme dans la schizophrénie, ni sur un objet fétiche
comme dans la perversion, ni sur un objet perdu comme dans la névrose.
Participante : Mettez-vous totalement de côté la génétique ou considérez-vous qu'il y a un
moment précis où l'enfant devient autiste ? Parce que normalement dans le DSM-IV, c’est à partir
de trois ans que tous les symptômes peuvent être là, sinon ça ne fonctionne pas.
Jean-Claude Maleval : Je pense que l'autisme est là très tôt. On fait le diagnostic à partir de
trois ans, mais il y a beaucoup d'études qui montrent qu'on peut discerner l’autisme plus tôt
encore.
Il y a des études qui montrent que le fœtus d'un enfant qui va devenir autiste a déjà un certain
rapport spécifique à la voix de la mère. Il n'entend pas la voix de la mère, ce que j’interprète, non
pas comme le fait qu’il y a un problème perceptif avec la voix de la mère, pas du tout, mais
comme le fait qu'il y a une jouissance sans limite du sonore pour l'autiste, ce qui fait qu'il n’isole
pas dans le sonore la voix de la mère.
Participante : À combien de semaine peut-on dire ça ?
Jean-Claude Maleval : Je n'ai pas d’idée exacte, mais il faut déjà qu'il ait une perception de la
voix. Donc sans doute plusieurs mois déjà. Il y a deux travaux français, des thèses cognitives
assez récentes, qui montrent qu'il y a un trouble de la perception de la voix de la mère.
Participante : Donc, est-ce qu'on revient à la théorie de la mère froide, etc ?
Jean-Claude Maleval : Non, pas du tout. Je pense que cela relève d'un choix du sujet. Ce n'est
pas lié à la position de la mère. On voit que les mères d'enfants autistes sont extrêmement
différentes les unes des autres. Il y a de tout dans les mères d'enfants autistes comme dans les
mères d'enfants névrosés ou autres.
Pourquoi ce choix du sujet ? Je pense que l'autisme est lié à un choix du sujet. Vous invoquiez la
génétique. Je pense qu'il est possible en effet que le choix du sujet soit déterminé en partie par
des facteurs génétiques. Ce n'est pas du tout inconcevable. Il y a des éléments qui sont
discutables, mais quand même assez sérieux, en faveur d'une certaine prédisposition génétique.
C'est possible, comme pour la psychose, mais cela ne suffit pas.
Il y a aussi un fonctionnement subjectif très spécifique et, même si c'est génétique, les gênes ont
une certaine réactivité à l'environnement, c'est-à-dire que même si c'est génétique, il n'empêche
que la psychothérapie ou les méthodes thérapeutiques diverses ont la capacité de modifier le
positionnement subjectif. Avec des limites effectivement, parce qu'on ne sort pas de la structure
autistique, comme on ne sort pas de la structure psychotique, mais l'on peut faire avec.
Jean-Marc Duru : Vous avez parlé comme s'il y avait un glissement entre l'objet dit autistique,
qui contient comme une prolongation de corps, le rapport de la jouissance à l'Autre qui peut être
envahissante... Donc il y a une espèce de spécificité qui contient la jouissance au champ de
l'Autre pour éviter quelque chose de l'ordre de l'insupportable. Et vous avez ensuite parlé, dans
les inventions de ces objets, de la différence avec l'objet transitiviste. L'objet transitiviste était
plutôt une forme d'apprivoisement du rapport du sujet autiste aux petits autres.
Donc, ma question : est-ce qu'il y a un glissement, possible ou non, d'une conception de l'objet
autistique du sujet, dans son rapport à l'Autre (dans son rapport de jouissance à l'Autre pour la
contenir) à quelque chose qui soit de l’ordre de l'objet transitiviste, qui permet également de
contenir – en prolongation de corps toujours – le rapport à ces petits autres ? Est-ce qu'il y a un
glissement diagnostic et est-ce quelque chose qui peut être spécifié ?
Jean-Claude Maleval : J'ai du mal à saisir la question. Quelle est la fonction de l'objet ?
Jean-Marc Duru : Oui.
Jean-Claude Maleval : Il y a un rapport transitiviste à l'objet, mais pas seulement. Je dirais que
peut-être c'est ça la différence. Dans l’autisme, comme dans la psychose, il y a un rapport
transitiviste à l'objet qui peut faire que le double-objet soit appréhendé comme persécuteur.
Cependant à partir du moment où le sujet le maîtrise, il n'est plus persécuteur.
Ce qui est spécifique réside dans le fait que le bord peut être un canal vers l'autre. Il ne permet
pas de faire que le sujet loge sa jouissance au champ de l'Autre, mais c'est un canal vers l'autre
qui rend possible la construction d'un Autre de synthèse – ce que j’appelle un « Autre de
synthèse » – qui permet une médiation vers une certaine entrée dans le lien social sans loger sa
jouissance au champ de l'Autre.
Je ne peux pas le dire autrement : l'objet-double est un canal vers l'autre et permet la
construction d'un Autre de synthèse – d'ailleurs en grande partie aussi à partir de l'îlot de
compétence –, c'est-à-dire qu'à partir du bord peut se construire un Autre de synthèse permettant
une entrée dans le lien social.
Jean-Marc Duru : Oui, je vois la différenciation entre les deux types d’objets maintenant.
Merci à vous pour cet exposé extrêmement riche sur l'approche structurale de l'autisme et les
manières différenciées de le traiter.
Applaudissements.
•1.Asperger H., Les psychopathes autistiques pendant l’enfance [1944], Les empêcheurs de tourner en rond, Synthélabo, Le Plessis-Robinson, 1998. p. 106.•2.Ibid., p. 110.•3.IPA : International Psychoanalytical Association.•4.Schreber D. P., Mémoires d'un névropathe [1903], Points Seuil, Paris, 1975.•5.Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 17.•6.Sinclair J., « Ne nous pleurez pas », Autism Network International, Our Voice, Volume l, Numéro 3, 1993.•7.Lefort R. et R., Naissance de l’Autre, Seuil, Paris, 1980.•8.Lacan J., « Conférence de Genève sur "Le symptôme" » [1975], in Le bloc-notes de la psychanalyse, Genève, 1985, n°5. p. 17.•9.Rothenberg M., Des enfants au regard de pierre [1977], Seuil, Paris, 1979. pp. 275-276.
•10.Kantzas P., Le passe-temps d’un Dieu, Analyse de l’autisme infantile, Dialogue, Cergy-Pontoise, 1987. p. 116.•11.Asperger H., Les psychopathes autistiques pendant l’enfance [1944], Les empêcheurs de tourner en rond, Synthélabo, Le Plessis-Robinson, 1998. p. 110.•12.Williams D., Quelqu'un, quelque part, Editions J'ai Lu, 1996. p. 73.•13.Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 162.•14.Lacan J., Le séminaire livre XX Encore, Seuil, Paris, 1975. p. 89.•15.Boysson-Bardies B., Comment la parole vient aux enfants, O. Jacob, Paris, 1996. p. 60.•16.Ibid., p. 166.•17.Lacan J., Le séminaire livre I Les écrits techniques de Freud, Seuil, Paris, 1975. pp. 81-83.•18.Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 21.•19.Miller J-A., « Clinique ironique », La Cause freudienne No23, Revue de psychanalyse, Navarin Seuil, 1993. p. 10.•20.Peirce C. S., Écrits sur le signe, Seuil, Paris, 1978. p. 165.•21.Lefort R. et R., La distinction de l’autisme, Seuil, Paris, 2003. p. 87.•22.Bettelheim B., La forteresse vide [1967], Gallimard, Paris, 1969. p. 186.•23.Ibid., p. 188.•24.Ibid., p. 192.•25.Williams D., Si on me touche, je n’existe plus [1992], Robert Laffont, Paris, 1992. p. 130.•26.Ibid., p. 302.•27.Ibid., p. 130.•28.Laurent E., « Discussion », in L’autisme et la psychanalyse, Presses Universitaires du Mirail, 1992. p. 156.•29.Bettelheim B., La forteresse vide [1967], Gallimard, Paris, 1969. p. 302 et p. 304.•30.Tustin F., Autisme et protection, Seuil, Paris, 1992. p. 37.•31.Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 115.•32.Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité [1932], Seuil, Paris, 1975. p. 253.•33.Tausk V., « De la genèse de « l’appareil à influencer » au cours de la schizophrénie » [1919], in Œuvres psychanalytiques, Payot, Paris, 1975. p. 190.•34.Ibid., p. 216.•35.Callahan M., Tony : la victoire d’un enfant autiste [1987], Pocket, 1993. p. 147.•36.Gerland G., Une personne à part entière, Autisme France Diffusion, 2004. p. 86 et p. 73.•37.Fuentes-Biggi J. et coll. Ministerio de Sanidad y Consumo Espana, Gufa de buena practica para el tratamiento de los trastornos del espectro autista, Rev. Neurol. 2006, 43 (7). pp. 425-438.•38.Ockelford A., In the key of genius. The extraordinary life of Derek Paravicini, Hutchinson, London, 2007. p. 214.•39.Ibid., p. 242.•40.Tammet D., Je suis né un jour bleu [2006], Les Arènes, Paris, 2007. p. 70.•41.Kanner L., « Étude de l’évolution de onze enfants autistes initialement rapportée en 1943 », Journal of Autism and Childhood Schizophrenia, 1971, 1-
2. pp. 119-145. Traduction in La Psychiatrie de l’enfant, 1995, XXXVIII, 2. p. 425.•42.Ibid., p. 458.•43.Ibid., p. 459.•44.Beaucoup d’études concluent à une inefficacité de la communication facilitée en raison de la mise en évidence d’une dépendance du sujet au facilitateur. Elles se bornent à une approche aseptisée de la situation. Elles méconnaissent la structure du sujet autiste qui se caractérise de localiser la jouissance sur un bord, vécu comme un double, incarné par le facilitateur. En elle-même, cette méthode ne saurait certes constituer une thérapeutique de l’autisme, mais elle peut favoriser l’instauration d’une relation transférentielle. En tout état de cause, il est dommageable de se priver du recours à l’ordinateur quand le sujet l’adopte : même les études sur l’apprentissage assisté par ordinateur convergent pour constater à tout le moins des effets bénéfiques sur les acquisitions.•45.Axline V., Dibs ou le développement de la personnalité grâce à la thérapie par le jeu [1964], Flammarion, 1967. pp. 47-49.•46.Eliot S., La métamorphose. Mes treize années chez Bruno Bettelheim [2001], Bayard, Paris, 2002. p. 250.•47.Ibid., p. 53.•48.Ibid., p. 268.•49.Williams D., Quelqu'un, quelque part, Editions J'ai Lu, 1996. pp. 38-39.•50.Sacks O., Un anthropologue sur Mars, o.c., p. 331.•51.Williams D., Quelqu'un, quelque part, Editions J'ai Lu, 1996. p. 288.•52.Berger J., Sortir de l’autisme, Buchet/Chastel, Paris, 2007. p. 108-109.•53.Copeland J., Pour l’amour d’Anne [1973], Fleurus, Paris, 1974. p. 39.•54.Idoux-Thivet A., Écouter l’autisme, Le livre d’une mère d’enfant-autiste, Autrement, Paris. 2009.•55.De Clercq H., Dis maman, c’est un homme ou un animal ?, AFD, Mougins, 2005. p. 97.•56.« Antenne 110. Un programme ? Pas sans le sujet », In Préliminaires No 16, Publication du champ freudien en Belgique, 2006. p. 22.•57.Le RI3, Réseau International d’Institutions Infantiles est un réseau du Champ freudien, créé par Jacques-Alain Miller en 1992. Il est actuellement constitué de trois institutions membres : l’Antenne 110 (Belgique), le Courtil (Belgique) et le CTR de Nonette (France) et d’institutions associées : Podensac, l’Ile Verte et la Demi-Lune (France), le Prétexte (Belgique) et l’Hôpital de jour d’Aubervilliers. Ces institutions reçoivent des enfants, des adolescents et de jeunes adultes psychotiques et autistes. Elles s’orientent de l’œuvre de Freud et de l’enseignement de Lacan.•58.« Antenne 110. Un programme ? Pas sans le sujet », In Préliminaires No 16, Publication du champ freudien en Belgique, 2006. p. 27.•59.Ibid., pp. 27-28.•60.Newport J., Your life is not a label, Future Horizons, Arlington, 2001. p. 161.•61.Tammet D., Je suis né un jour bleu [2006], Les Arènes, Paris, 2007. p. 124.•62.Ibid., p. 129.•63.Ibid., p. 138.•64.Ibid., p. 227.
•65.Rothenberg M., Des enfants au regard de pierre [1977], Seuil, Paris, 1979. p. 286.•66.Williams D., Quelqu'un, quelque part, Editions J'ai Lu, 1996. p. 288.•67.Baghdadli A., Noyer M., Aussiloux C., Interventions éducatives, pédagogiques et thérapeutiques proposées dans l’autisme, o.c., p. 3.•68.Ibid., p. 261.•69.Berger J., Sortir de l’autisme, Buchet-Chastel, Paris, 2007. p. 31.•70.Sinclair J., « Don’t mourn for us », Autism Network International, Our voice, 1993, 1, 3 ; ou http://web.syr.edu/%7Ejisincla/dontmourn.htm•71.Deshays A., Libres propos philosophiques d’une autiste, Presses de la Renaissance, Paris, 2009. p. 57.•72.Ibid., pp. 114, 116, 121, 124.•73.Williams D., Si on me touche, je n’existe plus [1992], Robert Laffont, Paris, 1992. p. 290.•74.Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 114.•75.Le discours de M. Klein, affirme-t-il, « greffe brutalement sur l’inertie moïque initiale de l’enfant les premières symbolisations de la situation œdipienne » (Lacan J., Le séminaire livre I Les écrits techniques de Freud, Seuil, Paris, 1975. p. 109).•76.Lefort R. et R., Naissance de l'Autre, Seuil, Paris, 1980.