psychanalyse et langue maternelle

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Bernard Casanova Psychanalyse et langue maternelle In: Langue française. N°54, 1982. pp. 108-113. Citer ce document / Cite this document : Casanova Bernard. Psychanalyse et langue maternelle. In: Langue française. N°54, 1982. pp. 108-113. doi : 10.3406/lfr.1982.5284 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1982_num_54_1_5284

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  • Bernard Casanova

    Psychanalyse et langue maternelleIn: Langue franaise. N54, 1982. pp. 108-113.

    Citer ce document / Cite this document :

    Casanova Bernard. Psychanalyse et langue maternelle. In: Langue franaise. N54, 1982. pp. 108-113.

    doi : 10.3406/lfr.1982.5284

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1982_num_54_1_5284

  • Bernard Casanova (psychanalyste. Tours)

    PSYCHANALYSE ET LANGUE MATERNELLE

    Or donc, cela, faire une exprience avec la parole, c'est quelque chose d'autre que se procurer des informations sur la langue. M. Heidegger

    ...cette lalangue dont vous savez que je l'cris en un seul mot pour dsigner ce qui est notre affaire chacun, lalangue dite maternelle, et pas pour rien dite ainsi...

    J. Lacan

    La psychanalyse n'a ici qu une seule prise qui vaille : noncer qu'en matire de langue, la science puisse manquer.

    J.C. Milner

    Je ne sais pas ce qu'est la langue maternelle; moins qu'elle ne soit celle que je parle. Alors ce dont il me faudrait parler serait prcisment ce que je parle. Mais la parlant qu'en puis-je savoir? Je ne peux pas tre dedans et dehors la fois; o me situer? et vais-je arrter l?

    Du moins, de cette parole en langue maternelle, puis-je en faire l'exprience. Dites tout ce qui vous vient l'esprit, seule condition laquelle engage la cure , propose Freud celui qui est connu sous le pseudonyme de l'Homme aux Rats venu lui demander un traitement1. Par cette rgle fondamentale du tout dire , crite de faon presque identique en de multiples endroits de son uvre, Freud pose bien les conditions de l'exprience : tout dire, sans aucune retenue, se laisser faire, se laisser mener, traverser, surprendre par la parole, ne plus finir de s'tonner de ce qu' elle dit , en prouver la singularit... pour que, de cette exprience, un sujet puisse advenir. Encore faut-il que cette parole s'adresse un autre, occupant une certaine place et sachant s'y tenir.

    La psychanalyse est cette exprience de la parole en sa langue maternelle.

    La langue allemande, celle des patients de Freud, celle aussi de ses propres rves, on peut dire, dans une premire approche, qu'elle est la langue

    I . S. Freud. Remarques sur un cas de nvrose obsessionnelle. Cinq psychanalyses. P. U.K., 1 967. p. 202.

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  • maternelle de la psychanalyse2; et c'est en allemand qu'il faut lire Freud, surtout son uvre clinique. Les problmes de traduction ne sont pas du tout mon affaire, mais il faut bien en parler un peu; non pas seulement pour rpter, aprs bien d'autres et des plus autoriss, que la traduction franaise en est fort mauvaise, imparfaite ou mme errone, mais pour relever ce qui, de cette uvre, n'est pas traduisible, comme on peut le dire de la posie et aussi du jeu de mot. Il est frappant en effet de constater combien frquemment le traducteur se trouve dans la ncessit, par annotations ou parenthses, de rappeler le mot de langue allemande crit par Freud ou nonc par ses patients, retour la langue d'origine qui vient subitement clairer le texte et rvler ce qu'est l'coute freudienne. Cela est particulirement vident dans Interprtation des rves. Si, comme le dit Freud, le rve est un rbus3 il est lire comme tel, les images du rve sont prendre leur valeur de signifiants qui constituent le texte mme du rve. Mais comment faire passer un rbus d'une langue une autre? Ce patient qui me rapporte qu'il voit, dans son rve, une alle borde de chnes et qui associe aussitt avec les chanes du mariage ne peut dire ce rve qu'en la langue o l'homophonie va jouer. Ou bien ce sera un nom propre, signifiant intraduisible, qu'il faudra pourtant traduire pour la lecture du rbus. Dans le fameux rve de Freud dit de la monographie botanique c'est le patronyme du professeur Gartner 4 qui permet au rveur de continuer sur la mine florissante d'une dame... puis sur l'vocation d'une patiente nomme Flora et sur la fleur d'artichaut... Freud s'offusque d'ailleurs de ces sortes de jeux... auxquels se livrent les enfants mal levs ; lui-mme va jusqu' s'emparer du nom de son cher et vnr matre Briicke pour faire des Wortbriicke (mot pont, mot de liaison) et il ajoute : il semble que la ncessit d'tablir des relations entre les mots ne respecte rien5 . Cette langue du rve, irrespectueuse comme un enfant mal lev, c'est chaque page de Y Interprtation des rves qu'elle parle avec les signifiants de la langue (maternelle) du rveur.

    Quand Eduardo Weiss, psychanalyste italien, voulut traduire dans sa langue la Traumdeutung il remplaa un certain nombre de rves de Freud par les siens propres et fut, en cela, tout fait approuv par Freud qui lui crivit : la manire dont vous traduisez rves et actes manques en remplaant les exemples par des exemples qui vous sont propres, est naturellement la seule exacte. Malheureusement, je n'ai pas la garantie que ce procd sera suivi dans les autres traductions6... .

    Les autres formations de l'Inconscient , oublis, lapsus, actes manques, mots d'esprit et symptmes, ont mme structure que le rve, ce n'est

    2. Freud connaissait assez bien un certain nombre de langues trangres (anglais, franais, italien, espagnol...). E. Jones rapporte (E. Jones, La vie et l'uvre de S. Freud, t. 2. p. 425. P.U.F.. I 96 1 ) que Freud, qui excellait dans la prose autrichienne, la prfrant par sa souplesse la prose allemande du Nord, rpondit quelqu'un qui lui demandait combien de langues il savait : une seule, l'allemand . La langue allemande, langue des rves de Freud, je l'appelle langue maternelle de la psychanalyse; mais une remarque et d'importance, s'impose : l'origine juive de Freud n'entrane-t-elle pas une autre langue d'origine ? Le yiddish, m'a-t- dit, emprunte bien des langues, mais l'allemand surtout, beaucoup de ses termes; ce qui permet certains d'avancer que le discours analytique s'inaugurerait du yiddish, langue dont Freud n'a pas fait usage, mais prcisment en tant que mconnue, refoule par lui, oublie et fonctionnant son insu. A ce sujet, je renvoie des crits rcents comme par exemple le Colloque de Montpellier 1980, La psychanalyse est-elle une histoire juive?, Le Seuil, ou * L'enfant illgitime, Sources talmudiques de la psychanalyse , Grard Haddad, Hachette. 1981 ou encore certains travaux de -E.F.P. en particulier dans le " 2) des lettres de l'cole.

    .S. Le rve est un rbus, nos prdcesseurs ont commis la faute de vouloir linterprter en tant que dessin , S. Kreud, L'interprtation des rves, P.U.F., 1967. p. 242.

    \. Gartner = jardinier (N. d. T.) 5. Interprtation des Rves, op. cit., p. 183. 6. S. Freud. E. Weiss. Lettres sur la pratique psychanalytique. Privt, 1970, lettre du 7 septembre 1920.

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  • pas le lieu ici d'en dvelopper les mcanismes, mais je dis seulement qu'il s'agit l encore d'un certain fonctionnement des signifiants dans la langue, dans telle langue et non dans toute langue.

    Freud rapporte dans un article de 19277 le cas d'un jeune homme pour qui un certain brillant sur le nez tait d'une extrme importance; l'explication surprenante en tait le fait qu'lev dans une nurserie anglaise ce malade tait ensuite venu en Allemagne o il avait presque totalement oubli sa langue maternelle ... Le brillant sur le nez tait en fait un regard sur le nez , c'est--dire encore, pour clairer le lecteur franais, qu'il ne s'agissait pas du glanz allemand, mais du glance anglais. Ce jeune homme est d'ailleurs clbre dans l'histoire de la psychanalyse puisqu'il s'agit de l'Homme aux Loups dont Freud rapporte longuement le cas8. N. Abraham et M. Torok ont repris le discours de ce malade9 en s'attachant la langue : l'allemande dans son analyse avec Freud, l'anglaise par la nurse qui s'tait occup de lui jusqu' l'ge de quatre ans et la russe, sa langue maternelle, du moins celle de ses parents; (et nous lisons cette surprenante histoire en franais!) Les auteurs de ce travail se comparant des archologues, mettant au jour ce qu'ils appellent archonymes et crypto- nymes , dissquant les signifiants et rapprochant toutes les possibilits d'homophonie anglo-germano-russe, arrivent des rsultats audacieux et tonnants quant la multiplicit des sens se dployant en tous sens 1(>.

    Ce qui ne passe pas d'une langue une autre, ce reste, qui est perdu dans toute traduction, est comme le tissu de la langue maternelle qui la rend incomparable aux autres n.

    Le signifiant est intraduisible en tant que tel, sauf le rduire un signifi et un seul; ce signifiant transpos en tant que signifi dans une autre langue va pouvoir de nouveau fonctionner comme signifiant, mais tout autre; il y a eu cassure au moment mme de la traduction. A moins de se risquer une transposition homophonique : La similitude phonologique est sentie comme une parent smantique. Le jeu de mot ou, pour employer un terme plus rudit et ce qu'il me semble plus prcis, la paronomase, rgne sur l'art potique; que cette domination soit absolue ou limite, la posie, par dfinition, est intraduisible. Seule est possible la transposition cratrice : transposition l'intrieur d'une langue... (ou) d'une langue une autre 12 Lacan a os traduire mais justement il ne s'agit plus de traduction le matre-mot freudien Unbewusst par Une bvue avec tout ce que celle-ci entrane... Transposition cratrice , l'interprtation analytique est certainement dans ce registre; c'est--dire qu'elle n'est en aucune manire fixation un signifi, traduction rductrice, mais bien au contraire qu'elle reste l'tage du signifiant, jouant sur la duplicit du sens et l'quivocit. L'interprtation n'est pas interprtation de sens mais jeu sur l'quivoque. Ce pourquoi j'ai mis l'accent sur le signifiant dans la langue13... C'est en tant que dans l'interprtation c'est uniquement sur le signifiant que porte l'intervention analytique que quelque chose peut reculer du champ du symptme 14.

    7. S. Freud, Le Ftichisme. La vie sexuelle, P.U.F.. 1969. H. S. Kheud, Cinq psychanalyses, P. CF., Histoire d'une nvrose infantile. 9. N. Abbaham, M. , Cryptonymie. Le Verbier de l'Homme aux loups, Aubier. Flammarion. 197>. ). Bien que l'appui thorique analytique en soit trs discutable. I 1. On peut faire la remarque annexe que la cure analytique d'un patient dont la langue d'origine est

    diffrente de celle de l'analyste est tout fait possible, et elle a lieu; l'analyste de savoir tre attentif aux signifiants de la langue du patient.

    12. R. Jakobson. Essais de linguistique gnrale, coll. Points , d. de Minuit, p. H6. 13. J. Lacan, Lettres de l'E.F.P., n" 16, p. 188. 1 1. J. Lacan, Lettres de l'E.F.P., n6 16, p. 200.

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  • D'o cette proximit, cet apparentement de l'interprtation analytique avec le jeu de mot, cette libration du non-sens comme le dit Freud lui- mme propos du Witz l'essentiel qu'il y a dans le jeu de mot, c'est l que doit viser notre interprtation pour n'tre pas celle qui nourrit le symptme de sens 15 et avec la cration potique : tre ventuellement inspir par quelque chose de l'ordre de la posie pour intervenir en tant que psychanalyste, c'est bien ce vers quoi il faut vous tourner l6 .

    Mais parlant l des langues, trangres les unes aux autres, et de ce qui, de l'une l'autre, passe ou rsiste, n'ai-je pas assimil la langue maternelle celle d'origine (la langue de nos Pres dit-on parfois) autrement dit ne l'ai-je pas prsente comme pouvant tre rductible une langue? et, ce faisant, je me pose la question de ce quoi je participe ici, m'interrogeant sur le sens de la demande faite au psychanalyste par le linguiste. En effet, s'agit-il une langue, la maternelle? ou du moins, si elle ne l'est pas encore tout fait, l'entreprise ici engage n'est-elle pas, avec l'appui ventuel de la thorie psychanalytique, tentative qu'elle le devienne? La langue maternelle serait un territoire explorer, une langue de terre encore vierge, que la linguistique s'emploie ici dfricher, dchiffrer, occuper, amener elle. Faire de la langue maternelle une langue, et comme telle distinguable, isolable, ventuellement totalisable, une langue ct des autres, s'ajoutant aux autres, entrant dans la classe des langues, tel est sans doute l'enjeu. Mais cette opration de bornage, de mise en place de limites, d'encerclement, est- elle licite, est-elle mme seulement possible?

    J.C. Milner est l-dessus trs clair17, je me permettrai de m'y rfrer. La linguistique se veut exhaustive et elle se doit de l'tre; elle ne peut ignorer nulle langue et son savoir doit les englober toutes. La maternelle aussi?. C'est l l'cueil sur lequel l'entreprise scientifique a toutes les chances, tous les risques, d'chouer.

    La langue maternelle, cette langue-l, Lacan l'appelle lalangue , en un seul mot; ou, plus prcisment, la langue maternelle serait la figure, l'image la meilleure de ce que Lacan appelle lalangue. Cette lalangue c'est en toute langue, son excs, c'est ce qui, en chaque langue, n'est pas forma- lisable, ce qui, de la langue, chappe toute prise linguistique; car elle est constitue prcisment par ce que le linguiste ne peut envisager que comme dfaut, manquement la langue et que Freud a su, le premier, entendre comme rvlant la prsence d'un sujet.

    L'exprience de la parole dans la cure analytique est celle de cette lalangue qui sait faire des rbus pendant mon sommeil, qui me fait dire ce que je ne voulais pas ou qui m'en fait dire plus que je ne croyais, qui me fait draper, glisser trbuchant sur les mots comme sur les pavs , langue qui fourche, m'entranant dans le lapsus ou l'quivoque qui, selon l'accueil de l'autre, devient bvue ou mot d'esprit, pome aussi... langue qui se joue de moi et qui en jouit, et dont je n'ai nulle matrise, langue qui ne communique que du malentendu... Mais c'est elle aussi qui m'affecte dans mon corps et qui va s'inscrire en une mtaphore, le symptme, dans ma chair... Cette lalangue que j'habite et me fait tre parlant, parltre ...l'inconscient,

    15. J. Lacan, Lettres de l'E.F.P., ri" 16, p. 193. 16. J. Lacan, Sminaire, du 19 avril 1977. 1 7. J.-C. Milner. L'amour de la langue, Le Seuil.

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  • savoir lalangue en tant que c'est de cohabitation avec elle que se dfinit un tre appel l'tre parlant18... .

    La lalangue de Lacan il ne cesse dans ses Sminaires et ses crits d'en faire briller et tinter le cristal dont tout son enseignement est fait est, par dfinition, si tant est qu'elle soit dfinissable, sans limites; c'est--dire que son encerclement dans une formalisation laissera toujours un reste, un en-plus, qui, lui, sera toujours illimit. J;A. Miller rappelle l9 qu'on peut rver avec Leibniz d'une langue sans equivocation ni amphibologie , mais o en serait l'nonciateur? En espranto le mot d'esprit est plutt rare.

    Or, la recherche linguistique ici prsente sur la langue maternelle se veut probablement tentative de formalisation, d'objectivation de... prcisment ce qui ne peut l'tre; impossible d'assagir l'enfant mal lev et irrespectueux dont parle Freud. Il faut encore ici citer Lacan : Si j'ai dit que le langage est ce comme quoi l'inconscient est structur, c'est bien parce que le langage d'abord a n'existe pas. Le langage est ce qu'on essaye de savoir concernant la fonction de lalangue; c'est une lucubration de savoir sur lalangue. Mais l'inconscient est un savoir, un savoir-faire avec lalangue et ce qu'on sait faire avec lalangue dpasse de beaucoup ce dont on peut rendre compte au titre du langage 20.

    L'Inconscient est fait de cette lalangue-l, la langue du fantasme, c'est en elle que le dsir inconscient s'articule, que la vrit du sujet parle.

    Je dis que lalangue est sans borne, que rien ne la limite, je ne peux donc l'puiser, la dire tout entire; la vrit, elle non plus, n'est pas toute, parce que toute la dire on n'y arrive pas. La dire toute c'est impossible, matriellement, les mots y manquent. C'est mme par cet impossible que la vrit tient au rel 21 .

    La langue maternelle n'est pas pour rien dite ainsi ; la mre donne- t-elle, avec son lait, sa langue? Mre langagire autant que nourricire? La langue se transmettrait-elle ainsi par la voie (voix) des mres?.

    Curieusement, lait est un des premiers mots que Jean Itard, voulant conduire son sauvage Victor l'usage de la parole s'il n'est pas sourd, pourquoi ne parle-t-il pas22? , tente d'apprendre son lve, mais le professeur est fort du de s'apercevoir que ce n'tait le plus souvent que dans la jouissance de la chose que le mot lait se faisait entendre23 . Itard, en bonne mre, esprait de la part de son protg, une intention, une demande : Si ce mot ft sorti de sa bouche avant la concession de la chose dsire, c'en tait fait... un point de communication s'tablissait entre lui et moi... au lieu de tout cela, je ne venais d'obtenir qu'une expression, insignifiante pour lui, et inutile pour nous du plaisir qu'il ressentait24. Et puisque Victor s'oppose au dsir du pdagogue d'tre mre, Itard se retire : ...je me rsignai terminer l mes dernires tentatives en faveur de la parole, et j'abandonnai mon lve un mutisme incurable25 .

    18. J. Lacan, Sminaire, XX, Encore, Le Seuil, p. 130. 19. J. A. Miller, Ornicar, n 1, Thorie de lalangue . 20. J. Lacan, op. cit., p. 127. 2 1. J. Lacan. Tlvision, Le Seuil. 22. J. Itard. Mmoire sur les premiers dveloppements de Victor de lAveyron . 1801. m les Enfants

    sauvages, L. Maison, coll. 10-18, 1964, p. 158. 2:5. Ibid, p. 166. 2 1. Ibid, p. 165. 2 5. J. Itard, op. cit., p. 229.

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  • La langue maternelle n'est pas le rsultat d'un apprentissage ou d'une pdagogie.

    Pour Louis Wolfson l'tudiant de langues schizophrnique 26 , il faut surtout la dsapprendre cette langue de sa mre qui le pntre de paroles anglaises ; elles lui sont tellement insupportables qu'il se bouche les oreilles, il ne veut plus l'entendre, cette maudite langue, sa langue maternelle, l'anglais ; et pour bien s'en protger, se mettre en sret de sa langue maternelle , il tente de traduire le plus vite possible tous les mots anglais simultanment en plusieurs langues. Cette destruction de sa langue maternelle et cette fuite vers d'autres langues marquent bien que, pour L. W. qui se dit unique possession de sa mre . le dsir y est prsent, trop prsent, sans barrire, incestueux et mortifre, comme si les mots maternels prolongeaient le corps de la mre.

    La langue maternelle ne s'apprend pas27. L'infans baigne en elle avant de la parler. La mre va charger de sens tout vagissement, cri, son et en faire autant de demandes auxquelles elle va rpondre par la satisfaction du besoin; mais de cette opration choit un reste, indestructible, le dsir. C'est en elle, la mre, premire incarnation de l'Autre, que l'enfant va puiser les signifiants o son dsir pourra s'articuler; encore faut-il, pour que les lments de la structure soient en place, que le pre vienne l s'interposer, non pas sa prsence, mais le pre symbolique, c'est--dire nomm en tant que tel.

    La loi de l'homme est la loi du langage28. La langue marque l'cart, la coupure; c'est la langue de l'exil, de l'impossible retour o le dsir va se dire en une demande toujours rpte.

    Il n'y a de langue maternelle que singulire chacun.

    26. L. Wolfson, Le schizo et les langues, coll. Connaissance de l'inconscient , Gallimard, 1970. 27. Sinon plus tard, l'cole, mais celle-ci ne peut que la dmaternaliser; l'ducation est dite nationale,

    elle ne peut enseigner que la langue pareillement qualifie. 28. J. Lacan, crits, p. 272.

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