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PROGRAMME ET SAVOIRS EN EPS PAR CL. PINEAU Cet article est la suite de celui paru dans la Revue EPS 211 de mai-juin 1988 et intitulé « les aventures de la didactique ». Au plan des conceptions, ces deux réflexions font corps et constituent l'introduction à un vaste débat de la discipline relatif à l'organisation de son enseignement et pour lequel tes travaux du « groupe national de pilotage » sur les « programme et didactique de l'EPS » constituent un apport qui ne saurait prétendre être définitif, mais dont l'importance n'échappera pas. L'actuel mouvement de rénovation intégrera certainement d'autres réflexions (quelques-unes sont déjà publiées dans cette revue) qui contribueront à ce que soient proposés prochainement non seulement un projet concernant des principes de la didactique de l'EPS, mais aussi les données permettant la construction d'un programme d'EPS, un « point de non retour » et une étape décisive pour la discipline. Le présent article comprend deux parties : - la première est une réflexion sur la notion de programme et sur les savoirs en EPS, réflexion que nous souhaitons verser au dossier. - la seconde comprend différentes approches sur trois axes de cadrage des académies travaillant avec le groupe de pilotage national et introduisant une réflexion préliminaire aux travaux entrepris. L a notion de programme depuis un siècle et demi que lédu- cation physique et sportive est incluse dans le système éducatif français a été l'objet de nombreuses résistances et fut constamment suspectée d'introduire des données philosophi- ques récusées par les uns, exploitées par les autres. En fait, soucieuse de ne pas tomber sous la coupe d'une doctrine ou d'une science dont les impérialismes lui apparaissaient réduc- teurs, cette discipline a jalousement tenté de préserver ce qui lui semblait être son espace de liberté : l'autonomie pédagogique. Par ailleurs, ses liens avec les concepts d'action, de santé, de rendement ou d'utilité, l'ont « empêtrée » dans les théories qui lui ont dissimulé le véritable objet culturel sur lequel elle doit fonder sa démarche : les pratiques sociales corporelles. Au demeurant, les programmes des autres disciplines qui font l'objet de débats quant aux principes sur lesquels ils se fondent, semblent conforter l'éducation physique et sportive dans sa résis- tance à accomplir l'effort d'analyse et de recherche nécessaires à l'organisation de toute discipline d'enseignement. C'est ainsi qu'elle traverse relativement sereinement la période de ces deux dernières décennies, à l'abri des troubles que connaît le système éducatif. Toutefois, il faut bien constater que si l'absence de programme la protège momentanément des remous que connaît l'enseignement, cette situation est sans doute le fait de la place encore en retrait qui lui est accordée dans le système éducatif traditionnel. D'ailleurs, elle ne s'en trouve pas moins confrontée à des difficultés objectives pour établir une unité de mise en oeuvre des principes opérationnels qu'elle affirme découler des objectifs généraux qui lui sont assignés, notamment depuis les Instructions Officielles de 1967. Enfin, le délicat problème des frontières séparant les deux territoi- res d'intervention, l'un concernant le secteur sportif fédéral, l'autre relevant des missions éducatives confiées à l'Ecole, est de plus en plus préoccupant. En effet, le développement de l'approche médiatique des activités sportives par le grand public, accentue la confusion entretenue entre les finalités des pratiques sociales regroupées sous le terme de sport et les objectifs de l'éducation physique et sportive s'inscri- vant dans ceux de l'éducation. Deux objectifs généraux regroupent les objectifs particuliers de l'EPS tels qu'ils sont énumérés dans les Instructions Officielles. - le premier est de développer, chez tous les enfants et les adoles- cents, les capacités organiques, foncières et motrices. Celui-ci était jusqu'ici le plus apparant. - le second, justifiant pensons-nous le premier, est d'assurer l'ap- propriation des pratiques corporelles qui constituent des faits de civilisation et de permettre ainsi l'accès à une partie de la culture. Cette appropriation, outre les connaissances permettant une meilleure pénétration du tissu social et culturel doit offrir à chacun la possibilité de mieux gérer sa vie physique aux différents âges de son existence. Ceci est ce qui est attendu d'une discipline d'ensei- gnement. Dans cette définition, la notion de savoir est présente et apparaît comme une des clés permettant l'approche de ce que doit être un programme en éducation physique et sportive. A cet égard nous ne pensons pas que l'énumération des objectifs généraux de la discipline, accompagnée de précisions sur leurs spécifications aux différentes étapes de la scolarité puisse tenir lieu, longtemps encore, de programme. En effet, cette démarche réduit toute didactique à celles des différentes activités physiques et sportives enseignées sans qu'aucune indication soit fournie sur les apports spécifiques de celles-ci et exonère ainsi l'éducation physique des choix qui doivent être effectués, ne serait-ce que parce que toutes les APS ne peuvent être enseignées et qu'aucune, sans doute, n'a exactement les mêmes effets. Ainsi, les savoirs sont actuellement au sein de la discipline l'objet d'un large débat. Ce débat est, croyons-nous, vicié par une inconsciente mais perpétuelle référence au dualisme présent en France dans toutes les réflexions sur l'éducation. En effet, il est fait référence pour rendre compte de l'appropriation de certaines connaissances, à des savoir-faire ou à des savoirs pratiques. Constatons à cet égard que ces expressions, dans le domaine de la pédagogie, nous viennent de l'enseignement technologique qui rencontre les mêmes difficultés inhérentes au sens restreint accordé à la notion de culture. Le champ de celle-ci est essentiellement, dans notre conception fran- çaise, celui de l'esprit, du jugement et du sentiment. Les pays germaniques ne rencontrent pas les mêmes difficultés. La notion de culture en Allemagne, très liée à celle de civilisation (Aufklä- rung) englobe l'ensemble des pratiques sociales et des faits de société. Tout se passe dans notre conception comme si les savoirs diffé- raient de nature selon qu'ils étaient appréhendés par des étages supérieurs ou nobles de l'être humain ou par des étages inférieurs. Or, les savoirs se définissent, nous le pensons, non par l'interven- tion d'hypothétiques niveaux d'intégration mais bien par l'être EPS 216 - MARS-AVRIL 1989 25 Revue EP.S n°216 Mars-Avril 1989 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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Page 1: PROGRAMME ET SAVOIRS EN EPS - CERIMESuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70216...PROGRAMME ET SAVOIRS EN EPS PAR CL PINEA. U Cet article est la suite de celui paru dans

PROGRAMME ET SAVOIRS EN EPS

PAR CL. PINEAU

Cet article est la suite de celui paru dans la Revue EPS n° 211 de mai-juin 1988 et intitulé « les aventures de la didactique ». Au plan des conceptions, ces deux réflexions font corps et constituent l'introduction à un vaste débat de la discipline relatif à l'organisation de son enseignement et pour lequel tes travaux du « groupe national de pilotage » sur les « programme et didactique de l'EPS » constituent un apport qui ne saurait prétendre être définitif, mais dont l'importance n'échappera pas. L'actuel mouvement de rénovation intégrera certainement d'autres réflexions (quelques-unes sont déjà publiées dans cette revue) qui contribueront à ce que soient proposés prochainement non seulement un projet concernant des principes de la didactique de l'EPS, mais aussi les données permettant la construction d'un programme d'EPS, un « point de non retour » et une étape décisive pour la discipline. Le présent article comprend deux parties :

- la première est une réflexion sur la notion de programme et sur les savoirs en EPS, réflexion que nous souhaitons verser au dossier. - la seconde comprend différentes approches sur trois axes de cadrage des académies travaillant avec le groupe de pilotage national et introduisant une réflexion préliminaire aux travaux entrepris.

L a notion de programme depuis un siècle et demi que lédu-cation physique et sportive est incluse dans le système éducatif français a été l'objet de nombreuses résistances et

fut constamment suspectée d'introduire des données philosophi­ques récusées par les uns, exploitées par les autres. En fait, soucieuse de ne pas tomber sous la coupe d'une doctrine ou d'une science dont les impérialismes lui apparaissaient réduc­teurs, cette discipline a jalousement tenté de préserver ce qui lui semblait être son espace de liberté : l'autonomie pédagogique. Par ailleurs, ses liens avec les concepts d'action, de santé, de rendement ou d'utilité, l'ont « empêtrée » dans les théories qui lui ont dissimulé le véritable objet culturel sur lequel elle doit fonder sa démarche : les pratiques sociales corporelles. Au demeurant, les programmes des autres disciplines qui font l'objet de débats quant aux principes sur lesquels ils se fondent, semblent conforter l'éducation physique et sportive dans sa résis­tance à accomplir l'effort d'analyse et de recherche nécessaires à l'organisation de toute discipline d'enseignement. C'est ainsi qu'elle traverse relativement sereinement la période de ces deux dernières décennies, à l'abri des troubles que connaît le système éducatif. Toutefois, il faut bien constater que si l'absence de programme la protège momentanément des remous que connaît l'enseignement, cette situation est sans doute le fait de la place encore en retrait qui lui est accordée dans le système éducatif traditionnel. D'ailleurs, elle ne s'en trouve pas moins confrontée à des difficultés objectives pour établir une unité de mise en œuvre des principes opérationnels qu'elle affirme découler des objectifs généraux qui lui sont assignés, notamment depuis les Instructions Officielles de 1967.

Enfin, le délicat problème des frontières séparant les deux territoi­res d'intervention, l 'un concernant le secteur sportif fédéral, l 'autre relevant des missions éducatives confiées à l 'Ecole, est de plus en plus préoccupant. En effet, le développement de l 'approche médiatique des activités sportives par le grand public, accentue la confusion entretenue entre les finalités des pratiques sociales regroupées sous le terme de sport et les objectifs de l 'éducation physique et sportive s'inscri-vant dans ceux de l 'éducation. Deux objectifs généraux regroupent les objectifs particuliers de l 'EPS tels qu'ils sont énumérés dans les Instructions Officielles. - le premier est de développer, chez tous les enfants et les adoles­cents, les capacités organiques, foncières et motrices. Celui-ci était jusqu'ici le plus apparant . - le second, justifiant pensons-nous le premier, est d'assurer l 'ap­propriat ion des pratiques corporelles qui constituent des faits de civilisation et de permettre ainsi l'accès à une partie de la culture. Cette appropriat ion, outre les connaissances permettant une meilleure pénétration du tissu social et culturel doit offrir à chacun la possibilité de mieux gérer sa vie physique aux différents âges de son existence. Ceci est ce qui est at tendu d 'une discipline d'ensei­gnement. Dans cette définition, la notion de savoir est présente et apparaît comme une des clés permettant l 'approche de ce que doit être un programme en éducation physique et sportive. A cet égard nous ne pensons pas que l 'énumération des objectifs généraux de la discipline, accompagnée de précisions sur leurs spécifications aux différentes étapes de la scolarité puisse tenir lieu, longtemps encore, de programme. En effet, cette démarche réduit toute didactique à celles des différentes activités physiques et sportives enseignées sans qu 'aucune indication soit fournie sur les apports spécifiques de celles-ci et exonère ainsi l 'éducation physique des choix qui doivent être effectués, ne serait-ce que parce que toutes les APS ne peuvent être enseignées et qu 'aucune, sans doute, n'a exactement les mêmes effets.

Ainsi, les savoirs sont actuellement au sein de la discipline l'objet d 'un large débat. Ce débat est, croyons-nous, vicié par une inconsciente mais perpétuelle référence au dualisme présent en France dans toutes les réflexions sur l 'éducation. En effet, il est fait référence pour rendre compte de l 'appropriation de certaines connaissances, à des savoir-faire ou à des savoirs pratiques. Constatons à cet égard que ces expressions, dans le domaine de la pédagogie, nous viennent de l 'enseignement technologique qui rencontre les mêmes difficultés inhérentes au sens restreint accordé à la notion de culture. Le champ de celle-ci est essentiellement, dans notre conception fran­çaise, celui de l'esprit, du jugement et du sentiment. Les pays germaniques ne rencontrent pas les mêmes difficultés. La notion de culture en Allemagne, très liée à celle de civilisation (Aufklä-rung) englobe l 'ensemble des pratiques sociales et des faits de société.

Tout se passe dans notre conception comme si les savoirs diffé­raient de nature selon qu'ils étaient appréhendés par des étages supérieurs ou nobles de l'être humain ou par des étages inférieurs. Or, les savoirs se définissent, nous le pensons, non par l'interven­tion d'hypothétiques niveaux d'intégration mais bien par l'être

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PROGRAMME ET SAVOIRS EN EPS... PROGRAMME ET SAVOIRS EN EPS...

dans sa totalité tant il est vrai qu'il faut une intime communication avec l 'information et la compréhension pour que celles-ci devien­nent savoirs. En d'autres termes, la préhension du réel, du matériel est indispensable à l 'élaboration du savoir. Bergson disait à cet égard : « Nous croyons qu'il est de l'essence de l'Homme de créer matériellement et moralement, de fabriquer des choses et de se fabriquer soi-même... on oublie que l'intelligence est essentiellement la faculté de manipuler la matière... ». Ce sont les domaines sur lesquels s'exercent la compréhension et la volonté d 'appropriat ion qui définissent et diversifient les sa­voirs. Savoir sauter ou courir, comme savoir que le calcul d 'un mouvement uniformément accéléré fait intervenir la variable temps et non la variable masse, ces différents savoirs relèvent d 'une intégration intime de la connaissance et seules les caractéristiques d 'une Société amènent celle-ci à les hiérarchiser. Nous serons donc tentés de ne plus parler de savoir-faire ni de savoirs pratiques, encore moins de savoir-être pour ne parler que des savoirs relatifs à un domaine maîtrisé par l 'homme. Cela aurait-il, au demeurant , pour unique avantage de conduire à ne plus confondre le processus d'intégration avec les champs sur lesquels il s'exerce, que ce serait appréciable. Ainsi savoir nager ou s 'approprier les savoirs relatifs à la pratique des sports collectifs devront être identifiés en nageant ou en pratiquant tel sport et non par des compositions écrites ou par des QCM. Mais cette analyse concernant les pseudo-niveaux d'intégration des savoirs serait superfétatoire si, comme nous l 'espérons, elle ne devait contribuer à « dévérouiller » une dangereuse disposition de

l'esprit à classer les savoirs inhérents aux relations et interactions du corps et de son milieu, ainsi qu 'aux pratiques sociales qui s'y rapportent, dans des catégories établies selon une vision dualiste « corps-esprit ». Cette conception de toute évidence n'est pas en mesure de rendre compte des nécessaires zones d 'appropriat ion de connaissances qui portent sur les savoirs relatifs aux mises en œuvre vécues, concrètes, du mouvement et des activités physiques et qui se distinguent des connaissances descriptives ou théoriques relatives au corps (biologie, mécanique, etc...) En d'autres termes, ignorer qu'il existe une « approche clinique » des connaissances relatives aux activités physiques et sportives reviendrait à abandonner l 'éducation physique et sportive à la seule réflexion « socio-techniciste » et à faire par ailleurs une fois encore, allégeance à des sciences de tutelle. Nous devons le savoir, une telle attitude compromettrait gravement l 'élaboration des données didactiques spécifiques indispensables à notre enseigne­ment. Dans cette perspective, la proposition relative aux savoirs acquis par l 'enseignement physique et sportif et permettant ultérieure­ment de gérer et d'organiser sa propre vie physique aux différents âges, prend toute son importance et identifie des savoirs dispensés par l 'éducation physique et sportive aux savoirs dispensés par les autres disciplines du systèmes éducatif.

Claude Pineau Inspecteur Général de l'Education Nationale

Doyen du groupe Education Physique et Sportive

Les principes d'élaboration d'un programme, et de l'identification d'une didactique de l'EPS sont le centre des préoccupations, avons-nous dit, du groupe de pilotage national. Parce qu'il est urgent que notre enseignement entreprenne la construction d'un « corpus de principes opérationnels » en relation avec les objectifs de la discipline et précisant les critères sur lesquels peuvent s'opérer les choix didactiques, sept académies d'expérience se sont consacrées depuis 18 mois à des travaux et à des recherches.

Les résultats concrets de ces travaux pourront dans un délai très proche marquer la première étape du contrat d'innovation pédagogi­que. Quatre académies établissent des constats sur l'enseignement tel qu'il est mis en œuvre et tentent d'en formaliser la réalité. Trois autres, par ailleurs travaillent sur des axes d'élaboration des données didactiques de l'EPS.

Nous proposons, pour l'instant, l'approche diverse mais non contra­dictoire de chacune de ces dernières, sur les trois thèmes suivants : - l'idendité de l'éducation physique et sportive - éducation physique et sportive et activité physique et sportives - les programmes.

Ces réflexions constituent bien entendu une étape intermédiaire qui doit générer des développements.

IDENTITÉ DE L'ÉDUCATION PHYSIQUE ET SPORTIVE

L'EPS se différencie du Sport et cela sans s'y opposer. En effet celui-ci est volontaire. Il répond d 'abord à des besoins individuels de loisir, de bien-être, de perfectionnement voire de dépassement de soi. Le pratiquant choisit l'activité (ou quelques activités), sa forme, le temps qu'il y consacre qui peut être très important, régulier ou épisodique. Celle-là s'adresse à tous les enfants dans le cadre de la scolarité obligatoire et à tous les élèves jusqu 'au baccalauréat. Elle s'intègre dans un projet éducatif qui coordonne l 'ensemble des matières enseignées. Elle se déroule dans des

conditions de temps (durée, périodicité, rythme) et d 'espace dans des conditions matérielles et humaines (composition des classes, origine des élèves, affectation des enseignants), etc. qui lui sont spécifiques et qui lui sont imposées. Ses visées éducatives sont la santé, la sécurité, la solidarité. Elle a enfin pour finalités le développement des capacités motrices (efficacité, développement des facultés perceptives, maîtrise des réactions émotionnelles etc.). L'EPS au collège et au lycée intègre les différentes pratiques des APS qui existent dans notre société. Ces APS sont les témoins de l'évolution culturelle des pratiques historiquement constituées. Et c'est par le jeu combiné de leurs principales caractéristiques qu 'une éducation physique complète peut être envisagée. Mais une difficulté surgit alors. En effet, comment tenir compte du renouvellement permanent des formes de pratique et cela dans deux directions : - en extension : par l 'augmentation du nombre de leurs formes pour répondre aux besoins variés des personnes (de la détente à la compétition au plus haut niveau) et à leurs goûts (développe­ment de nouvelles activités : trampoline, tumbling, acro-sport etc. dans le domaine du ski par exemple) ; - en profondeur : l'écart qui se creuse entre le débutant et le champion devient tel que ce dernier perd progressivement son rôle de modèle car il devient inaccessible. Ainsi un jeune qui entre en sixième s'il va au club local de football aura pratiqué en fin de troisième son sport favori pendant une durée de 500 à 700 heures, n 'aura probablement pas eu le temps de pratiquer une autre activité et aura développé les capacités spécifiques du footballeur. Au collège il aura bénéficié d 'un enseignement d 'une durée d'environ 400 à 450 heures pendant lequel il aura fait non seulement des sports collectifs (dont éventuellement du football) mais aussi de l 'athlétisme, de la gymnastique, du combat, de la natation, de la danse, etc. et se sera enrichi de cette diversité et notamment des nombreuses capacités qu 'un sport à lui seul et aussi « complet » soit-il ne saurait développer. Académie de Lyon

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L'identité profonde de l 'EPS, discipline scolaire d'enseignement, est : - qu'elle s'adresse à tous les enfants ; - qu'elle est obligatoire ; - pour les élèves qui ne sont pas nécessairement motivés ; - prat iquée en temps limité ; - dans des conditions matérielles difficiles.

Aujourd'hui encore l 'EPS se présente comme une succession, juxtaposit ion de cycles de spécialités sportives dont les modèles, pour adaptés qu'ils sont par les enseignants, n 'en demeurent pas moins ceux des disciplines sportives elles-mêmes, élaborés pour les pratiquants volontaires, motivés, peu nombreux, dont l 'adé­quation moyens physiques/caractéristiques du sport est patente et recherchée.

Souvent les interprétations pédagogiques des instructions officiel­les de 1967 ont instauré une confusion entre deux secteurs éducatifs : celui des pratiques obligatoires pour tous, celui des pratiques volontaires de quelques-uns. Elle perdure largement malgré les instructions récentes qui les ont remplacées. Aussi les deux données fondamentales que sont l 'hétérogénéité et la nécessité de la réussite pour tous impliquent que le point d 'aboutissement ultime des pratiques motrices scolaires ne peut être systématiquement le match, le combat, l'affrontement sélectil.

Académie de Nantes

ÉDUCATION PHYSIQUE ET SPORTIVE ET APS

L'EPS à l'école ne peut se contenter d 'une simple juxtaposition de pratiques d'activités diverses qui, de par leur nombre, n 'aboutirait qu 'à un émiettement sans résultats perceptibles. Il lui faut donc définir les activités dans ce qu'elles ont d'essentiel et de fonda­mental et les regrouper selon leurs points communs. Il lui faut différencier les activités gymniques des activités athlétiques, des activités duelles, des activités de sports collectifs etc. afin :

1. de préciser ce qui fait la spécificité de chaque domaine voire de chaque activité ;

2. en relation avec ses finalités de repérer pour chaque niveau d'âge ce qui est raisonnablement accessible et nécessaire pour tous les élèves d 'un niveau de classe déterminé ; 3. d 'analyser ce que chaque domaine ou chaque activité peut apporter afin que l 'EPS de chaque élève soit efficace et complète.

Dans la démarche de l 'EPS l'essentiel ne peut se définir simple­ment par une analyse gestuelle des productions les plus élaborées des champions actuels. Une telle démarche (bien qu'elle soit indispensable) risquerait de conduire à la définition de modèles à imiter, inaccessibles à l'école et déjà dépassés au moment où on voudrait les enseigner. Chaque activité (ou chaque domaine) doit pouvoir être définie dans ce qu'elle a de plus essentiel de plusieurs points de vue : - au niveau de ce qu'elle vise dans ce qu'elle a de plus immédiat, (point de vue socio-culturel). Produire des formes corporelles en gymnastique, des matches en sports collectifs, des performances en athlétisme par exemple ; - au niveau de ce que le pratiquant doit maîtriser au plan de ses émotions (point de vue psycho-affectif) et au plan des relations inter-individuelles que suppose chaque APS (point de vue socio-affectif) ; - au niveau de la maîtrise motrice nécessaire (point de vue bio-mécanique).

A chaque niveau l'analyse faite doit s 'appuyer sur les éléments scientifiques actuellement disponibles en évitant de sous ou de sur-estimer l 'apport des uns ou des autres.

Académie de Lyon

L'un des travaux entrepris par plusieurs académies, sous des formes approchantes , a été de dégager des noyaux thématiques généralisables que l 'on peut retrouver dans différentes APS, réalisés (instrumentés) de façons spécifiques.

Pour pouvoir tenir compte des différentes dimensions d'organisa­tion des conduites motrices, il est utile de classer les noyaux thématiques selon qu'il font appel « prioritairement mais non exclusivement » au cognitif, au bioorganique, à l'affectif.

Cela est une indication pour l 'enseignant, pour l 'apprenant quant aux modes d'entrée dans l'activité, quant aux problèmes qui peuvent émerger, quant aux arguments /démarches pour faciliter les apprentissages, et, remédier aux erreurs.

Dès lors que les noyaux thématiques sont listés et classés pour pouvoir bâtir un cursus scolaire de la 6 e à la terminale, il convient de disposer d 'une technique pour fixer, à chacun des niveaux (âges, classes e t / ou développement) : • ce qui est à acquérir et à évaluer ; • les modalités de réalisation ; • les degrés de complexité et de difficulté à atteindre (exigences) ; • le niveau d 'appropriat ion souhaité. Deux outils ont été mis au point par l 'académie de Nantes, s 'appliquant à chaque noyau thématique : - l 'un pour construire une (des) échelle(s) de complexité et de difficulté ; - l 'autre pour appréhender les niveaux d 'appropriat ions motrices d 'un côté et verbale de l 'autre.

Académie de Nantes

Exemple de modélisation

Noyaux thématiques généralisables

APS supports (instrumentés dans...)

Liaison course-impulsion (transformer une puissance horizontale en puissance verticale)

Reconnaissance et commutativité des rôles et des sous-rôles

Subir et/ou régler un conflit compétence-aversion

Apprendre, utiliser, construire des codes gestuels, sémioteurs

• athlétisme (sauts) • gymnastique sportive

(saut de cheval) • VB (contre) HB (shoot

suspension) • FB (tête)...

• judo (Uke Tori) • VB (récept ionneurs/non

réceptionneurs • BB (récupération sous

panier /CA). . .

• boxe • saut de cheval • perche • rugby (fixation)...

• APEX • sports collectifs • combat • plongée...

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PROGRAMME ET SAVOIRS EN EPS... PROGRAMME ET SAVOIRS EN EPS.

LA NOTION DE PROGRAMME EN EPS

Toutes les tentatives qui on été faites jusqu'alors pour établir un programme en EPS par niveau de classe se sont heurtées à un certain nombre d'obstacles qui les ont rendues caduques : - la diversité des conditions de mise en œuvre de l 'EPS ; - l 'hétérogénéité des niveaux des élèves ; - l 'impossibilité d'établir un programme en progression linéaire puisque les évolutions morphologiques et psychologiques des élèves conduisent parfois à des stagnations voire à des régressions des acquis.

D'où, l'idée de baliser le parcours scolaire d 'un élève en EPS non par des précisions sur ce qu'il doit apprendre dans telle ou telle classe mais par des situations dites de référence, situations qui permettront à l'élève de montrer ce qu'il a appris et à l 'enseignant de l'évaluer.

Cette situation, pour être significative devra être authentique c'est-à-dire respecter les caractéristiques essentielles de l'activité même si les contraintes ont été adaptées. Des critères de réussite clairs en rapport avec les savoirs appris et les pouvoirs développés devront être élaborés.

Comme pour toute construction de programme d'enseignement la construction d'un programme en éducation physique et sportive pose deux types de problèmes : - l 'élaboration d 'un ensemble de savoirs à enseigner et de pouvoirs moteurs à développer dans le cadre scolaire ; - la p rogrammat ion de cet ensemble sur un certain nombre d 'années correspondant à un cycle d'enseignement ( 1 e r degré collège-lycée).

Quels savoirs à enseigner, quels pouvoirs moteurs à développer ?

Il s'agit de savoirs et de pouvoirs qui permettent de développer des capacités et de faire acquérir des compétences qui recouvrent non seulement le domaine des activités physiques et sportives à l'âge scolaire mais aussi le domaine des activités plus usuelles voire les activités physiques qui seront pratiquées à l'âge adulte. Pour éclaircir des concepts de capacité et compétences prenons un exemple dans la vie courante.

Développer la capacité à conduire des véhicules terrestres à moteurs passe par l 'acquisition des compétences permettant de conduire un vélomoteur, puis une automobile, puis un camion, puis un semi-remorque... sans que cet ordre soit nécessairement respecté.

Chaque compétence est alors définie par un ensemble des savoirs et de pouvoirs (savoir faire) à la fois spécifiques à la conduite du véhicule considéré mais pouvant aussi quelque fois être générali­sés à plusieurs véhicules (savoir comment fonctionne un em­brayage par exemple). Ainsi, plus on a conduit de véhicules différents et de différents types plus il serait aisé d 'apprendre à conduire un nouveau véhicule.

En somme la capacité de conduire des véhicules à moteur s'ob­tient par cumulation de compétences à conduire différents types de véhicules. Il faut cependant ajouter une condition : le chauf­feur doit consciemment avoir tiré de sa manière de conduire un certain nombre de savoirs pouvant être généralisés à d'autres situations de conduite.

Ces savoirs sont des savoirs prat iques car ils permettent de répondre à un certain nombre de questions : - quoi faire dans une telle situation ? - à quel moment le faire ? - comment le faire ? Ces savoirs pratiques, lorsqu'ils sont généralisables à un ensemble de situations similaires peuvent alors prendre le statut de règles d'actions.

Exemple : apprécier la « garde » de l 'embrayage lorsqu'on est amené à conduire un véhicule que l'on ne connaît pas est absolu­ment nécessaire si on ne veut pas « caler » le moteur.

Académie de Dijon

Des préventions, des résistances à l'idée de programme traversent notre profession : « un programme figé, il empiète sur l 'autono­mie pédagogique... il uniformise quand il faudrait différencier... ».

Et pourtant, dans leur pratique quotidienne, nombreux sont les enseignants qui commencent à le réclamer, y percevant une possibilité réelle de coordination, d'équité aux examens, de lan­gage/act ion communs.

Encore faut-il s 'entendre sur ce qu'est un programme et s'interro­ger, dès sa conception, sur sa faisabilité et son acceptabilité par les usagers : élèves, enseignants, institutions...

Nécessairement, il comportera : - une part de continuité : les enseignants doivent pouvoir utiliser leurs savoir-faire pédagogiques actuels dans les conditions maté­rielles dont ils découlent ; - et, une part de rupture : replacer ces savoir-faire dans une perspective relativement neuve : celle de l 'éducation physique et sportive, discipline d'enseignement, avec sa didact ique/pédago­gique propre.

Un programme n'est qu 'un élément du système d'enseignement. Notion évidente des autres disciplines scolaires, elle est absente, officiellement de l 'EPS.

Nos avancées pédagogiques reconnues (le comment ?) ne se sont pas accompagnées d 'une réflexion équivalente sur les contenus, à enseigner (le quoi ?) en fonction des étapes du développemement des élèves (le pour qui ?).

Un programme scolaire présente la liste des contenus sur lesquels se fonde l 'enseignement pour assurer le développement des élèves. Il constitue les éléments à évaluer en vue d 'une certifica­tion : celle d 'un profil de compétences/capacités caractéristiques des élèves que l 'Education Nationale a la charge d'obtenir.

Quatre idées-forces émergent de cette définition qu'il convien­drait de souligner : • les contenus de la liste sont cohérents entre eux et n 'ont pas de sens juxtaposés en « tutti frutti » : cependant la première diffi­culté réside dans la détermination de ce qui peut prendre statut d'éléments de programme (à coordonner entre eux) : des techni­ques sportives, des automatismes, des méthodes d'action, des structures de relations ?... dans quels champs bioorganique, co-gnitif, affectif ? sous la forme de savoirs, savoir-faire, savoir-être, savoir devenir... ? • un programme est construit pour l'élève. Et l 'EPS choisira ses contenus afin de développer les conduites motrices selon les âges, les caractères « personnologiques » sociaux. Evident ? peut-être ! mais certainement complexe à mettre en œuvre.

Ce qui n'est pas une raison pour procéder en ne se préoccupant que des APS ; • un programme est une charpente. Il énonce ce qui est à évaluer dans ce qui est enseigné et non tout ce qui est à enseigner. Du reste, la pédagogie déborde largement et interprète toujours un programme. Ce qui implique un soin tout particulier à accorder à la certification. Fondée sur les évaluations, elle matérialise ce qu 'une institution juge être un minimum acceptable d'acquisitions (avec un certain degré de variance acceptable) ; • l 'institution arrête des finalités encadrantes (dans les instructions officielles). Tout programme véhicule donc des valeurs qu'il convient d'expliciter. Néanmoins, la réflexion sur un programme ne peut pas se confondre avec une réflexion sur les objectifs, même s'il y a, entre elles, interactions ou filiations.

Académie de Nantes

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