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PREPARATION ET PRISE DE DECISION EN SPORT Entretien avec Claude Alain ENTRETIEN MENE PAR J.-J. TEMPRADO L'équipe de Claude Alain et Coll., de l'Université de Montréal, étudie les prises de décision en sport. L'originalité des travaux réside dans la place accordée à l'investigation en situation réelle et à l'articulation « préparation-décision ». Cet article passe en revue un certain nombre de questions que peuvent se poser à la lois des éducateurs et des chercheurs dans le domaine de la prise de décision en sport. Seront ci-après exposés les problèmes mé- thodologiques liés à l'étude des si- tuations sportives. L'évolution du questionnement depuis le début des travaux de l'équipe de Montréal est également évoquée. Si l'accent est mis sur l'articulation « préparation- décision », dans le cadre de l'étude du joueur en attente d'un signal de réponse, le problème de l'utilisation pratique des résultats des travaux est aussi abordé. Enfin la spécificité des APS vis-à-vis des prises de décision est mise en évidence. Les notes et encadrés, qui viennent illustrer les propos de cet entretien, ont pour but de permettre au lecteur d'établir plus facilement un lien entre « théorie » et « pratique ». « A partir de quel moment avez-vous commencé à vous intéresser aux prises de décisions et pour quel- les raisons ? » Cela a débuté en l'année 1977 ; nous nous Interrogions sur l'utilisation que pouvaient faire les joueurs des probabilités des différents coups de l'adversaire dans les situations de défenseen« sports de raquettes ». A partir de ces préoccupations, nous avons mené plu- sieurs études dans lesquelles nous manipulions la variable « probabilité » en essayant de recueillir les informations dans des situations «écologiques» (cf. note 1| réelles, et de compétition, dans la mesure du possible. A partir des résultats préliminaires et des discussions avec les joueurs, sur la base de l'observa- tion réele ou vidéoscopée, nous constations que le défenseur, essayait non seulement de déterminer des probabilités subjectives concernant les différentes atta- ques possibles, mais, aussi, qu'il tentait d'évaluer la pression temporele qui accompagnait ces attaques. Il semblait qu'à partir de ces deux facteurs, il choisissait un état de préparation adapté pour réagir plus efficace- ment (cf. notes 2 et 3). Note 1 : Explication de la notion d'écologie La notion«d'écologie » est d'actualité dans les recherches en APS (approche écologique, tâches écologiques, validité écologi- que...). On entend par là. la reproduction des conditions réelles ou proches de la réalité, soit par le contexte(compétition,fatigue, enjeu...), soi par les tâches motrices utilisées. Note 2: A partir des résultats préliminaires et des discussions avec, comme support, l'observation réelle ou vidéoscopée. on se rendait compte que la tâche du défenseur en attente d'un coup était certes de déterminer des probabilités subjectives concer- nant les différentes attaques possibles, mais aussi d'évaluer la pression temporelle accompagnant les coups possibles. Note 3 : La pression temporelle est le rapport entre le temps accordé au joueur pour choisir et réaliser sa réponse et le temps requis pour l'éxécution de cette réponse. Exemple en sport de raquette : le temps accordé est celui qui s écoule entre le moment l'atta- quant frappe la balle et celui elle touche le sol dans le terrain du défenseur. Le temps requis est celui nécessaire pour se rendre de l'endroit où se trouve le défenseur à l'endroit d'inter- ception de la balle (réaction et exécution). Claude Alain est enseignant et cher- cheur au département d'Education Phy- sique de Montréal. Cet entretiena eu lieu au Québec, dans le cadre d'un voyage d'étude de J.-J. Temprado, pro- fesseur agrégé d'EPS, étudiant en DEA STAPS sur le thème «des prises de décision ». Ce voyaged'étude a été financépar l'Office Franco-Québécois pour la Jeunesse PHOTO : SYLVAINE PONTE 58 Revue EP.S n°210 Mars-Avril 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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PREPARATION ET PRISE DE DECISION

EN SPORT Entretien avec Claude Alain

ENTRETIEN MENE PAR J.-J. T E M P R A D O

L'équipe de Claude Alain et Coll., de l'Université de Montréal, étudie les prises de décision en sport. L'originalité des travaux réside dans

la place accordée à l'investigation en situation réelle et à l'articulation « préparation-décision ». Cet article passe en revue un certain nombre de questions que peuvent se poser à la lois des éducateurs et des chercheurs dans le domaine de la prise de décision en sport. Seront ci-après exposés les problèmes mé­thodologiques liés à l'étude des s i ­tuations sportives. L'évolution du questionnement depuis le début des travaux de l'équipe de Montréal est également évoquée. Si l'accent est mis sur l'articulation « préparation-décision », dans le cadre de l'étude du joueur en attente d'un signal de réponse, le problème de l'utilisation pratique des résultats des travaux est aussi abordé. Enfin la spécificité des A P S vis-à-vis des prises de décision est mise en évidence. Les notes et encadrés, qui viennent illustrer les propos de cet entretien, ont pour but de permettre au lecteur d'établir plus facilement un lien entre « théorie » et « pratique ».

« A partir de quel moment avez-vous commencé à vous intéresser aux prises de décisions et pour quel­les raisons ?

» Cela a débuté en l'année 1977 ; nous nous Interrogions sur l'utilisation que pouvaient faire les joueurs des probabilités des différents coups de l'adversaire dans les situations de défense en « sports de raquettes ». A partir de ces préoccupations, nous avons mené plu­sieurs études dans lesquelles nous manipulions la variable « probabilité » en essayant de recueillir les informations dans des situations «écologiques» (cf. note 1| réelles, et de compétition, dans la mesure du possible. A partir des résultats préliminaires et des discussions avec les joueurs, sur la base de l'observa­tion réelle ou vidéoscopée, nous constations que le défenseur, essayait non seulement de déterminer des probabilités subjectives concernant les différentes atta­ques possibles, mais, aussi, qu'il tentait d'évaluer la pression temporelle qui accompagnait ces attaques. Il semblait qu'à partir de ces deux facteurs, il choisissait un état de préparation adapté pour réagir plus efficace­ment (cf. notes 2 et 3).

Note 1 : Explication de la notion d'écologie La notion « d'écologie » est d'actualité dans les recherches en APS (approche écologique, tâches écologiques, validité écologi­que...). On entend par là. la reproduction des conditions réelles ou proches de la réalité, soit par le contexte (compétition, fatigue, enjeu...), soi par les tâches motrices utilisées.

Note 2: A partir des résultats préliminaires et des discussions avec, comme support, l'observation réelle ou vidéoscopée. on se rendait compte que la tâche du défenseur en attente d'un coup était certes de déterminer des probabilités subjectives concer­nant les différentes attaques possibles, mais aussi d'évaluer la pression temporelle accompagnant les coups possibles.

Note 3 : La pression temporelle est le rapport entre le temps accordé au joueur pour choisir et réaliser sa réponse et le temps requis pour l'éxécution de cette réponse. Exemple en sport de raquette : le temps accordé est celui qui s écoule entre le moment où l'atta­quant frappe la balle et celui où elle touche le sol dans le terrain du défenseur. Le temps requis est celui nécessaire pour se rendre de l'endroit où se trouve le défenseur à l'endroit d'inter­ception de la balle (réaction et exécution).

Claude Alain est enseignant et cher-cheur au département d'Education Phy-sique de Montréal. Cet entretiena eu lieu au Québec, dans le cadre d'un voyage d'étude de J.-J. Temprado, pro-fesseur agrégé d'EPS, étudiant en DEA STAPS sur le thème «des prises de décision ». Ce voyaged'étude a été financépar l'Office Franco-Québécois pour la Jeunesse

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Le choix d'un des états de préparation se posait comme le problème central de la décision et apparaissait comme le résultat de la combinaison des probabilités subjectives, de la pression temporelle des différentes alternatives que l'attaquant peut présenter et d'autres facteurs liés au contexte (fatigue, score, enjeu...). Le problème étant défini de cette façon, nous nous som­mes intéressé aux différents états de préparation, dans le but d'établir un modèle de la démarche cognitive utilisée par le joueur en défense et aboutissant au choix de l'état de préparation. Ce modèle préliminaire a été élaboré et simulé sur ordinateur pour en éprouver sa logique interne*. Il semble que celle-ci soit valide puis­que le modèle fonctionne mais à présent on peut penser que c'est la pertinence même du modèle par rapport à la réalité qu'il prétend décrire qui doit être mise en cause ; c'est le sens des travaux que nous menons aujourd'hui.

* Pour un exposé détaillé du protocole informatique, voir Sarrazin et Coll. (1983).

« Comment situez vous l'importance respective des situations de ter­rain et de laboratoire pour l'étude des prises de décision en sport ? »

A l'origine nous nous sommes servi de situations de jeu pour étudier les prises de décision parce que nous voulions décrire le cheminement cognitif du joueur en activité réelle de confrontation. Nous souhaitions com­prendre l'utilisation que faisait le défenseur des informa­tions et non pas décrire les informations en tant que telles (position des joueurs,...! puisque celles-ci sont spécifiques à la tâche. Il s'agissait de tracer la démarche cognitive générale s'appliquant certes aux « sports de raquettes » mais aussi à d'autres situations dans les­quelles le sujet est confronté au choix d'un état de préparation à réagir. Il fallait donc reproduire une situation dans laquelle le joueur va chercher de l'information et comme on ne connaissait pas vraiment ces informa­tions, il a fallu les trouver au moyen d'une démarche expérimentale originale (Alain et Sarrazin 1985, STAPS, Dec. n° 12]. Ceci devait se faire obligatoirement dans un premier temps à partir des situations de jeu ; ensuite seulement nous avons poursuivi en laboratoire. C'est ici que se situe à mon sens l'expérimentation « écologi­que » : dans la reproduction des paramètres qui influen­cent le problème que l'on étudie. L'approche « écologi­que », pour moi, ne veut pas dire cependant nécessai­rement étude en milieu réel. Elle peut avoir lieu en laboratoire si les caractéristiques fondamentales de la tâche réelle sont reproduites.

Dans le cadre de notre recherche il s'agissait de recueil­lir des informations permettant de formuler des probabi­lités subjectives, d'évaluer la pression temporelle afin de choisir un état de préparation. L'écologie c'est toujours, à mon sens, le compromis à faire entre l'exactitude du résultat et la représentation à 100 % de la réalité. Nous abordons ici les problèmes méthodologiques. Au début de nos recherches nous ne pouvions rien mesu­rer en situation réelle alors nous avons procédé à des

observations en situation de jeu en les croisant avec des questionnaires puis ensuite nous avons reproduit des situations équivalentes en laboratoire en contrôlant les paramètres fondamentaux. Ici s'affirment deux étapes de la recherche qui correspondent à deux types d'outils méthodologiques, (cf. encadré 1)

« De nombreux travaux montrent que la décision dépend très direc­tement du contexte qui lui donne naissance et aussi des sujets qui la réalisent. Dans ces conditions, un modèle général applicable à un grand nombre de situations spor­tives est-il envisageable ?

»

Il serait utopique de penser qu'un seul et unique chemi­nement cognitif est utilisé par le joueur en situation de jeu pour qu'il élabore sa décision. De fait, il est fort possible et même probable que plusieurs règles de décision soient utilisées selon les différentes conditions auxquelles il est confronté. C'est ainsi que l'on observe parfois des décisions « non rationnelles » sous l'effet du stress ou de la fatigue. Dans ces cas, la méthode utilisée par le joueur pour aboutir à sa décision semble bien différente de celle qu'il utilisait dans des conditions plus « normales ». Le défi pour le chercheur est d'identifier la démarche cognitive la plus fréquemment utilisée, définir les condi­tions qui rendent son utilisation moins attrayante pour le sujet.

« Quels rapports sont établis entre l'étude des « prises de décision » telle que vous l'avez entreprise et le modèle de traitement de l'infor­mation ?

»

C'est une question importante. Souvent on considère que la prise de décision constitue une des étapes dans le modèle de traitement de l'information qui débute après l'arrivée du signal de réponse. Le traitement total impliquant toutes les étapes dure environ 250 millise­condes. Ce n'est pas à ce niveau à mon sens que l'on doit parler de prise de décision mais avant l'arrivée du signal, période pendant laquelle il y a aussi un traitement de l'information d'ordre cognitif à partir des différentes

La prise de décision en situation sportive s effectue le plus souvent sous contrainte temporelle. Elle est le produit de la réduction de l'incertitude liée au grand nombre d'alternatives d'attaques.

sources et qui aboutit au choix de l'état de préparation : c'est le principal problème de la décision. Ce qui se passe après, c'est le temps de réaction, c'est-à-dire le temps pris pour compléter les fameuses étapes du modèle de traitement de l'information. Ce temps est tributaire de l'état de préparation choisi avant que le signal soit présenté. En « sports de raquette », le temps qui permet le traitement des informations avant le signal de réponse et à l'issue duquel est formulée la première décision concernant l'état de préparation est de l'ordre de 1,5 secondes, c'est relativement long.

« Peut-on dire, dans ces conditions qu'il y a deux décisions successi­ves : d'abord le choix d'un état de préparation puis celui de la ré­ponse ?

» Oui, exactement, mais l'important est surtout de com­prendre que le temps pris pour choisir la réponse, une fois le signal présenté, dépend du choix de l'état de préparation, lequel aura été déterminé avant l'arrivée du signal (cf. encadré 2).

« Il semble cependant que l'on puisse solliciter les différents sta­des de traitement de l'information, à travers les caractéristiques de la tâche présentée, et en particulier le stade décisionnel...

» On peut penser que ce n'est pas en manipulant l'incer-

L'approche méthodologique employée ici est particulièrement intéressante. Dans une première phase, il s'agit d'appréhender la situation dans son contexte réel. Les outils méthodologi-ques utilisés (questionnaires, inter-views, vidéo...) permettent de recueillir le point de vue de l'acteur en situation de décision et de construire des pro-blématiques spécifiques aux EPS.En-suite s'amorece la deuxième phase qui consiste à transposer, dans la situa-tions plus dépouillées, les variables dont on pressent qu'elles l'influencent les comportement décisionnels, pour mieux explorer leur importance.

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titude elle-même que l'on sollicite l'étape de sélection de la réponse telle que définie par le modèle de traite­ment de l'information. C'est seulement si on augmente le nombre d'alternati­ves équiprobables. cela impose au sujet d'amener en mémoire à court terme un plus grand nombre de répon­ses susceptibles d'être appelées par le signal de ré­ponse, ce qui allonge le temps de récupération de la réponse. Par contre si l'incertitude est manipulée en changeant la probabilité des alternatives, sans changer le nombre, on incite le sujet à biaiser sa préparation en faveur de l'événement le plus probable. Le changement observé dans le temps de réaction n'est pas attribuable alors à une plus grande difficulté de récupération en mémoire mais causé par une modification de l'état préparatoire adopté avant l'arrivée du signal (cf. enca­dré 3).

« Les comportements exploratoires visuels et les implications psy­chophysiologiques de la prépara­tion peuvent-ils être considérés comme relevant du domaine de la prise de décision ?

» Cela dépend évidemment de ce que l'on entend par prise de décision. Dans les travaux que nous avons

réalisés, nous avons examiné la décision du joueur en défense. Celui-ci est vu comme un preneur de décision dont la tâche consiste à choisir, parmi plusieurs « types de préparation à réagir», celui offrant les meilleures garanties de réaction rapide et appropriée à l'attaque imminente de l'adversaire. Nos travaux visent à expli­quer comment le joueur arrive à ce choix et dans notre démarche, nous pensons qu'il est essentiel de coller au terrain, ce qui rend impraticable l'utilisation de paramè­tres précis. L'utilisation de mesures plus précises et plus objectives est facilitée quand on s'éloigne du milieu réel. C'est ce que nous faisons à présent.

« Et les comportements exploratoi­res visuels ? »

Je les vois comme étant plutôt au niveau de l'acquisition de l'information que de la prise de décision en elle-même : tout au moins de la prise de décision comme nous l'avons définie.

« Pouvez-vous illustrer par un exemple, le processus de prise de décision, dans le contexte où vous l'avez étudié ?

Prenons l'exemple du joueur en attente du coup de l'adversaire en « sports de raquette ». On a identifié, un peu arbitrairement, le signal de réaction comme étant le moment de l'impact balle-raquette de l'attaquant. En conséquence, le défenseur va devoir choisir un état de préparation, avant le signal, lui permettant de réagir de la façon la plus efficace à l'attaque qui sera présentée et qui représente le signal de réponse. Le joueur qui vient de renvoyer et qui va se trouver en position défensive utilise le temps qui sépare son propre renvoi de celui de l'adversaire pour prélever des indices infor­mationnels, sur des sources que nous avons identifiées pour formuler des attentes et évaluer le stress temporel appliqué à chaque coup possible. Il prend en compte également d'autres facteurs comme

le score, l'enjeu, la fatigue... et il va établir une combinai­son de ces paramètres selon une règle de décision. Celle-ci le conduit à attribuer une valeur d'utilité subjec­tive à chaque état de préparation pour chacun des coups possibles ; il choisit le type de préparation ayant la plus grande valeur d'utilité. Tout cela dure environ 1.5 seconde (cf. encadré 4).

« Que peut-on dire de ces états de préparation ? »

Nous en avions défini trois : préparation neutre, prépa­ration partielle et préparation totale qui se différencient par leur spécification en faveur d'un événement et par leur intensité. Il est très possible que la réalité soit plus complexe, nous étudions à l'heure actuelle les différents états de préparation possibles et leurs caractéristiques.

« La préparation est-elle orientée vers l'entrée sensorielle ou vers la sortie motrice ? »

En d'autres termes la question est : se prépare-t-on à détecter un signal ou à déclencher une réponse ? Il semble que, conservant les autres facteurs égaux, il soit préférable de se préparer à l'éxécution. Par exemple en sprint il est préférable de se préparer à jaillir des starts plutôt qu'à entendre le signal.

« Vous parlez de vitesse de réac­tion, mais la vitesse à laquelle est exécutée le mouvement n'a-t-elle pas son importance ?

» L. Proteau et son équipe pensent que les stratégies de préparation et de décision portent à la fois sur la vitesse de réaction et la vitesse du mouvement. Si on est effectivement capable de moduler de façon indépen­dante le temps de réaction et le temps de mouvement, cela devient plus complexe (cf. encadré 5).

« N'y a-t-il pas d'autres paramètres que les probabilités subjectives, l'évaluation de la pression tempo­relle et les facteurs du « contexte » qui affectent les stra­tégies de décision et de prépara­tion?

»

Le choix de l'état de préparation in-fluence les modalité de la réponse, c'est-à-die la vitessede la réaction et le nombre d'erreurs. Dans une situa-tion de choix dichotomique, plus le sujet de prépare pour une réponse particulière et plus il produit une réac-tion rapide si cet évenement est pré-senté. En revanche, il prend le risque de commettre une erreur oude dépas-ser le temps accordé si l'éénement alternatif est présenté. Il s'avère que l'être humain est assez conservateur dans ses stratégies de choix, c'est-à-dire qu'il hésite à pren-dre des risques (d'erreur) sauf si tou-tes les « évidences » lui permettent de prédire pratiquement àcous sur l'évé-nement qui sera présenté, ou si le temps accordépour produire sa ré-ponse est suffisamment court pour l'obliger à s'engager dans une prépa-ration en faveur d'un des événements.

Lorsque les alternatives sont équipro-bables, le sujet n'a pas de raison ob-jective de s'engager dans une prépara-tions spécifique en faveur d'un des événements,sauf s'il décide à l'avance de « parier » sur l'une des alternative. Cette stratégie, déterminée avant le signal, est facilitée si les alternatives ne sont pas équiprobables. Dans ce cas l'état de préparation correspond à l'événement favorisé par le sujet. S'il ne fait pas de pari sur un événement, il doit attendre la présentation du signal de réponse pour savoir quelle réponse donner et il doit la rechercher en mémoire parmi celles pré-sélection-nées.

Ceci semble pouvoir s'appliquer à beaucoup de situations sportives d'at-tente (par exemple le contreur en vol-ley-bal, le gardien de but...). Cepen-dant, il ne faut pas perdre de vue que, durant l'attente, le joueur n'est pas passif, il essaye d'influencer les déci-sions du joueur qui a l'initiative de l'incertitude (rapport passeur-con-treur ; tirreur-gardien...). De sorte l'attribution des probabilités subjecti-ves associées aux différents coups par le joueur en attente s'effectue sans doute dans le cadre et à l'issue de ce duel à distance où chaque joueur si-mulstanément producteur et réducteur d'incertitude, cherche à influencer les décisions de l'autre.

Le joueur en attente utilise le temps qui précède le renvoi adverse pour prélever des informations et prédire révolution de la situation de jeu c èst-à-dire les alternatives de coups possibles - (Photo lundt).

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C'est possible. Par exemple ce problème est directe­ment lié à vos propres travaux, J.-J. Temprado, pro­blème que nous n'avons pas exploré. Il s'agit de savoir si le décideur tient compte dans ses stratégies de préparation et de décision de la précision requise par la réponse. Cela me semble tout à fait pertinent.

« Les travaux sur les prise de déci­sion ont-ils, à votre avis des re­tombées pédagogiques sur l'amé­nagement des procédures d'ap­prentissage ?

» Je pense que cela peut aider à comprendre les méca­nismes de décision en situation sportive mais ne peut pas procurer des recettes en tant que telles pour développer les processus décisionnels.

« Là sont mis en évidence l'impor­tance des comportements déci­sionnels dans certaines activités et l'intérêt d'un apprentissage bien conduit en ce domaine...

» Oui. Si on était capable de fabriquer de bons décideurs sportifs, cela serait intéressant mais pour l'instant je vois pas... Sans doute l'effort doit il porter sur la lecture des situations pour aider les joueurs à évaluer correc­tement les probabilités des différents événements et la pression temporelle.

« N'y a-t-il pas des activités plus propices que d'autres pour déve­lopper les comportements déci­sionnels. Par exemple les activités qui se pratiquent dans un milieu changeant ?

» Je ne crois pas. Ainsi même quand l'environnement est stable, dès que le mouvement est amorcé, l'opérateur traite l'information : il vérifie si l'exécution de son mouvement se déroule comme prévue. A chaque fois qu'une correction s'impose, il y a un temps de réaction, le signal étant le fait de s'apercevoir de son erreur et la

réponse étant la correction en tant que telle. L'expert pourrait être celui qui choisit le mieux l'état de prépara­tion qui précède l'identification d'une erreur et le dé­clenchement d'une correction. La réaction sera d'autant plus rapide et efficace que le choix de la préparation aura été approprié. Pensez au gymaste sur un agrès, il doit constamment réagir durant l'exécution de son mouvement de la même façon qu'un escrimeur réagit et s'ajuste aux attaques et ripostes de son adversaire. Le premier évolue dans un environnement stable et le second dans un environnement changeant. •

COMMENTAIRES BIBLIOGRAPHIQUES SUR LES THEMES ABORDES

Quelques études préliminaires sur les variables affectant la préparation et la décision : - Alain C. et Proteau L. (1977) - Perception of objective probabi­lities in motor performance. In B. Kerr (ed). Human performance and behavior, Banff, Alberta 1977. - Alain C. et Girardin Y. - The use of uncertainty in racquetball competition. Canadian journal of applied sports sciences, 1978. 3, p. 240. - Alain C. et Proteau L. - Etude des variables relatives au traite­ment de l'information dans les sports de raquette. Canadian journal of applied sports sciences, 1978, 3, p. 27. - Alain C. et Proteau L. - Decision making in sport, in Newell, Roberts (eds). Champaign ill. Human kinetics publishers 1980.

La construction du modèle concernant les règles de choix de l'état de préparation : - Alain C, Sarrazin C. et Lacombe D. - The use of subjective expected values in decision-making in sport. The 1984 Olympic scientific congress proceedings, volume 3, Sport and Elite Per­formers. D.-M. Landers (ed). Champaign ill, human kinetics, 1986. -Alain C, Lalonde C. et Sarrazin C. - Decision making and information processing in squash competition. In H. Reider, H. Mechling, K. Bos et K. Reischle (eds). Motorik und bewegungs-forschung. Schondorf Germany : Verlag Karl Hofman 1983. - Sarrazin C. Alain C. et Lacombe D. - Simulation study of a decision making model of squash competition : phase two. In Human movement science 5 (1986), p. 373. - Alain C. et Sarrazin C. - Prise de décision et traitement de l'information en squash. STAPS, n° 12, 1985.

L'observation de certaines situations sportives montre qu'il semble exister des stratégies de réduction du temps de mouvement, permettant d'allonger le temps de réaction et donc d'être plus sûr de sa réponse. Par exemple le joueur de tennis qui attend pour être sur la direction de la réponse puis accélère le déplacement pour se ren-dre vers la balle.

La prédiction subjective conduit à la mise en place d'un état de préparation adapté permettent de réagir vite et juste au signal de réponse - (Photo Annie Mercier).

La prédiction de l'évolution de la situation de jeu conduit le joueur à se préparer de façon sélective en faveur d'une alternative.

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