plan de thèse
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ACADMIE DAIX-MARSEILLE UNIVERSIT DAVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE
THSE
SPCIALIT : Sciences de linformation et de la communication
LE 7E ART AUX REGARDS DE LENFANCE :
LES MDIATIONS DANS LES DISPOSITIFS DDUCATION
LIMAGE CINMATOGRAPHIQUE
par Perrine Boutin
Thse prpare sous la direction de :
Yves Jeanneret - Professeur, CELSA / Universit Sorbonne-Paris 4
Soutenue le mercredi 1er
dcembre 2010 devant un jury compos de :
Alain Bergala - Matre de confrences, Universit Sorbonne Nouvelle-Paris 3
Emmanuel Ethis - Professeur, Universit dAvignon et des Pays de Vaucluse
Yves Jeanneret - Professeur, CELSA / Universit Sorbonne-Paris 4
Emmanul Souchier - Professeur, CELSA / Universit Sorbonne-Paris 4
Guillaume Soulez - Matre de confrences habilit diriger les recherches, Universit
Sorbonne Nouvelle-Paris 3
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cole doctorale Culture et Patrimoine
cole doctorale 483 Sciences Sociales,
quipe Culture et Communication
Centre Norbert Elias - UMR 8562
Mmoire de thse prsent en vue de lobtention du grade de Docteur en Sciences de
lInformation et de la Communication de lUniversit dAvignon et des Pays de Vaucluse
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Ahmad
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Remerciements
La liste des rencontres effectues pendant la construction dune thse est trs
longue. Comme le film dAlain Resnais, Le Chant du Styrne, il faudrait remonter le
fil de ces six annes - et bien au-del - pour essayer de comprendre qui est du cette
thse, do elle vient. On finirait sans doute par un mystre , qui ferait lobjet
dune autre thse Je tiens tout de mme remercier toutes les personnes qui ont
contribu ce travail quelle quen soit la manire ; travail minemment collectif,
mme si mon seul nom figure en tte de ce document1.
Je souhaite exprimer ma trs grande reconnaissance Yves Jeanneret pour la
finesse de sa maeutique, sa capacit comprendre la recherche de lautre et
lenthousiasme dont il fait part, sa clairvoyance dceler lessentiel et le mineur, son
habilit dnouer les fils pour tirer le meilleur... Son amour pour la recherche et sa
discipline est contagieux et fut dterminant pour la construction de mon objet de
recherche.
Je tiens remercier Christine Poncet, Luc vancheri, Jean Davallon, Daniel Jacobi
et Laurent Fleury qui ont tenu une place importante dans mon parcours intellectuel et
la confiance que jai essaye dacqurir. Alain Bergala, Emmanul Souchier,
Emmanuel Ethis et Guillaume Soulez mont fait lhonneur dtre prsents dans le jury
de soutenance et je les en remercie trs vivement.
Un grand merci tous ceux qui ont support mes tergiversations, en
mencourageant de leur affection : merci dabord et avant tout Aude Seurrat - pour
sa relecture trs patiente, rigoureuse et toujours encourageante mais galement pour le
travail collaboratif fructueux de nombreux articles2 et communications -, mais aussi
Lila Belkacem - qui ma offert de partager une fin dcriture des plus agrables
possibles par un soutien inconditionnel -, Alexandra Garabige - surtout pour les fous-
rires salvateurs -, et tous les camarades de recherche qui ont dpos sur mon chemin
1 la manire dun film, nous oublions trop souvent le scnariste, le producteur, les acteurs, les
inspirateurs et toute lquipe technique pour ne retenir que lauteur Je vais dailleurs sans doute en
oublier. Quils soient ici remercier... 2 Deux articles sont prsents dans cette thse, pp. 110-112 et pp. 170-174.
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un ou plusieurs cailloux que jai plus ou moins bien su ramasser : Olivier Am,
Caroline Archat, Annette Bguin-Verbrugge, Pierre Berthelot, Julia Bonaccorsi,
Francis Desbarats, Gustavo Gomez-Meija, Jean-Franois Guennoc, Bettina Henzler,
Anne Jarrigeon, Sarah Labelle, Jolle Menrath, Thomas Stoll ; ainsi que toute
lquipe des doctorants / jeunes docteurs dAvignon : Michal Bourgatte, Emilie
Flon, Camille Jutant, Cline Schall, Ccile Tardy La dernire, mais non des
moindres, est Nathalie Montoya. Cette thse lui doit normment, non seulement
pour avoir tent de me transmettre un savoir-faire de chercheuse hors-pair, mais
galement pour mavoir offert avec une immense gnrosit de monter aux plus
hautes cimes dune pense en acte, par une analyse fine et exigeante des pratiques de
mdiation culturelle, accompagne dune insatiable curiosit. Jespre poursuivre nos
changes amicaux, scientifiques et professionnels, aussi passionnants que
revigorants.
Je remercie chaleureusement tous les enseignants, les enfants, les mdiateurs
que jai rencontrs, et ce depuis mon enfance, qui font vivre quotidiennement la
mdiation cinmatographique de manire si enthousiasmante. Que ces voix
vivifiantes trouvent ici la marque de toute ma gratitude, notamment France Ambert.
Je salue toutes les personnes qui ont donn de leur temps pour sentretenir ou
changer sur un mode amical avec moi et ont grandement contribu cette
recherche : Florian Delporte, Olivier Demay, Xavier Grizon, Laurent Pierronnet,
Nadge Roullet ou encore Frank Sescousse.
Jai une dette considrable envers tous les professionnels qui mont accueillie dans
leurs structures. Par ordre chronologique dintroduction, je remercie : Grard Lefvre
et feu lassociation UN CINEMA, DU COTE DES ENFANTS qui ma permis dlargir
considrablement mon terrain travers les rencontres effectues lors de festivals, de
sminaires et de stages en lien avec lUFFEJ3 notamment, qui ma ouvert dautres
voix encore, Braquage et tout lquipe du SERVICE PEDAGOGIQUE DE LA CINEMATHEQUE
FRANAISE pour le stage que jai effectu, lAFCAE4 et son Groupe jeune public qui
ma permis de consulter leurs archives, les salaris des ENFANTS DE CINEMA qui
maccordent depuis huit ans leur confiance pour dinnombrables actions faites grce
3 Union Franaise du Film pour lEnfance et la Jeunesse
4 Association Franaise du Film dArt & dEssai
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eux, les filles dENFANCES AU CINEMA grce qui je me suis imprgne
quotidiennement du terrain , Jean-Pierre Daniel et son Alhambra, le Studio des
Ursulines, les diffrents festivals qui mont accueillie, le personnel du CNC5, les
salles de cinma parisiennes que jai arpentes durant toutes ces matines - merci
tous les projectionnistes, artisans discrets du cinma -, les coles o je suis alles, les
muses, les instituts culturels trangers
Jai envie de remercier galement le personnel des bibliothques qui mont reue
et le monde des usagers : la BPI6 - et ses fous -, la BNF
7 - et ses fous de recherche -,
la BIFI8 - et ses fous de cinma -, celles de la Sorbonne, du CELSA, de lEHESS
9, de
Sciences-po et toutes les petites bibliothques improbables dans Paris comme la
Bibliothque de recherches africaines Toute ma gratitude va galement lencontre
des hbergeurs qui mont permis dcrire dans de bonnes conditions : Michle et
Dino Belkacem Gagny, Lila et Stphane au 6du 12
, les colocataires chez Billy,
Viviane et Jean-Franois Torrs Chabeuil, Christiane et Daniel Haute aux Veilles,
Antoine Vialle la Villa Mdicis et bien sr ma famille Prant.
La finalisation de cette recherche naurait pas t possible sans Charlotte Lacroix,
Claire Collin, Catherine Fouquet que je remercie pour leurs relectures impitoyables,
et mes autres amis qui mont soutenue et entoure durant ces six annes : Prune,
David et Emmet Brachet-Ciccodicola, Elsa Buteau, Odile Cortinovis, Laure et Rachid
Hammouda-Montcel, Florence Miettaux, Marija Stankov et Antoine Vialle. Je
souhaite galement rendre hommage ma famille qui a particip activement ce
travail par leur amour et leur encouragement sans relche : Majo et Grand-pre,
lodie et Guillaume Borel, Juliette et Andrea Terragni, Tim et Soizic Boutin, mais
aussi : lia, Pablo, Jacques, Brnice, Marion, Yaelle et... la teigne venir.
Les pages qui vont suivre devraient naturellement tre rdiges avec le recul et le
dtachement indispensables toute analyse. Nanmoins, jespre quelles sauront
rester profondment marques par la chaleur et la qualit humaine de ce beau
patchwork.
5 Centre National du Cinma et de limage anime
6 Bibliothque Publique dInformation
7 Bibliothque Nationale de France
8 Bibliothque du Film
9 cole des Hautes tudes en Sciences Sociales
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Note liminaire
La prsente note explicite certains choix formels pour la lecture du texte.
- Ont t mis entre guillemets, au sein du texte, les termes qui ncessitaient une prise de distance.
- Ont t mis en italique, au sein du texte, les notions sur lesquelles il convenait dinsister.
- Les acronymes employs sont expliqus en note de bas de page la premire occurrence ; un tableau les rcapitulant se situe en annexe 1.
- Les associations sont indiques en petite majuscule, les dispositifs en italique.
- Les citations de textes publis et les citations de propos oraux - observations et entretiens - ont t composes en romain. Chaque citation fait lobjet dune
note de bas de page qui donne la rfrence de lextrait issu, soit dun texte -
prsent dans la bibliographie -, soit dun entretien - prsent en annexe1.
- En annexe sont exposs les principaux matriaux de la recherche organiss en fonction dune approche par thmes, eux-mmes prsents
chronologiquement : liste des sources selon une prsentation complte et
organise de ces matriaux - avec la rfrence des films cits notamment. Je
renvoie aux annexes en note de bas de page.
- Quelques propos ont t traduits de langlais et de lallemand. Dans le texte, ils ont systmatiquement t prsents en franais et le texte original est en
note de bas de page quand cest moi qui traduis.
1 Jai fait le choix de ne pas retranscrire en annexe lintgralit des entretiens, des tables rondes,
colloques, festivals... tous les discours oraux entendus ; ce qui aurait singulirement alourdi la thse, en
termes de nombres de pages.
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Sommaire
Introduction gnrale ................................................................................................. 17
Partie I - Une approche pragmatique des mdiations ................................................ 25
Chapitre 1 - Les niveaux de dfinition des mdiations et des dispositifs
cinmatographiques ...................................................................................... 35
Chapitre 2 - Pour une analyse diachronique et synchronique des objets .......................... 87
Partie II - La mdiation cinmatographique : entre vidence, chimre
et ncessit ............................................................................................... 115
Chapitre 1 - Lgitimation et institutionnalisation des modes de mdiation :
un dessein qui prend corps, entre positivit et politique publique .............. 123
Chapitre 2 - Une logique de communication en question :
passage dun programme un investissement ............................................ 177
Partie III - La potique des mdiations : laboration dun espace
daction en espace fantasm .................................................................. 239
Chapitre 1 - Rhtorique des objets et discours circulant :
analyse techno-smiotique .......................................................................... 245
Chapitre 2 - Les ancrages de la mdiation : des modles de rpartition
des rles ou la confrontation des expertises ............................................... 289
Chapitre 3 - Actualisation du programme dans les dynamiques interactionnelles :
une pratique et des valeurs en tension ........................................................ 319
Conclusion gnrale ................................................................................................. 251
Bibliographie ........................................................................................................... 363
Annexes ................................................................................................................... 379
Table des matires ................................................................................................... 415
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Avant-propos
Quand je raconte ce sur quoi ma thse porte - comment et pourquoi on emmne les
enfants au cinma -, daucun y va de son anecdote sur lhorreur ou la rvlation dune
sance de cinma avec ses camarades de classe, ses amis ou ses parents, expriences
faites dans lenfance ou ladolescence, qui les ont profondment marques, parfois
jusqu lge adulte1. Ce nest pas la raison principale pour laquelle jai crit cette
thse - bien que ma propre exprience ait beaucoup contribu alimenter mon
questionnement ce sujet2 - mais je me demande encore pourquoi si peu de
personnes ont cherch comprendre les raisons qui font quun film, ou plutt quune
exprience cinmatographique, influence ce point nos rapports au monde - aux
personnes et aux objets -, nos modes de pense, notre regard sur la socit
On pourrait me rtorquer que la recherche ce sujet est inutile parce que les
raisons ne sont que des truismes : nos terreurs les plus enfouies, nos amours
inconditionnels, nos prdilections, voire nos obsessions, pour telle ou telle activit,
relation aux hommes et aux choses sont aliments par ce qui nous est donn de
ressentir, dobserver, de dcouvrir, principalement dans notre jeunesse. Le cinma est
un puissant dclencheur dmotions physiques et intellectuelles, puissant en termes de
capacits intrinsques mais galement par sa facilit daccs3.
Certes, mais alors, si cest si simple, pourquoi persiste-t-on dicter des normes,
dfendre des positions pour emmener les enfants au cinma ? Quelles sont alors les
valeurs et vises de ce geste ? Et comment les enfants ragissent cela ?
1 Un ouvrage entier est consacr ce sujet : BERGALA Alain, BOURGEOIS Nathalie (dir.), Cet
enfant de cinma que nous avons t, Aix-en-Provence, Institut dAix-en-Provence, 1993. Il regroupe
le tmoignage de 150 personnes - travaillant dans le cinma, mais aussi des crivains, pdagogues -
qui ont rpondu dix questions sur leurs expriences cinmatographiques dans leurs enfances pour
voquer ce quAlain Bergala appelle en prologue Lineffaable pli . 2
Jen parle dans un article paru dans le Bulletin des ENFANTS DE CINEMA, n8, octobre 2007 : O est la
maison de mon ami ?ou le 1er choc esthtique , Bulletin tlchargeable sur le site www.enfants-de-
cinema.com, p. 2. 3
En France, la sortie au cinma est la pratique culturelle la plus communment partage puisque
95% dentre nous sont rendus au moins une fois dans leur vie dans une salle de cinma. [] Pour ne
parler que delle, limagerie de cinma accompagne nos existences souvent trs tt et trs
intimement.
ETHIS Emmanuel, Sociologie du cinma et de ses publics, Paris, Armand Colin, 2005, p. 5.
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Introduction gnrale
Nous nen sommes quau dbut de lutilisation du film comme moyen
dducation. La valeur des films dans lducation visuelle ne fait aucun
doute, ni leur effet sur lesprit de lenfant. Les tests de rceptivit des
images de film sur lesprit enfantin prouvent les immenses possibilits
quoffre lcran de cinma.1
En 1928, le cinma est dj pens comme un moyen dducation , mais dans ce
cas, une ducation visuelle . Cette ide sest dveloppe et a adopt diffrentes
tournures : de la rencontre avec le film comme uvre dart au simple divertissement
du spectacle cinmatographique, en passant par une pratique - artistique et/ou
culturelle - autour de ce mdia. Les activits, et leurs conceptions, qui tayaient les
finalits de cette ducation, sont plthoriques. Lobjectif de cette recherche nest pas
de brosser un portrait exhaustif des dispositifs dducation au cinma2 en les
thmatisant, ni de savoir quelles seraient les meilleures faons de faire de lducation
au cinma. Il sagit den faire merger les points les plus saillants, travers lanalyse
de quelques-uns des dispositifs.
Ces actions sinscrivent dans le cadre de ce quil est communment admis
dappeler des dispositifs de mdiation . Le terme mdiation connat de
multiples dclinaisons, travers les expressions mdiation culturelle , mdiation
sociale ... ou des drivs tels que mdiateur jeune public , alors synonyme de
diffrentes appellations : animateur, accompagnateur, entremetteur, traducteur,
intervenant, interprte, bonimenteur, passeur, go-between3, gate-keeper...
Une clarification pralable de cette notion polyphonique est ncessaire, mme si
elle fera lobjet dune tude plus approfondie, au fur et mesure de lavance de cette
1 Extrait dun texte de John Ford publi dans le New York Times en 1928 ; cit par TAILLIBERT
Christel, Linstitut international du cinmatographe ducatif dans la politique internationale du
fascisme italien, Paris, LHarmattan, 1999. 2 Cela fait lobjet dun guide de 215 pages dans lequel seules les grandes structures sont recenses :
HUSSON Didier (dir.), Images, Cinma, ducation : pratiques et ressources, Paris, Vidadoc / CNDP,
2001. Il est dj en partie obsolte. 3 Pour la notion de go-between : ANDERSON Nels, Le Hobo - Sociologie du sans-abri, Paris, Nathan,
1993.
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Introduction gnrale
recherche qui porte sur les mdiations inscrites dans cet ensemble intitul la
mdiation . La question de dpart consiste se demander ce que font les mdiations
la mdiation .
Lexpression les mdiations est employe dans une optique
communicationnelle danalyse des formes de circulation techniques, smiotiques et
sociales, ce qui permet de rendre compte des situations, des imaginaires, des pratiques
et des productions de la mdiation . Celle-ci renvoie, quant elle, au processus
gnralement admis sous cette acception, qui lgitime une situation de rencontre entre
un public et une uvre, en loccurrence un film. Cette expression est employe dans
le champ de laction culturelle, cinmatographique ou autre, mais galement par des
chercheurs qui analysent la mdiation . Selon langle dtude que jai adopt, la
mdiation est synonyme de dispositif, dans la mesure o ces deux termes
recouvrent les reprsentations que se font les acteurs de la situation.
En somme, la mdiation est envisage comme un programme, cest--dire un
mta-discours sur la pratique qui tente de mettre en uvre des vises claires, des
stratgies dactions, tandis que les mdiations sont considres comme des projets,
dfinis par les gestes, les paroles, les postures et les objets par lesquels la situation est
investie et qui lui donnent sens. Ainsi pour analyser la mdiation au cinma, il
convient danalyser les mdiations qui la matrialisent, la rendent possible, la
transforment et lui donnent sens. Les mdiations sont les conditions de son existence
et de son altration.
Si je cherche distinguer la mdiation des mdiations , je fais en revanche
un usage indiffrenci des termes acteurs , professionnels , militants 4, pour
dfinir les personnes dont lactivit principale est de travailler autour du cinma et
des enfants. Jemploie de manire tout autant analogue les mots instituteur ,
professeurs , matre ... pour dsigner le corps enseignant. De mme, je parle de
champ , de domaine , de monde ... pour signifier lensemble des dispositifs
dans lequel se dploient les mdiations.
Ce champ lexical de la mdiation est dune grande densit : il renvoie la
richesse polyphonique du domaine tudi. Lenchevtrement des termes donne voir
un espace techniquement et symboliquement baroque , dans lequel lexpression
4 Jemploie nanmoins le terme militant pour distinguer les professionnels qui se revendiquent
clairement dun hritage et dune action vise politique des autres, dont lobjectif principal est de
faire vivre la rencontre avec lart.
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Introduction gnrale
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semble se dissminer, dautant plus que la notion de mdiation est marque par le
sceau de lambivalence.
Lambivalence se situe dabord par rapport lobjet de la mdiation : le
cinma, qui est dj une mdiation en soi. La mdiation est donc pense comme
seconde vis--vis du cinma, ce qui rvle la complexit de ce qui se joue en
situation : la mdiation du cinma est une pratique qui met en question la notion de
mdiation, entre sa ncessit et son effacement5.
Lambivalence se retrouve galement dans la situation, qui place la mdiation
entre un art hypothtique et un public encore plus hypothtique, par le biais
dune parole, dobjets, de gestes, souvent phmres. Lobjectif nest pas de savoir si
le lien existe bel et bien mais de comprendre comment il se met en uvre et se
justifie ; ce qui permet de saisir le besoin prouv par les acteurs de lducation au
cinma de dlibrer sur ses fins, mais galement sur ses moyens, sur la manire de sy
employer.
Car lambivalence se peroit pareillement lchelle des intentions de cette
mdiation : faire aimer le cinma, donner voir des films rares, enseigner la
grammaire de limage, montrer un film pour parler dun thme - social, politique,
historique... Ces projets, qui font tous partie dune pratique de mdiation, sont lis
des conceptions divergentes que je prsente ds la premire partie de cette thse.
Ces ambivalences pourraient laisser entendre que la mdiation est fragilise. Il
semblerait au contraire que les ambivalences intrinsques la mdiation
engendrent des discours dautant plus affirmatifs et vindicatifs sur la ncessit, ou
non, de cette mdiation.
En effet, ces actions se sont construites autour de reprsentations de ce type de
mdiation dans un contexte, transcendant toutes poques, de dbats virulents sur la
culture, et plus particulirement depuis cinquante ans, sur les politiques culturelles,
dbats qui ont galement lieu au sein de la recherche sur laction culturelle. Les
polmiques actuelles portent sur les vellits de dmocratisation de la culture et sur
ses checs relatifs, qui engendrent des rflexions sur son fondement, sur la place de la
culture dans la socit, sur les apports et les effets de lart et des pratiques culturelles.
Fondamentalement, cela renvoie galement la question de la demande sociale de
5 Cette remarque sappuie sur mon travail de matrise qui portait sur les larmes de spectateurs dans
les salles de cinma , mmoire qui ma permis de mieux cerner lobjet de mon DEA/Master
Recherche et dbaucher la thse.
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Introduction gnrale
culture, du dogme de luniversalit du plaisir esthtique, donc du danger quil y a de
le dmontrer : lenjeu ici nest pas den justifier les bienfaits, mais de mettre en valeur
ces idologies6 qui lgitiment la mdiation , la rendent ncessaire.
La mdiation cinmatographique comporte deux spcificits. Dune part, ce mdia
populaire a t rig en art ds sa cration : les discours autour du cinma sont donc
analyss aux prismes dune artification 7. Dautre part, ils convoquent un
imaginaire fortement ancr dans la mmoire collective qui lassimile limage8,
anime ou non. Le travail ne consiste pas pour autant considrer limage comme
objet dtude mais plutt comprendre les raisons de cet amalgame. Comme lcrit
Bruno Pquignot :
Le travail [...] sur limage passe donc ici comme ailleurs, par une dconstruction
des modalits de production de limage en fonction de ce que sa rception dune part
nous rvle, mais aussi en fonction des relations que lon pourra tablir entre ce qui
est vu et la structure de ce qui est donn voir.9
Dans cette optique, Albert Laffay met un principe intressant : tout film
sordonne autour dun foyer linguistique virtuel qui se situe en dehors de lcran 10
.
linstar de ce smiologue, ltude se centre sur lobjet filmique comme lieu de
cristallisation dun certain nombre de reprsentations sur sa valeur, sur ce quil doit
provoquer ; reprsentations qui dcoulent de celles lies limage, mais qui vont au-
del, puisque le cinma a une mmoire collective qui lui est propre.
Ces deux mmoires collectives tentent de fixer des conceptions, sans que celles-ci
soient pour autant permanentes, car elles sont en prises avec les normes de la
mdiation qui sinscrit, sur le terrain choisi, essentiellement dans des dispositifs
scolaires, o se jouent sans cesse des rajustements entre les conceptions propres
lcole et celles du cinma. Si dans lexpression la mdiation laspect didactique
est lud, lexpression ducation au cinma couramment employe nous y
ramne.
6 tymologiquement, le terme idologie vient du grec idea, qui signifie la forme, et logos, le discours.
La mdiation cautionne une vision du monde, une reprsentation donne de la socit. 7 Dfinition : processus par lequel les acteurs sociaux en viennent considrer un objet ou une
activit comme de lart, l o ils ne le faisaient pas auparavant Quest-ce que lartification ? Journes
dtude organises par le Lahic/Iiac, la Bibliothque Nationale de France les 8-9 dcembre 2006. 8 Dailleurs, louvrage recensant les structures uvrant lducation au cinma que jai cit sintitule
Images, Cinma, ducation. 9 PQUIGNOT Bruno, La ralit sociologique de limage , Champs visuels, n2, juin 1996, p. 76.
10 LAFFAY Albert, Logique du cinma, Paris, Masson, 1964, p. 82.
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Introduction gnrale
21
Lanalyse tend vers les formations discursives de la mdiation qui crent un
ensemble plus ou moins cohrent de thories sur la pratique et de pratiques de
mdiation au cinma luvre dans les dispositifs dducation au cinma. linstar
de Dominique Maingeneau, lobjectif est de travailler sur un champ discursif 11
dtermin.
Problmatique et hypothses
Lensemble de la rflexion est anim par lobservation du programme
mdiationnel dans les formes quelle peut prendre, dans ses types dnonciation et
dans son paisseur sociale. En effet, la mdiation cinmatographique est place au
centre de proccupations politiques, artistiques et pdagogiques troitement
dpendantes les unes des autres. Ce qui mintresse comprend la prise en charge
publique de la question, la manire dont la mdiation est pense et agence ; sachant
que ces actions fondent leur principe sur un modle qui revendique une rencontre im-
mdiate avec luvre, donc sans mdiation, ni mdiateur. Il sagit donc de travailler
dans un espace de transformation sociale dune mdiation rendue la fois ncessaire
et vidente.
Dans mon master de recherche, qui portait sur le mme sujet, jinterrogeais ces
enjeux en questionnant limpact de la mdiation sur les dispositifs. La problmatique
actuelle ambitionne une double perspective : jtudie ce que les dispositifs font aux
mdiations et, conjointement, ce que les mdiations font aux dispositifs. Car les
dispositifs transforment et sont transforms par les mdiations : la relation dialectique
entre le programme et la pratique est davantage creuse. La problmatique devient
alors :
Comment les mdiations se traduisent dans des logiques de communication
effective qui les prolongent et/ou les inflchissent, en fonction des situations et des
hypothses dinterprtation mobilises par les acteurs ?
11
Par ce dernier terme [champ discursif] il faut entendre un ensemble de formations discursives qui
se trouvent en concurrence, se dlimitent rciproquement en une rgion dtermine de lunivers
discursif . MAINGUENEAU Dominique, Genses du discours, Pierre Mardaga diteur, Lige, 1984,
p. 28.
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Introduction gnrale
Il est question ici du sens des activits de mdiation, sens donn la fois par les
acteurs et par la situation. Il sagit de montrer quelques-unes des facettes des
mdiations luvre, en procdant une analyse suivant les diffrentes chelles qui
dploient la problmatique de la mtamorphose du programme mdiationnel.
La premire hypothse concerne le mouvement dinterrelation entre des univers
diffrents : le cinma et lcole. La circulation des mdiations travers ces dispositifs
donne jour des activits aux formes hybrides dont la matrise chappe en partie aux
acteurs qui sy engagent. Jinterroge ici les rapports de proximit entre la mdiation
au cinma et les formes scolaires dapprentissage, qui introduisent de la pluralit et de
la diversit.
La deuxime hypothse envisage ltude de la mdiation cinmatographique
comme moyen de situer des discours gnraux sur la mdiation culturelle en gnral :
elle en est un des lieux dactualisation et de transformation quil convient de
comprendre dans un cadre plus large que situationnel.
La troisime et dernire hypothse stipule que les mdiations cinmatographiques
sont autant de configurations, de prises de position sur lobjet cinma, sur un axe qui
va du film au spectateur, en passant par les dcideurs, les enseignants, les
mdiateurs Le cinma comme mdiation en soi est en quelque sorte
laboutissement, la position extrme.
Annonce de plan
La structure de la thse reflte le mouvement gnral de ma recherche et dploie la
problmatique et les hypothses en sept chapitres, regroups en trois parties.
La premire partie traite de la mthode employe pour construire cette thse dans
la mesure o la mthode fait partie intgrante de la dmarche intellectuelle qui ma
conduite penser les mdiations. Expliquer les thories mobilises, brosser un
portrait des usages qui en sont faits dans le champ professionnel tudi, dtailler mon
corpus et la raison de ce corpus - les mthodes employes -, sont des moments
dcriture tout aussi importants que lanalyse proprement dite, dans la mesure o la
mthode et lanalyse sont fortement imbriques. Je nai jamais cess de travailler
dans le domaine que jtudie, de lire, dobserver et dcrire conjointement. Comme
lcrit Jolle Le Marec : Il ny a rien dtonnant souligner quun rapport rflexif
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Introduction gnrale
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la situation denqute intervient directement dans la reconstruction permanente de
lobjet de recherche .12
Le travail autour de la richesse polyphonique quoffrent les
notions et le terrain abordes, impose une mthodologie elle aussi polyphonique. Se
demander comment saisir empiriquement un dispositif nous amne alors saisir
thoriquement la notion de mdiation, et inversement. Le premier chapitre analyse
dabord les deux notions, mdiation et dispositif, dans leurs diverses acceptions
thoriques et empiriques, puis le second chapitre rend compte des diffrents terrains
apprhends et de la manire dont ils ont t envisags.
La deuxime partie donne voir la construction de la mdiation
cinmatographique telle quelle sest mise en place principalement en France, dans
la mesure o les activits considres appartiennent des traditions culturelles
distinctes. Il est question de traiter de la fabrique de ces mdiations, de leur
organisation sociale, conomique ou politique en cherchant dgager les divers
enjeux symboliques. Mais fabrique nest pas seulement fabrication, cest aussi toutes
les oprations ou montages qui visent donner au cinma son statut dautorit,
lgitimer sa valeur dobjet social, assurer son efficacit. Cest en ce sens que nous
avons affaire de vritables politiques de lducation au cinma. Lattention porte
aux conditions de la formation des dispositifs, et non pas uniquement leurs formes,
contribue dgager la singularit des dispositifs de mdiation, mais galement
mieux prendre en compte la spcificit de ce genre dimage. Le premier chapitre tente
de reconstituer le parcours conceptuel qui a forg les valeurs de la mdiation
cinmatographique ; le second chapitre envisage les diffrentes injonctions
rencontres sur le terrain, injonctions qui mettent en exergue les contradictions
auxquelles sont confronts les acteurs.
Enfin, lors de la troisime partie, il est question de mettre en lumire les
diffrentes manires daborder le cinma face des enfants, non seulement en terme
de pratiques - montrer des films, pratiquer le cinma, faire des ateliers, analyser
limage-, mais galement en termes de postures, cest--dire selon les
interprtations donnes par chacun des acteurs de la situation. Car le problme des
conceptions de la mdiation ne saurait tre dissoci de ses effets et de son
interprtation Lobjectif est de mettre laccent sur le versant potique de la question,
12
LE MAREC Jolle, Les banques dimages des organismes scientifiques , Communication &
Langages, n157, septembre 2008, p. 52.
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Introduction gnrale
en sintressant aussi bien au problme des modles et de leurs transformations
quaux conditions matrielles de la fabrication : matriaux, procds, techniques,
tudis en termes essentiellement processuels. Le premier chapitre se penche sur les
objets qui jalonnent les dispositifs, aussi bien scolaires que cinmatographiques. Les
objets considrs sont forms de diffrentes manires : il sagit aussi bien des objets
au sens commun du terme que des mots qui sont employs par les acteurs de la
mdiation cinmatographique. Ces mots sont alors perus comme des rifications de
la mdiation. Le deuxime chapitre met en scne les deux dispositifs principaux,
scolaire et cinmatographique, dans leurs configurations spatiales spcifiques, pour,
dans un troisime et dernier chapitre, montrer comment lanimation de ces dispositifs
et de ces objets orchestre la mdiation cinmatographique.
La conclusion gnrale rappelle les points importants de la recherche et propose
enfin une discussion de ses apports et limites - du point de vue de lobjet tudi, du
point de vue thorique et du point de vue mthodologique - et envisage les suites
donner cette recherche.
Enfin, les annexes prsentent principalement les outils utiliss pour mener bien
lanalyse : les acronymes employs, la constitution du corpus de rfrence, un aperu
des tapes de lducation au cinma et enfin des exemples de visuels et dcrits
analyss.
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Premire partie
Une approche pragmatique des
mdiations
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Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
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Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
27
Introduction de la premire partie
Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertain et flottant, pouss dun
bout vers lautre. Quelque terme o nous pensions nous attacher et nous
affermir, il branle et nous quitte et, si nous le suivons, il chappe nos prises,
nous glisse et fuit dune fuite ternelle. Rien ne sarrte pour nous. Cest
ltat qui nous est naturel, et toutefois le plus contraire notre inclination ;
nous brlons de dsir de trouver une assiette ferme, et une dernire base
constante pour y difier une tour qui slve linfini ; mais tout notre
fondement craque, et la terre souvre jusquaux abmes1
Blaise Pascal donne lide dune condition humaine comme fuite ternelle. La
recherche sur la mdiation cinmatographique entre dans cette condition : sans cesse en
mouvance, cette recherche na pas de fin en soi, mais elle est anime par un dsir de
mieux comprendre ce mouvement. Ce travail tente ainsi de joindre les deux extrmes : il
sarticule entre linfiniment grand, les conceptions de la mdiation, et linfiniment petit,
les micro-agencements des mdiations en acte, sur un terrain2 qui volue,
perptuellement. Sans vouloir me centrer sur une analyse synchronique ni mme
diachronique, janalyse larticulation de linfiniment petit avec linfiniment grand et
rciproquement, dans une dialectique du particulier au gnral : il sagit de placer, sous
la lecture dun cadre macro-social, une analyse inductive des actes effectifs et ensuite de
faire remonter, de manire dductive, les actes effectifs pour comprendre le cadre
macro-social ; et cela, non seulement lchelle du terrain, mais galement dans les
thories mobilises.
Lobjet mdiation cinmatographique est multiple - par la varit et
lhtronomie du terrain, des perspectives et des mthodes. Apprhender la circulation
sociale des discours sur les mdiations demande en effet de traiter des conceptions de
ces actions jusquaux usages qui en sont faits par les participants. Cest pourquoi la
mthodologie articule des observations comportant une part variable de participation,
1 BLAISE Pascal, Penses, Paris, Poche, 2000, p. 167.
2 Ce terme terrain est prendre au sens propre comme au sens figur. Il nest pas appropri dans le cas
de la mdiation cinmatographique dans la mesure o ce nest pas un terrain vierge de toute
rflexion : les acteurs de ce terrain sont en lien avec des chercheurs, universitaires - sils ne le sont pas
eux-mmes -, qui rflchissent sur le sujet, en mme temps quils produisent. Les professionnels ne sont
pas trangers au travail danalyse et de rflexion sur leurs propres pratiques.
-
Introduction de la premire partie
des entretiens - quarante-trois au total3 -, des analyses smio-discursives de documents -
des archives remontant aux annes 70 certaines productions mdiatiques
contemporaines -, et quelques-uns des outils pdagogiques produits par les acteurs de la
mdiation au cinma4. Le cubisme pistmologique
5 dont cette thse fait preuve se
justifie donc dabord par lamplitude du corpus. Mme si lexhaustivit nest pas un
objectif, le traitement de la mdiation requiert autant defforts que lapprhension de
lhomme dans sa totalit, dont traite Bernard Charlot dans son domaine, les sciences de
lducation :
Les sciences de lducation traitent de lhomme, cest--dire dun objet opaque ,
complexe , porteur dun pouvoir de ngatricit . Un tel objet ne peut tre
apprhend par une seule science ; il ne peut pas non plus tre dcoup en
dimensions prises en charge par diverses disciplines et totalises, de faon
multidimensionnelle , par les sciences de lducation. Un tel objet requiert la mise en
uvre croise de plusieurs approches, croisement qui produira une intelligibilit
nouvelle et spcifique sans pour autant amener cet objet la transparence. Cest en ce
sens que jai caractris cette position comme un cubisme pistmologique .6
Pour tcher de clarifier la mthode danalyse, je vais expliquer les trois principales
chelles danalyse du terrain mobilises. La premire fait apparatre lanalyse
typologique de situations diverses - y compris des situations non observes7 - pour
comprendre les logiques privilgies et faire apparatre des diffrences. Il sagit
notamment de rassemblements associatifs : lors de festivals, de colloques, de conseils
dadministration, dassembles gnrales, de runions - budgtaires et de bilan - avec
les institutions tutelles, garantes des subventions ou de la lgitimit de laction, de
runions de bureaux ou du comit de lecture dune revue spcialise dans lducation au
cinma8 Cette analyse typologique permet de mieux circonscrire les actions de
mdiation au sein dune pratique sociale. Car, comme le dit Bruno Latour :
Loubli des artefacts (au sens de choses) a cr cet autre artefact (au sens dillusion) :
une socit quil faudrait faire tenir avec du social. Pourtant, cest bien au milieu de ce
signe de corps, que rside loprateur, lchangeur, lagitateur, lanimateur, capable de
3 Dont 10 en collaboration avec Nathalie Montoya, docteur en sociologie sur les mdiations culturelles,
que je remercie encore ici de mavoir initie une pratique plus rigoureuse de lentretien. Elle ma
galement beaucoup appris sur le plan mthodologique. 4 Voir Annexe 2 - Sources pour le dtail des entretiens et des observations.
5 Pour reprendre lexpression de CHARLOT Bernard, Les Sciences de lducation - Un enjeu, un dfi,
Paris, ESF, 1995. 6 Ibidem, p. 168.
7 Les situations non observes sont issues dentretiens et de comptes rendus de situations faites par des
mdiateurs. 8 Il sagit de la revue 0 de conduite, dite par lUFFEJ - dont je suis membre du Comit de rdaction -,
mais dautres situations de prsentation de productions crites vise didactique ont t observes.
-
Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
29
localiser comme de globaliser, parce quil peut croiser les proprits de lobjet avec
celles du social.9
La deuxime chelle intervient propos de ltude de schme situationnel partir
dune centaine de situations de mdiation, produites dans diverses salles de classe ou de
cinma. Il sagit de rendre compte du droulement dune sance de projection ou dun
atelier en classe sur le cinma, pour comprendre les mdiations en acte. La plupart des
descriptions sont issues de cette situation gnrique o un groupe se retrouve face une
personne qui parle dune uvre cinmatographique, en compagnie de luvre elle-
mme et/ou dobjets mdiateurs relatifs au film.
La difficult essayer de tout tenir ensemble et la particularit des nombreux terrains
observs demandent une dernire chelle danalyse : quelques monographies, dcrites
selon des exemples prcis de situations de mdiation considrent de faon quasi
chirurgicale la situation partir de lensemble des lments disponibles - dfinition du
contexte, documents associs, travail danalyse des squences. Ces monographies
donnent une perspective diffrente et complmentaire afin de tenter de cerner tous les
micro-agissements qui font galement les mdiations - mais aussi dans lobjectif de
donner voir pour le lecteur qui ne connat pas ces situations.
Ainsi, le corpus qui a servi cette recherche prend en compte certains lments du
terrain de laction culturelle cinmatographique pour servir largumentation qui mne
expliciter les mdiations agissantes. Ce terrain ne prtend pas une quelconque
exhaustivit : il existe encore dautres formes de mdiations qui ont chapp, qui se
construisent, sagencent de manire diffrente dans dautres lieux, dautres moments ;
on ne saisit jamais que des fragments et les gestes de choix oprs pour ce travail
participent llaboration de la mthode.
Par ailleurs, le public auquel ces actions sadressent nest pas prcisment
dtermin : il sagit de tranches dge parfois trs imprcises - qualifies lextrme de
jeune public -, selon la difficult et les comptences requises pour pratiquer tel
atelier, regarder tel film Arrtons-nous un instant sur ce sujet.
9 LATOUR Bruno, Une sociologie sans objet ? - Remarques sur lintersubjectivit , Sociologie du
travail, n4, vol. XXXVI, 1994, p. 589.
-
Introduction de la premire partie
Dtermination de la population enfantine observe
La population des enfants observs occupe une tranche dge particulire : ils ont
entre 3 ans et 10 ans - de la petite section de maternelle au Cycle Moyen 2, avant
lentre au collge. Le problme de ce panel reste quun enfant de 3 ans ne ragit pas de
la mme faon quun enfant de 10 ans. Toujours est-il que la barre suprieure de 10 ans
- ou plutt avant lentre au collge - permet de fixer un seuil qui est apparu au fil des
observations : jusquen CM2, lcolier reste peru comme un enfant par les adultes
qui lentourent. Lhypothse sur laquelle saccordent les mdiateurs serait de dire que
ceci est dautant plus fort que les enfants nont pas encore tous les codes de la
rception du film dans une salle, ce qui leur permet davoir une ouverture plus grande. Il
sagit donc de lenfance , situe entre la petite enfance et ladolescence, celle
mythifie par certains discours10
. En effet, la culture des mdiateurs de cinma sest
forge essentiellement dans les annes 60 70, annes o lon dcouvre littralement
lenfance . Comme le souligne Laurence Gavarini :
Ladulte accompli est considr, du mme coup, comme un individu marqu
ngativement par sa stabilit. Lge adulte, qui tait la vise vers laquelle lenfant
devait tendre, est supplant par lenfance : cest elle qui devient non seulement
dterminante, mais la rfrence. On a mme dsormais, apprendre des enfants.11
Les enfants sont la cible privilgie des activits qui tournent autour des actions des
mdiations cinmatographiques, entendues l comme actions volontaires, organises,
vise pdagogique - intitules ou non mdiation 12
. Le travail avec les adultes existe,
mais il ne relve pas de ce quon appelle explicitement et ordinairement une action de
mdiation, mais plutt de sminaires, dbats, colloques, stages, festivals, confrences
sur le cinma. Les enseignements de cinma luniversit ou les formations de
mdiateurs sont dautres types encore de mdiation ; le discours sur les enfants est riche
de plusieurs sous-entendus et permet de rencontrer des discours plus complexes. Parce
10
Un exemple : la plaquette de prsentation de lassociation LES ENFANTS DE CINEMA intitule un chapitre :
Un cinma hauteur denfant, cest--dire trs haut . 11
GAVARINI Laurence, La passion de lenfant, Paris, Denol, 2001, p. 68. Marie-Jos Mondzain, lors
de son sminaire sur lenfance aux ateliers Varan tenu en 2009, va jusqu dire que la socit serait
pdophile, abusant psychiquement et physiquement de lenfant devenu objet de consommation,
conjointement une infantilisation de ladulte. Lidologie du jeunisme amne par ailleurs considrer
avant tout la vieillesse comme un problme conomique et social. 12
Le critre de slection nest pas opr par la faon dont est qualifi le dispositif mais par sa nature, je
lexplique dans cette premire partie.
-
Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
31
quavec les enfants, cest lavenir qui est en jeu 13
, adage vieux comme le monde ; la
manne qui ressort de la nouvelle gnration produit plthore de discours14
quant la
socit dans laquelle ils naissent.
Le premier discours, alarmiste, trs mdiatis, prsente limage comme un mdia
dmoniaque, protiforme quil faut apprendre matriser pour acqurir le recul
ncessaire toute distance critique15
. Sous couvert de bonnes intentions, un deuxime
discours, plus conomique, consiste dire que le cinma nintresse plus les jeunes
tourns vers les jeux vido, mobiles et autres mp3, ipod Ce discours sous-tend quil
faudrait leur faire retrouver le chemin de la salle de cinma 16
pour leur apprendre
une bonne manire de voir des images, dans de bonnes conditions de sociabilit
norme de faon traditionnelle - cest--dire assister collectivement un spectacle. Le
troisime discours, corollaire du deuxime, est celui qui voudrait que les enfants ne
voient que des films de grosses productions amricaines qui les dtournent de la varit
des cinmatographies existantes - en dautres termes, les salles de cinma comme les
films moins vus ne rencontrent plus leur public , et sont donc en train de mourir
petit feu, au fur et mesure des gnrations.
Ces diffrents discours prsents grands traits brossent un portrait plutt cynique de
ce besoin de mdiation, vise critique ou lucrative. Il va sans dire que les
professionnels de ces actions aiment le cinma et que cest ce qui, avant tout, semble les
motiver : faire passer cet amour, le rendre contagieux ; parce que les films - qui sont
des uvres dart - permettent de se construire, de rencontrer lautre par le symbolique,
parce quils parlent de nos peurs les plus enfouies, quils permettent daffronter la
vie , parce que certaines uvres vont compter davantage que dautres17
, parce qualler
13
dito de la plaquette de prsentation des activits cinma jeune public du Lux, Scne nationale de
Valence, 2008/2009. 14
Tous ces discours peuvent tre rpertoris grce au travail consquent du panorama de presse ralis
rgulirement par le GRREM - Groupe de Recherche sur la Relation Enfants-Mdias - qui synthtise les
reprsentations des jeunes dans les mdias. Voir le site : www.grrem.org (consult le 13.07.2010) 15
Ce dbordement de limage est tel que les jeunes gnrations seraient les premires tre nes dans
une culture domine par les crans et non par les crits selon FRAU MEIGS Divina, La
mondialisation et le phnomne de lacculturation par les mdias , Projections, n29-30, dcembre 2008,
p. 44. Il faudrait alors rendre le spectateur actif , contrairement une passivit suppose. 16
Le cahier des charges du dispositif cole et cinma souligne la ncessit pour les lves de dcouvrir
le chemin de la salle de cinma et dentretenir des liens rguliers avec elle.
Cahier des charges tlchargeable sur le site : www.enfants-de-cinema.com (consult le 22.03.2005) 17
La question a t traite entre autre par : PASSERON Jean-Claude, Le raisonnement sociologique -Un
espace non-popprien du raisonnement naturel, Paris, Albin Michel, 2006, pp. 498-502, lorsquil dfinit
les trois types de cultures, dont la troisime est : la culture comme corpus duvres valorises .
-
Introduction de la premire partie
au cinma serait un acte thique - donner des habitudes, couter prsenter le film, voir
ensemble Ce discours rapport est aussi le fait de pdagogues.
Il existe une autre forme dintrt travailler sur le public enfant : les professionnels
de la culture tissent des liens troits avec le politique, dans un discours qui relve - plus
ou moins - du militantisme. Le travail sur les enfants comporte des enjeux socio-
politiques importants que je vais exposer tout au long de ce travail.
Enfin, une dernire - mais non des moindres - raison pour laquelle lenfance est une
poque particulirement intressante interroger quand il sagit de mdiation au
cinma : la salle de cinma, son dispositif, sont souvent perus comme un retour dans le
liquide amniotique, la cration cinmatographique est parfois vcue comme un retour
dans lenfance, comme lcrit par exemple le cinaste Ingmar Bergman :
Faire des films, cest aussi replonger par ses plus profondes racines jusque dans le
monde de lenfance.18
Marie-Jos Mondzain19
explique que cet intrt pour le cinma au regard de
lenfance est en lien troit avec les motions ressenties, adulte, comme venant de cette
priode : le cinma, comme lenfant, sont le site du changement, de linfini des
possibles, de la croyance : on va au cinma dans un tat naissant et on pense que ce qui
est vu est digne de foi . Tel un enfant, le spectateur sait bien, mais quand mme 20
,
il y croit. Parce que le cinma est un art du temps, et que lenfant est anachronique,
non pas un ge de la vie , parce que ltat denfant nous habite tant adulte. La
philosophe va jusqu dire que soccuper de lenfant et de cinma, cest soccuper de
nous spectateurs 21
.
18
BERGMAN Ingmar, Quest-ce que "faire des films" ? , Les Cahiers du cinma, n61, juillet 1956,
p. 16. 19
Marie-Jos Mondzain, lors dune confrence donne loccasion des 20 ans de lAlhambra et de
lassemble gnrale des ENFANTS DE CINEMA le 17.06.2010, fait une distinction entre lenfant, tat
spectatoriel, et lenfance, priode circonscrite en prise lidologie du jeunisme actuel. 20
MANNONI Octave, Je sais bien, mais quand mme , Clefs pour limaginaire ou lAutre Scne,
Paris, Seuil, 1969. 21
On ne peut pas oublier que tout rapport au savoir, quel quil soit, est prsid par le dsir de savoir qui
je suis. Un dsir de savoir sur mes origines parle du dsir au sens des grecs, dpithumia, ce dsir qui
fait natre un soupir, ce quon appelle la pulsion pistmophilique, lenvie de savoir. Je peux tre
amoureux de cette diffrence que jignore. Il faut au contraire que lducation ouvre les trous pour que
lamour ne soit plus amour de soi mais amour de la diffrence. DELABOUGLISE Pascal, Le corps,
ce sac cousu autour des orifices du dsir - Entretien Ignacio Grate-Martinez , Lart pour quoi faire,
lcole, dans nos vies, une tincelle, Paris, Editions Autrement, n195, septembre 2000, p. 45.
-
Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
33
La population denfants observs est donc large22
, mais cela se justifie dans la
mesure o le public de la mdiation - les enfants, mais aussi les adultes - nest pas
lobjet de cette thse : ils sont considrs comme des acteurs cristallisant des discours et
prenant part aux mdiations, au mme titre que les objets, les lieux Les enfants sont
simplement observs dans leurs ractions, verbales et corporelles : les dispositifs et
usages de ces mdiations sont interrogs travers les pratiques et les discours :
notamment par le biais dentretiens mens avec les adultes mdiateurs et enseignants,
ayant conscience de la difficult dentretenir des enfants ce sujet. La multiplication
des terrains dobservation que permet cette ouverture du panel rend possible ce travail
qui tente de brosser quelques portraits sur la faon de pratiquer et de concevoir la
mdiation.
Finalement, le principal problme nest pas tant lamplitude du corpus matriser,
que ce qui chappe forcment lobservation, mme la plus attentive, lanalyse la plus
fine, la lecture assidue : lintelligence du social dans sa ralit la plus singulire et la
fois la plus gnrale, que Jean-Michel Berthelot qualifie dinsaisissable du fait mme de
son caractre immanent.
Lintelligence du social est donc toujours dabord un problme. [...] Insaisissable,
requrant dtre construite aprs la leve dobstacles qui semblent particulirement
lourds, lintelligence du social est simultanment, en tant quintelligence de lobjet,
toujours dj l. Elle est une dimension constitutive de la connaissance comme ralit
sociale.23
Cette intelligence du social est effectivement toujours dj l dans la mesure o le
terrain de cette thse est vident a priori : une personne prsente un film un groupe
denfants. Lobjectif est de saisir les lments saillants de cette situation. De mme,
limpossibilit de tout observer, mme dans un temps dtermin, et de gnraliser des
observations la fois trop prcises et parses, semblent des freins inconciliables un
travail qui se voudrait embrasser toutes les faons de concevoir, dire et faire la
mdiation au cinma. Il sagit, pour reprendre encore Jean-Michel Berthelot, de tenter
dacqurir un regard interrogateur systmatique sur le terrain dans son ensemble.
La sociologie entend produire un type de connaissance qui se distingue de la
spculation, de lidologie, de la littrature pour atteindre lidal dobjectivit
commun aux diverses disciplines scientifiques. Cette ambition-l comme ailleurs, est
22
Dautant que dautres tranches dge sont prises en compte, mais selon une vise comparative. 23
BERTHELOT Jean-Michel, Lintelligence du social - Le pluralisme explicatif en sociologie, Paris,
PUF, 1990, p. 15.
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Introduction de la premire partie
affaire de mthode, de raisonnement, de contrle et induit ncessairement une rflexion
sur la nature, la validit et la porte des oprations menes.24
Lambition consiste par ailleurs utiliser les moments de glissements , o
lapprentie chercheuse, cense adopter un regard critique systmatique, dfend tout
coup ou progressivement une pratique, nourrit un discours Ce type de comportement
permet aussi de semparer du terrain en son cur, de ne pas adopter une attitude
uniquement externe. La richesse des attitudes face au terrain - de la tentative de
neutralit axiologique aux formes de militantisme les plus exacerbes - permet une
htrognit des points de vue, qui, sils sont par la suite dcortiqus froid , font
part de moments dune complexit indescriptible sans cela.
Dans cette partie, il est dabord question dexaminer les deux notions principales qui
sous-tendent toute la thse : la mdiation et le dispositif. Le terme de mdiation est
abord travers ses deux angles principaux : lusage qui en est fait par les
professionnels de la mdiation et son cadrage thorique, en sciences de linformation et
de la communication principalement. La notion de dispositif fait lobjet du mme
traitement, puisquil est galement employ par les professionnels de la mdiation
cinmatographique. Seulement, je passe rapidement sur la distinction inoprante du
terme entre son emploi professionnel et thorique pour expliquer davantage les thories
qui ont servi construire ma pense sur ce terrain.
Le deuxime chapitre de cette partie relate le cheminement de ce travail : les
mthodes employes pour aborder les terrains, les lieux et acteurs quil ma t donn
de rencontrer et de prendre en compte, ou non, pour ce travail. Jessaie de donner voir
un ensemble en le classant, le hirarchisant, de manire temporaire, pour clarifier le
terrain - mme si cela nest pas exempt darbitraire, car li au contingent : il sagit de
rendre intelligible le terrain au lecteur pour, ensuite, mieux lui rendre sa complexit afin
den extirper les lments saillants.
24
BERTHELOT Jean-Michel, Sociologie, pistmologie dune discipline, Bruxelles, De Boeck
Universit, 2000, p. 10.
-
Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
35
Chapitre 1
Les niveaux de dfinition des mdiations et des
dispositifs cinmatographiques
En raison du caractre gnrique de la notion, on peut dire que tout est
mdiation , et l rside sans doute lun des principaux motifs de son succs :
chacun peut bon droit sen rclamer.1
La mdiation2 dans son acception thorique et sociale est lobjet dclatements et
dusures qui fondent lintrt de travailler cette notion. A priori, lorsquon voque ce
mot dans un sens commun, on exprime deux choses : dabord, lide que la ralit
laquelle nous sommes confronts se caractrise par une fracture ; ensuite le fait quil
existe une instance rparatrice que lon nomme prcisment mdiation . Mais dans le
domaine de la mdiation culturelle, ce sens commun nest pas oprant. Yves Jeanneret
lexprime en ces termes :
Mais en outre, lide de mdiation peut relever de lacception sociologique de
lcart 3, induisant la ncessit de rduire tout prix un tel cart : ce qui ne va pas de
soi si on considre que lexistence dun cart est ce qui dfinit la pratique culturelle
comme telle. Ds lors, la rduction de lcart relverait, non particulirement de la
mdiation, mais du marketing de la sduction ou de la satisfaction des clients dune
activit de loisir.4
1 DE BRIANT Vincent, PALAU Yves, La mdiation - Dfinition, pratiques et perspectives, Paris, Nathan
Universit, 1999, p. 40. 2Contrairement Marie-Christine Bordeaux, le choix a t pris ici de ne pas explorer dautres formes de
mdiation - judiciaire, sociale, mdiatique. Si dfinir signifie tracer des limites, mon choix est dj de
limiter au territoire de la mdiation culturelle en gnrale afin dapprocher au plus prs la mdiation
cinmatographique - et rciproquement. Il ne sagira pas non plus, linstar de cette mme chercheuse, de
se pencher sur les mdiateurs ainsi nomms par le ministre de la Culture et de la Communication pour
maintenir le dialogue avec - ou entre - des professions concernes par laction de ltat : par exemple le
mdiateur du cinma, charg ds 1982 de rgler les litiges opposant exploitants de salle et distributeurs de
films. La recherche ici se focalise sur les conceptions de la mdiation et du mdiateur telles quon peut les
trouver dans les discours et pratiques des acteurs de laction culturelle cinmatographique. 3 CAUNE Jean, Pour une thique de la mdiation - Le sens des pratiques culturelles, Grenoble, PUG,
1999, p. 283. 4 JEANNERET Yves, Penser la trivialit - Volume 1 : la vie triviale des tres culturels, Paris,
Herms/Lavoisier, 2008, p. 124.
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Chapitre 1 - Les niveaux de dfinition des mdiations et des dispositifs cinmatographiques
En effet, les pratiques de mdiation artistique et culturelle dsignent aujourdhui
davantage ces dmarches dappropriation et les modalits de mise en relation de la
production artistique avec les publics. Lutilisation prolifique du terme de mdiation
appelle cependant une clarification smantique. En effet, la concrtisation de la notion
franchit des degrs divers de matrialisation : divers selon le domaine considr, le
matriau ou les matriels convoqus ; divers galement selon la nature de la personne
ou du groupe en qui prend naissance le concept initial ; divers selon le type de groupe
avec qui dialogue le mdiateur ; divers encore selon lamplitude dsire de limpact ;
divers enfin selon les conditions de rception, de vision, dcoute... Dans une optique
danalyse communicationnelle, ce sont des mdiations. Cette notion permet donc
ltude du lien transversal et rciproque des diffrentes formes de mdiation du cinma :
le lien physique ou technique comme mdiateur aussi bien que les mdiateurs eux-
mmes.
Terme galvaud bien sr, parce quemploy pour signifier trop de choses la fois,
mais intressant du fait mme de cette polysmie qui lentoure, le terme mdiation
na toujours pas acquis une place vidente dans le domaine du cinma, contrairement
dautres champs de laction culturelle5. Critiqu par les militants qui lui prfrent
souvent le terme d animation , brandi par les institutionnels pour se dfendre dune
lgitimit, le terme de mdiation na finalement pas obtenu gain de cause, ni de
dfinition arrte. Nathalie Montoya explique que cette porosit fait de ce terme un
des intrts de le travailler :
Lun des intrts suscits par les tudes sur la mdiation culturelle repose sur la vivacit
des dbats concernant sa dfinition. La multiplicit des activits dites de mdiation
saccompagne de critiques de plus en plus vives formules contre la plasticit du terme
et le dveloppement exponentiel de ses usages dans les champs les plus varis.6
Les chercheurs en sciences humaines et sociales, tout comme les acteurs de laction
culturelle, se sont empars de cette notion floue pour tenter de lui donner une dfinition,
ou au contraire, de la rendre, involontairement parfois, encore moins dfinissable. ce
titre, il semble particulirement intressant de sappuyer sur un terrain o la notion de
mdiation nest pas facilement accepte, o elle est sans cesse remise en question par
les professionnels eux-mmes, pour tenter de la comprendre ; dans la mesure o cette
5 Celui du muse notamment, mme sil est encore discut.
6 MONTOYA Nathalie, Mdiation et mdiateurs culturels : quelques problmes de dfinitions dans la
construction dune activit professionnelle , Lien social et politiques, n60, automne 2008, p. 25.
-
Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
37
ambivalence - ou cette porosit pour reprendre un qualificatif de Nathalie Montoya -
lui semble inhrente.
Le terme de dispositif fait lobjet dun traitement particulier dans la mesure o les
mdiations sont dites prises dans des dispositifs , que des dispositifs de mdiation
engendrent tel ou tel type de raction, mais surtout que les professionnels du cinma
emploient eux-mmes ce terme de dispositif ; ce qui pourrait engendrer des
confusions quil sagit de clarifier. Je ne vais pas analyser cette notion de la mme
manire que pour la mdiation : le dispositif est mis ds le dpart en dialectique
avec la mdiation.
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Chapitre 1 - Les niveaux de dfinition des mdiations et des dispositifs cinmatographiques
SECTION 1 - EXAMEN DU CHAMP LEXICAL DE LA MEDIATION DANS LE
MILIEU PROFESSIONNEL
Pour commencer cette tentative dexplicitation dun terme abondamment employ et
discut, donnons la parole Laurent Fleury qui rsume clairement lensemble du dbat :
La mdiation culturelle ne serait-elle quun mot ? Autrement dit, quelles diffrences
existe-t-il entre laction culturelle prise dans les annes 1960, lanimation culturelle
promue par Jacques Duhamel dans les annes 1970 et ce quil est convenu dappeler
aujourdhui, depuis les annes 1990, la mdiation culturelle ? Ne faut-il pas plutt y
voir les avatars de la dnomination dun mme idal, celui de la dmocratisation de la
culture, la substitution des mots ne cultivant alors que lillusion du changement ? Si les
mots ne possdent quune valeur dtiquette, ils servent alors habiller une ralit que
lon supposerait pr-existante. Leur usage savre politique. Mais il est une autre
conception de la langue pour laquelle les mots forment un outil, un mode dapproche de
la ralit et des processus. Leur usage est alors plus scientifique.7
Cette longue citation donne voir ce qui pose problme : le terme de mdiation
est employ pour dsigner la fois une pratique et une thorie de cette pratique. Les
termes d animation , d animateurs , de mdiateurs font partie de ce champ
lexical que je vais tenter de clarifier.
Aujourdhui, si la notion de mdiation est aussi bien utilise dans les champs
thorique que professionnel, notre objectif est de comprendre quelles en sont les
reprsentations communes, quels sont les traits que lon retrouverait conjointement dans
la pratique aussi bien que dans la thorie. Jean Caune lcrit en ces termes :
La mdiation comme projet social ne peut se contenter de forger des liens phmres,
elle doit aussi participer dans la production dun sens qui engage la collectivit.8
Jean Caune examine la notion de mdiation selon trois approches diffrentes9 : lune
est de lordre du discours usage sociopolitique qui sert dinstance de lgitimation des
pratiques. La deuxime est son pendant direct : elle concerne les pratiques sociales dites
de mdiation - ou dautres non nommes comme telles mais appartenant ces pratiques
7 FLEURY Laurent, Linfluence des dispositifs de mdiation dans la structuration des pratiques
culturelles - Le cas des correspondants du Centre Pompidou , Lien social et Politiques, n60, automne
2008, p. 13. 8 CAUNE Jean, Pour une thique de la mdiation, op. cit., p. 20.
9 Ibidem, p. 20.
-
Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
39
- ancres dans des espace-temps particuliers. La troisime approche est en revanche
dordre thorique :
Elle implique dtablir la gense de la notion et de choisir les points de vue, emprunts
aux sciences sociales et humaines, qui transforment cette notion du sens commun en un
instrument de pense, cest--dire un concept. La mdiation, dans cette perspective, est
alors envisager comme un phnomne qui permet de comprendre la diffusion de
formes langagires ou symboliques, dans lespace et le temps, qui produisent une
signification partage dans une communaut. 10
Il parat ncessaire dexposer les diffrents points de vue qui donnent penser la
mdiation une chelle thorique pour tenter de conceptualiser la notion et lui donner
un sens moins quivoque, sans pour autant rduire son sens. Cependant, la dfinition
thorique de la mdiation se nourrit de la pratique. Il convient de prsenter dabord ces
pratiques pour ensuite exposer les acceptions thoriques. De mme, comme lobjectif
consiste comparer les discours des professionnels aux pratiques, danalyser les
glissements de lun vers lautre, les deux aspects ne sont pas exposs sparment, ce
stade de la rflexion.
partir des annes 1980, les professionnels de la culture commencent employer
lexpression mdiation culturelle pour dsigner diffrentes pratiques. Ainsi, Nathalie
Montoya pointe dans sa thse11
, lun des premiers recueils de rflexion consacrs aux
pratiques professionnelles de mdiation culturelle qui dfinit la mdiation comme une
activit de mise en relation de la production artistique avec les publics 12
. Elle explique
par ailleurs que les premiers travaux analysant les pratiques de mdiation culturelle se
rfrent aux dfinitions mises en uvre par les professionnels. Pour Elisabeth Caillet, la
mdiation est :
10
CAUNE Jean, Pour une thique de la mdiation, op. cit., pp. 21-22. 11
MONTOYA Nathalie, Mdiateurs et dispositifs de mdiation culturelle - Contribution
ltablissement dune grammaire daction de la dmocratisation de la culture, Les citations qui suivent
sont reprises des pages 107 110. 12
Les pratiques de mdiation dsignent aujourdhui les modalits de mise en relation de la production
artistique avec les publics. Elles requirent des connaissances et un investissement particulier de la part
des professionnels du secteur culturel et du champ social. CHAVIGNY Dominique, Avant-propos ,
in : ESTHER Francis, SAEZ Guy, HENNION Antoine et al., Passages Public(s) - Points de vue sur la
mdiation artistique et culturelle, Lyon, ARSEC, Dlgation au dveloppement et aux formations, 1995,
p. 6.
-
Chapitre 1 - Les niveaux de dfinition des mdiations et des dispositifs cinmatographiques
Lensemble des fonctions relatives la mise en relation des uvres proposes par une
structure culturelle avec les populations, cest--dire les publics actuels et potentiels13
.
Nathalie Montoya cite encore lassociation MEDIATION CULTURELLE14
qui propose dans
sa charte de la mdiation culturelle une dfinition de lactivit15
: la mdiation est ce
qui est entre dun ct, des personnes, des visiteurs, des gens, des publics, des
usagers, des amateurs et de lautre ct, des objets matriels ou immatriels, un
territoire, des ides, des uvres .
Ce type de dfinition est encore trs large. Pour essayer dclaircir davantage ce qui
signifie la mdiation , commenons par voir comment le mdiateur est dfini par
les praticiens. Pour lnoncer rapidement, presque comme une hypothse, je pourrais
crire que la vise principale des mdiateurs est douvrir, travers le film, la relation
que les lves entretiennent avec le monde. Mon objectif est darriver faire en sorte
quils [les lves] aient lintention de rflchir sur leur philosophie dans le monde 16
:
voil des noncs rcurrents lors des entretiens mens auprs des mdiateurs. Si on
largit la notion d intention de Michael Baxandall, dont il sempare pour expliquer
lhistoire des objets, tout ce qui a trait la rception, on saperoit trs vite quil existe
galement des directives qui guident les faons de faire la mdiation. Lintention, selon
Michael Baxandall, est larrire-plan causal [qui] contient toujours un lment de
volition 17
ou encore :
Lintention, cest laspect projectif [projet] des choses. [] Il ne sagit donc pas de
reconstituer ltat desprit dans lequel a pu se trouver, un moment donn, tel ou tel
individu, mais de comprendre les conditions dapparition dun objet.
Les discours produits par les mdiateurs interrogs mettent en lumire les intentions
des diffrentes faons de faire la mdiation et les conditions dapparition de la
mdiation.
13
CAILLET lisabeth, lapproche du muse - La mdiation culturelle, Lyon, PUL, 1995. 14
Lassociation Mdiation culturelle propose aux chercheurs et aux professionnels des muses, centres
dart, sites, comuses, lieux dexposition, CCSTI... de se rassembler et de rflchir ensemble aux enjeux
de la mdiation et sa mise en uvre dans les institutions culturelles. Depuis sa cration en 1999,
lassociation participe la dfinition et la reconnaissance des mtiers de la mdiation culturelle.
http://mediationculturelle.free.fr (consult le 12.07.2009) 15
Lors de la journe de prsentation de cette charte, la Villette, le 11.01.2008. 16
Extrait dun entretien men le 06.06.2006 auprs de lanimateur jeune public de CINEMA 93, association
de groupement des salles de Seine Saint-Denis. 17
BAXANDALL Michael, Formes de lintention - Sur lexplication historique des tableaux, Paris,
Jacqueline Chambon, 1991, p. 79.
-
Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
41
Seulement, il est difficile de caractriser le mdiateur de cinma : ni uniquement
pdagogue, ni seulement artiste, la mdiation travaille (naturellement) dans une
logique de lintermdiaire, une logique du mixte 18
o lon trouve conjointement des
artistes, des pdagogues parfois en une mme personne. Mais si lon sattarde sur la
faon dont le mdiateur se nomme, on remarque que la mdiation nest pas un simple
intermdiaire : elle est une zone dinterprtation et de redfinition des espaces dans
lesquels elle se met en uvre. Le mdiateur nest pas un simple relais entre la mdiation
du cinma et le sens confrer cette mdiation, mais bien un participant actif la
construction de ce sens social par linterprtation quil fait de la mdiation.
Ainsi, le vocabulaire employ pour se nommer engendre des connotations dans le
domaine de lducation au cinma o un code linguistique implicite est tabli : lemploi
dun terme, plutt que dun autre, marque une obdience tel ou tel courant
pdagogique. Chaque dnomination relve dune conception thorique diffrente de la
pdagogie. Par exemple, la personne charge de lassociation UN CINEMA, DU COTE DES
ENFANTS rejette radicalement lexpression jeune public qui connoterait une cible, une
niche marketing , alors que lexpression les enfants 19
constituerait un terme plus
gnrique et neutre - et considr comme plus noble peut-tre.
De prime abord, le point commun toutes ces dnominations de mdiateurs consiste
en une oscillation permanente entre les uvres et les enfants et une initiation des
enfants lunivers du cinma. Antoine Hennion formule cette oscillation de la sorte :
Au lieu de voir les mdiateurs culturels comme les instruments de transmission entre
des ralits premires obissant leurs logiques propres - lart dun ct et le public de
lautre -, les ralits sont le rsultat dun travail de mdiation qui consiste prcisment
tablir ce partage, produire simultanment, et lun par lautre, lobjet culturel et son
public.20
Voici quelques-unes des figures rcurrentes auxquelles pourrait se rattacher le
mdiateur pour qualifier son action : le pdagogue, le passeur, lintervenant et le
mdiateur.
18
CAILLET lisabeth, Lambigut de la mdiation culturelle : entre savoir et prsence , Publics et
Muses, n5, janvier-juin 1994, p. 70. 19
Son association sintitule UN CINEMA, DU COTE DES ENFANTS et il prononce virgule lorsquil la cite afin
quon comprenne bien la primaut de lart, montrer aux enfants. 20
HENNION Antoine, Les professionnels du disque - Une sociologie des varits, Paris, Mtaili, 1982,
pp. 384-385.
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Chapitre 1 - Les niveaux de dfinition des mdiations et des dispositifs cinmatographiques
La mdiation : un pendant de la pdagogie
Le premier terme auquel on pense pour dsigner le mdiateur serait logiquement
celui de pdagogue puisque la mdiation dont il est question est relative une forme
de transmission, dducation au sens large du terme. Au sens tymologique du terme, le
pdagogue dsigne lesclave qui, en Grce antique, soccupait de lenfant, en
laccompagnant lcole et le ramenant. Ce mdiateur amne puis il sclipse.
Lesclave duque lenfant en marchant et en posant des questions : en forant le trait, il
se situe du ct de la maeutique, de celui qui permet de faire exprimer les
connaissances de lautre. lcoute de certains professionnels de la mdiation, on
pourrait croire que cette appellation trouve des chos dans leur conception de la
pratique :
Pour moi, tout repose sur la thorie du gai savoir. Je pense que cest quelque chose qui
ne repose pas sur un savoir universitaire qui serait donn lavance mais que ce travail
de thorie vient en marchant. Cest a que jessaie de faire avec les publics, par le biais
de la parole ou par lcrit ou mme par un travail cinmatographique. Utiliser les
moyens de laudiovisuel pour analyser le cinma qui depuis sest multipli.21
Seulement, ce mot semble dabord trop gnrique pour que les mdiateurs puissent
se reconnatre : lors des entretiens, aucun dentre eux ne sest dfini en employant ce
terme. La notion de pdagogue est mme souvent connote pjorativement22
: les
acteurs de lducation au cinma critiquent les faons dduquer - cest--dire une
approche progressive, didactique, de luvre grce la parole intermdiaire - par
lemploi du terme pdagogisme . Andr Malraux fut le premier lemployer en
refusant justement ce quil appelait alors le pdagogisme pour dfendre sa position
selon laquelle les grandes uvres de lhumanit se rvlaient par le choc esthtique .
Alain Bergala, travers son ouvrage intitul Lhypothse cinma : Petit trait de
transmission du cinma lcole et ailleurs23
, explique son refus de sinscrire dans un
quelconque courant pdagogique prexistant. Depuis une vingtaine dannes, Alain
Bergala sest impos comme la figure dautorit de tout ce que sous-tend la mise en
21
Extrait dun entretien men le 24.03.2004 auprs dun spcialiste du cinma danimation, auteur de
Cahiers de notes sur 22
Il ma t rapport que ce serait Danile Mitterand, en sexclamant un jour quelle sale mot que
pdagogue ! qui aurait souill dfinitivement ce terme pour lui donner sa connotation pjorative quon
lui attribue aujourdhui. 23
BERGALA Alain, Lhypothse cinma - Petit trait de transmission du cinma lcole et ailleurs,
Paris, Cahiers du cinma, Essais, 2002.
-
Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
43
place de dispositifs en matire de pdagogie cinmatographique24
. Or, dans ce trait,
lauteur qualifie les autres types de pdagogie d anglisme pdagogique , de
pdagogiquement bien-pensant ou encore dide bien anglique - expression qui
revient deux reprises. Hritire des conceptions de Michel de Montaigne et de Jean-
Jacques Rousseau, la pdagogie ancienne serait du dressage, [] et de lefficacit
tous crins, oppose la vritable pdagogie 25
. Ainsi, il considre toutes les autres
pdagogies comme rassurantes et dsutes ; ce quil prsente serait alors novateur,
excitant par son risque de renverser la vieille pdagogie. ce titre, lemploi de noms
communs renvoyant au champ lexical du danger est frquent. Voici quelques exemples
de formules quon retrouve rgulirement :
Une des difficults majeures, dans une pdagogie du passage lacte, consiste []26
Le risque majeur consiste [], cet outil vient dvoyer lexprience du passage lacte
pour mieux colmater la peur. [] Ce qui est en jeu, cest souvent la peur du pdagogue
pour qui le story-board joue le rle de pare-angoisse27
. Dans lacte de cration du
cinma, une des plus grandes difficults, et la cause de bien des ratages [].28
Le
danger pdagogique majeur serait de [].29
Le pdagogisme serait synonyme de paresse intellectuelle pour des enfants qui
lon pointe les connaissances quils doivent comprendre et acqurir. Un rdacteur des
Cahiers de notes sur30
tient galement ce propos :
Moins on est dans la pdagogie, plus on veut avoir un type de discours, donc ce nest
plus de la pdagogie, cest du pdagogisme. On fait semblant, donc on laisse tomber et
on se coupe de tout ce qui peut tre intressant.31
Si le qualificatif pdagogue est rejet car courant le risque dtre connot du ct
dun pdagogisme redout, il convient dexposer prsent les deux figures que jai
pu observer sur le terrain de lducation au cinma afin de brosser un portrait
schmatique des postures de mdiateurs. Ces deux figures se situent aux deux extrmes
dune chelle qui irait du passeur - le mdiateur qui fait corps avec la pratique
artistique -, l intervenant - le mdiateur dtach et neutre. Ces deux figures ont t
24
Cet ouvrage est dj traduit dans de nombreux pays : en Italie, en Espagne, au Brsil et a t rdit
quatre fois en Allemagne. Jy reviens dans la deuxime partie - dernire section -, propos de la France
comme exception culturelle en matire dducation au cinma. 25
Ibidem. Les termes cits se trouvent par ordre p. 30, p. 48, p. 87 et p. 108, puis p. 34. 26
Ibidem, p. 119. 27
Ibidem, p. 122. 28
Ibidem, p. 93. 29
Ibidem, p. 103. 30
Voir Annexe 5 - Extraits dun Cahier de notes sur... . 31
Extrait dun entretien men le 03.12.2004 auprs dun auteur de Cahiers de notes sur
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Chapitre 1 - Les niveaux de dfinition des mdiations et des dispositifs cinmatographiques
labores partir de conceptions nonces et de lobservation des pratiques. Elles
pourraient se reflter dans une dichotomie intervenant / passeur qui transparat dans une
phrase du cinaste Jean-Luc Godard : il y a la culture qui est de la rgle, il y a
lexception qui est de lart. 32
La culture serait du ct de lintervenant qui veut donner
une connaissance objective du cinma ; alors que lart se situerait du ct du passeur.
Le passeur : un geste artis tique
Le geste qui symbolise le mieux la conception du mdiateur comme passeur est
celui que Grard Lefvre, lancien coordinateur dcole et cinma de Paris, excute
lorsquil finit de parler aux enfants dans la salle et quil montre du doigt la cabine de
projection et claque son pouce avec son majeur en signal du lancement du film. Ce
signe est dailleurs souvent repris par les enfants qui limitent en essayant de claquer
des doigts comme il le fait. Lors de la constitution dun dossier pour lassociation UN
CINEMA, DU COTE DES ENFANTS, dont Grard Lefvre tait directeur, des paroles ont t
rcoltes et un projectionniste interrog sest exprim en ces termes :
Quand, dun grand geste, il [Grard Lefvre] invite le projectionniste teindre les
lumires pour que le film dbute, quand tous les enfants se retournent en imitant son
geste, vers la cabine de projection, on se sent un peu lme du projectionniste dun
cinma bien connu : le cinma Paradiso.33
Ce geste semble le mieux reprsenter le passage, du mdiateur au projectionniste, qui
va clairer ensuite lcran : le passeur est celui qui fait circuler le dsir du cinma, dun
lieu symbolique un autre. Grard Lefvre emploie lui-mme ce terme :
Ce faisant, javais le sentiment profond dtre fidle moi-mme : dabord faire
partager un plaisir, en passant un peu de ce qui ma constitu. Car ne ma jamais quitt
ce dsir violent de passer dautres, les plus jeunes ou mes pairs, de vivre ensemble ce
plaisir charnel, sensuel, voir et revoir des films [].34
Daprs les lectures, les entretiens ou discours divers, la notion de passeur semble
tre celle que revendiquent les personnes engages dans la mdiation
32
GODARD Jean-Luc, Je vous salue, Sarajevo, Suisse, Documentaire, couleur, 2, 1993 puis repris
dans : GODARD Jean-Luc, JLG/JLG, France, Fiction, couleur, 58, 1995. Alain Fleischer le reprend
galement dans son documentaire sur le cinaste : Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard,
120, 2009. 33
Propos dun projectionniste retenus dans le dossier de prsentation dUN CINEMA, DU COTE DES ENFANTS,
p. 14. 34
LEFEVRE Grard, Dossier de prsentation dUN CINEMA, DU COTE DES ENFANTS, p. 18.
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Premire partie - Une approche pragmatique des mdiations
45
cinmatographique comme forme de militantisme. De nombreuses personnes emploient
ce mot qui devient alors une sorte de ssame - pour rester dans le champ lexical du
passage - compris par tous les cinphiles qui ont vcu les annes 50-7035
, heures de
gloire de la cinphilie, de la cration du cinma moderne, de lanimation
socioculturelle... Alain Bergala dfend la notion de passeur :
On nenseigne pas le cinma mais on le transmet, on le passe , comme disait Serge
Daney et pour quil y ait passeur, il faut quil y ait danger et interdit. Un passeur est
quelquun qui passe illgalement des denres interdites une frontire. [] Non
seulement il faut de la loi, mais galement de laltrit.36
Dailleurs, Serge Daney a utilis ce mot travers de nombreux crits dont voici un
exemple des plus explicites quant au sens donn cette notion :
Nous tions une poigne, au lyce Voltaire, tre entrs subrepticement en cinphilie.
Cela peut se dater : 1959. [] tre cinphiles, ctait simplement ingurgiter,
paralllement celui du lyce, un autre programme scolaire, calqu sur le premier, avec
les Cahiers jaunes comme fil rouge et quelques passeurs adultes qui, avec la
discrtion des conspirateurs,