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1 Pierre BROCH (1909-1985) et la pénicilline Pierre BROCH sur le seuil de l’usine des laboratoires SOBIO à Mayenne, entouré de son personnel - Le militaire - Le pionnier de la pénicilline - L’industriel André FROGERAIS [email protected] 26/06/2015

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Page 1: Pierre Broch

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Pierre BROCH (1909-1985) et la pénicilline

Pierre BROCH sur le seuil de l’usine des laboratoires SOBIO à Mayenne, entouré de son personnel

- Le militaire

- Le pionnier de la pénicilline

- L’industriel

André FROGERAIS [email protected]

26/06/2015

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Pierre Jean François Broch est né le 30 septembre 1909 à 2 heure du matin à Barbezieux (Charente), son père Pierre

est inspecteur d’école primaire, sa mère Jeanne Louise Gabrielle Fossecave est sans profession.

Le militaire

Il est admis à l’Ecole du Service de Santé militaire de Lyon en octobre 1928, il est classé au concours d’entrée 42° sur

59 et contracte un engagement pendant la durée de ses études augmenté de 6 ans. Il est détaché à la Faculté de

Bordeaux à partir du 28 octobre (1).

Il est promu au grade de sous lieutenant le 31 décembre 1930 puis de lieutenant le 31 décembre 1932. Il soutient

sa thèse de Doctorat à la Faculté de Lyon le 7 novembre 1933, intitulée : Trente-deux observations d’hystérotomies

recueillis à la clinique obstétricale de la Faculté de médecine de Lyon.

L’Ecole du Service de Santé lui délivre un certificat le 8 novembre 1933 où il est précisé qu’il a obtenu un certificat

d’hydrologie à la Faculté de médecine de Lyon, qu’il parle allemand et anglais et qu’il a obtenu le brevet de conduite

automobile.

Nous ne connaissons pas son rang de sortie mais l’appréciation générale n’est pas brillante : « Elève moyen qui doué

de qualités suffisantes pour accomplir une bonne scolarité, n’a jamais au cours de ses années d’études, fourni

l’effort nécessaire ». Négligeant dans sa conduite et sa tenue, il a mérité plusieurs observations à ce double point

de vue ce qui lui vaudra pendant ses années d’étude 66 jours d’arrêt simple, on lui reproche sa tenue négligé et de

porter le képi de travers ainsi que 49 jours d’arrêt de rigueur pour avoir découché à plusieurs reprises.

Il est affecté à partir du 8 novembre à l’Hôpital du Val de Grace de Paris, puis du 31 décembre au 1° aout 1934 à

l’Ecole d’application des armées. Le 5 septembre 1934 il est nommé au 2° régiment du génie de Metz.

Suite à la mobilisation il est affecté au 149° RIF puis au 139° à partir du 23 aout 1939, le 25 mars 1940 il est promu

médecin-capitaine. Il est cité à l’ordre de la division le 10 juin 1940 par le général de division Perraud pour les soins

qu’il apporte à des blessés en avant des lignes ; le 1°mai, il ramène le corps d’un soldat tué.

Il est fait prisonnier le 25 juin et s’évade le 14 septembre. Il est affecté le 18 septembre à l’Hôpital de Toulouse. Il y

rencontre Suzanne Vernier qu’il épouse le 4 décembre 1940 à Orgentat (Corrèze) ; ils n’auront pas d’enfants. Le 10

avril 1941 il est nommé à l’hôpital Montbeton (Tarn et Garonne) puis le 1° juillet à l’Hôpital Saint Gabriel de

Clermont Ferrand. Il suit au cours de l’année 1942 des conférences de pathologie et de bactériologie

Mal vue de sa hiérarchie pour son opposition au régime de Vichy, il est désigné le 2 février 1943 pour remplacer un

médecin prisonnier. Le 15 mars, il est à Paris, il décide de désobéir et de rallier la France Libre. Il déserte le 23 mars

et s’évade de France en passant par l’Espagne. Il est interné au camp de Miranda du 5 mai au 18 aout 1943 puis

gagne le Maroc. Dans un certificat délivré en juillet 1979 à un camarade de détention, il dénonce les conditions

inhumaines de détention des camps espagnols où les internés sont soumis à la dénutrition et l’avitaminose.

Il s’engage dans la 2°Division Blindée et commande la 3° Compagnie Médicale du 13°Bataillon Médicale à partir du

31 décembre.

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Pierre BROCH (1944)

Le 13 avril 1944 son régiment est à Oran, il embarque pour l’Angleterre le 10 juin, le 30 juillet il est à Southampon

et débarque le 1° aout en France à Grandcamp. Il gagne par camion Mobecq (La Haye du Puy) et arrive dans la zone

d’opération de la campagne de Normandie.

Du 7 au 22 aout il participe aux combats du Mans, d’Alençon, d’Exemes et enfin de Paris. Du 23 aout au 7 septembre

il est engagé dans les combats de la Vallée de la Biévre, du Pont de Sévres , de l’Etoile et de la banlieue Nord. Il est

de nouveau cité à l’ordre de sa division pour sa conduite au front les 24 et 25 Aout ce qui lui vaut d’être décoré de la

Croix de guerre avec une étoile en argent. Du 8 septembre au 11 novembre il participe à la Campagne des Vosges et

à la libération de Baccarat, puis est détaché à Paris au Centre de la Pénicilline le 8 décembre 1944 ; le 25 janvier

1945 il est nommé commandant.

Etudiant très moyen, rétif à des règlements qu’il n’apprécie pas, il va se révéler volontaire, déterminer, courageux: il

est cité à deux reprises à l’ordre de l’armée, il s’évade puis déserte pour intégrer les forces armées dissidentes. C’est

un rebelle qui va perpétuellement forcé le destin. Son camarade de la 2°DB, le médecin-capitaine Chauliac le décrit

comme un fonceur (2).

L’homme de la pénicilline

La pénicilline a été découverte par Alexander Fleming en Grande Bretagne en 1929, dix ans plus tard Howard Floray

et ses collaborateurs mettent au point une méthode de production industrielle ce qui rend possible des essais

cliniques.

Le corps médical dispose dorénavant d’un médicament efficace, la production industrielle commence aux Etats-Unis

puis en Grande Bretagne (3).

Pierre Broch est informé de l’intérêt de la pénicilline lors de son séjour forcé en Espagne. Il va avoir la possibilité

d’en vérifier l’efficacité au Maroc, le Service de santé américaine en dispose et en met à la disposition des médecins

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militaires français dans la limite de leur stock. Les américains et les britanniques sont seuls capable d’en fabriquer,

Pierre Broch est convaincu que la France doit de toute urgence en produire.

En mai 1944, la priorité est au Débarquement mais Pierre Broch profite de son séjour en Grande Bretagne pour se

renseigner sur les modes de production utilisées par les firmes britanniques.

Il fait partager ses certitudes auprès des décideurs qu’il côtoie dont le Général Leclerc. Il remet un rapport t le 2

septembre au médecin-général Debénédétti, directeur général du Service de Santé des Armées dont il a été le

collaborateur à l’Hôpital Saint Gabriel de Clermont Ferrand et qu’il a retrouvé au Maroc.

Il devient pour le Service de Santé le spécialiste de la pénicilline, à ce titre il participe en novembre 1944 aux

réunions du Comité de la Pénicilline crée à l’initiative du Ministère de la Guerre.

Parallèlement Pierre Broch propose la création d’un Centre militaire de fabrication de la Pénicilline. Le médecin-

général Debénéditti accepte avec enthousiasme et obtient des crédits du ministre de la guerre André Diethelm, qui

met un local à disposition : un ancien garage de la Wehrmacht situé 6 rue Alexandre Cabanel à Paris.

Le Centre Cabanel (Paris 15°)

Un comité de direction est constitué de militaires autour de Pierre Broch, le pharmacien-capitaine Joseph Kerhaho

les médecin- capitaines Netik et Joffre ainsi que des membres de l’Institut Pasteur, Jacques Tréfouël et Francisco

Nitti. Le comité se réunit tous les jeudi dans les locaux de l’Institut.

Les pasteuriens ne sont pas très satisfait de cette organisation qui donne aux militaires le rôle principal,, afin de les

satisfaire, la raison sociale s’intitule désormais Centre Militaire d’Etudes et de Fabrication de la Pénicilline, on le

désigne comme le Centre Cabanel (3).

L’organisation est la suivante : la pénicilline sera cultivée par le Centre Cabanel sous la responsabilité des militaires

selon la méthode de culture en surface, l’extraction de la pénicilline des jus et le conditionnement pharmaceutique

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seront faits par Rhône Poulenc. Les Pasteuriens utiliseront le Centre comme usine pilote afin de mettre au point une

méthode d’extraction spécifiquement française. Le laboratoire de pharmacie galénique de la Faculté de pharmacie

de Paris est chargé de l’entretient et des sélections des souches (4).

Le directeur général de Rhône Poulenc Nicholas Grillet donne son accord pour que l’extraction soit réalisée dans

l’usine de Vitry- Sur- Seine (Val de Marne) ainsi que le conditionnement. L’atelier d’extraction est achevé le 15

janvier 1945.

Le local de la rue Cabanel est un garage de six étages «encombré de chenilles, de chars et de véhicules blindés

Renault »soit 600 tonnes de matériel automobile abandonnées par l’armée allemande ; il faut le transformer en une

usine, créer des ateliers de fabrication et des laboratoires. Le général Leclerc met à disposition le personnel

militaire de la 2°DB, les moyens de transports et le carburant, 20 000 litres d’essence. Il faut trois mois pour livrer les

locaux aux entrepreneurs qui commencent les travaux en décembre 1944.

La France de la Libération manque de tout, les problèmes matériels ne sont pas simples, il va falloir beaucoup

d’énergie et d’imagination à Pierre Broch pour transformer ce garage en une usine de fabrication, il faut trouver :

210 tonnes de briques, 190 tonnes de plâtre, 80 tonnes de ciment, 175 m3 de bois, 25 tonnes d’acier, 21 tonnes de

fonte, 1 tonne d’acier inoxydable, 1 tonne de bronze, 6 kilomètres de câble électrique. Les camions de la 2°DB sont

réquisitionnés, 30 millions de francs sont investis(5).

Pierre Broch a résumé en une phrase cette période : «ce fut la lutte quotidienne d’une équipe de camarades,

solidement soudée ». . En février il participe à une mission d’information en Grande Bretagne sur la production de

pénicilline à l’initiative de la représentation scientifique française dirigée par Louis Rapkine. Il visite de nombreuses

usines.

Il faut quatre mois pour que la phase biologique de la préparation de la pénicilline démarre au Centre Cabanel alors

que Rhône Poulenc est disponible pour commencer l’extraction à partir de janvier 1945. Pierre Broch va avoir une

idée pour le moins originale : récupérer la pénicilline des urines des soldats américains traités par ce médicament.

Cet épisode de la pénicilline urinaire est connu sous le nom de la PIPILINE (6).

Elle consiste à réaliser la collecte des urines dans les hôpitaux de la région parisienne où sont soignés les soldats

américains : d’abord à l’hôpital de la Pitié, puis dans sept établissements. La collecte commence le 17 janvier. Le

pharmacien-capitaine Desbordes est le responsable du French Military Penicillin Team mais c’est toujours Pierre

Broch qui dirige.

Il doit résoudre tous les problèmes d’hygiène, de logistique, de conservation des urines, il surmonte toutes les

difficultés, trouve des solutions à tous les problèmes, réussi à convaincre le personnel soignant américain qui

accepte de collaborer, il franchit tous les obstacles et les contourne s’il le faut.

Les débuts sont difficiles, la mise en route délicate, l’urine doit parfois être jetée. Le ramassage occupe 12 hommes

de 9h à 20 h, 7jours par semaine, progressivement il est étendu à 12 établissements. Il faut 25 litres d’urine pour

produire 100 000 unités de pénicilline.

Pierre Broch a raconté cet épisode dans un ouvrage et rendu hommage à ses collaborateurs qui partis pour délivrer

la France, ont pendant quatre mois collecté deux fois par jour des litres d’urine en parcourant la Région Parisienne

au volant d’une camionnette Simca : « ils se sont soumis avec discipline et ponctualité à un métier qu’ils ne

prévoyaient surement pas d’exercer en s’engageant dans notre division. Tous ont immédiatement compris l’intérêt

de ce travail obscur ».

La méthode finie par fonctionner et permet d’atteindre la production de 10 millions d’unités par semaine. La

collecte d’urine cesse fin mars 1945.

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Le 10 avril commence la production biologique au Centre Cabanel, le 23 avril 1945, les premiers jus de

fermentation sont livrés à l’usine de Vitry-sur-Seine le 8 mai Rhône Poulenc effectue les premières livraisons de

Pénicilline au Service de Santé des Armées.

La fabrication s’effectue en deux temps : la phase biologique de culture et la phase chimique d’extraction. La

production industrielle est réalisée en cultivant le penicillium sur des milieux nutritifs liquides. Pour produire il faut

obtenir du Ministère du ravitaillement la réquisition de 3 400 tonnes de maïs nécessaire au milieu de culture et

mobiliser 340 wagons de 10 tonnes soit 24 trains par priorité militaire au rythme de 400 tonnes par semaine, au

bout de quelques jours il se forme une solution de pénicilline dont elle est extraite par traitement chimique. Enfin

elle doit être soumise à un dosage et un contrôle clinique (7).

Le milieu de culture est préparé dans quatre cuves de 500 litres chauffés à la vapeur, l’usine traite quotidiennement

5.000 litres. Les matières insolubles sont éliminées au moyen d’une centrifugeuse Alfa Laval. Le liquide de culture est

ensuite réparti dans des fioles de Roux la surface du liquide au contact de l’air doit être la plus grande possible. La

production est de 3 000 bouteilles par jour, les flacons sont bouchés avec un coton et une capsule puis sont

stérilisées dans un autoclave Lecqueux qui contient 2 300 bouteilles. Après refroidissement les flacons sont

débouchés et ensemencés, cette opération est réalisée aseptiquement, puis placés dans des étuves à 24°C pendant

10 jours. Le mycélium et le liquide sont ensuite filtrés, pressés et refroidis dans des bidons qui sont livrés à l’usine

d’extraction chimiques de Vitry-Sur-Seine (8).

Autoclave Lecqueux Machine de répartition Pernin

Il existe plusieurs méthodes d’extraction, Rhône Poulenc utilise la méthode d’Aberaham et Chain sans

chromatographie (9).

La pénicilline injectable doit être rigoureusement stérile, la dessiccation est réalisée par lyophilisation, elle est

conditionnée en poudre dans des ampoules ou des flacons. Une ampoule contient 15 000 unités, compte tenu que

le traitement journalier est de 100 000 unités on lui préfère un conditionnement original : des flacons multi doses

fermés à l’aide d’un bouchon de caoutchouc et d’une capsule métallique

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Le Centre Cabanel est visité par de nombreuses personnalités : le général Leclerc le 7 avril 1945, le professeur René

Dubos du Rockefeller Institut de New York City, découvreur de la tyrothricine, le général-major médecin Voncken

de Belgique. Il fait l’objet de nombreux articles dans la presse française et étrangère (10).

Le général Leclerc visitant le Centre Cabanel,

à sa droite le commandant Broch, le capitaine Kerharo est le troisième à gauche.

Pierre Broch et ses collaborateurs participent du 11 au 14 avril au premier congrès français consacré à la pénicilline,

il se tient à Paris sous la présidence du professeur André Lemierre. Ils présentent deux communications. La première

« la pénicilline faite chez soi » décrit une méthode simplifiée d’extraction de la pénicilline à partir des urines dans

les services hospitaliers afin de produire une pommade à usage dermatologique. (11). La seconde fait le bilan des

recherches galéniques entrepris par le personnel militaire dans deux domaines : l’étude de formes retards afin

d’espacer les injections et la mise au point de formes orales (12).

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Le 26 juillet 1945 le ministre de la guerre André Diethelm inaugure le Centre, sa visite est filmée par les actualités

cinématographiques (13). Sir Alexandre Fleming se rend à Paris le 5 septembre 1945 pour être décoré par le général

de Gaulle au Ministère de la Guerre de la rosette de Commandeur de la Légion d’Honneur, l’après midi, il visite le

Centre Cabanel. Il reçoit la Médaille d’honneur du Service de Santé. Il remet un échantillon de pénicillum notattum,

actuellement exposé au musée de la Faculté de médecine de Paris (14).

En décembre 1945, Le Centre participe au Palais de la découverte de Paris à une exposition sur la pénicilline (15).

En Février 1946 le Centre produit mensuellement un milliard d’unité de pénicilline, il pourrait atteindre trois

milliards ce qui reste insuffisant, il est toujours nécessaire d’importer de la pénicilline des Etats Unis.

François Jacob, le futur prix Nobel de médecine entre en 1946 au Centre Cabanel pour rédiger sa thèse que la déclaration de guerre ne lui pas permis de préparer. Il rencontre Pierre Broch qu’il a connu à la 2°DB et qui lui propose comme sujet la tyrothricine. Il présente sa thèse le 29 avril 1947 à la Faculté de médecine de Paris, le président du jury est le Professeur M.Moreau .

Dans ses mémoires il nous livre un jugement très négatif sur le Centre et un portrait sévère de Pierre Broch qu’il

désigne comme le médecin commandant B. sans jamais le nommer : « c’était un homme ambitieux et volontaire.

Petit, mince, noir de poil, il était tantôt aimable, tantôt insupportable, passant sans transition de la colère à la

blague. En matière de recherche et d’industrie, les scrupules ne l’étouffaient guère « »(16). Il ajoute : « le

commandant B., n’avait ni le savoir, ni l’enthousiasme, ni la présence nécessaires pour animer son monde, pour en

faire une équipe ». Néanmoins il cosignera avec lui un ouvrage sur la tyrothricine et le remerciera chaleureusement

dans l’introduction de sa thèse : « Nous avons pu réaliser cette étude grâce à la bienveillance des dirigeants du

Centre Militaire d’Etudes et de Fabrication de la Pénicilline et en particulier le médecin-commandant Broch qui mit à

notre disposition le laboratoire, le personnel et la documentation nécessaire à ce travail. Le médecin-commandant

Broch ayant l’extrême obligeance de mettre à notre disposition deux souches de Bacillus Brovis provenant

d’Amérique »(17). Ce jugement est surprenant concernant deux membres des Forces Françaises Libres, mais

François Jacob a choisi son camp, il intégrera en 1948 l’Institut Pasteur, il manque certainement d’objectivité..

Le Centre va ensuite produire de la streptomycine puis après les travaux de François Jacob de la tyrothricine(18).

En juin 1946, Pierre Broch participe à un voyage d’étude en Grande Bretagne, il visite de nombreuses usines et peut

juger de l’évolution de la technologie, il comprend que la culture en surface est dépassée et que le Centre Cabanel

est condamné.

Au début de l’année 1947, le marché de la pénicilline évolue : il y a désormais sur production et les prix s’écroulent,

les pouvoirs publics en tirent les conclusions, le Centre va cesser ses activités.

Le bilan est positif, en quelques mois il a permis à la France de rejoindre le cercle des producteurs de pénicilline et

redonner espoir à l’Industrie pharmaceutique française et à ses chercheurs mais c’est l’échec d’une alliance entre

militaires et scientifiques. Les conflits se sont multipliés, les frictions permanentes. Ils n’étaient d’accord ni sur les

objectifs ni sur l’organisation ni sur les moyens(19).

Les premiers désiraient mettre en place un centre de production basé sur l’exploitation des techniques de culture

en surface, leur objectif était de produire rapidement, un flacon de plus par jour c’est une vie humaine sauvée ; les

seconds voulaient conduire des recherches pour améliorer la qualité et mettre au point au point une méthode

originale afin d’éviter aux industriels français de verser des redevances à l’étranger.

Le Centre est un établissement militaire, Pierre Broch en est le directeur et il le dirige mais c’est sans compter sur

les Pastoriens qui refusent l’autorité de personnes qui selon eux ne connaissent rien à la microbiologie. Les militaires

considèrent qu’ils ont conquis leurs légitimités sur les champs de bataille, ils sont soutenus par le général Leclerc qui

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met à leurs dispositions les moyens nécessaires, ils ont peu d’estime pour des savants qui ont passé l’Occupation

dans leur laboratoire.

Jacques Tréfouël et ses collaborateurs sont les héritiers de Pasteur, ils veulent atteindre la perfection, leurs décisions

sont raisonnées, le temps n’est pas leur principal préoccupation. En 1945, ils doivent se défendre contre les

accusations d’avoir été complaisant avec l’occupant et n’ont pas les moyens matériels pour s’imposer.

Même la politique les oppose : les premiers suivent Leclerc et de Gaulle, les autres adhérent à l’utopie communiste.

En quelques années, dans un pays dévasté par l’Occupation et les combats de la Libération, avec l’aide des pouvoirs

publics et des milieux scientifiques la France va entrer dans le cercle des fabricants de pénicilline. Le Centre

Cabanel est la première réussite scientifique et industrielle de l’après guerre. C’est un exemple et un message

d’espoir pour tous ceux qui croient que la France peut retrouver sa place parmi les grandes puissances.

L’aventure du Centre Cabanel n’a été possible que grâce à l’action de Pierre Broch : persuadé que la France devait

produire de la pénicilline, il a su vaincre tous les problèmes pour accéder à son but. Après les épreuves et l’isolement

scientifique liés à l’Occupation, la France retrouve sa place dans la communauté scientifique

Le 1° janvier 1949 il est admis à faire valoir ses droits à la retraite et est nommé officier de réserve.

Pierre Broch est décoré de la Croix de guerre 1939-1940 (étoile d’argent), de la médaille des évadés. Il est nommé

chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire le 4 septembre 1949 puis officier le 23 janvier 1956, l’appréciation

est meilleur qu’en 1933 : « Le médecin-commandant Broch a donné, en toutes circonstances les meilleurs preuves

d’un officier de haute valeur et d’un médecin de tout premier ordre ».

Il postule pour le grade de colonel de réserve mais ne l’obtient pas pour le motif suivant : malgré ses états de service

élogieux, il est trop jeune. Pour la hiérarchie militaire l’ancienneté est plus importante que la compétence à moins

qu’elle ne règle ses comptes envers un rebelle qui a déserté.

Page 10: Pierre Broch

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Pierre Broch n’insiste pas, il postule à un autre grade, celui de capitaine d’industrie, il est définitivement rayé des

cadres de l’armée le 1 juillet 1967.

Malgré toutes les difficultés il a réalisé ses objectifs, cet homme ne renonce jamais.

L’industriel

Les pouvoirs publics ayant renoncé à produire de la pénicilline, Pierre Broch propose de reprendre à son compte le

catalogue du Centre militaire de la Pénicillines et la marque déposée SOBIO.

Il fonde une SARL en novembre 1949, la Société d’exploitation des produits SOBIO, l’usine est en plein cœur de

Paris, 47 rue des Francs Bourgeois et les bureaux 20 rue d’Aumale, le laboratoire conditionne de la pénicilline, de la

streptomycine, de la tyrothricine et le Solvant Retard SOBIO. L’entreprise est renommée en 1952 Laboratoires

SOBIO et est transformé en société anonyme en 1956.

Compte tenu de l’évolution du marché des antibiotiques et de la sur production, le laboratoire se concentre sur la

commercialisation de tyrothricine et de gramicidine, les matières premières sont achetées à des grossistes et

transformés en comprimés, dragées, pommades, gouttes nasales et collutoires (20).

Laboratoire de contrôle – Atelier pommade (Paris)

A partir de 1952 le laboratoire se diversifie en fabriquant des produits non antibiotiques: la Chlorophylline sous

forme de dragées et de pommade, une association de vitamines l’Ageron, un hypnotique le Sobial (1955), l’Athéran

pour le traitement de l’hypercholestérolémie et un revitalisant en ampoules buvables l’Arginine Glutamique (1965).

Page 11: Pierre Broch

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A partir de 1958, l’ancien de la France Libre a son entrée dans les Ministères, il n’hésite pas à mobiliser ses relations

pour obtenir des commandes à l’exportation.

L’entreprise se développant les locaux parisiens deviennent complètement inadaptés, la production est délocalisée

à Mayenne en 1960. L’usine couvre 4 000 m2 (21).

Réception des stagiaires de l’Ecole

Nationale de la Santé Publique conduits

par M.Volckringer et le Professeur Sénécal

par Pierre Broch (1962).

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Atelier de dragéification Fabrication de gélules de Florocycline

De 80 salariés en 1960 SOBIO emploie 350 personnes en 1965 dont la moitié en production, notamment grâce au

développement des activités de façonnage, l’entreprise met à profit sa connaissance de la production des

antibiotiques pour produire pour des tiers ; l’Hexacycline des laboratoires Diamant, les pénicillines Roussel …

L’usine produit des comprimés, dragées, granulés, sirops, suppositoires, ampoules, gélules, pommades. Elle est

équipée d’un atelier de lyophilisation et un bloc stérile équipée d’une microdoseuse de poudre.

Page 13: Pierre Broch

13

En mai 1965 le général De Gaulle lors d’une visite officielle à Mayenne fait une halte à l’entreprise de son

compagnon de la France Libre. Il rend hommage à celui qui après avoir participé à la libération du territoire participe

à la reconstruction du pays (22).

SOBIO devient à partir de 1970 le façonnier exclusif du britannique Beecham pour lequel il fabrique une ampicilline

la Penbritine puis en 1974 une amoxicilline le Clamoxyl .

Le laboratoire commercialise de nouvelles spécialités : le Dexambutol, la Florocycline, le Cervoxan. Elles ne sont pas

très originales comme c’est à l’époque le cas de toutes les spécialités des laboratoires familiaux et ne doivent leurs

succès qu’a la complaisance de la Sécurité sociale qui les rembourse automatiquement.

En 1977, les productions de Beecham représente 60% du chiffre d’affaire de SOBIO, Pierre Broch sans descendant

décide de céder son entreprise, c’est tout naturellement Beecham qui se porte acquéreur. Beecham fusionne en

1989 avec Smith Kline and French puis en 2000 avec Glaxo –Wellcome pour former le groupe Glaxo Smith Kline

(GSK).

Ces collaborateurs le décrivent comme un homme généreux sachant reconnaître la valeur des ses employés, un bon

chef d’entreprise têtu, dur en affaire, prudent lorsqu’il faut investir (23). Comme nous avons pu le constater dans

son dossier au Service Historique de la Défense, il intervient fréquemment et discrètement pour aider ses

camarades de la France Libre.

Les spécialités des laboratoires SOBIO vont progressivement disparaitre, mais Pierre Broch, chef d’entreprise a su

constituer une équipe compétente qui va s’imposer comme spécialiste de la fabrication des antibiotiques, l’outil

industriel de Mayenne subsiste et continue se développer dans le cadre du groupe Glaxo, c’est aujourd’hui la plus

importante usine de conditionnement d’antibiotiques.

Pierre Broch se retire des affaires, il est riche, c’est une personnalité reconnue de l’Industrie Pharmaceutique, il a

réussi tout ses objectifs, il a refusé la défaite, participer à la libération du territoire, fait produire de la pénicilline en

France à une période ou cela semblait impossible et créer une entreprises industrielles qui lui a survécu. Il est

décédé le 19 septembre 1985 à son domicile parisien 23 boulevard de Montmorency.

Dans les locaux ultra modernes de l’usine de Mayenne ou travaillent prés de 300 personnes qui se rappelle

aujourd’hui de Pierre Broch ?

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Remerciements :

- Pauline Brunet de l’Association les Filles de la 2° DB

- René Foucart, ancien responsable de production aux laboratoires SOBIO

- Philippe Ganalopoulos , Conservateur à la bibliothèque interuniversitaire de santé (Pari s V) et ses

collaborateurs

- Le capitaine Pierre Laborde du Service Historique de la Défense

- Charles Pegulu de Rovin , Conseiller historique du Mémorial du Maréchal Leclerc

Bibliographie

1- Service historique de la Défense, Château de Vincennes, Dossier individuel du médecin-commandant Pierre

Broch, Cote GR 2000 Z 207 14 334

2- Marc Flament, Médecin au combat, Pygmalion 1986, 35-38

3- Pierre Broch, J.Kerharo, J.Netik, J.Joffre, Fabrication de la Pénicilline, Vigot, 1946, 169-171

4- Maurice-Marie Janot, La production industrielle française des antibiotiques, La Gazette Médicale de France,

1951, Bilan thérapeutique, 58°, 51-56

5- Pierre Broch, J.Kerharo, J.Netik, La pénicilline, Naissance d’une industrie française dans l’armée, Société de

Médecine militaire française, séance du 3 mai 1945, 34, 1, 125-136

6- Pierre Broch, J.Kerhaho, J.Netik, J .Desbordes, La Pénicilline, Une expérience française de récupération, Vigot, Paris 1945

7- Pierre Broch, J.Kerhaho, J.Netik ,La Pénicilline, dosage, Vigot 1945 8- Pierre Broch, J.Kerharo, J.Netik, J.Joffre, Fabrication de la Pénicilline, Vigot, 1946, 19-110

9- Pierre Broch, J.Kerharo, J.Netik, J.Joffre, Fabrication de la Pénicilline, Vigot, 1946, 113-118 10- Anonyme, French Penicillin Production began in a garage, Manufacturing Chemist and Manufacturing

Perfumer, November 1945, XVI, 11, 417 10 11- Pierre Broch, J.Kerharo, J.Netik, M.Desbordes , Récupération de la pénicilline dans les services hospitaliers,

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http://histoire-cnrs.revues.org/536

19- Anonyme, Les laboratoires SOBIO, France Pharmacie, 1954, 274-275

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22- Entretient avec René Foucart, Octobre 2014

Page 15: Pierre Broch

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Catalogue Frogerais 1920 :

http://fr.slideshare.net/Frogerais/catalogue-frogerais

http://www2.biusante.parisdescartes.fr/img(puis taper Frogerais)

Les premières machines pharmaceutiques françaises :

http://www.shp-asso.org/index.phb?PAGE=expositionmachines

http://www.slideshare.net/busante54/machines-pharma-fr13

Histoire des comprimés en France, des origines au début du XX siècle :

http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00787009

http://fr.slideshare.net/busante54/histoire-des-comprims-pharmaceutiques-en-france14151521

L’Aspirine en France : un affrontement franco allemand :

http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00848459

http ://fr.slideshare.net/Frogerais/la-marque-aspirine-en-France-11-enregistr-automatiquement

William Brockedon Biographie :

http://fr.slideshare.net/search/slideshow?q=william-brokedon

La fabrication industrielle des pastilles ou tablettes pharmaceutiques:

http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00957139

La fabrication industrielle des pilules:

http://fr-slideshare.net/Frogerais/la-fabrication-industrielle-des-pilules-5

Pierre Broch (1909-1985) et la pénicilline :

http://fr.slideshare.net/frogerais/pierre-broch

Les origines de la fabrication des antibiotiques en France

http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01100810