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duo avec l'obscurité : l'influence des arts forains

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Page 1: Pierre-ANdré Weitz & Olivier Py

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PIERRE-ANDRE WEITZ & OLIVIER PY

Du plateau à la salle, en passant par la piste ? Duo avec l’obscurité, l’influence des arts forains

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Introduction p.5

I/ L’importance d’être un scénographe « pratiquant » p.9

Pierre-André Weitz, retranscription d’une conférence « spectaculaire » à l’ENSA-Nantes

II/ Jouer avec la convention - du plateau à la salle

1/ Esthétique a/ Une identité visuelle caractéristique p.18

b/ L’éblouissement et l’illusion p.24 c/ Incarnation et admiration, l’art des masques p.27

2/ Enchainements a/Les éléphants ne sont jamais en retard p.30

b/ Des agrès qui se transforment en machine à jouer p.31 c/ La structure en numéros - rapidité, vitalité, effectivité p.34

III/ provoquer le public 1/ Une adresse directe au public a/ Du bon dosage de la parole p.37 b/ L’influence du public sur le public – autostimulation p.40

c/ Le sarcasme des clowns p.41 d/ Créer à partir de l’actualité p.43

2/ Faire naître l’émotion a/ De l’importance de la musique p.50 b/ Jouer l’épuisement p.53

Conclusion p.55

Annexes p.59

Bibliographie p.61

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INTRODUCTION

Tout est parti d’une anecdote sur les éléphants jouant avec les cailloux pour attendre leur entrée en piste ; je ne pensais pas que Pierre-André Weitz aurait autant fait allusion au cirque dans sa conférence, je ne pensais pas que Pierre-André Weitz avait un lien si fort avec la piste, ni qu’il y puisait bon nombre de ses « principes ».

Il est arrivé là, un jour de conférence « Changement de décor » organisée par l’ENSA Nantes1, imposant de par sa carrure et sa voix qui porte, dans une salle si petite que la proximité était presque amicale – on était loin des amphis traditionnellement associés au séminaire de la saison 2010-2011. Déjà, quelque chose différait dans la mise en scène de cette conférence, dans la simplicité d’une table disposée en face d’autres et d’un simple tableau blanc. Se dégageait alors plus le « prof » que le « pro » qui venait nous parler de lui, l’aspect solennel était minimisé et une complicité entre lui et nous - l’auditoire - devenait possible. Quand il s’est mis à parler, les choses ont changé. Il a commencé par une morale, comme à la bonne époque, la morale de l’horaire. Tout de suite, il nous parut moins sympathique. L’importance du temps, la minute qui passe ont été ses premiers mots d’accueil : être à l’heure est la base de tout.

Quand cette dite morale s’est mise à durer plus de 30 minutes, dans l’audience nous avons compris qu’elle était plus le fondement de tout un système et que l’homme qu’on avait en face de nous avait réglé sa vie là dessus, que c’était, pour lui, la base du métier de scénographe : l’horaire, la rigueur. Très vite il s’est mis à parler du cirque, de quand il était petit dans les Vosges, de sa pratique de la musique, du chant, de sa formation au conservatoire de Strasbourg, à l’Académie Fratellini, de son problème « d’éléphant jaune en plastique » (nous y reviendrons)… Il a exposé le cirque comme la matérialisation de la discipline, comme le condensé de toutes les contraintes que peut exiger le spectacle vivant : un condensé de théâtre, de danse, d’opéra. De la virtuosité.

Il a trouvé son égal chez Olivier Py, le metteur en scène qu’il ne quitte plus ; ensemble, ils cherchent un langage adapté à la grandeur de l’Opéra qui pourrait repousser les limites de l’art, vivre l’héroïsme et la formulation du drame humain, comme le dit lui-même le metteur en scène. Puisque, pour eux, les changements de décor et les mises en scène sont une affaire de cosmos, de roue qui tourne, de chorégraphie temporelle.

1 Cycle annuel de conférences en scénographie « changement de décor » au sein de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes ENSA-Nantes

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Dans cette quête de l’héroïsme et du grandiose, deux ingrédients m’ont questionnée.

Premièrement, la musique, et le rapport charnel qu’ont les spectacles de Py/Weitz avec le tempo

musical, tout ce qu’ils empruntent aux codes musicaux et à la rigueur d’une partition. Ensuite, il y a l’aspect populaire, proche, dynamique, satirique et accessible à tous que l’on peut trouver dans l’idée du « cirque » au sens le plus large, le sens qui va du cabaret à l’entresort, et, in fine, les arts forains dans leur plus large spectre.

La définition des arts forains de Dominique Mauclair2 est la suivante : « L’équilibre, l’agilité, l’adresse, la force, la souplesse, la détente, l’audace, la psychologie animale, la dramaturgie, la musique. » En y ajoutant quelques autres comme l’illusion, la rigueur ou la ponctualité, on p eut observer en quoi les scénographies de Weitz résonnent souvent avec ces principes disons fondamentaux du cirque, qu’il soit traditionnel ou « nouveau3 ». Et Olivier Py, qui fait si souvent allusion à la sphère et à son lien avec le cosmos qui régit l’humanité, a-t-il en tête que le cercle, symbole de l'infini et de l'union, a donné son nom au cirque ? Cherchons donc à faire des ponts entre les spectacles du duo Py/Weitz et le nouveau cirque qui revendique ses origines foraines en les assumant et les actualisant sans cesse.

Voyons comment le théâtre de Py touche et rencontre le cirque dans ses fondements et non seulement dans ses aspects ; car ses figures de clown blanc, de bossu ou de Monsieur Loyal sont souvent plus que de simples citations ou transpositions. Mais alors, qui donc du théâtre ou du cirque a louché le premier vers l’autre ? Serait-ce le théâtre qui a eu la volonté de se régénérer constamment à des sources « plus turbulentes » (Dario Fo, Mnouchkine, Grand Magic Circus, Footsbarn Travelling Théâtre…) en lui empruntant son espace, ses mythologies, ses personnages ou même ses artistes qui deviennent parfois des acteurs ? Et si les emprunts peuvent être ponctuels (extraits,

2 Planète cirque, histoire planétaire du cirque et de l’acrobatie, Dominique Mauclair, Balzac Editeur, collection L’envers du décor, 300p. 2002

3 le « nouveau » cirque est un terme qui fait couler beaucoup d’encre, je ne m’attarderai pas ici sur les polémiques dont il est l’objet, mais utilise le terme au sens de cirque contemporain, tel qu’on le voit dans les salles aujourd’hui, le cirque emprunt de dramaturgie.

« Le cirque est un lieu qui sonne le rassemblement de

toutes les formes, les plus ailées, les plus lointaines,

les plus muettes de la danse. Le cirque avec ses

maquillages et ses sauts périlleux, ses combinaisons

à l’infini de cercles, de voltiges, ses entrées de clowns

réglées comme des valses, est à la fois un endroit

magique et classique… Pour ses fauves, et ses

funambules, ses chevaux et ses clowns si tristes, si

vrais, si purs, le cirque est le dernier chainon qui nous

reste du lien, du cordon ombilical par quoi nous

étions, par quoi nous sommes encore en

communication avec le commencement du monde,

avec le Paradis, avec les premiers tâtonnements des

Messieurs et des Dames sur cette terre de serpents,

d’éclairs et de littératures. » Léon-Paul Fargue.

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citations, entraînements), ils prennent parfois la forme d’une référence plus globale, d’une façon d’être, d’une question existentielle. En ce début de 21e siècle, au regard de Jean-Louis Hourdin, de Georges Lavaudant, du Teatro del Silencio, de Mladen Materic, la perspective d’une « cirquisation » du théâtre est loin d’être épuisée. La scène louche vers la piste, lorgne vers la poussière. Les créations de Py, elles, s’alimentent de toutes les cultures populaires, reprenant des

éléments du slapstick, du cinéma burlesque ou du music-hall… voir Annexe 1 Il travaille le « personnage » avec la même introversion qu’un clown, il soigne l’esthétique et le rythme, il compose selon des partitions et des dictions bien précises. Rien n’est laissé au hasard. Alors faut-il parler de synthèse ou de transversalité ? Le cirque a cela de notable qu’il est un peu le théâtre du quotidien mais sans complexes ni tabous. Une composition de cirque cherche à susciter des émotions chez le spectateur, mais aussi à véhiculer une idéologie. Et ce sont des spécialistes qui traduisent et rendent accessibles leur vision du monde à tout un panel de personnes, et c’est cette vision du monde là qui dérange

parfois. On peut néanmoins relever trois questions majeures qui parcourent les arts forains dans leur ensemble et à travers lesquelles nous pouvons finalement analyser l’œuvre de Py : l'esthétique, le format et le propos. En puisant dans le cirque, le cabaret, le music hall, Py et Weitz se sont créé une esthétique et un type de représentation bien à eux, reconnaissable entre mille. Il s’agit pour nous de décortiquer les principes scénographiques, en phase avec la mise en scène, pour mieux les comprendre et identifier les intentions des acteurs du projet. Au-delà du simple décor, les costumes, les maquillages, la présence permanente de la musique, la machinerie, le jeu, tout est en phase et tout concourt à la même quête de vouloir toucher le plus large des publics, de raconter « les grandes histoires du siècle » avec des contes ou des mythes souvent bien connus de tous…

Cela peut être un peu radical de classer les mises en scène de Py de cette sorte mais si l’on regarde de plus près l’historique de son travail, on s’aperçoit qu’il s’atèle souvent à des grandes épopées classiques - « l’Orestie », « le Roi Lear », « Le songe d’une nuit d’été », « Le soulier de satin » - à des contes cauchemardesques faisant appel à l’imaginaire commun – « les contes de Grimm », « les contes d’Hoffmann » - à la tragédie grecque – « l’Orestie », « Phèdre », « Idoménée » - et enfin beaucoup de textes signés de sa main. En 2006, le théâtre du Rond Point propose six spectacles d’Olivier Py sous le nom « la grande parade d’Olivier Py »… un titre qui n’est pas anodin, on y trouve des contes, un cabaret, des spectacles pour petits et grands, du rouge et or, du noir et blanc.

Aujourd’hui, pour représenter au mieux l’engouement créatif du duo et pour tenter de comprendre au mieux les choix d’Olivier Py et de Pierre-André Weitz depuis leurs débuts, j’ai choisi des œuvres variées pour appuyer mon propos : Un texte court écrit de sa main, « Epitre aux jeunes acteurs », « Les contes de Grimm » qui sont une lecture contemporaine, pour enfant, des formes courtes, où Weitz est sur scène et qui fonctionne en trilogie (« La jeune fille, le diable et le moulin », « l’eau de la vie », « la vraie fiancée »),

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« Les illusions comiques », qui sont une sorte de parodie de l’œuvre de Corneille, du monde d’aujourd’hui, où Py joue son propre rôle et Weitz est à la trompette, « Le soulier de satin » qui est un classique, d’une durée hors norme et un éloge à la langue française. Dans un premier temps, voyons quels sont les éléments esthétiques que Weitz a empruntés

et qui renvoient directement à l’imaginaire collectif des arts forains et de la piste. Du théâtre de tréteaux, d’entresort à la marionnette et à la commedia dell’arte en passant par l’agrès, le music hall, le cabaret et en piochant au cinéma le burlesque, le slapstick et le muet…Tout y est. Ensuite, nous nous attarderons sur le rapport particulier entretenu avec les publics, ce lien entre le plateau et la salle et cette volonté de toucher les consciences et les cœurs, de faire bouger les choses avec une rhétorique très personnelle. C’est un peu du naturel et de la franchise qui caractérise la relation au public des artistes forains.

Olivier Py a été suspecté d’avoir rajouté des scènes au Soulier de satin, tellement ces scènes paraissent inconcevables écrites de la main de Claudel. Mais c’est bien l’auteur original qui à fait se succéder blagues potaches et scènes de clowns. C’est pour mieux représenter le monde que Claudel s’inspire de tous les théâtres du monde. Dans le soulier de satin, on trouve donc de tous les genres : théâtre, music-hall, cabaret, cirque… Une belle démonstration du monde à laquelle Py semble bien plus rattachée qu’à ce qu’il n’y paraît.

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I/L’importance d’être un scénographe « pratiquant » (et toujours à l’heure)

Pierre-André Weitz, retranscription d’une conférence « spectaculaire », ENSA- Nantes - département DPEA scénographe, cycle de conférences spécialisées en scénographie « changements de décor », le 22 avril 2010 Avant propos : Pierre-André Weitz n’a pas tenu à être filmé ou enregistré lors de sa conférence, la retranscription de ses propos est donc une synthèse de notes personnelles. Elle est le

plus fidèle possible aux propos tenus mais explique l’utilisation de la troisième personne du singulier, par précaution. L’importance de la ponctualité Pierre-André Weitz commence son entretien avec nous par un rappel sur l’importance de la ponctualité dans le milieu du spectacle. Etre à l’heure est un principe de base, qu’on soit artiste ou technicien, pour la sécurité, le respect artistique et administratif de toute une équipe. Il nous raconte comment un jour de générale à l’Opéra de Nancy, il est arrivé 15minutes en retard. Il pensait venir à la générale piano, donc à 20h comme le veut souvent la tradition, sauf que ce jour là, il s’agissait de la générale orchestre, programmée souvent une demi-

heure plus tôt. En arrivant à 19h45, il s’est donc fait remonté les bretelles d’abord par le régisseur puis par l’administrateur qui lui a spécifié qu’il y avait cent-vingt musiciens dans la fosse qui l’attendaient, vingt-sept techniciens en coulisse, dix habilleuses, une bonne centaine de choristes, cinquante figurants et tous les solistes qui attendaient pour commencer, et d’ajouter qu’il espérait ne plus jamais le voir arriver en retard. Au théâtre, à l’opéra, au cirque tout est très minuté et calculé. La seule chose qu’on ne mesure pas, c’est le temps que prend l’équipe artistique à réfléchir, à esquisser, à faire des maquettes sur le projet. Pour le reste, tout est millimétré en détail et répertorié. Pierre-André Weitz prend l’exemple du cirque Knie et de ses huit éléphants qui savent

exactement à quel moment de la musique ils doivent passer le rideau de scène, et ce, tous seuls, puisque toute la troupe est sur la piste. S’il y a un retard dans le spectacle, dans le dégagement d’un agrès, les éléphants entrent quand même en piste au signal musical et qui sait ce qu ’il peut arriver. C’est le timing précis qui permet de réduire le risque d’accidents lors des représentations. Au Grand Théâtre de Genève, par exemple, tout est chronométré. Quand le spectacle va commencer, les lumières s’éteignent en même temps que les tampons descendent sur le

plateau. Cinq minutes avant le début de la représentation, il n’y a alors plus aucune sécurité

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sur le plateau, si l’on n’est pas conscient de cela, si quelqu’un entre sans le savoir, c’est l’accident. Les hommes comme les bêtes sont soumis au timing du spectacle, chaque chose a sa place, chaque personne a sa fonction, chaque action a son temps.

La critique Weitz évoque l’impact de la critique sur le processus créatif et la fatigue que créent les polémiques. Il affirme n’être intéressé que par les gens qui sont d’accord avec lui, pour, dit-il, faire avancer ses idées. C’est difficile de mettre tout son cœur, son temps, son énergie à réaliser une œuvre, en équipe, et d’avoir quelqu’un du public, à la fin du spectacle qui vient dire « oui, mais…alors….moi j’aurais fait plutôt comme ça, et puis pourquoi un décor rouge ? »

En évoquant la première de « Tristan et Isolde » à Genève, il parle d’une « grosse claque dans la gueule » comme il dit, pour lui et Olivier Py, le metteur en scène. Alors que le public avait paru aimé le spectacle, en sortant, le directeur de l’Opéra de

Stuttgart vient les voir en disant qu’il retire immédiatement les trois dates qu’il a programmées. Ce dernier considère que le spectacle est nul, l’esthétique est nulle, que l’équipe de création n’a rien compris ni à l’œuvre ni à Wagner. Quelques mois plus tard, Pierre-André et Olivier tombent sur le DVD du spectacle vendus a il ne sait plus combien d’exemplaires, ils reçoivent ensuite divers prix pour la scénographie…

C’est un drôle de métier. Un métier où il vaut mieux ne jamais écouter la critique, ou seulement la positive ; parce que quand on fait quelque chose, on attend toujours un retour, et ce retour, il n’aura jamais lieu, ou jamais au bon moment. Il faut savoir donner sans compter et donner sans espérer de retour. C’est le métier de scénographe. La vocation de scénographe Pierre-André Weitz affirme être scénographe parce qu’il ne sait rien faire d’autres. Il a toujours fait cela, il fait travailler le scénographe qui est en lui depuis qu’il a trois ans, avec ses Lego et ses animaux en plastique. C’est d’ailleurs la présence d’un éléphant jaune en plastique au milieu de ses jouets d’enfant qui a créé « le déclic » dit-il, avec le recul.

Son éléphant jaune était différent des autres tigres, zèbres et chevaux, parce que jaune. Mais très vite, il est devenu son préféré, celui à mettre en scène, à mettre en avant pour faire un pied-de-nez à la convention des zèbres a rayures et des éléphants gris, parce que le théâtre c’est la convention. Et il faut savoir qu’être scénographe ce n’est pas être hyperréaliste ou représenter la réalité mais c’est faire quelque chose de réel qui n’est pas forcément la réalité mais qui est une réalité. Et cette réalité est de la réalité au même titre que le rêve. Ensuite, il s’est mis à faire des spectacles devant ses grand-mères qui « jouaient le jeu ». Jouer le jeu est important, qu’on soit public ou créateur. Il était là avec ses Lego, ses marionnettes, ses bêtes en plastiques et il habillait ses grand-mères qui étaient son public.

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Puis à cinq ans, il est allé voir ses parents jouer au théâtre de son village, dans les Vosges, à Bussang où se situe le théâtre du Peuple4, un théâtre de 1000 places dans une ville de 1000 habitants qui a la particularité de s’ouvrir entièrement sur le paysage naturel. En période de moisson, il n’était pas rare que tous ceux qui travaillaient au Théâtre sortent d’un coup, interrompe la représentation pour aller faire les foins ; techniciens comme comédiens quittaient alors le plateau pour le champ.

Quand il a pu voir sa première pièce de théâtre, ce jour là, le rideau de scène ne fonctionnait plus. Son oncle, alors directeur technique, était désolé que son neveu ait vu tous les changements de décors à vue, qu’il ait vu le lit arrivé en roulant le désolait. Mais le petit Pierre-André ne comprenait pas que son oncle dise qu’au théâtre il ne faille pas que l’on voit un décor arriver ni comment il est fait. Il faut que tout reste magique disait-il, il ne doit y avoir aucune découverte. Par ailleurs, dans la pièce, qui mêlait comédiens professionnels et amateurs, les bourgeoises du village jouaient les paysannes et les paysannes, les reines. Bizarrement, les secondes y arrivaient bien mieux que les premières. C’est quelque chose qui l’a fait beaucoup réfléchir par la suite.

A six ans, Pierre-André Weitz fait ses premiers pas sur scène en tant que comédien. On lui avait expliqué qu’avant de transmettre de l’émotion, il faut transmettre ce qu’on veut dire, et avoir une voix qui porte, se faire entendre. A neuf ans, il se met à apprendre à lire et écrire la musique dans le but de savoir jouer de tous les instruments. Il continue d’évoluer dans l’univers du Théâtre de Bussang qui est une véritable ménagerie. A douze ans, il est au lycée à Epinal mais il continue de passer l’été sur les planches du Théâtre du Peuple. A seize ans, il souhaite préparer le concours des Arts Décoratifs de Strasbourg, mais ses parents lui conseillent alors d’être architecte ; direction l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg.

D’avoir des professeurs professionnels, mais pas de professionnels professeurs lui font quitter les bancs de cette école au bout d’un an.5 Pour arrondir ses fins de mois, il réalise les décors pour la troupe strasbourgeoise de l’Opéra Piano, fait des remplacements de professeur au conservatoire puis y passe des auditions. Il rentre comme ténor à l’Opéra de Strasbourg. Il élargit ensuite sa pratique du spectacle vivant avec une formation cirque à l’Académie Fratellini en région parisienne. Il expérimente la scénographie à Bussang, jusqu’au jour où la metteur en scène Gilone Brun vient y présenter un Mac Beth et prend sous sa tutelle artistique Pierre-André Weitz.

4 Le Théâtre du Peuple de Bussang à été fondé en 1895 par Maurice Pottecher dans le cadre de la décentralisation culturelle ayant pour vocation à amener la culture au monde paysan. En réalité, le fondateur était riche, s’était fait construire un théâtre où tout le village travaillait et souhaitait faire jouer sa femme qui était comédienne. (parenthèse historique de P-A W.) 5 Il réalisera, en réalité, son cursus entier puisqu’il passe son diplôme de fin d’études TPFE avec un projet d’architecture de cirque intitulé « un centre européen de formation des arts du cirque à Strasbourg » consultable à la médiathèque de l’ENSA Strasbourg

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Il devient ensuite directeur technique dans l’entreprise de construction de décor Deffarge à Strasbourg pendant deux ans. A vingt-trois ans, il rencontre Olivier Py à Bussang qui lui lance le défi suivant « est-ce que tu peux faire un décor et des costumes pour ma pièce ? / oui / mais on joue ce soir ! » Défi relevé, et ce fut leur première collaboration.

Après un passage par le Théâtre en Acte à Paris, puis le Théâtre de la Bastille, il retrouve Olivier Py à Avignon, huit ans après le première rencontre, pour « La Servante ». Ensuite, en plus de la scénographie, il prend sa trompette pour jouer, lui-même, le signal d’entrée du public lors du « visage d’Orphée », présenté à la Cour d’Honneur.

Dans la scénographie, tout ce qui prend le présent est important, elle fait appel à tous les sens et il faut, dit-il, qu’il y ait « à manger ». C’est ce qu’il trouve de bien dans l’opéra, le côté « art total ». Pour lui, le scénographe amène une esthétique, il remet chaque chose à sa place et il permet la mise en place de l’acteur. Il propose au metteur en scène différente façon d’utiliser un espace, et ensuite, le metteur en scène utilise l’espace d’une façon poétique et surtout dramaturgique. Une fenêtre dans un mur apparait au scénographe, l’ouverture et le passage de cette fenêtre appartient au metteur en scène. Le metteur en scène a des idées de sens mais qui sont rarement des idées esthétiques. Et souvent, à la fin, c’est le sens qui découle de l’esthétique. Il faut donc trouver une esthétique qui sert l’œuvre et le sens de l’œuvre, mais pas une esthétique qui lui donne un autre sens ; même si parfois on peut violenter le sens de celle-ci. Un scénographe ne doit pas proposer trop de solutions au metteur en scène, il est là pour orienter, diriger, cadrer les sens apportés à l’œuvre pas pour s’imposer. Ensuite c’est au metteur en scène d’être le liant entre les personnalités qui composent l’équipe artistique et de produire une esthétique d’ensemble à partir de ce qui lui propose chaque membre de cette équipe.

La recette de la scénographie

Vous voulez inviter votre petit copain à manger des pâtes à la sauce tomate chez vous. Si vous êtes scénographe, la question c’est : est-ce que je l’invite tout seul ou avec des

copains ? A quelle heure je l’invite ? A midi ? Le soir ? Vers 22h30 ? Ou a minuit après le ciné ? Où vais-je la faire manger ? Dans la cuisine ? Le salon ? La salle à manger ? La chambre ? Sur une table ou sur un lit ? Quelle lumière ? Sur la table, ok. Mais je mets un

rideau sur la table ? Une petite fleur ? Je sors de la belle vaisselle ? Je m’habille comment ? Maquillage ? Parfum ? Est-ce que je prépare une entrée, un dessert, une infusion, un café ?

Et combien de temps ça va durer ? Si vous tenez en compte tout cela, c’est que vous êtes scénographe.

Tout ce qui fait le présent et le temps, ce qui fait appel aux cinq sens a son importance.

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Dans son cas, Weitz prend en charge le décor, les costumes mais aussi le maquillage et la lumière pour, dit-il, mieux gérer l’espace total et l’esthétique globale. Il n’oublie pas non plus que ses scénographies sont avant tout habitées par des comédiens, des choristes. Par exemple, il parle des choristes en tonnes, il dit « gérer les choristes comme des volumes (ayant un certain poids6) qui se promènent sur scène », et il affirme devoir avant tout placer les choristes et créer un décor autour d’eux, selon eux et pour eux.

Le facteur temporel « L’esthétique visuelle n’est rien, l’esthétique du temps est tout »…Cette affirmation un peu énigmatique reflète l’importance que Pierre-André Weitz donne à la dimension temporelle du décor et au déroulé du spectacle. Pour illustrer son idée, Pierre-André découpe un personnage dans le journal qui est posé sur sa table, sort deux pochettes cartonnées de sa sacoche et les dispose sur la table, voici Othello au moment de son « Gloria » :

A quel moment doit s’ouvrir le mur du lointain ? Doit-il vraiment s’ouvrir ? En combien de temps ?

En une seconde dès le début du chant, en trois secondes sur toute la durée du Gloria, après le Gloria et le plus vite possible ?

L’effet n’est pas du tout le même et c’est la musique qui dicte l’espace et qui commande. On ne peut pas penser l’ouverture d’un mur sans le temps, sans la mesure du chant et/ou du

texte. C’est justement l’espace temps qui résonne dans chaque spectateur, et qui lui fait entendre la pièce d’une manière différente à celle de son voisin.

En tant que scénographe, en tant qu’artiste, c’est de la matière vivante, de la sensation instantanée qu’on se doit d’offrir au public.

C’est le principe du théâtre romain, un peu comme le cirque aujourd’hui, c’est quelque chose de pulsionnel, en opposition, le théâtre grec se positionne dans le questionnement, la politique, l’intelligence.

Quand un éléphant entre en courant sur une piste en portant sur son dos une voltigeuse en

bikini à plumes, il n’y a rien d’intelligent, mais on fait jouer la mort, le risque, l’extrême, c’est pulsionnel, et le public est ému. Nous ne sommes que des « bestioles pulsionnelles », comme le dit si bien Pierre-André, ce

que nous retenons en premier, c’est l’esthétique.

6 On atteint facilement 150kg d’acteurs sur un praticable de 1x2m

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Alors à la question « est-ce que c’est nécessaire ? » il répond « non, c’est indispensable ! » La scénographie c’est une chose, dans un espace, face à des gens mais surtout à un instant précis. Le public a besoin de ressentir en direct des émotions, à l’instant t, et ça entre dans la recherche existentielle du « pourquoi est-on là ». Les gens vont au spectacle pour satisfaire leur vie intérieure, apaiser les questionnements existentiels de la vie : pourquoi j’existe, pourquoi je meurs…

Donc l’équipe qui crée un spectacle doit être consciente de cela, elle est là pour inventer des clés pour que le spectateur puisse jouer, s’inventer son imaginaire, se poser des questions, évoluer… C’est pour cela que le scénographe doit être généreux, toujours faire de son mieux, en prenant en compte l’œuvre et le public, pour servir cette quête existentielle que l’on a tous. La convention Nous venons tous d’une génération cinéma, on est né avec et notre vision est donc conditionnée, ou du moins, influencée par l’esthétique cinématographique. Au théâtre, on a tendance à faire de l’hyperréalisme, on veut « faire cinéma » mais ce qu’on oublie trop souvent c’est qu’au théâtre il y a une esthétique propre, qui est autre au cirque,

ou à l’opéra ; chaque art possède son esthétique propre, ses conventions, et il vaut mieux travailler avec que tenter d’aller contre. C’est pour cela qu’il faut arrêter de vouloir représenter la réalité telle quelle. Ce n’est pas le propos parce qu’il s’agit de spectacle et non de réalité. Qui chante tous les jours à la boulangerie ? Qui met trois pages à dire Adio à quelqu’un dans la vraie vie ? L’opéra ce n’est pas la vraie vie, mais une manière de représenter l’humain dans ce qu’il a d’imprésentable. L’air d’opéra, quant à lui, il est une porte, à un momen t donné, sur l’âme d’une personne. Tout n’est que convention à l’opéra. Un livret, une partition, sont inscrits dans un contexte, ils sont écrits une certaine année. L’œuvre elle-même se déroule à une époque précise, différente ou non, de celle de l’année

de création. Alors quand il s’agit de monter un Verdi de nos jours, à quelle époque le représente-t-on ? A l’époque de « la Traviata », les femmes dans la salle étaient habillées exactement comme celles sur le plateau. Est-ce pour autant qu’aujourd’hui il faille vêtir les chanteurs en jean et baskets ? Ce n’est pas obligé, mais le costumier doit en avoir conscience. C’est la même histoire sur le fait de faire jouer le rôle d’une jeune femme de 16 ans à une soliste de 40 ans son ainée. C’est une convention, tout le monde l’accepte, ce n’est pas une question de crédibilité ou pas. En tant que scénographe, on se doit d’équilibrer ces aspects : l’époque, l’histoire du livret et l’expression de l’âme, la musique. Contre l’hyperréalisme, il faut travailler les conventions, faire converger tous les arts existants au service d’une même œuvre, d’un même propos. L’opéra c’est un peu le domaine de la virtuosité. Parce qu’il ne s’agit pas de performance mais bien de virtuosité, parce qu’il y a cette dépendance à un timing précis et exact. C’est valable pour les chanteurs, les décors, les lumières…

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Si l’on prend la même chanson, avec la même mélodie mais à des rythmes différents, c’est ce dernier qu’on retiendra : le rythme, donc le temps. Au théâtre par exemple, en excluant les alexandrins qui ont aussi une musique qu’on se doit de respecter, on est plus libre par rapport au temps. Un point à la fin d’une phrase dure le temps que l’on veut, il peut même y avoir une action dans le silence d’un point, alors qu’à l’opéra, le silence il dure quatre temps ou deux mesures, mais il est cadré, on ne déborde

pas. Il faut donc réussir à attraper scénographiquement le rythme de l’œuvre, parce qu’à l’opéra, le public vient écouter ; la musique et le chant priment ; donc si l’on veut que le décor prenne aussi de l’importance aux yeux du public, il faut être généreux ; tout en respectant le rythme. Au théâtre aussi il y a de beaux exemples, c’est intéressant de voir les pièces de Feydeau rythmées par les claquements de portes ; mais essayons de monter un Feydeau sans portes, ce n’est pas simple. On ne peut pas renier le rythme d’un texte, le temps, la musique… Et tout cela conditionne la scénographie, les changements de décors et la gestion en coulisse. Si on a trois mesures pour faire entrer cent-vingt choristes, ça parait compliquer ; alors il faut

trouver une astuce scénographique pour faire arriver l’espace des choristes aussi rapidement que la musique l’exige. Le temps est la clé du sens de l’espace architecturé de la scène. Sur le « Tristan et Isolde », Weitz était arrivé en disant aux régisseurs : « il n’y a qu’un seul changement de décor, il dure quatre heures ! ». Ce qui l’intéresse c’est la chorégraphie d’espace, l’importance de la métrique et de la ponctuation de la musique. L’illusion Comme il le dit, il est de la génération des clips vidéo et du quatre-vingt-dix plans par minute. C’est peut être pour cela qu’il ne peut pas rester en place, ou quand il le reste, il y a

quelque chose d’autres qui le nourrit. Comme il le dit, « quand je m’emmerde dans une musique ou un texte, c’est là que je dois travailler. Peut être que le visuel peut rattraper la musique à ce moment là. C’est le moment de sortir les éléphants. » Pierre-André Weitz a cette faculté à faire vivre un décor pour sans cesse rappeler au spectateur qu’il est au théâtre, que ce n’est pas la vraie vie. C’est pour cela qu’il aime montrer la « machine théâtre » et faire des changements de décors à vue. Faire un changement à vue permet de raconter que le temps passe, l’espace bouge et le public lui aussi bouge, au sens figuré. Il y a un changement dramaturgique crée par un changement à vue. C’est pourquoi les décors de Weitz jouent souvent sur toutes leurs faces, ils sont sur roulettes, se retournent, tombent, virevoltent. Comme il le précise, une idée à l’endroit a aussi son envers. Et jouer ainsi avec ces scénographies et ces volumes permettent à Pierre-André de se couler dans la peau d’un illusionniste, d’un virtuose qui fait apparaître des choses à son public. Pendant qu’il montre

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un escalier arrivant sur roulettes, personne ne fait attention à ce qui se passe au même moment sur le reste du plateau et c’est ainsi que la magie opère. Rien que le mouvement est facteur de magie, il engendre un espace mental et de la sensation pure. Pour revenir à l’exemple de « Tristan et Isolde », Wagner tient le spectateur en haleine pendant quatre heures, il tire un même fil et il ne le lâche pas, finalement, c’est

un seul air, mais qui dure quatre heures. Avec Olivier Py, ils ont donc travaillé sur la lenteur et le caractère hypnotique, par le rythme, la lumière et son rapport à la tôle ondulée. Ils ont voulu faire un décor qui avance comme un bateau, lent, presque inconscient. Le bateau met une heure et dix minutes pour « traverser » le plateau de la proue à la poupe, de Jardin à Cour. Et ils ont fait avancer une suite de boites, assimilables à des containers, représentants chacune une case, une vie passée qui défile devant les yeux du spectateur. Pierre-André Weitz cite l’artiste Soulage quand il évoque l’éclairage de ce décor, où il fait vivre le noir différemment selon la lumière. Maitriser l’illusion et la perspective est pour lui la base d’un scénographe. Et une scénographie peut faire croire énormément de choses qui sont fausses. Par exemple, fausser la profondeur d’un plateau en augmentant la pente est chose courante,

des choristes disposés en gradins paraissent moins agglutinés que s’ils étaient tous au même niveau du sol. C’est une question de perspective, à laquelle le public ne voit que du feu. On peut aussi gagner en profondeur en travaillant la hauteur et l’étagement. Autre ingrédient de l’illusion, les costumes. La règle numéro un, selon Pierre-André Weitz, est qu’il ne faut surtout pas habiller les comédiens et chanteurs en prêt-à-porter. Il vaut mieux travailler les lignes de coupe des costumes de telle manière à enlever le petit ventre, réduire les hanches en remontant la taille, faire des manches longues sur des bras qui tombent... ce n’est pas le même travail qu’en haute couture ou en prêt-à-porter. Sur un plateau, la réalité devient hallucinante, il y a de la générosité, de la sincérité, un total abandon mais en aucun cas il n’y a de vérité.

Et il ne faut jamais hésiter à truquer les costumes, tout comme les accessoires, même la nudité devient autre chose. Pour faire croire quelque chose à quelqu’un, il ne faut pas forcément présenter la chose elle-même. Pierre-André donne l’exemple du vrai vin qui ne ressemble pas à du vin une fois éclairé avec une certaine lumière, ou les joyaux d’une couronne qu’il a réalisé avec des bonbons durs à défaut d’avoir de vrais joyaux. Mais avec l’illusion, ce que l’on voit et ce que l’on retient n’est pas pareil. On retient le mouvement et le rythme quitte à projeter d’autres choses qui n’étaient pas là ; alors le scénographe doit proposer, mais ne jamais imposer au spectateur, il doit laisser une voie libre. Processus créatif Le scénographe doit interpréter la partition musicale, la rendre spatiale.

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Par exemple, quand Puccini écrit sur une partition « double contre Ut pianissimo » ça veut dire qu’il se passe quelque chose spatialement. Une note si difficile à sortir ne peut pas avoir un volume bas, sous l’effort, le son s’élève. Il y a donc un déplacement scénique du soliste, de la face vers le lointain. Là réside la difficulté à interpréter une partition, un pianissimo sur le papier doit-il être compris comme un pianissimo chanté ou un

pianissimo au lointain – donc avec un volume amoindri par des chanteurs qui s’éloignent ? Pierre-André Weitz explique alors comment il procède. Il écoute la musique, suit la partition et dessine les images et les espaces dictés par la composition. L’essentiel est de se laisser porter par ce que raconte la musique. Ensuite, il relie les différents espaces et images par une sorte de morphing, il crée des liaisons cohérentes entre tous les volumes.

Une fois l’espace inventé, il faut se l’approprier et jouer avec. Alors il met la musique, prend sa maquette et s’amuse avec, comme quand il était enfant, en n’ayant pas peur de se dire : là il n’y a rien, ça ne bouge pas. C’est important de revendiquer le contraste, presque nécessaire mais il ne faut jamais oublier que pour faire du vide il faut qu’il y ait du plein, et vice versa, sinon on risque le trop -plein et l’illisibilité. Ca rejoint le fait de travailler sur la persistance rétinienne ou sur l’effet blinder qui vise à éblouir la vue du spectateur pour créer une dépression mentale et nourrir son imaginaire. Travailler les respirations dans la scénographie, comme elles existent dans la musique, c’est

aussi dire : là, spectateur, c’est à toi de respirer.

En guise de conclusion, Pierre-André Weitz a amené une maquette de sa scénographie pour les Huguenots de Giacomo Meyerbeer, mis en scène par Olivier Py au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles.

Puis il conclue de manière plus sentimentale, en évoquant la solitude du scénographe qui travaille avec sa maquette comme seul partenaire. La seule relation que le scénographe possède est avec le metteur en scène, et puis vient le moment de donner le bébé conçu en commun avec le metteur en scène, à deux, et de lui dire adieux. C’est très dur de laisser son bébé aux techniciens, aux acteurs… C’est pour ça que « Pierrot Weitz » traîne beaucoup sur les plateaux, et joue souvent dans les pièces. Il dit que ça le rassure d’être présent sur scène, comme ça s’il y a un incident , il peut réagir directement et faire quelque chose, même si reste toujours l’angoisse de ne plus maitriser son propre décor.

La recette de fabrique

- écouter/lire pendant une semaine -se documenter, se renseigner sur tout le contexte de l’œuvre

-rechercher des images, des références personnelles que l’on aime -ressortir les croquis spontanés faits à

la première écoute -puis très vite, réaliser une pré-

maquette et jouer avec, et inviter le metteur en scène à jouer avec.

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II/ jouer avec la convention - du plateau à la salle « Le cirque est toutes conventions » Jean Genet dans Le funambule.

Quand il parle de la convention, Pierre-André Weitz dit la prendre en considération. Il dit même qu’il est nécessaire de créer à partir de cette convention qu’est le théâtre, et encore plus l’opéra. Mais qu’entend-on par convention ? Le cirque, par exemple, est-il une convention ou est-il plutôt un ensemble de codes ? Toujours est-il que le public connaît, vient voir ce qu’il connaît, attend ce qu’il connaît, demande qu’on lui montre qu’il connaît. C’est finalement dans le rapport au public que cela se joue donc, dans la structure et le rythme du spectacle, savoir satisfaire l’attente du public et aller plus loin dans le genre ou le

transgenre, détourner les usages attendus pour surprendre et créer.

1/ Esthétique

a/ Une identité visuelle caractéristique Il faut commencer par l’arrivée du théâtre dans la pratique du cirque c’est à dire le développement de la scénographie et l'espace de la représentation, la forme et la structuration de la dramaturgie et la notion de personnage. C’est à ce moment là que cirque et théâtre, dans un sens ou dans l’autre, ont vraiment commencé à fusionner. La scénographie naît d'un geste, d'une musique, d'un texte qui se métamorphose en dessin, en pas de danse ; puis elle se matérialise en costumes, en éclairages, en décor. Les techniques de scène viennent au service d'un spectacle en mouvement. Chez Olivier Py, c’est un peu pareil, d’abord la musique, ensuite le corps épris de parole puis

le décor dans son mouvement. Et c’est ainsi que la scénographie devient un peu la mémoire de l'éphémère. Dans cette spontanéité retrouvée, il y a toujours l’authenticité et la justesse d’un geste associé à son environnement, l’agrès ou la matière. Chez Py et Weitz, on est tenté de définir l’esthétique que prennent les spectacles par une identité de pacotilles et un peu « cheap ». Il n’est pas question de dépréciation ici mais plutôt, comme dit plus haut, d’authenticité et de référence directe à l’imaginaire commun. La signature du duo Py/Weitz est bien celle-ci, celle du brillant, de l’or, du rouge profond, peut être simplement de l’éblouissement et du mouvement.

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Il y a plusieurs types d’éblouissements chez Weitz. Ce qu’on retient souvent des ses scénographies ce sont les façades dorées et les rideaux d’ampoules, mais il y a aussi tout un jeu de tubes fluorescents et de tôle ondulée dans d’autres spectacles. On pourrait dire qu’il y a les spectacles rouge et or et les spectacles noir et blanc.

Le soulier de satin, à l’Odéon

Tristan et Iseult, au Grand Théâtre de Genève

Le plateau d’un des premiers spectacles de Py, s’intitulant « La servante », était comme son titre l’indique, éclairé par une servante, c’est-à dire une ampoule sur pied posée au milieu du plateau, objet usuel – et ancien – du théâtre. C’était le début d’une longue collaboration avec l’objet ampoule, qu’on retrouve sous forme de guirlande de guinguette, de cadre, de rampe, de rideau étoilé ou dans la solitude grave d’une ampoule seule au bout d’un manche. Le rideau d’ampoules composé d’une superposition de cadres des « Contes de Grimm », par exemple, ne manque pas de surprendre le spectateur jusqu’au bout. Au lieu d’être sur un seul plan, il se décompose et se joue de la profondeur. C’est un peu une découverte à chaque fois qu’un cadre ou un bout de cadre se détache, se met à tourner, part

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sur roulettes poussé par un « homme en noir ». Le spectateur se surprend à se dire, « tiens, il y en a encore un… » Cette voie lactée d’ampoules donne cette dimension cosmique et onirique chère à Olivier Py. L’image de la guirlande d’ampoules renvoie directement aux cabarets de plein air et aux fêtes foraines où l’ambiance est décontractée et l’éclairage un peu ballotté au gré du vent. On peut y voir aussi l’idée du strass dans la juxtaposition de centaines d’ampoules, et qui

créent un rideau de lumière d’où surgissent les « stars » pour briller de milles feux, c’est ce que font finalement tous les comédiens d’Olivier Py. Mais prenons leur7 « Tristan et Isolde », « Illusions comiques » ou « Lulu ». Point de rideau d’ampoules mais des dispositions géométriques de tubes fluorescents (couramment appelés par abus de langage néons, alors qu’il s’agit de deux types très distincts de luminaires). L’ambiance diffère. Les « tubes fluos » sont souvent à la verticale, dans « Tristan et Isolde », posés sur un « quai » ou suspendus au cadre, ils servent même de référentiel spatial devant un décor qui glisse. Ils structurent l’espace et lancent une lumière crue, totale, aseptisée, comme si on ne souhaitait plus rien cacher.

Leur quantité, leur disposition souvent alignée (à la base du navire dans Tristan, …..) inonde le public de cette lumière qui transcende. Tout le monde est exposé. Alors que le rideau d’ampoules rapproche le plateau et la salle par la pénombre, créant une complicité dans le secret, les tubes fluorescents, eux, baignent de leur lumière uniforme et violente les spectateurs et les comédiens qui ne peuvent plus camoufler leurs mimiques et réactions. Dans la pénombre tout se ressent, dans la lumière tout se voit.

Dans la notion d’éblouissement, il y a ensuite tout le coté doré des spectacles « rouge et or ». Dans les « contes de Grimm », comme dans « Le soulier de satin», comme dans « Les Huguenots » et autres, la façade dorée est omniprésente, parfois le sol aussi.

Ce lointain d’or, selon Olivier Py, est le paradis à deux dimensions des peintures byzantines et c’est, pour l’art sacré, l’horizon mystique de réflexion et d’éblouissement qui est nécessaire à la production de l’image. Les panneaux dorés sont lisses et métalliques, leurs jonctions sont pures, nettes, même quand ils cachent des charnières. Le public se retrouve donc face à de véritables écrans dorés, découpés de manière à créer des arabesques aux allures de castelets surdimensionnés sur lesquels s’agitent des personnages enfarinés. Voir Annexe 2 Quand ce n’est pas le texte lui-même qui amène le doré, comme dans « le Soulier de satin » où « l’or » est cité dans chaque scène, Olivier Py se plaît à créer de « petits, voire de grands, théâtres d’or », comme il se plaît à dire à propos d’ « Epître aux jeunes acteurs ». Pour le spectateur qui est assis dans la salle de l’Odéon toute ornée de dorure, il y a un écho direct avec le plateau qui sert à la dramaturgie du spectacle et au conditionnement du spectateur. Il faut remarquer que c’est souvent par un envers que le décor acquiert ou perd son doré.

7 Olivier Py et Pierre-André Weitz sont très liés dans le processus créatif, tant de la mise en scène que de la scénographie ; le nom de l’un ou de l’autre évoque, dans ce mémoire, presque tout le temps le duo.

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L’envers est un principe cher à Py et/ou Weitz. Scénographiquement, on ne cesse de voir l’envers des décors qui virevoltent sur le plateau. La scénographie devient un ballet sensuel et mystérieux. Il s’ensuit que les décors sont souvent sur roulettes et s’apparentent à des volumes qu’on peut aisément déplacer, donc ont des dimensions disons « humaines ». Manipulés toujours à vue, Weitz semble avoir renié la parole de son oncle qui lui disait que

les roulettes ne devaient surtout pas se voir8. On trouve en premier lieu les volumes escaliers qu’on peut regrouper avec les blocs d’échafaudages présents dans toutes les productions du duo. Les structures sont en bois ou métalliques mais toujours noires de haut en bas. Ces structures « de grimpe » ont quelque chose d’un agrès. Les comédiens s’amusent dessus, le volume tourne, il est conçu en trois dimensions, voire en quatre dimensions puisqu’il tourne sur lui-même ou se déplace selon un rythme souvent très précis. Le public est amené à voir chaque élément du décor sous ses multiples facettes. Rien n’est caché, la magie n’en est pas pour le moins ôtée.

Un autre élément significatif des scénographies de Weitz sont les tréteaux, les planchers, les praticables segmentés et composés à la vue du public. L’exemple le plus significatif est sans doute le plancher de « La jeune fille, le diable et le moulin » qui se compose et se recompose à la vue du spectateur, amené par les machinistes-musiciens en jaquette rouge et or. voir Annexe 3 Les tréteaux, quand ils sont dégagés, restent stockés à Cour9, à vue, sans complexe, puis un personnage y monte, prend la parole, s’éclaire et voilà une nouvelle petite scène excentrée de l’action principale. Ce sont autant de scènes simultanées permises par les tréteaux-praticables disposés ça et là où le comédien peut se mettre plus haut que l’audience, grimper et prendre la parole ; cette spontanéité est très présente dans les trois spectacles des « contes de Grimm ». Cette estrade, qui sert aux acteurs pour mieux se faire entendre et mieux s’adresser au

public, est souvent étroite et disposée dans toute la longueur de Jardin à Cour, rappelant les tréteaux de la commedia dell’arte où se succèdent des personnages identifiables comme la mort, le prince, la princesse… Dans « les Vainqueurs », le tréteau est incliné et il est positionné au milieu d’une tournette (soit un élément de sol qui tourne, tel un manège). Py s’intéresse aux tournettes parce qu’elles sont pour lui la métaphore de la « struggle for life » en ce qu’on entend le grincement, le blocage, le travail du décor qui tourne sur lui-même, qui dévoile sa face cachée. C’est lent, ça met du temps ou ça tourne en boucle. Dans « les contes d’Hoffmann », il fait même faire plusieurs tours au décor, où l’on voit les personnages évoluer à chaque fois qu’ils reviennent « à vue ». On revient en cela à son rapport au temps, au cosmos et c’est pour lui une manière de peupler l’espace d’un no man’s land entre la vie et la mort, le jour et la nuit, la terre et le

8 Voir la retranscription de la conférence de Weitz lors du séminaire « changement de décor » partie I de ce mémoire. 9 Dans le jargon théâtral, on appelle Jardin et Cour les coulisses respectivement de gauche et de droite quand on regarde la scène depuis le public, ceci permet de savoir, pour toutes les personnes y travaillant, s’il s’agit de la gauche vue du plateau ou vue de la salle.

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ciel, le mensonge et la vérité. Il crée finalement une scénographie qui répond aux figures de mythes, de fascination et de sacrifices adoptés par les personnages. Les échafaudages métalliques et les grandes roues des décors qu’on a nommé auparavant « noir et blanc » évoquent entres autres cette même notion de sacrifice et de risque, de par leur monumentalité et leur froideur.

Ils reprennent plus les thèmes du cirque contemporain comme le dépassement de l’agrès, la lutte humaine pour la vie et la raison, les principes constructivistes et politiques… mais les pulsions restent les mêmes, et les reflets lumineux de la tôle ondulée qui floute les limites spatiales ne font qu’accroître l’impression de gigantisme et de fatalité des échafaudages s’élevant jusqu’aux cintres. Dans « les contes d’Hoffmann », le décor représente une ville entière constituée de cellules de vies et de destins qui s’entremêlent, s’ouvrent, se retournent, se cachent. La lumière est expressionniste et le décor évolue dans la musique. Et dans l’œuvre de Py la musique est un ingrédient en soi, si ce n’est l’ingrédient principal. Hormis quand les partitions d’opéras le dictent, on voit souvent au théâtre se succéder une petite fanfare, un mini orchestre, une clarinette seule, un orgue de barbarie qui chante sa

mélancolie ou un accordéon qui souffle sa tristesse. Quand en plus, les musiciens rouge et or de la fanfare font face à une audience sous le chapiteau de bois inavoué qu’est la salle Renaud-Barrault du Rond-point, il y a de quoi noter les accents forains de la musique et de sa mise en scène.

Répétitions

Les ingrédients scénographiques signés Weitz ne sont pas illustratifs mais métaphoriques, ils évoquent, stimulent l’imaginaire mais n’aplanissent jamais le sens dramatique. Les matériaux, eux, racontent une histoire et apportent une théâtralité : la tôle ondulée ne porte pas le même imaginaire que la soie rose et le velours rouge. Weitz utilise toutes les capacités, qu’elles soient mécaniques ou visuelles, des matériaux pour créer un tout à la limite de l’illusion. Il manie ses scénographies comme un mécanisme d’éblouissement spatial, visuel et mental pour provoquer le spectateur.

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Miss Knife

Le ciel n’est qu’une toile peinte La lune un morceau de satin

Let les étoiles sont vite éteintes Sur le pauvre lointain

La route tombe dans la fosse Et ne peut faire aucun détour

Tu sais que toute fuite est fausse Du jardin a la cour

Tout est faux ici l’ami, tout est faux

Tout est faux ici et là Et voila.

Ta fiancée, un automate

Ses cheveux, une perruque

Ses yeux deux grosses agates C’est un ange en stuc

Son cœur est fait de paillettes

Brodées sur de vieux mensonges Et ses promesses sont défaites

Par la clef des songes

Tout est faux ici l’ami, tout est faux Tout est faux ici et là

C’est comme ça.

Remâcher ton infortune Et pleurer ton désespoir

C’est comme pêcher a lune Avec une passoire.

Ton histoire est un guignol Ta vie une baraque de foire

Et ta mort une luciole Perdue dans le noir

Une nuit au cirque

Olivier Py 1992

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b/l’éblouissement et l’illusion

Si l’essentiel des changements et des décors est à vue chez Weitz, c’est sans doute pour laisser plus de place à l’impact et à l’effet de surprise créés par les effets de machinerie, de lumière et visuels des spectacles. S’ils sont assumés et ne cherchent pas tout le temps à se cacher, le spectateur comprend

vite le principe scénographique, mais ça ne l’empêche pas de se laisse mener dans la valse magique du spectacle. Dans un décor intimiste, entre boîte de nuit, boîte de Pandore et boîte à chaussure, Weitz prend la position d’un illusionniste en usant de machines et outils au service de l’éblouissement et des effets magiques. Il plonge ainsi dans l’univers forain et celui du music-hall qui fonctionne exclusivement en dispositif frontal même si l’univers se veut néanmoins circulaire10, le décor se montre sous toutes ses facettes.

La machinerie au service de l’illusion a de remarquable qu’elle expérimente toutes les

extensions possibles du corps humain en relation avec un ou plusieurs matériaux. Bien l’utiliser c’est connaître et maîtriser ses points de résistances, ses capacités d’évolution ou de rétractation. Weitz réemploie par exemple le principe de la tournette, un traditionnel de la machinerie, qui permet l‘expression du temps qui passe ; mais il le mêle à des tulles d’apparition et des systèmes de double fond : il va plus loin dans le processus d’apparitions/disparitions. Ainsi, dans « l’enfant et la nuit », mis en scène par Olivier Balazuc, des chœurs entiers montés sur échafaudages surgissent d’un coup de l’obscurité, ou des comédiens entre deux tulles apparaissent et disparaissent suivant les doubles fonds de décor. Sans être forcément des doubles fonds, c’est un système de déploiement des décors et de couches superposées qu’utilise couramment Weitz. Les façades dorées des « contes de Grimm » s’ouvrent comme des livres et se ré-ouvrent en

laissant apparaître une nouvelle façade, comme un infini changement.

10 C’est Didier Goury, scénographe de Mathurin Bolze, qui distingue un espace circulaire d’un univers circulaire où le décor n'a pas de dos mais qui peut être sur un dispositif frontal.

« Le comble du leurre dans l’art contemporain, le leurre des leurres, consiste à faire penser que l’’on n’est pas dans le leurre.

Ainsi je travaille, depuis un certains nombre de créations, à réhabiliter l’idée que l’art le plus authentique procède paradoxalement de la supercherie, de la tromperie, du leurre. En

ce qu’il ne s’appuie, dans la nature ni au dehors de lui-même, sur aucune correspondance, aucune complicité, aucun modèle. »

Karine Saporta, chorégraphe, in vertiges du regard pour une utopie de la représentation, colloque à Châteauvallon autour d’Edgar Morin, Toulon, 1995

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Dans « l’Orestie », se sont des imbrications et des « désimbrications » de chambres qui permettent une infinie succession de lieux.

Par ailleurs, les matériaux métalliques ou dorés permettent un éblouissement propice aux changements. D’un côté, la tôle ondulée éclairée par des latéraux floutent les

décors en mouvement et fait scintiller les façades, de l’autre, le public est ébloui par les apparitions d’immenses façades dorées qui arrivent dans la lumière. Un effet blinder 11se crée, vécu, par le public, comme une rupture dans le cerveau et la vision, donc comme un renversement dramaturgique. Dans « l’enfant et la nuit » une rampe de svobodas éblouit les spectateurs pour le final, mieux que la descente d’un rideau, la forte luminosité marque ici une sorte d’illumination de l’esprit, une quête atteinte de la vérité.

Les changements sont marqués par le scintillement, ils se vivent comme quelque chose

d’immatériel, de couplé au rythme, ils sont stimulateurs de l’émotion. Et finalement, contrairement aux pièces de Joël Pommerat auxquelles on pourrait rapprocher les illusions visuelles, Weitz n’utilise pas l’éclairage comme artifice, ou peu. L’éclairage est plutôt général ou par zone mais il est rarement trompeur, c’est le matériau scénographique qui l’est, trompeur, et pour cela, Weitz travaille peut être plus l’ombre que la lumière, plus justement, l’obscurité et l’action qui consiste à en sortir. C’est la question de ce que l’on montre et de ce que l’on dissimule ; l’une n’ayant de raison d’être que parce que l’autre l’efface ; une tension perpétuelle entre le vu et le caché, qui est au centres des pièces de Py et de Weitz.

Que ce soit des levers ou des tombers de rideau rouges, l’apparition derrière le velours de structures dorées reste une habitude à laquelle on prend toujours plaisir. Dans « le soulier de satin », c’est un tomber qui laisse apparaitre un château doré tout droit

sorti du théâtre d’entresort, au son d’une chanson a cappella.

11 Un effet blinder est un effet lumineux théâtral qui consiste à éblouir le public volontairement. Il est réalisé avec des rampes de projecteurs de type PAR (svobodas, ACL…)

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Dans « Les contes de Grimm », le tomber de rideau laisse aussi place à un château doré qu’on voit tourner sur lui-même, poussé par un « homme en noir », au son d’une chanson également a cappella. Les façades dorées sont aussi castelets de marionnette, et ce clin d’œil crée un pont philosophique avec les personnages qui tentent souvent d’échapper à leurs destins. Ils renvoient aussi directement le spectateur dans son rapport frontal, en deux dimensions,

contrairement à l’univers circulaire des décors qui virevoltent. Le passage de guignol de « La Jeune fille, le diable et le moulin » rappelle le souhait d’un théâtre populaire, l’usage de marionnettes en 2D pour évoquer la mer et ses créatures dans « le soulier de Satin » annonce le passage burlesque en ombre chinoise ou le comédien se voit remplacé par une silhouette de carton puis pendu. Le principe en 2D de l’ombre chinoise est ici complètement assumé voire même tourné en dérision. Il ne s’agit pas de tromper le spectateur mais de l’inclure dans le processus de l’illusion, le mettre de connivence avec les personnages de la pièce. Une même connivence, visuelle cette fois-ci, est créée par l’usage de miroirs. Voir Annexe 4 Miroirs déformants dans « Epitres… » où une fois installée, l’assistance fait face à l’assistance déformée dans un rideau de scène en panneaux dorés.

Miroirs sans tain dans « l’enfant et la nuit » qui permet un jeu sur les faces psychologiques des personnages, et enfin, miroirs inclinés à 45° qui, tout en trompant la perspective d’un décor, révèlent aussi le dos des personnages en même temps qu’on voit leurs visages. Un principe de déstabilisation psychique et visuelle, troublant le spectateur. Tous les ingrédients du trompe l’œil sont utilisés, même la doublure, quand au lieu d’une personne il y’en a souvent deux. Dans « le soulier de satin » par exemple, on voit dépasser d’un castelet les pieds d’un comédien qui est en fait maintenu en équilibre par un «homme en noir » caché, lui permettant de maintenir son équilibre assez longtemps. De même que le comédien qui s’avance debout sur une boule toute dorée tel un équilibriste sur le globe terrestre n’est pas un vrai équilibriste, mais est assisté de trois « hommes en

noir » qui guident et stabilisent la trajectoire de la boule. L’effet, vu de la salle, est blu ffant, et ce n’est que la captation vidéo du spectacle qui révèle l’envers du décor. Entre les duos de clowns, de mimes, de danse, il n’y a pas que le décor qui aff iche son côté forain et le jeu des comédiens mérite aussi une étude sur les influences qu’ils reçoivent des arts forains et du cirque. Le processus de création du décor, mais aussi des personnages, passe par tous les artifices imaginables et le costume et le maquillage, signés également par Pierre André Weitz, sont l’atout principal du jeu d’acteur.

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c/ incarnation et admiration, l’art des masques

C’est Michel Fau, l’acteur fétiche d’Olivier Py, qui le dit 12: « le déguisement, le

grimage c’est le théâtre. Parce qu’on est resté des enfants, avec Olivier Py, on aime bien la théâtralité, les excès, les choses lyriques et les choses burlesques, métaphysiques, les choses radicales ». Et cette expression n’a jamais été aussi vraie qu’au moment de se pencher sur la

relation aux arts forains des personnages de Py, habillés et maquillés par Weitz. Le cirque, entre autres, a révélé à l’acteur de théâtre l’importance du corps en tant qu’instrument expressif en soi. L’excentricité, le dynamisme effrayant, les fantaisies, les énormes brutalités, la tension, l’énergie

spectaculaire sont autant de caractères circassiens (et de l’imaginaire qu’il nourrit) qui ont glissé vers le théâtre. Les arts forains, depuis toujours, se

jouent des carcans et des interdits et légitiment le corps non stérilisé. Un corps loin des tabous et de la marchandise qui, en projetant sans honte ni retenue ses débordements, atteint presque la « dignité du signe »13. Olivier Py et Pierre-André Weitz travaillent les personnages avec une franchise grave.

Ils partent du corps de l’acteur, de sa personnalité pour créer le personnage, exactement à la manière du clown. C’est l’avantage qu’ils ont à travailler avec les mêmes comédiens depuis plusieurs années. Le travail personnel est important. Olivier Py le connaît.

Il a son propre personnage de cabaret, Miss Knife, présent dès sa première pièce en 1992 à Bussang14, l’année de sa rencontre avec Weitz. Il a ensuite deux fois monté une pièce éponyme et se retrouve parfois sur les planches, comme dans « Illusions comiques » où il joue le rôle du poète, sans parler de ses expériences cinématographiques. Pierre-André Weitz, qui se donne lui même le surnom de Pierrot Weitz, est plus musicien que comédien. Il est souvent le trompettiste ou tubiste de l’orchestre, de rouge et or vêtu mais il joue aussi le bourreau dans « Illusions comiques ». Etre sous les projecteurs est fondamental pour qui créé pour la scène, il s’agit de comprendre le corps, le mouvement, le temps et l’espace de l’acteur pour mieux créer pour lui. Les deux compères s’enfarinent donc le visage à la moindre occasion avec un plaisir juvénile. Tous les comédiens d’Olivier Py s’enfarinent le visage, c’est une religion, c’est une façon d’être. Voir Annexe 5

12 Sur France Inter le 4 août 2011, dans l’émission de Laurence Peuron L'été comme je suis avec Philippe Torreton et Michel Fau. 13 Comme l’évoque Antonin Artaud dans « Théâtre de la Cruauté » 1932 14 « La nuit au cirque », 1992

« Parce que pour chacun de nous, il y a une blessure discrète, un amour mal fini, un malheur

profond qui ne blanchit pas, une faute originelle, dérisoire mais inavouable, un chagrin sans bord, un scrupuleux dégout de soi, enfin le lot de tous,

infirmité, disgrâce, bégaiement et la paresse, nous sommes venus un à un à ce champ de foire,

mouiller aux limbes des coulisses et des grimaces. Le masque est notre croix, le masque est notre salut »

La clownesse d’une nuit au cirque. Texte de Py.

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C’est à partir du second empire que les clowns se blanchissent le visage et tracent ce sourcil noir, la signature, de forme et d’épaisseur variables que chaque clown s’ingénie à personnaliser pour en faire une marque distinctive. Le maquillage de l’Auguste est fondé sur la caricature, il part de la réalité de son visage et la transforme pour l’amener à un état qui inspire la sympathie et facilite l’installa tion de la joie dans le public. Le visage de l’Auguste n’est pas conçu pour faire rire mais pour accompagner

la silhouette et le jeu. Chez Py, les visages sont exagérés et les expressions dessinées ou aplaties par les teintes qu’on lui connaît : le rose et l’or souligné de noir et de rouge. C’est la même quête d’incarnation universelle que celle des masques de la tragédie grecque, que celle du masque tout court. Alors difficile de parler des clowns et des pièces d’Olivier Py sans évoquer Michel Fau, l’acteur avec qui il partage bon nombre d’affiches. Hormis les performances médiatiques et polémiques qu’on lui connaît, Michel Fau n’hésite pas à se travestir, s’amuse des rôles au sein d’une même pièce. Il est M. Loyal, puis on le retrouve à la fin dans un rôle de cantatrice portant le corset et la robe à cerceau à merveilles. Michel Fau qui réalise une belle démonstration de sur-jeu et d’excès contrôlé est un véritable clown, maniant le jeu, le travestissement et la rhétorique

comme les plus grands clowns de l’histoire. Mais jamais il n’est ridicule ; aucun des personnages de Py n’est ridicule par son apparence ou son jeu si ce n’est pas voulu. Parce que c’est le fruit d’un long mûrissement de soi même qui fait le personnage et le clown. Et il faut se connaître et avoir du recul sur soi pour être capable de faire sa propre caricature et savoir repérer les traits de personnalité qui transparaissent dans la physionomie, en relever les défauts essentiels pour les accentuer. Etre un bon personnage chez Py, c’est parvenir à la fois à livrer son âme à travers son apparence physique et à être toujours drôle mais jamais risible.

Mais s’il y a l’enfarinement et le jeu sur les physionomies, il y a aussi, dans la

composition d’un personnage, le jeu sur les archétypes, détournant les principes, se travestissant souvent. Et c’est souvent de là que naît l’admiration, devant les corps embellis, les strass et les paillettes, il y a tout un processus d’incarnation sociale ou animale, incarnation de nos pulsions, qui transparaît au-delà des masques et des faux-cils.

On sent le travail du corps dans la composition du jeu et du costume, dans l’attitude des comédiens sur scène. Ordinaire dans sa physionomie, extraordinaire dans ses possibles ; c’est un corps qui laisse surgir le refoulé, le non-dit, qui touche des zones interdites par la société. C’est pourquoi Olivier Py ose. Il n’y a que dans un « soulier de satin » dirigé par Py et Weitz que l’on peut trouver une Joséphine Baker un peu Schtroumpfette sous l’œil d’un napolitain qui en perd son latin. C’est une œuvre qui joue sur les stéréotypes et les archétypes et où l’on sent que les deux qui chapeautent le projet se sont amusés. On a cette antillaise bien en chair, peinte en bleu de la tête au pied et décomplexée, un peu sorcière, le napolitain charmeur et comploteur, les tragédiennes opprimées… On est en plein dans le code et la convention.

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Un peu à la manière de la commedia dell’arte, qui expose un panel de personnages affublés de bonnets, d’excroissances corporelles et de maquillage grotesques pour mieux les reconnaitre, les personnages de Weitz suivent un code et une trame esthétique entre cynisme et grotesque mais toujours partant du corps réel de l’acteur. On retrouve dans toutes les pièces un panel de figures connues. Il y a les princesses, le

diable, les bonnes, les poètes ou rêveurs, les enfants, le monsieur tout le monde, les filles de joie… Malgré leurs visages traditionnellement peints au blanc de clown et au blush rougeoyant, ils se veulent tour à tour sympathiques ou tyranniques. Dans d’autres pièces, on trouve aussi les figures du quotidien, connues pour certaines, ici sans travestissements mais dans un complet gris neutre, un carton autour du cou, se présentent tour à tour le rabat-joie, le responsable culturel, le directeur de théâtre, l’audimat, le ministre de la communication, le philosophe ou tout simplement « celui qu’on attend ». voir Annexe 6 Et puis il a ce rapport à la nudité. Disons que ce n’est pas un rapport puisqu’elle est là dans sa simplicité, dans sa nécessité, sans qu’on la voit venir ou disparaître ou dans sa provocation – comme dans Epitre… où le

poète avant de montrer ces fesses (suivra le corps entier) s’exclame « ce n’est pas rien les fesses du poète. C’est ce qu’on réclame, la présence de son obscénité. » La nudité n’est plus un tabou ; faisant un pied de nez à la bienséance et au puritanisme, les corps, habillés et déshabillés, affichent leur plénitude. Dans « les contes d’Hoffmann », la scène est sans cesse peuplée de danseurs nus, hommes et femmes, qui semblent provenir du Crazy Horse, au milieu de ça, les solistes se retrouvent « nues » également, mais sous une combinaison trompeuse. Voir Annexe 7 C’est l’héritage du corps circassien et du corps cabaret, eux-mêmes hérités du corps athlétique. D’ailleurs, la préparation de l’acteur n’a jamais été aussi mise en scène que dans les arts

forains où les échauffements sont parfois publics, les loges à vue ou sur le parcours du spectateur, où l’on devine un clown qui se maquille dans sa caravane et un funambule qui s’échauffe avant de rentrer sous la toile d’un chapiteau. Dans « Epître… » et « Illusions Comiques », Olivier Py reprend ce concept de loge à vue et s’amuse de cette préparation de l’acteur. Le travestissement du comédien se fait en public, en direct, pendant que le comédien s’adresse au public. Il n’y a aucune supercherie, le masque est assumé. Il ne s’agit pas de tromper le spectateur ; nous sommes tous des humains, certains racontent juste des histoires de personnes à d’autres personnes et en s’habillant comme certaines autres personnes qu’ils ne sont pas.

Et si cette proximité des loges, que Py utilise esthétiquement et dramaturgiquement en les laissant à vue, était à la base une nécessité ? Ne serait-ce pas par souci de rythme et d’enchainement que les loges ont toujours cherchées à être au plus proche du chapiteau spectacle, créant ainsi un village de caravanes visibles depuis l’entrée public, laissant transparaître l’ébullition créative et l’adrénaline du spectacle aux regards curieux. Ne serait-elle pas juste une question de timing dans les enchaînements ?

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2/enchainements

a/Les éléphants ne sont jamais en retard

Revenons à cette anecdote racontée par Pierre-André Weitz à propos des éléphants du cirque Knie ; ces éléphants réglés comme des horloges qui n’ont même plus besoin qu’un dompteur vienne les chercher pour monter sur scène, puisque, seuls, ils se placent derrière le rideau, attendent le signal en jouant tranquillement avec les cailloux du terrain, et au

signal musical de leur entrée, traversent le rideau en troupeau structuré. Ils sont l’exemple de rigueur réglée sur le timing qu’a trouvé Pierre-André Weitz pour nous expliquer la discipline qui est propre au cirque, c’est-à-dire celle qui prévient du risque. L’association directe de la ponctualité à la sécurité ne semble pas hors contexte. Que cela soit pour les artistes comme pour les techniciens, la ponctualité est la clé d’un bon déroulement du spectacle, sans accident, sans contretemps. Au cirque tout est réglé, au spectacle tout est réglé et tout le monde se doit d’être à l’heure, même les éléphants. Le cirque est le monde de l’ordre parce que la sécurité y est essentielle pour tous. C’est l’héritage du sport de haut niveau, de la prévention corporelle, de la quête de la limite physique et mentale qui est sans doute la raison à tant de chronométrage.

Et là encore, est-ce une influence ou une évidence, mais le monde du spectacle, dans le sens le plus large, est devenu rigoureusement chronométré. Trois éléments interviennent à travers le mot « horaire » : il y a le professionnalisme, la loi et la règle. Tous les risques sont évalués et mesurés en amont d’un spectacle, dans les formes musicales peut être plus qu’ailleurs, et cela permet d’assurer la fluidité et la facilité d’exécution des artistes. Mais avant cela, les artistes ont répétés inlassablement leurs faits et gestes, en prenant en compte chaque élément du décor, chaque piège que peut contenir la machinerie, le décor, le costume et la musique. Il y a finalement moins de place à l’improvisation au cirque et à l’opéra qu’au théâtre, parce que la virtuosité engendre un travail permanent à la limite de des possibles. Et travailler toujours à ses limites de soi nécessite une grande concentration

physique et mentale. Un écart peu être fatal. Les artistes de cirque, d’opéra et autres virtuoses réagissent en praticiens professionnels ayant à vivre chaque jour des situations de risques, et non comme des casse-cous.

Cette sérénité dans le risque et la limite passe par une connaissance parfaite des entités qui agissent simultanément sur le plateau, les autres artistes, les techniciens dans l’ombre, mais aussi la connaissance, et la confiance extrême, dans le décor, la machinerie, le costume… Combien de fois un artiste sort déçu de sa scène parce que son costume à craqué et qu’il a été déstabilisé pour le reste de sa performance, où que le talon aiguille s’est enfoncé dans la marche de l’escalier… Au cirque, un technicien n’a généralement pas à installer les agrès, c’est l’artiste lui-même qui le fait. C’est une question de confiance, mais surtout une question de connaissance profonde, de fusion totale et de sécurité avec l’agrès. Au théâtre on voit de plus en plus les comédiens installer leur propre décor, comme chez Py où c’est devenu presque une habitude. Les escaliers et échafaudages sont « machinés », mis en place, par les comédiens,

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puis ils les escaladent ; c’est une garantie de vitalité et d’effectivité des changements de plateau. Les enchaînements font ainsi partie du spectacle, à peine se remarquent-ils d’un bout à l’autre d’une pièce. La confiance est une histoire de rigueur.

b/ des agrès qui se transforment en machine à jouer

L’agrès existe rarement seul, il est souvent accompagné d’un dispositif de sécurité,

quand il ne le prend pas en compte dès sa conception dans sa forme essentielle. L’évolution du rôle de l’agrès, au cirque, vient du rôle dramaturgique qui lui est procuré au fil

de l‘histoire et grâce à la transposition de l’élément sécurité en éléments esthétique et temporel.

La protection généralisée (filet, longe..) a fait évoluer les disciplines aériennes au cirque, sans la longe de sécurité, les numéros de trapèze ballant et de cadre aérien

n’auraient pas progressé et sans le filet, le trapèze volant s’exécuterait toujours à petite hauteur et avec un matelas de protection. Piotr Maïstrenko utilise en 1972 pour la première fois à Moscou15, le filet non seulement comme protection mais surtout comme lieu scénique. Il utilise le matériel pour améliorer le jeu scénique, comme performance mais aussi comme impact dramaturgique. Dans le numéro des Borzovi, en 1993, le montage du filet et l’élévation des plates-formes d’où partent les voltigeurs devient même un grand moment de théâtralité. Au théâtre, l’évolution a été à peu près la même. Les éléments sécuritaires et constructifs ont été peu à peu assumés. Olivier Py use par exemple de l’usage de la servante. Et rappelons qu’une servante, dans le jargon théâtral, est une ampoule simple sur un pied d’environ 1m50 qui est positionnée au milieu du plateau la nuit pour assurer un minimum de luminosité et éviter à toutes

personnes s’aventurant dans l’obscurité de se prendre les pieds dans un élément du décor présent sur le plateau ou du montage en cours. C’est d’abord une question de sécurité, Weitz en a fait un élément scénographique clé. Ce n’est pas pour autant que la convention disparaît, un trapèze reste un trapèze comme un escalier reste un escalier, seulement le sens et le propos peuvent changer, en ça réside la magie d’un spectacle, il faut réussir à travailler la routine pour la dépasser. Au commencement du « Soulier de satin », deux comédiens grimpent en rythme chacun sur leur mât respectif, tels des acrobates rejoignant leur plate-forme, ils ne sont pas encore dans la lumière mais qui veut les voir les voit. Arrivés en haut, ils embouchent chacun leur trompette et lance le départ, dans un « roulement de trompette ». C’est un peu de la convention foraine détournée, et les décors apparaissent comme des agrès camouflés.

Ensuite surgira une roue dorée immense qui ne s’arrêtera de tourner qu’une fois dans l’obscurité, quand l’éclat des étoiles dorées qui la jonchent disparaitra à son tour laissant place à un Monsieur Loyal hors norme.

15 dans son numéro Les cigognes, Studio de Moscou, 1972

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Plus loin dans le spectacle, c’est une boule d’équilibriste toute dorée surgissant du demi-fond et s’avançant depuis le lointain, où l’acteur semble familier à cette mise en équilibre. Voir Annexe 08

Mais ce que Weitz et Py ont surtout retenu des arts de la piste, c’est la

tridimensionnalité du décor, l’aspect modulaire et mobile, proche de l’agrès, qui va et vient de l’ombre à la lumière et accompagne l’acteur.

Il y a la magie de l’installation, cette théâtralité de la technique ou de la non-technique, même quand la volonté est celle du « tout-magique », on voit ce qui se passe sur le plateau. C’est finalement un spectacle à trois dimensions autour duquel on peut tourner

et qui ne peut rien nous cacher. Et il y a toujours la volonté d’être authentiquement technique.

Installation des Vainqueurs, Théâtre du Rond Point

Pour de nombreuses raisons qui relèvent de la tradition et des règles du genre mais aussi des impératifs de sécurité, le spectacle de cirque est fortement ritualisé et laisse peu de place à l’improvisation. Le spectateur est dans la situation d’un lecteur d’un quotidien auquel il est habitué. Il attend une forme qu’il connaît, des agrès et des disciplines qu’il connaît et se demande ce que ceux-ci lui réservent comme surprises. La forme, parce qu’elle est toujours identique, procure un confort au spectateur et le plaisir du public vient

finalement de la ritualisation couplée à l’imprévisibilité. Donc si les scénographies de Py et Weitz peuvent parfois paraître identiques, on peut y trouver cette volonté de confort du public, ou le souhait d’aller épurer le sens des agrès que sont les escaliers et échafaudages en les exploitant dans tous leurs possibles et contextes. En retrouvant les mêmes volumes suivant les années, qui servent des propos différents, s’adaptent et « passent partout », on atteint une certaine magie de la répétition. Exactement de la même manière qu’un numéro de trapèze n’est jamais identique selon l’acrobate, selon le contexte, selon le propos ; les scénographies de Weitz adoptent chacune une posture différente suivant les spectacles.

On prend plaisir par exemple à voir valser les escaliers au rythme de la musique, c’est

le changement de plateau traditionnel des « contes de Grimm » ; mieux qu’un lever de rideau, mieux qu’un noir, c’est une valse. On s’amuse de voir s’imbriquer et se « désimbriquer » les échafaudages de « l’Orestie » avec toujours des nouvelles combinaisons. Et si l’on prend le fameux mur doré qu’on pense avoir vu et compris depuis les spectacles, on est étonné de le voir tomber à la fin d’ « Epître aux jeunes acteurs » laissant apparaître la figure grotesque d’un cochon boxeur. Tout à coup on aperçoit au grand jour l’arrière du châssis, les mouchoirs, le marquage, les béquilles et on prend conscience que finalement ce mur doré fascinant est comme les

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autres. En revanche, l’escalier noir habituel qui devient doré d’un seul geste joue sur cette magie provoquée par l’imprévu et la surprise.

Au sein d’un même spectacle, la répétition des mouvements de plusieurs blocs d’escaliers ou leur mouvement rotatif, bref, le mouvement auquel s’attend le spectateur, est là pour mieux le surprendre au moment voulu, par l’imprévu. Il place le spectateur dans ce confort intellectuel qui est plus facile à déstabiliser. Le décor est acteur dramaturgique.

Il devient, plus qu’une machine à jouer, un personnage en soi, se construisant et se déconstruisant devant les yeux du public. La machinerie prend toute son importance, comme dans « Le soulier de satin » par exemple où le décor semble vivant tellement il se transforme et évolue. Le décor devient donc agrès quand il dépasse sa fonction de simple décor, quand il devient une contrainte avec ses limites propres, et qu’il se met à modéliser l’espace en y créant un avant et un après. Le corps et le jeu des acteurs sont contraints d’évoluer pour mieux lui répondre et, comme l’explique Pascal Jacob16, le geste est prolongé ou détourné. L’agrès calligraphie la performance, brise les lignes et structure l’espace, s’attribue un fort rôle esthétique mais également dramaturgique. Un des blocs d’escaliers du « Soulier de satin » se retrouve, par exemple, stocké au lointain

faisant face au public. Il positionne d’un coup la salle, en composant avec les deux blocs escaliers présents à Cour et Jardin, comme le quatrième coté d’un dispositif circulaire ; prenant, de fait, le public à témoin, surtout quand cet escalier devenu gradin se remplit d’un chœur de dix personnes. Enfin, dans la « dramaturgisation » de l’agrès, il y a, comme évoqué plus haut par Maïstrenko, le fait que le public est souvent témoin de son installation. La technicité et la rapidité d’installation crée alors la fascination, véritable terreau des émotions à venir. Même si point de tire-fort, de sangles où de filet, le fait de voir une petite cohorte de techniciens vêtus de noir surgir des coulisses et s’activer autour d’un module pour le faire bouger, crée une petite jubilation en plaçant le spectateur dans le secret. Complice donc

attentif. Comme dit plus haut, parfois c’est le comédien lui-même qui installe son propre agrès. Et le même rituel s’impose : le public se retrouve face à cet objet magnifique, qui s'immobilise, se déploie, se replie et disparait en une série d'actions mécaniques et manipulatrices. Les mouvements sont rythmés et coordonnés, planifiés et au tempo, régis par le rythme et la vitalité d’un changement à vue, d’un précipité.

16 « D’un agrès à l’autre » dans Cirque à l’œuvre, le CNAC, sous la direction de Gwénola David, Editions Textuel, 2011, 160p

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c/ la structure en numéros - rapidité, vitalité, effectivité « Entrez vite, sortez lentement…et juste avant de sortir, hop, un petit coup de talons pour appeler les

applaudissements » Michel Fau en professeur d’art dramatique dans « Illusions Comiques »

Pour Claudine Amiard-Chevrel17 l’apport circassien permet, en réhabilitant les potentialités de l’acteur polyvalent, de rejeter ce qu’elle appelle « la dictature du texte » et de promouvoir, dans un espace transformé, la « réimplantation du rythme dans toutes ces possibilités ». Alors, chez Py, si la structure en numéros des spectacles ne se distingue pas tout le temps, l’énergie repose néanmoins sur le même principe de surprise et se distingue sans doute plus dans la scénographie que dans le jeu, quoi que le texte soit aussi vecteur de rythme.

Pour Weitz, les changements se font à vue, ils font partie du spectacle. Un

changement de décor c’est un changement émotionnel, un passage, une évolution dramaturgique et personnelle, pour le personnage, mais aussi pour le spectateur. Il est important de rythmer et séquencer les pièces, de marquer les étapes de progression,

pour cela, l’interaction entre le texte et le décor est nécessaire, l’un faisant respirer l’autre. Travailler un spectacle, surtout les spectacles longs auxquels s’attaquent Olivier Py, c’est un peu travailler les flux de l’humain et du décor. Il s’agit de la canalisation des flux respiratoires, hormonaux, sanguins qui crée l’esthétique, c’est-à-dire aussi la signification sociale. Et notre respiration, parce que rythmée, est notre première expérience du temps. L’artiste, en la manipulant, transforme notre sensation temporelle et crée un autre temps, c’est ainsi que la scénographie participe pleinement à l’expression du temps. Claudel, dans « mes idées sur le théâtre », évoque l’importance d’interpréter les actions scéniques avec une très grande rapidité et souplesse pour avoir une suggestion des lieux suffisamment légère et pouvoir passer vite d’un endroit à un autre. C’est un peu l’idée de simultanéité scénographique. Trouver le point de légèreté et d’interprétation juste pour gérer les changements et les successions de lieux comme une

continuité du texte, en ne brisant aucune dynamique. Le recours à l’éclairage est, dans cette pratique, souvent primordial.

On le voit bien dans « les contes de Grimm », l’éclairage –voire plutôt l’obscurité- permet l’apparition mystérieuse d’un décor, la transition, la rotation semi -révélée, en douceur. C’est une découverte visuelle qui se fait au fur et à mesure que le décor entre dans la lumière : mais le décor était déjà la, il ne traverse aucun rideau, c’est la lumière qui fait la zone de jeu et c’est l’entrée dans l’aire de jeu qui importe. Tout comme un agrès présent sur la piste depuis le début, mais ignoré, ou auquel personne n’a porté d’importance, puisque dans l’obscurité ; ou encore les cadres aériens et trapèzes stockés dans les cintres à la vue de tous mais qui attendent patiemment leur tour et leur mise en place. L’entrée dans la lumière, souvent couplée d’une entrée en musique chez Py comme au cirque, est reçue comme le signal d’attention, et le public respecte cette attente conventionnelle. 17 Le cirque au-delà du cercle, revue Art press, n°20 spécial, 1999

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A contrario, Py et Weitz s’amusent parfois des changements dans les noirs, revenant à la pratique traditionnelle théâtrale ou à celle du music-hall. Mais les costumes pailletés des machinos ne cherchent jamais à cacher l’agitation qui se fait sur le plateau. La magie n’en est pas moins réduite quand s’allume le plein-feu.

Ils exploitent également le lever de rideau, ou plutôt le lâcher de rideau. Le changement de plateau du « Soulier de Satin », qui voit un rideau rouge tomber en volant

alors que la façade dorée recule doucement, emportant avec elle l’actrice chantant a capella dans la nuit. Il s’agit toujours d’un décor poussé par les machinistes, parfois en noir – dans « Illusions comiques » ou « le soulier de satin » – parfois en rouge et or – dans « les contes de Grimm » – et parfois l’absence de techniciens comme dans « Epître aux jeunes acteurs » où l’acteur pousse lui-même son escalier.

Au-delà du décor, l’énergie de la structure en numéros se ressent dans la dramaturgie même des œuvres de Py et dans leurs textes. Dans « le soulier de satin » par exemple, on observe comme une succession de numéros, de duos lyriques qui durent parfois jusqu'à quarante minute chacun mais il y a cette structure de successions de personnages, de micro performances chantées ou parlées qui créent un

tout propre à Claudel, un tout qui dure onze heures. Nous pouvons citer le duo de mime des voleurs chinois, le duo de clown rouge et vert et le quatuor de clowns naufragés, le numéro de la danseuse bleue parmi les plus marquants. On a ici une belle démonstration de l’influence du cabaret qui se fonde et se justifie sur le principe de la variété. Le spectacle doit « saisir » le public, abolissant le temps ou agissant sur des temps courts, jonglant entre tensions et relâchements, effroi et ravissement. Il s’agit d’un crescendo d’émotions et de difficultés qui s’appuient sur la technique, l’académisme et les ressorts dramatiques. On trouve un peu de la tragédie classique et du conte dans chaque numéro en cela qu’il y a pour commencer une exposition (des faits, des personnages), une ou des actions puis un dénouement.

La vitalité de la succession de « micro saynètes », de revues, de numéros augmente la vitalité et la densité du personnage et son imaginaire. Cette construction dramaturgique multiplie les surprises et il ne faut pas chercher l’harmonie, mais plutôt cogner les numéros les uns contre les autres, assumer le fait qu’ils soient comme un zoom sur une mini-société. Par exemple, dans « Illusions comiques », on voit tour à tour le marchand de mode et sa veste à paillettes, la mère du poète vêtue de rouge vif, le maire de Paris… entrer telles des stars, au son de la trompette, au travers d’un cadre de lumière formé par les « tubes fluos ». C’est alors plus d’enthousiasme collectif qu’il faut parler plutôt que d’exhibitionnisme de

La structure du conte : la première phase définit

la nature du numéro et montre au public de quoi l’artiste est capable, c’est l’épreuve qualifiante ;

la deuxième phase confirme la valeur de l’artiste face a un premier risque, c’est l’épreuve décisive ; la troisième phase consacre le triomphe du

héros qu’est devenu l’artiste, c’est l’épreuve glorifiante. Mythologie du conte, Vladimir Propp

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performances individuelles. Chez Py, les numéros sont plus proches des dites « petites formes » de cirque contemporain, c’est-à-dire des prestations de quarante à cinquante minutes chacune qui se succèdent naturellement et s’imbriquent. Cela donne d’une part les spectacles courts de Py comme « les contes de Grimm » pris séparément – mais fonctionnant en trilogie , et là aussi il est intéressant d’y voir une cohérence dramatique et esthétique même si les spectacles sont séparés par des entractes

et des billets sans retour- et d’autres part les œuvres de plus de six heures comme « la servante », « illusions comiques » ou « le soulier de satin » où le public garde sa concentration – ou la retrouve- grâce aux séquences de 50 minutes du spectacles.

Les enchainements de numéros ne sont plus additionnels, linéaires, mécaniques ou répétitifs, par les divers registres (tragique, burlesque, politique, onirique, philosophique, trivial…), il s’agit de créer une cohérence d’ensemble qui ne passe pas pour autant par l’unification des numéros ou la conformité. Chez Olivier Py, c’est un principe plutôt bipolaire. La structure et le tempo de ses spectacles alternent événements-actions et interludes-respirations vivifiants, lesquels reprennent au cirque la forme des numéros et aux baraques foraines celle de l’entresort. Il pense beaucoup ses respirations, aussi bien de mise en scène que de diction, c’est

pourquoi il dit s’être retrouvé chez Claudel qui n’utilise pas les alexandrins qui cassent la syntaxe française, mais qui crée un vers qui peut parfois faire quatre ou cinq alexandrins. La diction nécessite alors un travail de souffle énorme qui conditionne aussi le corps de l’acteur, et le mène à un état corporel induisant sur le spirituel qui ne se trouve ni avec la prose ni avec l’alexandrin. Le spectateur est alors plus attentif au souffle et à la respiration du texte, et il retient sa propre respiration intellectuelle plus longtemps.

Si l’on écoute la salle en plus du plateau, on se rend compte que ca applaudit parfois

après une chanson, après une scène…Quelque chose devenu rare au théâtre. Voir la salle réagir, remercier, exprimer son enchantement pendant un spectacle est la preuve que le public est ici à l’aise, sans complexe, et surtout tenu en haleine et attentif. Parce que Py et Weitz empruntent toujours plus d’ingrédients aux arts forains pour

maintenir le public, faire réagir et faire réfléchir, ils sont passés maîtres de l’adresse au public, directe ou indirecte, et ce, peut être par un ancrage permanent dans l’actualité.

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III/ provoquer le public « Ecoutez bien, ne toussez pas, et essayez de comprendre un peu. C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c'est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant, et c'est ce que vous ne

trouverez pas amusant qui est le plus drôle » Le soulier de satin, Paul Claudel

1/ Une adresse directe au public

a/ du bon dosage de la parole

Dans les années 1910-1920, les avant-gardes théâtrales souhaitent faire souffler, au sein des salles de théâtre (mais aussi dans d’autres lieux à investir ou construire, voire dans la

rue) l’air rafraichissant de la « vraie vie » ; d’où l’attirance pour l’indécence révolutionnaire des expressions populaires et la fascination pour les petites formes. Si au cirque c’est encore l’expression du corps qui passe avant celle de la parole , on voit néanmoins une progression dans la prise de parole des circassiens et au cabaret et music hall le verbe est depuis toujours la base de l’interpellation et de la prise à partie du public. La parole est cinglante et provocante, empreinte d’actualité et de perversion. Olivier Py possède cet amour du verbe, couplé à l’amour des paillettes, qui ajoute de la puissance métaphysique aux scènes de foires et caricatures. Le public est transpercé d’émotions provoquées à la fois par les sens et par la puissante

rhétorique des acteurs et leur spontanéité de jeu. On ressent dans les scénographies cette même transcendance du texte et de l’émotion pulsionnelle. Souvent identifiables et basiques, les éléments scénographiques ont un caractère universel, on peut s’arrêter là où y chercher une interprétation personnelle, y chercher ses propres significations au fond de soi. Chacun crée son message avec les éléments de décor que Pierre-André Weitz met à disposition sur le plateau, les comédiens en proposent une interprétation, libre à chacun de s’en faire une autre. C’est cette liberté qui trouve un écho auprès des populations les plus hétérogènes (de l’intellectuel branché au jeune marginal) qui ne sont pas concernés par les paillettes et le kitsch du cirque commercial et qui sont là, conquis par une poétique sans fard, entre primitivisme et sophistication.

Chacun vient chercher ses réponses aux grandes questions de l’humanité (justice, peur, amour, mort, risque). Chez Py, comme au cirque, les représentations de l’esprit sont les représentations collectives de l’esprit (nous ne parlons pas d’esprit collectif mais de représentation collective de l’esprit) et, pour reprendre l’expression de Serge Moscovici18 elles sont « une passerelle entre le monde individuel et le monde social ». Elles permettent à

18 « Des représentations collectives aux représentations sociales »-in ‘Les représentations sociales’ PUF ; 1997

« Ce nerf de la comédie, chassé du théâtre par notre naturalisme ; l’acteur n’a plus le droit de

répondre joyeusement à la voix du spectateur. Or, c’est dans leur dialogue qu’est la vie du théâtre, maintenant réfugiée au cirque »

Serge Radlov, 1918

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chacun de se construire dans les interactions entre particulier et collectif, de l’individu à la société.

Les mots jouent ce même rôle, lorsqu’ils sont identifiés, ils deviennent des signes sociaux dont l’emploi est à la fois un moyen d’affirmer son appartenance à un groupe social,

voire à une classe sociale, et de se faire reconnaitre par celle-ci. Ils sont aussi la caractérisation d’un imaginaire collectif et d’une représentation sociale, et enfin ils sont un bon moyen d’endoctriner, de manipuler, de générer des automatismes et des stéréotypes, bref, comme le dit Hugues Hottier19, « de porter atteinte à l’intelligence pour mieux assurer le pouvoir d’un petit nombre sur les masses et les foules. » Et parce que la représentation sociale est un imaginaire collectif, elle relève d’une symbolique précise : la langue, les rituels et le socle idéologique social qui constitue souvent les outils d’une mise en scène des représentations sociales. C’est le travail de caricature, où Michel Fau excelle, et qui, en exerçant des pirouettes didactiques et futiles, compose des rôles qui se basent sur les vérités devenues indiscutables dans les esprits, notre prêt-à-penser, et qui sollicite moins notre intelligence que nos

émotions. Le dramaturge libanais Mounir Basri définit le théâtre comme étant « le moyen d’éducation qui se présente sous la forme du divertissement. » On peut attribuer aux pièces de Py le rôle de divertissement, au sens où ils procurent aux spectateurs des émotions simples, qui font écho en eux, par l’esthétique et le verbe ; mais Py va plus loin pour qui est prédisposé à le suivre dans le texte. « Les contes de Grimm », par exemple, sont des contes de la résilience, c'est-à-dire qu’un personnage, souvent jeune, vit un traumatisme qui métaphorise une violence sociale et/ou physique, et d’un coup, ce sont toutes les violences faîtes à l’enfant qu’on retrouve dans les contes. Dans une langue très synthétique, proche du synopsis, donc accessible, on arrive au moment où l’enfant survit et parvient à se construire sur sa souffrance, à en tirer même une richesse.

C’est le sujet de presque tous les contes, l’homme n’affronte pas l’homme, mais s’affronte lui-même pour se grandir, triompher des barrières que la nature lui a dressées et pour vaincre les obstacles que la vie sociale a mis sur son chemin. C’est le propre aussi des artistes forains, faire transparaitre dans leurs corps, l’effort et les ravages du temps.

Dans « les contes de Grimm », il y a des choses beaucoup plus intimes, si graves qu’elles ont besoin du masque du conte pour être transmises acceptablement.

Les enfants qui sont confrontés à la violence sexuelle, sociale, politique y trouvent des réponses ; parce que les contes parlent de tous les grands traumatismes de la société, de toutes les angoisses. Ce sont des contes angoissés mais ils se terminent toujours par de l’espoir. Par exemple, la jeune fille (in « la jeune fille, le diable, le moulin ») a un rapport traumatique avec le père, tout est pervertit, impossible. Il y a là une métaphore sexuelle évidente, c’est la violence faite à l’enfant. Ce discours sur la violence, Py y tient. C’est ce qui l’intéresse chez les Grimm.

19 Hugues Hottier, l’imaginaire du cirque, 279 p, L’harmattan, Coll. Arts de la piste et de la rue, 2003.

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L’existentialisme propre au danger, à la société, les grands thèmes qui sont ceux des arts forains. Au dix-septième siècle il n’y a aucune censure, sur

aucun sujet et aucune forme. Les Grimm osent la violence, l’absurde, le questionnement philosophique, la nature romantique qui se veut angoissante puis fantastique. Ils incarnent aussi la période où le paganisme et le christianisme faisaient bon ménage. A coté d’eux,

Andersen est trop sentimental et Perrault trop édulcoré. Mais Olivier Py ne voit chez les Grimm aucun risque que cette violence où ces thèmes soient mal perçus par le jeune public. Au fond, tous les caractéristiques sont là pour montrer que c’est un jeu, donc le risque que les enfants reproduisent ce qu’ils voient ou soient traumatisés est moindre. Les gens qui manient des armes à la télévision sont habillés comme Monsieur tout le monde, les militaires des films ressemblent à ceux du bulletin d’information.

Au cirque, et dans les pièces de Py, il y a un message implicite qui dit comment on doit traiter le message explicite, ici on donne des codes, ici on dit qu’on n’est pas dans le réel mais bien dans une représentation caricaturale du réel à laquelle on ne peut pas croire. Et bizarrement, les enfants le comprennent souvent plus vite que leurs parents.

Les mots ont ce pouvoir rassembleur et Py l’a bien compris. Ses pièces sont souvent à double lecture, elles font appel à l’intelligence tout comme à l’affect et aux sensations. C’est comme cela qu’elles attirent et conquièrent un large public, chacun peut y trouver le niveau de lecture et les réponses qui lui conviennent. Par ailleurs, la contagion sensorielle est une des caractéristiques de la communication interne aux publics des spectacles et prendre conscience de son voisin, quand on est public, c’est permettre au spectacle de prendre une impulsion singulière. Elle maintient l’énergie et la transmet aux comédiens, le plateau et la salle entrent en dialogue.

« On est bien mieux sans paroles et sans promesses. La

peau est saine, les pores sont frais, sans paroles et sans promesses on a les cheveux revitalisés, la thérapie bien fixée au plastron, les pilules stimulantes et le costume

est…sobre, sans exagération. Oh c’est bien…oui, bien. Sans paroles et sans

promesses. Pas obèse, et très chic. Et puis ont entend bien loin le texte qui ne dit rien.

Et on trouve les costumes beiges tellement plus…dramatiques.

Et le plateau est nu, comme il faut. Et la lumière…dessinée par un monsieur heu…un monsieur qu’on ne remercie pas assez. Il doit partir à

Tokyo, où il signe son opéra…vraiment fantastique. Un opéra, ça aussi c’est bien, parce qu’un chanteur c’est comme un footballeur, ça ne parle pas ; et depuis qu’ils

jouent naturel, l’opéra n’est plus ridicule, et il va très bien avec les attributs qui vont avec le salon.

Sans paroles et sans promesses on entend mieux le texte quine dit rien, et on voit mieux le vide qui est vraiment si beau…

Mais faîtes taire l’exégète des élégances ! » Le poète d’Epitre aux jeunes acteurs

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b/ l’influence du public sur le public - autostimulation

On dit souvent que le spectacle est dans la salle. Pour Py, avant de s’y situer, il s’y crée, avec souvent autant d’importance que sur le plateau. La nature et la forme de la salle créent les conditions d’une communication fondée sur le spectacle des émotions. Les spectateurs se voient et la moindre manifestation de sensibilité

est perçue de tous. Si Michel Corvin parle de cette influence du théâtre populaire qui apparait avec la disparition des balcons ; il faudrait voir si la disparition des balcons dans les salles n’a pas eu pour unique fin le mélange des classes – qui est là une caractéristique du cirque- mais si l’idée du public qui se voit n’était pas déjà le fondement du théâtre à l’italienne où la monstration et la démonstration s’observaient aussi bien dans la salle que sur le plateau. Les pauvres observent les riches bourgeois depuis leur poulailler, les imitent, les

caricaturent. Les riches observent les autres riches, les envient, réagissent à tel moment parce que telle autre personne du public à réagit. Le théâtre des faux semblants passant par la vue de tous, et n’oublions pas qu’à l’époque les salles restaient allumées pendant toute la durée des spectacles. Il y a donc finalement dans la disposition en balcons, un peu de se « voyeurisme » qui a évolué en « humanisme » et de la circulation libre des émotions dans

l‘assistance. La disposition en amphithéâtre, quand à elle, fait de chaque spectateur un élément dudit spectacle et sur le même piédestal. Le cirque implique ce rapport spécifique à l’assistance, le public se considère, chaque impulsion des comédiens se répercutent sur l’entourage et le vis-à-vis du spectateur. Quand « les contes de Grimm » se jouent dans la petite salle du Rond Point, est ce que le

spectacle aurait été le même s’il avait eu lieu dans la grande salle ? Au Théâtre du Rond Point, la grande salle a des fausses allures de chapiteau bois et le grand angle de la salle facilite cette considération de l’audience. Voir Annexe 09 Dans « Illusions comiques », Py y fait jouer des passages entiers dans l’assistance, un rang condamné à cet effet en plein milieu de la salle. Apparaît cette spécificité soudaine du 360°

pour les acteurs, qui se retrouvent à gérer le jeu comme au milieu d’une piste et à tournoyer tout en parlant. A l’odéon c’est le principe du vu et du être vu qui s’applique dans cette configuration à l’italienne on ne peut plus classique. Parfois, Olivier Py fait le choix des petites salles plus intimistes, la salle Roland Topor du Rond Point où c’est la jauge réduite et le fait d’être assis sur des banquettes qui créent un lien « autre » et une complicité toute propice aux effluves sentimentales et aux messages socialistes et humanistes. Il s’agit de faire vivre des œuvres humaines qui parlent de l’humain, du théâtre qui ne parle que du théâtre, comme le rappelle souvent Olivier Py. Souvent les comédiens ne sont pas pour rien dans le lien physique entre le plateau et la salle ; en franchissant la ligne du nez de scène, en s’aventurant dans les gradins ou en faisant leur entrée par ceux-ci, comme si quelqu’un du public se levait et intervenait ou encore, en brandissant une pancarte en carton sur laquelle est écrite leur situation sociale. Mais dans « le soulier de satin », les acteurs ne franchissent pas le nez de scène, ils parviennent néanmoins à renvoyer un miroir au public, en renvoyant en quelque sorte sa parole.

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Quand ils ne jouent plus, ils se positionnent sur des gradins en fond de scène et adoptent une posture de spectateurs. Par leurs réactions, ils jouent le rôle des chœurs antiques, et induisent directement la réaction du public, auquel il est ostensiblement montré. C’est en quelque sorte un décor vivant qui stimule l’émotion du public par un effet miroir.

c/ le sarcasme des clowns

La manifestation la plus évidente de la dramaturgie au cirque a toujours été l’art

clownesque, le clown a successivement fait rire et fait peur à des générations entières, à la fois fascinants et terrifiants de vérités. Les personnages de Py et de Weitz ont cela qu’ils sont un peu le miroir d’une société trop reconnaissable, et par là-même ils deviennent le miroir des spectateurs eux-mêmes. Par les allures et les jeux des acteurs, qu’on peut qualifier de clownesques, Py tire souvent

les ficelles des textes et manipule le public en sons sens. Métaphysique ou politique ? Puise-t-il son influence chez les clowns soviétiques ? Arrivés que tardivement en occident, ces derniers ont été une révélation pour la société occidentale. En 1956, Lazarenko, clown de l’après-révolution et ami de Maïakovski, pointe le bout de son nez sur lequel repose son air « intello ». Il est le lien entre le balagan, dont il était issu, et le théâtre d’avant-garde. La composition clownesque prend alors son envol du côté du théâtre engagé et politique, les clowns deviennent crédibles, ils se mettent à discuter, péremptoires et hautains, c’est l’ère du clown parleur, celui qui sera qualifié de fou furieux ou de dangereux anarchiste. Mais reste chez Py, l’influence du slapstick, qui évoque le comique de Charlie Chaplin qui part toujours de la bonne volonté pour se terminer en catastrophe, où le drôle c’est

l’inattendu. Ce comique de situation, on le voit dans certains personnages de Py comme le jardinier de la « Jeune fille, le diable et le moulin » qui prend, par ailleurs, tout à fait des airs d’auguste, suivant sa vielle définition, le paysan, le rustre, entêté mais non dépourvu d’une pointe d’astuce campagnarde. Mais attention, tous les clowns ne font pas rire. Les clowns le disent eux-mêmes, l’art du clown n’est pas fait pour les enfants, un peu comme les contes cauchemardesques que met en scène Olivier Py. C’est sans doute ce qui l’attire d’ailleurs, l’ambivalence et le masque qui cache une vérité écorchée. Les clowns sont trop réalistes et trop sarcastiques pour ne pas terroriser les plus jeunes, ils ont l’œil bien trop exercé pour voir le monde joyeux –pour paraphraser Claudel- et ce sont alors les jeux de facettes psychologiques qui composent parfois le personnage, un jeu plus

cruel que comique. Dans « les Vainqueurs », Py a imaginé pour Christophe Maltot, un double émerveillé mais terrifié par le pouvoir, pour Nâzim Boudjenah, il a vu un jeune premier romantique mais sombre. Il y a sans cesse cette complexité psychologique qui fait des personnages clownesques des rôles prédisposés à l’horreur.

Mais c’est un plaisir de l’âge mûr, il faut une grande maturité et on ne peut réellement être clown qu’après des années à observer les hommes. C’est un état permanent, une mentalité, une forme d’esprit tournée vers la dérision et l’humour qui est la

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dérision de soi. Elle se base donc dans la confiance en soi, le recul sur sa propre personnalité et celle des autres. C’est sans doute le travail avec des comédiens familiers à Py, une équipe soudée depuis les débuts, qui permettent aux personnages de Py et Weitz de prendre cette ampleur. Michel Fau, Philippe Girard, Elizabeth Mazev, Pierre-André Weitz… ont cette confiance et cet amusement communs. Ils savent se moquer d’eux-mêmes, et le metteur en scène n’échappe

pas à la règle. L’humour, le sarcasme, l’ironie c’est une façon d’être, et ce, tout au long du processus de création et d’écriture. Les ambiances créatives sur le plateau sont stimulées par les remarques plus ou moins cinglantes que les comédiens et le metteur en scène se font entre eux. Olivier Py parle, par exemple, de son désarroi quand les comédiens, avec qui il travaille depuis quinze ans, se moquent de lui quand il commence à parler de Dieu, de la politique. Mais il fait alors la distinction entre la moquerie et le rire sain, même quand lui veut être sérieux ou grave, ce sont des rires sains qu’il provoque, donc i ls sont néanmoins constructifs. Car il y a rire et rire, et Py explique cette nécessité qu’a la société de retrouver l’emploi du rire sain, du rire qui préfère l’absurde à la moquerie. Parce que, dit-il, depuis que le rire est devenu essentiellement télévisuel, le théâtre ayant quelque peu tourné le dos à la comédie, il est devenu l’apanage de la bêtise, de la

méchanceté et donne une image dégradante de la démocratie et souvent de l’homme en tant que tel. Olivier Py trouve urgent de renouer avec le fondement du rire, le rire du clown. Ensuite, le clown n’est pas, ne peut pas être, un intellectuel. Le monde des clowns n’est pas fermé aux intellectuels mais il est intouchable, inviolable, intransformable. C’est à l’intellectuel de se transformer pour entrer dans la peau du clown, pas l’inverse. Cela n’empêche pas les clowns d’user parfaitement de la rhétorique et des rythmes de l’échange. C’est ce qui leur permet d’acquérir une complicité marquante avec le public, de jouer cette partie à deux avec lui. Le rythme binaire est celui de la réplique, du tac au tac, de la vivacité et de la répartie, qui crée souvent des chutes cruelles et drôles à la fois. Le rythme ternaire est celui de la pédagogie et de l’éducation, donc de la relation maitre-

élève ou parent-enfant qu’incarne le duo clown-auguste. Il s’agit de donner confiance en lui à l’interlocuteur et de lui procurer des moyens de passer d’une attitude de dépendance à un comportement responsable. C’est l’avantage que trouve Olivier Py à faire des spectacles que les enfants peuvent voir, s’ils sont très exigeants, ils viennent néanmoins au théâtre pour se construire et ils sont très attentifs, réagissent franchement et spontanément et font preuve de beaucoup d’enthousiasme, c’est très porteur pour les comédiens. Le rythme ternaire est aussi celui du conte, mais dans le cas du clown, c’est une ascension inversée vers l’héroïsme. Dans les pièces de Py, justement, le clown prend la même pente que celle du conte, c'est-à-dire : l’épreuve qualifiante, l’épreuve décisive puis l’épreuve glorifiante. Il ne dégringole pas sinon qu’il élève dans la pensée son auditoire, accompagnant la réflexion. Il mène de la catastrophe à l’observation en passant par l’essai raté. Et dire d’une chose qu’elle est ratée c’est se baser sur une référence ; le comique clownesque part toujours d’une norme, et c’est l’écart par rapport à cette norme qui crée le

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rire de l’absurde. La norme intellectuelle est exprimée par la rationalité des explications du clown. Et parce qu’il n’est ni rationnel ni raisonnable, l’auguste pousse le raisonnement jusqu'à sa limite et il le fait avec d’autant plus d’efficacité qu’il s’appuie sur le rythme ternaire qui est celui des histoires drôles aussi bien que des syllogismes. Michel Fau, par exemple, est un vrai clown, pour lui tout n’est que masque. Dans « Illusions comiques », il prononce une phrase révélatrice : « on dit que j’en fais trop, mais c’est

l’humanité qui surjoue ! » Philippe Girard quant à lui est un maître de la rhétorique et ce dans un très bon français, c’est aussi très important d’être rigoureux dans la langue française pour être un bon clown ou un personnage jouant sur les mots.

Le timbre, le phrasé, le rythme, le débit sont des inducteurs physiques d’émotion.

Dans les pièces de Py, ces « ingrédients » sont utilisés par ces véritables diseurs publics qui empruntent énormément aux clowns pour scander leurs textes. C’est en cela qu’ils se rapprochent de la politique, en utilisant souvent la caricature. Etre clown s’est avoir une souplesse de l’âme qui échappe à la rigidité de la vie sociale ; et on ne peut nier que les grands de ce monde, de la politique, du commerce ou de la religion, nous font rire, jaune parfois, mais ils se donnent tellement d’importance qu’ils sont

comiques sans le savoir, parfois même ridicules. Alors les comiques se saisissent de ces figures publiques, on citera par exemple la récente prestation de Michel Fau en Carla Bruni. De tous temps, l’actualité apparaît comme le terreau des situations et des thèmes comiques ; chez Olivier Py il y a en plus beaucoup de dérision sur la jet-set politique. Et c’est parce qu’il sait que les spectateurs ont confiance dans ces clowns « à la Py », qu’il se permet de rire de tout, en sachant que le public n’est pas n’importe qui, que le comédien n’est pas n’importe qui et qu’on n’est pas n’importe où dans un théâtre.

d/ créer à partir de l’actualité

Olivier Py, durant ses années à l’Odéon s’est employé à ret isser engagement politique et création artistique, son récent Adagio, retraçant les années Mitterrand, a peut être été le pas de trop qui lui a valu d’être démis de son poste à la tête du Théâtre de l’Europe. Les déboires politico-culturels qui ont suivi dans les couloirs et aux comptoirs sont la preuve, pas récente, que politique et culture jouent sur le même terrain. Mais c’est sans doute le propre du théâtre de Py et de Weitz de garder toujours un pied dans l’actualité, de faire résonner les textes au plus profond de la culture de chaque spectateur et de vouloir parler de tout sans limite. Certes, c’est le propre du théâtre depuis l’Antiquité que de véhiculer les idées de chaque époque mais la manière crue, franche et décomplexée adoptée par Py nous rappellent bien

plus les théâtres obscurs des sous-sols et les chapiteaux isolés loin des centre ville où les marginaux s’expriment. C’est un peu le propre des arts forains de n’avoir rien à perdre, de ne pas avoir de réputation à garder, donc d’oser sans cesse. Oser le ton, oser la provocation, oser la franchise. Une

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« Le ministre de la culture : Je propose que vous soyez nommé ministre de la culture à ma place (en passant l’écharpe tricolore au cou du poète) avec évidemment un ministère élargit à l’éducation nationale et à la jeunesse et au sport, on sait votre goût pour les garçons en sueur ! Ah, le président est enchanté ! Les comédiens : mais tu n’auras jamais le temps de répéter, ni décrire. Le poète : mais le devoir m’appelle, ce n’est pas seulement moi ! C’est le théâtre qui triomphe à travers moi. Pourtant….je doute. Oui, ce qui m’embête c’est que la culture soit isolée dans un bureau, elle devrait irriguer l’ensemble de la vie politique. Le ministre : Alors voulez-vous que j’intervienne pour obtenir l’élargissement de la culture aux affaires étrangères ? Le poète : et au budget ! Rien de plus culturel que l’argent. Le Ministre : et pourquoi pas la défense ? Le poète : oui, la défense… Le Président : Ah ! C’est une révolution que nous voulons… Ah je suis bouleversé… Je vais parler au président. La mère du poète : Oh bah laissez moi faire, je connais bien sa sœur. » Les illusions comiques

particularité appréciable chez Olivier Py et ses choix de textes qui ose le risque et le scandale dans ces mises en scène. Philippe Goudard, médecin et praticien du cirque, élargit la notion de prise de risque corporelle à celles d’instabilité et de déséquilibre aussi bien du point de vue artistique qu’économique ou dans la composition même du spectacle. Ensuite, de savoir si Py est victime de l’instabilité économique quand il est en création est une autre question.

Toujours est-il que Py véhicule ses idées, ses illusions, ses envies au travers des textes qu’ils montent. Parfois, on lit l’actualité dès le processus de création, parfois ce sont des références ponctuelles, des personnages, des phrases qui résonnent soudainement avec ce qu’on voit à la télévision. Mais Py a toujours apporté un soin particulier à décrypter les arrières plans monstrueux et les tragédies absurdes, ainsi que les souhaits brûlants de plaisirs interdits de notre réalité ambivalente.

On sent parfois chez Py cette sensation que le "dire" du spectacle c'est construit par le "faire", un peu comme au cirque. Cela relève du processus de construction du spectacle qui prend en compte dès le début l’individualité et l’imaginaire des comédiens. Py les laisse arriver au plateau avec leurs personnalités, leurs envies et les matériaux qu'ils amènent. Il s’agit alors d’une construction dramatique sur les bases solides de l’individu, il ne s’agit pas

de se travestir simplement mais profondément, en s’appuyant sur la réalité sociale et actuelle de chacun pour que le tout sonne plus vrai. C’est partir de l’individu pour écrire du collectif qui reviendra à l’individu public. Il y a toujours des résonnances dans l‘actualité et c’est pour ça que Py s’attardent souvent aux chefs d’œuvre, qui, quelque soit l’époque, se

révèlent être d’une étonnante modernité et font sens pour le public. Peut-être parce que ces pièces consistent souvent à mettre en scène l’histoire de nos pulsions et de notre société, en faisant ressurgir l’agressivité, le trouble et l’étrange du quotidien, et que tout cela traverse les époques. A l’inverse, l’actualité possède souvent énormément de caractères dramatiques et

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peut s’apparenter à une suite de feuilletons, c’est Yves Lavandier qui s’exprimait sur le propos20 en expliquant qu’il y a du suspens, des enjeux, des protagonistes, des coups de théâtre, du mystère dans l’affaire DSK comme dans l’affaire de Fukushima ou celle des bourses. Tous les ingrédients sont là, et l’ont toujours été. Dans « Lulu » justement, les époques se succèdent et les transformations de la société aussi. Pierre-André Weitz fait coulisser les façades de magasins comme les glissements d’une société où tout se vend et

s’achète. Il est question de krach boursier, de ruines, d’actions, de corps à échanger et à vendre. Aux vitrines, on voit défiler les créatures d’un carnaval inquiétant d’étrangeté, des têtes de clowns et des lapins immenses. Le carnaval d’une société en déclin. Souvent, les figures sont importantes pour véhiculer des idées. Les personnages incarnés ne sont jamais anodins, ni leur traitement esthétique. Ils sont l’outil premier d’identification du public. Il est d’ailleurs intéressant de voir comment Yannis Kokkos, dans « le scénographe et le héron »21, dit l’importance de prendre en compte les codes politiques vestimentaires. Selon lui, la base du costume contemporain passe par l’observation détaillée des microcosmes qui composent le corps social aujourd’hui. Le vêtement montre souvent l’unification, l’appartenance à un « groupe social » mais aussi une différence, une distinction, une touche personnelle. Il s’agit alors de traduire et le code de représentation sociale et la

liberté du personnage. C’est donc un long travail que de vouloir faire échos. Et pour un plus grand nombre en plus. Pour cela, Py attache beaucoup d’importance à l’écriture, à la composition et à l’esthétique des rôles.

Il déclare à propos du rôle de Prouhèze dans « Le soulier de satin », que c’est sans doute l’un des plus beaux personnages de femme que le théâtre ait connu et c’est une spécificité de Claudel, selon lui, d’offrir aux femmes des rôles tous très novateurs. Prouhèze est en avance sur son temps aussi bien spirituellement que politiquement, c’est elle qui sait, Rodrigue l’écoute, l’admire. Elle est libre de ses choix et de cette énergie de formulation que n’ont pas les hommes qui l’entourent. C’est une belle démonstration de féminisme et du

souci qu’a Py dans la mise en scène des rôles féminins. Quand il met en scène les Grimm où l’image de la méchante marâtre est omniprésente, il est dans la transposition de ce que nous demande le monde : la réussite sociale, la victoire, l’oubli de nos naïvetés, le rejet de nos moments de méditation et de paresse. Pour lui, la marâtre ne souhaite pas la mort, elle est juste non spirituelle. La femme est très présente dans ses œuvres, et le travestissement des comédiens est choses courantes et, dit-il, permet un détachement et une vision externe, un œil critique et comique plus aiguisé. Michel Fau par exemple trouve essentiellement son ressort comique dans son travestissement, qu’il maitrise à la perfection. Mais quand il provoque l’hilarité d’une partie du public de la soirée des Molières 2011 en effectuant une parodie de la chanson de Carla Bruni, Quelqu'un m'a dit, déguisé en cantatrice tragique, il dit n’être qu’un fou du roi et ne vouloir rien d’autres que divertir. Il affirme ne se placer ni en révolutionnaire ni en courtisan.

20 Sur France Inter, le 11 août 2011, dans l’émission d’Ali Rebeihi , Micro Fictions « Peut-on apprendre à raconter des histoires » 21 « le scénographe et le héron »Yannis Kokkos, 224 p. Actes Sud Théâtre, Le temps du théâtre, 2004

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Il est néanmoins intéressant de voir comment il a fait le choix de partir d’une chanson que tout le monde connaît pour la transposer à un air d’opéra. Car là est le ressort comique, l’imaginaire commun est la base de la satire, prendre les codes de la société et s’en éloigner. Ensuite, il n’est pas rare qu’un même personnage suive les comédiens pendant les créations. On vient d’évoquer le personnage féminin récurent de Michel Fau, mais n’oublions pas

qu’Olivier Py lui-même, possède son personnage féminin. Présent dès sa première pièce en 1992 à Bussang, l’année de sa rencontre avec Pierrot Weitz, Miss Knife, personnage de cabaret a qui il a monté deux pièces éponymes par la suite. Au-delà du personnage et de la situation de la femme, Py évoque les sans papiers dans son « Idomeneo », dans « Illusions comiques », il caricature le président et le ministre de la culture actuels pour mieux leur faire dire ce que le poète pense, dans « Le soulier de satin », ce sont les grands hommes de Salamanque, hommes de lois et hommes de lettres et dans « l’Adagio » enfin, il assume pleinement le souhait de la ressemblance en retraçant la vie de François Mitterrand et en faisant défiler dans la pièce les personnalités qui ont marqué ces années-là. Chaque spectateur s’amuse à identifier Kouchner, Lang, Badinter… voir Annexe 10

Derrière ses airs de cabarets à plumes et paillettes, il y a donc cette même inspiration et ironie sur les grands de ce monde. D’ailleurs, « l’Adagio » de Py apparait comme un manifeste de la politique sans paillette. Le comble diront certains, mais Py, affectionnant tant la culture cabaret a choisit cette fois de dresser le portrait d’un président homme des livres et de la culture, une vérité vraie, étalée au grand jour. Il faut que les masques tombent parfois. Le lien avec l’actualité se fait alors à la fois physiquement et nominativement. Les personnages assument leurs noms et leurs fonctions. Philippe Girard, interprétant François Mitterrand, a trouvé une frontière qui n'est pas mimétique mais en infusant sa parole et sa pensée il a trouvé quelque chose dans l'autorité de la parole qui fait que la catharsis a lieu.

C’est toute la question de la représentation au théâtre, et de la représentation politique. Savoir comment on crée une image, une image du pouvoir et comment cette image est agissant sur le public. C’est comme les différents intervenants du « faux public » des « Illusions comiques » qui utilisent le principe de la pancarte en carton chère à Py pour dire leur provenance sociale. Se succèdent alors le moraliste, l’inspecteur de gauche, le révolté, le théâtreux, l’analysé, la mère de quatre enfants, le directeur de théâtre, le philosophe… Autant de portraits de personnalités résumant la culture d’aujourd’hui. Dans « Epitre aux jeunes acteurs », ce sont l’audimat, le vrai public, le responsable commercial, le ministre de la communication qui se succèdent, pancarte au cou, pour dire ce qu’ils pensent des paroles du poète. Autant de manière de sortir de son rôle ou de se mettre dans un autre pour faire dire les choses que l’on souhaite. Un classique clownesque que de sortir de son personnage, s’extérioriser, prendre le point de vue qu’a le spectateur sur soi-même. On le retrouve clairement aussi quand les comédiens entrent en criant « entre le ministre de la culture, je fais le ministre de la culture » ou « entre le pire ennemi, je fais le pire ennemi. »

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Mais une chose est certaine, Olivier Py réussit à réunir en un seul spectacle des

éléments tirés de l’environnement culturel et social de son époque. Une définition que faisait Philip Astley du rôle du cirque à la fin du dix-neuvième siècle : l’art d’épouser son temps, de spectaculariser les modes sociales, d’accompagner l’actualité et s’en nourrir. Pendant la seconde guerre mondiale, les dramaturges, qui ne pouvaient échapper aux

affrontements politiques et idéologiques, ont abondamment utilisé le théâtre comme moyen de transmission de leurs idées. Ce théâtre engagé, issu des théories de Brecht, vise à faire réfléchir le spectateur sur le monde, voire à l’embrigader. A cela, s’oppose la vision de Louis Jouvet, dans ses témoignages sur le théâtre22, qui soutient que le théâtre ne doit pas être intellectuel mais sentimental. Il exprime l’importance de revenir à une expérience sensible capable d’émouvoir le plus grand nombre et de ne pas exiger du spectateur l’effort de « chercher » ce que le théâtre a à lui dire. Il privilégie la position passive du public, d’une « révélation » plus que d’une « recherche ». Mais cette vision est un peu manichéenne, chez Py et dans les cabarets, on trouve souvent matière à s’émouvoir et matière à réfléchir, et si le discours est asséné avec conviction, les

images explosent, assaillent et prennent possession des spectateurs qui n’ont plus d’autres choix que d’entendre et de voir. La tentation pour un homme de théâtre d’aller vers la politique existe bel et bien, elle est presque fondamentale, où peut-être seulement pour le poète. L’homme de théâtre digne de ce nom, est un homme politique mais c’est un homme politique qui doit être en deçà du jeu politique et au-delà, ou peut être à l’endroit le plus politique, c’est-à-dire où on ne vise pas l’Histoire mais où on vise, au contraire, les histoires, où on rappelle à l’homme son histoire à lui, le jour où il est tombé amoureux, où il a perdu un être cher, où il a été viré de son boulot. Selon Py, l’erreur est d’instrumentaliser le théâtre et de le vouloir populaire pour la

révolution, pour l’éducation des masses comme on disait dans les années cinquante. Lui même a cru un moment à un théâtre qui pouvait changer le monde et être révolutionnaire, mais aujourd’hui, il préfère rire de cet espoir plutôt que de le perdre, parce que selon lui, fonder le geste théâtral dans la volonté d’une action efficiente sur le monde, c’est briser le fondement du théâtre et il ne reste alors que du vieux journalisme. Ses « Illusions comiques », par exemple, paraphrasent « L’illusion comique » de Corneille qui parle d’illusions perdues, d’illusions politiques et comiques, c’est-à-dire du théâtre dans le lexique du dix-septième siècle ; aujourd’hui on appellerait cela plutôt farce.

22 Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre, 250p. Flammarion, 2002

« Le théâtre est le miroir du monde qui est le miroir du théâtre » Une des cent définitions du théâtre dans « Illusions comiques »

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Et si Olivier Py souhaitait parler de ses propres illusions et des thématiques qui lui sont chères et faire rire le public avec, il a, au lieu d’écrire une comédie classique, écrit une farce qui n’en n’est pas une. Il a de ce fait pris conscience qu’au théâtre, il ne faut parler que du théâtre et y puiser, y creuser une essence et en sortir des thématiques qui finalement résonnent toujours dans l’actualité. Partir de l’art théâtral pour en faire le théâtre de la société.

Mais il ne faut pas pour autant penser que passer un message via l’art vivant est une utopie ; parce qu’il y a sept cents personnes dans la salle tous les soirs et que ce n’est pas négligeable. Certes, c’est une utopie d’imaginer que ce théâtre là va réparer la couche d’ozone, faire la répartition des richesses, freiner la mondialisation mais il y a d’autres choses à attendre du théâtre. Trouver et transmettre des choses, c’est la responsabilité civique d’un homme de théâtre, qui doit, comme ambition première, vivre son art au plus proche du peuple, à travers le peuple et non pour le peuple. Néanmoins, il est complexe de composer sans cesse avec l’actualité, de ne pas se laisser

submerger par elle, de savoir qui de l’actualité ou du poète dramaturge à la main sur l’autre, une relation ambiguë s’instaure dans l’écriture. Pour exemple, dans « l’Adagio, Mitterrand, le secret et la mort » Py cherche l’impact dans l’actualité d’un texte écrit il y a trente ans mais qui faisait appel à l’actualité politique du moment. Vu que c’est lui-même qui est auteur de cette relecture du discours politique, faut-il y faire résonner des faits actuels ou les faits actuels du passés ? Retranscrire une actualité, un discours politique contemporain, une histoire commune en langage théâtral est une grande affaire de rhétorique dramatique. Alors il explique 23qu’il est obligé de les reconstituer. On est au théâtre : il faut synthétiser et mettre en scène. Il affirme avoir exclusivement réutilisé les mots de Mitterrand mais avoue les avoir décontextualisés.

A ce jeu d’écriture avec les mots d’un autre, il avoue s’être étonné à faire parfois « du Mitterrand » et à être troublé par l’ultime lettre du Président24 dans laquelle il retrouvait son style métaphysico-lyrico-je ne sais quoi. Qui est l’écrivain, qui est le politique ?

La politique est ce discours perpétuel avec un auditoire. Il y a politique et politique, et si les mises en scène de Py et Weitz font appel à l’actualité en composant à partir d’une mémoire collective, elles provoquent souvent un choc constructif dans le corps et dans l’esprit. L’émotion atteint son apogée grâce à diverses techniques. Nous l’avons déjà évoquée par la maîtrise de la rhétorique et des rythmes binaires et/ou ternaires des personnages, mais venons en maintenant à la musicalité et son impact sensitif incontesté. Olivier Py se dit poète avant d’être écrivain ou dramaturge.

23 Sur lesinrocks.com, le 15 mars 2011, dans une entrevue retranscrite par Fabienne Arvers et Patrick Sourd. 24

La lettre intitulée Comment mourir ?, rédigée par François Mitterrand et qu’Olivier Py a choisi de placer en ouverture de sa pièce Adagio.

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DANS UN ESPACE…TOUT NEUF CREER LE REVE…ET LA REALITE

COMME LE CIRQUE SANS DECOR

VERITE TOUT PARAIT FACILE

POSSIBLE MARCHER SUR UN FIL

SE BALANCER AUTOUR D’UNE CORDE LACHER UN TRAPEZE

EN RATTRAPER UN AUTRE SE DEDOUBLER…S’ENVOLER

LE CORPS BOUGE EN RYTHME

EN MUSIQUE DANS LA RUE, C’EST LA FETE

ENTREZ MESDAMES ET MESSIEURS LA FETE CONTINUE

ICI ON EST PARTOUT EN AFRIQUE…EN CHINE

EN 1700..EN 1865…EN L’AN 2000 LE CIRQUE ET LA MUSIQUE SONT PAREILS

INDISPENSABLES INDEMODABLES INSEPARABLES

ETERNELS

Annie Fratellini Le cirque dans tous ces éclats – Guy Silva- Le castor astral, 2002

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2/Faire naître l’émotion

« L’intellectuel ne s'oppose pas au sens et au sensuel, on ne pense pas qu'avec sa cervelle et les livres qu'on a lu, on pense aussi avec son corps et les expériences qu'on a eues. » Olivier Py

a/ de l’importance de la musique

L’émotion a un timing dans le cerveau humain, avant et après la vision ou la sensation, il y a

un temps à respecter, à calculer. Les respirations dans un spectacle prennent alors tous leurs sens et leurs fonctions et c’est là que la musique intervient comme régisseuse des émotions.

Olivier Py et Pierre-André Weitz entretiennent une grande relation à la musique, au rythme, à la mesure et au texte. Selon Py, c’est le texte qui se transforme en son, en façon de scander les voix, d’émettre une sorte de chant pour chaque personnage. Il n’imagine pas comment on peut écrire une pièce de théâtre sans voir naître simultanément les airs de musiques qui l’accompagne. « L’important est la façon dont la voix humaine s’accorde et se désaccorde avec le paysage sonore qui est le cosmos. Le monde est figuré par l’orchestre qui crée de l’émerveillement non pas par le spectaculaire mais par la simple présence. C’est l’être même qui est source d’émerveillement. »

La musique est le meilleur moyen d’arriver à cet émerveillement, c’est pourquoi Py y a

recours dans tous ces spectacles, parce que comme il le dit, la musique est la vibration du monde. Ceci explique pourquoi, chez Py, les textes chantent, ils sont portés vers l’oralité et le lyrisme. C’est pourquoi il y a toujours beaucoup de lyrisme et de pensées dans les œuvres écrites de la main d’Olivier Py, ou les œuvres qu’il choisit. « Les contes de Grimm » sont des œuvres musicales, comme des mini opéras, avec des comédiens-chanteurs ou l’inverse mais toujours pratiquant les deux disciplines. Un souhait d’Olivier Py. Quelque soit sa fonction première, tout le

monde est invité à être sous les feux des projecteurs. Un traditionnel du cirque et de la rue, où la frontière technicien/artiste n’existe plus. Et Py se veut chanteur avant d’être écrivain, à la rigueur poète ; tout comme Weitz est musicien et chanteur lyrique en parallèle de son activité de scénographe, ce rapport à la mesure est fondamental pour le binôme. L’écriture théâtrale, dit-il, semble appeler directement le poème, elle est la seule susceptible, non pas de changer le monde, mais de changer notre rapport au monde. Et elle ne s’adresse pas à tous, ce qui la différencie du rôle de la politique, mais elle s’adresse à chacun, intrinsèquement.

"Le théâtre ne commence que

quand un personnage joue un personnage. La convention est la chair du théâtre, sans convention on

tombe dans la convention la plus conventionnelle, l'authentique.

-Oui, mais une fois le sens bourgeois délaissé, que reste-t-il ? -Il reste le théâtre de la joie

-Oui, mais qu'est-ce que c'est ? -La tragédie et le drame lyrique" Les illusions comiques

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Parfois des gens pleurent, comme à la sortie d’ « Epitre aux jeunes acteurs », sans doute à cause de la radicalité du propos, mais peut être simplement parce que cet acteur qu’on a devant nous pendant une heure, tente d’être la parole, de l’incarner. Comme le dit le représentant culturel dans la même œuvre, il y a toutes sortes d’expressions qui se passent de la parole et ces formes d’expressions sont plus que la parole puisqu’elles disent tout ce que le langage ne peut pas dire.

Dans son processus, Py écrit avec sa musique personnelle, le rythme qu’il a en lui, sa pulsation propre. Habituellement, il est plus dans l’alexandrin. Ma is l’alexandrin est finalement la parole habituelle, sans s’en rendre compte, quand on parle normalement, on fait des alexandrins. Alors il préfère juxtaposer les alexandrins pour arriver à des vers de vingt-cinq ou trente pieds ce qui implique un rapport différent de l’acteur à son corps. On exige de lui une respiration plus profonde donc plus lyrique, une psychologie beaucoup plus pleine de souffle, on se rapproche alors de l’idée de héros ; tout ça est contenu dans le mètre du poète. Et la musique est créée pour accompagner l’acteur, l’artiste, dans le cheminement du spectacle. Conçue pour le spectacle et jouée en live, elle fait large place à l’improvisation, elle est habituellement acoustique et spatialise le son suivant le placement des musiciens au

plateau et leurs mouvements. Cette musique acoustique en direct permet de cultiver l’erreur, de laisser sa place à l’imprévu, elle donne une dimension temporelle humaine à la dramaturgie et à la scénographie.

Le cirque traditionnel utilisait aussi l’accompagnement-ornementation musical. Les numéros définissaient les interventions musicales et l’on savait, au son, à quoi s’attendre -roulement de tambours soulignant le danger, cymbales pour la chute d’un clown… Mais les imprévus de la musique live, s’ils ont leur charme, peuvent aussi être cause d’accident et perturber les artistes. Certains préfèrent travailler à partir d’une bande son enregistrée, pour être sûrs de retrouver chaque jour leur timing, comme des danseurs, et travailler l’automatisme des mouvements ou encore s’en servir comme moyen mnémotechnique.

L’idéal est d’introduire les musiciens et la musique dès l’écriture du spectacle. Les structures musicales vont de paires avec la mise en scène, comme chez Archaos ou au Cirque du Soleil, les spectacles en ressortent plus limpides et les couleurs sonores, maitrisées, créent la cohérence. La règle de l’harmonie, par exemple, veut que celle-ci soit le résultat d’un accord de trois notes mais il est intéressant d’observer comment en n’en jouant simultanément que deux, on crée un espace plus ouvert, plus intéressant car plus pauvre en informations et qui permet d’explorer l’instabilité musicale donc dramaturgique. Chez Olivier Py, on note la présence presque systématique d’un accordéon, d’une trompette, parfois d’une clarinette ou d’une flûte traversière. Le premier cale souvent sa respiration lancinante sur celles des personnages, le second réveille les sens et souligne les changements de situation, les instruments deviennent personnages, s’expriment sur le même plan que les acteurs. La musique d’accompagnement possède un caractère d’annonce, au sens ou, souvent composée sur mesure pour un artiste, elle devient figurative. Pour quiconque connait un minimum les numéros qui composent le spectacle, il peut identifier celui auquel est affectée

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la musique qu’il entend ; il existe une musique pour les chevaux, une autre pour les éléphants, une musique tourbillonnante pour les voltiges des acrobates et une autre légère pleine de glissando pour les ballants. Les grands airs d’opéra et leurs thèmes spécifiques à chaque personnage, surtout chez Wagner, partent finalement du même principe. Le chef d’orchestre est attentif aux évolutions des personnages, aux différentes prouesses ; il souligne les instants de suspens,

les successions de tableaux.

Alors il est intéressant de voir en quoi les scénographies de Weitz participent, avec une grande subtilité, à la couleur rythmique créée par les musiciens au plateau, la syntaxe du texte et la diction des acteurs. Le bateau de « Tristan et Isolde » est le meilleur exemple de la maîtrise du rythme scénographique. L’inconscience du décor qui glisse de Jardin à Cour tout au long du spectacle et sans interruption ni changement de cadence agit directement sur l’inconscient du public. Le décor se développe au delà du visible par un mouvement imperceptible. Il s’agit de plonger le spectateur dans un monde étrange sans qu’il ne s’en rende compte, ou qu’il s’en rende compte à un moment tardif du spectacle, en prenant conscience que quelque chose sort de l’ordinaire.

Les décors se situent alors entre l’expressionnisme –comme quelque chose qui tente de faire sentir les pulsions au delà des tabous- et l’abstraction -qui est ouvert à toute signification- Dans les spectacles « rouge et or », nous avons déjà vu en quoi les pirouettes d’escaliers et de façades dorées rythment les séquences de spectacle en assumant les changements. Il serait intéressant de pousser jusqu’au bout le lien fécond de la musique et du décor et de se demander si une répercussion est possible sur la manière de représentation. Chercher à traduire l’émotion scénographique et rythmique sur le papier. Tracer la scénographie sur une portée, fonder un code de représentation autre que celui du plan ou de la perspective, chercher à représenter le changement de décor non pas par son coté technique mais par son coté lyrique et émotionnel. Une nouvelle forme de communiquer avec le metteur en scène et l’équipe artistique et de prendre pleinement conscience de l’impact musical de la

scénographie et de son importance dans le conditionnement émotionnel du spectateur.25 Le décor se déploie par exemple souvent en accordéon, accordéon qui est un

instrument clé chez Py, et à lui d’ajouter qu’au théâtre, on manipule le temps comme un accordéon. Or, manipuler le temps, c’est manipuler l’émotion du public, sa capacité à réagir, sa vitesse de réflexion. La musique joue ainsi le rôle de signal –au sens du code de la route- elle oriente le cheminement de l’imagination, ferme les voies, en interdit d’autres et au final, crée l’itinéraire propre à chaque spectateur. Elle met à jour les clichés de l’inconscient comme le risque, la dépense, le vertige, le beau, le laid, l’informe, le difforme, le monstrueux, le normal, le pathologique, l’étrange, l’étranger, l’exotique, le folklorique, le familier…. En trois mots : le rire, la peur et l’émerveillement.

25 A ce propos, Vincent de Lavenère travaille sur la représentation du jonglage en tant qu’entité musicale, voir son livre Le chant des balles, E.Bellocq, JM Guy, V. de Lavenère. Edition l’entretemps, Collection Ecrits sur le sable, 2004

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b/ Jouer l’épuisement

Dans ses choix, Olivier Py n’hésite pas à passer de formes courtes aux formes longues, voire très longues : il y a les grandes tragédies grecques, qui fonctionnent à plusieurs, et il y a les œuvres classiques françaises qui sont aussi souvent très longues. Ces œuvres longues il les aime d’autant plus quand elles sont inspirées d’œuvres courtes, comme par exemple « le Ring » de Wagner, qui est inspiré du conte de Grimm « La Vraie Fiancée ». Mais ce n ‘est pas pour cela qu’une pièce a plus d’importance qu’une autre au

niveau littéraire ; comme Py lui-même l’explique : il n’y a pas plus d’amour dans un roman de cent pages que dans un haïku, mais il y a une forme d’amour dans ce roman qu’on ne trouvera pas dans un haïku. On ne peut pas atteindre les mêmes choses dans une pièce courte et dans une pièce longue, on atteint d’autres choses, l’audience et le plateau communiquent différemment qu’ils soient confrontés durant deux heures ou une journée

entière.

Un de ses premiers spectacles à Avignon, « La servante, une historie sans fin », était joué en continu, comme son nom l’indique, pendant vingt-quatre heures. Les artistes se relayaient, le public entrait et sortait à sa guise muni de son ticket, contraint de se fier à son propre épuisement physique ou moral et non plus à un signal de début ou de fin arbitraire. Par l’épuisement physique des spectateurs et des comédiens l’expérience théâtrale devient

plus authentique et on retrouve une volonté d’expérience et non pas de consommation. Le spectateur, d’un coup, se retrouve un peu acteur, où du moins il redécouvre des sensations théâtrales pures, il entre dans une sorte d’ivresse du trop poétique. En s’usant, se fatiguant, s’endormant puis se réveillant, on se trouve plus réceptif à la parole, on atteint une sorte de transe euphorique, cette transe où les masques tombent, où

l’humain ressurgit, où le théâtre populaire prend son apogée. Il y a plus de rencontres aussi dans les œuvres longues, les gens changent de regard et d’attitude ; notre voisin de gradin est là pour plusieurs heures, alors on fait connaissance, on se met à être solidaire dans l’endurance théâtrale. Les entractes sont là pour rétablir le lien social, il y a parfois des repas d’organisés, des entractes de deux heures où le citoyen rencontre le citoyen qu’il côtoie au quotidien. D’un coup, on se met à se considérer, ça discute, du spectacle ou d’autres choses, du spectacle puis d’autres choses. Le lien social réapparaît. Et souvent, bien que le spectacle ait été long, l’après-spectacle s’étend plus facilement en longueur. Laurence Peuron26 se souvient d’Olivier Py à Avignon qui après ses spectacles continuait en montant sur les tables et en se déguisant. C’était comme un énorme cabaret

improvisé, comme la pièce après la pièce. La fatigue dépassée. Du côté des spectateurs, les discussions sont plus aisées, parce qu’on a pu faire connaissance avec les autres spectateurs mais aussi parce que les spectacles longs abordent des thèmes universels, posent des questions existentielles qui restent sans réponses en sortant, où chacun est libre d’interpréter et de trouver sa réponse. Ce sont autant d’avis à donner à la sortie pour des « after » qui s’éternisent sans compter.

26 Sur France Inter le 4 août 2011, dans son émission L'été comme je suis avec Philippe Torreton et Michel Fau.

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S’il nécessite une endurance dans la salle, un spectacle long sollicite également celle des équipes artistiques et techniques. Participer à un spectacle de douze heures, c’est adopter un rythme quasiment athlétique d’où l’importance de la rigueur et d’apprendre à s’économiser physiquement, il faut aussi que la dramaturgie et les décors répondent à cette endurance, ils ne doivent pas s’épuiser.

On a vu le recourt à une structure dramaturgique qui se rapproche de celles des

numéros ou de la succession de saynètes. Cette vitalité permet de maintenir en haleine l’audience. On a déjà évoqué le transgenre du « Soulier de Satin » où chaque personnage semble avoir apporté sont propre théâtre, sa propre discipline dans la composition globale de l’œuvre et où Olivier Py fait le choix de ne pas niveler les différents genres de spectacles mais de faire ressortir leur hétérogénéité et l’apport des influences. Une approche qui permet au public de trouver toujours quelque chose à son goût au sein d’un même spectacle et de garder sa curiosité éveillée pendant l’ensemble d’une pièce. Mais La scénographie a aussi son rôle à jouer et vient relayer la structure dramaturgique des œuvres longues. La difficulté réside alors dans la manière de ne pas épuiser le décor. Chez Weitz, on observe le dynamisme exercé dans la longueur du spectacle ou bien l’effet de surprise, de découverte ; souvent les deux sont combinés.

Il se passe presque constamment quelque chose sur le plateau, structures et escaliers métalliques rivalisent de rotations pour suggérer palais, jardins, océans déchainés, navires, chambres. Il use des revers des décors, des systèmes de doubles fonds et Weitz se positionne très souvent comme un chorégraphe visuel où il s’applique à faire danser les décors avec les comédiens et au rythme stricte d’une musique. La valse des décors est habituelle pour Weitz, et si le public n’est pas forcément maintenu en haleine par le rythme ternaire d’escaliers s’exposant sous leurs quatre faces, il se laisse néanmoins menés visuellement, bercé et entraîné dans les recoins du plateau et du texte, en douceur. Dans « Epitre… », qui n’est certes pas une œuvre longue, on trouve un exemple de l’effet de surprise final qui boucle la boucle du décor en même temps que celle du discours, le spectateur ressort comblé de ce qu’il a vu et entendu.

Les escaliers noirs, qui n’ont pas cessé de valser pendant la pièce, qu’on a pu voir de face, du coté gauche, du coté droit et de derrière, se transforment en escalier tout doré …comme par magie…Le spectateur est étonné par le changement de décor qu’il n’avait pas vu venir et duquel il ne comprend pas de suite la machinerie…Son attention est relancée immédiatement, par un effet scénographique.

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Conclusion

« Le cirque, ou tout le moins le cirque classique, offre au spectateur, qu’il soit enfant ou adulte, un lieu magique, un décor comme on n’en voit que dans les anciennes productions cinématographiques de Walt Disney ou sur ces cartes de vœux un peu désuètes dont les auteurs semblent ne pas concevoir qu’on puisse souhaiter un joyeux Noël sans la neige, le petit village et l’église. Certes, il s’agit de conventions et chacun sait que l’univers urbain dans lequel vivent la plupart des humains n’a rien à voir avec le petit chemin qui sent la noisette. Mais précisément, c’est à ce besoin de merveilleux que répond le cirque en tant que lieu de spectacle. Le chapiteau des Roncalli est une bonbonnière et entrer dans la bonbonnière c’est ; pour le spectateur, s’attendrir comme un bonbon. C’est se mettre en état non seulement de réception mais d’acceptation, voire de foi. »

Hugues Hottier résume ici le principe fondamental que Pierre-André Weitz adopte également dans sa création, à savoir, partir de la convention pour créer un cadre qui stimule l’imaginaire commun et collectif du public et conditionne l’esprit et le corps.

En observant les spectacles d’Olivier Py, dont Pierre-André Weitz réalise la scénographie, les

costumes et le maquillage, on remarque en quoi l’esthétique générale produite met l’imagination en éveil, en offrant une rupture avec le décor ordinaire de la vie quotidienne. Le cadre explique aux spectateurs qu’ils sont dans l’irréel, et cette conscience leur permet d’être libres de pousser le sens de ce qu’ils voient, de faire reculer les limites du réel et d’y ajouter tous les possibles, sans être dupes. C’est cette franchise-là qui caractérise les spectacles de Py et les décors de Weitz, la franchise du faux. Le regard est toujours tourmenté, dévié, anamorphosé, et le spectateur a ainsi l’illusion de se déplacer librement dans un décor qui n’est pas une simple façade mais qui devient un lieu : un lieu mental, un lieu imaginaire, et il le sait. Ce cadre de l’imaginaire, pour Pierre-André Weitz, renvoie très souvent aux traditions du théâtre populaire et du théâtre forain.

La stimulation de l’imagination se fait par des dispositifs scéniques jouant sur le montré et le caché, souvent par des envers d’éléments de décors simples et identifiables, qui en se jouant de l’obscurité, révèlent souvent des surprises constructives et dramaturgiques. C’est ce qu’il y a de marquant dans les spectacles du duo Py/Weitz, la scénographie est un « interprète du drame », joue un rôle, et en contrepartie, le drame lui-même crée un espace mental qui s’élève dans l’esprit des spectateurs. Il y a de la scénographie spatiale et de la scénographie mentale. Les changements en deviennent alors doublement importants, le moindre mouvement crée une vague qui se répercute et à la vue et dans l’âme. Nous parlions de scénographie dramaturgique, Patricia Petibon27 qualifie les mises en scène d’Olivier Py de picturales. Nous avons vu, par exemple, comment l’esprit du spectateur est mené par son œil ; grâce à des jeux de cadres, de miroirs pour tromper la perception spatiale et des jeux de rythmes et

d’éblouissements pour tromper l’esprit et stimuler l’émotion.

27 Qui interprète Olympia dans « Les contes d’Hoffmann »

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L’art des formes foraines est celui de provoquer collectivement et individuellement le public, autant émotionnellement qu’intellectuellement ; et s’il s’agit souvent de sujets classiques, connus de tous, se basant soit sur des contes populaires soit illustrant simplement les pulsions et les questions de l’espèce humaine, toujours l’écho est direct entre l’assemblée et

le plateau et ce, quelque soit l’époque. C’est de parler des choses intrinsèques à

l’humain qui permet de captiver les esprits et de mieux leur faire passer des messages. En mettant en scène des contes cauchemardesques et des épopées, les grands récits de l’humanité en quelque sorte, les œuvres d’Olivier Py atteignent une certaine immortalité, par leurs adaptations aux époques. Et dans cette quête du drame humain, Olivier Py et Pierre-André Weitz usent de tous les artifices propres aux arts

forains, et c’est sans doute de se baser autant sur la musique, sa structure et son impact, qui crée l’osmose totale entre le plateau et la salle. La musique du décor, comme celle du texte, comme celle des personnages et de la personnalité des acteurs, toutes ces musiques sont là pour faire du rythme, maintenir l’intention, servir l’intention et créer du sentiment. Le rythme est initiateur de mouvement, et le mouvement est ce qui lie deux

métamorphoses qu’elles soient scénographiques, dramaturgiques ou philosophiques… C’est par les rythmes du spectacle que l’on atteint la respiration du public. Ces spectacles sont finalement une adresse permanente au public, et les décors suivent ce propos sans cesse politique (au sens grec de ce terme). On a vu au combien ils traitaient d’équilibre et de tension, de sentiments acceptés et refoulés, d’actions méthodiques, théoriques, rhétoriques et toujours

Le soulier de Satin proclamées et exposées sous couvert de vérité.

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En cela, il y a de la tragédie grecque dans les épopées de Py et il vaudrait la peine d’étudier plus en détail l’impact et les liens tissés entre la tragédie classique et les œuvres de Py, tout comme les liens avec le cinéma, la poésie, la musique, que l’on a trop peu évoqué dans la présente étude - parce que cela n’en constituait pas le sujet - et qui jouent des rôles considérables dans les pièces de Py.

Mais tenir compte du public et tenir compte de tous les goûts du public sont deux choses différentes, et c’est par le mélange hétérogène des genres qu’Olivier Py et Pierre-André Weitz parviennent à toucher un public plus large, où chacun trouve une chose qui va faire plus écho en lui qu’une autre et qu’à un autre. Le public possède alors cette liberté : être passif, être actif, une fois l’un, une fois l’autre, être touché par le message, par l’image, par le lieu… C’est finalement un moment de vie partagée où se nouent le réel et le merveilleux, le rationnel et l’irrationnel, la délicatesse et la brutalité, l’amour et la haine, où le public est pris aux tripes, perd ses repères et ses certitudes. Une chose est sûre, le théâtre de Py enthousiasme ou effraie, séduit ou choque, mais ne laisse pas indifférent.

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ANNEXES

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Bilbiographie -dossiers pédagogiques SCEREN à propos de l’Orestie, des enfants de saturnes, des contes de Grimm, soulier de satin -plaquette des spectacles

-Olivier Py : épopées théâtrales, photogr. Alain Fonteray , Grandvaux, 2004 -L'Odéon Texte imprimé : un théâtre dans l'histoire, sous la direction d'Antoine de Baecque ; préface d’Olivier Py, Paris, Gallimard, 2010

-la nuit au cirque, Olivier Py, Les solitaires intempestives -l’imaginaire du cirque , Hugues Hottier, l’Harmattan, 2005

- Le cirque au-delà du cercle, art press, 1999 n°20 spécial - Essais de cirque : Le Lido, centre des arts du cirque de Toulouse , Henri Guichard, éditions Privat, 2011

Filmographie -La grande parade d’Olivier Py, documentaire réalisé par G.Ivan et V.Krysinsky. Théâtre du Rond Point. Coll. COPAT -Le soulier de satin, diffusion sur Arte le 29 octobre 2009 capté le 21 mars 2009 au Théâtre de

l’Odéon -La jeune fille, le diable et le moulin, capté au théâtre du Rond Point, diffusé sur Arte le 2 janvier

2011 -L’eau de la vie, capté au théâtre du Rond Point, diffusé sur France Ô le 26 juin 2009 -La vraie fiancée, DVD Théatre du Rond Point collection COPAT, capté au Théâtre du Rond Point

-Tristan et Yseult, captations au Grand Théâtre de Genève et au Théâtre Graslin, DVD archive. -Les contes d’Hoffman diffusion sur Mezzo le 5 janvier 2011 -Making-off Les contes d’Hoffman, réalisé par Denis Sneguirev, diffusion sur Mezzo le 5 janvier 2011

-Epitre aux jeunes acteurs, DVD Théatre du Rond Point collection COPAT, capté le 1 mai 2006 au Théâtre du Rond-Point

-Les illusions comiques, DVD Théatre du Rond Point collection COPAT, capté au Théâtre du Rond-Point -Chansons du paradis perdu – le cabaret du Rond Point. De O.Py interprété par Eléonore Briganti et

Stéphane Leach au piano. Collection COPAT

Retranscription de rencontres -rencontre organisée par le rectorat avec Olivier Py à propos de l’Orestie, au Théatre de l’Odéon le 9 juin 2008

-conférence du séminaire « changement de décor »de Pierre-André Weitz, à l’ENSAN, le 22 avril 2010 -interview d’Olivier Py à propos des contes de Grimm, diffusé sur Arte le 2 janvier 2011 -retranscription de l’échange avec le public d’Olivier Py et Sandrine Giraud donné après la

représentation au Théâtre Graslin du Vase de parfum, d’après le DVD archives de Graslin

Webographie -http://www.theatre-odeon.fr/ Vidéo de répétitions du Soulier de satin

-http://www.arte.tv/fr/2505522.html chat avec Olivier Py réalisé à l’entracte du Soulier de satin le 21 mars 2009

Crédits photographiques Toutes les images de ce mémoire, annexes comprises, sont des captures d’écran réalisées à partir

des vidéos citées dans la filmographie ci-dessus.

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MERCI A Pierre-André Weitz et Olivier Py

Au Grand Théâtre de Genève A Régis Vasseur A Annette le Couls

A Pauline Stern A Marcel Freydefont

Agata le Bris Martínez - Septembre 2011 – Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes – DPEA Scénographe