philippe muray, d’un plaisir l’autre

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0801et&refl007 17/02/09 14:46 Page 22 ÉTUDES ET RÉFLEXIONS PHILIPPE MURAY, D’UN PLAISIR L’AUTRE OLIVIER MAILLART Je riais comme jamais peutêtre on n’avait ri, le fin fond de chaque chose s’ouvrait, mis à nu, comme si j’étais mort. Georges Bataille N ombre des commentaires qui ont suivi la mort de Philippe Muray ont insisté sur la « rupture », dans sa vie comme dans son œuvre, entre une première période aux côtés de l’avantgarde, période conjuguant la réussite littéraire et les saines valeurs de la modernité intellectuelle et artistique, et une seconde de ratiocineur aigri, poujadiste et malfaisant. Réactionnaire, en un mot. Sur la datation exacte de cette ligne de partage des eaux les avis divergent, mais il semblerait que l’on puisse situer le glissement progressif de Muray vers le Mal entre 1991 et 1997, entre les livres publiés chez Grasset et ceux publiés aux Belles Lettres, entre l’éloge de Rubens et la ridiculi sation de l’empire du Bien, entre la collaboration à Art Pr ess et celle à l’Atelier du r oman. Et peu importe, dans le fond, que ces divers travaux aient pu être concomitants, ou que les propos tenus dans telle revue et dans telle autre aient pu être exacte 22

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ÉTUDES ET RÉFLEXIONS

PHILIPPE MURAY,D’UN PLAISIR L’AUTRE

■ OLIVIER MAILLART ■

Je riais comme jamais peut­être on n’avait ri, le fin fond de chaque choses’ouvrait, mis à nu, comme si j’étais mort.

Georges Bataille

N ombre des commentaires qui ont suivi la mort de PhilippeMuray  ont  insisté  sur  la  « rupture »,  dans  sa  vie  commedans son œuvre, entre une première période aux côtés de

l’avant­garde,  période  conjuguant  la  réussite  littéraire  et  lessaines valeurs de la modernité intellectuelle et artistique, et uneseconde  de  ratiocineur  aigri ,  poujadiste  et  malfaisant.Réactionnaire,  en un mot.  Sur  la  datation  exacte de  cette  lignede  partage  des  eaux  les  avis  divergent,  mais  il  semblerait  quel’on puisse situer  le glissement progressif de Muray vers  le Malentre 1991 et 1997, entre les livres publiés chez Grasset et ceuxpubliés aux Belles Lettres, entre l’éloge de Rubens et la ridiculi­sation de l’empire du Bien, entre  la collaboration à Art Press etcelle à l’Atelier du roman. Et peu importe, dans le fond, que cesdivers  travaux  aient  pu  être  concomitants,  ou  que  les  propostenus  dans  telle  revue  et  dans  telle  autre  aient  pu  être  exacte­

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ment  les  mêmes. Comme  l’expliquait  Jacques  Henric  dans  unouvrage récent,  les mêmes mots, pour peu qu’ils soient publiésdans une bonne revue ou dans une mauvaise, ne sauraient avoirle même sens ; a fortiori si  leur  auteur est mon ami ou  s’il nel’est plus.

Le  malheur,  c’est  que  ma  propre  expérience  ne  cadre  pasexactement avec cette répartition. La lecture (dans le désordre, eten  commençant par  la  fin hélas,  par  le  « mauvais  côté »,  ce quemon  jeune  âge  ne  saurait  excuser  totalement)  des  œuvres  deMuray me donne même plutôt, je l’avoue, le sentiment d’une cer­taine cohérence.

Si  l’on se  limite à ses ouvrages majeurs, du moins à ceuxque je tiens pour tels (Céline, le XIXe Siècle à travers les âges, laGloire  de  Rubens, l’Empire  du  Bien et  Après  l’Histoire, sanscompter  nombre  des  textes  regroupés  dans  les  Exorcismesspirituels), on peut constater qu’ils se répartissent harmonieuse­ment des deux côtés de la date fatidique de 1991, cette frontièreentre  le  Bien  et  le  Mal  habituellement  tracée.  De  plus,  il  n’estpas si sûr que les grands thèmes « réactionnaires » de la secondepartie de l’œuvre ne puissent se retrouver dès les années quatre­vingt.  On  observe  plutôt  le  contraire :  même  rire  terrible  quis’attaque  aux  avant­gardes,  au  progressisme  et  à  toutes  lescroyances qui font les foules (socialisme, occultisme, fête, etc.),théorie de  la  fin de  l’Histoire  (par exemple dans un beau  texteparu  dans  l’Infini en  1990,  « État  de  siècle »),  sans  parler  deséloges  de  peintres  et  d’écrivains,  des  jeux  de  langage,  de  lahaine  de  la  phraséologie  journalistique  comme  de  la  mauvaiselittérature, etc.

En  gros,  il  n’est  pas  difficile  de  se  rendre  compte  que  ladistinction établie par certains commentateurs entre deux pério­des,  presque  deux  œuvres  différentes  produites  on  ne  saitcomment par deux hommes portant le même nom, ne tient pasdebout. Et qu’elle est davantage le fruit de rivalités de personnesque  de  la  lecture attentive  d’une  œuvre  qui  n’est  pourtant  pasinfinie.

Mais la nature humaine étant ce qu’elle est, et les attaques àl’encontre  des  morts  trouvant  rarement  leur  juste  récompense  (siseulement  la  tombe de Muray pouvait être ornée d’une sculpture

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distribuant des baffes à tous ceux qui tentent de l’offenser, commedans  le Fantôme de la liberté de Buñuel !),  il  faut bien que quel­qu’un s’atèle à la tâche.

Essayons donc d’être un peu plus précis.

Deux exemples

On  présente  généralement  la Gloire de Rubens (1) commel’une des belles  réussites de  son auteur. À  raison d’ailleurs. C’estpeut­être l’ouvrage le plus délibérément positif de Muray. Celui oùil choisit de tourner le dos à l’époque que, déjà, il vitupère large­ment (voir  le  roman qu’il a publié  juste avant, Postérité).  « Il  fautchoisir, écrit­il, ce par quoi on a envie de se laisser déborder. Il n’ya qu’un problème, en  réalité,  il  consiste à  savoir ce qu’on désireéterniser,  et  parallèlement  ce  dont  on  souhaite  être  débarrassé.Organiser, surtout, le plus méthodiquement possible, la pénurie dece qu’on déteste. »

La pénurie de ce qu’on déteste,  jolie formule. Avec Rubensen  tout  cas,  Muray  est  servi :  femmes,  richesses,  mouvements  àn’en plus finir,  torsades  qui  donnent  le  vertige,  et  puis  femmesencore, femmes énormes et débordantes, chairs et nudités à l’infini.De  quoi  oublier  largement,  pourrait­on  penser,  les  sottises  destemps modernes. Qui sont pourtant, et sans que cela nuise à l’élogedu  peintre flamand,  constamment  réintroduites  par  Muray  dansson tableau d’ensemble. Pas de positif, aussi abondant soit­il, aussisplendide, sexuel et généreux se présente­t­il, sans que le négatifne vienne y apporter son grain de sel. On ira voir pourquoi.

De l’autre côté du spectre, à l’autre bout de la décennie dubasculement vers le Mal, se dresse Après l’Histoire (2). Sans doutesa  dernière  grande  œuvre.  Plus  qu’un  simple  recueil  de  chro­niques,  un  essai  à  part  entière,  qui  dresse  une  nouvellePsychopathologie de  la vie quotidienne pour  les  temps modernes,et  tente  l’analyse  raisonnée  des  différentes  métamorphoses  de  lavie humaine en Occident. Quelque chose comme les Mythologiesde Barthes récrites aujourd’hui, avec le rire de Rabelais et la colèrede Léon Bloy.  Ici,  le négatif  règne en maître. Plus  trace de bon­

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heur ni de  jouissance, pourrait­on croire, plus de place pour uneévasion  sans  culpabilité  comme  l’offraient  les  toiles  de  Rubens  àpeine dix ans plus tôt. Et pourtant… Une fois encore il y a un « etpourtant ».  Dans  ce  voyage  au  bout  de  la  nuit  hyperfestive,  aucœur d’un monde réellement  renversé où  les dernières  traces dunégatif ne sont plus qu’un moment de la pseudo­positivité généra­lisée, on pourra se demander s’il n’y a pas tout de même un peude jouissance à vivre. Et à rire.

L’art de l’essai romanesque

Mais commençons par Rubens. À travers ce dernier, c’est unportrait  de  l’artiste  tel  qu’il  le  rêve,  tel  qu’il  se  rêve,  que  dresseMuray.  Un  artiste  plongé  dans  les  tourbillons  de  l’Histoire :batailles,  guerres  des  religions,  mise  à  sac  d’Anvers.  Sans  que  lebonheur  des  œuvres  du  peintre  s’en  trouve  altéré.  On  a  bienappris avec Joseph de Maistre que « le sang est  l’engrais de cetteplante  qu’on  appelle  génie ».  On  découvre  avec  le  Rubens deMuray  un  univers  de  pure  jouissance  qui,  s’il  met  de  côté  « lanégation renfrognée,  le non boudeur ou  furieux opposé à  tout »,n’en demeure pas moins irrigué par les heurts et les contradictionsde son temps.

Dans cet univers, Muray se trouve à l’opposé du roman, desa conception du roman en tout cas (désaccord parfait et négationopposée au monde,  trahison et  rupture). Pour autant, sans douteest­ce sa nature qui reprend le dessus, il ne saurait évacuer entiè­rement le monde dans lequel il habite, dans lequel il vit sa passionpour  Rubens  et  écrit  son  essai.  Comme  il  le  rappelle  :  « On  nepeut pas parler que de ce qu’on aime,  il  faut aussi, de  temps entemps,  rappeler  ce qu’on déteste  afin que,  sous  cet  éclairage,  cequ’on aime se fasse mieux voir. » Nous voilà donc embarqués pourplusieurs  pages  de  « théologie  négative »  de  Pierre  Paul  Rubens.Soit  la  définition  en  creux  de  l’expérience  du  bonheur  en  art,  àtravers tout ce qu’elle n’est pas.

Surtout, et à nouveau nous nous trouvons en terres roma­nesques,  Muray  choisit  d’écrire en s’engageant  totalement

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comme  individu, et  comme corps. « L’Art en  soi ne m’empêchepas de dormir, écrit­il plaisamment, son histoire est une disciplineaméricaine, sa critique une idée fixe germanique, je les retourneà l’envoyeur  avec  bonne  humeur. »  À  lui  donc  d’inventer  uneécriture pénétrante, puissamment  sexuelle, qui  trouve  son apo­gée  dans  le  morceau  de  bravoure  que  constitue  sa  descriptiondu  cycle  de  Marie  de  Médicis  au  Louvre.  Représentation  de  cequi  est  déjà  une  représentation,  morceau  de  bravoure  d’unmorceau  de  bravoure,  vécu  comme  une  cavalcade  extatique,joyeuse et fantaisiste.

Très tôt, dès le XIXe Siècle à travers les âges en fait, Muray aconsidéré l’essai comme l’une des formes du romanesque. Épopéecomique, affrontements burlesques, refus de s’en tenir à la simpledescription d’une œuvre pour parler, à  travers elle, du monde etdes hommes. La Gloire de Rubens comme Après l’Histoire profitentà leur tour de cette invasion de la pensée par le monde, de cettedomination des  idées par  le corps. Au point que  la  fameuse  for­mule  de  Cioran  sur  l’écriture  critique  (« Tout  commentaire  d’uneœuvre est mauvais ou  inutile, car  tout ce qui n’est pas direct estnul. ») semble perdre de sa pertinence. Puisque c’est  l’expériencede l’œuvre qui est racontée comme expérience première, directe.Et  que  c’est  toujours  l’œuvre qui ouvre  la  société  jusqu’auxentrailles, motif dans le tapis du monde qui en exprime à la fois ledétail et l’ensemble.

Alors  évidemment,  Muray  exagère.  Tempête  outre  mesure,s’enthousiasme  au­delà  de  toute  raison.  Comme  son  peintre  féti­che, il a le goût de l’énorme, la tête épique, le style qui s’emballepour un rien. Tout est prétexte à éructer, cogner, louer. Forcément,ça nous change des poésies miniaturistes à la mode d’aujourd’hui.Du ruralisme et des petites proses en sucre. Des épopées en  jar­din, dans la veine je chante les arbres et les pommes…

Les  pommes…  C’est  que  justement,  avec  Rubens,  ce  nesont  pas  des  fruits  et  légumes  que  l’on  a  sous  les  yeux.  Parmiles cibles récurrentes de tous les essais de Muray sur la peinture,il y a l’interdiction de parler du « référent », de tenir compte dece qui est représenté pour juger un tableau, l’aimer, le compren­dre,  le  sentir.  Assemblage  de  couleurs  sur  une  surface  planed’accord,  mais  même  si  ceci  n’est  pas  une  pipe,  l’image  d’une

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femme nue n’est pas non plus équivalente à  l’image d’une gol­den ou  d’une  grany  smith.  En  bon  héritier  (même  contrarié,même hérétique) de Roland Barthes (3), Muray ne cherche pas àrevenir  en  arrière  sur  les  apports  de  l’analyse  des  œuvres  enterme de « référents », ni sur toutes les théories qui visent à déta­cher  le  tableau  de  son  modèle.  Seulement,  en  posant  le  désircomme écriture possible  sur  l’art pictural,  il  dépasse  les  cadresimposés du problème. Pour le dire de façon « bathmologique »,il  se  retrouve  à  un  niveau  supérieur  du  sens,  à  un  degré  au­dessus de la spirale. En estimant que la question du référent estd’abord une question sexuelle, il justifie son amour pour Rubens,et  son  écriture  « romanesque »  d’une  peinture  par  son  regarddevenue  telle.  Car  les  femmes  s’animent  sous  un  tel  regardlubrique,  elles  semblent  même  sauter  d’un  cadre  à  l’autre  etrevenir  sans cesse,  tableau après  tableau, comme  les personna­ges  de  la  Comédie  humaine reviennent  de  roman  en  roman.Rubens en Balzac de la toile et du pinceau. Et pour nous, quelleexpérience ! Ces femmes, « elles saillent de la toile, elles débor­dent ! Aguicheuses inoubliables ! » On est pratiquement dans unrécit fantastique. C’est le syndrome de Stendhal devenu jouissancepure ! Avec ce goût qu’a Muray pour  les géantes,  femmes opu­lentes rubéniennes,  felliniennes  flamandes, qui n’est  jamais quele pendant de son attachement aux œuvres proliférantes, énormes,qui  cherchent  à  emporter  l’adhésion  à  force  d’accumulations.Balzac  encore.  Aragon.  Le  XIXe Siècle  à  travers  les  âges.  Aprèsl’Histoire.

Rubens,  c’est  ce bon géant  rabelaisien qui offre  au  regarddes hommes une foule de femmes toutes plus dodues et appétis­santes  les  unes  que  les  autres.  Le  contraire  d’un  père  castrateurou culpabilisateur (la Gloire de Rubens, ou l’homme sans culpabi­lité). Mon père, éloigne de moi cette croupe ? Mais certainementpas ! Ce qu’il  faut  éloigner  c’est  tout  le  temps présent. Non pasparce que, selon  la  formule, c’était mieux avant. Mais parce quec’était mieux toujours. Et qu’il est toujours possible de retrouver lajouissance, par  l’art et par  le rire. En poussant  la porte qui noussépare des plus grandes œuvres. En plongeant dans les tableaux,après les avoir débarrassés des discours qui  les recouvrent et  lesinterdisent à notre vue.

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La mise en comédie du monde

Seulement  voilà :  après  Rubens,  est­ce  qu’on  est  aprèsl’Histoire ? Suivons le cheminement de l’œuvre de Muray : on passede  la Gloire  de Rubens à l’Empire du Bien. Cette  fois,  au  termed’une curieuse transmutation de toutes les valeurs, le positif seraitdevenu envahissant,  insupportable, ne  laissant plus aucune placeau  travail  du  négatif.  Pourquoi  pas,  mais  dans  ce  cas  où  va  seloger  la  jouissance ? Le  plaisir  qu’on  va  désirer  éterniser.  Parcequ’après  tout,  c’est bien ça  le plus  important. Pas  l’histoire de  lafin de l’Histoire.

Ah ! La fin de l’Histoire ! C’est curieux comme tout le mondes’est crispé là­dessus, à propos des derniers livres de Muray. En lefourrant  dans  un  sac,  en  compagnie  de  carpes  et  de  lapins  quin’avaient pourtant pas grand­chose à voir  avec  lui  (Fukuyama !).Peut­être parce  que  c’était  une  manière commode,  comme  sou­vent, de passer à côté de l’essentiel. Soit qu’on ne l’ait pas vu, soitqu’on ne tienne pas à ce que d’autres le voient.

Parce que, franchement, cette théorie hegelo­kojévienne, est­elle  si  importante  pour  que  la  dernière  grande  œuvre  de  Murayfonctionne ? Pour que son discours sur le monde porte ? Ou est­cequ’au contraire ce monde lui échappe définitivement à cause de cesupport théorique même. Voyons ! À l’heure où même les adversai­res  les  plus  acharnés  de  Muray  n’osent  plus  employer  le  mot« festif » (grande victoire pour un écrivain : quand on ne peut plusparler innocemment sur un sujet qu’il a marqué de son empreinte).Quand la presse ne cesse d’écrire Après l’Histoire à son insu, prèsde  dix  ans  après  la  mise  en  chantier  du  projet.  Pour  ma  part,j’avoue n’avoir jamais très bien compris l’utilité de la théorie de lafin  de  l’Histoire.  Mais  son  rôle  dans  l’essai  de  Muray  me  sembleassez facile à repérer : on peut faire la comparaison avec ces gigan­tesques réacteurs qui font décoller les fusées, mais dont celles­ci sedébarrassent une  fois qu’elles ont atteint  l’espace. Une assise à  lamise en comédie du monde, rien de moins, rien de plus.

D’ailleurs,  difficile d’attribuer  à  autre  chose qu’à  la  sottiseou à la malveillance la lecture de Muray en écrivain décadent, enpessimiste « fin de siècle ». Comme il  l’écrivait dans l’article déjà

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mentionné de l’Infini, la croyance en une signification particulièredes  dates  relève  de  la  pensée  magique,  c’est­à­dire  qu’elle  sesitue  à  l’opposé  de  toute  pensée  de  déchiffrement  romanesquedu  monde.  « Croire  aux  siècles  ou  les  raconter,  en  effet,  il  fautchoisir. » Et plus loin : « L’illusion de la fin du siècle sert à plan­quer  le  réel  de  la  fin  de  l’Histoire. »  Maquillage  du  monde,  deson  état  et  des  discours  qui  tentent  d’en  dresser  le  portrait.Maquillage  dont  relèvent  encore,  au  fond,  les  lectures  d’unMuray pessimiste et « fin de siècle », qu’elles soient intentionnel­les  ou  non.  Quand  chacune  de  ses  pages  éclaire le  monde  aumoyen d’un grand éclat de rire.

Car c’est bien  là que  réside  la  formule magique. Si Aprèsl’Histoire marque la poursuite du projet romanesque, historiqueet donc, en ce sens, « moderne » (osons le mot, même si lui aussin’est plus innocent !),  c’est  à  travers  cette  opération  cognitivequi charge le rire de transformer  le monde contemporain, aussihonni  soit­il,  en  comédie.  Que  les  bons  élèves  de  Kundera  serassurent,  on  en  trouve,  chez  Muray,  de  la  littérature  comme« outil  de  connaissance »,  et  à  foison.  Et  que  les  jubilateursmécaniques  retrouvent  le  sourire,  la  jouissance  aussi  est  de  lapartie,  puisque  le  détestable  se  transforme  en  plaisir  à  mesurequ’il est affronté et vaincu par  le verbe. Que  les modernolâtressurtout,  les  chasseurs  de  réacs  et  autres  cagots  néophiles  sedécrispent  tout à  fait et  reprennent  leur souffle : sans avoir  faitle  calcul  exact,  je  crois  pouvoir  affirmer  que  parmi  les  auteursles plus cités dans Après l’Histoire on trouve (peut­être derrièreHegel et Kojève, et encore) Marx, Nietzsche, et Freud. Les troismaîtres de  la  pensée  moderne,  de  la  pensée  moderne  commepensée  critique  en  tout  cas.  Pas  loin,  on  retrouve  Barthes  etHeidegger,  et  puis  il  y  a  les  romanciers :  Kafka,  Bernanos,Céline,  Bloy,  Balzac,  Musil,  Kundera,  Marcel  Aymé,  Buzzati,Pasolini, Gombrowicz, etc.

C’est toujours une question de langage, en fait. Amusant devoir comme un mot,  « moderne », peut devenir haïssable quandtout ce qui s’en réclame n’est synonyme que de « soumission ». Etcomme  ce  qu’il  désigne peut  reprendre  vie  lorsqu’il  est  investipar un univers aussi foisonnant, une culture aussi variée. Un pro­jet aussi intensément critique et irrespectueux.

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Un rire sans précédent

Comme toujours on le voit, comme déjà avec le Rubens, letout pour l’écrivain est de trouver l’écriture qui permettra de ridi­culiser les discours qui l’entourent et le précèdent. Pas d’histoirede l’art, mais un corps plongeant dans les tableaux pour y pour­suivre  les gracieuses nymphes exposées. Pas d’essayisme naïve­ment accroché à la langue morte des penseurs obéissants : plutôtinventer  le  théâtre qui  tournera en comédie  la phraséologie destemps modernes. Qui mettra en scène comme autant de person­nages de  fiction  les hommes et  les  femmes qui  continuent à  secroire en vie quand ils ânonnent le verbiage le plus poussiéreux.Tâche  immense. Tapisserie de Pénélope. Mais qui  a  ses antécé­dents  illustres.  Il  faudrait  reparler  de  Barthes  par  exemple,  deson analyse de la langue « fasciste », de la plaisante ironie de sesMythologies. Mais j’ai en tête quelqu’un de plus énorme. De telle­ment  plus  méchant.  À  la  fois  « réactionnaire »  et  « moderne »,comme de juste. Révéré par Elias Canetti et Walter Benjamin, çan’est  pas  un  mauvais  début.  Je  veux  bien  sûr  parler  de  KarlKraus.

Muray  a  souvent  expliqué  qu’il  avait  trouvé  dans  le  grandchant  pluriel  médiatique,  dans  l’hypertexte  des  journaux  et  destélévisions rassemblés  la matière d’un présent qui ne cesse de setrahir  lui­même par  la  façon dont  il  se  loue. Les  indices compro­mettants  d’un  onirisme  délirant  qui  remplace  la  vie  par  les« valeurs » et les conflits par la louange.

Or qui, à la suite des réflexions prémonitoires que l’on peutglaner  chez  Nietzsche  ou  Maupassant,  a  mieux  flétri  l’immondereporter, le  journaliste  qui  « donne  réalité  aux  atrocités  qu’ilinvente » ? Karl Kraus bien sûr. Karl Kraus qui écrit en 1914 : « Lapresse  est­elle  un  messager ? Non,  elle  est  l’événement ! Undiscours ? Non, la vie ! » Et encore : « Une fois de plus l’instrumenta été  plus  fort  que  nous.  Nous  avons  placé  l’individu  chargéd’avertir en cas d’incendie, et dont  le rôle dans  l’État devrait êtretout à fait subalterne, plus haut que le monde, plus haut que l’in­cendie,  plus  haut  que  la  maison,  plus  haut  que  l’événement  etplus haut que notre imagination. »

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L’écrivain qui décide de prendre en charge la langue, de latirer  des  pattes  d’un  journalisme  universel  et  tout­puissant,  saitqu’il  se  trouve  dans  la  position  de  Sisyphe,  mais  d’un  Sisyphefrappé d’une punition paradoxale puisqu’il s’attaque à une calci­fication  de  la  langue  qui  se  renouvelle  sans  cesse,  nécrose  quiconstamment revit sous une forme différente. Face à la phraséo­logie,  ce  figement  de  la  langue  en  formules  mortes,  l’écrivaindoit apprendre à utiliser cela même que son adversaire lui disputeen le contaminant.

Il  ne  s’agit  nullement  de  linguistique  cependant.  Commepour  les  toiles de Rubens,  c’est  toujours  le  « référent »,  disons  lemonde concret, sexuel, qui préoccupe Muray. Car la phraséologie,écrivait  précisément  Walter  Benjamin  dans  son  essai  sur  Kraus,n’est  jamais  que  « l’expression  linguistique  de  l’arbitraire  aveclequel,  dans  le  journalisme,  l’actualité  s’arroge  la  domination  surles choses. » Pour  les embellir bien sûr. Les poétiser. Et organisersciemment la disparition du réel.

Que peut faire, face à cela, la littérature ? On l’a dit pour lesfemmes de Rubens : il s’agit alors de trouver l’écriture pénétrantequi permette le contact. Mais face au journalisme roi ? À nouveau,le parallèle entre Kraus et Muray est  frappant. Ainsi dans  l’usagede la citation. « Citer un nom, écrivait Benjamin à propos du pre­mier, signifie  l’appeler par son nom. » Dénoncer  la nudité malgréles  habits  neufs.  Il  faut  pour  cela  dresser  un  théâtre  propre àdénoncer  les  faux  semblants.  Et  monter  soi­même  sur  scène.Donner  de  la  voix,  jouer  les  Misanthrope,  les  Timon  d’Athènes.Exagérer, vociférer. Faire rire, en un mot, en tenant un rôle et enassignant un rôle à chacun des discours que l’on cite. C’est ce qu’afait Muray avec Après l’Histoire. Il a monté un théâtre, distribué lesrôles,  imaginé  les  décors.  Comme  Kraus.  Comme  Balzac  aussid’ailleurs : il a même ses personnages récurrents ! Vraiment, je n’aijamais  compris  pourquoi  les  Jack  Lang,  les  Laurent  Joffrin  ne  sesont pas montrés plus  reconnaissants vis­à­vis de  l’auteur d’Aprèsl’Histoire ! Il  les a  tout de même placés sur une scène autrementplus drôle et passionnante que les plateaux télévisés de TF1 ou lescolonnes du Nouvel Observateur et de Libération ! La plus grandecomédie des temps modernes ! Le Circus Festivus, avec  jongleurset  montreurs  d’ours ! Entrez,  entrez,  le  spectacle  commence,  et

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depuis  qu’il  a  été  créé  il  n’a  plus  été  possible  de  l’arrêter,  carlorsque le monde est saisi d’une manière aussi ferme et féroce, ilmet du temps à changer de forme et à s’échapper. Voilà le clowngueulard, celui qui joue des tours à tous et distribue la parole. « Ilimite  l’adversaire pour appliquer  le  fer de  la haine dans  les plusfins  interstices de son attitude. Ce graveur de syllabes qui creuseentre  les  syllabes  extirpe  des  paquets  de  larves  nichées  là.  Leslarves de la vénalité et des jacasseries, de l’infamie et de la bonho­mie,  de  l’infantilisme  et  de  la  convoitise,  de  la  voracité  et  de  lamalignité.  Il  démasque  en  effet  l’inauthentique  –  opération  plusdifficile que celle qui a pour but de démasquer le mal – procédantà la manière behavioriste. Les citations de Die Fackel sont plus quedes pièces justificatives : ce sont des accessoires de théâtre qu’uti­lise le récitant pour démasquer à travers la mimique. » Voilà que jem’emballe et que je cite à nouveau Benjamin dissertant sur Kraus.Mais, sur ce point en tout cas, Kraus ou Muray, c’est pareil ! Et sila  phraséologie  a  vaguement  changé,  le  spectacle  est  toujoursaussi  nécessaire.  Aujourd’hui  certes,  on  n’est  plus  patriotard,  entout cas en France (mais cela peut changer : notre nouveau prési­dent n’a que le mot « fierté » à la bouche ; après les homosexuels,les femmes et les immigrés, c’est au tour des Français d’aller mar­cher au pas dans  les  rues… Et vivent  les défilés ! Vivent  les bal­lons bleus, blancs, rouges ! Vive la French Pride !). Ce sont plutôtles droits, de  l’homme, de  la  femme, de  l’enfant ou des animauxqui  prolifèrent.  Pas  un  seul  discours  qui  ne  cherche  à  s’énoncerdans la langue morte des droits humains. Même le porno ! Il fautle  faire quand même,  les couvertures des magazines étant  restés,jusqu’à  il  y  a  peu,  l’un  des  derniers  refuges  du  mauvais  goût leplus réjouissant (4). Et qu’est­ce que je vois l’autre  jour ? En grostitre sur un kiosque ? « Ces pays où le porno est interdit ». Ça y est,ils s’y mettent aussi. Ils vont nous réclamer des droits, des subven­tions. Des aides de l’Union européenne. Et puis il y aura des mou­vements de soutien. Rocco Siffredi à la tête de SOS Darfour, ou lalutte  légitime pour obliger  les populations  réfractaires  à  consom­mer  porno.  X  pour  tous.  Touche  pas  à  mon  zob.  On  va  bientôtvoir  Kouchner  avec  un  sac  sur  l’épaule,  rempli  de  DVD  et  demagazines,  apporter  son  soutien aux populations martyrisées parles  plus  odieux  régimes  de  la  planète  (et,  comme  c’est  curieux,

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j’imagine que ce seront précisément ceux qu’on n’aime pas d’habi­tude ; l’axe du Mal des rituels islamo­communistes serait­il, en plusde toutes ses tares, atteint de pornophobie ?).

Voilà la comédie des temps modernes. Tout est en place. Etquand bien même nous nous sentirions un peu seul, Muray nousaura appris à  la voir  comme cirque  inédit. Comme possibilité derire sans précédent, puisque c’est la phraséologie d’aujourd’hui, iciet maintenant, qu’il est parvenu à mettre en scène. Et, visiblement,pour un certain temps encore.

Plaisirs

Bien.  Revenons  à  nos  moutons.  À  cette  rupture  dont  noussommes partis. Au partage du positif et du négatif dans l’œuvre deMuray. Et surtout à la positivité, puisque c’est a priori elle qui estcensée faire le plus défaut chez son auteur. C’est qu’il s’en méfie,généralement. Qu’on se rappelle son Céline : c’est quand l’auteurde Mort à crédit a renoncé pour un temps à la pure négativité qu’ils’est retrouvé au diapason des valeurs de la foule. Et donc de l’anti­sémitisme.  Évidemment  Muray  n’a  jamais  donné  là­dedans.Jamais rejoint la foule. Quand il veut s’injecter une bonne dose depositivité, il part bien loin de nous, au XVIe ou au XVIIe siècle. Lapositivité  de  Rubens  n’est  telle  à  ses  yeux  que  parce  qu’elle  estprécisément  en  opposition  frontale  avec  les  valeurs  de  notretemps. « Ce qu’il y a pourtant de plus remarquable, écrit­il, c’est sanon­actualité. Il n’existe tout simplement pas dans les réseaux quifont  vibrer. »  Et  plus  loin : « Je  ne  serais  d’ailleurs  pas  en  traind’écrire  ce  livre  si  Rubens  trouvait  le  moindre  écho,  mêmeoblique, dans nos débats. S’il flottait si peu que ce soit autour desphénomènes  de  l’air  du  temps.  Je  connais  l’actualité,  je  n’ai  pastrop d’estime pour elle. Mon contemporain brûlant c’est lui. »

Mais pour écrire son livre, on l’a dit, Muray ne peut s’empê­cher de la réintroduire, cette actualité. Il est comme ça, il carbureau négatif. Dans la Gloire de Rubens comme dans Après l’Histoire,dans le XIXe Siècle à travers les âges comme dans l’Empire du Bien.Dès  qu’on  entre dans  la  positivité,  est­ce  à  dire  qu’on  quitte  le

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romanesque ? Que se passe­t­il, concrètement, quand Muray entredans le tableau, dans les toiles du cycle de Marie de Médicis parexemple ? Et bien, je crois qu’on peut retrouver ici une typologiequ’il affectionnait, celle que Marthe Robert emprunte à Freud pourparler  du  roman.  L’« enfant  trouvé »  et  le  « bâtard ».  Dans  untableau,  on  s’évade.  On  quitte,  pour  un  bref  instant,  le  rapportcritique au monde. Dans l’étreinte sexuelle aussi d’ailleurs (voir lesromans,  ou  les  poèmes  de  Minimum  respect puisque,  une  foisencore,  il  ne  s’agit  pas  d’opposer  une  partie  de  l’œuvre  à  uneautre).  C’est  une  jouissance  évidemment,  et  comment ! Mais  çan’est pas  la  seule.  La  littérature,  le  rapport  critique au monde,  lerire, tout cela aussi est jouissance. Mais c’est celle du bâtard, cellede l’être qui ne peut s’empêcher, même dans le rapport au mondele plus  agressif,  de  se  sentir  lié  à  lui.  De  l’aimer,  d’une  certainemanière.

Lorsque  Pierre Mercadier,  ce  personnage  d’un  roman  qu’ilaimait souvent citer (les Voyageurs de l’impériale d’Aragon) nous faitpart du regard qu’il porte sur les hommes et la société, il distingueles êtres de la manière suivante : « il y a deux sortes d’hommes dansle monde,  ceux qui pareils  aux gens de  l’impériale  sont emportéssans  rien  savoir  de  la  machine  qu’ils  habitent,  et  les  autres  quiconnaissent le mécanisme du monstre, qui jouent à y tripoter… »

Il n’est pas difficile de voir que, même s’il savait s’en évader,Muray a préféré s’intéresser à la société qui l’entourait plutôt quede se laisser bercer par ses chants. Surtout s’il y trouvait matière àplaisir. Rubens signifiait pour lui la jouissance, comme état opposéà tout ce qu’il haïssait. Dans Après l’Histoire, c’est Muray lui­mêmequi occupe la place de celui qui  jouit, du fait de sa distance tou­jours maintenue avec l’époque.

C’est  pourquoi  il  n’y  a  pas  de  rupture  dans  l’œuvre  dePhilippe Muray. Car  tous ses grands ouvrages s’animent d’un rirecapable de transformer n’importe quoi en objet de jouissance, touten  le  faisant  connaître  mieux.  Autant  de  livres  du  rire  commedévoilement de l’oubli – de l’Être, de l’Histoire, de l’homme.

1. Philippe Muray, la Gloire de Rubens, Grasset, 1991.2. Philippe Muray, Après l’Histoire, première publication aux Belles Lettres en 1999

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et 2000 (deux volumes), repris en un seul volume chez Gallimard, « Tel », 2007.3. On s’apercevra que  le nom de Barthes  revient à plusieurs  reprises au cours decet  article. C’est qu’à mon avis  le  rapport de Muray à  ce dernier  est  symptoma­tique de son positionnement à l’égard de la modernité.  Il est en effet possible defaire ainsi surgir la fidélité de Muray au projet critique et historique (comment pro­noncer le mot « moderne » quand on sait qu’il le fera sursauter dans sa tombe) del’art.  Permanente  originalité  de  la  pensée,  renouvellement  joyeux  des  formes,jamais Muray n’a renoncé à poursuivre plus avant la route tracée par ses maîtres eninvention. En refusant toujours aux petits chefs du jour le respect qu’ils exigent, il aprolongé à sa façon le cheminement de l’art historique.4. Heureusement, tout n’est pas perdu : croisé l’été dernier, parmi les gros titres dumagazine Union : « Le gynéco m’a  fait gicler  tout mon  lait ! » et « Un  toucherrectal explosif ». Ah, poésie…

■ Olivier Maillart est critique littéraire et s’occupe de la coordination éditoriale de larevue l’Atelier du roman. Il enseigne également au département des arts du spec­tacle de l’université Paris­X Nanterre.

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