perception et normes sociales : une alternative à l'intellectualisme
TRANSCRIPT
-
UNIVERSIT CATHOLIQUE DE LOUVAIN ET
UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL
PERCEPTION ET NORMES SOCIALES:
UNE ALTERNATIVE
L'INTELLECTUALISME CONTEMPORAI N
VOLUME 1
THSE PRSENTE
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DU DOCTORAT EN PHILOSOPHIE
PAR
SIEGFRIED L. MATHELET
AOT 2011
-
UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL Service des bibliothques
Avertissement
La diffusion de cette thse se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a sign le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles suprieurs (SDU-522 - Rv.1-26). Cette autorisation stipule que conformment l'article 11 du Rglement no 8 des tudes de cycles suprieurs, [l'auteur] concde l'Universit du Qubec Montral une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalit ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pdagogiques et non commerciales. Plus prcisment, [l'auteur] autorise l'Universit du Qubec Montral reproduire, diffuser, prter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'intern~t. Cette licence et cette autorisation n'entranent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] [ses] droits moraux ni [ses] droits de proprit intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la libert de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possde un exemplaire.
-
Simone, Fernand et Louis
... Pour m'avoir tout de suite adopt.
Monique
... Pour avoir perptu la tradition, pour son soutien et tout son amour.
ma mre,
... Malgr tout.
Et mon pre que le destin m'a enlev trop tt.
-
Remerciements
Nous tenons particulirement remerCIer nos directeurs de recherche, les
p r Marc Maesschalck et Denis Fisette, qui nous ont fortement encourag au
long de notre travail en plus de nous aiguiller dans l'laboration de notre
projet de recherche et de nous prodiguer de judicieux conseils. Nous
remercions galement le p r Robert Brisard qui nous a accueilli dans ses
sminaires au Luxembourg, de mme que la pr Catherine Garnier qui nous a
introduit la thorie des reprsentations sociales, ainsi que nos amis
MeKhalid M'Seffard, M.A. en philosophie, et Me Pierrick Choinnire
Lapointe pour nos discussions sur le constructionnisme sociologique et
juridique. Merci Maryvonne Le Port, qui a accept de passer de nombreuses
heures relire 1'0l1hographe de notre texte. Toutes les inconsquences
restantes du textes ne sont dues qu' notre propre turpitude. Finalement, nous
tenons souligner l'apport de notre compagne, Karine, dont l'amour, le
soutien et le dvouement n'ont eu de cesse au cours de ce labeur, et sans
lesquels celui-ci n'et pas t possible.
-
1.
To live is a lot more than to express, which is itself more than to write.
Lester Embree, The phenomenology of representational awareness in Human Studies, Vol. 15, 1992, p. 303.
2.
There is nothing specially novel in the anti-intellectualism that accepts the stock problems of the intellectualist philosopher, and then attempts to solve them by calling in the assistance of nonintellectual factors, such as feeling, immediate intuition, faith or volition; this is a standing device of the whole history of philosophy. There is something more promising in an attempt which, accepting the complete right and autonomy of knowing and of logic in its own field, tries to see what this field of knowledge and refiective intelligence is and means as a specific type of behavior in a more inclusive scheme of behavior.
John DEWEY Some Implications of Anti-Intellectualism in
The Journal of Philosophy, Psychology and Scientific Methods, Vol. 7, no. 18, Sep. l, 1910, p. 480-481.
3.
Sweep what away? Not the personality-in-the-body, nymph- inthe-tree idea, feeling, belief. That idea-feeling-belief is very lovely, very true, very useful in its own time and place. Sweep away only the naive assumption that that is the method to see and record facts in social science. Reduce, then, the personality system of seeing and recording to the position of one among many possible systems of seeing and recording. Try the other systems, and see which gives the most complete, the most coherent delivery. The personality form of statement is a good form for domestic quarrels, but a bad form for theories of crime and punishment. It is nice for heroworshipers, illusion for Buddha, bedrock for Western theology, multiplicity-in-unity for psychoanalysis, hypothesis for the philosopher, and the most uncertain thing in the world to its closest students.
Atthur, f. BENTLEY, Remarks on Method in the Study of Society
in The American Journal ofSociology. Vol. 32, no. 3, 192Gb, p. 459.
-
TABLE DES MATIRES
RSUM xv
VOLUME 1
INTRODUCTION GNRALE: ARRIRE-PLAN DE LA RELATION ENTRE PERCEPTION ET NORME SOCIALE 1
Origine de la problmatique et prsentation de la thse , 1
L'arrire-plan de la philosophie de l'esprit contemporaine 4
Trois prsupposs affectant l'analyse pragmatique de la norme sociale: propositionnel, reprsentationnel et judicatif. 9
Consquence des biais de la pragmatique universelle: volution adaptative ou dveloppementale des normes sociales 12
Articulation de la thse 17
Problme pistmologique de la TAC. 24
Subjectivisme ancr et modlisation topographique dynamique, faut-il choisir ?..... 26
Vers une thorie culturelle des normes sociales 30
CHAPITRE 1 THORIE DES NORMES SOCIALES CHEZ HABERMAS 33
1.1 Habermas et Brandom : trois prsupposs d'un dbat sur les normes sociales... 33
1.1.1 La norme sociale est-elle dpendante de faits rels ou des seuls objets de discours ? 37
1.1.2. Trois prsupposs d'une pragmatique contemporaine - en un sens, toujoUJs newtonienne 42
- Le prsuppos propositionnel de la pragmatique contemporaine 49
-
VI
- Le prsuppos reprsentationnel de la pragmatique contemporaine .... 50
- Le prsuppos judicatif de la pragmatique contemporaine 53
1.1.3 Dfinition et caractristiques de la norme sociale 56
- Parenthse pistmologique 61
1.1.4 Conclusion sur les prsupposs de la pragmatique contemporaine 62
1.2 Pragmatique universelle et thorie de l'agir communicationnel. 64
1.2.1 L'articulation de la pragmatique universelle: une clarification des termes 64
- Les termes 75
1.2.2. La rationalit de l'agir et sa logique interne sous l'angle de la thorie des actes de langage 80
- Position du problme de la rationalit 80
1.2.2.1. La rationalit dans la socit 83
- Le rle central des prtentions la validit pour l'activit
- L'universalisme de la rationalit et la comprhension moderne
- La rationalit travers l' histoire des thories sociologiques 83
- Le concept de rationalit du point de vue de la pragmatique universelle ..... 84
- Les diffrents types de rationalit 87
- Sur l'application du prdicat de rationalit au-del du modle cognitif.. .... 90
- Parenthse sur les prsupposs intellectualistes de la rationalit 92
- La fonction communicationnelle commune tous les types d'expression... 93
communicationnelle 97
du monde 100
-
vu
- Structure universelle du procs de rationalisation 109
1.2.2.2 La rationalit dans l'action 114
- La thorie des trois mondes 114
- Les concepts sociologiques d'action 121
- L'agir tlologique et stratgique 129
- L'agir rgul par des normes 130
- L'agir dramaturgique 132
- L'agir conununicationnel. 135
1.2.2.3. Rationalit des valeurs et des significations 144
- Vers l'argument pragmatico-universel : signification et valeur de l'agir. .. 144
- La coordination de l'action partir de Weber. 149
- Modles de l'agir finalis et de l'interaction 154
- Les orientations de l'agir. 158
- La thorie des actes de langage proprement dite 165
- La force illocutionnaire et la validit des actions langagires 169
- Clture de l'argument par la thorie des actes de langage 176
- En vue d'une thorie sociologique de l'usage du langage 184
- Rflexion sur les modes de coordination 187
- Retour sur le monde vcu 191
1.2.2.4. Logique de dveloppement et processus de rationalisation du monde 194
- L'aspect moral de la rationalit et l'thique de la discussion 195
- Psychologie pragmatique et rationalit sociale 199
-
Vlll
- La thorie du dveloppement moral.. 204
- Thorie de l'interaction et typologie de l'action sociale 210
- Dcentration et dveloppement. 214
- Les perspectives sociocognitives 217
- Rciprocit et formes d'interaction 220
- Stades d'interaction et procdure d'intercomprhension 227
1.2.2.5 Conclusion paltielle 228
CHAPITRE 2 THORIE DE L'AGIR COMMUNICATIONNEL ET PERCEPTION DANS L'HORIZON SOCIOLOGIQUE 237
2.1 Le courant constructionniste 241
La thse pistmologique du constructionnisme 247
Les fondements du constructionnisme chez Kenneth J. Gergen 253
Rvision constructionniste des sciences sociales chez K. J. Gergen 259
Entre constructionnisme et constructivisme habermassien 266
- La dualit de la mthode du constructivisme habermassien 268
- La thorie 277
2.2. Les voix discordantes de la sociologie comprhensive 280
La critique du consensus orthodoxe d'Anthony Giddens 281
L'action crative chez Hans Joas 290
Note sur Pierre Bourdieu 307
2.3. L'cole des reprsentations sociales dans l'horizon de la
-
IX
psychologie sociale 310
La psychologie sociale 310
L'cole des RS : introduction 323
Le concept de reprsentation collective 327
Le dplacement pistmologique 332
A. Gense: le problme de la perception et l'tude des RS 332
B. Repositionnement de la discipline psychosociale autour des RS 336
C. Construction d'une position fondationnelle 339
Apport la sociologie contemporaine 334
Aperu critique 351
VOLUME Il
CHAPITRE III THORIE DES NORMES SOCIALES ET THORIE PHNOMNOLOGIQUE DE LA PERCEPTION 358
3.1. Fondements pistmologiques et mthodologiques de l'entreprise schtzelme 363
Quelques enjeux pistmologiques 363
La culture et les origines autrichiennes de Schtz 374
Le cadre pistmologique de la mthode comprhensive 380
Introduction la thorie des strates de la conscience 382
Antipsychologisme et assise logiciste des sciences sociales 383
Jugement de valeur et validit de l'activit scientifique 386
-
x
De la critique phnomnologique de l'empirisme des sensations la critique
du consensus olihodoxe en sciences sociales 392
Conclusion partielle: une thorie positive de la culture en opposition au
consensus orthodoxe 395
3.2. Thorie sociologique et rvision de la thorie de l'action 400
Entre individualisme mthodologique et interactionnisme 400
3.2.1 L'objet et les concepts fondamentaux de la sociologie comprhensive 407
Tirsias et la structure temporelle de l'action: Agir (actio)
Retour sur les impressions de Carnade, critiques de l'pistmologie des
Les fondements subjectifs de la coordination sociale 408
Le sentiment de dure interne comme fondement du sens de l'action 410
et acte (actuln 413
Parenthse sur l'effet accordon 415
Retour Tiresias 417
Carnade ou le processus concret de dcision d'agir. 420
sensations et du fondement de la dcision d'agir. 427
3.2.2 Perception et expression du sens subjectif de l'action: les conduites 429
- Expos systmatique des concepts schtzens de conduite et d'action 430
- Racine de la distinction des conduites 431
3.2.3. Critique phnomnologique de la pragmatique contemporaine 437
Premire remarque sur les fondements psychiques ou linguistiques de la pragmatique des normes sociales 439
-
Xl
Rappel de la thse: les trois biais propositionnel, reprsentationnel et judicatif de l'analyse pragmatique contemporaine des nonnes sociales 440
Retour sur les fondements psychique et linguistique de la pragmatique des normes sociales 442
Conduites et nonnes sociales 446
Conclusion partielle: vers une clarification des fondements antprdicatifs de l'intersubjectivit 455
3.3. Rvision des concepts de comprhension et explication culturelle de la coordination intersubjective et sociale 456
3.3.1. Enjeux thoriques autour du concept de comprhension 456
Critique des concepts de comprhension de la sociologie wbrienne 459
Le problme de la phnomnologie 466
La thorie de la perception par esquisses (A) Fondements et pertinence 469
Rappel sur la stratification de la conscience 474
La thorie de la perception par esquisses (B) Synthse perceptive et stratification de la conscience 475
Thorie de la perception par esquisses: (C) Constitution des types et fondements des relations de pertinence 480
Retour sur Goldstein et la pense primitive la lumire de la thorie
La thorie de la perception par esquisses
Parenthse sur le contenu axiologie et la relation normative 483
de l'idation 489
(D) La dlination de l'exprience, la structure goque de la conscience et le pouvoir-faire 492
3.3.2 L'intersubjectivit: L'apperception de l'ego d'alter dans le face--face 496
-
XII
- Analyse conceptuelle et modlisation formelle , 499
500
503
505
508
La syntonisation comme concept formel de 512
514
517
- Prcision pistmologique
- Rappel du principe de dualit
- Retour au face--face concret.
La rciprocit des perspectives
relation sur-Ie-mode-du-nous (We relation)
Syntonisation de la coordination sociale
L'exemple de l'vitement des cyclistes revu et corrig
Analyse de l'interaction fonctiolmelle des cyclistes et normes sociales 521
Appendice sur l' anormali t dans le groupe social. 525
3.4 La coordination sociale par l'usage de signes 528
3.4.1 Les fondements de la communication 528
Fondement perceptif de la communication et agir communicationnel. 533
Remarques sur le contexte fonctionnel et la thorie des normes sociales 536
Parenthse pistmologique sur quelques considrations thoriques 543
Considration praxologique 550
Retour sur la structure des motifs et leur imbrication 550
3.4.2 Ex cursus schtzen sur la thorie des signes 555
Aperu de la thorie husserlienne de la signification (chez Schtz) ou consquence de la thorie de la perception sur la thorie des signes 560
Appendice sur la thorie des ordres de Bergson 565
-
XIII
Les principes gouvernant les changements structuraux des relations d'apprsentation 569
Marques et indications 573
Les marques 574
Les indications 575
L'usage intersubjectif de la relation de signes et sa socialit 577
3.4.3 L'analyse formelle des prsupposs de l'usage intersubjectif des signes 582
Prcision sur l'analyse formelle de l'usage intersubjectif des signes
La ralit sociale du monde de la vie quotidienne et ses provinces
Conclusion partielle: Retour sur le mouvement veliical et
et la thse de la pragmatique universelle 585
Transcendance de la relation sociale 599
Redfinition de la notion de signe 600
Les types de signes 602
Usage communicationnel des types de signes 603
Le monde porte de l'ego et le monde de la vie quotidienne 607
Les symboles ou la transcendance de la nature et de la socit 610
finies de sens 615
Retour sur la relation entre symbole et socit 618
- Dfinition de la norme sociale 629
l'imbrication des schmes de pertinence 631
CONCLUSION 650
- Rsum analytique de la thse 656
-
XIV
- Retour sur la critique pistmologique de la TAC 656
- Retour sur une lecture critique de Habermas 661
- Retour sur une lecture charitable de Schtz 666
- Retour sur la sociologie contemporaine 668
BIBLlOGRAPHIE GNRALE DE LA THSE ET DE LA THSE ANNEXE 674
BIBLlOGRAPHIE SLECTIVE 702
APPENDICE A : QUATRE MODLES PURS DE FORMATION D'UNE NORME SOCIALE DANS UN MILlEU 704
APPENDICE B : DFINITIONS DE LA REPRSENTATION SOCIALE CRS) PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE, SELON DIVERS AUTEURS 707
APPENDICE C : PRINCIPAUX CONCEPTS 710
APPENDICE D : RAPPEL DE LA THSE ET DFINITION DE LA NORME SOCIALE 726
-
xv
ABSTRACT
ln this thesis, fol1owing Alfred Schtz' uses of Husserl's theories of perception by adumbration and of the strata of ideation against Habermas attempt to replace them for a Jinguistic constitution of the Lebenswelt, we identify three presuppositions generally adopted by contemporary pragmatism and challenge them to argue that social nonns are rooted in the prepredicative sphere of consciousness and, moreover, in existential group relations which social and functional qualities are immediateJy perceived, which means without any thematic representation of an object they could fill. Consequently, social norms are certainly not to follow an evolutional path progressively oriented toward conformity to the intrinsic structure of language by developing moral judgment through a discursive use of concepts. We name the presuppositions of contemporary pragmatism leading Habermas to such a view on social norms, proposiLional, representational and judicative.
To be sure, we first show that similar presuppositions are to be find in Robeli Brandom's pragmatic opposing Habermas on social nonns. So they are pervading both side of the searlian / selJarsian opposition within the so-called intentional turn of the pragmatic turn of linguistic philosophy, forming today a large trend of contemporary pragmatism. These presuppositions are demonstrate to be theoretical bias impeding the conceptualization of some types of conducts which are learned and socially coordinate. Imitative conducts and mass phenomena are paradigmatic in Habermas' Theory of communicative action, which implications for the progressive rationality and morality of social norms is the object of the first pali of this thesis. As the last type of conduct is the root of the institution of society in Durkheim's sociology, and the former is essential to role learning and the learning of language itself, both seem to patiicipate to social nonns in a way which command a more inclusive definition.
Moreover, according to an overview of the constructionist trend, social theorists challenging social sciences' epistemic conscensus, and the founding status that French school of Moscovici claim for their psychosocial theory and method over sociology - in the second pali of this thesis, we argue that such attitudes like reactance and others identified by psychosociological research must be integrated to social theory and theory of social norms. After an overview of Schtz' work, we maintain that these attitudes, like any of nonTI conformity or transgression, are agentive or pragmatic engagement primordially provoked by an immediate perception of the social quality of an existential relation to be hegemonic in a social group or "milieu". We cali this axiological content of the relation a normative quality (qualit de norme). It draws from the direct apperception of a typical social relation through a eue that indicates the presence of an alter ego with whom to perform the relation in a manner
-
XVI
that appeal a typical conduct in afunclional relation toward alter in this particular situation. We call this cue of alter's presence a sociality cue (indice de socialit), and because of its participation in a functional relation in a way we slightly criticize Schtz, we cali it more precisely a sociality factor (facteur de socialit). With Schtz' help, we manage to redefine social norms around the idea of a relevancy between a perceived situation and a typical conduct. And this scheme of relevance takes the peculiar structure of Cl sign relation. So social norms themselves are organized around apperceptive, appresentative, referential and contextual scheme, displaying independent thematic, interpretative and motivational functions within consciousness. And because the relation of the agent toward the expressive sphere of conducts and speech proceeds under different strata of consciousness, we can talk about an horizontal process of perceptive integration rooted in prepredicativeness and following a vertical path upward to ideation, abstractization, generalization, formalization, algebrification, and downward back to sensory-motor schemes, stabilizing in this way learned competences in a social 'milieu' and, consequently, stabilizing cultural patterns around socials norms in a concrete way. Concrete here means in such a way that the sign structure of the situation itself engage the agent' s experience toward a norm performance.
-
INTRODUCTION GNRALE
ARRlRE-PLAN DE LA RELATION ENTRE PERCEPTION
ET NORME SOCIALE
Origine de la problmatique et prsentation de la thse
La thse et la thse annexe' que nous prsentons ici rpondent un projet unitaire qUI
consiste interroger le rapport entre la thorie de la perception et une thorie des nonnes
sociales. D'une faon trs gnrale, nous pensons qu'une rvision de la thorie traditionnelle
de la perception a des consquences logiques et thoriques pour une thorie des normes
sociales. Plus prcisment, nous dfendons la pertinence d'une thorie holistique et
dynamique de la perception, susceptible de concilier l'apport de l'environnement externe et
celui de la phnomnalit subjective du sens pour la thorie des normes sociales. 11 s'agit
nommment de la thorie de la perception par esquisses que nous retrouvons dans la
tradition phnomnologique. Scion nOLIS, et telle est la base de notre entreprise, cette
conception thorique permet une description plus adquate du phnomne des normes
sociales. Car, comme le caractre dynamique de la perception par esquisses implique lui
mme de recourir une thorie de l'exprience stratifie ou thorie des strates de la
conscience, celle-ci rend mieux compte des diffrents rapports plus ou moins intellectuels et
thmatiques aux normes sociales, c'est--dire du degr d'activit cognitive ncessaire leur
performance, donc, des exigences cognitives ncessaires la reproduction et la diffusion
lExigence traditionnelle des universits belges et de la cotutelle entre l'UQAM et l'Universit de Louvain.
-
2
d'une norme sociale - de mme qu' sa formation historique dans un milieu, soit le
phnomne d'innovation sociali.
Cette recherche sur les fondements thoriques de la norme sociale, tel qu'ils se posent
sous l'angle de la perception, entend bien rejoindre la problmatique souleve par le
Pr. Maesschalck et les chercheurs du Centre de philosophie du droit (CPDR)3 : comment
concevoir la formation et le dveloppement de comptences morales par un milieu social ou
phnomne d' auto-capacitation ? Bien sr, ce projet se veut programmatique. U prend son
point de dpart dans une pragmatique contextuelle , disons post-habermasienne, qui prend
au srieux la phnomnologie et son point de vue la premire personne, et qui cherche
intgrer les appolts de la psychologie cognitive et du dveloppement ainsi que de certaines
avances sociologiques et psychosociales sur la socialit des ides et idologies4 Rappelons
que, tout en prnant un tournant pragmatique dans lequel l'action tlologique est
rinterprte comme agir communicationnet, Habermas juge bien que la problmatique de la
rationalit est intrinsque l'entreprise sociologiqueS; et, poursuit-il dans son uvre, en
prenant la forme de la rflexion thmatique, cette rationalit induit des changements
structurels dans la moralit et les pratiques normatives des acteurs d'un milieu. C'est la
suite de cette affirmation qu'une pragmatique contextuelle interroge de faon critique la
relation entre une rflexivit opratoire et Je contexte social dans la formation de
comptences pratiques.
Cette approche suppose d'emble que les facteurs dterminants pour la formation des
comptences morales, mme s'ils n'appaltiennent pas forcment au contexte social ou au
milieu, peuvent nanmoins en tre drivs jusqu' un certain point. Nous nous dclarons
solidaires des grandes lignes de ce programme et dsirons montrer, partir d'une thorie
2Pour une revue des principales dfinitions de ce concepl, voir Julie Cloutier, Qu'est-ce que l'innovation sociale in Cahiers du ClUSES Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), collection tudes thoriques, cahier ET0314, novembre 2003,46 p.
3Yoir Marc Maesschalck, Rflexivit transcendantale et rflexivit opratoire. Dveloppement d'un programme de recherche in Les Carnets du Centre de philosophie du droit, nO 84, 2007, 22 p.
4Yoir Marc Maesschalck, Normes et contextes. Les fondements d'une pragmatique contextuelle. Hi Idesl1eirniZurichfNew-York, Gorg OLMS verlag, 2001, 324 p.
5J. Habermas, Thorie de l'agir communicationnel. Rationalit de l'agir et rationalisation de la socit, traduit par J.-M. Ferry, Paris, Fayard, tome l, 1987, p. 14.
-
3
descriptive gnraJe fonde sur une thorie holistique, dynamique et ancre de la perception:
a) que les normes sociales sont bien constitues partir de facteurs socialement drivs
agissant de faon antprdicative sur la conscience; b) et qu'une thorie formelle peut dcrire
ces facteurs de faon cohrente dans un contexte psychosocial relationnel au sein duquel les
relations stables sont, du point de vue thorique, autant de fonctions auxquelles sont
incorpors ces facteurs. Ces deux thmes seront traits respectivement dans notre thse
et notre thse annexe. Pour faire ressottir la fois leur rle opratoire et leur origine
contextuelle, nous appellerons ces facteurs des jacteurs de socialit. Il s'agit l moins d'une
invention originale que d'un accent mis sur le rle de ce que Schtz, la suite de Husserl,
appelle des indices de la prsence d'autllli ou, en nos termes, des indices de socialit.
De plus, en dveloppant l'ide que ces indices jouent un rle opratoire en tant que
facteurs de dveloppement de comptences normatives ds le niveau antprdicatif de la
conscience, nous obtenons la possibilit de processus indpendants de formation et de
diffusion antprdicatives des normes sociales qui permettent de dgager au moins quatre
modes diffrents selon Jesquels celles-ci peuvent se former et se rpandre dans un milieu6. De
surcrot, dans la mesure o la conscience antprdicative est primordiale et fonde la
conscience prdicative, son ancrage contextuel nous amne renouer avec une critique dite
pragmatique de la pragmatique universelle7 Selon celle-ci, l'adaptation l'environnement
qui fonde l'attitude perlocutoire est tout aussi fondamentale et primordiale pour l'attitude
illocutoire que l'est la conscience antprdicative pour la conscience prdicative ou la
connaissance par accointances (know how) pour la connaissance thorique (know that). Ce
dernier point vient asseoir l'ide que les normes sociales suivent un processus adaptatif qui
dispose de la logique de dveloppement issue des fonctions sociales et morales que Habermas
attribue la structure du langage et tend la socit.
Finalement, toujours pattir de la thorie de la perception par esquisses, nous
contesterons l'assise pistmologique de la thorie de l'agir communicationnelle et la
6Yoir nos Rsum du processus de formation des nonnes sociales et Aperu des "strates" de conscience partir desquelles s'opre la diffusion des normes sociales , l'Appendice A de cette thse.
7Yoir l'argument de Culler cit par David, M. Rasmussen, Reading Habermas. Oxford/Cambridge, Basil Blackwell, 1990, p. 40. Nous rejoindrons galement la critique de Hans Joas, Pragmalism and Social The ory, Chicago/London, The Universit)' of Chicago Press, 1984, p. 174.
-
4
rsorption de la thse de la dualit de la mthode par une position interprtative qui, chez
Habermas, consacre l'impossibilit de trancher sur la valeur d'une thorie des normes
sociales, ou sur une thorie comprhensive comme celle de la TAC, par des moyens
empiriquess. Aprs avoir dmontr que les prjugs lis au reprsentationalisme ont une
incidence sur la valeur descriptive de la TAC, nous rejetterons ses principales prtentions
comme thorie sociologique gnrale. Nous rejetterons ses prtentions l'explication
philosophico-historique - selon laquelle le dveloppement de la dmocratie moderne en
Occident est le produit de la raison communicationnelle, parce qu'elle ne considre pas
l'appolt non communicationnel des lments perceptifs. Nous montrerons que, d'un point de
vue empirico-raliste, et pattir de la mme thorie phnomnologique de la perception, le
sens peut tre trait par une mthode empirique peu loigne de celle des sciences
naturelles. Alors que d'un point de vue praxologique, nommment en vue d'une ducation
la citoyennet, le rle de la conscience antprdicative dans la formation du jugement moral
mrite selon nous une plus ample considration. La thorie de l'agir communicationnel doit
donc tre considre comme l'appendice d'une thorie descriptive gnrale de l'interaction
sociale susceptible de servir de modle nomologique-formel de J'activit
communicationnelle, modle de type structural dont l'utilit sociologique reste confirmer
ou infirmer, prcisment, par la soumission de ses hypothses sur la communication un
protocole de vrification empirique pris au sens de Flix Kaufmann, et une apprciation
gnrale de sa valeur explicative quant la formation concrte des normes sociales.
L'arrire-plan de la philosophie de l'esprit contemporaine
Nous abordons cette problmatique de l'ancrage contextuel et pragmatique des nonnes
sociales en tenant compte des dveloppements contemporains de la philosophie de J'esprit et,
dans une cettaine mesure, des sciences cognitives sur la perception sensible, plus
particulirement partir des recherches des historiens de la philosophie visant faire
connatre les dbats aux origines de la philosophie de l'esprit contemporaine et mettre en
gNous tirons cette assise pistmologique de la TAC des discussions menes aux parties 3 et 4 du premier chapitre de l'introduction de 1. Habermas, op. cil.. 1987, tome 1, p. 90 157; Habermas conJut ailleurs un dualisme de la comprhension et de l'observation (p. 274) dans Le ralisme aprs le tournant de la pragmatique linguistique in J. Habermas, op. cil., 2001, p. 274 et pts (e), p. 278-279.
-
5
valeur le courant phnomnologique dans sa contribution relle ou potentielle ces dbats.
Outre l'ancrage au corps et l'environnement, un des dfis pour la philosophie de l'esprit,
comme l'crivaient Fisette et Poirier dans leur ... tat des lieux9, et, ajouterions-nous, pour la
thorie de l'action qUI en dcoule, consiste intgrer l'apport des thories
non reprsentationnelles de ('intentionnalit. Or c'est prcisment cette intgration qui
s'impose lorsque nous abordons le problme de la normativit non plus simplement comme
un apprentissage de connaissances, mais davantage comme un apprentissage de comptences.
La question rejoint alors une de celles poses par la sociologie cognitive de Cicourel 'o : partir de quel moment une forme de connaissance rflexive intervient-elle dans
l'accomplissement de la norme sociale? Aprs avoir clairement dfini les termes, nous
montrerons que ni la reprsentation ni la conceptualisation ne sont ncessaires au phnomne
des normes sociales. Car, parmi les modes de formation et de diffusion que nous
identifierons, nous dcrirons celui par lequel une norme sociale peut se former et se diffuser
sans mettre en jeu la conscience prdicative. La question est alors de savoir quand, dans les
socits complexes, elle intervient.
Cependant, si nous entendons revenir quelques inspirations phnomnologiques, il
nous impolte d'aborder le problme mthodiquement. Le problme de la norme est celui de
la rgularit et du principe de sa mesure, c'est--dire la rgle. Le problme de la norme
sociale concerne donc essentiellement la rgularit des relations sociales et, travers les
conduites vises subjectivement, les principes de sa mesure par les acteurs". Les normes
sociales interrogent donc la relation entre la philosophie de t'esprit et la thorie de l'action.
Car, du point de vue sociologique, eUes constituent avant tout un problme qui appartient au
champ d'tude de la thorie de l'action. Elles se manifestent essentiellement par des actions
et compoltements externes, et accessoirement par des propos dclaratoires sur l'exprience
interne.
90en is Fiselte et Pierre Poirier, Philosophie de l'esprit. tat des lieux. Paris, Vrin, 2000, p. 296-297. 10Aaron V. Cicourel, La sociologie cognitive, traduit par Jeffrey Oison, et Martine Oison, Paris, Presses
Universitaire de France, Sociologie d'aujourd'hui, 1979, p. 37. IIVoir Franois Chazel, Norme (-sociale)) in Sylvain Auroux (dir.), Les notions philosophiques.
Dictionnaire. Paris, Presses Universitaires de France, Encyclopdie philosophique universelle, publie sous la direction d'Andr Jacob, 1990, tome 2, p. 1768.
-
6
Le problme de la norme sociale devient un problme de philosophie de l'esprit paIt
entire ds le moment o elle est aborde pattir du sens vis par l'acteur. L'image de la
bote noire jouant un simple rle de transmetteur univoque entre stimuli et rponses ne suffit
plus. Du moins, il faut y ajouter une thorie des significations comprhensibles la premire
personne, susceptible d'expliquer comment celles-ci engagent la conscience de l'acteur et
l'oblige envers une norme dont la validit varie, selon toute apparence, en fonction du
contexte social. Le dfi se pose alors de concilier la rationalit et la phnomnalit de
l'engagement, forme de double contrainte pour l'acteur.
Ce problme se complexifie paltir du moment o nous mettons en cause la position
reprsentationaliste l2 . En effet, celle-ci prtend que le contenu d'un acte psychique est une
reprsentation, et donc une image ou un objet pleinement constitu, voire un concept, qui fait
office de thme pour la conscience. A contrario, la position non conceptualiste radicale
soutient que cet acte peut avoir pour contenu des lments dnus de forme intellectuelle, et
souvent issus du contexte. Certains opposeront le fonctionnel au conceptuel, ou ramneront
ce dernier au premier 13 . Mais le problme est plus complexe l4 Et c'est plutt une gradation
des niveaux d'abstraction des lments contextuels de J'exprience par la conscience qui est
l'uvre dans J'orientation des actions et comportements en socit. Bref, un processus
vertical d'abstractions cumulatives qui connat des mouvements, pour ainsi dire, progressifs
et rgressifs.
Nanmoins, et c'est J un constat d'impltance majeure pour une thorie sociologique de
la norme, l'ancrage de la conscience dans le contexte social se fait partir d'un niveau
antprdicatif de la conscience. ce niveau, le degr de gnralisation et de
conceptualisation des lments de J'exprience est extrmement variable, voire htrogne.
Son contenu perceptif, en termes gnraux et de faon non exhaustive, peut tre figuratif,
12Par exemple, Fisette et Poirier, op. cil., p. 297: On peut se demander si le reprsentationnalisme n'est pas directement responsable du foss dans l'explication de la conscience, en ce qu'il rduit l'explanandum aux proprits des reprsentations mentales et ne peut donc pas rendre justice l'tendue de l'exprience phnomnale et son rle dterminant dans nos transactions avec le monde.
13Fiselte et Poirier, op. cil., p. 292. 14Pour un aperu de la distinction entre prconceptuel et conceptuel et le test d'extensionnalit permettant de
les distinguer, voir Fisette et Poirier, op. cil., p. 180-182.
-
7
affectif, axiologique, symbolique, smantique ou mme, ce n'est pas exclu, assorti de
prsentations conceptuelles15.
Mais par-dessus tout, dans la coordination sociale, la reprsentation thmatique du
contexte et de l'action n'est pas toujours prsente chez l'acteur. La prsentation du contenu,
quel qu'il soit, axiologique ou conceptuel en ce qui nous concerne, n'est pas une
reprsentation16. En ce sens, pour ce qui est des acteurs d'un milieu, la reprsentation n'est
pas ncessaire l'adoption de la norme, ni mme sa constitution ou sa diffusion dans un
miJieu. L'analyse de ce phnomne nous montrera que la prsentation de concepts ne l'est
pas non plus.
Pourtant, nous n'avons pas affaire ici des compoliements rflexes. 11 y a bien l un
phnomne de tlo-guidage que la philosophie contemporaine tente d'expliquer par des
concepts de sui-rfrentialit ou de proto-attitude 17. L'analyse phnomnologique de
ce type de phnomne et de la coordination par tloguidage, que nous retrouverons partir
de J'exemple des cycJistes de Weber, nous montrera plutt que l'ajustement des acteurs, dans
ses fondements axiologiques, dpend la fois d'lments drivs du contexte et de leurs
propres positions relatives au sein de ce contexte. JJ ne requiert pas de reprsentations
thmatiques. Pas plus que la stabilisation de cette relation sociale de coordination, de cette
routine , n'en requiert.
Consquemment, Ja formation et l'apprentissage de normes sociales ne requirent pas
non plus de reprsentations thmatiques. Et la formation de nonnes sociales autour de
maximes, c'est--dire de propositions en termes linguistiques et reprsentationnels, et
15 titre d'exemple, voir les dfinitions du concept de reprsentation sociale (RS) reproduites dans l' append ice.
I~OUS suivons en cela l'analyse du contenu axiologique de Schtz. Voir Alfred Schutz, The Phenomenology ofthe Social World, traduit par G. Walsh et F. Lehnert, introduction par G. Walsh, Northwerstern University Press, 1967b [1932], p. 80.
17 Le concept de sui-rfrentialit de Searle est rsum par Pierre Livet, dans Qu'est-ce qu'une action? Paris, Vrin, 2005, p. 17 ; sur le concept de pro-attitude , voir D. Davidson, Action, raison et cause et Avoir une intention in Aclions el vnemenls, op. cil., p. 18 et p. 125, respectivement. Le premier veut expliquer la continuit de l'action par une rfrence intentionnelle, le second, rpondre son extensionalit par une forme d'attitude pro-active; John Searle, L'i11len/ionna/il, trad. par Claude Pichevin, Paris, ditions de Minuit, 1985,340 p.
-
8
donc conceptuels, ne dsigne qu'une pattie du phnomne social responsable de la rgularit
des conduites humaines en socit. Ce constat motive dans une certaine mesure un retour vers
une thorie descriptive et une rflexion dfinitoire des normes sociales.
De plus, ('introduction d'une thorie de la conscience permettant une variabilit du
degr d'abstraction des contenus psychiques en jeu dans la coordination sociale et ses
normes, donc une htrognit de ces contenus, soulve un double problme pour la thorie
de l'action et la constitution de la relation normative. Tout d'abord: a) ce que prescrit la
nonne n'est pas vis conceptuellement, p. ex. un but conscient que J'acteur se reprsente.
Consquemment: b) la dcision d'agir ne peut faire l'objet d'un jugement. moins, bien sr,
de penser que le jugement peut plter sur quelque chose qui ne soit pas port l'attention de
la conscience thmatique. Mais cette thorie n'est ni la plus conomique ni la plus esthtique.
De plus - c'est l'objection d'une phnomnologie constitutive -, un jugement mme
inconscient doit pOtter sur un objet ou tat de choses peru de faon unitaire. Il faut donc
revenir sur ce phnomne perceptif.
Notre argumentation en dcoule. Ainsi, il faut d'abord percevoir une certaine unit de
sens pour pouvoir organiser propositionnellement la situation laquelle prend palt cet tat de
choses, y attribuer une reprsentation et exercer un quelconque jugement pratique sur l'action
ou la norme qui s'impose. C'est donc la perception immdiate d'une certaine qualit
fonctionnelle du contexte socioculturel, d'un contenu axiologique partag socialement,
responsable de la constitution de ce que nous appellerons une qualit de norme , elIe
mme constitue par l'expression du positionnement relatif des agents face ce contenu, qui
assure la formation et la reproduction des normes sociales. Ces normes, que nous aurons
dfinies comme autant de relations de pertinence hgmoniques entre une situation typique et
une conduite type, sont donc le produit de la disposition ou de la configuration d'un milieu
socioculturel qui, par sa nature, engage les capacits agentives des organismes percevants qui
l'habitent, lesquelles composent ce milieu.
-
9
Trois prsupposs affectant l'analyse pragmatique de la norme sociale: propositionnel,
reprsentationnel et judicatif
La premire paltie de notre thse sera consacre un aperu de la thorie des normes sociales
telle qu'elle se dgage de l'uvre de Jrgen Habermas. Comme le montre le dbat entre
Brandom et Habermas sur les normes sociales l8, la pragmatique contemporaine pose ce
problme comme tant celui de la conciliation de la subjectivit de l'acteur avec la socialit
du contexte. Pour concilier ces deux ples, deux solutions sont avances. L'une est inspire
de Sellars, et elle va dans le sens d'un conventionnalisme externaliste fond empiriquement.
L'autre, inspire de Searle, relve d'un conventionnalisme d'inspiration internaliste, voire
d'un conventionnalisme pur . Pour Habermas, l'unit de l'objet est garantie par la
subsomption de l'exprience par une signification smantique. L'usage du langage dtermine
la perception de l'objet. Le caractre dontique de la validit smantique relev par Searle et
rinterprt la lumire d'une pragmatique formelle est ainsi intimement li au processus
intentionnel de formation des normes sociales et des obligations morales tudi par la
psychologie du dveloppement. Tandis que, pour Brandom, c'est la constance entre les
occurrences sensibles de l'objet empirique et l'tat de choses peru qui permet la fixation de
la signification smantique sur l'objet. Autrement dit, d'aprs ce conventionnalisme externe,
la perception de l'objet sous-dtermine l'usage du langage. La perception des actions d'autrui
et le scorekeeping de ces tats de choses matriels permettent J'acteur d'infrer des
attentes et des obligations ainsi que de s'engager envers les autres. Ce type de
conventionnalisme repose certes, comme le remarque Habermas, sur une thorie classique et
nominaliste ou encore pointilliste de la perception ralticulant, dirions-nous galement,
J'hypothse de la constance et la thorie associationniste des ides en des termes
contemporains. Or l'introduction de la thorie phnomnologique de la perception, nous le
verrons, remet en question cette thorie classique.
'8Robert B. Brandom, Facts, Norms, and Normative Facts : A Reply to Habermas in European Journal ofPhilosophy. Oxford, Blackwell, vol. 8, nO 3,2000, p. 356-374 ; Robert B. Brandom, Some Pragmatist Themes in Hegel's Idealism: Negociation and Administration in Hegel's Account of the Structure and Content of Conceptual Norms in European Journal of Philosophy, Oxford, Blackwell, vol. 7, nO 2, 1999, p. 164-189 ; J. Habermas, From Kant to Hegel: On Robert Brandom's Philosophy of Language in European Journal of Philosophy, Oxford, Blackwell, vol. 8, nO 3, 2000, p. 322 355 ; propos repris dans Jrgen Habermas, Vrit et justification, traduit par R. Rochlitz, Paris, Gallimard, NRF Essais, 200 1,348 p.
-
10
Cela dit, dans ce dbat opposant deux approches qui se rclament galement du
pragmatisme, il existe un consensus sur la fixation du sens sur les objets, et d'abord sur
l'action, savoir que cette fixation est affaire de jugements; plus prcisment il en ressOlt
une conception prdicative ou judicative de l'accomplissement des normes sociales.
Notre position dans ce dbat consiste justement contester l'accent qui est mis sur le
processus lingu istique de fixation smantique des normes sociales, et nous leur reprochons
plus spcifiquement de tenir pour acquis que l'unit de sens de l'tat de choses peru est
redevable des processus d'activit conceptuelle d'ordre suprieur, tels le jugement et la
reprsentation, que l'on applique aux strates subalternes de la conscience.
Dans ce dbat, la perception de l'tat de choses est galement conue de faon statique
et constante, en correspondance avec des sensations nominales, plutt que comme un
processus holistique et dynamique qui interfre avec son interprtation smantique.
Consquemment, le premier acte psychique significatif pour ces deux options consiste
associer l'tat de choses peru, tenant 1ieu de rfrence, une reprsentation intentionnelle
qui introduit un contenu smantique dans un langage, une signification. Pour Habermas, nous
le verrons, la perception de la rfrence est dtermine en mme temps que la reprsentation
smantique. Et, suivant Searle, il s'agit dj d'un acte de nature dontologique. Dans un cas
comme dans l'autre, la rfrence est d'emble prise pour une reprsentation, puis elle est
mise sous une forme propositionnelle par une forme de jugement pratique ou moral de
l'acteur, engageant celui-ci envers telle ou telle norme sociale ainsi dcrite comme une
maxIme.
A contrario, l'introduction d'une thorie dynamique et holistique de la perception, issue
d'une phnomnologie dite constitutive, lve le voile, pour ainsi dire, sur le processus
antprdicatif de la conscience, ainsi que sur son enracinement social et contextuel qui
procde la constitution d'tats de choses - processus duquel provient la relation de signes l9 .
19Pour un dbat sur le rapport entre la thorie phnomnologique de la perception et la thorie de la signification dans une optique sellarsienne, voir Barry C. Smith, Publicity, Externalism and Inners States , in Tomas Marvan (ed.), What Determines Content: the InternalismlExternalism dispute, Cambridge, Scholar Press, 2006; Barry, C. Smith, Toward a History of Speech Act Theor)' in Armin Brukhardt (ed.) Speech AcIs, Meaning and Intentions. Critical Approaches 10 Ihe Philosophy of John Searle. Berlin, New-York, Walter de Gruyter, 1990, p. 29 61; pour un rappol1 avec la thorie searlienne ou habermassienne : Kevin Mulligan,
-
11
De plus, cet enracinement se situe bien dans une culture conue implicitement l'intrieur
d'une conception aristotlicienne du monde et explicitement comme ayant une existence
relle et quasi-matrielle.
La prISe en considration des lments psychiques appaltenant la sphre
antprdicative de la conscience et surtout de leurs expressions publiques nous permettra, la
lumire de cette tradition phnomnologique, de qualifier les principaux prsupposs de la
pragmatique contemporaine d'autant de biais propositionnel, reprsentationnel et
judicatif affectant la thorie des normes sociales, et, plus encore, la conception de l'espace
public, voire le fondement de la relation sociale. Car la norme sociale, telle qu'elle se
manifeste empiriquement, est essentiellement une routine vers l'accomplissement de laquelle
sont dirigs, par tloguidage et conformment une relation de signes constitue
socialement, divers schmes sensorimoteurs.
Certes, la solution sellarsienne de Brandom, celle du fondement empirique de la validit
normative, est plus proche de la thorie traditionnelle de la perception. En effet, l'anaphore,
ou infrence matrielle, prend pied sur un tat de choses peru dont les lments sensibles,
selon la thorie de Mach20, sont en correspondance point par point avec la structure physique
des objets externes. Puis, par un processus infrentiel, conscient ou non, l'tat de choses
peru est associ une signification smantique qui sera ensuite teste et rajuste par un jeu
de scorekeeping . Ainsi se produit un ajustement pragmatique des actions et
comportements des acteurs autour de significations partages.
Cela dit, c'est la solution searlienne de Habermas et son inspiration cognitiviste qui
serviront le mieux notre expos parce qu'elle laisse de ct la thorie de la perception et
minimise son rle dans l'action et le comportement. En effet, Habermas dveloppe une
thorie de la normativit partir de sa thorie de l'agir communicationnel (TAC). Il ne rcuse
pas entirement la thorie traditionnelle de la perception, mais seulement son rle marginal et
accessoire dans la comprhension du sens et des normes par rappolt celui du processus
Perception in B. Smith, et D. Smith (eds.) Husserl. Cambridge Companions 10 Phi/osophy, Cambridge, 1995, p. 36 et suivantes.
2Brandom, op. cil., 1994, p. 68-69 ; ce passage introduit la position reprsentationaliste de Brandom.
-
12
d'apprentissage pragmatique et rflexif21 Ou plutt, il juge que la perception est co
dtermine par le langage et ne rintroduit son rle fondamental que dans le cadre de la
mthode nomologique des sciences portes sur le monde physique, jugeant qu'elle joue un
rle accessoire dans la mthode hermneutique et comprhensive des sciences sociales ou
praxologiques. En revanche, nous estimons que la thorie de la perception est fondamentale
pour la thorie de normes sociales, dfaut de quoi elle passe ct de leur phnomne
constitutif.
Consquence des biais de la pragmatique universelle: J'volution adaptative ou
dveJoppementale des normes sociales
Habermas revient sur sa discussion avec Brandom et cherche une troisime voie entre le
relativisme externe et le ralisme interne22 . Cette voie lui permet cependant de dfendre les
acquis de la TAC et sa conception volutionniste des normes sociales fonde sur le
dveloppement du jugement moral. Car, par la suite, Habermas dfend sa thorie prcisment
face aux reprsentants de la tradition analytique contemporaine, forts d'une conception
reprsentationaliste de la conscience dont le processus se caractrise par un jugement
normatif ou moral23 . Or c'est prcisment parce que ces auteurs sympathisent avec la
philosophie du langage, partir de laquelle, dans le cadre d'une smantique infrentielle
ils assimilent tout processus de la conscience un processus judicatif, que Habermas a prise
sur leur argumentation et pellt en un sens la radicaliser. La stratgie de Habermas consiste
chaque fois, d'abord, faire ressortir l'argument pragmatico-transcendantal de Apel sur la
prtention la validit et l'axiologie implicite la structure de l'nonc. Puis, elle consiste
aussi immanquablement mettre le doigt sur le processus judicatif ou infrentiel attribu aux
21 Habermas, op. cil., 2000, p. 339. 22Jrgen Habermas, De Kant Hegel. La pragmatique linguistique de Robel1 Brandom in Vrit et
justification, traduit par R. Rochlitz, Paris, Gallimard, NRF Essais, 2001, p. 81 124. Cette discussion se poursuit in Jrgen Habermas, Idalisation et communication. Agir communicationnel el usage de la raison. trad. par Christian Bouchind'homme, Paris, Fayard, 2006, point (8), p. 90 97.
2JOutre la discussion avec Brandol11 (section 8), nous faisons rfrence l'argumentation mene par Habermas, partir de la critique du psychologisme par Frege (5), sur Davidson (6) et Dummet (7) dans la deuxime partie de J. Habermas, op. cil, 2006, sections 5, 6, 7 et 8, p. 60 97, notamment p. 72 (sur la normativit chez Davidson) et p. 82 (sur la normativit chez Dummet et Brandom). Cette mme stratgie d'opposition de l'approche cognitiviste la smantique intentionnelle dans le cadre d'un relativisme externe ou d'un ralisme interne se retrouve dans J. Habermas, 200 l, op. cil., p. 270.
-
13
acteurs par ces auteurs, pour relever la thorie du dveloppement du jugement moral de
Kohlberg d'emble rinterprte par sa thorie du langage. Autrement dit, Habermas soumet
le jugement moral une logique dveloppementale qu'il attribue la structure du langage. Et,
pouvons-nous rajouter, c'est dans cette expression logique de l'argument pragmatico
transcendantal adresse aux philosophes de tradition analytique qu'apparat donc toute
l'impoltance de la thorie Austin-Searle des actes de langage et du reprsentationalisme de
Searle lui-mme pour la philosophie habennassienne du langage et de la socit qui se
dveloppe autour de la TAC.
En veltu de l'argument pragmatico-universel, l'usage du langage amne les acteurs
suivre les stades volutifs et cumulatifs du dveloppement moral, lesquels ont une incidence
structurelle sur la moralit des rgles du milieu jusqu'au stade ultime o ces rgles sont
tablies en vertu de la structure mme de la communication authentique. Autrement dit, dans
sa rinterprtation de la pragmatique formelle d'Apel, Habermas tend les thses de la
psychologie du dveloppement cognitif et moral de Kolberg la thorie sociologique24 . La
structure des normes sociales, dans la mesure o la discussion publique a libre cours, suit des
stades volutifs et cumulatifs qui devraient ultimement se concrtiser dans une politique de la
reconnaissance. Il s'agit bien l d'une conception volutionniste et dveloppementale ou
progressiste des normes sociales rarticule par le pragmatisme universel de la TAC 25 ,
position qui, de fait, endosse la logique de dveloppement prsente dans la psychologie de
Kohlberg pour englober la thorie sociologique.
24C'est le cas des quatre essais rassembls dans Jrgen Habermas, Morale et communication, Paris, Flammarion, Champs, 2001 b, 212 p. Le problme de fonder l'assise hermneutique des sciences sociales de faon objective est dcrit dans les Les sciences sociales face au problme de la comprhension , Remarques introductives , p. 41-43, alors que la psychologie du dveloppement est cite comme perspective de solution, p. 54 et suivantes. Dans Conscience morale et activit communicatiolUlelle Habermas explique la fondation en deux temps de son entreprise ; aprs avoir fond le principe d'universalisation comme rgle pratique d'argumentation, il doit ensuite voir cette thse corrobore par diverses disciplines empiriques, p. 131 134. Cela explicite la position dveloppe dans la TAC et dcoule du fait que bien qu'elle travaille ces thmes de pense philosophiques, [pragmatique formelle, raison incarne, validit du discours et concept d'Absolu] la thorie de l'agir communicationnelle demeure en son noyau une thorie de la socit , nous dit Habermas dans sa Prface l'dition franaise reproduite en quatrime de \:Ouverture in J. Habermas, op. cit., 1987, tome 1, p. Il et Prtce , p. 13.
25Voir les remarques de C. Bouchind'homme, in Habermas, op. cit., 2001 b, p. 10-11.
-
14
Plus prcisment, ce sont l les prtentions sociologiques d'une thorie des normes
sociales que nous dsirons interroger. Car Habermas dfend ses prtentions face aux grands
reprsentants de la tradition logico-smantique dans ses tournants pragmatiques et
intentionnalistes. Ces auteurs, qui se dfinissent pour la plupart comme des philosophes du
langage, ont adopt une conception reprsentationaliste de la conscience (et une conception
judicative de la perception) par laquelle ils cherchent expliquer la formation des
significations et des normes d'action.
Notre opposition la subordination totale de la problmatique des normes sociales une
philosophie du langage, de mme que notre opposition au reprsentationalisme et au rle du
jugement devra, pour tre satisfaisante, disposer de certains rsidus de la tradition logico
smantique qui demeurent prsents malgr les virages pragmatiques et intentionnalistes de
Habermas. Car, si Searle a revaloris les phnomnes de l' esprit tout en demeurant
partisan de l'analyse logico-smantique, Habermas affirme la constitution conjointe de
l'intentionnalit et du langage de telle sorte que l'intentionnalit acquire une structure
dontologique identique celle des noncs eux-mmes, et entirement redevable de la
mme structure pragmatique de la discussion. Et cette intentionnalit, de par son expression
linguistique, n'a pour contenu que des reprsentations. Il ne s'agit clairement pl us d'une
analyse logique des phnomnes de conscience lis l'action ou au langage, mais d'une
pragmatique intentionnaliste qui adopte pleinement le paradigme du langage.
Or le retour une rflexion phnomnologique est un retour cette nouvelle
philosophie de la conscience , rcuse par Habermas au profit de cette philosophie
pragmatique du langage. Parfois reue comme posant le problme fondamental de la
temporalit, la phnomnologie husserlienne fait ressortir l'impoltance des phnomnes
psychiques sous-jacents la formation du langage, dont ceux qui contribuent la formation
de l'tat de choses peru et l'unit de l'objet, soit la rfrence et la dnotation des termes
linguistiques. Elle met galement l'accent sur l'ancrage intersubjectif du sens ou, dans son
tournant existentiel, sur son ancrage social, pour ne pas dire sur la nature psychosociale de
certains phnomnes prenant palt la coordination sociale, dont la communication
linguistique n'est qu'un mode parmi d'autres.
-
15
Ainsi, d'une celtaine faon et d'un point de vue sociologique, la contestation du point de
vue reprsentationaliste et infrentiel ou judicatif adopt par la pragmatique contemporaine
doit nous permettre de renouer avec un certain pragmatisme classique, voire avec une
critique pragmatique de la pragmatique universelle26 . Car, afin d'exposer notre argument,
nous ferons ressoltir la position volutionniste des normes sociales implicite dans la TAC qui
est fonde sur le dploiement de la connaissance morale. Or, en rattachant la formation de
l'obligation et de la connaissance morale la structure transcendantale du langage, la position
volutionniste de la pragmatique universelle s'loigne quelque peu de l'analyse des pratiques
et de la discussion publique pour des considrations thoriques sur le dialogue dont elle
oppose les conclusions formelles encore non vrifies l'intuition classique du pragmatisme
selon laquelle c'est uniquement l'usage, quoiqu'entendu dans un sens plus large que la seule
communication, qui forme la conscience pratique sur laquelle se fonde, pour les acteurs, le
sens thorique et la validit de leurs gestes. Habermas survalorise donc l' impoltance de la
pratique communicationnelle et de sa structure formelle dans le contexte de formation des
normes sociales, ce qui transparat dans sa lecture reprsentationnaliste de Mead.
Le retour une intuition pragmatique plus classique sera fond thoriquement sur le rle
dynamique de la perception, son caractre holistique et son ouverture au contexte, tandis que
notre opposition l'ancrage sociologique de l'volutionnisme moral, ou plutt notre position
en faveur d'une conception volutive-adaptative des normes sociales, sera justifie par le rle
primordial de la perception sensible pour la conscience thmatique, reprsentationnelle et
prdicative. Non seulement ce processus perceptif se rpercute-t-il sur l'activation de la
connaissance morale, mais son ouvelture au contexte favorise l'activation du savoir, de telle
sOlte que la conscience thmatique, reprsentationnelle et prdicative est fonction de la
socialit, pour ne pas dire de phnomnes de groupes. Bref, l'introduction d'une thorie
dynamique, holistique et ancre de la perception fonde une conception adaptative des normes
sociales, de telle sOlte que l'accession ce que, la suite de Kohlberg, Habermas identifie
26Voir l'argument de Culler cit par David M. Rasmussen, Reading Habermas. Oxford/Cambridge, Basil Blackwell, )990, p. 40 ; voir la discussion qui s'ensuit avec Zimmermann dans la section Berween Science and Politics , idem. p. 41 45. Voir galement la rllexion critique de David M. Rasmussen, Explorations of the Lebenswelt : Rellections on Schutz and Habermas in Human Sludies. Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, vol. 7,1984, p. 127 132.
-
16
comme un stade ultime de la normativit, celui o se ralise une politique de la
reconnaissance travers une pratique dontologique de la discussion publique, est
thoriquement improbable, et que la stabilisation d'un tel rgime est thoriquement
impossible. Bref, si l'opposition la logique volutionniste n'est pas nouvelle, nous
retrouvons travers la critique de la transposition d'une logique du dveloppement moral la
thorie sociologique par Habermas les fondements thoriques, pour ainsi dire a priori, d'une
conception volutive-adaptative du dveloppement des socits humaines et de leurs normes
sociales.
En effet, une telle thorie tranche, a priori, sur l'impossibilit d'une transposition de la
logique volutive et cumulative du dveloppement psychologique et moral sur la socit. Car
la primordialit et l'ancrage du processus perceptif nous assurent d'une chose terme: la
fragmentation de la socit en groupes sociaux en fonction de la position relative des acteurs
dans le milieu. Or ces groupes vont immanquablement, leur tour, faonner la configuration
autant qu'occasionner l'activation des attitudes et cognmes lis la conduite des acteurs,
leur perspective sur les vnements, voire aux schmes sensorimoteurs qui y sont lis, entre
autres les comptences morales proprement dites. Ce qui, fort heureusement pour la tragdie
humaine, rend une socit sans conflits sociaux, mais aussi sans innovations culturelles, tout
bonnement impossible.
Car, et Habermas serait d'accord, aucun systme ne peut triompher durablement de
la diversit humaine et de ces turbulences sans intgrer d'une quelconque faon leur aspect
novateur son propre renouvellement. Ce faisant, dans la mes ure o nous contestons le statut
intentionnel accord la pragmatique formelle, en veltu duquel Habermas s'autorise fonder
la thorie sociologique sur une logique dveloppementale, le contenu axiologique dudit
processus rgulateur des conflits, ft-il discursif, est lui-mme sujet des variations qui
dpendent leur tour du positionnement relatif des acteurs dans le processus global
d'interaction. Il s'ensuit, selon la perspective que nous adoptons ici, que les normes sociales
ne se forment ni en veliu du stade de dveloppement moral des acteurs, ni en vertu de la
structure pragmatique de la seule sphre d'interaction communicationnelle publique au sein
de laquelle se trouvent les acteurs et par laquelle ils ont ou auraient accd ce stade de
-
17
dveloppement moral. Notre objection au reprsentationnalisme devient une objection la
faon dont Habermas interprte le passage d'un stade de dveloppement un autre par une
rflexion thmatique. Bref, l'encontre de Habermas, une thorie sociologique des normes
sociales fonde sur une thorie holistique, dynamique et contextualiste de la perception ne
permet pas de conclure que la moralit soit porte universeJ1ement par le dveloppement des
socits humaines. Elle conoit plutt que la socialit, dont nous ne contestons pas la
contribution la moralit, se dveloppe avant l'usage du langage et par des processus
antprdicatifs de la conscience. Elle se dveloppe dans un contexte qui peut tre amnag de
faon favoriser son dveloppement, mais surtout travers des relations plus ou moins
familires ou anonymes, dont les formes, les contenus et les aliiculations structurelles sont
appels changer sans qu'ils ne soient forcment oprs par une rflexion thmatique.
Mais la socialit elle-mme, une fois gnralise dans un milieu, constitue un tat social
fond sur un rgime de relations sociales dont la stabilit relative est toujours susceptible de
dprir. Nous croyons en effet que la dynamique d'un rgime dans un milieu entrane terme
une fragmentation sociale due l'cart des positions relatives des acteurs. Ce qui engendre
des perceptions diverses soutenant, dans celiains cas, des conduites asociales ou belliqueuses
et des processus de dsagrgation de la cohsion sociale. Or, au-del des invitations sincres
du philosophe la discussion authentique, de son rle de gardien de la rationalit 27, il
n'existe pas de processus sociologique garantissant la stabilit absolue ni de la moralit des
acteurs ni de l'tat social lui-mme. Consquemment, il n'existe pas de processus
dontologique, conventionnel ou post-conventionnel, qui tirerait sa stabilit d'une structure
authentiquement communicationnelle au sens de Habermas.
Articulation de la thse
Comme nous l'avons expos, notre thse proposera une solution de rechange la thorie
habermasienne des normes sociales fonde sur une thorie de la perception holistique,
dynamique et ancre, d'inspiration phnomnologique, telle que nous la retrouvons chez
Alfred Schtz. La premire paliie (1) sera consacre la thorie de la normativit qui ressort
27Yo ir J. Habermas, La redfinition du rle de la philosophie in Habermas, op. cil., 2001 b, p. 40.
-
18
de la TAC de Habermas. La seconde (2) passera en revue quelques dbats sociologiques
contemporains pour examiner la pertinence de l'avenue de recherche que constitue la
clarification philosophique d'une thorie de la perception pour une thorie sociologique
confronte au problme des normes sociales. La troisime partie (3) reprend le problme des
principaux concepts concourant la norme sociale pour les fonder dans une description
phnomnologique du processus perceptif, notamment les concepts d'action, d'interaction, et
ceux qui sont relis l'usage de signes dans l'interaction.
Dans un premier temps (1.1), nous aborderons la normativit partir du dbat entre
Brandom et Habermas. Ce dbat mettra en relief une celtaine faon de traiter la normativit
dans la pragmatique contemporaine et nous permettra d'identifier d'entre de jeu trois
prsupposs que nous qualifions d'intellectualistes et que nous nommons: propositionnel,
reprsentationnel, et judicatif. En vertu de ces prsupposs, la norme est conue comme le
produit d'un jugement pratique sur une reprsentation d'action prenant la forme d'un concept
smantique articul au sein d'une maxime propositionnelle. Cet aspect intentionaliste du
tournant pragmatique, nous le verrons, permet Habermas d'introduire sa position
cognitiviste articule par sa philosophie du langage. Nous reviendrons donc (1.2) la faon
dont Habermas se propose d'exploiter les dveloppements de la pragmatique formelle et de la
philosophie analytique du langage pour alticuler, dans la TAC, les fondements d'une thorie
sociologique - laquelle comprend une thse volutionniste ou dveloppementale sur la
formation des normes sociales -, avant d'entreprendre (1.3) un examen critique du
dveloppement de son argument pragmatico-universel mettant en relief le rle jou par nos
trois prsupposs intellectualistes et les limitations qu'ils imposent la thorie des normes
sociales dfendue par Habermas. Nous verrons, entre autres, que ces prsupposs
intellectuels rendent problmatiques le traitement de celtains types d'actions qui concourent
l'apprentissage culturel et la formation des normes sociales.
Dans la deuxime partie, nous examinerons la remise en question de la position
intellectualiste d'un point de vue sociologique, ainsi que le traitement accord aux limites
d'une thorie soumise aux prsupposs intellectualistes. Notre objectif est de clarifier, au
moins en thorie, la pertinence sociologique de notre entreprise philosophique. Nous
-
19
poursuivrons dans la ligne o se situe Habermas, celle des thories sociologiques cherchant
concilier les sociologies d'inspiration comprhensive et systmique suivant donc la voie
d'un sociorationalisme. Nous commencerons (2.1) par brosser un pOltrait du courant
constructionniste qui traverse les sciences sociales contemporaines pour revenir ses origines
et retrouver, dans les travaux de Kenneth J. Gergen, les arguments thoriques qui l'ont
propuls. Nous examinerons ensuite (2.2) les arguments de quelques thoriciens notoirement
critiques des sciences sociales contemporaines qui ont voulu rviser la philosophie de l'esprit
et la thorie de l'action sur lesquelles se fondent la thorie des sciences sociales. D'abord
Anthony Giddens, connu pour avoir publi en 1976 un manifeste contestant ce qu'il appelait
le consensus olthodoxe en pistmologie des sciences sociales. Puis Hans Joas, lve de
Habermas, qui propose un retour au soubassement prrflexif de la conscience partir du
pragmatisme classique. Enfin, Pierre Bourdieu, qui propose d'tudier la socit partir d'une
double structure symbolique et matrielle comprenant des relations d'homologie entre ces
deux champs. Ces considrations nous amneront (3.3), aprs une introduction de la
discipline psychosociologique, introduire la thorie des reprsentations sociales (TRS) et le
champ d'tudes ouvert par Serge Moscovici. Au terme de cet expos, nous verrons, en ce qui
a trait la thorie sociologique, que le principal problme ressort de sa capacit intgrer la
recherche psychosociologique, ou de type psychosociologique, sur les attitudes une forme
de sociorationalisme, et que la plupart des auteurs tudis pointent les lacunes de la thorie
traditionnelle de la perception, lesquelles motivent plus de recherches thoriques dans le
champ de la philosophie de l'esprit.
Ce constat, qui s'ajoute la critique sociologique des insuffisances d'une thorie
intellectualiste comme celle de Habermas, nous permettra de justifier un retour la thorie
husserlienne de la perception qui se dgage des travaux d'A Ifred Schtz, lequel a voulu tirer
une thorie sociologique gnrale de la psychologie phnomnologique de Husserl.
Nanmoins, dans notre lecture de Schtz, nous commencerons (3.1) par faire ressortir
l'importance de son appaltenance l'cole autrichienne d'conomie pour le cadre
pistmologique dans lequel il faut situer une thorie sociologique ou, ici, des normes
sociales. Cela s'avrera essentiel pour analyser les 1imites d'une thorie qui, comme celle de
Habermas, se commet des prsupposs intellectualistes, pour traiter l'activit sociale
-
20
partir d'une tude pragmatique formelle du langage et de la discussion, et situer la description
de J'action sur une chelle hirarchique de dveloppement. Nous poursuivrons en
introduisant (3.2) la rvision schzenne de la thorie wbrienne de l'action, puis (3.3) de la
thorie wbrienne de l'interaction par une thorie phnomnologique de l'intersubjectivit.
Cela nous permettra donc d'introduire la thorie husserlienne de la perception et sa
contribution aux thories de l'action et de l'interaction avant de spcifier comment (3.4), sur
le plan de l'interaction, elle permet d'entrevoir l'imbrication des motivations des agents et la
formation ainsi que J'usage de ce que Schtz appelle des relations de signes , lesquelles
permettent donc la communication par des signes, des symboles, et par le langage en gnral.
Cette troisime paltie de la thse, nous l'avons mentionn, consiste montrer qu'un
contenu axio logique responsable du sens que prend la norme sociale pour les acteurs
d'un milieu se forme pragmatiquement au niveau antprdicatif de la conscience et ne
ncessite ni reprsentation thmatique, ni forme propositionnelle, ni jugement d'aucune sOlte,
pas mme de jugement de valeur, pour tre exprim publiquement et reproduit de la mme
manire. Cette thse, nous l'avons dit, repose entirement sur une lecture du rle opratoire
jou par les indices de la prsence d'autrui chez Alfred Schtz. Afin de souligner leur
ancrage contextuel, nous renommons ces indices, indice de socialit , et, pour souligner
leur rle opratoire, nous marquons cette transition conceptuelle par le terme de facteur de
socialit. La distinction entre la conscience prdicative et Je caractre antprdicatif de la
conscience perceptive nous amnera situer la formation et la diffusion des normes,
distinctement, ces deux niveaux de conscience. Selon que le premier accomplissement et
les accomplissements rpts par sa diffusion sont respectivement forms par de simples
conduites ou actions au plein sens du terme, on peut envisager minimalement quatre (22)
faons ou modles purs par lesquels une innovation sociale peut - en tant que comptence
normative des acteurs - s'ancrer dans un milieu afin de former une norme sociale28 . Bien sr,
la diffusion pouvant faire appel diffrents rapports de la norme sociale, donc de J'objet de
conduites au sens gnral du terme, il serait tonnant de constater la ralisation de tels
modles. Toutefois, leur possibilit remet en question l'ide d'une constitution et d'une
28Yoir appendice A.
-
21
diffusion des normes sociales qui ne fasse unilatralement appeJ qu'aux processus les plus
intellectuels de l'esprit humain.
Nous commencerons donc (3.1) par introduire l'uvre de Schtz partir de
l'pistmologie des sciences sociales qu'il propose. Nous verrons que Schtz verse dans la
phnomnologie husserlienne pour rpondre des questions de mthode, mais aussi de
thorie, poses par l'cole autrichienne d'conomie laquelle il appaltient. En ce qui
concerne la mthode, sa rvision de l'idal-type wbrien permet de construire des modles
formels dans lesquels le principe d'utilit marginale cher aux Autrichiens sert d'axiome
rgulateur. Pour ce qui est de la thorie, nous proposerons une lecture de Schtz qui poursuit
les rflexions autour du problme de la distribution sociale de la connaissance pos par
Hayek, problme qui fait lui-mme suite aux rflexions de Menger sur la coordination sociale
ainsi que les institutions sociales et culturelles. Ce faisant, nous effectuerons une distinction
entre diffrentes orientations de recherches partir desquelles nous proposerons une lecture
cohrente de Schtz, notamment de l'atticulation entre les face--face concrets et formels.
Ces distinctions effectues, le rappott de Schtz Flix Kaufmann, cit plusieurs reprises,
nous permettra de confirmer sa conception unitaire de la mthode et sa conception la fois
pragmatique, normative et cohrentiste de la science, l'intrieur desquelles s'articule une
forme de protocole de vrification. Or cette conception des sciences et de la mthode est celle
qu'il envisage pour l'tude du sens de faon gnrale. Elle est donc valable pour l'tude des
configurations de sens lies des contenus axiologiques, alors que d'un point de vue
empirico-raliste, les prtentions sociologiques de la TAC doivent tre soumises au mme
type de test de confirmation empirique.
En deuxime lieu (3.2), nous examinerons le concept d'action chez Schtz et la rvision
qu'il lui impose en faveur des concepts de conduite. Dans la tradition wbrienne, J'action est
lie aux sens subjectifs que lui donne l'acteur. C'est sur cette base que Schtz introduit la
pertinence du champ d'tude phnomnologique et de la mthode de rduction husserlienne
par lesquelles il entend procder des analyses statiques et gntiques de l'intentionnalit.
Ces analyses doivent cerner le processus d'tablissement du sens et, en ce qui concerne les
normes sociales, de ce qu'il appelle un contenu axiologique. Nous verrons qu'aprs avoir
-
22
distingu J'agir (actio) et l'acte accompli (actum), Schtz pose le problme du sens de l'acte
(actum) partir du sentiment prouv par l'acteur de la dure interne de celui-ci. Le premier
problme consiste dlimiter l'acte dans la dure. Cette dfinition typique de l'action se fait,
au niveau antprdicatif, par des synthses perceptives responsables d' analogies
aperceptives . Le sens ainsi dfini constitue un bagage de connaissance voluant au gr
du parcours biographique. Partant de l, Schtz distingue deux types fondamentaux de
motivation, selon qu'elles sont tournes vers un vnement pass (motif parce que ), o
vers l'avenir par un projet de l'acteur (motif en-vue-de ). Mais un projet n'est pas un but
conscient. Nous verrons donc que les germes de la rvision du concept d'action pour celui de
conduite vers 1943 sont poss ds 1932 par l'introduction du double sens du terme
expression chez Husserl. la fois dans son utilisation du concept husserlien de type pour
qualifier l'action typique, et par le mouvement d'anonymat qu'il dcrit, Schtz doit admettre
que certains comportements ont dj un sens typique pour l'acteur. Puis, en revenant sur le
problme de Carnades, un sceptique modr de l'Acadmie tardive, Schtz raffine sa
position sur le contexte qui suscite la dlibration rflexive et propose une conception
faillibiliste et probabiliste de la dcision rationnelle, selon un concept relch de la rationalit
depuis ses dbats avec Hayek, mais toujours lie un intrt pragmatique. Selon nous, cette
base probabiliste lie au contexte vaut autant pour la raison prdicative que pour la raison
antprdicative dans son identification d'un sens typique et son traitement plus ou moins
problmatique du flou . Ce qui prside l'identification d'une conduite type peltinente
dans une situation typique est donc une attitude perlocutoire ou tourne vers l'amnagement
du rapport au contexte environnemental. La norme sociale est ainsi redfinie en fonction d'un
concept de conduite qui associe le rle de la conscience antprdicative et sa relation au
contexte dans la formation, la slection et l'accomplissement de l'acte (actum).
Ce modle d'action prvaut dans l'tude de l'action sociale et de l'intersubjectivit, qui
occupera ensuite notre attention (3.3). La clarification de la dfinition wbrienne de l'action
sociale, dfinie comme action tourne vers autrui, amne Schtz dvelopper la thorie
phnomnologique de l'intersubjectivit. Nous verrons que cette prise en considration
d'autrui, qu'il juge tenue pour acquise par le sens commun, se forme au niveau antprdicatif
de la conscience. Les acteurs se coordonnent par le biais d'une sphre d'idalits objectives
-
23
ou de configurations objectives de sens , compose la fois des types et des significations
au plein sens du terme (Sinn) qu'ils attribuent leurs expriences respectives d'un monde
commun. Cet ajustement interactif procde une rorganisation de leur bagage de
connaissance , de telle sorte que, en vertu du principe simmel ien de dual it , une
personnalit individuelle ou identit personnelle se forme par ce que les pragmatistes
amricains appellent l' effet miroir . Schtz complte sa thorie descriptive gnrale de
l'interaction en face face concret par un modle de face--face formel expliquant le succs
de la communication travers l'interaction par un postulat de rciprocit intentionnelle fond
sur les postulats d'interchangeabilit des perspectives et de congruence des schmes de
pertinence. ce stade, les distinctions pistmologiques poses par Menger et esquisses
dans le premier chapitre de cette section (3.1) nous aideront rsorber les contradictions
allgues par plusieurs commentateurs entre les face--face formels et les face--face
concrets en les rattachant diffrentes orientations de recherches thoriques, qu'il s'agisse
d'une thorie purement formelle ou d'une thorie gnrale. Notons que le terme typique
prend implicitement un sens intersubjectif dans la dfinition des normes sociales. Il rfre
un noyau typique de sens. Cependant, toute recette dont l'accomplissement est
comprhensible n'est pas une norme dans la mesure o il lui manque un certain statut
perceptible dans le milieu. Ce statut renvoie lui-mme aux expressions publiques de la
norme, leurs positions relatives et leur frquence dans le milieu, et il est un caractre
palticulier de l'indice de socialit du schme normatif. Cette palticularit reflte le caractre
hgmonique de la recette ou de la relation de peltinence entre situation et conduites types, et
renforce son caractre opratoire comme facteur d'activation des comptences dans un milieu
alors structur en fonction d'un rgime normatif. Ce phnomne perceptible est une
qualit de norme.
Nous conclurons cette pattie sur Schtz par une analyse du rappolt entre la formation
des relations de signes et les normes sociales ou, selon lui, les recettes qui structurent les
relations en socit (4.4). Nous verrons, d'une part, que les relations de signes se forment bel
et bien dans un contexte d'imbrication des motivations, lequel est motiv par le contexte o
l'interaction prend forme. C'est dans ce contexte et partir d'un intrt pragmatique
assimi lable une attitude perlocutoire qu'est motive l'attitude illocutoire et son ventuelle
-
24
rciprocit dans la communication authentique ou dans toutes autres formes plus ou moins
anonymes d'interaction. La norme sociale, redfinie comme relation pel1inente entre une
situation typique et une conduite type, est donc une relation de signes dont la pertinence
s'exerce sur le plan motivationnel, et pas forcment sur le plan thmatique. l'encontre du
paradigme du langage, elle est d'une nature foncirement p~ychosociale, qui fonde l'activit
langagire. Schtz divise ainsi l'articulation de la relation de signes en trois ou quatre
schmes - aperceptif, apprsentatif et de rfrence -, la relation entre les deux derniers
formant le contexte d'interprtation. Notre thse soutient que l'indice de socialit se forme
(a) au niveau du schme aperceptif et, comme facteur de socialit, il dispose (b) de
l'apprsentatiol1 de l'objet et (c) du cadre de rfrence dans lequel il se place, donc (d) du
contexte d'interprtation qui motive l'accomplissement de la norme sociale par les acteurs
d'un milieu. Refltant la constitution sociale de la relation de signes, l'indice de socialit
opre comme unfacteur de socialit sur l'apperception de l'objet et son cadre de rfrence en
fonction d'un groupe de rfrence . Ces analyses phnomnologiques permettent, comme
le fait Schtz, d'envisager diffrents rapports imitatifs, analogiques ou symboliques aux
conduites comme aux signes, s'appliquant donc aussi la dsignation d'actes de langage et
la formulation plus ou moins automatique d'noncs dclaratoires. Bref, la possibilit de ce
que Goldstein appelait le langage concret soulve des doutes quant au traitement des
propos dclaratoires des acteurs qui engageraient une attitude rflexive au sens de Habermas.
Il soulve surtout la possibilit que la formation et la reproduction de la norme comme
relation de signes, outre qu'elles peuvent tre sous-jacentes son expression linguistique,
sont deux processus qui peuvent avoir lieu indpendamment de l'activit prdicative de la
conscience, de la mise en forme propositionnelle d'un contenu reprsentationnel, et aussi
indpendamment de toute forme de jugement.
Problme pistmologique de la TAC
La thorie de la perception joue un rle non seulement dans la description du phnomne des
normes sociales, mais galement dans l'articulation de la thorie scientifique et dans la
position pistmologique des prtentions sociologiques. Au terme de notre analyse, la TAC
se rvlera problmatique sur plusieurs points lis ses prtentions sociologiques; nous
-
25
exposerons systmatiquement ces points en conclusion paliir de la position pistmologique
tire de J'uvre de Schtz, axe autour d'une conception pragmatique, normative et
cohrentiste de la science qui, en rfrence Kaufmann, raliicule la thse de l'unit de la
mthode par une rinterprtation de la notion de protocole de vrification. De ce point de vue,
le constat qui s'est impos de manire plus frappante notre examen est que, d'une faon
gnrale, la TAC ne se qualifie pas comme une thorie susceptible de soutenir des
prtentions sociologiques d'aucune sOlte.
Rappelons que Habermas est un pmiisan de la dualit de mthode entre les sCiences
naturelles et les sciences sociales. Puisque les normes sont pour lui un phnomne
pragmatico-linguistique, le mode d'accs privilgi celles-ci est l'analyse du langage.
Accder aux normes par des moyens empiriques se heulte au problme gnral de la
distinction entre les entits thoriques et les entits observables. Cette distinction ne serait pas
fonde dans l'optique o la perception elle-mme est sous-dtermine par la structure
pragmatique du langage et se prsente la conscience selon les formes et les distinctions
permises par une langue d'usage. Habermas prtend donc aborder le phnomne normatif de
l'intrieur. Sa pragmatique prtend avoir relev le phnomne universel de l'obligation
morale par une analyse intralinguistique et il refuse d 'y voir un simple explanans pour
assumer, l'instar de Kohlberg29, une certaine circularit dans ses dmonstrations.
Cette position soulve plusieurs problmes du point de vue d'une thorie des sciences
partageant la thse de l'unit de la mthode et celle d'une pistmologie, fonde sur
l'exprience perceptive, distinguant diffrentes orientations de recherche. D'abord, du point
de vue d'une thorie descriptive gnrale des normes sociales, la pragmatique universelle
semble, au regard d'une critique phnomnologique, (a) tablir trois biais ou prsupposs qui
occultent les phnomnes perceptifs et de groupes. Du point de vue d'une analyse
philosophico-historique (b) elle se trompe sur l'aspect volutionniste et dveloppemental des
normes sociales. Du point de vue formel, si on la prend seulement comme un modle du
29Cette mthode qui suppose un ralisme moral inhrent l'tude empirique de la moralit est expose et discute dans Lawrence l
-
26
processus de communication, une limitation qu'elle refuse, (c) son utilit sociologique n'est
pas dmontre. Du point de vue de la vrification empirico-raliste, (d) sa division du travail
philosophique et son utilisation du concept de contradiction performative rendent
problm