patrimoniul de afectatiune
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Drept civilTRANSCRIPT
ALEXANDRA POPOVICI
LE PATRIMOINE D'AFFECTATION Nature, culture, rupture
Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en droit pour l'obtention du grade de Maître en droit (L.L.M.)
FACULTE DE DROIT UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
2012
© Alexandra Popovici, 2012
Résumé
La fiducie a fait couler beaucoup d'encre au Québec. Pourtant, peu d'études entreprennent de comprendre sa nature véritable et les effets étranges que celle-ci engendre sur l'architecture conceptuelle du droit privé québécois. En choisissant le patrimoine d'affectation comme émule du trust anglo-saxon lors de la dernière codification, le législateur n'a pas simplement remplacé l'enveloppe civiliste de la fiducie, il a véritablement transformé le plan juridique : avec l'introduction de la fiducie-patrimoine d'affectation, les droits ont dorénavant deux manières d'être, soit ils appartiennent à un sujet de droit, soit ils sont affectés. L'étude comporte trois volets : le premier, porte sur la nature de la fiducie québécoise et tente de délimiter les paramètres de la fiducie actuelle; le second porte sur la culture juridique et met en perspective le choix audacieux du législateur; le dernier se veut un questionnement sur les répercussions d'un tel bouleversement. Le patrimoine d'affectation et les droits sans titulaire qui en découlent ont-ils leur place dans l'architecture actuelle du Code civil du Québec?
Abstract
There does not seem to be any lack of doctrinal work on the notion of the trust in Quebec. However, little work has been undertaken on its real nature, and the odd effects that it has on the conceptual architecture of Quebec private law. By choosing patrimony by appropriation as the vehicle to incorporate the trust in the last codification, the legislature has not only changed the framework of the trust but also the overall juridical plan: rights now have two means of being; either they belong to persons, or they are appropriated to a purpose. This transformation will be studied in three parts: 1) the juridical nature of the trust will be explored; 2) the overall legal environment will be examined, which will put in perspective the striking choice of the Quebec legislator; 3) and finally, the consequences of this choice will be examined. Do the patrimony by appropriation, and the idea of rights without a holder that seems to flow from it, have a place in the architecture of the Civil Code of Quebec?
Remerciements
Ce mémoire n'aurait pas eu être réalisé sans le soutien financier de deux institutions : la Faculté de droit de l'Université Laval et le Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec. Je leur suis infiniment reconnaissante.
Plusieurs personnes méritent également de sincères remerciements. Je voudrais d'abord remercier mon directeur le professeur Sylvio Normand pour ses encouragements, ses conseils, son intérêt et sa disponibilité. Grâce à lui, la rédaction de ce mémoire fut un réel plaisir. Je dois également remercier Lionel Smith et mes collègues au Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec - aujourd'hui nommé le Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé, sans qui ce texte n'aurait pas vu le jour. Peu d'étudiants ont la chance d'être si bien entourés.
Finalement, je dois remercier ma petite famille, Scott, Chiara et Lilly, mes soleils.
TABLE DES MATIERES Résumé i Abstract ii Remerciements ....iii Introduction 5 Chapitre I : Nature, Où la nature de la fiducie québécoise sera mise en lumière 9 I. Mises en perspective 9 II. La fiducie : patrimoine d'affectation 10
a) La notion juridique de patrimoine 13 b) La division 19 c) L'affectation 20
III. La fiducie dans le Code civil du Québec 24 a) Mise en place 24 b) La constitution de la fiducie 34
IV. L'administration de la fiducie 41 a) L'administration de la fiducie 42 b) Le constituant 43 c) Le fiduciaire et la notion de pouvoir 45 d) Le bénéficiaire et ses droits 51 e) Un patrimoine débiteur? 55
V. Une nature incertaine 57 Chapitre II : Culture, Où l'on découvre que la culture joue un rôle déterminant dans la construction d'un phénomène juridique 62 I. Mise en perspective 62 II. LeC.C.B.C 62 III. Les interprétations du C.C.B.C 68
a) Le bénéficiaire comme propriétaire 68 b) Le constituant et ses héritiers 69 c) Le fiduciaire comme propriétaire 69 d) La fiducie comme propriétaire 75 e) Un propriétaire incertain 78
IV. Le trust et le droit civil 80 V. La fiducie : une institution culturelle par nature 84 Chapitre III : Rupture, Où l'impact de la fiducie sur l'architecture globale du Code civil du Québec sera enfin dévoilé 90 I. Mise en perspective 90 II. Le paradigme 91 III. La nouveauté 95 IV. La rupture 98 V. La révolution 106 Conclusion 111 Bibliographie 116 Annexe — La fiducie sous le C.c.B.C 126
Introduction
La fiducie au Québec a fait couler beaucoup d'encre. S'y attaquer encore aujourd'hui
semble presque impertinent ou du moins redondant. Pourtant malgré les études
multiples consacrées à sa nature et à son régime, la fiducie québécoise reste un
mystère à bien des égards : le patrimoine d'affectation, bien que près de 20 ans
dans les rouages du droit commun, n'a pas encore fait sentir toutes ses
répercussions.
En effet, en consacrant la notion de patrimoine d'affectation dans le Code civil du
Québec, le législateur n'a pas simplement inscrit différemment la fiducie dans le
code, il a ouvert la porte à une théorie du patrimoine qui admet qu'une universalité
de droit, un patrimoine sans titulaire, puisse contracter des obligations et en
répondre de ses biens1.
Cette nouveauté n'est pas sans conséquence : admettre que les qualités de débiteur
ne se limitent pas à la personne juridique, mais qu'elles touchent tout patrimoine
La cour d'appel du Québec a récemment conclu qu'une société constitue un patrimoine autonome qui peut détenir des biens et avoir des obligations. Selon le juge Rochon dans Ferme CGR enr., s.e.n.c. (Syndic de), 2010 QCCA 719:
[68] Les biens de la société constituent ainsi un patrimoine autonome, distinct de celui des associés, et qui est composé de l'apport de chaque associé.
[...]
[70] Ce patrimoine sera utilisé en fonction du seul intérêt de la société (article 2208 C.c.Q.) et administré en vertu de règles qui lui sont propres (article 2212 et suiv. C.c.Q.). Sans qu'il soit nécessaire de trancher définitivement cette question, je note qu'aux termes des textes du Code civil du Québec rien ne semble s'opposer à ce que la « s.e.n.c. », qui n'a pas la personnalité juridique, contracte des obligations et en répondre sur ses biens.
autonome, c'est remettre en question tout l'appareil conceptuel sur lequel s'appuie
pourtant le code, le triptyque personne-bien-obligation2.
La fiducie, donc au cœur de cette analyse, mais non comme objet principal, plutôt
comme objet essentiel, car c'est elle qui est à l'origine que cette transformation. La
fiducie a en effet une histoire bien particulière qui participe à la spécificité du droit
civil québécois. Véritable « miroir de l'évolution de la culture juridique
québécoise 3», elle en est également le moteur. Étudier la fiducie québécoise
permet donc non seulement de comprendre ce qui démarque le droit civil québécois
des autres systèmes de droit civil, mais également, puisqu'elle est aujourd'hui
articulée à travers la notion bien civiliste de patrimoine, de mettre au jour quelle est
la théorie du patrimoine qui anime le Code et donc de comprendre la structure
juridique inhérente de notre droit commun. Étudier la fiducie aujourd'hui donc,
dans le but de comprendre ce qui nous reste dans le Code civil du plan tripartite
personne-bien-obligation.
Cette étude se fera en trois temps : la nature de la fiducie telle que codifiée par le
législateur québécois sera d'abord étudiée; la place qu'elle occupe dans la culture
juridique du Québec sera ensuite examinée; finalement, ce sont les conséquences
de cette nouvelle institution et la rupture qu'elle provoque qui seront mis en
lumière.
Cette structure, qui peut paraître étrange au premier coup d'oeil, est pourtant
réfléchie. En abordant d'abord la nature de la fiducie, et non l'histoire de son
évolution, mon désir est simple : essayer de comprendre la fiducie telle qu'elle a été
2 La structure laissée par Gaius dans les Institutes - personne, choses, action - a connu quelques bouleversements au cours des siècles mais reste le fondement de notre code civil. Voir notamment à ce sujet, E. Reiter, « Rethinking Civil-Law Taxonomy : Persons, Things and the Problem of Domat's Monster » (2008) 1 J. Cv. L. Stud. 189. Les sceptiques n'ont qu'à relire le premier paragraphe de la disposition du Code civil du Québec.
3 S. Normand, « L'acculturation de la fiducie en droit civil québécois », séminaire donné à l'École normale supérieure, Paris, 12 décembre 2007 (texte inédit).
codifiée, comprendre la fiducie à sa face même, comprendre la fiducie en tant
qu'institution fondamentale du droit civil. C'est donc avant tout le texte du code qui
sera mis sous la loupe. C'est la fiducie telle qu'elle a été codifiée. Ce n'est pas ce
qu'elle devrait être ou ce qu'elle a été. C'est ce qu'elle est qui m'intéresse. Cette
analyse bien qu'elle touchera au régime et à la constitution des fiducies dans le code
actuel, se veut aussi une enquête sur les fondements juridiques et conceptuels du
patrimoine d'affectation. Ses origines doctrinales seront donc révélées. La fiducie du
code sera mise en regard avec le trust de Pierre Lepaulle, père de la fiducie comprise
en tant que patrimoine d'affectation et les notions de patrimoine, de division,
d'affectation et de pouvoir seront examinées. On peut résumer cette section en une
série de questions très simples : qu'est-ce qu'un patrimoine d'affectation? Comment
est-il inscrit et compris dans le Code civil du Québec? Et, question ultime, peut-on en
découvrir sa nature sans avoir recours à l'histoire culturelle de l'institution?
À cette dernière question, mon opinion était déjà arrêtée avant la rédaction de mon
mémoire : la fiducie est une institution culturelle par nature et on ne peut la
comprendre sans l'inscrire dans son parcours historique et culturel particulier. En
effet, la fiducie québécoise a une histoire bien singulière, et la nouvelle forme
qu'elle a prise lors de la recodification en 1994 n'est pas le fruit d'un hasard. Essayer
de comprendre la nature de la fiducie sans son histoire est certes, une entreprise
nécessaire — elle permet de mettre au jour les incongruités qui animent
l'institution dans sa forme actuelle, mais elle n'explique pas comment un choix aussi
peu orthodoxe a pu être fait.
La deuxième partie s'attarde donc aux raisons qui ont poussé le législateur à choisir
cette manière d'articuler la fiducie lors de la nouvelle codification. Plusieurs options
ont en effet été envisagées. Pourtant, c'est le patrimoine d'affectation qui a été
choisi pour émuler le trust anglo-saxon et inscrire définitivement la fiducie dans
notre droit commun. La fiducie patrimoine d'affectation est née en réaction à un
passé tumultueux, et c'est ce passé qui sera révélé. L'historicité de la fiducie sera
donc mise au jour dans cette section que je nomme la culture de la fiducie
8
québécoise et qui éclaire, je crois, certains mystères entourant la nature de l'objet
d'étude.
La troisième partie - rupture - est le cœur de mon analyse. Après avoir essayé de
comprendre ce qu'est un patrimoine d'affectation, après avoir compris pourquoi la
fiducie est aujourd'hui un patrimoine affectation, ce sont les conséquences du choix
du législateur qui seront examinées : en érigeant la fiducie comme un patrimoine
d'affectation, c'est-à-dire comme un patrimoine autonome, dépourvu de
personnalité, mais détenteur de biens et d'obligations, le législateur a rompu avec le
paradigme dominant. Avec la fiducie patrimoine d'affectation, la notion de droit
subjectif n'est plus l'unique manière de conceptualiser des droits en droit civil
québécois. Après avoir fait un bref rappel du paradigme dominant structuré autour
du plan classique, personne-bien-obligation, je tenterai donc d'esquisser les
séquelles du patrimoine d'affectation. Est-il possible d'avoir des droits sans sujet?
Un patrimoine peut-il avoir des obligations? Quelle est la théorie du patrimoine du
Code civil du Québec? Est-elle personnaliste? Est-elle objectiviste? Peut-elle être
mixte ou bicéphale pour reprendre le mot d'un auteur 4? Le patrimoine d'affectation
a-t-il sa place dans l'architecture actuelle du Code civil du Québec?
4J. Beaulne, Droit des fiducies, 2e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2005 à la p. 13.
Chapitre I : Nature,
Où la nature de la fiducie québécoise sera mise en lumière
I. Mises en perspective
La fiducie est allochtone au droit civil. Institution fondamentale de la Common Law,
le trust a toujours eu peine à trouver sa place dans les systèmes de droit privé
civilistes5. Le Québec en raison de sa mixité linguistique et juridique, mais également
en raison de sa position géographique et historique connaît et comprend pourtant la
fiducie dans des formes diverses depuis plusieurs siècles6.
C'est comme mode de transmission successorale que la fiducie a d'abord connu une
place dans le droit commun québécois : la liberté de tester instaurée par l'Acte de
Québec en 1774 a ouvert la porte au trust comme mode de transmission de biens
dans notre ancien droit privé. La fiducie fut ensuite balisée par Y Acte concernant la
fiducie en 18797 avant de se voir accorder une place particulière aux articles 981(a) -
981(n) dans la refonte du Code civil en 18888.
Sur la place de la fiducie en droit civil, voir M. Cantin Cumyn, « La fiducie et le droit civil » dans Conférences Meredith 1991 : Planification successorale/Estate Planning, Cowansville, Éditions Yvon Biais et McGill University - Faculty of Law, 1992, p. 159.
6 Sur les origines de la fiducie québécoise voir : M. Cantin Cumyn, « L'origine de la fiducie québécoise » dans Mélanges offerts par ses collègues de McGill à Paul-André Crépeau /Mélanges presented by McGill colleagues to Paul-André Crépeau, Cowansville, Éditions Yvon Biais, 1997, p. 199 et S. Normand, Introduction au droit des biens, I e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, à la p. 321.
Acte concernant la fiducie, S.Q. 1879, c. 29. Il faut noter que cette loi ne donne ouverture qu'à une fiducie constituée à l'occasion d'une donation entre vifs.
L .R.Q. 1888, article 5803. Le Code de 1866 connaissait déjà une certaine conception de la fiducie, les legs pour objet pieux, article 869 et la substitution fidéicommissaire, article 869. J.E.C. Brierley « Titre sixième. De certains patrimoines d'affectation. Les articles 1256-1298 » dans Barreau du Québec et Chambre des notaires, La réforme du Code civil, Québec, P.U.L ., 1993, tome 1, p. 739.
10
La suite est bien connue : la fiducie sous le régime du Code civil du Bas Canada fut
«un sujet d'affrontement dans la communauté juridique québécoise9»,
communauté qui n'arrivait pas à s'accorder sur la forme que devait revêtir cette
institution nouvelle aux origines ouvertement étrangères10. Lors de la recodification,
une des tâches des artisans de l'Office de révision du Code civil et ultimement celle
du législateur était donc de « civiliser » cette institution majeure et de trouver « les
moyens juridiques [permettant] la réception heureuse et le fonctionnement efficace
de l'institution, sans pour autant heurter de front les notions juridiques
fondamentales issues de la latinité juridique11». Il fallait trouver un cadre civiliste lui
permettant de rivaliser avec le trust qui bien plus qu'un instrument successoral,
participe à l'économie globale du droit privé anglais.
II. La fiducie : patrimoine d'affectation
C'est par le patrimoine d'affectation que la civilisation a eu lieu.
9 Voir à ce sujet S. Normand et J. Gosselin, « La fiducie du Code civil : un sujet d'affrontement dans la communauté juridique québécoise » (1990) 31 C. de D. 681.
10 Sur les liens qui existent entre la fiducie et le trust anglo-saxon, voir généralement les textes de John E.C. Brierley, par exemple « The New Quebec Law of Trusts: The Adaptation of Common Law Thought to Civil Law Concepts » in H.P. Glenn, directeur Droit québécois et droit français: communauté, concordance, autonomie, Association Henri-Capitant, Association québécoise du droit comparé et Institut de droit comparé, Université McGill, Cowansville, Éditions Yvon Biais, 1993, p. 383.
11 Brierley, « Titre sixième. De certains patrimoines d'affectation. Les articles 1256-1298 », supra note 8.
1260. La fiducie résulte d'un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu'il constitue, des biens qu'il affecte à une fin particulière et qu'un fiduciaire s'oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer.
1261. Le patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie, constitue un patrimoine d'affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d'entre eux n'a de droit réel.
1260. A trust results from an act whereby a person, the settlor, transfers property from his patrimony to another patrimony constituted by him which he appropriates to a particular purpose and which a trustee undertakes, by his acceptance, to hold and administer.
1261. The trust patrimony, consisting of the property transferred in trust, constitutes a patrimony by appropriation, autonomous and distinct from that of the settlor, trustee or beneficiary and in which none of them has any real right.
Ce cadre juridique de la fiducie est complètement nouveau et s'écarte, on le verra,
de la conception antérieure et de celles retenues dans d'autres systèmes de droit
civil. Mais une chose est claire, en choisissant la notion de patrimoine pour
comprendre et instaurer la fiducie, le législateur a choisi une notion essentiellement
civiliste et s'est donc écarté des racines étrangères du trust 12
L'idée de conceptualiser la fiducie comme un patrimoine d'affectation n'est pas
nouvelle. La doctrine s'entend pour trouver les racines de cette idée dans les textes
de Pierre Lepaulle13. Dans son Traité théorique et pratique des trusts datant de 1932,
12 lbid., à la p. 743.
Voir Beaulne, Droit des fiducies, supra note 4, à la p. 24 et R. Becker, A question of Trust - An Analysis and a Comparative Assessment of the New Quebec Trust, mémoire de maîtrise, Institut de droit comparé de McGill, 1995, à la p. 48.
12
Lepaulle s'était en effet donné comme mission de comprendre et de décrire le trust
anglo-saxon en termes civilistes. Il définissait le trust anglo-saxon ainsi :
Le trust est une institution juridique qui consiste en un patrimoine indépendant de tout sujet de droit et dont l'unité est constituée par une affectation qui est libre dans les limites des lois en vigueur et de l'ordre public14.
Selon son analyse, le trust n'a rien à voir avec une relation tripartite entre un
constituant, un fiduciaire et un bénéficiaire - description habituelle du trust. Le trust
selon lui est tout simplement un patrimoine, donc selon ses mots « un ensemble de
droits et de charges appréciables en argent et formant une universalité de droit »,
affecté à un but, une destination15. Si Lepaulle parle dans son texte du trust anglo-
saxon, il le fait dans le but de le voir compris, dans le sens d'admis, en droit civil, il le
fait avec l'idée qu'un trust civiliste est possible16.
Lors de la réforme du Code civil, le législateur québécois savait déjà qu'un trust
civiliste était possible puisqu'il en avait déjà une version dans son code précédent.
Mais la controverse que la fiducie avait engendrée lui imposait de la
reconceptualiser. Pour des raisons que nous explorerons plus loin, il a choisi le
patrimoine d'affectation comme cadre juridique pour la fiducie donc le cadre
juridique proposé par Lepaulle. Mais le cadre du Code correspond-il à celui proposé
par Lepaulle? Quelles sont les conditions de possibilité qui permettent la mise en
14 P. Lepaulle, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international privé, Paris, Rousseau et cie, 1932, à la p. 31.
15 lbid., aux p. 31 et 40.
16 II est important de soulever que l'objectif de Lepaulle n'était pas de créer une nouvelle notion opérationnelle en droit civil français mais plutôt de décrire (c'est son mot, lbid., p. 6), en français, dans le but de communiquer quelque chose de nouveau - le trust - quelque chose qui n'avait une vie qu'en anglais, à un nouveau public, la France. Dans son traité, Lepaulle ne construit qu'un comparable.
13
œuvre de la fiducie en tant que patrimoine d'affectation? Quel est ce patrimoine
d'affectation que nous a légué Lepaulle?
Lepaulle propose une construction qui est en effet bien particulière. En articulant le
trust comme un patrimoine d'affectation, il sait qu'il remet en question la théorie
classique du patrimoine comprise traditionnellement en fonction de la personnalité.
C'est parce qu'il définit le patrimoine « comme un ensemble de droits et de charges
appréciables en argent et formant une universalité de droit17 » et non comme
« l'ensemble des droits et des obligations d'une personne18 », qu'il est capable de
définir le trust comme un patrimoine affecté.
La notion de patrimoine est « une matière bien confuse19 ». Elle est pourtant
fondamentale à notre étude et elle mérite que l'on s'y attarde quelque peu.
a) La notion juridique de patrimoine
Le terme « patrimoine » ne connaît pas de définition légale en droit québécois20. Le
langage courant ne vient pas non plus à la rescousse : il est en fait plutôt trompeur,
laissant croire que le patrimoine représente ou bien simplement nos actifs
Lepaulle, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international privé, supra note 14, à la p. 40.
18/b;d., à la p. 33.
19 Ce sont les mots de M. N., Mevorach, « Le patrimoine » (1936) 35 R.T.D.Civ. 811, à la p. 812.
Selon les commentaires du ministre, il semble que cette entreprise ait été laissée aux soins des interprètes :
Il n'a pas semblé utile de définir la notion de patrimoine; l'absence d'une telle définition dans le droit antérieur n'a pas soulevé de difficultés, et, par ailleurs, cette notion constitue une réalité complexe, difficile à exprimer dans une définition simple qui répondrait à toutes les questions théoriques.
Québec, Ministre de la Justice, Commentaires du ministre, Québec, Publications du Québec, 1993, sous l'article 2.
14
personnels ou familiaux ou encore selon son étymologie un héritage venant du
père21
. En fait, la notion juridique est une construction doctrinale somme toute
assez récente qui connaît deux grandes tendances ou théories.
La théorie dite « classique » ou personnaliste du patrimoine fut élaborée par Charles
Aubry et Charles-Frédéric Rau, au 19e siècle, dans leur célèbre Cours de droit civil
français d'après la méthode de Zachariae22
. Le Code civil français à l'époque ne
1 Selon le nouveau Petit Robert de la langue française, version électronique, édition 2001:
patrimoine [patRimwan] nom masculin
étym. 1160 0 latin patrimonium « héritage du père »
Famille étymologique ■=> père.
1. Biens de famille, biens que l'on a hérités de ses ascendants. -* fortune, héritage, propriété. Maintenir, accroître, dilapider, engloutir le patrimoine familial.
2. Dr. « L'ensemble des droits et des charges d'une personne, appréciables en argent » (Planiol).
♦ Ensemble des biens corporels et incorporels et des créances nettes d'une personne (physique ou morale) ou d'un groupe de personnes, à une date donnée. Patrimoine social d'une entreprise. Patrimoine national. Patrimoine immobilier, foncier, financier. Gestion de patrimoine. Impôt sur le patrimoine. Spécialt Patrimoine brut. Patrimoine net. Valeur nette du patrimoine : différence entre les avoirs et les dettes.
3. (1829) Ce qui est considéré comme un bien propre (-*• apanage), comme une propriété, une richesse transmise par les ancêtres. Patrimoine archéologique, architectural, historique. « respectez les œuvres ! C'est le patrimoine du genre humain » (R. Rolland). Le patrimoine mondial de l'humanité. Patrimoine culturel.
° Patrimoine naturel et espaces protégés.
4. Génét. Patrimoine héréditaire, génétique : l'ensemble des caractères hérités. ■* génome, génotype.
22 La théorie du patrimoine comme on la connait aujourd'hui est en effet attribuée à Aubry et Rau, dont l'oeuvre fut d'abord une traduction de celle de M.C.S. Zachariae et ensuite une adaptation, pour devenir un véritable monument de la doctrine civiliste française. Voir N. Kasirer, « Translating Part of France's Legal Heritage : Aubry and Rau on the Patrimoine » (2008) 38 R.G.D. 453, à la p. 459. Un autre auteur pour établir la paternité de la théorie aux deux grands juristes français explique que, si
15
comportait aucune conception expresse du patrimoine. C'est plutôt à partir de
certains principes du droit privé, en particulier le gage commun des créanciers, que
les auteurs l'ont articulée.
Pour Aubry et Rau, le patrimoine est avant tout « une émanation de la personnalité
et l'expression de la puissance juridique dont une personne se trouve investie
comme telle 3».
Grossièrement, leur théorie consiste en ceci : chaque personne a un patrimoine
(contenant), ce qu'ils nomment sa puissance juridique. Ce patrimoine est unique et
indivisible, tout comme la personne. Il prend naissance avec la personne et s'éteint
avec celle-ci. Le patrimoine (contenant) a obligatoirement un titulaire qui est, et
peut seulement être la personne, car seule la volonté d'une personne peut créer des
rapports juridiques, des droits {le contenu). Ce contenant est indépendant du
contenu et ne peut être cédé. Le contenu de ce patrimoine que l'on appelle
également patrimoine est une universalité de droit, qui comprend les biens et les
obligations présents et futurs du titulaire, appréciables en argent.
Cette articulation emporte trois conséquences fondamentales :
o toute personne a un patrimoine;
o toute personne n'a qu'un patrimoine, indivisible;
o le patrimoine ne peut exister sans qu'une personne en soit
titulaire24.
la notion de patrimoine fut d'abord élaborée par Zachariae, son concept était moins précis, puisque selon ce dernier le patrimoine d'une personne n'était que « l'universalité juridique de tous les objets extérieurs qui appartienn[ai]ent à cette personne.». C'est en soulignant le fait que patrimoine et personnalité étaient intimement liés qu' Aubry et Rau ont donné sa force à la théorie classique actuelle. Voir S. Guinchard, L'affectation des biens en droit privé français, Paris, L.G.D.J., 1976, à la p. 331.
23C. Aubry et C-F. Rau, Cours de droit civil français, 4e édition, Paris, Marchai et Billard, 1873.
16
Cette théorie, cette construction doctrinale, a connu un avenir incomparable et il
serait, selon certains, impossible pour les juristes de penser le droit privé actuel sans
elle25. La notion a même fait son entrée dans le Code civil du Québec à l'article 2.
Pourtant la confusion établie entre le contenant et le contenu, entre la personnalité
juridique et l'universalité de droit, tous deux nommés « patrimoine », alors qu'ils
expriment des réalités juridiques différentes, bien que corollaires, a été l'objet de
plusieurs critiques26.
À l'opposé de cette théorie dite personnaliste, on retrouve la théorie objectiviste ou
la théorie dite « moderne » du patrimoine. Prenant naissance en Allemagne à la fin
du 19e siècle, alors que certaines questions fondamentales étaient débattues au
sujet des personnes morales, cette théorie part de l'idée qu'il est possible de
concevoir des patrimoines, c'est-à-dire des ensembles de droits et d'obligation sans
avoir recours à la personne ou la personnification juridique27.
Pour une analyse des éléments caractéristiques de la théorie classique du patrimoine, voir P. Charbonneau, « Les patrimoines d'affection: vers un nouveau paradigme en droit québécois du patrimoine » (1982-1983) 85 R. du N. 491, aux p. 498 et suiv.
Plusieurs auteurs ont tenté de découvrir ce qui fait la force la théorie d'Aubry & Rau. Voir notamment F. Zenati, « Mise en perspective et perspectives de la théorie du patrimoine » (2003) R.T.D.Civ. 667; Kasirer, «Translating Part of France's Legal Heritage: Aubry and Rau on the Patrimoine », supra note 21; F. Cohet-Cordey, « Valeur explicative de la théorie du patrimoine en droit positif français » (1996) 95 R.T.D.Civ. 819; R. Sève, « Détermination philosophique d'une théorie juridique : La théorie du patrimoine d'Aubry et Rau » (1979) 24 Archives de philosophie du droit 247
16 Voir par exemple H. Gazin, Essai critique sur la notion du patrimoine dans la doctrine classique, Paris, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, 1910; Guinchard, L'affectation des biens, supra note 22 notamment aux p. 331 et suiv.; et plus récemment, D. Hiez, Étude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, Paris, L.G.D.J., 2003.
17 Malheureusement, je n'ai pas eu la chance de lire les ouvrages des auteurs de cette théorie, les fameux Brinz et Bekker, leurs textes n'étant disponibles qu'en allemand, mais pour une belle analyse voir L. Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application en droit français, 2e édition, Paris , LGDJ, 1924, aux pages 38 et suiv. du tome 1. Voir également F. Bellivier, « Brinz et la réception de sa théorie du patrimoine en France » dans Olivier Beaud et Patrick Wachsmann (dir.), La science juridique française et la science juridique allemande de 1870 à 1918, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1997, à la p.165.
17
Selon cette théorie, le fondement d'une universalité de droits, d'un ensemble de
droits et d'obligations, n'est pas la personne, mais le but qui en assure la
cohérence :
là où les biens sont affectés à un même but, ils doivent nécessairement être liés, avoir une vie commune, constituer une universalité juridique.28
Selon cette perspective, l'affectation peut être une cause, une idée, un objet, une
personne, peu importe. Le contenu du patrimoine reste le même : c'est un
ensemble de biens et d'obligations évaluable en argent dans lequel les droits
répondent des obligations. Ce qui change, c'est le contenant : ce n'est pas la
puissance juridique de la personne, mais l'affectation qui lie les droits entre eux, en
assure la cohésion et l'unité. On ne pense plus à la source juridique des droits, mais
à la raison d'être de leur mise en commun. Ce n'est plus le moyen qui unit, mais la
fin29.
L'identité entre la notion de patrimoine et celle d'universalité juridique est ici
presque totale. En éjectant de la conception la source juridique des droits liés entre
eux, le patrimoine devient l'universalité et l'affectation simplement un moyen
d'expliquer ce qui lie les droits entre eux.
Selon cette théorie, une personne peut avoir plusieurs patrimoines, donc plusieurs
ensembles de biens et d'obligations, plusieurs « petits patrimoines »30, patrimoines
H., L. et J. Mazeaud, cité dans Charbonneau « Les patrimoines d'affection: vers un nouveau paradigme en droit québécois du patrimoine », supra note 24, à la p. 509.
Pour une analyse de l'unification par le but, voir Hiez, Étude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, supra note 26 aux p. 22 et suiv. ; Voir M. Villey, Les moyens du droits, 2e édition, Paris, Dalloz, 1984, à la p. 13.
30 L'expression provient de Gazin, Essai critique sur la notion du patrimoine dans la doctrine classique, supra note 26 aux p. 254 et suiv.
18
qu'elle peut par ailleurs céder en tant qu'universalité et dont la durée est malléable
en fonction du but31. Évidemment, chaque patrimoine constitue le gage commun
des créanciers de cette universalité.
La conséquence la plus étrange et la plus importante pour l'analyse en cours est
cependant la suivante : si l'on conçoit un patrimoine simplement comme une
universalité de droit, il en résulte qu'un patrimoine - un ensemble de droits - n'a
pas réellement besoin d'une personne pour exister.
En fait, selon la doctrine civiliste, il y a deux manières de comprendre ces
patrimoines affectés : la division et l'affectation. La distinction entre les modes
d'affectation est importante et fait souvent l'objet de confusion, les auteurs utilisant
les deux mots, les deux concepts de manière interchangeable32. La distinction est
pourtant fondamentale.
Le patrimoine, ainsi conceptualisé, se réduit pour ainsi dire à un ensemble de biens. Pour une analyse en ce sens voir la note du professeur Zenati consacrée à la notion de patrimoine qu'il termine sur ces mots : « Le patrimoine n'a jamais été rien d'autre qu'une universalité, c'est-à-dire, nonobstant sa spécificité, un bien », dans « Patrimoime » (1994) R.T.D.Civ. 888.
32 La confusion règne en effet en France et au Québec. Il semble si impossible de concevoir des droits sans titulaire que la notion de patrimoine d'affectation est assimilée à une simple division patrimoniale. En effet selon Brigitte Roy :
« Une masse de biens peut être qualifiée de patrimoine d'affectation en raison de son affectation à une fin particulière, et non pas uniquement en fonction de son autonomie par rapport à une personne et de sa distinction de tout autre patrimoine »
B. Roy « L'affectation des biens en droit civil québécois » (2001) 103 R. du N. 383, aux p. 426-427. Et les exemples pullulent. Voyez ce paragraphe d'un jugement de la Cour supérieure Dans Roy c. Boivin Carrier, s.e.n.c. (Boivin O'Neil, s.e.n.c), 2006 QCCS 2663 (CanLII) :
[32] Au Québec, le concept du patrimoine d'affectation existait depuis plusieurs années. Le législateur québécois traite de cette notion de « patrimoine » qui n'est pas un patrimoine distinct de celui des personnes qui en demeurent propriétaires même lorsque l'on affecte les biens à un autre patrimoine désigné. (...)
En France, la confusion semble encore plus complète. Les auteurs comme Gazin ou Hiez, supra note 26, bien que critiquant la notion classique de patrimoine, reconnaissent la nécessité du sujet comme assise d'un droit, et la notion de patrimoine d'affectation est pour eux synonyme de celle de division.
19
b) La division
La division patrimoniale est une forme d'affectation patrimoniale assez répandue33.
Selon cette manière de comprendre l'affectation, une personne peut avoir un ou
plusieurs patrimoines séparés. L'exemple classique se retrouve au Québec en
matière successorale : si au décès du défunt, son patrimoine est transmis de plein
droit à ses héritiers34, pendant la liquidation de la succession35, le patrimoine du
défunt est toutefois considéré comme étant séparé de celui des héritiers35, chaque
patrimoine répondant à ses propres créanciers37.
Les Allemands, tenant de la théorie moderne du patrimoine, appellent ce type
d'affectation patrimoniale les Sondervermôgen, des patrimoines spéciaux38. Bien
qu'elle remette en question l'indivisibilité du patrimoine telle que conçue par Aubry
et Rau, bien qu'elle provienne de cette même idée que l'unité d'une universalité de
droit provienne non pas de la personne qui en est à la tête, mais de la finalité qui
Voir également, toujours à titre d'exemple en France de cette impossibilité de conceptualiser des patrimoines d'affectation sans titulaire, cet article récent de Pierre Berlioz « L'affectation au cœur du patrimoine » 2011 RTD. Civ. 635 dans lequel l'affectation est prise au sens littéral et n'a rien à voir avec la notion de patrimoine d'affectation comme on l'entend aujourd'hui au Québec.
13 Les Français et les Allemands la reconnaissent depuis longtemps. On retrouvait le concept de division sous le Ce.B.C., et aujourd'hui le législateur a explicitement fait entrer la notion dans le C.c.Q. à l'article 2.
34 Article 625 C.c.Q.
Le mot succession, ici, est utilisé comme synonyme de patrimoine, comme une universalité de droits et obligations. Ce qui distingue une succession d'un simple patrimoine, c'est le fait que c'est un héritier qui en a la saisine.
36 Article 780 C.c.Q. Voir pour un autre exemple, l'article 1223 C.c.Q. en matière de substitution.
Selon le professeur Macdonald, l'article 2245 C.c.Q. permet de comprendre en droit québécois que ce le législateur entend par division : il y a division quand certains biens détenus par une personne ne tombent pas sous le gage commun de ses créanciers. Voir R.A. Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property : Universalities, Interests and other Heresies » (1994) 39 R.D. McGill 761, aux p.778 et suiv.
38 Littéralement, Sonder se traduit par spécial, et Vermôgen, par faculté et fortune. Cette dualité, faculté-fortune décrit parfaitement l'idée de patrimoine!
20
l'anime, cette manière de comprendre les patrimoines affectés ne remet pas en
question le lien vital qui existe entre droit et sujet de droit. Selon ce mode
d'affectation — la division —, il y a toujours une personne à la tête des droits et
obligations qui se trouvent dans le patrimoine affecté. Jamais les droits ne se
retrouvent sans titulaire. Les biens affectés sont toujours dans le patrimoine de
quelqu'un.
c) L'affectation
À l'autre extrême de la théorie moderne du patrimoine se trouvent les patrimoines
sans sujet de droit, les patrimoines but, les Zweckvermôgen39. Ici, le patrimoine est
complètement autonome de la personne. Les droits n'ont pas de titulaire et sont
regroupés en fonction unique de leur but. Cette manière de comprendre le
patrimoine est assez controversée40 puisqu'elle demande non seulement de
renverser la théorie classique du patrimoine qui relève spécifiquement de la
personne, de sa puissance juridique, de sa capacité d'avoir des droits, de sa capacité
de jouir et de pouvoir exercer ses droits, mais elle demande que soit conceptualisée
l'idée que des droits puissent exister sans sujet de droit41. Ici donc, la personne n'est
pas la source du droit, bien qu'elle puisse être la raison d'être de l'affectation. Les
droits affectés n'ont pas de titulaire, mais des administrateurs. Selon cette manière
de comprendre l'affectation, « un bien peut non seulement appartenir à quelqu'un,
Zweck se traduit par but.
40 Elle connait peu d'adeptes. En droit français Duguit et Palastra seraient les meilleurs représentants : L. Duguit, L'état, le droit objectif et la loi positive, 1901, réédité chez Dalloz en 2003; G. Plastara, La notion juridique de patrimoine, th. Paris, 1903. Aujourd'hui comme je l'ai mentionné plus haut (supra note 32), il semble qu'il y ait une confusion totale entre la théorie du patrimoine d'affectation et le concept de division patrimonial. À ce sujet voir Caroline Cassagnabère « De la division du patrimoine au « démembrement de la personnalité » : étude du concept de patrimoine d'affectation à travers l'exemple québécois » Revue Lamy Droit Civil, à paraître en février 2012.
41 Pour un plaidoyer en ce sens voir K.H. Neumayer, « Les droits sans sujet » (1960) 12 Revue internationale de droit comparé 342.
21
mais aussi appartenir à quelque chose, à un but42». Le patrimoine but, le patrimoine
d'affectation est complètement autonome. C'est une universalité de droit,
regroupant des droits et des obligations, dont personne n'est titulaire.
Nous nous souvenons que Lepaulle, pour décrire et comprendre le trust, fait appel à
la notion de patrimoine d'affectation et non à la notion de patrimoine séparé. Son
trust est indépendant de tout sujet de droit; sa notion de patrimoine est
complètement détachée de la personne. En effet, selon lui, ce qui faisait la
particularité du trust, c'est le fait que les biens in trust étaient regroupés dans un
patrimoine distinct et qu'aucun des trois acteurs, ni le constituant, ni le fiduciaire, ni
le bénéficiaire n'étaient réellement nécessaires à son existence43.
Lepaulle sait que sa manière de comprendre le trust ne correspond pas aux
principes classiques du droit civil, qui veut que tout droit ait à sa tête un titulaire,
que tout patrimoine soit l'émanation d'une personne qui possède et s'oblige. Il
s'applique donc à justifier ce en quoi sa position théorique n'est pas une hérésie.
Pour ce faire, il décortique les notions de sujet de droit et de droit en établissant
une distinction entre les notions de volonté et d'intérêt :
Ce qui caractérise le sujet de droit, c'est l'intérêt qu'il y a lieu de protéger, la volonté n'intervient que dans la mise en œuvre, la réalisation du droit44.
42 Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application en droit français, supra note 27, à la p. 39. 43 En effet selon Lepaulle : «Toute définition du trust comme une répartition des droits entre trustee et cestui ou comme une relation juridique trustee-cestui-settlor est certainement fausse, car on ne peut pas définir l'essence d'une institution comme une série de rapports entre trois personne, alors qu'aucune des trois n'est essentielle à son existence. » Lepaulle, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international privé, supra note 14, aux p. 25-26.
44 lbid., p 35.
22
Cette manière de conceptualiser les notions de droit et de personne est empruntée
nous dit Lepaulle à Rudolf von Ihering, selon qui, le siège du droit subjectif n'est pas
le sujet, mais le but, la destination qui lui est imprimée45. Ce qui compte, c'est
l'intérêt à protéger et non la volonté qui le conditionne46. Le patrimoine affecté
qu'est le trust est donc selon Lepaulle un patrimoine dépourvu de volonté. Les biens
unis constituent simplement des intérêts à protéger, et ces intérêts sont ceux du
trust. En effet, selon Lepaulle, le fiduciaire doit agir pour protéger les intérêts du
patrimoine lui-même. Les obligations du fiduciaire sont donc à l'égard du trust, du
patrimoine autonome et non à l'égard du constituant ou du bénéficiaire. Le
bénéficiaire, à son tour, a une créance, donc un droit personnel, non pas contre le
fiduciaire, mais contre le trust. Le trust de Lepaulle donc, centre d'intérêts
autonomes, débiteur et créancier, mais nullement personnifié.
Lepaulle arrive à justifier l'idée d'un patrimoine d'affectation en droit civil en
redéfinissant la notion même de droit subjectif. Le droit objectif (la loi) ne protège
pas des droits (droits subjectifs), mais des intérêts. Ces intérêts n'ont pas besoin
d'être subjectifs, ils peuvent être simplement objectifs. En retirant la nécessité d'une
personne pour conceptualiser un patrimoine, en conceptualisant l'idée qu'il est
possible d'avoir des droits sans sujet à leur tête (des intérêts sans volonté), le
patrimoine d'affectation est selon lui possible en droit civil.
En fait selon Lepaulle et c'est la phrase clef de son analyse :
(...) les droits ont deux manières d'être : ou bien ils appartiennent à un sujet de droit, ou bien ils sont affectés de sorte que sujet de
45 lbid., p 37.
6 Pour un bon survol du débat entre volonté et intérêt et les différentes théories des droits subjectifs, voir J. Ghestin et G. Goubeaux, Traité de droit civil - Introduction générale, 4e édition, Paris, L.G.D.J., 1994, à la p. 140 et suiv.
23
droit et affectation sont comme deux foyers de l'ellipse qui 47 enferme tout le plan juridique
La fiducie du Code civil du Québec est un patrimoine d'affectation.
La notion de patrimoine d'affectation, tout comme celle de patrimoine n'est jamais
définie dans le Code.
Ce que le Code nous dit c'est que toute personne a un patrimoine, et que ce
patrimoine peut faire l'objet d'une division ou d'une affectation (article 2 C.c.Q.).
Ensuite, que la fiducie est un patrimoine d'affectation autonome et distinct de celui
du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire (article 1261 C.c.Q.).
Cela veut-il dire que le patrimoine d'affectation du Québec est un patrimoine sans
sujet de droit, à l'instar de celui de Lepaulle? Si oui, comment le législateur a-t-il
justifié la possibilité que des biens, au sens de droits patrimoniaux, existent sans
titulaire? Existe-t-il en droit civil québécois des droits patrimoniaux sans titulaire,
des droits qui ne sont ni des droits personnels, ni des droits réels? Avons-nous
affaire avec la fiducie québécoise à centre d'intérêts autonomes, débiteur et
créancier, mais nullement personnifié?
Pour répondre ces questions, un examen minutieux de la fiducie québécoise
s'impose.
Lepaulle, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international privé, supra note 14, à la p. 50.
24
III. La fiducie dans le Code civil du Québec
a) Mise en place
La doctrine s'entend pour dire que la fiducie est l'archétype de ce que le législateur
nomme patrimoine d'affectation48. Sous le titre 6 du livre 4 : De certains patrimoines
d'affectations - Certain patrimonies by appropriation, la fiducie est en fait la seule
48 Ce sont les mots du comité de rédaction du Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Les biens, Centre de Recherche en Droit privé et Comparé du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Biais, sous presse.
PATRIMOINE D'AFFECTATION
Patrimoine qui, tout en étant distinct de celui d'une personne, est assigné à la réalisation d'une fin particulière reconnue par le droit. « [...] la théorie [...] de Brinz ou de Bekker sur les "droits sans sujet" [...] admet l'existence de droits subjectifs mais considère que, dans certains cas, ils pourraient exister indépendamment de tout sujet actif, lorsqu'un ensemble de biens, un patrimoine, est affecté à un but; Zweckvermogen, patrimoine sans maître, patrimoine d'affectation » (Marty et Raynaud, Introduction, no 140, p. 261).
Occ. Titre précédant l'article 1256 C.c.Q.
Rem. 1° Traditionnellement, le patrimoine est conçu en droit civil comme une émanation de la personnalité juridique. Le Code civil du Québec dissocie la notion de patrimoine de la personnalité juridique et admet qu'un patrimoine puisse être rattaché à une fin particulière plutôt qu'à une personne. Cependant, un patrimoine ne peut faire l'objet d'une affection que dans la seule mesure prévue par la loi (article 2 C.c.Q.). 2° Au Québec, la fiducie est l'archétype du patrimoine d'affectation (article 1260 et s. C.c.Q.). 39 L'expression patrimoine d'affectation est parfois employée pour désigner une masse de biens destinée à une fin particulière, mais ne constituant pas nécessairement un patrimoine au sens juridique du terme, par ex. des biens transmis par substitution.
Syn. patrimoine sans titulaire. V.a. fiduciel.
Angl. autonomous patrimony, patrimony affected to a purpose, patrimony appropriated to a purpose, patrimony by affectation, patrimony by appropriation-t-, patrimony without (a) holder.
25
institution nommée et régie explicitement comme un patrimoine d'affectation dans
le code49.
Les sources doctrinales d'une telle conception ont été établies, la question est
maintenant de comprendre comment elle a été mise en place.
Le premier indice se trouve au début du code, à l'article 2. Nous sommes dans le
livre sur les personnes, sous le titre 1 : De la jouissance et de l'exercice des droits
civils.
Il est vrai que sous le titre 6, la fondation se tient aux cotés de la fiducie. Mais attention, la fondation n'est pas une institution distincte : elle peut prendre la forme soit d'une fiducie, soit d'une personne morale, voir article 1257 C.c.Q. Il est vrai par ailleurs que le titre 6 exprime textuellement l'idée qu'il pourrait y avoir d'autres patrimoines d'affections en droit privé, mais pour l'instant, seule la fiducie est explicitement comprise comme un patrimoine d'affectation par le code. Voir à ce sujet Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property : Universalities, Interests and Other Heresies », supra note 37.
2. Toute personne est titulaire d'un patrimoine.
Celui-ci peut faire l'objet d'une division ou d'une affectation, mais dans la seule mesure prévue par la loi.
2. Every person has a patrimony.
The patrimony may be divided or appropriated to a purpose, but only to the extent provided by law.
Cet article établit la théorie du patrimoine sur laquelle se base le Code civil du
Québec. Comprendre ce qui y est inscrit devrait permettre de comprendre comment
le législateur organise les rapports juridiques entre une personne, ses biens et ses
obligations. Il devrait permettre de saisir comment sont compris les droits
patrimoniaux dans le code.
Cet article est pourtant quelque peu ambigu. En effet en établissant au premier
paragraphe que toute personne a un patrimoine, il semble que nous sommes
clairement dans la théorie classique et donc, que le principe fondamental, c'est qu'il
est impossible de comprendre un droit sans qu'un sujet de droit, une personne, en
soit la source.
Le deuxième paragraphe est donc étrange. À première lecture, il semble y avoir une
distinction entre les deux modes d'affectation : il existe deux exceptions légales à
l'unité préconisée entre personne et patrimoine, le patrimoine personnel peut être
divisé ou affecté. Pourtant, si c'est un patrimoine lié à une personne qui est affecté,
ne sommes-nous pas simplement en mode division, c'est-à-dire que les biens
affectés demeurent dans le patrimoine de leur titulaire, mais sont soumis à un autre
régime de distribution pour les créanciers? La personne ne reste-t-elle pas titulaire
des droits affectés? En mettant division et affectation sur le même plan, c'est-à-dire
comme des exceptions à l'unité du patrimoine, le lien entre patrimoine et sujet de
droit ne reste-t-il pas intact? L'affectation d'un patrimoine ne demande-t-elle pas la
création d'un nouveau patrimoine et donc la possibilité qu'un patrimoine puisse
exister simplement en vertu de son affectation, hors de la personne? Si le Code
27
accepte la théorie de Lepaulle dans son gabarit, ne devrait-il pas dire que chaque
personne a un patrimoine, mais également que des patrimoines peuvent exister
sans qu'un sujet en soit titulaire?
L'article 2 ne nous dit rien de plus sur l'affectation d'un patrimoine et donc sur la
possibilité qu'il y ait dans le code des patrimoines sans sujet de droit. Un détour par
les commentaires du ministre est donc nécessaire50. En effet, bien que leur
importance dans la compréhension et l'exégèse du code fut maintes fois remise en
question51, ces commentaires sont importants, car ils établissent les présupposés à
partir desquels travaillent les interprètes du code. Ainsi dit le ministre sous
l'article 2 :
Cet article est nouveau. Il consacre le principe selon lequel chaque personne est titulaire d'un patrimoine unique et indivisible et que l'ensemble de ses biens est garant de ses obligations;
Titularité d'un patrimoine unique et indivisible : la théorie principale du code est
donc la théorie du patrimoine établie par Aubry et Rau qui permet de comprendre
que l'ensemble des biens d'une personne est garant du gage commun de ses
créanciers. Le ministre continue :
[L'article 2] reconnaît cependant la possibilité de divisions au sein de ce patrimoine ou d'une affectation de certains biens qui le composent, mais dans la mesure seulement où la loi le prévoit;
50 Commentaires du ministre, supra note 20.
Voir par exemple D. Jutras, « Le ministre et le Code - essai sur les Commentaires » dans Mélanges offerts par ses collègues de McGill à Paul-André Crépeau /Mélanges presented by McGill colleagues to Paul-André Crépeau, Cowansville, Éditions Yvon Biais, 1997, p. 451.
28
cette dernière condition vise à éviter les complications et les fraudes qui pourraient résulter d'une division ou d'une affectation du gage des créanciers qui serait laissée à l'unique volonté d'un débiteur.
Donc, bien que le patrimoine soit compris comme une émanation de la personnalité,
il est possible, dans les mesures prévues par la loi, de le diviser ou de l'affecter. Rien
ne remet en question la personne comme titulaire des biens et obligations du
patrimoine. Division et affectation sont comprises sur le même plan, comme deux
manières de soumettre les biens d'une personne à un régime particulier.
La suite est encore plus révélatrice :
L'article concilie les deux grandes théories actuelles relatives à la notion de patrimoine. D'une part, la théorie classique développée notamment par les auteurs français Aubry et Rau, parce qu'elle rattache nécessairement le patrimoine à une personne et affirme en corollaire l'unicité et l'indivisibilité de ce patrimoine, ne tient pas vraiment compte de la réalité des divisions de patrimoine ou des patrimoines d'affectation en matière de substitution, de régimes matrimoniaux, de fondation et de fiducie. D'autre part, la théorie moderne, conçue par les juristes allemands Brinz et Bekker et introduite en France en particulier par Saleilles, permet bien pareilles divisions ou affectations du patrimoine, car elle rattache exclusivement le patrimoine ou ses éléments à l'objet auquel il est affecté plutôt qu'à la personne; mais elle correspond assez mal à la situation la plus courante, où la personne, sujet de droit, demeure l'objet unique de l'affectation de ses biens.
Les sources doctrinales sont donc ici révélées. Mais il semble que le fondement
théorique des deux manières de comprendre le rapport entre des biens et des
créanciers, la notion de patrimoine, n'ait pas été complètement assimilé. Il est vrai
que Aubry et Rau attachent la notion de patrimoine à la personne, mais s'ils le font
ce n'est pas parce que la personne est « l'objet unique de l'affectation des biens »,
mais plutôt parce qu'elle en est la source. Seule la personne peut détenir des droits.
29
Seule la personne peut-être créancière et propriétaire. S'il est vrai que la théorie
moderne de Brinz et Bekker rattache le patrimoine à une affectation, lorsqu'il s'agit
d'une division du patrimoine, la personne en reste tout de même titulaire. C'est
seulement lorsqu'il s'agit d'un patrimoine sans sujet de droit, donc d'un patrimoine
d'affectation au sens utilisé par Lepaulle plus haut, que la personne peut devenir
uniquement un objet d'affectation. Tant le législateur que le ministre ne semblent
pas faire la distinction ici.
Le ministre termine en continuant d'assimiler division et affectation :
L'article 2 reflète donc globalement la théorie classique d'un patrimoine unique et indivisible lié à la personne, mais il rejoint aussi la théorie moderne en reconnaissant que ce patrimoine peut, dans la mesure prévue par la loi, faire l'objet de divisions ou d'affectations. Il n'a pas semblé utile de définir la notion de patrimoine; l'absence d'une telle définition dans le droit antérieur n'a pas soulevé de difficultés, et, par ailleurs, cette notion constitue une réalité complexe, difficile à exprimer dans une définition simple qui répondrait à toutes les questions théoriques.
Il est vrai qu'une définition ne peut exprimer la complexité des questions théoriques
soulevées52, mais elle aurait peut-être permis de ne pas confondre division et
affectation et par le fait même de souligner s'il est possible ou non, selon la théorie
adoptée par le législateur de concevoir des droits sans sujet quand il s'agit de
patrimoine d'affectation.
Le texte de l'article 2 et les commentaires du code ne nous sont d'aucun recours. Il
faut donc poursuivre notre recherche ailleurs.
Le prochain indice pour comprendre ce qu'est un patrimoine d'affectation, se trouve
dans le livre 4 : Des biens. Placée à la fin du livre sur les biens, la fiducie invite le
Sur le problème des définitions juridique voir M. Devinât, «Les définitions dans les codes civils» (2005) 46 C. de D. 519
30
juriste à la comprendre non comme un acte juridique53, mais comme le résultat de
cet acte : la création de droits.
Le livre Des biens a connu des changements importants dans la refonte du code 5 4. La
forme et le fond de ce livre ont été remaniés. Le titre premier donne un premier
indice : De la distinction des biens et de leur appropriation. On ne pense plus les
biens en fonction de leur appartenance - qui en est propriétaire - mais en fonction
de leur appropriation 5 5. Autre exemple, encore plus percutant : le titre du chapitre
III du titre premier de l'ancien code : Des biens dans leurs rapports avec ceux à qui ils
appartiennent ou qui les possèdent a été remplacé par Des biens dans leurs rapports
avec ceux qui y ont des droits ou qui les possèdent 5 6. Lorsque l'on lit appropriation
donc, on doit lire manière d'être titulaire d'un droit, d'un bien, a way of holding a
right.
La fiducie donc dans le livre Des biens comme résultat d'une appropriation. La
version anglaise résonne.
En fait, c'est à l'article 915 que la distinction propriété-appropriation est la plus
marquée :
53 Comme c'est le cas en France par exemple qui comprend la fiducie comme un acte juridique et qui la situe entre le mandat et les transactions.
4 À ce sujet voir par exemple J.E.C. Brierley, « Regards sur le droit des biens dans le nouveau Code civil du Québec » (1995) 47 RIDC 33; Voir également Y. Emerich, La propriété des créances. Approche comparative, coll. Bibliothèque de droit privé, tome 469, Paris, L.G.D.J., 2007/Cowansville, Éditions Yvon Biais, 2006 aux p. 7, et 52 et suiv.; ou encore Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property » supra, note 37 , à la p 766. Certains pensent pourtant que « les modifications apportées par le législateur en cette matière s'avèrent secondaires » Voir D.-C Lamontagne, « Distinction des biens, domaine, possession et droit de propriété » dans Barreau du Québec et Chambre des notaires, La réforme du Code civil, Québec, P.U.L. 1993, tome 1, à la p. 467.
55 Selon certains auteurs, l'appropriation est en effet, « le critère qui permet de donner à une chose la qualité de biens » Voir Emerich, La propriété des créances, lbid. à la p. 70.
6 Voir sur cette distinction M. Tancelin, Des obligations en droit mixte québécois, T édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, aux p. 348 et suiv. et p. 893 et suiv.
915. Les biens appartiennent aux personnes ou à l'État ou font, en certains cas, l'objet d'une affectation.
915. Property belongs to persons or to the State, or in certain cases, is appropriated to a purpose.
Les biens appartiennent donc à des personnes ou sont affectés/appropriés
(appropriated) à des buts. Il est intéressant de noter le caractère équivoque de la
notion d'appropriation, équivoque qui existe tant en français qu'en anglais :
approprier veut aussi bien dire, attribuer en propre à quelqu'un, donc lui attribuer la
propriété; et, rendre propre, convenable à un usage, à une destination57
. Dans le
57 Selon le nouveau Petit Robert de la langue française, version électronique, édition 2011 :
appropriation [apRopRijasjo] nom féminin
étym. xive 0 bas latin appropriate
Famille étymologique o J propre.
1. Didact. Action d'approprier, de rendre propre à un usage, à une destination. ■* adaptation. « Ce qui fait un chef-d'œuvre, c'est une appropriation ou un appariement heureux entre le sujet et l'auteur » (Gide).
2. Dr. Action de s'approprier une chose, d'en faire sa propriété. Les choses sans maître sont susceptibles, par nature, d'appropriation. Appropriation par expropriation, par nationalisation (—■ acquisition). Appropriation par occupation. -*• occupation, prise, saisie. Appropriation par violence ou par ruse. -* conquête, usurpation, 2. vol.
■ contraires : Inadaptation. Abandon, aliénation.
La même dualité existe en anglais. Selon le Oxford English Dictionnary, version électronique, visualisé le 20 juin 2011 : http://www.oed.com/viewdictionaryentry/Entry/9877:
appropriation, n.
1. The making of a thing private property, whether another's or (as now commonly) one's own; taking as one's own or to one's own use; concr. the thing so appropriated or taken possession of.
32
terme même d'appropriation, on sent donc la présence des deux foyers de Lepaulle.
À l'article 915, il y a pour la première fois dans le Code, la mise en œuvre de la
théorie de Lepaulle. C'est faux, l'article 2, nous en donne un premier indice et
l'article 911, un second, j 'y arrive... Mais tout se joue selon moi surtout à
l'article 915.
L'article 911 est en effet lui aussi important à notre analyse : non seulement il
explique la forme du livre sur les biens (on y retrouve la propriété, les modalités de
la propriété, les démembrements, les restrictions à la libre disposition des biens, les
patrimoines d'affectation et l'administration du bien d'autrui), mais, et c'est
essentiel, il nous rassure que les biens détenus par un fiduciaire font l'objet de droit.
En effet, il ne faut pas oublier le titre sous lequel on retrouve cet article : Des biens
dans leurs rapports avec ceux qui y ont des droits ou qui les possèdent.
2. Ecclesiastical. The transference to a monastic house, or other corporation, of the tithes and endowments intended for the maintenance of religious ordinances in a parish; concr. the benefice or tithes so appropriated.
3. The assignment of anything to a special purpose; concr. the thing so assigned, esp. a sum of money set apart for any purpose. Appropriation Bill n. a Bill in Parliament, allotting the revenue to the various purposes to which it is to be applied.
911. On peut, à l'égard d'un bien, être titulaire, seul ou avec d'autres, d'un droit de propriété ou d'un autre droit réel, ou encore être possesseur du bien.
On peut aussi être détenteur ou administrateur du bien d'autrui, ou être fiduciaire d'un bien affecté à une fin particulière.
911. A person, alone or with others, may hold a right of ownership or other real right in a property, or have possession of the property.
A person also may hold or administer the property of others or be trustee of property appropriated to a particular purpose.
Le législateur aurait également dû nous dire ici que l'on peut être titulaire d'un droit
personnel. Mais cette question est complexe et demande toute une autre étude.
Disons simplement que les changements majeurs apportés au livre sur les biens et
sur la notion de biens dans le nouveau Code portent quelquefois à confusion : si on
veut comprendre la notion de bien comme étant simplement un droit patrimonial58,
donc un droit évaluable en argent, faisant partie d'un patrimoine, cet article sous-
Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Les biens, supra, note 48.
BIEN n.m.
1. (Biens) Syn. droit patrimonial. « De plus en plus, la doctrine, tant française que québécoise, considère qu'en réalité, les biens ne sont pas tant les choses que les droits dont les choses sont l'objet [...] Cette signification du terme bien, vu comme l'équivalent du droit, est expliquée par le fait que les choses n'ont pas de valeur en elles-mêmes, mais ne procurent d'utilité que par l'effet des droits dont elles sont susceptibles » (Emerich, La propriété des créances, n° 98, p. 59-60).
Occ. Article 899,1261 C.c.Q.; article 374 C.c.B.C.
Rem. La doctrine contemporaine estime que le droit objectif ne s'intéresse pas aux choses - objets matériels - en elles-mêmes; le droit objectif s'intéresse plutôt aux droits qui portent sur les choses -droi ts réels- de même qu'à tout autre élément actif du patrimoine, tels les droits intellectuels et personnels. Suivant cette conception, les biens sont uniquement des droits.
Angl. incorporeal propertyl, patrimonial right+, propertyl, res2.
34
entend la propriété des créances et, titularité et propriété deviennent synonyme59.
Le débat ne nous intéresse que parallèlement ou de manière incidente. Ce qu'il faut
souligner ici, c'est plutôt le texte même de l'article : pour faire l'objet d'un droit, un
bien peut avoir un titulaire, un possesseur, un détenteur, un administrateur ou un
fiduciaire. Voilà ce que nous dit l'article 911.
Ceci est rassurant. Il faut en effet se rappeler que selon l'article 1261, « Le
patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie, constitue un patrimoine
d'affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du
bénéficiaire, sur lequel aucun d'entre eux n'a de droit réel. » Les biens dans le
patrimoine fiduciaire n'ont donc pas de propriétaires. Pourtant, selon la théorie
classique, des choses sans maître (en anglais, things without an owner) ne font pas
l'objet de droit (article 914 C.c.Q.). Ici, les biens sont sans propriétaire, mais l'objet
de droits. Par ailleurs, le législateur a pris le temps de souligner que les biens en
fiducie ne sont pas des biens sans maître, puisque le fiduciaire en a la maîtrise
(article 1278)60. Il s'agit de savoir à qui appartiennent les biens, les droits
patrimoniaux, dont le fiduciaire a la maîtrise ?
Une analyse des articles concernant directement la fiducie s'impose enfin.
b) La constitution de la fiducie
Le régime de la fiducie dans le code, commence avec ce que le législateur a nommé
la nature de la fiducie.
59 Voir S. Ginossar, Droit réel, propriété et créance: élaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, Paris, L.G.D.J., 1960 et Emerich, La propriété des créances, supra note 54.
60 Le législateur n'est pas cohérent et il est difficile dans l'état actuel du texte du code de comprendre ce qu'il entend par maîtrise. Comparer l'article 914 où être maitre signifie être propriétaire, à l'article 1278, où avoir la maîtrise semble vouloir dire avoir un simple contrôle sur un bien. À ce sujet, voir Tancelin, Des obligations, supra note 56, à la p. 352.
1260. La fiducie résulte d'un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu'il constitue, des biens qu'il affecte à une fin particulière et qu'un fiduciaire s'oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer.
1260. A trust results from an act whereby a person, the settlor, transfers property from his patrimony to another patrimony constituted by him which he appropriates to a particular purpose and which a trustee undertakes, by his acceptance, to hold and administer.
Cet article ne définit pas la fiducie, il n'en donne pas la nature, mais décrit les
éléments essentiels à sa constitution61. La fiducie est le résultat de plusieurs
opérations juridiques :
o L'affectation d'un bien à une fin particulière
o Le transfert de ce bien (droit patrimonial) du patrimoine du constituant à
un patrimoine distinct qu'il constitue
o L'acceptation de la charge administrative par le fiduciaire
Cet article décrit comment créer une fiducie, mais pas ce qu'est la fiducie. En ce
sens, il faut le lire avec les articles 1262 à 1265 qui expliquent comment la fiducie est
établie.
L'article 1261 nous donne un peu plus d'indices quant à la nature fondamentale de
la fiducie, c'est-à-dire qu'il établit un peu plus ce qu'est juridiquement la fiducie,
qu'il catégorise juridiquement la fiducie :
Pour un survol des différentes positions des auteurs à ce sujet voir Becker, A question of Trust, supra note 13 aux p. 90 et suiv. et V. Boucher, « Fascicule 20 - Fiducie », dans Jurisclasseur Québec -Biens et publicité des droits, sous la direction de Pierre-Claude Lafond, LexisNexis, 2010.
1261. Le patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie, constitue un patrimoine d'affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d'entre eux n'a de droit réel.
1261. The trust patrimony, consisting of the property transferred in trust, constitutes a patrimony by appropriation, autonomous and distinct from that of the settlor, trustee or beneficiary and in which none of them has any real right.
La fiducie, donc, est un patrimoine d'affectation. Il est autonome, ce qui veut dire,
j'imagine, qu'il ne dépend de personne62. Ce patrimoine est distinct de celui du
constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, donc des patrimoines des acteurs
fiduciaires principaux, bien que nous venons de le voir, le bénéficiaire n'est pas
essentiel à sa constitution. La jonction des termes automne et distinct, nous indique
que sûrement nous sommes en mode affectation au sens de Lepaulle et non en
mode division.
Mais c'est surtout la fin de la phrase qui est percutante : sur lequel aucun d'entre
eux n'a de droit réel. Qu'arrive-t-il à un droit de propriété qui a été transféré en
fiducie? Qui est titulaire de ce droit? Est-il simplement mis entre parenthèses
pendant la durée de la fiducie63? Et si le droit transféré est un droit personnel, un
des acteurs fiduciaires en détient-il la titularité? L'article ne parle pas de droit
personnel. Devrait-on alors tenir pour acquis que s'ils n'ont pas de droits réels, ils
ont des droits personnels64? Devons-nous plutôt comprendre à l'instar de
L'étymologie de « autonome » vaut la peine d'être soulignée : auto : soi-même, nome : loi, donc littéralement, ayant ses propres lois.
63Ce sont les mots de Tancelin, Des obligations, supra note 56, à la p. 351. La professeure Yaëll Emerich se pose la même question dans « La fiducie civiliste : modalité ou intermède de la propriété ? » dans Lionel Smith (dir.), The Worlds of Trust /La fiducie dans tous ses États, Cambrige University Press, à paraître 2012.
6 4 À ce sujet voir G. Gretton, «Up there in the Begriffhimmel? » dans the Worlds of Trust /La fiducie dans tous ses État, Ibid.
37
l'article 911 que titularité et propriété sont équivalents et donc que les trois acteurs
n'ont aucun droit sur les droits affectés? Cette dernière hypothèse impliquerait que
le patrimoine d'affectation est réellement un patrimoine, donc une universalité
juridique, un ensemble de droits, à la tête de qui il n'y a aucun sujet, aucun titulaire.
Cette hypothèse confirmerait que le législateur a réellement intégré au Code civil du
Québec la théorie de Lepaulle, selon laquelle les droits ont deux manières d'être, soit
ils sont personnalisés, soit ils sont affectés65.
Mais comme je l'ai dit plus haut, la confusion titularité-propriété n'est qu'une
hypothèse et il semble plutôt que la distinction entre droit réel et droit personnel ait
encore sa place dans le code66. Donc si ni le constituant, ni le fiduciaire, ni le
bénéficiaire n'ont de droit réel dans le patrimoine d'affectation, ont-ils alors des
droits personnels? Un de ses acteurs est-il titulaire de droits autres que réels dans le
patrimoine fiduciaire? Qui jouit de cette prérogative?
Certainement pas le constituant. Le code est clair à cet effet : le constituant
transfère des biens de son patrimoine à un autre patrimoine67. Les biens, qu'ils
65 Voir supra note 47 .
66 C'est la position des professeurs Cantin Cumyn et Cumyn et celle du professeur Brierley. Voir M. Cantin Cumyn et M. Cumyn, «La notion de biens » dans S. Normand (dir.), Études portant sur le droit patrimonial, Mélanges offerts au professeur François Frenette, Québec, P.U.L., 2006, 127 et J.E.C. Brierley, « Regards sur le droit des biens dans le nouveau Code civil du Québec », supra note 54. Pour une argumentation inverse voir Emerich, La propriété des créances, supra note 54, aux p. 143 et suiv.
Il faut se rappeler du terme anglais ici pour savourer l'entièreté du rôle du constituant :
The pairing of settlor and constituant in article 1275 C.C.Q. is a rare example in the Code of linguistically equivalent terms that describe the same legal entity from different but equally correct perspectives. The term "settlor" in English evokes the person who transfers the property to the trust in keeping with the requirement of article 1260 C.C.Q. The term "constituant" in French places emphasis on the role the same person has in creating the trust at article 1260 C.C.Q. The settlor and the constituant are one in the same person (...)
Droit de la famille — 093071, 2009 QCCA 2460, Juge Nicholas Kasirer, note 21 du jugement. Voir également paragraphe 85 du même jugement, infra note 84.
38
soient des droits personnels ou réels sont donc sortis du patrimoine du constituant.
L'article 1265 C.c.Q. dit que le constituant est dessaisi. Il n'a donc plus de lien
patrimonial avec les biens en fiducie. Son lien est tout autre et est régi par le régime
mis en place par le législateur68.
Le fiduciaire quant à lui n'est pas titulaire de droits, mais administrateur du bien
d'autrui (article 1278 C.c.Q.). Ce même article pourrait pourtant porter à confusion :
68 Voir section suivante.
1278. Le fiduciaire a la maîtrise et l'administration exclusive du patrimoine fiduciaire et les titres relatifs aux biens qui le composent sont établis à son nom; il exerce tous les droits afférents au patrimoine et peut prendre toute mesure propre à en assurer l'affectation.
Il agit à titre d'administrateur du bien d'autrui chargé de la pleine administration
1278. A trustee has the control and the exclusive administration of the trust patrimony, and the titles relating to the property of which it is composed are drawn up in his name; he has the exercise of all the rights pertaining to the patrimony and may take any proper measure to secure its appropriation.
A trustee acts as the administrator of the property of others charged with full administration
Le fiduciaire a la maîtrise des biens affectés et les titres relatifs à ceux-ci sont établis
à son nom69. Nous avons déjà vu l'ambiguïté du mot maîtrise dans le code70. Mais ici 71 il faut voir le mot maîtrise comme signifiant simple contrôle . Ce que le fiduciaire
Selon Becker, le législateur aurait décidé à la dernière minute d'ajouter que les titres en fiducie sont établis à son nom, l'inscription publique étant réservée aux titulaires. Voir Becker, A question of Trust, supra note 13, à la p. 54.
70 voir supra note 60.
71 Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Les biens, supra, note 48.
MAÎTRISE
(Biens) Prérogative juridique conférée à une personne qui l'exerce sur un bien ou un patrimoine qui n'est pas le sien. « Le fiduciaire n'est pas propriétaire des biens et il n'a sur eux aucun droit réel quelconque, bien qu'il ait la maîtrise et l'administration exclusive du patrimoine fiduciaire » (Beaulne, Fiducies, n° 290, p. 258).
Occ. Article 1278, 2714.1, 2714.2 C.c.Q; article 53, 56, 113, 129, Loi sur le transfert de valeurs mobilières et l'obtention de titres intermédiés, L.R.Q. c. T-11.002.
Rem. 1° La maîtrise se distingue de la détention, celle-ci étant le contrôle matériel d'une chose. 2° La maîtrise est soumise aux limites imposées par la loi ou l'acte juridique qui la confère, notamment, l'acte de fiducie et l'accord de
40
détient, ce sont des pouvoirs72, des prérogatives juridiques qu'il ne peut exercer que
dans un intérêt autre que le sien, les pouvoirs conférés à l'administrateur du bien
d'autrui73. Il n'a aucun droit subjectif sur les biens affectés74.
Le bénéficiaire serait donc le seul à avoir des droits dans les biens affectés?
L'article 1265 C.c.Q. ne confirme-t-il pas que l'acceptation par le fiduciaire de sa
charge rend le droit du bénéficiaire certain? L'article 1289 C.c.Q. ne parle-t-il pas des
droits du bénéficiaire d'une fiducie? Ces droits sont-ils des droits personnels dans les
biens mis en fiducie? Non75. Le droit dont le bénéficiaire est titulaire est plutôt le
droit à la prestation d'avantages qui lui sont accordés en accord avec la fiducie
(article 1284 C.c.Q.). Il peut surveiller l'administration de la fiducie, mais il n'a aucun
droit direct sur les biens en affectation (article 1287 C.c.Q.). Ce dont le bénéficiaire
peut disposer, donc ce qui constitue son droit patrimonial, c'est son « droit
maîtrise. 3° La maîtrise est un élément essentiel de la détermination de l'opposabilité aux tiers en matière d'hypothèque mobilière avec dépossession sur certaines valeurs mobilières ou certains titres intermédiés. 4° L'introduction du terme control dans l'article 1278 du texte anglais du Code civil du Québec s'expliquerait par la volonté du législateur de reprendre des termes utilisés dans la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance. Le texte anglais de cette convention emploie le terme control pour évoquer les concepts de la fiducie, tant en droit civil qu'en common law. Toutefois, le texte français de l'article 1278 C.c.Q. utilise le terme maîtrise alors que le texte français de cette convention, se sert du terme contrôle.
72 Sur la notion de pouvoir voir M. Cantin Cumyn, « Le pouvoir juridique » 52 (2007) R.D. McGill 215, et plus généralement M. Cantin Cumyn, L'administration du bien d'autrui, Cowansville, Éditions Yvon Biais, 2000. Voir également l'incontournable en la matière, E. Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Paris, Economica, 1985. "Articles 1299 C.c.Q. et suiv.
74 Sur la distinction pourvoir - droit subjectif voir chapitre III.
75 La plupart des auteurs pensent le contraire. M. Cantin Cumyn dans «La fiducie, un nouveau sujet de droit?», dans J. Beaulne (dir.), Mélanges Ernest Caparros, Montréal, Wilson & Lafleur, 2002, 129, écrit ceci à la p. 138 à propos de l'article 1284 C.c.Q.: « l'intérêt pécuniaire du bénéficiaire pendant la fiducie s'analyse toujours en droit de créance ».
41
accordé », ce sont les avantages qui lui sont réservés par l'acte de fiducie
(article 1285. C.c.Q.).
Ainsi aucun des acteurs fiduciaires n'a de droits personnels sur les biens formant le
patrimoine d'affectation. Ils n'ont pas non plus de droits réels. Les biens affectés
sont donc automnes, ils constituent une universalité affectée à un but. La fiducie est
un patrimoine d'affectation au sens où le préconisait Lepaulle, c'est-à-dire un
patrimoine sans sujet de droit, donc un ensemble de droits et d'obligations sans
titulaire. La question qui s'impose maintenant est simple, ces biens sans sujet sont-
ils par le fait même paralysés le temps de la fiducie76? Les biens en fiducie sont-ils
l'objet de droit, bien qu'ils soient sans titulaire? Les droits dans le Code civil du
Québec ont-ils réellement deux manières d'être?
IV. L'administration de la fiducie
Le régime établi par le code au chapitre II du titre 6 - De la fiducie, ne répond pas
directement à toutes ces questions. En effet, ce qui intéresse ce chapitre du code,
c'est la relation tripartite, constituant-fiduciaire-bénéficiaire, et non l'existence
juridique de biens, donc de droits patrimoniaux, sans sujet de droit. Ce sont les
droits subjectifs des acteurs fiduciaires qui y sont régulés77.
C'est pourtant à travers ce régime et notamment à travers la notion
d'administration - administration de la fiducie78 et de manière complémentaire,
6 Ce sont les mots du professeur Brierley, dans « Titre sixième. De certains patrimoines d'affectation », supra note 8, à la p. 747.
77 Sur « l'hypertrophie » des droits subjectifs voir Gaillard, Le pouvoir en droit privé, supra note 72 à la p. 166 et Cantin Cumyn, « Le pouvoir juridique », supra note 72 à la p. 235. Voir également infra note 255.
78 Articles 1274 à 1292 C.c.Q.
42
l'administration du bien d'autrui79 — que le législateur s'est assuré que les biens
sans titulaire ne soient pas paralysés, que les « droits afférents80» au patrimoine
d'affectation soient exercés, bref que les biens transférés dans le patrimoine
d'affectation soient l'objet de droits.
a) L'administration de la fiducie
L'administration de la fiducie, c'est comme ça que le législateur a nommé le cœur de
son titre sur la fiducie. Cette section du titre 6 se divise en trois parties : 1- De la
désignation et de la charge du fiduciaire, 2- Du bénéficiaire et de ses droits, 3- Des
mesures de surveillances et de contrôle. Simplement décrite, on peut dire qu'on y
retrouve la description des droits et des obligations des acteurs fiduciaires, la mise
en place de leurs relations ainsi que leurs rapports avec les biens en fiducie. Comme
je l'ai noté plus haut, aucun des acteurs fiduciaires ne détient de droits subjectifs
dans le patrimoine fiduciaire, aucun n'est titulaire des droits affectés. Pourtant, tant
le constituant que le bénéficiaire et le fiduciaire ont des droits et des obligations
découlant de la création de la fiducie. En fait, selon un auteur, ce serait là que se
trouverait la véritable essence de la fiducie, dans ce rapport juridique entre les trois
acteurs et non dans la nature du patrimoine d'affectation81. À la lecture de cette
section du code, il semble que le législateur avait peut-être en tête la même
conception de la fiducie! Pourtant, le choix du législateur a ses conséquences et il
faut se rappeler qu'une des raisons pour laquelle Lepaulle a décidé de décrire le
trust comme un patrimoine d'affectation, c'est justement parce que selon lui, aucun
"Articles 1299 et suiv. C.c.Q.
80 Ce sont les mots de l'article 1278 C.c.Q.
81 Selon John E.C. Brierley, la fiducie constitue en effet « une relation juridique triangulaire reconnue en vue d'une affectation des biens aux finalités permises par la loi » Brierley, « Titre sixième. De certains patrimoines d'affectation. Les articles 1256-1298 », supra note 8, à la p. 745.
43
des acteurs fiduciaires n'était réellement nécessaire à l'existence du trust, donc à
l'existence d'un patrimoine d'affectation82.
Qu'en est-il ici? Le constituant, le bénéficiaire et le fiduciaire sont-ils essentiels à
l'existence de la fiducie? Quels sont leur rôle et leurs droits dans le mécanisme
élaboré par le législateur pour accommoder la fiducie dans notre système civiliste?
Ceux-ci permettent-ils de mieux comprendre ce qu'il advient des biens en fiducie?
b) Le constituant
Le constituant est la force créatrice de la fiducie. Celle-ci découle de son désir
d'affecter des biens à une fin. Cette fin peut être le bénéfice d'une personne,
l'érection d'un immeuble, la poursuite d'une idée. Le constituant ne doit pas
simplement avoir une idée, il doit poser des gestes : il doit transférer des biens83 qui
lui appartiennent dans un patrimoine qu'il constitue84. Les biens sortent de son
82 Lepaulle, supra note 43.
83 II faut entendre bien au sens large, une créance pouvant faire l'objet du transfert.
84 Lorsque la fiducie découle d'un jugement, la question se pose à savoir qui est le constituant, le tribunal ou celui qui se voit obligé de se départir de certains biens afin de créer la fiducie. Le juge Kasirer dans Droit de la famille — 093071, supra note 67 explique ainsi la situation :
[85] Mr. J. is as much the constituant of the trust (again to use the French term in article 1260 C.C.Q.) as he is the settlor of the property transferred in trust. The language of the Code gives pause here: article 591 C.C.Q. provides that the court can "order the constitution/ordonner la constitution" of a trust while article 1262 C.C.Q. states that the trust is "established by judgment/établie par jugement". It is wrong to see the Court as the legal actor that constitutes the alimentary trust. In fact, the Court "orders" the constitution of the trust by directing Mr. J., through the good offices of his ex-wife who is also subject to the court order, to transfer the claim he has in respect of the net value of the [Address 1] property, the car and the furniture, to the trust and by giving effect to the trustees offer to accept their charge. The trust results from this "act" of the settlor, as article 1260 C.C.Q. stipulates to be the case. Some commentators have expressed the view that the trust at article 591 C.C.Q. requires the settlor to draw up a deed to formalize the creation of the trust, no doubt with the language of articles 591 and 1260 C.C.Q. in mind. This is not, strictly speaking,
44
patrimoine. Une fois les biens sortis de son patrimoine et affectés à une finalité
inscrite dans la fiducie, la présence du constituant n'est donc plus techniquement
essentielle à son existence.
Pourtant le régime établi dans le code, lui permet de garder un lien avec les biens
transférés de plusieurs manières. D'abord, il peut être lui-même bénéficiaire de la
fiducie (article 1281 C.c.Q.). Ensuite, quoiqu'il se dessaisisse des biens, ceux-ci sont
administrés selon sa volonté, selon ce qui a été postulé dans l'acte fiduciaire. Ainsi,
le constituant peut décider des conditions requises pour devenir bénéficiaire
(article 1280 C.c.Q.), nommé un curateur si le bénéficiaire n'est pas encore conçu
(article 1289 C.c.Q.). Il établit également les modalités des avantages qui seront
versés à ce dernier (article 1284 C.c.Q.). Le constituant délimite également les
pouvoirs attribués au fiduciaire. En effet, bien que l'article 1278 C.c.Q. mentionne
que le fiduciaire est chargé de la pleine administration des biens en fiducie, le
constituant peut modeler cette administration à sa guise dans l'acte de fiducie
(article 1299 C.c.Q.). Il peut, par exemple, stipuler des restrictions à l'exercice du
pouvoir du fiduciaire de disposer du bien en accord avec l'article 1212 C.c.Q., il peut
également le soumettre à la simple administration selon le but envisagé85. Qui plus
est, le constituant peut lui-même être fiduciaire de la fiducie, bien qu'il doive agir
avec un fiduciaire indépendant (article 1275 C.c.Q.). L'intention du constituant est
également prise en compte par un tribunal lorsqu'il s'agit de déterminer qui peut-
necessary, nor is it particularly useful given the possibility that the deed and the judgment might not speak in the same voice. It is important to observe that, according to article 1262 C.C.Q., the trust is "established by judgment". The judgment is ultimately the legal source of the trust obligations.[25] The trust is not materially constituted by the court but results from the court-ordered transfer of property by the settlor (here undertaken on his behalf by Ms. T.). The trust is perfected upon the acceptance by the trustee, again under the constraint of a court order pursuant to article 591 C.C.Q., which is necessary to divest the settlor of the property under article 1264 C.C.Q.
et conclut que le constituant reste celui qui se départit de ses biens et non simplement celui qui établit la finalité du nouveau patrimoine.
85 Pour un exemple voir le jugement Droit de la famille — 093071, ibid., paragraphe 87 et suiv.
45
être une personne intéressée (art. 1289 C.c.Q.) ou encore lorsqu'il faut évaluer si
une fiducie a cessé de répondre à la volonté première du constituant fart. 1294
C.c.Q.). Finalement, l'administration de la fiducie est soumise à la surveillance du
constituant et de ses héritiers (art. 1287 C.c.Q.).
Bref, le constituant garde un lien moral, extrapatrimonial86, avec la fiducie dont il est
le créateur, mais ses droits, s'il n'est que strictement constituant, ne sont qu'à
rencontre des agissements du fiduciaire, qu'il peut surveiller et ultimement
contraindre à exécuter ses obligations selon les termes du code. En fait, ce droit est
accordé à tout intéressé et ne vise pas directement le constituant (art. 1290 C.c.Q.).
Une fois la fiducie créée, le constituant n'est donc pas nécessaire à l'existence du
patrimoine dont il s'est dessaisi. Il n'est qu'un souvenir87, un fait, ou un simple
intéressé.
c) Le fiduciaire et la notion de pouvoir
Le fiduciaire contrairement au constituant semble vital tant à la création qu'à
l'existence d'une fiducie.
Comme il a été établi, le constituant n'a aucun droit réel ni droit personnel dans les biens en fiducie (art. 1261 C.c.Q.). Il n'a, s'il est uniquement constituant, aucun intérêt patrimonial dans les biens. Il est vrai que selon l'art. 1297 il pourrait recevoir les biens subsistants au terme de la fiducie, mais on ne peut décrire cette possibilité comme un droit patrimonial, c'est plutôt justement une simple possibilité ou en jargon juridique une simple expectative. Pourtant cette possibilité de recevoir les biens au terme de la fiducie ( art. 1297), le fait qu'il puisse surveiller les agissements du fiduciaire ( art. 1287) et le fait encore que sa volonté soit prise en compte lors d'une requête en modification ou terminaison de la fiducie selon les termes de l'article 1294 démontrent bien que le constituant garde un lien juridique avec le patrimoine d'affectation qu'il constitue. Ce lien ressemble à un droit moral comme on l'entend en droit de propriété intellectuelle, c'est-à-dire un droit extrapatrimonial dont dispose un auteur à l'égard de son oeuvre. Ce droit moral comprend le droit à la paternité et à l'intégrité de l'œuvre (art. 14.1(1), 14.1(2), Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, c. C-42.
87Mikhaïl Xifaras dans son ouvrage sur la propriété, analyse la possibilité de patrimoine sans sujet. En parlant de la théorie objective de Brinz, il parle d'une volonté congelée, cristallisée, d'une volonté objectivée. Voir La propriété, étude de philosophie du droit, Paris, PUF, 2004 à la p. 299. En fait ici, à part dans des situations de fiducie testamentaire où le constituant est décédé et est réellement un souvenir, il faut se rappeler que le constituant peut être soit un des fiduciaires, soit un des bénéficiaire, soit les deux, et donc qu'il peut être très présent, en tout cas, qu'il peut être bien plus qu'un simple souvenir.
46
D'abord, la fiducie ne prend naissance qu'à l'acceptation par le fiduciaire de la
charge qui lui est incombée par l'acte fiduciaire (articles 1260 et 1264 C.c.Q.). Ceci se
comprend, puisque dès qu'il accepte sa charge, sa nouvelle fonction, qui se traduit
par des pouvoirs et des obligations légales, les biens sans propriétaires du
patrimoine autonome ne se retrouvent pas sans maître (article 1278 C.c.Q.)
Pourtant, on l'a vu plus haut, si le fiduciaire a la maîtrise des biens, il n'en est pas
propriétaire : le fiduciaire n'a ni droit réel, ni droit personnel dans les biens en
fiducie, il n'a à l'égard des biens en fiducie que des pouvoirs, pouvoirs qui sont
délimités non pas par le régime propre à la fiducie, mais par le régime de droit
commun de l'administration du bien d'autrui (articles 1299 et suivant) en accord
avec la dernière phrase de l'article 1278 C.c.Q. Évidemment le constituant dans
l'acte de fiducie peut réguler tous les menus détails des pouvoirs du fiduciaire, mais
en cas de lacune, c'est le droit de l'administration du bien d'autrui, sous la forme de
la pleine administration qui s'applique et le fiduciaire sera toujours soumis aux
obligations imposées par le législateur d'agir avec prudence et diligence, honnêteté
et loyauté et dans le meilleur intérêt de la fin poursuivie.
Une attention particulière doit être accordée au rôle de l'administrateur-fiduciaire.
En effet, contrairement à ce qui se passe habituellement dans une situation
d'administration du bien d'autrui, ici le fiduciaire ne représente personne, il ne
représente les droits de personne88. Son rôle ne doit pas se comprendre en termes
de prestation d'une obligation contrairement à ce qui semble dire le code89. Le
88 Pour la distinction entre représentation et pouvoir, voir respectivement les textes de Gaillard et de
Cantin Cumyn qui abordent tous deux le sujet, supra note 72. Sur la notion de représentation voir généralement M. Storck, Essai sur le mécanisme de la représentation dans les actes juridiques, Paris, L.G.D.J., 1982.
89 Voir par ex. le libellé des articles 1290 et 1308 C.c.Q. et suiv. Il est intéressant de noter ici que bien que la professeure Cantin Cumyn fasse une distinction entre les notions de droits subjectifs et de pouvoir, elle ne fait pas de distinction entre les notions d'obligation et de devoir. C'est ce manque de distinction qui selon moi la dirige vers la conclusion que la fiducie est le bénéficiaire de
47
fiduciaire n'est le débiteur de personne. Il exerce une fonction qui lui accorde des
pouvoirs et des devoirs90. Selon cette fonction, il agit à titre d'administrateur et ainsi
doit s'assurer que la finalité à laquelle le patrimoine a été affecté soit respectée91.
Nous sommes en mode mission et fonction et non en mode obligation et prestation.
Il n'y a ni débiteur, ni créancier.
La notion de pouvoir est encore assez obscure92 et mérite que l'on s'y attarde un
instant. Le pouvoir peut être défini comme une prérogative juridique qui s'exerce
dans un intérêt distinct du sien. En fait, le pouvoir doit se comprendre en parallèle
au droit subjectif : selon la doctrine, le titulaire d'un droit subjectif exerce son droit
dans son propre intérêt; à l'opposé, le détenteur d'un pouvoir, exerce sa prérogative
dans un intérêt qui n'est pas le sien93. Les deux ont pourtant le même effet : ils
permettent la réalisation d'actes juridiques valables et efficaces à l'égard des tiers94.
Note importante, l'intérêt étranger ne doit pas être l'intérêt d'autrui comme semble
le souligne le titre du Code : il ne faut pas comprendre la notion de pouvoir comme
la notion de représentation, représentation que l'on connaît dans le contrat de
mandat par exemple, dans lequel une personne peut exiger de l'autre une
prestation95. La notion de pouvoir, tout comme le patrimoine d'affectation, doit se
l'administration. Elle reste elle-même prise dans la personnalisation du devoir de l'administrateur. Voir Cantin Cumyn, « Le pouvoir juridique », supra note 72, à la p. 232.
90 Sur la distinction entre la notion d'obligation et la notion de devoir, voir Adrian Popovici, La Couleur du mandat, Montréal, Éditions Thémis, 1995, notamment à la p. 295.
91 Article 1309 C.c.Q.
92 Voir Cantin Cumyn, « Le pouvoir juridique », supra note 72.
93 Voir Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Les biens, supra note 48 pour les définitions respectives de 'droit subjectif et de 'pouvoir'. Voir également Gaillard, Le pouvoir en droit privé, supra note 72, aux p. 22 et suiv. Gaillard y cite Louis Josserand qui oppose « les droits à l'esprit égoïstes » au « droits à l'esprit altruiste ».
94 Cantin Cumyn, Administration du bien d'autrui, supra note 72, aux p. 75-76.
95 Le Code civil du Québec décrit ainsi le contrat de mandat:
48
comprendre hors de la notion de droit subjectif. Quand l'administrateur réalise un
acte dans ses fonctions, lorsqu'il use légalement de ses pouvoirs, il engage le
patrimoine administré et ce patrimoine peut être le patrimoine d'une personne,
donc d'autrui ou un patrimoine d'affectation. Et donc, même si c'est le patrimoine
d'autrui qui est administré, si l'on veut comprendre la notion de pouvoir dans toute
son ampleur, il ne faut pas comprendre la charge de l'administrateur comme une
obligation que le bénéficiaire (autrui) lui impose. Charge ne veut pas dire obligation.
De la charge découlent des obligations légales, mais les termes ne sont pas
synonymes. Une charge est un devoir que la loi ou une convention attache à une
qualité ou à un état96. Une obligation est au contraire un lien de droit entre deux
personnes, en vertu duquel Tune d'elles, le débiteur, est tenue envers une autre, le
créancier, d'exécuter une prestation97. Le fiduciaire ne doit rien à personne. Il
occupe une fonction. S'il ne remplit pas sa fonction adéquatement, il sera tenu
Art. 2130. Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer.
Art. 2130. Mandate is a contract by which a person, the mandator, empowers another person, the mandatary, to represent him in the performance of a juridical act with a third person, and the mandatary, by his acceptance, binds himself to exercise the power.
Ce pouvoir et, le cas échéant, l'écrit qui le constate, s'appellent aussi procuration.
The power and, where applicable, the writing evidencing it are called the power of attorney.
Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Les biens, supra note 48
lbid.
49
responsable personnellement pour les fautes qu'il a commises. Mais son obligation
découlera de sa faute, de son acte illicite, et non d'un lien de droit qui l'unit à une
autre personne.
Il faut donc s'imaginer le fiduciaire-administrateur comme se dédoublant lorsque
l'on parle de pouvoir : il n'a pas à sa tête deux patrimoines séparés98
, il a plutôt deux
identités, deux qualités, deux fonctions qui lui donne deux capacités juridiques
différentes : la sienne à laquelle est attachée son propre patrimoine, qu'il affecte à
ses propres obligations, personnelles ou légales99 ; et celle d'administrateur — on dit
alors qu'il agit es qualité — et à laquelle est attachée le patrimoine administré, et
c'est alors ce patrimoine qui répond des obligations contractées100 .
98 ■ »:_ L'image utilisée dans le texte de Georges Gretton dans « Trust without Equity » (2000) 49 Int'l & Comp. L.Q. 599, à la p. 611 doit donc être oubliée pour la fiducie québécoise.
Ce patrimoine peut être divisé ou affecté, ce qui engendrera que ses créanciers auront accès soit à l'ensemble de son patrimoine soit à des biens désignés, voir articles 2644 et 2645 C.c.Q.
100 Au Québec il y aurait donc plutôt, dédoublement de la personne.
50
Le fiduciaire exerce, par les pouvoirs qui lui sont attribués, tous les droits afférents
au patrimoine101. Ces pouvoirs sont soumis à une surveillance par des personnes
intéressées qui peuvent être les titulaires du patrimoine administré102 ou une
personne ayant un droit patrimonial issu de ce patrimoine103 ou encore toute
personne ayant un intérêt à ce que la fin poursuivie par la fiducie ait lieu104.
C'est donc grâce au fiduciaire, grâce aux pouvoirs qui lui sont alloués, que les droits
sans sujet de droit du patrimoine d'affectation ne sont pas paralysés et participent à
la vie juridique sous le Code civil du Québec.
Pourtant, le fiduciaire n'est, comme tous les autres acteurs fiduciaires et à
rencontre de la position de Brierley décrite plus haut105, pas essentiel à l'existence
d'une fiducie. En effet, si, à l'article 911, le législateur nous dit que les biens affectés
ont à leur tête un fiduciaire, et que c'est pour cette raison que les biens qui la
composent font l'objet de droit, la fiducie a dès sa formation, donc dès que le
Attention, dans cet article, le mot droits est utilisé comme synonyme de pouvoirs.
1 Par exemple dans le cas d'un mandat ou d'une curatelle,
'c'est le cas d'un bénéficiaire d'une fiducie.
Articles 1287 et suiv. C.c.Q.
1 Voir supra note 81.
51
fiduciaire initial a accepté sa charge et que le patrimoine fiduciaire est constitué,
une vie indépendante de ce dernier : a trust does not fail for the lack of a trustee106.
En fait nous dit le code, le constituant pourrait avoir omis de nommer un fiduciaire
ou ce dernier pourrait être dans l'impossibilité de pourvoir à sa désignation
(article 1277 C.c.Q.) et la fiducie n'en serait pas moins constituée et donc
existante107. Les biens sans sujet et sans maître seraient peut-être paralysés, mais ils
ne seraient pas éteints. Le patrimoine d'affectation est autonome.
d) Le bénéficiaire et ses droits
Le bénéficiaire quant à lui, n'est nécessaire ni à la constitution, ni à l'existence d'une
fiducie. En effet une fiducie d'utilité sociale ne connaît pas de bénéficiaire perse108.
Ceci vient automatiquement remettre en question la position de Brierley109, appuyer
celle de Lepaulle et ajouter de l'ambiguïté au régime établi par le législateur : un
patrimoine d'affectation n'a besoin que d'une finalité, il n'a rien avoir avec des
sujets de droit. Ce n'est pas une relation juridique. C'est la création d'une nouvelle
manière de comprendre l'existence d'intérêts juridiques. Pourtant les droits du
bénéficiaire occupent une place importante dans le régime établi par le législateur
dans le code. En effet, bien que le bénéficiaire n'ait ni droit réel, ni droit personnel
dans les biens affectés, il est le seul qui puisse revendiquer des droits patrimoniaux
106 Voir Brierley, « The New Quebec Law of Trusts: The Adaptation of Common Law Thought to Civil Law Concepts », supra note 10, à la p. 389. Pour une manifestation de cette idée en droit prétorien voir le jugement du juge Kasirer, supra note 67.
Il est vrai que la fiducie ne prend naissance qu'à l'acceptation du fiduciaire de la charge qui lui est dévolue (art. 1265) mais suite à ce moment de dessaisissement du droit, le fiduciaire original peut se retirer et la fiducie ne sera pas en péril pour autant, elle sera simplement paralysée.
108 Article 1270 C.c.Q.
109 Voir supra note 81.
52
découlant de la fiducie. Son droit nous indique ipso facto que les droits en fiducie ne
peuvent être paralysés.
En effet, selon le Code,
1284. Pendant la durée de la fiducie, le bénéficiaire a le droit d'exiger, suivant l'acte constitutif, soit la prestation d'un avantage qui lui est accordé, soit le paiement des fruits et revenus et du capital ou de l'un d'eux seulement.
1285. Le bénéficiaire d'une fiducie constituée à titre gratuit est présumé avoir accepté le droit qui lui est accordé et il peut en disposer.
Il peut aussi y renoncer à tout moment; il doit alors le faire par acte notarié en minute s'il est bénéficiaire d'une fiducie personnelle ou d'utilité privée.
1284. While the trust is in effect, the beneficiary has the right to require, according to the constituting act, either the provision of a benefit granted to him or the payment of both the fruits and revenues and the capital or of only one of these.
1285. The beneficiary of a trust constituted by gratuitous title is presumed to have accepted the right granted to him and he is entitled to dispose of it.
He may renounce it at any time; he shall then do so by notarial act en minute if he is the beneficiary of a personal or private trust.
Ce droit donc, un droit patrimonial, un droit subjectif, un bien dont le bénéficiaire
peut disposer. En fait, son droit n'est pas seulement patrimonial, il est certain.
1265. L'acceptation de la fiducie dessaisit le constituant des biens, charge le fiduciaire de veiller à leur affectation et à l'administration du patrimoine fiduciaire et suffit pour rendre certain le droit du bénéficiaire.
1265. Acceptance of the trust divests the settlor of the property, charges the trustee with seeing to the appropriation of the property and the administration of the trust patrimony and is sufficient to establish the right of the beneficiary with certainty.
53
J'imagine que par « certain », le législateur voulait dire « actuel » et que compte
tenu de la nature de la fiducie et de ses modalités110, le bénéficiaire a un ou des
droits actuels qui peuvent être ou définitifs ou éventuels111.
Mais quelle est la nature de ce droit? Contre qui ou quoi peut-il être exigé?
Le bénéficiaire peut exiger la prestation qui lui revient (article 1284 C.c.Q.). En droit
civil, lorsque l'on exige une prestation, c'est que l'on a un droit personnel, que l'on
est un créancier et donc qu'il y a un débiteur112. Qui est-il ici? L'article 1284 C.c.Q. ne
nomme personne. Mais comme nous savons que c'est le fiduciaire qui agit pour le
compte du patrimoine finalisé (1278 C.c.Q.), il faut imaginer que c'est vers lui que le
bénéficiaire doit se retourner pour demander l'exécution de la prestation. Mais le
fiduciaire agit es qualité, il n'agit pas comme un débiteur dont les biens sont affectés
à l'exécution de ses obligations (art. 2644), mais comme un administrateur ayant des
pouvoirs et des devoirs : ce sont les biens administrés qui sont affectés à l'exécution
de la prestation de l'avantage du bénéficiaire. Ce sont les biens qui sont débiteurs.
Le bénéficiaire peut par exemple être le bénéficiaire des fruits et revenus ou le bénéficiaire du capital.
111 Sur la distinction entre droit éventuel et droit actuel, voir CRDPCQ, Dictionnaire de droit privé et lexique bilingue - Les obligations, Cowansville, Éditions Yvon Biais, 2003.
Le Code civil du Québec décrit ainsi l'obligation :
1371. Il est de l'essence de 1371. It is of the essence of an obligation l'obligation qu'il y ait des personnes that there be persons between whom it entre qui elle existe, une prestation exists, a prestation which forms its qui en soit l'objet et, s'agissant d'une object, and, in the case of an obligation obligation découlant d'un acte arising out of a juridical act, a cause juridique, une cause qui en justifie which justifies its existence, l'existence.
La prestation est l'objet de l'obligation.
54
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le fiduciaire n'est pas essentiel à l'existence de
la fiducie une fois constituée, puisqu'il peut être destitué ou remplacé ou même
oublié (art. 1277) et que malgré cela, la fiducie existera et le droit du bénéficiaire
survivra. Le droit du bénéficiaire découlant de la fiducie est donc plutôt lié à la
fiducie qu'au fiduciaire, lié au patrimoine d'affectation qui a besoin du fiduciaire
pour ne pas être paralysé, mais pas pour exister. Autrement dit, le droit du
bénéficiaire est un actif dans son patrimoine et un passif dans celui du patrimoine
d'affectation. C'est sur le patrimoine d'affectation que retombe l'obligation113, le
fiduciaire n'a qu'un devoir lié à sa charge de s'assurer que le bénéficiaire tire les
avantages prévus.
Le droit certain du bénéficiaire découlant de la fiducie est-il alors un droit personnel
si le droit n'est opposable à personne directement, s'il est opposable à un
patrimoine sans personnalité?
En fait, le bénéficiaire a deux droits corollaires : un droit personnel contre le
fiduciaire et son patrimoine personnel, si ce dernier n'exécute pas ses devoirs
d'administrateur, donc s'il commet une faute114. Ce droit découle de son droit de
surveillance et de contrôle en tant que personne intéressée dans l'administration de
la fiducie.
Il détient également un droit issu de la fiducie, un droit personnel d'un autre type115,
en ce sens qu'il n'est pas réellement personnel puisque la personne contre qui il
113 C'est l'expression de l'article 1322 C.c.Q.
Le fiduciaire engage sa responsabilité et son propre patrimoine que dans l'exécution de ses propres devoirs : les obligations administratives articulées aux articles 1308 C.c.Q. et suiv. En acceptant sa charge, le fiduciaire doit distribuer au bénéficiaire ce à quoi il a droit selon l'acte fiduciaire, son devoir est légal. S'il ne le fait pas ou s'il outrepasse ses pouvoirs et ses devoirs, il engage son propre patrimoine.
Rainer Becker, pour expliquer la nature unique du droit du bénéficiaire, parle d'un « fortified personnal right », d'un « jus in personam trans fiduciam », Becker, A question of Trust, supra note 13, à la p. 82. Tancelin parle à son tour d'un droit innomé, Tancelin, Des obligations, supra note 56 à la p.355.
55
peut être exécuté n'agit pas personnellement, mais en sa qualité d'un
administrateur-fiduciaire ayant des pouvoirs et des devoirs liant le patrimoine
administré. C'est un droit subjectif contre un droit sans sujet. Ce n'est pas une
créance au sens où on l'entend encore spontanément aujourd'hui puisque le
débiteur n'est pas une personne, mais un patrimoine.
e) Un patrimoine débiteur?
Les droits ne sont donc pas paralysés pendant la durée de la fiducie. Le fiduciaire par
sa charge et donc ses pouvoirs s'assure que les biens affectés soient l'objet de
droits. Mais si sa charge assure qu'il n'est pas personnellement responsable lorsqu'il
s'oblige dans les limites de son pouvoir pour un patrimoine fiduciaire, sa charge
n'explique pas comment un patrimoine sans sujet de droit peut être débiteur116?
Comment un patrimoine peut être responsable? Comment un patrimoine
dépersonnalisé peut avoir une obligation?
Intellectuellement, il est facile de comprendre le lien qui existe entre le droit du
bénéficiaire et le patrimoine fiduciaire : si bénéficiaire il y a, le patrimoine
d'affectation a été créé dans son intérêt. Son « droit certain » découle
naturellement de la fiducie. Mais comment expliquer la nature d'un droit d'une
personne initialement étrangère à la fiducie, mais qui au cours de l'existence de
celle-ci, en devient créancière? Ou encore, comment expliquer la nature des droits
en fiducie qui justement ne connaissent pas de bénéficiaire ou de créancier - les
droits compris dans une fondation par exemple?
Nous venons de le voir, les droits du bénéficiaire sont difficilement identifiables
selon nos catégories actuelles puisqu'ils ne sont ni personnels ni réels. Pourtant, le
législateur les nomme et d'une certaine manière en assure la protection,
116 Selon Maurice Tancelin, le mot débiteur serait en perte de sens, lbid.,p. 419.
56
notamment à travers la figure du fiduciaire. Mais qu'advient-il des droits des
créanciers ordinaires de la fiducie? Leurs droits sont-ils eux aussi hors catégorie?
Le législateur n'en fait pas mention. Son accent sur les droits subjectifs des acteurs
fiduciaires semble l'avoir aveuglé de la possibilité même que des tiers interagissent
avec le patrimoine fiduciaire au cours de son existence. Dans le chapitre sur la
fiducie, la possibilité d'un tiers dont un droit serait issu d'une situation juridique le
liant au patrimoine fiduciaire n'est pas évoquée. La notion « d'intéressé » que l'on
retrouve à l'article 1290 C.c.Q. nous indique que les tentacules de la fiducie sont
plus nombreux que ce que le régime laisse entendre, mais jamais les créanciers du
patrimoine fiduciaire ne sont directement mentionnés.
Dans le régime de l'administration du bien d'autrui, le législateur laisse entendre à
plusieurs occasions que l'administrateur pourrait être dans des situations juridiques
impliquant des tiers. Ainsi, le fiduciaire dans son administration et à travers les
prérogatives lui étant dévolues par sa charge, perçoit-il les créances soumises à son
administration (article 1302 C.c.Q.), il peut aussi aliéner un bien ou même
l'hypothéquer (articles 1305 et 1307 C.c.Q.), ce qui nécessairement implique des
tiers. Les tiers sont même directement mentionnés à la section II Des obligations de
l'administrateur et du bénéficiaire envers les tiers, aux articles 1319 C.c.Q. et
suivants. Pourtant, jamais la nature de leurs droits n'est explicitée.
En fait, c'est encore une fois la confusion entre les obligations et les devoirs de
l'administrateur qui permet un certain laxisme sur ce point de la part du législateur :
si l'administrateur a une obligation, c'est qu'il y a une personne qui en est la
créancière. Dans le régime de l'administration du bien d'autrui, on la nomme le
bénéficiaire (à ne pas confondre avec le bénéficiaire d'une fiducie). Ce bénéficiaire,
c'est l'autrui du titre du régime, mais cet autrui, on l'a vu, peut être une personne
ou un patrimoine d'affectation. Quand le bénéficiaire est une personne, tous les
droits entre les acteurs impliqués, administrateur, bénéficiaire, tiers, sont
naturellement personnels : ce sont ou bien les biens de l'administrateur ayant
57
commis une faute qui sont affectés à ses obligations ou bien les biens du
bénéficiaire (autrui) qui sont affectés aux obligations exécutées licitement par
l'administrateur. Le tiers créancier semble donc toujours avoir un droit personnel.
Pas besoin d'expliciter leur nature. Mais quand le bénéficiaire de l'administration est
un patrimoine d'affectation, quand « autrui » est une fiducie, et que c'est sur le
patrimoine d'affectation que « retombent des obligations117», alors la véritable
nature du droit du tiers créancier de l'administration d'une fiducie n'est pas
évidente.
En fait de la même manière que l'on ne questionne pas de qui on acquiert lorsque
l'on acquiert un bien en fiducie, alors que le législateur dit explicitement que
personne n'en détient le titre de propriété118, on ne questionne pas la nature du
droit des tiers-créanciers d'une fiducie. Pire encore, à la lecture des articles du code
sur la fiducie aucun indice ne signale que la nature des droits en fiducie a été posée.
Au contraire, selon la doctrine et le ministre, bien que les biens en fiducie ne
connaissent aucun titulaire, tous leurs attributs seraient restés intacts119.
V. Une nature incertaine
De mon analyse, on peut tirer une conclusion qui me semble certaine et actuelle : la
fiducie au Québec est un patrimoine d'affectation au sens où le préconisait Lepaulle,
c'est-à-dire un ensemble de droits et d'obligations tenus ensembles par leur
117 L'expression provident de l'article 1322 C.c.Q.
118 Cette question a tout de même troublé certaines âmes, notamment celle de Maurice Tancelin, Des obligations, supra note 56 aux p. 348 et suiv. ; et celle de Yaëll Emerich « La fiducie civiliste : modalité ou intermède de la propriété ? », supra note 63.
9 En effet, c'est la position que défend John Brierley dans la « Titre sixième. De certains patrimoines d'affectation», supra note 8 à la p.747 : «Le droit de propriété traditionnel est désormais compris dans le patrimoine fiduciaire avec tous ces attributs ». Cette position semble reprise mot pour mot dans les commentaires du ministre sous l'article 1261, supra note 20.
58
affectation et indépendants de tout sujet de droit. Pourtant contrairement à ce
préconisait Lepaulle, la notion de droit subjectif ne semble pas avoir écopé en
réponse à cette nouveauté. Aucune question ici de séparer la notion de volonté de
celle d'intérêt. Ces notions ne sont en effet jamais mentionnées. Aucune question
de séparer le droit subjectif du sujet.
Pourtant, en retenant la position de Lepaulle, ce que le législateur a accepté, c'est
justement que les droits aient deux manières d'être : soit ils appartiennent à un
sujet de droit, soit ils sont affectés. Pourtant pour s'assurer que cette idée
fonctionne, Lepaulle avait pris soin de démontrer les lacunes de la théorie
traditionnelle du droit subjectif qui accorde trop d'importance à la volonté et pas
assez à la notion d'intérêt. Pour accepter la dualité conceptuelle des droits, il faut,
selon Lepaulle, avoir une théorie des droits subjectifs qui admet que ce sont les
intérêts seuls qui font l'objet d'une protection juridique120. Étonnamment, sur ce
point le législateur est resté muet. Il a au contraire décrit en grands détails les droits
subjectifs des acteurs fiduciaires entre eux. Lorsqu'il a été question de comprendre
la nature des droits de ces acteurs ou encore ceux que des tiers entretiennent avec
le patrimoine fiduciaire, le législateur est coi sur la distinction entre volonté et
intérêt. C'est que le législateur, malgré la création d'un mécanisme -
l'administration du bien d'autrui — permettant au droit sans sujet de droit de faire
l'objet de droits et par le fait même de ne pas être paralysés en raison de leur
autonomie, est resté coincé dans le paradigme des droits subjectifs tel que nous les
connaissons encore aujourd'hui : les droits personnels et les droits réels détenus par
un titulaire qui agit selon sa volonté dans son propre intérêt. Or, nous l'avons vu, les
droits compris dans une fiducie sont tout autre. En somme, le législateur a tenté de
régler par une solution technique - l'administration du bien d'autrui — un problème
profondément conceptuel.
120 Lepaulle, supra note 14, à la p. 50.
59
En effet, comprendre le rôle de l'administrateur en termes d'obligations et plus
particulièrement en termes d'obligations envers autrui, ne peut qu'alimenter la
confusion. Appeler cet autrui « bénéficiaire » ne fait que redoubler le trouble
engendré. Si en plus toute personne ayant des droits contre un patrimoine
d'affectation, que ce soit le bénéficiaire d'une fiducie ou un tiers créancier, passe
par l'entremise d'un fiduciaire pour les revendiquer, il est presque normal que ces
droits soient compris comme des droits personnels, c'est-à-dire des Droits à
caractère patrimonial permettant à leur titulaire, le créancier, d'exiger d'une autre
personne, le débiteur, une prestation 1 2 1.
Pourtant, dire comme si de rien n'était qu'un patrimoine sans sujet de droit peut
être débiteur semble quelque peu étrange, sinon absurde. Ce que Lepaulle a tenté
de créer avec le trust-patrimoine d'affectation, c'est au contraire la possibilité de
créer des droits qui ne seraient pas rattachés à une personne, sujet de droit, mais
qui seraient simplement affectés. Il y aurait donc des droits subjectifs et des droits
affectés qui seraient en fait des intérêts dépourvus de volontés personnelles. Le
législateur semble bien l'avoir compris si l'on en juge l'article 915 C.c.Q., selon lequel
des biens, donc des droits patrimoniaux, peuvent appartenir à des personnes, sujet
de droit, ou faire l'objet d'une affectation. Mais ensuite, rien. On ne détient aucun
indice expliquant la nature de ces droits pendant la durée de l'affectation. Tout ce
que l'on peut déduire c'est qu'ils ne sont pas des droits subjectifs, car ils ne sont
détenus par aucun titulaire, le fiduciaire-administrateur n'en ayant que la simple
maîtrise en raison de ses pouvoirs.
Devant le manque d'explication du législateur et son engouement pour les droits
subjectifs dans la description des régimes encadrant la fiducie, la personnalisation
des droits tenus en fiducie et donc finalement de la fiducie elle-même s'est donc
imposée : si c'est sur elle que retombent les obligations, si c'est elle qui détient le
« droit personnel » dans Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Les biens, supra note 48.
60
droit de propriété, elle doit donc être parallèlement à la personne juridique, un
autre type de sujet de droit122. Cette solution est fascinante, elle permet de garder
intacte la notion d'obligation qui reste personnelle, elle permet de comprendre les
devoirs de l'administrateur en terme débiteur-créancier: la fiducie devient ainsi
l'autrui bénéficiaire à qui l'administrateur doit sa prestation et finalement, elle
permet de désigner un propriétaire aux biens en fiducie. Bref, elle nomme un
titulaire des droits subjectifs du patrimoine fiduciaire et définit en termes connus et
reconnus par le législateur la nature des droits en fiducie.
Cette solution, si elle semble régler plusieurs problèmes insolubles, est pourtant
problématique : elle ne prend pas au sérieux la notion de patrimoine d'affectation,
qu'elle rend inutile et dénature complètement; elle ne prend pas au sérieux la
proposition de Lepaulle selon laquelle les droits ont deux manières d'être : seuls les
droits subjectifs mariant volonté et intérêt existent; elle ne prend pas au sérieux la
notion de pouvoir qui permet une dépersonnalisation des prérogatives juridiques,
personnalisation inscrite dans la notion d'obligation et de propriété. Bref, cette
solution éteint la notion de patrimoine d'affectation pour la retransformer en un
nouveau patrimoine personnel, proche de la personne morale.
À cette heure, nous sommes donc devant une situation quelque peu étrange : soit il
faut accepter que les droits en fiducie sont d'une nouvelle nature, dont on ne
connaît pas la consistance, soit il faut dénaturer le patrimoine d'affectation -
nouvelle insertion du législateur — pour lui permettre de se fondre dans les normes
connues du code.
122 C'est la position défendue par Madeleine Cantin Cumyn, dans « La fiducie, un nouveau sujet de droit? », supra note 75, à la p. 129. Elle le réaffirme dans « Pourquoi définir la fiducie comme un patrimoine d'affectation? », Colloque du trentenaire, 1975-2005. Regards croisés sur le droit privé : 22 et 23 septembre 2005, Faculté de droit, Université McGill/Thirtieth Anniversary Conference, 1975-2005. Cross-Examining Private Law : 22 and 23 September 2005, Faculty of Law, McGill University, Cowansville, Éditions Yvon Biais, 2008, p. 131. à la p. 138. Sa position est partagée par les auteurs Jean Pineau et Serge Gaudet, dans Théorie des obligations, 4e édition, Montréal, Éditions Thémis, 2001, à la p. 8.
c°™mentsomm e s-nous arrivés a une telle inc°ngru/té? 61
Chapitre II : Culture
Où l'on découvre que la culture joue un rôle déterminant dans la
construction d'un phénomène juridique
I. Mise en perspective
La notion de patrimoine d'affectation pour décrire la fiducie en droit civil québécois
est, comme je l'ai mentionné plus haut, nouvelle. En effet, le droit québécois
antérieur à la recodification connaissait déjà la fiducie dans son droit commun et le
patrimoine d'affectation a été présenté comme une réponse aux enjeux que celle-ci
avait à l'époque engendrée123. Afin de mieux comprendre comment le Code civil
actuel connaît et comprend la notion juridique de patrimoine d'affectation alors que
tout le reste de son organisation s'appuie sur la notion classique de patrimoine et
sur son corollaire, le droit subjectif, il est important de s'intéresser aux raisons qui
ont poussé le législateur à choisir le patrimoine d'affectation comme manière de
conceptualiser la fiducie alors que d'autres moyens, peut-être plus orthodoxes,
étaient envisageables.
II. LeC.C.B.C.
124 Contrairement à ce que prétendent certains auteurs , la fiducie a toujours fait 125 partie du paysage québécois. Il est vrai que ses origines sont nébuleuses —
123 À ce sujet voir notamment Madeleine Cantin Cumyn « Pourquoi définir la fiducie comme un patrimoine d'affectation? », lbid. Voir également les Commentaires du ministre, supra note 20 sous le titre sixième : « Enfin, en reliant les institutions de la fondation et de la fiducie à la théorie du patrimoine d'affectation, le code vise à mettre fin à la controverse quant au sort du droit de propriété des biens qui en sont l'objet » à la p. 415.
124 Cantin Cumyn, « L'origine de la fiducie québécoise », supra, note 6.
63
126 certains y voient du droit romain et de l'ancien droit français , d'autres des .127 origines strictement anglaises —, mais ceci ne change rien aux faits : il y avait des
128 trusts au Québec avant la première codification et la fiducie, bien qu'étrangère à 129 la Coutume de Paris et au droit civil codifié , a rapidement, bien que timidement,
trouvé sa place dans notre droit écrit130.
L'histoire qui semble la plus plausible est simple, lorsque le parlement britannique a
institué la liberté de tester par l'acte de Québec131, le trust - instrument privilégié de
transmission de biens anglais — a naturellement échoué dans le droit commun
québécois132. La fiducie québécoise est donc le versant civiliste de cette institution
fondamentale du droit anglais133.
125 Plusieurs auteurs se sont aventurés dans les origines nébuleuses de la fiducie québécoise: Cantin Cumyn, « L'origine de la fiducie québécoise », lbid.; D. N. Mettarlin, « The Quebec Trust and the Civil Law » (1975) 21 R. D. McGill 175; M. Faribault, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust en droit civil dans la province de Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 1936 ; J.-E. Billette, « Au sujet des origines historiques de la fiducie » (1932-33) 11 R. du D. 365.
1 2 6C'est la position défendue par Mettarlin, « The Quebec Trust and the Civil Law », Ibid.
27 Je ne citerai ici que trois auteurs, mais c'est la position la plus répandue : Brierley, « The New Quebec Law of Trusts: The Adaptation of Common Law Thought to Civil Law Concepts », supra note 10, P.-B. Mignault, « À propos de la fiducie » (1933-1934) 12 R. du D. 73-79; et le juge Beetz dans Royal Trust Co. c. Tucker, [1982] 1 RCS 250, à la p. 261.
28 Mettarlin cite par exemple le cas de Frelight c. Seymour (1855) 5 L.C.R. 492 et Mason c. Mason (1912)47C.S.C42.
129 Voir Faribault, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust en droit civil dans la province de Québec, supra note 125 et Cantin Cumyn, « L'origine de la fiducie québécoise », supra note 6.
130 Les codificateurs avaient en effet comme directives, non seulement de codifier la Coutumes de Paris dans laquelle la fiducie n'avait aucune présence, mais également de prendre en compte les décisions, les usages et les pratiques des cours. Voir Mettarlin, supra note 125, à la p. 204.
31 Acte de Québec 1774, art 10. Pour un survol de l'introduction de l'institution en droit québécois voir S. Normand, Introduction au droit des biens, supra note 6, aux p. 321 et suiv. Et pour un regard extérieur, F. Barrière, La réception du trust au travers de la fiducie, Paris, Litec, 2004, aux p. 281 et suiv. 132 Voir Y. Caron et J.E.C Brierley, « The Trust in Quebec » (1979-1980) 25 R. D. McGill 421, à la p. 423; F. Frenette, "La propriété fiduciaire" (1985) 26 C. de D. 727 ; voir également J.-L Baudouin et P.-G. Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, Les obligations, 6e édition, Cowansville, Éditions Yvon Biais, 2005, à la p. p 1241.
64
Ceci insère immédiatement la fiducie dans un contexte fort particulier : elle ne peut
reproduire la particularité du trust anglais qui est le fruit d'une longue histoire
accidentelle et systémique134 et elle n'a aucun modèle particulier qu'elle peut imiter
en droit civil coutumier ou codifié135. Ceci explique également pourquoi, lors de la
codification de 1866, la fiducie n'est à peine présente. Il a en effet fallu une loi
spéciale136 et une dizaine d'années pour qu'elle trouve une place réelle dans le
code137. Pourtant, nous le verrons, les quelques articles qui lui ont été consacrés ont
fait couler beaucoup d'encre.
1866 d'abord. Liée à l'exécution testamentaire, on retrouvait dans le Code civil du
Bas Canada de 1866 deux articles - 869 et 964 — qui évoquaient sa présence dans
le droit commun138. Les deux articles étaient situés dans le livre troisième, De
l'acquisition et de l'exercice des droits de propriété, sous le titre Des donations
entrevifs et testamentaires, mais il était à l'époque impossible de concevoir la
fiducie comme autre chose qu'un instrument testamentaire.
133 La fiducie est une véritable histoire d'acculturation et de métissage : S. Normand « L'acculturation de la fiducie en droit civil québécois. », supra note 3.
134 Sur les origines du trust anglais voir A. Oosterhoff, R. Chambers, M. Mclnnes, et L. Smith, Oosterhoff's Law of Trusts in Canada: Cases, Notes and Materials, 7e édition, Toronto, Thomson Carswell, 2009 ou encore Donovan W.M. Waters (dir.) avec la contribution de Mark R. Gillen et Lionel D. Smith, Waters' Law of trusts in Canada, Toronto, Thomson Carswell, 2005.
135 C'est la particularité des transplantations juridiques. Aussi selon Faribault, la fiducie était comprise simplement comme une exécution testamentaire semblable à la substitution. La fiducie était un legs sous condition sans régime propre, voir Faribault, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust en droit civil dans la province de Québec, supra note 125, aux p. 35 et suiv. Sur la notion de transplantations juridiques voir A. Watson, Legal Transplants: An Approach to Comparative Law, 2e éditon, University of Georgia Press, 1993.
136 C'est en fait deux lois qui ont fondé le cadre législatif de la fiducie dans le code, Y Acte concernant la fiducie, supra note 7 et Act defining the Investments to be made by Administrators, S.Q. 1879, c. 30.
137 Articles 981a et suiv. 138 Sur la rédaction des articles 869 et 964, voir Cantin Cumyn, « L'origine de la fiducie québécoise », supra, note 6.
65
869. Un testateur peut établir des légataires seulement fiduciaires ou simples ministres pour des fins de bienfaisance ou autres fins permises et dans les limites voulues par les lois; il peut aussi remettre les biens pour les mêmes fins à ses exécuteurs testamentaires, ou y donner effet comme charge imposée à ses héritiers et légataires.
869. testator may name legatees who shall be merely fiduciary or simply trustees for charitable or other lawful purposes within the limits permitted by law; he may also deliver over his property for the same objects to his testamentary executors, or effect such purposes by means of charges imposed upon his heirs or legatees.
Cet article a été interprété comme insérant dans le code le droit de l'époque sur les
legs pour objets pieux, de charité ou de bienfaisance inconnu à la Coutume de Paris,
mais présent au Québec139. Il ne faut pas oublier que les Commissaires du code de
l'époque avaient comme mission d'insérer dans le Code civil toutes les lois civiles
ayant un caractère permanent au Québec. Leur oeuvre en était, en grande partie,
une de consolidation des lois existantes 140
964. Le légataire qui est chargé comme simple ministre d'administrer les biens et de les employer ou restituer aux fins du testament, bien que dans les termes sa qualité paraisse réellement être celle de propriétaire grevé et non simplement d'exécuteur et administrateur, ne conserve pas les biens dans le cas de
964. The legatee who is charged as a mere trustee, to administer the property and to employ it or deliver it over in accordance with the will, even though the terms used appear really to give him the quality of a proprietor subject to deliver over, rather than that of a mere executor or administrator, does not retain
Voir Mettarlin, « The Quebec Trust and the Civil Law », supra note 125 aux p. 204 et suiv.
10 Voir à ce sujet Baudouin et Jobin, Les obligations, supra note 132, aux p. 67-68. Voir aussi Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property : Universalities, Interests and other Heresies », supra note 37 et Brierley, « Regards sur le droit des biens dans le nouveau Code civil du Québec », supra note 54.
66
caducité de la disposition the property in the event of ultérieure ou de l'impossibilité the lapse of the ulterior de les appliquer aux fins disposition, or of the voulues, à moins que le impossibility of applying such testateur n'ait manifesté son property to the purposes intention à ce sujet. Ces biens intended, unless the testator passent en ce cas à l'héritier ou has manifested his intention au légataire qui recueille la to that effect. The property succession. in such cases passes to the
heir or the legatee who receives the succession.
Cet article a été interprété comme codifiant le droit des fiducies précodification,
mais évidemment il n'était pas satisfaisant141 : il ne traitait que de la restitution des
biens et assimilait la fiducie à la substitution.
Ceci n'empêchait pas les Québécois d'avoir à l'époque des fiducies testamentaires
très sophistiquées. Par ailleurs, l'existence de la fiducie ne se limitait pas aux
testaments142. Le laconisme du code au sujet des droits et obligations des acteurs
fiduciaires déclencha donc rapidement le besoin de plus d'encadrement pour cette
institution étrange. En 1879, une loi a donc été décrétée qui étendait la fiducie aux
donations entre vifs et établissait un régime propre à la fiducie, L'Acte concernant la
fiducie143. Ce texte de loi a été introduit presque verbatim dans la refonte du Code
en 1888 aux articles 981a à 981n C.C.B.C. donc toujours dans le titre sur les
Donations entrevifs et testamentaires144. Il faut donc penser à l'année 1879 non pas
comme l'année de naissance de la fiducie dans le droit civil du Québec, mais comme
l'année de son baptême dans le droit civil codifié québécois.
41 Voir Mettarlin, « The Quebec Trust and the Civil Law », supra note 125 aux p. 204 et suiv.
Ce sont les mots de Mettarlin, lbid.,à la p 207
143 Acte concernant la fiducie, S.Q. 1879, c. 29 Les auteurs ne semblent pas s'entendre sur les origines de cette loi. Il faut lire en parallèle,
Mettarlin, selon qui, cette loi tire ses origines dans l'ancien droit - son auteur, M. Wurtele, étant un civiliste chevronné, « The Quebec Trust and the Civil Law », Ibid, à la p. 191; et Cantin Cumyn, qui croit plutôt que la loi est complètement novatrice, dans « L'origine de la fiducie québécoise », supra note 6.
67
Les articles introduits dans le code lors de la refonte sont fascinants et méritent
d'être reproduits. Puisqu'il y a en quatorze, ils sont fournis en annexe. Le lecteur
assidu y verra certainement plusieurs bribes de l'institution actuelle, mais également
les problèmes théoriques que cette fiducie posait.
Premier constat : c'est bref. Mais il y a beaucoup de choses, surtout en ce qui
concerne les devoirs des fiduciaires. Plusieurs notions semblent même simplement
reprises dans le code actuel145. Mais jamais la nature de la fiducie n'est mentionnée
et surtout, on ne peut pas déduire à la lecture seule de ces articles à qui est
« transportée » la propriété des biens en fiducie lors de sa création. Voici comment
le juge Beetz de la Cour suprême résumait la problématique principale :
(...) la difficulté résultait de l'ambiguïté de ces nouveaux textes. Ainsi, l'art. 981a dispose que les biens de la fiducie sont transportés aux fiduciaires que par ailleurs l'art. 981b décrit comme des dépositaires et administrateurs tandis que le même article réfère aux bénéficiaires comme à des donataires ou légataires. Par ailleurs l'art. 981/ prescrit qu'à l'expiration de la fiducie, les fiduciaires doivent poser les actes nécessaires pour transférer la propriété tenue en fiducie aux parties y ayant droit 1 4 6.
Il y a aliénation des biens, mais il n'y pas de nouveau propriétaire nommé. Les juges
ont hésité. La doctrine s'en est donnée à cœur joie. Personne ne s'est entendu. On
ne savait même pas vers quel système juridique se tourner147. Plusieurs théories ou
Le tableau de concordance que l'on retrouve dans l'édition critique du Code civil du Québec est un exemple fascinant des liens intimes qui existent et que l'on crée entre les deux codes. J.-M. Brisson et N. Kasirer, Civil Code of Québec: A Critical Edition/Code civil du Québec: Édition critique, Montréal, Éditions Yvon Biais, 2011 aux p. 1137 et suiv.
146 Royal Trust Co. c. Tucker, supra note 127. Une des grandes controverses à l'époque était de savoir si la fiducie québécoise devait ou non se
modeler sur le trust de common law et donc si le droit anglais devait être considéré comme une source de droit en cas de lacune.
68
interprétations ont vu le jour, chacune essayant d'identifier le propriétaire des biens
en fiducie148.
III. Les interprétations du C.C.B.C.
Il fallait en effet un propriétaire. Le droit civil l'exigeait. La propriété ne pouvait être
en suspens pendant la durée de la fiducie et elle ne pouvait pas non plus à l'instar de
la common law être distribuée entre deux propriétaires ayant des intérêts
différents.
a) Le bénéficiaire comme propriétaire
Suivant cette théorie, c'est le bénéficiaire de la fiducie qui était le propriétaire des
biens transportés en fiducie. Le fiduciaire n'ayant que de simples pouvoirs, le
fiduciaire n'étant qu'un simple dépositaire et administrateur, les biens n'étant pas
aliénés, mais transportés, et le bénéficiaire ayant un droit éventuel, seul ce dernier
pouvait être le véritable propriétaire des biens transportés en fiducie.
Cette théorie quoique attrayante selon certains149 n'a pas su soulever les troupes : à
qui appartiendrait des biens transportés en fiducie dans le cas où le bénéficiaire
n'était pas encore né150?
148 Sylvio Normand et Jacques Gosselin ont articulé de manière exceptionnelle les différentes manières d'aborder la fiducie et le problème de la propriété fiduciaire sous le Code civil du Bas Canada. Selon leur étude, il est possible de distinguer trois grandes positions doctrinales en regard à la fiducie : les pragmatiques, les protectionnistes et les novateurs. Dans « La fiducie du Code civil : un sujet d'affrontement dans la communauté juridique québécoise », supra note 9. 149 C'était l'opinion de P.-B. Mignault dans son traité, Le droit civil canadien, t. 5, Montréal, C. Théoret, 1901, aux p.151-155, en effet selon Mignault : « le véritable propriétaire est le légataire ou le
69
b) Le constituant et ses héritiers
C'est là aussi une solution qui n'a pas fait beaucoup de vagues. Selon cette théorie,
le constituant ou ses héritiers dépendant du cas seraient propriétaires sous
condition résolutoire. Le droit de propriété serait donc d'une certaine manière
suspendu pendant la durée de la fiducie. Le droit du bénéficiaire serait conditionnel
et si la condition n'était pas atteinte, le droit retournerait à son propriétaire initial
ou à sa succession. Le pouvoir du fiduciaire serait, en outre, un type de
démembrement de la propriété : il aurait un droit ou un pouvoir réel
d'administration.
Cette thèse a été défendue avec passion,151 mais elle n'a pas fait long feu : elle fut
jugée comme s'éloignant trop du texte du code de l'époque152.
c) Le fiduciaire comme propriétaire
C'est la thèse qui a prévalu153. Elle a même converti des opposants154. Mais c'est
surtout contre elle que la solution qui existe dans le code actuel a été établie. Elle
donataire désigné pour les recueillir » à la p. 155; C'était aussi l'opinion de J-E. Billette, notamment dans «Études de jurisprudence, À propos de fiducie » (1932) 11 R. du D. 38; R.-H. Mankiewicz appuyait cette position également dans «La fiducie québécoise et le trust de common law» (1952) 12 R. du B. 16. Voir également à ce sujet Caron, dans Caron et Brierley « The Trust in Quebec », supra note 132, à la p. 428 et Normand et Gosselin dans « La fiducie du Code civil : un sujet d'affrontement dans la communauté juridique québécoise », supra note 9 aux p. 705-710.
150 C'est la question soulevée dans l'arrêt Tucker, supra note 127
Un seul auteur défendit cette thèse : Mettarlin. Mettarlin, supra note 125, en particulier aux p. 218 et suiv. Selon Normand et Gosselin, « Mettarlin fut la démonstration la plus achevée du discours protectionniste », supra note 9 à la p 710. Mettarlin a tenté d'épurer la fiducie québécoise de toutes traces de droit anglais et cette solution lui paraissait la plus appropriée.
52 Voir à ce sujet la critique de Caron, « The Trust in Quebec », supra note 132, à la p. 430.
70
trouve d'abord son origine dans la jurisprudence. Elle reconnaît explicitement les
origines anglaises de la fiducie. Elle se veut pragmatique pour reprendre les mots de
certains155. Il importe de la regarder de plus près, car son influence sur le droit
actuel est, selon moi, majeure.
C'est le juge Rinfret dans l'arrêt Curran c. Davis156 qui est considéré comme l'un des
premiers à avoir compris la problématique de cette manière, bien que l'arrêt soit
quelque peu ambigu et que c'est surtout la « rationalisation » subséquente de
Mignault qui trancha le débat157. Nous sommes en 1933. Le juge Rinfret devait se
prononcer sur la possibilité pour un donateur de révoquer sa donation fiduciaire
(dans ce cas, une rente viagère gérée par un fiduciaire) alors que le droit du
bénéficiaire n'avait encore été ouvert ou, selon le langage de la donation, alors qu'il
n'avait pas encore été accepté. Dans les faits, le transport des biens dans les mains
du fiduciaire avait déjà été fait. La question de la propriété des biens transportés
était donc au cœur du litige.
Décrit rapidement, le raisonnement du juge consiste en ceci : La fiducie par donation
est parfaite par la seule acceptation du fiduciaire et une fois acceptée, le donateur
ne peut révoquer le droit octroyé. Le juge précise que la fiducie est une institution à
Elle est consacrée par le juge Beetz dans l'arrêt Tucker, supra note 127. Il faut noter un fait important, en 1982 date de ce jugement, la réforme du code menée par l'Office de révision du Code civil et plus particulièrement la réforme concernant la fiducie, bat son plein.
154 En effet, à la suite de l'arrêt Curran c. Davis (1933) R.S.C. 283, Mignault s'est ravisé et a souscrit à cette position. Voir P.-B. Mignault, «À propos de fiducie» (1933) 12 R. du D. 73; «La fiducie dans la province de Québec», Travaux de la semaine internationale de droit, t. 5, Paris, Sirey, 1937, aux pp. 35 à 55.
55 Voir Normand et Gosselin, « La fiducie du Code civil : un sujet d'affrontement dans la communauté juridique québécoise », supra note 9 aux p. 688 et suiv. Voir dans le même sens, Peter E. Graham, «Some Peculiarities of Trusts in Quebec» (1962) 22 R. du B. 137.
156 Curran c. Davis, supra note 154.
57 Sur rationalisation de Mignault, voir Normand et Gosselin, « La fiducie du Code civil : un sujet d'affrontement dans la communauté juridique québécoise », supra note 9 à la p. 691. Voir également les propos du juge Beetz dans Tucker, supra note 127 à la p. 272 qui succombe à la force des mots de Mignault.
71
part entière158, différente des autres institutions semblables dans le code et
notamment différente de la donation ou du testament bien que le contrat de fiducie
doit, en accord avec le texte du code, être fait en leur forme. Voici comment le juge
Rinfret décrit la situation juridique :
Pendant toute cette période de temps, les « trustees » ont véritablement tous les droits du propriétaire sur la chose donnée, sauf qu'ils ne peuvent en tirer aucun avantage personnel, et avec, en plus, cette particularité qu'ils ont l'obligation d'administrer les biens au profit des bénéficiaires; nous voulons dire : qu'ils ne sauraient les laisser dépérir sans s'exposer à être démis par la cour. Ils ont le devoir de remplir les fonctions qu'ils ont acceptées et de faire fructifier la propriété qui leur a été transportée. Les « trustees », en vertu du contrat qui nous est soumis, ont la saisine de la « trust property », et les bénéficiaires ne peuvent revendiquer contre eux ni la possession de la « property », ni même, pendant la durée de la fiducie, aucun autre droit que celui du paiement de leur créance, ou ceux qui résulteraient de la dissipation ou du gaspillage de la « trust property »
[...]
Il n'y a pas de rapport direct entre le bénéficiaire et le donateur, qui ne prend personnellement aucun engagement à son égard et qui a accompli tout ce qu'il devait faire dès le moment où il a transporté les propriétés aux fiduciaires.
[...]
À tous les points de vue, les biens sont sortis (du) patrimoine (du donateur) d'une façon absolue et sont définitivement affectés aux
158 Curran c. Davis, supra note 154, à la p. 295.
72
fins qu'il a définies dans le contrat que les « trustees » se sont engagés à accomplir. Il n'est plus le maître159.
Le juge Rinfret, bien qu'il ait du mal à définir la nature exacte du droit du fiduciaire,
écarte catégoriquement la possibilité que le bénéficiaire ou encore le constituant-
donateur soient propriétaires. Le bénéficiaire n'est qu'un simple créancier; le
constituant n'a qu'un lien juridique qu'avec le fiduciaire, aucun avec les biens
transportés. Des trois acteurs que l'on retrouve dans toute fiducie, il ne restait donc
plus que le fiduciaire, qui de toute manière était titulaire nominal160.
Mignault pousse l'analyse plus loin. En réaction à ce jugement, il pose
directement la question : « Pendant la fiducie, qui est propriétaire des biens
donnés? » et exprime son « nouveau sentiment », car on se rappelle que dans son
traité, il était d'avis que le bénéficiaire était propriétaire161, avec clarté et
conviction :
(...) le disposant n'est plus propriétaire, le bénéficiaire pas encore. Il ne reste que le fiduciaire, car nous ne pouvons supposer que le titre de propriété ne soit nulle part. Les biens compris dans la fiducie constituent un patrimoine, et ce patrimoine se rattache nécessairement à une personne162.
Pour appuyer sa position, Mignault nous rappelle que le législateur a le pouvoir de
créer un droit de propriété temporaire et restreint dans ses effets, et c'est
exactement ce qu'il a voulu faire avec les articles 981a C.c.B.C et suivants, qui font
1 5 9 lbid.
1 ° En fait, la position de Rinfret est plus complexe car il n'accorde pas la propriété au fiduciaire, qui n'a selon lui ni l'usus, ni \efructus, ni Vabusus, lbid., à la p. 293.
161 Mignault, Le droit civil canadien, supra note 149, aux p. 76 et p. 155.
162 Mignault, « À propos de la fiducie », supra note 154, aux p. 76 et 77.
73
reposer un droit de propriété limité sur la tête du fiduciaire, et ce, à l'image du trust
anglais.
Son texte est court, mais il a le mérite d'être clair et de détourner le jugement
Curran de ses ambiguïtés. Il fait reposer la difficulté d'un droit de propriété inachevé
sur la volonté du législateur, volonté qu'il considère ultime.
Ce n'est que 50 ans plus tard que la question a été remise sur la table à la Cour
suprême163. Cette fois la cour devait décider s'il était possible de constituer une
fiducie alors que le bénéficiaire n'était pas encore né au moment de l'acceptation du
fiduciaire. Le juge Beetz, le jugement Curran à l'appui, rappelle que « l'acceptation
du fiduciaire suffit à rendre la constitution de fiducie irrévocable164 ». Il pose ensuite
carrément la question de la propriété des biens transportés165, expose les
différentes théories et tranche :
De toutes ces théories, la seule dont on puisse dire qu'elle a reçu l'appui de la jurisprudence est la seconde théorie de Mignault qui veut que, durant la fiducie, le fiduciaire soit propriétaire des biens transportés en fiducie166.
(...)
Il faut dire qu'il n'est pas facile d'échapper à la rigueur du raisonnement de Mignault si l'on doit tenir que la propriété ne peut rester en suspens. On peut résumer ainsi ce raisonnement. Le constituant n'est plus le propriétaire des biens transportés en fiducie : s'il s'agit de fiducie testamentaire, il est mort, et, s'il s'agit d'une fiducie constituée par donation entre vifs, il est essentiel à sa
163 C'est le fameux arrêt Tucker, supra note 127.
164 lbid. p. 264
« Puisque l'on rejetait la notion anglaise du dédoublement de la propriété pour s'en tenir à une propriété unique portant sur une seule tête, on s'est demandé qui, pendant la fiducie, est propriétaire des biens » lbid.
166/b/d.p. 266
74
validité que le constituant se soit actuellement et irrévocablement dépouillé des biens transportés en fiducie. Donner et retenir ne vaut. La propriété ne repose pas sur le bénéficiaire du revenu qui n'a vis-à-vis du fiduciaire qu'un droit de créance. Elle ne repose pas non plus, durant la fiducie, sur le bénéficiaire du capital : dans un grand nombre de cas, il vient au deuxième ou troisième rang et n'est pas encore né ni conçu. Lorsqu'enfin la propriété tenue en fiducie lui est transférée, comme le prévoit expressément l'art. 981/, c'est que la fiducie s'est terminée. Il ne reste donc que le fiduciaire sur la tête de qui puisse porter la propriété des biens de la fiducie. Sans doute ne s'agit-il pas du droit de propriété traditionnel puisque, par exemple, il est temporaire et ne comporte pas de fructus. C'est un droit de propriété sui generis, que le législateur a implicitement, mais nécessairement voulu créer lorsqu'il a introduit la fiducie en droit civil167.
Le législateur tout puissant, donc, au cœur de cette position.
Certains auteurs ont réagi violemment à cette solution, qui était l'interprétation
officielle à l'époque168. Ainsi selon un auteur « la notion de propriété sui generis
conduisait à dénaturer les règles du Code civil ». Il était impossible que le fiduciaire
soit propriétaire, car « sa situation était plutôt l'antithèse d'un droit de propriété »,
le droit dont il était titulaire ne figurait pas dans son patrimoine et « la notion d'un
droit de nature patrimonial sans bénéfice était un concept inconnu au droit civil169. »
Dire que le fiduciaire était le propriétaire des biens transportés n'était donc qu'une
« solution artificielle170» qui venait entacher le droit civil québécois.
Il faut dire que la réforme du Code battait son plein à l'époque et que le groupe de
l'Office de révision du Code civil travaillant sur la fiducie avait déjà publié la version
167lbid. aux p. 272-273.
168 Attention, ceci ne veut pas dire que cette interprétation ne tenait pas de partisans. Le professeur François Frenette croyait en effet que c'était la solution qui s'insérerait le mieux dans notre droit privé. F. Frenette «La propriété fiduciaire » (1985) 26 C. de d. 727
1 6 9 M. Cantin Cumyn, « La propriété fiduciaire : mythe ou réalité » (1984) 15 Revue de droit de l'université Sherbrooke 7, aux p. 12, 14 et 17. Ce numéro de la revue est entièrement dédié à l'arrêt Tucker.
1 7 0 Ibid.
75
finale de ses suggestions, suggestions qui ressemblent à ce que nous avons dans le
code actuel171. Mais il ne faut pas oublier que l'ORCC avait débuté son travail en
1973 et commencé avec l'hypothèse que le fiduciaire était bel et bien le propriétaire
des biens transportés. Le concept de « propriété fiduciaire » avait fait surface,
concept qui voulait rendre compte du contour limité du droit de propriété du
fiduciaire qui n'avait pas de droit de jouissance sur les biens dont il était fiduciaire et
qu'il devait détenir dans un patrimoine séparé.
Cette position, qui s'accordait avec celle retenue par la cour, laissait pourtant en
plan plusieurs questions : qu'advenait-il du fructus pendant ia durée de la fiducie?
Qui jouissait des biens en fiducie si le bénéficiaire n'était pas nécessaire à la
constitution de la fiducie? La question du remplacement du fiduciaire fit également
irruption : si le fiduciaire est propriétaire comme on l'entendait à l'époque,
comment expliquer qu'il puisse être remplacé (article 981c Ce.B.C.) et que ses
héritiers n'héritent pas de ses pouvoirs en cas de décès (articles 981e C.C.B.C.)?
En réaction à ces difficultés, mais aussi au fait que la propriété fiduciaire avait une
texture trop anglaise pour certains puristes172, une quatrième manière de
conceptualiser la fiducie a fait surface : la fiducie comme propriétaire.
d) La fiducie comme propriétaire
En fait, cette manière de comprendre la fiducie existait au Québec depuis
longtemps. Faribault, dans son Traité sur la fiducie datant de 1936, comprenait la
fiducie comme une institution, institution qu'il définissait ainsi : « Un groupement
171 Voir Caron et Brierley « The Trust in Quebec », supra note 132.
2 lbid. Voir également Cantin Cumyn, « La propriété fiduciaire : mythe ou réalité » (1984) 15 R.D.U.S. 7
76
d'individus assujettis à un ordre dont la raison d'être est l'obtention d'une fin par les
mêmes moyens fondamentaux173 ».
Faribault reprenait dans son ouvrage les thèses des auteurs français Hauriou174 et
Renard175 qui avaient élaboré cette idée en réaction au consensualisme contractuel.
Voici comment des auteurs ont décrit son épistémologie sous-jacente :
Cette théorie était manifestement une réaction au volontarisme; aussi, ses
tenants sentaient-ils le besoin de bien distinguer les notions de contrat et
d'institution. Le contrat était perçu comme précaire et incommutable;
l'institution, quant à elle, avait vocation à la pérennité et à l'adaptation. Il
était fondé sur l'égalité des parties, elle sur la hiérarchie. Il était peu
réglementé, elle au contraire était l'objet d'un contrôle plus strict
notamment parce qu'elle produisait des effets à l'égard des tiers. Le droit
positif reconnaissait déjà la personnalité juridique de l'institution. Cette
reconnaissance d'une individualité pouvait être expresse, mais elle pouvait
aussi être implicite, du seul fait de la réglementation des activités176 .
La fiducie selon Faribault pouvait ainsi se définir comme suit :
(...) la fiducie est une institution reconnue par la loi et créée par la volonté unilatérale d'un donateur ou d'un testateur, aux fins de soumettre une libéralité permise à une idée directrice de protection ou de permanence, grâce à une administration
173M. Faribault, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust en droit civil dans la province de Québec, supra note 125, à la p.116.
174 M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, 12e édition, Paris, Dalloz, 2002. Pour une analyse plus contemporaine de sa théorie de l'institution, voir E. Millard « Hariou et la théorie de l'institution », (1995) 30/31 Droit et société 381.
175 G. Renard, La théorie de l'institution, Paris, Sirey, 1930.
176 Normand et Gosselin, « La fiducie du Code civil : un sujet d'affrontement dans la communauté juridique québécoise », supra note 9 à la p. 716.
77
indépendante, autoritaire et éclairée des biens qui en font l'objet177.
Sa manière de comprendre la fiducie réglait selon lui plusieurs problèmes engendrés
par la nature ambiguë de la fiducie dans le code :
• Toute fiducie comporte une libéralité
• L'obligation des fiduciaires est vis-à-vis la fiducie
• Les droits de créance des bénéficiaires sont vis-à-vis la fiducie
• Les droits et les obligations des tiers sont vis-à-vis la fiducie
• Il y a la création d'un nouveau patrimoine indépendant des autres acteurs fiduciaires. La fiducie peut même faire faillite.
• La fiducie institution est comprise comme un nouveau sujet de droit178.
La réaction de la doctrine à l'époque est mitigée. Certains succombent179. D'autres
résistent180. Il faut dire que l'idée d'institution est nouvelle en France également et
ne fait pas l'unanimité. Finalement, en 1953, un autre auteur traduit le tout
simplement : la fiducie est une forme de personne morale181. Il ne faut pas la
comprendre en terme contractuel, car elle se situe clairement sur un autre plan. Ce
Faribault, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust en droit civil dans la province de Québec, supra note 125, à la p. 148.
178 lbid. aux p. 148 et suiv.
9 Voir la recension de Normand et Gosselin, « La fiducie du Code civil : un sujet d'affrontement dans la communauté juridique québécoise », supra note 9 à la p. 719.
180 P.-B. Mignault, « Book Review » (1937-1938) 2 University of Toronto law Journal 423.
1 L. Baudouin, Le droit civil de la province du Québec, modèle vivant de droit comparé, Montréal, Wilson & Lafleur, 1953, aux p. 1241 et suiv.
78
serait selon lui une « une institution à cheval sur le droit privé et le droit public182»
dont le législateur est le créateur autorisé.
En érigeant la fiducie comme personne morale, le problème de la propriété des
biens était réglé : la fiducie était propriétaire et le fiduciaire n'était qu'un simple
représentant. On pouvait ainsi le remplacer sans se soucier du sort des biens
pendant son remplacement. Le droit subjectif ne connaissait plus d'atteinte.
Le comité chargé de la fiducie à l'Office de la révision du Code avait étudié cette
position et certains y voyaient la solution la plus civiliste183. Mais la réaction de la
pratique aurait été négative et certains y voyaient un concept encore plus artificiel
que la propriété fiduciaire184 : La personnification s'éloignait trop de ce qui avait été
accepté par les tribunaux et mis en pratique depuis toujours par les praticiens. Qui
plus est, cette manière de conceptualiser la fiducie s'éloignait trop du trust...185
e) Un propriétaire incertain
182 lbid., à la p. 1250.
53 Yves Caron en était le plus fervent défenseur. Caron et Brierley « The Trust in Quebec », supra note 132. Caron s'appuyait notamment sur Lepaulle qui à la fin de sa carrière avait admis que la solution de la personnalité juridique était celle qui s'accordait le mieux avec le système de droit civil. P. Lepaulle, « La notion de trust et ses applications dans les divers systèmes juridiques », dans Actes de congrès international de droit privé, vol. 2, L'unification du droit, Rome, Éditions Unidroit, 1951, à la p. 197. Madeleine Cantin Cumyn à l'époque semblait elle aussi appuyer cette position, mais de manière moins explicite voir, « La propriété fiduciaire : mythe ou réalité », supra note 169.
3 4 Ce sont les mots de Brierley dans Caron et Brierley « The Trust in Quebec », Ibid, à p. 441 qui rappellent ceux de Madeleine Cantin Cumyn, dans « La propriété fiduciaire : mythe ou réalité », lbid.
En effet, selon Lionel Smith, cette manière de conceptualiser la fiducie dénature cette institution juridique: « [...] in any legal tradition, if the trust becomes a legal person then it ceases to be a fundamental legal institution; it becomes instead part of the law of persons [..]» L. Smith « Trust and Patrimony » (2009) 28 Estates, Trusts & Pensions Journal 331, à la p. 353.
79
Aucune solution ne faisait donc l'unanimité. Le comité responsable de la révision
déposa son dernier rapport en rejetant l'idée de la personnalité juridique et en
rejetant celle de propriété fiduciaire.
Voici les premiers articles que l'on peut lire dans le projet publié :
600. L'acte par lequel une personne transfère un bien pour être détenu, soit au bénéfice d'une personne, soit pour l'accomplissement d'une fin d'intérêt public ou privé, constitue une fiducie.
601. La fiducie peut être établie par contrat ou par testament.
Elle doit en suivre les règles de fond et de forme.
602. La fiducie doit être acceptée par le fiduciaire ou par l'un d'eux, s'il y en a plusieurs.
En cas de fiducie testamentaire, l'acceptation du fiduciaire rétroagit au décès.
603. Les biens transportés en fiducie forment un patrimoine distinct.
L'acte règle l'emploi qui doit être fait des biens de la fiducie et des 186 fruits et revenus qui en proviennent
Qui peut dire à la simple lecture de ce texte, à qui appartient les biens en fiducie? 187
16 Office de révision du Code civil, Projet de Code civil/Draft Civil Code, vol. 1, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978.
Voir M. Cantin Cumyn, « Pourquoi définir la fiducie comme un patrimoine d'affectation? », Colloque du trentenaire, 1975-2005. Regards croisés sur le droit privé, 22 et 23 septembre 2005, Faculté de droit, Université McGill/Thirtieth Anniversary Conference, 1975-2005. Cross-Examining Private Law, 22 and 23 September 2005, Faculty of Law, McGill University, Cowansville, Éditions Yvon Biais, 2008, p. 131, à la p. 138.
80
The answer is simply that it [le texte propose] does not resolve this question at the level of explicit textual expression188.
Le comité avait choisi de ne pas faire de choix.
IV. Le trust et le droit civil
Ce coup d'ceil rapide aux différentes interprétations que connut le texte du Code
civil du Bas Canada et d'un extrait de la réforme proposée montre bien les difficultés
générées par la fiducie en droit civil québécois. Pourtant si ces difficultés semblent
découler directement des textes observés qui ne spécifiaient pas qui détenait les
droits transportés en fiducie, il faut se rappeler que la présence du trust en droit civil
at large a longtemps appelé à la controverse.
Le trust considéré comme une institution purement anglaise, n'avait pas sa place en
droit civil. Déjà, en 1947, un auteur commençait son texte sur l'impossibilité de
constituer un trust en droit français par Once again ... notant l'aspect redondant du
questionnement qu'il voulait aborder189. Selon cet auteur, le trust devait être
condamné - ce sont ses mots — en droit civil. La nature de l'institution ne
concordait simplement pas avec celles du droit civil.
Le Trustee est titulaire de droits qui sont mélangés de propriété et d'administration d'un bien d'autrui; le cestui que trust, lui, occupe une position juridique qui participe en même temps de la créance et de la propriété : il y a là, qu'on le veuille ou non, un ensemble franchement inassimilable en droit français, puisque, le numerus
188 Brierley dans Caron et Brierley « The Trust in Quebec », supra note 132, à la p. 442.
H. Motulsky, « De l'impossibilité juridique d loi française » (1948) Revue critique D.l.P. 451.
189 H. Motulsky, « De l'impossibilité juridique de constituer un 'Trust' anglo-saxon sous l'empire de la
81
clausus s'oppose à la création conventionnelle d'un droit nouveau ayant le caractère hybrides qui sont ceux du Trust.190
On retrouve bien là des positions qui ont été articulées au Québec.
Sommairement ce qui était reproché au trust était simple : On ne pouvait
reconstruire dans un droit codifié le résultat d'un accident historique 1 9 1 qui
engendra la coexistence de deux droits différents, mais concomitants : le legal
ownership et le beneficial ownership. Il ne pouvait y avoir de trust sans Equity.
Pourtant plusieurs auteurs de doctrine défendirent la fiducie civiliste et plusieurs
pays l'ont aujourd'hui intégré à leur système de droit192. Il n'y a pas lieu ici de faire
un exposé de tous ces auteurs et systèmes de droit, ni encore de décider si une
manière de l'articuler est meilleure qu'une autre. Je me contenterai ici d'en nommer
quelques-uns que je connais mieux et qui me semblent pertinents193, puisqu'ils ne
peuvent que nous éclairer sur le choix actuel du législateur et la nature juridique qui
en découle194.
Retour sur Lepaulle d'abord. Un bref rappel, puisqu'il a fait partie de ce texte depuis
le début. Deux positions : la première, celle adoptée par le Code civil québécois
actuel, la fiducie comme patrimoine d'affectation, ce qui veut dire que les droits ont
deux manières d'être, ils peuvent être subjectifs ou affectés. Si cette position est
190/b/d. à la p. 464.
191
H. Battifol, « The Trust Problem as seen by a French Lawyer » (1951) 33 Journal of Comparative Legislation and International Law 18
192 Gretton dans « Trust without Equity », supra note 98.
193
Pour un expose plus approfondi, voir Becker, A question of Trust, supra note 13 qui fait une analyse comparée approfondie de plusieurs fiducies. Voir aussi à titre d'exemple, N. Malumian, Trusts in Latin America, Oxford, Oxford University Press 2009, ou encore M. Lupoi, Trusts: a Comparative Study, Cambridge, Cambridge University Press, 2001. 194 *
Voir a ce sujet, R. Sacco, La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, Paris, Éditions Économica, 1991.
82
celle adoptée par le législateur québécois aujourd'hui, il faut se rappeler qu'elle
n'existe pas ailleurs195 et surtout que Lepaulle l'a lui-même remise en question à la
fin de sa carrière, comprenant cette construction juridique comme difficile à manier.
Il se retourna alors vers la personne morale comme solution plus facile, « qui se
contente de prendre dans notre arsenal familier une vieille notion196 ».
À l'époque de Lepaulle, la question du trust restait un problème de droit
international privé, la France n'ayant aucune intention d'inclure le trust ou une
fiducie dans son droit positif197. Elle l'a pourtant fait aujourd'hui, et depuis tout
récemment, une fiducie fait partie de son droit codifié198. Ses modalités et sa forme
ont peu en commun avec ce que nous connaissons au Québec. Ses origines et son
histoire sont aussi tout autre199. La fiducie française est avant tout une opération
juridique, sous la forme d'un contrat, et surtout, elle n'est pas une libéralité200.
Située au livre III, Des différentes manières dont on acquiert la propriété, entre le
mandat et la transaction, on comprend à première lecture que nous sommes loin de
Lepaulle, peu importe sa solution. Ici, le fiduciaire - qui ne peut être qu'un initié201 -
est propriétaire, mais son droit est assorti d'une obligation découlant de sa mission.
195Sur la réception de la fiducie québécoise en Europe, voir M. Cantin Cumyn, « Reflections regarding the diversity of ways in which the trust has been received or adapted in civil law countries », dans L. Smith (dir.). Re-imagining the Trust, Trusts in Civil Law, Cambridge, Cambridge University Press, publication prévue en mars 2012, à la p. 6. Voir également Becker, A question of Trust, supra note 13 aux p. 48 et suiv.
196 P. Lepaulle, « La notion de trust et ses applications dans les divers systèmes juridiques », supra note 183, p. 205-207.
97 Voir par exemple les propos de H. Battifol, dans « The Trust Problem as seen by a French Lawyer », supra note 191.
198 Loi n°2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie.
199 Pour un bref aperçu, Cantin Cumyn "Reflections regarding the diversity of ways in which the trust has been received or adapted in civil law countries", supra note 195.
200Article 2013 Cc.
201 Article 2015 Cc.
83
Il gère le patrimoine fiduciaire (distinct du sien - mais nous sommes en mode
division, et non en mode affectation), et ce patrimoine est saisi des créances issues
de la conservation ou de la gestion de la fiducie. Par contre en cas d'insuffisance,
c'est le patrimoine du constituant qui forme le gage des créanciers bafoués202.
Bien que le patrimoine fiduciaire ne soit pas étanche, celui qui en détient les droits
est clairement le fiduciaire203. Sa propriété, qui une propriété avec charge204,
ressemble davantage à celle que l'on connaissait au Québec sous le Ce.B.C., cette
propriété fiduciaire qui a été dénigrée par la réforme, car dénaturant le droit civil.
Pourtant loin d'être étrangère au droit civil, cette propriété « affectée et
finalisée205 » ressemble davantage à une modalité de la propriété206, modalité que
connaît le droit civil pour comprendre les situations où justement le droit de
propriété est réaménagé, mais n'est pas atteint dans son essence207. En effet, le
fiduciaire ici a Tusus, \efructus et Tabusus des biens en fiducie, et c'est le patrimoine
fiduciaire qui est garant de ces droits et non son patrimoine personnel.
En Ecosse, la fiducie revêt une apparence semblable en accordant elle aussi au
fiduciaire le droit de propriété plein et entier dans les biens en fiducie. Et selon un
202Article2025C.c.
203Article2023C.c.
204Voir Emerich « La fiducie civiliste : modalité ou intermède de la propriété ? », supra note 63.
05 Y. Emerich, « Les fondements conceptuels de la fiducie française face au trust de la common law : entre droit des contrats et droit des biens », (2009) 1 Revue internationale de droit comparé 49.
06 lbid. Voir également Frenette, « La propriété fiduciaire », supra note 132 et S. Normand, dans S. Normand (dir.), « La notion de modalité de la propriété » dans Mélanges offerts au professeur François Frenette : études portant sur le droit patrimonial, Québec, P.U.L., 2006 à la p. 255.
07 Normand « La notion de modalité de la propriété », lbid. à la p. 261 : « La notion de modalité a été introduite pour qualifier des situations où la propriété connaît des modifications sans pour autant être atteinte dans son essence. Elle n'est qu'une propriété particulière qui, pour diverses raisons, transmet à son titulaire des pouvoirs dont l'exercice est réduit. »
84
auteur, malgré la charge qui pèse sur le fiduciaire, nul besoin pourtant de désigner
son droit de propriété de sui generis ou de fiduciaire :
(...) the Scots solution does not presuppose a kind of sui generis ownership. The trustee is the full, civil law owner, with usus, fructus and abusus. The beneficiary has only personal rights against the trustee - more precisely, against the trustee in his quality as trustee, since these rights are exigible only against the trust patrimony. There is nothing in this contrary to civilian thinking about property208.
Cette position est appuyée par d'autres209. Ce que l'on peut en tirer, c'est que le
fiduciaire détient un unique patrimoine divisé en deux, son patrimoine personnel et
celui de la fiducie210. Mais il a envers tous les biens qui composent ce patrimoine
double des droits et des obligations qui lui sont propres, des droits subjectifs. La
propriété reste donc entière et les droits en fiducie ne sont jamais suspendus.
V. La fiducie : une institution culturelle par nature
Je n'ai parlé que de la France et de l'Ecosse, j'aurais pu m'aventurer ailleurs. Cette
entreprise n'est pas nécessaire ici. Il suffit de dire quelque chose qui est d'une
évidence même : chaque culture juridique à sa propre histoire, sa propre
architecture, sa propre fiducie... Le trust vit les mêmes modulations dans les pays
d'origine anglo-saxons. Il n'y a pas de trust ou de fiducie dans l'absolu, simplement
des trusts, des fiducies contingentes211. La fiducie québécoise comme la fiducie
208 Smith « Trust and Patrimony », supra note 185 à la p. 351.
09 Voir les propos de Georges Gretton dans « Trust without Equity », supra note 98 et «Up there in the Begriffhimmel? », supra note 64.
2 1 0 Voir image tirée du texte de Gretton, « Trust without Equity », Ibid.
211 C'est le sous-entendu que l'on peut tirer du titre du texte de Gretton : il n'y pas de trust dans le ciel des idées... Gretton, «Up there in the Begriffhimmel? », supra note 64.
85
française ou la fiducie écossaise sont des artefacts dont il faut étudier les différentes
facettes en s'assurant d'en comprendre l'actualité, mais également l'historicité.
Au Québec aujourd'hui, il n'est plus question de propriété fiduciaire. Pourtant,
comme je viens de le démontrer, si la propriété fiduciaire est atypique, elle n'est
certainement pas aussi étrangère à l'organisation du droit privé civiliste que l'est la
notion de patrimoine d'affectation. Le droit de propriété connaît déjà certaines
modalités (pensons à la copropriété et à la propriété superficiaire, pour ne citer que
les modalités nommées) et rien n'empêche le législateur d'en créer de nouvelles. Il
est plus facile d'atténuer l'absolutisme d'un droit subjectif, d'en gérer les modalités
plutôt que de créer une nouvelle manière d'être en droit.
Mais la fiducie a fait défaut sous le Ce.B.C. et il fallait y remédier. Elle a fait défaut,
car le texte du Code n'était pas explicite212. Elle a fait également défaut, car la
source de l'institution - le trust anglo-saxon - était étrangère et par le fait même
créait une angoisse de la mixité qui était pour certains insurmontable213. La notion
de propriété se voyait dénaturée, tachée par cette idée que l'on juge aujourd'hui
simple métaphore214, la dualité du titre fiduciaire entre le trustee et le
bénéficiaire215. La propriété fiduciaire, fruit de l'interprétation officielle du texte
lacunaire, a donc été reçue comme un drame. Un mélodrame. Elle touchait à
Selon les mots du professeur Frenette : « le législateur n'a malheureusement pas défini la fiducie. Suivant une habitude fort détestable, qui équivaut à démission tout au moins partielle de responsabilité, il s'est contenté de décrire l'institution dans son fonctionnement externe » dans « La propriété fiduciaire », supra note 132 à la p. 729.
13 On a vu l'exemple de Motulsky, supra note 189. Sur la peur du métissage, voir S. Normand, « Un thème dominant de la pensée juridique traditionnelle au Québec: la sauvegarde de l'intégrité du droit civil » (1987) 32 R.D. McGill 559
14 À ce sujet voir l'introduction du professeur Smith dans Re-imagining the Trust. Trusts in Civil Law, supra note 195.
15Sur l'ouverture du droit québécois sur le droit anglais des trusts voir Brierley, « Regards sur le droit des biens dans le nouveau Code civil du Québec », supra note 54 à la p. 43.
86
l'intégrité du droit de propriété qui non seulement est en droit civil l'archétype du
droit subjectif, le propriétaire étant celui qui a la maîtrise la plus étendue sur l'objet
de son droit, mais également l'archétype du droit civil216. En modulant le droit de
propriété du fiduciaire, au lieu de voir la vitalité du droit civil, on y voyait sa perte. Le
droit civil avait été contaminé par la common law et sa notion de droit de propriété
dénaturée.
En réaction, le législateur a donc choisi de donner une nouvelle forme patrimoniale
à la fiducie 217. La propriété fiduciaire a complètement été écartée du Code civil au
profit d'une idée civiliste et novatrice qui en raison de sa modernité (n'oubliez pas
que la théorie du patrimoine d'affectation est appelée la théorie moderne du
patrimoine!), mais aussi, certainement en raison de son innovation, des droits sans
sujet de droit, ne connaissait à l'époque de son adoption ni beaucoup d'adeptes, ni
beaucoup d'adversaires.
La fiducie réformée - le patrimoine d'affectation - est une institution (au sens
courant, et non au sens de Faribault) à part entière qui a coupé les liens avec la
propriété et par le fait même, qui a coupé les liens avec son passe
216 Pour un bel exposé de la propriété comme archétype en droit civil, voir Normand, « La notion de modalité de la propriété », supra note 206 aux p. 256 et suiv.
17 Sur le poids traditionnel et symbolique de la notion de patrimoine voir Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property : Universalities, Interests and Other Heresies », supra note 37.
Voir Emerich « La fiducie civiliste : modalité ou intermède de la propriété ? », supra note 63 et Brierley, « Titre sixième. De certains patrimoines d'affectation. Les articles 1256-1298 », supra note 8 à la p. 748.
219 Voir Normand, « L'acculturation de la fiducie en droit civil québécois », supra note 3, selon qui la fiducie actuelle « coupe l'institution de son modèle et a pour conséquence de masquer l'historicité de la fiducie québécoise. En effet, elle occulte une partie de l'évolution de l'institution. L'idée de la propriété fiduciaire développée par la Cour suprême du Canada n'est dès lors qu'une parenthèse. (...) Le métissage est chose du passé. » Voir également sur le rapport avec le passé, voir Brierley, « The New Quebec Law of Trusts: The Adaptation of Common Law Thought to Civil Law Concepts », supra note 10 à la p 383.
87
Pourtant en choisissant le patrimoine d'affectation comme modèle pour la fiducie,
le législateur a-t-il réellement coupé tous les liens avec la propriété et le droit
subjectif? Est-ce possible de comprendre la fiducie actuelle sans avoir recours à son
histoire et à ses origines? Peut-on se limiter à la lecture du code et à son actualité?
Peut-on oublier la propriété fiduciaire et comprendre le patrimoine d'affectation
québécois? Le patrimoine d'affectation est-il réellement autonome et distinct ?
Une simple lecture des articles du Code civil du Bas Canada concernant la fiducie en
regard avec ceux du C.c.Q. permet de répondre sans crainte par la négative : ce que
le législateur a tenté de créer en 1994 ressemble étrangement à ce qu'il avait établi
en 1879. Il est vrai qu'aujourd'hui la fiducie à son propre titre et son propre régime,
il est vrai qu'aujourd'hui elle ne se limite pas à la donation et aux testaments221, il
est vrai également qu'on lui a ajouté le régime de l'administration du bien d'autrui,
mais il reste que la fiducie québécoise d'hier et celle d'aujourd'hui gardent plusieurs
points en commun : la fiducie est comprise comme la création d'une masse de biens
distincte dont le fiduciaire a la charge pour le bénéficie d'autrui.
En fait, je crois qu'il n'est pas faux d'admettre que si le législateur n'a pas défini la
fiducie dans le C.c.Q. et s'est au contraire arrêté aux droits et obligations des acteurs
fiduciaires comme l'a bien démontré la première partie, c'est parce qu'il a suivi la
forme de l'ancien texte et a répondu directement aux critiques et questionnements
qui avaient été soulevés sous l'ancien droit222. Pourquoi ne pas définir ce qu'est un
patrimoine d'affectation? Pourquoi simplement nous dire qu'aucun des acteurs n'a
20 Sur l'autonomie de la nouvelle fiducie voir Brierley, « Regards sur le droit des biens dans le nouveau Code civil du Québec », supra note 54, à la p.45.
221 Voir article 1262 C.c.Q.
22 II était en effet impossible à l'époque de « clarifier la position juridique des actants ou la nature même de l'institution.» Brierley « Regards sur le droit des biens dans le nouveau Code civil du Québec », supra note 54, à la p.44.
88
de droit réel? Comme le dit si bien le ministre, le but de l'article 1261 C.c.Q.
était de :
[... mettre] fin à la controverse doctrinale et jurisprudentielle quant au sort du droit de propriété des biens transférés en fiducie.
Il tranche le débat, en énonçant que les biens transférés constituent, pendant la
durée de la fiducie, un patrimoine d'affectation, autonome et distinct de celui du
constituant, du fiduciaire, du bénéficiaire et sur lequel aucun d'entre eux n'a de
droit réel223.
Il fallait trancher le débat, et ce quitte à en ouvrir un autre! L'article 1261 répond au
jugement du juge Beetz. L'article 1260, à celui du juge Rinfret. Chaque article du
nouveau code concernant la fiducie trouve sa source dans le C.C.B.C.224. Que ferait la
fiducie dans le livre des biens si ce n'est pas en réponse à son passé obscur? La
nouveauté - le patrimoine d'affectation - se voit occultée par le passé de la fiducie
qui hante toujours son régime.
Ce regard vers le passé alors que l'on prône la rupture, la nouveauté, la modernité
peut paraître étrange, pourtant il répond à un besoin bien juridique et bien civiliste
de constance et de sécurité sur lequel s'appuie l'autorité du droit225. En effet la
réforme d'un code civil se fait inévitablement dans les sillons de la tradition226. La
223 Commentaires du ministre, supra note 20, sous l'article 1261.
224 L'article 1265 C.c.Q. n'est-il pas une simple codification de l'arrêt Curran, supra note 148?
5 Pour une analyse en ce sens voir Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property : Universalities, Interests and Other Heresies », supra note 37.
26 Sur les notions de tradition, de transition, d'unicité, de continuité et de rupture voir A.-F. Bisson, « Nouveau Code civil et jalons pour l'interprétation : traditions et transitions » (1992) 23 R.D.U.S. 1
89
réforme d'un code n'est toujours qu'une simple reformulation227. Un code civil se
veut un outil impérissable : si changement il y a, il doit s'asseoir sur les concepts
fondamentaux qui animent le texte original, dans notre cas, le C.C.B.C. et plus
fondamentalement le droit subjectif.
Tout le problème de la rupture et de la continuité se joue donc dans cette nouvelle
conceptualisation de la fiducie. La fiducie patrimoine d'affectation est un étendard
de nouveauté, mais semble prise dans le paradigme inébranlable du passé228.
Voir les propos de J.-L. Baudouin dans « Réflexions sur le processus de recodifications du Code civil. » (1989) 30 C. de D. 817
28 Jean Carbonnier, dans un texte où justement se côtoient rupture et continuité, parle à ce sujet d'une « hypertrophie de la mémoire » dans Pierre Nora (dir.). Les lieux de la mémoire, vol. 1, « le Code civil » 1331, à la p. 1349.
Chapitre III : Rupture
Où l'impact de la fiducie sur l'architecture globale du Code civil du Québec sera enfin dévoilé
I. Mise en perspective
L'étude entreprise jusqu'à présent nous permet de conclure deux choses : d'abord
que la nature de la fiducie en droit civil actuel est incertaine : c'est un patrimoine
d'affectation soit, mais la nature des droits qui le constituent n'est pas claire;
ensuite que son passé est essentiel pour la comprendre malgré les différences
fondamentales qui habitent les deux institutions : la fiducie patrimoine d'affectation
se définit en réponse à la propriété fiduciaire. En fait, ces deux conclusions sont plus
intimement liées qu'il ne le semble à première vue : la nature incertaine de la fiducie
actuelle découle selon moi de cette impossibilité chronique de se de rompre avec
une tradition alors que nous essayons de construire quelque chose de nouveau.
Le législateur a, en effet et pour des raisons qui ont été exposées plus haut, choisi de
comprendre et de construire la fiducie selon un modèle foncièrement différent : le
patrimoine d'affectation. Mais bien que cette théorie du patrimoine remette en
question la nécessité d'un sujet de droit, et donc la notion même de droit subjectif,
il n'a pas essayé de repenser ces notions qui sont fondamentales à l'organisation du
code et des droits qui en découlent. Ainsi la fiducie et le patrimoine d'affectation
sont-ils compris et expliqués par le législateur et les commentateurs avec des
notions qui sont étrangères à l'idée même de patrimoine d'affectation, mais
familières aux juristes actuels.
Avant de conclure et d'essayer de jauger l'impact de l'insertion du patrimoine
d'affectation dans le Code civil du Québec, un retour sur l'appareil classique du droit
91
privé est nécessaire afin de mieux comprendre quel paradigme la fiducie ébranle et
surtout, s'il est possible pour le juriste de penser autrement.
II. Le paradigme
Un paradigme est un système de représentations, de valeurs, de normes qui influent
notre perception du monde229. En droit civil, le Code civil est un paradigme. Sa
forme héritée de Gaius, articulée autour de trois grands axes - personne, bien,
obligation - structure non seulement notre perception du droit, mais notre
perception du monde. Le code par sa forme et son contenu crée des habitudes de
pensée, des habitudes de langage230.
Ces trois grands axes, on l'a vu, ont été amalgamés en une notion doctrinale et
paradigmatique, qui est au cœur de cette analyse : le patrimoine231.
Le patrimoine est une notion étrange, récente, mythique et critiquée232. Elle a été
examinée jusqu'à présent dans ce texte dans le but de mieux comprendre ce qui est
entendu par patrimoine d'affectation. Mais la notion de patrimoine n'est pas
seulement essentielle pour comprendre ce qu'est la fiducie. La notion de patrimoine
englobe la théorie générale du droit civil : elle constitue une explication de la
La notion a été sacralisée par Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983.
Sur la forme du code et plus particulièrement la forme du livre 4, voir S. Normand, « Livre 4 - Des biens », Communication prononcée à un colloque sur le thème « Les livres du Code civil du Québec », Sherbrooke,: Université de Sherbrooke - Faculté de droit, 10-11 juin 2011.
Voir supra p. xxx, Pour une analyse explicite de la théorie du patrimoine comme paradigme voir le texte de P. Charbonneau, « Les patrimoines d'affection: vers un nouveau paradigme en droit québécois du patrimoine » (1982-1983) 85 R. du N. 491-530.
Voir Mevorach, « Le patrimoine », supra note 19. Voir également supra les notes 24 et 25.
92
structure du droit positif comme on l'entend encore spontanément aujourd'hui et
surtout, dans notre cas, comme elle a été codifiée233.
Le patrimoine est en effet un reflet de la structure inhérente du code : personne —
biens — obligations. Il est une manière d'illustrer que les biens d'une personne
forment une universalité, un ensemble de droits dans laquelle les biens répondent
des dettes, présentes et futures. La notion de patrimoine était, au départ, extérieure
au code. Elle n'était d'abord que doctrinale. Elle n'était pas une notion de droit
positif. Elle était une notion simplement heuristique234. Elle permettait de
comprendre la notion de gage commun des créanciers. Elle traduisait en une notion
l'aptitude d'une personne à avoir des droits et des obligations et ces droits et
obligations.
Ce que nous dit cette notion heuristique, c'est qu'il n'y a pas de droits, droits
patrimoniaux en l'occurrence, sans la présence d'un sujet de droit. Biens et
obligations en dépendent. Dire qu'une personne est titulaire d'un patrimoine, c'est
dire que tout sujet de droit peut s'approprier des choses, donc avoir des biens, et
qu'il doit répondre des actes qui portent sur ses biens, donc qu'il a, et peut avoir,
des obligations. Bref, ce que la notion illustre est simple : tout sujet de droit a
l'aptitude d'avoir des droits et obligations personnelles qui se répondent. Le
patrimoine est simplement le reflet économique de la personne235. En fait, il est le
reflet de la personnalité juridique.
Ceci peut sembler banal, mais expose quelque chose de fondamental : un droit est
une faculté subjective qui nécessite donc l'existence d'un sujet. Lorsque l'on parle
de droits, on parle de droits subjectifs et à chaque droit subjectif correspond une
"3Pour une analyse en ce sens voir : Cohet-Cordey, « Valeur explicative de la théorie du patrimoine en droit positif français », supra note 24.
234 Hiez, Étude critique de la notion de patrimoine en droit privé actuel, supra note 26, à la p. 10.
235 lbid. à la p. 826.
93
obligation subjective ou personnelle : « La personnalité juridique apparaît donc
comme l'aptitude à avoir et à disposer. Elle est aussi l'aptitude à s'obliger236. »
Le Code civil du Québec a pris ces notions très au sérieux. La forme du code en est le
premier indice237. Mais le législateur est allé plus loin. D'abord, il a inscrit la théorie
personnaliste du patrimoine à l'article 2 : toute personne, nous dit-il est titulaire
d'un patrimoine. Il faut donc une personne pour qu'il y ait patrimoine; ensuite, si on
regarde sa définition de l'obligation, aspect passif du droit subjectif et notion
fondamentale s'il y en a une, on découvre l'importance qu'il accorde à la subjectivité
des droits et à la nature personnelle des obligations :
1371. Il est de l'essence de 1371. It is of the essence of an l'obligation qu'il y ait des obligation that there be personnes entre qui elle persons between whom it existe, une prestation qui exists, a prestation which en soit l'objet et, s'agissant forms its object, and, in the d'une obligation découlant case of an obligation arising d'un acte juridique, une out of a juridical act, a cause cause qui en justifie which justifies its existence, l'existence.
L'obligation est donc par nature personnelle et non simplement patrimoniale. Ce
n'est donc pas un patrimoine que l'on engage, mais sa personne238. Le patrimoine
n'est qu'une extériorisation économique de la personne. Ainsi lorsque le législateur
36 F. Zénati-Castaing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit » (2006) RTD.Civ. 445.
1 7 II ne faut jamais oublier l'importance de la disposition préliminaire du Code civil du Québec:
Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.
38 Penser à l'origine du mot débiteur, qui vient de débiter qui veut dire découper et rappelle ce qui arrivait à un débiteur qui n'avait pas honoré ses dettes.
94
décrit le gage commun des créanciers - notion à l'origine de celle de patrimoine -
dans ces termes :
2644. Les biens du 2644. The property of a debtor is débiteur sont affectés à charged with the performance of l'exécution de ses n 's obligations and is the common obligations et constituent le Pled&e o f h is creditors. gage commun de ses créanciers.
Il faut faire attention, et bien comprendre que ce ne sont pas les biens qui sont
l'objet des droits de ses créanciers, mais le débiteur lui-même à travers ses biens :
ses biens sont affectés à l'exécution de ses obligations personnelles.
Ainsi comme l'explique si bien Fédérique Cohet-Cordey, dans « Valeur explicative de
la théorie du patrimoine en droit positif français » : « Ce ne sont pas les biens du
débiteur qui sont l'objet du droit des créanciers, ni le patrimoine en tant
qu'ensemble de biens, mais sa personne, à travers son patrimoine.239 »
Elle cite ensuite Konder Comparato qui pousse l'idée plus loin :
[...] de ce que le créancier ne peut désormais se satisfaire que sur le patrimoine du débiteur, il ne suit nullement que la personne du débiteur a cessé d'être le véritable objet de l'obligation. D'une part, toute action correspondant à un droit de créance est forcément dirigée contre la personne. Même si la contrainte directe contre le débiteur ne subsiste plus, après l'abolition de la prison pour dettes, il n'est pas moins vrai que la personne du débiteur reste toujours l'objet d'une contrainte indirecte. En matière d'obligations, il n'y a d'action qu'in personam. Toute poursuite a lieu à travers la personne du débiteur, et à tout jamais elle sera obligée de se réaliser à travers elle. D'autre part, le patrimoine n'est que le
239 Supra note 25.
95
prolongement ou l'accessoire de la personne du débiteur. Les valeurs qui le constituent ne sont nullement engagées indépendamment de celle-ci, mais en tant que choses lui
240 appartenant
La personne est donc centrale à tout l'appareil conceptuel de notre droit privé. Il n'y
pas de biens sans personne, puisqu'une chose ne devient un bien que si elle est
appropriée par une personne sujet de droit. Parallèlement, une obligation n'est pas
patrimoniale, elle est toujours personnelle : c'est sur la personne du débiteur que
retombe le droit du créancier, l'obligation est nécessairement personnelle241.
La théorie du patrimoine, simple théorie donc, mais illustratrice de la théorie
générale sur laquelle s'appuie aujourd'hui positivement une grande partie de notre
droit privé. En droit civil, le droit subjectif est roi. La personne est nécessaire.
III. La nouveauté
En regard, la notion de patrimoine d'affectation détonne. J'ai exposé sa nature plus
haut. Je l'ai exposée à travers la fiducie du Code, car c'est la seule itération que l'on
en a. En un mot, le patrimoine d'affectation est une masse de droits et d'obligations
à laquelle n'est rattaché aucun sujet de droit et qui tient sa cohésion non pas de la
personne dont émane le patrimoine, mais de l'affectation qui lui est imprimée. Cette
universalité est détenue par un administrateur qui en raison de ses pouvoirs et ses
devoirs s'assure que les droits y afférant ne soient pas paralysés.
40 lbid, citant F. Konder Comparato, Essai d'analyse dualiste de l'obligation en droit privé, thèse de doctorat, Paris, 1963, Dalloz, 1963, p. 8.
241 Je ne discuterai pas ici de l'obligation réelle.
96
La notion accepte l'idée, étrange, que des droits peuvent exister sans sujet de droit,
ce qui veut dire que les biens et les obligations qui forment un ensemble affecté ne
sont pas des droits et des obligations personnels ou subjectifs comme on l'entend
encore instinctivement, mais des biens et des obligations d'une tout autre nature.
Ce n'est pas donc pas la fiducie qui a une nature étrange, mais plutôt les droits qui la
composent. En effet, ce que la notion de patrimoine d'affectation redéfinit, ce sont
les notions fondamentales d'appropriation et d'obligations.
Le législateur semble avoir compris que la notion d'appropriation devait être
redéfinie, les articles 911 et 915 en sont les premiers indices242. Le titre sur
l'administration du bien d'autrui en est la consécration. La fiducie un exemple.
Pourtant, on l'a bien vu, bien que la fiducie soit un exemple de cette nouvelle
manière pour des biens d'exister, le législateur ne nous explique en rien comment le
tout fonctionne. Ce qu'il nous offre c'est un régime de droits subjectifs pour les
acteurs impliqués. En effet, jamais on ne nous dit ce qu'il advient d'un droit de
propriété qui a été transféré dans un patrimoine fiduciaire. Jamais on ne nous dit ce
qu'il advient d'un droit personnel transféré. On sait qu'ils sont là, « intacts », dans le
sens de « entier »243, que le fiduciaire peut exercer « les droits afférents au
patrimoine », que ces droits donc ne sont pas paralysés. Mais on ne connait pas ce
qu'est leur nature. Ce sont des droits patrimoniaux certes - ils font partie d'un
patrimoine et sont susceptibles d'évaluation pécuniaire - , mais puisqu'il manque un
sujet de droit, il n'est pas évident de les nommer ou de les classer selon les
catégories habituelles.
2 Voir supra p. 31. L'appropriation ne veut pas seulement dire le fait de s'approprier quelque chose dans son propre intérêt mais aussi d'affecter quelque chose à un but.
Supra note 119.
97
En fait, il semble que ce soit la notion même de droit qui doit être redéfinie244.
244 Le comité de rédaction du Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec lors de la rédaction du Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Les biens, supra, note 48, conscient du problème, a décidé d'ajouter une définition sous 'droit' pour exprimer cette nouveauté,:
DROIT n.m.
2. Prérogative juridique que le titulaire exerce dans son propre intérêt. Par ex., le droit de propriété, le droit de créance, le droit au respect de la vie privée. « (...) ce qui différencie les droits et les pouvoirs, c'est la finalité dans laquelle ils sont exercés : le titulaire de droits en a la jouissance dans son intérêt propre alors que le titulaire de pouvoirs doit agir dans l'intérêt d'un tiers » (Storck, Mécanisme de la représentation, no 176, p. 132). Exercice d'un droit; ouverture d'un droit.
Occ. Article 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 911, 1225, 1806, 2748 C.c.Q.
Rem. En ce sens, droit signifie le droit subjectif par opposition au droit objectif.
Syn. droit subjectif, jus2. V.a. abus de(s) droit(s), objet de droit, patrimoine, patrimoine d'affectation, personne.
Angl. jus2, rightl+, subjective right.
3. Prérogative juridique sans titulaire dont l'exercice est assumé par une personne habilitée à cette fin. Par ex., les droits afférents à un patrimoine fiduciaire.
Occ. Article 1278 C.c.Q.
Rem. Bien que sans titulaire, les droits compris dans un patrimoine d'affectation sont néanmoins susceptibles d'être exercés. Ainsi, par exemple, dans le cas du patrimoine d'une fiducie ou d'une fondation non personnifiée, le fiduciaire a sur eux la maîtrise et l'administration exclusive. Il est habilité à poser les actes nécessaires à l'exercice des droits compris dans ces patrimoines.
V.a. patrimoine, patrimoine d'affectation, pouvoir(s)l,2.
Angl. right2.
Cette nouvelle définition étonne/ détonne : admettre que les droits subjectifs ne sont plus les uniques avantages que les individus tirent du droit objectif, ce n'est pas un simple ajout, c'est remettre en question tout un appareil conceptuel finement manié par les juristes civilistes depuis des lustres! Dans une introduction au droit québécois, il faudrait donc, en accord avec cette nouvelle définition, exposer ce qu'est le Droit objectif, le droit subjectif et les droits sans sujet?
98
IV. La rupture
Lepaulle savait que l'idée de droit sans sujet de droit était étrange. Il a donc donné
une explication théorique à son choix : il a démontré que la notion de personnalité
et la notion de patrimoine n'avaient aucun lien nécessaire. Souvenons-nous de sa
définition dépersonnalisée de patrimoine : un ensemble de droits et de charges
appréciables en argent et formant une universalité de droit245. L'omission de la
personne titulaire du patrimoine n'est pas un simple oubli, elle permet de fonder sa
théorie sur une notion connue, le patrimoine, sans que celle-ci semble dénaturée :
pour Lepaulle, le patrimoine reste fondamentalement une universalité de droit.
L'effet est magique.
En fait, si on lit son texte de plus près, on réalise qu'il n'écarte pas complètement la
personne de son analyse. C'est plutôt que le sujet de droit n'est plus compris
comme un sujet qui agit toujours dans son propre intérêt. Il peut y avoir intérêt sans
volonté ou volonté sans intérêt. En scindant intérêt et volonté, ce que Lepaulle
redéfinit, c'est le rapport que l'on tient pour acquis entre l'exercice des droits et la
jouissance des droits.
Ce qui caractérise le sujet de droit, c'est l'intérêt qu'il y a lieu de protéger. La volonté n'intervient que dans la mise en œuvre, la réalisation du droit246.
L'exercice n'est donc pas fondamentalement lié à la jouissance. Rien de
révolutionnaire ici247.
245 Lepaulle, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international privé, supra note 14.
246 lbid. à la p. 35.
247 II suffit de penser à la notion de capacité juridique.
99
Pourtant en scindant intérêt et volonté, jouissance et exercice, Lepaulle va plus loin
que simplement exposer la possibilité que des intérêts personnels soient exercés et
protégés par un autre. En scindant intérêt et volonté, il a compris qu'il transformait
le « plan juridique » : si on accepte la théorie du patrimoine d'affectation, il faut
accepter que les droits aient deux manières d'être, ils sont soit subjectifs, soit
affectés248.
Ainsi, nous dit-il, le trust peut s'insérer, sans heurt et sans difficulté, dans notre système juridique dans lequel l'idée de sujet de droit a une place, sans doute importante, mais qui sans atteindre le fond des choses, n'est qu'une technique commode qui ne se justifie que dans la mesure de son utilité249.
Le sujet de droit, donc simple idée, simple technique juridique. La position est
audacieuse. Le théoricien peut tout se permettre. Le législateur est un peu moins
libre.
En effet, on l'a bien vu, le sujet de droit et le droit subjectif qui en découle sont
peut-être des techniques juridiques, mais elles semblent encore fondamentales. Le
législateur a eu du mal à s'en départir : il comprend toujours son patrimoine
d'affectation à l'image du patrimoine comme un ensemble de droits et
d'obligations, notions qu'il ne redéfinit pas et qu'il garde personnelles, subjectives.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier, le patrimoine, c'est aussi l'aptitude d'avoir ces
droits et obligations!
Ceci engendre plusieurs incohérences. Nous avons souligné la nature étrange du
droit du bénéficiaire et celle des créanciers issus des actes du fiduciaire. L'idée que
la fiducie, patrimoine autonome, soit débitrice a également été soulignée.
Lepaulle, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international privé, supra note 14, à la p. 50.
2 4 9 lbid.
100
Au fond, le désir de conserver la notion de propriété intacte était tellement grand
qu'il semble avoir aveuglé le législateur des conséquences théoriques et pratiques
de la dépersonnalisation des droits.
La doctrine québécoise a eu plusieurs réactions différentes pour expliquer les
incohérences engendrées. J'ai mentionné plus haut la personnalisation du
patrimoine d'affectation. Selon cette interprétation, le patrimoine d'affectation
serait un nouveau type de sujet de droit250. Ainsi le sujet de droit resterait maître. Le
droit subjectif, le paradigme dominant. Rien ne serait à redéfinir à part ce que l'on
entend par patrimoine d'affectation. Tous les rapports juridiques resteraient des
rapports entre sujets de droit, tous les rapports resteraient personnels. Les notions
de droits réels et de droits personnels n'auraient pas besoin de nouvelles
définitions. La notion de pouvoir pourrait également être comprise comme un droit
subjectif, le fiduciaire ayant une simple obligation envers la fiducie, comme un
mandataire envers son mandant. La fiducie serait un sujet de droit dépourvu de
personnalité au sens d'intérêt propre.
Cette réponse au patrimoine d'affectation est intéressante et d'une certaine
manière est celle qui s'insère le mieux dans la théorie générale actuelle. Elle garde
en effet intactes les notions fondamentales que sont le sujet de droit et son
corollaire doctrinal, le patrimoine. Elle garde intact la notion de droit subjectif et son
corollaire l'obligation personnelle. Avec la fiducie nouveau sujet de droit, la fiducie
devient une construction purement civiliste, s'éloignant complètement du trust,
mais également, et c'est ici que cette interprétation perd un peu de son attrait, du
patrimoine d'affectation tel qu'imaginé par Lepaulle et choisi par le législateur.
50 Cantin Cumyn , «La fiducie, un nouveau sujet de droit?», supra note 75. Elle exprimait déjà cette opinion dans Cantin Cumyn, L'administration du bien d'autrui, supra note 72, à la p. 121.. Voir dans le même sens J. Pineau, D. Burman et S. Gaudet, Théorie des obligations, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2001, à la p.7.
101
On retrouve dans la doctrine un autre type d'explication, qui semble prendre un peu
plus au sérieux le choix du législateur : la fiducie y est étudiée comme nouveau
régime créant un nouveau type de rapport juridique, aux côtés des droits personnels
ou réels. La fiducie créerait des intérêts juridiquement protégés 2 5 1.
La nature de ces intérêts n'est cependant jamais dévoilée par ces auteurs. La
distinction entre droit et intérêt n'est jamais abordée. Bref, bien que nommés
autrement, il n'est pas évident de comprendre exactement ce dont il s'agit.
Seraient-ce des droits patrimoniaux sans sujet? Ces auteurs croient-ils qu'il existe
aujourd'hui deux types de droits patrimoniaux : les droits subjectifs (droits réels et
droits personnels) et les droits affectés ou les droits sans sujet (intérêts
patrimoniaux juridiquement protégés)? Ce n'est pas clair.
L'intérêt est une notion assez floue en droit252. Peu définie ou indéfinissable comme
le soulignait Carbonnier253, certains ont tout de même tenté l'impossible et défini
l'intérêt comme « Ce qui importe ou bénéficie à une personne, à un groupe ou
encore à la société en général254». Large - selon cette définition, un intérêt n'est
pas forcément protégé par le droit - , cette définition permet d'y inclure aussi bien
les avantages, même potestatifs, découlant d'une fiducie pour un bénéficiaire que
251 Voir supra note 115. Les deux plus grands fervents de cette interprétation sont cependant Rod Macdonald et John Brierley. Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property : Universalities, Interests and Other Heresies », supra note 37 et Brierley, « Regards sur le droit des biens dans le nouveau Code civil du Québec », supra note 54, paragraphe 20.
52 Pour un bel aperçu voir, F. Ost, Entre droit et non-droit : l'intérêt, vol. 2, Droit et intérêt, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, 1990. Au Québec, Maurice Tancelin a très rapidement souligné la présence étrange de ce concept dans notre droit privé. Voir à ce sujet les propos de S. Normand « La propriété spatio-temporelle » (1987) 28 C. De D. 261, à p. 273, note 42 du texte.
« S'il est une notion à contenu variable qui postule une évaluation utilitaire, c'est la notion d'intérêt. Notion-clé, notion passe-partout de la législation moderne, elle se dérobe aux définitions. » J. Carbonnier, « Les notions à contenu variable dans le droit français de la famille », dans C. Perelman et R. Vander Elst (dir.). Les notions à contenu variable en droit, Bruxelles, Bruylant, 1984, 99, à la p. 103.
Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Les biens, supra, note 48.
102
l'intérêt de l'enfant inscrit à l'art. 33 C.c.Q.. Par contre, selon cette définition il n'est
pas évident de comprendre quelle forme juridique revêt l'intérêt patrimonial
juridiquement protégé, puisqu'il semble que l'on puisse l'assimiler autant à un droit
subjectif, qu'à un pouvoir ou même à un privilège, une immunité ou un avantage
pour reprendre les mots de l'article 1284 C.c.Q. et ne nommer que certaines
prérogatives, prérogatives qui, bien qu'elles méritent à être différenciées, sont
souvent soumises à « l'impérialisme du droit subjectif »255 et notre propos au sujet
des pouvoirs décrit plus haut.
En fait, certains auteurs estiment que dès qu'un intérêt est juridiquement protégé, il
devient un droit subjectif. Ceci découle de deux phénomènes : 1) de la logique
binaire couramment pratiquée en droit civil, logique d'inclusion et d'exclusion, qui
veut que ou bien « l'intérêt est reçu en droit, ou alors il n'est rien de juridiquement
pertinent256 ». Selon cette logique, l'intérêt est soit consacré sous forme d'un droit
subjectif reconnu et protégé, soit banni dans les limbes du non-droit. Il n'y a rien
entre les deux, il n'y rien d'autre d'imaginable. Soit, la prérogative ou l'avantage
répond au paradigme juridique dominant, le droit subjectif, soit, elle n'est pas
considérée; et 2) du fait que l'expression intérêt juridiquement protégé provient de
la théorie du droit subjectif élaborée par Ihering, auteur sur lequel Lepaulle base,
par ailleurs, sa propre théorie257. Ihering, qui élabore sa théorie du droit subjectif en
réponse à certaines théories juridiques, dont celle de Friedrich Karl de Savigny, qui
définissait le droit subjectif comme un simple pouvoir de volonté, assimile le droit
subjectif à une utilité, un avantage ou un intérêt protégé par une action en
55 Ce sont les mots de Ost, Entre droit et non-droit : l'intérêt, supra note 252 à la p. 31.
256 lbid. à la p. 9.
257 Supra p. 23.
103
justice258. Selon lui, c'est « l'utilité et non la volonté qui est la substance des
droits259 . » Le droit subjectif est selon Ihering jouissance, plutôt qu'exercice de
volonté, l'exercice pouvant être déléguée à un tiers.
Cette définition célèbre - les droits subjectifs sont des intérêts juridiquement
protégés - est donc sans aucun doute à la source de la notion utilisée par Brierley et
Macdonald pour décrire les avantages d'un bénéficiaire d'une fiducie ou simplement
le type de relation juridique qui existe entre les acteurs fiduciaires, mais bien que
reprenant la même dénomination, il semble que ces auteurs voulaient au contraire
opposer ou du moins distinguer droits subjectifs et intérêts juridiquement protégés,
puisqu'ils reconnaissent que la nature des droits du bénéficiaire ne se résume pas à
des droits subjectifs - ses droits ou avantages étant « à la fois moindre et plus
qu'une créance ordinaire260 ». Comme l'a si bien dit un de leur commentateur :
Il y a lieu de croire que la constitution d'un patrimoine d'affectation autonome transforme les droits subjectifs d'autrefois en "intérêts patrimoniaux juridiquement protégés" de facture originale -des feelings juridiques plutôt que des droits réels (art. 1261 C.c.Q.) à l'égard des biens du patrimoine fiduciaire261.
En effet, comme il a été noté plus haut, le bénéficiaire d'une fiducie ne peut être
titulaire d'un droit personnel à l'égard de la fiducie, puisque la fiducie patrimoine
d'affectation n'est pas une personne et donc qu'elle ne peut prendre part à un
rapport obligationnel. Le bénéficiaire, selon cette théorie, serait plutôt titulaire d'un
'8 Sur le débat Ihering - Savigny, voir Ghestin et Goubeaux, Traité de droit civil, Introduction générale, supra note 46 à la p. 140 et Ost, Entre droit et non-droit : l'intérêt, supra note 252. Le droit selon cette théorie, était assimilé à l'exercice du droit, plutôt qu'à sa jouissance.
259Cité par Ost, Entre droit et non-droit : l'intérêt, lbid., à la p. 24. 260
Ce sont les mots que Nicholas Kasirer utilise pour décrire la position de Brierley dans, « Lear et le droit civil » (2000-01) 46 R.D. McGill 293, à la p. 298 2 6 1 lbid.
104
intérêt juridiquement protégé dans ce patrimoine, intérêt susceptible d'être opposé
au fiduciaire es qualité.
Ainsi, selon ces auteurs, le droit ne protège plus simplement des droits subjectifs,
mais des intérêts dépersonnalisés. Lepaulle résonne. Pourtant ici, la question de la
volonté abordée par Lepaulle et Ihering, n'est pas abordée. Le débat intérêt-volonté
qui animait les auteurs à l'époque a été tronqué lors de la recodification par celui du
renouvellement des notions de bien et d'appropriation262. C'est également la
question qui semble avoir animé le législateur. Ce dernier, en effet, encore empreint
de la notion de propriété fiduciaire et des débats qu'elle a soulevés, s'est assuré que
la notion de propriété allait rester intacte dans le processus de réforme de la notion
de fiducie, il s'est assuré que le livre des biens soit cohérent et permette que le
patrimoine d'affectation y trouve une place. Par contre, il ne semble pas avoir
réalisé qu'en reconnaissant la possibilité de droits sans sujet de droit, donc la
possibilité de droits dépersonnalisés soumis aux pouvoirs et devoirs d'un
administrateur tiers, que le lien personnel entre débiteur et créancier allait être
rompu, et donc que la notion d'obligation allait en sortir entachée.
En effet, si la notion de biens est sortie revigorée de la refonte, celle d'obligation
s'est vue obscurcie. Une obligation ne peut plus être comprise uniquement comme
un droit personnel, donc un lien entre un débiteur et un créancier : avec le
patrimoine d'affectation, une masse de biens devient débitrice. Un patrimoine n'est
plus simplement l'objet de l'obligation, mais le sujet de l'obligation263. Sujet et objet
'2 Sur cette question, voir supra, p. 29-34. C'est ce que l'on peut déduire des textes suivants : Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property : Universalities, Interests and Other Heresies », supra note 37 et Brierley, « Regards sur le droit des biens dans le nouveau Code civil du Québec », supra note 54.
53 Voir à titre d'exemple ce jugement de la cour supérieure : Droit de la famille — 071938, 2007 QCCS 3792 :
[81] En l'espèce, par la volonté unanime et implicite de Madame et Monsieur, un contrat non-écrit est intervenu entre la fiducie familiale, d'une part et les
105
ne font plus qu'un. Des droits ou des universalités de droits peuvent avoir des droits
et des obligations.
parents, d'autre part, conférant à ces derniers un droit d'usage de la résidence familiale, (...)
[82] Soulignons que les parents, l'un comme l'autre, sont devenus créanciers de tel droit d'usage, et que c'est la fiducie familiale qui en est devenue débitrice.
(...)
[114] (...) l'ancienne résidence familiale appartient à la fiducie familiale.
106
V. La révolution
On ne crée pas, de façon aussi sommaire, une révolution aussi profonde264.
Maurice Tancelin dans la dernière édition de son ouvrage sur les obligations, ne
cesse de répéter cette formule du juge Rinfret. C'est même la première phrase que
l'on peut lire quand on ouvre son ouvrage265. L'auteur est en effet fasciné par la
révolution qui a eu lieu lors de la dernière codification : selon lui, le droit du Québec
n'est plus civil, mais mixte266, et, au coeur de cette révolution, il y a, entre autres, et
nécessairement, la fiducie. Il rappelle que les changements apportés au livre des
biens ont un impact certain sur les autres livres du Code267 et ne peut s'empêcher
d'étudier la fiducie bien que son livre porte essentiellement sur les obligations. C'est
que la fiducie telle que codifiée ne répond à aucune notion connue et reconnue par
le droit civil classique. Elle bouscule les notions de droit réel et de droit personnel268.
Pis encore, elle importe avec elle cette institution étrange, l'administration du bien
d'autrui.
2MLaliberté c. Larue [1931] R.C.S. 7, à la p. 16
'5 C'est en effet la première citation en épigraphe de son ouvrage. Tancelin, Des obligations, supra note 56 à la p. IX.
266 Déjà en 1980' cette idée chatouillait le professeur Tancelin, « Introduction: Comment un droit peut-il être mixte?", dans Frederick Parker Walton, Le domaine et l'interprétation du Code civil du Bas-Canada, traduit par Maurice Tancelin, Toronto, Butterworths, 1980, 1. Mais ce n'est qu'à la dernière édition de son ouvrage sur les obligations que l'idée devint maîtresse. Voir à ce sujet la recension de Robert Leckey, « Maurice Tancelin, Des obligations en droit mixte du Québec, 7th ed. (Montreal: Wilson & Lafleur, 2009) », (2009) Uniform Law Review 1061.
267Tancelin, Des obligations, supra note 56
268 En effet selon lui : « La refonte de 1991 aggrave encore l'incertitude en généralisant la figure dominante de la fiducie, placée en dehors de la distinction [droit réel et droits personnels] comme hors catégorie. », lbid., à la p. 11.
107
L'institution a été manifestement créée de toutes pièces pour essayer de répondre à une objection d'un juge à la Cour suprême [le juge Rinfret] contre l'introduction de la fiducie en droit mixte du Québec, il y a trois quarts de siècle. L'administration du bien d'autrui est un mécanisme (machinery) destiné à faire fonctionner la fiducie269.
Il n'étudie pas ce mécanisme, mais analyse l'impact de la fiducie sur la notion de
débiteur et celle de gage commun des créanciers270. Sa conclusion : « la
généralisation de la fiducie par la refonte de 1991 est un geste d'assimilation du
droit civil à la common law [...]271 » et cette assimilation participe à « la perte de
sens du mot débiteur »272.
Son discours, souvent alarmant, voir alarmiste273, et clairement empreint d'un
certain purisme, révèle pourtant une vérité : en introduisant la fiducie et son
mécanisme, l'administration du bien d'autrui dans le nouveau Code, le législateur a
créé une révolution, et ce, de façon sommaire.
Certes, le législateur n'a pas été aussi bref que dans le cas étudié par le juge Rinfret
où il s'agissait de déterminer si l'utilisation de l'expression « trust deed » dans une
loi particulière (un statut) avait pour effet de créer un trust en droit civil274; mais,
269 lbid. à la p. 44.
270 lbid. à la p. 417.
2 7 1 II parle même d'une crise constitutionnelle, lbid.
272 lbid. à la p. 419.
273 « Ce n'est pas de la codification », para 1261!
74 Voici la problématique tel que décrite par le juge Rinfret, supra note 264,à la p. 16.
Le statut dit que l'hypothèque, le nantissement ou le gage "peuvent être constitués" par "acte de fidéicommis" et la version anglaise s'exprime: "by trust deed". Il est à peine besoin d'insister pour démontrer que c'est seulement un nom ou une étiquette que l'on donne au contrat. Le "trust", sauf dans la forme restreinte où on le trouve au chapitre de la fiducie (Code civil, livre troisième,
108
comme je crois l'avoir démontré, bien qu'il ait introduit deux titres complets dans le
Code, le législateur est resté bref et imprécis, et il a certainement créé une
révolution, ou pour suivre encore Tancelin, une monstruosité275.
Cette monstruosité est inscrite aux articles 911 et 915 : on peut à l'égard d'un droit
patrimonial, être soit titulaire, soit administrateur. Un bien peut être approprié ou
affecté. Ceci change la définition de bien, mais également et inévitablement celle
d'obligation276 et donc inévitablement celle de droit277.
Modifier la définition de droit patrimonial change en effet inévitablement la
définition de ce que l'on entend par obligation. Ainsi avec la fiducie et les nouveaux
rapports juridiques qu'elle engendre, la conséquence inévitable est simple : une
obligation ne peut plus être un lien de droit entre deux personnes, sujets de droit,
mais un lien de droit entre deux patrimoines.
La notion d'obligation devient ainsi une notion purement économique et objective,
dépersonnalisée à l'image des droits sans titulaire issus de la fiducie.
titre deuxièmes, chapitre IVa), n'a jamais existé dans le système légal de la province de Québec, qui ne comprend d'ailleurs aucun mécanisme (machinery) pour le faire fonctionner. Il serait inconcevable que le législateur, par l'usage, non pas même du mot "trust", mais de l'appellation "trust deed", eût voulu introduire d'un seul coup le "trust" anglais avec sa complexité et ses multiples aspects si foncièrement étrangers à l'économie du droit de Québec. On ne crée pas, de façon aussi sommaire, une révolution aussi profonde.
S'il commence son livre avec la citation de Rinfret et la révolution fiduciaire, Tancelin le termine encore sur l'angoisse de la mixité : « Le sommeil de la raison engendre des monstres » Francisco Goya. Tancelin, Des obligations, supra note 56 à la p. 1034.
76 À ce sujet consulter par ex. Reiter, « Rethinking Civil-Law Taxonomy : Persons, Things and the Problem of Domat's Monster » supra note 2 et Cohet-Cordey, « Valeur explicative de la théorie du patrimoine en droit positif français », supra note 22, plus particulièrement à la p 828.
277 Voir supra note 244.
109
L'idée de la dépersonnalisation de l'obligation n'est pas nouvelle : la thèse avait par
exemple été exposée par Eugène Gaudemet dans son Étude sur le transport de
dettes à titre particulier en 1898278. Selon ce dernier, si
À l'origine, c'est la personne qui doit à la personne; aujourd'hui c'est le patrimoine qui doit au patrimoine. Le droit personnel n'est plus un droit sur la personne, c'est un droit sur les biens : jus ad rem. Sa seule différence avec le droit réel est qu'il ne frappe pas privativement une chose déterminée, mais collectivement un patrimoine entier. Le débiteur et le créancier ne sont plus que des représentants juridiques de leurs biens. La notion d'obligation est devenue une notion économique et purement objective. (...) Ce que l'on considère dans la créance, c'est sa valeur. La personnalité du créancier et du débiteur importent peu.279.
En comprenant l'obligation du point vue de sa valeur et non plus comme un lien de
droit entre débiteur et créancier, l'obligation est comprise comme un simple bien,
mais surtout, comme n'ayant plus de lien nécessaire avec son titulaire. La personne
n'est plus essentielle et, avec elle, la notion de patrimoine découlant de la théorie
personnaliste encore centrale dans notre compréhension du droit, tombe.
Les biens, comme je l'ai expliqué plus haut, sortent élargis de ces nouvelles
constructions : un bien est un droit qui, susceptible d'évaluation pécuniaire, fait
partie d'un patrimoine personnel ou d'un patrimoine d'affectation. Il n'a plus besoin
de titulaire qui en a la jouissance dans son propre intérêt : un administrateur, qui en
a la maîtrise et exerce ses pouvoirs en accord avec la mission inscrite dans
l'affectation, suffit. Un droit n'est plus essentiellement subjectif. Il peut être affecté.
Le cœur de la notion de droit n'est plus la personne qui en jouit et qui l'exerce.
278
E. Gaudemet, Etude sur le transport des dettes à titre particulier, Paris, LNDJ, 1898.
279 lbid. aux p.p.30-31
110
Avec la disparition de la personne, l'idée de droit, personnel ou réel, semble réduite
à la notion de valeur280, ou d'intérêts patrimoniaux juridiquement protégés pour
reprendre l'idée étudiée plus haut, qui mérite selon la situation juridique, une
protection juridique ou non281.
Aussi si la notion de bien, d'obligation et finalement de droit change avec
l'introduction du patrimoine d'affectation dans l'architecture du code, c'est aussi la
notion de personne, sujet de droit, qui est remise en question. Il n'est plus suffisant
de la comprendre comme un « Être ou entité considéré comme ayant la capacité
d'être titulaire de droits subjectifs », donc comme étant la source du droit subjectif,
il faut aujourd'hui le comprendre plutôt comme un « Être ou entité envisagée selon
la fonction ou le rôle juridique qu'il joue dans un rapport de droit282. »
Doit-on parler de révolution, de monstruosité? Peut-être ces termes sont-ils trop
forts. Mais une chose est sûre, avec l'introduction de la fiducie actuelle, la trilogie
personne, bien et obligation héritée de Gaius, sur laquelle repose encore notre code
semble presque périmée. Toutes ces notions doivent être redéfinies et leur
agencement repensé. Ainsi peut-être aurons-nous les moyens de mieux comprendre
cette idée de patrimoine d'affectation et de droit sans sujet.
80 Sur cette idée voir par ex., Emerich, La propriété des créances, supra note 54 à lap. 88.
281
On reconnaît ici certaines idées véhiculées par P. Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, Paris, 1963. 282
Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Les biens, supra, note 46, sous « sujet de droit »
Conclusion
L'introduction de la fiducie dans le droit privé québécois est l'histoire d'une grande
saga. Lors de la première codification, on l'a d'abord oubliée. Ensuite elle a eu droit
à une loi, puis à une petite place dans le Ce.B.C. Les controverses engendrées ne
sont pas restées lettre morte et lors de la refonte, ce sont tout un titre et une
nouvelle assise auxquels elle a eu droit.
Cette nouvelle assise se voulait strictement civiliste. On voulait à travers le
patrimoine d'affectation créer un régime qui serait indépendant de celui du trust -
son inspiration. Bien que son origine anglo-saxonne ne soit pas niée, il semblait y
avoir un désir de comprendre la fiducie non pas comme l'objet d'un métissage, mais
comme la création purement civiliste. La notion de patrimoine en raison de sa
charge symbolique devait sembler fort inspirante.
Mais le choix du patrimoine d'affectation n'était pas évident. Cette théorie est en
effet quelque peu étrange et comme mon étude l'a démontré, jure avec la théorie
dominante selon laquelle le sujet de droit est à la fois la fin et le moyen du droit
objectif. Accepter que le droit crée et protège des intérêts ou des droits sans sujet
demande non seulement que le législateur reconnaisse l'existence de nouveaux
droits patrimoniaux, mais également l'existence du penchant passif de ces droits,
une obligation strictement patrimoniale.
On a senti et même perçu que le législateur éprouvait parfois des hésitations dans
l'établissement de cette théorie parallèle. L'article 2 C.c.Q. est le premier symptôme
de la précarité de la nouvelle assise qu'il a tentée de donner à la fiducie : pour
introduire le patrimoine d'affectation, il n'a pas trouvé un autre moyen que de
consacrer la théorie du patrimoine. En le faisant, une première ambiguïté naissait
pourtant spontanément : l'indistinction entre division et affectation. Cette
112
ambigùité se retrouve ailleurs dans le code et de manière encore précise dans les
commentaires du ministre. L'affectation est tellement étrangère au paradigme
dominant qu'elle se voit comprise plutôt comme une sorte de division plus étanche.
Le législateur a pourtant fait des efforts. Le livre 4, Des biens, qui gère les rapports
entre la personne et le bien se voit scindé en deux grands moments : l'exercice de
droit et l'exercice de pouvoirs. Les articles 911 et 915 C.c.Q. sont en effet magiques :
un bien a simplement besoin d'un administrateur pour être reconnu comme tel.
Mieux encore, il n'a pas besoin d'un titulaire, il peut simplement être affecté,
approprié à un but.
Cette redéfinition du bien, de la notion de droit patrimonial, démontre que le
législateur comprenait l'importance de la modification qu'il apportait et les auteurs
ont eu raison d'y voir les symptômes d'une ouverture.
Les titres 6 et 7 sont pourtant moins heureux. D'abord pourquoi avoir nommé le
titre sur la fiducie, De certains patrimoines d'affectation? Pourquoi avoir donné
l'impression qu'il pourrait y en avoir d'autres? Pour qu'un patrimoine d'affectation
puisse être conceptualisable dans le régime général de droit privé, il faut en effet
qu'il soit prévu par la loi (article 2 C.c.Q.). Or la fiducie est le seul patrimoine
d'affectation prévu par le code. Le titre, se voulant, on imagine, un autre élan
d'ouverture, porte pourtant à confusion et a engendré des jugements comme celui
nommé en introduction où la cour d'appel n'a aucune angoisse de catégoriser les
biens d'une société comme un patrimoine d'affectation, comme un patrimoine sans
titulaire283.
Mais le malaise engendré par le titre 6 ne se limite pas à son titre. Si on pensait y
retrouver un régime parallèle au droit subjectif dans lequel la nature de ses
nouveaux biens sans titulaire serait définie ou au moins esquissée, il faut s'attendre
83 Ferme CGR enr., s.e.n.c. (Syndic de), supra note 1.
113
à une déception. D'abord, on y définit la fiducie de manière négative : elle
n'engendre pas de droit réel. Ensuite, ce sont simplement les droits subjectifs des
acteurs fiduciaires qui y sont couchés. Pis encore, s'il est clair par exemple que le
droit du bénéficiaire est un droit patrimonial (il peut en disposer, art. 1285 C.c.Q.),
on ne peut à la lecture seule du code en comprendre la nature.
Le titre suivant - l'administration du bien d'autrui - est tout aussi décevant. Ce titre,
au départ compris comme la mise en place, voire la consécration de la notion de
pouvoir dans un régime général censé pouvoir s'appliquer à toutes les situations où
une personne administre les biens d'une autre, ne jette aucun éclairage sur la
problématique soulevée. Par ailleurs, le titre lui-même engendre une confusion :
comment la fiducie peut être en effet soumise à un tel régime? L'idée maîtresse de
la fiducie patrimoine d'affectation est son caractère impersonnel. Elle est tout sauf
un sujet de droit, une personne. Textuellement, elle ne peut donc être « autrui ». On
sait pourtant que le régime s'applique. L'article 1278 C.c.Q. le dit et le régime lui-
même ne se gêne pas pour invoquer ou plutôt pour amalgamer patrimoine
fiduciaire et bénéficiaire d'une administration. Le législateur personnifie donc la
fiducie. Il le fait malgré lui en la nommant autrui, mais aussi en lui imposant des
obligations (voir par ex. article 1322 C.c.Q.), obligations qu'il ne redéfinit pas et qu'il
nomme personnelle (art 1371 C.c.Q.).
Cette personnification de la fiducie transparaît également au travers de la notion de
pouvoir. Signe de nouveauté au départ, elle devient avec la fiducie personnalisée en
autrui, une simple obligation imposée par la loi à l'administrateur envers le
bénéficiaire du pouvoir - la fiducie - qui est son créancier.
L'interprète en quête de cohérence ne peut que se sentir lésé. Qu'est-ce donc que
cette fiducie? Qu'est-ce donc que ce patrimoine d'affectation?
La personnification de la fiducie en un nouveau type de sujet n'est pas la solution. La
raison est simple, le législateur avec l'introduction du patrimoine d'affectation a
sciemment choisi de ne pas personnifier la fiducie, son choix juridique à ce sujet
114
était clair. Ses faux pas textuels sont simplement de mauvais plis dont il n'a pas
réussi à se débarrasser.
Mais que reste-t-il pour essayer de comprendre la nature et le régime créé et
surtout son impact sur le reste du code? L'impasse dans laquelle je me trouve
implique-t-elle que le patrimoine d'affectation n'a pas sa place dans l'architecture
actuelle du Code civil du Québec? Est-ce que l'idée de droit sans sujet de droit est
vouée à l'échec dans l'état actuel de notre droit?
Pour qu'il y ait des droits sans sujet de droit dans notre droit privé, il faut établir un
régime complet établissant non seulement qui les détiendrait, comment, mais
surtout ce qu'ils sont.
Si ce sont des biens, donc des droits patrimoniaux comme semble le dire le code,
biens détenus par un fiduciaire administrateur qui a des pouvoirs et des devoirs à
leur égard, il faut expliciter la rupture qui a lieu entre les actes du fiduciaire et son
propre patrimoine. Il faut expliciter que ce sont les biens de la fiducie non
personnifiée à qui incombe les obligations découlant de la mission qui lui est
imprimée. Il faut expliciter la dépersonnalisation de l'obligation et la remise en
cause du gage commun des créanciers.
C'est une nouvelle théorie générale qui englobe droit subjectif et droit affecté qui
est demandée ici.
Lepaulle l'avait compris. Pour que ça fonctionne, il fallait accepter l'existence de
droit dépourvu de volonté. Mais bizarrement, il semble que le législateur
consciemment ou inconsciemment, a transformé les intérêts dépersonnalisés de
Lepaulle en nouveaux droits patrimoniaux, en nouveaux biens. En le faisant, il a
écarté la possibilité que le plan juridique soit double. Tout restait compris en terme
connu, le droit subjectif. C'est la raison pour laquelle tout reste incertain.
La fiducie continue à être une énigme et peut-être est-ce cela qui en fait son intérêt.
Dans mon étude, j'ai voulu la comprendre à sa face même, je suis alors tombée dans
115
une impasse. Je me suis retournée vers son passé, qui bien qu'expliquant le choix du
législateur, ne pouvait en rien en expliquer la nature actuelle. Finalement, j'ai dû me
rabattre sur de grands principes, le patrimoine et le droit subjectif pour comprendre
que ce qui fait sa spécificité et surtout son originalité : elle n'a rien à voir avec le
patrimoine et le droit subjectif, son organisation est ailleurs. Elle redéfinit la notion
de bien, soit. Mais ceci implique une redéfinition de la notion d'obligation et
également une redéfinition de la notion de personne. Pour insérer sans heurt la
fiducie patrimoine d'affectation, il faut donc accepter qu'il y ait plusieurs manières
d'être en droit. Malgré l'insertion du patrimoine d'affectation en droit civil
québécois, je ne suis pas certaine que nous sommes rendus là.
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Annexe — La fiducie sous le C.C.B.C. suite à la refonte de 1888.
981a. Toute personne capable de disposer librement de ses biens, peut transporter des propriétés mobilières ou immobilières à des fiduciaires, par donation ou par testament, pour le bénéfice des personnes en faveur de qui elle peut faire valablement des donations ou des legs.
981b. Les fiduciaires, aux fins de la fiducie, sont saisis, comme dépositaires et administrateurs, pour le bénéfice des donataires ou légataires, des propriétés mobilières ou immobilières à eux transportées en fiducie, et peuvent en revendiquer la possession, même contre les donataires ou légataires pour le bénéfice desquels la fiducie a été créée.
Cette saisie ne dure que le temps stipulé pour la durée de la fiducie; et aussi longtemps qu'elle dure, les fiduciaires peuvent poursuivre et être poursuivis, et prendre tous procédés judiciaires pour les affaires de la fiducie.
981a. All persons capable of disposing freely of their property may convey property, moveable or immoveable, to trustees by gift or by wil l , for the benefit of any persons in whose favor they can validly make gifts or legacies.
981b. Trustees, for the purposes of their trust, are seized as depositaries and administrators for the benefit of the donees or legatees of the property, moveable or immoveable, conveyed to them in trust, and may claim possession of it, even against the donees or legatees for whose benefit the trust was created.
This seizin lasts only for the time stipulated for the duration of the trust; and while it lasts, the trustees may sue and be sued and take all judicial proceedings for the affairs of the trust.
981c. Le donateur ou le testateur créant la fiducie, peut pourvoir au remplacement des fiduciaires aussi longtemps que dure la fiducie, dans le cas de refus d'accepter, de mort ou d'autre
981c. The donor or testator creating the trust may provide for the replacing of trustees as long as the trust lasts, in case of refusal to accept, of death, or other cause of vacancy, and indicate the mode to
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cause de vacance, et indiquer le mode de remplacement. Lorsqu'il est impossible de les remplacer, d'après les conditions du document créant la fiducie, ou lorsqu'on n'a pas pourvu au remplacement, tout juge de la cour supérieure peut nommer des fiduciaires pour les remplacer, après avis donné aux parties bénéficiaires.
be followed.
When it is impossible to replace them under the terms of the document creating the trust, or when the replacement is not provided for, any judge of the Superior Court may appoint replacing trustees, after notice to the benefited parties.
981d. Les fiduciaires dissipant ou gaspillant la propriété de la fiducie, ou refusant ou négligeant de mettre à exécution les dispositions du document créant la fiducie, ou manquant à leurs devoirs, peuvent être démis par la cour supérieure.
981d. Trustees dissipating or wasting the property of the trust, or refusing or neglecting to carry out the provisions of the document creating the trust, or infringing their duties, may be removed by the Superior Court.
981e. Les pouvoirs d'un 981e. The powers of a trustee do fiduciaire ne passent pas à ses not pass to his heirs or other héritiers ou autres successeurs; successors, but the latter are bound mais ces derniers sont tenus de to render an account of his rendre compte de sa gestion. administration.
981f. Lorsqu'il y a plusieurs 981f. When there are several fiduciaires, la majorité peut agir, trustees, the majority may act, sauf le cas où il est autrement unless it be otherwise provided in pourvu dans le document créant the document creating the trust, la fiducie.
981g. Les fiduciaires agissent gratuitement, à moins qu'il n'ait été pourvu autrement dans le document créant la fiducie. Toutes dépenses encourues par les fiduciaires dans l'accomplissement de leurs devoirs, sont à la charge de la fiducie.
981g. Trustees act gratuitously, unless it be otherwise provided in the document creating the trust.
All expenses incurred by trustees, in the fulfilment of their duties, are borne by the trust.
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981h. Les fiduciaires sont tenus d'exécuter la fiducie qu'ils ont acceptée, à moins qu'ils ne soient autorisés à renoncer, par un juge de la cour supérieure, et ils sont responsables des dommages résultant de leur négligence à l'exécuter lorsqu'ils ne sont pas autorisés à renoncer.
981h. Trustees are obliged to execute the trust which they have accepted, unless they be authorized by a judge of the Superior Court to renounce; and they are liable for damages resulting from their neglect to execute it, when not so authorized.
981i. Les fiduciaires ne sont pas personnellement responsables envers les tiers avec qui ils contractent.
981j. Les fiduciaires, sans l'intervention des parties bénéficiaires, gèrent la propriété qui leur est confiée et en disposent, placent les sommes d'argent qui ne sont pas payables aux parties bénéficiaires et changent, modifient et transposent, de temps à autre, les placements, et exécutent la fiducie, conformément aux dispositions et conditions du document créant la fiducie. A défaut d'instructions, les fiduciaires font les placements, sans l'intervention des parties bénéficiaires, conformément aux dispositions de l'article 981o.
981i. Trustees are not personally liable to third parties with whom they contract.
981j. The trustees, without the intervention of the parties benefited, administer the property vested in them and dispose of it, invest moneys which are not payable to the parties benefited, and alter, vary and transpose, f rom t ime to t ime, the investments, in accordance with the provisions and terms of the document creating the trust.
In default of instructions, the trustees make investments without the intervention of the parties benefited, in accordance with the provisions of article 9810.
981k. Les fiduciaires sont tenus d'employer, dans la gestion de la fiducie, une habileté convenable et d'agir en bon père de famille, mais ils ne sont pas responsables de la dépréciation ou de la perte dans les placements faits conformément aux dispositions
981k. Trustees are bound to exercise, in administering the trust, reasonable skill and the care of prudent administrators; but they are not liable for depreciation or loss in investments made according to the provisions of the document creating the trust, or of the law, or for loss on
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du document créant la fiducie ou deposits made in chartered banks or de la loi, ou de la perte sur les savings banks, unless there has been dépôts faits dans les banques ou bad faith on their part in making banques d'épargne constituées en such investments or deposits, corporation, à moins qu'il y ait eu mauvaise foi de leur part en faisant ces placements ou dépôts.
9811. A l'expiration de la fiducie, les fiduciaires doivent rendre compte, et délivrer toutes les sommes d'argent et toutes les valeurs entre leurs mains, aux parties y ayant droit en vertu des dispositions du document créant la fiducie ou en vertu de la loi. Ils doivent aussi exécuter les transports, cessions ou autres contrats nécessaires pour transférer la propriété tenue en fiducie aux parties y ayant droit.
9811. At the termination of the trust, the trustees must render an account, and deliver over all moneys and securities in their hands to the parties entitled thereto under the provisions of the document creating the trust, or entitled thereto by law.
They must also execute all transfers, conveyances, or other deeds necessary to vest the property held for the trust in the parties entitled thereto.
981m. Les fiduciaires sont tenus conjointement et solidairement de rendre un seul et même compte, à moins que le donateur ou le testateur qui a créé la fiducie n'ait divisé leurs fonctions, et que chacun d'eux ne se soit renfermé dans celles qui lui sont attribuées. Ils sont aussi conjointement et solidairement responsables de la propriété qui leur est confiée en leur capacité conjointe, et du paiement de toute balance en mains, ou des gaspillages ou pertes causées par des placements erronés, sauf le cas où ils sont autorisés à agir séparément; et alors ceux qui ont agi séparément et se sont
981m. Trustees are jointly and severally bound to render one and the same account, unless the donor or testator who created the trust has divided their functions, and each has kept within the scope assigned to him.
They are also jointly and severally responsible for the property vested in them, in their joint capacity, and for the payment of any balance in hand, or for any waste or for any loss arising from wrongful investments, saving where they are authorized to act separately, in which case those having acted separately, within the scope assigned to them, are alone liable for such separate administration.
renfermés dans les limites des fonctions qui leur sont attribuées, sont seuls responsables pour cette administration séparée.
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981n. Les fiduciaires sont sujets à la contrainte par corps pour tout ce qu'ils doivent à raison de leur administration, à ceux à qui ils doivent compte, sujet aux dispositions du code de procédure civile.
981n. Trustees are liable to coercive imprisonment for whatever is due, by reason of their administration, to those to whom they are accountable, subject to the provisions contained in the Code of Civil Procedure.