parfois j'entendais des oiseaux
DESCRIPTION
Cet ouvrage rassemble textes, poèmes et fictions ayant pour thème l’exil, issus des ateliers d’écriture des centres socio-culturels du Phare de l’Ill d’Illkirch-Graffenstaden et de Cronenbourg, ainsi que du lycée Marcel Rudloff de Strasbourg. Il présente aussi quelques textes issus de témoignages recueillis et retravaillés pendant la création du spectacle «Parfois, j’entendais des oiseaux», créé dans le cadre du Festival Strasbourg-Méditerranée 2011, et monté à partir de récits d’exils.TRANSCRIPT
ouvrage édité par un collectif de centres socioculturels - Strasbourg - Illkirch
ateliers d’écrituresous la direction de Pierre Zeidler,
Laure Coulibaly et Christine Rakic & autres textes
de près ou de loin,
l’encre de l’exil...
parfoisj’entendais des oiseaux
A t e l i e r s d ’ é c r i t u r e_ _ _ _ _ _ _ _ _ _sous la direction de
Pierre ZeidlerLaure CoulibalyChristine Rakic_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _& autres textes
parfoisj’entendais des oiseaux
ouvrage édité par un collectif
de centres socioculturels
dans le cadre du projet
“Récits d’exils, récifs d’exilés”.
Décembre 2011
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Ici c’est le boss qui parle, écoute-moi bien et prends-en de la graine...
Le soleil se lève mais ne se retourne pas.
Vivement demain.
Cherche et tu trouveras, le destin te réserve quelque chose.
Quand je regarde le soleil, ça me fait un peu rire.
Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
Cadavre exquis (atelier Lycée Marcel Rudloff, Strasbourg)
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de près ou de loin,l’encre de l’exil
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Le présent ouvrage rassemble un choix de textes, poèmes et fictions
issus des ateliers d’écriture des centres socio-culturels du Phare de l’Ill
d’Illkirch-Graffenstaden et de Cronenbourg, ainsi que du lycée Marcel
Rudloff de Strasbourg. Ils ont tous pour thème l’exil, cette contrainte
d’ordre économique et politique qui confronte l’individu et des familles
entières à un choix souvent douloureux : partir ou rester. Partir, vers
un avenir meilleur, mais rester envers et contre tout grâce au précieux
bagage de ce que l’on est et de ce que l’on gardera toujours au plus
profond de soi-même. Métamorphose de la formule « partir, c’est mourir
un peu » en « partir, c’est survivre un peu mieux ».
Et puis, l’écriture... musique de l’âme qui chez beaucoup a tant de mal
à surgir...
Le chemin est parfois long entre les joies, les peines et les regrets
jalousement scellés et la main, hésitante d’abord, puis déterminée à
s’armer d’un stylo...
Ecrire, c’est détruire une prison, forger une armure, s’affirmer sans
blesser, tisser un lien, ouvrir une brèche dans le silence, chercher un
ciel derrière les nuages... voilà ce que les présents écrits révèlent, en
force ou en fragilité.
Pierre Zeidler, novembre 2011.
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récits d’exils
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Dans la vie de chaque personne, il y a des moments où elle se sent
isolée comme si elle était en exil. Il n’est pas obligatoire qu’elle se
trouve dans un autre pays en ayant quitté sa patrie. La tristesse et la
joie accompagnent l’homme pendant toute sa vie. Ce sont donc des
compagnons inséparables.
L’exil « mental » est l’un des plus pénibles parce qu’en l’éprouvant on ne
trouve souvent aucune solution. On est pris dans ses émotions comme
dans un piège.
J’aime écrire. D’habitude, je m’occupe rarement de cela mais lorsque
je me mets à écrire je le fais avec plaisir. Quand j’habitais en Russie,
j’écrivais de temps en temps de petits poèmes et mes pensées dont
une partie dans mon journal. C’étaient de petites notes sur différentes
étapes de ma vie généralement tristes. Je crois que je les écrivais pour
ne pas les garder en moi, pour partager, soulager ma tristesse. Quand
on écrit, on a souvent l’impression que tout commence à aller mieux.
Je ne sais pas pourquoi, mais quand tout allait bien je n’avais ni le
temps ni même l’envie d’écrire.
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Pourquoi écrire ? En fait, il y a plusieurs raisons : partager l’expérience
de la vie, du travail avec d’autres personnes, pour contribuer à leur
savoir et analyser, pour favoriser la créativité. J’aime extraire des
citations et des aphorismes intéressants, je les trouve utiles. Savoir
les comprendre et les utiliser est une des étapes de la maîtrise d’une
langue.
Lorsque j’écris des poèmes, ça me fait plaisir de chercher la rime.
Cela ressemble un peu à un jeu de logique où il faut trouver un mot
qui d’une part correspondrait au sens et d’autre part respecterait la
structure du texte. Je crois que les livres jouent un grand rôle dans la
vie des humains.
Elena
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J’écris parce que je peux exprimer ma pensée, tout ce à quoi je pense,
tout ce qui se passe autour de moi, tout ce qui arrive dans la vie, c’est
déjà une histoire. Lorsque j’écris, j’exprime ma pensée ou le chagrin de
ma vie.
Nos écrivains, par exemple Sergueï Essenine, ont écrit des poèmes
qui traversent les générations. Notre poétesse Raïssa Akhmatova a
exprimé tous ses sentiments, le chagrin, la joie, tout le mal et tout le
bien. Je crois que si les gens n’écrivaient pas, l’histoire n’existerait pas.
Les écrivains de toutes les nations nous ont laissé l’histoire de leur
peuple. C’est pourquoi je pense qu’ils font l’histoire. Le plus important,
c’est qu’ils nous laissent des chansons, de poèmes, etc...
Aciet
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I shed big tears
I feel bad
I am ill I feel sick
I am afraid
I get up at night every day
and remember my life and my children
in Soudan
and I cry
I feel sad
after
when I get up in the morning
I go to school and sometime
when I go to work
I feel better
Ihsan Mahmoud Mustafa
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Quand la guerre a commencé, l’usine textile où travaille Emile a fermé.
Pour toute sa famille il est difficile de vivre sans argent.
Dans son pays, rien d’utile... Il a préféré l’exil. Il a quitté son île pour
aller dans une autre ville, pour trouver une autre usine. Il a perdu ses
racines et recommence sa vie comme immigré dans une autre ville.
Pour apprendre le français et être utile, il va au Phare de l’Ill.
Anonyme
Six heures du matin, on toque à ma porte. J’entends : «police, ouvrez !»
Je me précipite à ma fenêtre et je vois que le bâtiment est encerclé.
Je réveille ma colocatrice et lui demande ce qui se passe.
Anonyme
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J’aime beaucoup l’écriture, c’est vraiment un moyen explicite de se
décrire, proposer son style, se faire découvrir, cultiver sa personne
ou le lecteur, transmettre son vécu sur cette feuille et le partager de
mémoire en mémoire, poser son stylo... Réfléchir, c’est poser son
cerveau ou prendre une pause, l’encre qui coule, l’encre de la vie,
raconter un personnage réel ou irréel...
Nabil
Hier soir j’ai vu un petit Maghrébin d’une dizaine d’années qui marchait
seul dans la rue.
Je suis allé le voir afin de savoir ce qu’il faisait dehors à cette heure.
Il m’a répondu avec un fort accent d’Afrique noire : « J’mi soui perdu
missieu ! »
Il me dit qu’il s’appelait Mohamed Gauthier et qu’il était venu d’Algérie
dans le coffre d’un scooter.
Je l’emmenai manger un Döner et l’accompagnai au commissariat.
Allou Farouk
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Dreamtown pourrait être une ville de rêve, elle ne connaît pas de
soldats. Les gens sont cultivés et connaissent bien la vie. Le contact et
l’entr’aide sont les lois dominantes. Plus de guerre, plus de sang. Plus
besoin de résistance, même les militants ont droit à leur pays.
Anonyme
Un héros est tout simplement un homme de bonne foi qui veut sauver
des personnes en difficulté et non pas un personnage fantasque qui a
été créé.
Un faux héros est un imposteur qui veut se faire aimer sans aimer les
autres.
Joseph Schoenfelder
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Je sais bien défendre mon identité dans les situations désagréables. Je
suis une femme, je me défends contre les machistes, je n’accepte pas
d’être inférieure aux autres.
Je suis Marocaine, je défends ma nationalité, où que j’aille je reste
toujours Marocaine avec un passeport vert, parce que j’aime mon pays
même s’il ne m’a pas donné les meilleures conditions de vie.
Mon identité, c’est moi, c’est mon existence dans la société et dans
le monde. Je suis fière de mon nom et de mon prénom et de ma
nationalité.
L’exil, c’est choisir de partir d’un pays pour des raisons économiques et
politiques. L’exil, c’est quitter quelque chose.
Erreboukh Zoulikha
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loin de moi, si près de mon coeur
je rêve de ton image
c’est mon plus beau souvenir
il s’efface très lentement
je t’aimerai toujours
je t’aimerai toujours
jusqu’à mon voyage sans retour
Somdeth Luangpraseuth : « à mon pays »
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Vingt ans que la guerre est finie maintenant, Xamar (Mogadiscio) est
ma ville d’origine. En effet, j’y suis né il y a de cela quarante ans, en
1991. A l’époque, l’anarchie et la guerre civile sévissaient, et c’est pour
cette raison que j’ai dû la quitter sept ans plus tard en me promettant
d’y retourner un jour et d’en faire mon Eldorado.
En 2016, tout tombe à pic, j’ai mon diplôme d’architecte en poche et
un nouveau président vient d’être élu en Somalie étant donné que la
guerre a pris fin un an plus tôt, je pouvais donc y retourner et faire de
Xamar la ville de mes rêves.
Tout était à construire, 25 ans de guerre civile avaient mis la ville à plat.
Je me suis imaginé des tas de choses, et Xamar possède aujourd’hui la
plus grande station balnéaire de l’océan indien.
Je suis là, perché sur la terrasse de l’un des plus grands hôtels qui
longent la côte, fumant un cigare en sirotant un scotch...
Hirsi Ugaas Kaalid
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Autrefois, je vivais en Afrique avec mes parents où j’ai passé de
merveilleux moments dans mon enfance. Malheureusement, le destin
en a décidé autrement quant à mon bonheur en Guinée. La vie, les
études, tout est tombé à l’eau, pour certains, ce fut le carnage total
dans leur vie et leur famille, et tout cela pour prendre le pouvoir...
Après quelques mois, mes parents ont décidé de remédier à la situation
en allant rejoindre la famille en France.
J’ai fait mes études à Strasbourg, une grande ville que j’avais déjà
contemplée dans mon plus jeune âge avec mes parents.
A présent, je fais tout pour réussir dans ma vie en essayant d’oublier ce
qui s’est passé dans mon pays et que je n’aimerais plus revivre.
Oun tö nia fé ka don
France conon na duniö
wodi tim bolo et inti céla tola Conakry conon
nia fé ina démin
parce que ni a fé ka barha toubabou dou
I tö di na duniö ?
I di céla moun quela oun na ?
Joseph Schoenfelder
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Was wollen sie ?
j’ai besoin d’un endroit où dormir ce soir, voulez-vous bien m’héberger
pour une nuit ?
Aber ich muss meine Frau fragen, sie kommt gleich...
Einverstanden, prenez tout votre temps...
Zuerst möchte ich wissen wer sie sind, wie alt sie sind, von wo kommen sie ?
Und warum sind sie hier ?
Toc toc toc...
Bonjour, excusez-moi de vous déranger...
Kimsin ?
Heu, je cherche un endroit pour la nuit...
Kimsin lansen ?
Oh... do you speak english ?
Si tu sais parler, t’as tout gagné...
Deyelin
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De mon enfance, je me souviens de soirées qui se passaient avec les
adultes, des voisins ou des proches. Pendant ces soirées, ils parlaient
entre eux, et presque chaque histoire qu’ils racontaient avait pour
thème la déportation, ce qui s’était passé au Kazakhstan sur une
période de treize ans.
CE N’ETAIENT PAS DES HISTOIRES AMUSANTES !
Pour nous les enfants, c’était ennuyeux. Pour nous, c’étaient des
histoires étranges, quelque chose d’un autre pays, d’un autre monde,
d’une autre planète, peut-être parce que notre vie était différente - une
vie calme - sans guerres, sans problèmes, jusqu’aux évènements que
l’on connaît...
Saidhusain Selimsultanov
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J’ai un prénom hors du commun.
Chaque fois que je parle, les autres ont souvent du mal à me croire,
d’ailleurs quand je leur raconte mes histoires, ils ont tendance à me
donner de petits coups ou faire des têtes significatives.
Je me vante souvent.
J’ai tendance à beaucoup me justifer, à parler pour rien et j’imagine
toujours la situation la moins probable, je suis délégué et l’on se moque
souvent de moi.
On m’appelle Béhéhéhéhé....
Deyelin
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donnez-moi la main, approchez,
laissez-moi vous emmener loin où il n’y a
ni guerre ni malheur, venez sans peur, restez unis,
terre de paix, rire et oublier, vivre la vie
donnez-moi la main, serrez-moi la main sans peur
ne demandez pas de où à où
vivre la vie ensemble toujours unis
toujours ensemble pour vivre la vie
donnez-moi la main et venez vivre la vie
restons unis, la vie est belle il faut la vivre
la vie est courte la vie est belle
donnez-moi la main, riez et oubliez
Erreboukh Zoulikha
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Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours rêvé d’aller à Bora-Bora. L’idée
m’est venue en écoutant une musique, et curieux comme je suis, j’ai
entrepris quelques recherches sur cette destination.
A première vue, ce fut le coup de coeur, et de fil en aiguille, de diplôme
en CDI, j’ai économisé pour m’offrir ce luxe.
Quinze ans plus tard, me voici valise à la main, les fesses posées dans
l’aéroport de Francfort...
Je me souviens encore de la première fois où mes pieds ont touché
cette terre qui m’a tant fait rêver depuis tant d’années. A ma grande
surprise, ce fut l’effet contraire qui se produisit sans raison vraiment
cohérente. Les paysages étaient magnifiques, les habitants chaleureux,
mais au fond de moi il me manquait quelque chose de beaucoup plus
fort.
Je suis rentré la mort dans l’âme, mais au moins j’étais chez moi...
Mourad
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Les personnes n’ayant pas d’esprit critique, la guerre, le terrorisme,
le langage ordurier, l’insolence, l’incompréhension, la destruction, le
métal qui ne signifie rien, le sexisme, le droit donné à un seul homme,
juger ou bien saigner, la vie ou la mort...
Sous-merde...
Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire le beau...
Nabil
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ses cheveux étaient
comme si
toutes les routes, toutes les rues,
toutes les ruelles étaient rassemblées
son corps et son visage étaient
comme si
toutes les merveilles du monde
étaient rassemblées,
son parfum
était celui
de toutes les fleurs du monde
la ville de mes rêves serait
d’être dans ses bras toute ma vie
Mahmut
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ville idéale
qui en son sein héberge
une colombe
ville fleurie
pourquoi pas ?
attachement au lieu
jamais encore connu
terre qui aurait été sainte
habitée par l’esprit littéraire
une ville au parfum de paradis
à l’architecture
d’une ère nouvelle
entre futur et moyen-âge
Nabil
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Graffiti :
Sale Arabe, retourne dans ton pays, les Arabes sont des voleurs, casse-toi
tu pues !
Je vole au vent !
Bahloul Amar
Mon rêve n’est pas tellement d’être plein aux as, mais d’avoir un jour
la paix de l’esprit.
Hirsi Ugaas kaalid
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Dubai, cette ville me faisait rêver étant petit. Chaque fois que
j’entendais ce nom s’introduire dans mon oreille, il restait gravé dans
ma mémoire.
Des années de réflexion pour savoir comment y aller un jour... Une idée
m’est venue en regardant la télévision : le gagnant d’un jeu pouvait y
aller et profiter de sept jours avec cinq personnes. J’ai appelé et une
femme m’a répondu :
« Vous avez gagné, félicitations ! »
Une fois arrivé, tout ressemblait à ce que j’avais imaginé avec des
gratte-ciel merveilleux, des restaurants à vous couper le souffle, bref,
un rêve devenu réalité après un simple coup de fil !...
Ceci est une histoire fausse, ne m’en veuillez pas trop...
H...
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ville où tout est abondance
où chacun a son pain
ville où chacun dispose de ressources
et partage avec ses voisins
ville où l’on dispose d’un toit
où personne n’a froid
ville où l’on se réjouit de trèves
qui appellent mes rêves
Meliani Zakaria
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Un jour bizarre, huit heures du matin, étourdi, courbaturé, je ne sais
plus où je suis, en cet instant je me pose la question :
« qu’est-ce que je fais là ? »
Le téléphone sonne, message vocal, je me lève du lit et l’écoute : voix
inconnue, langue inconnue, va savoir...
Peut-être une nouvelle race terrienne...
C’est drôle, j’ai rêvé que j’étais en train de parler avec une étrangère,
mais je ne me souviens pas du reste...
Soudain, je me rends compte que je ne suis plus comme avant...un
nouveau début pour tout recommencer ?
Joseph Schoenfelder
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Il ne reste plus beaucoup de temps, il me faut me dépêcher sinon je vais
louper le vol...
Personne en salle d’attente. L’avion n’est pas encore parti. Je me présente
à l’embarquement, le douanier est très grand et se tient bien droit. Il
est métissé, il doit venir d’une île quelconque. Plus je me rapproche du
lui, plus il a l’air de vieillir. A présent, il doit avoir soixante-dix ans. Je
lui demande si c’est bien le bon vol, et il me répond :
« Nouembou, Homoblocus, badaver karpétéouss ! »
Je me sens étranger.
Lui ou moi ?
Je n’en sais rien...
Nabil
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Comme chaque année, j’ai pris l’avion pour me rendre en Algérie pour
les vacances d’été. La première heure de vol se passa très bien jusqu’à ce
que l’appareil fasse un bruit bizarre qui nous obligea à atterrir sur une
île de la Méditerranée dont j’ignorais l’existence. Nous avons atterri
sur la piste de Chmagaluss... L’hôtesse nous a annoncé qu’il n’y aurait
plus de vol pour l’Algérie jusqu’au lendemain.
En me promenant dans l’aérogare, un douanier m’a interpellé :
« Badavu repsal kakacusta ! »
Etonné de cette langue ridicule, j’ai éclaté de rire, alors le douanier m’a
plaqué au sol en criant :
« Homoblocus karpatéouss chmaké ! »
Ne comprernant pas ce qui se passait, je me suis mis à pleurer et j’ai
appelé une vieille dame à l’aide qui m’a répondu :
« Ngembou Gibolle repsal ! »
J’ai cru être devenu fou. Une hôtesse de l’air m’expliqua que c’était la
langue du pays.
Allou Farouk
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Nous étions comme des frères, soudés depuis le bac à sable et tu as osé
tout gâcher. En grandissant, l’argent t’a bercé, fini par te détruire sans
que tu ne t’en rendes compte.
Souviens-toi de l’époque où j’étais dans le besoin, mon père malade,
contraint de me lever à quatre heures tous les matins pour alimenter les
misérables chances de voir mon père s’en sortir pendant que monsieur
fréquentait les endroits chics de la capitale !
Je ne te fais aucun reproche, je dis simplement que durant ces
nombreuses années, j’étais seul et je me suis débrouillé seul. Mais
maintenant que ce monde de strass et de paillettes t’a laissé de côté, je
réalise à quel point je ne suis pas comme toi et que même avec « mon
salaire de misère » comme tu disais si bien, je ferai mon possible pour
t’éviter la rue. En dehors de cela, je ne veux plus entendre parler de toi.
Sache que tu as de la chance.
Amar
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Premier conseil des ministres de la République Indépendante
du Kibitztan
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En 2030, le nouvel ordre mondial anti-communiste et hyperconsumériste
s’est mis en place. Le but était non seulement d’instaurer un nouveau
mode de fonctionnement, mais également d’uniformiser l’individu. Malgré
l’adhésion du plus grand nombre, je n’étais pas de la partie en raison de mes
principes et de mes convictions. Comment admettre que l’homme nouveau
soit travailleur, dévoué, patriote dans un système qui le manipule au profit
de l’ ultra-capitalisme ? Que faire alors ? Plutôt que de vivre dans une société
qui crachait sur les droits de l’homme, j’ai pris le maquis.
A présent, me voici président auto-proclamé, légitimisé et blanchi du
Kibitztan. J’attends de votre part un ensemble de propositions allant dans
mon sens afin qu’une nouvelle constitution voie le jour, basée sur l’égalité
des hommes et des femmes afin que règnent la liberté et la fraternité et le
respect des valeurs universelles.
J’attends par ailleurs une garde rapprochée de la part du ministre de
l’intérieur, un renforcement de la sécurisation des banques, ainsi que des
taxes sur les biens immobiliers de la part du ministre des finances.
Messieurs les ministres, j’attends vos propositions avec impatience.
Président Kaalid
52 53
En tant que premier ministre, je suis chargé de m’occuper de l’ensemble
du gouvernement afin que tout se déroule pour le mieux. J’exige que
les ministres soient stricts sur des objectifs tels que la sécurité et les
forces de l’ordre. Bien évidement, les finances doivent être bien gérées,
les droits de l’homme respectés au même titre que la loi. Chaque citoyen
doit être bien traité dans les meilleures conditions.
La défense est nécessaire, les armées de terre, air, mer doivent être au
plus haut niveau pour assurer la sécurité de notre pays. La justice doit
être appliquée selon les lois. Une politique étrangère est nécessaire
afin d’entretenir de bonnes relations avec le monde et faire valoir nos
biens.
Le premier ministre Schoenfelder
52 53
Article ILe ministre des finances faisant autorité dans l’état du Kibitztan
décrète le Kibi monnaie nationale. La valeur du Kibi est supérieure à
l’Euro.
Article IILes impôts seront perçus chaque année. Chaque citoyen sera tenu de
payer. Dans le cas contraire, le ministre se déplacera afin d’examiner la
situation financière du contribuable.
Article IIIChaque citoyen possédant des biens immobiliers sera tenu de verser
des taxes mensuelles. Dans le cas contraire, il se verra dans l’obligation
de renoncer à ses biens.
Le ministre des finances Zakari
54 55
Chers compatriotes, en tant que ministre de l’intérieur, je suis chargé
de votre sécurité ainsi que de celle de notre président.
Afin que notre pays vive sereinement et en toute confiance, je vous
demande d’accepter mes propositions et d’assigner des patrouilles
dans les banques et dans la rue avec l’accord du ministre des droits de
l’homme en sollicitant tout particulièrement le ministre des finances.
Le ministre de l’intérieur Volkan
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Notre nouveau pays veut dominer le monde, et pour cela, il lui faut
une armée puissante. Notre but n’est pas de tuer, mais de neutraliser
l’ennemi. Les Américains veulent nous mettre à plat avec leurs bombes
nucléaires, mais ce sera nous qui les dévorerons avec notre nouvelle
bombe neutralisante. Cette bombe contient un gaz qui transforme les
gens en Kibitzes.
Le ministre de la défense Mourad
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Merci de m’avoir choisi comme ministre des affaires étrangères. Il s’agit
d’entretenir de bonnes relations avec les pays voisins comme le prévoit
l’article 5- L 1000 du code des relations extérieures 5ème alinéa de la
page 10.
Par ailleurs, je suggère d’importer par voie des airs ou des mers de
jolies femmes de l’est ainsi que des plantes d’Afghanistan, du Maroc et
de Cuba.
Le ministre des affaires étrangères Méliani
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La santé de nos concitoyens est en danger. Commençons par la
pollution. Je voudrai mettre en place des mesures qui limiteront le
taux d’émission de CO2.
Venons-en à nos malheureux citoyens obèses : j’exige que dans
chaque ville, une salle de sport bien équipée soit construite. Je tiens
également à éradiquer le sida, pour cela, une partie des finances devra
être consacrée à la recherche. En cas de refus, sachez que je n’en ai rien
à foutre de votre avis !
J’exige également que chaque citoyen consomme cinq légumes par jour
sous peine d’une amende de 45 Kibitz. Je ne peux accepter que nous
soyions dans la moyenne des taux de mortalité, nos séniors se doivent
de vivre jusqu’à 90 ans minimum !
Les médicaments et les soins médicaux seront gratuits, les handicapés
seront traités dans des centres adaptés. Bien entendu, les recherches
médicales nécessiteront des cobayes, et pour cela, nous solliciterons
nos prisonniers.
Le ministre de la santé Lionel
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Bonjour monsieur le président du Kibitztan, permettez-moi de vous
présenter mon programme en ce qui concerne l’agriculture. Je propose
de supprimer l’élevage du porc et de le délocaliser en Somalie en manque
de nourriture. Je suggère également la culture intensive du cannabis
afin de booster l’économie et pour se sentir bien.
Le ministre de l’agriculture Farouk
58 59
Confiant, je le suis. La confiance règnera dans ce nouveau pays où nous
serons respectés. Nous vivons dans un environnement social où la
confiance est négligée. Reprenez-moi si je me trompe, mais les Kibitzes
de ce monde ont tendance à répéter l’expression « on n’est jamais mieux
servi que par soi-même ».
Si nous voulons une société confiante, mettons les points sur les «i».
Le ministre de la confiance Lyes
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Les enfants doivent être polis, sympa, respectueux et travailleurs.
A quatre ans, ils doivent savoir lire et écrire.
A sept ans, ils doivent savoir utiliser un ordinateur.
Au collège, ils doivent tous avoir minimum onze de moyenne.
Au lycée, ils doivent tous réussir leur bac.
Ils doivent aller à la fac et être de bons étudiants.
Lors de leur réussite, je leur remettrai personnellement leur diplôme.
Le ministre de l’éducation Mustafa
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Un faux héros est quelqu’un qui veut jouer au héros mais qui au lieu de
sauver les autres se fait défoncer la gueule.
Je suis chargé de l’injustice dans notre nouveau pays, le Kibitztan. Mon
but est d’imposer la non-discrimination, le respect des lois, déjouer le
terrorisme et le trafic de drogue, donner une image positive de notre
nation et montrer à la population ce qu’il ne faut pas faire et ce qui est
injuste. Nous sommes tous égaux, noirs comme blancs.
Le ministre de l’injustice Volkan II
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Je propose un sport nouveau appelé le lancer de nains. J’en appelle donc
au ministre des finances pour en acheter et en importer. Ce nouveau
sport consiste à prendre un nain par les pieds et à le lancer sur une
pyramide de nains. Le gagnant sera celui qui aura fait tomber le plus
de nains. Les nains tombés iront à l’abattoir. Ce sport sera national, au
même titre que la corrida en Espagne.
Le ministre des sports Mahmut
(Proposition rejetée par le président en raison de son incompatibilité avec les droits de l’homme)
62 63
65
65
récifs d’exilés
66 67
Un joli Pays
Ce serait un joli pays comme le Maroc, la Tunisie,
l’Italie, les îles Canaries,
Un pays où le soleil brille dans le ciel et dans nos vies.
Tout serait vert même en hiver,
Il ferait chaud, il ferait doux,
Et parfois quand même de la neige
Pour que les enfants fassent un peu les fous...
Et on entendrait les cui-cui des tourterelles, des canaris
Même les pimpons imiteront le chant des pinsons,
Ce pays serait douillet comme un nid,
66 67
Comme une maison avec une terrasse
Où on mangerait des fruits, des glaces,
Des olives, des pêches, des oranges,
Tout le monde serait gentil, poli, souriant, comme des anges.
Il n’y aurait pas de corruption,
Pas de méchants et que des bons,
Des gentils hommes politiques pétris d’abnégation.
Ce serait un pays de rêve, un pays idéal,
Comme une pub pour un voyage, comme une carte postale,
Et les gens souriraient,
Et leurs dents trop blanches ne diraient que des trucs gentils
Ce serait un joli pays.
Témoignage
(réécrit en chanson par Lionel Grob)
68 69
J’habitais un quartier du centre ville. Maintenant c’est devenu trop
cher, trop bobo. Alors je suis venue habiter ici. Ma rue porte le nom
d’un peintre de la Renaissance.
Il faut se méfier des rues aux noms d’écrivains, de peintres... Souvent,
ça sent le bloc de béton, ça sent le vide-ordures et la boite aux lettres
éventrée.
Les péripéties de la vie m’ont poussées en périphérie de la ville. C’est
comme si on me foutait dehors. La ville m’a dégurgité. À force je vais
me retrouver carrément dans la forêt. De ma fenêtre, je vois la forêt et
les blocs. Je suis à la lisière.
Moi je suis arrivée là.
Mais d’autres échouent ailleurs.
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Quand je rentre, je les vois les mecs qui font la manche au feu, ils ont
leurs tentes sur les bas-côtés de l’autoroute. Il y a des mini-bidonvilles
dans la capitale européenne ! Des bidonvillages ! Ces mecs tendent leur
bout de carton aux bagnoles. Dans les bagnoles, il y a le chauffage et
Europe 1 qui beugle.
Ils ont été dégurgités de la société. Vomis. Bannis. Honnis.
Je crois que je vais partir.
Apparemment, la ville veut pas de moi.
Témoignage
(réécrit par Lionel Grob)
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De Bône à Constantine et aussi Oran
D’une grande maison à l’hiver glacial
Je mettais mes gants pour remplir le poêle à mazout
et j’ai laissé mon grand-père au pays
Sans qu’on me demande mon avis
la souffrance, elle s’arrange avec nous, à force
une vie meilleure au bout mais sur le chemin on est déposé comme un
paquet
A l’origine on n’était pas là pour rester
A l’origine on était tous ensemble
C’est à ce moment-là qu’on devient nostalgique
On regrette
On prend tout en photo pour tout garder dans la tête
Quand on rentre au pays on passe par 4 pays différents
Trente ans d’aller-retours
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Quand on passe par la Suisse, on met 3 jours parce qu’on attend le
bateau en Grèce,
quand on passe par la Yougoslavie, on met moins de temps parce que
les routes sont plus tranquilles
Mais c’est moins dangereux de passer par la Grèce parce qu’il y a les
rambardes de sécurité
On veut tous être quelque part et pourtant quand on y est, on ne rêve
que d’en partir
Je suis français mais je montre mes papiers
On me dit toujours il faut s’intégrer, s’assimiler
mais partout c’est la même terre...
Témoignage
(réécrit par Marie Dufaud)
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ici on n’aime guère le genre hybride,
on aime le genre fixé à une idée, à un seul dieu, un seul village,
mais moi c’est ce que j’aime le plus le genre hybride,
dans la littérature, ni tout à fait récit, ni tout à fait poésie,
ni tout à fait blanc ni tout à fait noir,
ni tout à fait journal ni tout à fait roman,
un genre métissé comme moi
mes parents m’ont élevé sans le vouloir
avec leurs mots, leur mémoire, leurs difficultés
à s’adapter à un étrange pays, c’est donc ça :
j’ai un sentiment d’exil sans pour autant être exilé,
je ne suis jamais allé dans le pays de mes origines,
celui de mes parents
la seule réalité de cet exil est celle
d’un exil hérité, je sais que je ne me sentirais
ailleurs jamais aussi bien qu’en France et qu’en France,
je rêve d’un autre pays, le mien, le nôtre,
je vis avec un arrière-pays dans ma tête, je suis ex-quelqu’un,
venu d’ailleurs et plus accordé à une terre,
je suis une façon d’être ici et ailleurs, je suis toujours d’origine,
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condamné à être d’origine, et cela doit me rappeler
un confort toujours menacé, chômeur, handicapé, opprimé,
opposant, il ne fait pas partie de la communauté
des hommes tant qu’il ne fait pas partie d’une communauté,
être exilé c’est un acte qui n’en finit pas, c’est être en
suspens entre deux mondes, un monde qui a été
familier et un monde qui devient familier, une langue
perdue qui remonte parfois à la surface en morceaux
et moi aussi en morceaux, une langue à venir qui
balbutie et crache et vomit, je cherche encore et toujours
à recoller les morceaux, là où je suis je ne suis jamais vraiment,
là où j’étais je suis encore, entre le natal et le fatal,
comme un poète exilé dans la langue, l’exil est dans
cette perte, entre la langue et l’indicible, et dans cette perte,
la poésie
la langue est ce chemin, je suis en exil, je suis en chemin, je suis donc sur
un chemin et il y en a mille possibles, je peux choisir, je peux écrire, je
suis en voyage, je peux planter d’autres arbres ailleurs, écouter d’autres
oiseaux ailleurs
Témoignage
(réécrit par Marie Dufaud)
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projet “Récits d’exils, récifs d’exilés”
soutenu par
la Ville de Strasbourg
la DRAC Alsace
L’association Strasbourg-Mediterranée
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Composition : Lionel Grob
Image de couverture : Julia Starr / Lionel Grob
© Décembre 2011
Centre Social et CulturelCamille Claus - Koenigshoffen
Centre Social et Culturel de l’ElsauPhare de l’Ill - Illkirch
Centre Social et Culturel Victor Schoelcher - Cronenbourg
Centre Socioculturel de le Montagne Verte
CARDEKCentre Social et Culturel
le Galet - Hautepierreavec la participation du
Lycée Marcel Rudloff - Strasbourg
«On veut tous être quelque part et pourtant quand on y est, on ne rêve que d’en partir...»
Cet ouvrage rassemble textes, poèmes et fictions ayant pour thème l’exil, issus des ateliers d’écriture des centres socio-culturels du Phare de l’Ill d’Illkirch-Graffenstaden et de Cronenbourg, ainsi que du lycée Marcel Rudloff de Strasbourg. Il présente aussi quelques textes issus de témoignages recueillis et retravaillés pendant la création du spectacle «Parfois, j’entendais des oiseaux», créé dans le cadre du Festival Strasbourg-Méditerranée 2011, et monté à partir de récits d’exils.
«(...) je suis toujours d’origine, condamné à être d’origine (...)»
Projet ‘‘Récits d’exils - récifs d’exilés’’décembre 2011