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Parentalité et prévention des conduites à risques
Etude réalisée avec le soutien de
Janvier 2014
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Sommaire
Introduction Générale P 5 1-‐ Contexte de l’étude P 5
2-‐ Objectif général de l’état des lieux P 5
3-‐ Objectifs opérationnels P 6
4-‐ Comité de pilotage P 6
5-‐ Méthodologie de l’enquête de terrain P 7 5-‐1 Objectifs de la revue de littérature P 7 5-‐2 Méthodologie P 7
Partie 1 : Les parents et la prévention des conduites à risques P 10 Revue de littérature
I-‐ Les parents, des acteurs essentiels dans la prévention des conduites a risques P 11
1-‐ Les relations au sein de la famille P 11 1-‐1 La communication P 11 1-‐2 Le climat familial P 11 1-‐3 La proximité affective P 11
2-‐ La supervision parentale P 12 2-‐1 Le monitoring P 12 2-‐2 Le contrôle parental P 12
Conclusion : le style éducatif parental, un élément déterminant dans la prévention P 13 des conduites à risques
II-‐ Les conduites à risques : inquiétude parentale, croyances erronées et influence P 14 du milieu social d’appartenance
1-‐ Parents et adolescents : des représentations sociales opposées de la consommation P 14
2-‐ La consommation de drogues et d’alcool : une préoccupation parentale prédominante P 14 2-‐1 Des craintes parentales qui évoluent quand l’enfant grandit P 14 2-‐2 Des craintes influencées par le milieu socio-‐économique d’appartenance P 15 des parents
3-‐ Des perceptions parentales souvent erronées P 15 3-‐1 Des parents qui ont tendance à sous-‐estimer la consommation de leur enfant : P 15 3-‐2 Et lorsqu’ils surestiment ? P 15 3-‐3 Un lien entre consommation et milieu social d’appartenance : P 16 des résultats pas toujours aisés à interpréter
III -‐ Compétences parentales et pratiques éducatives dans la prévention P 18 des conduites à risques
1-‐ Des parents inquiets et peu confiants dans leurs compétences parentales P 18
2-‐ Des pratiques parentales liées à leurs représentations du risque P 19
3-‐ La consommation : un sujet de discussion entre parents et enfants peu fréquent P 20
4-‐ Des parents plus interventionnistes quand ils ont pris conscience de la consommation P 20
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IV-‐ La prévention des conduites à risques pour les parents : P 21 perceptions, attentes des parents et des professionnels
1-‐ Des actions de prévention pas toujours bien perçues P 21
2-‐ Des parents souvent réticents à participer à des actions de prévention P 21 2-‐1 Les parents très réticents dans les classes populaires P 22 2-‐2 Des parents très en demande dans les classes moyennes P 22 2-‐3 Des parents issus de milieux favorisés qui ne se sentent pas concernés P 22
3-‐ Attentes parentales en matière de prévention P 23
4-‐ Représentations des professionnels sur les compétences parentales P 23
V-‐ La prévention au cœur des familles : pertinence, constats, préconisations, P 24 orientation générale
1-‐ Conclusions et recommandations relatives à la prévention universelle des addictions P 25 1-‐1 Périodes favorables P 26 1-‐2 Démarches pour toucher les familles P 26 1-‐3 Mesures à prendre P 26
2-‐ Conclusions et recommandations relatives à la prévention sélective et P 27 indiquée des addictions axées sur les familles
2-‐1 Périodes favorables P 27 2-‐2 Démarches pour toucher les familles P 27 2-‐3 Mesures à prendre P 28
Partie 2 : Les parents et la prévention des conduites à risque : P 29 Etat des lieux des actions menées – Résultat d’une enquête de terrain et de la revue de littérature
I-‐ Les problématiques repérées dans « l’enquête de terrain » P 30
1-‐ Des parents qui ne se sentent pas concernés avant l’adolescence P 30
2-‐ Des attitudes parentales différenciées selon le produit : P 31 entre banalisation et dramatisation
2-‐1 Des parents qui banalisent la consommation d’alcool et craignent P 31 la consommation de cannabis 2-‐2 Les nouvelles technologies accusées d’être sources de tensions familiales P 31
3-‐ Des attitudes parentales extrêmes P 32 3-‐1 La méconnaissance des produits, de leurs effets et des problématiques P 32 liées à la dépendance 3-‐2 La difficulté à prendre du recul par rapport aux reportages télévisés P 32
4-‐ Des parents en perte de repères et peu confiants dans leur capacité à exercer P 33 leur rôle parental
4-‐1 Un sujet qui leur font perdre leurs repères P 33 4-‐2 Un sentiment de manque de légitimité P 33 4-‐3 Un effet « miroir » et un manque de crédibilité P 33 4-‐4 Des parents qui culpabilisent et se sentent en échec P 34 4-‐5 Une peur de faire pire que mieux ! P 34
5-‐ Des positionnements parentaux inadaptés P 34 5-‐1 Des parents « démissionnaires » et « fatalistes » P 34 5-‐2 Entre surprotection et laisser aller P 35 5-‐3 Des parents qui sollicitent tardivement le soutien des professionnels P 35 5-‐4 Des parents qui craignent le regard des autres parents et/ou des professionnels P 36
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II-‐ Des actions centrées sur une approche globale des conduites à risques P 37 et des relations familiales
1-‐ Travailler sur les représentations des parents sur les conduites à risques P 37
2-‐ Dépasser la notion de produit pour aborder les prises de risques P 39
3-‐ Intégrer les conduites à risques dans une approche globale de relation parents-‐enfants P 39
4-‐ Adopter une approche positive qui valorise les compétences des jeunes P 41
5-‐ Resituer la prise de risques dans un continuum P 42 5-‐1 De la petite enfance à l’adolescence P 42 5-‐2 Situer la problématique dans une approche intergénérationnelle P 44
III-‐ Une méthodologie de projet adaptée P 45
1-‐ Inscrire l’action dans un projet global d’accueil et d’accompagnement P 45
2-‐ Proposer un engagement des partenaires sur un projet commun P 46
3-‐ Adopter un mode de communication personnalisée P 47
4-‐ Prendre en compte l’organisation de la vie familiale et les difficultés des familles P 47
5-‐ Proposer des animations diversifiées et originales dans une ambiance conviviale P 48
6-‐ S’appuyer sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication P 49
7-‐ Faciliter l’orientation vers des structures relais P 51
IV-‐ Des clés pour favoriser l’animation des rencontres parents P 52
1-‐ Se centrer sur les préoccupations des parents dans leur vie quotidienne P 52
2-‐ Valoriser les parents dans l’exercice de leur rôle P 55
3-‐ Adopter une position en retrait P 57
4-‐ Offrir un cadre et des règles favorables à l’échange P 58
V-‐ Les freins et les difficultés repérées P 61
1-‐ Des actions difficiles à mettre en œuvre P 61 1-‐1 Des actions peu nombreuses et isolées P 61 1-‐2 Des actions souvent orientées vers les personnes très à risque P 61 1-‐3 Des actions souvent orientées vers les technologies numériques P 62 1-‐4 Des freins humains et financiers importants P 62 1-‐5 Des contraintes organisationnelles spécifiques P 62
2-‐ Aller rejoindre les parents : une vraie difficulté P 63 2-‐1 Un sujet délicat et un public difficile à mobiliser P 63 2-‐2 Des projets qui peuvent être perçus comme un outil de contrôle social P 63 2-‐3 Ce sont souvent les mêmes familles qui participent aux actions P 63 2-‐4 Ce ne sont pas toujours les familles les plus concernées qui sont présentes P 64 2-‐5 Des pères peu présents et peu pris en compte P 65 2-‐6 Des parents peu sollicités au démarrage des actions P 65
3-‐ Parentalité et prévention des conduites à risques : un sujet qui fait peur P 65 aux professionnels
3-‐1 Des professionnels pas très à l’aise avec la thématique P 65 3-‐2 Le manque de formation des professionnels P 65 3-‐3 Peu d’outils d’animation spécifiques P 66
Conclusion générale : définition des axes d’un programme régional P 67
Bibliographie P 71
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Introduction Générale
1-‐ Contexte de l’étude
Quand vient l’adolescence, période de bouleversements multiples, les jeunes font l’expérience de situations nouvelles. La question des consommations à risques se pose alors souvent avec une acuité particulière.
Première cigarette, première sortie en soirée, un joint trouvé dans la chambre de son enfant, une ou des ivresses répétées… Les parents, pas toujours préparés à ces bouleversements, sont avant tout inquiets et se sentent alors impuissants, dépassés, désabusés ou isolés… En perte de repères dans un contexte sociétal où comme le souligne, Philippe Jeammet, « tout consensus éducatif a disparu et où l’autorité est souvent vécue comme un abus de pouvoir » les parents ne savent pas toujours comment réagir et peuvent être en difficulté pour assumer leur responsabilité éducative. Il est nécessaire de soutenir et valoriser les parents dans leur rôle éducatif, de les accompagner à rétablir, si nécessaire, une communication avec leur jeune.
Or, la véritable prévention commence bien avant que les premières consommations apparaissent… Dans cette prévention, il n’est pas possible de laisser les parents à l’écart ; au contraire ils doivent en être les premiers acteurs potentiels. En effet, la qualité des liens que les parents sauront mettre en place au quotidien avec leurs enfants dès leur plus jeune âge est le meilleur des garants face au risque d’abus de substances. C’est au sein de la cellule familiale que l’enfant fera l’expérience de l’apprentissage des règles, du sens de la responsabilité et fera ses premiers pas vers une autonomie. La famille représente un lieu où les repères se construisent et où l’enfant apprendra à avoir une bonne image de lui-‐même et à s’affirmer. « Transmettre un usage maîtrisé, socialisé, identifiant les risques réels et posant les limites, susciter dès le plus jeune le dialogue sur ces thèmes, rechercher l’entraide et l’échange avec d’autres adultes face aux éventuelles difficultés rencontrées, reconnaître les premiers signes de malaise d’un adolescent et savoir en parler avec lui, valent plus en terme d’impact que n’importe quelle campagne médiatique. » En cas de problème, il est nécessaire que les parents aient un sentiment de confiance en soi suffisant pour oser solliciter d’autres parents et/ou des structures pour être aidés, soutenus. (A. Morel, 2000)
2-‐ Objectif général de l’état des lieux
Il s’agit de réaliser un état des lieux des actions sur la thématique « Parentalité et prévention des conduites à risques » et à partir de ces travaux déterminer les priorités et les pistes d’action d’un programme régional à mettre en œuvre qui visera à :
- Accompagner les acteurs locaux à la conception et au montage d’actions de soutien à la parentalité dans le champ de la prévention des conduites à risques (avec ou sans produits).
- Former les professionnels engagés dans des actions de soutien à la parentalité à une meilleure prise en compte des conduites de consommations à risques et/ou des comportements à risque d’addictions (jeux etc.).
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3-‐ Objectifs Opérationnels
A travers cette étude, il s’agit d’apporter des éléments afin de :
- Repérer les acteurs en présence engagés dans des actions de prévention des conduites à risque et de soutien à la parentalité dans la région Nord/Pas-‐de-‐Calais, dans les autres régions françaises (en particulier dans les autres comités de l’ANPAA) et à l’étranger.
- Faire émerger les points de vue des professionnels sur les besoins et les attentes des familles sur la prévention des comportements à risques chez leurs enfants et jeunes adolescents (prévention primaire et actions de réduction des risques).
- Extraire les enseignements utiles à la conduite des futurs programmes et à la mobilisation des parents (enjeux, freins, leviers d’action…).
4 -‐ Comité de pilotage
Afin de mener à bien cette mission, un comité de pilotage a été constitué. Ce groupe avait pour objectifs de :
- Déterminer les modalités de travail et la méthodologie d’enquête.
- Apporter des éléments de réflexion à partir de leurs pratiques professionnelles et de leurs interrogations sur la thématique.
Ce comité de pilotage était composé de : - Nadia Benourhazi, Directrice, La Maison Nouvelle, Wasquehal - Benoit Brouillard, Animateur, La Caho, Tournai - Emile Charlier, Animatrice santé, Centre social ,Hem - Muriel Dehay, Infirmière conseillère technique, Rectorat, Lille - Michèle Denoyelles, Directrice, PAEJ Fil d’Ariane / APSA, Lens - Patricia Dhondt, Accueillante, ARPEJ Lille - Saïd Ghoul, Animateur jeunes centres sociaux de Hem - Marie-‐Pierre Jumel, Psychothérapeute, consultation jeunes consommateurs, Cèdre Bleu,
Villeneuve d’Ascq - Sylvie Liotard, Animatrice, Espace de vie Saint-‐Exupéry, Hem - Marie-‐Pierre Lutun, Manager en action sociale, CAF du Nord, Coordinatrice REAPP Maubeuge - Laurence Petri, Chargée de projet thématique, Direction de la Santé Publique et
Environnementale, Département Prévention Promotion de la Santé, ARS Nord/Pas-‐de-‐Calais - Aurore Quentin, Coordinatrice Espace parents, Mairie Lomme - Rachid Saadi, Animateur jeunes, Centre social des Hauts champs, Hem - Marie-‐Ange Testelin, Directrice, ECLAT-‐GRAA, Loos - Claire Thieffry, Directrice, ADALIS, Lille - Samuel Tourbez, Directeur, Pôle de prévention des addictions, Conseil Général du Nord - Elise Vanandruel, Animatrice santé, Référente addiction, Centre de Santé, Grande-‐Synthe - Anne Dassonville, Chargée d’études, ANPAA 59 et 62 - Elisabeth Dooghe, Directrice régionale, ANPAA 59 et 62 - Sylvie Gadeyne, Chargée de mission, ANPAA 59 et 62 - Eloïse Hespel, Chargée de prévention, ANPAA 59 et 62
Le comité de pilotage s’est réuni à cinq reprises entre juillet et décembre pour suivre l’évolution des travaux.
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5-‐ Méthodologie de « l’enquête de terrain »
Cet état des lieux s’est appuyé sur le recensement de plusieurs sources de données et de réflexion :
- Un travail de recherche bibliographique et une revue de la littérature internationale (les données relatives à la revue de littérature se trouvent dans la Partie 1 pour celles liées à la place des produits dans la prévention des conduites à risque et dans la Partie 2 pour les présentations des actions de prévention ; dans ce cas, les données sont présentées sous forme d’encadrés.
- Une enquête de « terrain » avec des entretiens semi-‐directifs auprès de 10 à 20 acteurs de la région et/ou par entretien téléphonique pour les acteurs situés hors région. Les données relatives à cette « enquête de terrain » se trouvent en Partie 2.
- Des focus group de parents.
5-‐1 Objectifs de la revue de littérature
Cette revue de littérature a pour objectif général de réaliser une synthèse et une analyse des données disponibles dans le domaine de la parentalité en lien avec la prévention des conduites à risques à partir d’études françaises, européennes et internationales.
Il s’agissait de faire ressortir certains aspects spécifiques qui sous-‐tendent les actions à destination des parents en matière de prévention des conduites à risques des enfants et des adolescents :
- le rôle et la place des parents et de la famille dans la prévention des conduites à risques : le point de vue des professionnels, celui des parents (ressources, difficultés, attentes et besoins) ;
- les représentations parentales sur les conduites à risques, en particulier sur l’évaluation des risques, les pratiques éducatives, leurs perceptions des actions de prévention ;
- les intérêts, les limites d’une approche incluant les parents et la famille.
Sources citées et bibliographie : Dans le texte, la rédaction des références bibliographiques a été réalisée selon les normes de l’American Psychological Association (APA), 6ème édition. Ainsi, seuls le ou les auteurs ainsi que la date du document auquel la partie du travail fait référence ont été mentionnés. Afin de trouver les références exactes du document cité, une bibliographie est présentée en annexe.
5-‐2 Méthodologie
Objectifs de l’enquête : « L’enquête terrain » a été orientée vers une approche compréhensive de la pratique des professionnels. Dans un premier temps, il s’agissait de mettre en lumière les représentations et les observations des professionnels sur la place et le rôle des parents dans cette prévention. Dans un deuxième temps, le souhait était de mettre à jour les conditions de réussite des actions de soutien à la parentalité dans le champ de la prévention des conduites à risques ainsi que les difficultés rencontrées.
Etant donné la taille restreinte de l’échantillon, les données recueillies fournissent des informations qui ne sauraient être considérées comme une étude représentative de l’ensemble des actions menées sur cette problématique. Toutefois, elles renseignent sur l’intérêt que portent les professionnels rencontrés dans l’approche de cette problématique.
Choix de l’échantillon : Notre attention s’est portée exclusivement sur les actions menées dans le champ de la prévention. Ont été exclues de cette enquête, les actions réalisées auprès de parents et/ou de jeunes accompagnés par les structures pour des problèmes de mésusage des substances psychoactives.
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Nous avons apporté une vigilance particulière à diversifier les sources d’entretien en fonction de trois critères principaux :
- Des professionnels issus de territoires urbains et d’autre issus de territoires plus ruraux ;
- Des professionnels issus de services spécialisés dans le soutien à la parentalité (4 professionnels), d’autres issus du dispositif de prévention ou de soins en addictologie (3 professionnels), des structures à vocation socio-‐éducative de proximité (6 professionnels : mairie, centre social, PAEJ, maison de quartier, CHRS, collège) ;
- Des professionnels issus de services très impliqués dans le champ de la précarité et/ou implantés dans des quartiers défavorisés et d’autres au service d’une population générale.
Treize entretiens auprès de professionnels investis dans des actions de prévention des conduites à risques et/ou de la parentalité ont été menés.
L’ensemble des professionnels interrogés (12 femmes et un homme) a été sollicité sur proposition soit d’un membre du comité de pilotage, soit par l’ANPAA au titre des actions partenariales menées ensemble : - Nadia Benourhazi, Directrice, Maison Nouvelle, Wasquehal (entretien collectif avec les
partenaires du réseau parentalité) - Valérie Bettancourt, Psychologue, Fil d’Ariane, Lens - Claire Botte, Psychologue, maison de la parentalité, Liévin - Patricia Dhont, Psychologue, ARPEJ, Lille - Sophie Garçon, Infirmière scolaire, collège Ronchin - Lila Ghemmaz, Chargée de projet, DIESE, Cambrai et Emmanuelle Serini, Psychologue CSAPA,
Cambrai - Eloïse Hespel, Chargée de prévention, ANPAA 59 - Michel Kervella, Chargé de prévention et de formation, ANPAA 35 (entretien téléphonique) - Marie-‐Pierre Lutun, Coordinatrice du REAPP et conseillère technique territoriale, CAF, Maubeuge - Louise Macquart, Educatrice, Maison de quartier, Raismes - Christelle Oseibonsu, Educatrice de jeunes enfants et Manuela de Sousa, Educatrice spécialisée,
Café des parents, Lambersart - Johanna Wasiela, Educatrice, CHRS 9 de cœur, Lens - Dominique Westelynck, Responsable du service santé, Mairie, Calais
Les entretiens ont été réalisés sur le lieu d’exercice des professionnels (sauf pour le chargé de projet de l’ANPAA 35, l’entretien a été réalisé par téléphone). Tous les entretiens ont été réalisés sur le mode d’un face à face enregistré. Un entretien a été réalisé sous forme d’une interview collective.
Pour compléter ces entretiens, un focus groupe auprès d’un groupe d’habitants de Lomme a été réalisé.
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Grille d’entretien : Les professionnels ont été interviewés par entretiens semi-‐directifs. Une grille d’entretien a été utilisée, mais sans imposer une standardisation de la forme, ni de l’ordre des questions (cf. annexe). Le discours du professionnel était orienté pour obtenir des informations sur des points définis à l’avance, tout en maintenant une attitude peu directive. La grille d’entretien a été réalisée pour apporter des réponses aux thématiques suivantes :
- Les parents/conduites à risques de leurs enfants : quels constats ? - Positionnement du professionnel sur le rôle et la place de la famille dans cette prévention :
constats, ressources et difficultés observées par les professionnels - Présentation globale des actions menées / à la thématique (origine du projet, objectif, public,
priorités, modalités, partenariat, spécificités, outils utilisés, financement…) - Posture du professionnel et des partenaires à privilégier pour une implication des parents - Participation des parents dans l’action menée (la préparation, l’animation et l’évaluation) - Implication du professionnel, de la structure, des familles, des partenaires - Points forts, difficultés, éléments favorisants la mise en œuvre et l’animation du projet, en
particulier la mobilisation des parents. Pistes d’amélioration à envisager - Impact du projet au niveau des familles, des relations familiales, des relations
familles/professionnels, du partenariat - Besoins et attentes des professionnels, des structures pour développer l’axe
parentalité/conduites à risques (soutien méthodologique, formation…) - Enseignements transposables à d’autres actions
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Partie 1 : Les parents et la prévention des
conduites à risques Revue de littérature
Cette étude de littérature a été réalisée par Céline Gasperini, psychologue
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PREAMBULE
I-‐ Les parents, des acteurs essentiels dans la prévention des conduites a risques
La famille est un facteur décisif de la socialisation des enfants, y compris en ce qui concerne l’acquisition d’attitudes et de comportements, notamment en matière de consommation d’alcool et/ou d’autres substances. Ils occupent une place centrale dans la prévention des conduites à risques. Comme le souligne dans son introduction le dossier « Addictions, famille et entourage » réalisé en 2013 par la Fédération Addictions : « la cellule familiale est, avec l’école, un des environnements majeurs de développement psychologique et social. Premier lieu d’apprentissages des règles, de l’interdit et de la responsabilité, l’enfant y intègre ses repères, apprend à s’y positionner par rapport aux autres et à se confronter à ses actes. La famille aide l’enfant à s’exprimer et à contrôler ses émotions. Elle est aussi un lieu privilégié et d’interaction entre responsabilité individuelle et responsabilité partagée. Les adultes qui la constituent sont les premiers modèles dans les processus d’apprentissage et d’identification, avant qu’au début de l’adolescence d’autres acteurs n’interviennent, l’influence des pairs prenant alors une importance nouvelle ».
La littérature identifie particulièrement deux types de variables : les variables relationnelles et les variables concernant la supervision parentale.
1-‐ Les relations au sein de la famille
Dans la littérature, les relations au sein de la famille sont abordées selon trois caractéristiques (étudiées ensemble ou de manière indépendante) : - La communication, - Le climat familial, - la proximité affective.
1-‐1 La communication
La communication au sein de la famille peut être définie selon quatre critères : - La liberté d’expression, - La fréquence des conversations, - L’écoute des parents, - La facilité à aborder des sujets intimes ou sensibles.
Les études montrent que les adolescents ou les jeunes élevés dans des familles où la communication avec les parents leur apparaît satisfaisante consomment moins de tabac, de cannabis et d’alcool (Tobler et Komro, 2010). La qualité de la communication parents-‐enfants apparaît même être un facteur de protection plus important que le monitoring décrit ci-‐après (Kerr & Stattin, 2000).
1-‐2 Le climat familial
Le climat familial correspond aux relations entre les parents et entre les parents et l’enfant (conflictuelles versus chaleureuses).
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Les études montrent qu’un climat conflictuel (entre les parents ou entre parents et enfants), associé éventuellement à l’absence de monitoring parental, est plus volontiers associé : - A des perceptions sociales et interpersonnelles de l’adolescent plus favorables concernant la
consommation de substances psychoactives : normes des amis et pairs concernant la marijuana davantage positives, plus grande approbation concernant la consommation de substances illicites par les autres, plus faibles niveaux de capacité à refuser une substance, plus forte recherche de sensation (Hemovich, Lac et Crano, 2011).
- A des conduites de consommation de substances effectives un an après la première enquête.
Le climat chaleureux et de confiance est un facteur de protection important permettant aux enfants d’exprimer librement leurs préoccupations, leurs activités… et il favorise une meilleure communication (Vorst, Engels, Dekovic, Meeus & Vermlust, 2007).
1-‐3 La proximité affective
La proximité affective est communément définie dans la littérature comme un sentiment de proximité et d’intimité ressenti par les enfants envers leurs parents.
Le sentiment de proximité affective influence davantage la consommation ultérieure des enfants, que la consommation, par les parents eux-‐mêmes, d’alcool (étude réalisée auprès de 3127 adolescents de 15 ans -‐ Kuntsche, Kuending, 2002). La qualité de l’attachement est associée à une plus grande intolérance à la déviance et à une moindre influence des pairs déviants, et donc à une moindre consommation de substances (Wood, Read, Mitchell & Brand, 2004). Un lien affectif fort permettrait à l’adolescent de s’approprier les normes et valeurs parentales par un processus d’internalisation. Cette internalisation préviendrait en retour l’engagement dans des comportements déviants. Ainsi, en se sentant proche de leurs parents, la plupart des adolescents adopteraient les valeurs parentales et seraient dès lors plus enclins à développer des habitudes de consommations d’alcool modérées (Jung, 1995).
2 La supervision parentale
La supervision parentale est abordée selon deux caractéristiques : le monitoring et le contrôle parental (les études ont évalué ces aspects ensemble ou bien indépendamment).
2-‐1 Le monitoring
Le monitoring renvoie à la connaissance qu’ont les parents des activités et des fréquentations de leur enfant (c’est-‐à-‐dire où se trouve leur enfant quand il n’est pas avec eux, avec qui et comment il passe du temps).
Un monitoring faible est associé à la consommation de cigarettes et aux alcoolisations juvéniles (Simons-‐Morton, Chen, Abroms & Haynie, 2004 ; Wood et al, 2004). Les adolescents et les jeunes qui déclarent que leurs parents savent où ils sont le samedi soir ont moins de chances de fumer des cigarettes ou de consommer du cannabis que ceux qui affirment l’inverse (ESPAD 2004).
Plus encore, bien que les parents pensent que leur influence diminue lorsque leur enfant entre dans l’âge adulte (Turrisi, Wiersma & Hughes, 2000), la recherche démontre, au contraire, que les parents continuent d’avoir un impact sur la consommation d’alcool de leur enfant au début de l’âge adulte (Brook, Whiteman, Finch & Cohen, 2000 ; Turisi, Jaccard, Taki, Dunnam & Grimes, 2001 ; Turrisi et al., 2000). Ainsi, plus les étudiants en première année universitaire perçoivent que leurs parents essaient de savoir comment ils passent leur temps libre, moins ils sont
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susceptibles de passer du temps avec des pairs ayant de fortes consommations d’alcool, et moins ils sont susceptibles d’en consommer massivement (Abar et Turrisi, 2008).
2-‐2 Le contrôle parental
Le contrôle parental repose sur le fait de donner à l’enfant des règles de vie précises. Cela comprend des pratiques disciplinaires (ex : directives strictes concernant les comportements acceptables) et l’évaluation de leur suivi effectif par l’enfant.
Sur cette variable spécifique, la littérature est inconstante. Néanmoins, il semblerait que la perception par les enfants des règles (qu’elles soient ou non clairement exposées) influence davantage le comportement des enfants que leur contrôle effectif.
Ainsi, les adolescents qui accordent de la valeur à l’opinion de leurs parents auraient davantage tendance à penser sérieusement à arrêter de fumer et/ou avaient davantage essayé d’arrêter durant les 6 mois écoulés. L’opposition parentale à ce que les enfants fument, qu’elle soit ou non réellement exprimée par les parents ou simplement perçue par les adolescents, semble jouer un rôle plus important dans la décision des adolescents de fumer que le fait que les parents fument eux-‐mêmes (Castrucci & Gerlach, 2005). Les adolescents sont ainsi moins influencés par leurs pairs et repoussent l’initiation à l’alcool s’ils pensent que leurs parents désapprouvent la consommation d’alcool. Les adolescents sont moins susceptibles de consommer de l’alcool si leurs parents ont clairement exprimé leurs attentes concernant la consommation d’alcool quand ils étaient plus jeunes (Peterson et al. 1994 auprès d’adolescents de 14-‐15 ans).
Conclusion : le style éducatif parental, un élément déterminant dans la prévention des conduites à risques
Dans une étude (Bartlett, Girst & Hahn, 2011) réalisée en Grande-‐Bretagne, les chercheurs ont suivi une cohorte de plusieurs milliers de personnes (séparées en groupe pilote et groupe témoin) de la naissance à l’âge de 34 ans. L’objectif de l’étude était de mesurer si la manière dont leurs parents les éduquaient avait une influence, à différents âges de leur vie sur leurs comportements face à l’alcool. Les résultats ont montré que le style éducatif exerce une influence plus importante sur les comportements des jeunes que la catégorie socioprofessionnelle, le revenu, l’origine ethnique ou les consommations d’alcool de leurs parents. Ils soulignent que les parents qui accordent beaucoup de temps à leur enfant et savent combiner affection et autorité (attitude que les anglophones qualifient de « tough love » ou « fermeté affectueuse ») exercent une influence protectrice : à l’adolescence et à l’âge adulte, leur enfant aura moins tendance que les autres à s’engager dans des consommations à risques. Les chercheurs en concluent qu’une éducation reposant sur des limites claires associées à un climat affectueux est un facteur de protection important à prendre en considération. En effet, plus la relation parent-‐enfant est adaptée, plus la résistance de l’enfant à l’influence des pairs est forte, et moins il développe des conduites à risques.
De même, les travaux du sociologue français Ludovic Gaussot, ont également mis en évidence cette réalité. Le Style Educatif Parental (SEP) a une influence sur les consommations d’alcool des jeunes de 13 à 24 ans. La prévalence des différents modes de consommation varient selon les deux dimensions du SEP : la sollicitude et l’exigence. Un style éducatif « exigent » protège ou retarde l’entrée en consommation (48% des enfants non-‐consommateurs ont un SEP autoritaire et 25% un SEP vigilant). Or, parmi les seuls consommateurs, un style éducatif marqué par la « sollicitude » modère les pratiques de consommations en limitant globalement les usages à
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risques chroniques (33% des consommateurs sans risque ont un SEP vigilant et 25% un SEP indulgent) (L. Gaussot, L. Le Minor, 2011).
Toutes ces données sont d’autant plus importantes qu’un sondage effectué par l’INPES à la demande de la MILDT en 2010 montre que : - 17% des parents ne parlent jamais des risques liés à l’alcool, - 19% n’ont jamais exprimé leur désaccord avec la consommation régulière et/ou abusive
d’alcool, - 21% ne parlent jamais des dangers liés à la consommation de drogue, - 22% ne rappellent jamais que la consommation de drogue est interdite.
II-‐ Les conduites à risques : inquiétude parentale, croyances erronées et influence du milieu social d’appartenance
1-‐ Parents et adolescents : des représentations opposées de la consommation
Parents et enfants n’ont pas les mêmes représentations de la consommation de drogue : les parents perçoivent les « problèmes de drogue » des adolescents comme plus sérieux que ne le font ces derniers (Mc Duffie & Bernt, 1993). Ainsi, à la question « quelles sont les raisons de la consommation de drogue ? », les parents listent des raisons à connotations négatives comme « l’ennui, la rébellion, la solitude, la pression sociale » alors que les adolescents citent plutôt : « pour s’amuser, pour se détendre, pour gagner en expérience, pour mieux comprendre ».
2-‐ La consommation de drogues et d’alcool : une préoccupation parentale prédominante
Les résultats ci-‐dessous s’appuieront particulièrement sur les résultats d’une thèse de doctorat en sociologie (Le Pape, 2009) s’intéressant à la fois aux pratiques éducatives parentales et aux conduites à risques des enfants. Plusieurs arguments viennent expliquer ce choix : la population étudiée est française, (et non anglo-‐saxonne comme dans la plupart des études publiées), les données sont récentes et la méthodologie utilisée allie à la fois des données qualitatives (entretiens avec les parents et les enfants) et quantitatives.
2-‐1 Des craintes parentales qui évoluent quand l’enfant grandit
La drogue constitue la principale crainte de 68% des parents d’enfants âgés de 6 à 12 ans (IFOP, 2008). L’estimation, par les parents, de la probabilité que leur enfant puisse être exposé à un risque va influencer leur sentiment d’inquiétude. Plus les parents considèrent que leur enfant a des risques d’y être exposé, plus leur inquiétude augmente. Dans cette estimation, l’âge de l’enfant serait le principal facteur déclenchant de l’inquiétude parentale.
La crainte des parents concernant la consommation de substances psychoactives de leur enfant commencerait à émerger lorsque l’enfant a 6-‐7 ans pour croître sensiblement à partir de 12 ans et atteindre son pic entre 15 et 20 ans (pour 32% des parents, elle devient alors la crainte la plus importante). Après 20 ans, cette crainte décroît pour être remplacée par celle liée aux accidents de la route (Le Pape, 2009).
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2-‐2 Des craintes influencées par le milieu socio-‐économique d’appartenance des parents
La plupart des parents s’inquiètent de la consommation de substances de leur enfant à l’adolescence. Pour autant, l’évaluation du risque diffère selon leur milieu socio-‐économique d’appartenance (Le Pape, 2009). En comparaison avec les cadres, il apparaît que les ouvriers, les agriculteurs et les inactifs citent deux à trois fois plus souvent l’alcool et la drogue comme crainte principale.
Catégorie socio-‐professionnelle Pourcentage des parents ayant cité l’alcool et la drogue comme crainte principale
Cadres 11% Commerçants 12% Professions intermédiaires 19% Ouvriers 22% Agriculteurs 27% Inactifs 29%
Selon l’auteur, les parents cadres, plus confiants dans leur capacité à prévenir et à faire face à ce type de risque, apparaissent moins soucieux que les parents ouvriers. « Ainsi, davantage confiants en leur capacité à protéger leur enfant, les cadres seraient moins inquiets par les risques ».
3-‐ Des perceptions parentales souvent erronées
3-‐1 Des parents qui ont tendance à sous-‐estimer la consommation de leur enfant
Le plus souvent, les parents ont une représentation erronée de la consommation de leur enfant concernant l’alcool, la cigarette, ou encore les substances psychoactives illicites (Bylund, Imes & Baxter, 2005 ; Elliott, Morleo, Harkins, Cook, Penny & Philips-‐Howard, Penelope, 2011 ; Joseph W. LaBrie, Napper & Hummer, 2013 ; Williams, Mc Dermitt, Bertrand & Davis, 2003). Il existe un écart entre ce que les parents pensent savoir des comportements de consommation de leur enfant, et ce que ces derniers font vraiment. Les parents ont tendance à sous-‐estimer les consommations de leur enfant. Les résultats étant sensiblement les mêmes d’une étude à l’autre, nous présentons ici ceux d’une étude réalisée au Canada auprès de 985 paires de parent-‐adolescents (âgés de 12 à 18 ans) (Williams et al., 2003). Les résultats de cette enquête montrent que : - Seulement 39% des parents étaient conscients que leur adolescent fumait du tabac, - 34% savaient que leur enfant consommait de l’alcool - 11% qu’il consommait des drogues illicites. De plus, les parents les plus conscients des consommations d’alcool et de tabac de leurs parents étaient ceux d’adolescents les plus âgés (entre 17 et 18 ans).
3-‐2 Et lorsqu’ils surestiment ?
Si la plupart des parents sous-‐évaluent la consommation d’alcool et de substances psychoactives de leur enfant, d’autres, en plus faible proportion, expriment la tendance inverse et surévaluent les consommations (Yang et Al, 2006) : - 5% des parents pensaient que leur enfant avait fumé du tabac au cours des six derniers mois,
alors que leur enfant rapportait ne pas l’avoir fait ; - 8,7% qu’ils consommaient de l’alcool alors que leur enfant rapportait ne pas l’avoir fait ; - 3, 4% qu’ils avaient fumé de la marijuana alors que leur enfant rapportait ne pas l’avoir fait.
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Les résultats montrent également que :
- Ce sont les parents qui rapportaient avoir des problèmes de communication avec leur enfant qui avaient le plus tendance à surestimer la consommation de leur enfant.
- Surestimer les consommations de son enfant influence son comportement ultérieur : les adolescents dont les parents avaient surestimés leur consommation étaient significativement plus susceptibles de boire de l’alcool six mois plus tard. A l’inverse, les adolescents dont les parents avaient sous-‐estimé leur comportement à risque étaient moins susceptibles de fumer du tabac, boire de l’alcool et de consommer de la marijuana six mois plus tard et 24 mois plus tard. Ces données sont corroborées par une étude très récente sur la consommation de marijuana (Lamb & Crano, 2013) auprès d’un échantillon de plus de 3000 paires de parents-‐enfant (âgés de 12 à 17 ans). Cette étude a été réalisée à deux moments : T1 étant le premier moment de l’étude, T2 un an plus tard. La surévaluation parentale a un impact plus fort sur les conduites de consommation ultérieure des jeunes que la sous-‐estimation. Les adolescents qui ne consommaient pas de marijuana au démarrage de l’enquête étaient significativement plus susceptibles de s’initier à son usage un an plus tard si au départ, leurs parents les avaient catégorisés. A l’inverse, les adolescents consommateurs de marijuana à T1 étaient 2,2 fois significativement plus susceptibles d’arrêter leur usage de marijuana si les parents les avaient déclarés à tort abstinents un an plus tôt. En cas de surestimation de la consommation alors que les adolescents étaient abstinents en T1 : les adolescents présentent 4,4 fois plus de chances d’être initiés à son usage un an plus tard.
Ce pattern de résultats trouve son explication dans le cadre de la psychologie sociale, et notamment le phénomène de l’autoréalisation des prophéties ou « effet pygmalion ». Ce phénomène a été décrit par Merton en 1994 et démontré empiriquement par Rosenthal et Jacobson en 1968. Une prophétie auto-‐réalisatrice est une croyance erronée, ou attente, qui mène à son accomplissement. Seules les attentes erronées peuvent être établies comme auto-‐réalisatrices. S'il n'y avait pas de perceptions erronées (i.e. les parents ont une perception juste du comportement de consommation de leur enfant), il n'y aurait pas de prophétie auto-‐réalisatrice, car il n'y aurait aucune différence entre perception et réalité. Les études dans ce domaine ont montré que les personnes qui émettent des croyances envers un individu modulent leur comportement en fonction de leur croyance. Cet aspect est crucial pour notre propos dans la mesure où les parents font partie des référents sociaux les plus importants de l’adolescent, et sont un facteur de risque ou de protection particulièrement puissant aux conduites à risques de leur enfant (cf. chapitre précédent). Depuis Rosenthal et Jacobson (1968), les chercheurs ont montré des associations significatives entre les attentes des parents et le comportement des enfants, et ce concernant la réussite scolaire mais aussi la consommation d’alcool, de tabac et de marijuana (guyll, Madon, Prieto & Scherr, 2010 ; Lamb & Crano, 2013 ; Madon, Guyll, Spoth & Willard, 2004 ; Madon & al., 2008 ; Nash, Mc Queen & Bray, 2005).
3-‐3 Un lien entre consommation et milieu social d’appartenance : des résultats pas toujours aisés à interpréter
De nombreuses études abordent le lien entre les conduites de consommation de substances des jeunes (alcool, tabac, cannabis et autres drogues) et la catégorie socio-‐professionnelle des parents. Toutefois, les méthodologies employées rendent particulièrement difficiles les comparaisons entre les études et l’interprétation des résultats : le critère pris en considération pour déterminer le niveau socio-‐économique n’est pas toujours identique. Certaines études prennent en compte le revenu familial (aisance financière) alors que d’autres privilégient le niveau d’éducation des parents. Néanmoins, certains patterns de résultats semblent se dégager. Pour développer notre propos, nous nous appuierons sur deux études :
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- La première étude présente les résultats d’un rapport international (HBSC) dirigé par l’Organisation Mondiale de la Santé. Il s’agit d’une étude menée auprès des jeunes de 41 pays et régions à travers l'Europe (dont la France) et l'Amérique du Nord. Cette étude s’intéresse spécifiquement aux comportements liés à la santé de jeunes entre 2005 et 2006. Dans cette étude, la situation socio-‐économique des jeunes a été évaluée, notamment le statut professionnel des parents, l’aisance financière ou la pauvreté de la famille. Ces items sont complétés par quatre autres indices : la famille possède ou non une voiture, l’enfant a ou non une chambre pour lui seul, l’enfant est parti en vacances avec sa famille dans les 12 mois écoulés et enfin, la famille possède un ou plusieurs ordinateurs. Une échelle en trois points a ainsi été définie : faible aisance, aisance moyenne, aisance élevée. Nous nous intéresserons ici uniquement aux résultats concernant la France, dont l’échantillon était constitué de 11.638 jeunes âgés de 11, 13 et 15 ans.
- La deuxième étude est une revue de littérature anglo-‐saxonne qui recense 44 travaux d’enquête sur cette problématique spécifique (Hanson & Chen, 2007). Les participants étaient des jeunes âgés de 10 à 21 ans. Afin de limiter l’influence de la culture sur les comportements de santé, les auteurs ont retenu uniquement les recherches menées dans les pays occidentaux.
Le tabac : - Dans l’enquête HSBC, il n’y a pas de lien significatif entre l’initiation précoce (à 13 ans ou plus
jeune) à la cigarette et aisance familiale. Par contre, l’aisance de la famille est significativement associée à une consommation hebdomadaire de tabac chez les filles et non chez les garçons : plus les filles sont issues d’un milieu aisé, plus la consommation hebdomadaire de tabac est faible.
- Dans la revue de littérature internationale, 68% des études suggèrent une association négative entre catégorie socio-‐économique (CSE) et niveau de consommation de tabac. Par contre, contrairement aux résultats de l’étude HBSC, il n’y a pas d’effet du genre (fille ou garçon).
L’alcool : - Dans l’enquête HSBC, il n’existe aucune association significative entre le niveau d’aisance
familiale et la précocité des ivresses (i.e à 13 ans ou plus jeunes), tant pour les garçons que pour les filles ou encore avec la fréquence des situations d’ivresse. Par contre, une aisance familiale élevée est significativement associée à des taux les plus élevés de consommation hebdomadaire d’alcool, à la fois chez les filles et les garçons.
- Les résultats de la revue de littérature internationale divergent de ceux de l’étude HBSC : une majorité des études ne montre pas de lien entre la catégorie socio-‐économique (CSE) et la consommation d’alcool des adolescents. Cependant, ces résultats doivent être nuancés en fonction de l’indicateur utilisé : lorsque l’indicateur utilisé est le statut social des parents (par exemple le niveau d’éducation parental), l’association entre la CSE et la consommation d’alcool a tendance à être négative : les adolescents appartenant à une CSE faible seraient davantage susceptibles de consommer de l’alcool que les adolescents appartenant à une CSE élevée.
Le cannabis : Dans les deux enquêtes citées, il n’existe pas de relation significative entre l’aisance de la famille et l’expérimentation et/ou la consommation régulière du cannabis par les enfants (HSBC). Cependant, ici encore, des nuances doivent être apportées. Si l’indicateur retenu est le niveau d’éducation parental : dans ce cas, l’association entre CSE et consommation de cannabis est plus susceptible d’être négative. En revanche, lorsque le niveau de ressources financières de la famille est utilisé, l’association a tendance à être positive : les adolescents issus d’une catégorie socio-‐économique élevée seraient plus susceptibles de consommer du cannabis que ceux issus d’un niveau socio-‐économique faible.
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Ces résultats peuvent être complétés par l’étude américaine menée par Humensky en 2010 auprès de plus de 20.000 adolescents. Cette étude a mesuré les conduites de consommation, la première fois quand les enfants avaient entre 7 et 12 ans et puis quinze ans plus tard quand ils étaient devenus adultes. Plus les personnes interrogées sont issues d’un milieu social favorisé, plus les consommations de cannabis et de cocaïne sont élevées et plus les consommations d’alcool sous forme de « binge drinking » sont importantes. En revanche, aucun lien n’a été trouvé avec la consommation de méthamphétamine en cristaux ou d’autres drogues (LSD, PCP, champignons, inhalants, héroïne…).
III-‐ Compétences parentales et pratiques éducatives dans la prévention des conduites à risques
1-‐ Des parents inquiets et peu confiants dans leurs compétences parentales
Une étude de 2011 réalisée à la Réunion auprès de 310 parents montre que pour près de 50% des parents, le rôle de parent consiste à poser des limites. Or, plus de 50% des parents expriment également éprouver des difficultés en termes d’autorité, et près d’un sur deux qu’il est difficile de poser des limites. 10% des parents déclarent avoir un problème de communication et d’échange dans la famille.
Selon cette étude, l’éducation des enfants génère : - beaucoup d’interrogations pour 90% des parents interrogés ; - beaucoup d’inquiétudes pour 84% des parents interrogés ; - beaucoup de difficulté pour 55% ; - beaucoup de stress pour 54%.
Plus l’enfant grandit, plus des interrogations et le sentiment d’inquiétude croissent chez les parents pour atteindre 62% des parents interrogés d’adolescents de 15 à 18 ans.
Une enquête IFOP menée en 1998 et réactualisée en 2008 auprès de mille parents fait apparaître que : - 62% des parents déclarent qu’« être parent, c’est beaucoup de bonheur, mais c’est aussi
beaucoup d’inquiétude ». Cette conception de la parentalité est plus répandue chez les femmes (67%) et chez les parents vivant seuls (68 %).
- 34% des parents déclarent ne pas se sentir soutenus par les professionnels dans leur rôle de parents.
- La plupart des parents se déclarent démunis pour aborder la question des conduites de consommation (alcool et autres substances) avec leurs enfants.
- En 2008 comme 10 ans auparavant, la drogue est toujours la première préoccupation des parents pour 45% d’entre eux.
- Une nouvelle source d’inquiétude parentale émerge : l'idée de voir le lien filial se dégrader à la suite d'un conflit direct ou se dissoudre dans l'indifférence, est une source d’inquiétude pour 36 % des pères et des mères interrogés. « Dès que j'ai l'impression de ne pas remplir au mieux mon rôle de mère, je pense que mon fils va cesser de m'aimer, reconnaît Caroline, maman d'un fils unique. Par peur de reproduire les mêmes erreurs que mes propres parents, je n'ai pas toujours osé faire preuve d'autorité. Heureusement, depuis que mon fils a six ans, je me suis rendue compte que son amour pour moi n'avait rien à voir avec le fait que je lui dise non. » Stéphane, 44 ans et père de deux enfants de 7 et 12 ans. « En me séparant de ma compagne, je suis rentré dans une “course à l'amour”, regrette-‐t-‐il. Quand je vois mon fils et ma fille, je
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n'ai pas envie d'être uniquement dans un rapport d'autorité avec eux. Je suis donc forcément beaucoup plus laxiste de peur qu'ils n'aient plus envie de venir chez moi. »
Les parents expriment la volonté de bien faire mais ils manquent de confiance en leurs capacités. Ce constat est confirmé par les chiffres rapportés par la synthèse sur les REAAP (CAF, 2011) : - 46% des parents estiment manquer souvent de compétences. - Parmi ces parents se sentant souvent incompétents :
o 45% ont des difficultés pour interpréter les comportements de leurs enfants, o 44% pour savoir comment les épauler, ou comment se comporter avec eux, o 83% des parents déclarent qu’en cas de difficulté, ils discutent avec d’autres
parents de sujets concernant leurs enfants.
De plus, les parents ont tendance à surestimer l’approbation des autres parents par rapport à la consommation de substances (exemple : la consommation d’alcool par des mineurs ou s’intoxiquer à l’alcool durant une soirée) (La Brie, Hummer, Lac, Ehret et Kenney, 2011). Or, lorsque les parents perçoivent les autres parents comme plus permissifs, ils ont ensuite tendance à se conformer à cette norme et à avoir une position plus laxiste vis-‐à-‐vis de leur enfant.
Enfin, la perception par les parents de leurs pratiques parentales varie en fonction du milieu social : Quel que soit l’indice retenu (catégorie socio-‐professionnelle, revenus, niveau scolaire), les parents issus des milieux sociaux favorisés sont nettement plus assurés de leurs propres connaissances éducatives que les autres parents : - 69% des parents possédant un diplôme universitaire estiment avoir « rarement » ou
« jamais » l’impression de manquer de connaissance dans la façon d’éduquer leur enfant contre 56% chez les parents ayant un niveau d’enseignement primaire ou secondaire.
- Les parents des milieux favorisés sont également les plus nombreux à déclarer ne pas ressentir le besoin d’une aide dans la gestion de la vie quotidienne de leur enfant.
2-‐ Des pratiques parentales liées à leurs représentations du risque
La représentation du risque dépend de trois principaux paramètres : sa visibilité, son exposition et le contrôle de leur enfant. Pour évaluer l’exposition de son enfant à un risque particulier, les critères les plus fréquemment évoqués par les parents sont la fréquence estimée du risque et l’environnement dans lequel l’enfant évolue et grandit. Ainsi, lorsqu’on leur propose une liste de risques, les parents écartent systématiquement ceux dont ils estiment qu’ils ne « touchent » pas leur enfant, c’est-‐à-‐dire ceux auxquels ils pensent que leur enfant n’est pas exposé. Plus un risque est perçu comme probable, plus il suscitera d’inquiétude, et plus en retour il fera l’objet de prévention. Les parents préviennent les risques dont ils ont le plus peur pour leur enfant (Le Pape, 2009). Or, s’agissant des conduites à risques, les parents ont souvent une perception erronée des risques pris par leurs enfants.
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3-‐ La consommation : un sujet de discussions entre parents et enfants peu fréquent
Les discussions entre parents et enfants concernant la consommation d’alcool et d’autres substances sont un facteur de protection à l’installation de conduites à risque. Pour autant, parents et enfants n’ont pas la même perception de la fréquence de ces discussions, comme le montrent les résultats d’une enquête anglaise menée auprès 964 paires de parents – enfants (âgés de 11 à 17 ans) : - 86% des parents rapportent avoir parlé d’alcool à leur enfant au cours des trois derniers
mois ; - seulement 59% des enfants rapportent avoir parlé d’alcool avec leur parents sur cette même
période (Elliott & al., 2011).
En outre, les parents d’enfants qui consomment ont significativement plus rapporté avoir eu ces discussions avec leur enfant que les parents d’enfants qui ne consomment pas. Les résultats ne permettent pas cependant de savoir si ces discussions ont débuté avant ou après que l’enfant ait commencé à consommer de l’alcool. En parallèle, 86% des enfants ont déclaré qu'ils seraient plus susceptibles de se tourner vers les parents ou un autre membre de la famille pour obtenir des conseils au sujet de l'alcool, si nécessaire.
La rareté des discussions parents-‐enfants sur la consommation d’alcool et/ou autres substances est liée également à la sous estimation des conduites de consommation décrites précédemment. Echanger avec son enfant au sujet de sa consommation, solliciter son opinion à ce propos, ou encore exprimer ses attentes vis-‐à-‐vis de la consommation d'alcool au collège ou au lycée passe par une prise de conscience du risque. Dans ce cas, les parents sont moins enclins à parler des stratégies pour éviter les conséquences négatives associées à la consommation d'alcool ou encore des moyens d’associer sécurité et consommation (Bylund & al., 2005).
4-‐ Des parents plus interventionnistes quand ils ont pris conscience de la consommation
Quand les parents perçoivent que leur enfant consomme de l’alcool, ils introduisent plus volontiers au moins trois des méthodes parentales visant à réduire ou prévenir la consommation d’alcool ou les préjudices qui lui sont liés comme s’assurer que leur enfant a bien pris son téléphone portable, supprimer des privilèges, fournir eux-‐mêmes de l’alcool, les empêcher de fréquenter certains amis, offrir de petites quantités d’alcool à boire à la maison, contrôler l’argent de poche, cacher l’alcool à la maison, réduire leur propre consommation, donner des conseils. Les méthodes les plus citées à la fois par les parents et les enfants étaient « discuter avec l’enfant (86% et 61% respectivement), donner un téléphone portable (21% vs 19% ceux qui n’en n’ont pas conscience). Toutefois, 12% des parents et 28% des enfants ont déclaré qu'aucune des méthodes parentales proposées dans l'enquête n’a été introduite par les parents (Elliott et al, 2011).
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IV-‐ La prévention des conduites à risques pour les parents : perceptions, attentes des parents et des professionnels
1-‐ Des actions de prévention pas toujours bien perçues
Quel que soit leur milieu social, les parents reconnaissent que leurs représentations des risques sont influencées, pour partie mais pas uniquement, par ce qu’ils voient, lisent ou entendent, c’est-‐à-‐dire ce qui est visible socialement (Le Pape, 2009). Les messages de prévention ne sont pas reçus de la même façon selon le milieu social d’appartenance des parents : - Dans les milieux populaires, les parents émettent une distinction entre les messages
préventifs « stricto sensu » et ce qu’ils peuvent voir ou entendre dans le cadre d’émissions télévisées ou de témoignages. Les messages préventifs sont soupçonnés d’exagérer afin de mieux convaincre. A l’opposé, les émissions télévisées basées sur des témoignages (par exemple « Ça se discute » ou « Jour après jour ») apparaissent plus crédibles et plus objectives car elles ne chercheraient pas à influencer le téléspectateur. Leur crédibilité tiendrait au fait que les faits seraient présentés sans parti pris (notamment politique) et laisseraient ainsi le téléspectateur libre de se forger son opinion propre. Les entretiens révèlent une « certaine revendication d’être libre d’arbitrer par soi-‐même de la gravité des évènements sans qu’un tiers extérieur n’oriente le jugement ». Il pourrait ici s’agir d’une crainte d’un certain contrôle social par les institutions étatiques. En revanche, les informations médiatiques étant perçues comme objectives, les parents sont davantage susceptibles de les utiliser comme preuves irréfutables et fiables.
- A contrario, dans les milieux sociaux favorisés, l’information relayée dans les médias est significativement moins perçue comme des arguments d’autorité. Pour ces parents, ces informations constituent un élément parmi d’autres servant à orienter leur jugement. Ils semblent avoir une attitude plus distante, un regard plus critique à l’égard de ce type de message pour constituer leur opinion.
2-‐ Des parents souvent réticents à participer à des actions de prévention
En 2011, une étude de marketing social pour la CAF de l’Allier réalisée auprès d’un échantillon représentatif de parents allocataires et d’associations partenaires a permis d’identifier les attentes et les besoins des parents en matière de soutien à la parentalité. Les principaux résultats mettent en évidence la réticence des parents à participer à des actions de soutien à la parentalité : - Les parents ne se sentent pas concernés par des actions menées dans le cadre de l’aide à la
parentalité. - Beaucoup de parents interrogés, y compris ceux évoquant un certain nombre de difficultés,
déclarent ne pas avoir de besoins spécifiques.
Cette étude souligne que cette désaffection des parents aux programmes et interventions est sous-‐tendue par des préjugés importants et persistants. Certains parents éprouvent un sentiment de honte et perçoivent ces actions comme une forme d’assistance, ou encore éprouver un sentiment de fierté de ne pas y participer : « Si j’ai besoin de participer à une action sur la parentalité, c’est que j’ai un problème ». « En général, les gens qui ont vraiment besoin d’une action, ce sont les gens qui ont des soucis ».
De même, l’étude révèle une peur du jugement particulièrement présente chez les parents : en y participant, ils craignent d’être considérés comme de « mauvais parents » :
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« De toute façon, quel que soit ce que l’on fait, il y a toujours des personnes pour critiquer ». Certains parents éprouvent également la crainte d’être jugés, mal accueillis ou de ne pas être entendus.
L’étude de Le Pape s’est également intéressée à la façon dont les parents perçoivent les actions de prévention à leur endroit concernant les conduites à risque des enfants et menées dans les écoles. Selon les parents, ces actions sont essentiellement constituées de réunions d’information et de sensibilisation organisées sous forme de tables rondes. Ces réunions sont animées par des spécialistes (médecins, psychologues, sociologues, gendarmes, éducateurs…) qui viennent témoigner de leur expérience ou procurer des informations qui pourraient être utiles aux parents. Au cours de ces réunions, les conséquences des comportements à risques sont détaillées sur le plan scolaire, juridique, psychologique etc. Enfin, un débat est proposé aux parents.
Concernant ce type d’actions de prévention et d’informations, les avis des parents sont alors fortement clivés en fonction de leur milieu social d’appartenance.
2-‐1 Les parents très réticents dans les classes populaires
Les parents portent un regard plutôt bienveillant sur la volonté déclarée des acteurs scolaires de s’ouvrir à des difficultés ou problèmes extérieurs à la stricte scolarité des enfants. Ils déclarent assister à la majorité des rencontres parents / professeurs organisées durant l’année scolaire et être plutôt favorables au contact avec l’école. Pour autant, ce sont ces parents qui expriment la réticence la plus forte à l’égard de ces actions de prévention. Comme la majorité des autres parents, ils doutent de leur efficacité réelle. Ces rencontres sont perçues comme une « volonté de tutelle infantilisante » plutôt que comme un désir de partenariat. Leur résistance et/ou leur refus d’y participer est lié au sentiment d’une menace d’ingérence de tiers extérieurs dans un domaine qui relève de la vie privée de la famille. Ces derniers préfèrent favoriser le bon sens « naturel » et le savoir transmis entre les générations (de mère en fille et de père en fils) au discours « savant ». Ainsi, pour eux, l’enfant et l’adolescent se développent en suivant des règles simples très éloignées des théories élaborées par les spécialistes qu’ils estiment peu fiables car spéculatives.
2-‐2 Des parents très en demande dans les classes moyennes
Ce sont les parents issus des classes moyennes qui manifestent le plus d’enthousiasme envers ce type d’action de prévention. La quasi-‐totalité des parents a déclaré qu’ils participeraient à des réunions d’information et de sensibilisation sur les produits psychoactifs, en particulier pour enrichir leurs connaissances. L’auteur indique que « cet intérêt pour les savoirs diffusés par les spécialistes – qu’ils émanent des médecins, des psychologues ou de n’importe quel spécialiste de l’adolescence et de la jeunesse – est caractéristique des classes moyennes. La lecture d’ouvrages de vulgarisation y est plus répandue qu’ailleurs ». Ils reconnaissent et valorisent le savoir et les compétences d’autres acteurs éducatifs spécialisés. Les parents souhaitent s’y référer lorsqu’ils pensent manquer de connaissances sur un sujet. Pour Le Pape, cette perception serait à mettre en lien avec le fort désir de réussite de l’éducation de leur enfant.
2-‐3 Des parents issus de milieux favorisés qui ne se sentent pas concernés
L’enthousiasme des parents issus des classes moyennes à participer à ces actions de prévention disparaît quand il s’agit de parents issus de milieux favorisés. Leur présence est conditionnée à la disponibilité que leur laisserait leur emploi, qu’ils décrivent d’ailleurs souvent comme chargé. Ils estiment pouvoir se procurer par eux-‐mêmes les informations diffusées lors de ces actions. Ils ne se sentent pas concernés par ces actions, qu’ils pensent orientées vers le grand public ou vers les familles qui ne peuvent accéder au savoir par leurs propres moyens.
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Les parents soulignent en outre la priorité d’un partenariat éducatif entre école et familles en difficulté seulement, s’estimant ne pas être la cible de ce type de politique. Ils affichent une volonté de se distinguer des autres parents ainsi qu’une sorte d’émancipation à l’égard des normes promulguées par les spécialistes et les discours savants. Les parents rapportent consulter des ouvrages spécialisés, tout en précisant que cette lecture est systématiquement présentée comme étant assortie d’un regard critique. Cela pourrait témoigner de la confiance que les parents ont en leurs propres capacités éducatives. Cela peut être mis en lien avec la représentation que ces parents ont de leur capacité à prévenir les conduites à risque de leur enfant, ce qui leur permettrait de s’affranchir de ce type de réunions.
3-‐ Attentes parentales en matière de prévention
La synthèse d’études locales et d’informations sur les REAAP réalisée 2011 (Caf, 2011) portait spécifiquement sur les attentes et besoins des familles en matière de parentalité. Les parents souhaitent que les thématiques liées aux conduites à risque (alcool, toxicomanie) et ceux liés à l’usage d’Internet et du téléphone portable fassent l’objet de réflexion et d’interventions plus marquées. Dans une autre étude, les conduites à risque sont une thématique parmi les 5 thématiques les plus souvent évoquées dans le cadre d’actions de soutien à la parentalité (CAF Allier, 2011). Dans ce cas, les parents se posent des questions concrètes relatives à des situations vécues. Ils ne cherchaient toutefois pas de réponses toutes prêtes mais des pistes pour gérer eux-‐mêmes la situation. Les parents souhaitent en priorité confronter leurs idées et leurs expériences au sujet des consommations avec d’autres parents et les professionnels (REAPP, CAF, 2011).
4-‐ Représentations des professionnels sur les compétences parentales
Dans la majorité des cas, les intervenants ont des représentations positives des parents (Montigny et Lacharité, 2012). Pour cet auteur, les mères sont perçues plus positivement que les pères, et ce quel que soit le genre des répondants. Il apparaît que les professionnels ne sauraient pas exactement ce que signifie « être père » et éprouveraient davantage de difficultés à prendre en considération leurs compétences. De fait, les intervenants auraient moins d’habiletés pour intervenir auprès des pères, les rejoindre et les impliquer dans les programmes, répondre à leurs besoins et attentes.
Les intervenants les plus âgés ont une perception plus négative des parents que les plus jeunes. Ils adoptent en outre « plus régulièrement des croyances les orientant vers des pratiques où ils se posent en expert à propos des solutions que les parents devraient adopter afin de résoudre leurs problèmes ». Les auteurs suggèrent que cette différence de posture pourrait refléter la formation initiale des intervenants. Certains professionnels pourraient être tentés de transmettre des messages éducatifs qu’ils considèrent comme bons. Il est important de veiller à ne pas véhiculer des a priori spécifiques au professionnel, c’est-‐à-‐dire emprunts d’une culture, d’une histoire, de normes et de représentations spécifiques sur la parentalité et les conduites à risque. Cela étant, l’étude souligne de façon pertinente que l’ensemble de tous les répondants professionnels adhèrent aisément aux principes exposés dans le modèles de l’empowerment (Dunst et al., 1994, cité par Montigny et Lacharité, 2012). Ils rapportent néanmoins éprouver des difficultés à les appliquer, et notamment : encourager les parents dans l’utilisation des réseaux naturels (pour 41,3% d’entre eux), utiliser les forces des parents pour produire des réussites immédiates (49,2%) et avoir une relation de réciprocité avec le parent (33,7%).
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V-‐ La prévention au cœur des familles : pertinence, constats, préconisations, orientations générales
Dans le cadre d’un mandat qui lui a été confié par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), Addiction Suisse a mené en 2012 un important travail de recherche sur le thème de la famille et de la prévention des addictions. Ce travail entend apporter des éclairages sur les meilleures façons d’atteindre le public cible ainsi que sur les offres en matière de prévention axée sur les familles (en particulier, les groupes de parents vulnérables ou ceux que l’on ne parvient à atteindre qu’avec difficultés).
La démarche retenue s’est déroulée en trois phases : - Un état des lieux des efforts entrepris aujourd’hui en Suisse dans le domaine de la prévention
des addictions – universelle, sélective et indiquée – axée sur les familles ; mettre en évidence ce qui existe ainsi que les lacunes.
- Une analyse de la littérature, les «bonnes pratiques» déjà éprouvées au niveau international en matière de prévention des addictions axée sur les familles.
- Un débat des résultats de ces deux inventaires avec des acteurs de terrain au sein de groupes de discussion (focus groups) afin d’élaborer des mesures et recommandations qui permettent de développer une prévention des addictions (universelle, sélective et indiquée) axée sur les familles.
La recherche de littérature internationale a notamment mis en évidence les points suivants (S. Kuntsche, E. Kuntsche, Addiction Suisse, 2013) :
- Les programmes de prévention à destination des familles s’avèrent généralement plus efficaces que ceux s’adressant exclusivement aux enfants et aux adolescents.
- Bien que connus en théorie, ces facteurs de réussite sont encore peu pris en compte dans la pratique. Ainsi, il existe peu de projets s’adressant aussi bien aux enfants qu’aux parents ou à l’ensemble de la famille.
- Il existe de nombreux projets qui contribuent à diminuer les facteurs de risque en lien avec les conduites à risques, sans qu’ils ‘en fassent un objet explicite.
- Beaucoup d’actions de prévention portent sur des événements isolés, davantage consacrés à la transmission de connaissances qu’à la mise en pratique concrète du quotidien. Pourtant, la recherche démontre l’intérêt de développer des interventions successives complémentaires.
- Ce sont souvent les familles qui auraient le plus besoin de soutien qui bénéficient le moins de ces actions. Les travaux montrent que ce sont essentiellement les parents relativement instruits et bien intégrés qui ont recours aux offres existantes. Ces offres atteignent difficilement les familles défavorisées d’un point de vue socio-‐économique ou confrontées à des problèmes d’addiction.
- Atteindre efficacement les parents passe la plupart du temps par la proposition d’actions dans des lieux déjà repéré par les parents et des canaux de communication qu’ils utilisent au quotidien.
L’exploitation des différentes études retenues a permis de mettre en évidence les éléments qui ont favorisé le succès de programmes de prévention des addictions axés sur les familles ou les parents :
• Plus une mesure se situe à une échelle globale – c’est-‐à-‐dire qu’elle comporte des interventions aux niveaux des écoles, des communes, des associations sportives et des commerces de proximité –, plus son efficacité semble accrue. Ce degré d’efficacité élevé est à mettre en corrélation étroite avec un niveau d’investissement/de dépenses également élevé.
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• L’insertion d’un module pour les parents dans les offres déjà existantes à l’intention des enfants ou jeunes s’est avérée souvent concluante dans le cadre d’actions manifestement faciles à mettre en place (soirées de parents, brochures, etc.).
• Parallèlement à la transmission de connaissances objectives fiables, il est important de fournir des conseils pratiques pour intégrer ces connaissances dans la vie de tous les jours. Cela augmente l’efficacité d’une démarche centrée sur la famille. En outre, il est plus indiqué de remplacer des soirées isolées avec les parents, dans la mesure du possible, par des formes particulières de sessions thématiques (Booster Sessions).
• Parmi les moyens efficaces pour prévenir la consommation problématique chez les jeunes il faut relever : la valorisation du rôle des parents dans le sens du contrôle et de la connaissance de ce que font leurs jeunes pendant leur temps libre ; le renforcement de la responsabilité parentale dans la définition et le contrôle de règles, de plus adaptées à l’âge de l’enfant, ainsi que dans l’organisation partielle de leur temps libre.
• La mise à profit de phases sensibles ou de « fenêtres » critiques semble revêtir une importance centrale dans les programmes de prévention à l’intention des familles. La motivation à remettre en cause des comportements bien établis et, le cas échéant, à les modifier, paraît plus forte dans les périodes marquées par des changements importants dans la vie (naissance d’un enfant, entrée au jardin d’enfants/à l’école) ou dans des phases critiques (hospitalisation en raison d’une intoxication alcoolique, prise en charge thérapeutique de parents dépendants). Il est vivement recommandé de mettre à profit ces moments-‐clés de manière adéquate.
• Le recours aux mêmes types de mesures – s’appliquant aussi bien dans la prévention universelle que dans la prévention sélective et indiquée, moyennant quelques adaptations, permet de réaliser des économies substantielles (gains de temps, de ressources humaines et financières). La condition sine qua non est cependant de prévoir la mise en place d’un réseau et d’une coopération étroite entre les divers acteurs en charge de l’accompagnement des parents vulnérables ou difficiles à atteindre.
Les chercheurs ont proposé un ensemble de conclusions et recommandations, tant dans le champ de la prévention universelle que dans ceux de la prévention sélective t ciblée. Les propos ci-‐dessous sont issus de la synthèse du rapport :
1-‐ Conclusions et recommandations relatives à la prévention universelle des addictions
L’existence d’une grande variété en matière de prévention universelle des addictions axée sur les familles mérite ici d’être reconnue, d’autant plus que le soutien politique et financier accordé à ces efforts est jusqu’à présent insuffisant. Les lacunes constatées ne sont en aucun cas à imputer aux divers acteurs institutionnels actifs en la matière. Aussi bien à travers l’état des lieux que via l’analyse de la littérature, on peut constater que les offres de prévention des addictions sont proposées tardivement, à savoir: chez les enfants vers l’âge de 10 ans ou même à partir de la puberté. De plus on a recours uniquement à des canaux conventionnels ou classiques (exemple: les écoles); avant cette période, des moments clés qui pourraient être pertinents demeurent inexploités. Une approche systémique, qui ferait intervenir plusieurs actrices et acteurs travaillant avec les familles est plus efficace, mais ne semble guère appliquée. En outre, la participation des parents n’est la plupart du temps effective qu’au stade de la mise en œuvre des offres alors qu’elle devrait intervenir dès leur planification et leur conception. Les aspects liés à la notion de genre sont certes considérés comme essentiels, mais ils ne déterminent les offres que de manière marginale. Il est aussi à noter que, contrairement à la formation des parents, peu d’offres basées sur des évidences scientifiques sont mises en place, ce qui permettrait également de profiter des synergies.
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Les recommandations à l’adresse des institutions ci-‐dessous sont ventilées en fonction des catégories «Périodes favorables», «Démarches pour toucher les familles» et «Mesures à prendre».
1-‐1 Périodes favorables
Les offres en matière de prévention universelle des addictions axée sur les familles sont à proposer dès que possible et il est conseillé d’utiliser des moments clés de la vie des enfants, des phases de transitions (prise en charge extérieure à la famille, entrées dans un jardin d’enfants, dans une école, dans la puberté, etc.).
1-‐2 Démarches pour toucher les familles
- Parallèlement aux manières d’atteindre les parents utilisées depuis longtemps (exemple: les établissements scolaires), il est conseillé de mettre davantage à profit les lieux fréquentés par les mères et pères au quotidien. Ces espaces d’accès à bas seuil concernent notamment les offres proposées sur les lieux de travail, dans des centres commerciaux ou des maisons de quartier de même que des projets réalisés dans des lieux de rencontre culturels ou religieux.
- L’organisation de loisirs à l’intention des familles (exemple: activités sportives, vie associative, etc.), offre des points d’ancrage propices aux projets de prévention. Les pères divorcés, par exemple, profitent de leur droit de visite en passant du temps avec leurs enfants dans ces contextes de loisirs.
- Pour accéder aux parents issus de la migration il est judicieux de passer, comme c’est déjà le cas dans divers projets, par des intermédiaires-‐clés, des multiplicateurs et des réseaux sociaux propres à ces groupes-‐cibles.
- Pour toucher les parents, il est préférable de ne pas se focaliser sur des problèmes particuliers, mais plutôt de valoriser leurs ressources et compétences. Il peut être d’un grand secours de développer des offres en lien avec des instances ou organismes en charge de l’éducation des parents ou de la promotion de la santé; cela permet d’éviter que le thème de l’addiction soit trop présent en toile de fond.
1-‐3 Mesures à prendre
- Les recommandations générales préconisent la promotion d’une coopération interinstitutionnelle et intersectorielle dûment formalisée ; ces réseaux doivent être utilisés afin de développer les projets et offres en intégrant plusieurs niveaux d’intervention (familles, écoles, municipalités, loisirs, etc.) selon une approche systémique.
- Les parents doivent être reconnus et considérés dans leur rôle d’experts. Cela signifie que les mères et pères devraient être associés étroitement à l’élaboration et à la planification des offres de prévention qui leur sont destinées. De telles mesures peuvent permettre d’augmenter le degré d’acceptation et de viabilité des projets.
- Les offres basées sur l’évidence scientifique, à l’intention des parents et familles, doivent être accessibles aux publics ou groupes-‐cibles vulnérables (pères, parents issus de la migration, etc.) en adaptant les conditions cadres et les contenus.
- Une approche par les pairs (Peer-‐to-‐Peer) est également à mettre à profit de manière systématique et, lors de manifestations à l’intention des familles et des parents, il faut prévoir d’y avoir recours, indépendamment des conditions socioéconomiques ou culturelles.
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- La prise en compte des aspects spécifiques au genre devraient être intégrée à différents niveaux : en veillant à une direction mixte des projets et offres, en proposant des séquences différenciées au sein d’offres existantes ou en proposant des offres différentes selon les genres, basées sur les évidences scientifiques que des causes ou motivations de consommation de produits diffèrent en fonction du genre.
- Dans la mesure du possible, il est souhaitable de fournir des parties plus expérimentales dans les offres et projets, et non pas uniquement de la transmission d’un savoir théorique.
- En règle générale, les offres en matière de prévention des addictions axée sur les familles doivent être proposées gratuitement aux utilisatrices et utilisateurs.
2-‐ Conclusions et recommandations relatives à la prévention sélective et indiquée des addictions axée sur les familles
Comme déjà précisé à plusieurs reprises, il existe plus d’offres destinées à la famille tout entière dans la prévention sélective et indiquée que dans la prévention universelle des addictions. Les travaux préliminaires, très coûteux, en vue de construire des réseaux et de mettre en place des collaborations ont pu conduire, également en raison de faibles appuis politiques et financiers, à ce nombre relativement limité d’offres. Autre difficulté majeure : les limites entre la prévention sélective/indiquée des addictions axée sur les familles et les consultations ou offres thérapeutiques sont fluctuantes en comparaison avec la prévention universelle des addictions. Les problèmes de responsabilités et de coordination sont encore plus épineux qu’en prévention universelle. Malgré ces obstacles, quelques offres et projets innovateurs ont pu être développés dont la diffusion permet de profiter. Il est ainsi recommandé :
2-‐1 Périodes favorables
- Dans la mesure du possible et si cela semble judicieux, les offres en matière de prévention sélective/indiquée des addictions axée sur les familles, doivent chercher à tirer profit des moments-‐clés, notamment des situations critiques (séjour à l’hôpital d’un enfant, intoxications alcooliques chez les jeunes, poursuites sur plainte, chômage des mères ou pères, etc.).
- A travers des sensibilisations ciblées dans les divers lieux d’activités (écoles, loisirs, communes, etc.), il s’agit de mettre en place une détection précoce des situations problématiques dans les familles. Dans cette optique, il est souhaitable de mettre à disposition des instruments de travail spécifiques ou d’en développer (exemple: liste de vérification ou check-‐list).
2-‐2 Démarches pour toucher les familles
- Par analogie avec la prévention universelle des addictions et parallèlement aux manières traditionnelles d’atteindre les parents (exemple: les écoles), il est conseillé de mettre davantage à profit les lieux fréquentés au quotidien par les mères et pères. Ces espaces d’accès à bas seuil concernent notamment les offres proposées sur les lieux de travail, dans les centres commerciaux ou les maisons de quartier de même que des projets réalisés dans des lieux de rencontre culturels ou religieux.
- Chaque fois que l’investissement paraît possible et judicieux, il convient d’intégrer les parents dans les offres déjà existantes à l’intention des enfants et jeunes en situation de vulnérabilité.
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- Les manières de toucher les familles vulnérables ou confrontées à des problèmes d’addiction doivent passer si possible par des intermédiaires-‐clés (exemples: référents membres de services sociaux publics ou d’Eglises, responsables de maisons de quartier, etc.) et des multiplicatrices et multiplicateurs en contact direct avec les groupes-‐cibles concernés.
2-‐3 Mesures à prendre
- Les recommandations générales préconisent la promotion d’une coopération dûment formalisée ; celle-‐ci doit ici aussi, comporter un travail en réseau avec les mesures et offres des autorités judiciaires, des services de consultation et de thérapie et de divers services sociaux. Ces réseaux doivent être utilisés afin de développer les projets et offres, selon une approche systémique, en intégrant plusieurs niveaux d’action (Services sociaux, Offices régionaux de placement, services de l’enfance et de la jeunesse, etc.).
- Les parents sont à considérer comme des experts relativement à leur handicap ou en tant que famille touchée par une addiction. C’est pourquoi il est important de les intégrer dans les processus dès le stade de la planification et de la préparation des offres qui leur sont destinées.
- Les offres testées et standardisées à l’intention des parents et familles, sont à rendre accessibles également aux groupes-‐cibles vulnérables (parents n’ayant bénéficié que d’un accès limité à la formation et/ou étant défavorisés d’un point de vue socio-‐économique, pères ou mères souffrant de troubles psychologiques, etc.) par le biais d’adaptations des conditions-‐cadres et des contenus. Si l’on parvient à toucher des familles vulnérables via des offres générales et non sélectives, on évite le risque de stigmatisation.
- L’approche par les pairs est également à mettre à profit de manière proactive dans la prévention sélective/indiquée axée sur les familles et lors de manifestations pour les familles et les parents.
- La prise en compte des aspects spécifiques liés au genre et à la migration nécessite de la part des professionnels des compétences parfois poussées, notamment dans les activités de conseil ou d’autres situations de face-‐à-‐face.
- Il paraît souhaitable de définir des critères, (par exemple à l’aide d’une liste de vérification ou check-‐list), pour pouvoir décider s’il y a lieu de prendre des mesures d’ordre thérapeutique.
- En règle générale, les offres en matière de prévention des addictions axée sur les familles doivent être proposées gratuitement aux bénéficiaires.
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Partie 2 : Les parents et la prévention des
conduites à risques - Etat des lieux des actions menées -‐
- Résultat d’une enquête de terrain et de la revue de littérature
Cet état des lieux a été réalisé par : Pour les données issues de la littérature nationale et internationale :
Céline Gasperini, psychologue
Pour « l’enquête de terrain » réalisée auprès de professionnels de la région Nord Pas-‐de-‐Calais : Sylvie Gadeyne, chargée de mission
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I-‐ Les problématiques repérées dans « l’enquête terrain »1
Les professionnels font état de problématiques parentales dans la prévention des conduites à risques. Les difficultés énoncées se situent dans l’évaluation ajustée des prises de risques de leurs enfants et dans la confiance qu’ils ont pour exercer leur rôle parental.
Cette partie traitera exclusivement de données issues de l’enquête terrain menée auprès de treize professionnels sous la forme d’entretiens semi-‐directifs.
1-‐ Des parents qui ne se sentent pas concernés avant l’adolescence
Plusieurs professionnels évoquent l’idée que les parents se sentent concernés par les questions liées aux prises de risques à partir de la préadolescence, mais pas avant. Quand leur enfant est encore à l’école primaire, ils ne peuvent imaginer qu’en grandissant, il fera certainement l’expérience de la consommation. Dans ce cas, ils sont « dans un déni de l’expérimentation de la consommation » (Professionnel en addictologie). Pour les parents, il est trop tôt pour se poser ces questions et « ils ne parviennent pas à imaginer que leur enfant va consommer ». Cette attitude rend difficile la place des professionnels comme le souligne ce même professionnel : « comment les toucher alors qu’ils ne se sentent pas du tout concernés avant l’entrée au collège ? » (Professionnel de proximité).
Ce sont plutôt les parents d’adolescents qui vont venir se préoccuper de ces questions. L’entrée au collège leur apparaît comme une étape décisive dans le parcours de leur enfant : «Avant l’entrée au collège, les parents ne se sentent pas concernés et ils n’y pensent pas car il n’y a pas de sollicitation. L’entrée au collège vient changer la donne : les sollicitations sont plus nombreuses et en plus les parents gardent l’expérience de leurs plus grands enfants » (professionnel de la parentalité)
« Le passage au collège est appréhendé par les parents car cela signifie une perte de contrôle sur les fréquentations, sur leur enfant. Les jeunes ont ou vont essayer le tabac, l’alcool ou d’autres drogues. Les parents se sentent très démunis. Ils sont unanimes, quand ils évoquent cette étape. On sent les angoisses monter, c’est une ambiance très pesante. Soit ce sont des parents qui sont passés par cette étape et qui, même avec un certain recul parce que leurs enfants sont devenus un peu plus grands, n’ont pas de solution à proposer. Ils sont dans l’incapacité à évoquer ces situations. Soit des parents de jeunes qui vont passer au collège et qui se posent beaucoup de questions et qui appréhendent. Ils sont dans l’angoisse » (professionnel de proximité). « Aborder ce sujet n’est pas une demande des parents ; cela ne vient pas facilement. J’ai dû traiter ce sujet trois fois en 15 ans et la question de la dépendance, une seule fois. Lors des rencontres, les thèmes sont abordés en fonction des centres d’intérêt des familles. L’adolescence est abordée par les parents mais ils ne vont pas spécifiquement la dénommer. La plus grosse préoccupation des parents, c’est surtout l’école, les relations avec l’Education Nationale (…) et aussi les questions liées à l’insécurité dans le quartier et les peurs que ça entraîne, le risque de se faire entraîner dans la délinquance » (professionnel de la parentalité).
1 Les résultats de « l’enquête terrain » sont illustrés par des citations des professionnels rencontrés. Dans ce cas, leurs propos sont signalés par des guillemets et inscrits en italiques. Afin de garantir l’anonymat des professionnels, seules des précisions concernant le type de structure dans lesquels ils travaillent sont mentionnées (structure en addictologie/structure parentalité/structure de proximité).
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2-‐ Des attitudes parentales différenciées selon le produit : entre banalisation et dramatisation
2-‐1 Des parents qui banalisent la consommation d’alcool et craignent la consommation de cannabis
Les parents qui viennent aux réunions organisées à leur intention font part de préoccupations plus importantes sur le cannabis que sur la consommation d’alcool. Pour la consommation de cannabis, ils posent clairement un interdit alors que pour celle de l’alcool, l’interdit est beaucoup moins marqué ou exprimé. La consommation d’alcool est davantage banalisée alors que celle de cannabis fait peur. Pour les professionnels, les parents ont tendance à minimiser la consommation d’alcool de leurs enfants pendant les fêtes et les sorties. Pour quelques personnes interviewées, les phénomènes de « biture express » sont davantage une préoccupation des professionnels que des parents. En cas d’hyper alcoolisation, les professionnels pensent que dans « les parents ne verraient pas leur enfant grandir » les parents que leur enfant serait « mal influencé ».
« Dans les réunions de parents dans les lycées, les parents nous parlent surtout de leur peur du cannabis. Ils sont plus préoccupés par le cannabis que par l’alcool. Il faut qu’on rétablisse les choses pour qu’ils n’oublient pas que leurs jeunes, quand ils font la fête, ils boivent de l’alcool » (professionnel en addictologie).
« Sur le site de drogues infos services, les jeunes vont nous poser des questions sur l’alcool… mais pas les parents. Les parents ont une plus grande tolérance par rapport à l’alcool. Les parents vont poser des questions quand la consommation d’alcool est très marquée. Pour le cannabis, ils vont appeler quand ils trouvent du shit dans la chambre. Ils vont appeler plus tôt quand la consommation est encore anodine » (professionnel en addictologie).
« L’alcool, on en parle de manière beaucoup plus rare avec les parents. C’est comme si ça n’existait pas… » (professionnel de la parentalité).
Néanmoins, plusieurs professionnels feront remarquer qu’en fonction de l’origine culturelle des familles, les préoccupations peuvent être différentes : les familles maghrébines ont tendance à banaliser davantage la consommation de cannabis :
« Dans les familles maghrébines, le joint c’est beaucoup plus banalisé. Il n’y a pas une réelle peur, sauf celle de la justice » (professionnel de la parentalité).
2-‐2 Les nouvelles technologies accusées d’être source de tensions familiales
Le temps passé par les enfants et les jeunes sur les jeux vidéo ou le téléphone portable et les réseaux sociaux les conduit à délaisser le travail scolaire ou à se désintéresser de ce qui se passe dans la vie de la famille, en particulier pendant les repas. Ils ont sentiment qu’ils ne vivent pas dans le même univers que leur adolescent et ils ont des difficultés à comprendre l’intérêt porté à l’utilisation de ces technologies. Les parents se sentent en difficulté dans leur rôle éducatif pour poser des limites tout en maintenant une capacité de dialogue : le plus souvent, en parler de manière sereine est difficile. Cette difficulté peut même parfois conduire à une diabolisation des écrans et venir cristalliser les difficultés d’entente entre parents et jeunes. Les parents peuvent apparaître d’autant plus dépassés que pour un certain nombre d’entre eux, il s’agit d’outils de communication qu’ils maîtrisent peu (par exemple, quand ils ne savent pas allumer un ordinateur). Le décalage entre la pratique des enfants et celle des parents peut rapidement leur faire penser qu’il s’agit là d’une addiction. Nous retrouvons cette thématique de manière récurrente dans les entretiens avec les professionnels. Ce sujet est pris en compte par les professionnels et fait d’ailleurs l’objet d’actions ciblées de prévention et d’information. Sur les questions liées aux nouvelles technologies, les
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professionnels observent que les parents sont demandeurs d’information et d’échanges avec d’autres parents. Ce sujet apparaît bien plus facile à aborder pour les parents dans la mesure où il existe beaucoup moins de résistances que lorsqu’il s’agit d’évoquer les consommations d’alcool ou de cannabis par exemple.
3-‐ Des attitudes parentales extrêmes
Du point de vue des professionnels rencontrés, l’attitude des parents peut osciller entre dramatisation des conduites à risques ou au contraire à leur sous-‐estimation. Dans les deux cas, l’attitude parentale ne paraît pas appropriée et pose des difficultés.
Les parents peuvent être dans une attitude de déni de la prise de risques comme le souligne ce professionnel de la parentalité : « le risque c’est pour le voisin, c’est pas pour eux. C’est seulement quand les parents ne pourront plus faire autrement, quand ils solliciteront l’aide de professionnels qu’ils diront « comment j’ai fait pour ne pas voir. J’ai appris que ça faisait plusieurs années, comment j’ai pu passer à côté ? ». En parallèle, ce même professionnel évoque l’inquiétude des parents devant les problèmes d’insécurité dans le quartier. Les parents peuvent imaginer que leur enfant soit influencé par un réseau de dealers présents dans le quartier mais, en tout cas, ils n’évoquent pas celle que leur enfant consomme.
Concernant la consommation d’alcool, de cannabis et d’autres produits, les parents ont le sentiment que les générations plus jeunes sont plus en danger que ce qu’ils ont pu connaître au même âge. « Les parents dramatisent les risques liées à la consommation des jeunes : 5% des jeunes risqueraient de devenir addicts alors que les parents pensent souvent qu’ils vont être une majorité à connaître l’addiction » (professionnel de proximité). Cette dramatisation des risques peut être notamment liée à :
3-‐1 La méconnaissance des produits, de leurs effets et des problématiques liées à la dépendance
Pour exemple, une structure d’aide à la parentalité évoque le discours de parents : « fumer du cannabis est associer à se droguer, à devenir toxicomane » ou encore « ils habitent dans des quartiers sensibles. Ils entendent parler de cocaïne, d’héroïne, ils ont besoin de comprendre ce que c’est, si c’est de la drogue, ce qu’ils peuvent faire, les conséquences sur la santé ».
Les parents ont tendance à faire un raccourci entre consommation et dépendance et craignent « l’escalade du produit ». Ces méconnaissances accentuent leurs difficultés à évaluer les prises de risques, comme par exemple quand il s’agit des troubles du comportement alimentaire : « ils se demandent si le comportement de la gamine de 12 ans qui ne mange plus est normal. Quand la gamine ne mange plus avec les parents mais toute seule dans sa chambre, ils disent qu’ils n’arrivent pas à en parler avec elle » (professionnel de proximité).
3-‐2 La difficulté à prendre du recul par rapport aux reportages télévisés
Les parents ont d’autant plus une vision erronée des prises de risques qu’ils sont très influencés par les médias et n’ont pas toujours le recul nécessaire pour traiter l’information qu’ils reçoivent. « Je constate l’impact des reportages passés à la télévision : ils sont noyés, ils ont accès à tous ces reportages. Quand ils parlent, ils ne parlent pas forcément de leurs enfants, de leur quartier… ils en parlent de manière générale comme s’ils avaient été confrontés aux situations regardées en termes de violences, de trafic. Ils ont des difficultés à prendre du recul par rapport à ce qu’ils ont vu : ils généralisent des situations qu’ils ont pu voir, ils ont des craintes… » (professionnel de la parentalité).
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4-‐ Des parents en perte de repères et peu confiants dans leur capacité à exercer leur rôle parental
Les parents ne se sentent pas toujours compétents pour aborder ce sujet avec leur enfant et manquent de confiance en eux.
4-‐1 Un sujet qui leur font perdre leurs repères
Comme le souligne un professionnel de proximité, les parents appréhendent sans difficulté majeure la notion de risque quand l’enfant est encore très jeune. Par exemple, quand il s’agit de favoriser l’apprentissage de la marche chez le tout petit : ils l’accompagnent dans cet apprentissage, le rassurent, le protègent… ils sont en capacité de transmettre cet apprentissage. Par contre, quand ils sont confrontés aux prises de risques vis-‐à-‐vis de la consommation d’alcool ou autres produits de leur adolescent, ils perdent leurs repères et peuvent apparaître désemparés. Pourtant, dans l’attitude éducative si ces deux situations sont différentes, il existe des points communs : dans les deux cas, les parents doivent démontrer leur capacité d’attention, d’encouragement, de tâtonnement, de protection et leur capacité à poser des limites.
4-‐2 Un sentiment de manque de légitimité
« Les familles avec lesquelles on travaille ont souvent perdu des repères, ils ont des repères qui vacillent, c’est toujours douloureux de voir ça. Cette perte de repères, c’est un peu la tarte à la crème : ils ne se sentent pas légitimes à affirmer ce à quoi ils croient et ne savent plus ce qu’on peut interdire, et comment on va le faire » (professionnel de la parentalité).
Ce professionnel rappelle cependant la responsabilité des acteurs socio-‐éducatifs dans cette perte de repères :
« A force de penser que les professionnels avaient leur mot à dire dans la façon de faire des parents et de vouloir aider les parents, de leur dire de faire ceci ou cela… On a produit l’effet inverse, ils ne savent plus trop ce qu’il faut faire, on a pensé à la place des parents. C’est une dérive ». De ce fait, dès qu’une difficulté existe, c’est comme une pathologisation des réactions. Cela devient comme un réflexe d’aller consulter un psy. J’observe quelque chose qui ne va pas, et tout de suite je consulte ».
Le manque de confiance des parents dans leur capacité à faire face à une difficulté de leur enfant peut les conduire à solliciter l’aide d’un spécialiste, là où auparavant, ils auraient trouvé des solutions par eux-‐mêmes.
4-‐3 Un effet « miroir » et un manque de crédibilité
Les parents sont d’autant plus en difficulté pour aborder les conduites à risques qu’ils rencontrent eux-‐mêmes des difficultés à gérer leur consommation de substances psychoactives ou celle des nouvelles technologies. Des référents parentalité expliquent : « quand on parle des consommations des enfants, les parents font le lien avec leurs propres expériences de consommation et par exemple le temps qu’ils passent sur l’ordinateur (…) Je ne sais pas comment gérer les problèmes d’ordinateur de mes enfants car moi-‐même je suis en difficulté. Ils n’ont pas suffisamment de recul sur leur propre comportement pour pouvoir aider leurs enfants. Ils ne savent pas comment s’y prendre ».
Ils se posent clairement la question de leur crédibilité auprès de leur enfant… Les parents ont conscience de leur rôle et/ou de la prise de risques chez leur enfant mais ces situations ont un effet « miroir ». Les professionnels soulignent : « En parler avec mon gamin me conduit à regarder
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aussi comment moi je fonctionne » ou encore « Pour un parent consommateur, que vais-‐je pouvoir dire à mon enfant alors que moi-‐même je consomme ? ». Cette difficulté est particulièrement prégnante pour les patients suivis en CSAPA : ils ne se sentent pas compétents pour prévenir la consommation auprès de leurs enfants et gérer les prises de risques. Ils ont besoin d’aide pour partir de leur expérience de la consommation et en retirer les enseignements susceptibles de soutenir leur enfant. Ils souhaitent trouver l’approche la plus adaptée auprès de lui mais ne savent comment faire (un membre du comité de pilotage).
4-‐4 Des parents qui culpabilisent et se sentent en échec
Comme le souligne des membres du comité de pilotage, la difficulté des parents est d’autant plus grande que les pressions sociétales sont importantes. La réussite sociale, le culte de la performance, la progression de l’individualisme ont des conséquences sur la qualité des relations familiales : les parents reçoivent cette pression et la transmettent à leurs enfants (ex : la pression à la réussite scolaire).
Concernant les conduites de consommation à risques, des professionnels soulignent le sentiment de culpabilité des parents. Ils s’attribuent la responsabilité de la consommation de leur enfant et considèrent qu’ils ont failli dans l’éducation de leur enfant. Si le jeune consomme de l’alcool ou du cannabis, c’est l’ensemble de l’éducation qu’ils ont donné à leur enfant qu’ils remettent en cause : « Les parents ne se sentent pas bons parents quand un fils fume du cannabis » « J’ai raté mon éducation car on n’arrive plus à se parler ». Il s’agit là d’un échec qui peut devenir difficile à porter et les parents ont besoin d’être soutenus par d’autres acteurs dans cette prévention. Quelques professionnels soulignent également le regard négatif que les parents peuvent porter sur leur enfant ou leur adolescent et évoquent la nécessité de restaurer l’image qu’ils ont de leur enfant. Dans ce cas, les professionnels invitent les parents à venir voir leur enfant à une représentation de théâtre ou à un spectacle de danse pour que leur regard évolue. Il s’agit de véritables occasions de mettre en valeur les centres d’intérêts et les compétences de leur enfant.
4-‐5 Une peur de faire pire que mieux !
Pour certains parents, parler des conduites à risques avec leur enfant pourrait conduire à accentuer la situation plutôt que la prévenir. « Ils n’en n’ont jamais parlé, ils ne savent pas comment s’y prendre. On ne leur a pas appris. Ils ont l’impression qu’il s pourraient amplifier le problème s’ils abordaient le sujet : ils feraient pire que mieux » (professionnel de proximité). D’ailleurs, un professionnel en addictologie précise que dans les groupes de travail, les parents « ont tendance à se dévaloriser et ont des difficultés à s’attribuer des qualités ».
5-‐ Des positionnements parentaux inadaptés
5-‐1 Des parents « démissionnaires » et « fatalistes »
Des professionnels évoquent également la difficulté des parents à poser un cadre et faire valoir leur autorité vis-‐à-‐vis de leur enfant. Les parents préfèrent dans ce cas là « ne pas aborder les situations qui pourraient devenir problématiques » pour préserver le climat familial. Un professionnel relie cette situation à « une espèce de fatalité, de démission » notamment quand les parents évoquent l’évolution de la société sur les sorties, les fêtes : « ils mettent ça à distance car c’est difficile de dire non quand il s’agit de dormir chez un copain ». Un autre professionnel évoque : « des jeunes parviennent à échapper à l’autorité de leurs parents. Les règles instaurées dans la famille ne tiennent pas, les parents ont du mal à mettre des limites. Quand il y a des
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difficultés dans le couple, le jeune parvient à se faufiler dans le conflit du couple. Il y a un manque de cohérence entre les décisions du père, et celle de la mère » (professionnel de proximité).
Cette difficulté serait également à mettre en lien avec l’évolution des contextes de vie des familles. De nombreuses familles monoparentales cumulent des difficultés diverses et ne peuvent trouver de temps pour être plus disponibles pour l’enfant.
5-‐2 Entre surprotection et laisser-‐aller
En tant que parent, trouver un positionnement adéquat vis-‐à-‐vis de son enfant est souvent une mission difficile. Nombreux sont ceux qui, ne sachant quelle attitude est la meilleure ou souhaitable pour leur enfant, oscillent entre surprotection et laisser-‐aller.
Chez certains parents, il y a cette volonté de protéger les enfants des risques. « L’extérieur de la maison est perçu comme dangereux… mieux vaut rester à la maison. J’ai des jeunes qui ne sont pas du tout inscrits dans des centres de loisirs l’été, qui ne partent pas en vacances et qui doivent rester à la maison. Ils sont coupés de la vie sociale. Quand je parle avec les parents de l’intérêt de la socialisation pour son développement : les parents rejettent, ils ont peur de la fréquentation des structures, de leur réputation. Pour éviter toute prise de risques, on évite tout… plutôt que les aider dans l’apprentissage et la gestion des prises de risques. Je vois les deux extrémités : soit un hyper-‐contrôle pour éliminer tout risque ou au contraire un laisser-‐aller ou au moins un lâcher-‐prise avec des enfants qui passent leurs vacances de juin à septembre dans la rue. La rue devient leur repère, leur vie, ils font leurs premières expérimentations… des parents qui n’interviennent plus du tout jusqu’à ce que des professionnels pointent une difficulté, comme le principal du collège qui sollicite l’orientation vers notre structure ou une éducatrice. Mais très vite, ces parents ainsi que leurs jeunes ne s’impliquent pas » (professionnel de proximité).
Au-‐delà des questions que chaque famille peut se poser sur les attitudes favorables et le cadre éducatif à poser, comment notre société envisage-‐t-‐elle ces questions ? Il existe une véritable ambivalence dans les choix parentaux, et cela d’autant plus que la société elle-‐même est en difficulté pour adopter une position plus linéaire. Au sein du comité de pilotage, se sont engagés des échanges sur les difficultés de notre société à avoir un discours harmonieux sur les conduites à risques. Dans ces conduites, nous sommes régulièrement confrontés aux questions de l’attachement, de la différenciation et de la frustration. D’un côté, notre société valorise et fait preuve d’injonction en ce qui concerne l’attachement (ex : aujourd’hui, il devient difficile de ne pas allaiter son bébé)…alors même qu’elle prend peu en compte les questions liées au détachement (par exemple dans le sevrage de l’allaitement maternel)? Comment les enfants apprennent-‐ils à grandir et à se séparer de leurs parents et comment les parents apprennent-‐ils à se séparer de leur enfant ? Comment notre société gère-‐t-‐elle les questions liées à la séparation, au deuil, aux ruptures… questions qui deviennent de plus en plus tabou ?
La dépendance au produit ne parlerait-‐elle pas de la dépendance relationnelle : comment chacun d’entre nous parvient-‐il à s’individuer, c’est-‐à-‐dire à se réaliser en tant qu’individu, à se singulariser et à devenir autonome? Quel cadre éducatif poser pour aider l’enfant à grandir et faire l’apprentissage de la frustration et lui permettre de se différencier ?
5-‐3 Des parents qui sollicitent tardivement le soutien des professionnels
Le sujet des conduites à risques est évoqué par les parents quand les difficultés liées à la consommation du jeune sont telles qu’il n’est plus possible de rester silencieux. Pendant très longtemps, les parents préfèrent ne pas évoquer leurs difficultés avec des professionnels. Ils les sollicitent dans une situation de crise. Par exemple, les parents interpellent l’animateur
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d’insertion du centre social dans une situation de crise et d’urgence (par ex : découverte de shit dans la chambre, consommation régulière et ayant déjà des conséquences avérées). Dans ce cas, il s’agit presque toujours d’une demande d’accompagnement individuel. La situation de crise va éventuellement devenir une situation favorable pour (re)créer les conditions d’un dialogue entre le jeune et ses parents et favoriser ensuite leur participation à un groupe de parole avec un thérapeute familial.
Une professionnelle auprès de jeunes souligne également : « Des parents sont en difficulté depuis plusieurs années mais ne savent pas toujours vers qui se tourner pour aborder les problématiques qu’ils rencontrent avec leurs enfants. Les parents viennent alors plutôt chercher dans les animations proposées des réponses à leurs difficultés et sollicitent la structure à la fin d’une animation pour un rendez vous individuel. Les parents viennent chercher des réponses plutôt que d’anticiper les situations qu’ils seront amenés à rencontrer » (professionnel de proximité).
5-‐4 Des parents qui craignent le regard des autres parents et/ou des professionnels
« Les parents sont en difficulté pour poser un cadre et faire valoir leur autorité mais sont gênés pour en parler ». Ils « restent discrets » et « n’abordent ces situations que dans des groupes restreints, par exemple un groupe de parole où la confiance a pu se construire et une qualité du lien s’établir ». Les professionnels font l’hypothèse que les parents se sentent mal à l’aise pour évoquer ce sujet. Les parents ne demandent pas facilement de l’aide et « il est important de les soutenir dans cette demande ». Pourtant, cette attitude peut être regrettée voire regrettable comme le souligne ce même professionnel « Il y a une certaine ambivalence, une contradiction d’un côté, ils se sentent en difficulté et d’un autre quand on leur propose d’en parler ils ne viennent pas forcément ». Une responsable de service de proximité précise que « ce sujet n’est pas facile à aborder dans les familles et ils sont rassurés quand ils constatent que des actions de prévention, par exemple en milieu scolaire, sont proposées ».
Les parents sont en difficulté pour évoquer les conduites à risques avec les professionnels : « On aborde avec les parents beaucoup de choses mais nous remarquons que les parents sont moins en difficulté pour aborder leurs problèmes de santé y compris quand il s’agit de problèmes gynécologiques (…). Ils se disent, si je commence à raconter ça, quel va être le regard des autres, quel va être le regard de l’accueillant ». Par contre, « Quand les parents sollicitent les professionnels, ils ont envie de réponses toutes faites. « Dites-‐moi ce que je dois faire ». Et quand ils ne sont pas en demande vis-‐à-‐vis des professionnels, ils se méfient plutôt des messages tout faits » (professionnel de la parentalité).
Ce malaise à évoquer les conduites à risques conduit parfois les professionnels à proposer ce thème de réflexion de manière moins directe : il leur semble préférable de poser le débat sur les changements liés à l’adolescence et sur le climat familial global plutôt que d’évoquer plus directement ce sujet. Les professionnels utilisent souvent des moyens détournés pour s’adapter et prendre en compte le malaise des parents.
De l’avis des professionnels, au départ, les parents n’ont souvent pas envie de « s’exposer » au regard des autres parents. Pourtant, ensuite quand ils participent à des rencontres sur ce sujet, ils sont rassurés de voir que les difficultés qu’ils rencontrent en tant que parents sont relativement similaires à celles des parents qui les entourent.
« En groupe, ils vont parler des problèmes d’autorité, des actes de petite délinquance mais ils n’aborderont pas la consommation d’alcool ou de cannabis. Ils ont peur du regard des autres parents. Ils vont plutôt demander des informations générales pour prévenir plutôt que parler de leur situation personnelle» (professionnel de la parentalité). Cette observation est d’ailleurs d’autant plus intéressante que dans cette structure de soutien à la parentalité, la question des consommations est abordée dans un tiers des accompagnements individuels.
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II-‐ Des actions centrées sur une approche globale des conduites à risques et des relations familiales
L’enquête terrain réalisée et la revue de littérature ont permis de dresser des axes d’intervention pour des actions de soutien à la parentalité dans le champ de la prévention des conduites à risques. Les axes, présentés ci-‐dessous, ont régulièrement été évoqués à travers les entretiens auprès des professionnels et mis en exergue dans les actions recueillies au niveau national et international. Ils sont autant de points d’appui qui éclairent la réflexion pour la mise en œuvre de programmes d’actions.
1-‐ Travailler les représentations des parents au sujet des conduites à risques
La littérature souligne l’intérêt de travailler sur les représentations parentales des conduites à risques pour agir de manière préventive auprès des enfants et des jeunes.
Une étude menée auprès de 144 parents d’étudiants à l’université avait pour hypothèse : une intervention sur les représentations des parents peut contribuer à améliorer la communication parents-‐enfant sur le sujet des consommations. Cette intervention, avec comme support internet, se déroulait en plusieurs étapes : les parents donnaient leur point de vue sur différents aspects ou thèmes ; ils recevaient ensuite les informations en lien avec les thèmes abordés. Ces informations permettaient de confronter leurs propres connaissances ou points de vue à celles délivrées. Les auteurs (LaBrie, Napper, Hummer, 2013) ont évalué les représentations des parents avant et après l’intervention sur : - La consommation d’alcool de leur enfant ; - L’approbation des autres parents d’étudiants sur la consommation de leurs enfants ; - L’approbation des étudiants envers les comportements de consommation d’alcool.
Enfin, ils mesuraient l’intention des parents de discuter avec leur enfant des consommations d’alcool. A l’issue de l’intervention, l’évaluation a montré : - Les parents sont moins confiants dans la connaissance des comportements de consommation
d’alcool de leur enfant (ils pensent que leur enfant consomme de l’alcool plus fréquemment et en plus grande quantité).
- Les autres parents leur apparaissent moins permissifs. - Ils semblent davantage enclins à discuter avec leur enfant des comportements de
consommation d’alcool. Néanmoins, si l’intervention a effectivement renforcé les intentions des parents à en parler à leur enfant, nous ne savons pas si ces conversations ont réellement eu lieu et si l’intervention a amélioré le contenu et la qualité des conversations.
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Peu d’outils d’animation existent pour échanger avec des parents sur leurs représentations, les idées reçues sur les conduites à risques. En ce sens, l’initiative de l’APLEAT présentée ci-‐dessous est intéressante :
« Info/Intox série Parents » : un support d’expression pour parler des conduites de consommation à risque
Cet outil est composé d’un plateau en deux parties (une partie Infos et une partie Intox), et de 14 plaquettes qui annoncent à l’aide d’un dessin humoristique une information : 7 de ces affirmations sont justes et validées, 7 sont erronées. Chaque prise de position permet d’ouvrir le débat entre les participants. Le graphisme des plaquettes est attrayant et son utilisation est facile et adaptable à différents modes d’intervention.
La série « Parents » permet de travailler sur les représentations de chacun, parents et jeunes, autour de la question des conduites à risques, des addictions (avec ou sans produits), et plus généralement de la communication entre parents-‐ados.
Les affirmations proposées au groupe sont : Infos : - Il existe des dépendances sans drogue - Il n’y a pas de symptômes clairs évoquant la consommation de drogues - Il est difficile de parler des consommations de drogues de ses enfants avec d’autres adultes - Fais ce que je dis, pas ce que je fais - Les enfants aiment leurs parents, puis les détestent et quelquefois leurs pardonnent - Développer des habiletés sociales est un moyen de prévention efficace - Bien connaître les drogues permet de meilleures réponses éducatives
Intox : - La connaissance des risques évite les consommations - Si un parent fume, il ne peut pas l’interdire à des enfants - Toute consommation de drogues entraîne une dépendance - L’œnologie est une prévention efficace de l’abus d’alcool - Les premiers verres d’alcool sont bus entre copains - Un enfant peut grandir sans prendre de risque - Parler des drogues avec ses enfants incite à consommer
Contact : Christine TELLIER, Directrice APLEAT, 1 rue Sainte-‐Anne, Orléans. Tél 02.38.62.96.05 www.apleat.com
Par ailleurs, l’enquête terrain souligne l’intérêt de travailler sur les représentations que peuvent avoir les parents sur les professionnels et inversement. A cet égard, l’expérience d’une des structures de la parentalité rencontrée dans le cadre de l’enquête terrain est intéressante. Il s’agit d’un travail mené avec une école située dans un quartier favorisé de Lille. Les instituteurs étaient mécontents de la faible implication des parents dans le suivi des travaux de leurs enfants. Leur absence aux réunions était interprétée comme un manque d’intérêt pour les apprentissages scolaires et pour le travail de l’enseignant. De leur côté, les parents expliquaient, soit ne pas être au courant des rencontres programmées à leur intention, soit ne pas pouvoir s’y rendre en raison de l’inadaptation des horaires proposés. Au fur et à mesure des rencontres, les regards des uns et des autres ont évolué vers une meilleure prise de conscience des difficultés rencontrées par chacun. Enseignants et parents ont pu s’exprimer et dépasser leurs idées reçues et préconçues pour dialoguer davantage. Les représentations négatives se sont estompées et une meilleure communication a pu s’instaurer.
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2-‐ Dépasser la notion de produit pour aborder les prises de risques
Dans le cadre de l’enquête terrain, la plupart des professionnels rencontrés évoquent l’intérêt de dépasser la notion de produit pour parler des prises de risques de manière plus générale.
Leur volonté est de dédramatiser les prises de risques sans les banaliser pour autant. En effet, dans notre société, la consommation a souvent tendance à être diabolisée et les adultes n’en retiennent souvent que les conséquences négatives. Les médias s’appuient d’ailleurs beaucoup sur cette peur. Ils proposent au quotidien des reportages axés sur les situations les plus dramatiques (morts sur la route, dépendance au cannabis, violences sous l’effet de l’alcool…). Or, la prise de risque fait partie de la vie et n‘apporte pas que des choses négatives. Le livret d’information « Parents-‐ados, gardons le contact » de l’ANPAA 35 éclaircit d’ailleurs ces propos :
« Indissociable de l’existence, le risque participe à l’histoire de chacun et contribue souvent au développement de la personne. Quand vient l’adolescence, période de bouleversements multiples, les jeunes font l’expérience de situations nouvelles. Prendre des risques répond alors à diverses motivations : recherche de sensations, évacuation de tensions, confrontation aux limites sociales ou personnelles, etc. Ils en tirent aussi des avantages : affirmer leur personnalité, dominer une anxiété, appartenir à un groupe ou ressentir du plaisir. Certains de ces comportements : excès de vitesse, usage de drogues, actes délictueux, absentéisme scolaire, incivilités… posent cependant plus particulièrement problèmes aux adultes. Leurs conséquences individuelles ou collectives, physiques ou morales nous interpellent dans notre rôle d’éducateur ».
Dans cette même idée, une professionnelle d’une structure de proximité évoque les actions de prévention alcool comme suit :
« On ne veut pas valoriser absolument l’abstinence mais plutôt la modération et la prise en compte des risques ponctuels liés aux modes de consommation actuels des jeunes. On sait bien qu’actuellement, la consommation des jeunes baisse et que les phénomènes d’ivresse se multiplient. On veut se décentrer des produits pour cibler l’ensemble des comportements à risques et responsabiliser les jeunes face à leur consommation, les aider à respecter ceux qui ne consomment pas ».
3-‐ Intégrer les conduites à risques dans une approche globale des relations parents-‐enfants
Au-‐delà de la question des conduites à risques, l’ensemble des professionnels rencontrés a à cœur de créer ou maintenir les conditions d’un dialogue parent-‐enfant. A leur sens, cette prévention est une des composantes des questions liées à la parentalité et doit pouvoir s’articuler avec l’ensemble des sujets de préoccupation des parents dans l’éducation de leurs enfants.
Dans les groupes animés par les structures de soutien à la parentalité, le sujet des consommations est un sujet parmi les autres thèmes liés à la parentalité : l’autorité, les comportements violents, la communication en famille. Il est évoqué à la demande des parents quand celui-‐ci émerge à travers les échanges individuels ou lors des débats de groupe. Le groupe n’a pas comme vocation première de se réunir pour évoquer ce sujet.
« Les activités proposées (activités artistiques, ateliers de gestion du stress, les animations sportives…) permettent de travailler sur l’estime de soi, de se dépasser. Cela permet de découvrir des choses pour soi avant de les proposer aux enfants, comme par exemple, se promener en forêt. Les ateliers proposés aux parents, permettent de faire des choses ensemble. On se découvre des compétences, on prend plaisir et on peut se dire « je fais quelque chose de chouette ». Les activités sont des supports à la relation. Quand ce sont des activités organisées avec les parents et les
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enfants, les parents découvrent leur enfant autrement, ils s’aident (…), ils prennent plaisir et pendant les sorties glissent ensemble sur les terrils » (professionnel de la parentalité). Les ateliers organisés permettent aux parents d’échanger sur leur place dans l’éducation de leurs enfants, de leurs difficultés, des limites à fixer, des règles familiales. Ce travail « souterrain », comme le précise un intervenant en addictologie, est une base essentielle.
Les propos des professionnels s’inscrivent dans les préconisations développées par l’INSERM qui rappelle que « la famille est un important facteur de prévention, et améliorer les relations intrafamiliales est aussi un des moyens privilégiés à promouvoir. » (Babor et al, 2010) En effet, les experts estiment que les interventions doivent avoir pour objectif le renforcement de la disponibilité et des compétences parentales. Il s’agit d’inciter les parents à s’impliquer davantage auprès de leurs enfants tout en leur apportant une aide et des outils concrets en vue de l’amélioration de leurs compétences parentales. Le travail peut également porter sur l’amélioration de la communication à l’intérieur de la famille, la gestion non violente des conflits, la bienveillance etc. Il peut aussi être intéressant de travailler avec les parents autour de la question de leur propre consommation d’alcool.
C’est à partir de ces constats et dans cet esprit que des initiatives dans d’autres régions françaises ou dans d’autres pays européens ont retenu notre attention. Deux initiatives à destination des parents sont présentées ci-‐dessous : celle du collectif Réactim avec la création d’un livret d’information et celle développée en Espagne avec la diffusion de sessions de sensibilisation.
Livret d’information : Ados/adultes, gardons le contact -‐ Réactim
A partir des interrogations des adultes et des difficultés relationnelles repérées entre les adultes et les adolescents, ce livret (d’une trentaine de pages en format poche) propose des repères sur les comportements à risque et sur le rôle éducatif des adultes :
-‐ Prendre des risques pour un adolescent, à quoi ça sert ? Des situations à risques vécues par les jeunes, les adultes ne retiennent souvent que l’aspect dramatique, les conséquences néfastes, les dommages subis. Pourtant, les risques encourus par les adolescents satisfont des besoins spécifiques. Le risque peut être recherché pour se défouler (extérioriser un stress, compenser une frustration…), pour défier l’autorité parentale ou les normes sociales, pour se faire plaisir (découvrir des sensations nouvelles, des sources de stimulation….), ou encore manière d’exister dans un groupe ou de s’y sentir reconnu
-‐ Quelles attitudes adopter avec les adolescents ? L’adolescent est tiraillé entre sa dépendance aux adultes, la nécessité d’y avoir recours et son désir d’indépendance. Il est rappelé que la fonction éducative de l’adulte est essentiellement de guider le jeune. Les adultes doivent pouvoir exprimer ce qu’ils sont, ce qu’ils pensent, leurs choix et leurs doutes pour aider le jeune à s’affirmer. L’adulte veille à une relation affective à travers tout un ensemble de petits gestes et d’attitudes, préserve le besoin d’intimité et la distance dont l’adolescent a besoin en grandissant, donne à l’adolescent des responsabilités progressives en fonction de son âge et de sa maturité.
-‐ Face aux comportements à risques, que faire ? Les prises de risque ont parfois valeur d’appel à l’intention de l’adulte mais pour autant, avant de s’alarmer, il convient de s’appuyer sur des informations fondées et les compétences des professionnels. Sécuriser l’adolescent passe également par poser des règles, les expliquer et les faire respecter… tout en créant les conditions d’un dialogue avec l’adolescent.
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Comment savoir si l’adolescent va mal ? Si prendre des risques contribue dans une certaine mesure au développement de l’adolescent et plus généralement de tout être humain, il n’en est rien toutefois des comportements qui enferment l’adolescent dans un mode d’expression unique et néfaste à son épanouissement. La répétition, la fréquence et l’intensité des signes d’alerte doivent pouvoir être prises en compte
-‐ Ados/adultes quand rien ne va plus : Garder le contact, passer le relais et orienter vers les lieux d’écoute sont trois des pistes à ne pas oublier pour permettre à chacun, parents et adolescent de trouver une écoute et une aide.
Contact : ANPAA 56 – 3 rue Gay Lussac – Vannes – Tél. : 02 97 63 86 86
Building Health : Promoting Parenting Skills
Implanté en Espagne à partir de juin 2000 puis développé annuellement dans différentes villes d’Espagne, ce programme a été développé par une équipe universitaire puis intégré à la politique gouvernementale de prévention des addictions. Il s’adresse aux parents d’enfants âgés de 11 à 14 ans. Son objectif général du programme est de permettre aux parents d’augmenter, au sein de l’environnement familial, les facteurs de protection de la consommation de substances psychoactives et des comportements antisociaux de leurs enfants. Le programme est organisé autour de 5 à 6 sessions de 90-‐120 minutes, une à deux fois par semaine. Les sessions permettent d’échanger sur :
-‐ la vision de l’adolescence et des consommations de drogue ;
-‐ l’attitude des parents pour adopter des postures adéquates avec leur enfant et favoriser une bonne communication, la résolution coopérative des conflits et une supervision appropriée des comportements des adolescents;
-‐ les règles familiales à établir concernant la consommation de substances.
Le matériel, spécialement élaboré pour le programme, inclut un manuel pour l’animateur du groupe et un manuel pour les parents. L’évaluation, réalisée en amont et en aval, confirme l’efficacité du programme. Des changements significatifs sont observés: amélioration des connaissances et des attitudes parentales concernant la consommation de substances, meilleure communication, évolution vers un style parental « coopératif et supervision ». On observe également une diminution du style parental permissif, du style parental autoritaire et des conflits parents-‐enfants. Par ailleurs, la satisfaction exprimée par les animateurs de l’intervention et les participants est élevée.
Pour de plus amples informations, consulter le site Internet http://www.emcdda.europa.eu/
4-‐ Adopter une approche positive qui valorise les compétences des jeunes
Les professionnels expriment leur volonté de faire évoluer le regard des parents sur leur enfant et sur les jeunes en général. En effet, ils constatent qu’avec l’entrée dans l’adolescence, les parents sont souvent en difficulté pour prendre du recul et garder une image positive de leur enfant. Les mésententes, les oppositions quotidiennes ou les conflits familiaux prennent une telle place que les parents se focalisent sur les problèmes liés à l’adolescence. Dans ce cas, l’accent est mis sur la nécessité de différencier la conduite de l’adolescent de l’adolescent lui-‐même. Le souhait est de développer chez les parents et les adultes une position bienveillante à l’égard des jeunes. A ce titre, plusieurs professionnels de centres sociaux ont évoqué l’intérêt de faire découvrir autrement les jeunes aux parents. Ainsi, les inviter à participer à une représentation théâtrale
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jouée par leurs adolescents ou leur faire découvrir une exposition artistique sont autant d’occasions qu’ils s’en fassent une autre représentation. Ils peuvent voir la capacité des jeunes à se mobiliser, s’exprimer, à créer et ainsi, retrouver davantage confiance en eux. « Les parents ont parfois une vision négative de leurs enfants et jeunes. Ils ont besoin de découvrir des choses plus positives par rapport à leur jeunes par exemple, à travers une présentation d’un atelier danse » (professionnel de la parentalité)
Par ailleurs, il s’agit de renforcer le sentiment de compétence des parents : partir de leurs compétences, y compris ceux qui viennent de milieux très défavorisés ou qui n’ont pas de bagage scolaire. Rassurer les parents, les aider à se faire confiance et à prendre du recul est essentiel. Les échanges favorisent une approche générale sur les moyens de maintenir une relation parent-‐enfant satisfaisante et emprunte de confiance.
« Les parents sont compétents, ils ont des intuitions. Il faut qu’ils puissent faire confiance à leurs intuitions… plutôt que se reposer sur les professionnels ou sur ce qu’ils lisent dans les livres » (professionnel de proximité).
5-‐ Resituer la prise de risques dans un continuum
5-‐1-‐ De la petite enfance, à l’enfance et à l’adolescence
Dans la littérature ou à travers l’enquête terrain, la gestion de la prise de risques fait beaucoup plus rarement l’objet d’une réflexion sur la place des parents de la petite enfance à l’adolescence. L’attention des professionnels se focalise souvent sur les prises de risques au moment de l’adolescence alors que celles-‐ci existent dès le plus jeune âge. Au quotidien, chaque parent va être amené à accompagner les prises de risques : apprentissage de la marche, prévention de la sécurité routière, des accidents domestiques… L’approche préventive des dangers pourrait être davantage considérée dans un continuum. Là encore, dans son livret « Repères éducatifs », l’ANPAA 35 resitue concrètement ce débat : « Lorsque votre enfant, bébé, pleurait la nuit, vous étiez là pour le consoler, pour en prendre soin. Plus tard, lorsqu’il est tombé pour la première fois de son vélo, vous étiez encore là pour panser ses genoux et l’encourager à recommencer. Lorsqu’il a vécu des conflits avec un enseignant, vous étiez toujours là pour l’écouter et le soutenir. Voyez la consommation d’alcool de votre enfant comme un problème de vie transitoire, qui mérite toute votre attention comme parent. »
Cette position vient appuyer les compétences que les parents ont su mettre en œuvre dans d’autres difficultés de la vie quotidienne de leur enfant dès le plus jeune âge. Comme le souligne, une directrice de structure de proximité, les parents appréhendent sans difficulté majeure la notion de risque quand il s’agit de favoriser l’apprentissage de la marche chez le tout petit : ils l’accompagnent dans cet apprentissage, le rassurent, le protègent… ils sont en capacité de transmettre cet apprentissage. Par contre, quand ils sont confrontés aux prises de risques vis-‐à-‐vis de la consommation d’alcool ou autres produits de leur adolescent, ils perdent leurs repères et peuvent apparaître désemparés. Pourtant, dans l’attitude éducative si ces deux situations sont différentes, il existe des points communs : dans les deux cas, les parents doivent démontrer leur capacité d’attention, d’encouragement, de tâtonnement, de protection et leur capacité à poser des limites. Ils doivent accepter que l’apprentissage passe également par des épisodes de prises de risques dans lesquels l’enfant ou l’adolescent va tirer les enseignements.
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C’est sur cette base de travail que Maison Nouvelle, une maison de quartier de la métropole lilloise a un monté un projet de sensibilisation sur la prise de risque tout au long de l’enfance et de l’adolescence :
Une démarche originale : la prise de risques chez le tout petit, l’enfant, ou l’adolescent… vécue par les parents
La Maison Nouvelle de Wasquehal a lancé avec un collectif de partenaires une réflexion sur la prise de risques de la petite-‐enfance à l’adolescence. Ce collectif « parentalité » réunit depuis plusieurs années, le pôle petite enfance du CCAS, le service PMI et le Service Social de Département, le Relais Santé, le CMP Adolescent de Roubaix et le service jeunesse de la municipalité et depuis peu l’ANPAA 59/62 et la MJC de Wasquehal. Le professeur Pierre Delion, pédopsychiatre, Catherine Dupuis et l’association L’Homme et la Femme debout se sont également associés à ce réseau baptisé « Quand les parents s’en mêlent » soutenu par le dispositif REAAP.
Cette année, l’objectif du collectif est d’aborder de manière générale les prises de risques sans se focaliser sur celles prises par les adolescents ou sur celles liées à la consommation de substances psychoactives. Les questions centrales sont : comment en tant que parent appréhender la relation à la prise de risques ? Quelle posture parentale adopter en fonction de l’âge de l’enfant ou de l’adolescent ? Cette réflexion constitue le thème de travail de l’année et fait l’objet de séances régulières de travail pour les parents et pour les professionnels avant sa finalisation par un temps fort, organisé avec la présence d’un pédopsychiatre.
L’action se déroule en trois étapes :
Sensibilisation des professionnels sur le thème de la prise de risques : Un à deux professionnels de chaque structure d’accueil et de loisirs (crèche, halte garderie, centres de loisirs, MJC…) ont engagé une réflexion sur leurs représentations et leurs perceptions des prises de risques tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Cette étape permettait une appropriation de la thématique en vue de définir les axes de réflexion à proposer ultérieurement aux parents et aux autres membres de l’équipe
Proposition d’actions de sensibilisation dans chaque lieu d’accueil des parents : Chaque structure a proposé des ateliers d’animation aux parents fréquentant le lieu d’accueil. Un groupe de travail a recherché et conçu des outils d’animation pour susciter le débat Les propositions étaient variées : jeux de plateau, parcours psychomoteur en crèche, mur d’expression, photo-‐expression…Chaque animation permettait d’interpeller les parents sur des aspects concrets de la prise de risque
Proposition d’un temps fort en clôture de l’action avec mise en scène de situations : Ce temps fort, à destination d’un ensemble large de parents, se déroulera sous la forme d’ateliers d’échanges d’expériences parents. Trois ateliers sont proposés en fonction de l’âge : petite enfance, enfance, adolescence. Les parents proposeront des mises en situation liées à la vie quotidienne pour susciter le débat, les échanges sur les perceptions de chacun sur la prise de risques et la place de parents. Ils seront accompagnés par les référents du programme et par une comédienne spécialisée dans les formations aux relations humaines. Pierre Delion et Catherine Dupuis animeront ces échanges en plénière.
Contact : Nadia Benhourazi, Directrice, Maison Nouvelle de Wasquehal – Tél. : 03 20 89 70 80
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5-‐2 Situer la problématique dans une approche intergénérationnelle
Les prises de risques concernent l’ensemble des générations et pas seulement celle des adolescents et des jeunes. Il s’agit de susciter une réflexion sur les modes et les réalités de consommation à chacun des âges de la vie plutôt que stigmatiser celles des jeunes. A travers cette approche, l’enjeu est de rapprocher les générations plutôt que les opposer. Jeunes, adultes, parents, grands parents sont invités à réfléchir à la place des consommations dans leur vie quotidienne et aux risques que chacun d’entre eux prennent. Plutôt que rejeter la responsabilité et les prises de risques sur les autres générations, cette approche privilégie les échanges entre les générations. Exemple : quelle est la place de l’alcool dans les fêtes quand on a 20 ans, 40 ans ou 70 ans ? De ce fait, les débats ne se focalisent pas sur la relation parents-‐enfants mais inscrivent les prises de risques dans une approche intergénérationnelle. Les familles sont abordées dans leur ensemble plutôt que les parents seuls. Au-‐delà de la parentalité, il s’agit de privilégier la notion de famille : chacun a une place, un rôle à jouer, une responsabilité dans cette prévention.
Le film présenté ci-‐dessous « D’une génération à l’autre » illustre bien cette préoccupation :
Une soirée entre amis… D’une génération à l’autre
Ce film a été réalisé par un collectif Réactim qui regroupe sept structures publiques et associatives dans le champ des addictions et/ou de la prévention du Morbihan. Ce film s’inscrit dans un processus de prévention globale et croise les regards des générations autour de la fête. Ce projet a fait travailler trois groupes d’habitants de la commune de Muzillac: jeunes, adultes et seniors. Chaque groupe a écrit un scénario « d’une soirée entre amis » les jeunes ont écrit le scénario de la soirée des adultes, les adultes celui de la soirée des seniors et les seniors ont écrit celle des jeunes. Chaque âge propose un rythme, une temporalité particulière, des centres d’intérêts multiples et variés. Chaque catégorie d’âge est devenue actrice de sa soirée sous la supervision de scénaristes. A travers ce film, il s’agit d’aider les adultes à garder le contact et à croire en leur rôle primordial vers les jeunes, malgré les inévitables oppositions de ces derniers… Pendant six mois, le groupe Réactim et des élus de la commune se sont réunis très régulièrement pendant plus de six mois. Les groupes d’habitants ont été constitués avec le soutien des structures et associations de chaque tranche d’âge (Espace jeunes, collège, association de théâtre, association de parents d’élèves). La mise en œuvre de ce projet a permis une redynamisation du lien social entre les habitants : amélioration des liens familiaux, meilleure communication entre les générations, revalorisation des adultes dans leur rôle éducatif et des jeunes vis-‐à-‐vis des générations plus âgées ou encore la diminution des préjugés entre les générations.
Contact : ANPAA 56 – 3 rue Gay Lussac – Vannes – Tél. : 02 97 63 86 86
Au-‐delà du débat sur la place des parents dans la prévention des conduites à risques, la question devient celle de la place des adultes. Ces actions trouvent leur fondement dans le postulat suivant : plutôt que centrer notre attention sur le rôle des parents, et ainsi prendre le risque de venir renforcer une culpabilité et un sentiment d’impuissance souvent forts présents, d’appuyer sur la responsabilité et le soutien de chaque adulte dans la prévention peut être intéressant.
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III-‐ Une méthodologie de projet adaptée
1-‐ Inscrire l’action dans un projet global d’accueil et d’accompagnement
L’organisation d’un programme d’actions sur la parentalité et la prévention des conduites à risques doit pouvoir reposer sur une méthodologie de projet encore plus rigoureuse que pour d’autres types d’actions. Parce que cette thématique touche des sujets sensibles, celui de la parentalité et celui des conduits à risques, les professionnels doivent être vigilants à construire un projet cohérent et prendre en compte les difficultés de mobilisation qu’elle peut engendrer. La mise en place d’un atelier parents est toujours très difficile. Elle est le résultat d’un long travail mené en amont par une équipe socio-‐éducative. Il est préférable que l’action prenne sens dans le projet global d’accueil et d’accompagnement proposé. La confiance installée entre une équipe et des habitants d’un quartier est essentielle. Les partenaires doivent être connus et perçus comme dignes de confiance. Les professionnels précisent que la meilleure publicité pour mobiliser les parents reste le « bouche à oreille ». Les affiches, les flyers, aussi bien réalisés soient-‐ils ne peuvent suffire à convaincre les parents à participer aux rencontres. Parfois, c’est le recoupement de plusieurs invitations (par un professionnel, par un tract, par un voisin…) qui va décider le parent à venir.
Dans l’exemple ci-‐dessous, le programme « Atelier temps fort » est intégré au projet éducatif de la structure et s’appuie sur les difficultés et besoins repérés avec les familles. Le choix de la thématique « parentalité et conduites à risques » résulte d’un travail quotidien et d’une relation de confiance installée progressivement :
Atelier Temps fort – Maison de quartier Raismes
Depuis plusieurs années, des « ateliers temps fort » sont proposés au sein de la maison de quartier de Raismes. Ces ateliers sont proposés régulièrement sous la forme de 4 à 5 séances sur un thème défini à l’avance par le groupe d’habitants qui y participe (bien-‐être, alimentation…). A ces ateliers, participent régulièrement une dizaine de femmes du quartier et de quartiers voisins, toutes bénévoles à la maison de quartier. Leurs âges et leurs origines culturelles sont très diversifiés. Les thématiques proposées dans ces ateliers sont ensuite relayées auprès de l’ensemble des habitants, par exemple par la création d’un événement dans le quartier (soirée-‐débat par exemple). La volonté de la maison de quartier est que ce groupe de femmes devienne des habitants relais dans la vie quotidienne du quartier. Ces ateliers sont intégrés dans le projet éducatif de la maison de quartier dont l’un des axes fixés est le soutien à la parentalité. Au printemps, ce groupe de femmes a échangé sur leurs inquiétudes en tant que parent vis-‐à-‐vis de la consommation d’alcool des adolescents et des jeunes du quartier. Ils ont évoqué avec la référente sociale de l’atelier leur besoin de réfléchir sur leur rôle en tant que parent.
Le programme d’actions, soutenu par l’ANPAA 59/62, s’est organisé à partir de quatre temps : -‐ Lancement du programme avec une représentation théâtrale sur le thème « l’alcool à travers
les générations ». Cette représentation était proposée lors du barbecue annuel du quartier et elle était proposée à l’ensemble des familles du quartier, qu’elles fréquentent ou non la maison de quartier. Ce temps fort a été proposé afin de susciter l’intérêt des habitants à réfléchir sur cette thématique.
-‐ Cette animation a été proposée sous la forme d’un théâtre d’intervention à partir d’un scénario créé avec les habitants lors d’une rencontre préparatoire. Le scénario a mis en évidence les plaisirs et les risques liés à la consommation d’alcool dans la vie quotidienne des enfants, des jeunes, des adultes et des seniors. A l’issue de la représentation théâtrale, les partenaires ressources en addictologie (ANPAA et GREID de Valenciennes) sont allés à la
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rencontre des habitants pour faire connaissance, avoir leurs réactions sur la représentation qu’ils venaient de voir, discuter et échanger avec eux.
-‐ Dans les semaines qui ont suivi, deux temps d’animation ont été proposés aux femmes de l’atelier santé. Ces temps ont été animés à partir d’outils pédagogiques sur l’alcool avec la présence d’animateurs de prévention en addictologie. Le premier temps a permis de susciter le débat sur les risques liés à la consommation d’alcool à partir d’ateliers ludiques (Couleur santé….le kottabos). Le deuxième temps a lui été orienté sur les questions des mères présentes sur leurs expériences de parents. Ce temps a d’ailleurs été l’occasion de débats intergénérationnels sur l’éducation des enfants, sur les prises de risques.
-‐ Pour clôturer l’action, un ciné-‐débat a été proposé à l’ensemble des habitants lors d’une soirée familiale. Enfants, jeunes, parents étaient conviés à cette rencontre préparée avec le soutien des habitantes relais, notamment pour le repas-‐buffet. A la fin de la projection du film, un débat a été proposé avec le chargé de prévention en addictologie, partenaire du projet depuis son démarrage.
Contact : Maison de quartier de Raismes – Tél. : 03 27 30 16 78
2-‐ Proposer un engagement des partenaires sur un projet commun
Pour une majorité des professionnels rencontrés, un partenariat fort et engagé est nécessaire pour mettre en place des actions de parentalité. Ces actions ne peuvent se décider de manière extérieure ou de manière prescriptive. Elles supposent une connaissance éclairée des publics et des quartiers. Cette connaissance s’acquière par la qualité et la durée du travail des acteurs engagés dans des actions de proximité. Il apparaît difficile qu’un professionnel puisse, à lui seul, mobiliser des parents.
Au-‐delà du nombre de partenaires engagés, il est nécessaire que les professionnels se connaissent bien et aient l’habitude de travailler ensemble. Partager les mêmes valeurs, s’entendre sur les axes de travail à développer, reconnaître les compétences mutuelles des acteurs sont des passages obligés pour pouvoir démarrer ce type de projet. Ces constats sont d’ailleurs repris par l’étude menée en 2013 par le CIRDD Bretagne sur les facteurs de réussite des actions de prévention alcool. Dans ce document, trois prérequis sont mis en exergue pour le travail en partenariat avec l’ensemble des acteurs : - Le consensus sur les objectifs poursuivis, - Le partage des valeurs, - L’adoption d’un système de communication adaptée.
Pour leurs auteurs, il est particulièrement important que l’ensemble des acteurs inscrits au sein du dispositif partage une culture commune autour des problématiques (parentalité, conduites à risques). Pour se faire, il pourrait s’avérer utile, dans certains cas, d’amorcer dès le départ une réflexion sur les perceptions, représentations de chacun envers ces thématiques et le public visé. En fonction de l’expérience de chacun des acteurs et des informations véhiculées par les médias par exemple, les individus peuvent développer des représentations erronées ou des idées reçues. Il conviendra donc de s’assurer que chacun des acteurs aient accès aux mêmes données, en proposant même si besoin des formations complémentaires. Dans le même sens, les acteurs devront parfois apprendre à se connaître, voire à dépasser certains clichés pouvant être associées à certaines professions. Il semble donc pertinent de construire collectivement les objectifs du programme, tout en établissant et délimitant clairement les rôles et missions de chacun des partenaires. Enfin, il sera particulièrement important de s’assurer que l’information circule de manière fluide et transparente.
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3-‐ Adopter un mode de communication personnalisée
Comme le souligne les professionnels, mettre en place des actions à destination des parents (en particulier quand il s’agit du sujet des conduites à risques) oblige à proposer des modes plus attractifs de communication que les habituels dépliants, affiches ou encore invitations dans les carnets de correspondance des élèves. Afin de faciliter une participation large des parents à un temps fort organisé sur le thème des nouvelles technologies, un collectif santé à Roubaix a proposé à chacun des professionnels engagés dans le projet, d’inviter les familles de manière personnalisée. Les professionnels de proximité ont été mobilisés pour faire connaître cette soirée : écoles, clubs de prévention, service social, centres sociaux…. Chacun d’entre eux a pris contact avec les familles qu’ils connaissaient et leur a remis personnellement une invitation. Les familles, si elles le souhaitaient, étaient invitées à se préinscrire. 48 heures avant la date de l’événement, chaque professionnel recontactait par téléphone les familles pour leur rappeler la date de la journée et les motiver à s’y rendre (environ une dizaine d’appels par professionnel). De l’avis des partenaires engagés, ce mode de communication basé sur la proximité du lien entre le professionnel et les parents, a participé au succès de la soirée (100 personnes présentes environ).
4-‐ Prendre en compte l’organisation de la vie familiale et les difficultés des familles
Le choix du lieu :
Dans l’enquête terrain ou dans la littérature, le choix du lieu est stratégique à la réussite d’une action. Il a un impact sur la participation du public (à court et long terme) et sur le lien social par exemple. Le choix du lieu dépendra de la nature de l’action, des publics attendus, de la transversalité et des partenariats recherchés. Plusieurs critères doivent être questionnés : - Son accessibilité géographique : accessibilité en transports en commun ? Facilités de
stationnement ? - Son accessibilité symbolique : le lieu est-‐il marqué symboliquement ? Peut-‐il être stigmatisant
pour le public qui le fréquente ? Ce lieu favorise t’il une relation de confiance avec les professionnels et les autres publics ? Les personnes sont-‐elles déjà dans leur rôle de parents dans ce lieu (école, crèche…) ?
- Son accessibilité physique : est-‐il accessible aux personnes handicapées ? Est-‐il adapté aux enfants et aux jeunes ?
- Sa proximité avec d’autres structures de services : par exemple sportives, artistiques, culturelles, dédiées aux familles (CAF), à la santé, à l’action sociale, à la scolarité ?
- Ce lieu permet-‐il d’offrir un service d’accueil des jeunes enfants ?
Pour exemple, le programme américain « Talking Parents, Healthy Teens » se déroule pendant l’heure du déjeuner. Ce programme mené en entreprise a le double avantage d’être plus facile d’accès et de contribuer à banaliser le recours aux services de soutien à la parentalité en lui donnant une image positive. Par contre, en mêlant, vie privée et vie publique, il risque de compromettre l’anonymat et engendrent des freins psychologiques à la participation de parents.
Le moment choisi :
De la même manière, les moments choisis pour le déroulement de l’animation peuvent être un levier à la mobilisation des parents. Par exemple, à Strasbourg des actions de prévention ont été proposées dans les salles d’attentes de consultations de nourrissons (avant la consultation de puériculture et la consultation médicale de PMI). L’évaluation montre que les parents estiment ces moments conviviaux et favorables aux
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échanges et au partage. Elles ont été très appréciées par les familles. Parents et enfants étaient plus apaisés avant les consultations, qu’à d’autres moments.
La prise en compte des problèmes de précarité et de mobilité géographique :
Nous citerons ici quelques exemples issus de l’« enquête terrain » comme : -‐ La mise en place d’un bus de ramassage pour permettre aux familles isolées
géographiquement de participer à une journée sur les nouvelles technologies à Maubeuge ; -‐ La proposition d’un buffet gratuit lors d’une animation proposée en soirée. Au-‐delà de
l’aspect convivial, le collectif santé de Roubaix souhaitait répondre aux difficultés financières que nombreuses familles issues de milieux défavorisés, rencontraient.
5-‐ Proposer des animations diversifiées, originales dans une ambiance conviviale
Les professionnels font état de propositions complémentaires : des échanges informels, des ateliers d’échanges, des temps forts. Dans tous les cas, quelque soit le type d’animation proposé, l’activité devient un support pour favoriser les relations dans le groupe. Il existe une véritable volonté d’ouvrir le débat avec les parents ou entre parents et jeunes. Ces supports peuvent être des débats à partir de vidéos, des micros-‐trottoirs, la création de clips vidéo… Dans l’enquête terrain, l’humour a souvent été présenté comme une porte d’entrée intéressante pour susciter le débat de manière non stigmatisante. Pour les professionnels, il aide à prendre le recul et permet de ne pas prendre à partie le public. La Compagnie « La belle Histoire », invitée à plusieurs manifestations proposées sur le thème des technologies numériques et/ou des addictions a choisi d’utiliser ce mode d’animation. L’humour et le ton décalé des comédiens de cette Compagnie de la métropole lilloise permettent, par la dédramatisation, d’aborder plus facilement des sujets délicats. Les saynètes proposées par les comédiens sont le résultat d’échanges menés avec les parents en amont du temps fort. Elles sont orientées sur des situations de la vie quotidienne et mettent en scène les réactions des parents et des jeunes vis-‐à-‐vis des conduites à risques. Les avis, les astuces et les difficultés de chacun sont mis en scène pour trouver ensemble les réponses, les moyens d’agir. Les saynètes jouent sur « l’effet miroir » : les personnages présentés reflètent un peu le spectateur : en parlant du personnage, chacun parle un peu de soi. Par ce procédé, on parvient plus facilement à éviter toute moralisation ou culpabilisation des personnes.
Cet état des lieux a permis également de mettre à jour d’autres initiatives, en particulier celles développées outre Rhin sur le principe de soirées de rencontre au domicile des parents :
Homeparty – Une soirée pour les parents – Allemagne
Ce projet s’inspire du succès des réunions « Tupperware ». Les rencontres, animées par des spécialistes de la prévention durent deux heures environ au domicile d’un des parents ou dans un lieu similaire. Les spécialistes de la prévention cherchent un multiplicateur ou une multiplicatrice qui cherche des parents-‐hôtes qui cherchent ensuite 5 à 12 autres parents pour participer à la réunion. Le groupe concerne des parents de faible statut socio-‐économique (y compris les minorités ethniques), qui ont des enfants de 10 à 16 ans et qui n'ont encore jamais été touchés par des mesures préventives.
Les sujets abordés concernent : -‐ Information sur les substances -‐ Réflexion sur les notions de plaisir, d'abus… -‐ Information sur les offres d'aide régionales -‐ Influence que peuvent avoir les parents
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-‐ Communiquer avec les enfants au sujet des substances psychoactives -‐ Mode relationnel parents-‐enfants -‐ Besoins et problèmes des enfants d'âge pubertaire -‐ Établir des règles claires -‐ Donner soi-‐même l’exemple
Les rencontres se déroulent selon un modèle préétabli : -‐ Introduction (10 minutes) -‐ Faire connaissance (20 minutes) -‐ Petit test sur les drogues (15 minutes) -‐ Information sur les substances grâce à des médias visuels -‐ Autres thèmes selon entente préalable -‐ Conclusion systématique (10 minutes)
Ce type d’actions a été mené dans différents pays européens et les évaluations mettent en lumière les points suivants : -‐ Ce sont les mères que l’on atteint en premier lieu -‐ Dans maintes cultures, on préfère un point de rencontre neutre à celui d'un appartement
privé -‐ Souvent, les parents qui ont pris part à la rencontre souhaitent de nouveaux échanges sur
d'autres sujets (par ex. l'usage des médias ou encore le mobbing chez les jeunes) -‐ Les parents se sont déclarés (très) satisfaits du contenu de la «homeparty» -‐ Ils ont affirmé en avoir appris davantage sur la consommation de substances -‐ Ils se sont sentis renforcés dans leurs compétences parentales
Contact : Doris Sarrazin, Vice-‐responsable de la LWL Koordinationsstelle Sucht (LWL-‐KS), Berlin, Allemagne – www.lwl.org
Les professionnels rencontrés insistent également volontiers sur l’accueil et la qualité de la convivialité. A propos d’un atelier-‐parents, « ils attendent plus de convivialité que dans un groupe de parole. On avait essayé un groupe de parole avec la participation d’un psychologue. Mais ça manquait de convivialité. Les parents ont besoin de se détendre pour pouvoir dire des choses… et cela d’autant plus que le sujet des conduites à risques est délicat et relève de l’intime » (professionnel de proximité). L’accueil thé/café permet de détendre les personnes, de faire connaissance et de faciliter les échanges informels. « Parfois, il se dit plus de choses dans ces moments là que dans les entretiens individuels plus formalisés » (professionnel de la parentalité).
6-‐ S’appuyer sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication
Aujourd’hui, les nouvelles technologies affectent le fonctionnement de la famille et peuvent devenir des supports en matière de prévention. Ce support d’information devient une formidable opportunité d’étendre les actions, d’en décupler l’impact, de rendre l’information accessible au plus grand nombre et de toucher une partie de ceux que l’on n’arrive pas à rencontrer habituellement. En limitant les contraintes matérielles (suppression des problèmes de distance et de temps de déplacement des parents…) et en créant du lien entre les individus (forums, pages Facebook…), ils peuvent être complémentaires aux actions plus classiques de prévention et être plus en phase avec les nouveaux usages induits par ces technologies. Internet peut être une voie privilégiée pour faciliter la connaissance d’un événement ou pour être un support à part entière d’animation. Ils peuvent également compléter, renforcer ou prolonger une action de prévention classique mais aussi réduire les coûts à la mise en place d’actions. Ces nouveaux moyens de communication sont également demandés par les parents en matière de soutien à la parentalité
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(Etude CAF Allier, 2011). Dans cette étude, les parents interrogés considèrent que les blogs, les forums peuvent être des supports utiles.
Depuis plusieurs années, l’APLEAT (Association pour l’Ecoute et l’Accueil en addictologie et Toxicomanies) à Orléans constatait le décalage entre les besoins (repérés par les professionnels locaux et les associations de parents d’élèves) et les freins à la venue du public à des conférences débats organisées en soirée à leur intention. Les principaux freins identifiés étaient l’absence d’anonymat vis-‐à-‐vis des autres parents participants, le manque de temps et la difficulté de se déplacer après une journée de travail. Ces constats ont amené l’association à mettre en place des conférences à destination des parents en utilisant internet.
Prév Parents’ /APLEAT -‐ Conférences par internet à destination des familles
L’APLEAT propose des conférences par internet gratuites, anonymes et confidentielles pour parler des addictions en restant chez soi, le soir après la journée de travail. Ces conférences sont proposées avec un binôme de professionnels spécialisés en addictologie (dont un psychologue). Le binôme assure l’intervention, facilite l’acquisition de savoirs et de compétences et propose, si besoin un rendez-‐vous individuel, un soutien, un accompagnement. Pour s’inscrire, les parents peuvent contacter l’APLEAT par téléphone ou par mail. Trente minutes avant l’heure du rendez-‐vous, ils reçoivent par mail un code de réunion et un numéro de téléphone. Les parents communiquent oralement par téléphone et accèdent aux documents pédagogiques proposés par les intervenants sur l’ordinateur. Les dates, horaires, thèmes des conférences sont disponibles sur le site internet de l’APLEAT et sont diffusés par les partenaires de l’association, les médias à destination du grand public. Exemples de thèmes proposés : repères sur la prévention des addictions, alcool, que sais-‐je ? J’ai trouvé du shit dans la chambre de mon fils, que faire ? Cinq clés pour comprendre les addictions. Ces conférences visent à permettre aux familles de se sentir davantage capable d’aborder le sujet des conduites addictives avec leurs enfants, de clarifier leurs positions, de connaître les relais locaux en addictologie s’ils ont besoin d’une aide spécifique, de mieux connaître les problématiques liées à l’adolescence aux usages à risques.
Contact : Christine Tellier, Directrice APLEAT : 1 rue Sainte Anne à Orléans. Tél : 02.38.62.96.05. www.apleat.com
Par ailleurs, une étude réalisée à Singapour en 2008 (Na & Chia, 2008) a évalué l’impact d’un programme proposé par internet. Deux groupes de parents d’enfants âgés de 0 à 6 ans ont eu accès à un programme sur les connaissances, les attitudes et les habiletés parentales concernant le développement de l’enfant (langage, développement intellectuel, communication…). Pendant trois mois, un échantillon de parents a eu accès au programme uniquement sur Internet. Un autre échantillon a reçu le programme uniquement sur papier (groupe contrôle). Le programme visait à permettre aux parents de guider leur enfant à travers différentes activités. Sur internet, son utilisation était progressive, étape par étape et les formulations étaient adaptées à l’âge développemental de l’enfant. Les résultats montrent des différences significatives, entre les parents qui ont eu accès au contenu Internet et ceux qui ne l’ont pas eu. Les parents ayant eu le programme Internet ont un niveau de connaissances plus important et ont davantage confiance en eux que les parents du groupe contrôle. En revanche, le programme ne montre pas d’effet concernant la moyenne et la qualité du temps que les parents passent avec leur enfant.
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7-‐ Faciliter l’orientation vers des structures relais
Les professionnels rencontrés dans l’enquête terrain favorisent chaque fois que nécessaire le relais vers les structures de soins en addictologie. Il s’agit de faciliter leur accès aux parents qui pourraient être confrontés pour eux-‐mêmes, pour leurs enfants ou pour les autres membres de leur entourage.
Le plus souvent, deux situations peuvent survenir :
-‐ Les soignants du CSAPA co-‐animent avec le responsable de la structure de la parentalité ou de proximité un débat. Dans ce cas, ils répondent aux questions des parents (questions qui peuvent avoir été préparées à l’avance quand il s’agit d’un groupe de parents qui se connaissent bien et participent, par exemple, à un atelier des parents). Les soignants sont présentés comme expert de la thématique et les animateurs de la rencontre s’appuient sur leurs compétences pour susciter le débat et les questions. A l’issue d’une ou plusieurs animations ponctuelles, le référent du groupe poursuit sa réflexion avec le groupe.
-‐ Les animateurs d’une manifestation proposent une animation (par exemple, à partir d’un support comme le théâtre) et les professionnels des lieux de soins sont invités à se présenter à la fin de l’animation. Dans cette situation, l’objectif est souvent de démystifier les lieux de soins et mettre en place un contact individualisé avec le public présent. Les parents identifient non plus un nom ou une adresse mais repèrent physiquement tel ou tel professionnel. Les soignants vont à la rencontre des gens et apparaissent alors plus facilement accessibles que s’ils étaient dans leur structure de soins.
« Ceux ou celles qui posent ces questions sont souvent en difficulté depuis des années. Nous on n’est pas là pour apporter des réponses. Quand ils évoquent des situations difficiles, on peut leur proposer de l’évoquer en entretien individuel avec nous ou avec un autre partenaire. Nous sommes souvent interpellés à l’issue de ces animations pour évoquer des situations plus personnelles. L’animation permet aux parents de faire connaissance avec les personnes qui travaillent à l’association : ils comprennent mieux ce qu’on fait, quel est notre discours. Ils nous demandent souvent une solution miracle. Notre rôle est de les amener à réfléchir. Les parents qui viennent dans les animations sont souvent ceux qui sont déjà confrontés depuis un certain temps à ces difficultés. En parler en collectif est délicat. Il y en a d’autres qui sont restés silencieux pendant l’animation mais qui vont ensuite contacter la structure en individuel. L’animation sert de passerelle pour proposer un temps d’accompagnement et dépasse les objectifs de la prévention. Les difficultés sont souvent très anciennes et remontent au très jeune âge. Les parents qui viennent à cette animation cherchent des réponses aux difficultés qu’ils rencontrent plutôt qu’une anticipation des situations qu’ils seront amenés à rencontrer » (professionnel de l’addictologie).
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IV-‐ Des clés pour favoriser l’animation de rencontres parents
L’enjeu est de faciliter la prise de parole des parents sur un sujet pour lequel, nous l’avons vu, il existe de nombreuses résistances. L’analyse de la littérature et les entretiens « terrain » ont pu mettre en exergue des facteurs essentiels au bon déroulement des rencontres parents. Le plus souvent, ces facteurs ne sont pas spécifiques aux questions liées à la parentalité et à la prévention des conduites à risques. Pour autant, quand il s’agit s’évoquer ce sujet complexe, ils prennent sans doute une dimension particulière.
1-‐ Se centrer sur les préoccupations des parents dans leur vie quotidienne
Partir de la demande et des besoins exprimés par les familles, répondre à leurs questionnements sont souvent présentés comme des préalables essentiels. Ainsi le rappelle une professionnelle en addictologie : s’agissant des inquiétudes parentales sur les technologies numériques, les parents ne souhaitent pas devenir de « super informaticiens », ils attendent surtout des réponses à leurs questions de parents. Ils cherchent à mieux connaître l’univers numérique et comprendre l’engouement de leur enfant pour ces nouvelles technologies, et pour les modes de communication comme twitter, facebook… Ils ont besoin d’avoir une maîtrise minimale de l’ordinateur mais veulent avant tout trouver des pistes de réflexion et des réponses à des questions concrètes : « Comment je fais avec mon enfant quand il ne veut pas venir à table parce qu’il joue aux jeux vidéo ? », « comment lui expliquer qu’il ne peut pas tout dire sur un compte facebook ? »… Dans ce cas, conclue-‐t-‐elle, proposer des cours d’informatique dans un centre social n’est d’aucune utilité.
Les parents attendent des professionnels des positionnements clairs et des réponses pleines de bon sens. Ils souhaitent des conseils concrets sur ce qu’ils doivent faire dans des situations comme : « que faire quand mon fils rentre ivre ? » « Comment réagir à la découverte de cannabis dans la chambre ? ». Ils ne souhaitent pas de réponses théoriques ou intellectuelles mais des approches directement exploitables dans leur univers quotidien.
Depuis plusieurs années déjà Addcitions Suisse s'adresse aux parents d'adolescents et aborde des sujets d'éducation en lien avec la consommation d'alcool, de tabac et d'autres drogues sous la forme de lettres :
Les lettres aux parents / Addictions Suisse :
Addictions Suisse a édité huit lettres à destination des parents d’adolescents de 12 à 16 ans. Ces lettres proposent des situations de la vie quotidienne et offrent aux parents des pistes pour parler avec leurs enfants des drogues et prévenir leur consommation : -‐ Etre parent d’adolescent -‐ « Tous les autres le font ». l’influence, les fréquentations, les consommations -‐ Parler avec les adolescents de l’alcool, du tabac ou des drogues illégales -‐ Les sorties, les fêtes, les consommations -‐ Accorder des libertés. Fixer des limites -‐ Prendre des risques : besoin ? danger ? -‐ Parler pour mieux s’entendre -‐ Les jeunes et les écrans Ces lettres n’ont pas pour vocation de proposer des réponses toutes faites aux préoccupations des parents. Par contre, elles s’appuient sur l’importance de garder du lien entre parents et adolescents et celui de maintenir un dialogue. Tout au long des lettres sont proposées des
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informations claires, des conseils, des pistes de réflexion pour voir plus clair dans le rôle éducatif et éclairer les choix de chacun.
Ces lettres répondent à des préoccupations de la vie quotidienne : « Depuis quelques semaines, mon fils ne me raconte plus tout ce qu’il fait. Je trouve qu’il a un comportement bizarre… je me fais du souci, je me demande même s’il ne consomme pas des drogues ? » « Ma fille fête bientôt ses 15 ans et souhaite faire une fête. Comment faire pour que cette fête se passe au mieux ? Certains de ses amis boivent de l’alcool et cela m’inquiète. » « elle s’enferme des heures dans sa chambre et passe des heures avec ses amis au téléphone »
Toutes les lettres peuvent être téléchargées gratuitement sous www.ispa.ch/lettresauxparents ou commandées par téléphone au 021 321 29 35 ou librairie@sfa-‐ispa.ch. Seuls les frais d’envoi sont facturés.
De la même manière, le site Internet « Info Alcool et parents » ou le DVD « Abus d’écrans » proposent aux parents des repères pour les soutenir au quotidien dans leur mission éducative et les aider à trouver des réponses concrètes aux questions qu’ils se posent :
Site internet Infos Alcool et Parents
Ce site (http://www.alcooletparents.com/) a été élaboré à l’initiative de l’association Entreprise & Prévention en collaboration avec le Professeur Daniel Bailly, pédopsychiatre et professeur de psychiatrie à l’université d’Aix-‐Marseille, et avec le soutien du European Forum for Responsible Drinking (EFRD). L’objet du site est centralisé autour de la question : comment parler d’alcool à vos enfants ?
Il s’articule autour de quatre grandes parties :
-‐ Tout savoir : Des informations, concernant la consommation d’alcool chez les jeunes (usage, abus et dépendance, les effets et les dangers de l’alcool, législation), notamment sous la forme de définitions et de données chiffrées, sont proposées. Cette partie est strictement orientée sur la transmission de connaissances.
-‐ En parler : Cette partie est orientée sur la communication parent-‐enfant concernant la consommation d’alcool. Le contenu a une visée informationnelle, générale et globale. Les contenus développés, évoque chacun un aspect spécifique (par exemple : à quel moment en parler) et proposent des informations ainsi que des conseils.
-‐ Que faire si ? Sa particularité est de présenter des situations plus spécifiques (par exemple : que faire si vous apprenez que votre fils a acheté de l’alcool). Bien que la question abordée soit précise, les réponses restent générales et globales sans apporter de solutions concrètes ou pratiques. Par exemple : « Parlez avec votre fils de ce qui vous semble acceptable par rapport au fait de consommer, et pourquoi ; vous devrez peut-‐être lui rappeler qu’il est illégal pour lui d’acheter de l’alcool. Idéalement, vous avez déjà discuté de ce point et vous vous êtes mis d’accord sur certaines règles. Assurez-‐vous qu’il comprend que vous vous inquiétez parce que vous vous souciez de lui. Il est important qu’il connaisse les faits relatifs à l’alcool, et qu’il sente qu’il peut dire « non» en cas de pression de son entourage ».
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-‐ Avis d’expert :
La quatrième partie propose des vidéos présentant le point de vue d’experts (pédopsychiatre par exemple) concernant les problématiques abordées dans les autres parties.
Le site propose également de nombreux liens vers d’autres sites pour obtenir des informations complémentaires ou s’orienter vers des structures spécialisées. Enfin, il est possible de prendre en rendez-‐vous en ligne avec certains experts.
Pour plus d’information http://www.alcooletparents.com
Abus d’écran – Cinq petits films réalisés par la Fédération Addiction
Télévision, ordinateur, écran plat, console de jeu, mobile : on compte en moyenne 10 écrans par foyer en France. Dans ce « bain tout écran », les adolescents naviguent avec aisance entre des connexions multiples. Ils communiquent par SMS, Tchat, sur les réseaux sociaux, jouent sur des consoles de jeux, en ligne ou en réseau, regardent des films, des séries et des vidéos en streaming sur Internet.
Dans le cadre de son partenariat avec la Mairie de Paris et l’Ecole des Parents, la Fédération Addiction a coordonné la réalisation des cinq petits films informatifs (ces films sont téléchargeables). Ils donnent la parole à des experts, à des parents et à des jeunes pour aider à mieux comprendre les enjeux et donner quelques conseils :
« Bien venu dans un monde tout écran » : Dans l’espace public comme dans l’espace privé, l’écran fait partie de notre quotidien. Il est devenu un intermédiaire obligé de notre rapport au monde.
« Des raisons de s’inquiéter ? » : Facebook, MSN, jeux en ligne et en réseau, séries et vidéos en streaming : l’addiction aux jeux vidéo existe-‐t-‐elle ? Le film aide à faire le distinguo entre addiction et prise de risques.
« Jeux vidéo, petites minutes pédagogiques » : Des psychologues et des spécialistes répondent aux questions que se posent souvent les parents. Ils présentent les différentes catégories de jeux en ligne : leurs principes, leurs règles, leur vocabulaire… pour aider les parents à comprendre l’univers de leur enfant.
« Quelques conseils pratiques » : Ce film propose des conseils aux parents sans les culpabiliser : ces conseils valorisent le côté sociabilisant et positif des jeux, donnent des pistes pour qu’ils s’intéressent à l’occupation favorite de leur enfant. Le film s’attache également à replacer les parents dans une légitimité pour qu’ils s’autorisent à redonner des limites notamment au niveau de la préservation du sommeil, de l’alimentation et de l’activité physique.
« Paroles d’ados » : Et les adolescents, comment voient-‐ils les choses ? Sont-‐ils conscients des risques ? Sont-‐ils aussi accros que ça ? Comment réagissent leurs parents ? Huit ados de 13 à 18 ans donnent leur point de vue.
Pour plus d’information http://www.federationaddiction.fr/abus-‐decrans-‐chez-‐les-‐adolescents/#sthash.B822r5r3.dpuf
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2-‐ Valoriser les parents dans l’exercice de leur rôle
Pour les parents, les rencontres sont une occasion de se poser, de prendre du recul, de ne pas se sentir seul, de rencontrer d’autres parents ou de s’interroger sur leurs pratiques éducatives. Les parents ne souhaitent pas se voir imposer « ce qu’ils doivent faire » et « comment le faire ». Ils recherchent davantage une écoute, des discussions et des échanges avec d’autres parents.
« Ce ne sont pas les professionnels qui savent pour les parents mais ce sont les parents qui sont les plus compétents pour eux-‐mêmes » (professionnel de parentalité).
Les interventions les plus efficaces sont celles qui prennent en considération le point de vue des parents, leurs expériences et leurs besoins. La démarche éducative traditionnelle, reposant sur la transmission d’un message à sens unique (du professionnel vers l’adulte) doit être abandonnée au profit d’une conception plus « égalitariste » de l’échange. Au contraire, les professionnels doivent pouvoir intégrer et respecter les représentations des parents, leurs motivations, leurs croyances, leurs valeurs. Il importe de partir de leur situation et de leur vécu de manière à transmettre des messages qui feront écho à leur réalité. L’intervenant doit adapter son langage à celui des parents, reconnaître et accepter les différences. Il ne doit pas porter de jugement de valeur sur les témoignages des parents, mais les mettre à profit en vue d’une réflexion partagée. Il s’agit alors de favoriser les solidarités entre les participants et les aider à réfléchir sur leurs propres ressources.
Dans ce sens, le rôle de l’animateur doit veiller à ne pas adopter une position asymétrique qui conduirait à inhiber la parole et à entraîner un retrait des parents. Son rôle essentiel est de libérer la parole dans un cadre suffisamment sécurisant, de s’appuyer sur le discours des parents pour développer une réflexion commune : « Les parents parlent des problèmes de communication avec les adolescents, des conduites à risques en général, de l’école, du cannabis et de l’alcool. Beaucoup de parents qui venaient étaient déjà dans des problématiques complexes, plutôt des parents qui étaient confrontés à de nombreuses difficultés. C’était un groupe ouvert. Il y avait 6 ou 7 parents. Au fur et à mesure, de manière naturelle, elles ont discuté entre elles, elles se sentaient moins seules, elles cherchaient des solutions, des échanges entre elles, c’était intéressant. Il n’y avait plus besoin de la parole d’expert. Le cadre de confiance leur permettait au fur à mesure d’aborder leurs difficultés. Elles se libéraient de certaines choses compliquées» (professionnel d’addictologie). « Les parents viennent pour réfléchir avec d’autres parents sur les aspects éducatifs. On met en avant l’expérience d’autres parents plutôt que la parole du professionnel » (professionnel de la parentalité).
Des parents parlent à d’autres parents confrontés comme eux à ces difficultés. Ils trouvent dans les échanges ou, par exemple dans les saynètes de théâtre proposées, l’occasion de s’identifier. Lors d’une journée consacrée aux nouvelles technologies, les animateurs avaient préparé des saynètes avec les habitants : parents et jeunes avaient écrits et joués des scénarios sur leur vision du numérique. Il s’agissait de confronter leurs regards et débattre ensuite avec d’autres. Un professionnel de la parentalité souligne : « les parents sont plus désemparés que démissionnaires ; ils sont en demande d’écoute, de soutien et d’aide. La plupart ont les ressources éducatives nécessaires au quotidien dans la relation avec leur enfant ».
D’ailleurs, comme le précisent Miller et Rollnick, toute entrave perçue à la liberté des parents d’éduquer leurs enfants à leur façon pourra susciter un comportement d’opposition visant le rétablissement de cette liberté estimée perdue. Lorsque les individus estiment que leur liberté d’action ou que certaines de leurs positions peuvent être limitées, ils tentent d’une façon ou d’une autre de restaurer cette liberté perdue.
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Le programme allemand « Peer Eltern an Schule » illustre ci-‐dessous cette préoccupation et l’intérêt de renforcer la mobilisation des parents à s’engager dans une prévention des conduites à risque :
Programme « Peer Eltern an Schule » Renforcement de la participation parentale à l’école en collaboration avec les acteurs scolaires (Allemagne)
Les fondements de l’action sont : -‐ Les parents peuvent faire beaucoup pour protéger leurs enfants contre les addictions. -‐ Les parents sont en demande d’informations, de réflexion sur le quotidien éducatif et ont
besoin d’échanges avec d’autres parents. Ils souhaitent se sentir plus compétents. -‐ Dans environ une famille sur deux les parents ne parlent que peu ou jamais d'alcool avec leurs
enfants. -‐ Environ 2/3 des jeunes évaluent de manière positive le fait que leurs parents en parlent,
même lors de discussions de contrôle (Fachstelle, für Suchtprävention Berlin, 2009).
Les questions de départ sont : - Quel rôle jouent les représentations de l'école dans les différentes cultures? - Pourquoi certains parents ne se sentent-‐ils pas les bienvenus à l'école? - Comment la prévention peut-‐elle contribuer à renforcer le partenariat éducatif entre l'école
et les parents? - Comment peut-‐on motiver les parents à s'engager pour un développement sain, en
particulier à l'école? - De quoi les parents ont-‐ils besoin?
Objectifs : -‐ Renforcement du rôle de modèle et de la compétence éducative d’égal à égal, en particulier
les parents dont il faudrait améliorer l’intégration ; -‐ Augmentation des facteurs de protection et minimisation des facteurs de risque pour
l’addiction (promotion de la communication dans la famille, adoption de règles, renforcement du rôle de modèle) ;
-‐ Inscrire de manière durable les parents pairs dans la prévention des addictions ; -‐ Renforcement de la participation parentale à l’école car l’école est un lieu auquel ils peuvent
contribuer.
Un programme qui se déroule en trois étapes : -‐ La formation de formateurs PeAS (enseignant, éducateurs, travailleurs sociaux scolaires) au
centre de prévention des addictions sous la forme de trois modules de trois heures -‐ Des cours pour les parents effectués par les formateurs PeAS dans les écoles sous la forme de
trois séances de trois heures et d’une réunion par année scolaire :
MODULE 1 (3h avec un formateur PeAS) Alcool, portable, ordinateur, tabac -‐ comment puis-‐je en parler à mon enfant?
MODULE 2 (3h avec un formateur PeAS et un médecin) : Au secours, mon enfant fait sa puberté! Comment puis-‐je tout de même maintenir le dialogue?
MODULE 3 (3h avec un formateur PeAS et un spécialiste en addiction et un groupe d’entraide de parents) : A qui puis-‐je m'adresser si je me fais des soucis pour mon enfant? Réunion de parents (1.5h)
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-‐ Un travail entre pairs : les parents formés transmettent leurs connaissances à d’autres parents dans les écoles (ex : soirée de parents, fêtes scolaires, journées spéciales…).
Ces actions s’adressent également aux parents d’enfants en école primaire, bien en amont des premières consommations.
Les leviers de la réussite du programme : -‐ Un entretien personnel (vaut mieux qu'une lettre) par des formateurs et formatrices PEaS,
des enseignants, des professionnels du travail social ou par des personnes clés de la commune et d'autres parents.
-‐ Les informations sont également relayées avec des flyers, des affichettes dans la langue des parents dans les lieux fréquentés (toutes les soirées de parents, associations de parents, centres de rencontre de quartiers, offres existantes pour les parents dans les écoles).
-‐ Suivi des contacts et soutien obligatoire de la part des institutions et des ressources professionnelles.
Contact : Kerstin Jüngling – Tél. : (0049) 030 29 35 26 15 – [email protected] – www.berlin-‐suchtpraevention.de
3-‐ Adopter une position en retrait
Par leur présence, les professionnels peuvent participer à conforter les parents dans leurs compétences à exercer leur autorité, à aider les parents à se positionner. Ils leur permettent de trouver les moyens et les outils susceptibles de résoudre eux-‐mêmes les difficultés et de : -‐ se sentir capable de parler des conduites à risques et clarifier les positions éducatives sur les
drogues ; -‐ acquérir les connaissances théoriques sur les addictions, l’adolescence, les usages et la
dépendance ; -‐ assimiler les techniques simples d’écoute active ; -‐ connaître le réseau addictologique local pour solliciter de l’aide en cas de besoin.
Les travaux de Lacharité et Montigny viennent éclairer l’impact de la posture des intervenants sur la capacité de réaction des parents :
Vers une démarche de promotion de la santé et d’empowerment (Lacharité, Montigny, 2012) :
Les parents réagissent différemment selon la posture adoptée par les intervenants. Ainsi, les parents développent leur estime de soi, leur sentiment de compétence quand les intervenants s’inscrivent dans une démarche d’empowerment plutôt qu’une orientation prescriptive. L’empowerment permet de s’appuyer davantage sur les ressources et compétences des parents plutôt qu’en souligner les faiblesses.
Ce point de vue souligne la capacité des individus à définir les termes de leur propre vie et de leurs projets. Les pratiques d’aide ou de soutien, quant à elles, visent à renforcer le pouvoir d’agir des personnes et à mobiliser les ressources qui leur sont nécessaires pour répondre à leurs besoins et réaliser leurs projets. Les compétences se développent par la reconnaissance des forces et des potentiels des parents et par l’augmentation du pouvoir qu’ils peuvent exercer sur leur vie. Pour être efficaces, les programmes de soutien à la parentalité doivent s’inscrire dans le cadre d’une étroite collaboration avec les parents afin de favoriser leur implication pendant toute la durée de l’intervention. Cette démarche n’est pas sans soulever un enjeu concernant le partage de pouvoir entre les parents et les intervenants (Jésu, 2007) et une remise en cause des rôles
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traditionnels de l’aidant et de l’aidé. Ainsi, plutôt que de se positionner en expert, l’intervenant pourrait chercher à partager le pouvoir.
Il apparaît donc nécessaire de s’intéresser à la question des différentes représentations des acteurs en jeu. Parents et intervenants n’ont pas nécessairement la même lecture des difficultés rencontrées et de leurs solutions, d’où l’importance d’une posture collaborative et partenariale. Le mode de l’intervention se fonderait dès lors sur l’agir communicationnel afin de mieux cerner les besoins et être à l’écoute d’un vécu et d’une identité familiale (qui se construit à la faveur de changements socioculturels : technologie, composition familiale etc). Ces interventions, s’appuyant sur les forces des parents, nécessitent de ne pas imposer un diagnostic de la situation et de tenter de développer une vision commune, ce qui s’approche d’un partage du pouvoir. Tenir compte des forces de la famille et valoriser les compétences parentales implique une étroite collaboration entre les intervenants et les parents (Saint-‐Jacques, Turcotte, Oubrayrie-‐Roussel, 2012). La connaissance des parents de l’histoire de leur enfant constitue une ressource spécifique. Cela leur permet de « participer à la recherche de moyens de remédier aux difficultés identifiées avec eux, et par conséquent d’être mis en situation de comprendre et d’accepter ces moyens sans courir le risque de s’en trouver disqualifiés ». Ils peuvent ainsi se porter garants de la faisabilité des moyens éducatifs et projets au regard des conditions de mise en œuvre (Jésu, 2007). Le rôle du professionnel pourrait dès lors consister en la valorisation de l’ensemble des contributions des parents puis dans un second temps, les aider à mobiliser les compétences et capacités éducatives dont ils disposent déjà. Il pourra également consister à mobiliser les réseaux relationnels des familles (personnels, familiaux, amicaux et institutionnels) dont ils disposent. Cette posture permet ainsi de lier les ressources et réseaux des parents à ceux des professionnels et ce afin de permettre, dans une attitude collaborative et partenariale, d’identifier et de résoudre les difficultés rencontrées par les parents (Jésu, 2007).
Des professionnels peuvent être tentés de transmettre des messages éducatifs qu’ils considèrent comme bons. Il est important de veiller à ce que ne soient pas véhiculés les a priori spécifiques au professionnel, c’est-‐à-‐dire empreint d’une culture, d’une histoire, de normes et de représentations spécifiques des professionnels sur la parentalité et les conduites à risque.
Cela étant, l’étude souligne de façon pertinente que l’ensemble de tous les répondants professionnels adhèrent aisément aux principes exposés dans le modèle de l’empowerment (Dunst et al, 1994). Néanmoins, certains d’entre eux rapportent des difficultés notables à les appliquer et notamment : encourager les parents dans l’utilisation des réseaux naturels (pour 41,3 % d’entre eux), utiliser les forces des parents pour produire des réussites immédiates (49,2 %) et avoir une relation de réciprocité avec le parent (33,7 %) (Montigny et Lachartié, 2012).
Les données relatives à l’empowerment peuvent apparaître, dans un premier temps, relativement simples à mettre en application. Pourtant, au quotidien, les choses s’avèrent souvent plus compliquées : les sujets liés à l’éducation peuvent rapidement être très connotés moralement et touchent à « l’espace privé de chacun. Les discours sur les bonnes pratiques parentales et sur le mythe de l’enfant parfait sont nombreux et participent à déstabiliser les parents (…) et cela d’autant plus que nous vivons dans une société où la recherche de performance est constante » (professionnel de la parentalité)
4-‐ Offrir un cadre et des règles favorables à l’échange
Il est nécessaire de savoir créer un climat de confiance afin de favoriser les échanges. Cela suppose donc une bonne connaissance des personnes en présence et une régularité des rencontres par exemple. Le cadre anonyme et confidentiel des rencontres participe à créer les
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conditions de l’échange, raison pour laquelle il est essentiel de le formaliser clairement. Les professionnels rencontrés insistent sur divers points : -‐ Poser le cadre de fonctionnement du groupe, en particulier : le secret du groupe, les temps de
parole, l’écoute et le respect des personnes, le non jugement, la prise de parole basée sur le volontariat, la définition de la place et du rôle de chacun ;
-‐ Donner des informations claires et précises sur le déroulement des interventions réduit les appréhensions des parents à participer à ces actions de prévention. Il peut alors s’agir de donner des informations sur les objectifs et le contenu des programmations, le déroulement des séances (anonymat, prise de parole on non en public….), les moyens utilisés…
Ce cadre permet aux familles de s’exprimer en toute liberté dans un espace où chacun peut, à travers la rencontre avec d’autres parents, prendre du recul. Ce principe fort fonde l’action de l’équipe de l’ARPEJ à Lille avec l’organisation de café-‐parents.
Café des parents/ ARPEJ Lille (Aide aux Relations entre Parents et Jeunes)
Depuis 2008, l’A.R.P.E.J est un service de l’association le Cèdre Bleu qui gère, sur le Nord-‐Pas de Calais des structures spécialisées dans l’accompagnement d’usagers de drogues. Cette structure propose des groupes parents dans le cadre de partenariats avec des collectivités locales, des écoles, des collèges et des professionnels en contact régulier avec les familles. Ces groupes permettent aux participants de se rencontrer, d’échanger leurs expériences et accueillent certains parents qui n’auraient pas osé faire la démarche d’un entretien individuel ou qui se sentent plus à l’aise dans un cadre collectif.
Pour les participants, il s’agit de : -‐ poser et énoncer ses préoccupations entre pairs -‐ sortir de sa solitude et de sa culpabilité -‐ (ré)introduire de la parole et du sens dans ses relations -‐ analyser collectivement les problèmes énoncés en dehors de tout jugement -‐ rechercher des pistes nouvelles pour comprendre et agir -‐ soutenir chacun dans sa démarche -‐ développer des liens et des solidarités
Au départ, le groupe est constitué à partir d’un thème qui unit l’ensemble des participants (être parent d’un adolescent par exemple), puis il détermine les sujets sur lesquels il souhaite échanger. Les attentes initiales des participants sont hétérogènes, certains sont en difficultés, d’autres souhaitent juste échanger, avoir des informations, des conseils…
Un groupe de parole spécifique est proposé aux parents de jeunes déjà engagés dans des consommations à risque ou problématiques, quel que soit l’âge et les produits consommés. Ces parents rencontrent au quotidien des situations complexes, ils partagent des questions qui leur sont propres et vivent des situations qui peuvent parfois effrayer ou sidérer. Ils trouvent donc difficilement leur place dans les groupes plus « généralistes ».
Organisation : Les rencontres sont organisées dans un lieu fixe, pour des séances de 2 heures. Les dates sont programmées sur l’année et communiquées aux participants dès confirmation de leur inscription. La participation au groupe est gratuite. Les groupes sont balisés par des règles que chaque participant s’engage à respecter : libre adhésion, anonymat, confidentialité, non-‐jugement, respect du rythme et des possibilités de chacun, confidentialité et non jugement, ponctualité et assiduité.
Nombre de participants : les groupes sont limités à 10-‐12 personnes maximum.
Durée : elle est fixée dès le départ, le plus souvent il s’agit d’un cycle d’une année.
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Fréquence : la fréquence dépend du groupe et de ses objectifs, mais un trop long délai entre deux rencontres introduit une distance qui rend plus difficile la reprise de contact. En moyenne, les réunions ont lieu toutes les trois semaines/un mois.
Déroulement des rencontres : elles sont animées selon une logique en trois temps : - l’expression libre, moment d’écoute pour les animateurs et de verbalisation pour les
participants - la définition des problèmes pour passer d’un contenu vague à une définition concrète - le changement qui correspond à une transformation, à une évolution des modes
d’appréhension et de compréhension
Outils utilisés : l’ARPEJ propose aux nouveaux participants : - un livret pédagogique ainsi qu’un document exposant les règles de fonctionnement - un compte rendu écrit de la rencontre précédente à chaque nouvelle rencontre - en fin de cycle, une réunion de bilan et une fiche d’évaluation
L’animation des groupes : L’animation du groupe repose sur un binôme de professionnels. En effet, il est difficile, de suivre seul les communications verbales et non-‐verbales, de rester vigilant au contenu et à la dynamique générale du groupe, de relancer, soutenir, faire circuler la parole, de garantir la sécurité de chacun. D’autre part, même s’il ne s’agit pas de groupes de thérapie, il se joue suffisamment de choses pour ne pas être trop de deux pour préparer en amont, gérer dans le moment et analyser dans l’après les séances. La présence de deux personnes est aussi facilitateur de dialogue avec les intervenants.
Contact : ARPEJ -‐ Point Parents 14, rue Alfred de Musset 59800 Lille. Tél. : 03 20 93 21 21
L’analyse de la littérature vient compléter les propos des acteurs rencontrés :
Proposer un cadre qui facilite la résolution des difficultés par les parents eux-‐mêmes : Une étude menée en Italie portant sur l’évaluation d’un programme de soutien à la parentalité a montré que les facteurs clefs associés au succès de l’intervention sont : - La présence d’un lien de confiance entre l’éducateur et la famille - L’implication des parents dans la planification et la réalisation des interventions.
Dans le cadre d’actions collectives, poser clairement des règles de conduite comme la confidentialité des échanges, l’écoute des différents points de vue, le non jugement est essentiel. Ce cadre permet d’aider chaque parent à trouver ses propres solutions. Cela permet également d’identifier les différentes perceptions des participants quant au rôle de parent et de repérer les besoins de chacun en termes de parentalité. Ces actions sont sous-‐tendues par deux principes : le parent est un guide, et il avance pas à pas en fonction des difficultés rencontrées et des émotions ressenties (Castrucci B, Gerlach K, 2005).
Restreindre la présence des professionnels « observateurs » : La présence de professionnels « observateurs » qui ne participent pas directement à l’animation proposée est un frein à la dynamique de groupe. Ces professionnels écoutent, assistent mais ne prennent pas la parole et n’aident pas, du fait du manque de compétence ou d’expérience suffisante pour apporter les réponses attendues (par exemple : les enseignants, les stagiaires…). Bien souvent, de plus, ils ne restent pas jusqu’à la fin du programme ou arrivent quand il est déjà en cours. Ce turn over des professionnels peut engendrer de sérieux freins à l’installation d’un climat de confiance. Leur rôle dans l’action peut être perçue comme flou par les participants et participer à instaurer une dynamique asymétrique (REAPP, CAF, 2011).
Permettre aux parents de participer et d’arrêter en cours de programme : Cette déclaration de liberté permet au parent de contrôler le processus de décision et favorise son implication, son maintien dans le programme. Cette position permet d’éviter un effet de réactance psychologique liée à la perception d’une contrainte extérieure (Miller, Rollnick, 2006).
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Par contre, en cas de départ anticipé d’un parent, laisser la porte ouverte vers de futurs échanges en cas de besoin est important.
Favoriser une réflexion approfondie des thématiques : Proposer à chaque réunion un nouveau thème de réflexion risque d’entraîner une perte de mobilisation des parents. Maintenir un même thème sur plusieurs réunions permet, à contrario, aux participants de faire part de leur réflexion sur le sujet, de poser de nouvelles questions, et surtout de communiquer sur la mise en pratique de ce qui a été acquis lors de la réunion précédente. La qualité des échanges, le renforcement de nouvelles compétences et l’implication du parent dans le programme sont alors favorisés (Montigny et Lacharité, 2012).
V-‐ Les difficultés et les freins repérés
1-‐ Des actions difficiles à mettre en œuvre
1-‐1 Des actions peu nombreuses et isolées
Malgré l’intérêt que peuvent présenter les actions de prévention à destination des parents et des familles, la littérature et l’ « enquête terrain » montrent que ces actions restent peu nombreuses. Les actions de prévention des conduites à risques sont plus volontiers orientées vers les enfants et les jeunes mais prennent peu en compte la dimension parentale.
D’ailleurs, il existe parfois une confusion dans les termes employés au sujet des actions à destination des parents. Le terme de parentalité est victime d’un effet de mode. Il devient « fourre-‐tout » et englobe des réalités très larges. Des actions proposées dans des structures de proximité, comme des centres sociaux ou des établissements scolaires comportent un volet théorique sur la parentalité sans que parfois, cet axe ne soit réellement effectif. Dans ce cas, la participation des parents se résume à leur présence à une représentation théâtrale ou à la présentation d’une exposition de travaux réalisés par les jeunes. Si la sollicitation des parents par les professionnels est tout à fait louable et intéressante, elle ne peut cependant pas prétendre être une action dans le champ de la parentalité. A notre sens, il serait nécessaire que ces rencontres permettent des débats et des échanges sur les valeurs parentales et sur le rôle et la place des parents.
De même, les structures et les professionnels rencontrent des difficultés à inscrire ces actions dans la durée. Pourtant, comme pour toute action de prévention, il a été largement démonté qu’une intervention isolée n’aura qu’un effet limité. Pour être efficaces, des « piqûres de rappel » doivent impérativement être organisées. Qu’il s’agisse d’interventions en direction des jeunes ou des parents, on estime en général qu’un minimum de 20 heures par an est requis, l’idéal étant que le programme s’étende sur plusieurs années. (Bantuelle M, Demeulemeester R, 2010)
1-‐2 Des actions souvent orientées vers les personnes très à risques
Les actions « parentalité et prévention des conduites à risques » sont bien plus souvent orientées vers des personnes très à risques. Ces actions s’adressent aux parents en difficulté par rapport à la consommation de produits (en usage nocif ou dépendant) ou aux parents de jeunes qui sont en difficulté avec l’usage de produits. L’intérêt et l’efficacité de ces propositions ne sont pas à remettre en cause. Cependant, elles s’adressent à des publics spécifiques directement concernés par des prises de risques régulières avec le plus souvent l’existence de dommages repérés. Les actions orientées vers les parents quand ceux-‐ci, pour eux-‐mêmes ou pour leurs enfants, ne rencontrent pas de difficultés particulières sont bien moins nombreuses.
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1-‐3 Des actions souvent orientées vers les technologies numériques
Les actions sont plus volontiers tournées vers l’usage des technologies numériques, en particulier les jeux vidéo, internet et le téléphone portable au détriment de la prise en compte de l’ensemble des conduites à risques. Dans ce cas, les structures organisent des rencontres-‐débat, des soirées conférences, des journées d’information. Elles font d’ailleurs preuve de beaucoup d’imagination et proposent des supports d’animation diversifiés et conviviaux. Pour le public comme pour les professionnels, il semble plus facile de parler des nouvelles technologies que d’aborder les consommations d’alcool ou d’autres produits. Le sujet des nouvelles technologies apparaît bien moins tabou ou stigmatisant. Les parents peuvent aborder plus facilement les difficultés qu’ils rencontrent à la maison avec leurs enfants. A noter que l’utilisation des écrans a une incidence peut-‐être plus directe et visible dans la vie quotidienne en famille (absence de l’adolescent à table par exemple…).
1-‐4 Des freins humains et financiers importants
Au-‐delà des difficultés mêmes posées par la complexité de la thématique, la mise en place de projets avec les habitants, en particulier les parents, nécessite une implication et un engagement partenarial fort. Or, plusieurs professionnels rencontrés soulignent également l’existence de véritables freins humains et financiers à la mise en place d’actions de soutien à la parentalité.
Pour les uns, ces freins peuvent être structurels, comme par exemple l’absence de reconnaissance de l’axe prévention des CSAPA. L’implication des équipes soignantes à la mise en place d’actions partenariales menées par les acteurs locaux (établissements scolaires, les maisons de quartier…) est rendue particulièrement délicate.
Pour les autres, ce sont les restrictions des personnels et la précarisation des statuts professionnels qui fragilisent la mise en œuvre de programmes parentaux. Exemples : la réduction importante des budgets alloués aux REAPP en 2013, les financements des projets sous la forme d’appel à projets, ou encore les restrictions des personnels dans les centres sociaux. Ces contraintes financières obligent les directions d’établissement à embaucher des personnes peu formées, peu expérimentées en contrats à durée déterminée. Les personnels concentrent leur énergie aux réponses les plus urgentes et à privilégier les accompagnements individuels plutôt que les actions collectives, plus chronophages à mettre en place.
« Ces journées sont très lourdes à organiser en termes de temps passé, de logistique. Cela pose des difficultés matérielles, administratives surtout quand il y a des restrictions de personnels dans les associations partenaires. Les professionnels ont de moins en moins de temps à consacrer aux activités partenariales » (professionnel de la parentalité).
1-‐5 Des contraintes organisationnelles spécifiques
Lors des entretiens, des professionnels ont souligné la difficulté à mettre en place des actions à des horaires compatibles avec l’agenda des parents et des familles. Le planning de travail des professionnels est souvent peu adapté à celui des parents. De fait, le plus souvent, les professionnels travaillent en horaire « journée » ou à temps partiel, c’est-‐à-‐dire à des moments où les parents qui travaillent ne peuvent pas être disponibles. Une adaptation des horaires des professionnels à ceux de parents peut éventuellement être envisagée mais se posent là encore des difficultés organisationnelles et financières pour les directions. « Mais c’est compliqué, par rapport à l’organisation, la disponibilité des parents, les parents ne sont pas intéressés au même moment » Professionnel de proximité.
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2-‐ Aller rejoindre les parents : une vraie difficulté
2-‐1 Un sujet délicat et un public difficile à mobiliser
Les professionnels rencontrés dans l’enquête terrain évoquent la difficulté à mobiliser les parents à des actions de soutien à la parentalité. Le sujet de la parentalité et des conduites à risques est un sujet difficile : il existe une certaine réserve des parents à évoquer ce sujet. Cette difficulté est d’autant plus grande quand il s’agit de temps collectifs. Quand ce sujet est évoqué, les parents préfèrent l’aborder dans le cadre de la confidentialité de l’entretien individuel. « Les parents, c’est un public difficile à toucher. Quand on mène des actions auprès des jeunes, on essaie d’associer les parents…mais ils ne viennent pas » Pendant plusieurs années, on a mené un groupe de parole parents/adolescents mais aujourd’hui le groupe est en questionnement, on se pose vraiment la question de continuer » (professionnel de proximité). « Les parents n’ont pas forcément envie de s’exprimer dans un groupe. Il existe une certaine réserve à aborder ces sujets » (professionnel de proximité).
2-‐2 Des projets qui peuvent être perçus comme des outils de contrôle social
L’inquiétude des parents à participer à des animations collectives semble également liée à leur crainte d’être repérés par les services sociaux et les travailleurs sociaux. Aborder des sujets à l’éducation de leur enfant ou de leur adolescent devient alors inquiétant : que va faire le travailleur social de ce que je vais pouvoir lui dire ? Quel regard va-‐t-‐il porter sur la façon dont j’élève mon enfant ? N’y a-‐t-‐il pas un risque de dire trop de choses : est-‐ce que ce n’est pas donner l’occasion à des services sociaux de s’immiscer dans ce qui relève de ma vie privée ?
« Même si l’équipe est stable, il y a un côté institutionnel qui fait peur à certains habitants : nous accueillons des permanences des travailleurs sociaux, de la PMI. Le service social reste associé au risque de placement des enfants » (professionnel de la proximité). « Parfois, il y a une certaine obligation à participer à un groupe par exemple dans les groupes auprès de bénéficiaires du RSA, au dans le groupe constitués par la MDS (dans le cadre de la protection de l’enfance). Dans ce cas, le groupe est rapidement constitué car la participation au groupe est davantage contrainte mais la dynamique de départ risque de vite patiner » (professionnel de proximité).
Les travailleurs sociaux perçoivent ces difficultés et les craintes du public à s’engager dans les actions proposées. Ils adaptent parfois la façon dont ils vont se présenter. Ils comptent alors sur l’installation progressive de la confiance entre les habitants et la structure pour atténuer leurs craintes mais préfèrent ne pas mettre en avant leur identité professionnelle de manière marquée. « En tant qu’accueillant, on pense qu’il vaut mieux ne pas se présenter en tant que travailleur social, parce que ça fait peur » (professionnel de la parentalité).
2-‐3 Ce sont souvent les mêmes familles qui participent aux actions
Les familles, en particulier les mères, participent parfois depuis plusieurs années aux actions proposées par une structure. Les groupes prennent l’habitude de fonctionner ensemble et il est difficile d’intégrer de nouveaux participants. Le turn-‐over des familles est difficile.
« Les parents qui y restent ont trouvé une place, ils se réalisent à travers les activités, ils s’y épanouissent. Mais le groupe se ferme à d’autres parents parce que, par exemple, les parents sont présents sur un temps déterminé comme dans les centres de formation. Pour ceux portés par les centres sociaux, ce sont des parents qui prennent beaucoup de place : les nouveaux n’y trouvent pas leur place. Au départ, le groupe est assez curieux par rapport aux nouveaux qui arrivent mais
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cela s’estompe. Dans des centres culturels, cela aboutit à la création d’un groupe des « anciens » et le groupe des « nouveaux »… mais cela pose beaucoup de soucis en termes d’organisation, de disponibilité » (professionnel de l’addictologie).
« C’est difficile d’inviter les parents ou alors c’est difficile d’inviter de nouveaux parents dans des groupes constitués. Dans certaines structures, cela fait des années que ce sont les mêmes parents qui viennent dans ces groupes. Des nouveaux parents viennent à une ou deux séances puis abandonnent. On a déjà réfléchi à mettre en place un groupe pour permettre cet échange et qu’ils puissent exprimer leurs préoccupations » (professionnel de proximité).
2-‐4 Ce ne sont pas toujours les familles les plus concernées qui sont présentes…
Dans d’autres situations, les professionnels regrettent le décalage entre le public visé par le programme et le public réellement venu/ Par exemple, ce sont les parents des associations de parents d’élèves, déjà investis dans l’établissement scolaire ou des parents bénévoles à la maison de quartier qui participent régulièrement aux divers ateliers qui viennent aux réunions proposés. Si leur participation est appréciée des professionnels, ils ont également le sentiment que les parents les plus en difficulté ne se déplacent par forcément. Il existe alors un sentiment d’échec de ne pas être parvenus à mobiliser ceux dont ils pensent qu’ils en auraient le plus besoin.
En parallèle, d’autres professionnels relèvent que lorsque des parents très en difficulté participent à des animations, elles sont en décalage avec les autres parents. Ces familles sont tellement concernées que très rapidement les situations évoquées relèvent du domaine de l’accompagnement individuel ou du groupe de parole à vocation thérapeutiques. Les propos tenus par ces familles peuvent en devenir gênants car ils relèvent de difficultés et de souffrances majeures qui ne peuvent s’exposer dans le cadre d’une réunion d’information générale s’adressant à un large panel de parents.
2-‐5 Des pères peu présents et peu pris en compte
L’ensemble des professionnels souligne que les actions sont ouvertes aux pères et aux mères. Ils évoquent l’intérêt de pouvoir associer des pères aux groupes de parents qu’ils accompagnent et regrettent leur quasi absence. De leur point de vue, au-‐delà des contraintes éventuelles liées à la vie professionnelle, les pères seraient souvent à la fois moins préoccupés par ces questions que la mère et moins habitués à participer à des groupes d’échanges quelque soient leur sujet. Pour autant, l’enquête terrain montre aussi que les thématiques et les modalités d’organisation sont rarement adaptées aux préoccupations et aux réalités des pères.
« Les pères sont très peu nombreux que ce soit sur des actions collectives ou pour les suivis individuels. Quand ils sont présents, ils sont souvent accompagnés de leur épouse : ils ne viennent qu’accompagnés, au contraire des femmes. Il n’y a pas d’évolution particulière : ils ont toujours été très minoritaires, voire absents… je n’en connais pas la raison. On sait que dans le quartier, les pères et les beaux-‐pères sont présents au foyer et ne travaillent pas. Ce n’est pas la vie professionnelle qui les empêche de venir (…) Ce sont des groupes qui ont souvent commencé par des « cafés des parents » organisés de manière informelle. Ils se sont ensuite poursuivis par des ateliers cuisine… c’est donc moins adapté pour les pères. (….). Dans les établissements scolaires, ils sont rarement présents. Quand j’ai rencontré des pères, c’était une intervention dans un collège privé où on m’avait sollicité sur une intervention sur l’adolescence et les signaux d’alerte d’un mal-‐être » (professionnel de proximité).
Ces difficultés peuvent sans soute trouver, pour partie, explication dans les caractéristiques du monde des professionnels. Les professionnels qui travaillent dans le champ de la parentalité et de
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l’éducation sont essentiellement des femmes. Ils ont des difficultés à proposer des activités qui correspondent également aux attentes des pères (plutôt un atelier pêche qu’un atelier cuisine…).
2-‐6 Des parents peu sollicités au démarrage des actions
Globalement, les parents restent peu impliqués en amont de la mise en œuvre des programmes d’actions et assistent peu aux réunions préparatoires.
La création d’un groupe ou d’une action de prévention à destination des parents ne se construit pas toujours à partir de demandes et de besoins exprimés par les parents mais à partir de celles des professionnels. Les professionnels vont alors rechercher un biais pour faire émerger la création de ce groupe, comme le souligne cette professionnelle :
« On va rencontrer les parents de manière informelle à la sortie des écoles, on va leur proposer un espace d’échanges à travers un café des parents. Il s’agit de favoriser un premier contact, un travail de lien. Mais après c’est très compliqué de passer d’un café des parents à un groupe d’échanges : quand les parents se sont appropriés le café des parents ils parlent à bâtons rompus des problèmes de voisinage, des problèmes du quotidien. Les problèmes qui y sont évoqués ne sont pas ciblés. Il y a plusieurs expériences de constitution d’un groupe de parole avec des orientations par un travailleur social ou un éducateur PJJ : très rapidement, les parents sont absents ou alors les parents ne sont pas en demande… c’est comme si c’était davantage la demande des travailleurs sociaux de créer un groupe suite au constat de difficultés locales mais que ce n’était pas la démarche des parents. (…) Les parents sont plutôt « consommateurs » d’un groupe mais ne s’accaparent pas la vie de ce groupe. Le groupe est porté par la structure partenaire et son référent. Ils ne sont pas associés dans la réflexion de ce qui pourrait se mettre en place »
3-‐ Parentalité et prévention des conduites à risques : un sujet qui fait peur aux professionnels
3-‐1 Des professionnels pas très à l’aise avec la thématique
On peut se demander si la rareté des actions dans ce champ est liée à un problème de mobilisation des parents ou est-‐ce aussi un problème de mobilisation des professionnels sur un sujet pour le moins complexe. Cette thématique met en difficulté les professionnels au-‐delà de l’exercice de leur activité. Il renvoie les professionnels à la fois à leur propre rapport à la prise de risques (en particulier quand il s’agit de la consommation d’alcool) et à leur expérience de parent. Ce sujet est complexe et sensible car il est emprunt de valeurs, de croyances propres à notre rapport au monde et à l’éducation. Ces sujets provoquent des débats de société influencés directement et indirectement par notre milieu d’origine, notre niveau socio-‐économique, notre culture… Il n’existe pas de position unanime sur ce sujet : au sein des couples, des familles, dans la sphère amicale, les points de divergence peuvent être nombreux et source de tensions. Prendre suffisamment de recul par rapport à des enjeux de société pour accompagner les personnes et les familles devient alors difficile. De ce fait, conscients de la complexité du sujet, les professionnels de provoquer des tensions, rompre une relation de confiance, blesser ou avoir un rôle moralisateur.
3-‐2 Le manque de formation des professionnels
Cette prévention demande aux professionnels un double champ de compétences : celui de la prévention des conduites à risques et celui de la parentalité. Or ces deux sujets, pris individuellement, font déjà le plus souvent l’objet de craintes chez les professionnels.
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« Les parents qui sont venus connaissaient déjà le centre social et participaient à des activités. Ce n’était pas forcément des parents qui étaient confrontés à des difficultés en termes de conduites à risques, ils voulaient discuter de leurs ados de manière générale. Le quartier est plutôt un quartier en difficulté. Le groupe se voyait tous les 15 jours mais mois, j’intervenais (en tant que professionnelle en addictologie) une fois par mois. Le public était mobilisé par le centre social, l’intervenant était connu. L’équipe du centre social ne se sentait pas forcément en capacité d’évoquer les conduites à risques avec les parents même s’ils repéraient des choses dans les familles. Et par contre ils se sentent davantage compétents sur l’adolescence en général. Ils n se sentent pas à l’aise et préfèrent rester flou sur le CSAPA pour présenter le groupe aux parents, ils ne savent pas comment aborder le sujet et parlent plutôt qu’on va aborder l’adolescence de manière générale. Si les parents entendent parler d’addictions trop directement, si le CSAPA est trop affiché, ils peuvent être effrayés et ne pas venir même si, d’un autre côté, ils sont concernés. Drogues addictions c’est assez stigmatisant. « Consultation jeunes consommateurs » c’est un terme fort et qui fait très médical. Soin et thérapeutique ca peut faire peur… alors qu’avec les jeunes, on n’est pas dans le soin mais dans la prévention. En plus quand les publics sont en précarité, la santé n’est pas forcément leur priorité, elles ne se sentent pas forcément concernées parce qu’elles peuvent aussi avoir elles-‐mêmes des problèmes avec l’alcool. Ca fait trop d’effet miroir. On se présente quand même en tant que CSAPA mais on va tout de suite dédramatiser le soin, la prise en charge ce pourquoi on est là.» (Professionnel en addictologie)
Chez les acteurs socio-‐éducatifs, la formation des professionnels est davantage orientée vers la prise en compte des questions liées à l’enfance et à l’adolescence. Ainsi, comme le rappelait un membre du comité de pilotage, le domaine de compétence d’un animateur en centre social est davantage orienté vers les enfants et les jeunes que vers la famille en général. Sa formation initiale et son expérience est en priorité tournée vers la prise en compte des besoins des enfants et des adolescents que vis-‐à-‐vis des adultes, et surtout des parents. Si les professionnels décident de travailler dans le champ de la parentalité, ils privilégient les actions à destination de parents de jeunes enfants plutôt que celles liées à l’adolescence. Ainsi, les bilans des REAPP montrent que les demandes de financement concernent bien plus souvent les actions à destination de parents de jeunes enfants plutôt que ceux d’adolescents. Aux yeux des acteurs, ces actions apparaissent plus difficiles et sollicitent moins d’enthousiasme auprès des publics.
Par ailleurs, les professionnels rencontrés expriment leur difficulté à mener ces actions de prévention, par manque de formation sur les conduites à risques. Au regard d’autres thématiques de santé, les professionnels ont le sentiment de ne pas maîtriser suffisamment ce sujet.
3-‐3 Peu d’outils d’animation spécifiques
Peu d’outils d’animation existent pour aborder le sujet de la parentalité et de la prévention des conduites à risques. Dans l’immense majorité des cas, les outils sont orientés vers l’une ou l’autre thématique, mais très peu proposent une prise en compte globale. Dans les outils d’animation sur la parentalité, le sujet des conduites à risques est évoqué mais ne fait pas l’objet d’une attention très développée. De la même manière, les outils sur la prévention des conduites à risques abordent rarement la dimension parentale. Les outils proposés à destination d’adultes donnent des informations et/ou interrogent les prises de risques mais pas la posture de l’adulte en tant que parent : comment prévenir la consommation chez mon enfant ? Comment réagir auprès de mon enfant quand je découvre une consommation ? Quelles règles établir ? Comment ouvrir du dialogue avec mon enfant ? Vers qui se tourner en cas de difficulté ?
En définitive, ce malaise et ce sentiment d’incompétence des professionnels ne peuvent être favorables à la mise en place d’actions de prévention. Comme pour les parents, le sujets des technologies du numérique apparaît être un sujet plus à leur portée.
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Conclusion Générale : définition des axes d’un programme régional
Cette étude a mis en lumière de nombreux éléments sur la parentalité et la prévention des conduites à risques. A ce stade, il apparaît important d’en proposer une synthèse puis de proposer un programme d’actions à mettre en œuvre :
Synthèse de l’étude
La revue de littérature montre que les parents sont des acteurs essentiels dans la prévention des conduites à risques :
-‐ La stabilité des relations familiales, la qualité d’écoute des parents mais aussi leur capacité à poser un cadre éducatif clair, représentent des facteurs de protection indiscutables tant dans l’expérimentation que dans la poursuite des conduites à risques des enfants et des jeunes. Plus la relation parent/enfant est adaptée, plus le jeune va résister à l’influence des pairs.
-‐ Le style éducatif parental a davantage d’influence sur les conduites à risques que le revenu, l’origine ethnique, la catégorie socioprofessionnelle ou les consommations d’alcool des parents.
Ces données se heurtent à la réalité d’une majorité des parents :
-‐ Le plus souvent, les parents ont tendance à minimiser les risques liés aux consommations et ne s’y intéressent qu’à partir de l’adolescence.
-‐ A l’adolescence, les parents sont inquiets et sont en difficulté pour poser des limites et exercer leur autorité. Ils se sentent démunis dans l’exercice de leur rôle parental, en particulier quand il s’agit d’aborder les conduites à risques.
-‐ Les parents sont plutôt réticents à participer à des actions de prévention : par crainte d’ingérence ou par méfiance vis-‐à-‐vis des professionnels dans les milieux populaires, parce qu’ils ne se sentent pas concernés ou parce qu’ils préfèrent recourir à d’autres sources d’information dans les milieux favorisés. Seules les classes moyennes montrent un intérêt manifeste pour cette prévention.
L’enquête réalisée auprès de professionnels de la région montre que :
-‐ Les parents ont des attitudes différenciées selon les produits consommés : par méconnaissance des produits, de leurs effets et des problématiques de dépendance, ils ont tendance à minimiser les risques liés à la consommation d’alcool et à banaliser ceux liés au tabac.
-‐ Comme déjà évoqué dans la revue de littérature, les parents ne se sentent pas compétents pour aborder ce sujet avec leur enfant : ils ont le sentiment de ne pas être légitimes, de manquer de crédibilité ou de faire pire que mieux.
-‐ Désemparés, ils oscillent entre surprotection et laisser-‐aller. Fatalistes ou démissionnaires, ils ont tendance à rester seuls devant leur difficulté et à solliciter le soutien des professionnels uniquement en situation de crise.
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Sur le plan des actions de soutien à la parentalité dans la prévention des conduites à risques, plusieurs pistes de travail émergent comme :
-‐ L’importance de travailler sur les représentations parentales des conduites à risques ;
-‐ La nécessité d’inclure cette prévention dans une approche globale de l’adolescence et des relations familiales. Favoriser le maintien d’un climat affectueux et aider les parents à prendre du recul, à garder une image positive de leur enfant, participe à cette prévention ;
-‐ Situer les prises de risques dans un continuum de la petite enfance à l’adolescence et aider les parents à prendre confiance ;
-‐ Favoriser une approche intergénérationnelle des conduites à risques plutôt que centrer le débat sur le rôle et la place des parents.
La parentalité et les conduites à risques sont des sujets, déjà complexes, pris de manière isolée. Les réunir et les mettre au centre d’une action de prévention suppose de réfléchir à une méthodologie adaptée. L’enquête de terrain a montré l’intérêt des professionnels concernant cette thématique mais elle a également soulevé des difficultés nombreuses. Les actions restent le plus souvent isolées et orientées vers la prise en compte des technologies numériques au détriment d’une approche plus globale. Lors des entretiens, les professionnels ont évoqué de nombreux freins humains, financiers et matériels mais aussi leur difficulté à mobiliser les parents sur cette question. Quand les professionnels investissent cette thématique, ils ont le sentiment d’un décalage entre le public visé par l’action et le public réellement présent. Les professionnels sont peu à l’aise pour évoquer ce sujet dans des actions de prévention et soulignent leur manque de formation ou d’outils d’animation disponibles pour traiter de ce sujet.
La revue de littérature et l’enquête de terrain ont cependant permis de mettre en exergue quelques éléments favorisant la mise en œuvre d’actions de prévention:
- L’action doit s’inscrire dans le projet d’accueil de la structure et ne peut être que le fruit d’un travail sur le long terme avec les familles et d’un lien de confiance patiemment instauré ;
- Les partenaires engagés dans le programme doivent pouvoir partager des valeurs communes et poursuivre collectivement les mêmes objectifs ;
- Des modalités de communication individualisés et novatrices doivent être imaginées pour favoriser la mobilisation et la participation des parents ;
- L’organisation des actions doit s’adapter aux contraintes de la vie des familles et de leurs difficultés, notamment en termes de mobilité géographique ;
- Il est intéressant de proposer de nouvelles sources d’information et de communication, en développant par exemple l’usage d’internet comme moyen de prendre contact avec les familles ;
- Ces actions sont l’occasion de proposer un premier contact avec les soignants en addictologie pour que si nécessaire, les familles puissent les solliciter.
Quelque soit la qualité de la méthodologie de projet mise en œuvre, les professionnels doivent pouvoir également, et surtout sans doute, être attentifs à :
-‐ Répondre de manière bienveillante et concrète aux difficultés des parents dans l’exercice de leur rôle au quotidien ;
-‐ Soutenir les parents, souvent peu confiants et désemparés, et développer les solidarités entre les parents ;
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-‐ Favoriser la parole des parents et les aider à résoudre par eux-‐mêmes leurs difficultés ;
-‐ Etre garant du cadre posé pour favoriser les échanges dans un climat respectueux et transparent.
Principales orientations proposées
A ce stade de la réflexion, il est désormais envisageable de dresser les principales orientations d’un programme régional d’action :
Axe 1 : Développer des sessions de formation « prévention des conduites à risques et parentalité » : Développer des sessions de formation à destination des professionnels sociaux, socio-‐éducatifs, paramédicaux, engagés dans l’accompagnement d’enfants et de familles issus de structures de proximité et/ou de soutien à la parentalité. Ces sessions de formation aborderont en particulier : - Les représentations parentales des conduites à risques - La place des parents dans la prévention des conduites à risques - Intégrer les conduites à risques dans une approche globale des relations parents-‐enfants. - Comment en tant que parent appréhender la relation à la prise de risques ? Quelle posture
parentale adopter en fonction de l’âge de l’enfant ou de l’adolescent ? - Comment soutenir et valoriser les parents dans cette mission éducative ? - Axes de travail pour développer des programmes de prévention : méthodologie de projet,
supports d’animation, ton et posture de l’animateur - Présentation d’expériences de prévention auprès des parents
Axe 2 : Créer un outil pédagogique à destination des professionnels qui animent des rencontres auprès de parents : A partir de situations concrètes et ludiques, l’outil pédagogique permettra de susciter une réflexion des parents et des jeunes sur des questions comme : - Prendre des risques pour un adolescent, à quoi ça sert ? - Quelles attitudes adopter avec les adolescents ? - Comment aborder les conduites à risques avec mon enfant ? - Face aux comportements à risques, que faire ? - Est-‐ce que les prises de risques sont spécifiques à l’adolescence ? - Vers qui se tourner quand l’adolescent est en difficulté avec sa consommation ?
Il s’agira avant tout de renforcer la confiance des parents dans leurs compétences parentales. L’outil pédagogique n’aura pas pour vocation de proposer des réponses toutes faites aux préoccupations des parents. Au contraire, il s’agira de faciliter la prise de parole des parents sur un sujet pour lequel, il existe de nombreuses résistances. Les échanges des parents permettront de se poser, de prendre du recul, d’évoquer les difficultés, les astuces, les positions éducatives pour réfléchir et dépasser des situations de la vie quotidienne.
Un groupe de travail, composé d’acteurs régionaux et locaux engagés dans des actions de soutien à la parentalité ou dans le champ des conduites à risques, d’acteurs de terrain auprès de jeunes et adultes, sera créé pour déterminer les orientations, le contenu et les modalités pédagogiques de cet outil.
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Axe 3 : Développer les actions de soutien aux acteurs dans le montage et l’animation d’actions de prévention : L’ANPAA proposera un accompagnement méthodologique des projets de prévention « parentalité et prévention des conduites à risques » (réalisation du diagnostic, définition des objectifs, déroulement du projet, conception d’outils de suivi du projet, évaluation du projet, valorisation et communication du projet, élaboration du budget du projet). Au-‐delà des aspects méthodologiques, l’ANPAA proposera un soutien pédagogique pour faciliter l’animation de rencontres parents ou parents/enfants sur cette thématique avec une attention particulière sur le choix d’outils pédagogiques, l’animation et la gestion de groupe, la posture de l’animateur... Cet accompagnement nous apparaît d’autant plus important que les acteurs ont davantage l’habitude de conduire des programmes à destination de jeunes plutôt qu’auprès de parents.
Axe 4 : Créer et/ou faciliter la diffusion d’outils de communication à destination de parents : De la même manière qu’il existe peu d’outils spécifiques d’animation pour évoquer la parentalité et la prévention des conduites à risques, rares sont les outils de communication écrits qui proposent cette thématique. En dehors de quelques dépliants proposés en Bretagne et en Suisse présentés dans l’étude, les sources d’information restent relativement peu importantes. Au regard de la difficulté des parents à évoquer ce sujet avec un professionnel que ce soit dans le cadre d’entretiens individuels ou d’animations collectives, il nous apparaît important, de pouvoir mettre à leur disposition des outils qui facilitent leur réflexion.
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Bibliographie
Cette bibliographie est organisée dans l’ordre alphabétique strict des auteurs, puis chronologique, puis des débuts de titre. Enfin, nous mentionnerons également les DOI (Digital Object Identifier) afin de permettre au lecteur d’identifier un contenu et lui fournir un lien permanent sur Internet. Il suffira d’introduire le DOI sur le site http://www.crossref.org pour retrouver la localisation du document.
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