papeles de ermua nº especial francia

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Collaboration judiciaire franco-espagnole dans la lutte contre le terrorisme Loi sur les partis politiques et mise hors la loi de Batasuna La Constitution espagnole La situation des juges au Pays basque L’espace judiciaire européen en matière pénale Le nationalisme basque au fil du millénaire Deux repères internationaux manipulés : l’Irlande du Nord et le Québec Publication du FORO ERMUA NOVEMBRE 2003 Prix: 6 Numéro spécial en français Prix 2003 du FORO ERMUA décerné à la justice française Prix 2003 du FORO ERMUA décerné à la justice française

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Revista oficial del Foro Ermua

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Page 1: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

Publicación del FORO ERMUADICIEMBRE 2002 / ENERO 2003

Precio: 6 €

• Collaboration judiciaire franco-espagnole dans la luttecontre le terrorisme

• Loi sur les partis politiques et mise hors la loi de Batasuna• La Constitution espagnole• La situation des juges au Pays basque• L’espace judiciaire européen en matière pénale• Le nationalisme basque au fil du millénaire• Deux repères internationaux manipulés : l’Irlande du Nord

et le Québec

Publication du FORO ERMUANOVEMBRE 2003

Prix: 6 €

Numéro spécialen français

Prix 2003 du

FORO ERMUA

décern

é à la

justice fr

ançaise

Prix 2003 du

FORO ERMUA

décern

é à la

justice fr

ançaise

Page 2: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

Conseil éditorial du “Papeles de Ermua”

Vidal de Nicolás, PrésidentInma Castilla de Cortázar y Larrea, Viceprésident

Rogelio AlonsoAlfonso Alonso AraneguiCésar Alonso de los RiosJavier Barrondo ApodacaJoaquín ArangoJoseba ArregiAurelio ArtetaIñaki ArtetaManuel AzpilicuetaMikel AzurmendiJosé BareaJavier Barrondo ApodacaAntonio BasagoitiEnriqueta BenitoAntonio Beristain Ipiña Andrés de BlasJuan María BilbaoJosé BonoMikel Buesa José María CallejaJaime CastellanosJavier CorcueraRosa DiezLuis María Diez-PicazoFrancisco DoñateEnrique Echeburúa OdriozolaGabriel ElorriagaJavier ElorrietaAntonio ElorzaIñaki EzkerraCarlos Fernández de CasadevanteFrancisco FloresJuan Pablo Fusi AzpurúaFernando García de Cortázar José Angel García de CortázarAntonio Giménez-PericásSantiago Gonzalez

Luis Gonzalez AntónJuan Pablo González GonzálezRicardo Gonzalez OrúsPedro Gonzalez-TrevijanoAntonio GraciaEmilio Guevara SaletaJavier Guevara SaletaRaúl Guerra GarridoCarmen GurruchagaJuan Luis IbarraAgustín IbarrolaCarmen IglesiasAna Belén Iracheta UndagoitiaJuan E. IranzoJosé IturmendiRafael IturriagaGustavo Jaso Jon JuaristiJuan José LabordaErnesto Ladrón de GuevaraIsozi Leturiondo de OnaindíaLuis María LindeFrancisco Llera RamoIgnacio Martinez-ChuriaqueElvira Martinez ChacónJaime Mayor OrejaGotzone MoraFernando MauraCarlos Martinez GorriaránAntonio MingoteJavier MontañaEnrique MúgicaJosé María MuguruzaEugenio Nasarre GoicoecheaIsozi Leturiondo de OnaindíaDiego OrtegaEleazar Ortiz

Maite PagazaurtunduaLoyola de Palacio VallelerchundiBenigno PendásJosé Pérez GraciaDavid Pérez FernándezAlejandro Pérez LastraIgnacio Pérez Lastra Ignacio Pérez LastraRamón RabaneraAlberto RecarteNicolás Redondo TerrerosAntonio RiveraJuantxu RivasJavier RojoSaturnino Ruiz de LoizagaAlejandro Saiz ArnaezIgnacio Sánchez CámaraJosé María SalbideboitiaIsabel San SebastiánFernando SavaterFelipe SerranoJuan José Solozabal EchevarríaHerman Terscht del VallelerchundiCarlos Totorica IzaguirreIsabel Tocino BiscarolasagaEduardo UriarteEdurne Uriarte BengoecheaVictor UrruelaAlfonso de Urbina y de ArróspideFrancisco VázquezJosé Varela OrtegaJuan Velarde FuertesAlejo Vidal-QuadrasGermán YankeJesús ZarzalejosCharo ZarzalejosEnrique Zubiaga

Page 3: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

● ÉDITORIAL : Vidal de Nicolás, Président du Foro Ermua 05

● PRÉSENTATION : LE FORO ERMUA EN BREF 06

● PRIX DU FORO ERMUA Á LA JUSTICE FRANÇAISE :

PRIX DE LA COHABITATION CITOYENNE 09

● COLLABORATION FRANCO-ESPAGNOLE CONTRE LE TERRORISME :

LA FRANCE ET L’ESPAGNE UNIES DANS UN MÊME COMBAT CONTRE LE

TERRORISME • Olivier Schrameck 10

" RIEN QUE LA LOI, MAIS TOUTE LA LOI " • José María Michavila 12

● LOI SUR LES PARTIS POLITIQUES ET BATASUNA ARTICLES :

TERRORISME ET PARTISPOLITIQUES. LE CAS BATASUNA • Jesús Zarzalejos Nieto 17

NOTE SUR LES FONDEMENTS POUR INTERJETER UNE DEMANDE DE

DÉCLARATION D’ILLÉGALITÉ DES PARTIS POLITIQUES HERRI BATASUNA, EUSKAL HERRITARROK ET BATASUNA, EN VERTU DE LA LOI ORGANIQUE

6/2002, DU 27 JUIN, DES PARTIS POLITIQUES 21

COUR CONSTITUTIONNELLE. ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE. 34

LOI ORGANIQUE 6/2002, DU 27 JUIN DES PARTIS POLITIQUES 57

● LA CONSTITUTION ESPAGNOLE :

LA MEILLEURE CONSTITUTION DE NOTRE HISTOIRE • Benigno Pendás 68

● LA DERIVE SÉCESSIONNISTE DU NATIONALISME BASQUE :

LES NATIONALISMES BASQUES AU FIL DU MILLÉNAIRE • Jon Juaristi 71

ATTENTION, CHIEN MÉCHANT ! • Nicolás Redondo Terreros 83

UN DÉFI NATIONALISTE • Jaime Mayor Oreja 86

LE PRIX POLITIQUE DE LA “NON-ESPAGNE” • Rosa Díez 89

LA SÉCESSION ET LES COÛTS DE LA “NON–ESPAGNE” • Mikel Buesa 90

● LA SITUATION DES JUGES AU PAYS BASQUE :

TOPIQUES POLITIQUES ET DÉLÉGITIMATION DU POUVOIR JUDICIAIRE. LA SITUATION DES JUGES AU PAYS BASQUE • Juan Luis Ibarra Robles 97

● ÉDUCATION ET DÉLINQUANCE :

L’ENSEIGNEMENT DE « LA BASQUITUDE » : UNE PATRIE SANS LIBERTÉ • Juan José Laborda 111

ENTRETIEN AVEC EDUARDO URIARTE • I.C de C. Rédaction 116

sommaire

Page 4: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

● IN MEMORIAM :

ENTRETIEN AVEC BEGOÑA ELORZA • I.C de C. Rédaction 123

● REPÈRES INTERNATIONAUX :

LA SÉCESSION DU QUEBEC: AVIS AUX CITOYENS BASQUES • Juan María Bilbao Ubillos 128

L’IRLANDE, UN EXEMPLE À SUIVRE • Rogelio Alonso 141

● DOCUMENTS DU FORO ERMUA :

LA SITUATION LÉGALE DE BATASUNA EN FRANCE 145

DECLARATION DEVANT LE PARLEMENT EUROPEEN SUR LE NEONAZISME

ET LA VIOLENCE POLITIQUE AU PAYS BASQUE (ESPAGNE) 146

CARTE À M. JEAN-MARIE LEBLANC, Directeur général du Tour de France 157

LE FORO ERMUA DEMANDE LE RESPECT DE LA LOI 158

COMMUNIQUÉ DU FORO ERMUA SUITE À LA PRÉSENTATION DU PLAN

IBARRETXE DEVANT LE PARLEMENT DE VITORIA 160

Publié par Fondation “Papeles de Ermua”. Apdo. Correos 711. 01008 Vitoria-Gasteiz (Espagne).

Visitez et décubrez la version française des nos sites Internet :

www.foroermua.com

Pour nous contacter : [email protected]

Page 5: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

L’an 2000 fut la date de notre présentation au Parlement Eu-ropéen à Strasbourg, et aussi celle de l’assassinat de notre ca-marade José Luis López de Lacalle, joumaliste et cofondateur duForo Ermua, qui, pendant la dictature de Franco avait passé septans de sa vie dans les prisons du tyran. L’ETA était derrière cecrime, comme il l’est derrière celui de presque mille innocents.

Notre dénonciation ne s’arrête pas aux assassinats, aux ex-torsions et aux dommages que la bande de malfaiteurs de l’ETAa produit dans notre pays tout entier, mais concerne aussi cesdeux cent mille citoyens basques qui ont dû s’exiler dans les ré-gions de l’Espagne où le cancer nationaliste n’a pas infecté letissu social ; sans oublier les juges, conseillers municipaux, jour-nalistes, professeurs, etc. qui doivent, dans leur profession etdans leur vie quotidienne, être accompagnés de gardes du corpspour éviter les pièges tendus par les assassins.

Nous lançons un appel à la conscience européenne sur lesdangers que cela représenterait si un État totalitaire et racistes’emparait définitivement d’une partie de notre Europe solidai-re et démocratique.

Vidal de NicolásPrésident du Foro Ermua

Éditorial

Éditorial. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

5

exemplaire de notre revue “Papeles de Er-mua” que vous avez entre les mains et quis’adresse aux lecteurs de langue françai-se, répond au besoin de faire connaîtreaux Européens qui sont les plus prochesde nos problèmes, quelle est la situationdu Pays basque espagnol en ce qui conce-me les libertés propres à tout système dé-mocratique.

A la suite de l’assassinat du jeune con-seiller municipal de la ville d´Ermua, Mi-guel Ángel Blanco, le 12 juillet 1997, cri-me qui fut immédiatement attribué a labande terroriste ETA, se sont produitesdans tout le pays des manifestations d’in-dignation et d’impuissance qui mettaienten évidence le danger que la menace de laviolence, qui cette fois-ci n’était pasaveugle, faisait courir à notre jeune dé-mocratie.

Les crimes de l’ETA visaient tant à éli-miner physiquement les adversaires poli-tiques de l’aventure nationaliste, qu’à in-timider la population tout entière selon ledicton du génocidaire Ante Pavelitch quipréconisait que, pour s’emparer du pou-voir par la violence il fallait tuer un tiersde la population, faire prendre le cheminde l’exil à l’autre tiers et amadouer le res-te. Le nationalisme basque qui s’intitulelui-même démocratique, et se trouve de-puis plus de vingt ans au pouvoir, profitede la menace du terrorisme pour homo-généiser ce qu’il appelle le “peuple bas-que” dans la doctrine du nationalisme“obligatoire”.

Le 13 février 1998 une assemblée d’in-tellectuels (artistes, écrivains, professeurs,etc.) a lu, dans un hôtel de Bilbao, un com-muniqué qui, sous le nom de “Foro de Er-mua”, se manifestait en faveur de la libertédes citoyens à choisir le système politiquede notre pays sans avoir à subir la pressionde la violence, ni les mensonges historiquesdu nationalisme ethniciste. Le documents’inscrivait dans ce qu’on appelle l’espritd’Ermua, et a été lu en langue basque parl’anthropologue Mikel Azurmendi, et en es-pagnol par moi-même, poète.

Mesdames et messieurs,

L

(Note de la rédaction : nous aurions souhaité inclure dans ce Numéro spécial de Papelesde Ermua d'autres contributions. Nous avions sollicité, par exemple, le leader de l'oppositionet secrétaire général du Parti socialiste espagnol, M. José Luis Rodríguez Zapatero).

“ Le 13 février1998 uneassembléed’intellectuels(artistes,écrivains,professeurs, etc.)a lu, dans un hôtelde Bilbao, uncommuniqué qui,sous le nom de ‘ Foro de Ermua ’,se manifestait enfaveur de laliberté descitoyens à choisirle systèmepolitique de notrepays sans avoir àsubir la pressionde la violence, niles mensongeshistoriques dunationalismeethniciste ”

Page 6: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

Présentation

Présentation. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

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Pendant les deux semaines quiont suivi le vil enlèvement, puis

l’assassinat, du jeune élu, plusieursmillions de personnes, de toutesclasses et de toutes conditions, ontmassivement et spontanément réa-gi en descendant dans les rues duPays basque et de l’Espagne entière.Ils en avaient assez du terrorisme,assez de ces attentats à répétitionperpétrés dans un État pleinementdémocratique, membre de l’Unioneuropéenne, et exprimaient ainsileur lassitude.

Ces millions de manifestants de-mandaient, en outre, aux partis po-litiques démocratiques et aux insti-tutions de l’État de s’unir et de fairepreuve de fermeté, non seulementpour lutter contre l’ETA et contre sescomplices d’Herri Batasuna, maispour les mettre définitivement horsd’état de nuire. C’est ainsi qu’est néet qu’a pris corps ce que l’on a ap-pelé “l’esprit d’Ermua”, qui a mar-qué un tournant décisif dans l’his-toire de la lutte des démocrates es-pagnols contre le fascisme nationa-liste de l’ETA.

Parmi les fondateurs du ForoErmua le 13 février 1998, on peut

mentionner les suivants: Vidal deNicolás, Agustín Ibarrola, José LuisLópez de Lacalle, Carlos Totorika,Jon Juaristi, Mikel Azurmendi, Fran-cisco Doñate, Iñaki Ezquerra, EdurneUriarte, Fernando Savater, JavierCorcuera, Raul Guerra Garrido yTxema Portillo.

L’action du FORO ERMUA, qui enaucun cas ne prétend se substituerà celle des partis politiques, obéitaux quatres principes suivants:

• Opposition radicale au terro-risme basque, et dénonciation detoutes les organisations politiquesou prétendument “socio-culture-lles” qui justifient et soutiennentles terroristes, et servent de cou-verture à leur mouvement. C’est lecas, notamment, de Batasuna etdes organisations de jeunesse sesituant dans sa mouvance, commeJarrai-Haika, de l’association Ges-toras Pro-Amnistia [qui revendiquel’amnistie des terroristes basquesemprisonnés] et de nombreux au-tres groupements, qui ont été dé-clarés illégaux par la justice espag-nole. L’un des objectifs du FOROERMUA est de favoriser la recon-

naissance des victimes du terro-risme et de leur apporter le soutiendont elles ont besoin. Malheureu-sement, le FORO fait aussi partie deces victimes, puisque, en mai 2000,notre camarade le journaliste JoséLuis López de Lacalle a été assassi-né par l’ETA.

• Les solutions au “problème bas-que”, comme on l’appelle, ne peu-vent être envisagées qu’au sein ducadre politique et institutionnel dé-fini par la Constitution démocrati-que espagnole et par le Statutd’autonomie qui en découle, grâceauquel le Pays basque bénéficie duplus haut niveau d’autonomie gou-vernementale existant aujourd’huien Europe sur le plan régional.

• Pas de négociation politiqueavec l’ETA. L’éventuelle disparitiondu groupe terroriste ne peut êtresubordonnée à un projet politiqueou à une modification statutaire ouconstitutionnelle que les criminelsnégocieraient avec l’État et les di-verses institutions publiques espag-noles et basques. La seule négocia-tion nécessaire et légitime avec l’E-

Le FORO ERMUA est une association de cito-yens basques, composée essentiellement d’uni-versitaires et de membres de professions libéra-les. Sa création remonte au 13 février 1998,quelques mois après l’assassinat par l’ETA, le 12juillet 1997, de Miguel Ángel Blanco, un jeuneconseiller municipal de la commune d’Ermua,en Biscaye (province du Pays basque).

Le FORO ERMUA en bref

“ C’est ainsi qu’estné et qu’a priscorps ce que l’ona appelé ‘ l’espritd’Ermua ’, qui amarqué untournant décisifdans l’histoire dela lutte desdémocratesespagnols contrele fascismenationaliste del’ETA ”

Page 7: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

Présentation

Présentation. PPAAPPeeLLeeSS ddee eeRRMMUUAA Numéro spécial en français. NOV 2003.

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TA est celle qui aura pour but de dé-terminer les conditions de sa reddi-tion et de sa dissolution : dépôt desarmes, sort des détenus, mesures deréinsertion sociale, etc.— Enfin, pour vaincre définitivementle terrorisme, le FORO ERMUA misesur une union étroite entre lesforces espagnoles et basques“constitutionnalistes”, c’est-à-direqui reconnaissent pleinement le ca-dre défini par la Constitution et leStatut d’autonomie et considèrentqu’il s’agit là du seul cadre permet-

tant une cohabitation durable et pa-cifique à la fois entre les citoyens duPays basque, et entre les Basques etles autres Espagnols. Tant que sévirale terrorisme, ces forces doivent s’u-nir, au Pays basque et au sein duParlement national, pour le combat-tre, même si, logiquement, dans lereste de l’Espagne et en ce qui con-cerne toutes les questions étrangè-res au terrorisme (santé, éducation,politique extériure, etc.), elles n’a-bandonnent pas leur rivalité politi-que. Et cette union doit nécessaire-

ment reposer sur celle du Parti so-cialiste espagnol (PSOE) et du Partipopulaire (PP), les deux seuls partisqui, à court et moyen terme, sontsusceptibles de gouverner l’Espagne.

Depuis plusieurs années,le président du FORO ERMUAest Vidal de Nicolás, l’undes fondateurs de l’organi-sation. Vidal de Nicolás, quiest aussi poète, s’est illustrédans la lutte antifranquisteet a participé à la constitu-tion du syndicat ouvrier Co-misiones Obreras (Commis-sions ouvrières) dans la pro-vince basque de Biscaye, rai-sons pour lesquelles il a faitplusieurs séjours en prison àpartir des années 50. Depuis2000, il est toujours escortépar deux policiers.

Pour plus de renseignements consultezla version française du site Internet:www.foroermua.com.

Agustín Ibarrola. Sculpteur. Membre fondateur du Foro Ermua.

“ […] le FOROERMUA mise surune union étroite

entre les forcesespagnoles et

basques ‘ constitutionnalistes ’,

c’est-à-dire quireconnaissent

pleinement le cadredéfini par la

Constitution et leStatut d’autonomieet considèrent qu’il

s’agit là du seulcadre permettantune cohabitation

durable etpacifique à la foisentre les citoyens

du Pays basque, etentre les Basques

et les autresEspagnols”

Page 8: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

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Pour nous contacter : [email protected]

Page 9: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

Prix du FORO ERMUAá la Justice Française

Prix du FORO ERMUA á la Justice Française. PAPeLeS de eRMUA. Numéro spécial en français. NOV 2003.

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En honorant cette personnalité, lejury souhaite bien entendu rendrehommage au ministère français de laJustice, mais aussi à la justicefrançaise dans son ensemble pour sacollaboration inestimable dans lalutte contre le terrorisme et en fa-veur de la consolidation de l’État dedroit en Espagne. Le jury tient toutparticulièrement à remercier les ju-ges et les procureurs antiterroris-tes de Paris, dont le travail et le dé-vouement, souvent au péril de leurvie, suscitent la profonde admirationdes citoyens basques reconnaissants.

La coopération judiciaire fran-co-espagnole a commencé bienavant que les terribles attentats te-rroristes perpétrés à New York etWashington le 11 septembre 2001fassent subitement prendre cons-cience à la communauté internatio-nale de la grave menace que faitaujourd’hui peser le terrorisme surles sociétés libres.

À compter de cette date tragique,il a été reconnu que la collaborationentre États constituait un élément in-dispensable de la lutte internatio-

nole a constitué l’une des principales sourcesd’inspiration de l’ambitieux projet de créationd’un espace judiciaire européen unique, àl’origine de la mise en oeuvre, depuis 22 mois,d’un processus accéléré d’harmonisation despolitiques judiciaires et policières des Étatsmembres de l’Union européenne.

À ce sujet, il est important de souligner lacréation du mandat d’arrêt européen, visant àéviter les lenteurs de la procédure d’extradition,qui devrait entrer pleinement en vigueur dans les15 États de l’Union européenne en janvier 2004.Il s’agit là d’un énorme progrès qui n’aurait pu seconcrétiser si rapidement sans la coopérationdes ministres français et espagnol de la Justice.

Le Prix sera remis au Pays Basque, au fin dumois de Novembre.

nale contre le terro-risme, un instrumentnécessaire pour triomp-her de ceux qui ont re-cours à la violence pour

imposer leurs objectifs totalitaires. LaFrance et l’Espagne peuvent s’enor-gueillir d’avoir été les premières às’engager sur ce chemin de la coopé-ration entre nations, dont la nécessi-té est aujourd’hui admise par la com-munauté internationale. Parmi lesnombreuses actions s’inscrivant dansle cadre de cette collaboration bilaté-rale, nous pouvons rappeler notam-ment : la remise temporaire aux au-torités espagnoles des membres del’ETA arrêtés sur le territoire français,afin qu’ils soient interrogés en Espag-ne avant d’être jugés comme il se doiten France, la création d’équipes d’en-quêtes conjointes, ou encore la remi-se immédiate des documents inter-ceptés auprès des terroristes.

Il convient de préciser que cettecoopération judiciaire franco-es-pagnole a été mise en oeuvre dansle plus strict respect des droits despersonnes détenues en raison deleur intervention présumée dansdes activités terroristes.

Par ailleurs, la collaboration en-tre les justices française et espag-

Le jury était composé des personnes suivantes :• M. Vidal de Nicolás.

Président du FORO ERMUA (Président du jury)• M. Gustavo Jaso. Économiste (Secrétaire du jury)• M. Nicolás Redondo Terreros. Ex–Secrétaire Général

du Parti Socialiste Basque (PSE) (Membre du jury)• Mme Gotzone Mora. Professeur d’université. PSE

(Membre du jury)• M. Germán Yanke. Journaliste (Membre du jury)• M. Mikel Buesa. Professeur d’université (Membre du

jury)• M. Antonio García-Chazarra. Président de la

Fédération des Associations des criminologues –FACE (Membre du jury)

• M. Rubén Múgica. Porte-parole du FORO ERMUA(Membre du jury)

PRIX DE LA COHABITATION CITOYENNEBilbao. 31 juillet 2003. Réuni à Bilbao, le jurydu Prix de la Cohabitation citoyenne (Premioa la Convivencia Cívica) décerné par le FOROERMUA, a décidé, à l’occasion de sa troisièmeédition, d’accorder cette récompense à lajustice française en la personne de M. Domi-nique Perben, Garde des Sceaux.

(Note de la rédaction : Le Prix du Foro Ermua sera remis à M. Dominique Perben le lundi 24 novembre 2003. La cérémonie aura lieu à 18h., au Centro Cívico Europade Vitoria, capitale de la Communauté autonome du Pays basque.À ce jour (4 novembre), les personnalités suivantes ont notamment confirmé leur présence : M. José María Michavila, ministre espagnol de la Justice ; M.. Olivier Sch-rameck, ambassadeur de France en Espagne ; M. Javier Zarzalejos, secrétaire général de la Présidence du gouvernement espagnol ; M. Emilio del Rio, conseiller de Pré-sidence du gouvernement régional de La Rioja ; M. Aleix Vidal-Quadras, vice-président du Parlement européen ; M. Enrique Villar, délégué du gouvernement au Paysbasque ; M. Antolín Sanz Pérez, porte-parole du groupe du Parti populaire au Sénat ; M. Nicolás Redondo Terreros, ancien secrétaire général du Parti socialiste du Paysbasque (PSE-EE) ; M. Ramón Rabanera, responsable de l'Administration provinciale d'Alava (Diputado General) ; M. Alfonso Alonso, maire de Vitoria ; M. Juan CarlosIbarra, magistrat du Tribunal supérieur de justice du Pays basque ; M. Adolfo Prego de Oliver y Tolivar, membre du Conseil général du pouvoir judiciaire espagnol ; M.François Badie, magistrat français ; M. Manuel García-Castellón, juge de l'Audience nationale ; Mme Mª Concepción Marco, magistrate de l'Audience provinciale deBilbao ; Mme Mercedes Guerrero, magistrate de l'Audience provinciale de Vitoria ; M. Julio Adolfo Suanzes, commandant des force navales de Bilbao ; Mme Mª IsabelLasa, directrice du service d'accueil aux victimes du terrorisme du gouvernement régional basque ; Mme Gotzone Mora, conseillère municipale socialiste à Guecho ;M. Thierry Fraysse, consul général de France à Bilbao et plusieurs de ses homologues accrédités dans cette même ville.)

Page 10: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

10Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme

Nul n’ignore en France leproblème du terrorisme na-tionaliste basque, né en Es-pagne il y a plus de trenteans. La proximité géograp-hique et affective de nosdeux pays rendent la Franceet les Français particulière-ment sensibles à chaque at-tentat qui frappe le peupleespagnol.

Depuis près de vingt ans, la coo-pération policière et judiciaire fran-co-espagnole n’a cessé de se renfor-cer pour devenir un modèle de coo-pération bilatérale dans ce domaine.Elle se réalise au travers d’un travailquotidien de nos magistrats et denos policiers de sorte que ceux quiplanifient, financent ou commettentdes actes de terrorisme, ou encorequi en sont les complices, soientpoursuivis et traduits en justice.

Les tribunaux français, chargésde se prononcer sur les demandesd’extradition présentées par les au-torités espagnoles à la suite d’arres-tations de membres de l’ETA en te-rritoire français, ont toujours rejeté

les argumentations tendant à dé-fendre le caractère politique des cri-mes commis par les terroristes bas-ques, pour ne les considérer quecomme des infractions de droitcommun et donc susceptibles d’en-traîner l’extradition de leurs auteurs.

Parmi les progrès récents de no-tre coopération judiciaire, il con-vient d’évoquer le recours, de plusen plus fréquent, à la procéduredes remises temporaires. Les te-rroristes, arrêtés et condamnés enFrance, pour des infractions commi-ses sur le territoire français, doiventen principe purger leur peine enFrance avant de pouvoir être extra-dés, ce qui retarde de plusieurs an-nées leur remise à l’Espagne et doncleur jugement dans ce pays pourdes crimes souvent d’une extrêmegravité. Pour éviter de retarder leurjugement, les autorités judiciairesfrançaises et espagnoles ont décidéd’appliquer le mécanisme de la re-mise temporaire prévu par l’article19 alinéa 2 de la Convention Euro-péenne d’Extradition de 1957, quiprévoit la possibilité de remettretemporairement à l’État requérantune personne dont l’extradition aété accordée, mais dont la remiseeffective est retardée du fait d’affai-res pénales en cours contre elledans l’État requis. Cette remise tem-poraire s’effectue moyennant ac-cord entre autorités des deux États

concernés, selon des modalités etune durée à définir au cas par cas.Actuellement, quatre étarras, remistemporairement à l’Espagne pourquelques mois, sont en cours de ju-gement à Madrid.

Par ailleurs, les Ministres espag-nols et français de la justice et del’intérieur ont récemment décidé decréer des commissariats communs,des patrouilles mixtes et des équipescommunes d’enquête afin d’accen-tuer, en amont, l’efficacité de notrelutte commune contre tous les terro-rismes et toutes les formes de crimi-nalité. Car l’échange d’informations,en amont des enquêtes, est absolu-ment déterminant pour lutter effica-cement contre le terrorisme.

Sur ce point d’une importanceopérationnelle cruciale, un groupede travail franco-espagnol a fixé, en2002, —en concertation avec toutesles parties concernées, procureurs,juges d’instruction et services depolice, des règles communes “debonnes pratiques”— que les Minis-tres de la Justice ont agréé —règlespermettant, dans le respect desdroits et de la confidentialité desenquêtes, d’améliorer l’échange desinformations et leur exploitation ra-pide, tant entre services de policeque de parquet à parquet ou dans lecadre des commissions rogatoiresdélivrées par les juges d’instruction.Des réunions périodiques entre les

La France et l’Espagne uniesdans un même combat contrele terrorisme

Olivier Schrameck

Ambassadeur de France en Espagne

“ Parmi lesprogrès récents denotre coopérationjudiciaire, ilconvientd’évoquer lerecours, de plusen plus fréquent, àla procédure desremisestemporaires ”

Page 11: PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

11Collaboration franco-espagnole

contre le terrorisme

procureurs français et espagnolsspécialisés dans la lutte contre le te-rrorisme, auxquelles participent lesmagistrats de liaison, ont été insti-tuées dans le but d’étudier l’évolu-tion de la menace terroriste et departager analyses et informations.

Un groupe de travail franco-es-pagnol a également réfléchi aux rè-gles de fonctionnement des futureséquipes communes d’enquête,constituées pour une affaire déter-minée, et qui devraient permettreaux services de police judiciaire desdeux États d’agir directement sur leterritoire de l’autre État, sous l’auto-rité d’un directeur d’enquête (jugeou procureur) de l’Etat où se dérou-le l’investigation, et non plus d’êtrecantonné à une simple assistancepassive, comme c’est le cas dansl’entraide répressive internationaleclassique. Un protocole définissantces règles a été signé par les deuxMinistres lors du Sommet franco-espagnol qui s’est déroulé à Carcas-sonne, le 6 novembre 2003. Il s’agitlà, pour la France et pour l’Espagne,d’être les premiers au sein de l’U-nion Européenne à mettre effecti-vement en œuvre, dès 2004, cenouvel instrument qui constitueune avancée supplémentaire dans laconstruction de l’espace judiciaireeuropéen, témoignant ainsi de l’e-xemplarité de notre coopérationpolicière et judiciaire.

Mais la police et la justice nesont pas les seules administrationsde nos deux pays mobilisées dans lalutte contre le terrorisme. Les autresministères sont concernés et s’ef-forcent de prendre en compte cettedimension de notre coopération bi-latérale. A titre d’exemple, le gel desavoirs financiers, conjugué à desmesures structurelles visant à luttercontre les abus du système finan-cier, apporte une contribution im-

portante au démantèlement des fi-lières de financement du terrorisme.

Cette coopération bilatérales’articule, en outre, avec l’action quel’Espagne et la France conduisent,au plan européen, où une politi-que commune de lutte contre leterrorisme est également mise enoeuvre. Les Etats membres de l’U-nion européenne, qui coordonnentleurs efforts dans le cadre d’Europolet d’Eurojust, adoptent des mesuresqui visent à améliorer la sécurité àl’intérieur de l’Union comme à sesfrontières extérieures.

Parmi ces mesures, il convient deciter la création du mandat d’arrêteuropéen, le renforcement de la sû-reté aérienne, la lutte contre le fi-nancement du terrorisme et la coo-pération avec les Etats tiers commeles Etats-Unis. Cette mobilisation del’Union européenne contre le terro-risme est indispensable car le succèsde notre combat contre ce fléau im-plique une action qui dépasse le sim-ple cadre bilatéral franco-espagnol.Les autorités policières et judiciairesde tous les pays doivent redoublerd’efforts. Le droit international per-met de poursuivre les auteurs, lescommanditaires et les complices,partout où ils se trouvent.

Par son caractère exemplaire enEurope, la coopération franco-es-pagnole contre le terrorisme vientrappeler que nous voulons construi-re une Union européenne qui trouveprécisément son origine dans l’affir-mation des valeurs de la démocratie,de la liberté, de la tolérance et durespect de la vie humaine.

Nos démocraties ont les moyensde lutter efficacement contre le te-rrorisme, tous les terrorismes. Car laviolence terroriste est un phénomè-ne international. Depuis le début desannées 1970, la France a régulière-ment fait l’objet d’attaques terroris-

tes sur son territoire ou à l’étranger.La France est ainsi le pays d’Europequi a été le plus touché par le terro-risme international. Les faits en té-moignent: entre 1986 et 1996,vingt-trois attentats ont été perpé-trés dans notre pays, qui peuventêtre attribués à des mouvements is-lamistes radicaux. Encore récem-ment, le 8 mai 2002 à Karachi, auPakistan, onze français appartenantà la direction de la construction na-vale ont payé de leur vie la folie cri-minelle de groupes terroristes isolés.

Conscients de cette mena-ce, la France et l’Espagne ont,dès avant le 11 septembre2001, étendu le champ de leurcoopération bilatérale au te-rrorisme international. Ainsi,au cours de l’année 2001, estapparu l’existence d’un réseauislamiste en Espagne, servantde soutien et de filière d’ac-cueil et d’infiltration-exfiltra-tion au terrorisme islamiste. Ledémantèlement, par la policeespagnole, de plusieurs struc-tures islamistes proches d’AlQaeda a été le résultat d’unecoopération bilatérale particu-lièrement efficace et rapide.Pour prévenir et réprimer effi-cacement le terrorisme, il fauten effet affirmer de la façon laplus claire, qu’ils ne peuventespérer nulle part l’impunité.

“ Par soncaractèreexemplaire enEurope, lacoopérationfranco-espagnolecontre leterrorisme vientrappeler que nousvoulons construireune Unioneuropéenne quitrouveprécisément sonorigine dansl’affirmation desvaleurs de ladémocratie, de laliberté, de latolérance et durespect de la viehumaine ”

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Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

12Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme

Le FORO ERMUA me fait un grandhonneur en m’offrant la possibili-té de m’exprimer dans sa revue,Papeles de Ermua, sur les victoiresde l’État de droit en général, etplus particulièrement sur les vic-toires que celui-ci remporte dansla lutte contre le terrorisme enFrance et en Espagne.

J’ose espérer qu’ainsi nos deuxsociétés, et la société européennedans son ensemble, auront une idéeplus claire de l’immense effort que,en nous appuyant sur la démocra-tie, sur la loi et sur l’État de droit,nous réalisons afin d’être à la hau-teur morale des victimes du terro-risme et d’une société qui répond àla terreur des revolvers, des bombeset de l’exclusion, par le dialogue etla force des idées. Nous en sommesfermement convaincus : ensemble,avec la sérénité que procure uneconscience pacifique et libre, nousparviendrons à vaincre définitive-ment le terrorisme.

Parmi les associations de cito-yens qui, au Pays basque, ont déci-dé de tenir tête à une minorité vio-lente qui tente de défendre par laforce des arguments réducteurs etporteurs d’exclusion, le FORO ER-MUA est sans aucun doute la plusconnue. C’est pourquoi j’aimerais

que ces quelques pages soient aus-si l’expression de ma reconnaissan-ce envers tous ceux qui personni-fient avec courage ce que signifievivre en démocratie, qui répondentà la force par le dialogue, qui oppo-sent au bruit des armes le chucho-tement d’une vérité qui n’a pas be-soin d’être hurlée pour s’imposer.Toutes ces personnes qui ont sur-monté la fatigue morale et éveillentaujourd’hui les consciences de lasociété tout entière, en abattant lemur de silence complice qui entou-re le terrorisme de l’ETA.

Les « mains blanches » de MiguelÁngel Blanco2 démontrent au-jourd’hui qu’elles sont plus fortesque le rugissement des armes d’ungroupe terroriste. L’ETA découvredésormais, à coups de détentions etde lois, que la faiblesse des démo-crates fait partie du passé, que ladémocratie ne va pas servir d’alibiaux terroristes et que l’État de droitva les poursuivre, les arrêter, les ju-ger et les condamner, plus vite etpartout où ils se trouvent.

L’Espagne est aujourd’hui unpays démocratique, qui jouit d’unejustice et d’un État de droit solides,grâce à une Constitution qui a per-mis la croissance et le progrès conti-nu d’une société libre, tolérante etouverte au dialogue, une société dy-namique et prospère, génératriced’emplois et de richesses, qui offre àl’étranger une image de dynamismeet de modernité sans précédent. Cet-te société, précisément parce qu’elleest libre, est devenue la pire ennemiedes apôtres de la violence, de ceuxqui jouent avec la peur des citoyenspour essayer d’imposer leurs idéestotalitaires. Parce que ce sont les ci-toyens et les associations de cito-yens, comme le FORO ERMUA, qui,les premiers, ont tenu tête à l’ETA.

Les terroristes doivent donc per-dre tout espoir d’obtenir quoi que cesoit par les bombes et les revolvers.Les institutions, les pouvoirs publicset la société espagnole ont uni leurs

" Rien que la loi, mais toute la loi "Le triomphe de l'État de Droit sur le terrorisme1

José María Michavila Núñez

Ministre de Justice d´Espagne

1 Article pour le Numéro Spécial du “Papeles de Ermua”, nov.2003.2 [NdT] Suite à l’assassinat par l’ETA, le 12 juillet 1997, de MiguelÁngel Blanco, un jeune conseiller municipal de la commune basqued’Ermua (province de Biscaye), plusieurs millions de personnes ontmassivement réagi en descendant dans les rues du Pays basque etde l’Espagne entière. Les mains peintes en blanc des manifestantssymbolisaient leur innocence face aux crimes de l’ETA et dé-nonçaient la justification de ces mêmes crimes par Batasuna. Cettemobilisation populaire a marqué un tournant décisif dans l’évolu-tion historique du Pays basque.

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Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

13Collaboration franco-espagnole

contre le terrorisme

forces pour défendre la liberté et ladémocratie. Les responsables politi-ques, la démocratie, donnent enfinla seule réponse qui soit : la stricteapplication de la loi, de la Constitu-tion, un État de droit fort et une jus-tice impartiale. Et nous ne sommespas seuls. Les démocraties europé-ennes, à la suite de la France, de sasociété et de son gouvernement, sesont jointes à nous.

En cette fin d’année 2003, l’Es-pagne célèbre le 25e anniversaire desa Constitution. Le fait qu’elle expri-me aujourd’hui sa reconnaissanceenvers la justice française en la re-merciant de son inestimable colla-boration dans la lutte antiterroriste,en la personne de M. DominiquePerben, garde des Sceaux, pourraitsembler une heureuse coïncidence.

Cependant, ceux qui depuislongtemps ont choisi d’être les te-nants d’un État de droit fort pourlutter contre le terrorisme, saventbien que cette coïncidence est plusqu’un simple hasard. C’est précisé-ment aujourd’hui, vingt-cinq ansaprès l’avènement de la démocratieet de la création de l’État des auto-nomies, qui ont apporté la liberté etla prospérité à notre pays, que nouscueillons enfin les fruits d’un travailde plusieurs années et de la colla-boration avec la France. La Franceet l’Espagne ont été les premières àcoopérer dans la lutte contre le te-rrorisme, et aujourd’hui, après lesattentats du 11 septembre, cettecollaboration constitue un exemplepour les autres États membres del’Union européenne, et pour lemonde entier.

Tout comme la société française,le gouvernement français, avec despersonnes comme M. Perben, acompris depuis longtemps déjà quele terrorisme de l’ETA était unproblème qui concernait également

la France, et que les frontièresfrançaises ne pouvaient servir debouclier aux terroristes qui fuient lajustice de leur pays. Les Français ontété nos meilleurs alliés pour con-vaincre le reste du monde que cha-que bombe de l’ETA n’est pas seule-ment un attentat contre la vie et laliberté des Espagnols, mais que l’on-de de choc provoquée par son ex-plosion s’étend jusqu’au moindrerecoin des sociétés libres.

Il y a longtemps maintenant quela France nous apporte son soutien.Elle a compris que notre démocratieest en train d’accomplir son devoir,un devoir qu’elle n’a pas le droitd’ignorer : parce que près de millepersonnes ont déjà été assassinées,parce que des milliers d’autres ontdû quitter le Pays basque ou y viventsous la menace quotidienne de laviolence, parce que plus de deux mi-lle personnes doivent être accom-pagnées en permanence de gardesdu corps (tous les membres de l’op-position au gouvernement nationa-liste basque, des chefs d’entreprise,des journalistes, des personnalitéspolitiques, des enseignants, des ju-ges, des procureurs, des prêtres ouencore des fonctionnaires de l’État).

Tous ensemble nous avons bienavancé. L’ETA est aujourd’hui plusque jamais aux abois, traquée parun État de droit ferme, une sociétésans peur et une justice qui a com-mencé à appeler les choses par leurnom et défend les victimes en s’ap-puyant sur le seul État de droit, maisen actionnant tous les mécanismesque celui-ci met à sa dispositionpour poursuivre la vile minorité quiassassine, séquestre, opprime et ex-clut la grande majorité.

Avec l’aide de nos voisins euro-péens, nous apportons une réponseintégrale au fléau du terrorisme, enle combattant sur tous les fronts

possibles et en utilisant tous les res-sorts de la loi. Nous appelons désor-mais les choses par leur nom, et lesmesures nombreuses et variées quenous avons prises depuis quelquesannées en sont la meilleure preuve.

Nous ne pouvions continuer àconsentir que les rues soient deve-nues de véritables camps d’entraî-nement pour jeunes terroristes, eten décembre 2001, le Code Pénal adonné un nom à ces actes de barba-rie : terrorisme de rue.

La loi organique 7/2000, du 22décembre 2000, portant modifica-tion de la loi organique 10/1995, du23 novembre 1995, du Code pénal etde la loi organique 5/2000, du 12janvier 2000, réglementant la res-ponsabilité pénale des mineursdans le cadre des infractions deterrorisme (Journal officiel nº 307,du 23 décembre 2000), a été ap-prouvée par le Parlement à 94%des voix et a constitué l’instru-ment le plus efficace pour mettreun terme à la « kale borroka » (vio-lence de rue, en basque).

Par ailleurs, les mairies ont cesséd’être un territoire d’impunité pourtous ceux qui profitaient des séan-ces plénières des collectivités loca-les pour attenter directement con-tre la démocratie, et contre la liber-té de pensée et d’expression desélus et de tous les citoyens quiavaient voté pour eux.

Aujourd’hui, les auteurs de cetteviolence quotidienne qui attentaitcontre le droit des citoyens basquesà vivre normalement sont jugés parles tribunaux de l’Audience nationa-le, et les responsables sont tenus depayer pour les dommages qu’ils ontprovoqués.

Grâce à ces diverses mesures,ces atteintes sauvages à la libertédes citoyens sont désormais en voied’extinction.

“ L’Espagne estaujourd’hui unpaysdémocratique, quijouit d’une justiceet d’un État dedroit solides,grâce à uneConstitution qui apermis lacroissance et leprogrès continud’une société libre,tolérante etouverte audialogue, unesociété dynamiqueet prospère,génératriced’emplois et derichesses, quioffre à l’étrangerune image dedynamisme et demodernité sansprécédent ”

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Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

14Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme

Nous ne pouvions pas non pluscontinuer à permettre qu’un partipolitique serve de couverture à unebande d’assassins.

C’est pour cette raison que, enjuin 2002, la loi organique 6/2002,du 27 juin 2002, sur les partispolitiques, a été approuvée. Cetteloi, qui bénéficiait de l’appui de plusde 80% du Parlement, est une con-quête éthique, une conquête éthi-que de la démocratie, qui, sanscomplexe, fait face au terrorisme.

En effet, il ne s’agit pas ici depoursuivre des idées, mais d’appli-quer les règles du bon sens à la poli-tique, afin que nos impôts cessent definancer ceux qui nous assassinent,afin que l’ETA ne puisse pas impuné-ment placer cent quatre-vingt-qua-torze de ses terroristes dans les ins-titutions démocratiques – des gensdont le salaire provient de nosimpôts et qui mettent lesdites insti-tutions démocratiques au service dela terreur –, afin aussi que l’ETA n’aitpas accès, par le biais d’un parti poli-tique, aux listes de recensement et,par conséquent, aux adresses des dé-mocrates, et afin que les locaux de cemême parti politique cessent d’êtredes dépôts d’armes, des bases opéra-tionnelles ou encore des lieux de re-crutement de terroristes.

Avec cette loi, nous appelonsillégal ce qui doit être illégal. Il esten effet impossible de consentir l’e-xistence d’organisations qui, sous lefaux couvert des institutions, jouentun rôle actif dans un projet totalita-riste et ne sont rien d’autre que desinstruments de violence, de menaceet de chantage. Un parti peut êtrerendu illégal quand, de façon graveet réitérée, il soutient des organisa-tions terroristes ou réalise des acti-vités supposant une justification duterrorisme ou de la violence en tantque méthode pour atteindre des ob-

jectifs. Ce ne sont pas des idées quisont mises hors la loi, mais les par-tis protégeant des activités étroite-ment liées à la terreur. Le 26 août2002, le Parlement approuvait ainsià plus de 90% la mise en œuvre duprocessus qui conduirait à l’inter-diction de Batasuna, et le 3 septem-bre, la démocratie lançait l’offensivedu siècle : avec plus de 1000 élé-ments de preuve démontrant queBatasuna et l’ETA ne faisaient qu’un,elle attaquait cette formation politi-que en justice et sollicitait sa misehors la loi. Cette action en justice adonné lieu à un procès contradic-toire, respectant les droits et les ga-ranties des accusés. Un véritableexemple de démocratie.

Là encore, nous avons bénéficiéde l’appui des citoyens. Quatorzefondations et associations de victi-mes du terrorisme se sont en effetjointes à nous le 16 décembre 2002,expliquant dans une déclaration de-vant notaire que, dans la vie quoti-dienne des personnes qu’elles re-présentaient, Batasuna était le pro-longement du terrorisme de l’ETA.

Le Tribunal constitutionnel ayantdéclaré à l’unanimité la constitution-nalité de la loi, le 27 mars 2003, laCour suprême prononçait, à l’unani-mité également, la mise hors la loi deBatasuna. Unanimement, donc, lestribunaux, la loi, nous disaient ce quenous savions tous depuis longtemps,que Batasuna, les bombes, les revol-vers ne faisaient qu’un, que ce partiavait pour unique finalité de com-pléter et de soutenir politiquementl’action de l’organisation terroristeETA, qu’il avait franchi une frontière,qu’il ne défendait pas seulement desidées et des programmes mais qu’ilétait aussi complice de la terreur etde la violence, qu’il contribuait à laviolation des droits de l’homme etdes principes démocratiques.

L’avocat général de l’État et leministère public, qui avaient pré-senté deux recours séparés deman-dant l’annulation de plusieurs listesde candidats pour les élections mu-nicipales basques, ont vu leurs ef-forts récompensés. La loi sur lespartis politiques a permis à la Coursuprême de rendre, le 3 mai dernier,deux arrêts annulant respective-ment 241 listes, dans le premier cas,et 239 listes, dans le second. Finale-ment, le 25 mai dernier, pour la pre-mière fois depuis l’avènement de ladémocratie, des élections municipa-les ont eu lieu au Pays basque sansBatasuna, sans candidats de l’ETA.

Quant à l’argent de nos impôts,il ne sert plus à payer les salaires de8 députés, 63 maires et 890 consei-llers municipaux collaborant avecl’ETA. Nos impôts ont égalementcessé de subventionner, à hauteurde 780 millions d’euros par an, unparti politique de l’ETA, et le tempsest fini où des élus fournissaient àl’ETA les listes de recensement, etc.

En outre, le 30 juin 2003, dans lebut de mettre un terme à une situa-tion insoutenable, la loi sur l’exé-cution intégrale des peines pourdélits de terrorisme était approu-vée. Nous ne pouvons en effet per-mettre que des terroristes condam-nés à des centaines d’années de ré-clusion pour assassinats multiplesne purgent qu’une partie, non pasde leur peine à proprement parler,mais de la peine maximum, celle-ciétant de trente ans. Nous ne pou-vons pas non plus permettre quedes terroristes bénéficient d’un ré-gime de semi-liberté dès le lende-main de leur entrée en prison.

Nous sommes sur le point d’at-teindre notre objectif. L’ETA est entrain d’apprendre que, dans notre dé-mocratie, les terroristes purgent leurspeines et que, grâce à l’efficacité des

“ En effet, il nes’agit pas ici depoursuivre desidées, maisd’appliquer lesrègles du bon sensà la politique, afinque nos impôtscessent definancer ceux quinous assassinent,afin que l’ETA nepuisse pasimpunémentplacer centquatre-vingt-quatorze de sesterroristes dansles institutionsdémocratiques –des gens dont lesalaire provient denos impôts et quimettent lesditesinstitutionsdémocratiques auservice de laterreur –, afinaussi que l’ETAn’ait pas accès,par le biais d’unparti politique, auxlistes derecensement et,par conséquent,aux adresses desdémocrates, etafin que les locauxde ce même partipolitique cessentd’être des dépôtsd’armes, desbasesopérationnelles ouencore des lieuxde recrutement deterroristes ÷

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Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

15Collaboration franco-espagnole

contre le terrorisme

forces de l’ordre et à la coopérationinternationale, ils vont être arrêtésplus tôt et partout où ils se trouvent.Aujourd’hui les terroristes se rendentcompte qu’ils devront payer égale-ment pour le deuxième ou le troisiè-me assassinat, que pour obtenir desremises de peine il faut coopérer ac-tivement avec la démocratie, et queleur patrimoine, actuel et futur, servi-ra à indemniser les victimes.

Les institutions démocratiquesfonctionnent, et l’État de droit ré-pond fermement à ceux qui tententd’intimider la société basque et lasociété espagnole en ayant recoursà la terreur. Le temps est révolu où,en Espagne, les mots de WinstonChurchill avaient des accents de vé-rité : « Les ennemis de la démocratietirent leur force de la faiblesse desdémocrates ». C’est là la premièrepreuve que le tunnel de la violencenationaliste n’est pas interminable.Un jour, nous en verrons la fin.

Et nous répondrons de même àtoute initiative totalitaire, de mêmenous nous opposerons à tous ceuxqui tenteront d’enfreindre les règlesdu jeu démocratique.

Le gouvernement, en tant quepremier garant de la Constitutionqui, depuis vingt-cinq ans permet lacoexistence pacifique des Espagnols,veille et continuera à veiller au res-pect des droits, des valeurs et desprincipes constitutionnels dans tousles recoins du Pays basque, de l’Es-pagne et de l’Europe. Et toujoursnous serons fidèles à notre ligne

d’action, en utilisant les mécanismesque nous offrent la démocratie etl’État de droit, comme nous l’avonsencore fait jeudi dernier [13 novem-bre], en présentant un recours de-vant le Tribunal constitutionnel àl’encontre du « Plan Ibarretxe »3.

Tant de personnes ont lutté pourla paix et la liberté, que nous n’allonspas y renoncer maintenant. Nous nelaisserons personne imposer des pro-jets totalitaires ayant la prétentiond’instaurer des institutions excluanttous ceux qui ne pensent pas commela minorité nationaliste.

C’est pour cette raison que, le 7novembre dernier, le gouvernementespagnol, réuni en Conseil des mi-nistres, a pris la décision de présen-ter un recours demandant l’annula-tion du « Plan Ibarretxe ». Le 13 no-vembre, le « Recours de la démocra-tie » était déposé auprès du Tribunalconstitutionnel.

Les initiatives du gouvernementet du Bureau du Parlement du Paysbasque, prises respectivement le 25octobre et le 4 novembre 2003, nesont rien d’autre que la mutilationunilatérale de la Constitution, dustatut d’autonomie du Pays basqueet du règlement du Parlement bas-que lui-même. Elles entraînent larupture de la cohabitation citoyen-ne, de la tolérance et du dialogue.Elles sont une atteinte directe à lasouveraineté, qui réside dans l’en-semble des Espagnols, et à la Cons-titution européenne, où n’a pas,bien évidemment, sa place le soi-di-

sant « État libre associé » du lehen-dakari Juan José Ibarretxe [chef dugouvernement régional basque].

Nous n’avons nullement l’inten-tion d’interdire aucun débat : « Il n’ya pas de projet politique qui soit ex-clu d’avance ». Mais, ce qui aurait puêtre mené à bien dans le respect dela Constitution, en acceptant loya-lement le résultat de la procédureconstitutionnelle, que celui-ci soitfavorable ou non à la requête, a étémis en œuvre dès le début en en-freignant les principes constitution-nels, le statut d’autonomie et le rè-glement du Parlement. C’est celaque, par le biais de cette annulation,nous souhaitons empêcher.

Ce que nous invoquons, en défi-nitive, c’est la raison du droit et dela cohabitation citoyenne. Par cetteaction en justice, la démocratie re-vendique son droit à la liberté, à ga-rantir le droit de tous les Espagnolsà décider de leur avenir et à garan-tir le droit de tous les citoyens duPays basque à vivre, à penser et àdécider en toute liberté.

Si seulement le lehendakari Iba-rretxe et son gouvernement avaienteu une once de sentiment démocra-tique et respecté la cohabitation cito-yenne et les règles du jeu. Si seule-ment ils avaient réellement décidé derésoudre le grand problème du Paysbasque, qui n’est autre que l’ETA, ensignant eux aussi l’Accord pour les li-bertés et contre le terrorisme4. Siseulement le PNV avait soutenu leslois qui ont approuvé l’exécution in-tégrale des peines et mis fin au tempsoù nos impôts subventionnaient lesterroristes.

La réalité est malheureusementfort différente. Au lieu de joindreleurs efforts à ceux de tous pourconsolider la démocratie, la paix, laliberté, l’esprit de tolérance et de res-pect, ils ont pris le chemin inverse.

3 [NdT] Le projet, auquel le chef du gouvernement régional basque, Juan José Ibarretxe, a donné son nom, pré-tend engager le Pays basque dans un processus de sécession vis-à-vis de l’Espagne. Le premier pas serait la créa-tion d’une « communauté librement associée » à l’État espagnol, laquelle, dans la pratique, serait déjà presque tota-lement indépendante du pouvoir central en matière exécutive, législative et judiciaire.4 [NdT] L’Accord pour les libertés et contre le terrorisme a été signé en décembre 2000 par le Parti socialiste ouv-rier espagnol (PSOE) et par le Parti populaire (PP), pour lutter conjointement contre le terrorisme et contre le défipermanent des partis nationalistes basques. Cet accord est encore en vigueur en novembre 2003.

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Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

16Collaboration franco-espagnole contre le terrorisme

Voilà pourquoi la seule réponseque peut apporter la démocratie estcelle que nous apportons, avec lesoutien de toute l’Europe, et plusparticulièrement, de la France : laloi, rien que la loi, toute la loi.

Les pouvoirs publics et la sociétéespagnole en sont si intimementconvaincus que l’esprit qui a inspiréces mesures légales contre le terro-risme est en train de s’étendre à tou-te l’Europe. C’est ainsi qu’en 2002 et2003, l’Union européenne a fixé lalutte antiterroriste comme l’un desobjectifs prioritaires de tous les Con-seils des ministres de la Justice et del’Intérieur. L’Espagne est aujourd’huiforte face au terrorisme parce quel’Europe est forte également, parceque l’Union européenne a su s’oppo-ser fermement à la création de sanc-tuaires terroristes, parce qu’elle a sutenir tête à la terreur, qui ignore lesfrontières.

Ainsi, le 13 juin 2002, elle approu-vait le mandat d’arrêt européen etadoptait une définition commune duterrorisme. Toujours en 2002, le 14septembre, à Copenhague, les 15pays européens et le procureur géné-ral des Etats-Unis soutenaient le pro-cessus de mise hors la loi de Batasu-na. Le 7 mai 2003, Batasuna était ins-crit sur la liste des organisations te-rroristes des Etats-Unis, et le 5 juin2003, les quinze États membres del’Union européenne décidaient à l’u-nanimité d’inclure cette formationpolitique dans la liste européenne desorganisations terroristes.

La France nous a toujours soute-nus, inspirés, encouragés. La Franceet l’Espagne ont été des pionnièresen Europe en matière de coopéra-tion et d’action conjointe, et ellesont notamment mis en oeuvre lesinstruments de collaboration sui-vants : les remises temporaires5, quipermettent de mettre plus rapide-

ment les prévenus à la dispositionde la justice, les plaintes officielles,l’échange d’informations ou encorela mise en place d’équipes commu-nes d’enquêtes, laquelle a d’ailleursété décidée très récemment, lors dudernier sommet franco-espagnol.

Parmi tous ces nouveaux instru-ments, il ne fait aucun doute que lemandat d’arrêt européen constituel’une des avancées les plus signifi-catives. Il suppose la suppression del’ancienne procédure d’extradition,aujourd’hui rendue obsolète par laconfiance mutuelle et la reconnais-sance réciproque qui caractérisentles relations entre nos deux pays.

Dans cette Europe sans frontiè-res que tous ensemble nous avonsconstruite, cela n’a aucun sensd’empêcher la libre circulation del’État de droit. En aucun cas lesfrontières ne doivent être des entra-ves à la lutte contre la délinquancetransnationale et contre le terroris-me. Aujourd’hui, les frontières denos pays nous unissent plus qu’ellesnous séparent.

La France a tout de suite com-pris la nécessité d’instaurer un nou-veau cadre de coopération et elle aété, avec l’Espagne, l’une des pre-mières à encourager ces initiatives.Nous pouvons dire que la collabora-tion franco-espagnole a donné unélan décisif à la construction d’unvéritable espace judiciaire communau sein de l’Union européenne.

Les résultats de cette collabora-tion sont parlants. Cette année, 98terroristes ont été extradés et 8 ontété remis temporairement à l’Es-pagne.

Par ailleurs, le 26 novembre 2002,un accord a été signé autorisant

l’accès immédiat à l’information. Et le9 décembre, toujours dans le cadrede la coopération policière et judiciai-re, les ministres de la Justice déci-daient de créer des équipes commu-nes d’enquête.

Le président de notre gouverne-ment a prononcé les mots suivants :« Parmi les devoirs qu’il incombe àtout démocrate, il en est un par-delà les autres qu’il n’a pas le droitd’ignorer : celui de combattre avecténacité les terroristes, de soutenirles victimes et de leur manifester lareconnaissance qui leur est due ».

Conjuguer nos efforts dans lebut, toujours, de défendre le biencommun des citoyens, telle est lasolution, j’en suis pour ma part con-vaincu. C’est donc avec une extrêmesatisfaction que je constate que lesFrançais et les Espagnols, ensemble,sont sur le point aujourd’hui demarginaliser la violence terroriste etla tiédeur des conformistes, desnostalgiques, de ceux qui soutien-nent la violence ou se retranchentdans une attitude passive, de ceuxqui, au sein des institutions, de cer-tains partis politiques ou tout sim-plement au sein de la société, parcequ’ils se taisent et détournent le re-gard, consentent à ce que des per-sonnes qui pensent différemmentsoient victimes de la terreur, de l’in-timidation, de la menace et duchantage.

La France et l’Espagne sont dessociétés démocratiques, libres etjustes, dont nous consolidons au-jourd’hui les fondements. Ce Prix,décerné à des Français par des Es-pagnols, est la preuve que, ensem-ble, nous continuerons à faire face àtout attentat contre la démocratie,et que jamais nous ne cesserons dedéfendre les valeurs qui définissentnos sociétés et sur lesquelles seconstruit l’Europe de demain.

5 [NdT] Cette procédure est expliquée dans l’article de M. OlivierSchrameck, Ambassadeur de France en Espagne.

“ La France a toutde suite compris lanécessitéd’instaurer unnouveau cadre decoopération et ellea été, avecl’Espagne, l’unedes premières àencourager cesinitiatives. Nouspouvons dire quela collaborationfranco-espagnolea donné un élandécisif à laconstruction d’unvéritable espacejudiciaire communau sein de l’Unioneuropéenne ”

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Loi sur les partis politiques et Batasuna. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

17Loi sur les partis politiques et Batasuna

Articles

“ […] l’Espagne etla France ontétabli depuis leSommet dePerpignan uneauthentique ‘ coopérationrenforcée ’, unespace européende justiceréellementtangible, transféréà des procéduresqui permettent dedénoncerofficiellement oude livrertemporairementdes terroristes ”

Question préalable: Est-ce qu’unconcept intégral de terrorismeest possible?

L’éradication de la bande terroristeETA est un processus irréversible quis’est accéléré ces dernières annéesavec la concurrence de conditionsindispensables pour atteindre le ni-veau maximum d’efficacité policièreet judiciaire. Les contributions déci-sives d’une coopération entre lesÉtats sont évidentes, ce qui permetl’échange fluide d’information, l’e-xécution d’opérations policièresconjointes et la prestation d’une ai-de judiciaire immédiate. Dans cesens, l’Espagne et la France ont éta-bli depuis le Sommet de Perpignanune authentique “coopération ren-forcée”, un espace européen de jus-tice réellement tangible, transféré àdes procédures qui permettent dedénoncer officiellement ou de livrertemporairement des terroristes. L’a-doption de normes dans les institu-tions internationales, clairementorientées vers l’homogénéisation dela réponse antiterroriste, a aussi dé-veloppé un processus de conver-gence dans les pratiques judiciaires,mais aussi, et, c’est à mon avis leplus important, les bases pour cons-truire un état d’opinion publiquequi délégitime définitivement touteviolence terroriste.

Néanmoins, le chemin vers uneréponse globale au terrorisme, dupoint de vue juridique est toujoursentravé par des obstacles doctri-naux et académiques qui, dans be-

aucoup de cas, sont toujours sur-prenants. En outre, il est frappantque le haut consensus politique au-quel ont est arrivé sur l’élargisse-ment des lois contre les activités te-rroristes ne soit pas reflété dans unaccord similaire entre certains ju-ges, juristes et experts en ce quiconcerne le concept pénal de terro-risme. Les mesures de précaution etles arrêts condamnatoires contre lessociétés de marchandises, les mé-dias, les associations et les partispolitiques qui ont un lien avec l’ETAont souvent été interprétées commeune extension illicite des types depeines qui décrivent les conduitesterroristes. Récemment, le “casEgunkaria”1 a été paradigmatiquepour ceux qui défendent que lespersonnes juridiques ne peuventpas commettre de délits et, en par-ticulier, que l’activité d’un moyen decommunication ne peut être quali-fiée en aucun cas de terroriste.

Laissons de côté les erreurs d’in-terprétation sur le principe “societas

non potest delinquere”, et la confu-sion entre auteur du délit et consé-quences du délit, l’une d’entre ellespouvant être la dissolution de lapersonne juridique (article 129.1.b)du Code Pénal de 1995). N’entronspas non plus dans l’analyse du droitcomparé, de plus en plus orientévers la poursuite des organisationsdélictueuses et leurs trames écono-miques. Mais parlons plutôt des der-nières dispositions approuvées parBruxelles, comme les Positions Com-munes 2001/930 et 2001/931, misesà jour avec la position 2003/651, etle Règlement 2580/2001, du 27 Dé-cembre, du Conseil, où est régle-mentée la liste des personnes et or-ganisations terroristes, qui englobeaussi les “personnes juridiques, lesgroupes ou les organismes” liés auterrorisme.

L’important, c’est que ces argu-ments s’appuient sur un concept dé-terminé de terrorisme, manifeste-ment dépassé, et ce n’est pas là lemoment adéquat pour évaluer lesfaits concrets dont les Tribunaux onttenu compte pour décréter la ferme-ture du journal Egunkaria. En défini-tive, puisqu’il s’agit d’une discussionde principes, c’est le concept mêmede terrorisme qui conditionneraitl’application de la loi pénale dans cescas concrets et non les faits appa-remment délictueux. Un point de dé-part pour faciliter un concept com-mun -politique, législatif et judiciaire– de terrorisme, pourrait acceptercomme prétexte la capacité de trans-formation de l’activité terroriste et la

Terrorisme et partis politiques. Le cas

BatasunaJesús Zarzalejos Nieto

Docteur en Droit Professeur de Droit de la procédure (Univ.Complutense Madrid)

1 [NdT] En février 2003, un juge de l’Au-dience nationale a ordonné la fermeture dujournal Egunkaria. Ce journal, rédigé inté-gralement en langue basque, avait été créépar l’ETA, qui avait également nommé plu-sieurs de ses directeurs. Les entreprises liéesau journal servaient à blanchir des fonds etfinançaient l’organisation terroriste. On aainsi découvert que plusieurs dizaines demillions d’euros avaient « disparu ». Diversrecours ont été engagés à l’encontre de cet-te décision de justice. Ils ont tous été rejetéspar une Chambre de l’Audience nationale.

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pluralité de signes d’identité qu’ilprésente. Des auteurs comme BruceHoffman (A main armée, 1999) ouWalter Laqueur (Une histoire du te-rrorisme, 2003), parmi beaucoupd’autres, font remarquer les difficul-tés pour arriver à une définition sta-ble du terrorisme, un peu contradic-toire car on trouve constamment cevocable dans le langage actuel. Lesexplications de cette distorsion entrece qui est perçu et ce qui est définipar terrorisme sont multiples. JuanAvilés (Groupe d’Études Stratégi-ques, Terrorisme: nouvelles manifes-tations. Nouvelles réponses, 2002)fait référence à ce paradoxe et citeSaint Augustin, qui se demandaitquelle était la signification du con-cept de temps: “si personne ne me ledemande, je sais ce que c’est, mais sije veux l’expliquer à quelqu’un, alorsje ne sais plus ce que c’est “.

Pour ce qui nous intéresse main-tenant, une de ces explications –ettrès importante, celle-là – c’est lalenteur des mouvements d’adapta-tion et de réponse des législateurset des Tribunaux de Justice auxchangements dans la configurationdes délits terroristes. Pour dire leschoses comme elles sont, c’est unproblème déjà surmonté en ce quiconcerne le législateur et les jugesespagnols. Cela a mis du temps,mais on a fini par admettre que leterrorisme avait sa propre morpho-logie, beaucoup plus imaginative etdébordante que celle qui était pré-vue par les lois habituées au terro-risme d’attentat. Les travaux prépa-ratoires du Rapport Watson, ap-prouvé par le Parlement Européenen Juillet 2001, ont souligné quesur les quinze États de l’Union Euro-péenne six seulement traitaientspécifiquement du terrorisme dansleurs législations pénales. Ce mêmerapport insistait sur le “profond

changement du type de terrorismedans l’Union Européenne “ et “l’in-suffisance des méthodes classiquesde coopération judiciaire et policiè-re pour y faire face “. Pour cela, en-tre beaucoup d’autres recomman-dations, le Rapport Watson, met engarde contre le “terrorisme infor-matique” et l’utilisation de substan-ces chimiques, biologiques et toxi-ques et pour ces mêmes raisons, lesNations Unies et Bruxelles se sontarmées légalement pour combattrede façon spécifique les réseaux fi-nanciers du terrorisme, ce qui étaitdifficile à imaginer il y a dix ans.

Les accords internationaux n’ai-dent guère non plus à fixer un con-cept commun car, mis à part le faitd’être dépassés rapidement par lesévènements, ils ont décrit l’activitéterroriste en utilisant une alternati-

ve, ou des critères partiels conjoin-tement, comme la nature des mo-yens employés, le caractère organi-sé et les fins poursuivies. Ils serventtous, car ils représentent tous unepartie de la réalité terroriste, maisleur fonction descriptive perd sa na-ture quand ils sont employés com-me limites maximum de la législa-tion des États, et empêchent ainsique s’incorporent à la catégorie ju-ridique pénale du terrorisme ces ac-tivités non violentes, comme la pro-pagande, l’exaltation ou le finance-ment que les groupent terroristesincitent ou dont ils profitent pouraméliorer les résultats d’une straté-gie qui évalue de la même façonl’efficacité intimidatrice d’un assas-sinat que la diffusion de propagan-de de ses objectifs et le soutien so-cial de ces derniers.

“ Cela a mis dutemps, mais on afini par admettreque le terrorismeavait sa propremorphologie,beaucoup plusimaginative etdébordante quecelle qui étaitprévue par les loishabituées auterrorismed’attentat ”

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La Cour Suprême espagnole a vujuste dans le diagnostique de ceproblème: “Le terrorisme élargit etdiversifie, de façon constante, levaste spectre de ses actions crimine-lles. Le législateur, démocratique,dans la réponse obligée à ce phé-nomène complexe, a aussi élargil’espace pénal des comportementsqui doivent être considérés objecti-vement comme terroristes, en res-pectant la triple exigence du princi-pe de légalité : lex scripta, praevia ycerta. La jurisprudence doit évolueraussi au rythme des changementslégislatifs et doit adapter son inter-prétation aux antécédents histori-ques ou législatifs, mais aussi à laréalité du temps “ (Arrêt du 11 Octo-bre 2001). Bien qu’elle n’ait pas tou-jours suivi cette règle de respect dela définition législative du terroris-

me (cas Otegi), la Cour Suprême, entraitant le “terrorisme urbain”, ap-porte un critère empirique très utilepour définir comme terroriste uneactivité déterminée: “le grave conte-nu matériel de la conduite objectiveréalisée par le sujet “. Cette attituderéaliste est plus cohérente avec lanature du terrorisme que le volonta-risme scientifique qui n’accepte queles agressions armées comme terro-ristes, ce qui reviendrait à laisser endehors de la réponse pénale de l’Étattous les espaces interposés par lesorganisations terroristes pour pro-mouvoir leurs stratégies dans unétat de légalité formelle.

Ce qui doit compter dans lapoursuite pénale du terrorisme, cen’est pas tant la perception externeque l’on a sur l’activité individuelled’une certaine personne physiqueou juridique, mais plutôt le proposorganique ou fonctionnel que l’or-ganisation terroriste dans le con-texte de sa structure attribue à cet-te activité. En fin de compte, le te-rrorisme, c’est ce que définit la pro-pre organisation terroriste, à condi-tion, bien sûr, que l’on accepte cequi est évident: qu’une bande qui seconsacre au terrorisme ne peut en-gendrer des manifestations admis-sibles en Droit, même si elle paraîtlicite en apparence.

La Loi de Partis: le cas Batasuna

La discussion de principes et deconcepts s’est reproduite avec l’en-trée en vigueur de la de la Loi Orga-nique des Partis Politiques 6/2002,du 27 Juin, et son application pos-térieure par la Chambre Spéciale dela Cour Suprême pour la dissolutiondes formations Herri Batasuna, Eus-kal Herritarrok et Batasuna.

L’objection de fond à cette Loiavait un grand rapport avec les ar-

guments opposés à l’élargissementdu traitement pénal antiterroristeenvers les conduites non violenteset les personnes physiques. Dans lesdeux cas il s’agissait de limiter la ré-ponse de l’État, ce qui supposait, enfait et en Droit, de légaliser les do-maines non violents de la structureterroriste. De même que l’État nepeut imposer des peines à des per-sonnes juridiques pour des délits–chose qu’il ne fait jamais, nouspersistons à dénoncer la confusion- ni considérer comme terrorismedes actes non violents licites en ap-parence, il ne peut pas non plus dis-soudre des partis politiques pourdes faits non délictueux, car celabriserait les valeurs démocratiquessupérieures de façon disproportion-née. La question qui s’est poséepour le nationalisme basque et cer-tains secteur juridiques, ce n’étaitpas tellement de savoir si Batasunaavait commis les causes de dissolu-tion, mais plutôt le fait d’avoir dé-nier à l’État l’autorité pour rendredes partis politiques illégaux.

Le Tribunal Constitutionnel(Arrêt du 12 Mars 2003) a tranchéla question conformément à la doc-trine du Tribunal Européen des Droitsde l’Homme: la dissolution d’un par-ti est admissible quand il existe unefin légitime, et que les causes sontprévues dans une Loi et que c’est unenécessité de la société démocratique.La prémisse était sauve: l’État, lui,peut bien dissoudre un parti, et plusencore s’il le fait moyennant un pro-cessus judiciaire, avec audience auxparties et libre contradiction entreelles, et sans nécessité d’accorder ladissolution en vertu d’une action pé-nale. En définitive, un parti politique,en tant qu’organisation, est un con-cert de volonté susceptible d’encou-rir des illégalités pas nécessairementcriminelles.

“ L’objection defond à cette Loiavait un grandrapport avec lesargumentsopposés àl’élargissement dutraitement pénalantiterroristeenvers lesconduites nonviolentes et lespersonnesphysiques. Dansles deux cas ils’agissait delimiter la réponsede l’État, ce quisupposait, en faitet en Droit, de légaliser lesdomaines nonviolents de la structureterroriste ”

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Peu de jours après, le 27 Mars2003, la Cour Suprême déclarait l’i-llégalité de la trame de l’ETA, à la-quelle on appliqua l’article 10.2.c),qui permet la dissolution d’un partiquand il attaque les principes dé-mocratiques ou essaie de détériorerou de détruire le régime de libertésou de rendre impossible ou d’élimi-ner le système démocratique. Lesidées fondamentales de la Loi desPartis ne trompent personne: le te-rrorisme peut se montrer sous desformes pacifiques apparemment li-cites, qui recherchent la couverturede la légalité pour obéir avec uneplus grande efficacité aux ordres del’organisation terroriste. Ainsi com-mençait la façon d’aborder l’actionantiterroriste, en incorporant au ca-talogue de conduites illicites cescomportements parasitaires de lalégalité, qui n’atteignent pas la con-dition de délit et n’ont pas à l’at-teindre pour faire l’objet de pour-suite et de sanction.

La Loi des Partis Politiques estun instrument de défense démocra-tique et, en tant que tel, elle prévoitla réaction de l’État face aux agres-sions de nature diverse. Sa contribu-tion à la lutte antiterroriste consisteà établir les règles d’imputation desillégalités politiques qui portent at-teinte aux principes fondamentauxd’un système démocratique. L’inter-diction de la violence et de son apo-logie, le respect des libertés et desdroits individuels et la protection dela cohabitation des citoyens sontdes valeurs supérieures auxquellestout parti doit se soumettre, car ellessont les expressions du système dé-mocratique et constitutionnel (arti-cle 6 de la Constitution). Aucun par-ti ne représente une fin en soi, maisil agit comme un agent intermédiai-re entre les citoyens et les institu-tions qui le représentent. Son rôle

est essentiel dans tout système par-lementaire, car la participation ef-fective de chaque citoyen pris sépa-rément dans les mécanismes de ladémocratie représentative seraitillusoire. Cependant, ce qui ne dé-coule pas du rôle principal des par-tis, c’est une sorte d’inviolabilitépour leurs conduites, comme si ellesfaisaient partie d’un domaineexempt de l’État de Droit. Les partissont essentiels pour la démocratie,mais ils ne sont pas au dessus de ladémocratie et ils ne sont pas la dé-mocratie. Il est donc possible de leurdemander de rendre compte de leursactes contraires aux valeurs démo-cratiques, quel que soit le niveau deleur soutien électoral, car la légitimi-té d’action d’un parti se mesure parrapport à l’ensemble du système etde la société et non par son débit re-présentatif.

Dans son livre Interrogatoires(2003), l’historien Richard Overy ra-conte les préparatifs du TribunalMilitaire International qui a jugé àNüremberg les principaux criminelsde guerre nazis. Il décrit en détail lesdifficultés qu’ont dû surmonter leséquipes d’accusateurs formés parles puissances alliées pour établirune accusation viable contre lesresponsables du Troisième Reich.Cette entreprise était compliquée: iln’y avait pas d’organe prédéterminé,on n’a pas non plus jugé des délitsni imposé des peines préexistantes.

Au cours de ces tâchespréalables, un avocat desÉtats-Unis a proposé la thé-orie de la responsabilité co-llective, avec laquelle on pré-tendait juger les organisa-tions nazies à partir des ac-tes concrets de leurs mem-bres. Ce qui peut se discuter,sans doute, comme le fait re-marquer Overy, mais estcompréhensible, vu l’am-pleur des crimes et l’utilité deces formations aux fins durégime nazi. L’avocat nord-américain pensait au NSDAP,aux SS, à la Sturm Abteilung(SA) et à la Gestapo. Toutesdistances historiques et poli-tiques gardées, on peut re-connaître la solidité maxi-mum qui garantie la respon-sabilité juridico-politique dé-finie par la Loi des Partis,mais il faut aussi évaluerl’aptitude de cet antécédenthistorique pour comprendreles ultimes raisons qui ontpermis de rendre hors la loiBatasuna et pour donner auterrorisme la dimension rée-lle qu’il a et non celle qui estmutilée par des schémasthéoriques déphasés.

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Documents

INTRODUCTION

C’est un fait notoire qui se passe depreuve procédurale que le déroule-ment quotidien de la vie sociale, po-litique et économique au Pays bas-que, dans tous ses versants, et plusparticulièrement en ce qui concerneles libertés et les droits reconnusdans la Constitution, comme la li-berté d’expression, la liberté de cir-culation ou la liberté de participa-tion politique, est limité de façonréitérée, violenté et même éliminépar l’action terroriste cruelle et sau-vage, à travers ses manifestationsmultiples, de l’organisation crimine-lle ETA et de ceux qui lui prêtent unecouverture logistique, financière etpolitique.

Sans doute l’action terroriste a-t-elle dans l’assassinat sa manifes-tation la plus cruelle et intimidatri-ce. Mais ce n’est pas la seule : l’atta-que systématique par ce terrorismeet sa prolongation politique à la li-bre expression d’idées différentesaux siennes ; l’exclusion et la persé-cution de ceux qui ne se plient pas à

ses doctrines et à ses diktats ; lacréation, en définitif, d’un climat deterreur et de violence font que, dansle territoire du Pays basque et dansune partie de celui de la Commu-nauté de la Navarre (à droit local) seproduise une vulnération constantedes valeurs et des principes démo-cratiques reconnus dans la Consti-tution, des droits et des libertésfondamentales.

Les presque mille personnes as-sassinées, les séquestrations, lesconstants actes de violence et lesinnombrables extorsions menées àbout par ETA, ont trouvé et trouventappui et un complément financier,logistique et politique dans de nom-breuses organisations. Parmi toutcela, est particulièrement importan-te et en même temps paradoxale,l’utilisation par la bande terroristeETA de l’appui de partis politiques,dont la sauvegarde se trouve parti-culièrement dans le fonctionne-ment du propre État de Droit etdans les postulats de la Constitu-tion, dont elle prétend détruire l’ap-pui et les bases.

A ces effets, on doit faire remar-quer l’importance que la Constitu-tion octroie aux partis politiques.Cette importance vient de ce qu’onles considère, du point de vue cons-titutionnel, comme des instrumentsessentiels pour rendre effectif leprincipe repris à l’article 1.1 de laConstitution, en vertu duquel « l’Es-pagne se constitue en un État dedroit social et démocratique, qui dé-fend comme valeurs supérieures deson système juridique la liberté, lajustice, l’égalité et le pluralisme poli-tique. » Le tribunal constitutionnel aaffirmé dans le premier arrêt renduen la matière, STC 3/1981, que lespartis politiques sont une modalitéde droit fondamental d’associationrepris à l’article 22 de la Constitu-tion, et redit dans l’arrêt STC85/1986 : « La place systématique decette disposition (Article 6 de laConstitution espagnole) exprimel’importance que l’on reconnaît auxpartis politiques à l’intérieur dusystème constitutionnel et la pro-tection qui y est faite de leur exis-tence et de leurs fonctions, non seu-

‘L’Avocat général de l’État – Direction du Service juridique de l’État, en accord avec la demande que vousavez formulée, a examiné les antécédents disponibles en ce qui concerne les agissements de l’organisa-tion terroriste ETA et les conduites et activités du parti politique BATASUNA et, en ce qui concerne la lé-gislation régulatrice des partis politiques, a l’honneur de vous soumettre la suivante:

NOTE SUR LES FONDEMENTS POUR INTERJETERUNE DEMANDE DE DÉCLARATION D’ILLÉGALITÉDES PARTIS POLITIQUES HERRI BATASUNA,EUSKAL HERRITARROK ET BATASUNA, EN VERTUDE LA LOI ORGANIQUE 6/2002, DU 27 JUIN, DESPARTIS POLITIQUES

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constitutionnelles d’organisation etde fonctionnement démocratique etd’une action sujette à la Constitu-tion et aux lois.

Selon ce qui est repris dans sonExposition de Motifs, la LOPP, touten reprenant de façon claire et sys-tématique l’expérience accumuléedurant les années passées depuis lapromulgation de la normative anté-rieure, a l’objectif sans équivoque degarantir le fonctionnement dusystème démocratique et des liber-tés essentielles des citoyens, en con-crétisant les exigences constitution-nelles d’organisation et de fonction-nement démocratique des partis po-litiques, ainsi que les actions exter-nes de ceux-ci sujettes à la Consti-tution, aux Lois, de telle sorte quecette nouvelle réglementationempêche qu’un parti politique puis-se, de façon réitérée et grave, atten-ter contre ce régime démocratiquede libertés en appuyant politique-ment, parmi d’autres conduites in-terdites par la Loi, la violence et lesactivités de bandes terroristes.

Ce qui est certain c’est que, mal-gré les privilèges reconnus aux par-tis politiques, ceux-ci ne sont pasexempts de limites en ce qui con-cerne leur structure interne, leurfonctionnement et leur activité ex-terne.

Le Tribunal constitutionnel a tenucompte de l’existence de ces limitescomme contrepartie des privilèges.Dans ce sens, l’arrêt du Tribunalconstitutionnel déjà cité STC 3/1981,affirme : « Les partis politiques, enraison de cette certaine fonction pu-blique qu’ils ont dans les démocratiesmodernes, jouissent légalement de« privilèges » déterminés qui doiventavoir en contrepartie logique certai-nes « limitations » non applicablesaux associations en général ». Plusconcrètement, l’arrêt également cité

HB), Euskal Herritarrok (dorénavant,EH) et Batasuna (tous faisant partiedudit « réseau Batasuna ») effec-tuent des actions constantes de lé-gitimation et d’encouragement àtoute action délictueuse d’ETA, ycompris ses attentats (extorsions,chantages, menaces, contraintes…) ,de justification et de disculpationde ceux-ci, et maintiennent leur ap-pui aux actions de cette organisa-tion terroriste, qu’ils complètent etcontribuent à en multiplier les ef-fets en fomentant et en offrant unclimat de terreur et d’intimidationtendant à faire disparaître dans lesCommunautés autonomes du Paysbasque et de la Navarre les condi-tions nécessaires à l’exercice de ladémocratie, du pluralisme et des li-bertés politiques.

LA LOI ORGANIQUE 6/2002, DU 27 JUIN DES PARTISPOLITIQUES: LA VOIECONSTITUTIONELLE POUR LADÉCLARATION DE L’ILLÉGALITÉ

Le 29 juin 2002, est entrée en vi-gueur la Loi organique 6/2002 du27 juin, des Partis politiques, (doré-navant LOPP) publiée au Journal of-ficiel espagnol numéro 154 du 28juin 2002, qui développe les prévi-sions contenues aux articles 1, 6, 22et 23 de la Constitution et qui estvenue substituer et compléter, en luidonnant continuité et plus de ri-gueur technique juridique, la loi an-térieure 54/1978 du 4 décembre etles articles en vigueur de la Loi21/1976, du 14 juin.

La LOPP partant du principe queles partis sont créés librement con-formément à la Constitution et auxLois, insiste sur la réglementationdu versant démocratique de leurstructure et de leur activité et con-crétise à cet effet les exigences

lement à partir de la dimension indi-viduelle du droit à les constituer et ày participer activement, mais égale-ment en fonction de l’existence dusystème de partis comme base es-sentielle pour l’action du pluralismepolitique ». Ainsi les partis politiquesse configurent du point de vueconstitutionnel comme un typed’association, parmi celles indiquéesà l’article 22 de la Constitution, avecune importance spéciale faite à leurfonction en vue de faciliter et depermettre la participation politiqueen accord avec l’article 6 de laConstitution.

Ce traitement spécial des partispolitiques a donné lieu à l’établisse-ment d’un régime juridique en cequi les concerne, caractérisé parl’octroi d’importants privilèges, dontl’objectif fondamental est d’assurerleur plein développement, dans lecadre de la liberté et de l’égalité.

La création de partis politiques -dont la création et l’activité sont li-bres dans le respect de la Constitu-tion et de la Loi, selon l’article 6 dela propre Constitution- qui se subs-tituent successivement dans leuractivité, s’est convertie en uneconstante dans l’entourage qui ap-puie l’organisation terroriste ETA,avec une seule finalité : profiter desavantages qu’octroie le système dé-mocratique (subventions, finance-ment public par divers concepts,participation aux institutions, accèsà des espaces électoraux gratuits,accès au cens électoral, accès auxmoyens de communication pour fa-ciliter la projection sociale de leursprogrammes idéologiques) poursoutenir, appuyer, généraliser etmultiplier les effets de la violenceterroriste et de la peur et de l’inti-midation engendrée par celle-ci.

Les partis politiques Herri Bata-suna (dorénavant dans ce rapport,

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Documents

du Tribunal constitutionnel STC85/1986 indique : « Il est certain qu’àl’article 6 de la Constitution espag-nole ont été établies des conditionsspécifiques pour les partis politiquesen ce qui concerne le respect de l’or-dre constitutionnel et de sa structureinterne de caractère démocratique,mais ces exigences s’ajoutent et nesubstituent pas celles de l’article 22,car elles se situent à un niveau diffé-rent, et en tout cas, elles n’ont pasproprement de répercussion sur ledomaine du droit à les constituermais, comme la doctrine scientifiquel’a déjà indiqué, elles sont en fonctiondes tâches que les partis sont appelésà remplir de façon institutionnelle ».De la sorte, il est manifesté que les

partis politi-ques non seu-

lementdoivent

remplir certaines conditions requisespour que leur constitution et leurenregistrement soient valides maisque, en plus, dans leur fonctionne-ment habituel interne et externe, ilsdoivent remplir certaines conditionsen relation avec l’ordre constitution-nel. En principe et de façon générale,ces limites n’ont pas le but d’affecterl’idéologie des partis politiques etleur compatibilité avec l’ordre cons-titutionnel, mais leur fonctionne-ment et leur conduite externe en re-lation avec l’ordre constitutionnel etle système démocratique. Il en estainsi, car étant donné que la Consti-tution permet sa réforme totale, tou-te idéologie articulée et pratiquée defaçon démocratique, est constitu-tionnelle.

La LOPP reprend une série deconduites qui viennent continuer et

compléter ce quiest déjà

disposé dans la Loi 54/1978, du 4décembre, des Partis politiques.L’article 5 de la Loi 54/1978 établis-sait déjà qu’il y aurait lieu de décré-ter « par décision de l’autorité judi-ciaire » la dissolution d’un parti po-litique lorsque « ses activités se-raient contraires aux principes dé-mocratiques ».

La LOPP établit de façon cohé-rente à ce qui précède qu’une foisque les partis sont créés et en consé-quence de la simple application desrègles démocratiques du systèmedans lequel ils s’intègrent, leur actionest libre et assujettie aux valeursconstitutionnelles. L’action illégaleest détaillée en garantie et justifica-tion pour la société démocratiquequi essaie de se défendre face à desorganisations qui se constituent enagresseurs du système auquel ellesappartiennent, à travers la violationdes droits fondamentaux des cito-yens ; et comme garantie également

des propres partis politiques qui,à travers une énumération

détaillée de conduites,peuvent

savoirexac-

te-

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Loi sur les partis politiques et Batasuna. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

24Loi sur les partis politiques et BatasunaDocuments

ment quelles sont les causes qui mo-tivent l’illégalisation.

Et à partir de là, l’article 9 para-graphe 2 de la Loi établit qu’un par-ti peut être déclaré illégal lorsqueson activité attaque les principesdémocratiques, particulièrementlorsque, avec celle-ci, il a pour in-tention de détériorer ou de détruirele régime de libertés ou de rendreimpossible ou d’éliminer le systèmedémocratique.

Le principe général pour procé-der à l’illégalisation étant celui-ci, lapropre Loi vient spécifier trois do-maines dans lesquels on peut tom-ber dans cette conduite qui est unehypothèse déterminant l’illégalisa-tion. Ces trois domaines sont décritsmoyennant la réalisation de l’unedes conduites suivantes : – Violer systématiquement les liber-tés et les droits fondamentaux, enpromouvant, justifiant ou discul-pant les attentats contre la vie oul’intégrité des personnes, ou l’exclu-sion ou poursuite de personnes enraison de leur idéologie, religion oucroyances, nationalité, race, sexe ouorientation sexuelle ;– Fomenter, favoriser ou légitimerla violence comme méthode pourobtenir des objectifs politiques oupour faire disparaître les conditionsprécises pour l’exercice de la démo-cratie, du pluralisme et des libertéspolitiques ;– Compléter et appuyer politique-ment l’action des organisations te-rroristes pour obtenir leurs fins devioler l’ordre constitutionnel ou d’al-térer gravement la paix publique enessayant de soumettre à un climat deterreur les pouvoirs publics, certainespersonnes ou groupes de la sociétéou la population en général, ou decontribuer à multiplier les effets de laviolence terroriste et de la peur etl’intimidation engendrée par celle-ci.

Ainsi, et face à l’énoncé génériquede l’article 5 de la Loi 54/1978, laLOPP, après la première énumérationde l’article 9, paragraphe 2, effectueau paragraphe 3, une énumérationexhaustive de conduites dont le con-cours de toutes ou de l’une d’entreelles, provoque l’appréciation qu’exis-tent les circonstances du paragrapheantérieur. Cette énumération exhaus-tive de conduites est une claire ga-rantie démocratique. Et cela dans undouble sens. En premier lieu, c’est lagarantie que l’illégalisation ne peutavoir uniquement lieu dans les cas oùse produit une rupture authentiquedes principes démocratiques reprisdans la Constitution. Mais égalementdans l’autre sens, qu’il y a lieu de dé-clarer illégale la formation politiquedont l’activité viole les principes dé-mocratiques et poursuit la détériora-tion ou la destruction du régime delibertés. C’est une garantie pour quela démocratie atteigne la qualitéqu’elle a dans toute société démocra-tique mûre et dont il existe des exem-ples abondants et réitérés dans leDroit comparé.

Enfin, la LOPP établit pour procé-der à la déclaration d’illégalité et à lasubséquente dissolution, un procèsjudiciaire spécifique et préférentieldevant la chambre spéciale du Tribu-nal suprême prévue à l’article 61 dela Loi organique du Pouvoir judiciai-re, à l’instance du Ministère public etdu Gouvernement, par eux-mêmesou à la demande du Congrès des Dé-putés ou du Sénat.

SITUATION DANS LE DROITCOMPARÉ

Comme on l’a déjà indiqué, les procé-dures d’illégalisation de partis politi-ques sont envisagées dans la législa-tion de nombreux pays européens,dans l’objet d’empêcher que, sous le

cadre des droits et des garanties quela Constitution et les lois confèrentaux partis politiques comme élé-ments de structuration de la partici-pation des citoyens et du systèmedémocratique, se cachent des inten-tions ou des actions contraires auxvaleurs et aux principes fondamen-taux de la cohabitation et du respectdes droits et des libertés basiques.

Il faut faire remarquer à cet ef-fet, les cas de l’Allemagne, de laFrance et l’arrêt 496/2001 de laCour européenne des Droits de l’-Homme. Cet arrêt est spécialementremarquable, dans la mesure oùl’article 10.2 de la Constitution éta-blit que « les dispositions relativesaux droits fondamentaux seront in-terprétées conformément à la Dé-claration universelle des Droits del’Homme et aux traités sur les mê-mes matières ratifiés par l’Espagne ».

En Allemagne

L’illégalisation des partis politiques enAllemagne est réglementée par l’arti-cle 21.2 de la Loi fondamentale, quidéclare inconstitutionnels les Partisqui « par leurs finalités ou par le com-portement de leurs membres tendentà affaiblir ou éliminer les dispositionsconstitutionnelles démocratiques etlibérales ou à mettre en danger l’exis-tence de la République fédérale d’A-llemagne ». La compétence pour con-naître de ces procès est attribuée auTribunal constitutionnel.

L’Allemagne a fait usage de cet-te procédure à deux occasions : en1952, avec l’interdiction du Sozialis-tiche Reichpartei ( SRP(Parti socia-liste du Reich), dans une certainemesure successeur du NSDAP, leparti d’Hitler, et en 1956, avec leKommunistiche Partei Deutschlands(KPF Parti communiste d’Allemag-ne), lié au SED, le parti communiste

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de l’ancienne République démocra-tique d’Alllemagne.

L’arrêt sur le SRP a déclaré soninconstitutionnalité et a décrété soninterdiction. Il s’est basé sur un exa-men des éléments de programmedu parti, sur les déclarations deleurs dirigeants à des actes publicset aux moyens de diffusion, sur lesagissements de leurs membres etles déclarations de témoins. Le touta permis un procès sur la réalité desa structure interne et des fins ulti-mes de son activité politique. La dé-cision du Tribunal constitutionnels’est basée finalement sur :– la constatation de l’opposition duparti aux droits fondamentaux de lapersonne.– L’évaluation que sa lutte contreles partis démocratiques de la Ré-publique se produisait d’une façonqui permettait de reconnaître qu’e-lle ne se limitait pas à une concu-rrence légitime et ouverte, maisqu’elle essayait de les expulser de lavie politique.– Son identité ou ressemblance dansson programme, représentation dumonde et style dans son ensemble,avec le parti nazi manifesté dans sesfinalités, son organisation et sa pro-pagande, son activité qui délégitimaitmoyennant la constante disqualifica-tion des organes de la République etde ceux qui les assumaient.

Dans le cas de la prohibition duKPD, le 17 août 1956, il faut faireremarquer que ce parti présentaitune relation idéologique et effectiveavec l’ancienne République démo-cratique allemande dont le particommuniste (d’État) le SED, a con-tribué à son financement et a inspi-ré de façon constante et directe sesagissements.

L’arrêt a déclaré directement ap-plicable l’article 21 de la Loi fonda-mentale pour déclarer un parti in-

constitutionnel. Les circonstancesqui cautionnaient son applicationfurent :– Un parti est inconstitutionnellorsqu’il prétend éroder des valeurssupérieures de l’État constitution-nel libéral-démocratique que la Loifondamentale considère fonda-mentales.– Il n’est pas suffisant qu’un partis’oppose par des moyens légaux àune ou plusieurs des prévisions oumême à des institutions complètesreprises dans la Loi fondamentale. Ilest nécessaire que le parti ou sesmembres se conduisent d’une façonqui puisse constituer une conduitepénale. La déclaration d’inconstitu-tionnalité n’est pas une sanction pé-nale : c’est une mesure préventivebasique qui prétend assurer la per-manence du système démocratique.

D’autre part, en ce qui se réfèreaux associations, le système alle-mand de dissolution est beaucoupplus expéditif et rapide ; pour le casd’associations dont l’activité se li-mite à un seul « Land » un Décret duMinistre régional de l’Intérieur estsuffisant, et si elle a une activité na-tionale, c’est le ministre fédéral del’intérieur qui est compétent.

Depuis 1980 ont été effectuéesquelques 23 dissolutions en tout, laplus récente en avril 2001 où futdissout par le Ministre de l’Intérieurde Saxe le « Skinnheads SáchsischeSchwwirs (SSS) » ou le cas de « Blo-od and Honnor », spécialisée dans ladiffusion de la musique néonazie,qui fut dissoute en septembre 2000par le ministre fédéral de l’Intérieur.

En France

En France, la loi du 10 janvier 1936,sur la lutte contre les groupes decombat et les milices privées, modi-fiée en 1972 et 1986, octroie au

pouvoir exécutif le pouvoir de ladissolution d’un groupe politique.La dissolution est décrétée moyen-nant Décret du Président de la Ré-publique, approuvé en Conseil desMinistres et cette décision peut fai-re objet de recours devant la justiceordinaire.

Dès 1970, on a fait recours àcette Loi en de nombreuses occa-sions pour dissoudre des groupespolitiques qui menaçaient la sécuri-té publique, aussi bien d’extrêmegauche que d’extrême droite, desmouvements indépendantistes etdes mouvements accusés d’apologiedu terrorisme.

Sur la base de la Loi du 10 janvier1936 et des articles du nouveau Co-de pénal français 431-13 à 21 ontété dissous, ces dernières années, lesgroupes politiques suivants :1970 : deux organisations d’extrê-me gauche, la jeunesse communisteet révolutionnaire et le Parti com-muniste international.1973 : le Service d’Action civique etle groupe politique Ordre nouveau.1980 : la Fédération d’Action na-tionale et Européenne (FANE)1982 : Action directe.1983 : Front de Libération nationa-le corse.1987 : Iparretarrak.1993 : deux associations pro-kurdes.

L’essai de magnicide du Prési-dent de la République le 14 juilletdernier par un militant du groupepolitique Unité radicale a été le dé-tonateur pour la dissolution de cegroupe politique.

La dissolution a été décrétéemoyennant Décret du Président dela République, approuvé en Conseildes Ministres, et publié le 6 août2002 ; dont on joint une copie, enapplication des dispositions indi-quées auparavant, pour les idéesxénophobes et racistes de ce groupe

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politique favorisant la violence et ladiscrimination envers certainsgroupes de personnes, ainsi quepour des raisons inhérentes aux be-soins de l’ordre public.

Le premier considérant du Dé-cret reprend le paragraphe 6 de l’ar-ticle 1 de la Loi de 10 janvier 1936,qui établit que seront dissoutestoutes les associations ou groupesde fait « qui provoquent la discrimi-nation, la haine ou la violence en-vers une personne ou un groupe depersonnes en raison de leur origineou de leur appartenance ou non ap-partenance à une ethnie, une na-tion, une race ou une religion déter-minée, ou propagent des idées oudes théories tendant à justifier oufavoriser cette discrimination, cettehaine ou cette violence ».La dissolution d’Unité radicale a étéclairement appuyée par les groupespolitiques français majoritaires ain-si que par des organisations de dé-fense des droits de l’Homme.

Cour des droits de l’homme

La doctrine de la CEDH est détermi-née fondamentalement par l’arrêt496/2001 sur la dissolution du partipolitique « Refah Partisi » décrétéepar le Tribunal constitutionnel deTurquie et qui fut recourue devantla CEDH.

Le RP fut fondé le 19 juillet1983. Il a participé à de nombreusesélections législatives ou municipa-les. Finalement, il a obtenu approxi-mativement 22% des voix aux élec-tions législatives de 1995 et près de35 % des voix aux élections munici-pales du 3 novembre 1996.

Le 21 mai 1997, le procureur gé-néral près la Cour de Cassation aprésenté devant le Tribunal consti-tutionnel turc une action de disso-lution. Le 16 janvier 1998, le Tribu-

nal constitutionnel a déclaré la dis-solution du RP « centre d’activitéscontraires au principe de laïcité » enbasant sa décision sur les articles101 b) et 103.1 de la Loi numéro2820 sur la réglementation des par-tis politiques. Il a ordonné égale-ment le transfert « ipso iure » desbiens du RP au Trésor public, en ver-tu de l’article 107 de la même loi. LeTribunal constitutionnel a considéréque si les partis politiques étaientles principaux acteurs de la vie poli-tique démocratique, leurs activitésn’échappaient pas à quelques res-trictions. Principalement leurs acti-vités incompatibles avec le principede la prééminence du Droit ne pou-vaient être tolérées.

La Cour a considéré que la sanc-tion imposée pouvait être considé-rée comme une réponse à un « be-soin social impérieux » dans la me-sure où les responsables du RP,avaient engendré le doute sur leurposition en ce qui concerne le re-cours à la force afin d’accéder aupouvoir et principalement d’y rester.Dans ce sens, « un parti politiquepeut faire campagne en faveur d’unchangement de législation ou desstructures légales ou constitution-nelles de l’État à deux conditions :1) les moyens utilisés à cet effetdoivent être à tous points de vue lé-gaux et démocratiques ; 2) le chan-gement proposé doit être lui-mêmecompatible avec les principes dé-mocratiques fondamentaux. De là ildécoule nécessairement qu’un par-ti politique dont les responsablesincitent à recourir à la violence ouproposent un projet politique qui nerespecte pas une ou plusieurs desdispositions de la démocratie ouqui tendent à la destruction de ce-lle-ci ainsi que la méconnaissancedes droits et des libertés que celle-cireconnaît, ne peut se prévaloir de la

protection de la Convention contreles sanctions imposées pour cesmotifs ».

Conclusion : Cohérence de la législationespagnole avec le droit comparédans la jurisprudence de la CEDH

Comme on peut le noter, il y a en Eu-rope, depuis déjà plusieurs décen-nies, des procédures qui garantissentque les partis politiques qui ne res-pectent pas les valeurs fondamenta-les de la démocratie et de la cohabi-tation, qui empêchent l’exercice desdroits et des libertés fondamentalespar les citoyens ou qui prétendentmodifier le régime politique établimoyennant l’usage de la violence oude la contrainte, doivent rester ex-clus de la société démocratique, doi-vent être illégalisés en conséquenceet ne doivent pas donc, jouir du sta-tut spécial qui est conféré aux partispolitiques comme instrument departicipation et de structuration po-litique et sociale. Cette même doctri-ne a été ratifiée par la CEDH.

Ayant analysé le droit comparé,il est possible de caractériser ainsi lemodèle espagnol :1. Le modèle espagnol, à la diffé-rence d’autres modèles de droitcomparé, ne permet pas d’illégaliserun parti politique pour son idéolo-gie, mais pour des activités contrai-res aux principes démocratiques.2. Le modèle espagnol est profon-dément « garantiste » lorsqu’il défi-nit et énumère avec précision les casqui déterminent l’illégalisation. 3. Le modèle espagnol renforce soncaractère garantiste lorsqu’il attribueà l’organe maximal du système judi-ciaire, le Tribunal suprême, la con-naissance de ces causes à la diffé-rence d’autres cas où c’est le pouvoirexécutif qui est compétent. (France).

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effets de la violence terroriste et dela peur et l’intimidation engendréepar celle-ci.

Mais on peut également affir-mer que HB, EH et BATASUNA for-ment en réalité un réseau juridico-politique unique, et que l’on appe-llera désormais .« réseau Batasuna »,avec la même finalité de compléteret d’appuyer à partir d’un parti légall’action de l’organisation terroristeETA, et que les différents noms quiont été adoptés au cours des anné-es, répondent à une même organi-sation et aux nécessités senties àchaque moment de répondre auxvicissitudes judiciaires qu’ils ont ex-périmentées tout au long d’une uni-que histoire.

Actuellement, il y a trois forma-tions inscrites comme partis politi-ques en vigueur et non dissoutes,au Registre des Partis politiques duMinistère de l’Intérieur, dont l’histo-rique et le suivant :

Après quelques premières inter-ventions comme coalition électoralelors des Elections générales du 1er

mars 1979 et les Elections locales quiont suivies la même année et commegroupe d’électeurs aux élections auParlement basque, le 9 mars 1980,fut présenté au Registre des Partispolitiques, un acte notarié nº 522 du14 décembre 1983, inscrit par le no-taire de Bilbao Maître Eugenio PérezMurgoitio, où M. Jokin Gorostidi Ar-tola, M. Angel Garcia de Dios, M.Juan Cruz Idígoras Guerricabeitia, M.Txomin Ziluaga Arrate, M. JavierAñua Crespo et M. Josu Aizpurua SanNicolás manifestent et promeuventla constitution d’une formation poli-tique appelée HB.

L’inscription au Registre des Par-tis politiques du Ministère de l’Inté-rieur est faite le 5 juin 1986, au fo-lio 9 du Tome II du Livre des enre-gistrements.

Le 1er décembre 1997, le Tribunalsuprême a condamné chacun devingt-trois membres du Bureau na-tional de HB, à sept ans d’emprison-nement et à cinq-cent mille pesetasd’amende pour collaboration avecbande armée et à la suspension defonction publique et du droit desuffrage durant le temps de la con-damnation, pour avoir distribué unfilm vidéo élaboré par ETA entre lestélévisions pour être utilisé commespot électoral dans les espaces élec-toraux gratuits.

Le 14 février 1998, la coalitionqui fonctionnait avec une géranceprovisoire, s’est réunie à Berriozar(Navarre) pour choisir la nouvelledirection avec Joseba Permach etArnaldo Otegui à la tête du nouve-au bureau.

Le 2 septembre 1998 se réunit leBureau national à Oiratzun (Guipúz-coa) où il a été décidé de changer lenom de la coalition qui est présentéele 3 septembre 1998 comme intégra-tion dans une candidature électoralepour se présenter aux élections au-tonomes du 25 octobre 1998 sous lenom de EH. Après les élections, leporte-parole au Parlement basque deEH est Arnaldo Otegui, porte-parolede HB.

Le 25 novembre 1998, M. PedroMaría Landa Fernández a présentéau Registre des partis politiques unacte notarié nº 1738, du 20 novem-bre 1998, enregistré par le notaire dela Chambre des Notaires de BilbaoMaître Juan Ramón Manzano Mala-xechevarría, de constitution du partipolitique Euskal Herritarrok où figu-rent comme promoteurs Javier CruzAmuriza Zarraonaindia ; José Do-mingo Ciluaga Arrate, Felipe Fernán-dez Martín , Socorro Mateos Gonzá-lez, Ignacio Legorburu Echebarría,Raquel Consuelo Peña Somavilla, Jo-sé Luis Domingo Urtarán Quintana,

4. La décision de l’organe judiciairetrouve dans le Tribunal constitution-nel une seconde garantie procédura-le, à la différence d’autres modèlesd’intervention unique (Allemagne).5. Le système espagnol est unmodèle de procès contradictoire, cequi garantit l’égalité des partiesdans le procès, l’audience du partipassible d’illégalisation et une pha-se de preuve avec toutes les garan-ties, alors que d’autres modèles sonttotalement exécutoires (France).

HERRI BATASUNA, EUSKALHERRITARROK et BATASUNA(Dorénavant appelé pour ce rapport « réseau Batasuna »)

Les partis politiques HB, EH et BA-TASUNA effectuent des actionsconstantes de complément et d’ap-pui de la bande terroriste ETA, dansles termes proscrits par l’article 9 dela LOPP, violant de façon systémati-que les libertés et les droits fonda-mentaux, promouvant, justifiant oudisculpant les attentats contre la vieet l’intégrité des personnes ou l’ex-clusion ou la persécution de per-sonnes en raison de leur idéologie,religion ou croyances ; fomentant,favorisant et légitimant la violencecomme méthode pour obtenir desobjectifs politiques ou pour fairedisparaître les conditions précisespour l’exercice de la démocratie, dupluralisme et des libertéspolitiques ; et complémentant etappuyant politiquement l’actiond’organisations terroristes pourl’obtention de leurs finalités de vio-ler l’ordre constitutionnel ou d’alté-rer gravement la paix publique, enessayant de soumettre à un climatde terreur les pouvoirs publics, cer-taines personnes ou groupes de lasociété ou la population en général,ou en contribuant à multiplier les

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Gustavo Fernando Fernández Villate,Agustín Gorbea Aguirre, FranciscoJavier Bareño Omaechevarría, EvaMiren González de Heredia Campo,Asier Imaz Tellería, Alicia StürtzeMendía, Joaquín Aranalde Olaondo,María José Altube Medina, Iñaki Ega-ña Sevilla, José Agustín Gil Martín,Sabino de Bado González et Abel En-beita Ealo.

L’enregistrement a lieu le 30 no-vembre 1998, au folio 585 du TomeIII du livre des enregistrements.

Le 3 mai 2001, fut présenté parla même personne que dans le casd’Euskal Erritarrok, M. Pedro MariaLanda Fernández, un acte notarié nº1146 du 27 avril 2001, inscrit par lenotaire de la Chambre des Notairesde Bilbao, Maître Andrés MaríaUrrutia Badiola, la constitution deBatasuna, dans lequel figurentcomme promoteurs Mme. Rakel Pe-ña Somavilla, M. Joseba AlvárezFoncada, M. Karmelo Landa Mendi-be et M. Fernando Barrena Arza.

L’inscription au registre des Par-tis politiques a lieu le 23 mai 2001,au folio 367 du tome IV du livre desEnregistrements.

Le 23 juin à Pampelune, estprésentée Batasuna comme nouve-lle organisation, qui vient substituerdans son activité HB et EH.

Dans la propre page Web de EHil est fait référence à ce que Batasu-na a pris le témoin de EH et que ce-lle-ci fait partie de Batasuna.

Pour insister sur l’interrelationentre les trois partis, il faut noter,entre autres aspects, la présenceconstante d’Arnaldo Otegui commeporte-parole dans les trois partis ;ainsi que les coïncidences entre lesBureaux nationaux. Ainsi les per-sonnes appartenant à Batasuna, M.Juan Cruz Aldasoro Jáuregui , M.Ibon Arbulu Rentería, M. LorenzoArcocha Meave, M. Joxé Fernando

Barrena Arza, M. Angel Maria Elca-no Echeveste, M. Jon GorrotxategiGorrotxategi, M. Santiago Pio Qui-roga Astiz, M. Eusebio Lasa Altuna,M. Ignacio Angel Olalde Arana, M.Arnaldo Otegi Mondragón, M. Jose-ba Jakobe Permach Martín, et M.Juan José Petricorena Leunda, figu-raient aussi comme des membresdu dernier bureau national com-muniqué de HB. D’autre part, Mme.Rakel Consuelo Peña Somavilla,membre également de Batasuna, fi-gure comme promotrice d’EuskalHerritarrok.

ACTIONS ET CONDUITES DU« RÉSEAU BATASUNA » APRÈSL’ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI

La situation actuelle est le fruit del’action coordonnée durant denombreuses années de terrorisme etde politique. Il serait faux juridique-ment de prétendre isoler la situa-tion produite avant et après l’entréeen vigueur de la LOPP.

La longue trajectoire politiquedu « réseau Batasuna » dont la LOPPoblige à tenir compte continue àproduire des effets après l’entrée envigueur sans que les dirigeants poli-tiques, les représentants et les mili-tants des partis dont on prétend l’i-llégalisation se soient chargés del’éviter.

Mais il ne s’agit pas seulementd’une conduite d’omission. Depuisl’an 1978 tous les partis politiquessont obligés de respecter les valeurset les principes démocratiques. Etceci implique, sans nécessité d’enfaire une profonde interprétation,de ne pas violer les droits et les li-bertés fondamentales, de ne paspromouvoir, justifier ou disculperles attentats contre la vie ; de ne pasfomenter la violence pour obtenirdes objectifs politiques ; de ne pas

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compléter ni appuyer l’action d’or-ganisations terroristes.

Bien au contraire, ces activitésont été effectuées de façon systé-matique depuis des années par le« réseau Batasuna ». Leurs effetssont aujourd’hui pleinement en vi-gueur. Une grande partie de la so-ciété vit sous la peur et ce n’est pasque ce réseau ne fasse rien pour l’é-viter mais, qu’au contraire, il conti-nue de maintenir une attitude cons-tante d’appui et de collaborationavec le terrorisme dans son sens leplus ample.

L’article 9, paragraphe 4, de laLOPP établit que « pour apprécier etévaluer les activités auxquelles seréfère le présent article et la continui-té ou répétition de celles-ci tout aulong de la trajectoire d’un parti poli-tique, même si celui-ci a changé denom, on tiendra compte des déci-sions, documents et communiquésdu parti, de ses organes et de sesgroupes parlementaires et munici-paux, du déroulement de ses actespublics et des convocations citoyen-nes, des manifestations, des actes etcompromis publics de leurs dirige-ants et des membres de leurs groupesparlementaires et municipaux, despropositions formulées au sein desinstitutions ou en marge de celles-ci,ainsi que des attitudes de leurs mem-bres ou candidats répétées de façonsignificative». Au second paragrapheil est ajouté que « seront égalementprises en considération les sanctionsadministratives imposées au partipolitique ou à leurs membres et lescondamnations pénales qui aient étéimposées à leurs dirigeants, candi-dats, aux cadres élus ou membres,pour des infractions qualifiées aux ti-tres XXI à XXIV du Code pénal, sansqu’aient été adoptées contre ceux-cide mesures disciplinaires conduisantà leur expulsion. »

La Loi impose l’évaluation de latrajectoire d’un parti politique pourdéterminer si celle-ci est ou nonconforme aux principes constitu-tionnels. Dans le cas du « réseau Ba-tasuna », cette trajectoire est évi-demment et terriblement démons-trative qu’ils ont effectué une acti-vité constante d’appui au terroris-me, et que dirigeants, représentantset militants ont été condamnés defaçon réitérée pour infraction de te-rrorisme ; leurs communiqués, ma-nifestations, apparitions dans lesmoyens de communication, leursinterventions dans les institutionsétant une preuve constante de leurmépris des institutions démocrati-ques ; cédant des espaces gratuitsélectoraux à l’organisation terroris-te ; octroyant une participation auxterroristes dans leurs meetings ;criant des manifestations d’appui ;célébrant des actes permanents d’-hommage aux condamnés pour as-sassinats et pour d’autres gravescrimes de terrorisme ; réalisant desactes d’humiliation et de mépris auxvictimes ; ne condamnant pas lesattentats, justifiant les morts ; dis-culpant les véritables coupables ;appuyant publiquement les finalitésde l’organisation ; cédant le censélectoral à l’organisation terroristeafin qu’il soit utilisé dans son activi-té criminelle ; employant les siègesdes partis politiques pour organiserdes activités terroristes, pour recru-ter des terroristes ou comme dépôtd’armes.

Toute cette trajectoire est am-plement démontrée et l’on conclut,de façon évidente, tant par des ac-tions réitérées que par des déclara-tions expresses des dirigeants duréseau Batasuna, réitérant que HBet ETA sont la même chose. Qu’ilsuffise, entre autres, de mentionnerles déclarations suivantes :

– « Négocier avec HB c’est la mêmechose que négocier avec ETA » (JuanCruz Idígoras).– « HB est un mouvement de libéra-tion nationale et ETA la pointe delance de ce mouvement » (Iñaki Es-naola).– « ETA n’est pas un pouvoir de fait ;ETA, c’est nous » (Iñaki Esnaola).

Ces mots ne sont pas de simplesdéclarations, ils sont accompagnésde faits fermes déjà prouvés devantdifférentes instances judiciaires, quidémontrent que le « réseau Batasu-na » représente une attaque perma-nente et active aux principes démo-cratiques les plus essentiels en com-mençant par le droit à la vie. Ces sig-nes d’identité propres de l’action du« réseau Batasuna » n’ont jamais éténiés ni par des déclarations ni pardes faits après l’entrée en vigueur dela LOPP, ce qui manifeste sans aucundoute en termes juridiques très clairsla continuité de la trajectoire.

Sans préjudice que cette trajec-toire doit être, comme il est justifiéen termes juridiques, un élémentdéterminant pour la déclaration d’i-llégalité, il est important égalementde se concentrer sur les faits qui onteu lieu après la promulgation de ladite LOPP. Il existe des preuvesabondantes que la trajectoire deviolation systématique des princi-pes démocratique se maintient danstous ses termes après l’entrée en vi-gueur de la LOPP.

On ne va noter par la suite, dansce rapport, que quelques-uns desfaits les plus juridiquement notoiresdans lesquels le « réseau Batasuna »commet une violation grave desprincipes démocratiques et que cesont des cas qui s’encadrent parfai-tement dans les conduites énumé-rées à l’article 9, paragraphe 3 de laLOPP, qui permettent de compren-dre que concourent les circonstan-

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ces du paragraphe 2 et, qu’en con-séquence, il y aurait lieu d’illégaliserles partis politiques qui forment le« réseau Batasuna ».1. L’assemblée des porte-parole dela Mairie de Vitoria- Gasteiz, réuniele 5 août 2002, a adopté un accordde condamnation, devant l’attentatcommis par ETA dans la ville du dé-partement d’Alicante, Santa Pola etoù furent assassinés une petite fillede 6 ans et un homme de 57 ans, etoù 34 personnes souffrirent desblessures de diverses importances.L’accord fut souscrit par tous lesgroupes municipaux excepté par lereprésentant de EH, qui se trouvaitprésent à cette séance.2. L’assemblée des porte-parole dela Mairie de Saint-Sébastien, réuniele 5 août 2002, a approuvé la pro-position de condamnation de cemême attentat. La condamnationfut approuvée par toutes les per-sonnes présentes (Groupes PSE-EE,EA-PNV et PP) à l’exception du re-présentant du Groupe DonostiakoSozialistak Abertzaleak, dont faitpartie Batasuna.3. Le bureau et l’Assemblée des por-te-parole du Parlement de Navarre,le 5 août 2002, a décrété, en ce quiconcerne cet attentat : « Exprimer lacondamnation claire » et « Manifes-ter la solidarité et sentiment de pei-ne », sans que, à nouveau, cet Ac-cord ait été soutenu par les Parlel-mentaires de Batasuna.4. L’assemblée plénière de la Mairiede Pampelune, en date du 31 juillet2002, a approuvé la condamnationde cet attentat, avec le vote favora-ble des représentants de tous lesgroupes, à l’exception des représen-tants de Batasuna.5. Le porte-parole de Batasuna à laMairie de Vitoria, José Enrique Bert,le 19 juillet 2002 a effectué des dé-clarations, dans lesquelles il a mani-

festé littéralement que sa formationpolitique « n’aspire pas à ce qu’ETAarrête de tuer ».6. Le porte-parole de Batasuna, Ar-naldo Otegi, a effectué des déclara-tions le 5 août 2002, le lendemain del’assassinat par ETA, dans la ville deSanta Pola (département d’Alicante)d’une petite fille de 6 ans et d’unmonsieur de 57 ans. Ces déclarationssupposent trois conduites extraordi-nairement graves dans les termesprévus à l’article 9 de la LOPP.

En premier lieu, les institutionsdémocratiques et spécialementcomme « premier responsable enpersonne » le Président du Gouver-nement démocratique, d’Espagne,sont rendus responsables de ces as-sassinats. Il dit ainsi que « M. JoséMaría Aznar est le premier respon-sable de ce qui arrive et sera égale-ment responsable de ce qui pourraarriver dans l’avenir » prétendantcréer la confusion entre violence, etaction politique démocratique.

En second lieu, tous les démo-crates sont menacés de ce que lesactions terroristes continueront à seproduire. Cette menace est certai-nement faite en connaissance decause. En termes juridiques, la natu-re de cette menace, non seulementest grave par son contenu, la réali-sation de futurs assassinats, maiselle est également grave et certainedans la mesure où elle est effectuéepar une personne qui dirige une or-ganisation politique dans laquellemilitent ceux qui sont arrivés à réa-liser ces assassinats. Il est particu-lièrement important que M. Oteguipartage le siège parlementaire avec« Josu Ternera », responsable demultiples assassinats commis lorsde l’attentat du Centre Hipercor deBarcelone.

Troisièmement, non seulement ilminimise l’action terroriste, mais il

la justifie et la légitime expressé-ment pour l’obtention de fins politi-ques en présentant les assassinats,qu’il appèle simplement des« événe-ments », comme la conséquence« d’un conflit politique ».

Finalement, il est demandé auxinstitutions démocratiques, ce quipeut être qualifié proprement com-me un chantage, « une alternativesans vainqueurs ni vaincus »afin deprésenter l’admission des revendi-cations politiques comme un motifpour qu’il n’y ait plus d’assassinats.7. Accord du Parlement basque du 7août 2002 en réaction à l’attentatterroriste du 4 août 2002, dans le-quel Batasuna, à travers la non con-damnation appuie tacitement le te-rrorisme.

La déclaration du Député de Ba-tasuna, M. Morcillo a une importan-ce particulière car, à la fin de l’as-semblée des porte-parole du Parle-ment basque, il déclare aux moyensde communication qu’ils ne con-damnent pas les attentats d’ETA carcette attitude est « un signe d’identi-té » de leur formation politique.8. Incidents provoqués par les con-seillers municipaux de Batasuna,s’affrontant de façon violente à cequi a été décrété par les institu-tions démocratiques, durant le« chupinazo » (signal sonore ducommencement) des fêtes de Vito-ria, le 4 août 2002.9. La propre bande armée ETA a ma-nifesté expressément après le 29 juinson intérêt que son bras politique nesoit pas illégalisé et a exprimé saconnexion avec lui. C’est ainsi qu’ellele fait dans le bulletin interne Zutabedu mois de juillet dernier.10. Une fois le processus commencépour l’illégalisation du « réseau Bata-suna » et après la convocation de laCommission représentative duCongrès des députés pour le 19 août,

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la bande terroriste ETA a rendu pu-blic un communiqué dans lequel ellemenace l’ensemble des partis démo-cratiques qui appuient l’illégalisa-tion, manifestant une fois de plus lelien clair existant entre la bande te-rroriste et l’organisation politique.11. La manifestation convoquée parBatasuna le dimanche 11 août der-nier à Saint-Sébastien, à la fin de la-quelle furent proférés des cris d’ap-pui et d’exaltation d’ETA.12. Les faits violents produits pardes militants et des conseillers mu-nicipaux de Batasuna à la Mairie deLasarte le 29 juin 2002. Pendant cesfaits, trois actions particulièrementviolentes se sont produites :1) Empêcher avec violence que lamairesse, légitime représentanteayant la majorité absolue des cito-yens, puisse apparaître au balconde la Mairie.2) Usurper la représentation de lamairesse et que deux conseillersmunicipaux, en claire minorité auconseil municipal et membres deBatasuna, apparaissent à la place dela mairesse au balcon de l’hôtel deville, proférant des cris d’appui auxmembres d’ETA.3) Placer au balcon de l’Hôtel de vi-lle des pancartes en faveur de mem-bres d’ETA.13. Refus des représentants du« réseau Batasuna » de souscrire lemanifeste institutionnel en défen-se du droit à la vie, à la liberté et àla sécurité de toutes les personnes,manifeste présenté par Eudel etadopté par les responsables duGouvernement, les Conseils géné-raux et les Mairies basques, le 10juillet 2002, comme expression dela volonté majoritaire des citoyensqu’ils représentent et qui contientle compromis permanent avec laJustice et avec la défense desdroits de l’homme et des libertés,

ainsi que le compromis d’actionconjointe pour développer toutesles initiatives politiques, sociales etde sécurité nécessaires pourqu’aucune force politique ne soitexclue, par pression de la violence,de pouvoir être représentée dansles institutions pour défendre dé-mocratiquement ses projets.14. Non-participation de représen-tants de Batasuna à la Commissiond’Appui aux victimes créée récem-ment au sein du Parlement basque,accompagnée d’un ensemble d’acteset de déclarations qui manifestentclairement le mépris à ces victimes.15. Double militance. Ni avant niaprès l’entrée en vigueur de la LOPP,le « réseau Batasuna » n’a adopté demesures de discipline en ce qui con-cerne les personnes qui pratiquentune double militance, avec leur ap-partenance à ETA. Au contraire, desmilitants ayant une histoire délic-tueuse particulièrement grave etmême sanglante font partie de leursorganes de direction, ont été incor-porés à leurs listes électorales, fontpartie de leurs groupes parlemen-taires et municipaux et sont présen-tés comme emblématiques de leuraction politique.16. Le 16 juillet 2002, Batasuna aconvoqué une manifestation devantle Commandement de la Marine deSaint Sébastien. Le conseiller munici-pal porte-parole de Batasuna, Joset-xo Ibazeta, a déclaré que la concen-tration de militants avait pour objet« de dire aux autorités étatiquesqu’elles ne pourront pas se promenerimpunément dans Euskal Herria ».17. L’ordonnance du tribunal cen-tral d’instruction nº 5 du 3 juillet2002 établit qu’ « il est accrédité quela stratégie suivie par les responsa-bles de Segi a été parfaitement dé-fendue et coordonnée par HB, EH etBatasuna qui ont prêté aide et servi

de couverture à Jarrai-Haika-Segipour la réalisation d’actes et d’acti-vités illicites ».18. Le Maire d’Ondarroa, apparte-nant à Batasuna, a participé le 3 jui-llet 2002, à des actes d’appui à « Ke-pa Badiola » condamné pour diver-ses infractions de terrorisme.19. Il est accrédité que dans un grandnombre de municipalités gouvernéesavec majorité absolue par le « réseauBatasuna » apparaissent de façon« officielle » au siège des institutionsdémocratiques des proclamationsréitérées extrêmement graves stimu-lant l’affrontement contre l’État deDroit, appuyant ETA, exhibant l’ana-gramme qui identifie cette bande te-rroriste, ou appuyant de façon ex-presse des militants de l’organisationcondamnés pour terrorisme, et ceuxque l’on appelle « prisonniers politi-ques ». Ce qualificatif suppose en soi-même, en stricts termes juridiques,une claire rupture des principes dé-mocratiques, dans la mesure où il s’a-git de convertir ceux qui ont été con-damnés par l’Etat de Droit et moyen-nant une décision judiciaire, commeauteurs d’infractions très graves, endes personnes poursuivies par lesystème démocratique, légitimant defaçon active les crimes commis mo-yennant de telles expressions.20. Participation d’Arnaldo Otegui,porte-parole de Batasuna, à des ac-tes d’hommage à des prisonnierscondamnés pour terrorisme et desterroristes décédés, actes qui eurentlieu le 19 juillet 2002.21. Dans la page Web de diversesmairies gouvernées par Batasuna setrouvent des déclarations expressesd’appui à des condamnés pour desinfractions de terrorisme, en les con-sidérant « prisonniers politiques ».22. Des actes d’hommage à Beran-go, promus par Batasuna, à descondamnés pour crimes de terroris-

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me, en les considérant « prisonnierspolitiques ».23. Menaces aux édiles socialistes àla mairie d’Amorebieta de la part demilitants de Batasuna le 30 juillet2002.

EVALUATION JURIDIQUE ENVERTU DE LA LOPP

De la simple lecture de l’énuméra-tion des conduites des paragraphes2 et 3 de l’article 9 de la LOPP onarrive à la conclusion qu’un partipolitique qui se rend coupable del’une d’entre elles s’éloigne desprincipes démocratiques, des va-leurs constitutionnelles et, sans au-cun doute, du respect indispensableaux droits de l’homme qui est violésystématiquement par les organisa-tions terroristes avec leur activitéimpitoyable.

Que l’énumération de conduitessoit une garantie pour les proprespartis politiques ne rend pas néces-saire le concours de toutes et dechacune d’elles. Ce qui est fonda-mental c’est la violation des princi-pes démocratiques et, pour cela, laLoi nous offre un large catalogue deconduites qui manifestent claire-ment que cette violation se produit.Pourtant, et à ces effets, il faut faireremarquer que « le réseau Batasu-na » a effectué des actes qui s’enca-drent dans absolument tous les casprévus à l’article 9 de la LOPP.

On ne prétend donc pas l’illéga-lisation des partis en conséquencede la réalisation de conduites isolé-es. On exige expressément une tra-jectoire de rupture de la démocratieet d’offense aux principes constitu-tionnels, à la méthode démocrati-que et aux droits des citoyens. Maisdans le contexte légal, cette exigen-ce ne peut être interprétée moyen-nant une réduction à l’absurde, par

exemple que soit nécessaire la répé-tition d’une même conduite, quesoient nécessaires de nombreusesconduites pouvant s’encadrer dansle même paragraphe de la disposi-tion ; ou que soit nécessaire uneidentité de sujets ou d’actions. Etpourtant, dans le cas du « réseauBatasuna », la violation est patente,car il ne s’agit pas de conduites iso-lées, mais du concours de tous lescas de l’article 9 de la LOPP.

Il s’agit, comme il est logique,que l’ensemble de l’action du partipolitique dont il est question, dansce cas du « réseau Batasuna » s’en-cadre dans les cas repris à l’article 9de la LOPP, et même s’ils n’y sontpas repris de façon expresse, soientdes conduites qui violent de façonsystématique les principes générauxindiqués au paragraphe 2 de la mê-me disposition. La trajectoire du« réseau Batasuna », avant et aprèsl’entrée en vigueur de la Loi, nevient que confirmer la condition re-quise établie de façon expresse auparagraphe 4. « Pour apprécier etévaluer les activités auxquelles seréfère le présent article et la conti-nuité ou la répétition de celles-citout au long de la trajectoire d’unparti politique… » Après l’entrée envigueur de la LOPP, non seulement iln’a pas modifié sa trajectoire, mais ila insisté de façon réitérée et gravesur les activités qui permettent l’i-llégalisation en accord avec le pro-pre texte légal.

Enfin, l’exigence de réitération etde gravité poursuit que les actes oules omissions imputables à un cer-tain parti politique soient patentesà cause de l’existence de conduitesqui manifestent clairement l’infrac-tion de la LOPP.

La réitération découle, de façonclaire, d’expressions de volonté decelui-ci manifestées devant diffé-

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rents organes, instances, institu-tions ou moyens de communica-tion ; de la non condamnation d’at-tentats qui détruisent la vie des per-sonnes, dans la mesure ou celaconstitue une disculpation. Ils lesappuient tacitement ou minimisentleur signification réelle, s’abstenantde manifester leur répulsion, lors-qu’ils ont l’opportunité de le faire,devant différentes instances, insti-tutions, organisations ou médias ; laréitération découle également del’activité constante de leurs repré-sentants, dirigeants et militants ;des actes des institutions qui gou-vernent ; de l’attitude permanente,en somme, de rupture des principesdémocratiques.

En ce qui concerne le concept degravité, lorsque l’article 9.2 de laLOPP en parle, il se réfère à des ac-tes ou à des omissions qui violentde façon claire et profonde les prin-cipes démocratiques ou détériorent,de la même façon, le régime de li-bertés. Et il est évident que les actesdécrits du « réseau Batasuna » sontun attentat direct contre les droitset les libertés reconnus dans laConstitution, de façon grave et réi-térée.

On déduit clairement de ce quiest exposé dans ce rapport juridiquequ’il ne s’agit pas seulement de si-lences, avec toute la gravité de légi-timation de l’activité terroriste quecette conduite renferme en termesstrictement juridiques, mais que s’yaccompagnent des actions graves,réitérées et explicites qui donnentlieu à ce que concourent les cas defaits précisément déterminés dansla LOPP pour qu’il y ait lieu de met-tre en marche la procédure condui-sant à demander au Tribunal suprê-me la déclaration correspondanted’illégalisation du « réseau Batasu-na » et sa dissolution conséquente.

En conséquence, selon l’avis decet Avocat général de l’État, il existeles conditions requises exigées pourcommencer la procédure judiciairede déclaration d’illégalité des partispolitiques qui forment le « réseauBatasuna », dans les termes prévusdans la Loi organique 6/2002, du 27juin, des Partis politiques.

Madrid, le 12 août 2002.L’AVOCAT GÉNÉRAL DE L’ÉTAT.SIGNÉ: Arturo García –Tizón Lopez(Il y a un sceau qui dit: Ministère dela Justice. Avocat général de l’État.)M. le MINISTRE DE LA JUSTICE

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Violation présumée du droitd’association, du droit à la lé-galité pénale, de la liberté idé-ologique, de la liberté d’ex-pression et d’information, dudroit de participation aux af-faires publiques et des princi-pes de légalité et de l’interdic-tion de la rétroactivité : régi-me constitutionnel des partispolitiques.

II. Considérants en droit

Dans la présente procédure, leGouvernement basque met en cau-se plusieurs dispositions de la loi or-ganique 6/2002 du 27 juin 2002, re-lative aux partis politiques (ci-aprèsdénommée LOPP). Les articles con-testés et les raisons invoquées pouren conclure à leur inconstitutionna-lité, sont contenus dans les antécé-dents du présent arrêt. Le Tribunalconstitutionnel revient sur les unset les autres dans les considérantsen droit correspondants. Aupara-vant, il est cependant nécessaire destatuer sur les objections de procé-dure formulées à l’encontre de lademande par l’avocat de l’État et

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analyser de façon approfondie lesarguments avancés par le représen-tant judiciaire du Sénat pour affir-mer que le Gouvernement basqueest pleinement habilité à former leprésent recours en inconstitution-nalité.... /

Bien que le Gouvernementbasque ne conteste pas l’intégralitéde la loi organique 6/2002, maisseulement quelques-unes de cesdispositions, les premières considé-rations sur le fond contenues dansson recours semblent toutefois in-diquer le contraire : la nouvelle loirelative aux partis politiques est dé-nuée de fondement constitutionnel.D’après lui, le refus exprès, pendantla procédure constituante, de con-fier au Tribunal constitutionnel lamission de soumettre les partis po-litiques à un contrôle de constitu-tionnalité, revient à considérer lespartis politiques comme de simplesassociations au sens de l’article 22de la Constitution, pour tout ce quiconcerne leur contrôle juridiction-nel. En conséquence, la dissolutiondes partis, comme celle des associa-tions, ne peut d’après lui être décré-tée que par une décision de justice

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(article 22, § 4 de la Constitution) etne peut trouver son origine quedans leur illégalité pénale (article515 du Code pénal) ou, dans la pro-cédure civile, dans un manquementà leur devoir d’organisation et defonctionnement démocratiques (ar-ticle 6 de la Constitution). Selon lerequérant, la loi mise en cause altè-re radicalement la situation norma-tive instituée jusqu’alors et intro-duit un régime spécifique aux partispolitiques et différent de celui visédans la loi organique 1/2002 du 22mars 2002, relative au droit d’asso-ciation, les soumettant ainsi à deslimites spécifiques qui vont au-delàdu respect des exigences des arti-cles 6 et 9, § 1, du texte constitu-tionnel.

Étant donné que les partis poli-tiques sont des institutions qui sesituent à mi-chemin entre les parti-culiers et les pouvoirs publics, ces li-mites pourraient ne pas se traduirepar un régime de liberté négative,mais par un système d’assujettisse-ment spécial dont l’équilibre nepeut être garanti que par le Tribunalconstitutionnel, à travers l’article161.1 d), sur la base d’un seul etunique paramètre : le texte lui-mê-me de la Constitution. Le requérantconsidère que la Constitution n’ad-met aucune autre limite en ce quiconcerne les partis politiques, quecelles qui sont imposées aux asso-ciations, ni d’autre contrôle que ce-lui qui permet de déclarer l’illégalitédes partis constitués dans le seulbut de commettre un délit ou utili-sant des moyens considérés comme

COUR CONSTITUTIONNELLE.ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE.

Arrêt 48/2003 du 12 mars 2003

Recours en inconstitutionnalité nº 5.550-2002 formépar le Gouvernement basque contre différentes dis-positions de la loi organique 6/2002 du 27 juin 2002,relative aux Partis politiques.

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tel, ou de garantir l’interdiction deceux qui pourraient être reconnuscomme secrets ou paramilitaires. Ilestime en particulier que bien quetoute forme de démocratie militan-te soit rejetée, la loi mise en causeutilise comme critère de légalité despartis politiques un certain nombrede concepts juridiques indéterminésqui ne prônent nullement la protec-tion de la norme constitutionnelle,mais la défense d’un ordre politique.À cet égard, le renvoi de l’article 6de la LOPP aux « principes démocra-tiques », et de l’article 9, § 1, de laLOPP également, aux « valeurs cons-titutionnelles exprimées dans lesprincipes constitutionnels et lesdroits de l’homme », ainsi que lesallusions au « régime de liberté », au« système démocratique », à « l’ordreconstitutionnel » et à la « paix publi-que » (articles 9, § 2, et 10, § 2, de laLOPP), montrent qu’il existe bel etbien une prétention de leur conférerune existence autonome et en mar-ge du texte de la Constitution, etqu’ils traduisent donc l’existenced’une réalité métapositive dont lesdispositions légales s’efforcent d’as-surer la défense et la protection. LeGouvernement basque soutient en-fin que la loi organique 6/2002 nepeut nullement s’immiscer, commeelle l’entend, entre l’article 6 de laConstitution et l’article 515 du Codepénal. Elle a en fait pour but depoursuivre une certaine forme bienprécise d’action politique, ce qui ex-plique non seulement ses défautsquant au développement de l’exi-gence de démocratie interne (article6 de la Constitution), mais aussi sesexcès, puisqu’elle soumet le droitd’association à des limites inadmis-sibles du point de vue constitution-nel et prévoit, en cas de non-respectde la loi, une sanction extrêmementradicale et disproportionnée, qui ne

peut faire l’objet d’aucune modula-tion, en l’occurrence la dissolutiondu parti politique contrevenant.

L’avocat de l’État argumentepour sa part que le fondementconstitutionnel de la loi mise encause réside dans l’article 81, § 1, dela Constitution, qui renvoie lui-mê-me aux articles 6, 22 et 23 du mêmetexte. Le recours est fondé selon luisur une série de prémisses erronées,telles que la configuration absoluedu droit d’association -qui, commetous les droits, demande un déve-loppement légal qui trouve ici sonfondement dans les articles 53, § 1,et 81, § 1, de la Constitution- ou l’i-dée selon laquelle une associationne peut être dissoute que si elle estdélictueuse dans le sens de l’article515 du Code pénal- ce qui revient àaccorder aux associations le privilè-ge exorbitant de n’être tenues derespecter que la loi pénale. Par ai-lleurs, l’avocat de l’État estime qu’iln’existe pas la moindre discordanceentre la nouvelle loi relative auxpartis politiques et la loi régissant ledroit d’association (LODA), dans lamesure où cette dernière respectedans tous les cas la spécificité despartis puisqu’elle renvoie à leur pro-pre réglementation (article 1 de laLODA), ce qui est parfaitementconstitutionnel eu égard à leur po-sition et leur importance constitu-tionnelles. Une réglementation spé-cifique dont il ressort, de surcroît,que les partis bénéficient d’un trai-tement privilégié par rapport auxassociations, puisque leur dissolu-tion pour toute cause non pénalerelève du Tribunal suprême et n’estprévue que dans des cas bien préciset extrêmement graves. Enfin, l’avo-cat de l’État nie également que la loiorganique 6/2002 permette de jugerdes idées ou des fins et affirmequ’elle a uniquement pour objet

d’analyser le parcours des partis po-litiques afin de déterminer s’ils seconforment à la méthode politiquepropre à la liberté démocratique, quiexclut la violence et l’atteinte auxdroits en tant qu’instrument d’ac-tion politique.

Enfin, le représentant judiciairedu Sénat soutient que l’inexistenced’un contrôle spécifique de la cons-titutionnalité des partis politiquesne signifie nullement que le consti-tuant ait écarté une conception mi-litante de la démocratie partisaneou que les partis soient assimilésaux associations ordinaires à tousles égards. La loi organique qui régitle droit d’association renvoie elle-même les partis à la législation quileur est spécifique, laquelle est au-jourd’hui contenue dans la loi miseen cause, comme elle l’était aupara-vant dans la loi 54/1978, dont l’in-constitutionnalité fut rejetée par leTribunal constitutionnel dans sonarrêt 10/1983 du 21 février 1978.Selon le Sénat, il est inexact que lecontrôle des partis politiques doiveêtre réservé au Tribunal constitu-tionnel eu égard à la nature mêmede ce dernier, et qu’il soit inutile d’é-tablir un paramètre légal sur la baseduquel il doit être statué sur la lé-galité des partis. Les critères visésdans la nouvelle loi relative aux par-tis politiques sont conformes aucontenu des articles 6 et 22 de laConstitution, selon lesquels l’exis-tence des partis est subordonnée aurespect de la Constitution et de laloi. Ils n’ont donc nullement recoursà des concepts juridiques indéter-minés et ne vont pas à l’encontre duprincipe de légalité pénale, mais in-troduisent une réglementation ca-suistique bien plus détaillée, con-trairement à ce qu’affirme le requé-rant, que celle qui était contenuedans l’article 5.2 b) de la loi relative

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aux partis politiques du 4 décembre1978, qui disposait elle-même quela suspension et la dissolution despartis politiques pouvaient être dé-crétées si l’organisation ou l’activitéde ses derniers s’avérait contraireaux principes démocratiques. Laseule différence est que cette trans-gression est décrite de façon plusdétaillée à l’article 9 de la loi orga-nique 6/2002, et qu’elle est assortied’une sanction parfaitement pro-portionnée, fondée sur la gravité defaits prouvés en justice.

Eu égard aux griefs résumés ci-avant, la toute première des ques-tions à élucider dans le cadre de laprésente procédure, est si la régle-mentation constitutionnelle relativeaux partis politiques admet ou nondans notre ordre juridique un régi-me légal spécifique et autre que ce-lui qui est propre aux associations.Autrement dit, si les partis politi-ques, pris en tant qu’espèce du gen-re association, n’admettent aucuneautre limite et contrôle que ceux quisont prévus dans la Constitution àl’égard des associations (article 22de la Constitution), ou si leur recon-naissance constitutionnelle dans lestermes de l’article 6 de la Constitu-tion implique l’existence de limiteset de conditions supplémentaires,qu’elles soient proprement consti-tutionnelles ou le résultat d’uneéventuelle habilitation du législa-teur organique par le constituant. Ily a lieu d’affirmer à ce propos, en cequi concerne la réglementation del’exercice de ce qu’il est convenu deconsidérer, comme prémisse de dé-part, comme une partie intégrantedu droit fondamental d’association,que le fondement constitutionnelde la loi réside, d’après l’avocat del’État et le représentant du Sénat,dans les articles 53, § 1 et 81, § 1, de

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la Constitution, par rapport aux ar-ticles 20, 22 et 23 de la Constitu-tion. Il convient de rappeler que lapossibilité de soumettre les partispolitiques à la loi relative aux asso-ciations, est même prévue à l’article1, § 3, de cette dernière. S’il n’existepas le moindre obstacle à l’existen-ce de la loi relative aux associations,il pourrait difficilement en être au-trement en ce qui concerne la loi re-lative aux partis politiques. L’article6 de la Constitution contient, en cequi concerne les partis politiques,un certain nombre d’exigences derespect de la Constitution et de laloi qui ne sont pas spécifiquementmentionnées à l’article 22 et quis’inscrivent cependant dans le cadredes dispositions générales analo-gues de l’article 9, § 1, de la Consti-tution, ce qui justifie, en termesconstitutionnels irréprochables, l‘in-clusion dans l’ordre juridique d’uneloi régissant les partis politiques.

La question qui se pose ici, nousrenvoie nécessairement à la vexataquaestio de la définition des partispolitiques, des institutions qui, parle passé, avaient des rapports decontradiction et d’affrontementavec l’État, il est vrai, mais qui sontactuellement reconnues et consti-tutionnalisées par le modèle d’Étatdémocratique instauré en Occidentà l’issue de la IIe Guerre mondiale etqui ont introduit dans la structurede l’ordre juridique, ce qui était parailleurs tout à fait inévitable, unetension caractéristique qui trouveson origine dans leur double condi-tion d’instruments d’actualisationdu droit subjectif d’association, d’u-ne part, et de moyens nécessairesau fonctionnement du système dé-mocratique, de l’autre.

Le Tribunal constitutionnel affir-me on ne peut plus clairement dansson arrêt 3/1981 du 2 février 1981,

qu’ « un parti politique constitue uneforme particulière d’association », cequi ne signifie nullement que l’article22 de la Constitution exclue « les as-sociations ayant une finalité politi-que » (considérant en droit nº 1). Leurréalité ne s’arrête cependant pas là,puisque l’article 6 de la Constitutionen fait une expression du pluralismepolitique et un instrument fonda-mental de la participation politiquequi prend part à la formation et lamanifestation de la volonté populai-re. La Constitution leur confère doncune série de fonctions dont l’impor-tance, du point de vue constitution-nel, est tout à fait évidente, sans enfaire pour autant des organes de l’É-tat ni même les titulaires du pouvoirpublic. Les partis politiques, en effet,« ne sont pas des organes de l’État ...[et] l’importance politique de leursfonctions... n’altère nullement leurnature [associative], ce qui expliquetoutefois pourquoi la Constitutiondispose, en ce qui les concerne, queleur structure interne et leur fonc-tionnement doivent être démocrati-ques » (arrêt du Tribunal constitu-tionnel 10/1983 du 21 février 1983,considérant en droit nº 3). Il s’agitdonc d’associations caractérisées parl’importance constitutionnelle deleurs fonctions ; des fonctions qui serésument à leur vocation de fairepartie, médiatement ou immédiate-ment, des organes titulaires du pou-voir public à travers les processusélectoraux. Ils n’exercent donc pas defonctions publiques, mais garantis-sent l’exercice de ces fonctions parles organes de l’État ; des organes quise chargent de conformer la volontéde l’État à la volonté populaire queles partis ont contribué à former et àmanifester par l’intégration de volon-tés et d’intérêts particuliers dans unrégime de pluralisme concurrentiel.Les partis sont donc des institutions

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juridico-politiques, une sorte d’élé-ment de communication entre lessphères sociales et juridiques, qui ga-rantissent l’intégration entre les gou-vernants et les gouvernés, à savoir l’i-déal de tout système démocratique.En formant et en exprimant la volon-té populaire, les partis contribuent àla réalité de la participation politiquedes citoyens aux affaires publiques(article 23 de la Constitution), laque-lle doit donner naissance à un ordrejuridique constitué de normes quidoivent, il est vrai, dans le cadre deleur procédure formelle d’élabora-tion, se conformer à la rationalité ob-jectivée du droit positif, mais qui,pour ce qui est de leur contenu ma-tériel, sont déterminées par le jeu desmajorités qui apportent à tout mo-ment leur soutien aux différentes op-tions idéologiques et politiques for-mées et rassemblées autour des par-tis par le biais de la concurrence deleurs programmes de gouvernementdans le cadre des différents proces-sus électoraux.

La nature associative des partispolitiques, avec tout ce que cela im-plique en termes de liberté quant àleur création et leur fonctionne-ment, qui est garantie dans notredroit par la protection inhérente àleur reconnaissance en tant qu’ob-jet d’un droit fondamental, sert defaçon tout à fait naturelle les mis-sions que l’article 6 de la Constitu-tion confie aux partis politiques.Dans la mesure où l’État démocrati-que constitué à l’article 1, § 1, de laConstitution doit impérativementêtre fondé sur la valeur du pluralis-me, dont les partis sont la principa-le expression puisqu’ils forment unevéritable volonté populaire appeléeà se traduire en volonté générale, ilest évident que l’ouverture de l’or-dre juridique à toutes les optionspolitiques qui peuvent et veulent

voir le jour et s’organiser autour dela réalité sociale, constitue une va-leur qui ne peut être que protégéeet encouragée. Pour s’assurer quecette volonté populaire l’est vrai-ment, on ne peut s’en remettre iciqu’au principe de liberté et faire ensorte que le courant qui nousemmène de la volonté populaire à lavolonté générale de l’État ne puisseêtre suivi ou entravé, sous l’effetd’un retour de balancier, par une in-tervention du pouvoir public, ce qui,en cas de dénaturation des partis,pourrait à son tout dénaturer la vé-ritable volonté du peuple, qui est letitulaire de la souveraineté (article1, § 2, de la Constitution).

La création des partis est donclibre (article 6 de la Constitution),dans les termes de la liberté garan-tie, en tant que droit fondamental,par l’article 22 de la Constitution. Eneffet, « dans le but de permettre auxpartis politiques de jouir des plushauts niveaux de liberté et d’indé-pendance, la Constitution les sou-met au régime privé des associa-tions, qui permet et garantit le de-gré de contrôle et d’intervention del’État le plus faible. La disciplineconstitutionnelle dans ce domaine,prise dans sa substance, est fondéesur la reconnaissance d’un droitsubjectif public des citoyens deconstituer, sous la forme juridiqued’associations, des partispolitiques ; cela revient à reconnaî-tre et légitimer l’existence des partiset permet de garantir leur existenceet leur subsistance. Le parti politi-que, pour ce qui est de sa création,son organisation et son fonctionne-ment, est soumis à la volonté de sesadhérents et échappe à tout contrô-le administratif, sans préjudice del’exigence constitutionnelle du res-pect de certaines conditions quant àsa structure, son action et ses fins »

(arrêt du Tribunal constitutionnel85/1986 du 25 juin 1986, considé-rant en droit nº 2).

Dans ce contexte, les partis po-litiques sont caractérisés, en tantqu’associations, par l’importanceconstitutionnelle de leurs missions.Si ces dernières, comme nous ve-nons de le voir, justifient le principede liberté quant à leur constitution,elles expliquent également les con-ditions spécifiques que l’article 6 dela Constitution leur impose en cequi concerne le respect de la Cons-titution et de la loi, ainsi que leurstructure interne et leur fonction-nement. Leur qualification fonc-tionnelle n’altère nullement la natu-re associative qui caractérise lespartis politiques, mais érige sur cet-te dernière une réalité institution-nelle diverse et autonome qui, entant qu’instrument de participationpolitique dans les processus de for-mation de la volonté de l’État, justi-fie l’existence d’un régime normatifparticulier, compte tenu des spécifi-cités de ces fonctions. L’importanceconstitutionnelle des partis trouveson origine dans la prétention d’a-rriver à une fin qualifiée d’intérêtpublic dont l’État se sert pour assu-rer l’intégration des processus deformation de la volonté générale. Laliberté caractéristique des associa-tions, dont jouissent également lespartis politiques, ne peut pas êtrepour ces derniers omnimodale aupoint de les dénaturer en tantqu’instruments de réalisation deleurs fins constitutionnelles sous lecouvert de cette même liberté.

Comme le souligne l’avocat del’État, en conclure que les partis nesont soumis qu’aux limites de l’arti-cle 22 de la Constitution reviendraità admettre que les dispositions del’article 6 de la Constitution sont

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restreintes au contenu d’une normenon sanctionnée, c’est-à-dire d’uneproposition non normative, toutsimplement. Cela n’a rien à voir avecle fait que la discipline légaleconcrète des partis puisse établir,pour tout ce qui va au-delà du régi-me normatif des associations ordi-naires, des limites conformes à l’ar-ticle 6 de la Constitution. Or, parmices limites ne figure pas seulement,contrairement à ce qu’affirme leGouvernement basque, l’obligationde disposer d’une structure et d’unfonctionnement démocratiques,mais aussi l’exigence préalable des’acquitter des missions qui, d’aprèscette disposition, définissent le par-ti politique en tant que tel. Le faitque le constituant ait décidé de nepas charger le Tribunal constitu-tionnel de s’assurer que les partispolitiques respectent l’article 6 de laConstitution (comme le rappelle leTribunal constitutionnel dans sonarrêt 3/1981 du 2 février 1981, con-sidérant en droit nº 11), ne signifienullement, bien entendu, que cettegarantie soit écartée en soi, maisuniquement que sa vérification estdu ressort du seul Pouvoir judiciairetant qu’il n’en sera pas disposé au-trement.

La diversification des régimesnormatifs entre une discipline gé-nérale pour les associations ordinai-res (actuellement contenue dans laloi organique 1/2002, régissant ledroit d’association) et une autre dis-cipline propre aux associations ca-ractérisées par l’importance consti-tutionnelle de leur fonction politi-que (actuellement contenue dans laloi mise et cause et, auparavant,dans la loi 54/1978, relative auxpartis politiques) est pleinementconforme aux articles 6 et 22 de laConstitution. Pour ce qui est de la

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discipline normative contenue dansla nouvelle loi relative aux partispolitiques, le Gouvernement basquecritique sévèrement la prétentiondu législateur organique d’établirdes limites autres que celles visées àl’article 22 de la Constitution, maisne conteste concrètement aucunede ces limites supplémentaires. Il secontente de faire allusion à titre gé-néral à l’instauration présumée parla loi mise en cause d’un modèle dedémocratie militante en vertu du-quel l’une des limites imposées auxpartis politiques consisterait en lanécessité d’accepter un certain régi-me ou système politique, outre lerespect du texte constitutionnel.

Le Gouvernement requérant fon-de l’affirmation précédente sur lesréférences contenues dans différentsalinéas des articles 6, 9 et 10 de laLOPP aux « valeurs constitutionnellesexprimées dans les principes consti-tutionnels et dans les droits de l’-homme » (article 9, § 1), aux « princi-pes démocratiques » (articles 6 et 9, §2), au « régime de libertés » et au« système démocratique » [articles 9,§ 2, et 10, § 2, alinéa c)] et à l’ « ordreconstitutionnel » et à la « paix publi-que » [article 9, § 2, alinéa c)]. En dé-pit du fait que le sens juridique deces références n’existe que dans lecontexte de l’ensemble de la disposi-tion qui les contient dans chaquecas, et que la disposition en questiondoit à son tour faire l’objet d’une in-terprétation intégrée dans l’ensem-ble de la loi et de l’ordre juridique, ilconvient de reconnaître, comme l’af-firme le Gouvernement basque, quenotre ordre constitutionnel n’admetpas un modèle de « démocratie mili-tante » dans le sens où il l’entend, àsavoir un modèle dans lequel est im-posé non seulement le respect, maisaussi l’adhésion positive à l’ordreétabli et, en tout premier lieu, à la

Constitution. Une prémisse incon-tournable fait défaut pour cela, à sa-voir l’existence d’un noyau normatifinaccessible aux procédures de réfor-me constitutionnelle qui, de par sonintangibilité même, pourrait s’érigeren paramètre autonome de correc-tion juridique, de sorte que la seuleprétention de la modifier ferait decette intention un comportementantijuridique quand bien même ellerespecterait scrupuleusement lesprocédures normatives. La loi con-testée n’admet nullement ce modèlede démocratie. Dès l’exposé des mo-tifs, elle part du principe de la dis-tinction entre les idées et les finsproclamées par un parti politique,d’une part, et ses activités, d’autrepart, et souligne que « les seules finsexplicitement bannies sont celles quidonnent lieu à un délit pénal », desorte que « tout projet ou objectif estconsidéré comme compatible avec laConstitution, à condition qu’il ne soitpas défendu par une activité portantatteinte aux principes démocratiquesou aux droits fondamentaux des ci-toyens ». En conséquence, pour cequi est de l’aspect qui nous intéresseplus particulièrement ici, la loi con-sidère justement comme une causede déclaration d’illégalité tous« comportements », c’est-à-dire tousagissements de partis politiques qui,à travers leur activité et non pas parle biais des fins ultimes qui figurentdans leurs programmes, portent at-teinte aux exigences de l’article 6 dela Constitution, que la loi mise encause ne fait que préciser.

Contrairement aux constitutionsfrançaise ou allemande, la Constitu-tion espagnole n’exclut nullement lapossibilité de réformer l’une quel-conque de ses dispositions et nesoumet le pouvoir de révision cons-titutionnelle à d’autres limites ex-presses que les limites strictement

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formelles et de procédure. Certes,notre Constitution proclame égale-ment des principes, dûment énumé-rés dans ses articles, qui constituentle fondement et la raison d’être deses normes concrètes. Ce sont lesprincipes constitutionnels, dontcertains sont mentionnés aux arti-cles 6 et 9 de la loi mise en cause.Des principes qui sont tous con-traignants et qui obligent, comme laConstitution tout entière, les cito-yens et les pouvoirs publics (article9, § 1, de la Constitution), mêmelorsqu’il en va de sa réforme ou desa révision, et ce tant que cette der-nière n’a pas été approuvée avecsuccès à travers les procédures visé-es dans son Titre X. Ceci étant, sanspréjudice du respect de ces princi-pes, et comme il l’est dit dans l’ex-posé des motifs de la loi mise encause, comme nous venons de lerappeler, tout projet est compatibleavec la Constitution, à conditionqu’il ne soit pas défendu à traversune activité portant atteinte auxprincipes démocratiques ou auxdroits fondamentaux. À ce propos, ilest exact que « la Constitution cons-titue un cadre de rencontre suffi-samment vaste pour admettre desoptions politiques de signes trèsdifférents » (arrêt du Tribunal cons-titutionnel 11/1981 du 8 avril 1981,considérant en droit nº 7).

Le Gouvernement basque ne fon-de pas ses affirmations sur des griefsconcrets à l’encontre de certainesdispositions de la loi mise en causequi imposent aux partis politiquesdes limitations substantives de leuridéal politique. Il cite en effet dansson recours des expressions tiréesdes articles 6, 9 et 10 de la LOPP quine font nullement des « principes dé-mocratiques », du « régime de liber-tés » ou de « l’ordre constitutionnel »un critère autonome de constitu-

tionnalité des partis. En premier lieu,ces dispositions de la loi mise encause portent sur l’activité des partis,et non pas sur leurs fins. Deuxième-ment, et principalement, il est évi-dent que les principes et les valeursénumérés par la loi ne peuvent êtreque ceux qui sont proclamés par laConstitution, et que leur contenu etétendue dépendent du sens qui dé-coule de l’interprétation intégrée desdispositions constitutionnelles posi-tives. Ainsi, les « principes démocrati-ques » ne peuvent être, dans notresystème, que les principes propre àl’ordre démocratique qui résulte del’enchevêtrement institutionnel etnormatif de la Constitution, dont lefonctionnement concret donne lieuà un système de pouvoirs, de droitset d’équilibres qui donne naissance àune variable du modèle démocrati-que, qui n’est autre que celle que laConstitution assume proprementlorsqu’elle constitue l’Espagne en unÉtat social et démocratique de droit(article 1, § 1, de la Constitution).

Le deuxième ensemble de con-sidérations substantives formuléespar le Gouvernement basque dansson recours, est contenu dans l’af-firmation selon laquelle la loi orga-nique 6/2002 « constitue l’exercicedu jus puniendi de l’État », qui meten cause, en termes généraux, laconstitutionnalité des articles 9, 10,11 et 12 de la loi contestée. Il estimeen effet que la loi introduit unenouvelle sanction, outre celle déjàétablie par les articles 515 et 529 duCode pénal, et porte ainsi atteinteau principe non bis in idem, aussibien sur le plan matériel que procé-dural, dans la mesure où elle nes’oppose pas à l’instruction simulta-née de deux procédures de sanction.Pour le reste, en ce qui concerne lesdispositions de la loi qui ne chevau-

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chent pas celles du Code pénal, lerequérant affirme que la loi mise encause sanctionne également les ac-tivités de ceux qui n’adhèrent pas àl’ordre constitutionnel concret auservice duquel a été adoptée laditeloi en termes de démocratie mili-tante, ce qui porte atteinte, d’aprèslui, aux droits fondamentaux de li-berté idéologique, de participation,d’expression et d’information. Enfin,en ce qui concerne l’article 9, § 3, lerequérant soutient que la loi enquestion va au-delà de l’espacecouvert par le Code pénal, portantainsi atteinte au principe de propor-tionnalité, étant donné que certainsagissements ne constituant nulle-ment des délits pénaux sont assor-tis d’une sanction de dissolution. Endéfinitive, elle crée, selon lui, unegrande incertitude quant à ce quiest ou non licite, et porte donc at-teinte aux exigences de prévisibilité.

L’avocat de l’État comme le re-présentant judiciaire du Sénat rejet-tent cette approche. Ils soutiennenttous deux que la déclaration d’illé-galité et la dissolution d’un parti envertu de la loi organique 6/2002, neconstituent nullement un exercicedu jus puniendi dans le sens propreet qu’il n’y a donc pas lieu d’invo-quer une violation quelle qu’elle soitdu principe non bis in idem. L’avocatde l’État soutient que le requérantutilise un concept excessivementvaste de jus puniendi, au point de leconfondre avec toute conséquencejuridique défavorable, et que sonraisonnement ne tient pas comptedu fait que les partis politiques, quisont les destinataires de la loi, nepeuvent nullement, en tant que per-sonnes morales, commettre des dé-lits. Pour sa part, le Sénat souligneque la loi mise en cause n’établitaucun délit, mais des actes anti-constitutionnels, ce qui écarte caté-

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goriquement tout empiètement surle Code pénal.

La première des atteintes consti-tutionnelles invoquées dans ce grou-pe de griefs, est celle du principe nonbis in idem. Il convient de souligner, àce propos, qu’on ne peut parler, dupoint de vue technique, de violationde ce principe, comme l’expose defaçon approfondie le Tribunal consti-tutionnel dans son arrêt 2/2003 du16 janvier 2003, que lorsqu’un mêmesujet fait l’objet d’une double puni-tion ou est soumis à une double pro-cédure punitive. Par conséquent, surle plan normatif, on ne peut parlerque d’atteinte au bis in idem dans unsens impropre, lorsque les normesanalysées obligent à infliger une dou-ble sanction pénale ou équivalenteau titre des mêmes faits ou à engagerune double procédure punitive con-tre une même personne. On pourraitargumenter que c’est justement lecas ici ; or, le Gouvernement basquen’affirme nullement qu’il en soit ain-si et se limite à dire sur ce point quela loi ne s’oppose pas à l’instructionsimultanée de deux procédures desanction. Il conviendrait quoi qu’il ensoit de rétorquer que ces procéduresne sont pas dirigées contre le mêmesujet (puisque, dans le cas de la loi re-lative aux partis politiques, la défen-deresse est une certaine organisationpolitique indépendamment des per-sonnes qui la composent, alors quedans les cas qualifiés de délits par leCode pénal, les accusés sont des per-sonnes physiques).

Tout cela suffirait à rejeter touteviolation du principe non bis inidem invoquée à l’encontre les arti-cles 9, 10, 11 et 12 de la LOPP. Ilconvient toutefois de répondre auxautres griefs invoqués par le requé-rant à l’appui d’une soi-disant viola-tion dudit principe.

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Le requérant affirme dans sa de-mande qu’ « il y a une coïncidence,comme nous le croyons, non seule-ment au niveau des faits et de la ré-ponse punitive entre les deux nor-mes légales (le Code pénal et laLOPP) mais aussi, comme on peutaisément en conclure, au niveau dubien juridique protégé (les valeurs etprincipes constitutionnels et, enparticulier, les droits et libertés fon-damentaux) ». Face à cette affirma-tion, il convient tout d’abord desouligner que l’identité subjectiven’est pas analysée et que, de sur-croît, l’identité des faits et du bienjuridique protégé n’empêche aucu-nement l’ordre juridique d’imposerdes conséquences juridiques diver-ses sous des perspectives différen-tes (arrêts du Tribunal constitution-nel 62/1984, 158/1985, 70/1989,116/1989, 171/1994, 142/1995,89/1997 et 278/2000) dans la me-sure où le principe non bis in idemn’intervient que lorsqu’un mêmesujet est puni deux fois pour les mê-mes faits et sous une même pers-pective juridique, ou soumis à deuxreprises à une procédure punitive.C’est justement cette question qu’ilfaut analyser ici puisque, même sil’on peut affirmer d’une certainemanière que la dissolution imposéepar la loi relative aux partis politi-ques est une sanction, ce n’est enaucun cas une sanction pénale.

L’article 9 de la loi organique6/2002 énumère, dans ses paragrap-hes 2 et 3, les cas dans lesquels « unparti politique doit être déclaré illé-gal ». Pour sa part, l’article 10, § 2, dela même loi énumère les cas danslesquels « la dissolution judiciaired’un parti politique doit être décré-tée par l’organe juridictionnel com-pétent ». Le Gouvernement basquefonde son grief sur la prémisse selonlaquelle ces deux mesures consti-

tuent des sanctions et portent doncatteinte, à ce titre, à l’article 25 de laConstitution. Il faut rappeler ici que« les postulats de l’article 25 de laConstitution, ne peuvent pas êtreappliqués à des domaines autres queceux qui sont spécifiques au délitpénal ou administratif, et qu’il nepeut en aucun cas être procédé àune application extensive ou analo-gique de ces mêmes postulats, com-me le rappelle le Tribunal constitu-tionnel dans ses arrêts 73/1982,69/1983 et 96/1988, à des cas diffé-rents ou des actes quels qu’ils soientsous le seul prétexte qu’ils limitentdes droits, s’ils ne représentent pasun exercice effectif du jus puniendide l’État ou qu’ils ne constituent pasune véritable sanction » (arrêt du Tri-bunal constitutionnel 239/1988 du14 décembre 1988, considérant endroit nº 2 ; cf. à ce même proposl’arrêt du Tribunal constitutionnel164/1995 du 13 novembre 1995,considérant en droit nº 4). La décla-ration d’illégalité et la dissolutiond’un parti politique constituent,sans l’ombre d’un doute, une lourdeconséquence juridique pour le partilui-même, pour ses adhérents et, parextension, pour ses sympathisantset ses électeurs. Cela n’en fait ce-pendant pas des mesures punitives,car dans le cas contraire il faudraitreconnaître, comme l’affirme l’avo-cat de l’État, que toute conséquencejuridique défavorable ou le simplerefus d’accorder un bienfait consti-tuerait dans une certaine mesureune sanction.

Comme le souligne le Tribunalconstitutionnel dans ses arrêts164/1995 du 13 novembre 1995(considérant en droit nº 3) et276/2000 du 26 novembre 2000(considérant en droit nº 4), pour dé-terminer si une conséquence juridi-que est ou non d’ordre punitif, il

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faut analyser, avant tout, la fonc-tion qui lui est attribuée dans lesystème juridique. S’il s’agit d’unefonction répressive ayant pour effetde limiter des droits à la suite d’undélit, il y a lieu d’affirmer qu’il s’agitd’une peine dans le sens matériel duterme. En revanche, s’il n’y a pas derépression mais d’autres fins justifi-catives, il faut en conclure qu’ellen’est assortie d’aucune peine, mêmes’il s’agit d’une conséquence lourde(cf. à ce propos l’arrêt du Tribunalconstitutionnel 239/1988 du 14 dé-cembre 1988, considérant en droitnº 2). Il faut ajouter à cela que « leTribunal constitutionnel nie l’exis-tence de toute fonction rétributivecar les mesures contestées avaientpour but de garantir « la réalisationd’une prestation ou le respect d’uneobligation concrète » (arrêt du Tri-bunal constitutionnel 239/1988,considérant en droit nº 2), visaient àgarantir la « simple application » del’ « ordre juridique par l’administra-tion compétente » (arrêt du Tribunalconstitutionnel 181/1990 du 15 no-vembre 1990, considérant en droitnº 4), ou, enfin, avaient pour seulobjet « de rétablir la légalité ba-fouée » (arrêt du Tribunal constitu-tionnel nº 119/1991, considérant endroit nº 3) ». Il ne suffit donc pasqu’il existe la prétention de garantirle respect d’un devoir juridique(comme c’est le cas des sanctionscoercitives) ou de rétablir la légalitébafouée vis-à-vis de ceux qui agis-sent sans tenir compte des condi-tions établies par l’ordre juridiquepour exercer une certaine activité. Ilfaut également que le préjudicecausé ait, de façon autonome ou si-multanément à ces prétentions, unsens rétributif qui a pour effet decauser un dommage qui vient s’a-jouter à celui qu’implique le respectforcé d’une obligation due ou l’im-

possibilité de continuer à exercerune activité que l’on n’était pas endroit de développer. Le rétablisse-ment de la légalité bafouée causetoujours un préjudice à celui qui, àtravers son infraction, entendait ob-tenir un bénéfice illicite, dont il aainsi été privé. Le caractère de puni-tion criminelle ou administrative dela réaction de l’ordre juridique n’ap-paraît que lorsque, outre la volontéde réparation, le contrevenant sevoit infliger un préjudice supplé-mentaire qui porte atteinte auxbiens et aux droits dont il jouissaitlicitement.

En ce qui concerne les disposi-tions mises en cause, on ne peutnullement affirmer que la mesurede dissolution renferme une vérita-ble peine. Les causes de la déclara-tion d’illégalité et de dissolutionprévues par la loi visent non pas àexercer une fonction rétributive àproprement parler, mais plutôt às’assurer que l’action des partis po-litiques est conforme aux condi-tions qui les définissent en tantqu’associations caractérisées parl’importance constitutionnelle deleurs fonctions.

Le contrôle juridique de cetteperspective partisane de la notiond’association, qui a pour objet degarantir le respect des exigences del’ordre juridique démocratique visé-es à l’article 6 de la Constitution,doit nécessairement consister en uncontrôle a posteriori. En conséquen-ce, en cas de manquement à cesexigences et de création d’une si-tuation allant à l’encontre de l’ordrejuridique pluraliste proclamé par laConstitution, il est impératif de ré-tablir la légalité bafouée. Il n’y adonc là aucune composante puniti-ve. Il s’agit en conséquence d’unesanction de réparation qui s’inscritdans le cadre de celles que le Code

pénal ne reconnaît nullement com-me des peines (article 34). Commenous l’avons avancé auparavant, il ya donc lieu de rejeter toute atteinteau principe non bis in idem.

Comme nous l’avons vu, leGouvernement basque conteste endeuxième lieu certaines dispositionsdes articles 9, 10, 11 et 12 de laLOPP, estimant qu’elles portent at-teinte aux droits fondamentaux deliberté idéologique, de participation,d’expression et d’information, aumotif qu’elles consacrent une « dé-mocratie militante ». Ce grief con-cerne uniquement les agissementsqui, selon le Gouvernement basque,ne sont pas punissables et est fondésur une interprétation isolée de cer-tains des cas de figure visés à l’arti-cle 9, § 3.

Pour ce qui est, par exemple, dugrief formulé en ce qui concerne lecomportement décrit à l’article 9, §3, alinéa a), le Gouvernement bas-que soutient que « ce comporte-ment pourrait aisément être assimi-lé au délit pénal d’apologie, excep-tion faite des actions implicites(soutien tacite) ». Il estime que l’a-pologie ne peut nullement s’expri-mer de façon occulte ou implicite etque l’inclusion du soutien tacitedans l’alinéa a) de l’article 9, § 3, dela loi constitue « une restriction illé-gitime de la liberté idéologique,dans la mesure où on ne peut tireraucune conséquence juridique d’unsilence, puisque nul n’est tenu d’ex-primer ses idées et ne peut subir, defaçon cohérente, une sanction pouravoir exercé ce droit ». Il ajoute à ce-la que « la non-condamnation desattentats contre le régime démocra-tique de libertés ne peut en aucuncas être interprétée comme une jus-tification, disculpation ou légitima-tion de ces derniers ».

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Pour répondre au grief formulépar le Gouvernement basque, il fautprocéder au préalable à une des-cription du système que constituentles trois premiers paragraphes del’article 9 de la LOPP. Le premier faitréférence non pas à un lien positifquel qu’il soit, mais au simple res-pect des valeurs constitutionnelles,respect dont les partis doivent fairepreuve dans l’exercice de leur activi-té et qui est compatible avec la li-berté idéologique la plus étendue.Le paragraphe 2 dispose qu’un partine peut être déclaré illégal que « sison activité porte atteinte aux prin-cipes démocratiques, notamment sielle a pour but de détériorer ou dé-truire le régime de libertés ou d’en-traver ou éliminer le système démo-cratique, à travers l’un quelconquedes comportements décrits ci-après,adopté de façon réitérée et grave ».Sont enfin énumérées, aux alinéasa), b) et c), les conditions d’ordre gé-néral dans lesquelles, eu égard à soncomportement, un parti doit êtredéclaré illégal.

Il faut bien reconnaître, en effet,comme l’affirme le Gouvernementbasque, que l’ « atteinte systémati-que aux libertés et droits fonda-mentaux et l’encouragement, la jus-tification ou la disculpation des at-tentats contre la vie ou l’intégritédes personnes, ou l’exclusion ou lapersécution de personnes en raisonde leur idéologie, religion ou cro-yances, nationalité, race, sexe ouorientation sexuelle », comme le dis-pose l’article 9, § 2, alinéa a), de laLOPP, constituent des comporte-ments qui peuvent s’inscrire dans lecadre des dispositions des articles515, 576 et 578 du Code pénal. Onpourrait d’ailleurs en dire de mêmeen ce qui concerne les comporte-ments décrits aux alinéas b) (Encou-rager, favoriser ou légitimer la vio-

lence en tant que moyen de parve-nir à des fins politiques ou de fairedisparaître les conditions requisespour exercer la démocratie, le plura-lisme et les libertés publiques ») et c)de l’article 9, § 2, (« compléter etsoutenir politiquement l’actiond’organisations terroristes afin deleur permettre d’arriver à leurs fins,à savoir de bouleverser l’ordre cons-titutionnel, d’altérer gravement lapaix publique en tentant de sou-mettre les pouvoirs publics, certai-nes personnes ou groupes de la so-ciété ou la population en général, àun climat de terreur, ou de contri-buer à la multiplication des effetsde la violence terroriste et de la peurà l’intimidation générée par cettedernière »).

Il faut reconnaître également,comme l’affirme le requérant, que lacoïncidence entre l’article 9, § 2, dela loi mise en cause et le Code pénaln’est pas absolue. Il faut égalementsouligner qu’il n’est nullement faitréférence à des programmes ou desidéologies, mais à des activités decollaboration ou de soutien au te-rrorisme ou à la violence. En consé-quence, aucune place n’est laissée àce que l’on appelle la « démocratiemilitante ». Il n’est donc en aucuncas porté atteinte aux libertés idéo-logique, de participation, d’expres-sion ou d’information.

Pour ce qui est du paragraphe 3de l’article 9 de la LOPP, la rédactiondéfectueuse de son introductionpourrait porter à penser que lescomportements qui y sont énumé-rés viennent s’ajouter à ceux quisont décrits au paragraphe précé-dent et qu’ils doivent donc être in-terprétés séparément. Nonobstantce qui précède, l’interprétation sys-tématique de ces deux dispositionset celle de l’ensemble de l’articledans lequel elles sont contenues,

montrent que les comportementsdécrits au paragraphe 3 de l’article9 présentent les traits génériquesvisés au paragraphe 2 du même ar-ticle. Les conduites énumérées àl’article 9, § 3, de la LOPP ne consti-tuent qu’une spécification ou préci-sion des principaux cas d’illégalitéénoncés, à titre général, à l’article 9,§ 2, de la loi. L’interprétation et l’ap-plication individualisée de ces com-portements ne peuvent être réalisé-es que sur la base des cas visés àl’article 9, § 2.

Ceci dit, bien qu’il n’appartiennepas au Tribunal constitutionnel dedéterminer si la simple absence decondamnation peut être interprétéeou non comme un soutien impliciteau terrorisme, le fait est que la légi-timation des actions terroristes oula disculpation ou la minimisationde leur signification antidémocrati-que et de la violation de droits fon-damentaux qu’ils impliquent, peutêtre réalisée de façon implicite, àtravers des actes concluants, danscertaines circonstances. Or il esttout à fait clair, dans de tels cas,qu’on ne peut pas parler d’atteinte àla liberté d’expression.

Ces mêmes considérations sontapplicables à l’article 9, § 3, alinéa d),de la LOPP, qui, sous cette perspecti-ve, ne constitue plus une simple ma-nifestation idéologique mais devientun acte de collaboration avec le te-rrorisme ou la violence. Il ne fait au-cun doute que l’utilisation des ins-truments auxquels fait référence ladisposition que nous analysons ici,comporte l’émission d’un message ;cela dit, comme l’affirme le Tribunalconstitutionnel dans son arrêt136/1999 du 20 juillet 1999, « ceciétant, même si l’on fait preuve deprudence à cet égard, on ne peut nierqu’il est possible qu’il existe des mes-sages qui, bien que ne pouvant être

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assimilés à aucun délit pénal de me-nace ou de coercition, peuvent êtreconsidérés comme une intimidationdans la mesure où ils renvoient ex-plicitement ou implicitement, maisde façon crédible, à la survenanced’un mal grave ou à l’adoption ou lanon-adoption d’un certain compor-tement par le destinataire. Ce type demessages ne bénéficie nullement dela protection des libertés d’expres-sion ou d’information » (considéranten droit nº 16).

On peut en dire de même, en gé-néral, en ce qui concerne l’alinéa c)de l’article 10, § 2, de la LOPP :« Lorsque son comportement porteatteinte de façon réitérée et graveaux principes démocratiques ou viseà détériorer ou détruire le régime delibertés ou à entraver ou éliminer lesystème démocratique à travers lescomportements visés à l’article 9 ». Ilconvient en outre de préciser à cetégard que cette disposition est limi-tée à l’activité des partis politiqueset ne s’étend nullement à leurs finsou objectifs programmatiques. Parconséquent, dans les termes mêmesde cette disposition, seul est frappéd’une cause de dissolution le partiqui, à travers son activité et non passon idéologie, cherche effective-ment et actuellement « à détériorerou détruire le régime de libertés ».

En conclusion, l’interprétationsystématique de l’article 9, si l’onconsidère les cas énumérés au para-graphe 3 comme des spécificationsdu genre de comportements décritsau paragraphe 2, permet de nier queles situations qui peuvent donnerlieu à la dissolution d’un parti poli-tique portent atteinte aux libertésidéologique, de participation, d’ex-pression ou d’information.

Le Gouvernement basque con-teste également les cas d’illégalité11

visés à l’article 9 de la LOPP, sous laperspective de la proportionnalité etde la prévisibilité.

En commençant par la fin, la gé-néralité et l’imprévisibilité qui,d’après le Gouvernement basque,caractérisent spécifiquement les casprévus aux alinéas f) et g) de l’arti-cle 9, § 3, ne peuvent qu’être rejeté-es dans la mesure où, comme nousl’avons indiqué auparavant, ces casde figure doivent être interprétéscomme des spécifications de ceuxvisés aux alinéas a), b) ou c) de l’ar-ticle 9, § 2.

Il convient toutefois de préciserque la collaboration habituelle avecdes groupes agissant de façon sys-tématique en accord avec une orga-nisation terroriste, ou qui soutien-nent le terrorisme, doit être consi-dérée comme une collaboration di-recte et spécifique avec le terroris-me, telle qu’elle est définie à l’article9, § 3, alinéa f). En conséquence, ceque la loi définit comme un cas d’i-llégalité ne constitue nullement uneaide générique quelle qu’elle soit,mais une aide spécifique visant àsoutenir concrètement la collabora-tion au terrorisme. Il s’agit doncd’une espèce de « complicité dans lacomplicité » qui peut sans aucundoute s’inscrire dans le cadre del’article 9, § 2.

En précisant le contenu de l’ali-néa f), on délimite par là même lechamp d’application de l’alinéa g).Le soutien des institutions auquelfait référence l’alinéa g), est un sou-tien spécifiquement apporté aux as-sociations qui soutiennent directe-ment ou indirectement le terrorismeou la violence dans le but, juste-ment, de renforcer cette activitéillégitime. Le comportement décrit àl’alinéa g) ne peut s’inscrire dans lecadre de l’article 9, § 2 que s’il estinterprété de cette façon.

Il est vrai que les cas visés à l’ar-ticle 9 de la LOPP ne sont pas aussiprécis que s’ils avaient été délimitéspar des termes purement descrip-tifs. Comme l’affirme le Tribunalconstitutionnel dans son arrêt136/1999 du 20 juillet 1999, « nousavons affaire à une constante dudroit comparé en matière de législa-tion antiterroriste, à savoir la prévi-sion d’un type très peu spécifiquede collaboration ou de soutien à desgroupes terroristes, conditionné parla nécessité de ne renoncer, dans lamesure du possible, à aucune formeou variété de soutien individuel ousocial au phénomène terroriste »(considérant en droit nº 30). Le Tri-bunal constitutionnel avait alorsdéclaré que la protection contre leterrorisme avait un coût dans la dé-termination du comportement ; ce-la dit, eu égard aux considérationsci-avant exposées, ce coût ne donnepas lieu à une situation dans laque-lle le calcul des conséquences juri-diques du comportement des partisest tout à fait imprévisible.

Compte tenu de tout ce quiprécède et eu égard à l’interpréta-tion susmentionnée desdites dispo-sitions, il y a lieu de rejeter le griefformulé dans ce domaine par leGouvernement basque.

Le Gouvernement basque con-teste les articles 9 et 10 de la LOPPau motif qu’ils sont disproportion-nés. Il estime en effet que dans lescas visés dans ces mêmes disposi-tions, qui ne constituent nullementun délit, il n’y a pas lieu d’infligerune sanction de dissolution sans at-ténuation, car il s’agit d’après luid’une mesure disproportionnéeétant donné qu’elle ne peut êtremodulée en fonction de la véritableenvergure de la cause pouvantéventuellement exister. Le Gouver-

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nement basque soutient que la loine permet pas d’infliger une sanc-tion proportionnée aux circonstan-ces de chaque cas et qu’il aurait étésouhaitable de prévoir des mesuresdissuasives ou préventives moinslourdes de conséquences, afin d’évi-ter que le parti persiste sur une voiequi pourrait finalement donner lieuà sa dissolution.

Le Gouvernement basque admetla constitutionnalité de la dissolu-tion d’un parti politique dans les casprévus à l’article 10, § 2, alinéa a),c’est-à-dire lorsque « le parti peutêtre qualifié d’association illiciteconformément au Code pénal ». Ilne formule pas non plus la moindreobjection en ce qui concerne les casvisés à l’alinéa b) de ce même article10, § 2, (« lorsqu’il porte atteinte defaçon continue, réitérée et grave àl’exigence d’une structure interne etd’un fonctionnement démocrati-ques et conformes aux dispositionsdes articles 7 et 9 de la présente loiorganique »).

Le Gouvernement basque limitedonc son grief aux cas dans lesquelsle comportement décrit dans la loiorganique relative aux partis politi-ques ne peut s’inscrire dans aucundes alinéas de l’article 10, § 2, préci-tés. « En ce qui concerne les biensou intérêts que la disposition analy-sée entend protéger », affirme le re-présentant judiciaire du Gouverne-ment basque, « ils sont sans aucundoute suffisamment importantspour justifier une restriction dudroit d’association au sens d’asso-ciation politique pour la constitu-tion de partis politiques ». Il ajouteensuite «à cet égard, comme le sou-ligne le Tribunal constitutionneldans son arrêt 136/1999 (considé-rant en droit nº 27), par allusion àun précédent arrêt, ‘le terrorismeconstitue une manifestation délic-

tueuse particulièrement grave, qui apour objet d’instaurer la terreur ausein de la société et d’altérer l’ordreconstitutionnel démocratique. Ilfaut donc reconnaître que tout actede soutien au terrorisme porte at-teinte, ne serait-ce que potentielle-ment, à des biens juridiques indivi-duels et collectifs extrêmement im-portants’ (arrêt du Tribunal consti-tutionnel 199/1987, considérant endroit nº 4) ».

Or, le problème pour le Gouver-nement basque n’est pas vraimentque ces comportements méritentune réaction de l’État, mais l’absen-ce de nécessité et la disproportionque représente le fait de décréter ladissolution d’un parti pour descomportements qui ne constituentmême pas un délit, sans avoir prévuaucune sanction moins lourde deconséquences.

À cette objection, il convient toutd’abord de répondre qu’aucun descomportements décrits à l’article 9de la LOPP ne peut donner lieu defaçon isolée à la dissolution d’unparti : pour que cette dernière puis-se être décrétée, il faut que les com-portements en question soientadoptés « de façon réitérée et gra-ve », comme le précise l’article 9, § 2.En deuxième lieu, il convient de rap-peler que l’existence d’un parti qui, àtravers son activité, collabore ou ap-porte son soutien à la violence te-rroriste, met en danger la subsistan-ce de l’ordre pluraliste proclamé parla Constitution, et que face à cedanger, il ne semble pas que l’onpuisse infliger une autre sanction deréparation de l’ordre juridique per-turbé que la dissolution. Enfin, ilconvient de souligner que l’article 6de la Constitution contient une défi-nition constitutionnelle de l’institu-tion des partis : dans la Constitution,un parti ne peut être considéré com-

me tel que s’il est l’expression dupluralisme politique. En conséquen-ce, il est tout à fait admissible, dupoint de vue constitutionnel, qu’unparti qui attaque le pluralisme à tra-vers son activité et met totalementou partiellement en danger la sub-sistance de l’ordre démocratique,soit frappé d’une cause de dissolu-tion. Dans le même ordre d’idées, laCour européenne des droits de l’-homme considère que, bien que lamarge d’appréciation des États doi-ve être étroite en matière de dissolu-tion des partis politiques, lorsque lepluralisme des idées et des partis,qui est inhérent à la démocratie, esten danger, l’État peut empêcher laréalisation ou la poursuite du projetpolitique étant à l’origine de ce dan-ger [Arrêt de la Cour européenne desdroits de l’homme du 31 juillet 2001,affaire Refah Partisi (Parti de laProspérité) c. Turquie].

Pour le reste, la gravité de la me-sure de dissolution est assortie,comme le soulignent l’avocat de l’É-tat et le Sénat, d’une évidente exi-gence de rigueur quant à l’impor-tance des causes pouvant donnerlieu à l’adoption d’une telle mesure.En effet, comme nous venons de levoir, il ne suffit pas de constater l’e-xistence d’un seul des agissementsdécrits dans la loi. Il faut, bien aucontraire, que ces agissements seproduisent « de façon réitérée etgrave » (article 9, § 2) ou par « répé-tition ou accumulation » article 9, §3). Or, la réitération ou l’accumula-tion de ces comportements renforcel’idée de gravité et de continuitédans le temps. L’article 9, § 2, alinéaa), dispose littéralement : « portersystématiquement atteinte » ; il nes’agit donc même pas d’atteintesréitérées, mais d’infractions systé-matiques. L’article 9, § 3, alinéa c),parle quant à lui « d’inclure réguliè-

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rement » dans les organes de direc-tion et les listes électorales des per-sonnes condamnées pour des délitsde terrorisme, ce qui va dans le sensde l’idée d’agissements prolongésdans le temps et de continuité. Bienque ces comportements soient, endéfinitive, particulièrement graves,seuls sont considérés comme descauses de dissolution ceux qui met-tent en évidence une incompatibili-té manifeste avec les moyens paci-fiques et légaux inhérents aux pro-cessus de participation politiquepour lesquels la Constitution de-mande le concours qualifié des par-tis politiques. Tout cela peut en ou-tre être vérifié et confirmé dans lecadre d’une procédure judiciaire aucours de laquelle ceux qui deman-dent la dissolution doivent prouvercomme il se doit que le parti con-cerné est à l’origine d’agissementsprévus par la loi et qu’il ne peutdonc être considéré, à ce titre, com-me un parti politique. Les critèresétablis par la jurisprudence de laCour européenne des droits de l’-homme en matière de dissolutionde partis politiques, sont donc res-pectés (arrêts de la Cour européen-ne des droits de l’homme du 30 jan-vier 1998, affaire Parti communisteunifié de Turquie c. Turquie ; du 25mai 1998, affaire Parti socialiste c.Turquie ; du 8 décembre 1999, af-faire Parti de la liberté et la démo-cratie c. Turquie ; du 31 juillet 2001et du 13 février 2003, affaire Partide la prospérité c. Turquie ; 9 avril2002, affaire Yazar et autres c. Tur-quie ; 10 décembre 2002, affaireDEP c. Turquie), dans la mesure oùles conditions de conformité à laConvention des droits de l’hommesont elles aussi pleinement respec-tées, à savoir : a) l’inclusion dans laloi des cas et des causes de dissolu-tion (ce critère est de toute éviden-

ce respecté par les normes mises encauses, puisqu’elles sont contenuesdans une loi formelle) ; b) la légiti-mité de la fin visée (qui, commenous l’avons vu, dans le cas présentn’est autre que la garantie des pro-cessus démocratiques de participa-tion politique moyennant l’exclu-sion de tout organisme associatifassimilé à un parti exerçant une ac-tivité ne se conformant pas à la dé-finition de parti politique contenuedans la Constitution) ; et c) le ca-ractère nécessaire de la dissolutiondans une société démocratique (cedont il a été apporté la preuve dansle cadre de l’analyse précédente descauses concrètes de dissolution éta-blies par la loi).

Le Gouvernement basque con-teste concrètement, sous la pers-pective de la disproportion, outreles dispositions analysées ci-avant,l’article 9, § 3, alinéa c), de la LOPP,en l’occurrence l’inclusion dans lesorganes de direction ou les listesélectorales de personnes condam-nées pour des délits de terrorismen’ayant pas rejeté publiquement lesfins et les moyens terroristes, ou lefait qu’un grand nombre de leursmembres militent également ausein d’organisations ou d’organis-mes liés à un groupe terroriste ouviolent, sauf si des mesures d’ordredisciplinaire ont été prises à leur en-contre en vue de leur expulsion.

Avant de répondre aux griefs durequérant à ce sujet, qui concernentnon seulement la proportionnalité,mais aussi l’atteinte aux droits à laliberté d’expression et d’association,il convient de procéder à l’interpré-tation de cette disposition confor-mément à la Constitution.

D’une part, il y a lieu de considé-rer que la référence aux personnescondamnées pour des délits de te-

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rrorisme, pour les raisons invoquéespar le Gouvernement basque, neconcerne que les condamnés quin’ont pas été réhabilités. D’autrepart, l’allusion aux fins terroristesdoit être considérée comme limitéeaux seules fins immédiates de per-turber la paix, de généraliser la peur,etc., et ne concernent nullement l’i-déologie du parti.

Ceci étant, il faut égalementsouligner que la circonstance décri-te ci-avant doit être assortie d’uneaction instrumentale permettantd’adopter un ou plusieurs des com-portements décrits à l’article 9, § 2.

Contrairement à ce qu’affirme leGouvernement basque, cette dispo-sition ne perpétue donc nullementles effets des sanctions pénales, n’é-tablit aucune cause d’inéligibiliténon prévue par la loi électorale et,en conséquence, ne porte pas at-teinte à l’article 70, § 1, de la Consti-tution. La loi contestée ne prive nu-llement du droit de suffrage passifles personnes ayant été condamné-es pour un délit de terrorisme. Ellepermet simplement de tenir comptedu fait qu’un parti politique fait ré-gulièrement figurer sur ses listesélectorales des personnes condam-nées pour de tels délits (dont l’éligi-bilité dépend des dispositions de lalégislation électorale), dans le cadrede la procédure correspondante,afin de prouver qu’à travers son ac-tivité, le parti en question « [porteatteinte aux] principes démocrati-ques » (article 9, § 2, de la LOPP).L’inclusion régulière au sein de la di-rection ou sur les listes électoralesde terroristes condamnés peut cons-tituer une expression de solidaritéenvers les méthodes de la terreur, cequi va à l’encontre des exigencesque la Constitution impose à toutparti politique. Par ailleurs, le faitque cette circonstance ne puisse

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être évaluée que si les condamnésn’ont pas « rejeté publiquement lesfins et les moyens terroristes », nepeut être interprété comme uneobligation de se rétracter de ses ac-tivités passées. La disposition enquestion ne s’applique qu’à l’aveniret aux partis politiques ayant à leurtête ou comme candidats des con-damnés, et considère comme unecause de dissolution l’utilisation ré-gulière de personnes dont on peutprésumer de façon fondée qu’ellesont des affinités avec les méthodesde la terreur, et non pas avec les idé-es et les programmes que peuventéventuellement chercher à mettreen œuvre les organisations terroris-tes. Il convient donc d’insister sur lefait que le jugement porte sur unparcours d’ensemble correspondantà une longue période au cours de la-quelle le comportement mis en cau-se a été adopté de façon réitérée, etest fondé sur la conviction, bâtiedans le cadre d’une procédure judi-ciaire, qu’un parti qui agit ainsi por-te atteinte à la légalité et ne peutdonc pas continuer à être considérécomme tel.

Il en est de même en ce qui con-cerne la condition de double mili-tant, qui doit être constatée « pourun grand nombre de membres ». Ilest bien évident que le parti doitêtre au courant de cette circonstan-ce. Or, si c’est le cas, dans le but dedissiper le moindre soupçon de con-nivence avec les méthodes terroris-tes, soupçon par ailleurs bien natu-rel lorsqu’un nombre significatif deses membres fait partie d’organisa-tions terroristes, le parti doit fairepreuve d’une volonté tout à faitclaire d’éloignement en prenant desmesures visant à expulser ces mem-bres. Contrairement à ce qu’affirmele Gouvernement basque, cette dis-position ne constitue nullement une

mesure d’ingérence dans l’organisa-tion interne du parti, dans la mesu-re où elle a pour objet de faire ensorte que ce dernier puisse lui-mê-me déclarer qu’il ne permet pas àses membres de militer au sein degroupes violents, sachant qu’il est leseul à pouvoir le faire.

En conséquence, les considéra-tions générales exposées ci-avantsont entièrement applicables au casanalysé ici. La disposition en ques-tion, interprétée dans les termessusmentionnés, ne porte donc nu-llement atteinte aux libertés invo-quées par le Gouvernement basque.Il y a lieu d’affirmer, par là même,que la mesure de dissolution pou-vant en découler n’est absolumentpas disproportionnée.

Le recours en inconstitution-nalité formé par le Gouvernementbasque conteste également plu-sieurs dispositions de la loi organi-que 6/2002 qui, à son sens, sontfondées sur un raisonnement ayantpour effet de transformer la nouve-lle loi relative aux partis politiquesen une loi singulière. Les disposi-tions mises en cause sont l’article 9(« Activité »), les articles du ChapitreIII (« De la dissolution ou suspensionjudiciaire des partis politiques ») etla disposition transitoire unique.Pour le Gouvernement basque, la loiorganique 6/2002 respecte forme-llement le principe de généralité dela loi, certes, mais il ne fait aucundoute, d’après lui, qu’elle a étéconçue, du point de vue matériel,dans le seul but de poursuivre uneformation politique bien précise, etque cette loi n’est en réalité applica-ble qu’à cette dernière. La preuve decette carence de volonté de régle-mentation générale réside, selon lerequérant, dans le régime de lafraude à la loi contenu dans son ar-

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ticle 12, § 3, ainsi que dans sa dis-position transitoire unique, qui vio-le clairement le principe de non-ré-troactivité proclamé par l’article 9, §3 de la Constitution. Le Gouverne-ment basque estime en outre queces dispositions font de cette loiune norme singulière compte tenude ses particularités de procédure,non seulement en ce qui concernele tribunal compétent, mais aussi l’-habilitation à engager la procédurede dissolution, outre le régime ex-ceptionnel qu’elle introduit dans lesystème de sources de la loi organi-que relative au régime électoral gé-néral. L’avocat de l’État et le repré-sentant judiciaire du Sénat nientque la loi mise en cause constitueune norme singulière et affirmenttous deux que la loi organique6/2002 réglemente à titre général lerégime juridique des partis politi-ques et que son application n’estpas restreinte à une certaine forma-tion politique. Ils estiment donc quecette loi n’empiète nullement suraucune autre juridiction et que sesdispositions relatives à la fraude à laloi n’en font en aucun cas une nor-me singulière. Enfin, les particulari-tés de procédure de cette loi sontcontenues selon eux dans des dis-positions qui n’ont pas été mises encause ou qui font l’objet de griefsdénués de toute pertinence dupoint de vue constitutionnel.

Le Tribunal constitutionnel défi-nit ce que l’on appelle les « lois sin-gulières » ou les « lois de cas uni-que » comme des lois « édictéesdans le but d’être appliquées à unesituation de fait bien concrète etsingulière, dont le contenu et l’effi-cacité sont limités à l’adoption etl’exécution de la mesure prise par lelégislateur dans cette situation defait, qui est isolée dans la loi singu-lière et qui ne peut être étendue à

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aucune autre » (arrêt du Tribunalconstitutionnel 166/1986 du 19 dé-cembre, considérant en droit nº 10 ;cf. à ce même propos la décision deprocédure du Tribunal constitution-nel 291/1997 du 22 juillet 1997). Lefait est que la loi mise en cause estune loi générale, non seulement dupoint de vue formel, eu égard à lafaçon dont elle est formulée, maisaussi du point de vue matériel, dansla mesure où elle décrit de façonabstraite un certain nombre decomportements qui, s’ils sont adop-tés de façon « réitérée et grave »,peuvent donner lieu à la dissolutiond’un parti politique présent ou futurquel qu’il soit. La loi organique6/2002 n’est pas le résultat d’unexercice exceptionnel du pouvoir lé-gislatif de l’État, contrairement à cequ’affirme le Gouvernement bas-que, puisque sa généralité et sonabstraction en font l’expressiond’un exercice correct et normal de lafonction normative.

En effet, la loi organique 6/2002est une loi relative aux partis politi-ques qui organise et réglemente defaçon parfaitement abstraite et gé-nérale tout ce qui a trait au régimejuridique de ces associations singu-lières que constituent les partis po-litiques, à l’exception des questionsrelatives à leur financement et leurcontrôle comptable, qui, comme lerappelle la loi organique dans sonarticle 13, sont assujetties aux dis-positions de la loi organique 3/1987du 2 juillet 1987, relative au finan-cement des partis politiques, auxdispositions de la loi organique2/1982 du 12 mai 1982, relative à laCour des comptes, et aux disposi-tions de la loi 7/1988 du 5 avril1988, relative au fonctionnementde cette dernière. La loi organiquemise en cause constitue donc latoute première réglementation juri-

dique de ce régime général qui estédictée depuis l’entrée en vigueurde la Constitution. Elle abroge doncà ce titre la précédente loi relativeaux partis politiques (Loi 54/1978du 4 décembre 1978) et les disposi-tions en vigueur de la loi 21/1976du 14 juin 1976, relative au droitd’association politique. Ces lois pré-constitutionnelles furent le fruit deleur époque, à savoir l’époque de latransition d’un État non constitu-tionnel à parti unique à un Étatconstitutionnel et démocratique dedroit fondé sur la valeur du pluralis-me, dont les partis politiques cons-tituent la meilleure expression. Toutcela explique la parcimonie de ceslois et, surtout, l’importance qu’ellesaccordaient à la création et à l’ins-cription des partis politiques aux re-gistres pertinents. La loi mise encause répond elle aussi aux besoinsde l’époque au cours de laquelle ellea été édictée, qui n’est plus celle del’établissement et du début de laconsolidation des partis politiques,mais celle de la garantie du régimeplural des partis face aux groupes etaux associations qui cherchent à ledénaturer en ayant recours à desmoyens violents allant à l’encontrede la légalité.

La maturité constitutionnelle,après les premières étapes de l’Étatinstauré par la Constitution, permetà la nouvelle loi relative aux partispolitiques de développer de façonplus détaillée les questions du régi-me général des partis politiques quiont trait à leur création, organisa-tion, structure et fonctionnement.Or, comme le reconnaît l’avocat del’État, « on ne peut nier, dans la me-sure où cela est notoire », que l’arti-cle 9 a en grande partie été rédigé« en tenant compte du parcours etde l’activité d’un célèbre parti politi-que basque, qui a donné lieu à la

première cause d’application de laprocédure visée à l’article 11 de laLOPP, qui était en cours au momentde la rédaction du présent arrêt ».Cela ne suffit cependant pas pouraffirmer qu’il s’agit d’une loi singu-lière. La perception par le législateurorganique du fait qu’une certaineformation politique pourrait êtrecontraire, eu égard à son activité età ses agissements, au modèle departi défini et reconnu par la Cons-titution, peut parfaitement s’érigeren occasio pour l’adoption d’une loitelle que la loi mise en cause. Or, cequi détermine sa constitutionnalitéou son inconstitutionnalité, ce n’estpas le bien-fondé de cette percep-tion circonstancielle, mais l’étendueobjective de la loi finalement adop-tée, dont le ratio ne se limite nulle-ment à exprimer les inquiétudes dumoment, mais se conforme à la ra-tionalité objectivée de l’ordre cons-titutionnel.

L’analyse de l’article 9 de la LOPPconduit à une conclusion contraire àcelle défendue par le requérant. Lesagissements et les activités décritsdans ses paragraphes 2 et 3 pou-rraient, le cas échéant, compte tenude leur généralité et abstraction, êtreapplicables à n’importe quel parti,quelles que soient ses fins, ses aspi-rations ou ses idéologies. Il en estainsi car, comme nous l’avons sou-ligné dans de précédents considé-rants en droit, cette disposition nes’intéresse pas aux fins, mais à l’acti-vité antidémocratique exercée dansle but d’arriver aux fins librement dé-finies par un parti, mais en margedes procédures légalement instauré-es. Cette disposition est donc parfai-tement applicable à tout parti politi-que dont on peut affirmer, eu égardà l’activité qu’il exerce, qu’il ne cons-titue pas un instrument de participa-tion au sens de l’article 6 de la Cons-

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ché d’un vice d’inconstitutionnalitéau motif qu’il porte atteinte au prin-cipe de non-rétroactivité (article 9, §3, de la Constitution). Aux fins del’application de l’article 9, § 4, de laLOPP (qui énumère les éléments donton peut tenir compte pour apprécieret qualifier les activités qui peuventdonner lieu à la dissolution d’un par-ti politique), le paragraphe susmen-tionné considère comme une fraudeà la loi « la constitution, à une dateimmédiatement antérieure ou posté-rieure à la date d’entrée en vigueurde la loi, d’un parti politique poursui-vant ou succédant à l’activité d’unautre parti, dans le seul but d’éviterl’application à ce dernier des disposi-tions de cette loi ». Telle qu’elle estrédigée, cette disposition ne méritenullement d’être qualifiée d’inconsti-tutionnelle dans la mesure où il esttout à fait clair qu’elle a uniquementpour but de permettre l’applicationde l’article 9, § 4, de la LOPP « aux ac-tivités exercées après l’entrée en vi-gueur de la présente loi organique »,comme le souligne elle-même la dis-position mise en cause. Cette dispo-sition ne prévoit en effet en aucuncas la possibilité de juger des activi-tés et des agissements antérieurs à laloi organique 6/2002, puisque la loine considère comme déterminantsque ceux qui sont ultérieurs à sonentrée en vigueur.

Autrement dit, par dispositionexpresse de la loi, les différentescauses qui peuvent éventuellementdonner lieu à la dissolution d’unparti ne sont prises en compte qu’àcompter de l’entrée en vigueur de laloi. Les activités considérées séparé-ment comme « la continuité et répé-tition » auxquelles fait référence l’ar-ticle 9, § 4, auquel renvoie la dispo-sition transitoire, sont ultérieures àl’entrée en vigueur de la loi organi-que 6/2002. Ceci étant, aux fins de

que « les actes contrevenant à la loiou constituant un abus de person-nalité juridique n’empêchent nulle-ment l’application de cette dernière.La création d’un nouveau parti poli-tique ou l’utilisation d’un autre par-ti déjà inscrit au registre, succédantou poursuivant l’activité d’un partidéclaré illégal ou dissout, sera con-sidérée comme frauduleuse et nepourra donc être consommée ». L’a-vocat de l’État a donc tout à fait rai-son d’affirmer qu’il n’est pas aisé decomprendre la raison pour laquelleces dispositions prouvent que la loimise en cause est dénuée de toutevocation de réglementation. Mis àpart le fait qu’elle puisse être plusou moins bien rédigée du point devue de la technique législative, etbien qu’il ne soit pas nécessaired’effectuer une référence expressepour que le régime de la fraude à laloi produise tous ses effets, le faitest que l’article 12, § 3, de la LOPPfait référence à un parti politiquedissout en application de la mêmeloi, dont on tente de faire en sorteque l’activité ne puisse être poursui-vie de façon frauduleuse par uneautre formation, ce pour quoi lajustice a été saisie en vue de décré-ter les mesures qui s’imposent. Onne peut absolument rien trouver àredire à cet égard en termes de gé-néralité et d’abstraction, dans lamesure où la disposition analyséeest applicable à n’importe quel casde dissolution d’un parti quel qu’ilsoit, et n’est donc nullement res-treinte à un cas singulier et unique.

La disposition transitoire uniquedispose que les partis politiques ins-crits au registre du ministère de l’In-térieur à la date d’entrée en vigueurde la loi, sont assujettis à cette der-nière. Le Gouvernement basque af-firme que le paragraphe 2 est enta-

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titution. Le facteur déterminant n’estdonc pas la finalité mais, justement,le comportement contraire aux rè-gles du jeu démocratique. La généra-lité et l’abstraction de la loi sont as-sorties de la prévision d’une procé-dure judiciaire dans le cadre de la-quelle doit être prouvée l’existenceeffective des causes de dissolutiondécrites dans ces termes. Le pouvoirlégislatif n’assume donc aucunefonction juridictionnelle puisque lanorme adoptée par ce dernier exigeune application individualisée que laloi confie au Pouvoir judiciaire ordi-naire. Les organes judiciaires ne de-viennent donc pas de simples exécu-teurs d’une décision législative adop-tée à tous égards, mais, conformé-ment à la fonction juridictionnellequi leur est confiée par la Constitu-tion, ils ne reçoivent du législateurque les marges normatives auxque-lles ils doivent s’en tenir lors de l’a-doption d’une décision qu’il leur ap-partient qu’à eux de prendre sur labase des preuves produites dans lecadre d’une procédure assortie detoutes les garanties.

Le Gouvernement basque dé-nonce le caractère singulier de la loi,et plus précisément des dispositionsde son article 12, relatif aux effetsde la dissolution judiciaire des par-tis, dont le paragraphe 3 dispose lit-téralement : « il appartient à laChambre ayant statué, après avoirentendu les intéressés, de déclarerl’illégalité de la continuité ou la suc-cession d’un parti politique dissoutà laquelle fait référence le para-graphe 1, alinéa b) », puis énumèreles éléments dont il faut tenircompte pour apprécier la similitudeentre le parti dissout et celui qui en-tend lui succéder. D’une part, le pa-ragraphe 1, alinéa b), susmentionnéde l’article 12 de la LOPP, dispose

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déterminer la signification de cesactivités et de qualifier leur impor-tance eu égard à l’ensemble descomportements du parti concerné (àces fins uniquement car la prise encompte du comportement antérieurà l’entrée en vigueur de la loi pourjustifier la déclaration d’illégalité se-rait inconstitutionnelle dans la me-sure où elle porterait atteinte auprincipe de non-rétroactivité consa-cré par l’article 9, § 3, de la Constitu-tion), il est parfaitement possible deprendre en considération ce que laloi appelle le « parcours » (article 9, §4, de la LOPP), qui peut comprendredes agissements antérieurs à l’en-trée en vigueur de la loi, ce qui nepeut nullement être considéré com-me un cas de rétroactivité interditpar la Constitution.

Ceci étant, dans une premièrelecture, il semblerait que la signifi-cation de la disposition transitoireunique soit d’établir une présomp-tion de fraude à la loi liée à la cons-titution d’un parti politique de« couverture » juste avant ou justeaprès l’entrée en vigueur de la loi.Cette apparente signification pou-rrait aller à l’encontre de certainesexigences constitutionnelles, no-tamment si elle est liée à la réalisa-tion d’actes antérieurs à l’entrée envigueur de la loi. Il convient toute-fois de souligner que le dernier ali-néa de la disposition en questionlaisse au Tribunal le soin d’apprécierlibrement non seulement si un par-ti poursuit ou succède ou non à unautre parti, mais s’il a ou non l’in-tention de frauder. Il y a donc lieude rejeter toute interprétation decette disposition en termes de pré-somption de fraude. Cette mêmedisposition dispose par ailleurs quelorsqu’un parti poursuit ou succèderéellement à l’activité d’un autreparti, et qu’il est donc prouvé de-

vant la justice qu’il agit de façonfrauduleuse, il est tout à fait possi-ble de tenir compte de son parcourspour déterminer et évaluer le sensdes actes réalisés après l’entrée envigueur de la loi. Dans ces termes,cette disposition n’est donc pascontraire à la Constitution.

En ce qui concerne les particu-larités de procédure de la loi con-testée, le Tribunal constitutionnelne décèle absolument rien qui per-mette d’en conclure qu’il s’agit d’u-ne norme singulière. La dissolutionjudiciaire des partis politiques tom-bant éventuellement sous le coupdes causes établies de façon géné-rale et abstraite dans la loi organi-que 6/2002, est décrétée, dans tousles cas, « par l’organe juridictionnelcompétent » (article 10, § 2, de laLOPP), ce qui est tout à fait confor-me au mandat contenu à l’article22, § 4, de la Constitution, selon le-quel les associations ne peuventêtre dissoutes que par une décisionde justice motivée. Le fait que l’or-gane compétent au sein du Pouvoirjudiciaire, en dehors des cas de dis-solution pour cause d’associationpénalement illicite, soit la Chambredu Tribunal suprême visée à l’article61 de la LOPJ, ne fait nullement dela loi mise en cause une norme sin-gulière. Il s’agit d’un organe judi-ciaire qui existait d’ores et déjà etqui s’est vu conférer cette nouvellecompétence à titre général et pourl’avenir, suite à la réforme de la loiorganique relative au Pouvoir judi-ciaire. Toutes les conditions requisessont donc réunies pour considérerque la garantie du droit au juge or-dinaire prédéterminé par la loi estdûment respectée, puisque, commel’a affirmé le Tribunal constitution-nel à maintes reprises depuis son« arrêt 47/1983 du 31 mai 1983

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(considérant en droit nº 2), le droitconstitutionnel exige, en tout pre-mier lieu, que l’organe judiciaire aitété créé au préalable par la normejuridique et que cette dernière luiait conféré la juridiction et la com-pétence pertinentes avant le fait oul’action étant à l’origine de la procé-dure et, enfin, que son régime orga-nique et judiciaire ne permette pasde le qualifier d’organe spécial ouexceptionnel » (arrêt du Tribunalconstitutionnel 120/2001 du 4 juin2001, considérant en droit nº 2).

Le fait que les seules instanceshabilitées à engager la procédure dedissolution soient le ministère pu-blic et le Gouvernement, peut effec-tivement avoir attiré l’attention del’opinion publique, comme l’affirmele requérant. Cela dit, aucun élé-ment ne permet d’en conclure à l’in-constitutionnalité du recours.D’après le Gouvernement basque,cela prouve que « cet aspect de laLOPP est sans précédent ». Il fautnéanmoins bien reconnaître que l’o-riginalité ou la primeur n’ont abso-lument rien à voir, en soi, avec lasingularité normative du point devue technique, singularité dont rienne prouve que la loi soit entachée. Ilfaut en dire de même en ce qui con-cerne l’affirmation selon laquelle laloi « introduit un nouveau type derelation institutionnelle entre lespouvoirs », sous prétexte que leCongrès des députés et le Sénatsont habilités à demander au Gou-vernement de présenter une de-mande de déclaration d’illégalité ;en réalité, cet aspect n’est pas nou-veau dans un système parlementai-re, étant donné que les chambresparlementaires occupent, par défi-nition, une position prééminentepar rapport au pouvoir exécutif, au-quel il n’est pas rare qu’elles de-mandent des actions et des initiati-

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ves dans les limites de leurs compé-tences, moyennant l’exercice despouvoirs parlementaires d’initiativeet de contrôle. Enfin, le requérantdénonce, dans le cadre de cette pré-tendue singularité de la loi, la spéci-ficité qui consiste à établir un régi-me singulier de recours contre laproclamation de candidatures, envertu de la deuxième dispositionadditionnelle de la LOPP. Force estde constater, à ce propos, que cettemodification est d’ordre absolu-ment général dans la mesure où elleest applicable à tous les cas pouvantse conformer à l’avenir aux disposi-tions de la nouvelle norme, concer-nant les groupements d’électeurspouvant éventuellement poursuivrel’activité d’un parti politique dissouten vertu d’une décision de justice.

Le recours du Gouvernementbasque conteste plusieurs disposi-tions de la loi organique 6/2002, aumotif qu’elles portent atteinte aucontenu du droit d’association ga-ranti par l’article 22 de la Constitu-tion, disposition qui, selon le requé-rant, fait partie du noyau dur du ré-gime constitutionnel des partis. Lerequérant considère en effet quel’article 1 de la LOPP est inconstitu-tionnel dès l’instant où il limite ledroit des Espagnols de créer des par-tis politiques, car cela revient à pri-ver de façon tout à fait injustifiée lesressortissants des États membres del’Union européenne qui jouissent dudroit de suffrage actif et passif auxélections municipales et européen-nes, d’un droit réservé à des person-nes qui, dans le cadre de ces élec-tions, sont leurs égaux. À titre plusgénéral, le requérant affirme quecette disposition a pour effet de dis-criminer tous les étrangers, et passeulement les ressortissants de l’U-nion, dans la mesure où l’article 2 de

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la LODA reconnaît à tout un chacunle droit de créer des associations, carrien ne justifie d’après lui que la loimise en cause se soustraie aux dis-positions de la législation commune.L’avocat de l’État affirme au contrai-re que la justification de cette diffé-rence de traitement réside dans l’ar-ticle 13 de la Constitution, lequel ré-serve aux Espagnols les droits visés àl’article 23 de la Constitution, à l’ex-ception des élections municipales eteuropéennes. Pour le reste, lesétrangers jouissent du droit de libreaffiliation et des droits inhérents àtout affilié, et ont la capacité de seprésenter comme candidats degroupements d’électeurs, ce qui ga-rantit suffisamment leur droit desuffrage. Dans des termes similaires,le représentant judiciaire du Sénatinsiste sur la légitimité de la loi or-ganique relative aux partis politi-ques en tant que loi spéciale face aurégime commun de la loi organiquerégissant le droit d’association, puis-que c’est cette première loi qui ren-voie à l’article 13, § 1, de la Consti-tution, aux fins de la définition desdroits des étrangers.

La question relative à l’habilita-tion constitutionnelle d’un régimejuridique particulier et propre auxpartis politiques, faisant l’objet d’unelégislation spéciale et indépendantede la législation applicable aux asso-ciations, a déjà été réglée dans deprécédents considérants en droit duprésent arrêt. La question qui se po-se à présent est de savoir si la Cons-titution permet de limiter le droit desEspagnols de créer des partis politi-ques. Comme l’affirme le Gouverne-ment basque, l’article 2, § 2, de la LO-DA reconnaît à « tout un chacun » ledroit de s’associer librement pourarriver à des fins licites. Le législateurorganique assume donc ainsi la doc-trine établie à ce sujet dans l’arrêt du

Tribunal constitutionnel 115/1987 du7 juillet 1987. Les raisons de cettegénéralisation du droit lorsqu’il s’agitd’associations ordinaires, ne sont ce-pendant pas applicables au cas despartis politiques, justement parceque ces derniers sont des associa-tions caractérisées par l’importanceconstitutionnelle de leurs fonctions.En effet, les partis politiques consti-tuent un instrument privilégié departicipation politique, une activitédont l’exercice constitue un droit ga-ranti par l’article 23 de la Constitu-tion, dont jouissent uniquement lesEspagnols (article 13, § 2, de la Cons-titution). Il ne faut cependant pasoublier que l’article 13, § 2, de laConstitution établit une exceptiondans ce domaine, à savoir que pourcertaines élections et sous certainesconditions, le droit de suffrage peutégalement être reconnu aux étran-gers. Cette exception ne dénaturecependant pas le principe auquel elleest rattachée, à savoir que la partici-pation aux affaires publiques eststrictement réservée aux ressortis-sants espagnols, car cette activité està l’origine de la constitution d’orga-nes représentatifs qui « exercent despouvoirs directement attribués par laConstitution et les Statuts d’autono-mie, qui sont liés à la souverainetédont le peuple espagnol est le seul ti-tulaire » (Déclaration du Tribunalconstitutionnel du 1er juillet 1992,considérant en droit nº 3.c).

Par conséquent, sous la perspec-tive constitutionnelle qui nous estpropre, on ne peut reprocher au lé-gislateur organique d’avoir réservéaux Espagnols le droit de créer despartis politiques. Ceci étant, dans lamesure où il faut simultanément ga-rantir le droit de participation politi-que des étrangers lorsque le droit desuffrage actif ou passif leur est re-connu par une source adaptée à cet-

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te finalité, ladite restriction doitstrictement être interprétée dans sespropres termes. En conséquence,cette restriction ne peut s’appliquerau droit des étrangers d’adhérer auxpartis politiques existants, ni se tra-duire par une quelconque limitationdes droits qui en découlent, commele rappelle la loi mise en cause dansses articles 1, § 2, et 8, § 1.

Le Gouvernement basque con-teste également le dernier alinéa del’article 2, § 1, de la LOPP, qui dispo-se que les promoteurs d’un parti po-litique ne peuvent en aucun cas êtredes personnes « ayant fait l’objetd’une condamnation pénale pour undélit d’association illicite ou l’unquelconque des délits graves visésaux titres XXI à XXIV du Code pé-nal ». Le requérant estime en effetque cette disposition inflige une pei-ne accessoire ex lege¸ ce qui n’estpas conforme à l’article 25 de laConstitution et, dans tous les cas,porte atteinte au principe de pro-portionnalité, dans la mesure où ellene tient pas compte de la nature dis-tincte des délits énumérés aux titresdu Code pénal auxquels elle renvoie,sachant par ailleurs qu’elle restreintgravement le droit fondamentald’association. L’avocat de l’État sou-tient que la disposition en questionétablit une cause d’incapacité spé-ciale, et non pas une peine, et uni-quement s’il n’y a pas eu réhabilita-tion judiciaire, ce qui n’est absolu-ment pas contraire à l’article 25 dela Constitution. Il estime en outrequ’elle ne porte pas atteinte au prin-cipe de proportionnalité puisque lesdélits inhabilitants justifient que l’onpuisse empêcher une personneayant récemment été condamnéepour un délit grave ayant trait à l’ac-tivité politique, de créer un parti. En-fin, le Sénat considère que la dispo-

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sition mise en cause établit le main-tien des effets de la peine d’inhabili-tation absolue ou spéciale liée auxdélits de terrorisme tant qu’il n’y apas réhabilitation ou en raison de lagravité du délit, ce qui constitue unejustification suffisante.

L’interdiction mise en cause neconstitue pas, à proprement parler,une peine ou une sanction qui vients’ajouter à celles infligées suite à laperpétration des délits susmention-nés, mais, comme toutes celles quisont énumérées à l’article 2, § 1, dela LOPP, une condition de capacité.En termes positifs, les personnes setrouvant dans la situation décritedans ladite disposition sont frappé-es d’une cause d’incapacité spécialejusqu’à ce qu’elles « soient réhabili-tées par la justice ». Cette conditionde capacité, qui interdit la créationd’un parti politique par toute per-sonne ayant été condamnée suite àla perpétration de délits graves visésaux titres XXI à XXIV du Code pénalet n’ayant pas encore été réhabili-tée, n’est absolument pas exorbi-tante en termes de respect du prin-cipe de proportionnalité. Et ce, nonseulement parce qu’il ne s’agit pasd’une sanction, et que ce principen’est donc pas concerné dans cecas, mais aussi parce qu’il n’est ab-solument pas injustifiable, mêmesous cette perspective, d’interdirede créer un parti politique à unepersonne ayant été condamnée (etn’ayant pas été réhabilitée par lajustice) pour des délits graves (etpas seulement pour les délits gravesvisés à l’article 13, § 1, du Code pé-nal) répertoriés dans les titres sus-mentionnés du Code pénal, qui onttous trait à l’activité politique et quitémoignent du soutien de ces per-sonnes à la violence et de leur mé-pris pour les procédures légalementétablies. Il est donc légitime de

prendre les devants et de défendrel’ordre constitué en interdisant lacréation d’un instrument qualifié departicipation à la vie publique partoute personne n’ayant pas encoreentièrement purgé la peine qui lui aété infligée pour avoir porté attein-te à la cohabitation pacifique danslaquelle doit impérativement se dé-rouler la vie publique. Il ne faut pasoublier, de surcroît, que toute per-sonne ainsi inhabilitée n’est nulle-ment privée de toutes les variantesde son droit de participation politi-que, puisque la loi mise en cause nel’empêche nullement d’adhérer à unparti existant et ne limite aucune-ment son droit de suffrage. Par con-séquent, eu égard à son étendue etson sens, la disposition légale con-testée n’est nullement dispropor-tionnée.

Le Gouvernement basque con-teste le régime de constitution etd’inscription au registre des partispolitiques établi par la loi organique6/2002. Il estime en premier lieuqu’il s’agit d’une inscription d’ordreconstitutif (article 3, § 2), ce qui vaà l’encontre de l’article 22, § 3, de laConstitution, selon lequel l’inscrip-tion des partis ne peut être réaliséequ’à des fins de publicité, mais aus-si, là encore, des dispositions de laLODA. Le caractère constitutif del’inscription « contamine » égale-ment, d’après le requérant, d’autresdispositions de la loi mise en cause,et plus précisément les dispositionsrelatives à l’intervention de l’admi-nistration dans la procédure d’ins-cription, à laquelle est attribué unrôle privilégié dans l’incident deprocédure visé à l’article 12, § 3, dela LOPP, un rôle qui peut, en toutétat de cause, retarder le processusd’acquisition de personnalité mora-le par le parti politique et entraver

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gravement par là même l’exercicedu droit d’association. L’avocat del’État rétorque qu’il serait tout à faitconforme à l’article 22 de la Consti-tution que l’article en question dis-pose que toutes les associations nesont pas dotées de personnalitémorale, dans la mesure où cette dis-position constitutionnelle admetune grande variété de régimes d’ac-quisition de la personnalité morale.L’inscription au registre visée dansla loi mise en cause est conforme àla doctrine établie par le Tribunalconstitutionnel dans son arrêt3/1981 du 2 février 1981, dans lamesure où elle est rigoureusementréglementée. Le processus d’acqui-sition d’une personnalité morale parun parti politique ne fait donc l’ob-jet d’aucune restriction incompati-ble avec l’article 22 de la Constitu-tion, mais est soumis à certainesconditions conformes à la naturedes partis politiques, au service de laprotection de tiers. Pour le reste,l’intervention de l’administrationdans la procédure d’inscription etl’incident de procédure visé à l’arti-cle 12, § 3, de la LOPP, est selon luiparfaitement conforme à la doctri-ne constitutionnelle établie dansl’arrêt du Tribunal constitutionnel3/1981. Le représentant du Sénatinsiste quant à lui sur l’équivalenceerronée qui est établie entre les as-sociations et les partis, sur laquelleest fondé le grief du Gouvernementbasque. Le Sénat affirme en outrequ’à son sens, la loi contestée est laloi qui développe le droit des partis.Il rappelle en outre que le systèmed’inscription visé dans cette loi estidentique à celui qui fut validé parle Tribunal constitutionnel lorsquece dernier fut saisi de la loi 4/1978.

Pour ce qui est de la contradic-tion présumée entre l’article 22, § 3,de la Constitution, qui dispose que

l’inscription des associations au re-gistre pertinent ne peut être réaliséequ’à « des fins de publicité », et l’ar-ticle 3, § 2, de la LOPP, selon lequelcette inscription est assortie pour lespartis politiques de l’acquisition d’u-ne personnalité morale, il faut partirdu principe que le ratio de l’interdic-tion en vertu de laquelle le registredes partis politiques ne peut êtreutilisé qu’à des fins de publicité, ré-side dans la protection de la libertéde création d’associations et de par-tis, protection qui n’a aucun rapportavec l’acquisition ou non de la per-sonnalité morale. En conséquence, lelégislateur est libre d’associer ounon la naissance de la personnalitémorale à l’inscription au registredans la mesure où rien ne s’oppose àce qu’il en soit ainsi dans l’article 22,§ 3, de la Constitution.

En outre, il faut tenir compte dufait que l’article 6 de la Constitutionproclame le principe de libre créa-tion de partis politiques. En tantqu’acte de constitution d’un orga-nisme associatif, la création ou laconstitution du parti politique doitêtre protégée de toute entrave ouobstacle visant à empêcher ou re-tarder d’une façon quelle qu’ellesoit l’exécution dudit mandat cons-titutionnel. Ce principe a pour objetde faire en sorte que les pouvoirspublics ne puissent exercer le moin-dre contrôle matériel donnant lieu àla reconnaissance ou à la légalisa-tion de toute formation politiquequi aurait l’intention de se consti-tuer en vertu des articles 6 et 22 dela Constitution. Le principe consti-tutionnel de libre création de partispolitiques interdit donc toute ingé-rence des autorités administrativesayant pour effet de l’entraver ou del’éliminer.

Il s’agit donc de déterminer dansce cas si, à travers l’article 3, § 2, de

la LOPP, selon lequel « Les partis po-litiques acquièrent leur personnalitémorale lors de leur inscription auregistre des partis politiques », la loicontestée exerce en fait un contrôlematériel constituant une ingérencedans le principe de liberté de créa-tion des partis politiques et, par làmême, porte atteinte à l’article 6 dela Constitution.

Force est de constater que lapersonnalité morale d’un parti poli-tique ayant été créé par un acte deconstitution (article 3, § 1, de laLOPP), n’est acquise que lorsqu’il estprocédé à l’inscription dudit parti auregistre précité, soit de façon ex-presse, soit à l’issue d’un délai devingt jours si aucune décision desuspension de ce délai n’est prise(article 4, § 3, de la LOPP).

Ceci dit, le fait que le régimeétabli dans la loi organique 6/2002,en ce qui concerne expressémentcet aspect-là, subordonne l’acquisi-tion de la personnalité morale duparti politique à son inscription pré-alable au registre du ministère del’Intérieur, n’implique nullement perse qu’il faille considérer cela commeun acte d’ingérence de l’administra-tion de l’État allant à l’encontre duprincipe constitutionnel de libertéde création ou de constitution departis politiques. Pour qu’il y ait vio-lation de ce principe et que le griefdu Gouvernement basque sur cepoint puisse être accepté, eu égardà la façon dont le législateur régle-mente l’acte d’inscription et auxpouvoirs qui sont conférés à cet ef-fet au ministère de l’Intérieur, il fau-drait que ce dernier soit habilité àexercer un contrôle matériel effectifconcernant le bien-fondé de l’ins-cription demandée et, par consé-quent, l’attribution de la personna-lité morale au parti, auquel cas lespouvoirs de ce département minis-

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tériel outrepasseraient les stricteslimites du domaine de la simple vé-rification de régularité des aspectsjuridico-formels de la documenta-tion présentée lors de l’inscription,comme l’affirme la doctrine consti-tutionnelle contenue dans l’arrêt duTribunal constitutionnel 8/1986 du25 juin 1986 (considérant en droitnº 3) : « le système d’inscription pré-alable à un registre public ... n’estconstitutionnellement admissibleque s’il consiste en un contrôle ex-terne de forme et de régularitéexercé par l’autorité administrati-ve » ; ainsi que dans l’arrêt 3/1981du 2 février 1981 (considérant endroit nº 5), qui affirme que lorsqu’ils’agit de l’inscription (constitutive),seule est constitutionnellement ad-missible la vérification de régularité,c’est-à-dire « vérifier que les docu-ments … présentés sont conformesà l’objet du registre et qu’ils rem-plissent les conditions de forme re-quises ».

Or, au vu des conditions de for-me exigées par l’article 3, § 1, de laLOPP, et du régime d’inscriptionétabli dans la loi mise en cause (ar-ticles 4 et 5, § 1), il y a lieu d’en con-clure que le ministère de l’Intérieurn’est nullement investi de pouvoirsdiscrétionnaires lui permettant deprocéder ou non à l’inscription auregistre du parti qui en fait la de-mande sur présentation de la docu-mentation requise à cet effet, dansla mesure où la fonction attribuée àl’autorité administrative n’est autrequ’un pouvoir de constatation ri-goureusement réglementé portantsur les aspects d’ordre formel à tra-vers lesquels se manifeste l’acte deconstitution (acte de constitution etdocuments complémentaires). Enconséquence, la suspension du délaide vingt jours au cours duquel doitintervenir l’acte d’inscription, a uni-

quement pour but de corriger lesdéfauts de forme décelés dans lesdocuments précités, comme le sou-ligne l’article 5, § 1, de la LOPP.

En principe, le législateur orga-nique n’investit donc nullementl’administration de l’État, aux finsde l’inscription au registre des partispolitiques, de pouvoirs inhérents àun véritable contrôle matériel ayanttrait à l’acquisition d’une personna-lité morale par les partis politiques.On ne peut donc pas affirmer que leprincipe constitutionnel de libertéde création de partis politiques con-sacré à l’article 6 de la Constitution,ait été ignoré ou violé.

Toutes ses considérations nerépondent cependant pas entière-ment à ce grief bien précis. Le Gou-vernement basque affirme dans sademande que l’acte d’inscriptionpeut être rejeté ou retardé par l’ad-ministration, en vertu des pouvoirsqui lui sont conférés par l’article 5, §1, de ladite loi, lequel, selon lui, por-te non seulement sur les vices deforme mais aussi sur la dénomina-tion des partis. Le Gouvernementbasque en conclut que les disposi-tions de la loi mise en cause « s’avè-rent contraires à la définition cons-titutionnelle du droit d’associationqui, en tant que droit fondamental,a une efficacité directe et n’a en au-cun cas à être reconnu par les pou-voirs publics ». Il convient donc d’a-nalyser ce grief.

Les pouvoirs conférés au mi-nistère de l’Intérieur aux fins del’inscription au registre des partispolitiques et de l’attribution d’unepersonnalité morale à ces derniers,sont limités, en règle générale, à unsimple acte de vérification de régu-larité ou objective visant à s’assurerdu respect des conditions de formeque doivent remplir les documents

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présentés. Il n’en reste pas moins,comme il faut bien le reconnaître,que parmi les conditions exigiblespour constituer un parti, c’est-à-di-re pour que ses promoteurs puis-sent efficacement établir l’acte deconstitution, figure celle de la déno-mination visant à identifier chaqueparti, comme le dispose l’article 3, §1, alinéa 2, de ladite loi, en vertu du-quel cette dénomination ne peutcomprendre des termes ou des ex-pressions induisant à l’erreur ouprêtant à confusion quant à l’iden-tité du parti, et ne peut en aucuncas être identique, ressembler ous’identifier -ne serait-ce que phoné-tiquement— avec celle d’un autreparti déjà inscrit, dissout ou sus-pendu par la justice, ni correspon-dre à l’identification de personnesphysiques, d’entités préexistantesou de marques déposées.

Le fait est que, sauf dans les casde pleine identité de dénominationentre des partis ou des entités déjàinscrits ou dissous par la justice,dans tous les autres cas précités, ladétermination d’une similitude oud’un risque de confusion permet auministère de formuler une apprécia-tion dans le cadre de laquelle il jouitd’une grande marge de détermina-tion ou d’appréciation qui peut en-traver ou retarder l’acquisition parle parti politique de sa personnalitémorale. C’est ce qu’affirme le Tribu-nal constitutionnel dans son arrêt85/1986 du 24 juin 1986 (considé-rant en droit nº 4) : « La protectiondes éventuels droits de tiers, dontcelle des partis ayant une dénomi-nation similaire, doit être du ressortde l’ordre juridictionnel et non pasde l’administration, dans la mesureoù cette compétence est fondée surun concept juridique indéterminé etpourrait donc s’ériger en véritablecontrôle préalable, au détriment de

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la liberté de constituer des partispolitiques, ce qui contraindrait lespromoteurs d’un parti de se sou-mettre à une longue procédure ad-ministrative puis judiciaire pourpouvoir exercer leur droit constitu-tionnellement reconnu ».

Dans ce contexte, la dispositionmise en cause -en l’occurrence l’ar-ticle 5, § 1, de la LOPP, qui renvoielui-même à l’article 3, § 1, alinéa 2,de la même loi- demande une inter-prétation permettant de la rendrecompatible avec l’exercice en touteliberté du droit de constituer ou decréer des partis politiques et, en dé-finitive, de respecter le mandatconstitutionnel contenu à l’article 6de la Norme fondamentale. En effet,pour ce qui est de la dénominationdu parti, il y a lieu de considérer queles pouvoirs conférés au ministèrede l’Intérieur pour suspendre le dé-lai d’inscription ne peuvent êtreexercés que s’il est clairement etmanifestement démontré qu’il exis-te une pleine coïncidence ou identi-té entre les formations politiques ouentités concernées. En conséquen-ce, dans les autres cas de similitudeou de risque de confusion dus à ladénomination, il n’y a pas lieu dedécréter une éventuelle suspensiondu délai d’inscription sous le cou-vert de l’article 5, § 1, de la LOPP.Sous cette perspective, le Tribunalconstitutionnel ne peut que rejeterle grief d’inconstitutionnalité for-mulé à l’encontre de l’article 3, § 1,de ladite loi.

Par ailleurs, l’article 3, § 1, alinéa2, de la même loi, interdit les déno-minations « contraires aux lois ouaux droits fondamentaux des per-sonnes », sans aucune autre préci-sion. Si l’on s’en tient au sens litté-ral de cette disposition, on pourraiten conclure qu’il est du ressort del’autorité administrative de rejeter

ou de retarder de façon injustifiéele libre exercice du droit de consti-tution de partis politiques, dans lamesure où cela revient à conférer àcette dernière des pouvoirs assortisd’une marge d’appréciation vaste etimprécise, qui n’a donc rien à voiravec la fonction de vérification derégularité qui lui est attribuée dansce domaine. Par conséquent, com-me dans le cas précédent, la dispo-sition normative transcrite ci-avantne peut être considérée commeconstitutionnelle que si sa contra-diction avec les lois ou les droitsfondamentaux est évidente, mani-feste ou patente et ne demandedonc aucun effort d’interprétation.Par voie de conséquence, sont ex-clus de cette interdiction légale lescas dans lesquels l’infraction nepeut être décelée que si l’autoritéadministrative dispose d’une cer-taine marge d’appréciation quant àl’illégalité de la dénomination attri-buée au parti qui dépose une de-mande d’inscription et d’attributionde personnalité morale. Sous cetteperspective, le Tribunal constitu-tionnel estime que la disposition enquestion n’est pas contraire à l’arti-cle 6 de la Constitution et rejettedonc le grief d’inconstitutionnalitéformulé à son encontre.

Enfin, le Gouvernement bas-que conteste l’article 12, § 3, de laLOPP, qui s’inscrit, comme le dispo-se lui-même le texte dudit article,dans le cadre des effets de la disso-lution judiciaire décrétée contre unparti politique. L’effet spécifiqueauquel fait référence la dispositionconcrète mise en cause, consiste àattribuer à la Chambre du tribunalayant statué, après avoir entendules intéressés, le pouvoir de « décla-rer l’illégalité de la continuité ou lasuccession d’un parti dissout à la-

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quelle fait référence l’alinéa 1,point b), dudit article », c’est-à-direle pouvoir d’empêcher la créationd’un nouveau parti politique ou l’u-tilisation d’un parti déjà inscrit auregistre s’il s’avère que ce nouveauparti poursuit ou succède à l’activi-té d’un parti antérieur ayant été dé-claré illégal et dissout. Pour que laChambre ayant décrété la dissolu-tion puisse se prononcer en ce sens,elle doit préalablement être saisiepar les instances qui sont expressé-ment habilitées à le faire, à savoir,outre les parties au procès à l’issueduquel a été décrétée la dissolu-tion, le ministère de l’Intérieur et leministère public, à condition -com-me le précise ladite dispositiondans son alinéa final- que le nou-veau parti qui poursuit ou succèdeà l’activité du parti antérieur, cher-che à obtenir son inscription au re-gistre et à acquérir une personnali-té morale.

Le Gouvernement basque for-mule un grief d’inconstitutionnalitéà l’encontre de cette disposition, es-timant que, dans l’incident de pro-cédure décrit ci-avant et visé à l’ar-ticle 12, § 3, de la LOPP, sont confé-rés à l’administration, de par « laprésence du ministère de l’Intérieurdans cet incident », des pouvoirs quivont au-delà de la fonction de sim-ple contrôle ou vérification de régu-larité des aspects d’ordre formel dela constitution du parti politique, ets’inscrivent dans le cadre proscritdes ingérences illégitimes de l’admi-nistration dans le droit fondamentalqui doit être exercé. Le requérantajoute que le ministère de l’Intérieurn’est pas seulement partie dans cetincident de procédure, mais aussisujet titulaire de l’action dans lamesure où il est expressément habi-lité par la loi à le soulever.

Le fait est que la loi part du prin-

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cipe que le ministère de l’Intérieurn’a pas le pouvoir, comme cela esttout à fait pertinent du point de vueconstitutionnel, de rejeter l’inscrip-tion d’un parti au motif qu’il pour-suit ou succède réellement ou defaçon présumée à l’activité d’unparti déclaré illégal, conformémentaux termes de la disposition mise encause. Dans ce contexte, le fait quele ministère de l’Intérieur soit habi-lité à saisir l’organe compétent pourque ce dernier se prononce à ce su-jet, ne revient nullement à lui con-férer des pouvoirs de décision im-pliquant une ingérence illégitimedans l’exercice du droit fondamen-tal, puisque, en définitive, la ques-tion de savoir s’il y a lieu d’empê-cher, sur la base de cet argument ju-ridique, la création et l’inscriptiondu nouveau parti, doit être élucidéepar la Chambre du tribunal ayantrendu l’arrêt de dissolution dans lecadre de ce que l’on pourrait appe-ler la procédure principale, confor-mément aux critères énoncés danscette même disposition.

Il y a donc lieu d’en conclure quel’article 12, § 3, de la LOPP n’est pascontraire au texte constitutionnel etde rejeter, par la même, le grief for-mulé à son encontre par le Gouver-nement basque.

Pour finir, le Tribunal constitu-tionnel tient à préciser l’étenduedu présent arrêt. Les précédentesconsidérations permettent d’enconclure au rejet du recours, enprécisant que les articles 3 § 1, 5 §1, 9 § 2 et 3, ainsi que la dispositiontransitoire unique, § 2, de la loi or-ganique relative aux partis politi-ques, ne sont constitutionnels ques’ils sont interprétés dans les ter-mes indiqués dans les considérantsen droit nº 10, 11, 12, 13, 16, 20 et21 du présent arrêt.

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PAR CES MOTIFS

Compte tenu de tout ce qui est ex-posé ci-avant, le Tribunal constitu-tionnel, en vertu de l’autorité quilui est conférée par la constitu-tion de la nation espagnole, a dé-cidé de

1) Rejeter la cause d’irrecevabilitéinvoquée par l’avocat de l’État.

2) Rejeter le présent recours d’in-constitutionnalité.

Ordre a été donné de procéder àla publication du présent arrêt au« Bulletin officiel de l’État ».

Ainsi fait et prononcé à Madrid,le douze mars deux mille trois.

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EXPOSITION DE MOTIFS

ILa Loi 54/1978, des Partis politiques,disposition pré-constitutionnellebrève en articles comme en conte-nus, a d’abord servi a établir unesimple procédure de constitution enliberté des partis politiques, objectif,d’autre part, non moindre au mo-ment de la fondation ou elle a étéédictée. Le reste des prévisions quiforment aujourd’hui leur statut juri-dique en Espagne a découlé de ceque contient la propre Constitution,de dispositions qui, comme les rè-glements parlementaires ou la Loiélectorale, concrétisent leur fonc-tion et leur rôle essentiel dan s no-tre système démocratique, de réfor-mes législatives postérieures com-me celles contenues dans le Codepénal sur I’illégalité de certaínes as-sociations ou celles sur le finance-ment des partís el, également, d’untravaíl interprétatif intense du Pou-voir judiciaire et du propre Tribunalconstitutionnel.

Apres que presque vingt-cinqans aient passé depuis l’approbationde cette Loi de Partis encore- en vi-gueur, résulte aujourd’hUi évidentel’insuffisance d’un statut des partis,incomplet et fragmentaire, dans lecadre d’une démocratie mûre et fer-mement consolidée dans laquelle lecaractère protagoniste et la signifi-cation constitutionnelle des partísn’a fait qu’augmenter.

Pour cela, il faut maintenant fai-re sa réforme qui est réclamée pourune série importante de raisons:

Il s’agit, en premier lieu, de re-cueillir de façon claire et systé-matique I’expérience accumuléedurant ces années.

Il s’agit, également, de rénoverdes dispositions ancrées dans lespréoccupations prioritaires dupassé, qui résultent inadéquateset insuffisantes pour disciplinerles nouvelles réalités du présent.Spécialement si I’on tient comptede la vigueur avec laquelle la so-ciété complète aujourd’hui l’ac-tion des institutions et ouvre denouvelles voies de participationou de relation avec celles-ci àtravers des instruments qui,comme les associations, les fon-dations ou les propres partis po-litiques, sont objet de la moderni-sation législative correspondante.

D’autre part, bien que les partispolitiques ne soient pas des organesconstitutionnels mais des entitésprivées de base associative, ils for-ment une partie essentielle de I’ar-chitecture constitutionnelle, réali-sent des fonctions d’une importan-ce constitutionnelle principale etdisposent d’une seconde nature quela doctrine résume généralementavec des références réitérées à leurimportance constitutionnelle et à lagarantie institutionnelle de ceux-ci

de la part de la Constitution. D’unpoint de vue ou d’un autre, le tempsprésent demande fortement le ren-forcement et I’amélioration de leurstatut juridique avec un régime auprofil plus net, plus soucieux de ga-rantie et plus complet. S’il en estainsi pour toute association, celadoit l’etre d’autant plus pour les as-sociations politiques, dont la finali-té est celle d’unir convictions et ef-foris pour répercuter sur la directiondémocratique des affaires publi-ques, contribuer au fonctionnementinstitutionnel et provoquer deschangements et des améliorations àpartir de l’exercice du pouvoir poli-tique. Mais, également, dans la me-sure ou les partis sont des instru-ments fondamentaux de l’action deI’État, dans un État de Droit avancéet exigeant comme celui dont nousjouissons qui pose des limites etétablit des garanties et des contro-les face à n’importe quel sujet, que-lle que soit son importance dans lastructure constitutionnelle. On peutmeme dire que plus l’imporiance dusujet et sa function dans le systèmeest grande, plus l’État de droit a in-térêt à affiner son régime juridique.

En plus de cela, il y a, enfin, dansnotre cas, une coïncidence généralesur la carence de la législation ac-tuelle au moment de concrétiser lesexigences constitutionnelles d’orga-nisation et de fonctionnement dé-mocratiques et d’action sujette à laConstitution et aux lois. Tant en ce

LOI ORGANIQUE 6/2002, DU 27 JUIN DES PARTIS POLITIQUES

Juan Carlos 1er, Roi d’Espagne

À tous ceux qui verraient et entendraient la présenteSachez : que le Congrès a approuvé et que je viens sanctionner la Loi organique suivante :

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qui concerne la compréhension despríncipes démocratiques et des va-leurs constitutionnelles qui doiventêtre respectées dans leur organisa-tion interne ou dans leur activité ex-terne, qu’en ce qui concerne les pro-cédures pour les rendre effectives.

Cette carence demande mainte-nant un effort ajouté pour complé-ter les dispositions en vigueur. L’ob-jectif est de garantir le fonctionne-ment du systeme démocratique etles libertés essentielles des citoyens,empêchant qu’un parti poljtiquepuisse, de façon réitérée et graveattenter contre ce régime démocra-tique de libertés, justifier le racismeet la xénophobie ou appuyer politi-quement la violence et les activitésde bandes terroristes. Spécialementsi ¡’on tient compte qu’en raison deI’activité du terrorisme, il est indis-pensable d’identifier et de différen-cier en toute clarté ces organisa-tions qui défendent et promeuventses idées et ses programmes, quellesqu’elles soient, même celles quiveulent réviser le propre cadre insti-tutionnel, avec un respect scrupu-leux des méthodes et des principesdémocratiques, des autres organi-sations qui appuient leur action po-litique sur la connivence avec la vio-lence, la terreur, la discrimination,l’exclusion et la violation des droitset des libertés.

A ces effets, on établit une pro-cédure judiciaire pour rendre illégalun parti quand il offre un appui po-litique réel et effectif à la violenceou au terrorisme, procédure diffé-rente de celle prévue dans le Codepénal pour dissoudre les associa-tions illicites pour les causes pré-vues à ses articles 515 et 520.

IIPour rendre effectifs ces objectifs, laprésente Loi organique des Partis po-

litiques, qui développe des prévisionsessentielles contenues aux articles 1,6, 22 et 23 de notre Constitution, in-corpore treize articles, groupés enquatre chapitres et se complete detrois dispositions additionnelles- quiincluent la réforme de deux articlesde la Loi organique 5/1985 du 19juin, du Régime électoral général etde l’article 61 de la Loi organique6/1985, du 1 er juillet, du Pouvoir ju-diciaire- une disposition transitoire,une disposition dérogatoire et deuxdispositions finales.

IIILe chapitre I consacre le principe deliberté, dans son triple versant de li-berté positive de création, libertépositive d’affiliation et liberté néga-tive d’ appartenance ou de partcipa-tion et perfectionne les procédurespour la création des partis politi-ques, en complétant les prévisionsexistant actuellement, en éclaircis-sant quelques doutes et en remplis-sant quelques vides. La loi n’intro-duit donc pas, dans ce paragraphe,de grandes modifications de fond etrespecte le principe d’interventionminimum qui se déduit de la propreConstitution.

L’inscription au Registre des Par-tis politiques de l’acte de fondationet des statuts confère au parti unepersonnalité juridique, rend publi-que la constitution et les status decelui-ci, contraint les pouvoirs pu-blics et c’est une garantie pour lestiers en relation avec le parti commepour les propres membres de celui-ci. Cette inscríption doit etre effec-tuée par le responsable du Registredans un délai indiqué et bref et aubout duquel on entend que l’ins-cription s’est produite.

Comme ajouts plus particulière-ment remarquables, on peut noterla lirnitation de l’article 2 pour que

celui qui a été auteur de certainesinfractions soit promoteur, lesprohibitions pour la dénominationdes partis contenues au paragraphe1 de l’article 3, la responsabilité despromoteurs prévue au paragraphe 1de l’article 4, la prévision d’une pro-cédure de correction de défauts for-mels ou la suspension du délaid’inscription lorsque l’une de cesdifférentes circonstances décrites al’article 5 se produit.

Dans ce dernier article on main-tient la prévision déjà contenuedans la Loi antérieure que les indi-ces de caractère illicite pénal d’unparti au moment de sa constitutionet de son inscription au Registrepeuvent mener à une déclarationpar le juge pénal, promue par le mi-nistère public, avec communicationpréalable du Ministère de l’lntérieurde l’illégalité du parti et de l’irrece-vabilité de son inscription.

IVLes plus grandes nouveautés de laLoi se trouvent au Chapitre II, d’oùdécoulent à leur tour, comme coro-llaire logique, les nouvelles disposi-tions du Chapitre III.

C’est dans ce chapitre II que seconcrétisent les critères de basepour garantir le mandat constitu-tionnel que l’organisation, le fonc-tionnement et l’activité des partíspolitiques doivent être démocrati-ques et s’ajuster aux dispositions dela Constitution et des lois, en déve-loppant, comme l’indique l’article 9«les fonctions qui lui sont constitu-tionnellement attribuées de façondémocratique et avec plein respectde pluralisme ».

D’une part, avec les articles 7 et8, cette Loi organique poursuit laconjugaison du respect à la capaci-té d’organisation et à la capacitéfonctionnelle des partis à travers

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leurs statuts, avec l’exigence dequelques éléments essentiels assu-rant l’application de principes dé-mocatiques dans leur organisationinterne et dans le fonctionnementde ceux-ci. Ainsi tient-on compte,en premier lieu des droits de leursaffiliés, mais on poursuit également«d’assurer I’exécution effective desfonctions qui leur ont été confiéesde façon constitutionnelle et légaleet, en dernier ressort, de contribuerà garantir le fonctionnement démo-cratique de l’État » (ATC 56/1995 du6 mars).

À partir de cette double perspec-tive, on prévoit un organe d’assem-blée de caractère participatif géné-ral auquel on réserve les compéten-ces les plus importantes dans la viedu parti, on établit le suffrage libreet secret comme moyen ordinairepour couvrir les postes de direction,on prévoit la censure démocratiquede ceux-ci, on reconnait quelquesdroits qui sont considérés essentielsdans tout cadre associatif et donttous doivent jouir également, com-me celui de participer a l’élection etd’être éligibles dans les organes, ouceux d’information des activités, dela situation économique et des per-sonnes qui forment les organes dedirection et on détermine quelquesregles essentielles de fonctionne-ment et de régime des réunions desorganes membres.

D’autre part, I’article 9 essaied’assurer le respect des partis auxprincipes démocratiques et auxdroits de l’homme. Pour ceci, face àl’énoncé générique de la Loi qui estdérogée maintenant, la présente loiorganique énumere avec un certaindétailles conduites qui, de façonplus notoire, violent ces principes,sur la base de deux fondements surlesque!s il convient de s’arreterbrievement.

La Loi choisit, en premier lieu, devérifier l’exactitude du caractère dé-mocratique d’un parti et de son res-pect des valeurs constitutionnelles,tenant compte non des idées ou desfinalités proclamées par celui-cimais de l’ensemble de son activité.De la sorte, les seules finalités expli-citement interdites sont celles quiretombent directement dans le faitpénalement illicite.

On sait bien que ce n’est pas laseule option qu’offrent les modèlesde droit comparé. La nécessité dedéfendre la démocratie de certainesfinalités odieuses et de méthodesdéterminées, de préserver ses clau-ses constítutives et les élémentssubstantiels de l’État de Droit, l’obli-gation des pouvoirs publics de fairerespecter les droits essentiels des ci-toyens ou la propre considérationdes partis comme sujets obligés àréaliser certaines fonctions consti-tutionnelles, ce pour quoi ils reçoi-vent un statut privilégié, ont menéquelques systèmes juridiques à for-muler catégoriquement un devoirstricte d’acceptation soumise, à éta-blir un lien encare plus tort a l’ordreconstitutionnel et, plus encare, à ré-clamer un devoir positif de réalisa-tion, de défense active et de péda-gogie de la démocratie. La non-exé-cution de ces devoirs les exclut del’ordre juridique et du systeme dé-mocratique.

Cependant, la présente Loi, a ladifférence d’autres systèmes juridi-ques, part de la considération quetout projet ou objectif est considérécompatible avec la Constitution,dans la mesure ou il ne se défendpas moyennant une activité qui vio-le les principes démocratiques ou lesdroits fondamentaux des citoyens.

Comme on l’indiquait déjà dansl’exposition des motifs de la Loi or-ganique 7/2000, du 22 décembre, il

ne s’agit pas, en toute évidence,d’interdire la défense d’idées ou dedoctrines, même si celles-ci s’éloig-nent et mettent même en questionle cadre constitutionnel.

Il faut conclure pour cela que,sous réserve d’autres modèles, lesprésentes dispositions se situentdans une position d’équilibre, conci-liant avec une extrême prudence laliberté inhérente au degré maximalde pluralisme avec le respect desdroits de l’Homme et de la protec-tion de la démocratie.

Cette ligne est confirmée avec lesecond des principes pris en consi-dération, qui est celui d’éviter derendre illégal un partí pour des con-duites isolées, à nouveau, sauf cellesde nature pénale, exigeant au con-traire, une récidive ou une accumu-lation d’actions qui manifestent defaçon non équivoque toute une tra-jectoire de violation de la démocra-tie et d’offense aux valeurs consti-tutionnelles, à la méthode démocra-tique et aux droits des citoyens.

À cela répondent les paragrap-hes a), b) et c) du paragraphe 2 del’article 9, qui établissent de façontrès claire la frontière entre les or-ganisations qui défendent leurs idé-es et programmes, quels qu’ilssoient, avec un respect scrupuleuxdes méthodes et príncipes démo-cratiques, de celles qui soutiennentleur action politique en connivenceavec la terreur ou la violence, ouavec violation des droits des cito-yens ou de la méthode et les princi-pes démocratiques.

VLorsqu’ont été énoncés par la Loi ledevoir de respect des partis politi-ques aux principes démocratiques etles valeurs constitutionnelles, etqu’ont été développés les élémentsindiciaires qui permettent de connai-

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tre lorsqu’un parti ne s’y ajuste paset doit, en conséquence, etre déclaréillégal, le chapitre III qui suit établitles garanties juridictionnelles quiexistent pour la défense des droits etdes príncipes constitutionnels de-vant les actions des partis. Evidem-ment, le point de départ est celui quiest établi par la propre Constitution:seule l’autoríté judiciaire est compé-tente pour contróler l’illégalité deleurs actions ou pour décréter, de-vant des violations répétées et gra-ves, la dissolution ou la suspensiondu propre parti politique.

Il est notoire que la jurispruden-ce a clarifié déjà les cas où il con-vient d’accéder a l’ordre juridiction-nel civil, en relation avec les préten-tions découlant du trafic jurídiqueprivé des partís ou formulées par lesmembres sur leur fonctionnementinterne ou ceux où est compétentl’ordre juridictionnel contentieux etadministratif en relation avec lesquestions suscitées dans les procé-dures administratives découlant dela Loi. De la même façon, le Codepénal et la Loi de Procédure crimi-nelle expliquent aujourd’hui les casoù il y a lieu de dissoudre ou de sus-pendre un parti par l’ordre juridic-tionnel pénal et la procédure à suiv-re pour qu’une décision si impor-tante se produise avec toutes lesgaranties.

Par conséquent, la principalenouveauté qui s’introduit mainte-nant est la réglementation de lacompétence et la procédure pour ladissolution judiciaire d’un partí quine respecte pas les principes démo-cratiques et les droits de l’Homme,procédure déjà énoncée dans la Loiqui est maintenant dérogée, maisjamais appliquée antérieurement.

La Loi organique résout cettegrave situation avec le critère géné-ral que préside le cadre constitu-

tionnel de fonctionnement des par-tis, c’est-a-dire, en signalant quecela pourra se faire uniquementmoyennant une décision judiciaire.Comme l’indique l’arrét du Tribunalconstitutionnel 3/1981 du 2 février,« La Constitution et également la lé-gislation ordinaire charge le Pouvoirjudiciaire et lui seul de la fonctionde se prononcer sur la légalité d’unparti politique. Précisément l’appelau pouvoir judiciaire qui peut dé-créter, comme on vient de le dire, sasuspension provisoire et, en dernierlieu, sa dissolution, constitue le mo-yen avec lequel l’État compte poursa défense au cas où il soit attaquépar un parti qui, par le contenu deses Statuts ou par sa façon d’agir enmarge de ceux-ci attente contre sasécurité ».

Le texte établit, en raison de l’im-portance et de la signification cons-titutionnelle des partis politiques et,en plus, de l’importance des déci-sions qui affectent leur déclarationd’illégalité ou qui justifient leur dis-solution, que ce soit la chambre spé-ciale du Tribunal supréme, prévue al’article 61 de la Loi organique dupouvoir judiciaire, l’organe compé-tent pour pouvoir dissoudre un par-ti politique, lorsque celui-ci exécutede graves conduites contraires a laConstitution. Chambre spéciale, qui,comme l’indique l’ordonnance du 9juillet 1999, de la propre Chambre,«symbolise par sa composition l’as-semblée plénière du Tribunal supré-me. L’assemblée plénière est, d’unecertaine maniere, I’assemblée plé-nière «réduite » -que l’on nous passecette expression si paradoxale qu’e-lle puisse paraître -, puisque dans sacomposition se trouve le propre pré-sident du Tribunal suprême et enfont partie également toutes leschambres en relation avec l’article55 de la Loi organique du Pouvoir

judiciaire qui forment ensemble leTribunal suprême, à travers leursprésidents respectifs et deux deleurs magistrats, le plus ancien et leplus récent de chacune d’elles. Onfait remarquer cela pour indiquerque la Chambre de l’artide 61 de laLoi organique du Pouvoir judiciaire,vu sa composition significative, jouitd’un statut de suprématie vis à visdes chambres ordinaires en ce quiest de la définition de leurs compé-tences et des compétences récipro-ques des premières. »

Pour que cette chambre puisseexaminer l’ajustement aux principesdémocratiques du fonctionnementet de l’activité du parti politique enquestion, est établit un proces judi-ciaire spécifique, préférentiel, enune seule instance, que seuls pou-rront initier le ministère public et leGouvemement, par eux-mémes oua l’instance de la Chambre des Dé-putés ou du Sénat. Cette procédurea une forme classique, basée sur l’é-criture, avec une série de démarchesconventionnelles (allégations, preu-ve, nouvelles allégations et arrêt)qui, vu les délais et sa forme d’arti-culation, combinent les principes desécurité juridique et de droit de dé-fense avec celui de rapidité et s’at-tache à ce que l’incertitude quepeut provoquer l’initiation de cetteprocédure ne soit pas augmentéepar un suivi trop long.

L’arrêt rendu par la chambrespéciale ne sera objet d’aucun re-cours, sous réserve, le cas échéant,du recours d’ «amparo» (protection)du Tribunal constitutionnel et il se-ra exécutif à partir du moment de sanotification.

L’article 12 détaille finalementles effets de la dissolution judiciaired’un parti politique. Après la notifi-cation de l’arrêt, on en viendra à lacessation immédiate de toute l’acti-

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61Loi sur les partis politiques et Batasuna

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vité du parti politique en questionet sera présumée frauduleuse etdonc, ne pourra prospérer la consti-tution d’une formation qui continueou succède à celle déclarée illégaleet dissoule. La dissolution suppose-ra également l’ouverture d’unprocès de liquidation patrimonialeet le patrimoine net en résultant se-ra destiné à des activités d’intéretsocial ou humanitaire.

VILa réglementation contenue danscette Loi organique est complétéeen s’en remettant a d’autres dispo-sitions légales pour les questionstouchant le financement des partis(Chapitre IV) et à plusieurs disposi-tions complémentaires qui, entreautres choses, permettent d’ajusterà la nouvelle Loi les prévisions de laLoi organique du pouvoir judiciaire(Première dísposition additionnellepour que la chambre spéciale du Tri-bunal suprême connaisse de cescas), et de la Loi organique du Régi-me électoral général (seconde dis-position additionnelle, pour préciserque n’est pas valable non plus lafraude qui consiste à constituer, enpériode électorale, des groupementsd’électeurs qui viennent succéder,de fait, à un parti politique dissoutou suspendu).

En ce qui concerne le finance-ment, il faut faire remarquer quel’on s’en remet à la Loi de Finance-ment des Partis, mais également aurégime d’accréditation et des res-ponsabilités établi dans la Loi orga-nique 2/1982, du 12 mai, de la Courdes Comptes, et dans la Loi 7/1988,du 5 avril, du Fonctionnement de laCour des Comptes.

Enfin, en ce qui conceme lacompétence de la chambre spéciale,la Loi accumule la garantie que cesoit elle qui soit compétente pour

connaitre et décider dans les cas defraude, soit dans sa condition dechambre qui juge (paragraphes 2 et3 de l’article 12), soit par l’appel ex-press qui est introduit maintenantdans la législation électorale pour larésolution de recours contre la pro-clamation ou non de groupementsd’électeurs (seconde disposition ad-ditionnelle), soit pour la prévisiondu 2ème paragraphe de la disposi-tion transitoire unique, sur la suc-cession de partís pour éviter les ef-fets de la présente Loi.

CHAPITRE I

DE LA CRÉATÍON DES PARTIS POLITIQUES

Article 1. Liberté de création et af-filiation.

1. Les Espagnols peuvent créer li-brement des partis politiques selonce qui est disposé dans la Constitu-tion et dans la présente Loi organi-que. 2. L’affiliation a un parti politiqueest libre et volontaire. Personne nepeut être obligé de constituer unparti ou d’en faire partie ou d’y res-ter. 3. Les partis politiques peuventconstituer et enregistrer des fédéra-tions, confédérations et unions departis moyennent l’application de cequi est prévu au présent chapitre etavec l’accord express préalable deses organes compétents.

Article 2. Capacité pour constituerun parti.

1. Les promoteurs d’un parti politi-que doivent etre des personnesphysiques, majeures, se trouvant enplein exercice de leurs droits, n’é-tant sujettes a aucune condition lé-

gale pour I’exercice de ceux-ci etn’ayant pas été pénalement con-damnées pour association illicite oupour quelqu’une des infractionsgraves prévues aux Titres XXI a XXIVdu Code pénal. Cette dernière caused’incapacité n’affecte pas les per-sonnes qui ont été judiciairementréhabilitées.2. Les partis politiques constituéspeuvent établir dans leurs statuts lacréation et la reconnaissance d’or-ganisations juvéniles.

Article 3. Constitution et person-nalité juridique.

1. L’accord de constitution doit seformer moyennant un acte de fon-dation, qui devra etre établi sur undocument public et contenir, entout cas, l’identification personnelledes promoteurs, la dénomination duparti qui prétend être constitué, lesmembres des organes de directionprovisoire, le domicile et les statutspar lesquels doit se régir le parti quitente de se constituer. La dénomination des partis ne peutinclure de termes ou d’expressionsinduisant a l’erreur ou a la confusionsur son identité ou étant contrairesaux lois ou aux droits fondamentauxdes personnes. Elle ne peut pas nonplus coincider, ressembler ou s’iden-tifier, meme phonétiquement, aveccelle d’aucun autre parti préalable-ment inscrit au registre ou déclaréillégal, dissout ou suspendu par dé-cision judiciaire, avec l’identificationde personnes physiques ou avec ladénomination d’entités préexistan-tes ou de marques enregistrées. 2. Les partis politiques acquièrentune personnalité juridique par l’ins-cription au Registre des Partis poli-tiques qui, à ces effets, se trouveraau Ministère de l’lntérieur, moyen-nant présentation de l’acte de fon-

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dation souscrit par ses promoteurs,accompagné des documents qui ac-créditent l’exécution des conditionsrequises prévues dans la présenteLoi organique.

Article 4. Inscription au Registre.

1. Les promoteurs des partis politi-ques effectuent les procédures né-cessaires à leur inscription. Les pro-moteurs des partis non inscrits ré-pondent de façon personnelle et so-lidaire des obligations contractéesavec les tiers, lorsqu’ils ont manifes-té qu’ils agissent au nom du parti. 2. Dans les vingt jours suivants laprésentation de la documentationcomplète au Registre des Partis po-litiques, le Ministère de l’lntérieurprocède à effectuer l’inscription duparti. Ce délai reste pourtant sus-pendu si l’on considere nécessaired’initier l’une des procédures pré-vues a l’article suivant. 3. Sauf dans les cas de suspensiondu délai auquel se réfère le para-graphe antérieur, une fois passés lesvingt jours dont dispose le Ministèrede l’intérieur, on considère que l’ins-cription a eu lieu, qui confère la per-sonnalité juridique, rend publics laconstitution et les statuts de celui-ci, contraint les pouvoirs publics etest une garantie aussi bien pour lestiers qui ont des relations avec leparti que pour ses propres membres. 4. L’inscription au Registre produitdes effets indéfiniment tant que n’yest pas annotée sa suspension ou sadissolution, soit par notification dela décision rendue par le propre par-ti en accord avec les prévisions sta-tutaires, soie parce qu’il est déclaréjudiciairement illégal et dissout oususpendu. Tout ceci sous réserve desdispositions du paragraphe 6, del’article 10 et, en ce qui concerne laportée et les effets de la suspension,

du paragraphe 8 de l’article 11 de laprésente Loi organique.

Article 5. Examen des conditionsrequises pour l’inscription.

1. Lorsqu’on remarque des défautsde forme dans I’acte de fondationou dans la documentation qui l’ac-compagne, ou lorsque ceux qui leproposent n’ont pas de capacité lé-gale, le Ministère de l’lntérieur lemet à la connaissance des intéres-sés pour qu’ils puissent corriger lesdéfauts remarqués. Dans ce cas, ledélai de I’inscription est suspendu àpartir du moment de la notificationet se rétablit une fois qu’ils ont étédûment corrigés. 2. Lorsqu’on déduit de la docu-mentation présentée des indices ra-tionnels en ce qui concerne le ca-ractère illicite pénal du parti, le Mi-nistère de l’lntérieur le met a la con-naissance du ministère public, dansun délai de vingt jours auquel seréfère l’article antérieur, moyennantune décision fondée accompagnéedes éléments probatoires disponi-bles pour apprécier ces indices. 3. Le Ministère public, dans un dé-lai de vingt jours à partir du mo-ment de la réception de la commu-nication à laquelle se réfère le para-graphe antérieur, opte, en fonctionde ce que les indices de caractèreillicite pénal soient ou non considé-rés suffisants, pour exercer devantla juridiction pénale des actions quicorrespondent ou pour renvoyer lacommunication au Ministère del’Intérieur aux effets d’en compléterl’inscription. 4. Le renvoi de la communicationau ministère public détermine lasuspension du délai prévu au para-graphe 2 de l’aíticle antérieur, du-rant le temps passé jusqu’à la remi-se par celui-ci au Ministère de l’ln-

térieur de la communication fondéesur la non appréciation de motifssuffisants de caractère illicite pénalou jusqu’à la décision du juge pénalsur le caractère adéquat on non del’inscription ou, le cas échéant,comme mesure préventive, sur lareprise provisoire du délai pourl’inscription. Ce renvoi et la suspen-sion correspondante du délai pourl’inscription sont immédiatementnotifiés aux promoteurs intéressés. 5. Les procédures administrativesen ce qui conceme l’inscription duparti politique peuvent être objet derecours devant la juridiction du con-tentieux administratif en vertu desprévisions de la Loi de la Juridictiondu Contentieux administratif. 6. Lorsqu’est poursuivie l’inscrip-tion au Registre des Partis politi-ques d’un parti qui prétend conti-nuer ou succéder a l’activité d’unautre déclaré illégal et dissout, onagit en vertu des prévisions de l’ar-ticle 12 de cette Loi organique.

CHAPITRE II

ORGANISATION, FONCTIONNEMENT ET ACTI-VITÉS DES PARTIS POLITIQUES

Article 6. Principes démocratiqueset de légalité.

Les partis politique ajustent leur or-ganisation, leur fonctionnement etleur activités aux principes démo-cratiques et aux dispositions de laConstitution et des Lois.

Article 7. Organisation et fonction-nement.

1. La structure interne et le fonc-tionnement des partis politiquesdoivent être démocratiques. 2. Sans préjudice de leur capacité

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d’organisation interne, les partisdoivent avoir une assemblée géné-rale de l’ensemble de leurs mem-bres, qui pourront agir directementou par l’intermédiaire de représen-tants, et à laquelle correspond, entout cas, en tant qu’organe supé-rieur de gouvernement du parti, l’a-doption des accords les plus impor-tants de celui-ci, y compris sa disso-lution. 3. Les organes directifs des partíssont déterminés dans les statuts etdoivent être pourvus moyennant unsuffrage libre et secret.4. Les statuts ou les règlements in-ternes qui les développerit, doiventfixer pour les organes membres undélai suffisant de convocation desréunions pour préparer les points àdébattre, le nombre de membres re-quis pour l’indusion d’affaires a l’or-dre du jour, des règles de délibéra-tion permettant la contre-positiond’opinions et la majorité requisepour l’adoption d’accords. Cettedernière est, en général, la majoritésimple des personnes présentes oureprésentées. 5. Les statuts doivent prévoir, éga-lement, des procédures de contrôledémocratique des dirigeants élus.

Artide 8. Droits et devoirs des affi-liés.

1. Les membres des partis politi-ques doivent être des personnesphysiques, majeures et n’ayant pasleur capacité d’agir limitée ou res-treinte. Tous ont les mèmes droits etdevoirs. 2. Les statuts contiennent une listedétaillée des droits des membres,incluant, en tout cas, les suivants :

a) Participer aux activités duparti et aux organes de gouver-nement et représentation, exer-cer le droit de vote, ainsi qu’as-

sister à l’Assemblée générale, enaccord avec les statuts. b) Etre électeurs et éligibles pourles fonctions de celui-ci.c) Etre informés de la composi-tion des organes de direction etd’administration ou des déci-sions adoptées par les organesde direction, des activités réalisé-es et de la situation économique. d) Attaquer les accords des or-ganes du parti jugés contraires àla Loi ou aux statuts.

3. L’expulsion et le reste des mesu-res de sanction qui impliquent laprivation de droits aux affiliés nepeuvent s’imposer que moyennantdes procédures contradictoires, danslesquelies sont garantis aux person-nes affectées le droit d’être informé-es des faits donnant lieu à de tellesmesures, le droit d’être écoutéespréalablement à l’adoption de cesmesures, le droit à ce que l’accordqui impose une sanction soit motivéet le droit de formuler, le cas éché-ant, un recours interne. 4. Les affiliés à un parti politiquedoivent remplir les obligations quiressortent des dispositions du sta-tut, et en tout cas, les suivantes:

a) Partager les finalités du parti,et collaborer à leur obtention. b) Respecter ce qui est disposédans les statuts et dans les lois. c) Accepter et exécuter les ac-cords adoptés de façon validepar les organes de direction duparti. d) Payer les montants et autresapports qui, en vertu des statuts,peuvent correspondre à chacun.

Article 9. Activité.

1. Les partis politique exercent li-brement leurs activités. Ils doiventrespecter dans ces activités les va-leurs constitutionnelles, exprimées

dans les principes démocratiques etdans les droits de l’Homme. Ils rem-plissent les fonctions qui leur sontconstitutionnellement attribuées defaçon démocratique et avec le totalrespect du pluralisme. 2. Un parti politique est déclaréillégal lorsque son activité viole lesprincipes démocratiques, particuliè-rement lorsque son activité poursuitla détérioration ou la destruction durégime de libertés ou rendre impos-sible ou éliminer le système démo-cratique, moyennant l’une des con-duites suivantes, effectuées defaçon réitérée et grave:

a) Violer systématiquement leslibertés et les droits fondamen-taux, en promouvant, justifiantou excusant les attentats contrela vie ou l’intégrité des perso-mes, ou l’exclusion ou persécu-tion des personnes en raison deleur idéologie, religion, ou cro-yances, nationalité, race, sexe ouorientation sexuelle. b) Fomenter, faciliter ou légiti-mer la violence comme méthodepour obtenir des objectifs politi-ques ou pour faire disparaître lesconditions précises pour l’exer-cice de la démocratie, du plura-lisme et des libertés politiques. c) Compléter et appuyer politi-quement l’action d’organisationsterroristes pour obtenir leurs fi-nalités de subvertir l’ordre consti-tutionnel ou d’altérer gravementla paix publique, en essayant desoumettre à un climat de terreurles pouvoirs publics, certainespersonnes ou groupes de la so-ciété ou la population en généralou contribuer a multiplier les ef-fets de la violence terroriste et dela peur et l’intimidation engen-drée par celle-ci.

3. On considère que concourentdans un parti politique les circons-

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tances du paragraphe antérieurlorsque se produit la répétition oul’accumulation de quelqu’une desconduites suivantes :

a) Donner un appui politique ex-press ou tacite au terrorisme, enlégitimant les actions terroristespour l’obtention de finalités poli-tiques en marge des voies pacifi-ques et démocratiques, ou en ex-cusant et en minimisant leur sig-nification et la violation de droitsfondamentaux qu’il comporte. b) Accompagner l’action de laviolence avec des programmes etdes actions qui fomentent uneculture d’affrontement et deconfrontation civile liée a l’activi-té des terroristes ou qui poursui-vent l’intimidation, faire renon-cer, neutraliser ou isoler sociale-ment ceux qui s’opposent à celle-ci, les faisant vivre quotidienne-ment dans une ambiance de con-trainte, de peur, d’exclusion ou deprivation basique des libertés et,en particulier, de la liberté d’ex-primer són opinion et de partici-per de façon libre et démocrati-que aux affaires publiques. c) Inclure de façon régulieredans leurs organes de directionou dans leurs listes électoralesdes personnes condamnées pourdes infractions de terrorisme quin’aient pas rejeté publiquementles finalités et les moyens terro-ristes, ou qu’un grand nombrede leurs affiliés maintiennentune double militance dans desorganisations ou des entités lié-es à un groupe terroriste ou vio-lent, à moins qu’ils aient adoptédes mesures disciplinaires con-tre ces derniers conduisant àleur expulsion. d) Utiliser comme instrumentsde l’activité du parti, conjointe-ment avec les leurs ou en subs-

titution de ceux-ci, des symbo-les, messages ou éléments quireprésentent ou s’identifientavec le terrorisme ou la violenceet avec les conduites associées àcelui-ci. e) Céder en faveur des terroris-tes ou de ceux qui collaborentavec eux, les droits et prérogati-ves que le systeme juridique etconcretement la législation élec-torale concedent aux partis poli-tiques. f) Collaborer habituellement avecdes entités ou des groupes quiagissent de façon systématiqueen accord avec une organisationterroriste ou violente ou qui pro-tegent ou appuient le terrorismeou les terroristes. g) Appuyer depuis les institu-tions, dans lesquelles on gouve-me, avec des mesures adminis-tratives, économiques ou de toutautre ordre, les entités mention-nées au paragraphe antérieur. h) Promouvoir, couvrir ou partici-per à des activités qui aient pourobjet de récompenser, de rendrehommage ou de distinguer lesactions terroristes ou violentesou ceux qui les commettent oucollaborent avec celles-ci. i) Couvrir les actions de désor-dre, intimidation ou contraintesociale liées au terrorisme ou ala violence.

4. Pour apprécier et évaluer les ac-tivités auxqueUes se réfere le pré-sent article et la continuité ou répé-tition de celles-ci au loin de la tra-jectoire d’un parti politique, mêmesi celui-d a changé de nom, on tientcompte des décisions, documents,et communiqués du parti, de ses or-ganes et de ses groupes parlemen-taires et municipaux, de déroule-ment de ses actes publics et desconvocations de citoyens, des mani-

festations, des interventions etcompromis publics de leurs dirige-ants et des membres de ses groupesparlementaires et municipaux, despropositions formulées au sein desinstitutions ou en marge de celles-ci ainsi que des attitudes répétéesde façon significative de ses mem-bres ou de ses candidats.

On prend également en considé-ration les sanctions administrativesimposées au parti politique ou à sesmembres et les condamnations pé-nales qui soient retombées sur sesdirigeants, candidats, cadres élus,ou affiliés, pour infractions qualifié-es aux Titres XXI à XXIV du Code pé-nal, sans qu’aient été adoptées demesures disciplinaires contre ceux-ci conduisant à leur expulsion.

CHAPITRE III

DE LA DISSOLUTION OU SUSPENSION JUDI-CIAIRE DES PARTIS POLITIQUES

Article 10. Dissolution ou suspen-sion judiciaire

1. En plus de la dissolution par dé-cision de ses membres, décrétéepour les causes et par les procédu-res prévues dans ses statuts, la dis-solution ou, le cas échéant, la sus-pension d’un partí politique ne peutavoir lieu que par décision de I’au-torité judiciaire compétente et dansles termes prévus aux paragraphes2 et 3 du présent article. La dissolu-tion produit des effets à partir deson annotation au Registre des par-tis politiques, après notification dupropre parti ou de I’organe judiciai-re qui décrète la dissolution. 2. la dissolution judiciaire d’unparti politique est décidée par I’or-gane jurididionnel compétent dansles cas suivants :

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a) Lorsqu’il tombe dans des casqualifiés comme ássociation illi-cite dans le Code pénal. b) Lorsqu’il viole de façon conti-nue, réitérée et grave I’exigenced’une structure interne et d’unfonctionnement démocratique,en vertu de ce qui est prévu auxarticles 7 et 8 de la présente Loiorganique. c) Lorsque, de façon réitérée etgrave, son activité viole les prín-cipes démocratiques ou tache dedétéríorer ou de détruire le régi-me de libertés ou rendre impossi-ble ou éliminer le système démo-cratique, moyennant les condui-tes auxquelles se réfere l’article 9.

3. La suspension judiciaire d’unparti politique n’a lieu que si le Co-de pénal en dispose ainsi. On peutégalement la décider comme mesu-re préventive, en vertu des disposi-tions de la Loi de Procédure crimi-nelle ou dans les termes du para-graphe 8 de l’article 11 de la présen-te Loi organique. 4. Le cas prévu au paragraphe a) del’alinéa 2 du présent article est réso-lu par le juge compétent dans l’ordrejurídictionnel pénal, en accord avecce que disposent la Loi organique duPouvoir judiciaire, la Loi de Procédu-re críminelle et le Code pénal. 5. Les cas prévus aux paragraphesb) et c) de l’alinéa 2 de cet articlesont résolus par la Chambre spécia-le du Tribunal suprême réglementéeà l’artlcle 61 de la Loi organique duPouvoir judiciaire, en accord avec laprocédure établie à l’article suivantde la présente Loi organique, qui aun caractère préférentiel. 6. La coincidence éventuelle dansle temps des procédures judiciairesprévues aux paragraphes 4 et 5 decet article au sujet d’un meme partipolitique n’a pas d’interférences surla continuation des deux jusqu’à ce

qu’elles finissent, et chacune d’ellesproduit les effets correspondants.On ne peut, au contraire, décider ladissolution volontaire d’un parti po-litique lorsqu’a été commencé unproces de déclaration judiciaire d’i-llégalité de celui-ci en raison de l’unou l’autre paragraphe ou des deux.

Article 11. Procédure.

1. Le Gouvernement et le ministèrepublics sont légitimés pour pro-mouvoir la déclaration d’illégalitéd’un parti politique et sa consé-quente dissolution, en vertu de ceque disposent les paragraphes b) etc) du n° 2 de I’article antérieur decette Loi organique. La Chambre des Députés ou le Sénatpeuvent demander au Gouveme-ment de solliciter de rendre illégalun parti politique, et le Gouveme-ment est obligé de formaliser la de-mande correspondante de le rendreillégal, après délibération du Conseildes ministres, pour les causes indi-quées a l’article 9 de la présente Loiorganique. Le suivi de cet accords’ajuste à la procédure établie, res-pectivement, par le bureau de laChambre des députés et du Sénat. 2. L’action par laquelle on prétendla déclaration à laquelle se réfère leparagraphe antérieur s’initie au mo-yen d’une demande présentée de-vant la chambre spéciale du Tribu-nal suprême prévue a l’article 61 dela Loi organique du Pouvoir judiciai-re, a laquelle sont joints les docu-ments qui accréditent le concoursdes motifs d’illégalité. 3. La Chambre procède immédiate-ment à la citation du parti politiqueaffecté, en fui transmettant la de-mande, pour qu’il puisse comparai-tre devant elle dans un délai de huitjours. Lorsqu’il a comparu en bonneet due forme ou qu’a passé le délai

correspondant sans qu’il ait compa-ru, la Chambre analyse l’admissioninitiale de la demande et peut nepas admettre celle-ci moyennantordonnance si concourt l’une descauses suivantes :

a) qu’elle ait été introduite parune personne non légitimée ounon dûment représentée. b) Que de façon manifeste nesoient pas remplies les condi-tions requises substantives oude forme pour son admission. c) Que la demande manque ma-nifestement de fondement.

L ‘appréciation du concours de quel-qu’une des causes indiquées est ma-nifestée aux parties pour qu’ellespuissent formuler leur allégationssur celle-ci dans un délai communde dix jours. 4. Une fois la demande admise, oncite le défendeur, s’il a comparu,pour la réponse à la demande dansun délai de vingt jours. 5. Si les parties l’ont proposé dansleurs écrits de demande ou de répon-se ou que la Chambre le considèrenécessaire, s’ouvre une période depreuve réglementé en ce qui conce-me ses délais et son suivi par les dis-positions qui sont contenues à ce su-jet aux Chapitres V et VI du Titre I duLivre II de la Loi de Procédure civile. 6. On fait voir l’ensemble de lapreuve administrée aux parties, quipeuvent formuler leurs allégationssur celle-ci dans un délai successifde vingt jours, et une fois passé,qu’elles aient été formulées ou non,le procès est en état d’être jugé, ju-gement qui doit être rendu dans lesvingt jours. 7. L’arrêt rendu par la Chambrespéciale du Tribunal suprême, quipourra déclarer la dissolution duparti politique ou rejeter la deman-de, n’est objet d’aucun recours, sousréserve, le cas échéant, du recours d’

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«amparo» (protection) devant le Tri-bunal constitutionnel; il est exécutifà partir du moment de sa notifica-tion. Si la dissolution est décrétée, laChambre ordonne l’annulation del’inscription correspondante au re-gistre et le jugement produit les ef-fets déterminés à l’article suivant decette Loi organique. Si la demandeest rejetée, elle ne peut être réitéréeque si sont présentés devant le Tri-bunal suprême de nouveaux élé-ments de fait, suffisants pour effe-duer des évaluations, sur l’activitéillégale d’un parti, différentes de ce-lles déjà contenues dans l’ arrêt. 8. La Chambre, durant le suivi duprocès, d’office ou a l’instance departie, peut adopter toute mesurepréventive prévue dans la Loi deprocédure civile en vertu de la pro-cédure prévue dans celle-ci. En par-ticulier, la Chambre peut décider lasuspension préventive des activitésdu parti jusqu’à ce qu’elle rendal’arrêt, avec la portée et les effetsqu’elle juge opportuns pour sauve-garder l’intéret général. Dans ce cas,la Chambra ordonne l’annotationcorrespondante préventive au Re-gistre des Partis politiques.

Article 12. Effets de la dissolutionjudiciaire.

1. La dissolution judiciaire d’unparti politique produit les effetsprévus dans les lois, et en particu-lier, les suivants :

a) Après la notification de l’arrêtdans lequel est décidée la disso-lution, a lieu la cessation immé-diate de toute l’activité du partipolitique dissout. La non applica-tion de cetle disposition donnelieu à responsabilité, en vertu dece qui est établi au Code pénal. b) Les actes exécutés en fraudede loi ou avec abus de personna-

lité juridique n’empêchent pas ladue application de celle-ci. Onprésumera frauduleuse et ne se-ra pas recevable la création d’unnouveau parti politique ou l’uti-lisation d’un autre déjà inscrit auRegistre qui continue ou succè-de à l’activité d’un parti déclaréillégal et dissout. c) La dissolution détermine l’ou-verture d’un processus de liqui-dation patrimoniale, menée àbien par trois liquidateurs désig-nés par la Chambre qui a jugé. Lepatrimoine net résultant estdestiné par le Trésor à des activi-tés d’intéret social ou humani-taire.

2. Il correspond à la Chambre qui ajugé d’assurer, en procédure d’exé-cution d’arrêt, que soient respectéset exécutés tous les effets prévuspar les lois en cas de dissolutiond’un parti politiqueo.3. En particulier, il correspond a laChambre qui a jugé, après audiencedes intéressés, de déclarer l’irrece-vabilité de la continuité ou succes-sion d’un parti dissout à laquelle seréfère le paragraphe b) du para-graphe 1, en tenant compte, pourdéterminer la connexion, de la simi-litude substantielle des deux partispolitiques, de leurs structure, orga-nisation, et fonctionnement, despersonnes qui les composent, régis-sent, represèntent ou administrent,de la provenance des moyens de fi-nancement ou matériels, ou de tou-te autre circonstance importante,qui, comme leur disposition à appu-yer la violence ou le terrorisme, per-mettent de considérér cette conti-nuité ou succession en contrasteavec les données et documents setrouvant dans le proces dans lequelil a été décrété de le rendre illégal etde le dissoudre. En plus des partiesde ce procès, le ministre de l’lnté-

rieur et le ministère public peuventdemander le prononcé de la Cham-bre qui juge, au cas où il se présen-te pour son inscription en vertu desdisposítions des articles 4 et 5 decette Loi organique. 4. La Chambre qui juge rejete defaçon fondée les demandes, inci-dents, et exceptions qui sont for-mulées avec un abus manifeste dudroit ou comportent un abus de lapersonnalité juridique, fraude de loiou fraude du procès.

CHAPITRE IV

DU FINANCEMENT DES PARTIS POLITÍQUES

Article 13. Financement

1. Le financement des partis politi-ques s’effectue en vertu de ce queprévoit la Loí organíque 3/1987 du 2juiilet, sur le Financement des Partispolítiques. 2. En vertu de celle-ci et avec ceque dispose la Loi organique2/1982, du 12 mai, de la Cour desComptes et avec la Loi 7/1988, du 5avril, de Fonctionnement de la Courdes Comptes, les partis politiquesassument les obligations formelleset personnelles en ce qui concernel’accréditation de finalítés et l’exé-cution des conditions requises pré-vues dans ladite disposition en cequi concerne le contrôle des fondspublícs qu’ils reçoívent.

PREMIÈRE DISPOSITION ADDITIONNELLE. MO-DIFICATION DE LA LOI ORGANIQUE 6/1958,DU 1ER JUILLET, DU POUVOIR JUDICIAIRE.

On ajoute un nouveau numéro 6ème

au paragraphe 1 de l’article 61 de faLoi organique 6/1985, du 1er juillet,du Pouvoir judiciaire, ayant le con-tenu suivant :

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67Loi sur les partis politiques et Batasuna

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« 6ème Des procès de déclarationd’illégalité et de dissolution con-séquente des partis politiques,en vertu des dispositions dans laLoi organique 6/2002, du 27juin, des Partis politiques ».

SECONDE DISPOSITION ADDITIONNELLE.MODIFICATIONS DE LA LOI ORGANIQUE

5/1985, DU 19 JUIN, DU RÉGIME ÉLEC-TORAL GÉNÉRAL.

1. On ajoute un nouveau paragrap-he 4 a l’article 44 de la Loi organi-que 5/1985 du 19 juin, du Régimeélectoral général ayant le contenusuivant:

« 4. Ne peuvent pas présenter decandidatures les groupes d’élec-teurs qui, de fait, viennent conti-nuer ou succéder a l’activité d’unparti politique déclaré judiciaire-ment illégal et dissout ou suspen-du. A ces effets, on tient comptede la similitude substantielle desdeux partis politiques, de leursstructures, organisation, et fonc-tionnement des personnes qui lescomposent, régissent, représen-tent ou administrent, de la prove-nance des moyens de finance-ment ou matériels, ou de touteautre circonstance importante,qui, comme leur disposition à ap-puyer la violence ou le terrorisme,permettent de considérer cettecontinuité ou succession ».

2. On ajoute un nouveau paragrap-he 5 a l’article 49 de la Loi organi-que 5/1985, du 19 juin, du Régimeélectoral général, ayant le contenusuivant :

« 5. Les recours prévus au pré-sent article s’appliquent aux casde proclamation ou d’exclusionde candidatures présentées parles groupes d’électeurs auxquelsse réfere le paragraphe 4 de l’ar-ticle 44 de la présente.

Loi organique, avec les exceptionssuivantes :

a) Le recours auquel se réfère lepremière paragraphe du présentarticle sera introduit devant laChambre spéciale du Tribunalsuprême réglementée à l’article61 de la Loi organique du Pou-voir judiciaire. b) Sont également légitiméspour interjeter le recours ceuxqui le sont pour solliciter la dé-claration d’illégalité d’un partipolitique, en vertu des disposi-tions du paragraphe 1 de l’arti-cle 11 de la Loi organique desPartis politiques. »

TROISIEME DISPOSITION ADDITIONNELLE :CARACTÈRE SUPPLÉTOIRE.

Dans la procédure d’inscription departis réglementée au chapitre III,est applicable également la Loi30/1992, du 26 novembre, du Régi-me juridique des Administrationspubliques et de la Procédure admi-nistrative commune, dans toutes lesquestions non réglementées dans laprésente Loi organique et leurs dis-positions d’application.

DISPOSITION TRANSITOIRE UNIQUE.

1. Les partis politique inscrits auRegistre du Ministère de l’lntérieur àl’entrée en vigueur de la présenteLoi organique sont sujets à celle-ciet conservent leur personnalité juri-dique et la plénitude de leur capaci-té sous réserve d’adapter leurs sta-tuts, en cas nécessaire, dans un dé-lai d’un an.2. Aux effets d’appliquer ce qui estprévu au paragraphe 4 de l’article 9aux activités effectuées postérieu-rement à l’entrée en vigueur de laprésente Loi organique, est considé-ré fraude de loi la constitution, à

une date immédiatement antérieureou postérieure à cette entrée en vi-gueur, d’un parti politique qui con-tinue ou succede à l’activité d’unautre, effectuée dans l’intentiond’éviter l’application à celui-ci desdispositions de cette Loi. Celan’empêche pas cette application, etl’on peut intervenir vis à vis de ce-lui-ci en vertu des prévisions des ar-ticles 10 et 11 de cette Loi organi-que, et c’est à la Chambre spécialedu Tribunal suprême qu’il corres-pond d’apprécier la continuité ousuccession et l’intention de frauder.

DISPOSITION DÉROGATOIRE UNIQUE.

Sont dérogées toutes les disposi-tions qui s’opposent à la présenteLoi organique et, en particulier, laLoi 54/1978, du 4 décembre, desPartis Politiques, et les articles en vi-gueur de la Loi 21/1976, du 14 juin.

PREMIERE DISPOSITION FINAIE. APPLICA-TION RÉGLEMENTAIRE.

Le Gouvemement a la faculté derendre toutes les dispositions né-cessaires pour appliquer et dévelop-per cette Loi, spécialement en ce quiconcerne l’acte de fondation et sadocumentation complémentaire etle Registre des Partis pol¡tiques pré-vus à son chapitre l.

SECONDE DISPOSITION FINALE. ENTRÉE EN

VIGUEUR.

La présente Loi organique entrera envigueur le lendemain du jour de sapublication au « Joumal officiel del’État ».

Pour cela, J’ordonne à tous les Espagnols, parti-culiers et autorités, d’observer et defaire observer cette Loi organique.

Madrid, le 27 juin 2002

JUAN CARLOS R. Le président du Gouvemement En fonction, MARIANO RAJOY

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La Constitution espagnole

La Constitution espagnole. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

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La Constitution espagnole de1978 fête son vingt-cinquièmeanniversaire. L’heure des bilansest venue. C’est aussi le momentd’aborder, avec un nouveau re-cul, les projets laissés en suspensil y a vingt-cinq ans, car, commel’a si bien écrit Ortega y Gasset,une nation est avant tout un in-téressant projet de vie en com-mun. À partir de la transitionpolitique, qui a permis le passa-ge d’un régime autoritaire à unÉtat constitutionnel, l’Espagne(le peuple espagnol, titulaire dela souveraineté nationale) a prisla décision de s’associer à toutjamais à la modernité, et elle abrillamment atteint son objectif.C’est ainsi que la Constitutionrevendique tout à la fois l’héri-tage des Lumières et du positi-visme, la tradition civique etpluraliste, heureuse combinai-son d’éléments issus des doctri-nes conservatrices, libérales etsocialistes, et enfin la monarchiecomme forme politique de l’État,une monarchie à la fois ancien-ne et moderne, qui se trouve do-tée d’une nouvelle légitimité envertu du rôle de premier planjoué par le roi Juan Carlos dansle processus de transition.

L’heure des bilans a donc sonné. LaConstitution satisfait l’immense ma-jorité de la société espagnole, parcequ’elle établit un modèle de cohabi-tation pacifique dans un pays res-pectueux des libertés. Parce que cet-te majorité n’ignore pas que la dé-mocratie constitutionnelle est mieuxqu’un régime tyrannique ou despoti-que, quel qu’il soit. Parce que pourvaincre le terrorisme d’inspirationtotalitaire, principal ennemi de la co-habitation, il est indispensable d’ac-tionner tous les mécanismes de l’Étatde droit. Parce que la Constitutiondéfinit une monarchie parlementairequi garantit un sage équilibre despouvoirs et des fonctions. Parcequ’elle assure l’existence d’un pou-voir judiciaire unique et indépen-dant. Parce qu’elle garantit les droitsfondamentaux au plus haut niveau.

Et surtout, peut-être, sans qu’il s’a-gisse là d’un quelconque paradoxe,parce qu’elle contient des précepteset des concepts qui ne nous satisfontpas totalement, mais que nous ac-ceptons au nom de la concorde, pourpréserver le pluralisme. La Constitu-tion est un texte consensuel, né dansdes circonstances difficiles et parfoismême adverses. C’est là sa grandevertu, et c’est pour cette raison quela loyauté envers le pacte constitu-tionnel devient pour nous un impé-ratif moral et politique. En définitive,vingt-cinq ans plus tard, les Espag-nols sont orgueilleux, légitimementorgueilleux, du processus de transi-tion qui a donné naissance à la mei-lleure Constitution de leur histoire.

Ceux-là mêmes qui, au sein d’u-ne société ouverte, pratiquent la te-rreur totalitaire, sont les ennemis de

Benigno Pendás

Professeur d’Histoire des idées politiques à l’Université Complutense de Madrid

La meilleure constitution de notre histoire

“ La Constitutionsatisfait l’immensemajorité de lasociété espagnole,parce qu’elleétablit un modèlede cohabitationpacifique dans unpays respectueuxdes libertés “

Labraza. Álava (Espagne).

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l’Espagne constitutionnelle. Ils lesont d’autant plus que la formed’organisation territoriale de l’État,ce que l’on appelle “l’État des auto-nomies”, offre une grande marged’action à ceux qui sont prêts à res-pecter la vie et les droits les plusélémentaires. La Constitution et lesstatuts d’autonomie, en définissantun degré de décentralisation politi-que et administrative élevé, supé-rieur à celui de nombreux États fé-déraux, garantissent généreuse-ment le libre épanouissement de lapersonnalité propre des peuples quiconstituent la nation espagnole. Cen’est pas seulement une questionde lois, cependant. Il y a aussi l’es-prit de la société espagnole, quicomprend et intègre les signes d’i-dentités du Pays basque (langue etsymboles compris, bien entendu)quand ils sont exprimés avec loyau-té – toujours ce même mot clé –,quand ils respectent l’effort com-mun. Mais cette même société re-jette, cela va de soi, la violence et laterreur. Et aussi la mauvaise foi,l’opportunisme et la défense indig-ne des assassins et de leurs amis.

C’est dans ce contexte que s’ins-crivent les mesures prises récem-ment. Dans le plein respect de la lé-galité et des règles de l’État de droit(en particulier de la jurisprudence dela Cour européenne des Droits de l’-Homme), les forces démocratiquesont adopté en 2002 une loi sur lespartis politiques qui a permis la misehors la loi de Batasuna, version poli-tique et parlementaire de l’ETA. Seulsle Parti nationaliste basque (PNV) etses partenaires s’opposent à ce queles membres de cette formation po-litique soient expulsés d’un endroitréservé aux personnes honorables. Ilssont même allés jusqu’à déposer desrecours devant des organes juridic-tionnels nationaux et internationaux.

La vieille règle selon laquelle la dé-mocratie doit se défendre face à cesennemis totalitaires est ici appliquéedans toute son intégrité. Les enseig-nements de l’Histoire sont fortscruels pour ceux qui ont fait preuvede tolérance envers les ambitions dunazisme ou du stalinisme. Grâce à laloi sur les partis politiques, dont laconstitutionnalité a été confirméepar le Tribunal constitutionnel es-pagnol1, Batasuna n’est plus un par-ti légal, en vertu d’un arrêt de la Coursuprême prononcé le 20 mai 20032.Il est néanmoins surprenant que,parce qu’ils disposent d’une petitemajorité au sein du Parlement bas-que, le PNV et ses associés politiques,auxquels se joignent les premiers in-téressés (les députés de Batasuna),puissent permettre à cette formationdésormais illégale de maintenir sareprésentation parlementaire, en en-freignant la loi, expression de la vo-lonté générale (comme le disait déjàRousseau), et en ignorant son appli-cation judiciaire.

Le défi que nous avons à releveraujourd’hui, est celui que nous lan-ce Ibarretxe, le président du gou-vernement basque, qui, récemment(le 16 septembre 2003), a présentédevant le Parlement régional lesgrandes lignes directrices de sonprojet politique, dans le but d’ouv-rir un débat social et politique quele nationalisme intransigeant saitpourtant perdu d’avance. Il s’agi-rait de constituer une “communau-té libre associée à l’Espagne”, eup-hémisme pour désigner un Étatpresque indépendant, au nom desoi-disant droits historiques etd’un droit d’autodéterminationinexistant. Nous nous trouvons làdevant un sophisme juridique etpolitique. Un sujet constituant quin’a jamais existé est inventé, uneEuskadi qui “envahit” littéralementla Navarre, communauté autono-me voisine, et plusieurs départe-ments français, contre toute logi-que, contre l’Histoire et en dépit dubon sens3. Ces prétendus droitsoriginels nous renvoient à l’Ancienrégime et ignorent la théorie dupouvoir constituant formulé par laRévolution de 1789 et acceptée partous les États modernes. Les natio-nalistes parlent de droits précons-titutionnels, d’un Volkgeist (ou gé-nie national) foncièrement archaï-que et dépassé, de privilèges quivont à l’encontre du dogme sacréde l’égalité devant la loi. Ce sontdonc des réactionnaires, dans le

1 [NdT] Le 12 mars 2003, le Tribunal cons-titutionnel rejetait, à l’unanimité, le recoursformé par le gouvernement régional basqueà l’encontre de la loi sur les partis politiques.2 [NdT] Le 20 mai 2003, la Chambre spé-ciale de la Cour suprême (composée de 16magistrats) ordonnait à l’unanimité la dis-solution du groupe parlementaire de Bata-suna, qui, même s’il avait changé de nom,était représenté par les mêmes députés ausein du Parlement basque. Les formationsnationalistes représentées au Parlementbasque, ainsi que la gauche communiste(IU), refusent de respecter une décision judi-ciaire qui est définitive, et déploient pour cefaire tout un arsenal de ruses et d’excuses.Le 19 juin 2003, le procureur général s’estdonc vu contraint de demander la mise enexamen, pour non-respect d’une décisionjudiciaire, du président du Parlement de Vi-toria, Juan María Atutxa, et de deux autresdéputés, membres du bureau du Parlement.

3 [NdT] À l’instar des revendications del’ETA, le “Plan Ibarretxe” considère que lesaspirations “légitimes” du peuple basque se-ront réellement satisfaites quand la Com-munauté autonome basque actuelle anne-xera la région espagnole de la Navarre et lesrégions basques du sud-ouest de la France,constituant ainsi une unité territoriale quien réalité n’a jamais existé.

“ Nous noustrouvons là devantun sophismejuridique etpolitique. Un sujetconstituant qui n’ajamais existé estinventé, uneEuskadi qui“envahit”littéralement laNavarre,communautéautonome voisine,et plusieursdépartementsfrançais, contretoute logique,contre l’Histoire eten dépit du bonsens “

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sens littéral du terme, car ils ne re-connaissent pas les principes desouveraineté et de démocratie re-présentative qui se sont imposésdans la civilisation contemporaine.

Ils prétendent également, sem-ble-t-il, s’appuyer sur le droit despeuples à l’autodétermination, re-connu par l’Organisation des Na-tions unies dans le contexte de ladécolonisation. Encore une fois, ils’agit d’un leurre. Les règles interna-tionales l’affirment expressément :ce droit n’existe pas quand l’objetdes revendications est la sécessionvis-à-vis d’un État respectant lesminorités sociales ou territoriales.Avec des frontières consolidées de-puis des siècles, comment pourrait-on affirmer que le Pays basque vit

une situation coloniale ? Les faitssont là, criants de vérité : il suffit deconstater les compétences accordé-es à la Communauté autonome duPays basque, la quantité de ressour-ces humaines et financières dontelle dispose, sans oublier le régimefiscal spécifique dont elle bénéficie.C’est pour cette raison que le projetprésenté par Ibarrexte finira sur unevoie de garage : il vise le démantè-lement de la Constitution espagno-le, il va à l’encontre de la Constitu-tion française, qui proclame catégo-riquement que la République est“une et indivisible”, et il ignore laprochaine Constitution européenne,qui fait référence à une Union dontles deux composantes essentiellessont les États et les citoyens...

Ce qui constitue sans aucun dou-te l’aspect le plus grave du “Plan Iba-rretxe”, c’est l’usurpation du pouvoirjudiciaire unique de l’État4. La facultéde juger est un élément substantiel del’État moderne depuis son apparition,sous la Renaissance. Montesquieu di-sait que le juge est la bouche de la loi.Sans juges, sans procureurs, sans po-lice judiciaire, sans conseil supérieurde la magistrature... il n’y aurait niÉtat espagnol ni droit espagnol auPays basque. Cette tentative d’usur-pation du pouvoir qui garantit l’effec-tivité des droits est d’une extrêmegravité. Elle est d’autant plus gravequ’elle concerne un territoire (cas uni-que au sein de l’Union européenne)où se trouve en danger la vie de ceuxqui, dans les mairies, représentent despartis constitutionnels ou qui, toutsimplement, expriment librementleurs opinions en public, sans se lais-ser intimider par le nationalisme ex-clusif. Un groupe d’intellectuels euro-péens et américains a rappelé récem-ment cette triste réalité. Seul l’héroïs-me civique de certains citoyens estcapable de sauvegarder la liberté et ladémocratie dans de nombreux en-droits du Pays basque. Ceux qui ai-ment l’État constitutionnel, ceux quiaiment la liberté politique, ceux quirejettent toute forme de tyrannie oude despotisme, leur en sont profon-dément reconnaissants et leur fontpart ici de toute leur admiration.

4 [NdT] Le “Plan Ibarretxe” revendique quele Tribunal supérieur de justice du Pays bas-que soit reconnu comme l’instance la plusélevée pour l’administration de la justice auPays basque. Dans la pratique, à l’exceptionde fonctions d’une importance infime quiseraient encore reconnues à la Cour suprê-me et au Tribunal constitutionnel espagnols,l’administration de la justice au Pays basqueserait totalement indépendante vis-à-vis del’Espagne.

“ […] il vise ledémantèlement dela Constitutionespagnole, il va àl’encontre de laConstitutionfrançaise, quiproclamecatégoriquementque la Républiqueest ‘une etindivisible ’ […] ”

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71La derive sécessionniste du nationalisme basque

NATIONALISMES BASQUESPLURIELS

Il faudrait peut-être commencer parle titre. Je parle de nationalismes aupluriel, car, pendant les trente der-nières années, nous avons connu aumoins trois nationalismes différentsau Pays basque: le nationalismemodéré, le nationalisme radical et lenationalisme frentista ou partisand’un front, synthèse des deux pré-cédents.

Le mot espagnol milenio a icideux sens distincts: le sens pure-ment chronologique, millénaire,(comme quand nous parlons, parexemple, de Troisième Millénaire) etle sens eschatologique: le Millénium,comme fin des temps ou fin de l’His-toire ; le règne de mille ans qui, se-lon l’eschatologie chrétienne, précè-dera la bataille finale contre l’arméede l’Antéchrist et le Retour du Verbe.Règne de prospérité et de justice,règne égalitaire, Âge d’Or. Des au-teurs comme Talmon ou Cohn ontvu un reflet sécularisé du milléniumchrétien dans l’idéal communiste dela société sans classe.

Au début des années 80, l’anth-ropologue de Bilbao, Juan Aranzadi,a publié un livre qui allait avoir unegrande influence pour ma généra-tion: « Millénarisme Basque: Âged’Or, Ethnie et Nativisme ». Une deu-xième édition vient de paraître, avecun nouveau prologue dans lequel

l’auteur fait une critique féroce desbases théoriques de son essai. Né-anmoins, le livre d’Aranzadi fut, àson époque, un outil très utile pourbeaucoup de critiques en herbe dunationalisme basque, qui com-mençait alors à construire son idéalde société — avec le gouvernementautonome (créé en mai 1980), avecles diputaciones forales1 et avec leterrorisme (aussi bien le terrorismeclassique de l’ETA que le terrorisme“social” des Commandos Autono-mes Anticapitalistes2 —. Aranzadivoyait des traits millénaristes dansle projet politique des abertzales(c’est-à-dire les nationalistes bas-ques), inséparable du rêve de resti-tution d’un Âge d’Or où les Basquesauraient vécu indépendants et heu-reux dans une démocratie patriar-cale douce et contradictoire.

LE PARADIS QUI N’A JAMAIS EXISTÉ

Cette idée que le nationalisme bas-que recherche la restauration d’un

paradis qui n’a jamais existé, est uneidée qui est apparue dans les princi-pales études critiques sur ce natio-nalisme dans les vingt dernières an-nées. Moi-même, je suis en dettesenvers Aranzadi à ce sujet et ceuxqui verront dans le titre de ces pagesun hommage explicite à son œuvrene se tromperont guère. J’aimeraiscependant aller au-delà de sa thèse:la conviction partagée par tous lesabertzales (nationalistes) —à com-mencer par le premier d’entre eux,Sabino Arana Goiri (1865 – 1903)—,que cette situation de bonheursuprême s’est perdue à cause de l’in-vasion ou de l’occupation d’une Eus-kadi ancestrale par les Espagnols ex-plique l’agressivité nationaliste, lahaine que le nationalisme basque aprofessé à l’Espagne et qui dépassel’hostilité que manifestent enverstout ce qui est espagnol les nationa-listes catalans et galiciens, cela n’estpas comparable. Dans le nationalis-me catalan ou dans son homonymegalicien, on sent une continuité re-connue en ce qui concerne le régio-nalisme du dix-neuvième siècle. Lesnationalistes catalans incluent dansleur propre histoire les figures de la «Renaxença »; les Galiciens, celles deleur renaissance postromantique.Qu’ils furent traditionalistes ou fédé-ralistes, les régionalistes catalans etgaliciens du XIXième siècle mainte-naient une double loyauté partagéeentre la patrie natale et la patrie

Les nationalismes basquesau fil du millénaire

(Publie dans Papeles de Ermua Nº 1. Avril 2001)

Jon Juaristi

Professeur de Philologie Espagnole de l’ UPV (Université Pays basque)Directeur de l’Institut CervantesEx-membre de l´ETA (dans les années 60)

[1] [NdT] Institutions qui correspondent aux conseils généraux des provinces du Pays Bas-que, avec très larges compétences. Le mot foral vient de fueros, qui était une ancienne char-te qui garantissait des lois et privilèges accordés à une ville ou à une province ; de nos jours,il ne s’emploie plus guère que dans les provinces basques et en Navarre.[2] [NdT] Les CAA ont surgi au Pays Basque, sous l’inspiration, d’une part, du mouvementcongressiste et autonome italien de ces années-là, dont l’idéologue était Toni Negri. D’au-tre part, les CAA copiaient les méthodes d’action de l’ETA-militaire, mais sans adopter leurorganisation interne hiérarchisée. Ils ont commencé à agir en septembre 1977 et en avril1987, ils ont commis leur dernier assassinat (une militante du PSE). Ils furent responsablesde vingt-sept assassinats en tout. (Cf. Jon Juaristi, “Sacra Némesis”, chap. Rizomas).

“ Voilà ce quepensent lesnationalistes :Jusqu’à SabinoArana (1865 –1903), aucunbasque n’a fait oudit quoi que ce soitqui en vaille lapeine ”

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commune. C’était aussi le cas desfueristas3 basques pendant les anné-es de la Restauration, mais ceux-là,les abertzales n’en parlent jamaiscomme de leurs précurseurs. Entreles fueristas et Sabino Arana, il y aune rupture historique, un hiatus quimarque, pour le nationalisme bas-que, la frontière initiale de sa mé-moire. Tout ce que les fueristas bas-ques ont pu écrire ou faire n’a abso-lument aucune valeur. Ils se considé-raient espagnols et, en tant que tels,ils ont été justement oubliés. Jusqu’àSabino Arana4 (1865 – 1903), aucun

basque n’a fait ou dit quoi que cesoit qui en vaille la peine. Voilà ceque pensent les nationalistes…

L’histoire rejetée fait place dansl’imaginaire abertzale au phantasmemélancolique d’une perte qui n’a ja-mais eu lieu: celle de l’ Euskal Herria(c’est-à-dire la Patrie Basque idéali-sée) indépendante et heureuse,peuplée de Basques de pure race,qui aurait été envahie, opprimée et

forcée au métissage par l’Espagne.Cette fantaisie soutient, aujourd’huicomme hier, toute la vision cosmi-que nationaliste. Mieux encore: siune telle fantaisie disparaissait, iln’y aurait pas de nationalisme bas-que. Ceux qui pensent encore quecelui-ci peut évoluer vers des posi-tions raisonnablement autonomis-tes, compatibles avec l’intégrationvolontaire dans la nation espagnole,se trompent. Ils se trompent, ceuxqui allèguent l’existence à une autreépoque de courants pragmatiquesau sein du nationalisme modéré

pour prouver que le Parti NationalBasque (et, éventuellement, EuskoAlkartasuna –EA-5) pourraient récu-pérer une tradition oubliée —cellede la Communion Nationaliste pen-dant les deux dernières décenniesde la monarchie alphonsine ; celledu PNV pendant la Deuxième Répu-blique ou même celle du PNV dansla clandestinité, sous le franquis-me— et renoncer ainsi à des objec-tifs maximalistes.

Et ils se trompent, car le prag-matisme, au sein du nationalisme

modéré, a toujours été une puretactique, une méthode adéquatepour les situations où la relation deforces a été défavorable aux abert-zales. Une méthode, c’est essentie-llement, un chemin à suivre, et lepragmatisme est un chemin vers lemaximalisme. L’histoire de ces vingtdernières années, pendant lesque-lles le nationalisme modéré est par-ti de positions relativement prag-matiques pour déboucher finale-ment sur le frentismo ou tendancepour un front indépendantiste, as-socié avec l’ ETA, illustre à la perfec-

tion le modèle de relations tactiquesentre pragmatisme et radicalismequi a toujours prédominé sur lecomportement politique du PNV.

Je dis relativement pragmatique,et je souligne relativement, car uneanalyse sommaire de la trajectoiredu PNV dans la transition espagnolevers la démocratie suffirait à dé-monter l’illusion que le nationalismemodéré a quelquefois choisi d’ac-cepter les règles du système démo-cratique né de la Constitution es-pagnole de 1978. L’équivoque naîtde la comparaison entre le nationa-lisme modéré et le nationalisme ra-dical: un nationalisme qui ne com-bat pas le système moyennant laviolence terroriste peut paraître unnationalisme pragmatique, “modé-

“ […] une analysesommaire de latrajectoire du PNVdans la transitionespagnole vers ladémocratiesuffirait àdémonter l’illusionque lenationalismemodéré aquelquefois choisid’accepter lesrègles du systèmedémocratique néde la Constitutionespagnole de 1978 ”

[3] [NdT] Les fueristas étaient partisans dela restauration des fueros historiques desdifférents territoires basques, mais sans re-mettre en question leur appartenance à l’Es-pagne.[4] [NdT] Sabino Arana fut le fondateur duParti Nationaliste Basque (PNV) à Bilbao en1895.

[5] [NdT] Eusko Alkartasuna (EA) est unparti nationaliste qui a été créé à la suited’une scission du PNV en octobre 1986, quiexiste encore de nos jours.

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73La derive sécessionniste du nationalisme basque

ré” (J’emploie les termes modéré etradical dans leur acception commu-ne, mais je dois dire que cette ac-ception me semble trop ironique).Mais voilà, comment aurait-on jugerl’attitude du PNV, pendant les anné-es de la transition, sans l’apparitionsimultanée du terrorisme etarra ? LePNV a préconisé le rejet de la Cons-titution, il a refusé de pactiser unautre projet de Statut que celui qu’ila fait à sa mesure, imposant ses pro-pres symboles partisans à la Com-munauté Autonome6, et il s’est inhi-bé de toute responsabilité dans la

lutte contre le terrorisme (alors qu’ilexigeait le départ du Pays Basquedes forces de sécurité de l´État es-pagnol qui s’opposaient à l’ ETA).

Dans un autre domaine, un telnationalisme aurait été qualifiéd’extrémiste à juste raison. Il estcertain qu’Arzallus a épuré les diri-geants historiques les plus orthodo-xes, dans la lignée des « aranistes »,mais il n’est pas devenu pour autantun dirigeant pragmatique, commecertains le voulaient. L’objectif qu’il

recherchait, et cela a été prouvé parla suite, c’était de concentrer sur luitous les ressorts de pouvoir du par-ti (est-ce que cela n’aurait pas étéabsurde de considérer “modérés” oupragmatiques des gens comme Hi-tler, Staline ou Franco pour éliminer,respectivement, les chefs des SA, lestrotskistes ou les phalangistes ré-calcitrants?). L’actuel président duPNV a essayé depuis le début de de-venir le caudillo de son organisa-tion, et, pour cela, il a écrasé touteopposition interne, qu’elle viennedes durs ou des bienveillants. Il a

appliqué rigoureusement pour laneutralisation des “aranistes” lesmêmes procédés qu’il allait utiliservingt ans plus tard pour passer soussilence les dissidents du frentismo,bien qu’il ait utilisé, dans l’un etl’autre cas, des arguments diffé-rents: “pragmatiques” dans le pre-mier cas, “radicaux” dans le second.

LE NOYAU DE L’IDÉOLOGIEABERTZALE

Arrivés à ce point, il faut faire unerécapitulation de ce qui a été ditjusqu’à maintenant. Le noyau de l’i-déologie abertzale (c´est à dire, na-tionaliste basque) est le même dansles trois versions du nationalisme:un sentiment anti-espagnol essen-

tiel qui empêche toute forme d’inté-gration du nationalisme basquedans le système politique espagnol.Le dénommé pragmatisme consti-tue une tactique utilisée unique-ment par le nationalisme modéré,qui n’hypothèque pas du tout lesderniers objectifs de celui-ci et au-quel il a recours uniquement quandla relation de forces avec l’État es-pagnol lui est défavorable. Depuis1975, il y a eu très peu de virementspragmatiques du PNV: dans la pé-riode avant le Statut, quand il avaitbesoin du consensus des partis

constitutionnalistes pour faireavancer son projet d’hégémoniedans la communauté autonome, etpendant la période 1986-1990,alors qu’il était affaibli par la scis-sion de Eusko Alkartasuna (EA), etqu’il a eu besoin de la coalition avecle Parti Socialiste d’Euskadi pourrester au gouvernement. Mais, com-me je l’ai dit, il s’agit dans les deuxcas d’un pragmatisme relatif. Com-me l’a reconnu récemment José Ra-món Recalde, Conseiller socialistede l’Éducation dans le gouverne-ment de coalition formé en 1987,les socialistes basques ont pratiquédans leurs consejerías [ministèresrégionaux du gouvernement bas-que] respectives la politique impo-sée par le PNV, dont ils ont à peine

propres symbolespartisans à laCommunautéAutonome6, et ils’est inhibé detouteresponsabilitédans la luttecontre leterrorisme (alorsqu’il exigeait ledépart du PaysBasque des forcesde sécurité del´État espagnol quis’opposaient à l’ETA) ”

“ Le PNV apréconisé le rejetde la Constitution,il a refusé depactiser un autreprojet de Statutque celui qu’il afait à sa mesure,imposant ses

[6] [NdT] Le PNV a réussi à conserver com-me drapeau et comme hymne de la nouve-lle Communauté autonome basque ceux quiétaient utilisés par le PNV pendant des dé-cennies, comme symboles de son parti, c’està dire l’ikurriña et l’Eusko Gudariak.

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74La derive sécessionniste du nationalisme basque

pu enrayé les aspects abertzalesagressifs. La contrepartie nationa-liste a consisté exclusivement enune timide implication de la Conse-jería de l’Intérieur dans la lutte con-tre l’ETA, et dans le Pacte d’Ajuria-Enea7, qui s’est révélé très vite ino-pérant, vu que les nationalistes exi-geaient des concessions politiquespour chaque geste rhétorique face àHerri Batasuna (c’est à dire le braspolitique de l’ETA).

Dans les gouvernements de coa-lition avec les socialistes qui se sontsuccédés de 1991 à 1996, le PNV n’apas eu à faire le moindre effort pourparaître pragmatique. Leurs parte-naires, consternés par la tempêtequi déferlait sur le PSOE8, avaientassez à faire en essayant de se dé-fendre des stigmates de corruptionque les nationalistes leur avaientadjugées. D’autre part, toute l’Es-pagne applaudissait le Conseiller del’Intérieur du PNV, Juan María Atut-xa, qui s’efforçait de donner crédibi-lité à l’engagement de la Ertzaintza(la police autonome basque) dans larépression contre le terrorisme.Laissant de côté pour l’instant lasympathie plus ou moins grandeque nous pouvons avoir pour cepersonnage, il faut savoir que lePNV avait alors besoin de tranquilli-

ser les chefs d’entreprise basques,soumis à une intense campagned’extorsions et d’enlèvements. D’au-tre part, Atutxa n’a jamais cessé desoutenir les thèses officielles de sonparti en ce qui touche l’ETA: l’insuf-fisance de la solution policière et lanécessité de négocier avec la bande.

RELATION ENTRE LENATIONALISME MODÉRÉ ET LENATIONALISME RADICAL

La relation du nationalisme modéréavec le nationalisme radical et, enparticulier, avec l’organisation terro-riste, ne s’est jamais vue sérieuse-ment touchée par les inflexionspragmatiques de celui-la. En synthè-

se, on pourrait dire que le PNV n’apas tant recherché la disparition duterrorisme, mais plutôt son optimi-sation politique. Le nationalisme mo-déré n’a pas bonne mémoire, mais ilsait que la reconstruction de la com-munauté nationaliste dans les der-nières années du franquisme et lapremière phase de la transition n’au-rait pas été possible sans l’ETA, qui aagi comme catalyseur du précipitésocial abertzale dans l’anomie politi-que caractéristique de la société bas-que sous la dictature. Les mémoirestrès récentes de Mario Onaindíanous offrent un panorama assezplausible de l’opposition clandestinedes années soixante au Pays Basque:un Parti Communiste bien implanté

[7] [NdT] Le Pacte d’Ajuria Enea a été signéle 12 janvier 1988 par tous les partis pré-sents au Parlement autonome basque, àl’exception d’Herri Batasuna. (Il est possiblede consulter la traduction intégrale du Pac-te d’Ajuria Enea sur le web du Foro Ermua,“Documents”, www.foroermua.com.) [8] [NdT] Pendant la période allant de 1991à 1996 on a découvert peu à peu, dans lapresse espagnole, toute une série de scan-dales de corruption qui ont débouché sur laperte des élections générales de 1996 par lePSOE et son départ du gouvernement del’Espagne, où ils étaient arrivés en 1982.

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dans les noyaux industriels, la mon-tée d’un syndicalisme de gauche(CCOO), une faible présence du PSOEet de quelques groupes gauchistescomme ETA-berri ou ESBA (branchebasque du FLP), un PNV faméliquequi soutenait certaines écoles de ca-dres et évitait de s’impliquer dans desmobilisations d’envergure. Onaindíaoublie de citer ce que moi, à l’ETA, j’aibien connu: les convulsions agoni-ques du carlisme qui—après avoirperdu son point de repère dynasti-que— allait éclater en tendances op-posées à de fortes distensions idéo-logiques, dont certaines se rappro-cheraient du nationalisme dans lesdernières années de la décennie.C’est dans ce contexte que surgit l’E-TA, née de la Vième Assemblée(19679) en tant qu’organisation na-tionaliste-révolutionnaire qui aspireà fondre en une seule la traditionabertzale et la tradition gauchiste.

L’ETA COMME EXPRESSION DE LACRISE (1960-80) AU PAYS BASQUE

La croissance de l’ETA dans la deu-xième moitié des années soixante10,est inséparable de deux phénomè-nes qui dépassent de beaucoup ledomaine du Pays Basque: la crise del’Église catholique après le IIième

Concile du Vatican et, ce que j’appe-llerai la rébellion de la jeunesse del’époque, faute de trouver un termemeilleur, apparentée, bien sûr, aumouvement français de mai 68,avec la contre-culture américaine,le soulèvement étudiant en Alle-magne, en Italie, dans les universi-tés espagnoles, etc… L’ETA fut laprincipale expression de la crise desoixante-huit au Pays Basque: elle adépassé les idées traditionnelles,bureaucratiques, dogmatiques etautoritaires, de la gauche commu-niste, du conservatisme et de l’ina-nité culturelle du nationalisme duPNV. Cela peut paraître absurde au-jourd’hui, mais nous qui avons vécul’expérience en tant que militairesau sein de l’ETA, pendant ces anné-es-là, nous nous rappelons de cespremiers moments comme d’uneexplosion de liberté magnifique etinattendue. L’ETA a signifié des dis-cussions, un débat ininterrompu,des livres, l’enthousiasme, l’espoir,l’amitié. Malgré tout ce qui s’estpassé ensuite, je ne pourrai jamaisavoir un souvenir amer de ces anné-es qui ont donné à ma générationtout ce que le franquisme et le na-tionalisme familier nous avaient niéjusqu’alors. Elle nous a délivré de lapeur, a fait découvrir en nous desréserves insoupçonnées de curiositéintellectuelle, d’amour pour la liber-té. Les générations antérieures, ef-frayées, désenchantées ou cyniquesn’eurent pas d’autre choix que celuide nous épauler. Les protestationsprivées du nationalisme durent pas-ser l’épreuve de la solidarité activeavec les jeunes qui avaient décidéd’affronter la dictature.

CONSÉQUENCES NÉFASTES

Mais les conséquences furent terri-bles. La dérive de l’ETA vers le terro-

risme, déjà inscrite dans les idéesstratégiques exposées dans la VièmeAssemblée (1967) -et pas le résultatd’un malheureux hasard, comme onle prétend-, a entraîné une bonnepartie de la société basque, dans unvaste syndrome d’identificationavec les activistes. Elle a entraîné,évidemment, un large secteur duclergé séculier et régulier, qui étaitécrasé par les “péchés sociaux ” del’Église et qui avait soif de moderni-té; elle a entraîné le secteur de lapopulation que se tenait pour na-tionaliste et voulait être tenu pournationaliste, et elle a entraîné aussibeaucoup de gens qui se considé-raient antifranquistes, sans racinesfamiliales ni biographiques dans lenationalisme.

Lorsque l’ETA a commis sonpremier attentat mortel (le 7 juin1968), et lorsque l’auteur de cet at-tentat a été tué par la Garde Civile,quelques heures plus tard, (le pu-blic a appris les deux nouvelles enmême temps), le magma auquell’ETA dirigeait ses allocutions—lepeuple basque, une entéléchie del’imaginaire etarra confus— s’estvu devant l’alternative d’approuverune des deux morts et de condam-ner l’autre, car condamner les deuxsupposait un dilemme qui les au-rait opposé à l’ETA et au régime. Ila donc fallu choisir entre la con-damnation de l’attentat et l’appro-bation de la mort de l’activiste (etc’est ce qu’ont fait ceux qui, dansl’alternative, ont choisi de resterfranquistes) ou choisir le contraire,ce qui supposait non seulementune déclaration d’anti-franquismemais aussi une adhésion active aunationalisme. Comme un précipitédans une solution chimique, lesprotestations populaires (manifes-tations, messes, etc.) pour la mortde Javier Echevarrieta Ortiz défini-

[9] [NdT] La Vème Assemblée fut célébréeen deux parties. La première, en décembre1966 dans la maison paroissiale de Gaztelu(Guipúzcoa); la deuxième a eu lieu en mars1967 dans le bâtiment réservé aux exercicesspirituels de la Compagnie de Jésus à Gue-taria (Guipúzcoa). [10] [NdT] L’ETA a été créée en juillet 1959par un groupe de jeunes qui étudiaient lapensée et l’histoire du nationalisme basque,et aussi sa langue. Ils rejetaient tous la pas-sivité du PNV face au régime franquiste Sonpremier attentat terroriste n’aura lieu que 9ans plus tard, en juin 1968.

“ La scissiond’EuskoAlkartasuna (EA)du PNV (conclueen octobre 1986)vint compliquer leschoses, mais pasdans la mesure quiétait à craindre dela part dunationalisme. Enpremier lieu, lessocialistes furentbeaucoup moinsexigeants avec lePNV qu’ilsauraient pu l’être,vu les résultatsdes électionsautonomes du 30novembre de 1986,où le PSE fut leparti le plus voté ”

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rent, dans le continuum jusqu’alorsindifférencié de la sociétébasque, une communauté nationa-liste relativement claire. Pendantles années qui suivirent, cette com-munauté allait devenir un sujet ha-bituel des mobilisations contre lerégime qui atteignirent leur pointculminant lors du Conseil de Gue-rre de Burgos (en décembre 1970),mais elle allait aussi subir habitue-llement la répression.

LE PNV À LA REMORQUE DE L’ETA

Au PNV, on a senti que la rupturesociale induite par l’ETA, même sielle entraînait de sérieux risques im-médiats, serait quand même profi-table à moyen terme, surtout de-vant un éventuel effondrement dela dictature. Si sous le régime fran-quiste, l’ETA apparaissait comme laréférence politique dominante desloyautés abertzales, il n’était pas dutout probable qu’elle le reste dansune situation de pluralisme politi-que. Le nationalisme modéré pen-sait rentabiliser totalement la mobi-lisation abertzale contre la dictatu-re. Il croyait au mirage d’un futur

parti-communauté qui aurait perdutoute excroissance terroriste, ou quise soumettrait, dans le pire des cas,à la direction politique du PNV. Celaexplique l’angoisse des dirigeantsjelkides11 devant le glissement del’ETA vers des positions gauchisteset leur rupture progressive avec lenationalisme pendant l’année 1970.L’ETA devait disparaître, mais pasprématurément. Les jeunesses duPNV furent canalisées, pendant lesannées qui suivirent, vers une en-tente avec le groupe résiduel abert-zale de l’ETA, mené par Juan José Et-xabe, qui s’était séparé du gros del’organisation pendant la VIièmeAssemblée (été 1970, à Bayonne).De 1972 à 1974, une ETA abertzales’est reconstruite, alimentée pard’anciens militants des jeunesses duPNV (EGI) et blindée, maintenant,contre les tentations gauchistesmoyennant une soumission de l’en-semble de l’organisation à la ten-dance dure du gangstérisme. Lavieille ETA, qui s’est exclue elle-mê-me de la communauté nationaliste,a fini par se dissoudre dans le mé-lange de lettres et de sigles de lagauche espagnole12.

LES PRÉVISIONS DU PNV ÉCHOUENT

Mais, contrairement à ce qu’avaitprévu le PNV, l’ETA abertzale, est arri-vée divisée13 à la transition (entre1976 et 197914), mais n’a pas disparupour autant. Elle continuait son acti-vité terroriste, mais ses deux bran-ches s’étaient aussi dotées respecti-vement de deux partis politiques lé-gaux15, ce que l’on a alors appelé une“stratégie de dédoublement”. Le rêvedu PNV d’un parti qui s’identifie avecla communauté nationaliste a vitetourné à la déception.

Malgré tout, le PNV des années80 a bénéficié de la persistance duterrorisme abertzale dans un doublesens: il l’a utilisé comme argumentpathétique dans la négociation detransferts avec le gouvernementcentral et il a assisté, mi-horrifiémi-satisfait, mais impassible, com-me toujours, à l’élimination de ladroite non nationaliste au Pays Bas-que. Dans un livre admirable, “Un cride paix”, Pedro Mari Baglieto nousdonne une métaphore concise de l’-horreur: le récit minutieux et histo-riquement sans appel de l’extermi-nation systématique des cadres po-

[11] [NdT] La dénomination jelkide s’applique spécifiquement aux dirigeants du PNV et, par extension, à ses politiques également. [12] [NdT] A certains moments, ils se sont intégrés au MCE (Mouvement Communiste d’Espagne, maoïste), à la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire, trotskiste)et à l’ORT (Organisation Révolutionnaire des Travailleurs, maoïste), entre autres. [13] [NdT] Fin 1974, quand on commençait à entrevoir la fin du régime franquiste, l’ETA s’est séparée en deux organisations: l’ETA-militaire et l’ETA politico-mili-taire (l’ETA pm ou les poli-milis). L’ETA-militaire, qui dure encore de nos jours, provenait directement de l’application stratégique d’entreprendre le terrorisme, quiest celle qui l’a emporté lors de la Vème Assemblée (1967); elle correspondait aussi au schéma organisateur pensé et élaboré par José Miguel Beñarán (Argala), se-lon lequel l’“appareil militaire” affichait une supériorité totale sur les autres “fronts” du mouvement abertzale: parti politique, syndicat, culture, etc. Cette structu-re organisatrice imposée par Argala, avec l’ETA-militaire à la tête d’organisations comme HB, Gestoras Pro-Amnistía, Jarrai et autres, s’est maintenue jusqu’à nosjours. L’ETA politico-militaire, au contraire, essayait de concilier le terrorisme avec une intervention autonome dans l’activité politique. Au moment des premièresélections générales démocratiques de juin 1977, une partie de ses militants ont abandonné l’organisation et créé le parti Euskadiko Ezkerra (EE), qui a obtenu 1 dé-puté et 6, peu après, au premier Parlement basque. Finalement, l’ETA p-m va se dissoudre en septembre 1982, et acceptera les larges mesures de réinsertion offer-tes par le Gouvernement espagnol, qui auraient été valables, également, pour les membres de l’ETA-militaire s’ils avaient accepté d’abandonner les armes. L’ETA-militaire s’est opposée activement aux poli-milis et a même assassiné en 1975 un de leurs principaux dirigeants, Eduardo Moreno Bergareche (Pertur). [14] [NdT] L’approbation de la Constitution par un référendum, le 6 décembre 1978, définit la pleine restauration d’un régime démocratique en Espagne; cependant,pendant un certain temps,la situation politique nationale a encore connu une certaine instabilité. [15] [NdT] HASI, partisan de l’ETA-militaire et qui a même réussi à avoir le contrôle de Herri Batasuna (coalition créée en mai 1978, vis-à-vis des élections généra-les de 1979). L’autre était le Parti des Travailleurs Patriotes Révolutionnaires, LAIA.

“ Le fait que,depuis 1987, lePSE ait figuré dansun gouvernementde coalition avecles nationalistesalors que ceux duParti Populaireétaient dansl’opposition (ousinon, à moitiédans laclandestinité)empêchait dans lapratique lacohésion de cesecteur autourd’un projet dedéfense de laConstitution. Dansces conditions, leterrorisme etarracontribuaitdécisivement àaugmenter le votenationaliste, aussibien radical quemodéré ”

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litiques de l’UCD16, dans la commu-ne d’Urola, au Guipúzcoa, aux mainsde l’ETA et de ses forces auxiliaires,les Commandos Autonomes Antica-pitalistes, de 1979 à 1981.

DÉCENNIE 80: L’ÂGE D’OR DUNATIONALISME MODÉRÉ

Même si l’optimisation du terroris-me allait se révéler impossible, lapremière moitié des années 80 estarrivée à constituer, dans la mémoi-re récente du nationalisme modéré,ce qui ressemble le plus à un Âged’Or. Avec le Gouvernement Auto-nome et les diputaciones provincia-les sous son pouvoir, le PNV procé-dait à une sorte d’accumulation pri-mitive du pouvoir, obtenait ainsi dugouvernement central les compé-tences souhaitables et arrivait—sanstrop d’effort— à différer celles qui legênaient: celles de la lutte antite-rroriste, par exemple. Pendant quela garde civile et la police nationalerisquaient leur vie dans le combatcontre l’ETA17, les nacionalistes mo-dérés mettaient leurs voies à l’unis-son pour réclamer radicalementl’expulsion de ces forces de sécurité(et contemplaient avec indifférencela sale guerre des GAL, ce qu’ils fe-

raient payer politiquement plustard, pas aux responsables directs,mais aux dirigeants du Parti Socia-liste d’Euskadi qui n’étaient pas im-pliqués dans cette trame). Avec unnationalisme radical à moitié do-mestiqué grâce à une politique deconcessions envers les administra-tions locales et les organisations fa-vorisant l’eusquera, contrôlées parHerri Batasuna, le PNV vivait dans lemeilleur des mondes possibles.

SCISSIONS ET PACTES QUIMARQUENT UNE TRAJECTOIRE

La scission d’Eusko Alkartasuna (EA)du PNV (conclue en octobre 1986)vint compliquer les choses, mais pasdans la mesure qui était à craindrede la part du nationalisme. En pre-mier lieu, les socialistes furent be-aucoup moins exigeants avec lePNV qu’ils auraient pu l’être, vu lesrésultats des élections autonomesdu 30 novembre de 1986, où le PSEfut le parti le plus voté. Non seule-ment ils renoncèrent à réclamerpour eux la présidence du gouver-nement autonome, mais, en plus, ils« oublièrent »le soutien ouvert quele PNV avait prêté pendant la pério-de pré-électorale à Herri Batasunaaffaibli (plus d’une fois, avant le dé-but de la campagne, Arzallus s’étaitmontré et avait été photographiédans des attitudes amicales avec l’«État-major » du nationalisme radi-cal, mais ni cela, ni les déclarationsprovocantes d’Ardanza, soutenant àla télévision autonome que l’ETA nedisparaîtrait pas tant que toutes lesrevendications légitimes n’auraientpas eu gain de cause, ne parais-saient scandaliser les socialistesbasques). Juan Manuel Eguiagaray,qui était alors secrétaire du PartiSocialiste d’Euskadi, a publié, il y apeu de temps, quelques pages dou-

loureusement autocritiques sur lesconcessions que sa formation avaitdû faire à ceux du PNV, pour qu’ilsles admettent dans un gouverne-ment de coalition. De la soumissiondes socialistes aux directives abert-zales en témoigne, comme on l’adéjà dit, la récente palinodie de l’ex-conseiller José Ramón Recalde. Ettout cela contre trois fois rien: la re-connaissance rhétorique que les so-cialistes sont basques, eux aussi, ex-primée par Arzallus du bout des lèv-res dans son “discours retentissantdu théâtre Arriaga” (1988) et la mi-se en scène du pacte d’Ajuria-Enea(janvier 1988), une des versions lesplus exaspérantes de la débrouillar-dise nationaliste.

CLÉS POUR COMPRENDREL’INACCOMPLISSEMENT, DE LAPART DU GOUVERNEMENT DU PNV,DES COMPÉTENCES EN MATIÈREANTITERRORISTE

Si personne ne discutait l’hégémo-nie du PNV et si le rêve d’une opti-misation du terrorisme se révélaitillusoire, il faut se demander pour-quoi les nationalistes modérés n’ontpas assumé avec une plus grandedécision les compétences qui, enmatière antiterroriste, ont ététransférées à la Consejería de l’Inté-rieur pendant le premier gouverne-ment de coalition. A mon avis, il y adeux réponses. D’une part, le PNVn’a jamais renoncé à son utopie departi-communauté. S’opposer di-rectement à l’ETA aurait signifié in-troduire la guerre au sein d’unecommunauté nationaliste qui auraitvolé en éclats. Paradoxalement, lafragmentation politique de laditecommunauté pour d’autres causes,pour des dissensions de caractèrepersonnaliste (comme la ruptureentre Arzallus et Garaikoetxea qui a

[16] [NdT] L’Union du Centre Démocratique(UCD) était le parti du Centre du Présidentdu Gouvernement, Adolfo Suárez, qui avaitdirigé le processus de transition vers la dé-mocratie en Espagne. L’UCD a obtenu 6 siè-ges sur les 60 du premier Parlement basque(1980). [17] [NdT] La Police Autonome basque (laErtzainza) a été créée légalement en 1982,mais son déploiement effectif sur le territoi-re –pour remplacer la Garde Civile et la Po-lice Nationale- n’a commencé qu’en octobre1984. Et ce n’est que dans le courant de1995 que la Ertzainza a été complètementimplantée sur tout le territoire basque.

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débouché sur la scission de octobre1986), ne s’est pas traduite par unediminution du nationalisme dansson ensemble. Comme le prouvè-rent les élections du 30 novembrede 1986, l’électorat abertzale a aug-menté après la scission, bien quecelui du PNV ait diminué. Il y a uneexplication à cela. Dans des situa-tions définies par une dichotomisa-tion ethnique marquée et où le mo-nopole de l’État de la violence n’e-xiste pas ou est fortement contesté,la violence terroriste est toujours unfacteur décisif dans le transfert desloyautés et dans la configurationdes identités collectives.

Mais voilà, au Pays Basque, dansles années 80, il n’existait qu’unecommunauté bien définie, la natio-naliste, qui prétendait s’identifier àla seule ethnie basque possible. Enface d’elle, il n’y avait rien d’autrequ’un secteur de population majori-taire, bien sûr, mais divisé en identi-tés politiques opposées (de gaucheà droite) avec, en plus, un sous-sec-teur rétractif, déçu ou simplementeffrayé. Le fait que, depuis 1987, lePSE ait figuré dans un gouverne-ment de coalition avec les nationa-listes alors que ceux du Parti Popu-laire étaient dans l’opposition (ou

sinon, à moitié dans la clandestini-té) empêchait dans la pratique lacohésion de ce secteur autour d’unprojet de défense de la Constitution.Dans ces conditions, le terrorismeetarra contribuait décisivement àaugmenter le vote nationaliste, aus-si bien radical que modéré, aux dé-pends du secteur rétractif, qui juge-ait inutile de donner son vote à unsocialisme ancillaire ou à une droiteexclue du pouvoir dans la commu-nauté autonome et aussi au gou-vernement de l’État. Seuls les natio-nalistes paraissaient capables deprotéger les leurs des autres natio-nalistes.

LE PNV NE RENONCE PAS À SONUTOPIE DE “PARTI-COMMUNAUTÉ”

Dans une perspective à moyen ter-me, le PNV pensait récupérer l’unitéavec ceux qui s’étaient séparés, àcondition qu’il n’y ait pas de diffé-rences idéologiques insurmonta-bles. Et, à la longue, on pouvait mê-me penser qu’Herri Batasuna s’in-corporerait à un grand parti com-munautaire. La tactique à suivreavec les radicaux, la carotte et le bâ-ton, se concrétisait dans un isole-ment politique relatif d’Herri Bata-

suna, et pour cela il fallait maintenirla fiction du Pacte d’Ajuria-Enea de1988 (mais sans interrompre lesconcessions tacites au niveau del’administration locale et des orga-nisations pro eusquera), et une po-litique policière de contention del’ETA, plus qu’un affrontement ou-vert avec elle.

Après l’échec du gouvernementtripartite nationaliste (PNV, EA et EE)issu des élections de 1990, le PNVs’est vu obligé, à nouveau, à l’autom-ne 1991, de former un gouverne-ment avec les socialistes (la présenced’Euskadiko Ezkerra dans la nouvellecoalition était peu significative: cequi restait du parti de Bandrés etd’Onaindía était sur le point de s’in-tégrer au PSE18). Comme je l’ai déjàdit, les socialistes ne sont pas deve-nus plus exigeants, vu qu’ils étaientempêtrés dans la crise générale duParti (et au Pays Basque s’ajoutait, àtout cela, la découverte de scandalesqui impliquaient d’anciens dirigeantsdu parti et d’autres en exercice). Lepacte du PNV avec le PSOE après les

[18] [NdT] En janvier 1993, EE réintègre leParti Socialiste d’Euskadi qui, à partir de cemoment, s’appellera PSE-EE.

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“ Mais voilà, auPays Basque, dansles années 80, iln’existait qu’unecommunauté biendéfinie, lanationaliste, quiprétendaits’identifier à laseule ethniebasque possible.En face d’elle, iln’y avait riend’autre qu’unsecteur depopulationmajoritaire, biensûr, mais divisé enidentités politiquesopposées (degauche à droite)avec, en plus, unsous-secteurrétractif, déçu ousimplementeffrayé ”

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élections législatives de 1993 en Es-pagne a terminé avec l’autonomierésiduelle du PSE au sein du quatriè-me gouvernement Ardanza. Les so-cialistes basques ont tout fait pours’enfoncer eux-mêmes.

NOUVELLES TENDANCES ENPOLITIQUE ANTITERRORISTE AVECATUTXA

L’arrivée de Juan María Atutxa à laConsejería de l’Intérieur avait sup-posé, comme je l’ai déjà dit, unchangement notable dans la politi-que antiterroriste du PNV. L’attitudebelligérante que montrait le nouve-au conseiller répondait, en partie,sans doute, à sa profonde convictionque l’ETA n’était pas une organisa-tion abertzale mais un groupusculemarxiste-leniniste. Il va sans direque là n’était pas (et n’est toujourspas) l’opinion dominante à la direc-tion du PNV, dont certains membresont dévoilé publiquement leur dé-saccord avec Atutxa, mais la cam-pagne d’extorsions et d’enlèvementsmenée par l’ETA contre les chefsd’entreprise basques légitimait en-vers le PNV une politique ferme.

En novembre 1993, les terroris-tes répliquèrent en assassinant le

sergent de la Ertzaintza (police au-tonome basque) Joseba Goikoet-xea, militant historique du PNV. Il ya eu dans tout le Pays Basque desaffrontements entre militants duPNV et d’Herri Batasuna, dont les di-rections furent taxées mutuellementde “fascistes espagnols”. Il semblaitque la violence, en passant à l’inté-rieur de la propre communauté na-tionaliste, la déchirait de façon irré-versible. Mais, dans ces circonstan-ces, un certain dirigeant du PSE a eul’idée malencontreuse de profiter dela conjoncture pour entraîner aveclui une partie des effectifs du natio-nalisme radical dans la “maisoncommune de la gauche ”. RamónJáuregui, vice-lehendakari (vice-pré-sident) du gouvernement basque etsecrétaire général du PSE, donna lefeu vert à une série de contacts en-tre les membres de son parti et desorganisations sectorielles d’HerriBatasuna. Le PNV s’est senti trahi, ila fait la paix avec Herri Batasuna eta exigé que Jáuregui s’excuse publi-quement. Le dirigeant socialiste seprésenterait aux élections autono-mes de 1994 sous le slogan “Le mo-ment de la relève est arrivé ”. En ef-fet, le moment de la relève était arri-vé bien pour Jáuregui lui-même, il

fut promu peu après à l’éxécutif duPSOE et remplacé au secrétariat duPSE par Nicolás Redondo Terreros.Elections de 1994: les votes nonnationalistes l’emportent sur lesvotes nationalistes. La nuit desélections de 94, en voyant les résul-tats, Jáuregui observa que, pour lapremière fois, les votes non nationa-listes l’emportaient sur les votes na-tionalistes à des élections autono-mes. La réplique d’Arzallus ne se fitpas attendre: “ Si Jáuregui veutajouter ses votes à ceux du PP, je n’aiaucun inconvénient à l’admettre ”.

Evidemment, Jáuregui n’a rienrépondu. Mais un visiteur inespérévenait de faire son entrée en scène.Le PP faisait irruption derrière unenouvelle génération de jeunes diri-geants parmi lesquels se distinguaitle secrétaire, Gregorio Ordóñez, en-nemi des cuisines électorales et desconcessions, qui ignorait la correc-tion politique. Il fut assassiné parl’ETA début 95. Si l’intention des as-sassins d’Ordoñez était de provo-quer le PP et de les pousser à boutpour les forcer à dépasser les limitesde la légalité, ils se sont trompés. Lesjeunes hommes politiques du PP sesont révélés des démocrates sansfissure. L’intégrité avec laquelle ils

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“ Si l’intention desassassinsd’Ordoñez était deprovoquer le PP etde les pousser àbout pour lesforcer à dépasserles limites de lalégalité, ils se sonttrompés. Lesjeunes hommespolitiques du PP sesont révélés desdémocrates sansfissure. L’intégritéavec laquelle ilsont affronté lesassassinats deleurs camaradesfauchés par lamachine terroristeconstituel’exemple le plusémouvant decompromis avecles libertés jamaisvu dans l’Espagnecontemporaine etles accusationsd’opportunismenécrophile que lesnationalistesmodérés ont lancécontre eux,représentent uneinsulte pour tousceux qui, commemoi, ont étéantifranquistes ”

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ont affronté les assassinats de leurscamarades fauchés par la machineterroriste constitue l’exemple le plusémouvant de compromis avec les li-bertés jamais vu dans l’Espagnecontemporaine et les accusationsd’opportunisme nécrophile que lesnationalistes modérés ont lancécontre eux, représentent une insultepour tous ceux qui, comme moi, ontété antifranquistes. Ahuris, nousavons assisté au spectacle de jeunesde vingt ans qui se compliquent lavie en devenant conseillers munici-paux ou dirigeants de syndicats étu-diants dans des villages et des cen-tres d’enseignement ravagés par lenationalisme radical. Ce fut la se-conde explosion de liberté dont jefus témoin, et celle-là, en plus, a étéréussie. Sans perversion totalitaire.Avec la Constitution et le Statutd´Autonomie pour toutes armes. Enjuillet 1997, l’ETA a enlevé et tué l’unde ces jeunes, Miguel Ángel Blanco,et le compte à rebours a commencépour le nationalisme basque.

FIN DU PACTE D’AJURIA-ENEA

Plus pragmatique, le nationalismemodéré avait essayé de consolidersa position moyennant un doublelien. Uni avec le PSE pour le gouver-nement basque, il a signé avec le PPun pacte de législature après lesélections législatives espagnoles de1996. Il pensait neutraliser ainsi lePP basque. La réaction populaire àl’assassinat de Miguel Ángel Blancoa fait échouer tous ces espoirs. De-vant la demande populaire de fer-meté envers l’ETA et l’isolement deson bras politique, le PNV a essayéde gagner du temps, mais le tempss’achevait pour lui. Il pouvait enco-re être à la tête de la lutte contre leterrorisme et bloquer la politiqueradicale qui le protégeait dans les

mairies aux mains d’ Herri Batasuna,et, ce fut effectivement son premiergeste. S’il avait conservé cette posi-tion, cela lui aurait attiré l’hostilitéouverte de l’ETA, mais il aurait reçule soutien décidé des gens du par-ti populaire et des socialistes. Le prixà payer était clair également: la dis-solution de la communauté natio-naliste et le renoncement définitif àl’idéal de parti communautaire. Amoyen terme, aussi, la nécessité demodifier sa position face à la Cons-titution et de chercher une formulepour redéfinir le nationalisme surune autre base que le rejet de l’Es-pagne. Les nationalistes modérésn’étaient pas disposés à payer ceprix, cela était clair depuis la fin del’été 1997. Ils renoncèrent à isolerHerri Batasuna et le lehendakari Ar-danza improvisa un “projet de paix”(en réalité, une offre de conditionsinacceptables quant au respect de laConstitution) qu’il a soumis à l’ap-probation des partis représentés auParlement Basque. Quand le PP et lePSE ont refusé de prendre ce projeten considération, le PNV s’est consi-déré libre de ses engagements avecles deux partis, il a déclaré que lePacte d’Ajuria-Enea était liquidé et acommencé à se rapprocher à nou-veau d’Herri Batasuna.

LE NATIONALISME MODÉRÉMANQUAIT DE STRATÉGIECOHÉRENTE

Le nationalisme modéré manquait,comme on le verra après, d’unestratégie cohérente pour avoir desrelations avec le nationalisme radi-cal; c’est à dire qu’il manquait d’unestratégie distincte de l’idéal de for-mation du parti communautaire etde l’optimisation du terrorisme. Parcontre, les radicaux, eux, avaientune stratégie claire, celle que l’ETA

“ Le nationalismemodéré manquait,comme on le verraaprès, d’unestratégiecohérente pouravoir des relationsavec lenationalismeradical; c’est àdire qu’il manquaitd’une stratégiedistincte de l’idéalde formation duparti communautaire et del’optimisation duterrorisme ”

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La derive sécessionniste du nacionalisme basque. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

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avait soutenue depuis sa recons-truction, dans les premières années70: une stratégie frentista de coali-tion, qui envisageait le regroupe-ment de toutes les forces nationa-listes dans un front antiespagnol oùl’organisation terroriste devraitprendre immédiatement la directionpolitique.

Les radicaux d’Herri Batasunaont préparé le chemin moyennantun refroidissement de leur rhétori-que belliciste et une opération demaquillage qui a amené un inconnuà la direction de leur nouveau Bure-au National, qui affirmait que lemoment était venu de faire de lapolitique. La rhétorique d’ArnaldoOtegui a produit un certain désarroiau sein du PSE et a gagné l’adhésiond’un ensemble hétéroclite de natio-nalistes sans parti et de groupuscu-les résiduels de l’extrême gauche,avec qui Herri Batasuna a augmen-té ses rangs. L’opération a atteintson apogée avec le changement denom de la formation en 1998: enpassant de Herri Batasuna (HB) àEuskal Herritarrok (EH), ils voulaientsans doute se dépouiller de toutesles connotations négatives que lesanciennes sigles avaient pour lesnationalistes modérés, mais ils vou-laient aussi suggérer un nouveauprogramme politique avec moins decontenu de classe (Herri Batasuna —”Unité Populaire”— évoquait la myt-hologie gauchiste des années soi-xante) et une plus grande envergu-re « ethniciste ».

D’une façon surprenante, lapresse de toutes les tendances a faitcirculer une traduction inexacte decette nouvelle dénomination “Cito-yens basques ”. La version la plusjuste serait: “Nous, peuple du paysde l’eusquera”. Il y avait dans cetteversion un mimétisme évident durépublicanisme irlandais (Sinn Fein

signifie “Nous autres seuls”). Ce quis’explique, car l’ETA et ses compag-nons avaient commencé à adapterleur vieille stratégie frentista sur unmodèle irlandais.

MIMÉTISME AVEC LE MODÈLEIRLANDAIS

Un modèle qui avait remporté unénorme succès au printemps 1998:l’accord de Stormont. Cet accordétait le résultat d’une stratégie miseen marche il y a quatre ans. Ensynthèse, cette stratégie, analyséeimplacablement par Conor CruiseO’Brien, s’était déployée en plu-sieurs phases: la constitution d’unfront uni des forces nationalistesd’Irlande du Nord (les républicainsd’Adams et les sociaux-démocratesde Hume); l’annonce simultanéed’une trêve de durée indéfinie de lapart de l’IRA; le déchaînement d’unterrorisme diffus—moyennant desactions à la solde de bandes derues— contre la communauté unio-niste et, finalement, la rupture parsurprise de la trêve à la veille desélections britanniques. Cette“straté-gie désarmée”a obtenu un doubleobjectif: la rupture de la commu-nauté unioniste dont un des partis,celui de David Trimble, s’était incor-poré au pacte entre Hume et Adamsdans l’espoir d’obtenir une nouvelletrêve, et la démoralisation de l’élec-torat britannique, qui a puni la ten-dance à la résistance des conserva-teurs et a donné la majorité aux tra-vaillistes, qui avaient promis de né-gocier avec les républicains. Pen-dant l’année 1998, les partis et syn-dicats abertzales ont étudié con-jointement le dénommé “processusde paix” de l’Ulster au sein d’un Fo-rum d’Irlande qui a compté sur l’as-sistance et les conseils de la direc-tion du Sinn Fein. Parallèlement, le

“ D’une façonsurprenante, lapresse de toutesles tendances afait circuler unetraductioninexacte de cettenouvelledénomination“Citoyens basques”. La version laplus juste serait:“Nous, peuple dupays del’eusquera”. Il yavait dans cetteversion unmimétisme évidentdu républicanismeirlandais (Sinn Feinsignifie “Nousautres seuls”). Cequi s’explique, carl’ETA et sescompagnonsavaient commencéà adapter leurvieille stratégiefrentista sur unmodèle irlandais ”

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PNV et Eusko Alkartasuna (EA) ontsigné avec l’ETA un accord par le-quel ils s’engageaient à souscrire lastratégie frentista de coalition, desradicaux, en échange d’une trêve del’organisation terroriste. En septem-bre 1998, radicaux et modérés sig-naient l’accord d’Estella et l’ETA an-nonçait la trêve. Après les électionsautonomes de cet automne-là, lePNV et EA formaient un gouverne-ment soutenu de l’extérieur parEuskal Herritarrok (EH).

STRATÉGIE FRENTISTA DE COALITIONET OBJECTIF DE CONSTRUIRE UN“PARTI-COMMUNAUTÉ”

Qu’attendait le PNV de la stratégiefrentista de coalition? En premierlieu, une accélération du processusde construction du parti-commu-nautaire. Eusko Alkartasuna, partiqui se définissait comme indépen-dantiste et pacifiste, perdait ses sig-nes d’identité au sein d’un front quis’appropriait cette définition. Lesélections de 1998 ont prouvé qu’EAavait aussi perdu les faveurs d’unélectorat qui avait préféré voterPNV ou EH, vu l’effacement du pro-fil politique du parti de Garaikoet-xea. Le PNV et les radicaux se répar-tissaient la grande majorité du voteabertzale. Le rapprochement entreles syndicats nationalistes, ELA(controlé par le PNV) et LAB (sous ladirection de HB), s’avérait aussi pro-metteur pour le PNV, qui prévoyaitun rapprochement similaire de po-sitions entre le PNV et HB dans undélai raisonnablement court. D’au-tre part, la trêve de l’ETA semblaittransformer l’optimisation du terro-risme en réalité. Le terrorisme opti-misé est un terrorisme en trêve:c’est à dire un terrorisme qui n’agitpas mais qui conserve les armes etdevient ainsi un facteur tacite de

dissuasion de l’adversaire dans lalutte politique.

L’ÉCHEC DE LA STRATÉGIENATIONALISTE: L’URGENCE D’UNEALTERNATIVE

Le nationalisme modéré et le natio-nalisme radical ont vu tous les deuxleurs expectatives frustrées. La“stratégie désarmée” des abertzalesn’a pas marché parce qu’ils n’ontpas réussi à attirer à eux un seulparti représentatif du secteur nonnationaliste de la population bas-que (Gauche Unie-Ezker Batua –IU-était déjà une force marginalequand elle a signé l’accord d’Estella,à son déshonneur), que les Espag-nols n’ont pas manifesté dans lesrues pour demander de négocieravec l’ETA quand les terroristes ontrepris les attentats et que ni le PP nile PSOE ne se sont présentés auxélections de mars 2000 avec unprojet de concessions au nationalis-me basque. Tel un otage des radi-

caux, le gouvernement d’Ibarretxes’est enfoncé dans l’impuissance etle déshonneur, alors que le PNV etEA fuyaient en avant, agissant com-me des figurants de l’offensive na-tionaliste mise en marche par lesradicaux à partir du moment mêmeoù l’ETA annonçait la rupture de latrêve. Une offensive où l’ETA a mar-qué la cadence avec une violenteescalade des attentats19.

Au fil du millénaire, le nationa-lisme basque invoque les horreursd’une éventuelle Apocalypse. Lapresse du nationalisme modéré pré-dit la destruction du Pays Basquepar un gouvernement de coalition,encore hypothétique, entre socialis-tes et populaires, qui, selon les ch-roniqueurs abertzales, entraîneraitun demi million de Basques dans l’i-llégalité et imposerait la loi martia-le. Après avoir assisté à l’échec totalde son projet, le PNV a ressuscitéune vieille utopie putschiste où lapresse a la charge de division cui-rassée Brunete et les partis démo-cratiques, de franquisme ressuscité.Curieusement, certains démocratescommencent maintenant à se pré-occuper du sort réservé à un PNVdans l’opposition. Je suppose qu’ilne sera guère différent de celui del’UCD quand elle a perdu le pouvoiret j’avoue que la perspective d’unerapide dissolution du nationalismemodéré ne me préoccupe pas dutout. Ce qui serait vraiment inquié-tant, c’est une répétition de la for-mule frentista de gouvernement decoalition: je ne crois pas être devinsi j’affirme qu’une telle situationmettrait toute la société basque aubord de la guerre civile.

[19] [NduT] L’ETA a annoncé la rupture de latrêve en novembre 1999. Durant l’année2000, elle a assassiné 23 personnes.

La derive sécessionniste du nacionalisme basque. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

“ Après avoirassisté à l’échectotal de son projet,le PNV aressuscité unevieille utopieputschiste où lapresse a la chargede divisioncuirassée Bruneteet les partisdémocratiques, defranquismeressuscité ”

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Le Parti nationaliste basque(PNV) et Juan José Ibarretxe[président du gouvernement ré-gional basque] nous ont encorefait l’honneur des grandes lignesde leur projet, un projet qui va àl’encontre de la paix, de la coha-bitation, de la pluralité… Que nulne se leurre, avec le « Plan Iba-rretxe », les nationalistes font unpas de plus vers l’indépendance.

Certains considèrent que c’estaux autonomistes têtus, aux Espag-nols intransigeants, qu’il incombedésormais d’assumer la responsabi-lité découlant d’un pari politiquelancé par le seul Ibarretxe. Ils onttort. Pourquoi Ibarretxe présente-t-il son « plan » précisément aujourd’-hui (octobre 2003) ? Le débat sur laConstitution européenne, l’affaiblis-sement de l’ETA et le fait que, dansle reste de l’Espagne, une large fran-ge de la population offre aux natio-nalistes son soutien et sa compré-hension, suffisent à l’expliquer. SiIbarretxe a choisi de présentermaintenant son projet nationaliste,c’est justement parce qu’hier l’ETAétait solide et que l’Europe ne s’étaitpas constituée politiquement. Etaussi parce que, l’ETA vaincue, le dé-bat sur l’Europe terminé, serait-il ju-dicieux de présenter un tel pro-gramme ?

Au cours de ce trimestre, le pro-jet de Constitution européenne vaêtre débattu par les plus hauts diri-geants des pays de l’Union europé-enne, avant d’être soumis à leur ap-probation. Aznar, Chirac, Blair, parti-ciperont à ces débats, mais ni Arza-lluz [président du PNV], ni Ibarretxe,ni aucun de ceux qui hier ont parléou applaudi aux propos stériles te-nus à l’intérieur du Parlement de Vi-toria, ne seront présents. CetteConstitution européenne fera l’objetd’un référendum en juin 2004. À cepropos, et ceci dit en passant, ce neserait pas une mauvaise idée d’offrirnotre soutien au président Aznardans une négociation si complexe,si difficile, et d’une importance cru-ciale pour tous.

Cependant, les pierres angulai-res de la future Europe revêtent untout autre sens pour le PNV : tandisque l’Europe a le regard tourné vers

l’avenir, Ibarretxe fait un retour enarrière de 7000 ans (meeting de l’Al-derdi Eguna, fête annuelle du PNV).Tandis que l’Europe revendique laloi de la raison, le nationalisme bas-que défend l’ethnicisme le plus vul-gaire. Tandis que l’Europe prône l’u-nion de différentes forces, le « Parti-guide » a choisi, depuis très long-temps déjà, le clan, la tribu, affi-chant un mépris inconscient de l’in-connu qui rappelle – curiosités de lavie – ces mots du poète AntonioMachado : « (…) enveloppée dansses haillons, elle méprise tout cequ’elle ignore ».

Ce qui est choquant ici, c’estque, en dépit de ces divergences, lesnationalistes étaient pressés d’inci-ter les leurs à participer au projeteuropéen (même si, paradoxes de lavie, ils ne pouvaient le faire qu’àtravers cette Espagne tant haïe). Ilsne pouvaient donc attendre pluslongtemps, étant donné la vitesse àlaquelle avance la construction eu-ropéenne, pour présenter une pro-position qui prend en compte le dé-fi européen.

Le nationalisme basque, commeje l’ai déjà signalé dans un autre ar-ticle, préfère « une bonne trêve » del’ETA à la victoire définitive de l’Étatde droit sur l’organisation terroriste.Je m’explique. À la campagne, onvoit parfois des maisons ou des pro-priétés à l’entrée desquelles un écri-teau lance à d’éventuels intrus l’a-vertissement suivant : « Attentionau chien », ou encore « Chien mé-

Attention, chien méchant !Nicolás Redondo Terreros

Secrétaire général du Parti socialiste du Pays basque (PSE-EE) jusqu’en mars 2002.Dirigeant du FORO ERMUA.

“ Cependant, lespierres angulairesde la futureEurope revêtentun tout autre senspour le PNV :tandis quel’Europe a leregard tourné versl’avenir, Ibarretxefait un retour enarrière de 7000ans (meeting del’Alderdi Eguna,fête annuelle duPNV). Tandis quel’Europerevendique la loide la raison, lenationalismebasque défendl’ethnicisme leplus vulgaire ”

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chant ». En général, les propriétairesaffichent ce genre d’écriteau à desfins dissuasives. Ils n’ont pas envieque leur chien morde, ils souhaitentseulement ne pas être dérangés.Ainsi, plus le chien semble agressifet plus il aboie, mieux c’est. Il sepasse la même chose avec le PNV. LePNV veut empêcher à tout prix ladisparition définitive de l’ETA, parceque ses aboiements lui sont d’unegrande utilité. Rien de mieux qu’unetrêve : l’ETA au réfrigérateur, en hi-bernation, mais toujours là, tou-jours en vie, pour permettre au PNVde dire, à des fins dissuasives : « At-tention à l’ETA ».

Les événements de cette annéeen sont la meilleure preuve. LeCongrès des députés approuve mas-sivement la Loi sur les partis politi-ques, qui met hors la loi Batasuna[bras politique de l’ETA], et l’organi-sation terroriste a besoin que la légi-timité de cette décision soit remiseen question ? Le PNV vole à sa res-cousse. L’affrontement entre le Par-lement basque et les Cortes genera-les [Congrès des députés et Sénat]devient inévitable ? Le PNV n’hésitepas à envenimer la situation avecune joyeuse irresponsabilité. Lesfonds viennent à manquer ? Le pré-sident du Parlement basque répondprésent à l’appel, pour que l’ETA nemanque de rien… L’argent n’est pasun problème ! « Les p’tits gars » etleurs complices voudraient bien quel’on saisisse la Cour européenne desDroits de l’Homme de Strasbourg ?On prend vite fait bien fait un avionà l’aéroport de Sondica et on s’en vas’acquitter d’une mission aussi exé-crable qu’injustifiée.

Le PNV, EA [Solidarité basque] et– est-ce si surprenant ? – le parti deMadrazo [IU - Ezker Batua, coalitioncommuniste basque] ont placé l’or-ganisation terroriste sous respira-

“ Les événementsde cette année ensont la meilleurepreuve. LeCongrès desdéputés approuvemassivement laLoi sur les partispolitiques, qui methors la loiBatasuna [braspolitique de l’ETA],et l’organisationterroriste a besoinque la légitimitéde cette décisionsoit remise enquestion ? Le PNVvole à sarescousse.L’affrontemententre le Parlementbasque et lesCortes generales[Congrès desdéputés et Sénat]devientinévitable ? LePNV n’hésite pasà envenimer lasituation avec unejoyeuseirresponsabilité ”

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quierda Unida -IU, coalition commu-niste]. Juan José Ibarretxe va pouvoircontinuer à dévoiler ses projets, tan-dis que Llamazares et Madrazo con-tinueront à détourner le regard,comme si la discussion la plus im-portante concernant l’avenir de l’Es-pagne n’était pas de leur ressort.Qu’ils continuent, s’ils le souhaitent,mais, à mon avis, le PSOE doit res-treindre, doit rompre, ses coalitionset ses accords avec le bureau de pla-cement favori des anciens conseillersde Batasuna. Pas seulement parceque cela nous porte un préjudiceconsidérable – il ne serait pas super-flu d’introduire un grain d’intelligen-ce dans les alliances électorales, quisi elles sont bénéfiques aujourd’huipeuvent être néfastes demain –,mais aussi parce que, dans le débatqui se présente à nous aujourd’hui,on est soit d’un côté, soit de l’autre.

Nous devons construire unealternative et attirer IzquierdaUnida dans notre camp : l’intérêtgénéral des citoyens a la priorité,au-delà des sigles.

tion assistée, pour la simple raisonque le PNV ne peut pas se permet-tre une défaite des radicaux.

Cependant, en dépit de la gros-sièreté et du manque de compas-sion dont ils ont fait preuve enversles victimes – tout cela pour que l’E-TA bénéficie d’un sursis –, l’État dedroit, sans leur aide, est sur le pointde vaincre les terroristes. Voilà cequi a incité Arzalluz à présentermaintenant le projet nationaliste,avant la défaite définitive de l’ETA.Ce projet, sans la menace terroriste,sans la peur qu’elle suscite, auraiten effet une tout autre portée. Jen’irai pas jusqu’à dire qu’il provo-querait des éclats de rire, mais il estcertain qu’il n’accaparerait pas au-tant de temps et d’énergie que lecocktail ETA-Plan Ibarretxe.

Je tiens néanmoins à préciserune chose : la Constitution europé-enne et la fin de l’ETA n’expliquentpas à elles seules la présentationprécipitée du projet nationaliste.Les nationalistes avaient aussi be-soin du soutien, de la compréhen-sion et de la solidarité d’une largefrange de la population espagnole.Or, c’est chose faite. Les motiva-tions sont diverses. Certains, sim-plement pour le plaisir de faire lanique au parti au pouvoir, leur ap-porteront un soutien tactique, encachette, certes, mais un appui toutde même. Et force est de reconnaî-tre que le PNV a su tirer un magni-fique profit de la rivalité et desmesquineries du PSOE [Parti socia-liste] et du PP [Parti populaire] ! Ilfaut voir comment ces deux forma-tions nationales sont tombées, cha-cune à leur tour, dans les piègestendus par les nationalistes.

D’autres ont confondu l’État dedroit espagnol avec une ONG. In-vesti d’une mission humanitaire, ildevrait déployer des efforts surhu-

mains, jusqu’à l’épuisement de sesforces, afin de comprendre ceux quine veulent pas être compris, de né-gocier avec ceux qui l’agressent ousoutiennent ses agresseurs, d’en-courager le dialogue jusqu’au petitmatin ou jusqu’à la tombée de lanuit, au lecteur de choisir, comme sil’État de droit n’avait pas la légitimi-té suffisante pour agir sans comple-xes, sans hésitations, sans conces-sions, afin de défendre la dignité etla liberté des citoyens sur son pro-pre territoire.

Le Parti populaire, qui gouverneà la majorité absolue, et le PSOE, quiaspire au pouvoir, doivent construi-re une alternative afin de contreca-rrer le « Plan Ibarretxe », pour défen-dre la paix et la liberté, la Constitu-tion et le Statut d’autonomie. En cequi me concerne, je me sens parti-culièrement fier de mon parti, mê-me si je suis bien loin de considérerque tous mes camarades soient dig-nes de cet éloge. Ce sigle, qui esttoute ma vie, des hommes tels quePrieto ou Iglesias1, notre passé, toutcela est pour moi source d’orgueil,et pourtant, c’est ce même orgueilqui m’incite à croire qu’il est absolu-ment nécessaire de surmonter lesdifférences qui opposent nos deuxpartis afin de relever le défi du PNV,de renforcer ce que nous avons encommun, ce qui nous unit.

Il y a déjà plusieurs jours que lelehendakari [chef du gouvernementrégional basque] s’est exprimé aunom de son gouvernement, au seinduquel est présent le parti de GasparLlamazares [leader national d’Iz-

“ Le Partipopulaire, quigouverne à lamajorité absolue,et le PSOE, quiaspire au pouvoir,doivent construireune alternativeafin decontrecarrer le« Plan Ibarretxe »,pour défendre lapaix et la liberté,la Constitution etle Statutd’autonomie. Ence qui meconcerne, je mesensparticulièrementfier de mon parti,même si je suisbien loin deconsidérer quetous mescamarades soientdignes de cetéloge ”

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1 Indalecio Prieto (1883 – 1962) : ministresocialiste sous la IIe République et pendantla guerre civile espagnole.Pablo Iglesias (1859 – 1925) : fondateur duPSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol).

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Le gouvernement de José Ma-ría Aznar1 a toujours considérécomme prioritaire la lutte con-tre le terrorisme, combat sansrelâche contre un phénomènequi, loin d’être un problèmeexclusivement espagnol, revêtune dimension internationale.La stricte application de l’Étatde droit, voilà l’instrumentqu’il a choisi pour combattre leterrorisme.

Non seulement Aznar et sesgouvernements ont fait le bon diag-nostic, mais ils ont aussi choisi letraitement approprié. L’État de droits’est montré implacable contre leterrorisme et son entourage politi-que. Le gouvernement ayant affiché

sa ferme détermination d’en finirune bonne fois pour toutes avec leterrorisme, l’État de droit s’en esttrouvé renforcé et la mise en œuvrede tous ses mécanismes reste laméthode la plus efficace pour éradi-quer le terrorisme.

Si nous procédons à un bref ré-capitulatif des événements qui sesont produits cette année, nous ve-rrons que l’application de la loi surles partis politiques2 a engendré

d’innombrables résultats positifs.L’un d’entre eux, le plus éloquentpeut-être, c’est que l’ETA n’est dé-sormais plus représenté dans lesmairies du Pays basque3. Certainspourraient considérer qu’il s’agit làd’une mesure téméraire. Rien deplus faux. Il a été amplement dé-montré que l’application de l’État dedroit procure davantage de liberté àla société basque.

Il convient également de ne pasoublier que les importantes réfor-mes menées à bien dans le domainelégislatif ont réduit de façon spec-taculaire la violence de rue4, et queles succès remportés par les forcesde l’ordre ne cessent d’affaiblir l’or-ganisation terroriste.

Combattre le terrorisme est uneobligation pour tous les démocra-tes, une lutte qui interpelle toutesles démocraties. Les attentats du 11septembre 2001 ont fait en outreprendre conscience aux démocra-ties occidentales, et au monde en-tier, de la gravité du phénomène te-rroriste. L’Espagne, parce qu’elle ensouffre dans sa chair, en était cons-ciente depuis déjà longtemps.

En tant que phénomène global,

UN DÉFI NATIONALISTE(Novembre 2003)

Jaime Mayor Oreja

Président du groupe parlementaire du Parti populaire (PP) au Parlement basqueAncien ministre de l’Intérieur du gouvernement espagnol (1996-2001)

1 [NdT] Au printemps 1996, le Parti populaire remportait pour la première fois les élections législatives. Depuis, l’Espagne a été dirigée par divers gouvernementsdu Parti populaire, présidés par M. José María Aznar, lequel a décidé de ne pas se représenter aux prochaines élections, qui auront lieu en mars 2004.2 [NdT] La nouvelle loi organique du 27 juin 2002 sur les partis politiques a été approuvée par le Congrès des députés à plus de 90% des voix.3 [NdT] Depuis les premières élections municipales démocratiques (juin 1979), et jusqu’aux élections du 25 mai 2003, le bras politique de l’ETA (qui, avant de s’ap-peler Batasuna, s’est appelé Herri Batasuna, puis Euskal Herritarok) avait des conseillers municipaux dans un grand nombre de villes et de villages basques. Mis horsla loi, ce parti n’a pu présenter de candidats aux dernières élections municipales.4 [NdT] “L’action violente dans les rues, qui va depuis l’attaque des commerces, l’incendie d’autobus et de mobilier urbain, à l’attaque des conseillers municipaux,des parlementaires, des journalistes et leurs familles, y compris la pose dans les rues d’affiches de personnes dénoncées comme « espagnolistes » qui, dans de nom-breux cas, ont été par la suite victimes d’attentats, mortels dans certains cas, est en soi un élément déterminant de la sensation (réalité) d’insécurité dans laquellevivent de nombreux citoyens directement affectés (environ trois mille personnes particulièrement visées selon des témoignages), et est dans tous les cas égale-ment une cause directe de l’impossibilité pour une partie de la communauté des citoyens d’exercer librement leurs droits civiques et politiques.” (Commissaire auxdroits de l’homme, Conseil de l´Europe. 9 mars 2001).

“ Non seulementAznar et sesgouvernementsont fait le bondiagnostic, maisils ont aussi choisile traitementapproprié. L’Étatde droit s’estmontré implacablecontre leterrorisme et sonentouragepolitique ”

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le terrorisme exige des réponsesglobales. Et c’est pourquoi je tiens àsouligner ici combien l’aide de laFrance, de son président, de sespremiers ministres et de ses gouver-nements, nous a été précieuse dansla lutte antiterroriste. C’est à sa jus-te valeur que l’Espagne reconnaît lacollaboration de la nation voisine, etle Prix décerné en 2003 par le ForoErmua à M. Dominique Perben, gar-de des Sceaux, en est une preuve.

Pour en finir avec le terrorisme,nous avons besoin que nos voisinss’engagent à nos côtés, afin d’éviterla création de sanctuaires terroris-tes. La coopération internationaleest une nécessité, et en ce sens l’ap-probation du mandat d’arrêt euro-péen constitue une étape fonda-mentale. Ainsi, en Espagne, noussommes émerveillés de voir com-ment le Conseil d’État français a en-core autorisé l’extradition de mem-bres de l’ETA, ce qu’a fait l’Allemag-

ne également, et comment aussi lajustice française est en train d’envi-sager la possibilité de rendre illégall’entourage de cette organisationterroriste. C’est de cette seule etunique façon que nous pourronsmettre un terme à un phénomènequi, en Espagne, a déjà tué un mi-llier de personnes et blessé des cen-taines de milliers d’autres.

Tout gouvernement démocrati-que sensé doit donc se fixer commepriorité politique la disparition duterrorisme. Il n’y en a pas d’autre.Cependant, au Pays basque, le gou-vernement autonome, dirigé par lelehendakari [chef du gouverne-ment, en basque] Juan José Ibarret-xe, a choisi de mettre en œuvre unprojet politique qui reprend les thè-ses de l’ETA, au lieu de combattrecette organisation terroriste. Et àl’unité des démocrates, qu’ils soientou non nationalistes, il préfère l’uni-té des nationalistes.

Héritier politique de l’ETA, le« Plan Ibarretxe »5 est aussi un pro-jet sécessionniste vis-à-vis de l’Es-pagne. Il prétend obtenir l’indépen-dance du Pays basque, en bafouantles droits de toute une moitié de lasociété basque, une moitié qui n’estpas nationaliste, qui ne se sent pasnationaliste, et qui se reconnaît dansle statut de Guernica [statut d’auto-nomie du Pays basque] et dans laConstitution espagnole. Si les Bas-ques non nationalistes ont toujoursété la cible du terrorisme de l’ETA, ilsdeviennent aujourd’hui, en vertu du« Plan Ibarretxe », des ennemis poli-tiques, des « anti-Basques ».

Le lehendakari brandit divers ali-bis : le dialogue, la réforme du sta-tut d’autonomie, ou encore la cons-truction européenne. En réalité, il nesouhaite pas dialoguer : il souhaiteimposer son projet politique. Il neveut pas réformer le statut d’auto-nomie : il veut l’enterrer, comme ilveut démanteler la Constitution es-pagnole. Et il dit que son projets’inscrit dans le processus de cons-truction européenne, alors que laCommission européenne elle-mê-me, et plus récemment le présidentde la République française, JacquesChirac6, affirmaient au contraireque ce projet n’avait pas sa place en

“ Il convientégalement de nepas oublier queles importantesréformes menéesà bien dans ledomaine législatifont réduit defaçonspectaculaire laviolence de rue ”

5 [NdT] En septembre 2002, le lehendakariJuan José Ibarretxe annonçait au Parlementde Vitoria l’élaboration d’un programme po-litique visant à faire du Pays basque « unecommunauté associée à l’Espagne » prati-quement indépendante. Le 25 octobre 2003,24 ans jour pour jour après l’approbation dustatut d’autonomie du Pays basque, le gou-vernement régional approuvait le « Plan Iba-rretxe », un projet de loi qui doit encore êtresoumis au vote du Parlement régional.6 [NdT] Référence aux déclarations duprésident Jacques Chirac lors du Sommetfranco-espagnol de Carcassonne (6 novem-bre 2003).

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“ Le lehendakaribrandit diversalibis : le dialogue,la réforme dustatutd’autonomie, ouencore laconstructioneuropéenne. Enréalité, il nesouhaite pasdialoguer : ilsouhaite imposerson projetpolitique. Il neveut pas réformerle statutd’autonomie : ilveut l’enterrer,

comme il veutdémanteler laConstitutionespagnole. Et il ditque son projets’inscrit dans leprocessus deconstructioneuropéenne, alorsque la Commissioneuropéenne elle-même, et plusrécemment leprésident de laRépubliquefrançaise,Jacques Chirac6,affirmaient aucontraire que ceprojet n’avait passa place enEurope ”

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Europe. Le « Plan Ibarretxe » s’appuiesur le mensonge.

Sans avoir mis fin au terrorisme,et sans afficher, semble-t-il, la moin-dre volonté de le combattre, ce na-tionalisme qui partage les objectifsde l’ETA, fait tout pour humilier ceuxqui pensent différemment. Il utilisetous les ressorts du pouvoir pourdonner raison à l’ETA, et pour donnertort à ceux que l’ETA assassine. Il dé-sobéit en permanence à la justice etdéfie les pouvoirs de l’État, courant àla rescousse de l’organisation terro-riste et crachant sans vergogne au

visage des démocrates toute la forcede sa rancœur envers l’Espagne, cequ’elle est, ce qu’elle signifie.

C’est donc un défi sans précé-dent qui se présente aujourd’hui àla démocratie espagnole et aux dé-mocrates non nationalistes résidantau Pays basque, un défi auquel doitfaire face le gouvernement espag-nol, bien entendu, mais que doit af-fronter également, et c’est là unpoint fondamental, la société bas-que elle-même.

Un « Agenda politique du chan-gement », flexible et ouvert, propo-sant un calendrier concret et des ac-tions concrètes susceptibles de con-

duire à un changement politique auPays basque, voilà ce dont a besoin lasociété basque pour répondre à l’i-neptie, la déloyauté et la mesquine-rie du gouvernement basque et PNV[Parti nationaliste basque].

L’enjeu est crucial : cet « Agendapolitique du changement » devraconduire à la victoire des forcesconstitutionnalistes lors des pro-chaines élections régionales au Paysbasque7. Un programme de gouver-nement, donc, un programme de re-tour à la normalité. Il est urgent deprendre une telle initiative, car l’opi-

nion publique doit savoir que la fic-tion, le radicalisme, le dogmatismeet le sectarisme politique du mou-vement nationaliste vont, pour lapremière fois, priver le nationalismebasque du pouvoir8.

Les constitutionnalistes basquesdoivent donc préparer soigneuse-ment leur copie. Et tous nous de-vons être à la hauteur des circons-tances : partis politiques, mouve-ments sociaux, médias, chefs d’en-treprises, syndicats,…

Nous devons être conscients quetoute division, toute fracture, équi-vaudrait à un suicide, que ce seraitla pire des choses pour ces valeurs

constitutionnelles que nous défen-dons. Nous devons donc faire con-fiance à nos institutions, à notregouvernement, à notre justice, ànotre démocratie.

C’est de nous-mêmes que nousdépendons, de notre capacité à ren-forcer la présence au Pays basque dedeux réalités politiques qui représen-tent et garantissent la cohabitationpacifique et la liberté. Je veux parlerde la Constitution espagnole de 1978et de l’Union européenne.

C’est à nous, les constitutionna-listes, qu’il incombe d’expliquer la

force morale, la suprématie moralede tous les projets qui font de l’UEet de la défense de la liberté leurprincipal cheval de bataille.

Parce qu’ils ont défendu ces idé-es, beaucoup de nos amis et de noscamarades ne sont plus aujourd’huiparmi nous.

La suprématie morale de l’Es-pagne et de l’Union européennenous oblige, plus que jamais, à af-fronter cette nouvelle année politi-que en gardant toujours présentes àl’esprit les victimes de la liberté.Elles sont la voix de notre conscien-ce. Elles sont au cœur de notre acti-vité politique.

Les victimes du terrorisme sontla meilleure raison, la plus sincère etaussi la plus décisive, pour laquellenous devons lutter en faveur d’unchangement démocratique au Paysbasque.

7 [NdT] L’actuelle législature du Parlement régional devrait s’achever en mai 2005, mais ladate des élections régionales pourrait être avancée au second semestre 2004. 8 [NdT] Depuis les premières élections régionales, qui ont eu lieu en mai 1980, le PNV atoujours été à la tête du gouvernement basque.

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à ce sujet. Ce qui est significatif, carles deux grands mensonges du PNV(Parti Nationaliste Basque) -nousvivrons mieux, nous serons toujourseuropéens-, se sont écroulés com-me un château de cartes. Deuxgrands mensonges qui touchent, et,énormément, ce collectif d’esto-macs reconnaissants dont je vousparlais avant. Mais, permettez-moide m’arrêter sur la question europé-enne. Monsieur « Ibarretxe » a dittextuellement lors du Conseil du 27septembre 2002: “Ce modèle de re-lation basé sur la libre association(entre le Pays Basque et l’Espagne),et sur la souveraineté partagée, estutilisé et reconnu dans le contexteeuropéen et dans la convention in-ternationale. Ce modèle est la basede la construction Européenne elle-même, et il a même été le fonde-ment des États européens et d’au-tres qui existent dans le monde oc-cidental ”.

“... il s’agit, en définitive, d’uneproposition qui utilise les bases juri-diques et politiques qui ont été uti-lisées et sont encore utilisées actue-llement en Europe occidentale...”.

Donc, avec ces antécédents, le 8octobre, j’ai posé la question sui-vante à la Commission européenne:“La Commission considère-t-elleque le Traité de l’Union Européenneadmet la perspective envisagée parMr. Ibarretxe?”. Et, il faut signaler, àplus forte raison, qu’un fonction-naire honnête de la Présidence duGouvernement basque, qui était au

courant de mon initiative, avait dis-tribué, le 15 octobre, à tous lesCommissaires, et en anglais, le texteintégral de la déclaration du lehen-dakari. Je ne lui en serai jamais as-sez reconnaissante car, à partir delà, personne ne pourra dire que laCommission a répondu à ma ques-tion en n’ayant qu’une informationpartielle.

Le 22 octobre 2002, la Commis-sion Européenne m’a répondu. Laréponse complète et textuelle est lasuivante: “Non, le Traité de l’Unionne peut en aucun cas constituer labase juridique qui admet l’initiativede Mr. Ibarretxe proposée au Parle-ment régional le 27 septembre der-nier ”.

Comme on dit familièrement :c’est clair comme de l’eau de roche.Et cette réponse de la Commission,brève mais décisive vient confirmerla mise en garde que nous avionsfait, certains de nous: Si les Basquesrenoncent à la citoyenneté espag-nole, ils perdront en même tempsleur condition d’européens. Ou, ditd’une autre façon : les Basques,nous sommes européens parce quenous sommes espagnols.

Il est évident que Mr. Ibarretxereste imperturbable, installé dans lemensonge, et devant cette réponse,il n’a eu qu’une idée : essayer detuer le messager (je touche du bois).C’est vraiment un personnage diffi-cile à comprendre! Mais, en relisantCarlo M. Cipolla, j’ai pensé que la ré-ponse était peut-être chez lui. Jevous recommande donc la lecturedu deuxième essai de son livre “Ale-gro ma non Tropo”, en particulier lechapitre numéro 7, qui a pour titre“Le Pouvoir de la Stupidité ”. Et jevous souhaite de passer un bon mo-ment en le lisant.

Une fois de plus, cela vaut la peined’insister sur ce fait : malgré lesmensonges du nationalisme basque,il faut que les citoyens ou ressortis-sants basques commencent à con-naître en personne les conséquencesdes décisions de leurs gouvernants.Je fais partie de ceux qui pensentque le régime que nous subissons auPays basque commencera à battreen retraite quand s’ajoutera aux600.000 votants constitutionnalis-tes un nombre de plus en plus grandde ressortissants qui, tout en profi-tant encore des avantages de vivre àl’ombre du régime, commencent àcraindre que certaines de ses fras-ques aient une répercussion négati-ve sur leur façon de vivre. Ils ne serapprocheront pas de nous par com-passion ou par solidarité; pas mêmepar réaction morale ou un tant soitpeu éthique. Ils le feront par égoïs-me quand ils comprendront que s’ilsrestent fidèles au PRI basque, ils ontplus à perdre qu’à gagner.

Après la présentation du projetdu « lehendakari » (Président duGouvernement basque), il y a eu, àmon avis, deux faits qui laissent en-trevoir un peu d’espoir dans ce sens.Le premier, c’est le rejet ferme et clairdu patronat basque (Confebask). Unrevers auquel le PNV ne s’attendaitpas -souvenez-vous de la réaction d’« Arzalluz » (président du PNV)- et,pourquoi ne pas le dire, qui a surpriset/ou gratifié tout le monde.

Le deuxième coup, ce fut la déci-sion de la Commission européenne

Le prix politique de la “Non-Espagne”Rosa Díez

Membre du Bureau du Groupe parlementaire du Parti socialiste européen (Parlement Européen)

“ Le 22 octobre2002, laCommissionEuropéenne m’a répondu. Laréponse complèteet textuelle est lasuivante: ‘Non, leTraité de l’Unionne peut en aucuncas constituer labase juridique quiadmet l’initiativede Mr. Ibarretxeproposée auParlement régionalle 27 septembredernier’ ”

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Bien que la question de la séces-sion représente le principal ob-jectif de l’agenda politique dunationalisme gouvernant depuisla signature de son pacte avecl’ETA à Lizarra et un sujet de tou-te urgence depuis le moment oùle lehendakari Ibarretxe, au cri de« independentzia! », a été procla-mé vainqueur des dernières élec-tions autonomes, il semble que lapréoccupation des coûts écono-miques n’ait surgi très fort quelorsqu’une telle aspiration s’estconcrétisée sous forme de projetexotique de créer un état libreassocié.

L’idée que la sécession du Pays Bas-que par rapport à l’Espagne puissereprésenter des coûts élevés n’estpas admise par ceux qui la propo-sent. Ils objectent à cela que la ré-gion, sous sa nouvelle forme étati-que, restera au sein de l’Union Euro-péenne, et qu’il ne se produira doncpas de changements institutionnelsimportants et que, par conséquent,l’essentiel des relations économi-ques n’en souffrira pas, et que toutau plus, il pourrait se produire desfrictions de faible intensité et que cen’est même pas la peine d’en calcu-ler le coût. Un tel optimisme, au-delà de son orientation politiquedésintéressée, semble peu réaliste.Le seul antécédent d’un problèmede ce genre —celui de l’Algérie, qui aperdu le statut de province françai-se avec son indépendance— montreque la séparation d’une partie d’undes états membres de l’Union impli-que aussi qu’elle perd radicalementles liens qui l’unissent à celle-ci etqu’elle sera considérée comme unpays tiers. Et, de plus, comme il estprévisible qu’il n’y aura pas d’accordessentiel à ce sujet entre toutes lesforces politiques démocratiques,spécialement de la part des deuxpartis qui représentent la majoritédes espagnols et sont donc la majo-rité parlementaire nécessaire pourarriver à cet accord, on ne peut queconsidérer la sécession comme unfait politique conflictuel ; il n’y a pasd’autre conclusion. Et, s’il en estainsi, et si cette sécession se produi-sait, il est évident que cela impli-querait des coûts qui découlent dela transformation radicale de l’envi-

ronnement institutionnel de l’éco-nomie basque1.

Ces coûts sont générés dansquatre domaines essentiels dusystème économique: les échangesextérieurs, le délocalisation des acti-vités productives, la prise en chargede nouvelles compétences adminis-tratives et la gestion du systèmemonétaire. Et il est possible dequantifier certains de ces coûts àpartir d’hypothèses raisonnables surle comportement de différentes va-riables ou de l’observation directedes données dont on dispose actue-llement. Etant donné que ni les au-torités gouvernementales, ni lespartis politiques, ni le patronat, niles syndicats, ni aucune autre insti-tution n’ont avancé d’estimation àce sujet, il est nécessaire de justifiercette quantification. Et il est inévi-table d’utiliser des termes et despropos techniques économiquesdans les lignes qui suivent, ce quilassera sûrement le lecteur. C’estpourquoi je me permets d’avancerdéjà la principale conclusion de cetarticle: les coûts de la “Non–Espag-ne” dérivés de la sécession sont im-portants, ils conduiront à l’appauv-rissement du Pays Basque et oblige-ront ses ressortissants à supporter

La sécession et les coûts de la “Non–Espagne”Mikel Buesa

Agrégé d´Économie Appliqué.

“Ces coûts sontgénérés dansquatre domainesessentiels dusystèmeéconomique: leséchangesextérieurs, ledélocalisation desactivitésproductives, laprise en charge denouvellescompétencesadministratives etla gestion dusystèmemonétaire”

1. Il y a une discussion plus étendue sur cepoint dans mon travail: Mikel Buesa (2002):“Economía política de la secesión” (Économiepolitique de la sécession), “Papeles de Ermua”nº 3. L’ idée que le processus sécessionnisteimpliquera la ségrégation du Pays Basque parrapport à l’Union Européenne apparaît com-me implicite dans la première “Declaracióndel Círculo de Empresarios Vascos” (Déclara-tion du Cercle des Chefs d’entreprise bas-ques) (Cf. “Papeles de Ermua” nº 3) et plus ex-plicite dans le deuxième communiqué sur cesujet (Cf. El Mundo, 2 de octubre de 2002).

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de lourdes charges économiquespendant bien des années.

COÛTS POUR ACQUÉRIR LACONDITION DE PAYS NON-MEMBREDE L’UNION EUROPÉENNE

Le premier aspect à considérer dansl’estimation des coûts de la séces-sion c’est qu’en acquérant la condi-tion de pays non-membre de l’UnionEuropéenne, l’Euskadi verra unebonne partie de ses exportationsgrevée par le tarif extérieur com-mun. C’est ce qui se produira dans85% de ses ventes de biens et deservices hors du domaine autonome,soit parce qu’elles sont destinéesaux autres régions d’Espagne —54pour 100 de l’exportation basque—soit parce qu’elles se font avec lesautres pays communautaires —31pour 100—, et seulement dans 15pour 100 des ventes qui vont dans lereste du monde, le traitement fiscalactuel ne sera pas altéré. Et donc, sil’on tient compte des charges dedouanes moyennes de 2,8 pour 100et d’une élasticité-prix qui peut va-rier de –0,97 à –1,60, on peut esti-mer que la montée des prix que lesexportations basques vont subirconduira à une réduction de 2,7 à4,5 pour 100 de son montant, ce quiéquivaut à un chiffre entre 1,3 et 3,0pour 100 du PIB régional2.

De plus, les activités commercia-les extérieures des entreprises bas-ques verront augmenter leurs coûtsde transaction. Étant donné qu’en seséparant de l’Union Européenne,l’Euskadi ne sera plus dans la zoneEuro et qu’elle adoptera une nouvellemonnaie —que j’appellerai conven-tionnellement Eusko, par commodi-

“[…] l’Euskadiverra une bonnepartie de sesexportationsgrevée par le tarifextérieur commun.C’est ce qui seproduira dans 85%de ses ventes debiens et deservices hors dudomaineautonome, soitparce qu’elles sontdestinées auxautres régionsd’Espagne —54pour 100 del’exportationbasque— soitparce qu’elles sefont avec lesautres payscommunautaires—31 pour 100—,et seulement dans15 pour 100 desventes qui vontdans le reste dumonde, letraitement fiscalactuel ne sera pasaltéré”

2. On peut trouver le détail de ces estima-tions dans Mikel Buesa (2002): “El precio dela secesión” (Le prix de la sécession), Hastaaquí, nº 3. Photographie: Alfonso Zubiaga

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té—, ces entreprises devront couvrirle risque de change Eusko–Euro ensouscrivant la police d’assurance co-rrespondante. D’autre part, elles dev-ront obtenir les permis, gérer les dé-marches douanières et assumer lesretards à la frontière. Tout cela aug-mentera les coûts dont nous avonsparlé dans un montant difficile àpréciser. Mais si on tient compte desestimations faites par l’OCDE à cesujet3 —en accord avec lesquelles,dans les pays ayant un niveau de dé-veloppement plus élevé, les régle-mentations douanières ont une inci-dence de 2 à 7 pour 100 “ad valorem”et les retenues frontalières une autrede 3 à 6 pour 100— on peut penserqu’au minimum, elles s’élèveront au-tour de 5 pour 100. Ce qui donneralieu à une réduction additionnelledes exportations que l’on peut éva-luer, selon les hypothèses exposéesci-dessus, entre 2,3 et 5,4 pour 100du PIB basque.

En résumé, on peut évaluer lecoût de la “Non–Espagne” dans ledomaine des activités commercialesextérieures à une réduction du pro-duit régional —et, par conséquent,du bien-être de ses ressortissants—qui varie entre 3,6 et 8,4 pour 100.

COÛTS DÉRIVÉS DE LA RÉACTIONPRÉVISIBLE DES ENTREPRISES: LADÉLOCALISATION DES ENTREPRISES

Une deuxième source de coûts déri-vés de la sécession fait référence àla réaction prévisible des entreprisespour affronter les nouvelles condi-tions institutionnelles et, plus spéci-fiquement, les réactions que peu-vent expérimenter leur demande surle marché espagnol. La présence desentreprises basques sur ce dernierdemande une multiplicité d’appro-visionnements qui va de l’approvi-sionnement énergétique au main-tien des aéronefs, en passant parl’équipement des foyers, la presta-tion de services financiers ou la pro-vision de trains pour les chemins defer. En grande partie, cette présences’appuie actuellement sur l’activitéde filières de production ou de dis-tribution qui sont situées dans dif-férentes régions espagnoles. Et,étant donné qu’une sécession peuamicale pourrait entraîner un rejetdes produits d’origine basque dansle reste de l’Espagne, il faudrait pré-voir la délocalisation d’une partie deces entreprises soit parce qu’ellesabandonneraient l’Euskadi, soit par-ce qu’elles sépareraient leurs actifsafin d’isoler leurs activités localesde celles réalisées dans les autresrégions espagnoles.

On ne sait pas quelle pourraitêtre la dimension d’un phénomènede délocalisation de ce genre caron n’a pas recueilli d’informationchez les chefs d’entreprise à ce su-jet. Cependant, cela n’empêche pasde pouvoir faire quelques hy-pothèses là-dessus. Ainsi, j’aimontré ailleurs qu’en adoptantl’hypothèse, très conservatriced’après moi, que ce processus tou-chera seulement le quart de la va-leur des activités des dix plusgrands groupes industriels de cha-

que province basque, cela équi-vaudrait, en termes de valeur ajou-tée, à un chiffre de l’ordre de 6,5pour 100 du PIB du Pays Basque4.

Donc, le résultat auquel on arri-ve en évaluant les coûts de la“Non–Espagne”, en ce qui concerneles réductions d’activité productive,comme conséquence d’une diminu-tion des exportations et d’un trans-fert d’activités vers d’autres en-droits, varie entre 10 et presque 15pour 100 du produit régional. Étantdonné la relation entre produit etemploi, une telle chute de l’activitése traduirait par une perte de85.000 à 131.000 postes de travail5.En d’autres mots, le taux de chôma-ge, qui actuellement s’élève à 9,25pour 100 de la population active,pourrait sauter jusqu’à 18 pour 100,dans l’hypothèse la plus favorable,et à 23 pour 100 dans l’hypothèse laplus défavorable. Le Pays basque re-tomberait ainsi aux pires momentsde la décennie des années 80 quandla reconversion industrielle a réduitune bonne partie de l’emploi et aentraîné une grande partie des tra-vailleurs dans la pauvreté. Et si pen-dant cette période l’Euskadi a pus’appuyer sur le reste de l’Espagnepour résoudre sa crise grâce à untransfert monumental de ressour-ces qui a pu se réaliser en vertu de

“Le budget annuelnécessaire poursoutenir toutesces activités dansle cas d’un serviceextérieurrelativementmodeste quicomprendrait desambassadeursrésidantseulement dans le quart des paysappartenant ausystème desNations Unies,ainsi que dans les principauxorganismesinternationaux,peut être évalué, à environ 640millions d’Euros,selon les coûts en vigueur enEspagne”

3. Cf. OCDE (2002): “Les conséquences éco-nomiques du terrorisme”; inclus dans : Pers-pectives économiques de l’OCDE, nº 71, et Pa-trick Lenain, Marcos Bonturi et Vincente Ko-en (2002): “Les retombées du terrorisme: sé-curité et économie”, L’Observateur OCDE,juin. On peut trouver aussi des estimationsdans ce sens dans : Commission Européenne(1999): Trade facilitation in relation to deve-lopment, Communication à l’OrganisationMondiale du Commerce, G/C/W/143 yWT/COMTD/W/60; et dans: Ernst et Whinney(1987): “The cost of ‘Non–Europe’: boder re-lated controls and administrative formali-ties”, inclus dans la Commission des Commu-nautés Européennes: Research on the Cost of‘Non–Europe’. Basic Findings, vol. 1.

4. Dans : Mikel Buesa (2002): “El precio dela secesión” (Le prix de la sécession), op. cit.La liste des entreprises étudiées est détaillée,ainsi que les données de base utilisées pourcette estimation. 5. Partant de l’information sur la comptabi-lité régionale de l’Espagne de l’Ine pour lePays Basque, j’ai estimé la régression suivan-te entre emploi(l) et pib, utilisée pour évaluerles pertes de postes de travail citées: l =804,7 ln pib – 11351. le coefficient de régres-sion est r2 = 0,9898, ce qui garantit la préci-sion de l’ajustement

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la politique industrielle et financièrede l’État et de sa politique du travail,qui peut s’évaluer avec les prix ac-tuels à 12.700 millions d’Euros, pasmoins, cela ne serait plus possible, sila proposition sécessionniste du na-tionalisme se réalisait6.

COÛTS DÉRIVÉS DE L’EXERCICE DECOMPÉTENCES SOUVERAINES

Les coûts de la sécession ne s’arrê-tent pas avec les deux concepts quiviennent d’être exposés. Ils s’éten-dent aussi à la nécessité de suppor-ter les frais qu’impliquera, commedérivation du projet sécessionnistepatronné par le nationalisme aupouvoir, la mise en place d’un nou-vel état, ce qui conduira à une ré-duction de la rente disponible, spé-cialement pour les travailleurs. Les

éléments qu’il faut étudier à ce su-jet sont de l’ordre de deux: d’unepart, la mise en place de compéten-ces qui ne correspondent pas, ac-tuellement, au gouvernement auto-nome, évaluées pas tellement pourla participation du Pays Basquedans l’ensemble de l’Espagne, maisd’après une dimension qu’il fautconsidérer comme minimum pourson exercice souverain ; et, d’autrepart, et ceci dû à la séparation parrapport à l’Union Européenne, laformation d’une nouvelle monnaie,que j’appellerai Eusko, comme je l’aidéjà signalé plus haut.

Pour commencer par le premierde ces éléments, il faut savoir que siun nouvel état se constituait, il dev-rait assumer l’exercice des compé-tences manifestes de la souveraine-té, en plus de celles qui découlentde la protection sociale. Les premiè-res concernent principalement lagestion des relations internationa-les, la formation d’un système dedéfense, le soutien du système judi-ciaire et la supervision du systèmebancaire. Et les deuxièmes font allu-sion à l’essentiel du bilan entreprestations et cotisations du systè-me de protection sociale.

Le développement des relationsinternationales demande la présen-ce dans d’autres pays, moyennantambassades et services consulaires,le soutien à l’activité internationaledes entreprises au moyen de laprestation de services de consultinget information, et la réalisationd’actions de coopération, spéciale-ment avec les pays les moins déve-loppés. Le budget annuel nécessairepour soutenir toutes ces activitésdans le cas d’un service extérieur re-lativement modeste qui compren-drait des ambassadeurs résidantseulement dans le quart des paysappartenant au système des Na-

“[…] le coûtimputable aufonctionnement dela justice est plusréduit. Si l’onconsidère que lePays Basque estun petit pays etque sa populationest faible, et si l’onsuppose que lasécessionn’entraînera pasune augmentationde la délinquance,je pense que lechiffre annuelpourrait s’élever à60 millionsd’Euros”

6. Les coûts financiers de la politique de re-conversion industrielle espagnole ont été es-timés par Blanca Simón (1997): “Las subven-ciones a la industria en España” (Les subven-tions à l’industrie en Espagne), Ed. ConseilÉconomique et Social, Madrid. L’imputationéconomique se base sur les chiffres d’emploiet de facturation des entreprises recevant desaides publiques qui sont présentés dans: Mi-kel Navarro (1990): “ Política de reconversión:balance crítico” (Politique de reconversion :bilan critique), Ed. Eudema, Madrid; et MikelBuesa et José Molero (1998): “Economía In-dustrial de España. Organización, tecnologíae internacionalización” (Économie industrie-lle de l’Espagne. Organisation, technologie etinternationalisation), Ed. Civitas, Madrid.

tions Unies, ainsi que dans les prin-cipaux organismes internationaux,peut être évalué, à environ 640 mi-llions d’Euros, selon les coûts en vi-gueur en Espagne7.

En ce qui concerne le système dedéfense, il faut compter un budgetannuel qui s’élèverait à 760 millionsd’Euros pour la formation d’une ar-mée professionnelle de 10.000 sol-dats et cadres, et les acquisitions dematériel et systèmes d’armes, ainsique la réalisation d’activités de ren-seignements.

Par contre, le coût imputable aufonctionnement de la justice estplus réduit. Si l’on considère que lePays Basque est un petit pays et quesa population est faible, et si l’onsuppose que la sécession n’entraî-nera pas une augmentation de ladélinquance, je pense que le chiffreannuel pourrait s’élever à 60 mi-llions d’Euros. Et en ce qui concernela supervision du système bancaire,vu la dimension économique de larégion, les coûts correspondantspourraient être couverts avec unedotation de 34 millions8.

C’est à dire que l’ensemble desfrais qui découlent de l’exercice descompétences souveraines peut êtreestimé au minimum à 1.494 millionsd’Euros annuels. Naturellement, ilfaudrait financer ce montant mo-yennant une augmentation de la fis-

7. Les données de base proviennent du Pro-jet des Budgets Généraux de l’État pour 2003,ainsi que des différentes informations quel’on peut obtenir dans la page web du Mi-nistère des Administrations Publiques. 8. On a tenu compte dans ce cas de l’im-portance relative du Pays Basque dans l’é-conomie espagnole, mais aussi des coûtsopérationnels qui se répercutent dans lesComptes annuels de la Banque d’Espagne(Banco de España (2002): Rapport annuel,2001, Madrid).

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calité, mais pas complètement, étantdonné qu’une partie serait couvertepar le montant de la quote-part pa-yée à l’État qui s’élève à 1.091 mi-llions d’Euros d’après une estimationrécente. Donc, le coût additionnel dela souveraineté pourrait s’élever à403 millions annuels; c’est à dire à0,97 pour 100 du PIB régional. Et sices frais étaient couverts en aug-mentant les impôts directs sur le re-venu et le patrimoine, chaque res-sortissant du Pays Basque devraitpayer au Trésor « foral »* 9,2 pour100 en plus de ce qu’on lui retientactuellement. *[(« foral » vient dumot « fueros » : statut de privilègesou franchises accordés à certainesprovinces ou villes. Se dit encore au-jourd’hui en Espagne pour les pro-vinces basques et la Navarre)].

Comme il a été signalé aupara-vant, outre la question des compé-tences souveraines, la sécessionsoulève la question du bilan entre lescotisations et le coût des prestationsdu système de sécurité sociale, car,

actuellement, l’essentiel de ce systè-me correspond au domaine descompétences de l’État9. Ces dernièresannées, au Pays Basque comme dansl’ensemble de l’Espagne, à cause dela progression de l’emploi, ce bilan aété comptabilisé positivement, carles frais de pensions, protection deschômeurs et autres prestations éco-nomiques ont été inférieurs au mon-tant des cotisations des travailleurset employés. Prenons ainsi pourexemple l’année 2001, dont les don-nées ont été publiées récemment,l’excédent correspondant s’est chif-fré à 741,3 millions d’Euros, chiffredont 48 pour 100 est pour la Sécuri-té Sociale et les 52 pour 100 qui res-tent pour l’INEM.

Le nationalisme gouvernant sesert de l’excédent que je viens de ci-ter comme argument pour expliquerque si la sécession du Pays Basqueavait lieu, on pourrait garantir lesrevenus de ceux qui perçoivent desprestations —qui, représentent dansl’ensemble 522.000 personnes, c’està dire le quart de la populationd’Euskadi10—, mais qu’il resteraitaussi un reste qui serait favorable àl’équilibre des comptes publiques.Cet argument cache néanmoinsquelque chose : si la conjonctureéconomique devenait défavorable, ilne serait pas possible, alors, de ga-rantir le financement des presta-tions sociales sauf si l’on arrangeaitdes mesures spécifiques pour cela.Et c’est précisément cette possibili-té qu’il faut étudier car, comme il aété signalé auparavant, à cause de

“Le seulantécédent d’unproblème de cegenre —celui del’Algérie, qui aperdu le statut deprovince françaiseavec sonindépendance—montre que laséparation d’unepartie d’un desétats membres del’Union impliqueaussi qu’elle perdradicalement lesliens qui l’unissentà celle-ci et qu’ellesera considéréecomme un paystiers”

son impact sur le commerce exté-rieur et la délocalisation des entre-prises, le projet d’indépendance, s’ilse réalisait, conduirait à une réduc-tion de l’activité productive et à uneaugmentation du chômage. S’il enétait ainsi, le nombre de personnesoccupées diminuerait —et, avecelles, la recette du système de pro-tection sociale— et, en même temps,le nombre des bénéficiaires de l’as-surance chômage augmenterait—avec l’augmentation consécutivedes frais de ce système—. Donc,dans ces circonstances, en suppo-sant qu’il n’y ait pas de variationsdans les montants individuels desperceptions et cotisations, l’excé-dent du système se transformeraitrapidement en déficit dont le mon-tant pourrait être estimé entre 146et 610 millions d’Euros, selon que letaux de chômage soit situé respec-tivement à 18 ou 23 pour 100.

Logiquement, ce déficit, en l’ab-sence d’un transfert solidaire desressources provenant du reste destravailleurs espagnols, devrait êtrecouvert moyennant une augmenta-tion des cotisations qui grèvent lesrétributions des salariés, car ce sontprincipalement eux qui perçoiventles prestations sociales. Le montantnécessaire pour cela équivaudrait àun chiffre entre 0,7 et 2,8 pour 100de sa rémunération totale brute. End’autres mots, la solution financièredu problème de la sécurité socialedans l’Euskadi indépendante que

9. Cf. Juan Velarde Fuertes (2002): “De eco-nomía y secesión” (De l’économie et de la sé-cession), ABC, 6 octobre 2002.10. Cité par Patxo Unzueta (2001): “Los cos-tes de la independencia” (Les coûts de l’indé-pendance), El País, 29 novembre 2001.

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proposent les nationalistes, passenécessairement soit par un renché-rissement du facteur travail —quidoit sans doute laisser des séquellesdans une détérioration de la com-pétitivité des entreprises basques—soit par une réduction des salairesnominaux —qui, si elle se produit,dégradera les conditions de vie destravailleurs—. Et tout cela, sachantque cette solution est en tout caspréférable à une autre alternativequi consisterait à réduire de 3 à 12pour 100 le montant moyen desprestations sociales.

ADOPTION D’UNE NOUVELLEMONNAIE

Il reste, finalement, à étudier lesconséquences possibles de l’adop-tion d’une nouvelle monnaie—l’Eus-ko— vu que la sécession entraîneraitl’abandon de l’Euro. L’Eusko seraitsoumis, dès les premiers moments, àdes tensions difficiles à gérer. Ainsi,la perte d’activité et de marchés àlaquelle il a été fait allusion dans lapremière remise de ce travail, fini-rait par se faire sentir très rapide-ment par un déséquilibre des comp-tes extérieurs, de sorte que l’excé-dent commercial actuel de 1,6 pour100 du PIB passerait à un déficit si-tué entre 2,4 et 6,7 pour 100 du PIB.Une telle situation impliquerait unepression sur le type de change Eus-ko–Euro dans le sens de sa dépré-ciation. Mais cette dernière ne pou-rrait pas se faire facilement, pourdes raisons politiques —car, commele prouve l’histoire, les gouverne-

Les coûts de la « non-Espagne » pour le Pays basqueConcept Coût[1] Réduction des exportations liée à l’application du tarif extérieur commun de l’Union européenne.........................De 1,3 à 3% du PIB[2] Réduction des exportations liée à l’augmentation des coûts de transaction ......................................................................De 2,3 à 5,4% du PIB [3] Délocalisations ...................................................................................6,5% du PIB [1+2+3] Réduction de l’activité totale de production...............De 10,1 à 14,9% du PIB[1+2+3] Répercussion sur l’emploi Entre 85 000 et 131 000 pertes

d’emploi[1+2+3] Taux de chômage ...........................................................Entre 18,5 et 23,3% de la .............................................................................................................population active

[4] Gestion des relations internationales ......................................640 millions d’euros[5] Système de défense .........................................................................760 millions d’euros[6] Pouvoir judiciaire ..............................................................................60 millions d’euros[7] Supervision du système bancaire ..............................................34 millions d’euros[4+5+6+7] Coût de l’exercice des compétences souveraines ...1494 millions d’euros[8] Quote-part versée par le Pays basque à l’État espagnol ...1091 millions d’euros[4+5+6+7] – [8] Coût réel de l’exercice des compétences souveraines ................................................................................................403 millions d’euros[4+5+6+7] – [8] Répercussion sur le PIB ................................0,97% du PIB[4+5+6+7] – [8] Répercussion sur l’IRPP .................................9,2% des prélèvements

[9] Déficit de la Sécurité sociale........................................................146 à 610 millions d’euros

[9] Répercussion sur le PIB ...........................................................0,35 à 1,47 du PIB[9] Répercussion sur la rémunération brute des salariéssociale supplémentaire..................................................................0,7 à 2,8% de cotisation [9] Répercussion sur les prestations sociales (retraites, indemnité maladie, etc.) 3,0 à 12,1% de réduction sur

les prestations

[10] Coûts associés à l’abandon de l’euro et à l’adoption d’un nouvel étalon monétaire............................................................Tensions spéculatives sur le taux

de changeForte incertitudeTaux d’intérêt élevésAjustements au niveau des emplois et des salaires

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ments de couleur idéologique na-tionaliste, tendent plutôt à fixer leprestige national dans la valeur dela monnaie— et pour des raisonséconomiques—vu que la dévalua-tion porte préjudice aux investis-seurs étrangers et qu’il faut un ap-port externe de capitaux pour fi-nancer le déficit—. Comme l’a expli-qué le professeur Velarde11, le résul-tat de tout cela ne serait autre quela réalisation d’une politique baséesur la montée des types d’intérêts etles réajustements de salaires, avecses séquelles négatives sur l’emploiet l’activité. Et tout cela dans un en-vironnement extrêmement incertain“parce qu’une telle monnaie servi-rait de pâture aux spéculateurs ”.

leurs cotisations augmenter de pres-que 3 pour 100 pour combler le dé-ficit de la sécurité sociale; et lesystème économique se verra mêlé àdes tensions monétaires qui, c’estsûr, aggraveront encore plus leschoses. En définitive, on dirait quel’occupant du palais d’Ajuria Enea, etavec lui tout le nationalisme gou-vernant, veut réaliser le présage deson antécesseur à la présidence duGouvernement Basque, quand cegouvernement était une institutionqui survivait en exil. Quand on avaitdemandé, à une certaine occasion,au lehendakari Jesús María de Leiza-ola, quelles seraient les conséquen-ces de l’indépendance pour l’Euska-di, il avait répondu: “Cent ans depauvreté ”12. C’est triste, mais tel estle destin des peuples qui se laissentemporter par la paranoïa de leursgouvernants; et, s’“il n’est pas possi-ble d’éviter ce que les dieux ont dé-crété ”, comme l’a signalé Hérodote,espérons qu’ils ne se sont pas enco-re prononcés définitivement.

L’INDÉPENDANCE; CENT ANS DEPAUVRETÉ (LEHENDAKARI JESÚSMARÍA DE LEIZAOLA)

Après ce parcours à travers les coûtsde la “Non–Espagne” —qui, en guisede synthèse, est résumé dans le ta-bleau— nous pouvons conclure quela promesse du lehendakari Ibarret-xe est empreinte de malaise pour lesBasques: l’activité productive, etavec elle l’obtention de richesse,peut arriver à diminuer jusqu’à 15pour 100 de son niveau actuel; de là,découlera nécessairement une pertequi peut atteindre 131.000 emploiset une augmentation du taux dechômage jusqu’à environ 23 pour100; il faudra financer la constitu-tion d’un nouvel état moyennantl’augmentation des charges fiscales,de sorte qu’il faudra payer, en mo-yenne, plus de 9 pour 100 de ce quiest versé actuellement par l’impôtsur le revenu; les salariés verront

11. Cf. Juan Velarde Fuertes (2002): “De eco-nomía y secesión” (De l’économie et de la sé-cession), ABC, 6 octobre 2002.

12. Cité par Patxo Unzueta (2001): “Los cos-tes de la independencia” (Les coûts de l’indé-pendance), El País, 29 novembre 2001.

Quand on avait demandé, àune certaine occasion, au

lehendakari Jesús María deLeizaola, quelles seraient

les conséquences del’indépendance pour

l’Euskadi, il avait répondu:“ Cent ans de pauvreté ”

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Topiques politiques etdélégitimation du pouvoirjudiciaire. La situation des juges au pays basque1

Juan Luis Ibarra Robles

MagistratTribunal supérieur de justice du Pays basque

Certains juges devront-ilsporter la burka au sein del’espace judiciaire européen ?

Le 7 novembre 2001, à Getxo (Biz-kaia), M. José María Lidón Corbi,juge de l’Audience provinciale deBilbao, était assassiné par des mi-litants de l’organisation terroristeETA. Il s’agit là d’un événement quidéfinit bien la situation de la ma-gistrature au Pays Basque, une si-tuation qui, sept mois plus tard, neprésente pas de signes d’améliora-tion.2

Deux cent soixante-dix juges etprocureurs, escortés en permanencepar des services de sécurité : voilàun symptôme révélateur de cette si-tuation. À l’intérieur des palais dejustice, sur les trajets entre leurs do-miciles et leurs lieux de travail, et

dans tous les endroits publics où lesconduisent leurs activités person-nelles ou sociales, ces juges et pro-cureurs sont accompagnés par desgardes du corps. Des juges et desprocureurs à qui il est conseillé dene pas autoriser les photographiesen gros plan lors des audiences, detourner la tête en présence d’unphotographe et d’éviter, dans la me-sure du possible, que ne soit publiéeleur photo dans la presse ou de par-ticiper à des débats télévisés. Car,inexorablement, des militants del’organisation terroriste ETA sechargeront de rassembler les clichéspubliés, puis les colleront sur des fi-ches dactylographiées ou les scan-neront et stockeront dans des fi-chiers informatiques.

Les documents interceptés aucours de cette année auprès de

membres de l’organisation terroris-te ont donné l’occasion à un grandnombre de juges et de procureursd’en avoir la confirmation. Pasmoins de quatre-vingts magistratsont ainsi été informés par les auto-rités gouvernementales de la quan-tité de renseignements se trouvantdans les fichiers de l’ETA, concer-nant leur personne, leur famille,leurs activités : données issues durecensement ou des Journaux offi-ciels, articles et photos parus dansla presse, notes prises par les mili-tants de l’organisation terroriste aucours de leurs filatures, sans oublierles appréciations insidieuses four-nies par des membres du mouve-ment abertzale (“patriote”) exerçantleurs activités professionnelles dansles palais de justice.

L’image sociale de la magistratu-re au Pays basque est aujourd’huiindissolublement associée à la com-pagnie d’une personne chargée decouvrir l’angle de tir d’un éventuelassassin, dont les intentions crimi-nelles et le profil humain sont con-nus de tous. Une image sans date depéremption prévisible, puisqu’elledisparaîtra avec la défaite du terro-risme de l’ETA.

Je suis un de ces magistratsconcernés par le programme de sé-curité mis en oeuvre au Pays bas-que, un programme que n’éparg-

“ L’objectifpolitique desterroristes n’estpas la prisematérielle dupouvoir de l’État.Leur intention estde rendre cepouvoir inopéranten provoquant ledésistement deses agents et,finalement, de tousles citoyens qui nepartagent pasleurs convictions ”

1 Ce texte a été publié sous le même titre dans la revue Teoría y realidad constitutional [Thé-orie et réalité constitutionnelle], nº. 8-9, UNED, 2002, pp. 217-234.2 Le juge Lidón Corbi n’est pas le premier magistrat à avoir été assassiné par l’ETA. L’ont pré-cédé : D’autres l’ont précédé : M. José Jáuregui, juge de paix de Lemoa (1978) ; M. José Ma-teu, juge de la Cour suprême (1978) ; Mme Carmen Tagle, procureur de l’Audience nationale(1989) ; M. Francisco Tomás y Valiente, ancien président du Tribunal constitutionnel (1996) ;M. Rafael Martínez Emperador, juge de la Chambre des Affaires sociales de la Cour suprême(1997) ; M. Luis Portero, premier procureur du Tribunal supérieur de justice de Séville (2000) ;et M. José Querol (2000), juge de la Cour suprême. Sans oublier les graves mutilations dontont été victimes M. Fernando Mateo (1990) et M. José Antonio Jiménez (1996), respectivementprésident et juge de l’Audience nationale, les attentats contre le président du Conseil généraldu pouvoir judiciaire, M. Antonio Hernández Gil (1986), et contre le procureur de l’Audiencenationale, M. Eduardo Fungairiño (1990), ainsi que l’envoie de lettres piégées au doyen du ba-rreau de Guipuzcoa (2000) et à l’ancien doyen des Juges juges de Vitoria-Gasteiz (2000).

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nent d’ailleurs pas les critiques deses destinataires3. Je fais partie deces juges et procureurs qui sontvictimes d’une situation de harcè-lement à laquelle les organisationspacifistes ont donné le nom de“violence de persécution”. Eux etmoi savons bien que l’assassinat dujuge Lidón n’a rien d’un crime épi-sodique : ceux qui ont décidé deperpétrer cet assassinat n’obéis-saient pas à des motifs circonstan-ciels. Ils agissent dans le but d’é-branler les fondements mêmes del’exercice du pouvoir juridictionnelau Pays Basque.

Les analyses réalisées par les di-vers corps de police chargés de l’é-laboration du programme de sécuri-té (police nationale, police de laCommunauté autonome du Paysbasque et Guardia Civil) aboutissenttoutes au même diagnostic : la me-nace concerne tout juge exerçantau Pays Basque, indépendamment

de l’ordre juridictionnel dans lequelil exerce sa fonction. Par consé-quent, elle pèse aussi sur les magis-trats ayant pour mission de jugerdes situations juridiques qui n’ontaucun lien avec les actes des terro-ristes et qui, en apparence, ne sem-blent pas nuire à leur stratégie poli-tique.

L’organisation terroriste ETA necesse de présenter la magistraturecomme étant l’ennemi existentieldu peuple basque, et là est l’originede la menace dont doivent se pré-server tous les juges et tous lesprocureurs du Pays basque. Cetteexpression, “ennemi existentiel”renvoie au “conflit existentiel”, au-tre expression chère aux terroristes,qui désignent ainsi ce que les na-tionalistes basques préfèrent appe-ler “le litige basque” : un “conflitexistentiel” qui revêt le sens parti-culièrement intense et violent quelui donnait Carl Schmitt et entraînela négation essentielle des person-

nes contre lesquelles on déclare lalutte armée4.

Il ne faut pas confondre le terro-risme avec une succession plus oumoins rapprochée et organisée d’as-sassinats individuels. La condamna-tion globale d’une collectivité déter-minée entraîne la mise à l’index depersonnes concrètes, concrétisationexistentielle du concept d’ennemi, etc’est cela qui fait de ces crimes desactes terroristes.

La destruction physique et mora-le des personnes devenues la cibledes terroristes constitue l’axe centrald’un processus cyclique qui se dé-roule en plusieurs phases. Des cam-pagnes de propagande commencentpar jeter le discrédit sur la collectivi-té faisant l’objet de la condamnation.Puis des personnes concrètes sont

“ Les juges et lesprocureurs nesont, bienévidemment, ni lespremiers ni lesseuls à entrerdans cette relationdichotomiqueentre amis etennemis du peuplebasque qui présidel’imaginairepolitique de l’ETA ”[…]“ La vision que lesterroristes ont dela réalité leurpermet d’établirune distinctionentre amis etennemis au seinmême de certainsdes groupes qu’ilspoursuivent deleur vindicte (c’estle cas, aujourd’hui,des journalistes,des hommes etdes femmespolitiques, desuniversitaires, des intellectuels et des chefsd’entreprise) ”

3 Le programme de sécurité des juges etdes procureurs mis en place au Pays Basquediversifie les services de protection rappro-chée. Dans un petit nombre de cas seule-ment, celle-ci est assurée par des membresde la police nationale ou de la police autono-me basque (Ertzaintza), le plus grand pour-centage de prestations étant réservé à desagences privées de protection rapprochée. Lenombre de prestations et les tarifs varient enfonction des organisations. À diverses repri-ses, des critiques envers ce programme ontété présentées auprès de la Chambre de gou-vernement* du Tribunal supérieur de justice,ainsi qu’auprès du Conseil général du pouvoirjudiciaire. Plus concrètement, lL’assembléedes magistrats de l’Audience provinciale deBilbao a ainsi adopté des accords contenantces critiques fait part de ses critiques en fév-rier et mai 2002.* [NdT] La Chambre de gouvernement du Tri-bunal supérieur de justice n’exerce pas defonction juridictionnelle. Elle surveille et ad-ministre les affaires intérieures de la justiceau sein de la communauté autonome.

4 Carl Schmitt, Estudios Políticos. El con-cepto de la política, Madrid, 1975. [Étudespolitiques. Le concept de la politique].

Vitoria-Gasteiz (Espagne).

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mises à l’index comme étant l’incar-nation de la collectivité en question.Mais le processus ne s’achève pasavec la destruction physique de l’unede ces personnes, laquelle a pu êtrechoisie de façon aléatoire. La tentati-ve de destruction morale qui précèdel’assassinat de la victime, se poursuitencore après sa mort : appels télép-honiques aux proches, affronts à lamémoire de la victime. Le cycle peutalors recommencer, et la menace pe-sant sur la collectivité condamnée setrouve renforcée. C’est ainsi queprend corps la règle : “en tuer unpour en effrayer mille”.

L’objectif politique des terroristesn’est pas la prise matérielle du pou-voir de l’État. Leur intention est derendre ce pouvoir inopérant en pro-voquant le désistement de sesagents et, finalement, de tous les ci-toyens qui ne partagent pas leursconvictions. Le pouvoir judiciaire setrouve, en ce sens, dans une positionde fragilité, puisque l’une de ses ca-

ractéristiques est d’être un “pouvoird’exercice diffus”, qui s’incarne defaçon individuelle dans chaque jugeet dans chaque magistrat exerçant lepouvoir juridictionnel en étant assu-jetti au seul empire de la loi, de façonindépendante et responsable.

Les juges et les procureurs nesont, bien évidemment, ni les pre-miers ni les seuls à entrer dans cet-te relation dichotomique entre amiset ennemis du peuple basque quipréside l’imaginaire politique de l’E-TA. Cependant, dans les choix crimi-nels de l’organisation terroriste, ilest possible de distinguer une clas-sification des ennemis en fonctionde diverses acceptions qui ont variéau fil du temps, et ce n’est que danscertains cas que l’appartenance àun groupe professionnel constitueun élément nécessaire et suffisant.La vision que les terroristes ont de laréalité leur permet d’établir une dis-tinction entre amis et ennemis ausein même de certains des groupesqu’ils poursuivent de leur vindicte(c’est le cas, aujourd’hui, des jour-nalistes, des hommes et des femmespolitiques, des universitaires, des in-tellectuels et des chefs d’entreprise).Parallèlement, c’est en appliquantune définition totalitaire qu’ils re-groupent d’autres ennemis existen-tiels. Les juges et les procureurs fontpartie de ces derniers.

Au cours des sept derniers mois,l’application du programme de sé-curité nous a permis de compren-dre, en toute lucidité, l’ampleur dudéfi auquel se trouvent confrontésles juges et les procureurs au Paysbasque : nous sommes victimes d’u-ne menace terroriste structurelle,stabilisée dans le temps, et qui, se-lon toute probabilité (aucune auto-rité n’ose avancer le contraire), nedisparaîtra pas avant au moins unedizaine d’années.

Par conséquent, même dans laplus optimiste des hypothèses (quiconsisterait à supposer que le pro-gramme de sécurité réussira à met-tre un terme définitif aux assassi-nats de membres de la magistraturepar l’ETA), il serait ingénu de penserque, dans un avenir plutôt proche,une sorte de lassitude institution-nelle (comparable au stress du com-bat) ne se fera pas sentir au sein dela magistrature du Pays basque, unelassitude dont le système judiciaireespagnol lui-même sortira difficile-ment indemne.

Et même si le Conseil général dupouvoir judiciaire parvenait à at-teindre l’objectif, discrètement évo-qué, d’attribuer à des magistrats decarrière au moins la moitié des centquatre-vingt-dix-sept postes de ju-ges et de magistrats, cela ne résou-drait pas le problème. Cette politi-que judiciaire présuppose en effetqu’un nombre très important depostes judiciaires vont être occupéspar des professionnels qui ne sontpas des magistrats de carrière (jugesremplaçants et magistrats supplé-ants), et implique par ailleurs unegrande instabilité au niveau desplaces attribuées à des juges de ca-rrière, ce qui nous renvoie au sché-ma de magistrature “en transit”,dont on avait réussi à sortir à la findes années quatre-vingt. Or, ceschéma intègre aujourd’hui unenouvelle composante : la vie quoti-dienne “en bulle” des juges et desprocureurs, constamment accom-pagnés de gardes du corps 5.

“ Ces troistopiques sont lessuivants :a) La constructionnationale del’Euskal Herriarequiert un pouvoirjudiciaire propre,s’exerçant au seind’un espacejudiciaire basque.b) La légalitéémane despeuples, non desÉtats.c) Nous nepouvons nousdéfendre face àdes juges quin’emploient ni neconnaissent notrelangue ”

5 Le 22 janvier 2002, le Conseil général dupouvoir judiciaire réuni à Bilbao a annoncé laprochaine adoption des mesures suivantes :a) assignation aux juges affectés au Pays bas-que d’une prime de “difficulté spéciale”, d’unmontant de 450 euros mensuels ; b) flexibili-té des horaires d’audience dans les palais de

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100La situation des juges au Pays basque

Voilà quelle est, en trois points, lasituation de la magistrature au Paysbasque : menace terroriste structu-relle, pesant sur tous les juges ettous les procureurs, et qui n’est pro-bablement pas près de disparaître. Ils’agit là d’une situation que l’on nepeut donc continuer à minimiser pardes discours qui se veulent psycho-logiquement rassurants, quand ilsn’essaient pas d’occulter pieusementla réalité.

Au cours des derniers mois, ungroupe de juges préoccupés par lagravité des événements, dont je faispartie, a demandé aux institutionsauxquelles il incombe, en vertu de laConstitution, de préserver l’indé-pendance judiciaire, d’encouragerune réflexion en profondeur sur lafaçon dont la menace terroriste en-trave l’exercice correct du pouvoirjuridictionnel.

Nous avons demandé aux res-ponsables de ces institutions de ne

pas s’habituer à des faits qui, néces-sairement, vont conduire à une si-tuation telle que les juges basquesseront obligés, métaphoriquementparlant, de rendre la justice en secachant derrière une burka. Nousavons suggéré qu’il serait opportunque les juges faisant l’objet de me-naces puissent participer directe-ment au processus de décision con-cernant les mesures à prendre pourfaire face à cette situation. Et nousavons souligné les risques que celareprésenterait pour le projet d’espa-ce judiciaire européen si cette situa-tion devenait une sorte de mal ch-ronique de l’administration judiciai-re dans l’un des États membres del’Union européenne.

Au Pays basque, la magistrature estsoumise à une forme particulièrede délégitimation sociale

Au-delà des symptômes, la réflexionsur la dimension structurelle et nonépisodique de la menace terroristepesant sur la magistrature soulignel’évidence d’une inquiétante réalité :à la différence d’autres projets te-rroristes, et notamment à la diffé-rence de ceux qui concernent lamagistrature dans le reste de l’Es-pagne, celui de l’ETA revêt une dou-ble dimension, puisque, dans le butd’ébranler dans ses fondementsmêmes l’exercice du pouvoir juridic-tionnel au Pays basque, l’organisa-tion terroriste n’attente pas seule-

ment à la vie de certains juges etprocureurs, mais s’efforce égale-ment de délégitimer la magistratureaux yeux de la société basque.

À mon avis, les possibilités quis’offrent à la magistrature pour sor-tir institutionnellement indemne dela situation créée par la menace te-rroriste sont peu nombreuses, etelles dépendent, dans une large me-sure, de la juste compréhension decette double dimension du terroris-me de l’ETA.

Le terrorisme, en tant qu’organi-sation sociale, est constitué commeune entreprise qui utilise diversesressources (humaines, matérielles)et divers moyens (d’information, decommunication) dans le but d’obte-nir et de conserver le contrôle poli-tique et social en provoquant le dé-sistement de ses opposants. On nepeut donc confondre le terrorismeavec les partis démocratiques quiaspirent à obtenir et à conserver lepouvoir politique exclusivementgrâce à l’adhésion de citoyens libress’exprimant à travers les urnes.

Cette séparation de principe,claire et nette, n’empêche cepen-dant pas l’entreprise terroriste d’ar-ticuler son discours d’intimidationsociale à partir de ressources inte-llectuelles provenant de domainesétrangers à la sous-culture de laviolence. Et, à l’inverse, la séparationnette entre organisation terroristeet formations politiques démocrati-ques n’exclut pas la colonisation du

“ L’intérêt de laréflexion que jepropose s’appuiesur une hypothèseque je considèreplausible : je suisconvaincu que,pour garantirefficacement lasurvie au Paysbasque d’unejustice administréepar des juges etdes magistratsindépendants,assujettisexclusivement àl’empire de la loi, ilest nécessaire demettre en place unprogramme deprotectionpersonnellecapable d’éviterde nouveauxattentats contre la vie desmembres de lamagistrature ”

justice ; c) création d’un nouveau type decongé rémunéré, pour “repos psychologique”,pouvant se prolonger jusqu’à deux semaines; d) renforcement du personnel et couvertu-re des 33 postes qui étaient alors vacants ; e)négociation avec le gouvernement basque decrédits souples afin de faciliter l’accès au lo-gement des juges et des procureurs souhai-tant maintenir leur affectation au Pays bas-que ; f) projet de réunir à Bilbao les prési-dents des Cours suprêmes et des Conseils gé-néraux de la magistrature des États membresde l’Union européenne.

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101La situation des juges au Pays basque

discours partisan démocratique pardes topos issus de la culture de laviolence. C’est ainsi que, indépen-damment des intentions de l’inter-locuteur, il peut parfois s’établir unecontinuité sémantique entre le dis-cours de destruction morale inhé-rent à la pratique terroriste, et cer-tains discours issus de la politiquedémocratique.

Il est par conséquent urgentd’affronter la continuité sémanti-que que l’on peut facilement perce-voir entre la menace terroriste pe-sant sur les juges et les procureursdu Pays basque, et le discours sur lajustice tenu par la formation politi-que Batasuna (représentée au Parle-ment), qui jette en permanence l’a-nathème sur les magistrats étran-gers, “non basques”6. Il convientégalement d’aborder les points deconnexion terminologique que l’onretrouve fréquemment entre lesdiscours de ces groupes et ceux decertains leaders d’opinion des for-mations politiques nationalistes dé-mocratiques.

Ainsi, dans les documents préli-minaires ayant servi à la création,en mai 2001, de Batasuna, on peutlire la proposition de principe sui-vante : “Les membres de la magis-trature sont des éléments étrangersqui ont été imposés à notre peuple.

Les juges ne connaissent pas notrelangue et ils ne partagent pas notrevision nationale. Plus exactement, laposition qu’ils défendent s’opposentà cette vision, et ils utilisent leur sta-tut pour diffuser et imposer un pointde vue hostile à la construction na-tionale de notre peuple. Par consé-quent, au sein de l’Euskal Herria quenous allons construire, la justice nepourra s’appuyer sur les ressourceshumaines existant actuellement,car, à quelques exceptions près, ceséléments ne sont pas recyclables”.7

Trois topiques essentiels prési-dent le discours de Batasuna. Cestrois topiques, qu’il est aisé de dé-chiffrer dans le paragraphe ci-des-sus, sont invariablement reproduitspar les groupes intégrant la sous-culture de la violence et ayant com-mis des actions directes de “violen-ce de persécution” contre des jugeset des procureurs au Pays basque.

Ces trois topiques sont les sui-vants :

a) La construction nationale del’Euskal Herria requiert un pouvoirjudiciaire propre, s’exerçant au seind’un espace judiciaire basque.

b) La légalité émane des peuples,non des États.

c) Nous ne pouvons nous défen-dre face à des juges qui n’emploientni ne connaissent notre langue.

Il est inutile de souligner com-bien ces propositions délégitimentla justice. Il en découle ce qui suit :les juges espagnols ne sont pas nosjuges ; les lois qu’appliquent les ju-ges espagnols ne nous concernentpas ; les juges espagnols ne peuventpas protéger efficacement nosdroits et intérêts légitimes car ils nesont pas en mesure de nous écouter.

Le fait est que, jusqu’à présent,le discours fondé sur ces topiquesn’a jamais été directement et expli-citement combattu par les forma-tions politiques nationalistes aupouvoir. Au contraire. Celles-ci, parl’intermédiaire de leaders d’opinionreconnus, y ont répondu en formu-lant des raisonnements aporétiquesqui, en définitive, ont renforcé l’ef-fet de délégitimation sociale de lamagistrature basque recherché parl’organisation terroriste.

Avant de poursuivre, je tiens àm’empresser de reconnaître quej’emploie ces deux termes (“topi-ques” et “apories”) dans un sens quiparaîtra probablement peu rigou-reux aux yeux des puristes. Concrè-tement, dans cette étude de rhéto-rique politique appliquée à la justi-ce, les “topiques” issus de la sous-culture de la violence auxquels jeme réfère sont en réalité certainespropositions employées comme destics de raisonnement, sans fonde-

“ Il n’est passurprenant deretrouver dans cedocument lestopiques deraisonnementprésents dans lesdocumentsdiffusés par lesorganisationsidéologiquementproches deBatasuna, qui,depuis 1996, n’ontcessé desoumettre à desactions deviolence depersécution lesjuges et lesprocureurs duPays basque. Jepense plusprécisément àEuskal HerrianEuskaraz etAbokatuEuskaldunenSindikatua,organisationsabertzalesfavorables aumonolingüisme,ainsi qu’àGestoras pro-amnistia et Jarrai ”

6 [NdT] Batasuna, formation indépendan-tiste, est le bras politique de l’ETA.

7 Ce document, intitulé “La justice et sonadministration”, figure sur le site http://www.batasuna.org/procesua/berezi/ejustizia.htm.*[NdT]. Depuis l´illegalisation de Batasuna, cesite ne marche plus.

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ment réel, et sur lesquelles s’appuiela mise à l’index des juges et desprocureurs comme étant les enne-mis du peuple basque.

Quant aux “apories” du discoursnationaliste, il s’agit ici d’une formecaractéristique de raisonnementqui, dans le langage familier, corres-pond à la formule adversative sui-vante : “bai, ... baina” (“oui, .... mais”,en basque). Dans le domaine du lan-gage politique, cette forme de rai-sonnement exprime une opérationintellectuelle visant à produire chezle récepteur du message un étatd’incertitude, voire de perplexité,qui ne peut être surmonté que parl’adhésion acritique à la propositioneffectuée par le leader d’opinion. Àla proposition, non à l’argumenta-tion. En effet, le raisonnement s’ar-ticule autour d’éléments apparem-ment équilibrés dans la contradic-tion, et évite les prises de positionnettes sur les problèmes de fond enles remplaçant par des procès d’in-tention aux adversaires politiques.

L’intérêt de la réflexion que jepropose s’appuie sur une hypothèseque je considère plausible : je suisconvaincu que, pour garantir effica-cement la survie au Pays basqued’une justice administrée par desjuges et des magistrats indépen-dants, assujettis exclusivement àl’empire de la loi, il est nécessaire demettre en place un programme deprotection personnelle capable d’é-viter de nouveaux attentats contrela vie des membres de la magistra-ture. De même, je suis convaincuque la survie institutionnelle de lamagistrature au Pays basque exigela défaite culturelle des topiques etdes apories qui, au cours des der-nières années, ont tissé le discoursvisant à délégitimer le pouvoir judi-ciaire au Pays basque.

J’exposerai, de façon nécessaire-

ment concise mais rigoureuse, lespoints clés de ce discours de délégi-timation, en m’appuyant sur lenombre limité de sources documen-taires auxquelles j’ai accès dans l’e-xercice de ma profession. N’ayantnullement la prétention d’aboutir àdes conclusions scientifiques, jeconsidérerai mon but atteint si jeparviens à identifier les élémentsqui, au cours des cinq dernières an-nées, ont conduit à la mise en place,sous nos yeux, d’un système depression sur l’exercice du pouvoirjuridictionnel sans équivalent ausein de l’espace judiciaire européen.

Topique de l’exigence d’unpouvoir judiciaire propre au seind’un espace judiciaire basque

En mai 2001, la formation politiqueBatasuna publie un document inti-tulé “La justice et son administra-tion”, auquel j’ai précédemment faitréférence. Dans ledit document, leparagraphe sur les “Propositions etlignes de travail” part du projet sui-vant : “constituer un pouvoir judi-ciaire propre pour l’Euskal Herria”.L’opuscule formule ensuite le topi-que central autour duquel s’articulele discours de délégitimation de lamagistrature : “L’Euskal Herria a ledroit de créer et d’organiser son pro-pre pouvoir judiciaire”. Par “pouvoirjudiciaire propre”, Batasuna entendle pouvoir formé par des juges etdes magistrats intégrant un “corpsjudiciaire basque” et exerçant leursfonctions dans une structure judi-ciaire propre, dont l’organe juridic-tionnel le plus élevé serait la “Coursuprême de l’Euskal Herria”.

Il n’est pas surprenant de re-trouver dans ce document les topi-ques de raisonnement présentsdans les documents diffusés par lesorganisations idéologiquement pro-

ches de Batasuna, qui, depuis 1996,n’ont cessé de soumettre à des ac-tions de violence de persécution lesjuges et les procureurs du Pays bas-que. Je pense plus précisément àEuskal Herrian Euskaraz et AbokatuEuskaldunen Sindikatua, organisa-tions abertzales favorables au mo-nolingüisme, ainsi qu’à Gestoraspro-amnistia et Jarrai8.

Il n’est pas non plus étonnant deretrouver ce raisonnement dans lecommuniqué publié par l’ETA pourrevendiquer l’assassinat du juge Li-dón. Le texte est paru le 15 novem-bre 2001 dans Gara [journal de Ba-tasuna] sous le titre “La justice, ins-trument d’agression des États. L’ETArevendique les attentats contre Li-dón et Junquera.” La revendicationdu crime se termine par une mena-ce qui désormais nous est habitue-lle :“...les juges espagnols qui punis-sent sans pitié les combattants bas-ques ne bénéficient pas d’un espaced’impunité en Euskal Herria...”. 9

8 [NdT] L’association Euskal Herrian Eus-karaz (“le Pays basque en basque”) et le syn-dicat Abokatu Euskaldunen Sindikatua(“syndicat d’avocats euskalduns”) sont,comme il est indiqué dans le texte, favora-bles au monolingüisme, c’est-à-dire à impo-ser l’utilisation de l’euskara (langue basque).Gestoras pro-amnistia revendique l’amnistiedes membres de l’ETA emprisonnés, et Jarraiest une organisation de jeunesse se situantdans la mouvance de Batasuna. Le termeeuskaldun signifie “qui connaît et parlel’euskara”. 9 Selon le communiqué publié dans Gara,l’assassinat du juge Lidón Corbi constitueune action de l’ETA “contre l’appareil judi-ciaire espagnol”, l’organisation terroristealléguant que “l’Euskal Herria ne dispose pasde lois propres... ce Ce sont les pouvoirs es-pagnol et français qui décident des lois ap-pliquées [au Pays basquesbasque]. ... Ce sontdes juges espagnols et français qui exercentles fonctions de “juge” dans notre pays... À

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Il convient également de remar-quer que l’expression “pouvoir judi-ciaire propre” a été fréquemmentutilisée par d’importants leadersd’opinion, membres du Parti natio-naliste basque (PNV) et d’Eusko Al-kartasuna (“Solidarité basque”).

Il n’est pas aisé de déterminer ledegré de communauté de signifiéet, partant, de continuité sémanti-que utilisable par la sous-culture dela violence, qui découle de l’emploide cette expression par l’ensembledu nationalisme basque.

Il est clair cependant qu’elle ap-paraît, en termes exprès, dans leprogramme électoral présenté con-jointement par PNV/EAJ et EA (Eus-ko Alkartasuna) pour les électionsrégionales du 13 mai 2001, même sile texte de la propagande distribuéepubliquement reste très évasif en cequi concerne la notion de “pouvoirjudiciaire propre” : “Un nouveaumodèle de gouvernement autono-me... ... avec une capacité d’organi-sation institutionnelle autonomecomplète. Avec des instruments degouvernement et d’organisationinstitutionnelle interne propres.Avec une fonction publique propre.

Avec des pouvoirs exécutif et judi-ciaire propres”. 10

À deux reprises, cependant, dansle cadre de manifestations organi-sées par Abokatu Euskaldunen Sin-dikatua, les représentants de cesformations politiques ont été quel-que peu plus explicites sur ce point.La première de ces manifestations,un cycle de conférences intitulé“Justice nationale basque”, s’est te-nue à Bilbao les 23 et 30 décembre1999, et le 20 janvier 2000, et a ac-cueilli les interventions de M. AbelMuniategui, vice-conseiller de laJustice du gouvernement basque,en représentation de la formationpolitique EA (23 décembre), M. IñigoIruin, en représentation de EuskalHerritarok11 (30 décembre), et M.Xavier Arzalluz, en représentationdu PNV, dont il est le président (20janvier).

Quant à la deuxième, il s’agit des“1ères journées internationales surla justice et le gouvernement auto-nome”, dont la cérémonie de clôtu-re a eu lieu à Saint-Sébastien le 11février 2000. M. Sabin Intxaurraga,conseiller de la Justice du gouver-nement basque et membre de laformation politique EA, et M. EmilioOlabarria, membre du Conseil géné-ral du pouvoir judiciaire et du PNV,y ont abordé la problématique du“pouvoir judiciaire propre”.

Étant donné que les textes n’ontpas été publiés, je m’appuierai surce qui est paru dans la presse. Lefait est que ces interventions onttoutes suscité un certain degré depolémique.

Ainsi, suite à l’intervention de M.Xavier Arzalluz, la Chambre degouvernement du Tribunal supé-rieur de justice du Pays basque afait part de son désaccord (note deprotestation en date du 4 février). Leconférencier, dont l’interventions’intitulait “Pouvoir judiciaire pro-pre” avait affirmé ce qui suit : “lamajorité” des juges affectés au Paysbasque viennent “de l’étranger”, “ilsne veulent pas se faire naturaliser”,“ils ne veulent pas étudier l’euskara...et ils sont nombreux à mépriser cet-te langue”. La Chambre de gouver-nement du Tribunal supérieur dejustice a rejeté les postulats du con-férencier en considérant qu’ils re-mettent en question l’ordre politi-que, suscitent la perplexité de l’opi-nion publique, nuisent à la paix so-ciale et “encouragent la délégitima-tion institutionnelle et sociale desmembres d’un pouvoir de l’État”. 12

De son côté, M. Sabin Intxaurra-ga, conseiller de la Justice a critiquéle fait que “bien qu’en Euskadi il y aitun Tribunal supérieur, ledit tribunaln’appartienne pas à la Communau-té autonome du Pays basque”.Quant à M. Emilio Olabarria, il a ré-clamé des formules plus cohérentesafin d’adapter la justice à la réalité

travers ces lois et à travers ces juges, c’est ànotre langue que l’on s’attaque, en empê-chant sa récupération et son développe-ment. Si nous ne pouvons décider de notresystème éducatif ou de notre modèle deplanification socio-économique, c’est enpartie à cause de ces juges et de ces lois...C’est cette institution étrangère qui ordon-ne de séquestrer des citoyens basques et quiles envoie à la torture, et quand ils revien-nent de la torture, elle ferme les yeux et lesenvoie à une autre torture, celle de la dis-persion.... Les juges espagnols qui punissentsans pitié les combattants basques ne béné-ficient pas d’un espace d’impunité en EuskalHerria...”.

10 Paragraphe 5) du prospectus intitulé“EA/EAJ-PNV. Programme électoral. Électionsrégionales - 13 mai 2001”. 11 [NdT] Ancien nom de Batasuna.

12 Cette déclaration de la Chambre de gou-vernement du Tribunal supérieur de justice areçu, à son tour, une réponse de l’organisa-tion Abokatu Euskaldunen Sindikatua : dansune note parue le 18 avril 2000, l’organisa-tion favorable au monolingüisme réclamait“l’expulsion immédiate du président du Tri-bunal supérieur de justice du Pays basque”,considérant que “... depuis sa chaire d’autori-té coloniale, il [tentait] de discréditer et deridiculiser la revendication absolument justeet nécessaire [de l’euskaldunisation* de lajustice]”. * [NdT] Euskaldunisation : processusvisant en realité à imposer imposer l’utilisa-tion de l’euskara (langue basque)euskara.

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sociale, en soulignant notammentque “le lien croissant entre vie pro-fessionnelle, affective et lingüisiti-que exigeait la normalisation de l’u-tilisation des langues co-officiellespar les juges”. Quelques jours aupa-ravant, celui qui était alors membredu Conseil général du pouvoir judi-ciaire, avait publié dans la revueHermes, éditée par la Fondation Sa-bino Arana, un article qui se termi-nait par ces mots : “Pour ceux quicroient, comme je le crois, que lasouveraineté réside dans le peuple etque l’existence d’un pouvoir judi-ciaire propre est un élément reflé-tant la souveraineté dudit peuple,les thèses précédemment énoncéessont loin de suffire à l’établissementd’un pouvoir judiciaire propre. Ce-pendant, en ce domaine commedans tous les domaines, c’est lepragmatisme et la succession chro-nologique des événements qui doi-vent inspirer le travail de tous ”13.

Enfin, je ne dispose d’aucune ré-férence concernant l’interventionde M. Abel Muniategi, vice-consei-ller de la Justice. Plusieurs moisaprès la conférence de Bilbao, dansune interview accordée au journal ElMundo, il prononçait l’affirmationsuivante, qui donnait son titre àl’article : “Il manque à notre com-

munauté autonome le noyau irré-ductible du pouvoir judiciaire”.14

Topique de la légitimité démo-cratique émanant du “sentimentpopulaire” par opposition à la“légitimité par la légalité”

Pour identifier ce deuxième topi-que, nul besoin n’est de recourir àdes sources éloignées dans letemps. Il suffit de lire la presse desdernières semaines et d’observer lafaçon dont les partis politiques na-tionalistes ont réagi suite à la pré-sentation par le gouvernementcentral du projet de loi organiquesur les partis politiques, actuelle-ment soumis à l’approbation duCongrès des députés.

Ce projet, né d’une initiative dugouvernement, consiste en unemodification en profondeur del’actuelle loi sur les partis politi-

13 Emilio Olabarrria. “Poder judicial y es-tructura territorial del Estado” [Pouvoir judi-ciaire et structure territoriale de l’État], inHermes. Revista de pensamiento e historia,Fondation Sabino Arana Kultur Elkargoa, nº0, janvier 2001, pp. 108 à 115. M. Emilio Ola-barria, aujourd’hui député du PNV au Parle-ment de Vitoria, était membre du Conseilgénéral du pouvoir judiciaire quand il a ré-digé cet article. Il y expose des thèses qu’ildéfend depuis au moins 1996. Le 28 octobre1996, à l’occasion d’une cérémonie acadé-mique à l’Université de Deusto, il aurait pro-posé de “créer un véritable pouvoir judiciai-re du Pays basque”.

14 El Mundo, 18 novembre 2001. La répon-se complète de M. Muniategui à la question :“Ce pouvoir judiciaire basque mettrait-il unterme aux problèmes actuels ?”, était la sui-vante : “Pas nécessairement. Le problème etle conflit sont dans la nature humaine. Ce-pendant, il les rendrait plus faciles à affron-termoins brûlants, plus faciles à résoudre,oserais-je dire. Grâce à la proximité, on pou-rrait apporter aux problèmes une solutionplus immédiate, répondant mieux aux cir-constances et, en définitive, plus rationnelle.Il manque à notre communauté autonome lenoyau irréductible du pouvoir judiciaire.Pourquoi ne dispose-t-elle pas du pouvoir ju-diciaire ? Elle dispose bien du pouvoir législa-tif, de l’exécutif. Il s’agirait d’un gouverne-ment autonome des juges au Pays basque, ensuivant cette même logique juridico-politi-que. C’est cela l’idée. Sans oublier que, dansles faits, du point de vue de l’efficacité, ce se-rait peut-être plus opérationnel, car le pou-voir judiciaire serait plus proche desgrâce à laproximité que donnerait ce gouvernementdes juges aux citoyens, car et la justice vientémane du peuple”.

De son côté, M. Sabin Intxaurraga,conseiller de la Justice a critiqué le fait que “bien qu’en Euskadi il y ait un Tribunal supérieur, ledittribunal n’appartienne pas à laCommunauté autonome du Paysbasque”

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ques (loi 54/1978 du 4 décembre1978), visant à discipliner “les exi-gences constitutionnelles d’organi-sation et de fonctionnement démo-cratique” des partis politiques, et àétablir des critères permettant dedéterminer si lesdits partis politi-ques “respectent les lois et la Cons-titution, tant sur le plan de leur or-ganisation interne que de leur acti-vité extérieure”. L’adoption duditprojet de loi dépend de son appro-bation par les Cortes Generales[Congrès des députés et Sénat],compétentes pour voter les lois or-ganiques relatives aux droits fon-damentaux et aux libertés publi-ques. L’axe central de cette réformeest la réglementation de la procé-dure pour la dissolution judiciaired’un parti politique si son activiténe respecte pas, de façon grave etréitérée, les principes démocrati-ques et l’ordre constitutionnel.Sont également concernés les par-tis dont les activités visent à dété-riorer le régime des libertés, et àéliminer ou rendre inopérant lesystème démocratique. L’accent estmis, notamment, sur les activitéscomplétant l’action des organisa-tions terroristes.

Il est évident que cette initiativevise, de façon implicite, la formationpolitique qui, après s’être appeléeHerri Batasuna et Euskal Herritarok,s’appelle aujourd’hui Batasuna. Ceparti, étroitement lié à l’organisa-tion terroriste ETA, dispose de septreprésentants au sein du Parlementbasque.

Avec une acrimonie singulière,les partis nationalistes démocrati-ques se sont joints au concert deprotestations qui a suivi l’annoncede ce projet de loi. Mais ce qui nousintéresse ici est d’observer la façondont ils ont abordé le topique du re-jet du principe de la légitimité par la

légalité, cher à Batasuna depuislongtemps déjà, puisque ces partisnationalistes démocratiques ne sesont pas limités à manifester leurscepticisme quant à la constitution-nalité du projet de loi organique surles partis politiques.

Le 17 mai 2002, le Parlementbasque a débattu en séance pléniè-re une motion présentée par legroupe parlementaire de Batasuna,demandant audit Parlement d’exi-ger l’arrêt de la procédure parle-mentaire ou, le cas échéant, la révo-cation du projet de loi organiquesur les partis politiques et l’adoptionde mesures lui garantissant la pos-sibilité de participer à la vie politi-que sur un pied d’égalité avec lesautres formations politiques. Lesamendements proposés par lesgroupes parlementaires PNV-EAJ,EA et IU-EB [communistes basques]ont reçu un accueil favorable dessept députés de Batasuna, et la ver-sion amendée du texte a été ap-prouvée.

La veille, le porte-parole de Ba-tasuna, M. Arnaldo Otegi, exprimaiten public la position de son groupe: “La légalité émane des peuples, nondes États”. Le 21 mai 2002, cette dé-claration trouvait un écho dans lesrangs du nationalisme démocrati-que. Ainsi, M. Juan María Atutxa,président du Parlement basque,membre du PNV-EAJ, déclarait aumicro de Radio Euskadi: “Si ce n’estavec les tanks, il n’y a aucune forcequi pourra empêcher que la gaucheabertzale conserve ses sept repré-sentants dans l’hémicycle”. Et, à sontour, le conseiller de la Justice, M.Joseba Azkarraga, membre de EA,faisait part de l’opposition de sondépartement à ce projet de loi, con-sidérant qu’il porte un grave préju-dice aux droits et libertés reconnuspar la Constitution. Cependant, il

annonçait également que le gou-vernement basque n’exercerait pasde recours en inconstitutionnalitécontre la future loi auprès du Tribu-nal constitutionnel, considérant quecet organe constitutionnel ne satis-fait pas l’exigence d’impartialité.

Il est possible d’établir un lien, entermes de discours politique, entreces deux déclarations et la participa-tion, le 28 octobre 2000, d’un hautfonctionnaire du gouvernementbasque à une manifestation convo-quée par la formation politique dontil fait partie (EA). Ce jour-là, le direc-teur des Droits de l’homme et de laCoopération avec la Justice du dé-partement de la Justice du gouver-nement basque n’a pas vu d’incon-vénient à participer, au grand jour, àune manifestation en faveur de ladésobéissance civile, considéréecomme “une forme légitime de luttecontre les décisions contrevenantaux droits démocratiques des per-sonnes et des peuples”. Il faut préci-ser que la convocation annonçaitégalement un acte de protestationcontre l’emprisonnement de plu-sieurs objecteurs de conscience,condamnés par l’Audience provin-ciale de Saint-Sébastien parce qu’ilsavaient refusé d’effectuer le servicede substitution (ce qui, en vertu duCode pénal espagnol de 1995, cons-titue un délit contre la Constitution).La convocation exprimait la solidari-té avec ces personnes qui, selon lesorganisateurs de la manifestation,avaient été arrêtées et emprisonné-es “parce qu’elles défendaient defaçon strictement pacifique lesdroits de notre peuple”. La manifesta-tion prévoyait l’apposition symboli-que des scellés à l’Audience provin-ciale de Saint-Sébastien.

La Chambre de gouvernement duTribunal supérieur de justice a mani-festé sa réprobation au lehendakari

“ Ainsi, M. JuanMaría Atutxa,président duParlement basque,membre du PNV-EAJ, déclarait aumicro de RadioEuskadi: “Si cen’est avec lestanks, il n’y aaucune force quipourra empêcherque la gaucheabertzaleconserve ses septreprésentantsdans l’hémicycle”.Et, à son tour, leconseiller de laJustice, M. JosebaAzkarraga,membre de EA,faisait part del’opposition de sondépartement à ceprojet de loi,considérant qu’ilporte un gravepréjudice auxdroits et libertésreconnus par laConstitution ”

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[chef du gouvernement basque] et auconseiller de la Justice15. La réponsedu conseiller, en date du 16 novem-bre 2000, qui justifie la conduite duhaut fonctionnaire, se termine parces mots : “Le directeur des Droits del’homme et de la Coopération avec laJustice représente dignement les ins-titutions basques et a toujours étéprésent chaque fois que des manifes-tations exprimant la réprobation et lerejet de la violence ont eu lieu”.

Topique de l’absence deprotection judiciaire pour desraisons lingüistiques

Le 24 novembre 1996, M. Xavier Ar-zalluz, président du PNV, proclameque les juges du Pays basque qui neparlent pas l’euskara “devraient lais-ser leur place à ceux qui connaissentnotre langue ou comprennent mieuxnotre pays, et s’en aller ailleurs, par-ce que ce n’est pas la place qui man-que en Espagne”16.

Les paroles du plus haut dirige-ant du PNV définissent un objectifclair : remplacer les juges qui neconnaissent pas l’euskara ou qui,même s’ils parlent cette langue, ne“comprennent” pas le Pays basquecomme les nationalistes. Au mo-ment où M. Arzalluz faisait cettedéclaration, les premiers représen-taient 98 pour 100 des jugesexerçant la juridiction au Pays bas-que. C’est à cette immense majoritéde juges que le président du PNVoffre la possibilité de compenserune insuffisante connaissance del’euskara par l’obtention individuelled’une “bulle” récompensant l’adhé-sion idéologique17.

Cette possibilité constitue d’ai-lleurs la seule différence entre lemessage du dirigeant nationaliste etles déclarations faites à la mêmeépoque par les avocats qui, par lasuite, fonderaient Abokatu Euskaldu-nen Sindikatua18. Ainsi, le fondateurdu mouvement, également repré-sentant de Herri Batasuna au Parle-ment de Biscaye, M. Endika Garai,déclarerait au journal Egin (éditiondu 29 novembre 1996) :“...nous avonsl’intention de ne plus rien laisser pas-ser, car les juges doivent se rendrecompte qu’ils sont les exécutants ducolonialisme lingüistique espagnol.Comme Arzalluz, nous exerçons nousaussi notre droit d’opinion. Nous nepouvons pas assurer la défense denos clients en euskara, ce qui consti-tue la violation d’un droit fondamen-tal, voilà ce que nous dénonçons”.

Ces prises de position n’allaientpas tarder à avoir des répercussionsau sein de la sous-culture de la vio-lence.

La première aurait lieu tout justeun mois après ces déclarations. Enjanvier 1997, l’organisation EuskalHerrian Euskaraz19 lance une cam-pagne d’intimidation contre la ma-gistrature basque, qui se prolongeradurant toute l’année, et qui a pourslogan : Euskalnontzatz ez dago Jus-tiziarik (“il n’y a pas de justice pourles euskalduns20”). Le prétexte sera lapublication d’un jugement rédigé eneuskara et en espagnol21, et ses pre-miers destinataires seront le prési-

plus d’un devrait prendre note et agir enconséquence, laisser la place à ceux qui con-naissent l’euskara ou comprennent mieuxnotre pays, et s’en aller ailleurs”.17 En 2001, le Conseil général du pouvoir ju-diciaire avait rendu hommage aureconnu lemérite professionnel de à 12 juges parce qu’ilspossédaient le profil lingüistique en euskara.En 2001, les effectifs judiciaires dans les orga-nes juridictionnels du Pays basque s’élevaientà : 197 postes de juges et de magistrats, 70postes de procureurs, 153 postes de greffierset 1700 postes de personnel administratif.Cette même année, le rapport d’activités de laChambre de gouvernement du Tribunal supé-rieur de justice du Pays basque signalait que,au cours de l’année 2000, les tribunaux d’ins-truction de la Communauté autonome duPays basque avaient enregistré 655 déclara-tions en euskara, les tribunaux correctionnelsavaient eu recours à des services de traduc-tion-interprétation de l’euskara à 226 repri-ses, les tribunaux d’instance à 154 reprises, etles tribunaux administratifs à 47 reprises. LesAudiences provinciales avaient eu recours àces mêmes services pour 82 procès, la Cham-bre administrative du Tribunal supérieur dejustice pour 127 recours en appel, et la Cham-bre civile et pénale du Tribunal supérieur dejustice pour 10 procès. Toujours en 2000, 73juges, 14 procureurs, 54 greffiers et 515membres du personnel administratif suivaientdes cours d’euskara.

“ Ainsi, M. JuanMaría Atutxa,président duParlement basque,membre du PNV-EAJ, déclarait aumicro de RadioEuskadi: “Si cen’est avec lestanks, il n’y aaucune force quipourra empêcherque la gaucheabertzaleconserve ses septreprésentantsdans l’hémicycle”.Et, à son tour, leconseiller de laJustice, M. JosebaAzkarraga,membre de EA,faisait part del’opposition de sondépartement à ceprojet de loi,considérant qu’ilporte un gravepréjudice auxdroits et libertésreconnus par laConstitution ”

18 Cf. note 7.19 Cf. note 7.20 [NdT] Euskaldun : connaissant et parlantl’euskara.21 La plainte déposée pour délit de prévari-cation auprès de la deuxième chambre de laCour suprême n’a pas donné lieu à l’ouvertu-re d’une instruction judiciaire. Selon le plaig-nant, dont la défense était assurée par qui

15 Lors d’une réunion qui s’est tenue le 10novembre 2000, la Chambre de gouverne-ment du Tribunal supérieur de justice du Paysbasque a censuré cette intervention publiquedu directeur des Droits de l’homme et de laCoopération avec la Justice, en déplorant que“l’attitude [de ce haut fonctionnaire] encou-rage la désobéissance civile face aux institu-tions qu’il représente, et qu’elle constitue, audétriment du pouvoir judiciaire, un acte dedélégitimation qui peut encourager et justi-fier ceux les personnes qui commettent desactes de violence contre des juges, des ma-gistrats et autres agents de l’État”.16 Cette intervention du président du PNVavait un fort contenu solennel, puisqu’elles’est produite dans le cimetière de Sukarrie-ta, devant sur la tombe du fondateur de ceparti politique, Sabino Arana, et en présen-ce du lehendakari Ardanza. La phrasecomplète est : “Dans ce domaine, c’est avantqu’il faudrait prendre des mesures, pas s’enprendre à un juge qui se trouve là. En atten-dant, je crois que parmi les juges qu’il y a ici,

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La situation des juges au Pays basque. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

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Ces vautours méprisent les euskal-duns, il faut qu’ils sachent quel rôleils jouent et ce qui les attend... S’ilsont l’intention de continuer à exercertranquillement en s’appuyant sur letravail des traducteurs, ils sont plutôtmal partis.... Quand un peuple dispo-

se de deux langues officielles, le jugequi n’en connaît qu’une est à moitiéanalphabète et n’a pas sa place.Qu’ils laissent leurs postes. Qu’ils par-tent en Espagne”.

Le département de la Justice dugouvernement basque, à qui il in-combe en exclusivité de doter les or-ganes juridictionnels des moyens né-cessaires à l’exercice de la juridiction,a créé un service de traducteurs-in-terprètes (euskara/espagnol) interve-nant lors des procès. L’opposition desmembres de Abokatu EuskaldunenSindikatua à ce système a provoquéun nombre élevé d’incidents tout aulong de l’année 199723. Les traduc-

“ […] la situationrequiert lecourageintellectuel desjuristesdémocrates, qui,face aux topiqueset apories dedélégitimationsociale de lamagistratureprésents dans larhétoriquepolitique, peuventrappeler que dansnotreordonnancementconstitutionnel, lepouvoir judiciaires’inscrit dans lecadre de l’État-Communauté, quise distingue del’État-Personne,dans lequels’inscrit legouvernement dela nation ”

dent du tribunal de Bilbao et les deuxmagistrats de sa première section.

Dans la propagande accompag-nant cette première action de violen-ce de persécution, on pouvait lire22 :“... Des juges espagnols n’ont nulle-ment hésité à juger un euskaldun...

bénéficiait du soutien de l’organisation favorable au monolingüisme Euskal Herrian Euske-razEuskaraz, le délit consistait dans le fait que les magistrats avaient rendu leur jugementen appel en euskera euskara et en espagnol, après avoir entendu, sans avoir recours aux ser-vices d’interprètes interprète, les interventions monolingues en euskera euskara de l’avocatde la défense (lequel avait fourni sa note d’honoraires en espagnol) et du plaignant-con-damné (qui avait fait une courte intervention en fin de procès). Le plaignant affirmait qu’u-ne expertise apporterait la preuve que les magistrats en cause n’avaient pas compris les in-terventions en euskeraeuskara, ce qui, à son avis, constituait un délit. Ledit plaignant de-mandait “l’exil” desdits magistrats.22 Cette propagande a été distribuée dans le Palais de justice de Bilbao, dont la façade a étérecouverte d’affiches sur lesquelles on pouvait voir le slogan de la campagne, l’anagramme desorganisateurs de la manifestation et un dessin satirique qui représentait un vautour portantla robe des hommes de loi. Auparavant, les avocats co-fondateurs de l’organisation AbokatuEuskaldunen Sindikatua, MM. Endika Garai et Iñigo Sancho, avaient présidé une conférence depresse, au cours de laquelle ils ont avaient tenu des propos désapprouvés par la Chambre degouvernement du Tribunal supérieur de justice: . Le 14 mars 1997, ladite Chambre a adopté-adoptait la décision suivante : “La Chambre considère que la nature des déclarations effectuéespar maître Iñigo Santxo et maître Endika Garai requiert l’intervention du barreau de Biscaye etdécide, à l’unanimité, de transmettre audit barreau les antécédents de l’affaire. La Chambre de-mande audit barreau d’accuser réception réception dudit envoi et de lui faire part des mesu-res prises ”. Au jour d’aujourd’huiÀ ce jour, les déclarations des deux avocats restent totalementimpunies. Quelques mois plus tard, les trois membres du Tribunal supérieur de justice aban-donnaient leurs postes, sur leur propre demande.

23 Le plus grave de ces incidents s’est pro-duit à Saint-Sébastien, le 27 novembre 1997,à l’occasion du procès, en audience publique,de MM. José Miguel Balenciaga Añón et JoséMiguel Echevarría Ugalde (procédure abré-gée nº 13/1996, première section du tribunalde Saint-Sébastien). La transcription duprocès-verbal de l’audience Les minutes duprocès(séance) est un document qui illustreillustrent parfaitement la violence de persé-cution qui, en ce casl’occurrence, a été com-mise pendant le déroulement d’un acte juri-dictionnel.au cours d’une audience. Ainsi,voici ce que dit notammentVoici un extraitdes propos tenus, en espagnol, par maître JonEtxabe : “M. Etxabe : Le Grand Inquisiteur, leTribunal constitutionnel, nous a dit : l’espag-nol est la seule langue du roi, soyez des sujetsloyaux, très fidèle Vardulia [référence à unetribu basque de l’époque pré-romaine. [NdT].... (incompréhensible).... L’Inquisiteur territo-rial ... (incompréhensible) a donné des ordresprécis à l’Inquisiteur local, en lui disant : aunom de Sa Majesté, obéissez aux ordres duGrand Inquisiteur, appliquez la justice, mêmesi le peuple ne la comprend pas. L’Inquisiteurlocal nous dit : étant donné que la majoritédes magistrats de ce tribunal ne connaissentpas l’euskeral’euskara, nous vous enjoignonsde vous exprimer toujours dans la langue deSa Majestéu roi afin de mieux convaincre cetribunal. Nous n’ignorons pas, et notre mé-moire historique ne manque pas de nous lerappeler, que, quand l’Inquisition accuse, il

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La situation des juges au Pays basque. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

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teurs-interprètes eux-mêmes pré-sentaient au mois de mai une protes-tation formelle auprès de la Chambrede gouvernement du Tribunal supé-rieur de justice, s’estimant brimésdans l’exercice de leurs fonctions parles membres de cette organisation.

En 1998, la campagne s’estpoursuivie. Le 25 mars, devant lePalais de justice de Saint-Sébastien,des tracts menaçants étaient distri-bués. Le texte, qui faisait allusion àplusieurs magistrats du tribunal deSaint-Sébastien, disait ceci : “Nousvoulons ici lancer directement notreflèche contre la juge ... ... pour qu’ellesoit marquée, comme l’ont été jus-qu’à présent ..., et ... ... ..., pour qu’a-vec ceux-ci elle complète la liste des“marqués”.

“Si nous voulons marquer cespersonnes, c’est dans un but clair :personnifier telle qu’elle est en réali-té l’attitude discriminatoire et rétro-grade de l’administration de la Justi-ce envers les euskalduns. Nous vou-lons montrer qu’il s’agit d’une ques-tion qui concerne des êtres humains,et encourager au sein de la société lacritique et la réflexion que cettequestion mérite. Et aussi, bien enten-du, nous voulons que soient connusles noms et prénoms de ceux qui doi-

vent changer d’attitude si on veutavancer vers une véritable solution”.

Le 21 avril 1998, toujours devantle tribunal de Saint-Sébastien, unnouveau pamphlet, intitulé Txaku-rrak kanpora!!!, était distribué. Il fai-sait référence aux personnes dé-noncées par Abokatu EuskaldunenSindikatuak, et se terminait par cesmots : “Il nous semble déjà assezhonteux de refuser aux euskaldunsun droit qui est le leur, celui d’être ju-gés en euskara, pour qu’en plus ondoive supporter ces clowns et leursclowneries. Qu’ils déguerpissentavec tout leur cirque en Espagne,parce qu’ici on ne veut pas d’eux. Ets’ils restent, c’est à leurs risques etpérils”.

Il est difficile de ne pas admettrequ’il existe une cohérence sémanti-que entre ces discours et le commu-niqué de l’ETA qui a suivi l’assassi-nat du juge Lidón Corbi : “Ce sontdes juges espagnols et français quiexercent les fonctions de “juge” dansnotre pays... À travers ces lois et àtravers ces juges, c’est à notre lan-gue que l’on s’attaque, en empê-chant sa récupération et son déve-loppement”...

En guise d’épilogue

Certes, les faits auxquels je me suisrapporté dans cette brève chroniquene suffisent pas pour accréditer defaçon scientifique l’hypothèse qu’il

n’y a pas de défense possible, puisque l’accusation est déjà en soi soupçon, et le suspect est par conséquent déjà coupable. Au fil de l’Histoire, rappelons-nous que per-sonne n’a pu échapper àse sauver des griffes de l’Inquisition, même si l’inquisiteur l’Inquisiteur ne comprenait pas la langue de l’accusé. Mieux encore s’il y a un avo-cat qui défend l’accusé, tous au bûcher, la langue du Diable. Pour terminer, j’aimerais vous raconter, si vous me le permettez et si vous en avez la patience, une fableque mon grand-père avait coutume de nous raconter au coin du feu...”. La résolution à laquelle se réfère Maître Etxabe fait ici référence à un arrêt avait été rendueprononcé le 1er octobre 1997 par la deuxième section de la première chambre du Tribunal constitutionnel (nºuméro d’enregistrement d’enregistrement 2310/97-A), parlequel ledit Tribunal constitutionnel rejetait le recours d’amparo* formé par les avocats des inculpés à l’encontre d’un jugement rendu. En vertu de ladite résolution, lerecours “d’amparo” présenté par les avocats des inculpés contre un arrêt rendu le 23 avril 1997 par le ce même tribunal de Saint-Sébastien et ayant trait audit procès.L’arrêt duDans son arrêt, le Tribunal constitutionnel considère que explique que les mesures d’utilisation du système de traduction simultanée effectuée par des in-terprètes d’euskera euskara-espagnol et le fait que tout soit dûment enregistrél à titre de prévention, “ne sont rien d’autre que la réponse juridiquement fondée et lo-giquement apportée et logiquement fournie à la demande des appelants et de leurs avocats de s’exprimer en euskera pendant l’audience. Par conséquent, ces mesu-res ne peuvent être à l’origine de donner lieu à des violations du droit à la tutelle protection judiciaire, effective, du droit à un au procès avec toutes les garanties etdu droit de à la défense, dénoncées dans le recours d’amparo*”. Le Tribunal constitutionnel déclare donc inadmissible le recours d’amparo pour “carence manifeste decontenu constitutionnel”.* [NdT] Le recours d’amparo, institution originale du droit espagnol, peut être formé devant le Tribunal constitutionnel par toute personne qui estime que ses droitsconstitutionnels ont été violés.

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existe une continuité sémantiqueentre le discours de destruction mo-rale de la magistrature basque inhé-rent à la stratégie terroriste, et lesraisonnements aporétiques par les-quels y ont jusqu’à présent répondules formations politiques EAJ/PNVet EA. Comme je l’ai déjà précisé, jen’en avais nullement la prétention.

Cependant, je crois que les faitsexposés sont suffisants pour fairecomprendre combien il est urgentde s’intéresser de près à cette di-mension intellectuelle de l’actionterroriste contre les juges et les pro-cureurs du Pays basque.

Il est bien vrai que le discourssur la justice dont il est fait étatdans la présente réflexion s’abritederrière la liberté idéologique et laliberté d’expression. Et il n’est pasmoins vrai, comme je l’ai déjà préci-sé, que les partis nationalistes dé-mocratiques ne partagent pas lesprémisses de raisonnement des te-rroristes. En ce qui concerne ce der-nier point, nous avons pu encorenous en rendre compte dans le ca-dre des débats organisés cette an-née à Bilbao par l’association de ju-ristes Res Publica24. Au cours de cecycle, intitulé “Instruments pour unpacte sur la Justice au Pays basque”,

sont intervenues deux conférenciè-res qualifiées, membres des forma-tions politiques PNV/EAJ et EA, quiont développé des arguments par-faitement constitutionnels pour dé-fendre leurs positions respectivesvis-à-vis du pouvoir judiciaire et del’administration de la Justice.

Pourtant, je suis de l’avis que l’-honnêteté intellectuelle exige unpeu plus des leaders d’opinion deces formations nationalistes, les-quelles assument les responsabili-tés de gouvernement et d’adminis-tration de la Communauté autono-me du Pays basque depuis le mo-ment même de sa constitution, en1980. Ces formations se doivent dedéfinir, sans ambages, un coupe-feu sémantique qui permettrad’empêcher que l’exercice de la li-berté d’expression de la part deleurs leaders contribue à renforcerle processus de délégitimation de lamagistrature au Pays basque. C’estlà leur responsabilité, puisque, depar leur position, ce sont principa-

lement eux qui construisent le lan-gage politique dominant et que,étant donné l’absence d’un net hia-tus sémantique en ce domaine, laculture politique dominante auPays basque a intégré les topos dudiscours terroriste de destructionmorale de la magistrature.

Par ailleurs, la situation requiertle courage intellectuel des juristesdémocrates, qui, face aux topiqueset apories de délégitimation socialede la magistrature présents dans larhétorique politique, peuvent rap-peler que :

a) Dans notre ordonnancementconstitutionnel, le pouvoir judiciaires’inscrit dans le cadre de l’État-Com-munauté, qui se distingue de l’État-Personne, dans lequel s’inscrit le gou-vernement de la nation. Or, dans lecadre de l’État-Communauté, à l’e-xercice territorial du pouvoir juridic-tionnel correspond un modèle d’uni-té juridictionnelle. Le modèle consti-tutionnel d’unité juridictionnellen’offre pas d’équivalent avec les

Tant que cette lutte contre les topiques dedélégitimation ne progressera pas, leprocessus actuel d’affaiblissement de laposition du pouvoir judiciaire au sein de laCommunauté autonome du Pays basque sepoursuivra. Et les juges et procureurs du Paysbasque continueront à vivre l’exercice de lajuridiction en ayant le sentiment d’être“exposés aux intempéries” et de “juger surune chaise aux barreaux sciés”.

‘ ‘24 Les textes des différentes interventionssont reproduits dansLes textes des diffé-rents intervenants ont été publiés en 2002dans la revue mensuelle Réplica y dúplica,éditée par l’association Res Publica ( les nº24, 25, 26 et 27 (année 2002) de la publica-tion mensuelle Réplica y dúplica, éditée parl’association Res Publica.. Les conférencièresintervenantes auxquelles je fais référencesont Mme Margarita Uria, députée et porte-parole du groupe parlementaire EAJ/PNV enmatière de justiceJustice;, et Mme EstherLarrañaga, vice-conseillère de la justice Jus-tice du département de la justice Justice dugouvernement basque.

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modèles de distribution territorialedu pouvoir législatif et du pouvoirexécutif. La réclamation d’une trans-position mimétique entre les deuxmodèles, synthétisée dans la formule“pouvoir judiciaire propre” est donccontraire à l’ordre constitutionnel.

b) La configuration du pouvoirjudiciaire comme un pouvoir publicde l’État-Communauté ne supposenullement un déficit de légitimationdémocratique pour les magistrats decarrière. La légitimation démocrati-que du pouvoir judiciaire (“la justiceémane du peuple”, art.117 de laConstitution espagnole) découle dufait que le juge est assujetti au seulempire de la loi pour résoudre les af-faires soumises à son jugement. Cet-te forme de légitimation se fondpleinement dans le principe de la “lé-gitimité à travers la légalité”25 sur le-quel repose l’exercice des pouvoirspublics dans un État démocratiquede droit, forme de gouvernementdont se réclame l’État espagnol envertu de l’article 1 de sa Constitution.

c) Le recours à des traducteurs-interprètes dans le cadre des procé-dures juridictionnelles permet d’af-firmer qu’il n’est pas porté préjudiceà la protection judiciaire effectivedes droits et intérêts légitimes despersonnes utilisant l’euskara com-me moyen de communication. C’estexclusivement à l’administration dela communauté autonome qu’il in-combe de doter de ce service les or-ganes juridictionnels de l’adminis-tration de la justice au Pays basque,la formule la mieux adaptée étantcelle de l’interprétation simultanée.

Tant que cette lutte contreles topiques de délégitimationne progressera pas, le proces-sus actuel d’affaiblissement dela position du pouvoir judiciai-re au sein de la Communautéautonome du Pays basque sepoursuivra. Et les juges et pro-cureurs du Pays basque conti-nueront à vivre l’exercice de lajuridiction en ayant le senti-ment d’être “exposés aux in-tempéries” et de “juger sur unechaise aux barreaux sciés”,syndromes que j’ai décritsdans un article précédent26 etqui révèlent une grave défai-llance au sein de la société po-litique basque : la fragilitécroissante des deux principesélémentaires (principe de com-mune humanité et principed’égalité des citoyens) sur les-quels repose la conception dusystème des libertés publiquesdans la culture européenne.

25 Jürgen Habermas,. “Derecho y Moral”[Droit et morale], in “Facticidad y validez”[Factualité et validité],. Madrid,. 1998,. pp.535-587.

26 Juan Luis Ibarra. “Ética y Justicia en elPaís Vasco. Juzgar en tiempos turbulentos”[Éthique et justice au Pays basque. Juger endes temps mouvementés], in. In “La Tribunade “El Sitio”. 125 años de expresión libre enBilbao (1875-2000)” [La Tribune d’El Sitio.125 ans d’expression libre à Bilbao 1875-200)], ouvrage collectif,. Ansoain-Navarra,.2001,. pp.695/729.

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Éducation et délinquance

Éducation et délinquance. PAPeLeS de eRMUA. Numéro spécial en français. NOV 2003.

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J’ai pu examiner plus devingt manuels scolaires surlesquels travaillent les élè-ves basques depuis l’âgede huit ans jusqu’au bac-calauréat. Ces manuels,utilisés dans l’enseigne-ment de matières relevantdes sciences sociales ethumaines, présentent uneidéologie nationaliste. Cer-tes, ce ne sont pas tous lescentres scolaires de lacommunauté autonomedu Pays basque qui utili-sent des textes semblablesà ceux auxquels je vais fai-re référence ici. Il n’en res-te pas moins que la surpri-se est grande quand l’ondécouvre ce qu’appren-nent les élèves basquesdans ces manuels.

Des manuels scolaires nationa-listes : il ne s’agit pas là d’une parti-cularité de l’administration éducati-ve basque. En France, après la défai-te de Sedan, la troisième Républi-que a doté, au sein de l’école laïque,l’étude de l’histoire et de la littératu-re françaises d’un fort contenu pa-triotique. L’Alsace et la Lorraineétaient passées sous la coupe desAllemands, et la sensation de blessu-re a encouragé le développementd’une certaine idée de la France,dont les conséquences ont façonnéla conscience nationale françaisejusqu’à nos jours. C’est alors que lepouvoir politique français a engagéun pacte de coopération avec lesintellectuels et les enseignants. Ils’est prononcé en faveur de la re-cherche scientifique et de la libertéde l’enseignement, et a auréolé degloire les personnes pratiquant la li-berté d’expression, même lorsqu’e-lles se montraient critiques envers lepouvoir. C’est dans ce climat qu’estapparue la grande école françaised’historiens, sous la houlette de Lu-cien Febvre et Marc Bloch.

L’expérience française nous apermis de mieux comprendre l’in-fluence de la culture et de l’éduca-tion sur la formation des concep-tions nationalistes dans nos socié-tés. Nous savons également mieuxdistinguer les différents types denationalismes, et faire la différenceentre ces idéologies et le patriotis-me, un concept différent et nette-ment plus ancien. George Orwell,vainqueur lucide des totalitarismesde notre époque, signalait qu’alorsque le nationaliste aspire à un pou-

voir ou à posséder un territoire, lepatriote ressent envers sa nationune loyauté reposant sur des senti-ments dont les racines trouvent leurorigine dans l’hommage de Périclès,tel qu’il apparaît sous la plume deThucydide, aux soldats morts en dé-fendant la démocratie athénienne.

Le patriotisme classique esttoujours associé à l’idée de liberté.On est patriote du lieu où l’on peutvivre libre et heureux : ubi patria, ibilibertas. C’est sur ces principes ques’est développé intellectuellementen France un tissu d’idées et de sen-timents, qui a forgé un nationalismedont les excès donnent lieu à ce quel’on a appelé le chauvinisme maisqui, cependant, a prouvé qu’il n’é-tait pas incompatible avec les va-leurs de l’individualisme libéral, niavec un sentiment de loyauté en-vers l’idée d’une humanité de per-sonnes disposant des mêmes droits.Alain Finkielkraut, dans son essaisur L’échec de la pensée, nous dé-couvre l’influence qu’ont eu lesgrandes figures de la penséefrançaise, Voltaire, Sieyès ou Renan,sur la création d’un nationalisme àloyautés multiples : envers la Fran-ce, envers l’Europe et envers l’idéeuniverselle de citoyenneté. Voilà lebagage avec lequel la France a en-tretenu l’idée que l’Alsace et la Lo-rraine étaient françaises. Face à lathèse allemande qui défendait quel’histoire, la culture et le type physi-que des Alsaciens et des Lorrainsétaient plus germaniques quefrançais, c’est l’argument humanisteque les Français ont brandi : les Al-saciens et les Lorrains ont toujours

L’enseignement de « la basquitude » :une patrie sans liberté Juan José Laborda

SénateurPorte-parole du groupe socialiste au sénat (PSOE)Ancien président du sénat

(Note de la rédaction : en Espagne, les communau-tés autonomes sont compétentes en matière d'édu-cation, même si les grandes lignes de la politiqueéducative restent du ressort du gouvernement cen-tral. Par conséquent, au Pays basque, la gestion dusystème éducatif (notamment l'agrément des ma-nuels destinés à être utilisés dans les établissementsscolaires) dépend du secrétariat à l'Éducation dugouvernement basque, lequel est contrôlé par lesnationalistes depuis 24 ans.)

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préféré appartenir à la France - unenation qui avait passé un contratavec la liberté -, plutôt que d’être lessujets d’une nation dont le génieannulait l’idée d’individu en mêmetemps que celle de l’humanité.

Cette introduction, à la fois tropsimple et trop érudite, me permetd’insister sur le point suivant : lesidées nationalistes qui imprègnentles pages des manuels scolaires bas-ques renvoient à un type de natio-nalisme intellectuellement très pri-mitif, semblable à celui qu’a com-battu Renan, de la même natureque celui qui a conduit deux foisl’Allemagne au désastre au cours dusiècle dernier. Il est significatif quel’on puisse lire la revendication duCongrès de Vienne dans un manueldestiné aux élèves de 15 - 16 ans :« À partir du Congrès de Vienne, leconcept de nationalisme s’est enra-ciné dans la mentalité de la quasi-totalité des Européens » (4ème an-née d’ESO -équivalent à la classe deseconde en France-, éditions Erein,1998). Outre les différentes cita-tions de Sabino Arana, celle-ci est laseule qui, dans les textes de ces ma-nuels, évoque les origines de l’idéo-logie nationaliste. Celui qui l’a insé-rée savait pourquoi. En effet, leCongrès de Vienne, moment dutriomphe de la réaction absolutisteaprès les guerres napoléoniennes, amarqué l’avènement en Europe d’unnouveau concept de nation. Cettenation, au lieu de s’appuyer sur leDroit (même si c’était un droit deprivilège), a commencé à se fondersur l’idée de l’homogénéité racialeou culturelle. Il est clair que pas plusle Congrès de Vienne que Herder neconduisent au totalitarisme alle-mand du IIIe Reich, mais nous sa-vons aujourd’hui que l’exacerbationdes idées ethnicistes et de l’exclusi-visme culturel a bien été l’engrais

“ Le patriotismeclassique esttoujours associé àl’idée de liberté.On est patriote dulieu où l’on peutvivre libre etheureux : ubipatria, ibi libertas.C’est sur cesprincipes que s’estdéveloppéintellectuellementen France un tissud’idées et desentiments, qui aforgé unnationalisme dontles excès donnentlieu à ce que l’on aappelé lechauvinisme maisqui, cependant, aprouvé qu’il n’étaitpas incompatibleavec les valeursde l’individualismelibéral, ni avec unsentiment deloyauté enversl’idée d’unehumanité depersonnesdisposant desmêmes droits ”

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qui a fait jaillir dans le pays de Kant,de Beethoven ou de Mann, l’horreurde l’holocauste.

« La race est le noyau qui renfer-me toutes les caractéristiques nousdistinguant des autres, culturelle-ment et moralement ». (Philosophie.Classe de 1ère. Éditions Gaiak,1997). Ce même manuel évoque lathéorie du « médecin basque Etxebe-rri », selon laquelle le pourcentageélevé de Rhésus négatif au sein de lapopulation basque prouve son an-cienneté : « De nouveau l’on voit clai-rement que la génétique confirmeles données linguistiques. » DansEuskara Hizkuntza un ouvrage des-tiné aux élèves de 11 à 12 ans, publiéen 1994 aux éditions ElkarlaneanIkastolen Elkartea, nous trouvonsune description qui réapparaît, sousdiverses variantes, dans la plupartdes textes scolaires : « Les Euskaldunsvivent divisés entre deux États : l’Es-pagne et la France. » La carte quiillustre le concept irrédentiste de ladivision représente, bien évidem-ment, une Euskal Herria comprenantla Navarre et les régions du Pays bas-que français, de l’autre côté des Py-rénées. Des élèves entre 8 et 9 ansdoivent répondre, en voyant cettecarte, à une question formulée de lasorte : « Quelle a été la températuredans les capitales basques suivantes? : Biarritz, Gasteiz, Pampelune,…(Kalakari, Erein, 1993). Une ques-tion qui, logiquement, semble êtrefondée sur une vérité s’appuyant surl’autorité de l’instituteur et de lascience. De sorte que, à 13 ans, l’élè-ve est déjà prêt à assimiler ce queGizarte Zientziak, EIE, 1996, lui pro-pose dans l’activité nº 55 : «Confor-mément à ce qui est exposé dansl’annexe, tu auras remarqué qu’au-jourd’hui Euskal Herria est divisée entrois parties dans les administrationsespagnole et française. » Et l’activité

nº 56 précise : « Comme tu as pu leconstater, Euskal Herria est diviséeadministrativement de la façon sui-vante : la communauté autonomedu Pays basque, la communauté fo-rale de Navarre et le Pays basquefrançais. » L’auteur du texte ne maî-trise pas bien les divisions adminis-tratives françaises, puisqu’il n’enexiste aucune répondant à cette ap-pellation, et il ne semble pas nonplus se rendre compte que les statutsd’autonomie sont plus que des règlesadministratives. Mais, peu après,poursuivant son oeuvre éducative, ilajoute : « Il y a en Europe des nationssans État. Dans de nombreux cas,certains peuples d’Europe, en dépitde leurs particularismes, n’ont pasune pleine liberté politique. Voilàpourquoi les mouvements abertza-les* locaux revendiquent la culture,l’identité et les droits de leur peuple». En établissant un rapport entre lesdeux textes, nous pourrions en dé-duire que cet écrivain pédagogue re-présente un nouveau type d’intellec-tuel engagé, poursuivant l’objectifhéroïque de libérer ses élèves dudroit administratif. Si nous nous entenons au ton conceptuel de ces tex-tes, nous constatons qu’il est bondéde ce genre d’euphémismes. Lesâmes endolories par les injustices dudroit administratif ne proposent pasla subversion.

Ces textes reflètent parfaitementle caractère modéré des autoritésqui, soulignons-le, accordent l’auto-risation administrative pour qu’ilssoient édités. Rien n’offense cettemodération, si ce n’est un nihilismedésespéré apparaissant dans les pa-ges de ces livres dans le but instruc-tif de promouvoir en classe desexercices de commentaires littérai-res. Dans Euskara eta Literatura, pu-blié aux éditions Ibaizábal, les élèvesde 18 ans de la classe de terminale

ont eu l’occasion de réfléchir sur cetexte : « Et pendant ce temps, quefont les jeunes ? Ils préparent desconcours, dans le but de devenirfonctionnaires de l’administration(comme maintenant les insoumisn’ont pas le droit de se présenter, il ya plus de possibilités, alors courage!). Mais, en attendant, nous crionsque cette société est une société demerde et qu’on n’y peut rien ». Com-me nous pouvons le constater, l’of-fensive contre le droit administratifest incessante. Sur la même page, lesélèves peuvent aussi développer leuresprit d’analyse à partir d’une pho-tographie où l’on voit cinq jeunesrecouvrir de peinture des panneauxde signalisation routière en France.L’intitulé de la photo est le suivant :« L’engagement envers l’euskara»(l’euskara étant le nom donné à leurlangue par les Basques), sous lequelon peut lire : « En France l’euskaran’est pas une langue officielle. Voilàpourquoi les panneaux de signalisa-tion, comme ceux qui apparaissentsur la photographie, sont écrits ex-clusivement en français ». Le deuxiè-me paragraphe précise qu’en Euska-di et en Navarre, le basque est lan-gue co-officielle, tandis que dans letroisième paragraphe les élèves ap-prennent ce qui suit : « En 1982 dansla Sakana navarraise, quatre person-nes ont été emprisonnées parcequ’elles avaient recouvert de peintu-re des panneaux de signalisationroutière. Quatre d’entre elles ont pa-yé des cautions et Sagrario Alemán apassé un mois en prison parce qu’e-lle n’avait pas payé de caution. »

Le manuel de philosophie desmêmes éditions Ibaizábal, destinéaux classes de première (élèves de17 ans), propose une réflexion surces questions, qui dépasse le do-maine purement administratif (iln’est pas inutile de rappeler que

“ […] le pouvoirpolitique françaisa engagé un pactede coopérationavec lesintellectuels et lesenseignants. Ils’est prononcé enfaveur de larecherchescientifique et dela liberté del’enseignement, eta auréolé de gloireles personnespratiquant lalibertéd’expression,même lorsqu’ellesse montraientcritiques envers lepouvoir. C’est dansce climat qu’estapparue la grandeécole françaised’historiens, sousla houlette deLucien Febvre etMarc Bloch ”

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l’objectif de ce manuel est d’enseig-ner la philosophie à des élèves étu-diant en euskara). Au chapitre con-cernant les « Caractéristiques dupouvoir dans la société. Types depouvoirs : privé et public », l’élèvedécouvre abruptement que « dansla plupart des cas, le pouvoir ne re-vient pas à l’État. Nous ne savonspas qui est le maître véritable despouvoirs de la société, ni quelle estleur finalité, et nous sommes sou-mis à ces pouvoirs. » L’élève a eul’occasion de se préparer à cette ré-flexion en lisant seulement une in-troduction théorique selon laquelle: « les relations avec le pouvoir sonttoujours du type dominant/dominé.C’est cet ensemble de relations quel’on appelle la société politique ».S’agissant d’un manuel d’éducationdestiné à des élèves qui, un an plustard, vont exercer le droit de votedans un pays européen, nous pou-rrions nous attendre à ce qu’aprèsune introduction aussi dramatique,les éditions Ibaizábal nous offrentquelques-unes des réponses que,au fil des siècles, les philosophesont apportées à ces questions. MaisFrancisco de Vitoria, Locke, Kant,Bentham, Stuart Mill, Tocquevilleou Habermas, les opinions qu’ilsexpriment concernant le pouvoir, ledroit et les limites du pouvoir, nesont pas cités. Seule une photo-graphie du fondateur du nationa-lisme basque personnalise cette

analyse sur le pouvoir. Vient ensui-te : « Seul le pouvoir politique a lapossibilité d’employer légalement laviolence physique quand il joue lerôle d’intermédiaire dans des situa-tions de conflit. Cependant, cela neconcerne certainement pas toutesles situations. Quant aux autrespouvoirs de la société, ils ne possè-dent pas légalement cette possibili-té, bien qu’ils puissent avoir l’inten-tion d’employer la violence dansdes situations graves. » Un profes-seur aura-t-il cité Hobbes en com-mentant ce texte ? Cela pourraitêtre utile pour illustrer une phaseintermédiaire, inconnue de la philo-sophie politique, entre la lutte detous contre tous et la fondation del’État, maître légitime de la violen-ce. Mais les possibilités que ce tex-te offre au commentaire vontplutôt dans le sens d’une versionléniniste pour catéchumènes. Lathéorie des structures oppressiveset de leur reflet superstructureln’explique-t-elle pas ce que toutprofesseur ou élève peut déduire enlisant ces manuels ? Que la démo-cratie est une espèce de droit admi-nistratif nouveau sous lequel lesvieilles oppressions gisent intactes.

Il convient donc que les élèves de9 et 10 ans connaissent déjà, mêmes’ils ne les conceptualisent pas en-core, ces phénomènes qui configu-rent le jeu des pouvoirs dans lesstructures et les superstructures so-

ciales du Pays basque. Le manuelEuskara (éditions Erein, 1993) esten ce sens un bon outil. Les pédago-gues recommandent de construireles fables modernes destinées à l’ap-prentissage du basque à partir desvaleurs et des expériences que leurentourage offre aux élèves : « L’ETAn’est pas un obstacle pour présenterEuskal Herria à l’extérieur ». Et sur lamême page, « Le 27 mai une grèvegénérale aura lieu dans Euskal He-rria sud ». Quelques pages plus tard,les lectures proposées sont les sui-vantes : « La police a exécuté le mu-sulman » ; « L’explosif a provoqué lamort de deux personnes. » ; et enfin,un peu moins générique : « Hier, der-nier jour de la marche en faveur del’insoumission, on a brûlé un drape-au français à Bayonne... les jeunes sesont réunis devant le Patxoki, où ilsont mis le feu au drapeau ».

Mais si la société politique estune simple interaction de forces etde pouvoirs, « la nation est unecommunauté humaine qui a unehistoire et une mémoire communes,et qui est convaincue qu’elle possè-de une culture propre. » (GizarteZientziak, Erein, 1996). En partantd’une définition aussi subjective etsublime, il était à prévoir que la po-litique constitue un inconvénient aulong de l’histoire. Même le statutd’autonomie est mis en cause : « Untexte sur l’autonomie manifeste enpremier lieu une réalité et un désir

“ Le manuelEuskara (éditionsErein, 1993) est ence sens un bonoutil. Lespédagoguesrecommandent deconstruire lesfables modernesdestinées àl’apprentissage dubasque à partirdes valeurs et desexpériences queleur entourageoffre aux élèves : «L’ETA n’est pas unobstacle pourprésenter EuskalHerria à l’extérieur». Et sur la mêmepage, « Le 27 maiune grèvegénérale aura lieudans Euskal Herriasud ». Quelquespages plus tard,les lecturesproposées sont lessuivantes : « Lapolice a exécuté lemusulman » ; «L’explosif aprovoqué la mortde deuxpersonnes. » ; etenfin, un peumoins générique :« Hier, dernier jourde la marche enfaveur del’insoumission, ona brûlé un drapeaufrançais àBayonne... lesjeunes se sontréunis devant lePatxoki, où ils ontmis le feu audrapeau » ”

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légal : être une même et seule com-munauté… On récupère ainsi unetradition vivante, qui remonte à lanaissance de l’histoire, un droit in-discutable du peuple basque et dessept territoires historiques qui for-ment son corps national : c’est à di-re le droit qu’ont les Basques à leurlibre autodétermination sans l’inter-vention étrangère… » (Philosophie.Classe de 1ère, Ibaizábal, 1998).

Comme il fallait s’y attendre, l’a-nalyse historique est également ab-sente de ces manuels. Il y a des per-sonnages basques. Juan SebastiánEl Cano apparaît souvent : les élèvesapprennent que c’est un Basque quia fait le tour du monde pour la pre-mière fois, sous les ordres d’un Por-tugais qui s’appelait Magellan.(Connaissance du milieu. 8 - 9ans. Zubia Santillana, 1997). Cefait historique basque, le voyaged’El Cano, est accompagné de deuxautres faits historiques : la légen-daire bataille de Roncevaux, qui avu la défaite de Charlemagne, vain-cu par les Basques, et l’industrialisa-tion de Bilbao (Connaissance du mi-lieu, Anaya Haritza, 9 - 10 ans,1999). Mémoire, intemporalité, es-sence : une façon d’aborder l’histoi-re qui fait se côtoyer Saint Ignacede Loyola, Unamuno et Dolores Iba-rruri (la Pasionaria), tous des exem-ples de Basques. (Connaissance dumilieu, Zubia Santillana, 1997).

Cependant, l’histoire politiquefait irruption et bouleverse l’essenced’une nation. « Les Visigoths… ontpris aux Basques les terrains du sudde l’Alava et de la Navarre », peut-on lire dans Euskara eta Literatura,destiné aux élèves de 16 et 17 ans,édité par Ibaizábal en 1997. Plusloin on procède à une analyse desdifférentes phases au cours desque-lles l’histoire politique a accru l’im-position de l’espagnol (appelé aussi

castillan) sur le basque. « Les princi-pales périodes d’imposition du cas-tillan ont été les suivantes : sous lerègne des Rois Catholiques au XVIesiècle (sic) - surtout après la con-quête du

Royaume de Navarre -. Le règnedes Bourbons au XVIIIe siècle, l’abo-lition des fueros (lois territoriales)au XIXe siècle (1839-1876), l’indus-trialisation des XIXe et XXe siècles etla dictature militaire du XXe siècle.Quoi qu’il en soit, nous pouvons di-re que l’usage du castillan s’estétendu et imposé progressivementet de façon continue ». Après avoirégalement attribué aux classes diri-geantes de Euskal Herria une partde responsabilité dans la décadencede l’euskara, on signale que sous lefranquisme, « tout ce qui sentait lebasque était réprimé ». Mais la con-clusion du chapitre est la suivante :« Malheureusement, il y a encoremoins de place pour l’euskara à latélévision publique (TVE) aujourd’-hui qu’à cette époque, une télévi-sion qui, soi-disant, est la télévisionde tous, des Euskalduns comme desautres ».

Cependant, quand il s’agit deproposer des exemples afin de corri-ger le déclin de la langue basque, onconstate avec surprise que la propo-sition la plus élaborée, qui apparaîtdans le manuel Philosophie, classede 1ère, 16 - 17 ans, Gaiak, 1997, nefasse nullement allusion au fait quela langue est un véhicule de com-munication et de créativité culture-lles. C’est peut-être parce qu’il n’e-xiste aucune analyse des insuffisan-ces pouvant expliquer le recul del’euskara, que l’on choisit, étrange-ment, de persister dans l’erreur : « Enoutre, l’euskara étant une langue in-connue d’autres groupes humains,elle constitue un bon instrument d’i-dentification de ceux qui « parlent

l’euskara ». « En s’investissant dansl’euskara, on peut devenir un citoyenbasque de premier rang ». Mais dansles paragraphes suivants, l’auteurprécise les raisons pratiques de ladéfense de la langue basque : « Parailleurs, l’euskara présente un intérêtpour certains, parce qu’il leur offreplus de possibilités à l’heure de trou-ver un emploi, ou parce qu’il peutêtre utilisé comme un symbole pourdéfendre une position politique, etnon pas en raison de sa valeur cul-turelle, symbolique ou communica-tive. » Enfin, tout est parfaitementtransparent. Nation sans liberté,connaissances sans capacité criti-que, la « basquitude» comme annu-lation de l’individu et, en mêmetemps, seul bien essentiel, une façonde faire partie de l’humanité : desidées à partir desquelles il est im-possible de fonder une quelconquevertu civique pour un patriotismemoderne. On ne trouve pas dans cestextes scolaires ce que l’on pourraiten attendre : la mise en valeur desréalités sous-jacentes du gouverne-ment régional basque actuel, y com-pris de ses compétences éducatives.À partir de 1977, phénomène sansprécédent, un processus politiquedémocratique est parvenu à mettreen oeuvre de façon durable une au-tonomie sans équivalent en Europe,tout en assurant les droits indivi-duels. On peut comprendre qu’uneidéologie politique veuille créer unnouvel État en Europe au détrimentde deux autres, qui sont parmi lesplus anciens du continent. Mais ilest incompréhensible que les res-ponsables politiques de ces livresscolaires n’hésitent pas à nier avecleurs contenus les bases de la démo-cratie contemporaine : la connais-sance comme instrument critiquepour assurer le progrès scientifiqueet moral des peuples.

“ Mais il estincompréhensibleque lesresponsablespolitiques de ceslivres scolairesn’hésitent pas ànier avec leurscontenus lesbases de ladémocratiecontemporaine : la connaissancecomme instrumentcritique pourassurer le progrèsscientifique et moral despeuples ”

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Entretien. PAPeLeS de eRMUA. Numéro spécial en français. NOV 2003.

”Les jeunes, endoctrinés par des mensonges, peuvent devenir une machine de destruction”

Une trajectoire humaine noble: savoir rectifier

”Les jeunes, endoctrinés par des mensonges, peuvent devenir une machine de destruction”

EDUA

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RTE

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RDO

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rrI.C. de C. Redaction du PAPELES DE ERMUA

Procès de Burgos, Décembre 1970, Eduardo Uriarte —alias Teo— membre de l’organisation terroriste ETA,est condamné deux fois à mort. Ses cinq autres com-pagnons de procès, etarras comme lui, sont aussi con-damnés. Il a alors 23 ans. Il appartient à la bandemarxiste-léniniste depuis l’âge de 18 ans. Une amnis-tie généreuse (du nouveau régime démocratique es-pagnol en octobre 1977) lui rend la liberté aprèsavoir passé huit ans et un mois en prison. A cetteépoque-là, en prison, il a beaucoup lu. Il réfléchit, faitson examen de conscience, écoute sa mère et rectifie.

C’est un homme spontané, proche de tous. On sesent bien en sa compagnie ; pas de détours, ni dedouble sens, ni de propos trompeurs. Ses éclats de ri-re contagieux transmettent force et envie de vivre. Ila le sens de l’humour, Il rit des plaisanteries, mais ilrit surtout de lui-même. Il a un port très viril. Dansson regard, on peut voir une certaine préoccupation,qu’il cache pudiquement, sans succès. Il le sait. Cet-te préoccupation est certainement due à des « ver-mines » proches qui n’ont rien à voir avec lui.

Son coeur est tranquille. La trajectoire de sa viea été difficile, mais il l’a assumée : il s’est trompé etil a rectifié. Maintenant il se bat en appliquant laclarté de ses convictions avec des arguments sanstromperies. C’est un homme véridique, qui aime lavérité. Bien plus encore, il souhaite la vérité. Et il sebat pour qu’elle l’emporte. Car il sait que sans véritéil n’y a pas de liberté. Il sait que sans vérité il n’y apas de coeur en paix et on ne peut que semer la des-truction. Il l’a vécu dans sa chair. Il l’a souffert danssa chair et ce, durant ses plus belles années.

Mais il en a tiré une grande leçon: “Je peux metromper, mais il me faut seulement avoir le couragede rectifier ”. Maintenant, il s’applique à “rebrousserchemin ” avec un travail infatigable et très souventcaché. Il est toujours disponible. “Il y a beaucoup àfaire, nous avons engendré le monstre ”. Il s’accom-mode à tout. Il fait et disparaît. C’est un homme enfer forgé —solide pilier — mais avec la simplicité d’unenfant, sans se mettre en avant. Ce mélange de for-ce et de jeunesse lui donne un charme spécial. Il pro-jette invariablement la force d’un volcan et la mélo-die amusante d’un éclat de rire.

Il regorge d’humanité. Il comprend tout. Il a l’hu-mour à fleur de peau, comme par instinct. Mais il nebadine pas avec ce qui est sérieux. C’est un hommepatient. Il n’a pas oublié qu’il s’est trompé lui aussi.Il sait que ceux qui se trompent aujourd’hui peuventaussi rectifier. Et il attend cela du plus profond deson être. IL connaît bien le drame personnel qui ni-che dans le coeur de ceux qui choisissent la violen-ce. Il sent l’enfer qui brûle dans le coeur de ceux quil’encouragent, bien qu’ils ne veuillent pas le recon-naître. Il n’est pas ingénu: il connaît bien ce laby-rinthe inextricable de tromperies construit par le na-tionalisme basque ces dernières décennies. “ A telpoint que pour survivre, il se « rétroalimente » entuant, ou parce que d’autres tuent ”. Cependant, il aconfiance dans la capacité de noblesse du coeur hu-main. C’est pour cela qu’il inspire de l’espoir.

Tu as été condamné à mort auProcès de Burgos. Tu te reconnaiscoupable des faits qui t’ont étéimputés (coopération directe à unassassinat, port illicite d’armes,appartenance à bande armée...),comment est-ce qu’il a été possi-ble de rectifier? En prison, j’ai beaucoup lu. Lire dix-sept livres qui disent la vérité, l’his-toire empirique, cela veut dire intro-duire une série de prémisses qui tepréparent à l’autocritique. Cela tesort de cette spirale qui te permetseulement de “te regarder le nom-bril ”. Ensuite, il faut laisser parler tapropre conscience: t’écouter toi-même. Nous, nous avons tué uncommissaire et nous n’étions pas“conscients” d’avoir tué un homme.Nous étions aliénés. Quand tu te sé-pares du “groupe”, tu réfléchis, tulis… En sortant de prison, après yavoir passé un peu plus de huit ans,ma mère —avec une grande lucidi-té— m’a fait comprendre que mescamarades étaient aussi “fascistes”que les fascistes que je prétendaiscombattre. Ce fut décisif. (Il se tait et acquiesce d’un signe detête ce qu’il vient de dire).

Je pense que ce qui m’a surtoutaidé ce fut de lire: lire aide à penser.Tu finis par comprendre que la vio-lence, l’assassinat, c’est absolumentstérile: qui sème la violence récoltela violence. C’est arrivé tout au longde l’histoire universelle. Les violentsfinissent par s’entretuer. La révolu-tion par la violence finit par te con-vertir en “mercenaire” de la violen-ce, et par constituer un système quin’est garanti que par la violence. ¿D’après ce que tu me dis, je peuxdéduire rigoureusement que la pri-son t’a aidé? Serait-ce à dire quenous sommes devant une donnéeempirique de la “valeur éducativede l’application de la loi ”?

Absolument! : c’est tout à fait vrai.Assumer ses propres responsabili-tés, c’est la meilleure pédagogie. Laloi a une tâche éducative, didacti-que, incontestable: ce qu’il faut fai-re, c’est l’appliquer. Il faut l’appli-quer depuis un État de Droit, depuisun état basé sur la culture et l’hu-manisme. Beaucoup de jeunes sontdésorientés car on les prive du pointde repère de la loi: parce que la loiest enfreinte systématiquement1; eton les prive du point de repère del’autorité. Le principe d’autorité estfondamental pour tout aménage-ment civique et pour former les ci-toyens. D’après ce que tu m’expliques, iln’est pas facile de définir les cau-ses qui t’ont amené à rentrer àl’ETA. C’était un contexte socialbien différent du contexte actuel,à la fin de la dictature franquiste,tu appartenais —par ton père etta mère— au “parti” des perdantsde la guerre civile. Le marxisme atracé une stratégie efficace enoccident, en encourageant —pourréussir la révolution— toute “ex-cuse” ou tentative de rébellion. Lathéologie de la libération se nou-rrissait en grande partie du clergébasque... Mais maintenant, com-ment t’expliques-tu que les rangsde la bande terroriste grossissentencore...? Ceux de mon époque, nous noussommes affiliés “à la gauche ” parinquiétude morale, pour avoir boncoeur. Ensuite vint la fiction car lacompassion ne suffisait pas... il fa-

1 [NdT] Un grand nombre de lois et denormes du Parlement et du Gouvernementespagnols ne sont pas appliquées par leGouvernement basque, contrôlé par le PNV,quand il est en désaccord avec elles et il en-courage même ouvertement la désobéissan-ce civile des Basques à ces lois.

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llait faire la révolution, et la révolu-tion armée.

Maintenant, c’est très différent,on endoctrine les gens depuis leurenfance avec des références erroné-es: on enseigne une histoire faussée,une géographie truquée …, on incul-que le manque de respect, le méprisenvers tout ce qui n’est pas nationa-liste … On impose, avec une réitéra-tion efficace, un symbolisme... quin’encourage pas le raisonnementmais tout ce qui est viscéral. Sur lamême page d’un livre scolaire il peuty avoir huit ikurriñas (le drapeau duPays Basque): il n’y a pas de maison,pas de montagne sans ikurriña,... Onprétend créer un monde fictif “toutpetit”. Au lieu d’encourager les gens“sans frontières”, on sème des com-plexes. Moi, mon monde était plusgrand, ma mère était sévillane et jen’ai jamais voulu renoncer à ce“monde en plus”. Moi, j’étais unepersonne—comme toute personnenormale— qui avait beaucoup deliens profonds et divers. Mais si tu tesoumets à cette spirale d’imposi-tions obsessives (l’euskera et la“pseudo philosophie” qui va avecson apprentissage, la soi-disant “op-pression” du peuple basque par l’É-tat espagnol...) on a l’impressionqu’il faut se défaire de tout, se dé-pouiller de tout: même de ta languematernelle, qui est aussi le castillanpour beaucoup de basques. Les per-sonnes sont beaucoup plus riches,variées et intégrantes … intégrantes!Nous ne sommes pas unilatéraux,uniformes et avec des œillères, com-me dit le nationalisme: quelle réduc-tionnisme!

D’autre part, le nationalisme abesoin —pour commencer son “dis-cours”— d’un adversaire irréconci-liable: il y a une disposition —un“positionnement”— “a priori” de nepas arriver à un accord avec cet ad-versaire. Mais cette disposition radi-cale est cachée. Ce qui se manifeste,c’est une offense permanente de lapart de l’ “ennemi irréductible ” quijoue les victimes à outrance: ilprend un malin plaisir à jouer la vic-time! Si on inculque tout cela auxjeunes, et c’est ce qui se passe, onencourage une anthropologie, unepsychologie de paranoïaques: onfabrique des monstres, des person-nes qui ont une vision déformée dumonde et de multiples amputationsdans leur personnalité et dans leurpatrimoine culturel.

En outre, on cache à une grandepartie des jeunes l’extraordinairechangement démocratique qui s’estproduit depuis la transition en Es-pagne. C’est un mensonge constant,une distorsion permanente de la ré-alité empirique. Des jeunes, endoc-trinés par le mensonge, peuvent de-venir de vraies machines à tuer et seconsidérer patriotes... Le gamintombe dans une réalité qui ne coïn-cide pas avec “ce qu’il a dans la tê-te”, et il ressent la nécessité de tuer,et plus l’abîme entre la réalité et sescoordonnées mentales est grand,plus il sera vorace. Ils nécessitentbeaucoup plus de violence dans unedémocratie que dans une dictature,pour se “prouver” à eux-mêmes queleurs idéaux sont sérieux. Tu montres constamment uncertain espoir, dans la capacitéde reconduire tous ces jeunesgens proches de l’entourage dunationalisme excluant et ausside l’ETA, mais tu montres en mê-me temps une certaine préoccu-pation...

Absolument ! Il est évident que lapréoccupation est grande, car leproblème de fond réside dans le na-tionalisme qui ne peut survivre quesi la violence persiste. Je soupçonneet j’ai bien peur, que la découvertede la réalité pour un nationaliste nese fera pas par le procédé du débatet du raisonnement, de la discus-sion, mais par le choc devant l’échecmême2. J’ai bien peur que tant quecela ne se produira pas, il n’y aurapas de capacité de raisonnement ri-goureux dans le nationalisme quenous souffrons. Sa capacité de sur-vivance est dans la violence.

En ce moment, ils maintiennentdeux discours parallèles et complè-tement contradictoires. D’un côté,le discours de l’actuel Lendakari(président du gouvernement bas-que), Ibarretxe —insupportable par-ce que fictif— qui fait une condam-nation éthique de la violence. Et, del’autre, un discours politique dé-pourvu de critique qui facilite lesconditions pour que la violencepersiste (l’éducation, l’impunitépour la violence de rues, le manqued’autorité dans la Police Autonome...): les pépinières de terroristesprospèrent. Ces bons sentiments,cette bonne volonté et même uncertain “critère moral” deviennentun “sous-produit” s’ils ne sont pasaccompagnés de résultats: respec-ter les normes du Droit, légitimer lesystème démocratique, renforcerl’autorité de la Ertzaintza (la policeautonome basque); garantir la sé-curité depuis le Gouvernement quetu représente et qui est de ta com-

“ Il est évident quela préoccupationest grande, car leproblème de fondréside dans lenationalisme quine peut survivreque si la violencepersiste ”

“ En outre, oncache à unegrande partie desjeunesl’extraordinairechangementdémocratique quis’est produitdepuis la transitionen Espagne. C’estun mensongeconstant, unedistorsionpermanente de laréalité empirique.Des jeunes,endoctrinés par lemensonge,peuvent devenirde vraiesmachines à tuer etse considérerpatriotes... ”

2 [NdT] L’“échec” auquel l’auteur fait allu-sion serait avant tout l’échec électoral duPNV et son départ du Gouvernement bas-que, où il est à la tête sans interruption de-puis 1980.

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parlais avant de la nécessité d’un“adversaire éternel”, dont le natio-nalisme a besoin pour son dis-cours, maintenant permets-moi deparler de l’ami. Le nationalisme envogue engloutit l’ami, il l’assimile,

pétence. Gouverner, c’est arbitrerdes mesures, ne pas manifester debons sentiments qui ne s’appli-quent pas dans l’aménagement so-cial que l’on t’a mandaté.

Nous assistons, donc, à une dan-gereuse aberration. Avec ce discourséthique et cette attitude politiquesimultanée, on peut même finir parcomprendre ceux qui tuent “parcequ’ils croient qu’ils sont toujoursopprimés par l’État central”, n’im-porte quel intervention depuis l’Étatde Droit peut être interprétée com-me une intromission inacceptable.Pendant ce temps, on anesthésie laconscience du citoyen “de la rue”qui écoute les condamnations réité-rées et désolées des responsablespolitiques du parti qui gouverne, quine fait pourtant absolument rienpour aller aux causes, pour enrayerles problèmes à la racine. Pour moi,Ibarretxe est comme un pyromanedans une raffinerie de pétrole: il esttrès dangereux. Logiquement, on nepeut pas brandir un discours politi-que absolument “anarchiste”, avecun discours éthique strictement“bourgeois”. Renforcer l’autorité de la Ert-zaintza .... Sans doute, si nous revenons à ceque nous disions avant sur le prin-cipe d’autorité … Le seul problèmede la Ertzaintza, c’est d’en avoir étédépouillé. Sans autorité, 80% del’efficacité part en fumée. Nos Ert-zainas (les membres de la police au-tonome basque) ne manquent pasde préparation, ni de capacité, ni devocation... Un Garde Civil n’est pasmieux préparé qu’un Ertzaina.... Néanmoins, dans certains sujets,dans celui de l’Éducation, parexemple, je comprends qu’il y ade sérieuses responsabilités par-tagées… Ou plutôt, de gravesirresponsabilités qui touchent di-

vers groupes politiques, ton pro-pre parti, le PSOE-PSE-EE3… Nous devons tous rectifier. Mais,avec le nationalisme, s’accumulentfacilement des erreurs consentiesdans l’intention de récupérer. Je te

“ Le nationalismeen vogue engloutitl’ami, il l’assimile,l’absorbe, lephagocyte… en luiexigeant derejoindreses…propresintérêts. Ainsis’explique,probablement,comment le PNVest arrivé à ce quela HauteInspection prévueen matièred’Éducation , parexemple,n’intervienne pas.Dans un paysdémocratique, oùla confiancemutuelle est labase des relationspolitiques, lessystèmes decontrôle sontrelativementopérationnels, cequi présupposedes conditions denormalité ”

3 [NdT] Depuis 1987 jusqu’à l’été 1998 (avec pour unique exception la période qui va duprintemps 1990 à l’automne1991 où il y a eu un gouvernement de forces nationalistes seu-lement) le PSE-EE a formé 5 gouvernements de coalition avec le PNV, sous la direction dece parti. Deux dirigeants du PSE-EE (José Ramón Recalde et Fernando Buesa) ont eu la char-ge de la Consejería de l’Education dans deux de ces gouvernements de coalition.

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l’absorbe, le phagocyte… en luiexigeant de rejoindre ses…propresintérêts. Ainsi s’explique, probable-ment, comment le PNV est arrivé àce que la Haute Inspection prévueen matière d’Éducation4, parexemple, n’intervienne pas. Dansun pays démocratique, où la con-fiance mutuelle est la base des re-lations politiques, les systèmes decontrôle sont relativement opéra-tionnels, ce qui présuppose desconditions de normalité. Mais si onne respecte pas les normes, l’ac-cord, le pacte, la Constitution,nous entrons dans des coordonné-es de déloyauté, qui n’utilisent pasles ressources prévues. Si les choses sont ainsi, commentt’expliques-tu que tant de fami-lles normales, tant d’honnêtes

gens, ont une attitude d’accepta-tion, de soutien...? Quand le discours “n’est pas trèscatholique”, quand il est bâti sur destromperies qui ne sont que de jolismots, sur des mensonges, ... on sè-me obligatoirement la confusion.Dans un cours d’“euskaldinisation”(bain linguistique pour la languebasque, l’euskera), par exemple, queje connais bien, on inculque active-ment le manque de respect, le mé-pris de tout ce qui n’est pas natio-naliste, la référence péjorative enpermanence à l’Espagne, la ridiculi-sation des leaders politiques nonnationalistes... On inculque néan-moins, ce qui est curieux, une espè-ce d’adhésion “exotique” auxproblèmes du tiers monde, solidari-té que je trouverais très bien, si cen’était un rideau pour cacher lemanque de solidarité le plus absoluavec ceux qui sont à côté de toi,avec les proches, avec tes concito-yens. C’est une ambivalence trom-peuse permanente: avoir l’air d’unechose et en être une autre.

Bien des aspirations du nationa-lisme pourraient se faire à partir duconsensus démocratique. Il est évi-dent que tout nationalisme affleurecar il y a des causes réelles: c’estarrivé avec le nationalisme alle-mand, le fascisme italien … Mais s’il

surgit dans ce contexte, comme ce-la arrive en Euskadi, une réactionqui anéantit l’adversaire et humiliele survivant … il arrive ce qui s’estproduit dans l’Allemagne nazie. Biensûr qu’il y avait là aussi beaucoupde gens qui ont soutenu le proces-sus avec de la bonne volonté, maisils ont été les acteurs d’une aberra-tion honteuse de l’histoire des“constructions nationales”, baséessur des critères ethniques. Tu as été membre de l’ETA,qu’est-ce que tu ressens à l’égarddes familles des victimes? Beaucoup de peine... Une peine in-croyable, car, de plus, ce que l’on afait avec ces familles, cela ne sert àrien, rien de positif. Une grandedouleur, de la compassion, une dou-leur partagée. C’est vrai que leurdouleur, leur courage, leur capacitéde pardonner … nous donne uneleçon de morale.

On leur a fait un mal irréparableet inutile, qui ne sert à rien, absolu-ment à rien... uniquement à détrui-re! Les assassins ne servent qu’à in-duire la terreur chez les autres, pourencourager une société encore plusagressive qui “rétroalimente” tousles préjugés et paranoïas des agres-seurs... Il ne nous reste que la leçonde morale que nous donnent lesvictimes. Et qu’est-ce que tu ressens à l’é-gard des familles des prisonniersde l’ETA? Et aussi leurs revendi-cations... ? D’abord, ce sont surtout les mèresqui me font de la peine: les mèresdes prisonniers. Je me rappelle detout ce que ma mère a souffert.Mais, je dois dire que je suis indignétrès souvent,... et ma réaction n’arien de positif envers eux. Je voisqu’ils sont manipulés dans ce mon-de de soutien au terrorisme, que jeconnais bien.

Ce petit Pays n’est pas un paysdémocratique. Si j’ai appris quelquechose pendant mes années de prison,c’est qu’il n’y a rien de plus précieuxque la liberté. L’action du nationalismedans son ensemble, nous fait respirerune atmosphère oppressive.

‘ ‘4 [NdT] Conformément au système del’enseignement espagnol et au Statut d’Au-tonomie de l’Euskadi, la Haute Inspection duMinistère de l’Éducation espagnol devraitvérifier régulièrement l’accomplissementdes lois de l’Éducation espagnole sur ce te-rritoire. Néanmoins, cela ne se fait pas de-puis des années et il n’y a donc pas moyende savoir de façon formelle et officielle lesinnombrables inaccomplissements en lamatière. Apparemment, plusieurs Gouver-nements de Madrid ont accepté cette con-dition lors de pactes politiques successifsavec le PNV.

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Éducation et délinquance

Éducation et délinquance. PAPeLeS de eRMUA. Numéro spécial en français. NOV 2003.

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“ […] je pense quelire, ça aidebeaucoup. Lesavoir nous rendlibres, même sil’on est entre desbarreaux. Laconnaissancen’est en aucun casune bêtise. Lalecture donne desailes à la pensée.Elle te forme pourl’autocritique. Et il faut éduqueren liberté et pourla liberté, maisliberté avecengagement, et —donc— avecresponsabilité ”

Avec ton “pedigree” et ta trajec-toire, tu pourrais chercher un“coin tranquille” pour bien vivredans ce Pays, sans être escorté, en“assumant” seulement ce qui futsoi-disant tes idéaux de jeunesse,mais sans violence...cette possibi-lité te pose seulement un problè-me de conscience? Ce n’est pas seulement cela... maisc’est déjà beaucoup. Ce petit Paysn’est pas un pays démocratique. Sij’ai appris quelque chose pendantmes années de prison, c’est qu’il n’ya rien de plus précieux que la liber-té. L’action du nationalisme dansson ensemble, nous fait respirer uneatmosphère oppressive: cet envi-ronnement d’imposition, qui con-traint, cette difficulté pour pouvoirparler dans les bars, pour se mettreen rapport—ouvertement—avec lespersonnes, cette peur de dire tonopinion... C’est exactement ce que jeressentais quand j’étais en propé-deutique et que j’ai commencé àfréquenter les milieux révolution-naires, et ensuite, pendant les anné-es les plus dures à la fin de Franco,avec les états d’exception … Il y abeaucoup d’éléments de ce nationa-lisme fasciste dans ce nationalisme,fasciste aussi, mais qui se dit démo-crate. Il y a une aristocratie qui aremplacé l’autre aristocratie aupouvoir. Et son idéologie a pour ob-jectif de la faire perdurer au pou-voir. C’est pourquoi l’alternance dé-mocratique5 est comme une héré-sie. Les contradictions du nationa-lisme sont très graves.

Pour survivre “sans chercher àcomprendre” dans ce pays qui est lenôtre (c’est-à-dire en jouissant desprivilèges qui découlent de la colla-boration avec le pouvoir établi), ilfaudrait que je me coupe la têtepour ne pas penser, ni voir, ni en-tendre … Et me taire ! Mais je con-tinue, je suis toujours rebelle. Qu’est-ce qui te semble le plusefficace pour la formation desenfants, dans notre société, si tutiens compte de ton expérience? J’insiste —et il sourit—, je pense quelire, ça aide beaucoup. Le savoirnous rend libres, même si l’on estentre des barreaux. La connaissancen’est en aucun cas une bêtise. Lalecture donne des ailes à la pensée.Elle te forme pour l’autocritique.

Et il faut éduquer en liberté etpour la liberté, mais liberté avec en-gagement, et —donc— avec respon-sabilité.

Et puis, je pense que le sens del’humour est un des aspects impor-tants de la personnalité. Le sens del’humour nous empêche de perdrele contrôle et de jouer les victimes, ilnous donne des capacités d’autocri-tique, nous “éloigne” des problèmes

et de nous-mêmes au sens le plusconstructif. Moi, ceux qui arrivaienten prison, des générations de l’ETApostérieures à la nôtre, je trouvaisqu’ils étaient aliénés et avaientmoins le sens de l’humour.

Et bien sûr, l’amitié et la famillesont deux domaines très importants. Nous relisons tranquillement cequi est écrit, après avoir transcritdans l’ordre notre conversation.Pour dire mieux, nos conversa-tions. On ne raconte pas une viecomme ça tout d’un coup. Heureusement que tu mets les pho-tos… sinon, avec cette descriptionque tu fais de moi, on pourrait pen-ser que je suis beau. N’en crois rien …ils le déduironteux-mêmes. Et chez beaucoup degens tu vas susciter une saine en-vie... contagieuse. Je te répète encore une fois que c’estdommage que mon père ne viveplus: tout compte fait… je suis exem-plaire... De toutes façons, ce fut unplaisir de te raconter ma vie.5 [NdT] L’ “alternance démocratique” du parti qui dirige le Gouver-

nement basque, en déplaçant le PNV de cette position, qui est l’axede la stratégie politique du PP et fut aussi celle du PSE-EE quand ilfut dirigé par Nicolás Redondo, est considérée par les nationalistesque l’on dit “démocratiques” comme une attaque au peuple basqueet à ses droits historiques, et aussi comme un retour au franquisme.

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In Memoriam. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

123In Memoriam

BEGO

ÑA

ELOR

ZA

” C’était un volcand’enthousiasme etde tendresse ”

Le matriarcat ou la voie du retour au bon sens

BEGO

ÑA

ELOR

ZA

C’est une femme d’acier. Elle déborded’énergie et d’élégance. Son silence aduré douze mois. Peut-être était-elleparalysée par la douleur. Un visage, –ni souriant, ni sévère –, sobre : unauthentique visage de Basque! Saforce et sa sérénité apaisent le dou-loureux sentiment qui, obstinément,l’assaille : “Est-ce que c’est de la hai-ne?”, me demande-t-elle, “je deviensméchante. Je ne veux pas que moncoeur s’aigrisse”. Un coeur de mère qui se serre, parceque les étreintes de Jorge, intermina-bles, lui manquent. Des étreintes ten-dres et passionnées, celles d’un filspour sa mère. “Un fils dont j’étais fiè-re, c’était la joie de vivre [...]. La mai-son s’emplissait de vie et de lumièrequand il arrivait [...] Il me criait : Amá,amá,... (mère, en basque)! Quelle vita-lité, quelle force! Il aimait passionné-ment la vie, il aimait passionnémentle Pays basque, son travail et l’Ert-zaintza [police autonome basque], ilaimait passionnément sa famille... C’était un volcan d’enthousiasme etde tendresse”. “Je me sentais sûre dansses bras vigoureux... Et ce n’était qu’unenfant! Un enfant d’environ un mètrequatre-vingt-six, un grand garçon. Unenfant qui avait le sens de l’honnête-té et de la dignité d’un homme ac-compli”. Je ne sais pas si tu peux com-prendre ce que je veux dire...”. Je comprends parfaitement. Cettefemme, qui connaît la douleur, per-suade, transmet..., avec l’évidence del’expérience vécue. Vous êtes néces-sairement d’accord avec elle. Vous se-riez même sur le point d’éclater ensanglots. Mais vous l’écoutez, et vousne pleurez pas. Vous vous apercevezque vous apprenez la dignité. Te connaître est une chance, Begoña.

I.C. de C. Redaction duPAPELES DE ERMUA

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Que penses-tu de la situation auPays basque ?Nous assistons de toute évidence àun véritable échec politique, dontles conséquences sociales et per-sonnelles sont extrêmement graves.Le gouvernement basque actuel adémontré –à maintes reprises– qu’ilétait totalement incapable de ré-soudre les graves problèmes aux-quels nous sommes confrontés : lemanque de liberté, l’insécurité, leterrorisme. Le plus triste, à monavis, c’est que ce gouvernement acontribué à “fabriquer” le problème.Je m’explique : la revendication dela souveraineté est une invention,qui ne répond pas, ou ne répondaitpas, aux aspirations de la majoritédes Basques il y a trente, quinze,cinq ans... voire moins! C’est quel-que chose qui s’est imposé commeune priorité sous la pression de HB[Herri Batasuna, “vitrine” politiquede l’ETA], au début parce que le PNV[Parti nationaliste basque, principalparti nationaliste au Pays basque] alaissé faire, par faiblesse, ensuiteparce qu’il a appuyé ce projet defaçon explicite. EA [Eusko Alkarta-suna, parti nationaliste] s’est tou-jours montré plus revendicatif surce point que le PNV1. Tu m’as dit qu’il t’était arrivéd’accorder ta confiance à ces par-tis nationalistes “modérés”...Toujours. Jusqu’à présent, j’ai tou-jours voté pour le PNV. Et je me sensprofondément déçue. J’aime le Paysbasque de toute mon âme, commeJorge l’aimait. J’étais persuadée quevoter nationaliste était ce qu’il yavait de plus pratique, car je pensais

–ingénument– que personne nepourrait mieux gouverner notremaison que ceux qui l’habitaient,c’est-à-dire les nationalistes. Jem’aperçois maintenant de l’habiletéavec laquelle le PNV et EA ont injus-tement monopolisé “la basquitude”: c’est une “appropriation illicite” dela basquitude! Tout le monde estbasque ici, le PP (Parti populaire), lePSOE (Parti socialiste), UA (Alavaunie), IU (Gauche unie),... et aussiceux qui, comme moi, ne sontmembres d’aucun parti parce qu’ilsn’ont pas envie de suivre des con-signes précises. Nous sommes tousbasques! Cette société est une so-ciété plurielle. Qu’est-ce qui te déçoit le plusdans les attitudes et les proposi-tions de la coalition PNV–EA ?En général, ce qui me déçoit c’estcette façon d’imposer le souverai-nisme, que j’évoquais auparavant.En particulier, ce qui m’indigne, c’estleur faiblesse. Le PNV et EA sont fai-bles, quand ils devraient se montrerintransigeants et faire preuve d’au-torité et de fermeté. C’est de celadont on a besoin. Dialoguer avecl’ETA, ou, ce qui revient au même,avec EH [son bras politique] ? Pourquoi faire? ... Proposer le dialogueaux assassins, c’est les légitimer. Ce

qu’il faut faire avec l’ETA, c’est l’éli-miner. Un point c’est tout. J’aimeraisêtre respectueuse envers M. Ibarretxe (président du gouverne-ment basque), c’est quelqu’un debien, mais il a démontré son incapa-cité à résoudre les problèmes, parcequ’il est faible. Et aussi parce qu’ilconfond la sphère familiale et lasphère politique: pour moi, d’un cô-té il y a la famille, au sein de laque-lle on doit effectivement déployerdes trésors de patience pour aiderun enfant terroriste ou drogué; etpuis, d’un autre côté, et cela n’a plusrien à voir, il y a des responsabilitéspubliques à assumer, la responsabili-té de faire respecter la loi, de gou-verner, ... Le manque d’autorité, lemanque d’exemplarité, ... voilà unegrave responsabilité que les actuelsdirigeants du PNV refusent d’admet-tre. Comment peut-on omettre dedonner les ordres qui permettraientà l’Ertzaintza d’agir efficacementcontre les violences de rues perpé-

Jorge Díez Elorza.

Je m’aperçoismaintenant de l’habiletéavec laquelle le PNV etEA ont injustementmonopolisé “labasquitude” : c’est une“appropriation illicite”de la basquitude!

‘ ‘“ Le plus triste, àmon avis, c’estque cegouvernement acontribué à“fabriquer” leproblème. Jem’explique : larevendication dela souveraineté estune invention, quine répond pas, oune répondait pas,aux aspirations dela majorité desBasques il y atrente, quinze, cinqans... voire moins!C’est quelquechose qui s’estimposé commeune priorité sousla pression de HB[Herri Batasuna,“vitrine” politiquede l’ETA] ”

1 Le gouvernement basque formé par lePNV, EA et Gauche Unie. Le parti indépendantiste qui sert de couver-ture politique à l’ETA a changé d’appellationau fil des ans : HB (Herri Batasuna), EH (Eus-kal Herritarok), et aujourd’hui Batasuna.

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trées par les jeunes pro-ETA [kaleborroka, en basque]? Leur mollesseet leur condescendance sont arrivé-es très loin. Comment peut-on pro-mouvoir la désobéissance civile,comme l’ont fait quelques membresimportants du gouvernement auto-nome? Pourquoi empêche-t-on des’exprimer des personnes plus sen-sées, comme Emilio Guevara2 , Jose-ba Arregi, ou comme Ardanza, notreancien lehendakari [président dugouvernement autonome basque]?...Eux non plus ne sont-ils pas libresd’avoir une opinion, d’exercer uneinfluence... dans une situation qui secaractérise par l’imposition de critè-res et l’usurpation des libertés?...

ner l’amour et le respect. On leurenseigne une histoire passée –et,fort heureusement, dépassée (avecdes références au franquisme, parexemple)–, comme s’il s’agissait del’actualité la plus immédiate. C’estainsi que des jeunes, qui sont nés endémocratie (ils ont treize, quatorze,vingt ans), se croient des “victimes”de la “répression”, et intègrent d’au-tres notions du même acabit, toutaussi fausses, radicalement fausses!Voilà comment l’on va en faire despsychopates, des délinquants, maiscertainement pas des citoyens. Et la justice... ?Je crains que dans ce domaine éga-lement la peur ne soit trop présen-te. Résultat : il y a plus de “miséri-corde” (parce qu’on ne peut pas ap-peler cela de la justice) envers lesbourreaux qu’envers les citoyens,qui subissent tant d’agressions. Parailleurs, l’ETA, HB et leur entouragesont experts dans l’art de trouvertoutes les brèches possibles dans lestextes de loi, afin de les contourner.Quand c’est dans leur intérêt, ilssont très combatifs pour que la “let-tre” de la loi soit appliquée. Entre-temps, ils oublient (pour le dire avectact) ce qui est légal, légitime,...constitutionnel. Ce que nous vivonsconstitue l’exacte description de ceque l’on pourrait définir comme une“perversion sociale”.

À ton avis, où se trouvent les so-lutions ?Il faut commencer par un change-ment au niveau du pouvoir : l’alter-nance est toujours bonne, quels quesoient les gouvernements, les paysou les institutions. Le changementrevitalise. Il apporte avec lui des tê-tes nouvelles, des idées différentes,un regain d’enthousiasme, ... un airfrais. Mais ici, en plus, ce change-ment est nécessaire afin que soientenfin mises en oeuvre les mesuresqui permettront d’aller au fond deschoses, où se trouvent les clés de lasolution. Où sont-elles, ces clés ?... Desexemples...Dans l’éducation, quand les enfantssont encore petits. À l’école, maisaussi à la maison, au sein de la fa-mille. Beaucoup de parents délè-guent la responsabilité éducative àl’institution scolaire. Dans quel en-vironnement scolaire évoluent leursenfants? Qui s’occupe d’eux? Ils nes’en soucient pas. Or il existe unmouvement d’endoctrinement trèsactif parmi certains enseignantsproches de HB (Herri Batasuna).Chez d’autres parents, surtout dansles familles qui ne sont pas originai-res du Pays basque, on observe uneattitude encore plus “docile”, car ilsprétendent “s’intégrer”, et pensent–de façon erronée– qu’en soute-nant les postulats “nationalistes–souverainistes”, ils se “réaffirment”au sein de cette société. Il y a l’éco-le, donc, et puis aussi les activités deloisirs, proposées aux adolescentspar les secteurs proches de HB qui,dans ce domaine, font preuve d’unebien plus grande initiative. Tout ce-la constitue une véritable école desubversion, une pépinière de terro-ristes. S’il y a bien une chose évi-dente, c’est qu’on enseigne la haineaux enfants, au lieu de leur enseig-

Résultat : il y a plus de“miséricorde” (parce qu’on ne

peut pas appeler cela de lajustice) envers les bourreaux

qu’envers les citoyens, quisubissent tant d’agressions.

‘ ‘2 Emilio Guevara, dirigeant du PNV pen-dant de décennies, le plus haut responsablede l´Administration provinciale d´Alavapresque 10 ans durant, a été expulsé du PNVau début 2002 en raison de ses critiques à lapolitique indépendantiste du son parti.

“ C’est ainsi quedes jeunes, quisont nés endémocratie (ils onttreize, quatorze,vingt ans), secroient des“victimes” de la“répression”, etintègrent d’autresnotions du mêmeacabit, tout aussifausses,radicalementfausses! Voilàcomment l’on vaen faire despsychopates, desdélinquants, maiscertainement pasdes citoyens ”

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Espères-tu que le 13 mai donneralieu à un changement radical ?3

Je l’espère et je le souhaite. Toutesles semaines, tous les mois, tous lesans,... il y a de plus en plus de per-sonnes qui se retrouvent dans lamême situation que moi : avec l’â-me déchirée de douleur, parce qu’e-lles ont perdu ce qu’elles avaient deplus cher. Aucun but, aucun objec-tif, aucune cause ne méritent cela.C’est pour cette raison que les cito-yens basques doivent être respon-sables à l’heure de se rendre aux ur-nes. Est-ce une attitude responsa-ble de voter pour ceux qui agissentde la sorte avec nos enfants? Oupour ceux qui permettent ou en-couragent ces actions? ... Et ce n’estpas seulement aux assassinats queje fais allusion –ces assassinats quinous enlèvent nos enfants, commeils m’ont enlevé le mien– mais aus-si à l’éducation, qui fabrique desdélinquants, des criminels et desterroristes. Voilà la question qu’ilfaut se poser, et le plus tôt possible.Il faut voter de façon responsable,avec sa tête, et pas seulement defaçon viscérale ou en se laissantporter par des sentiments ou destraditions. Voter toujours pour unmême parti, quoi qu’il fasse ou quoiqu’il dise, c’est l’esclavage de notresociété. Il y a beaucoup de gensbien dans ce pays, capables de seposer ce genre de questions et d’a-gir en conséquence. Je lui relis lentement ce que j’aiécrit, pour m’assurer que j’ai bien surefléter ses mots et ses sentiments.Elle acquiesce : “C’est ça, [...], oui,c’est ça [...] Exactement ça !...”. Sa voix se brise.Elle est émue. “Tu vois?..., me dit-

elle, on dirait que je suis en acier,mais... on dirait seulement!” Heureusement Begoña, “on dirait”que tu es en acier, mais tu es unefemme de chair et de sang. Le fils deBegoña Elorza, Jorge Díez Elorza, a étéassassiné par l’ETA le 22 février 2000à Vitoria. Membre de la police auto-nome basque, il escortait le députébasque Fernando Buesa (PSE-PSOE),assassiné au même temps. [NdT].

Cet entretien a été réalisé à laveille des élections régionales auPays basque qui ont eu lieu le 13mai 2001. Ces élections ont ren-forcé les nationalistes « modérés» (PNV) au détriment des indé-pendantistes plus radicaux (EH,plus tard appelé Batasuna). Lespartis “constitutionnalistes” (PPet PSOE) ont presque obtenu lamajorité des voix. [NdT].

Le fils de Begoña Elorza, Jorge Dí-ez Elorza, a été assassiné par l’ETAle 22 février 2000 à Vitoria. Mem-bre de la police autonome basque,il escortait le député basque Fer-nando Buesa (PSE-PSOE), assassi-né au même temps. [NdT].

3 Le PNV est au pouvoir au gouvernementbasque, sans arrêt, depuis 1980.

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Repères internationaux

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La coexistence de deux commu-nautés nationales au sein d’un mê-me État posait certes quelquesproblèmes, mais à aucun momenton ne peut parler d’oppression oud’assimilation forcée. La Loi consti-tutionnelle de 1867 (Acte de l’Amé-rique du Nord britannique), approu-vée par le Parlement de Westmins-ter, créa la Confédération du Cana-da, fédération de quatre coloniesbritanniques au sein de l’empire bri-tannique, parmi lesquelles se trou-vait le Québec, aux côtés de la Nou-velle-Écosse, du Nouveau-Bruns-wick et de l’Ontario. Les quatresprovinces adoptèrent une nouvelleforme d’organisation, et le Québecse vit de nouveau doté de sa propreassemblée représentative. Par la sui-te, de nouvelles provinces s’ajoute-raient à la Confédération du Cana-da, pour constituer le pays tel qu’ilexiste aujourd’hui.

Le Québec représente un terri-toire d’environ 1,5 millions de km2(3 fois plus grand que la France),avec une population avoisinant les8 millions d’habitants (25% de lapopulation canadienne). En ce quiconcerne sa position au sein de lafédération canadienne, si son nive-au d’autonomie gouvernementalene comble certainement pas les as-pirations de tous les secteurs de lasociété québécoise, il répond cepen-dant aux désirs d’une grande partiede ses habitants. Dans la Belle pro-

vince, les francophones catholiquessont majoritaires et donc en mesurede contrôler les ficelles du pouvoir.Quant aux compétences exercéespar les autorités provinciales dansles domaines de l’éducation, de lasanté, de l’agriculture, de la législa-tion civile ou encore de l’adminis-tration de la justice, elles permet-tent de préserver l’essentiel destraits distinctifs de la société québé-coise. Afin de sauvegarder cettedualité canadienne, l’article 133 dela Constitution de 1867 instaure unrégime de bilinguisme officiel dansles domaines législatif et judiciaire.

Ce n’est qu’en 1931, grâce àl’approbation du statut de West-minster, que le Canada accède à lapleine indépendance politique entant qu’État souverain, indépendan-ce définitivement confirmée par laLoi constitutionnelle de 1982, quiachève le rapatriement de la Consti-tution canadienne en disposant quele Parlement britannique renoncedésormais solennellement à légifé-rer pour le Canada, et en suppri-mant les derniers vestiges de l’assu-jettissement juridique à la Couron-ne britannique. Seule subsiste la fi-gure du gouverneur général, repré-sentant de la reine, laquelle reste lechef officiel de l’État canadien.

L’origine du mouvement séces-sionniste remonte aux années 60,quand de larges secteurs de la com-munauté francophone du Québec

LES ANTÉCÉDENTS

C’est au XVIe siècle que les côtesdu Québec et les magnifiques con-trées traversées par le Saint-Laurentfurent découvertes par l’explorateurfrançais Jacques Cartier. S’y établi-raient par la suite un petit nombrede colonies soumises à l’autorité duroi de France (la Nouvelle-France).Mais la guerre de Sept Ans, qui op-posait la France à l’Angleterre, s’a-cheva sous ces latitudes par la ca-pitulation de Montréal, en 1760,et les colons d’origine française de-vinrent alors sujets de l’empire bri-tannique. En 1791, le Parlement deWestminster approuva une loiconstitutionnelle qui divisait la co-lonie en deux provinces: le Haut-Canada, avec une population majo-ritairement anglophone, et le Bas-Canada, à forte majorité francop-hone. La Constitution de 1840 dé-cida de l’union des deux provincesen une seule, sous le contrôle d’uneassemblée élue suivant un mode dereprésentation paritaire (42 repré-sentants pour chacune des deuxprovinces). Ce texte instaurait pourla première fois l’anglais commelangue officielle, et affirmait expli-citement le contrôle des lois cana-diennes par le gouvernement deLondres, ainsi que le droit de vetoque celui-ci se réservait.

La sécession du Quebec: avis aux citoyens basques

Juan María Bilbao Ubillos

Professeur de Droit constitutionnel

” L’origine dumouvementsécessionnisteremonte auxannées 60, quandde larges secteursde la communautéfrancophone duQuébec ontcommencé à seconsidérer nonpas comme uneminorité au sein duCanada, maiscomme unemajorité àl’intérieur de leurpropre pay ”

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Repères internationaux

Repères internationaux. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

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ont commencé à se considérer nonpas comme une minorité au sein duCanada, mais comme une majorité àl’intérieur de leur propre pays, récla-mant un plus grand respect enversles particularismes d’une sociétédistincte, consciente de sa propreidentité (“une nation dans la na-tion”) et aspirant à être maître chezelle. Quand Jean Lesage, dirigeantdu Parti libéral, devient Premier mi-nistre du Québec, en 1960, il meten oeuvre la révolution tranquille.Les premiers groupes indépendan-tistes, qui n’ont jamais obtenu plusde 10% des voix, inscrivent leurs re-vendications dans le contexte de ladécolonisation, adoptant un dis-cours propre d’un mouvement de li-bération nationale contre l’oppres-sion culturelle et économique an-glo-saxonne. La libération passe parl’indépendance politique et la rup-ture avec le Canada, le Commonwe-alth et l’OTAN. L’année 1968 voit lanaissance du Parti québécois (PQ),produit de la fusion de plusieursgroupes, qui élit René Lévesque àsa tête. Le succès électoral est im-médiat. Aux élections de 1970, le PQobtient déjà 23% des voix, et en1973, presque 30% des électeurs luiaccordent leur confiance. Huit ansaprès sa fondation, en 1976, le PQgagne les élections au Québec avec40% des suffrages et Lévesque estnommé Premier ministre de la pro-vince. Ces divers succès s’expliquentpar le virage entrepris par Lévesquedans la présentation du projet sé-cessionniste. Tandis que le langageest édulcoré et modéré (on ne parleplus d’indépendance, mais de sou-veraineté, un concept ambigu qui,dans le contexte du fédéralisme ca-nadien, n’a pas nécessairement uneconnotation de rupture et ne préfi-gure pas un scénario final détermi-né), une stratégie dite “gradualiste”

est adoptée (il ne suffit pas d’unmandat électoral pour mettre enoeuvre le processus, la convocationd’un référendum est nécessaire).Quant à la violence, elle est bien en-tendu exclue. Le nationalisme qué-bécois n’a jamais été un nationalis-me ethnique, mais un nationalismelinguistique et culturel. Lévesquemise en outre sur une nouvelle for-me d’association entre un Québecsouverain et le Canada : les natio-nalistes québécois sont prêts à fairele saut, à s’émanciper, mais avec unfilet, celui d’une union monétaire,garante de stabilité face aux risqueséconomiques de l’indépendance.

Les Québécois ont eu l’occasionde se prononcer sur leur avenir il y adéjà vingt ans. Le premier référen-dum, organisé par le gouvernementLévesque en 1980, s’est soldé par unéchec : 60% des électeurs ont mani-festé leur opposition à l’ouverturede négociations dans le but d’ins-taurer une formule de souveraine-té-association.

Cela fait trente ans que les Qué-bécois et les Canadiens négocient unaccord constitutionnel, mais ces né-gociations ont abouti à une impasse.Il convient de rappeler à ce proposl’échec, en 1990, de l’accord du lacMeech, une tentative de réformeconstitutionnelle qui a échoué enraison de l’opposition des petitesprovinces. Les accords auxquelsétaient parvenus les représentantsdes dix provinces, dans le cadre de laréunion du lac Meech, en avril 1987,répondaient au souhait d’intégrer leQuébec dans un nouvel accordconstitutionnel. Les documents pro-

posés par le Québec ont d’ailleursservi de point de départ à la négo-ciation. Il réclamait, entre autres, lareconnaissance, à toutes fins, de laprovince comme une société “dis-tincte”, l’élargissement de ses com-pétences en matière d’immigration,le droit de participer à la désignationdes juges de la Cour suprême, uneplus grande autonomie fiscale et lareconnaissance d’un droit de vetosur les futures réformes constitu-tionnelles. L’accord, après avoir étéapprouvé par le Parlement fédéral, aété soumis à la ratification des as-semblées législatives des diversesprovinces. Le délai prévu pour la ra-tification est arrivé à expiration enjuin 1990, sans que les provinces deManitoba et de Newfoundland aientratifié le texte. Deux ans plus tard,un autre projet de réforme, l’accordde Charlottetown, a été rejeté à lafois par les électeurs du Québec etpar les électeurs de cinq provincesanglophones. Cette fois, il avait étédécidé que le texte de l’accord, signéen août 1992 par les onze Premiersministres, serait soumis à un réfé-rendum national avant d’être obli-gatoirement ratifié par toutes lesprovinces. Le triomphe du “non”dans six des dix provinces et à l’é-chelle nationale (54,4% des voix) ade nouveau provoqué une situationde blocage, et la relation de confian-ce entre le Québec et le reste du Ca-nada s’en est trouvée fortementébranlée. Une nouvelle occasion deperdue.

Les élections de 1994 mettentun terme à neuf ans de pouvoir li-béral et donnent la victoire au PQ.Au cours de la période qui s’étendentre le retour au pouvoir du Partiquébécois et la convocation d’undeuxième référendum, en octobre1995, le gouvernement du Québec,dirigé par Jacques Parizeau, a an-

“ Lors duréférendum, 49,4%des électeurs sesont prononcés enfaveur de l’accèsde la province à lasouveraineté,conformément à laformule proposéepar le Partiquébécois, quicomprenaitégalement uneoffre formelle departenariatéconomique etpolitique avec lereste du Canada.Les fédéralistesont remporté leréférendum, avectoutefois une trèscourte victoire : 50 000 voix d’écart(1%) ”

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noncé à diverses reprises son inten-tion de proclamer unilatéralementl’indépendance. Il a d’ailleurs pré-senté devant l’Assemblée nationalede la province un projet de loi (Loisur l’avenir du Québec), qui autori-sait ladite assemblée à prendre unetelle initiative. Ce projet de loi, dé-posé en septembre 1995, trois moisaprès la signature d’une entente tri-partite entre les trois formationsnationalistes (PQ, Action démocrati-que et Bloc québécois), contenaitdans son préambule la déclarationsuivante : “Nous, le peuple du Qué-bec, par la voix de notre Assembléenationale, proclamons : le Québecest un pays souverain”.

Lors du référendum, 49,4% desélecteurs se sont prononcés en fa-veur de l’accès de la province à lasouveraineté, conformément à laformule proposée par le Parti qué-bécois, qui comprenait égalementune offre formelle de partenariatéconomique et politique avec le res-te du Canada. Les fédéralistes ontremporté le référendum, avec tou-tefois une très courte victoire : 50000 voix d’écart (1%).

Ce référendum s’est caractérisépar une nette polarisation linguisti-que des voix : 60% des francopho-nes ont voté en faveur de la propo-sition de souveraineté, tandis queplus de 90% des anglophones, desallophones (immigrés ne parlant nifrançais ni anglais, et qui considè-rent que leur pays d’adoption estbien le Canada), et des autochtones(communautés d’Amérindiens etd’Inuits résidant au nord du Québec,et qui représentent à peine 1% de lapopulation), ont rejeté la proposi-tion. On peut aussi observer unefracture sur le plan territorial : mê-me si le “oui” a remporté la victoiredans 80 circonscriptions (le Québecen compte 125), l’aire métropolitai-

ne de Montréal et la région de l’Ou-taouais, à la frontière de l’Ontario,ont clairement voté contre le projetde souveraineté. Dans les secteursnon nationalistes, sous-représentésdans les institutions et dans l’admi-nistration provinciale, la convictionqu’il n’y a rien à gagner et beaucoupà perdre avec l’indépendance esttrès répandue.

LA DÉCISION DE LA COURSUPRÊME DU CANADA

Ce qui nous intéresse le plus danscette histoire, c’est bien évidem-ment l’avis que la Cour suprême duCanada, consultée sur l’éventualitéd’une sécession unilatérale du Qué-bec, a rendu le 20 août 1998. Il nes’agit pas exactement d’un arrêt, nid’une décision de justice au senspropre, car la Cour suprême n’avaitpas à résoudre un différend judi-ciaire, un litige opposant deux par-ties. Conformément à la Loi sur laCour suprême de 1985, le gouver-nement fédéral peut, s’il le considè-re important, consulter ladite Coursur une question juridique ayanttrait à l’interprétation de la Consti-tution, afin que ce tribunal, aprèsavoir examiné ladite question,émette un avis1.

“ La décision de laCour Suprême duCanada Ce quinous intéresse leplus dans cettehistoire, c’est bienévidemment l’avisque la Coursuprême duCanada, consultéesur l’éventualitéd’une sécessionunilatérale duQuébec ”[…]“ Le gouvernementfédéral voulaitdonc savoir si legouvernement duQuébec avait ledroit de déclarerunilatéralement lasécession de cetteprovince duCanada. Lesautorités fédéralespensaient quel’affirmation dugouvernement duQuébec selonlaquelle il pouvaitdéclarerunilatéralementl’indépendanceétait sansfondementjuridique ”

1 [NdT] Cette procédure est appelée “ren-voi” et est ainsi définie par le ministère de laJustice canadien : “Le renvoi est une procé-dure selon laquelle le gouvernement du Ca-nada saisit la Cour suprême du Canada dequestions juridiques ou factuelles qu’il con-sidère comme importantes pour audition etétude. La Cour répond aux questions et mo-tive son opinion. (...) La Cour rend un avisconsultatif prenant la forme d’un jugement.Étant donné qu’il s’agit d’un prononcé for-mel du plus haut tribunal du pays, l’avis atoujours été considéré comme ayant forceobligatoire”.

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Le gouvernement fédéral voulaitdonc savoir si le gouvernement duQuébec avait le droit de déclarerunilatéralement la sécession de cet-te province du Canada. Les autoritésfédérales pensaient que l’affirma-tion du gouvernement du Québecselon laquelle il pouvait déclarerunilatéralement l’indépendanceétait sans fondement juridique. Àleur avis, le droit dont disposaientles citoyens du Québec, de mêmeque tous les Canadiens en général,était de décider démocratiquementde leur avenir, dans le cadre définipar la Constitution.

Au lieu de se voiler la face et delaisser sans réponse une questiontouchant au coeur même du systè-me constitutionnel canadien, legouvernement fédéral a décidé desaisir la Cour suprême, en septem-bre 1996, dans l’espoir que l’avisd’une institution aussi hautementqualifiée, rédigé dans le calme, à l’é-cart des turbulences entourant tou-jours un projet de sécession, contri-buerait à éclaircir la situation. En ré-alité, le gouvernement fédéral a for-mulé les trois questions suivantes àla Cour suprême : en premier lieu,en vertu de la Constitution cana-dienne, l’Assemblée nationale ou legouvernement du Québec ont-ils ledroit de déclarer unilatéralement lasécession de cette province du Ca-nada ? En deuxième lieu, les institu-tions susmentionnées peuvent-ellesdécréter la sécession en vertu dudroit international, qui reconnaît ledroit à l’autodétermination ? Et en-fin, en troisième et dernier lieu, le-quel, dans l’éventualité d’un conflitentre le droit interne et le droit in-ternational, doit prévaloir ?

Le gouvernement canadien adonc choisi de se débarrasser d’undossier pour le moins épineux, enconfiant aux juges de la Cour suprê-

me le soin de se prononcer sur cesujet délicat et parsemé d’écueils. Lefait est que ces derniers ne se sontpas laissés impressionner et qu’ilsont surmonté l’épreuve avec un cer-tain brio. Contraints à descendredans l’arène pour affronter un tau-reau récalcitrant, ils se sont armésde courage pour le prendre par lescornes, et même s’il serait exagéréde dire que la prestation futéblouissante, il faut reconnaîtrequ’elle n’a pas été dénuée de classeet de bon sens.

Dans le cadre de cette procédureconsultative, à laquelle participaientles avocats chargés d’exposer lespoints de vue du gouvernement fé-déral, la Cour suprême a autorisél’intervention d’autres personnes etd’autres groupes concernés par uneéventuelle sécession unilatérale duQuébec (comme les représentantsdes communautés indigènes). Elle aégalement désigné d’office un ami-cus curiae (“ami de la Cour”), avocatayant pour mission de donner la ré-plique aux arguments du gouverne-ment fédéral et de défendre les thè-ses des partisans de la sécession,lesquels, autrement, n’auraient pasété représentés. En effet, le gouver-nement du Québec n’a pas souhaitécomparaître, considérant que l’accèsdu Québec à la souveraineté est unequestion politique et démocratiquesur laquelle le peuple du Québecpeut se prononcer de façon valableet légitime. Estimant que son droit àfaire sécession trouve un solide fon-dement dans le droit international, ilconsidérait que pas plus les lois queles tribunaux canadiens n’avaient àintervenir dans cette affaire.

Le 20 août 1998, la Cour suprê-me du Canada a fait part de sa dé-cision, rendue à l’unanimité, en ré-pondant de façon précise et détai-llée aux épineuses questions d’ordre

constitutionnel que le gouverne-ment fédéral lui avaient soumises.

● La légitimité d’une sécessionunilatérale en vertu de la Consti-tution canadienne.

Le Procureur général du Canada asouhaité aborder ce premier aspectdu problème en insistant sur l’effetdéstabilisant qu’une rupture de l’u-nité fédérale pourrait provoquer,engendrant confusion et incertitudedans tous les domaines (frontières,citoyenneté, liberté de circulation,monnaie, dette publique, accordscommerciaux, retraites,...). Il a éga-lement voulu limiter le champ d’a-nalyse de la Cour suprême à l’exa-men des dispositions ayant trait auxprocédures de réforme constitu-tionnelle, pensant que la Cour secontenterait de constater l’illégalitéjuridique d’une sécession unilatéra-le. De l’avis du gouvernement fédé-ral, il serait possible de réaliser lasécession d’une province en appli-quant l’une des diverses procéduresde réforme prévues dans une Cons-titution qui peut elle-même être en-tièrement réformée. Concrètement,une modification de telle portéeexigerait l’accord des deux Cham-bres du Parlement fédéral et de cha-cune des dix assemblées législativesprovinciales (procédure d’unanimi-té). Affaire réglée.

Mais la Cour ne s’est pas con-tentée de suivre le scénario élaborépar le gouvernement fédéral. Sacrédibilité était en jeu, et ellesouhaitait éviter à tout prix que saréponse soit interprétée au Québeccomme une négation du droit des

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Québécois à décider de leur avenir.Dans sa déclaration, elle annonced’emblée qu’elle va examiner laquestion dans une perspective pluslarge, en s’intéressant aux principessous-jacents qui animent le texteconstitutionnel, et plus particulière-ment les quatre suivants : le fédéra-lisme, la démocratie, le constitu-tionnalisme et la primauté du droit,ainsi que le respect des minorités.La Constitution canadienne en vi-gueur, explique-t-elle, n’est passeulement un ensemble de textesécrits, mais aussi un système de rè-gles et de principes non écrits quirégissent l’exercice du pouvoir.

La Cour suprême commence parune défense du fédéralisme en tantque principe organisationnel inhé-rent à la structure constitutionnellecanadienne, en insistant sur sonpouvoir d’intégration, qui a permisau Québec de conserver sa langueet sa culture. Puis elle poursuit avecquelques réflexions ayant trait auxrelations, inévitablement marquéespar une tension dialectique, entre,d’une part, la démocratie, valeurfondamentale de la culture juridi-que et politique canadienne quiprône la suprématie de la volontésouveraine du peuple, et, d’autrepart, la primauté du droit, qui créele cadre à l’intérieur duquel cettevolonté doit être exécutée. En d’au-tres termes, elle s’intéresse à la na-ture des liens entre la légitimité desinstitutions, fondée sur le consente-ment des citoyens, et la légalité,fondée sur le respect des règles pré-alablement établies.

À ce moment décisif de son rai-sonnement, la Cour adopte un tondidactique pour rappeler que la dé-mocratie signifie davantage que lasoumission à la règle de la majorité,car elle s’inscrit dans un contexteplus large au sein duquel conver-

gent d’autres valeurs constitution-nelles, telles que la protection desminorités ou le respect de la digni-té inhérente à l’être humain. LaConstitution elle-même est hors dela porté de la majorité simple. Ladémocratie ne peut pas exister sielle n’est pas accompagnée d’unesécurité juridique minimale. Il nefallait pas s’attendre à autre chosede la part d’un tribunal dont lafonction est précisément de défen-dre l’intégrité de la Constitution etd’en garantir le respect. La Consti-tution et les lois créent le cadre àl’intérieur duquel la “volonté sou-veraine” doit être déterminée et ap-pliquée. Les décisions politiquesdoivent être prises dans le strictrespect des dispositions de l’ordon-nancement juridique. Dans un Étatde droit, on ne peut ignorer ou con-tourner les dispositions constitu-tionnelles. Le changement est pos-sible, mais de façon ordonnée.

Cependant, un système politiquen’est légitime que s’il reflète fidèle-ment les aspirations de la popula-tion. Le bon fonctionnement d’unedémocratie exige “un processuspermanent de discussion”, et dansce processus ouvert et dynamique,“nul n’a le monopole de la vérité” :“notre système repose sur la cro-yance que, sur le marché des idées,les meilleures solutions aux problè-mes publics l’emporteront”. Les rè-gles constitutionnelles sont suscep-tibles de modification. Il n’y a qu’u-ne manière de rendre compatibles ladémocratie et le constitutionnalis-me : en exigeant une “majorité élar-gie”, un plus grand consensus, pourintroduire des réformes dans laConstitution, afin de garantir queles intérêts légitimes des minoritésseront pris en considération avantl’adoption des changements quipourraient les affecter.

La Cour va au-devant de l’idée,formulée par certains, que la séces-sion d’une province ne serait pasautorisée par la Constitution (laConstitution canadienne n’autoriseni n’interdit expressément la séces-sion), car cela supposerait non pasune modification, mais la destruc-tion de ladite Constitution. La Coursuprême précise qu’au Canada lesinstitutions démocratiques permet-tent un processus continu de dis-cussion et d’évolution, avançantpour preuve le droit que la Consti-tution reconnaît à chacun desmembres de la Confédération deproposer des modifications consti-tutionnelles. La Constitution n’estpas “un carcan”. Jamais elle ne l’aété au fil de l’histoire, qui a connude profonds changements constitu-tionnels. Pour les juges de la Coursuprême, le fait qu’une éventuellesécession entraîne un changementradical, le démantèlement du pays,ne signifie pas qu’elle perde sa na-ture de réforme constitutionnelle.La Constitution est l’expression dela souveraineté du peuple du Cana-da, qui peut mettre en oeuvre tou-tes les modifications constitution-nelles qu’il souhaite, ce qui inclut lasécession du Québec.

Même si, en vertu des préceptesconstitutionnels, un référendum,quelle que soit la majorité obtenue,n’aurait en soi aucun effet juridiquedirect (cela n’est pas prévu), et seraitinsuffisant pour donner lieu, sansplus, à une sécession unilatérale, ilest certain que des consultations decet ordre constituent un instrumentpermettant de connaître l’opinondes électeurs au sujet de questionsimportantes. Or, le principe démo-cratique exige “d’accorder un poidsconsidérable à une expression clairede la part de la population du Qué-bec de sa volonté de faire sécession

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du Canada”. La Cour ajoute que“pour être considérés comme l’ex-pression de la volonté démocrati-que, les résultats d’un référendumdoivent être dénués de toute ambi-guïté en ce qui concerne tant laquestion posée que l’appui reçu”.

Cette manifestation nette de lavolonté sécessionniste d’une provin-ce imposerait à tous les membres dela Confédération l’obligation d’ouv-rir un débat constitutionnel, afin detenir compte du souhait exprimé etde trouver une réponse adaptée, nonseulement parce que le principe dé-mocratique l’exige, mais aussi parceque l’exige celui du fédéralisme. Surce point, la Cour suprême est parfai-tement claire : “Le rejet clairementexprimé par le peuple du Québec del’ordre constitutionnel existant con-férerait légitimité aux revendica-tions sécessionnistes et imposeraitaux autres provinces et au gouver-nement fédéral l’obligation de pren-dre en considération et de respectercette expression de la volonté dé-mocratique, en engageant des né-gociations en accord avec les princi-pes constitutionnels sous-jacentsmentionnés précédemment”.

La Cour suprême explique que lesprincipes qu’elle vient de signaler laconduisent à rejeter “deux proposi-tions extrêmes”. La première est cellequi conçoit la sécession comme undroit absolu du Québec, de sorte quele gouvernement fédéral et les autresprovinces auraient l’obligation dedonner leur assentiment à une séces-sion dont les conditions seraient dic-tées par le Québec. Malgré un résul-tat référendaire parfaitement clair, leQuébec ne pourrait prétendre invo-quer un droit à l’autodéterminationpour dicter aux autres membres de lafédération canadienne les conditionsde la sécession: ce ne serait pas là àproprement parler une négociation

(si l’on ne veut pas vider de son con-tenu ce terme). Il convient égalementd’écarter la position inverse, selon la-quelle l’expression claire par la popu-lation du Québec d’une volonté d’au-tonomie gouvernementale ne revêti-rait aucune importance sur le planconstitutionnel et n’imposerait aucu-ne obligation aux autres provinces ouau gouvernement fédéral. L’ordreconstitutionnel canadien ne pourraitrester indifférent face à la manifesta-tion évidente de la volonté d’une pro-vince de rompre ses liens avec laConfédération. On ne peut tourner ledos à la réalité. Même le gouverne-ment d’Ottawa a reconnu dans sesplaidoiries qu’il était impossible demaintenir l’unité du pays contre lavolonté des Québécois.

Selon la Cour, cette obligation denégocier est authentiquement juri-dique, mais une cour de justice pou-rrait difficilement en sanctionner laviolation. Les comportements desdivers acteurs durant la négociationne pourraient être contrôlés ou éva-lués par les tribunaux, étant donnéque la conciliation des divers in-térêts légitimes “relève nécessaire-ment du domaine politique, plutôtque du domaine judiciaire, précisé-ment parce que cette conciliationne peut être réalisée que par le‘donnant donnant’ du processus de

négociation”, autrement dit, à tra-vers des concessions réciproques.C’est donc aux acteurs politiquesqu’il revient d’établir l’agenda et lecontenu des négociations.

La Cour suprême reconnaît queles négociations pourraient être dif-ficiles, étant donné le degré élevéd’intégration politique, économiqueet sociale atteint après 131 annéesd’union, et que le cours qu’ellespourraient prendre, ainsi que leursrésultats, sont imprévisibles. Nul nepeut sérieusement soutenir qu’unpays comme le Canada pourrait êtredéchiré sans que cela provoque degraves bouleversements et incerti-tudes. La Cour suprême fait alorsallusion aux principales difficultésqu’il faudrait surmonter pour conci-lier les intérêts légitimes de toutesles parties et parvenir à des accordssur la délimitation des frontières etles droits des minorités linguisti-ques et culturelles.

Quant à l’exigence d’une majori-té claire en réponse à une questionclaire, comme condition préalable àl’obligation de négociation, la Coursuprême admet qu’il s’agit là de

[…] le droit à la sécession(autodétermination externe ou droit à définir

sans ingérence extérieure la formed’organisation politique) ne peut naître que

dans des circonstances exceptionnelles.Autrement dit, autonomie gouvernementale

n’est pas synonyme de sécession.

‘‘

“ […] on ne peutraisonnablementaffirmer que lesQuébécois sevoient refuserl’accès auxinstancespolitiquescanadiennes (lefait que, au coursdes cinquantedernières années,le poste dePremier ministredu Canada ait étéoccupé pendantquarante ans parun Québécois, estd’une grandeéloquence), qu’ilsne peuvent pasexprimer librementleur volonté ouque leurs droits etlibertés sontsystématiquementet massivementviolés ”

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questions capitales, mais affirmeque ce n’est pas à elle qu’il incombede déterminer en quoi consisteraitune “question claire” ou une “majo-rité claire” : “seuls les acteurs politi-ques posséderaient l’information etl’expérience pour juger du momentoù ces ambiguïtés seraient résoluesdans un sens ou dans l’autre”, enfonction des circonstances. La Coursuprême emploie l’expression “ma-jorité élargie”, en laissant entendrequ’il devrait s’agir d’une majoritéspéciale, renforcée. Et elle ajouteque les conditions d’un prochain ré-férendum sur la souveraineté duQuébec devraient être acceptées parles autres acteurs non québécois,afin que les résultats de la consulta-tion puissent donner lieu à une obli-gation de négocier.

De l’avis de la Cour suprême, lemanquement à l’obligation de né-gocier de bonne foi pourrait avoirdes répercussions importantes surle plan international. Si l’absence devolonté négociatrice pouvait êtrereprochée au gouvernement duQuébec, ce dernier verrait diminuerses possibilités d’obtenir la recon-naissance de la communauté inter-nationale. À l’inverse, la probabilitéde cette reconnaissance augmente-rait si le Québec négociait dans uneoptique constructive, sans ménagerses efforts et en faisant face à l’in-transigeance injustifiée de ses inter-locuteurs.● Sécession unilatérale et droitinternational.En ce qui concerne la deuxièmequestion formulée par le gouverne-ment fédéral, nul n’ignore que lespartisans de l’indépendance reven-diquent généralement le droit à lasécession unilatérale en se fondantsur le droit à l’autodéterminationdes peuples reconnu sur le plan in-ternational. Et bien, sur ce point, la

Cour suprême se limite essentielle-ment à rendre compte du consensusexistant en ce domaine. Elle com-mence par rappeler que le droit in-ternational (sur ce point, les expertsconsultés sont unanimes) ne recon-naît pas le droit à la sécession auxparties constituantes d’un État sou-verain. Il tend au contraire à favori-ser le principe de l’intégrité territo-riale des États existants. Il ne fautpas confondre le droit à la sécessionet le droit des peuples à disposerd’eux-mêmes, lequel peut effective-ment être considéré aujourd’huicomme un principe général du droitinternational. Après avoir mention-né les principaux instruments inter-nationaux –conventions, déclara-tions et résolutions– reconnaissantle droit des peuples à l’autodétermi-nation (documents rédigés dans lesillage de la Charte des NationsUnies de 1945, et dans le contexted’un processus accéléré de décoloni-sation), la Cour suprême tente dedémontrer que ce droit s’exerce nor-malement au sein d’États souverainsdans lesquels les peuples sont en-globés (autodétermination interne),et que le droit à la sécession (auto-détermination externe ou droit à dé-finir sans ingérence extérieure laforme d’organisation politique) nepeut naître que dans des circonstan-ces exceptionnelles. Autrement dit,autonomie gouvernementale n’estpas synonyme de sécession.

Pour commencer, le groupe in-voquant le droit à l’autodétermina-tion doit être un “peuple”, un con-cept aux contours incertains et auxsignifications multiples, qui ne s’i-dentifie pas nécessairement à la po-pulation d’un État déjà existant. Ildoit répondre à cette condition, carc’est aux “peuples” qu’est accordéun tel droit. Au cours de la procédu-re, plusieurs rapports ou plaidoiries

ont soulevé la question : la popula-tion du Québec constitue-t-elle unpeuple unique, ou bien est-elle unensemble de plusieurs peuples ? Et,si la réalité correspond au deuxièmecas de figure, certains groupes éta-blis dans la province, comme les an-glophones ou les autochtones, nepourraient-ils pas à leur tour invo-quer le droit à l’autodétermination,afin de se séparer d’un Québec de-venu État souverain et de conserverleurs liens avec le Canada ?

La Cour suprême ne juge pas né-cessaire d’entrer dans ce débat. Ellen’ignore pas qu’il s’agit d’un terrainglissant, qu’elle préfère traverser surla pointe des pieds. Cependant, ellese fait l’écho des inquiétudes descommunautés autochtones et laisseentendre (avec une trop grandesubtilité, peut-être) qu’il pourrait yavoir plus d’un “peuple” sur le terri-toire du Québec. Quelle que soit ladéfinition correcte de peuple (oupeuples) à appliquer dans ce con-texte, le droit à l’autodéterminationne peut, dans les circonstances pré-sentes, constituer le fondementd’un droit de sécession unilatérale.

En effet, au regard du droit inter-national, un État démocratique dontle gouvernement représente, sansdiscrimination, l’ensemble du peupleou des peuples établis sur son terri-toire, et respecte le droit de ces peu-ples à l’autodétermination interne, adroit à la protection de son intégritéterritoriale face à d’éventuelles me-naces, et à la reconnaissance de cet-te intégrité par les autres États. Ledroit des peuples à l’autodétermina-tion ne peut être exercé dans sa di-mension externe (sous la forme d’undroit à la sécession) que lorsque lespeuples en question sont colonisés(formant partie d’un empire colonial)ou soumis à la domination et à l’ex-ploitation étrangères. Ce droit ne

“ Quant augouvernement duQuébec, il a finipar reconnaître,même si c’était unpeu tard, lalégitimité del’intervention de laCour suprême. Enacceptant de bongré l’avis qu’elle arendu, il sembledésormaisrenoncer àquelques-unes deses prétentionspassées, commela thèse selonlaquelle unevictoireréférendaire auQuébec seraitsuffisante pourpermettre l’accèsà l’indépendance,sans avoir besoinde réformer laConstitution etd’obtenirl’assentiment desautres provinces.Certes, si unemajorité deQuébécois choisitla voie de lasouveraineté, leQuébec peutmettre en marchele processus, maisil devra négocierles conditions dela sécession, carc’est une décisionqui concerne tousles Canadiens ”

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peut naître, en dernier recours, quedans les cas d’occupation ou d’op-pression flagrante. Dernier exempleen date : le Timor Oriental, qui a ob-tenu l’accès à l’indépendance aprèsune longue période d’occupation parles troupes indonésiennes et grâce àune victoire écrasante lors du réfé-rendum qui s’est tenu en août 1999.Plusieurs auteurs ont également dé-fendu la thèse selon laquelle le droità l’autodétermination pourrait fon-der un droit de sécession unilatéraledans un troisième cas : lorsqu’unpeuple est empêché d’exercer utile-ment son droit à l’autodéterminationinterne, lorsque cette voie de partici-pation et d’autonomie gouverne-mentale est bloquée. Pour les jugesde la Cour suprême, il n’est pas cer-tain que cette troisième hypothèsereflète une règle juridique interna-tionale bien établie, mais ils rappe-llent que, quoi qu’il en soit, ces cir-constances ne s’appliquent pas auQuébec. En effet, on ne peut raison-nablement affirmer que les Québé-cois se voient refuser l’accès aux ins-tances politiques canadiennes (le faitque, au cours des cinquante derniè-res années, le poste de Premier mi-nistre du Canada ait été occupé pen-dant quarante ans par un Québécois,est d’une grande éloquence), qu’ilsne peuvent pas exprimer librementleur volonté ou que leurs droits et li-bertés sont systématiquement etmassivement violés. Évidemment, lepeuple québécois n’est ni colonisé niopprimé, il vote librement, il est re-présenté équitablement dans toutes

les institutions fédérales, dans lesmêmes conditions que les autres Ca-nadiens (leurs représentants occu-pent le quart des sièges à la Chambredes communes), et le cadre institu-tionnel en vigueur garantit son dé-veloppement politique, économique,culturel et social, ainsi que la préser-vation de sa personnalité. En résumé,aucune des circonstances extrêmesouvrant la voie de la revendicationdu droit à l’autodétermination exter-ne ne s’applique au Québec dans lesconditions actuelles.

La Cour suprême analyse finale-ment l’argument de l’amicus curiaefondé sur le principe “d’effectivité”,selon lequel une sécession unilaté-rale serait reconnue internationale-ment si elle s’accompagnait d’uncontrôle effectif, par les autoritésdu nouvel État, du territoire consti-tuant actuellement la province duQuébec. La Cour admet l’existenced’un tel principe et reconnaît que “ledroit international peut fort biens’adapter aux circonstances pourreconnaître une réalité factuelle oupolitique, indépendamment de la lé-galité des démarches qui y ont don-né naissance”. En d’autres termes, sila sécession a effectivement lieu, ledroit international prendra acte del’existence d’un nouvel État, quelleque soit la façon dont ladite séces-sion pourrait être jugée au regarddu droit interne canadien.

Cependant, cette hypothétiquereconnaissance internationale, quin’est pas indispensable, mais facilitesans aucun doute la viabilité dunouvel État, survient après qu’uneentité territoriale a réalisé matérie-llement la sécession (a posteriori), etne peut justifier ou entériner rétro-activement cette action si le droitinterne n’a pas été respecté. La Coursuprême établit une distinction en-tre l’exercice d’un droit et la simple

constatation d’un état de fait. Or laquestion à laquelle elle doit répon-dre est de savoir s’il existe un droitde sécession unilatérale à l’intérieurd’un cadre juridique déterminé, etnon de savoir si ladite sécessionpeut se produire de facto.

La Cour admet comme hypothèsela possibilité que le Québec proclameunilatéralement son indépendance(en marge de la Constitution), auquelcas il incombera à l’opinion interna-tionale de juger de la bonne ou de lamauvaise foi des différents acteurs.Mais elle souligne que l’éventuelleréussite d’une sécession de fait nerend pas ladite sécession légale : onne peut affirmer que la réussite d’unacte illégal autorise à violer la loi.Cette affirmation est incompatibleavec le principe de primauté du droit.

Il est évident que la consolida-tion définitive d’une sécession illé-gale, n’ayant pas été acceptée par leCanada, dépendrait, dans une largemesure, de l’attitude des membresde la communauté internationale.Et la décision de reconnaître le nou-vel État dépendrait à son tour, entreautres facteurs, de la légalité duprocessus ayant conduit à la séces-sion de facto, ladite légalité étantmesurée à l’échelle du droit interne.Quoi qu’il en soit, la Cour n’est pasprête à s’aventurer sur le terrain desspéculations concernant les éven-tuelles réactions de la communautéinternationale.

Ce n’est pas le cas du professeuraustralien James Crawford, qui,dans le rapport qu’il a préparé entant qu’expert, rappelle que, depuis1945, aucun territoire ayant tentécette opération n’a été admis ausein de l’ONU si l’État dont il faisaitpartie s’y opposait ou n’accordaitpas son consentement, sauf dans lecontexte de la décolonisation. L’é-minent juriste précise que la seule

“ Le gouvernementde Québec nesemble pas prêt àaccepterl’exigence d’unemajorité renforcéede voix, car il saitbien que, au jourd’aujourd’hui, il nepeut guère aspirerà autre chose qu’àdépasserlégèrement labarre des 50%. Àson avis,l’imposition d’unemajorité spécialeirait à l’encontrede la traditionpolitiquecanadienne et desprécédents enmatière deréférendum auCanada. Et celabriserait leprincipe selonlequel toutes lesvoix ont la mêmevaleur. En outre, lechoix d’unemajorité renforcéecréerait unedifficultéinsurmontable, carle pourcentagefixé (55%, 60%,...)serait forcémentarbitraire ”

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Repères internationaux. PAPeLeS de eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

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exception, toujours hors contextecolonial, est celle du Bangladesh,dont l’indépendance a été précédéed’une guerre entre l’Inde et le Pakis-tan. Les Républiques baltes, parexemple, ont été admises au sein del’ONU en 1991, quelques jours aprèsla reconnaissance de l’indépendan-ce des trois nouveaux États par l’U-nion soviétique. Et telle a été la pra-tique habituelle au cours des der-nières années. L’expérience nousmontre que la communauté inter-nationale ne reconnaît générale-ment pas le nouvel État jusqu’à ceque la sécession soit acceptée com-me un fait irréversible par l’Étatdont ce nouvel État faisait partie.

Étant donné que le droit consti-tutionnel canadien et le droit inter-national offrent la même réponse etnient l’un comme l’autre le droit duQuébec à la sécession unilatérale, iln’y a pas de conflit entre les deuxordres juridiques et, par consé-quent, la Cour ne considère pas né-cessaire de répondre à la troisièmequestion.

RÉPERCUSSIONS SUR LE PLANPOLITIQUE

La décision de la Cour suprême a étésaluée comme une victoire à la foispar les représentants du gouverne-ment fédéral et par ceux du gouver-nement du Québec, lequel n’avaitjamais cru que l’avis de la Cour luiserait favorable et avait remis encause son impartialité à plusieursreprises. Il faut dire que cette déci-sion, élaborée avec soin et emprein-te d’une grande sagesse, n’a pas ré-glé définitivement le problème defond, et tous les acteurs impliquésont pu y trouver des motifs de sa-tisfaction. Il n’y a eu, apparemment,ni vainqueurs ni vaincus. Match nul.Et tout le monde est content (sur-

tout les partisans de l’indépendan-ce, puisqu’ils partaient perdants).

Le gouvernement fédéral, présidépar Jean Chrétien, a pu s’estimer sa-tisfait. En effet, la Cour suprême adéclaré que la Constitution canadien-ne ne permettait pas une sécessionunilatérale, et elle a en outre affirméque le droit international ne recon-naissait pas non plus à la populationdu Québec un droit de sécession. Ilest clair, par conséquent, qu’une dé-claration unilatérale de souveraineté,comme celle que prévoyait le projetde loi de 1995, serait anticonstitu-tionnelle. Dans sa déclaration, nonseulement la Cour souligne l’impor-tance de la primauté du droit et ga-rantit qu’une éventuelle sécession duQuébec devra respecter les intérêtsdes autres Canadiens et des minori-tés résidant au Québec, mais elle re-connaît également qu’un résultat po-sitif, lors d’une prochaine consulta-tion sur la souveraineté au Québec,entraînerait une obligation de négo-cier pour les autorités fédérales etpour les autres provinces unique-ment si ce résultat était “l’expressionclaire, par une majorité claire de Qué-bécois, de leur volonté de de ne plusfaire partie du Canada”. Et elle laisseentendre que les acteurs politiquesnon québécois pourront exercer uncertain contrôle en ce qui concerne lerespect de ces deux conditions.

Quant au gouvernement duQuébec, il a fini par reconnaître,même si c’était un peu tard, la légi-timité de l’intervention de la Coursuprême. En acceptant de bon grél’avis qu’elle a rendu, il semble dé-sormais renoncer à quelques-unesde ses prétentions passées, commela thèse selon laquelle une victoireréférendaire au Québec serait suffi-sante pour permettre l’accès à l’in-dépendance, sans avoir besoin deréformer la Constitution et d’obte-

nir l’assentiment des autres provin-ces. Certes, si une majorité de Qué-bécois choisit la voie de la souverai-neté, le Québec peut mettre en mar-che le processus, mais il devra né-gocier les conditions de la séces-sion, car c’est une décision qui con-cerne tous les Canadiens.

La décision de la Cour suprême,qui s’efforce de conserver un subtiléquilibre et de concilier les impéra-tifs de l’État de droit avec les exi-gences inhérentes à la logique dé-mocratique, contient aussi des élé-ments qui sont certainement loin dedéplaire aux indépendantistes. LaCour reconnaît, finalement, aux ci-toyens du Québec le droit de déci-der, désormais, de leur avenir politi-que. Et elle ne prévoit pas seule-ment l’éventualité d’un prochain ré-férendum, mais aussi la possibilitéde convoquer des consultationssuccessives, avec tout ce que celaimplique : un scénario indéfinimentouvert, marqué par l’incertitude etun sentiment de provisoire.

En rejetant les deux thèsesextrêmes, celle qui estime qu’il suf-firait d’un résultat référendaire po-sitif pour obliger le reste du Canadaà accepter la sécession du Québec,cette décision étant exclusivementdu ressort des Québécois, et cellequi ne reconnaît aucune portée àune telle victoire, la Cour suprêmerecadre le débat, propose une solu-tion raisonnable et applicable, etoblige les parties à revenir sur le te-rrain de la transaction, du pragma-tisme et du bon sens.

Cependant, la résolution de laCour suprême laisse de nombreusesquestions sans réponses, nombred’interrogations en suspens. Nousavons déjà vu que la question, sansaucun doute délicate, de l’éventue-lle “sécession à l’intérieur de la sé-cession”, reste ouverte. Au cours de

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la procédure, les représentants descommunautés autochtones ontsoutenu qu’on ne pouvait réformerla Constitution sans leur consente-ment, et que ces communautés nepouvaient être transférées d’unpays à l’autre si elles s’y opposaient.S’il y avait sécession, les commu-nautés résidant au Québec (55 000Amérindiens et 7 000 Inuits) pou-rraient exiger que leurs territoirestraditionnels continuent à faire par-tie du Canada, ce qui provoqueraitla partition du territoire québécois.La revendication par ces peuples deleurs droits ancestraux, reconnus àl’article 35 de la Constitution de1982, constitue donc une sérieusemenace pour l’intégrité territorialede la province en cas de sécession(d’autant plus que la cause des peu-ples autochtones suscite de nom-breuses sympathies, au Canada,mais aussi dans le monde entier). Lefait est que ces peuples ont toujoursvu dans le gouvernement d’Ottawaun interlocuteur privilégié (ils s’ex-priment majoritairement en anglais,la nation envers laquelle ils ressen-tent la plus grande loyauté est leCanada, et ils ne veulent pas perdreleurs liens avec les communautésétablies dans d’autres provinces).

Il s’agit là d’un point spéciale-ment conflictuel. Au cours des der-nières années, le gouvernement duQuébec s’est efforcé de transmettreà l’opinion publique l’idée que, aprèsune sécession unilatérale, l’intégritéterritoriale du Québec serait garantiepar certaines règles de droit interna-tional. Mais certains commentateurscanadiens ont suggéré que toutes lesrégions frontalières avec l’Ontarioqui voteraient majoritairement con-tre la sécession auraient le droit dedécider, par le biais d’un autre réfé-rendum, si elles souhaitaient fairesécession à leur tour d’un Québec

souverain et continuer à faire partiede la fédération canadienne. Quoiqu’il en soit, si la solution choisie estcelle d’une sécession négociée entrele Québec et le reste du Canada, il se-rait logique que le tracé des frontiè-res constitue un des points sur les-quels portera la négociation.

La décision de la Cour suprêmen’éclaircit pas non plus ce qui pou-rrait se produire en cas de blocage,d’enlisement ou d’échec des négo-ciations, situation dont serait, bienentendu, responsable l’autre partie :y aurait-il ou non sécession ? Uneautre incertitude, d’une plus grandeportée encore, concerne la possibilitéde fixer une quelconque limite tem-porelle aux diverses consultationsqui pourraient être successivementorganisées. En effet, nous savons parexpérience que la volonté populairelibrement exprimée à un momentdéterminé ne règle pas définitive-ment la question (surtout si la pro-position sécessionniste ne remportepas la victoire lors d’un premier réfé-rendum), et que les électeurs pou-rraient être appelés à se prononcerde nouveau sur cette même questionau bout d’un certain temps. Au Qué-bec, la Loi sur les consultations po-pulaires interdit au gouvernementd’organiser un nouveau référendumsur une même question au coursd’un même mandat.

Comme il fallait s’y attendre,après la publication de la décisionde la Cour suprême, le débat entresouverainistes et fédéralistes s’estfocalisé sur deux des conditionsauxquelles devait répondre la futu-re consultation : la formulation dela question posée aux électeurs et ledegré de soutien accordé à la pro-position souverainiste. En ce quiconcerne la formulation de la ques-tion, la difficulté de fond est liée aufait que les indépendantistes vou-

dront réunir dans une même ques-tion, comme ils l’ont fait lors des ré-férendums précédents, l’accès à l’in-dépendance et la conclusion d’unnouvel accord économique et politi-que avec le Canada (en partant duprincipe que l’autre partie accepteracette offre), tandis que les fédéralis-tes, eux, souhaitent une questionclaire et précise, portant unique-ment sur l’accès à l’indépendance.

Ce n’est pas un hasard si l’on in-siste tant sur un nouveau partena-riat. Les sondages des dernières an-nées sont unanimes sur un point :un pourcentage significatif de na-tionalistes québécois se disent prêtsà voter en faveur de l’indépendancedans la mesure où elle s’accompag-ne d’une nouvelle association éco-nomique et politique avec le Cana-da : ce qu’ils souhaitent, c’est uneindépendance compatible avec lemaintien de liens étroits. Ils ne veu-lent pas partir dans une aventurequi mettrait en péril la stabilité éco-nomique (horror vacui), pas plusqu’ils ne souhaitent larguer lesamarres et rompre tout lien, car ilssont conscients de la profonde in-terdépendance qui existe entre euxet le Canada dans tous les domai-nes. D’après un sondage publié en1995, 78% des personnes interro-gées souhaitaient conserver la na-tionalité canadienne dans un Qué-bec souverain, et seulement 16%préféraient y renoncer. Dans un au-tre sondage réalisé en 1999, lepourcentage de personnes en fa-veur de la souveraineté pure et du-re, sans partenariat avec le Canada,passait de 41% à 25%. Les Québé-cois ne semblent pas avoir une ima-ge négative du Canada (contraire-ment aux nationalistes basques vis-à-vis de l’Espagne). On a le senti-ment qu’ils n’arrivent pas à se déci-der, comme si un air de boléro leur

“ En effet, noussavons parexpérience que lavolonté populairelibrementexprimée à unmoment déterminéne règle pasdéfinitivement laquestion (surtoutsi la propositionsécessionniste neremporte pas lavictoire lors d’unpremierréférendum), etque les électeurspourraient êtreappelés à seprononcer denouveau sur cettemême question aubout d’un certaintemps. Au Québec,la Loi sur lesconsultationspopulaires interditau gouvernementd’organiser unnouveauréférendum surune mêmequestion au coursd’un mêmemandat. ”

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trottait dans la tête : “je ne suis rienavec toi, je ne suis rien sans toi”,semblent-ils dire. Ils prétendentprofiter des gratifications symboli-ques de l’indépendance, mais ils as-pirent en même temps à rester bonsamis avec le Canada, comme si derien n’était. Beaucoup de Québécoissont prêts à voter en faveur de lasécession, afin de provoquer un ré-aménagement du système fédéral :c’est cela qu’ils souhaitent réelle-ment. La formule de la souveraine-té-association assurerait au Québecce qu’il a toujours voulu au sein dela fédération actuelle : un statutparticulier au sein d’une structurecommune. Vu sous cet angle, il estpeu probable qu’une sécession uni-latérale, traumatisante, puisse avoirlieu. Étant donné qu’ils sont con-damnés à s’entendre, la logiquevoudrait, dans l’hypothèse (peu pro-bable) d’une victoire des thèses sou-verainistes lors d’une future consul-tation, que la séparation fasse l’ob-jet de négociations et qu’elle se pro-duise de façon civilisée.

Mais la question la plus délicateest, bien évidemment, de détermi-ner le degré de soutien que devraobtenir l’indépendance lors d’unprochain référendum. Le gouverne-ment de Québec ne semble pas prêtà accepter l’exigence d’une majoritérenforcée de voix, car il sait bienque, au jour d’aujourd’hui, il ne peutguère aspirer à autre chose qu’à dé-passer légèrement la barre des 50%.À son avis, l’imposition d’une majo-rité spéciale irait à l’encontre de latradition politique canadienne etdes précédents en matière de réfé-rendum au Canada. Et cela briseraitle principe selon lequel toutes lesvoix ont la même valeur. En outre, lechoix d’une majorité renforcée cré-erait une difficulté insurmontable,car le pourcentage fixé (55%,

60%,...) serait forcément arbitraireet contesté par les deux camps :trop exigeant pour les uns, insuffi-sant pour les autres. Il a été suggé-ré, par exemple, de prendre encompte la majorité absolue dunombre d’électeurs recensés, au lieude celle des voix exprimées.

LES PARLEMENTS D’OTTAWA ET DE QUÉBEC : CHACUN TIRE LA COUVERTURE À SOI

Le 20 novembre 1998, la Coursuprême rendait une décision d’uneimportance cruciale. Trois mois plustard, le 30 novembre 1998, le PQ aremporté les élections provincialesau Québec, non sans mal (il a obte-nu plus de sièges, mais moins devoix que les libéraux). Son leader,Lucien Bouchard, s’est alors engagéà convoquer un troisième référen-dum sur l’indépendance de la pro-vince avant la fin de l’actuelle légis-lature provinciale, prévue pour2003, mais en précisant qu’il atten-drait que les circonstances soientfavorables. Un an plus tard, la ques-tion des conditions d’un éventuelréférendum est revenue au premierplan de l’actualité quand, le 13 dé-cembre 1999, le gouvernement fé-déral a pris l’initiative de présenterdevant la Chambre des communesdu Canada un projet de loi “donnanteffet à l’exigence de clarté formuléepar la Cour suprême dans son avissur le renvoi sur la sécession duQuébec”. Avec cette initiative tacti-que inattendue, le Premier ministreJean Chrétien a fait preuve d’uneremarquable habileté politique. LaCour suprême ayant précisé que lesconditions d’un éventuel référen-dum devraient être acceptées partous les acteurs politiques cana-diens pour que les résultats référen-daires puissent être considérés con-

traignants, il a décidé de bouger sespions sur l’échiquier de la sécessiondans une intention très claire : fixerdes conditions rigoureuses afin dedécourager les souverainistes.

La loi, approuvée en juin 2000,dispose que, si une nouvelle consul-tation devait avoir lieu au Québec, legouvernement de la province devraformuler le texte de la questiondans des termes clairs et précis,sans la moindre ambiguïté ou con-fusion, en présentant clairementaux électeurs la possibilité de choi-sir entre deux options : maintenirl’union avec le Canada ou cesser defaire partie de la Confédération,avec toutes les conséquences quecela implique, sans demi-mesures.La loi précise que, pour tout réfé-rendum sur la sécession d’une pro-vince, ce sera le Parlement d’Ottawaqui déterminera si la question estclaire ou non. Et elle exclut expres-sément certaines formulations con-sidérées ambiguës ou tendant àédulcorer ou déguiser l’idée mêmede rupture, afin de ne pas effrayerles électeurs. Ainsi, il est expressé-ment interdit de se contenter de de-mander aux électeurs de déciders’ils autorisent ou non le gouverne-ment du Québec à négocier uneéventuelle sécession, ou de joindreau “oui” à la sécession un accordavec le Canada. Comme par hasard,les deux formulations exclues co-rrespondent aux questions quiavaient été posées lors des deuxprécédents référendums.

La Chambre des communes nese réserve pas seulement le droit dedécider, avant la tenue du référen-dum, si la question référendaire estsuffisamment claire et explicite,mais aussi de déterminer si la ma-jorité obtenue au référendum estsuffisamment représentative. Larupture de l’unité fédérale (un

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changement irréversible) ne peutdépendre d’une majorité simple enfaveur de l’indépendance si celle-ciest obtenue de justesse. À treize re-prises, la Cour suprême a insisté surla nécessité d’une majorité claire.Un large consensus social est doncnécessaire. Pour déterminer si cettemajorité est claire, sur le plan qua-litatif et en fonction des circons-tances, le Parlement fédéral pren-dra en considération l’importancede la majorité des voix validementexprimées en faveur de la séces-sion, le pourcentage d’électeursayant voté au référendum, et toutautres facteurs ou circonstancesqu’il estimera pertinents.

Si ces conditions n’étaient pasremplies, le résultat d’un éventuelréférendum n’aurait aucune validi-té juridique et ne créerait pas l’obli-gation pour les autorités fédéralesd’engager des négociations avec legouvernement du Québec. Qui plusest, il est expressément interdit augouvernement du Canada de seprésenter à la table des négocia-tions si une telle hypothèse venait àse réaliser.

Dans son dernier article, la loirappelle que l’éventuelle sécessiondu Québec, dans la mesure où ellerequiert une modification constitu-tionnelle pour être légale, devra êtreprécédée de négociations portantsur les conditions concrètes de ladi-te sécession, notamment la réparti-tion de l’actif et du passif, la modi-fication des frontières de la provin-ce, les droits, intérêts et revendica-tions territoriales des peuples au-tochtones du Canada, et la protec-tion des droits des minorités.

Lucien Bouchard, le Premier mi-nistre du Québec, a immédiatementréagi en annonçant qu’il allait pré-senter simultanément devant l’As-semblée nationale du Québec un

projet de loi réaffirmant le droit duQuébec à l’autodétermination. Le15 décembre 1999, le gouverne-ment provincial a donc présenté leprojet de loi nº 99 sur l’exercice desdroits fondamentaux et des préro-gatives du peuple québécois et del’État du Québec: un geste éloquentpar lequel il manifestait sa volontéde lutter contre toute mesure vi-sant à priver les Québécois desditsdroits et prérogatives. Cette loi, quia été approuvée en décembre 2000grâce aux voix du PQ, a fait l’objet,quelques mois plus tard, d’un re-cours devant la Cour suprême duQuébec, présenté par un groupe dedéfense des intérêts de la popula-tion anglophone. Elle prévoit, entreautres, que seul le peuple québé-cois, assumant son propre destinpolitique, a le droit, par l’entremisede ses propres institutions politi-ques démocratiques, de statuer surla nature, l’étendue et les modalitésde l’exercice de son droit à disposerde lui-même, et qu’aucun autreparlement ou gouvernement nepeut réduire les pouvoirs, l’autorité,la souveraineté et la légitimité del’Assemblée nationale, en tant quedépositaire des droits et des pou-voirs historiques et inaliénables dupeuple québécois. Le texte réaffir-me également les compétences del’État du Québec dans divers do-maines, spécialement en ce quiconcerne le territoire et les frontiè-res de la province, qui ne peuventêtre modifiées sans le consente-ment de l’Assemblée nationale(art.9). La hache de guerre n’a doncpas été enterrée, et il est évidentque la décision de la Cour suprêmeest interprétée de façon fort diffé-rente par les uns et par les autres.

Lassitude, blocage, impasse sontles termes qui expriment le mieux lasensation générale aujourd’hui. Il

semblerait que tous les recours ontété épuisés, et il est peu probabledésormais que quelqu’un découvreune formule magique permettantde résoudre le problème à court ter-me. Un accord constitutionnel dansl’esprit de ceux du lac Meech (1987)ou de Charlottetown (1992) nesemble pas viable. Ces accords pro-posaient, l’un comme l’autre, de ré-former la Constitution canadienneen accordant au Québec un statutparticulier au sein de la Confédéra-tion pour satisfaire les aspirationsdes nationalistes, et, l’un commel’autre, ils se sont soldés par unéchec. Sous la pression des autresprovinces, le Parti libéral, qui gou-verne le Canada et a de nouveauremporté avec une majorité absolueles élections générales en novembre2000, semble avoir renoncé à ce ty-pe de formules s’inscrivant dans lalignée de ce que l’on a appelé le fé-déralisme asymétrique. En effet, lesautres provinces canadiennes s’op-posent à tout privilège et ne parta-gent pas la conception dualiste duCanada (un pays formé par deuxcommunautés linguistiques). Pourles autres Canadiens, le Québec estune province comme les autres.

Quant aux nationalistes, leureuphorie s’est considérablement re-froidie, la publication des résultatsdes derniers sondages, qui enregis-trent une baisse du pourcentage descitoyens québécois partisans de lasécession (environ 40%), s’ajoutantà la défaite électorale de novembre2000. Les nationalistes ont alorsperdu 6 sièges au Parlement fédéralet ont dû céder la première place enpourcentages de voix au Parti libéral(44,22% contre 39,83%), qui a gag-né 10 sièges.

Cet échec a provoqué une fortecrise interne et la démission inatten-due de Lucien Bouchard de son pos-

“ Un accordconstitutionneldans l’esprit deceux du lacMeech (1987) oude Charlottetown(1992) ne semblepas viable. Cesaccordsproposaient, l’uncomme l’autre, deréformer laConstitutioncanadienne enaccordant auQuébec un statutparticulier au seinde laConfédérationpour satisfaire lesaspirations desnationalistes, et,l’un comme l’autre,ils se sont soldéspar un échec.Sous la pressiondes autresprovinces, le Partilibéral, quigouverne leCanada et a denouveau remportéavec une majoritéabsolue lesélectionsgénérales ennovembre 2000,semble avoirrenoncé à ce typede formuless’inscrivant dansla lignée de ce quel’on a appelé lefédéralismeasymétrique ”

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Quebec 2003 : adieu au réferéndumJuan María Bilbao Ubillos / Professeur de Droit constitutionnel

LES RÉSULTATS DES ÉLECTIONS DU 14 AVRIL 2003

Les électeurs viennent de crever la baudruche déclinante de la souveraineté au Québec. Lors des élections pour renouveler la com-position de l’Assemblée Nationale de la Belle Province, qui ont eu lieu dernièrement, le 14 avril 2003, ils ont mis fin à une décen-nie de suprématie du Parti Québécois (PQ), formation indépendantiste fondée en 1968 par René Lévesque. On voyait venir ce chan-gement de cycle depuis la victoire du Parti Libéral, qui gouverne le Canada actuellement, lors des élections au Parlement fédéral,en 2000, où ce parti l’emportait au Québec (avec plus de 44% des voix), reléguant le Bloc Québécois (une prolongation du PQ àl’échelle fédérale) à la deuxième force politique (avec un peu moins de 40% des voix). Cet échec a entraîné que le charismatiqueL.Bouchard, ait démissionné comme premier ministre de la Province et qu’au beau milieu d’une crise interne, il ait été remplacé àla tête du parti et du Gouvernement par B. Landry.

D’autre part, ces dernières années, les enquêtes avaient enregistré invariablement une réduction sensible du pourcentage decitoyens partisans de la sécession, qui ne dépasse pas la barre de 40%.

Mais que s’est-il passé exactement maintenant? Il s’est passé que les libéraux du Québec (PLQ), au profil idéologique modéré,centriste, ont obtenu 76 sièges (26 de plus qu’en 1998) sur un total de 125, c’est à dire une majorité absolue confortable à l’As-semblée Nationale du Québec, avec 46 % des voix, alors que les souverainistes du PQ, avec 33,2% des suffrages, le pire résultat de-puis 1973 (douze points en pourcentage et presque un demi million de voix en moins que le PLQ), perdent 22 députés par rapportà la législature antérieure et n’obtiennent que 45 sièges. Et pourtant, le système électoral majoritaire dans les circonscriptions uni-nominales les avantage, parce qu’il prime le vote rural et pénalise le vote urbain, qui est concentré dans la zone métropolitaine deMontréal, où vivent 45% des Québécois et où la présence de l’électorat anglophone est plus élevée. De fait, lors des élections an-térieures de 1998, ils ont renouvelé la majorité absolue à l’Assemblée Nationale, même en obtenant 25.000 voix de moins que leslibéraux dans le calcul global. Les indépendantistes sauvent les meubles, car il y a 6 mois, les sondages prévoyaient une défaite fra-cassante, mais ils passent dans l’opposition et devront affronter une pénible traversée du désert dans les années à venir.

Les quatre autres sièges ont été pour l’ADQ (Action Démocratique du Québec), formation nationaliste modérée d’idéologie plusconservatrice, dirigée par le jeune Mario Dumont (qui a abandonné le PLQ en 1992). Avec 18,2 % des suffrages exprimés (pres-que 700.000, un chiffre pas du tout négligeable), il obtient une augmentation considérable des voix (200.000 de plus qu’en1998),mais il perd un siège et reste en dessous des expectatives envisagées pendant la dernière année, après avoir gagné à plusieursélections partielles. La rupture du bipartisme prévue par certains n’a pas eu lieu.

Ainsi se termine une étape où les nationalistes ont caressé le rêve de la pleine souveraineté (lors du référendum célébré en1995, il leur manquait 50.000 voix) et où ils ont sacrifié leurs dirigeants les plus emblématiques (René Lévesque, Jacques Parize-au y Lucien Bouchard, qui a abandonné en 2001) dans la longue marche vers l’indépendance.

(Vous pouvez trouver le texte complet —en espagnol— dans”Papeles de Ermua” nº 5, Juin 2003, ou dans www.papelesdeermua.com).

te de Premier ministre de la provincedu Québec. Bernard Landry, ministredes Finances, l’a remplacé (en mars2001) à la tête du PQ et du gouver-nement. Les déclarations de Bou-chard, quand il a annoncé sa démis-sion et son retrait de la vie politiqueen janvier 2001, me semblent très ré-vélatrices de l’état d’esprit des lea-

ders nationalistes : “Mes efforts pourrelancer le débat sur la question na-tionale sont restés vains. Nous n’a-vons pas réussi à accroître la ferveurnationaliste”. Un aveu d’impuissancesuite à la déception électorale.

D’ailleurs, après ce revers élec-toral, l’éventuelle convocation d’untroisième référendum a été repor-

tée sine die. À l’heure actuelle, lesconditions qui pourraient assureraux nationalistes un résultat réfé-rendaire positif sont loin d’être réu-nies. Une victoire de l’option souve-rainiste est impensable. Les natio-nalistes en sont conscients, et il nesemble pas qu’ils aient l’intentionde se précipiter.

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La commémoration de l’Aberri Egu-na (journée de la Patrie basque) enavril 2003, a mis en évidence, unefois de plus, cette recherche de l’u-nité nationaliste qui domine la stra-tégie souverainiste du parti dirigépar Ibarretxe y Arzalluz1.

Depuis la Déclaration de Liza-rra2 de septembre 1998, on ressentconstamment des tentatives pourarticuler l’union des forces qui com-posent le nationalisme basque, endominant leurs désaccords politi-ques. Cette initiative a entraîné dessouhaits justifiés par le nationalis-me comme une formule qui s’inspi-re du processus de paix d’Irlande duNord pour mettre fin à la violence.

Rappelez-vous que ce documenta été signé par les principales for-mations nationalistes basques re-groupées dans le dénommé “Forumd’Irlande”, et que son texte com-mence par sept points définis parses auteurs comme les “Facteurs quiont favorisé l’Accord de Paix en Ir-lande (du Nord)”. Cependant, la Dé-claration de Lizarra ne parlait à au-cun moment des raisons authenti-ques qui ont rendu possible l’Accordde Belfast, et dont la plus importan-te est peut-être que le mouvementrépublicain, composé par l’IRA et leSinn Féin, était prêt à mettre fin à laviolence bien qu’il n’ait pas obtenugain de cause pour ses aspirations

et qu’il acceptait même des structu-res gouvernementales qu’il avait re-fusées pendant des années.

Cependant, l’interprétation dumodèle irlandais réalisée par le PartiNationaliste Basque (PNV) reposesur la fausse hypothèse que la paixest le résultat de la création d’unfront nationaliste qui a offert à l’IRAet au Sinn Féin une alternative à tra-vers laquelle ils pouvaient poursuiv-re leurs objectifs, en compensant lafaiblesse évidente en ce qui concer-ne leur soutien électoral et social.Cette unité d’action si désirée ne futpas la base du processus de paixd’Irlande du Nord, où l’IRA et le SinnFéin ont échoué dans leur tentativede construire un front nationalistesolide, de là les critiques de certainsdirigeants, comme Martin McGuin-ness, au nationalisme gouvernant enRépublique d’Irlande, lui reprochantde ne pas défendre “les droits natio-naux irlandais “3 (3). Ce qui était sig-nificatif, aussi, c’est qu’Albert Rey-nolds, premier ministre d’Irlande, de1992 à 1994, menaçait littéralement

d’”envoyer promener” les leaders ré-publicains4 du Nord quand ils essa-yaient d’obtenir des concessions po-litiques en échange de la trêve.

L’IRA est parvenue à cesser sacampagne terroriste en l’absenced’une unité nationaliste qui ne s’estpas matérialisée non plus postérieu-rement, comme on a pu le constaterpendant les élections générales auparlement britanniques célébrées en2001. Lors de ces élections, le natio-nalisme représenté par le SDLP (So-cial Democratic and Labour Party) deJohn Hume a rejeté un pacte électo-ral proposé par le Sinn Féin, en ar-gumentant qu’il n’accepterait pas decoalition qui aurait creusé les divi-sions entre les communautés de l’Ir-lande du Nord, au cas où elle se se-rait réalisée5. Eddie McGrady, autrereprésentant important du SDLP, aécarté cette alliance nationaliste carelle “ghettoïsait” le votant en le con-traignant à une politique de blocsque le processus de paix voulait pré-cisément abandonner en cherchantà se rapprocher de l’unionisme6. Le

Rogelio Alonso

Professeur au Département de SciencesPolitiques de l’Université de l’Ulster

1 [NdT] On fait ici référence au Parti Nationaliste Basque (PNV). Ibarretxe est, depuis fin 98 le lehendakari (Président du Gouvernement autonome basque) et Arza-llus occupe la Présidence du PNV depuis 25 ans.2 [NdT] La déclaration de Lizarra a été signée en septembre 1998, ses principaux signataires étant le Parti nationaliste basque (PNV), Eusko Alkartasuna (EA) et HerriBatasuna (qui s’appelait alors EH), le bras politique de l’ETA. Cette nouvelle alliance politique, qui a duré environ deux ans, a conduit à la constitution d’un gouvernementde coalition PNV-EA, soutenu au sein du parlement basque par Herri Batasuna, une première dans l’histoire de la communauté autonome du Pays basque. Un an plustard, c’est l’ETA qui a rendu public l’accord secret que l’organisation terroriste avait signé avec le PNV et EA peu avant la déclaration publique de Lizarra-Estella, et danslequel les trois partis dessinaient une stratégie commune dans le but d’exclure les forces “constitutionnalistes” (le Parti populaire et le Parti socialiste du Pays basque) desinstitutions basques. L’accord d’Estella constituait le premier pas vers ce but final.3 “Government fails to defend rights of nationalists, claims McGuinness”, Fionnán Sheahan, Irish Examiner, édition numérique du 31 mars 2003.4 Seán Duignan (1995), One Spin on the Merry-Go-Round, Dublín: Blackwater Press, p. 147.5 “Agreement was first step to unity for north”, John Hume, Irish News, 13, avril 2001.6 “We must develop new covenant to establish trust”, Eddie McGrady, The Irish Times, 12 avril 2001.

L’IRLANDE, un exempleà suivre

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PNV, lui, par contre, choisit de dis-qualifier un grand nombre de cito-yens basques, comme le montre sadéclaration officielle du 10 avril2003, où il dénonce que “la majoritéabsolue “ des nationalistes en Eus-kadi est dominée et régie par une“majorité extérieure “ représentéepar le PP et le PSOE7.

Les nationalistes basques renfor-cent ainsi le mirage de l’ennemi ex-térieur, en répudiant en outre la plu-ralité de la société et ceux qui se dé-finissent comme basques et espag-nols. Dans ce document qui a un ti-tre aussi significatif que “De l’offen-sive électorale à la guerre politico-judiciaire “, il est dit que le principalproblème pour la normalisation auPays basque, ce n’est pas l’ETA, maisl’état espagnol et les partis constitu-tionnalistes, et ce sont eux, et nonpas la bande terroriste, les responsa-bles de l’”offensive” à laquelle lesnationalistes font allusion. C’est làun exposé qui coïncide avec celuides contenus de la proposition de li-bre association présentée par Iba-rretxe8 qui assure que la relation del’Euskadi avec l’Espagne est le prin-cipal obstacle pour la pacification,mais ignore que c’est dans un do-maine différent, et beaucoup plusproche, chez les basques eux-mê-mes, que la cohabitation a besoind’être remise en état fondamentale-

ment et de façon prioritaire, vu quel’ETA continue d’intimider une partiede la société tout en poursuivant sesobjectifs nationalistes.

Les intentions exclusives qui dé-coulent du discours nationaliste af-fleuraient aussi sous les parolesd’un autre dirigeant célèbre du PNV,comme Iñigo Urkullu (leader du PNVdans la province de Biscaye), lors-qu’il disait qu’on ne pouvait paslaisser “les forces qui viennent del’extérieur —faisant référence au PPet au PSE— développer leurs in-térêts”9, ou dans la “majorité natio-naliste” convoitée, qu’Arzalluz pré-voyait lors de l’Aberri Eguna , si l’E-TA cessait la violence10.

On ignorait ainsi les effets quecette alliance aurait ou que sa sim-ple promesse a déjà sur les person-nes qui souffrent l’intimidation del’ETA, c’est à dire les constitutionna-listes avec qui le nationalisme dev-

rait rechercher la cohabitation, aulieu de les mépriser verbalement,comme il le fait. Dans ce sens, il estintéressant d’observer comment lepremier ministre irlandais, le natio-naliste Bertie Ahern, a écarté d’in-clure le Sinn Féin dans un gouver-nement de coalition lors de la cam-pagne électorale de 2002 en Répu-blique d’Irlande. L’existence de l’IRAet les lettres de créance démocrati-ques encore fragiles d’un parti lié àune organisation qui était encoremêlée à une campagne terroristequelques années auparavant, ontété les motifs d’une décision que leSinn Féin a reçue comme “une in-sulte”11. Ces attitudes du nationalis-me constitutionnel irlandais con-trastent avec le comportement dif-férent du nationalisme basque ac-tuellement, qui coïncide apparem-ment avec l’intention de pactiseravec l’ETA avant la trêve de 1998 où

“ Les nationalistesbasquesrenforcent ainsi lemirage de l’ennemiextérieur, enrépudiant en outrela pluralité de lasociété et ceux quise définissentcomme basques etespagnols ”

7 “De l’offensive électorale à la guerre politico-judiciaire “, EBB, 10avril 2003, http://www.eaj-pnv.com/ .8 [NdT] En septembre 2002, le Président du Gouvernement bas-que a présenté à la Chambre basque un projet politique qui prétendremplacer le Statut d’Autonomie actuel (de 1980) par un statut hy-pothétique de libre association avec l’Espagne, par lequel on pou-rrait obtenir pratiquement l’indépendance, mais sans être expulséde l’UE, puisqu’il préserve des liens symboliques avec l’Espagne.9 El Correo, 7 mai 2003. 10 El Correo, 21 avril 2003. 11 “Ahern remarks provoke dispute”, RM Distribution, Irish NewsRound-Up, 26-28 avril 2002, http://irlnet.com/rmlist.

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le PNV et EA assumaient “l’engage-ment d’abandonner tous les accordsqu’ils avaient signés avec les forcesdont l’objectif était de détruirel’Euskal Herria et de construire l’Es-pagne (le PP et PSOE, bien enten-du)”12.

Le cessez-le-feu de l’IRA et l’im-plication du Sinn Féin dans le pro-cessus de paix ont eu lieu dans uncontexte où le républicanisme irlan-dais a été incapable de constituer lefront souhaité des forces nationa-listes, et a donc été forcé de mettrefin à la violence, bien qu’il n’ait pasobtenu ses principales revendica-tions. Non seulement les Britanni-ques sont toujours en Irlande maisles républicains n’ont toujours passatisfait leurs exigences d’autodé-termination, comme Gerry Adams lefaisait remarquer en mars 2000 ensignalant qu’”il fallait encore gagnerl’autodétermination pour la popula-

tion de cette île”13.C’est là l’une desclés du processus de paix d’Irlandedu Nord qui a été possible parce quel’IRA a renoncé au maximalisme quia dominé ses idées pendant les der-nières décennies. C’est pourquoiAdams lui-même a accepté la né-cessité d’être “réaliste” en recon-naissant qu’ils ne pouvaient pasgagner leurs objectifs moyennantdes “ultimatums”14.

Ces questions sont extrêmementimportantes car elles permettent deremettre en cause l’interprétationdu processus de paix réalisée par leprêtre d’Irlande du Nord, Alec Reid,qui a été assumée en grande partiepar le nationalisme basque. D’aprèsce prêtre rédemptoriste, conseillerd’Elkarri15, prix Sabino Arana16 et,d’après Germán Kortabarria, “un desrédacteurs de la Déclaration de Li-zarra”17, “l’IRA a arrêté quand on luia présenté une vraie dynamique al-

ternative “18. Cette analyse dégagel’IRA, et aussi l’ETA, si l’on étend ce-la au cas basque, de la responsabili-té de la résolution du conflit, en lasituant dans d’autres agents, ce quiestompe donc les obligations quidevraient retomber sur ceux qui uti-lisent la violence.

Cependant, la cause de l’arrêt duterrorisme de l’IRA ne réside pasdans cette soi-disant alternativeque d’autres acteurs auraient créeret offert à ce groupe. Le processusde paix n’a pas garanti les aspira-tions des républicains, car il reposesur des paramètres qui avaient déjàété délimités au début des années70. C’est à dire que l’IRA disposaittrente ans auparavant d’une alter-native pratiquement identique à ce-lle offerte par les Accords de Stor-mont en 1998, et qu’elle avait alorsrefusée mais qu’elle a acceptée ac-tuellement après avoir vérifié l’inef-ficacité de la violence à cause de sescoûts politiques et humains.

L’alternative prise maintenant nereprésente en aucun cas l’accumula-tion de forces nationalistes que lenationalisme basque souhaite pourl’Euskadi. L’alternative choisie par l’I-RA en 1994 en abandonnant la vio-lence, et qui existait depuis long-

“ Le processus depaix actueld’Irlande du Nord,basé sur laconviction qu’unsystème degouvernementautonome partagéoffre le meilleurcadre pourprogresser dans larésolution duconflit, essaied’avancer vers unscénariosemblable auStatut de Gernika,mis en marche en1980 et que lenationalismebasque veutdélégitimer à toutprix. C’est le motifpour lequel laconsolidation ducadre autonome, etnonl’autodétermination, constituel’objectif principaldes acteursd’Irlande du Nord ”

12 Gara, 30 avril 2000.13 “Take ownership of the peace process”, Gerry Adams, An Pho-blacht/Republican News, 2 mars 2000.14 Presidential Address to Sinn Fein Ard Fheis 2003, RM Distribution,Irish Republican News and Information, http://www.irlnet.com/rmlist,29 mars 2003.15 [NdT] Elkarri est présentée comme une organisation pacifiste; elleest financée, en réalité, par les institutions contrôlées par le PNV etencourage systématiquement ses principales propositions politiques.16 [NdT] Sabino Arana fut le fondateur du PNV à la fin du XIXièmesiècle. Son Prix est décerné, logiquement, par une fondation du PNV.17 “Témoignage du processus de paix en Irlande “, Alec Reid, Sémi-naire organisé par la Fondation Manu Robles-Arangiz Institutua, Pa-lacio Euskalduna, Bilbao, 29 juin 2000.18 Gara, 15 décembre2002.

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temps, ne tourne pas autour de lasouveraineté mais autour d’une au-tonomie où les basques et les unio-nistes doivent gouverner ensemble.Donc, la variation fondamentale quia rendu possible l’absence de violen-ce, ne réside pas dans le changementd’attitude des états, mais dans le ré-visionnisme de l’IRA et du Sinn Féin,qui assument maintenant ce qu’ilsavaient rejeté auparavant. Le natio-nalisme basque a préféré ignorer laleçon si utile du processus d’Irlandedu Nord et quelque chose d’aussi vi-tal comme le fait que l’origine de ce-lui-ci se trouve dans l’échec politiqued’un groupe terroriste comme l’IRA.De cette façon, après avoir renoncé àvaincre l’ETA les nationalistes bas-ques justifient leur radicalisation enprétextant qu’ils obtiendront ainsi lafin de la violence. Cependant, en Ir-

lande, l’échec du terrorisme a étépossible précisément parce que lenationalisme constitutionnel a résis-té à la radicalisation que l’IRA lui im-posait sous forme de chantage enpaiement de son cessez-le-feu.

Le processus de paix actuel d’Ir-lande du Nord, basé sur la convictionqu’un système de gouvernement au-tonome partagé offre le meilleur ca-dre pour progresser dans la résolu-tion du conflit, essaie d’avancer versun scénario semblable au Statut deGernika, mis en marche en 1980 etque le nationalisme basque veut dé-légitimer à tout prix. C’est le motifpour lequel la consolidation du cadreautonome, et non l’autodétermina-tion, constitue l’objectif principal desacteurs d’Irlande du Nord. C’est dansce contexte qu’ils aspirent à créer unespace de cohabitation où la ques-

tion nationale cesse de dominer lavie politique. Ainsi, alors que XabierArzalluz considère que “pour un na-tionaliste, la voie d’action politiqueest avec la gauche abertzale (c’est àdire avec Batasuna et son entourage)et pas précisément avec le PP ou lePSOE”19, des formations avec qui ledirigeant du PNV a refusé la coopé-ration, car il estimait qu’avec elles onserait “dans un autonomisme de plusen plus tiède”20, le nationalisme d’Ir-lande du Nord, lui, par contre, a choi-si un “autonomisme tiède” en espé-rant qu’il contribuerait à détruirel’ethnicité exclusive sur laquelle lePNV parie dangereusement.

19 Entretien avec Xabier Arzalluz de C. Dá-vila dans Deia, 10 décembre 2000.20 Ibid.

Pour plus de renseignements :

www.papelesdeermua.com

“ […] lenationalismed’Irlande du Nord,lui, par contre, achoisi un“autonomismetiède” en espérantqu’il contribueraità détruirel’ethnicitéexclusive surlaquelle le PNVpariedangereusement ”

Pour nous contacter : [email protected]

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Documents du FORO ERMUA

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parmi lesquelles se trouve, entre au-tres, Gestoras Pro-Amnistia, associa-tion revendiquant l’amnistie des pri-sonniers basques et étroitement liéeà l’ETA—. Le Parlement européen aégalement décidé d’éclaircir la façondont les fonds reçus par ledit députéétaient utilisés.

Auparavant, plus exactement le27 mars dernier, en Espagne, laChambre spéciale de la Cour suprê-me (composée de 16 magistrats)avait décidé à l’unanimité la misehors la loi de Batasuna.

Il ne faut pas oublier qu’en Fran-ce, la loi du 1er janvier 1936, modi-fiée en 1972 et en 1986, accorde di-rectement au pouvoir exécutif la fa-culté de dissoudre un groupementpolitique prônant une idéologie ra-ciste, discriminatoire ou violente. Enapplication de cette loi, la France aprocédé à la dissolution d’un nom-bre élevé de groupements d’extrêmedroite et d’extrême gauche, demouvements indépendantistes cor-ses et de diverses organisations ac-cusées de faire l’apologie du terro-risme. Il convient ainsi de rappelerla dissolution, en 1987, d’Iparreta-rrak (organisation jumelle de l’ETAau Pays basque français), une déci-sion courageuse et fort positive.

Au cours des dernières années,la collaboration des autoritésfrançaises avec la démocratie es-pagnole en matière de lutte antite-rroriste s’est avérée d’une grandeutilité. De son côté, l’Espagne n’a pascessé un seul instant de participer ac-tivement à la recherche et au dé-mantèlement de réseaux islamistesayant l’intention de commettre desactes de terrorisme sur le sol de sonvoisin du Nord.

Pour ces diverses raisons et pourmieux se protéger, Batasuna s’estofficiellement enregistrée en Francecomme association culturelle [ré-gie par la loi 1901]. Mais, qui peutcroire que ses véritables activitésdans ce pays se limitent strictementau domaine culturel et qu’elle nemaintient pas une collaborationétroite et constante –bien quediscrète– avec l’organisation terro-riste ETA ? Contrôle du réseau desociétés-écrans mis en place par legroupe terroriste, soutien logisti-que, protection des membres de l’E-TA qui, suite au démantèlement deleurs divers commandos par la poli-ce, se réfugient en France,... : autantd’actions vitales (et la liste est loind’être exhaustive) pour la survie del’ETA, auxquelles participe vraisem-bablement Batasuna-France.

Il semblerait que les autoritésfrançaises viennent d’ouvrir une en-quête concernant les actions “extra-culturelles” de Batasuna en France.Même si cela peut prendre un certaintemps de dévoiler en profondeur cequi se cache derrière cette innocentefaçade, le résultat de l’enquête esttout à fait prévisible. Il ne manquequ’une confirmation systématique etdes données concrètes.

Si effectivement l’enquêteouverte à Paris venait à apporterla preuve formelle qu’il existeune connexion systématique en-tre Batasuna-France et les activi-tés terroristes, il semblerait logi-que d’envisager la mise hors laloi de cette organisation soi-di-sant “culturelle”. Aujourd’hui l’o-pinion publique internationalesouhaite que les États démocra-tiques adoptent des positionsfermes et conséquentes vis-à-visdu terrorisme.

Bilbao. 14 juillet 2003. Quelledoit être la situation légale deBatasuna en France? Il s’agit làd’une question fondamentale quesoulève, même s’il a été annulé, l’ac-cord conclu entre la société du Tourde France et Batasuna. La signature,sur le sol français, d’un accord entrela société du Tour et l’organisationséparatiste basque, a suscité un re-jet unanime du gouvernement es-pagnol et des deux principaux partispolitiques du pays –Parti populaire(conservateur) et Parti socialiste es-pagnol–, mais aussi parmi les mé-dias, les associations de victimes duterrorisme, et, bien entendu, au seindu FORO ERMUA.

Il semblerait que le maire UMPde Bayonne, M. Jean Grenet, aitfait part de son intention de s’a-dresser aux plus hautes autorités dela République Française, afin de so-lliciter des éclaircissements au sujetdu statut légal de Batasuna enFrance, ce qui risque d’avoir des ré-percussions importantes dans sacommune, étant donné que cetteorganisation dispose d’un élu ausein de l’équipe municipale.

Il est extrêmement important derésoudre cette question légale, et lemoment est venu d’y réfléchir. En ef-fet, le 6 juin dernier le Conseil des mi-nistres européens de la Justice et del’Intérieur a décidé d’inscrire Batasu-na sur la liste des organisations te-rroristes de l’Union européenne. Sui-te à cela, le 1er juillet, le Parlementeuropéen a interdit à l’unique députéeuropéen de Batasuna, non pas d’agirou de s’exprimer en son nom propre,mais d’agir ou de s’exprimer au nomde l’organisation séparatiste basque—ou de ses organisations satellites,

La situation légale de Batasuna en France

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Le fléau nazi-fasciste éradi-qué lors de la fin de la se-conde Guerre Mondiale me-nace aujourd’hui de se pro-pager dans les revendica-tions sécessionistes des mi-norités etniques et linguisti-ques de l’Union européennelorsque celles-ci font passerleurs aspirations avant leslibertés des citoyens et leursdroits démocratiques iné-luctables.

Ce nazisme n’est plus celui desgrandes nations qui ont été misesen place mais bien celui des nationsque certains prétendent mettre surpied et qui, pour ce faire, sacrifientl’individu au nom du groupe et del’idéologie. De la même manière, cenational-socialisme se pose en vic-time tout autant, voire plus, dange-reuse que celle qui servit d’alibi aunazisme historique car leur statutde minorités leur donne une plusgrande crédibilité. Il est égalementplus dangereux que l’extrême droiteautrichienne, qui répond au modèleclassique et facilement reconnais-sable et qui représente un nazismeencore virtuel dans le sens qu’il n’apas encore fait de victimes, contrai-rement à celui de l’ETA. Il est néces-saire, aujourd’hui plus que jamais,de tirer la sonnette d’alarme au seindu Parlement européen, car ce néo-fascisme, qui se sert de la dénom-mée « Europe des peuples » pour re-nier et détruire l’Europe de citoyens,constitue une grande menace pourl’avenir de la construction europé-enne. Nous tirons cette sonnetted’alarme au nom de l’expérience descitoyens du Pays basque.

Declaration devant le ParlementEuropeen sur le neonazisme etla violence politique au PaysBasque (Espagne)Cri d’alarme face au phénomène antidémocratiquequi cherche à présent refuge au sein des minorésethniques et linguistiques européennes

Considérations relatives à unprocessus de détérioration deslibertés. Le cas du Pays basque

La séquestration suivie de l’assassi-nat par l’ETA de Miguel Ángel Blan-co, un jeune conseiller de la munici-palité basque d’Ermua, toucha pro-fondément la société basque et es-pagnole. Durant plusieurs jours, desmillions de personnes venues detoute l’Espagne sortirent dans la ruepour manifester leur indignation etleur aversion pour un crime qui rap-pelait à de nombreuses personnesles fusillades sous la dictature deFranco. Ce mouvement n’avait passeulement pour but de répudier unassassinat cruel, mais également dedéfendre la démocratie et de s’op-poser à l’idéologie fasciste de l’ETA.Il s’agissait également d’avertir ceuxqui, à travers le nationalisme bas-que, cherchaient à justifier politi-quement les crimes terroristes.

En dépit de la condamnation so-ciale, l’ETA poursuivit ses assassi-nats : conseillers du Partido Popular,citoyens et policiers furent victimesdes attentats les plus lâches. Et ce-pendant, les partis et autorités na-tionalistes du Pays basque dispo-sant de pouvoirs exécutifs dans les

organes du Gouvernement Autono-me oublièrent très vite cet avertis-sement. Il ne leur fallut pas beau-coup de temps pour défendre lamême revendication que les terro-ristes avaient utilisée pour justifierleur crime : le transfert des prison-niers condamnés pour terrorismevers les prisons basques. Le Prési-dent du Gouvernement basque allamême plus loin en proposant de né-gocier avec les criminels sans exigerune seule condition préalable, pasmême le dépôt des armes.

Entre temps, des groupes nazissoutenant l’ETA et Herri Batasuna(HB), parti considéré comme sonbras droit politique, envahirent lesrues du Pays basque. Les incendiesde propriétés ou de biens apparte-nant aux militants de partis politi-ques non nationalistes redevinrentfréquents, de même que les atta-ques et attentats contre les siègesde ces partis et contre les citoyensqui avaient tenté de s’exprimer li-brement en dénonçant une tellebarbarie. Néanmoins, la Police Auto-nome basque, dont le commande-ment suprême est aux mains duGouvernement basque, ne réagis-sait pas avec la promptitude et l’ef-ficacité indispensables pour répri-

‘ Ce mouvements’agissaitégalementd’avertir ceux qui,à travers lenationalismebasque,cherchaient àjustifierpolitiquement lescrimes terroristes ’

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mer ces atteintes à la liberté. Les ci-toyens non nationalistes furent prisd’un sentiment de peur et d’insécu-rité ; sentiment déjà enraciné cheztous les démocrates basques durantdes années de terreur nazie et d’ins-trumentalisation du pouvoir par lespartis nationalistes pieusementqualifiés de modérés.

Dans ce contexte de société bâi-llonnée et craintive, un groupe de ci-toyens basques se réunirent au seinde ce qu’ils nommèrent le FORUMERMUA, avec pour objectif de pré-senter publiquement une déclarationintitulée Manifeste por la démocratieau Pays basque qu’ils signèrent tous.Ce texte constitutif déclarait ce quela peur avait empêché de reconnaître: il qualifiait de fasciste le mouve-ment dirigé par l’ETA et son brasdroit politique Herri Batasuna, etsoulignait la responsabilité des re-présentants politiques et institution-nels basques dans la détérioration dela démocratie. La dénonciation ne selimitait pas à signaler l’inhibition de

ceux qui doivent veiller au respectdes libertés et à la sécurité des cito-yens et de leurs biens, mais signalaitégalement « la collaboration des ins-titutions qui nous représentent avecceux qui soutiennent et encouragentle fascisme ». Ils manifestaient enoutre leur opposition à toute sortede négociations politiques avec lesterroristes. On pouvait également li-re dans ce document que « les pro-jets politiques doivent être validéspar le suffrage des citoyens et débat-tus au sein du Parlement », que « cé-der au chantage des armes signifie-rait la fin de la légitimité démocrati-que » et que « seuls les arguments etles votes constituent des forces per-suasives et décisoires » légitimes. Fi-nalement, il appelait la société bas-que à s’engager « dans la défense dela démocraite et de la liberté d’ex-pression ».

Aujourd’hui, près de deux ansaprès ce manifeste, la démocratiecontinue à se détériorer au Pays bas-que. De nombreux secteurs de la po-

pulation ont peur d’être victimes dela répression que les terroristes exer-cent sur ceux qui n’approuvent pasles objectifs nationalistes, et dêtrediscriminés par un pouvoir politiquequi, étant aux ains des partis natio-nalistes, marginalise ceux qui ne co-llaborent pas avec leur projet deconstruction d’une nation basque.

L’Espagne est une NationDémocratique et le Pays basquejouit d’une très large autonomie

Il existe en Europe des gens qui ontperçu le nationalisme et le terroris-me basques comme l’expressiond’un mouvement de libération na-tionale propre au colonialisme. Cecritère schématique ignore l’histoirede l’Espagne de ces cinq dernierssiècles et occulte la réalité d’unpays, le Pays basque, qui jouit cons-titutionnellement d’institutions lar-gement démocratiques compara-bles au reste des pays qui formentla communauté européenne.

L’Espagne est une Nation Démo-cratique et un Etat de Droit. Il nepourrait en être autrement puisquela démocratie des Etats membresest une condition fondamentalepour faire partie de l’Union Europé-enne, comme le prévoit l’article 6.1du Traité de l’Union (TUE), confor-mément à la réforme du Traitéd’Amsterdam. La démocratie desNations qui forment l’Union consti-tue donc son principe constitutif debase. L’article 7 du TUE veille au res-pect de cette condition, en prévo-yant des sanctions en cas de viola-tion par les Etats membres des prin-cipes de liberté, de démocratie, derespect des droits de l’homme, deslibertés fondamentales et de l’Etatde Droit, contenus dans l’article 6.1.

Il y a plus de 20 ans déjà, les Es-pagnols parvinrent à surmonter une

“ Le Président duGouvernementbasque alla mêmeplus loin enproposant denégocier avec lescriminels sansexiger une seuleconditionpréalable, pasmême le dépôtdes armes ”

“ Il existe enEurope des gensqui ont perçu lenationalisme et leterrorismebasques commel’expression d’unmouvement delibérationnationale propreau colonialisme ”

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longue période de dictature, en sedotant d’une Constitution qui garan-tit la liberté de l’individu, l’égalité et lepluralisme politique, permet la coe-xistence démocratique au sein de lasociété, garantit l’autorité de la loi etprotège tous les Espagnols et peuplesde l’Espagne dans la pratique de leurscultures et de leurs traditions, deleurs langues et de leurs institutionsspécifiques. L’article 2° de notreConstitution reconnaît et garantit ledroit à l’autonomie des nationalitéset des régions qui intègrent et com-posent la nation espagnole. Avec unrégime de liberté garanti par sa Cons-titution, l’Espagne s’est organisée enun Etat intégré par 17 régions et na-tionalités autonomes qui disposentd’un gouvernement largement auto-nome. Chacune de ces CommuanutésAutonomes est organisée institution-nellement et dispose d’une Assem-blée Législative élue par suffrage uni-versel, d’un Conseil de Gouvernementavec des pouvoirs exécutifs et admi-nistratifs, et d’un Président élu parl’Assemblée Législative.

Le principe institutionnel de ba-se du Pays basque est son Statutd’Autonomie qui régit les vastescompétences de la Commuauté Au-tonome. Le Pays basque possèdeunepolice totalement indépendantedes autres corps et forces de sécuri-té de l’Etat : le commandementsuprême du corps ainsi que le re-crutement d’effectifs reviennent auGouvernement basque. La régiondispose de son propre Ministère desFinances Autonome, peut régle-menter le régime fiscal sur son te-rritoire et remet à la Nation un quo-ta global à titre de compensationpour les charges de l’Etat que laCommunauté Autonome n’assumepas. L’éducation, la santé, pour neciter que quelques-unes de leursnombreuses compétences, sont aux

mains des autorités régionales quiont également le pouvoir de légifé-rer dans ces domaines et disposentde fonctionnaires propres avec desrémunérations largement supérieu-res à celles des autres régions es-pagnoles. Il existe également uneradio et une télévision publiquesbasques qui dépendent exclusive-ment du Gouvernement Autonome.Bien que l’espagnol soit la premièrelangue de la région, le Statut prévoitque la langue basque (l’euskarien oule basque) est la langue propre auPeuple basque, n’accordant à l’es-pagnol que le statut de langue co-officielle.

Les nationalistes basquesn’acceptent pas l’autonomie et ontrecours à la contrainte pour créerune nation indépendante avec desterritoires de l’Espagne et de laFrance : la Déclaration d’Estella

Les nationalistes basques ont con-tribué à l’élaboration du Statutd’Autonomie, ils l’ont sactionné enle soutenant par référendum, et, de-puis son entrée en vigueur, ils ontexercé le pouvoir et la représenta-tion institutionnelle au Pays basque.Néanmoins, ils ont à présent faitleur le programme de l’ETA et ten-tent d’obtenir de nouveaux avanta-ges politiques en offrant en échan-ge l’arrêt définitif de la terreur. Pource faire, ils ont conclu un accordqu’ils appellent la Déclaration d’Es-tella. Cette déclaration consiste enune proposition de troc : souverai-neté nationale basque contre lapaix. Mais ce n’est pas l’Etat, maisbien l’ensemble des partis nationa-listes basques, y compris ceux quigouvernent les institutions, qui sontà l’origine de cette proposition. Ils’agit d’un projet stratégique natio-naliste dont la vraie nature réside

dans le fait que l’ETA constitue lamenace implicite sous-jacente danscette proposition, puisque la non-acceptation des termes de l’offreimplique la reprise de leur politiquede la terreur. En réalité, depuis letout premier jour du cessez-le-feu,l’ETA n’a cessé de renforcer sa logis-tique, de réorganiser ses effectifs etde récolter des informations surd’éventuelles victimes.

Le Parti Nationaliste Basque, quiest au gouvernement au Pays bas-que depuis 20 ans, a toujours dissi-mulé à ses électeurs son projet po-litique indépendantiste. Mêmeaprès avoir pris part au Pacte d’Es-tella, il continue à l’occulter, vu quel’accord conclu, qui ne mentionnepas l’ETA, est écrit dans un langagedéguisé de neutralité. Cependant,sous cette apparence d’impartialité,on peut découvrir une tentatived’entraîner toute la société basquedans un processus constituant dis-simulé. Le texte implique l’Espagneet la France dans la résolution detrois questions appelées « territoria-lité, sujet de décision et souveraine-té politique » ; c’est-à-dire : référen-dum sur l’autodétermination etconstruction d’une nation souve-rainne comprenant des territoiresdes deux nations.

Cependant, le plus grave résidedans le fait que la Déclaration d’Es-tella n’est pas seulement un pactepour l’action politique basée sur laviolence sous-jacente d’un groupeterroriste, mais aussi et surtout le

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programme de gouvernement del’actuel pouvoir exécutif basque. AuPays basque, le pouvoir est exercépar une coalition de deux partis na-tionalistes qui ont signé ce docu-ment et qui ont signé un accord degouvernement avec Herri Batasuna(HB), le troisième parti du front na-tionaliste d’Estella. Herri Batasunaest un parti qui ne condamne ni laviolence terroriste ni la violence fas-ciste émanant de ses propres bases.Il est très grave qu’au sein de l’Unioneuropéenne, il existe un Gouverne-ment qui s’appuie sur un parti dé-fendant la méthode de la violencepolitique. On comprend donc mieuxqu’au niveau des plus hautes instan-ces institutionnelles du Pays basque,on préconise un « dialogue sans li-mites » avec les terroristes, auxquelson ne demande même pas de dépo-ser définitivement les armes. Quandles dirigeants démocratiquementélus adoptent un tel comportement,ils manquent à leur plus importantmandat : défendre la démocratie.

Le contentieux basque est unetromperie

Les représentants institutionnelsbasques, avec le Président du Gou-vernement en tête, identifient l’en-semble de la société basque à leuridéologie nationaliste. Le point dedépart est celui de l’existence de cequ’ils appellent le contentieux bas-que : « un conflit historique d’origi-ne et de nature poltique impliquantl’Etat espagnol et l’Etat français »,selon la définition de la Déclarationd’Estella. Une idée qui implique quetout citoyen basque doit par naturese sentir impliqué dans cette préten-due confrontation qui fait partie deson héritage. Par contre, le conten-tieux ne peut être présenté commeun conflit entre le Pays basque, l’Es-

pagne et la France, puisque la socié-té basque est politiquement plurielleet ne se sent pas, meme pas majori-tairement, comme faisant partie dece conflit. Le contentieux basque nepeut en conséquence représenterune lutte pour la démocratie oupour un gouvernement autonome,puisque les deux conditions politi-ques sont déjà remplies au Pays bas-que, mais est plutôt un euphémismequi occulte la vraie nature du projetindépendantiste de créer une nationsouveraine en utilisant la terreur co-llective et la coercition sociale.

Il n’existe pas de confrontationentre deux nationalismes auPays basque : la paix consistepurement et simplement en ladisparition de l’ETA

Depuis le cessez-le-feu de l’ETA jus-qu’à aujourd’hui, avec la reprise dela stratégie de la terreur, le Gouver-nement basque et les signatairesd’Estella ont compris la fin du terro-risme comme un « processus de paix» organisé par l’élaboration d’ac-cords entre deux factions. Il s’agit làd’une idée fallacieuse qui provientde l’identification de la violencebasque avec le conflit nationalisted’Irlande du Nord : une confronta-

tion entre deux nationalismes où lesdeux adversaires doivent renoncer àla violence. Cependant, au Pays bas-que, la violence est unilatérale :seuls les terroristes de l’ETA et lesforces fascistes qui la soutiennentdans la rue y ont recours.

Au cours des années 80, le con-tre-terrorisme policier des GAL nerencontra pas le moindre soutien ausein de la population non nationalis-te ; c’est la raison pour laquelle iléchoua dans sa mission, ne trouvantpas le tissu social nécessaire poursubsister. Au contraire, la persistancede l’ETA ne pourrait s’expliquer sansles cosidérables soutiens de la part dela communauté nationaliste. Vu quenous ne nous trouvons ni face à deuxterrorismes ni face à deux nationalis-mes ennemis, la paix démocratiquene peut consister qu’en une dispari-tion de l’ETA et de sa violence politi-que unilatérale.

Au Pays basque, il n’existe pas deconfrontation entre deux nationa-lismes, un nationalisme basque etun prétendu nationalisme espagnol,mais bien une division de la sociétébasque en deux segments, asymé-triques du point de vue de leur ca-ractérisation politique. Les non-na-tionalistes ne constituent pas ungroupe ou une communauté struc-

“ Par contre, lecontentieux nepeut être présentécomme un conflitentre le Paysbasque, l’Espagneet la France,puisque la sociétébasque estpolitiquementplurielle et ne se sent pas,meme pasmajoritairement,comme faisantpartie de ce conflit ”

La Déclaration d’Estella consiste en uneproposition de troc : souveraineté nationale basquecontre la paix. Mais ce n’est pas l’Etat, mais bienl’ensemble des partis nationalistes basques, ycompris ceux qui gouvernent les institutions, quisont à l’origine de cette proposition.

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tionalistes ne manquent pas nonplus de références raciales ; en1996, on pouvait lire dans un im-portant document du Parti Natio-naliste Basque, le plus large partinationaliste et soi-disant le plusmodéré, qui est aussi le parti duPrésident du Gouvernement bas-que : « Nous sommes le peuple leplus ancien, le plus autochtoneavec des caractéristiques crânien-nes, hématologiques et biologiquesdistinctes… Nous sommes la Na-tion la plus nation de l’Europe… ».

Pour les nationalistes, la démo-cratie est subordonnée à la réalisa-tion de l’unité politique et culture-lle de la patrie basque. Son projetethnique comprend le retour à desformules traditionnelles et pré-dé-mocratiques d’organisation politi-que qu’ils considèrent comme aut-hentiquement basques. Dans letexte mentionné ci-dessus, on peutégalement lire : « Nous sommes unpetit peuple, envahi et entouré depersonnes étrangères à nos préoc-cupations, déterminées à nous

maintenir dans leurs schémas con-ceptuels et culturels, dans leursstructures économiques et politi-ques ». Cette recherche de formulespolitiques authentiques, ils l’ontrécemment concrétisée par cequ’ils appellent Assemblée de Mu-nicipalités : un regroupement deconseillers nationalistes issus desconseils municipaux du Pays bas-que espagnol, de Navarre et duPays basque français, qui prétendse substituer insidieusement auxinstitutions représentatives en vi-gueur et entreprendre un proces-sus indépendantiste.

L’enseignement public au Paysbasque est utilisé au service del’endoctrinement politique

La politique culturelle du Gouverne-ment basque se comprend aisémentà la lumière du principe que rappe-lera, en 1995, unaut dirigeant duParti Nationaliste Basque à ses par-tisans : « tout d’abord le peuple, en-suite l’indépendance ». Les responsa-

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turée, mais une société plurielle at-tachée à des modèles démocrates-libéraux et qui considère la démo-cratie représentative comme la mei-lleure forme de gouvernement. Lesvotes sont distribués dans le spectrepolitique qui va de la droite libéraleà la gauche sociale-démocrate. Tousacceptent la Constitution espagnoleet, sans être nécessairement auto-nomistes, le Statut d’Autonomie duPays basque comme garantie de ladémocratie et cadre légal de coexis-tence. En définitive, c’est une socié-té démocratique au sein de laquelleles citoyens, indépendamment deleur appartenance à la gauche ou àla droite, qu’ils soient plus ou moinsfavorables au libéralisme écoomi-que ou à l’Etat social, s’accordent àconsidérer la liberté individuellecomme un bien suprême.

Bien au contraire, la société na-tionaliste souscrit à des modèlescommunautaires où les valeursculturelles de la patrie priment surla liberté individuelle. Elle regroupeen son sein des tendances plusconservatrices et des tendances quiprônent des changements sociauxradicaux, mais en dépit de ces dif-férences, les nationalistes aspirentà l’unification de toute la sociétéau nom de l’identité commune. LePrésident du Gouvernement bas-que lui-même exige de tous le par-tis de la Communauté Autonomece qu’il appelle « un sentimentd’appartenance commune ». Auxyeux des nationalistes, la nation re-présente un patrimoine linguisti-que, culturel, et même racial, quetous les citoyens se doivent de per-pétuer. Ils définissent ainsi les Bas-ques comme un peuple ethnique-ment différent des Espagnols et desFrançais, qui jouit, par conséquent,d’un droit immanent à la souverai-neté nationale.Les déclarations na-

“ Les non-nationalistes neconstituent pas ungroupe ou unecommunautéstructurée […]Les votes sontdistribués dans lespectre politiquequi va de la droitelibérale à lagauche sociale-démocrate. Tousacceptent laConstitutionespagnole […]indépendammentde leurappartenance à lagauche ou à ladroite, qu’ilssoient plus oumoins favorablesau libéralismeécoomique ou àl’Etat social,s’accordent àconsidérer laliberté individuellecomme un biensuprême ”

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bles de l’enseignement du Pays bas-que défendent ouvertement l’idéeselon laquelle l’enseignement doitavoir comme fonction de transmet-tre les « valeurs basques ». Le moyenle plus efficace qu’ils utilisent pouratteindre cet objectif est l’enseigne-ment de la langue basque, puisquele principe directeur de la concep-tion nationaliste de la transmissionde la langue basque, n’est pas d’of-frir aux enfants un patrimoine cul-turel qui leur serve pour leur épa-nouissement personnel en tantqu’individus libres, mais de les impli-quer activement dans la reprise del’identité basque.

Les institutions basques ont re-cours à une politique culturelle etéducative donnant la primauté ex-clusive à la culture basque surd’autres modèles que les citoyenspourraient choisir librement. Sousle nom de normalisation linguisti-que, elles ont instauré un systèmed’éducation qui tend à transformerune réalité sociolinguistique où lalangue espagnole est la premièrelangue. L’étude du basque est obli-gatoire pour tous les enfants, que-lle que soit leur langue maternelle,et quelles que soient les languesmodernes et classiques qu’ils choi-sissent pour leur curriculum. L’en-seignement public primaire et se-condaire, qui se faisait il y a quel-ques années en espagnol, a été

dans la plupart des cas remplacépar un enseignement en basque.Les professeurs ont donc du êtrecapables de s’exprimer en basque,et des centaines de professeursavec de longues années de serviceont été mutés ou obligés d’émigrerdans d’autres communautés auto-nomes d’Espagne. La connaissancede la langue basque, quelle que soitsa véritable utilisation, est considé-rée comme un atout importantpour accéder aux postes publics :fonctionnaires, policiers, médecins,juges, etc. Pour éviter ces discrimi-nations, les parents cherchent pourleurs enfants un enseignementdonné en basque, même si la lan-gue de la famille est l’espagnol. Lesconséquences pédagogiques néga-tives de ce système, qui touchentbien entendu surtout les classessociales les plus pauvres, sontsystèmatiquement négligées parles responsables de l’éducation. LeGouvernement basque établit lui-même les règles dans ce domainede politique linguistique qui dispo-se de l’appui actif des groupes vio-lents qui contribuent à son implan-tation grâce à diverses formesd’actions directes : troubles de l’or-dre dans les universités, affichesdans les rues qualifiant d’analp-habètes les enfants et les jeunesqui font leurs études secondairesen espagnol ou encore menaces

adressées aux juges qui ne parlentpas en basque.

Violence politique et déficitdémocratique au Pays basque

Il n’existe aucune raison objectivequi puisse expliquer l’existence de laviolence politique au Pays basque.On ne peut pas dire qu’elle est laconséquence d’une prétendue op-pression nationale, ni de la confron-tation de factions rivales. On peut aucontraire affirmer qu’elle a des cau-ses idéologiques, qu’elle résulte d’untrop faible ancrage de la culture dé-mocratique, rongée par 20 ans d’hé-gémonie culturelle et institutionnelledu nationalisme. Le refus du terroris-me au sein de la société nationaliste,quand il se manifeste, ne s’accom-pagne pas d’une condamnation mo-rale de la violence. Depuis la trêve del’ETA, la condamnation des actes vio-lents des milieux nationalistes ne sefait sur base de principes éthiques etdémocratiques, mais bien parce que,selon l’expression toute faite, elle «porte préjudice au processus de paixet ne profite qu’au Gouvernement deMadrid ». L’Eglise Catholique Basque,et plus particulièrement certains deses évêques, font parfois part de leurdouleur vis-à-vis des souffrances desprisonniers condamnés pour terro-risme et oublient systématiquementles souffrances des victimes et l’aide

“ Pour lesnationalistes, ladémocratie estsubordonnée à laréalisation del’unité politique etculturelle de lapatrie basque. Sonprojet ethniquecomprend leretour à desformulestraditionnelles et pré-démocratiquesd’organisationpolitique qu’ilsconsidèrentcommeauthentiquementbasques ”

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à leurs familles. Des conseillers mu-nicipaux à majorité nationaliste ontrendu hommage à des terroristesabattus lors de confrontations avecla police. Dans ce contexte de gravedétérioration morale, on comprendaisément que lors d’un jugementrendu en 1997, un jury populaire aitinnocenté un sympathisant du HB,accusé de double assassinat perpétréde sang froid sur deux policiers.

Les partis nationalistes au gou-vernement du Pays basque ont éga-lement fait preuve d’ambiguïté et decompréhension dans le cadre descondamnations de la violence. Lesinstitutions basques présentent mê-me les terroristes condamnés parles tribunaux comme les victimesd’un système pénal qui les main-tient loin de leurs familles. La Com-mission des Droits de l’Homme duParlement basque, à majorité natio-naliste, a fait sienne la revendica-tion de transfert de tous les terro-ristes vers les prisons basques. Cet-te même Commission a toujoursnégligé les demandes des prochesdes victimes du terrorisme en leurrefusant par exemple la reconnais-sance publique de leurs souffrances.Un député élu car il figurait sur leslistes du parti nationaliste radicalHerri Batasuna, et dont on sait qu’ilfut le chef de l’ETA durant l’une deses périodes les plus sanguinaires,est membre de cette Commissiondes Droits de l’Homme. Le Collectifde Victimes du Terrorisme au Paysbasque a dénoncé récemment de-vant la Direction Générale 1 de l’U-nion européenne, la requête, sousforme d’aide économique, présen-

tée par le Ministère de la Justice duGouvernement basque, pour réaliserune étude sur l’aide aux prisonniersde l’ETA et à ses victimes : un exem-ple de la façon dont nos représen-tants institutionnels, assimilant lesbourreaux aux victimes, tentent derejeter la responsabilité de la violen-ce sur l’Etat qui, selon eux, limite lesaspirations légitimes du Pays bas-que à sa souveraineté. Plus récem-ment encore, ce même collectif quiréunit les proches de victimes du te-rrorisme, systématiquement négligépar les autorités basques, s’est trou-vé dans l’obligation de demanderune condamnation explicite par leParlement européen des partis quiconstituent le Gouvernement de laCommunauté Autonome.

Il est évident que dans de tellesconditions, bien que les institutionsdu Pays basque soient démocrati-ques, l’application de la démocratieest gravement enrayée. La sociétébasque est tenaillée par le chantagede l’ETA qui menace de tuer à nou-veau si ses demandes politiques nesont pas satisfaites, et par la violen-ce quotidienne exercée dans la ruecontre les personnes qui occupent

des postes publics et qui ne sont pasnationalistes, les militants de partisconstitutionnalistes, les policiers,juges, professeurs et autres cito-yens. Rien qu’au cours de la périodeallant du 17 septembre 1998, le jouroù l’ETA déclara ue trêve illimitée,jusqu’au 31 octobre 1999, au Paysbasque et en Navarre – Communau-té Autonome voisine que les natio-nalistes incluent dans leur projetd’un Pays basque indépendant etsouverain – 727 incidents violentsont été recensés ; c’est-à-dire prati-quement deux actions violentes parjour. Une offensive des nationalistesradicaux dont les actions, fidèles austyle le plus authentique des forcesfascistes, ont pour principal objectifles deux partis politiques non natio-nalistes : le Parti Populaire du Paysbasque et le Parti Socialiste de Eus-kadi (PSOE). Les actions ont été, à299 reprises, exercées directementcontre les personnes. Les plus tou-chés furent les personnes occupantun poste public, qui furent victimesde 134 incidents violents ; les poli-ticiens et les membres de partis fu-rent touchés à 76 reprises. Parmi511 actions recensées contre les

Il n’existe aucune raison objective qui puisseexpliquer l’existence de la violence politique auPays basque. […] On peut au contraire affirmer

qu’elle a des causes idéologiques, qu’elle résulted’un trop faible ancrage de la culture démocratique,

rongée par 20 ans d’hégémonie culturelle etinstitutionnelle du nationalisme.

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biens des personnes, on compte desattaques contre les sièges des partispolitiques non nationalistes, les ha-bitations et les véhicules privés, lespetits commerces, les banques, lesinstallations électriques, les moyensde transport publics, les chemins defer, les postes de police, les casernesmilitaires et le matériel urbain. Des

affiches et des graffitis de menacerecouvrent les murs de nos villageset de nos villes.

En conséquence, la liberté d’ex-pression est gravement limitée. Lapeur envahit les non-nationlaistes :être élu conseiller ou député par unparti constitutionnaliste, ou toutsimplement être militant ou candi-

dat sur leurs listes, comprend un ris-que pour leur vie. Exprimer publique-ment son désaccord vis-à-vis du te-rrorisme, de l’idéologie nationaliste,voire même critiquer la politique lin-guistique du Gouvernement basquequi donne la primauté au basque etdiscrimine l’espagnol, comporte desrisques considérables.

“ […] la libertéd’expression estgravement limitée.La peur envahitles non-nationlaistes : êtreélu conseiller oudéputé par unparticonstitutionnaliste, ou toutsimplement êtremilitant oucandidat sur leurslistes, comprendun risque pourleur vie ”

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soumis à une motion de censure,sur proposition du Parti Populaire,pour avoir mis en doute le bien-fondé de la détention sur le territoi-re français d’une dangereuse terro-riste. Les rangs nationalistes en sontégalement venus à mettre en doutele bien-fondé de la détention desterroristes qui avaient volé des ton-nes d’explosifs en Bretange françai-se. Chaque fois que la rupture detrêve devenait plus probable, des re-présentatns institutionnels basqueset leurs partis accusaient le Gouver-nement espagnol d’«immobilisme »et de « ne pas faire les pas suffisantsdans le processus de paix ». Les na-tionalistes, quant à eux, ont déjà faitun grand pas : ils ont formulé lesconditions du dialogue, ils ont con-fié la gestion des négociations auxterroristes, puisqu’ils les considè-rent comme les meilleurs défen-seurs de leur propre projet politique.La récente mise à exécution des me-naces de l’ETA avec l’assassinat àMadrid du lieutenant-colonel Blan-co Garcia, vint malheureusementconfirmer le caractère illusoire etantidémocratique d’un tel projet.Herri Batasuna, le bras droit politi-que des terroristes, n’a pas condam-né l’assassinat. Cependant, le pou-voir exécutif basque, malgré les de-mandes répétées des parits non na-tionalistes pour qu’il rompe sonpacte avec ce parti, continue àmaintenir sa collaboration de gou-vernement avec lui.

Réaction européenne face àl’absence de démocratie au Paysbasque

La violation de droits de l’homme estun fait permanent au Pays basque etles citoyens ne bénéficient pas de laprotection institutionnelle propre àun Etat de Droit. Le Pays basque s’est

Cette violence rappelle celle desanciens pogroms de l’est de l’Euro-pe, notamment dans la passivité desautorités. Au cours du mois de jan-vier, le nombre d’agressions a aug-menté jusqu’à atteindre 2.6 actionspar jour, sans que la police basque(Ertzaintza), sur ordre des autoritésnationalistes, n’ait effectué uneseule détention. Un exemple très ré-cent illustre bien l’attitude, parfoiscynique, des autorités nationalistes.Les commerçants de Guecho – uneconurbation de plus de 80.000 habi-tants –, après avoir été contraints àfermer leurs commerces suite à desmenaces et des agressions durantune grève convoquée par le braspolitique de l’ETA en faveur des te-rroristes emprisonnés, sont alléstrouver le maire nationaliste pourlui demander une protection. Cedernier leur a refusé l’aide qu’ils de-mandaient en prétextant que leproblème de la violence doit être ré-solu « avec prudence et tact, sanscréer de conflits majeurs » (sic), bienque, cependant, il ait demandé auxcommerçants « d’être forts » faceaux piquets de grève et « de prendredes mesures courageuses et auda-cieuses » (sic). Ce qui signifie nonseulement que l’on refuse de proté-ger les citoyens, mais qu’en plus onles incite à s’affronter.

Les nationalistes et le Gouverne-ment basque sous-estiment la réali-té sociale de la terreur et la violen-ce. Des dirigeants du PNV ont qua-lifié les actions fascistes dans la rued’ « enfantillages », et quant aux ac-tes de terreur et d’incendies despropriétés privées ne comprenantpas d’assassinats, ils leurs ont don-né le qualificatif euphémique de «violence de faible intensité ». Le Mi-nistère de l’Intérieur du Gouverne-ment basque, le plus haut responsa-ble de la police, a récemment été

“ Des dirigeantsdu PNV ontqualifié les actionsfascistes dans la rue ‘ d‘enfantillages ’,et quant aux actesde terreur etd’incendies despropriétés privéesne comprenantpas d’assassinats,ils leurs ont donnéle qualificatifeuphémique de ‘ violence de faibleintensité ’ ”

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doté, à travers la Constitution et leStatut d’Autonomie, d’institutionsdémocratiques. Le problème ne rési-de pas pour autant au niveau dusystème mais plutôt des responsa-bles politiques qui le contrôlent etde l’abandon de leurs fonctions enfaveur de l’objectif indépendantiste.Le Ministère de l’Intérieur et la Poli-ce autonome (Ertzaintza) ne garan-tissent pas l’ordre public, et des ins-titutions telles que le Gouvernementbasque et les Juntes Générales délé-gitiment explicitement et ouverte-ment les détentions de présumés te-rroristes par le Ministère de l’Inté-rieur du pouvoir exécutif central etles Forces de Sécurité de l’Etat quidépendent de ce dernier.

Tout ceci mène à une dangereu-se vacance du pouvoir puisque leGouvernement central cède descompétences en matière de sécuritépolicière par exemple, compétencesqui ne sont d’ailleurs pas exercéespar le Gouvernement autonome, quise sert de l’argument efficace denon-ingérence comme tout Etatsouverain bien qu’il ne le soit à au-cun moment. Ceci donne égalementlieu à un paradoxe grotesque : le na-tionalisme antidémocratique basquepeut agir encore plus impunémentque le néonazisme autrichien puis-qu’il bénéficie de la protection, faceà toute sanction de l’Union europé-enne, de l’Etat démocratique espag-nol qu’il renie d’ailleurs de manièrepermanente.

Nous dénonçons cette absurditéliée à l’apogée de l’agressivité desnationalismes ethniques et minori-taires en Europe et à la peur desEtats souverains de les encouragersocialement et de les légitimer poli-tiquement par la simple applicationde la légalité.

Pour ce qui a été dit et devantla plus haute institution de l’U-nion européenne, le Forum Er-mua déclare, solennellement etfermement :

CONCLUSIONS

Vu les circonstances que nous ve-nons de décrire, et en conclusion, leFORUM ERMUA veut attirer l’atten-tion sur les trois faits suivants :

LA LIBERTE EST REPRIMÉEPAR LA MENACE ET LE CHAN-TAGE POLITIQUE DE L’ETA. Lesassassinats de l’ETA et les menacespermanentes qu’il profère, touchent

1

les citoyens, plus particulièrementles citoyens non nationalistes. Il s’a-git là de la punition que les terroris-tes infligent à une société démocra-tique qui ne leur a accordé ni la vic-toire politique ni les changementsconstitutionnels qu’ils exigeaient.Depuis l’annonce de la fausse trêve,la violence de la rue – version bas-que des pogroms – loin de diminuer,a augmenté, sans que la police au-tonome, dont le commandementsuprême est entre les mains duGouvernement basque, ne tente d’yapporter une réponse adéquate. Laviolence de la rue des ultra-patrio-tistes basques, tolérée par leursalliés nationalistes, remplit ainsi unefonction essentielle dans le main-tien de l’hégémonie politique et idé-ologique nationaliste : effrayer lapopulation et limiter la liberté d’ex-pression des non-nationalistes.

LE NATIONALISME ESTRESPONSABLE DE LA DETE-RIORATION DE LA DEMOCRA-TIE. Avec le pacte d’Estella, le na-

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“ Tout ceci mène à une dangereusevacance dupouvoir puisque le Gouvernementcentral cède des compétences en matière de sécurité policière ”

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tionalisme a abandonné son am-biguïté traditionnelle à l’égard dela violence au profit d’une alliancepolitique avec ceux qui y ont re-cours. Le dénommé nationalismedémocratique adopte non seule-ment les buts de l’ETA et de sonbras droit politique, mais accepteégalemet ses méhodes violenteset antidémocratiques. Le PNV etl’ETA ne défendent pas la violenceau sein de leurs propres rangs,mais la tolèrent chez leurs alliés.Le nationalisme dans son ensem-ble a assumé la terrible responsa-bilité de soutenir et légitimer unsegment important de la sociétébasque qui aspire à l’homogénéitéethnique, et dont le recours politi-que le plus populaire et considérécomme le meilleur est la politiquede la violence et de la peur.

L’EXERCICE NATIONALISTEDU POUVOIR A DISCREDITELES INSTITUTIONS AUTONO-MES. Les promesses du Présidentdu Gouvernement basque derompre l’alliance de gouverne-ment avec le bras droit politiquede l’ETA s’il ne cessait pas la vio-lence politique, n’ont été que desparoles en l’air et n’ont pas ététenues, ce qui compromet grave-ment la confiance que les cito-yens basques pouvaient avoir ennos institutions et leur président.Les partis au pouvoir au Pays bas-que n’y restent que grâce à l’ap-pui parlementaire du bras droitpolitique de l’ETA. Le prix imposécontre ce soutien consiste à assu-mer un « projet de constructionnationale » reflétant les aspira-tions de l’ETA et non celles del’ensemble de la société basque.La permissivité envers le fascismede la rue illustre parfaitement lecaractère antidémocratique de

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cette alliance nationaliste. LeGouvernement basque actuel nepeut donc demander la fidélitédes citoyens enveres des institu-tions qu’il a lui-même boulever-sées, puisqu’en les mettant auservice d’un projet politique tota-litaire, il les a vidées de leur sensdémocratique.

PETITIONS

Nous demandons que le Par-lement européen condamne lapolitique du Gouvernement bas-que comprise non seulementdans le Pacte d’Estella mais égale-ment dans le Pacte de Législatureavec EH.

Nous demandons une protec-tion morale et explicite de l’Unioneuropéenne face au manque delibertés publiques au Pays basque.

Nous demandons au Parle-ment et à la Commission europé-enne qu’ils pressent le Gouverne-ment basque à faire valoir lesdroits et libertés des citoyens bas-ques, contenus dans la Constitu-tion espagnole et repris dans leTraité de l’Union européenne, etqu’ils autorisent le Gouvernementde l’Espagne à faire respecter lalégalité sur l’ensemble de son te-rritoire.

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Carte à M. Jean-Marie LeblancDirecteur général du Tour de France

Bilbao, le 7 juillet 2003

Cher Monsieur,

Nous nous permettons de prendre contact avec vous, afin de vous faire part de notre rejet ca-tégorique de l’accord passé entre l’organisation dont vous êtes le représentant et Batasuna. Il noussemble que rien ne peut justifier la conclusion d’accords avec des organisations considérées par lesautorités judiciaires comme étant complices de l’ETA, et inscrites sur la liste des organisations te-rroristes de l’Union européenne et des États-Unis. Par la présente, nous souhaitons également vousproposer un autre accord, visant à promouvoir la culture basque et les valeurs démocratiques.

Sachez que le FORO ERMUA est une association ayant pour finalité la défense des valeurs humai-nes, de la démocratie et des droits garantis par la Constitution espagnole, et s’inscrivant dans la luttecontre le fascisme terroriste de l’ETA et de ses complices. Ses membres sont, dans leur majorité, desintellectuels basques, essentiellement des professeurs d’université, des journalistes, des poètes, desécrivains ou des peintres, nombre d’entre eux étant menacés de mort par l’ETA et subissant les consé-quences de l’existence de formations qui, comme Batasuna, sont impliquées dans le réseau terroriste.L’un des membres du FORO ERMUA, José Luis López de Lacalle, a été assassiné par l’ETA. D’autres ontété victimes d’agressions, de tentatives d’attentats, et font l’objet d’innombrables pressions.

Par conséquent, étant donné la sensibilité dont vous avez fait preuve envers la promotion de la cul-ture basque, et puisque vous-même avez reconnu avoir été abusé par Batasuna, nous nous permettonsde vous proposer un accord s’inscrivant dans le cadre de notre engagement en faveur de la défense dela démocratie. Sur l’étape entre Pau et Bayonne, ou bien sur une étape choisie par l’organisation quevous représentez, nous pourrions, conjointement, mettre en oeuvre les initiatives suivantes :

1º) Inscrire sur les affiches officielles du Tour le slogan : “ETA NO – ETA EZ”.2º) Dédier officiellement ladite étape aux victimes du terrorisme.3º) Inclure un message condamnant la violence terroriste et défendant les libertés fondamentales.4º) Utiliser le français et l’euskara (langue basque) sur le parcours de l’étape en question.Nous pensons qu’un tel accord lavera de tout soupçon de complicité ou de tolérance envers le

terrorisme une institution centenaire comme le Tour de France, et dissipera les doutes qui au-jourd’hui subsistent chez nombre de personnes.

Le FORO ERMUA reste à votre entière disposition afin de concrétiser les différents points de cetaccord et de participer activement à l’organisation et à la mise en place des quatre initiatives pré-cédemment mentionnées. Nous sommes convaincus que, en tant que représentant du Tour de Fran-ce, vous n’ignorerez pas une proposition ayant pour objectif de collaborer à la promotion et à la dé-fense des principes démocratiques les plus élémentaires (principes qui, d’ailleurs, se sont répandussur le continent européen et dans le monde entier grâce à la France), et visant également à pro-mouvoir la culture basque dans une perspective de liberté. Nous espérons donc ne pas nous trom-per en pensant que, si un accord a été possible avec une organisation terroriste comme Batasuna,il sera beaucoup plus facile de conclure un accord avec une organisation comme la nôtre, le FOROERMUA, engagée dans la défense de la liberté et de la démocratie.

Je vous prie d’agréer, Cher Monsieur, l’expression de ma considération distinguée.

Vidal de NicolásPrésident du FORO ERMUA

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Bilbao. 13 juin 2003. Le FO-RO ERMUA demande ins-tamment aux pouvoirs pu-blics de faire respecter les ré-solutions de la Cour suprêmeespagnole concernant la dis-solution du groupe parle-mentaire héritier de Batasu-na (bras politique de l’ETA),qui s’est constitué au sein duparlement basque à Vitoria.Si le PNV (Parti nationalistebasque) et EA (Solidarité bas-que, autre parti nationaliste)s’obstinent à désobéir à la loi,qu’un procès soit engagécontre leurs responsables. Sil’on veut que le processus demarginalisation de l’ETA sepoursuive, si l’on veut pré-server le régime démocrati-que en Espagne, aujourd’huimenacé par les nationalistes,c’est là la seule solution.

Izquierda Unida (Gauche unie) nepeut prétendre esquiver ses respon-sabilités, ou plutôt sauver la face, endécidant simplement de s’absenterau moment des votes au sein del’Assemblée parlementaire de Vito-ria. Soit Izquierda Unida prend clai-rement position en faveur de laCour suprême, et par conséquentcontre ceux avec qui elle a formédes gouvernements en Euskadi, soitelle est complice, par omission, desdélits éventuels que ces dernierssont susceptibles de commettre.

Les récentes déclarations desplus hauts responsables du Partipopulaire (PP) et du Parti socialisteespagnol (PSOE), dans lesquelles ilsprécisent qu’on ne peut consentir àqui que ce soit le droit de se placerau-dessus de la loi, sont pertinen-

tes et encourageantes. Nous en-courageons ces deux partis à réaf-firmer la collaboration engagée ausein de l’Accord pour les libertés etcontre le terrorisme, et à tenir ainsitête au PNV et à EA qui provoquentdélibérément l’État de droit. Étantdonné la gravité du moment, le FO-RO ERMUA souhaite d’ailleurs féli-citer le PSOE et le PP qui, en parve-nant à surmonter leurs différends,ont permis que les constitutionna-listes renouvellent, pour quatre an-nées supplémentaires, leurs man-dats à la tête du parlement (JuntasGenerales) et du gouvernement(Diputación Foral) de la provinced’Alava, un événement qui consti-tue sans aucun doute la principalevictoire des élections du 25 maidernier.

Le FORO ERMUAdemande le respect de la loi

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[NdT] Le 27 mars 2003, la Cour Spéciale du Tribunal Suprême (Sala Especial del Tribunal Supremo) a décidé à l’unanimité de déclarer hors la loi le parti radical basqueBatasuna, ainsi que les autres noms juridiques que ce même groupe avait adoptés auparavant: Euskal Herritarrok (EH) et Herri Batasuna. Cette Cour Spéciale était for-mée par le Président de la Cour Suprême et 15 autres magistrats du même tribunal. Cette décision de déclarer hors la loi Batasuna se basait légalement sur la nouve-lle Loi des Partis Politiques, approuvée par plus de 90 pour cent du Parlement espagnol, le 27 juin 2002. Prévoyant les conséquences adverses que pouvaient entraînerpour lui les réformes législatives activées par le Gouvernement, ainsi que par le Parti Populaire (PP) et le Parti Socialiste (PSOE), en avril 2002 Batasuna avait déjà chan-gé le nom de ses groupes parlementaires au Parlement basque et en Navarre pour celui de Sozialista Aberzaleak (SA). Le nom avait changé mais les membres de SA étaientexactement les mêmes qu’avant.

Au Parlement Régional de Navarre, contrôlé par le parti de centre-droite UPN et par le PSN, le groupe abertzale a été dissous et ses membres ont dû réintégrer le grou-pe mixte de la Chambre, qu’il a fallu créer pour cette raison, vu qu’il n’existait pas avant.

Au Parlement basque, où les partis nationalistes sont majoritaires (PNV -Parti Nationaliste Basque-, EA et aussi SA), on a refusé de dissoudre le groupe parle-mentaire de SA et de placer ses membres dans le groupe mixte, en invoquant que ce groupe était indépendant du parti Batasuna qui avait été rendu hors laloi et, d’autre part, que la Cour Suprême d´Espagne n’avait aucune compétence pour décider du futur des groupes parlementaires de la Chambre de Vitoria.

Finalement, le 20 mai 2003, la Cour Spéciale du Tribunal Suprême a décidé, à l’unanimité de ses 16 magistrats, et en exécution d’une partie des mesures dela décision du mois de mars qui rendait hors la loi Batasuna, de réclamer au Parlement basque et, en particulier à son Président Juan María Atutxa, la rapi-de dissolution du Groupe Socialiste Aberzaleak, dans un délai de cinq jours.

Deux semaines après, la Chambre basque n’avait pas accepté d’appliquer cette résolution du Tribunal Suprême -sans recours possible- et son Président, JuanMaría Atutxa, avait communiqué à la Cour Suprême “qu’il ne pouvait pas exécuter” sa résolution. Pour cette raison, le 12 juin, la Chambre Spéciale a accor-dé d’envoyer l’information qu’elle a réunie sur ce cas-là au Procureur Géneral de l’État (Fiscalía General del Estado) afin qu’il détermine les délits commis parce refus d’accomplissement et les dirigeants parlementaires qui en sont responsables.

Nulle part ailleurs en son sein,l’Europe communautaire n’a été té-moin d’un acte de désobéissancesemblable à celui dont se rendentactuellement coupables les dirige-ants du PNV et d’EA à Vitoria, les-quels ne doivent pas se méprendre:si le ministère public se voit finale-ment dans l’obligation de mettre enexamen le Président du Parlementbasque, Juan María Atutxa, aucungouvernement de l’Union europé-enne n’accordera à celui-ci le moin-dre geste de compréhension. Voilàla situation d’isolement à laquelleont conduit leurs politiques antidé-mocratiques, portant préjudice auxintérêts mêmes du Pays basque.

Par ailleurs, il n’est pas étonnantque l’instabilité institutionnelle, ré-sultant de la stratégie de confron-tation permanente menée délibéré-ment par le PNV depuis des annéesvis-à-vis du Parlement espagnol, aiteu des répercussions importanteset durables sur le bien-être des ci-

toyens basques. Au cours desvingt-cinq dernières années, seuleune autre communauté autonome(la Principauté des Asturies) a affi-ché un taux de croissance écono-mique inférieur à celui du Pays bas-que. Tandis que l’Espagne, dans sonensemble, atteint réellement un ni-veau de prospérité proche à celuide l’Union européenne, grâce auxgouvernements nationalistes et àleurs alliés de l’ETA, la Communau-té autonome du Pays basque setrouve à la traîne d´Espagne depuisun quart de siècle.

La stabilité politique du Paysbasque, la survie de l’empire de la loiet le bien-être économique de notrepeuple exigent que les dirigeantsnationalistes respectent pleinementet immédiatement les résolutionsde la Cour suprême, et qu’ils suppri-ment le principal foyer de crispationpolitique, en retirant définitivementle Plan Ibarretxe et ses prétentionssécessionistes.

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Bilbao, 29 septembre 2003

Le lehendakari a levé le rideau sur ledernier acte de la pièce qui, depuisdes années, oppose le nationalismebasque à l’Espagne de la Constitu-tion et des libertés, en offrant un ul-time exemple de la traîtrise et de lafélonie dont ont toujours fait preuveles nationalistes. L’opposition de –aumoins– 50 pour 100 des Basques,des dizaines de milliers de personnescontraintes d’abandonner leur terreet d’installer leur résidence ailleursen Espagne, le fait que l’ETA, avecl’aide de Batasuna2, ait provoqué lamort de presque un millier de per-sonnes et en ait mutilé deux milleautres : rien n’a empêché le lehenda-

• Le Plan Ibarretxe est unilatéral, antidémocratique et anticonstitu-tionnel, et c’est d’une façon misérable et irresponsable que le le-hendakari [chef du gouvernement régional basque] l’a présenté de-vant le Parlement régional.

• Nous devons renforcer notre résistance et créer une étroite unitéd’action entre le PSOE (Parti socialiste) et le PP (Parti populaire).

• Pendant plus de 25 ans, les démocrates basques et espagnols onttendu à maintes reprises la main aux nationalistes, toujours à l’a-vantage de ces derniers (...). C’est aux seuls nationalistes qu’il in-combe désormais de chercher des “solutions partagées” avec lespartis et les forces démocratiques.

• Nous enjoignons les citoyens basques à se soulever contre le gou-vernement basque, qui n’écoute pas, ne discute pas, et impose lesthèses de Batasuna.

Communiqué du FORO ERMUA suiteà la présentation du Plan Ibarretxedevant le Parlement de Vitoria1

1 Ce projet, auquel le chef du gouvernement régional basque, Juan José Ibarretxe, a don-né son nom, prétend engager le Pays basque dans un processus de sécession vis-à-vis del’Espagne. [NdT].

2 Bras politique de l’ETA, mis hors la loi enen mars 2003 par la Cour suprême espag-nole. [NdT].

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kari Ibarretxe de présenter, le vendre-di 26 septembre, un projet qui re-prend les thèses de Batasuna. Et c’estavec un air satisfait, d’une façon mi-sérable et irresponsable, qu’il l’a fait.L’ancien dirigeant de Batasuna, Ar-naldo Otegi, proche de l’ETA et tou-jours plus franc que le gouverne-ment nationaliste basque, a dit unegrande vérité : le débat qui a eu lieuaujourd’hui – vendredi 26 – au seindu Parlement basque “est celui de lagauche abertzale [“patriote”, ou pro-ETA] depuis plus de 25 ans”. Et il con-clut, toujours aussi justement : “avecça, Batasuna a déjà gagné”.

Le projet politique présenté ven-dredi par Ibarretxe se situe dans lacontinuité de l’accord d’Estella-Li-zarra, signé en septembre 1998 [parle PNV, EA et Batasuna, avec l´appuiexplicite de l´ETA]. Il y a cependantune différence substantielle, c’estqu’aujourd’hui l’État de droit est surle point de mettre hors de combatl’ETA et Batasuna. Ce fait montrecombien la stratégie nationaliste,confuse et tissée d’arguments falla-cieux et de mensonges, est déplora-ble. Le Parti nationaliste basque(PNV), qui s’efforce par tous les mo-yens d’empêcher non seulement ladisparition de Batasuna, mais aussicelle de l’ETA, se situe désormais àl’avant-garde de la sédition et prendl’initiative, désireux de se réserver lapremière place dans l’Euskal Herriaindépendante3.

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Le Parti nationaliste basque(PNV), Eusko Alkartasuna [“Solidari-té basque”] et la gauche communis-te IU-Ezker Batua (qui, une fois deplus, adopte une attitude insolite etirresponsable) se disputent les voixde Batasuna, puisque cette forma-tion ne peut, depuis sa mise hors laloi, se présenter à aucune élection4,et ils ont choisi, pour ce faire, des’approprier le discours et le projetpolitique traditionnels de l’ancienbras politique de l´ETA. Ces partisdémocratiques cessent de l’être, enchoisissant d’être les tenants d’unautoritarisme ethnique dépassé eten plaçant les soi-disant “droits his-toriques du peuple basque” au-des-sus des droits de l’homme, des va-leurs civiques et des règles consti-tutionnelles et démocratiques del’Espagne moderne [et de la Répu-blique française].

Ce projet est unilatéral et anti-démocratique. Il est aussi anti-constitutionnel, et ce n’est pas làseulement l’avis unanime de tousles spécialistes du droit constitu-tionnel. Ibarretxe lui-même l’a dé-claré ouvertement : il n’a pas l’in-tention de respecter les voies etprocédures prévues par la Consti-tution pour mener à bien la réfor-me du Statut de Guernica [statutd’autonomie du Pays basque], etencore moins d’engager le proces-

3 Euskal Herria est le nom du pays imagi-naire – car il n’a jamais existé dans l’histoi-re – que tous les nationalistes basquessouhaitent actuellement imposer. La cons-truction de l’Euskal Herria suppose l’anne-xion par le Pays basque espagnol actuel(composé de trois provinces) de la commu-nauté autonome espagnole de Navarre etdes régions du Pays basque français, que lesnationalistes appellent Iparralde. [NdT].

4 Ce cas de figure s’est déjà présenté unepremière fois lors des élections municipalesdu 25 mai 2003, qui ont donc vu la dispari-tion au sein des conseils municipaux duPays basque non seulement de Batasuna entant que parti politique, mais aussi de pres-que tous les conseillers municipaux qui re-présentaient auparavant cette formation. Ilsétaient plusieurs centaines à être entrésdans les conseils municipaux du Pays bas-que lors des premières élections démocrati-ques, en juin 1979. [NdT].

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sus qui serait nécessaire pour ren-dre ladite Constitution compatibleavec ses objectifs ostensiblementindépendantistes.

Il y a déjà plusieurs mois que mê-me les conseillers juridiques du le-hendakari lui répètent tous, sans ex-ception, que ses projets vont à l’en-contre des préceptes constitution-nels. Personne ne doit se faire d’illu-sions, à commencer par le PSOE :Ibarretxe, son gouvernement et lespartis nationalistes basques nevont pas s’arrêter d’eux-mêmes enchemin. Le démantèlement de l’Étatde droit et des règles de coexistencepacifique dont les Espagnols se sontdotés ne les effraie pas.

Ibarretxe et son gouvernementse sont enfermés dans un autismeborné. Ils n’écoutent pas, ils ne dis-cutent pas. Leur projet sécession-niste défie la loi, le droit en vigueur,et le cadre constitutionnel qui ga-rantit la stabilité et la cohabitationentre tous les Espagnols. Nous n’a-vons à les convaincre de rien. Pource qui est de leur plan, il n’y arien à négocier. Le seul langagequ’ils comprennent, c’est celui de ladéfaite politique et, si nécessaire, dela défaite juridique. Il faudra com-mencer par déposer un recourscontre la décision qui sera adoptéepar le gouvernement basque le 25octobre prochain concernant la mi-se en oeuvre de ce projet.

L’expérience nous montre que,depuis la présentation, au prin-temps 2002, du projet de loi sur lespartis politiques5, l’isolement in-

ternational – et notamment enEurope – des nationalistes bas-ques est pratiquement absolu. Lesdémocrates basques et espagnolsont gagné, aussi, cette bataille.Tant que nous résisterons, claire-ment et fermement, tant que nousne transmettrons pas vers l’exté-rieur des messages confus – enconsentant que la loi soit bafouée–, nous bénéficierons de l’appui desdémocraties européennes.

Nous n’avons plus besoin de “so-lutions partagées”. Ce que nous vou-lons, c’est être libres sous l’empirede la loi. Pendant plus de 25 ans, lesdémocrates basques et espagnolsont tendu la main aux nationalistes,toujours à l’avantage de ces der-niers, toujours dans la direction queceux-ci souhaitaient imposer. Maisc’est aux nationalistes, aux seuls na-tionalistes, qu’il incombe désormaisde chercher des “solutions partagé-es” avec les partis et les forces dé-mocratiques. Ce sont eux qui doi-vent désormais corriger radicale-ment leur idéologie anachroniqueet leur stratégie antidémocratiqueen se rapprochant — pour une fois— de l’Espagne constitutionnelleet de la démocratie parlementairepour laquelle ils manifestent si peude respect.

Une telle rectification ne serapossible que quand ils serontdans l’opposition. C’est seulementquand, comme dans toute démo-cratie, les nationalistes basquesdevront abandonner le pouvoir po-litique, après l’avoir exercé de façonininterrompue pendant vingt-troisans (depuis 1980), que la cohabita-tion plurielle sera possible.

L’échec du projet présenté parIbarretxe vendredi dernier devantle Parlement de Vitoria n’est passeulement nécessaire, c’est un faitpratiquement certain. Le dénoue-ment de ce dernier acte du “conflitbasque”, que seuls les nationalistesont inventé et attisé – en appuyantBatasuna et en justifiant l’ETA – estproche, mais nous devons renfor-cer notre résistance contre la bar-barie nationaliste et créer uneétroite unité d’action entre lePSOE et le PP. Face au plus gravedanger qui ait jamais menacé l’Étatde droit espagnol depuis des décen-nies (et plus exactement depuis latentative de coup d’État du 23 fév-rier 1981), les partis nationaux nepeuvent agir autrement que defaçon responsable, comme danstoute démocratie adulte. Si l’un deces partis succombait à la tentationélectoraliste – en subordonnant seschoix à des raisons électorales dansun moment si difficile de l’histoiredu Pays basque et de l’Espagne –,nous sommes convaincus qu’il paie-rait cher le prix de cette erreur dé-sastreuse lors des prochains rendez-vous électoraux.

5 La nouvelle loi espagnole sur les partispolitiques, qui réglemente l’interdiction despartis excusant, soutenant ou justifiant leterrorisme, est entrée en vigueur en juin2002. [NdT].

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ciudadanía, civismo, coraje cívico / delincuentes, desobediencia civil, malhechores, terroristas / paz / guerra / pacifista y pa-cíficos / derecho de autodeterminación: derecho de secesión o ¿por qué no "derecho de interdependencia"? / leer, pensar ydialogar / no leer, no pensar y monologar / educar en valores o educar en el fanatismo / verdad y falsedad / ámbitos dedecisión y respeto a la pluralidad / el respeto a las minorías y el abuso de las mayorías / mayoría-minoría o mitad y mitad/ genuino vasquismo o adoctrinamiento de desarraigados / apropiaciones indebidas: vasco nacionalista / pensar con rigor,pensar con acierto / no pensar / información o desinformación / leer, ir a las fuentes, dotarse de criterio o dejarse llevar /manipulación, coartar, sobornar, atemorizar, aterrorizar, asesinar / historia o leyendas / rigor secular o delirios de anteayer/ autocrítica y responsabilidad / incapacidad para recular e irresponsabilidad / ausencia de autocrítica y victimismo / per-versión del lenguaje, falsedad, mentira, media-verdad, confusión / diálogo entre iguales: comunicación, acuerdo, consenso /diálogo impositivo: soborno, indignidad / espejismos, patrias “virtuales” / vasquismo o nacionalismo / pluralismo o monopo-lización monista / nacionalismo, racismo y xenofobia / ilustración, reflexión y rectificación / totalitarismo o democracia/ ¿gue-rra o impunidad para delincuentes y asesinos? / miedo, desconfianza, temor, terror / asustados, acomplejados, acobarda-dos, aconejados..., indignados, beligerantes / ¿fuerzas de seguridad = cuerpos de represión? / respeto a la ley, aplicación dela ley: orden y concierto / orígenes y raíces / raíces y malas hierbas / las raíces y el tronco o las ramas..., o el árbol com-pleto / educación, cultura, valores / contravalores, deformación, escuela de subversión, escuela de perversión, fábrica de te-rroristas / infundir pena, infundir miedo, infundir asco, infundir odio, o ¡infundir esperanza!... / lealtad personal, lealtad social,lealtad institucional / lealtad íntegra: compaginar lealtades / deslealtad / legítimo e ilegítimo / legal e ilegal / credibilidad, ve-racidad, infundir confianza, suscitar coraje, ayudar a discernir... / verdugos y víctimas / agredido y agresor/ gente buena yhéroes / los amordazados porque no oyen, no ven, no escuchan, no entienden: ¿necios o cobardes? / y... mercenarios y ma-tones / valores y contravalores / ideales y obsesiones / idealistas y fanáticos / genes y raíces / la mosca del vinagre y todoser humano / la fuerza de la razón, el aburrimiento de la sinrazón, la indignación contra la imposición / ¿dialogar o dejarsesobornar? / cambio o más de lo mismo / callejones sin salida: memoria antigua hipertrofiada y memoria reciente distorsio-nada / ¿procesos de pacificación o plan veraz de educación? / ciudadanía, civismo, coraje cívico / delincuentes, desobedien-cia civil, malhechores, terroristas / paz / guerra / pacifista y pacíficos / pensar con rigor, pensar con acierto / no pensar /información o desinformación / leer, ir a las fuentes, dotarse de criterio o dejarse llevar / manipulación, coartar, sobornar, ate-morizar, aterrorizar, asesinar / historia o leyendas / rigor secular o delirios de anteayer / autocrítica y responsabilidad / in-capacidad para recular e irresponsabilidad / ausencia de autocrítica y victimismo / perversión del lenguaje, falsedad, menti-ra, media-verdad, confusión / diálogo entre iguales: comunicación, acuerdo, consenso / diálogo impositivo: soborno, indigni-dad / espejismos, patrias “virtuales” / vasquismo o nacionalismo / pluralismo o monopolización monista / nacionalismo, ra-cismo y xenofobia / ilustración, reflexión y rectificación / totalitarismo o democracia/ ¿guerra o impunidad para delincuentesy asesinos? 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