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Orthod Fr 2015;86:73–81 c EDP Sciences, SFODF, 2015 DOI: 10.1051/orthodfr/2015010 Disponible en ligne sur : www.orthodfr.org Rapport Article original Ostéotomie mandibulaire orthognathique et positionnement condylien : point et innovation Mathieu LAURENTJOYE 1 *, Jérôme CHARTON 2 , Marie-José BOILEAU 3 1 Centre Hospitalo-Universitaire de Bordeaux, Service de chirurgie maxillo-faciale, Centre FX Michelet, hôpital Pellegrin, place Amélie Raba Léon, 33076 Bordeaux cedex, France 2 Laboratoire bordelais de recherche informatique, Université de Bordeaux, 351 cours de la libération, 33405 Talence cedex, France 3 Centre Hospitalo-Universitaire de Bordeaux, Pôle d’odontologie et santé buccale, Département d’orthodontie, hôpital Pellegrin, place Amélie Raba Léon, 33076 Bordeaux cedex, France MOTS CLÉS : Chirurgie / Articulation temporo-mandibulaire / Ostéotomie mandibulaire / Gouttière occlusale / Planification chirurgicale informatisée RÉSUMÉ – Les articulations temporo-mandibulaires fonctionnent en synergie avec l’occlusion dentaire, dans le cadre du système manducateur. La prise en compte du condyle mandibulaire par l’orthodontiste et le chirurgien orthognathique est fonda- mentale car un problème de positionnement condylien pourrait entraîner un trouble occlusal avec risque de récidive et un risque d’apparition, de décompensation ou d’aggravation d’une dysfonction temporo-mandibulaire. Nous avons voulu répondre à trois questions : Quelle est la position post-opératoire du condyle en chirurgie or- thognathique? Quel est l’intérêt de repositionner le condyle ? Quels sont les moyens pour contrôler la position du condyle? Enfin, à la lumière de ces réponses, nous présentons un dispositif innovant de positionnement occlusal et condylien pour les ostéotomies mandibulaires basé sur des méthodes de planification chirurgicale infor- matisées. Il s’agit d’un guide en trois dimensions imprimé permettant de positionner les condyles dans la position choisie de manière précise, simple, reproductible, indé- pendante de l’expérience de l’opérateur, mais aussi rapide et économique. KEYWORDS: Surgery / Temporomandibular joint / Mandibular osteotomy / Occlusal splint / Computer-assisted surgery ABSTRACT Orthognathic mandibular osteotomy and condyle positioning: up- date and innovation. The temporomandibular joints function in synergy with the dental occlusion within the manducatory system. Orthodontists and surgeons must take into account the condylar position since any problem related to positioning of the condyle could result in occlusal disorders including relapse and the risk of occur- rence, decompensation or worsening of temporomandibular dysfunction. We wanted to answer three questions: What is the position of the condyle following orthognathic surgery? What benefit is there in repositioning the condyle? What means are avail- able to check condylar position? Finally, in the light of the answers, we describe an innovative occlusal and condylar positioning device for mandibular osteotomies based on computer-assisted surgical planning techniques. It consists of a three- dimensional, printed guide enabling surgeons to position the condyles as desired. It is accurate, simple, reproducible, independent of operator experience as well as rapid and economical. 1. Introduction Les articulations temporo-mandibulaires (ATM) fonctionnent en synergie avec l’articulation dento- dentaire ou occlusion dentaire dans le cadre du * Auteur pour correspondance : [email protected] système manducateur. Lors de la prise en charge des dysmorphoses dentaires et squelettiques, le ré- sultat occlusal est fondamental mais l’attention doit se porter sur l’ensemble de la fonction manduca- trice. La symptomatologie clinique de l’ATM est ex- trêmement commune : douleurs, bruits articulaires, troubles de la mobilité (limitation ou déviation à Article publié par EDP Sciences

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Disponible en ligne sur :www.orthodfr.org

RapportArticle original

Ostéotomie mandibulaire orthognathiqueet positionnement condylien : point et innovation

Mathieu LAURENTJOYE1*, Jérôme CHARTON2, Marie-José BOILEAU3

1 Centre Hospitalo-Universitaire de Bordeaux, Service de chirurgie maxillo-faciale, Centre FX Michelet, hôpital Pellegrin, place AmélieRaba Léon, 33076 Bordeaux cedex, France

2 Laboratoire bordelais de recherche informatique, Université de Bordeaux, 351 cours de la libération, 33405 Talence cedex, France3 Centre Hospitalo-Universitaire de Bordeaux, Pôle d’odontologie et santé buccale, Département d’orthodontie, hôpital Pellegrin, place

Amélie Raba Léon, 33076 Bordeaux cedex, France

MOTS CLÉS :Chirurgie /Articulationtemporo-mandibulaire /Ostéotomie mandibulaire /Gouttière occlusale /Planification chirurgicaleinformatisée

RÉSUMÉ – Les articulations temporo-mandibulaires fonctionnent en synergie avecl’occlusion dentaire, dans le cadre du système manducateur. La prise en compte ducondyle mandibulaire par l’orthodontiste et le chirurgien orthognathique est fonda-mentale car un problème de positionnement condylien pourrait entraîner un troubleocclusal avec risque de récidive et un risque d’apparition, de décompensation oud’aggravation d’une dysfonction temporo-mandibulaire. Nous avons voulu répondreà trois questions : Quelle est la position post-opératoire du condyle en chirurgie or-thognathique ? Quel est l’intérêt de repositionner le condyle ? Quels sont les moyenspour contrôler la position du condyle ? Enfin, à la lumière de ces réponses, nousprésentons un dispositif innovant de positionnement occlusal et condylien pour lesostéotomies mandibulaires basé sur des méthodes de planification chirurgicale infor-matisées. Il s’agit d’un guide en trois dimensions imprimé permettant de positionnerles condyles dans la position choisie de manière précise, simple, reproductible, indé-pendante de l’expérience de l’opérateur, mais aussi rapide et économique.

KEYWORDS:Surgery /Temporomandibular joint /Mandibular osteotomy /Occlusal splint /Computer-assisted surgery

ABSTRACT – Orthognathic mandibular osteotomy and condyle positioning: up-date and innovation. The temporomandibular joints function in synergy with thedental occlusion within the manducatory system. Orthodontists and surgeons musttake into account the condylar position since any problem related to positioning ofthe condyle could result in occlusal disorders including relapse and the risk of occur-rence, decompensation or worsening of temporomandibular dysfunction. We wantedto answer three questions: What is the position of the condyle following orthognathicsurgery? What benefit is there in repositioning the condyle? What means are avail-able to check condylar position? Finally, in the light of the answers, we describean innovative occlusal and condylar positioning device for mandibular osteotomiesbased on computer-assisted surgical planning techniques. It consists of a three-dimensional, printed guide enabling surgeons to position the condyles as desired.It is accurate, simple, reproducible, independent of operator experience as well asrapid and economical.

1. Introduction

Les articulations temporo-mandibulaires (ATM)fonctionnent en synergie avec l’articulation dento-dentaire ou occlusion dentaire dans le cadre du

* Auteur pour correspondance :[email protected]

système manducateur. Lors de la prise en chargedes dysmorphoses dentaires et squelettiques, le ré-sultat occlusal est fondamental mais l’attention doitse porter sur l’ensemble de la fonction manduca-trice. La symptomatologie clinique de l’ATM est ex-trêmement commune : douleurs, bruits articulaires,troubles de la mobilité (limitation ou déviation à

Article publié par EDP Sciences

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l’ouverture buccale) et autres signes associés oto-logiques, cervicaux. . . Il s’agit souvent de dysfonc-tionnements affectant les muscles et/ou le disque etregroupés sous le terme de dysfonctions temporo-mandibulaires (DTM) présent dans 7 à 17 % chez lesenfants et 30 à 40 % chez les adultes [5]. Certainspatients dysfonctionnels présentent un trouble oc-clusal plus ou moins associé à une dysmorphosemaxillo-mandibulaire. La suppression de la maloc-clusion par « gouttières de désocclusion » est souventutile en clinique pour lever le déséquilibre mus-culaire, conséquence des contacts dentaires préma-turés et cause de ces dysfonctions. La restaurationd’un équilibre occlusal est sans doute favorable à unmeilleur équilibre musculo-articulaire.

En chirurgie orthognathique mandibulaire, laportion dentée de la mandibule (segment distal)est séparée de la branche mandibulaire portant lecondyle mandibulaire (segment proximal). Une at-tention particulière doit être portée à la positionde ce condyle pendant l’ostéosynthèse mandibulaire.Plusieurs méthodes de positionnement condylienont été décrites mais leur justification scientifique estincertaine. Pourtant, une erreur de positionnementcondylien entraînera inévitablement un trouble oc-clusal. Comme le précise Bouletreau « quelle que soitla méthode utilisée, la vérification de l’occlusion dentairepar déblocage en fin d’intervention donne une bonne idéedu replacement en bonne position ou non des condylesmandibulaires » [3]. Cette « bonne idée du replace-ment (. . . ) des condyles » élimine une mauvaise po-sition, responsable d’un trouble occlusal immédiatmais ne permet pas forcément d’affirmer la bonneposition des condyles.

La prise en compte du condyle mandibulaire parl’orthodontiste et le chirurgien orthognathique estfondamentale. Une erreur de positionnement condy-lien peut induire un trouble occlusal à l’originede compensations musculaires, ou une récidive parexemple par résorption condylienne [4].

Nous proposons de faire un point de littératuresur le positionnement condylien :

– Quelle est la position post-opératoire du condylemandibulaire en chirurgie orthognathique ?

– Quel est l’intérêt de repositionner le condyle ?– Quels sont les moyens pour contrôler la position

du condyle ?

Enfin, nous présenterons un modèle innovant, basésur les nouvelles techniques de planification virtuelle

informatisées et sur la conception de guides anato-miques 3D imprimés pour contrôler à la fois l’oc-clusion dentaire et les condyles mandibulaires lorsd’une ostéotomie mandibulaire.

2. Quelle est la positionpost-opératoire du condyleen chirurgie orthognathique ?

Chaque dysmorphose dentaire et maxillairepossède une morphologie d’articulation temporo-mandibulaire propre, tant par la forme du condyleet sa place dans la cavité glénoïde, que par la posi-tion du disque articulaire. Des variations interclassesont ainsi été décrites : le condyle est plus antérieurdans une classe II division 1 que dans une classe IIIou que dans une classe I occlusales [15]. Si l’onprend un groupe de patients, la dynamique temporo-mandibulaire est extrêmement variable [6] et quasi-ment spécifique de l’individu.

Il est démontré que la chirurgie d’ostéotomie sa-gittale des branches mandibulaires (OSBM) conduità des modifications d’orientation du segment condy-lien, avec un mouvement antérieur et inférieur (ap-pelé condylar sag).

Positionner le condyle induit la notion de posi-tion de référence, position indépendante des dents,reproductible et transférable sur un articulateur. Laplupart des études ont choisi jusqu’alors de position-ner le condyle en position dite de relation centrée,position de référence articulaire. La définition decette position de relation centrée du condyle par rap-port à la cavité glénoïde a beaucoup varié : d’abordplus postérieure, puis plus haute et actuellement an-térieure et supérieure [13].

Ce concept, peu physiologique, est aujourd’huiremis en cause. En effet, la position du fragmentcondylien après OSBM est déterminée, par la po-sition des dents et l’occlusion, ainsi que par la re-lation mutuelle et l’adaptation des fragments fixésentre eux. Mais elle devrait tenir compte égale-ment de la musculature des mâchoires. Plus ré-cemment, on a proposé une position dite myocen-trée, indépendante des appuis dentaires, associée àun tonus musculaire minimal qui semblerait êtreune position post-opératoire moins contraignantemécaniquement. Les enregistrements électromyogra-phiques nécessaires pour retrouver cette positionsemblent difficilement envisageables techniquement

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notamment pour les muscles ptérygoïdiens. De pluscette position ne serait pas reproductible [13] et nousn’avons pas retrouvé d’expérimentation de ce typedans la littérature.

La détermination de la position idéale post-opératoire du condyle reste malgré tout très contro-versée, et une réponse unique n’a actuellement ja-mais été apportée. Cette position, d’après une largerevue de la litterature de Ueki [17], devrait entraînerun remodelage post-opératoire minimal de l’ATM :« The ideal postoperative position should be the positionwhere the remodeling volume of the TMJ induced by post-operative biomechanical stress would be the smallest anddegenerative change is not induced. » Enfin, cette posi-tion idéale devrait être très peu différente de la po-sition préopératoire : « We think that the most favou-rable postoperative condylar position, including the discposition and horizontal condylar angle may not matchthe preoperative one but would not be dramatically dif-ferent except for cases with TMD or asymmetry. » Encas de DTM, Ueki ne conclut pas. Dans la majo-rité des cas, nous considérons qu’il faut traiter ladysfonction par physiothérapie pour éliminer toutesymptomatologie douloureuse avant la chirurgie.

3. Quel est l’intérêt de repositionnerle condyle ?

L’une des difficultés de l’OSBM est de contrôler laposition des condyles lors de l’ostéosynthèse. Touteavancée mandibulaire entraîne une inévitable rota-tion externe des condyles par valgisation de la valveexterne, et inversement en cas de recul [10]. Dansles années 1970, l’ostéosynthèse aux fils d’acier per-mettait, au prix d’un blocage maxillo-mandibulairepost-opératoire de six semaines, de conserver unecertaine adaptabilité de la position condylienne. Lessystèmes de fixations rigides ou semi-rigides actuelspermettent une reprise de la fonction manducatriceprécoce, mais empêchent l’adaptabilité condylienne.Il faut donc éviter toute erreur de positionnement ducondyle.

Des études de la littérature décrivent qu’une po-sition inadéquate du condyle serait à l’origine d’unplus grand nombre de reprises chirurgicales pré-coces, d’occlusions dentaires imparfaites et d’unemajoration des dysfonctions articulaires.

Même si l’intérêt à long terme du reposition-nement condylien n’a toujours pas été clairement

démontré [7], il serait triple d’après Epker [8] : amé-liorer la stabilité du résultat chirurgical, améliorer lafonction masticatoire, et réduire le risque de surve-nue de dysfonctions articulaires.

4. Quels sont les moyens pour contrôlerla position du condyle ?

Le positionnement du condyle mandibulaire,pendant l’ostéosynthèse après ostéotomie mandibu-laire, est en majeure partie réalisé manuellement, demanière empirique : « à l’estime » dans 73 % descas [3].

Cette méthode empirique [1, 10] consiste à ali-gner les bords basilaires en repoussant le seg-ment proximal condylien en haut et en arrièrepour une chirurgie de classe II. Pour une chirur-gie de classe III, les bords basilaires sont alignéssans exercer de contraintes sur le segment proxi-mal condylien. Il semble évident que la relation cen-trée « antérieure et supérieure » du condyle dans lacavité glénoïde n’est pas respectée. L’alignement dubord basilaire entraînant au moins une rotation, nepermet pas non plus de respecter la position ini-tiale du condyle. Les mécanismes d’adaptabilité ducondyle mandibulaire sont mis à contribution durantla phase post-opératoire du fait des contraintes bio-mécaniques imposées. De plus, cette méthode em-pirique est très dépendante de l’expérience de l’opé-rateur et non reproductible. Récemment, les petitesimprécisions liées à cette méthode ont pu être amé-liorées avec l’avènement des miniplaques d’ostéosyn-thèse ajustables.

Depuis plus de vingt ans se sont développéesdes méthodes instrumentales de repérage condylienavant clivage dont le but est de reproduire la positioninitiale des condyles pendant la chirurgie. Parmi cessystèmes, sont décrits :

– l’utilisation de plaques rigides de type Lühr [8,11, 14, 16] positionnées sur des repères fixes(à savoir la branche mandibulaire d’une part, etle maxillaire ou l’os zygomatique d’autre part) ;

– la chirurgie guidée par ordinateur ou la naviga-tion [8, 11, 14, 16] ;

– l’utilisation de guides 3D imprimés avec planifi-cation chirurgicale informatisée [18] ;

– l’utilisation anecdotique de l’ultrasonogra-phie [9].

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Figure 1

Patiente présentant une dysmorphose maxillo-mandibulaire en classe II hyperdivergente : bilan pré-chirurgical.

Les principales critiques concernant ces méthodesinstrumentales seraient d’augmenter le temps etle coût de l’intervention [3, 7]. Cependant, la lit-térature montre des résultats extrêmement précisinfra-millimétriques concernant le positionnementcondylien [12, 18].

Une méthode de positionnement condylien sa-tisfaisante devrait donc permettre de positionner lescondyles dans une position choisie (pré-opératoire,relation centrée ou autre) de manière précise,simple, reproductible, indépendante de l’expériencede l’opérateur mais aussi rapide et économique.Les méthodes de chirurgie assistée par ordinateurdevraient pouvoir répondre dans le futur à cescontraintes. Nous proposons un modèle préliminaireinnovant basé sur des méthodes de planification chi-rurgicale virtuelle et impression de guides osseux etdentaires 3D imprimés.

5. Quelle innovation proposerpour contrôler la position du condyle ?

Nous présentons un triple guide occlusal etcondylien. Son intérêt est la possibilité de posi-tionner en un seul temps et avec un seul guide laportion dentée de la mandibule et les deux seg-ments proximaux droit et gauche, grâce à des ailettes

anatomiques auto-rétentives. Ce guide est conçu parordinateur spécifiquement pour le patient et adaptéà son anatomie dans le cadre d’une planification vir-tuelle informatisée. Puis il est imprimé grâce à uneimprimante 3D.

5.1. Cas clinique

Nous vous proposons le cas d’une patientede 20 ans présentant une dysmorphose maxillo-mandibulaire en classe II dentaire et squelet-tique, hyperdivergente, sans dysfonction temporo-mandibulaire pré-chirurgicale. Une prise en chargeorthodontico-chirurgicale a été proposée au CHU deBordeaux. Après préparation orthodontique en vued’une chirurgie orthognathique (Fig. 1), un scannerpréopératoire a été réalisé et l’ostéotomie mandibu-laire a été planifiée virtuellement (Fig. 2).

L’intervention a consisté en une ostéotomie bi-maxillaire comportant dans un premier temps uneavancée mandibulaire de 5 mm avec recentragede 2 mm vers la gauche et, dans un secondtemps, une ostéotomie maxillaire d’impaction ver-ticale. Pour l’ostéotomie mandibulaire, un tripleguide de positionnement occlusal et condylien aété conçu de manière à s’adapter parfaitement àl’anatomie de la patiente au niveau occlusal et os-seux (Fig. 3). Ce guide a permis de positionner

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Figure 2

Planification virtuelle de l’avancée avec dérotation mandibulaire en conservant la position pré-chirurgicale et en relation centréedes segments proximaux condyliens mandibulaires.

Figure 3

Conception informatisée du guide occlusal et condylien. Ce guide est composé de trois parties : une gouttière occlusale quipositionne le segment distal denté mandibulaire et deux branches latérales amovibles. L’extrémité distale de ces branches estcomposée d’une ailette anatomiquement moulée sur la surface osseuse du segment proximal condylien mandibulaire et auto-rétentive. Ces plaques latérales positionnent ce segment en position initiale centrée tel que prévu par la planification virtuelle.

les segments proximaux condyliens dans la po-sition désirée (préopératoire en relation centrée)et le segment distal occlusal selon le mouvementprévu. Lors de l’intervention, l’ostéotomie mandibu-laire a été réalisée selon la technique d’Obweggeser-Dalpont et le guide a permis, à l’aide d’un blo-cage maxillo-mandibulaire de positionner la por-tion dentée mais aussi les deux segments proximauxcondyliens (Fig. 4). L’ostéosynthèse par vissage bi-cortical a alors été réalisée. Les branches latéralesamovibles du guide ont été retirées ainsi que leblocage maxillo-mandibulaire. Une vérification per-opératoire de l’occlusion dentaire par mobilisationde la mandibule a montré un emboîtement parfait etsans contraintes des arcades dentaires dans la partie

occlusale du guide. Puis l’ostéotomie maxillaire a étéréalisée classiquement.

5.2. Résultats

D’un point de vue clinique, les suites opératoiresont été simples avec la reprise d’une alimentationmolle à 15 jours. Aucune récidive ni dysfonctiontemporo-mandibulaire n’est survenue à deux ans del’intervention (Fig. 5).

Des radiographies classiques réalisées le lende-main de l’intervention ont montré un résultat satis-faisant (Fig. 6). Un scanner a été réalisé à cinq jourspost-opératoires. Une comparaison par mesure dedistances, entre le modèle 3D mandibulaire planifié

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Figure 4

À gauche, le guide occlusal et condylien dont les trois parties (gouttière occlusale et branches latérales) sont assemblées.À droite, le guide en bouche pendant la chirurgie : la partie occlusale positionne la portion distale dentée à l’aide d’un blocagemaxillo-mandibulaire et la branche latérale par son ailette moulée sur l’os positionne le segment proximal condylien dans laposition planifiée avant l’ostéosynthèse.

Figure 5

Résultat morphologique et occlusal post-opératoire de la patiente à un an.

et celui du résultat obtenu, nous a permis demontrer l’absence de changement de centrage ducondyle dans la cavité glénoïde dans le plan sagit-tal mais aussi une erreur moyenne globale infra-millimétrique (Fig. 7).

Ces résultats, dans ce cas, nous permettentde conclure que l’avancée mandibulaire correspon-dait parfaitement à sa planification pré-opératoire,la relation centrée condylienne était conservée et

le mouvement global du segment proximal étaitminime.

5.3. Conclusion

Le triple guide occlusal et condylien présentépermet de positionner précisément la portion den-tée de la mandibule tout en contrôlant la positiondes segments proximaux condyliens. Il répond aux

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a b

Figure 6

Comparaison radiologique (panoramique et téléradiographie de profil) : avant (en haut) et après l’intervention (en bas).

critères précités de qualité d’un dispositif de posi-tionnement condylien. Parfaitement adapté à l’ana-tomie du patient, son utilisation est simple et rapide.Le résultat obtenu est indépendant de l’expériencede l’opérateur, reproduisant la simulation virtuelle del’ostéotomie mandibulaire. Il reste modulable et aubesoin les branches latérales pouvant être retirées,il laisse toute liberté au chirurgien de reprendre lecontrôle des segments proximaux condyliens en casde besoin.

Sa conception est inspirée des plaques de posi-tionnement condylien maxillo-mandibulaires. Clas-siquement, ces plaques devaient être mises en placeavant l’ostéotomie mandibulaire pour repérer la po-sition initiale de la branche et du condyle mandibu-laire. L’utilisation de ces plaques nécessitait une in-cision, un fraisage et un vissage maxillaire inutileslors d’une ostéotomie mandibulaire isolée. L’origina-lité de ce guide se trouve dans l’insertion (amovible)des branches (qui remplacent les plaques) directe-ment sur le guide occlusal. Il n’y a alors plus besoinde réaliser incision, fraisage, vissage maxillaire ni de

mettre en place les plaques avant l’ostéotomie man-dibulaire. En effet, les branches présentent à leur ex-trémité distale une ailette anatomique auto-rétentivemise en place après l’ostéotomie et avant de réaliserl’ostéosynthèse.

Les résultats concernant la précision du position-nement osseux et occlusal, mais plus encore le ré-sultat clinique à plus de deux ans, nous permettentde penser que cette méthode innovante et simpled’assistance informatisée à l’ostéotomie mandibulaireest une piste de recherche intéressante. De nom-breux points restent à améliorer, notamment le des-sin des ailettes latérales. Des séries comparatives depatients doivent être réalisées afin d’étudier l’intérêtà la fois technique per-opératoire (simplicité d’utili-sation, gain de temps. . .) mais aussi clinique, notam-ment concernant la fonction temporo-mandibulaire.

En 2003, Bill avait montré, pour des patientsprésentant des dysfonctions temporo-mandibulairespré-opératoires, que la mise en relation centréedu condyle par plaques maxillo-mandibulaires pen-dant la chirurgie améliorerait significativement le

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a b

c dFigure 7

Analyse des résultats. (a) Maillage 3D issu du scanner post-opératoire précoce. (b) Vue latéro-supérieure, recalage des maillages3D du résultat post-opératoire (en gris) et de la planification de segment distal denté (en rouge) et des segments proximauxcondyliens (en bleu). À noter l’absence de déplacement antéropostérieur condylien dans le plan sagittal entre la planificationet le résultat post-opératoire. (c) Mesures de distances entre la planification et le résultat post-opératoire. Noter une différenceinfra-millimétrique globale et comprise entre –0,09 mm et 0,09 mm dans le plan sagittal au niveau condylien. (d) Superpositionsstructurales générales céphalométriques : tracé initial (noir), pré chirurgical (bleu), fin de traitement (rouge). A noter la coïncidencedes images condyliennes.

résultat clinique comparativement à la méthode em-pirique [2]. Même si la méthode empirique reste laplus utilisée avec des résultats occlusaux et condy-liens satisfaisants mais liés à l’expérience du chirur-gien, l’évolution constante des techniques, notam-ment grâce aux méthodes informatisées, nous pousseà chercher de nouvelles solutions pour améliorer nosprises en charge.

RemerciementsAu Dr Aurélie Robert, orthodontiste à Tarnos, qui

a réalisé la préparation orthodontique du cas pré-senté.

Conflit d’intérêtLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt

concernant les données publiées dans cet article.

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