olitiques p en haÏti a quand la rupture...
TRANSCRIPT
Roland Bélizaire
Une publication du
Programme de Plaidoyer pour une
Intégration Alternative
POLITIQUES PUBLIQUES EN HAÏTI:
A QUAND LA RUPTURE AVEC LA DÉPENDANCE ?
Analyse produite par le Professeur Roland Bélizaire
Coordination
Ricot Jean Pierre, Directeur de Programme de Plaidoyer pour
une Intégration Alternative (PPIA) de la Plateforme Haïtienne
de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA)
Imprimerie
Imprimerie Lakay - Port-au-Prince
Mise en page
Joris Willems
Supporté par
Juillet 2010
Table des matières
LISTE DES ABRÉVIATIONS
PRÉFACE
INTRODUCTION
PROBLÉMATIQUE DE LA DÉFINITION DES POLITIQUES PUBLIQUES
EN HAÏTI À L'HEURE DE LA "RECONSTRUCTION"
GOUVERNANCE ÉCONOMIQUE ET PAUVRETÉ: PRINCIPAUX AXES DE
POLITIQUE PUBLIQUE EN HAÏTI DURANT LES 20 DERNIÈRES
ANNÉES
PDNA: NOUVEAU CADRE DE COOPÉRATION ? OU DE
DOMINATION ?
A QUAND LA MISE EN PLACE DE VÉRITABLES POLITIQUES
PUBLIQUES EN HAÏTI
CONCLUSION
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
9
13
19
21
31
39
49
57
61
7
Liste des abréviations
ALBA Alternatives Bolivariennes pour les Amériques
APD Aide Publique au Développement
APE Accords de Partenariat Economique
BID Banque Interaméricaine de Développement
BRH Banque de la République d’Haïti
CABF Comité d’Appui des Bailleurs de Fonds
CCI Cadre de Coopération Intérimaire
CEPAL Commission Economique pour l’Amérique Latine
CIRH Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti
CSCCA Cours Supérieure des Comptes et du Contentieux
Administratif
CSLP Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté
DALA Damage and Loss Assessment (Evaluation des
Dommages et Pertes)
DPP Document de Politique Publique
DSNCRP Document de Stratégie Nationale pour la Croissance
et la Réduction de la Pauvreté
DSRP Document Stratégique pour la Réduction de la
Pauvreté
FAS Facilité d’Ajustement Structurel
FASR Facilité d’Ajustement Structurel Renforcé
FMI Fonds Monétaire International
FRPC Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la
Croissance
HOPE Haitian Hemispheric Opportunity through Partnership
Encouragement (HOPE) Act
IDE Investissements Directs Etrangers
IFI Institutions Financières Internationales
MDE Ministère de l’Environnement
MINUSTAH Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti
ONG Organisation Non-Gouvernementale
PAM Programme Alimentaire Mondial
PARDN Plan d’Action pour le Relèvement et le Développement
National
PAS Programme d’Ajustement Structurel
PDNA Post Disaster Needs Assessment (Evaluation des
Besoins Post-Désastres)
PIB Produit Intérieur Brut
PME Petites et Moyennes Entreprises
PPTE Pays Pauvres Très Endettés
9
PURE Programme d’Urgence et de Relance Economique
SNGE Système National de Gestion de l’Environnement
TCA Taxe sur Chiffre d’Affaires
UE Union Européenne
10
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
Préface
Aujourd'hui 12 juillet 2010, 6 mois après le séisme du 12
janvier la Plateforme haïtienne de Plaidoyer pour un
Développement Alternatif (PAPDA) vous soumet cette réflexion
élaborée par un collaborateur de notre réseau, le courageux
économiste Roland Bélizaire. Le travail de Roland Bélizaire
soulève des questions essentielles sur la nature des politiques
publiques mises en place au cours des dernières années dans
notre pays qui ne se distinguent que par des sigles différents
mais qui s'inscrivent toutes dans la logique des paradigmes du
néolibéralisme.
Elles ont contribué à affaiblir les institutions de notre pays tant
au plan étatique que dans l'univers des organismes sociaux.
Elles ont toutes affaibli les secteurs productifs en augmentant
de façon dramatique l'insécurité alimentaire, la violation
constante des droits élémentaires de la population et la
dépendance de notre pays face aux Institutions Financières
Internationales et aux puissances impérialistes.
Ce travail permettra de commencer à jeter un regard
d'ensemble sur ces diverses politiques et l'excellent travail de
Roland Bélizaire nous fournit des instruments d'analyse pour
les comprendre à partir de leur logique intrinsèque tout en
illuminant le chemin pour la construction de vraies alternatives.
Nous tenons à saluer l'effort fourni par quelqu'un qui, depuis
plusieurs années, accompagne les mouvements sociaux de
notre pays en leur fournissant à la fois un éclairage théorique
en rupture avec le fondamentalisme du "marché". Il fustige la
pensée unique médiocre dominante qui ne se fatigue pas de
répéter les dogmes éculés du FMI et du consensus de
Washington même après le cinglant échec mis en lumière par
la violente crise mondiale de 2008. Les travaux de Bélizaire
offrent aussi aux mouvements sociaux des instruments
méthodologiques facilitant le nécessaire travail de
déconstruction de ces orientations qui ne parlent que de
"compétitivité" et prêchent l'intégration subalterne aux besoins
13
Préface
du marché capitaliste mondial en acceptant le rôle de sous-
périphérie et de pays poubelle dans lequel de nombreux
"experts" tentent de nous enfermer. L'entêtement de ces
thuriféraires du néolibéralisme est surprenant face aux
retentissants échecs de ces politiques dans notre pays et aux
volte-face amorcés par les plus ardents élèves de Milton
Friedman et de Hayek après la débâcle du système financier
amorcé avec la crise des sub-prime en 2008 aux USA.
L'effort de Roland Bélizaire est d'autant plus remarquable
puisque il intervient à peine quelques semaines après la
tragédie du 12 janvier qui a causé tant de pertes irréparables
parmi ses proches. Il a pu rapidement reprendre son efficace
travail de critique des politiques économiques en vigueur dans
notre pays. Toute l'équipe de la PAPDA s'incline devant la
mémoire de Sandino et de Rody Bélizaire cruellement enlevés
à l'affection de leur père le 12 janvier au cours de cette
monstrueuse hécatombe.
Le texte que nous publions aujourd'hui sera, nous l'espérons,
un outil de débats et d'analyses pour tous ceux et toutes celles
qui veulent s'adonner à la difficile tâche de création de
nouvelles conditions qui ouvriront la voie à l'émergence de
politiques publiques participatives dans le cadre d'un autre
appareil d'État capable d'empêcher la réédition du 12 janvier.
Nous devons embrasser nos responsabilités pour éviter que
des phénomènes naturels (cyclones, inondations, éruptions
volcaniques, liquéfaction des sols et éboulements, raz-de-
marée, érosion des côtes, séismes ...etc) se transforment à
nouveau en catastrophes sociales à cause des structures de
notre société et de la nature de l'État. Ce texte réclame des
ruptures qui seules peuvent rendre possible une nouvelle Haïti.
Nous dédions ce travail aux nombreuses victimes injustement
fauchées le 12 janvier et les jours suivants. Nos pensées vont,
en particulier, à ceux et celles qui nous ont laissé en cours de
route, nous pleurons leur cruelle absence mais chaque jour
nous sommes nourris par leur immense héritage, leur
créativité, leur détermination et leur engagement sans faille
dans le combat pour une nouvelle Haïti.
14
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
Nous saluons respectueusement :
- l'agronome Abraham Sheperd qui a porté la PAPDA sur les
fonds baptismaux et qui était membre du Comité de
coordination quand il nous a laissé le 24 mars 2003 dans des
circonstances non encore élucidées.
- le grand poète Jacques Roche qui s'était donné corps et
âme dans le combat pour l'élimination de la dette externe de
notre pays et auteur du fameux "Vent de Maribahoux", long
poème épique témoignant du combat mené avec les
producteurs de la région contre l'implantation d'une zone
franche sur la frontière avec la République Dominicaine.
Jacques Roche a été sauvagement torturé puis assassiné le 10
Juillet 2005.
- Le brillant agronome et sociologue Jean Anil Louis Juste,
assassiné en pleine rue ce même 12 janvier 2010. Janil a
longuement collaboré avec la PAPDA dans divers programmes,
il a notamment produit un texte sur la privatisation de
l’enseignement dans notre pays que nous avons publié. Très
présent auprès des organisations paysannes ce brillant
intellectuel marxiste, professeur dans diverses facultés de l’UEH
et disciple de la vision dessalinienne, a élaboré une production
théorique importante et a animé comme militant des luttes
sociales de grande envergure comme celle menée pour
l’augmentation du salaire minimum au cours de l’année 2009.
- L'agronome Fruck Dorsainvil, jeune cadre brillant et militant
enthousiaste, représentant la ANDAH à l'Assemblée Générale
de la PAPDA, disparu dans les décombres de son Bureau en
compagnie de 2 collègues le 12 janvier 2010.
- La grande militante féministe, Anne Marie Coriolan, Co-
fondatrice de 2 organisations membres de la PAPDA, le CRAD
et la SOFA et qui a passé une grande partie de sa vie au service
de la défense des droits des femmes et du renforcement des
structures des organisations de base. Elle a également disparu
dans les décombres de sa résidence de la Ruelle Roy le 12
janvier dernier.
15
Préface
- La grande militante Dadoue Printemps qui a consacré une
grande partie de sa vie à l'animation des organisations
paysannes et a joué un rôle fondamental dans la structuration
de la Fédération d'organisations paysannes dénommée Tèt
Kole Ti Peyizan Ayisyen (TK) et a impulsé la mise en place de
nombreuses Ti Legliz. Elle est tombée sous des balles
assassines le 24 avril 2010.
Nous vous saluons avec respect et émotion. Honneur et
respect. Nous vous remercions pour la force renouvelée que
vous nous insufflez tous les jours pour poursuivre le bon
combat. Nous vous dédions ce texte de Roland Bélizaire qui est
un gage non équivoque de notre détermination à suivre les
traces que vous avez généreusement tracées et qui
continueront toujours à guider nos pas.
Port-au-Prince, 12 juillet 2010
Camille Chalmers
Directeur Exécutif de la PAPDA
16
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
Introduction
A l’heure de la « reconstruction » ou de la « refondation »
d’Haïti après le 12 janvier 2010, le mouvement social haïtien
devrait être à l’avant-garde pour canaliser les aspirations de la
population haïtienne en matière de politiques publiques. Cela
devrait se concrétiser en faisant pression sur l’Etat afin qu’il
redéfinisse ses interventions, en tenant compte de ses
aspirations, dans les différents domaines économique, social,
culturel, environnemental et ceci, dans un cadre de
coopération et de planification cohérent et stratégique.
Cependant de façon séculaire et chronique, il n’est jamais
question en Haïti que la population, particulièrement, les
classes laborieuses rurales et urbaines participent à
l’élaboration des politiques publiques. Dans la réalité,
notamment pendant la première décennie des années 2000, si
politique publique existe, elle est définie par des « experts »
des institutions financières internationales (IFI), des
représentants des missions diplomatiques et organisations
internationales accréditées en Haïti, accompagnés de quelques
bureaucrates/technocrates et politiciens haïtiens et de soi-
disant membres de la société civile.
Toutefois, il faut souligner que, de cette horde, les grandes
orientations en matière de politique publique, viendraient des
IFI et des puissances occidentales, parce qu’elles sont
détentrices des ressources financières et prétendument de
l’expertise nécessaires à la concrétisation de la politique
publique en question.
Or l’appui de cette dite communauté internationale que
représentent les IFIs et les puissances occidentales, est
toujours conditionné par un ensemble de mesures visant
essentiellement à maintenir les pays dits du Tiers Monde dans
la dépendance et sous leur domination. Des Programmes
d’Ajustement Structurel au Consensus de Washington, leur
domination s’opère aujourd’hui, à travers des programmes de
« saine gouvernance économique » ou de lutte contre la
pauvreté.
19
Introduction
Ainsi, après le Programme d’Urgence et de Réhabilitation
Economique (PURE-I et II, 1994-2004), le Cadre de
Coopération Intérimaire (CCI, 2004-06), le Document de
Stratégie Intérimaire pour la Réduction de la Pauvreté
(DRSP-I, 2006-08), le Document de Stratégie Nationale
pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté
(DSNCRP, 2008-10), les derniers documents de Politique
Publique (DPP) en date, sont le Post Disaster Needs
Assessment (PDNA) et le Plan d’Action pour le
Relèvement et le Développement National (PARDN). Ces
deux documents accouplés à la Commission Intérimaire de
Reconstruction d’Haïti (CIRH) font montre, une fois de plus, de
la dépendance d’Haïti et du poids de la dite communauté
internationale comme conséquence de l’affaiblissement de
l’Etat. L’analyse de ces différents documents de politique
publique et de leurs conséquences catastrophiques sur le bien-
être de la majorité de la population haïtienne, met en évidence
la nécessité de penser autrement et de façon totalement
alternative la politique publique dans le pays.
Dans cette optique, dans un premier temps, nous essaierons
dans ce document d’analyser la problématique de la définition
des Politiques Publiques en Haïti, suivie par la question de la
gouvernance économique et de la lutte contre la pauvreté,
deux nouveaux concepts choyés par les institutions financières
internationales. Le clou de la réflexion concerne d’une part, le
PDNA et le PARDN, les nouveaux documents de Politique
Publique et d’autre part, l’alternative à construire pour sortir le
pays de cette logique de politique publique artificielle, taillée
sur mesure, antipopulaire, antidémocratique et dictée de
l’extérieur.
20
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
Problématique de la définition des politiques publiques en Haïti à l’heure de la «reconstruction»
1. Problématique de la définition des
politiques publiques en Haïti à l’heure de la
«reconstruction
i
»
L’énormité des dégâts enregistrés dans le pays suite au séisme
du 12 janvier 2010 crée proportionnellement de grosses
attentes chez les populations victimes directes (Port-au-Prince,
Carrefour, Pétion-Ville, Delmas, Tabarre, Cité Soleil et Kenscoff,
Léogâne, Petit-Goâve, Grand-Goâve et Jacmel) et les
populations des autres villes de provinces comme Cap-Haitien,
Hinche et Gonaïves qui reçoivent des flux importants de
personnes déplacées. La population s’attendait à ce que l’Etat
haïtien intervienne de façon ponctuelle pour aider les victimes,
pour mettre en place un plan de gestion des centres de refuge,
mais surtout pour définir enfin des plans de développement
viables et participatifs afin d’éviter dans le futur qu’autant de
personnes ne soient victimes de ces phénomènes naturels.
Illusion et déception sont le lot quotidien des victimes qui
assistent à une absence quasi-totale de l’Etat et de ses
appareils dans un contexte difficile mais aussi riche en
opportunité de transformation. Pourquoi ?
Une réponse serait que : ce que l’Etat haïtien n’avait pas réussi
à faire en faveur de la population pendant les vingt dernières
années, il ne saurait le faire en quelques jours ou quelques
mois et surtout, il ne saurait le faire volontiers. En effet, le
caractère antipopulaire de l’Etat haïtien est indiscutable. Même
au cours des années 2000, il est marqué par un certain
populisme, particulièrement lors du second mandat d’Aristide
(2001-04), son adhésion totale, délibérée et aveugle aux
dogmes et politiques néolibéraux, le confirme.
Ainsi, de façon plus précise, le séisme du 12 janvier, par ses
impacts dévastateurs en termes sociaux, économiques,
matériels, infrastructurels et environnementaux, tend à
21
i. Il faut souligner que la PAPDA, comme entité du mouvement social haïtien rejette le
concept «reconstruction » pour adopter de préférence la «construction alternative ». Ce
concept est défini dans un document qui sortira sous peu sous le titre : «Haïti, les défis de
la Construction Alternative » sous la plume du professeur Camille Chalmers, Directeur
Exécutif de la PAPDA.
remettre en question les politiques publiques en vigueur dans
le pays
1
, particulièrement, au cours cette première décennie
des années 2000 et par voie de conséquence, la nature de
l’Etat. Le PDNA révèle que du point de vue humain « Environ
1,5 millions de personnes, représentant 15 % de la population
nationale, ont été affectées de façon directe. Plus de 220000
personnes ont perdu la vie et plus de 300 000 ont été
blessées. Des milliers de personnes ont besoin d’un appui
psychologique ou d’un encadrement psychosocial. Environ 1,3
millions de personnes vivent dans des abris provisoires dans la
zone métropolitaine de Port-au-Prince et plus de 500 000
personnes ont quitté les zones sinistrées pour trouver refuge
dans le reste du pays. »
2
Au niveau des infrastructures : « La destruction des
infrastructures est massive. Environ 105 000 résidences ont
été totalement détruites et plus de 208 000 endommagées.
Plus de 1 300 établissements d’éducation, plus de 50 hôpitaux
et centres de santé se sont effondrés ou sont inutilisables. Le
port principal du pays est rendu partiellement inopérant. Le
Palais présidentiel, le Parlement, le Palais de Justice, la
majorité des bâtiments des Ministères et de l’administration
publique sont détruits »
3
Enfin de façon globale : « La valeur totale des dommages et
des pertes causés par le tremblement de terre du 12 Janvier
2010 est estimée à 7,804 milliards de dollars US1 , ce qui
équivaut à un peu plus que le produit intérieur brut du pays en
2009. De fait, depuis 35 ans d’application de la méthodologie
d’estimation des dommages et des pertes DALA, c’est la
première fois que le coût d’un désastre est aussi élevé par
rapport à la taille de l’économie d’un pays. »
4
Ce niveau de gravité de la situation globale du pays atteste de
la nécessité de l intervention de l Etat ou de la mise en place
de véritables politiques publiques.
Précisons rapidement le concept de « politique publique »
5
.
La politique publique peut être définie comme l’élaboration des
22
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
programmes d’actions de l’Etat dans les différentes sphères de
la société : économique, sociale, culturelle, environnementale
etc. Ainsi, elle est donc sectorielle comme la politique publique
dans le domaine de la santé, de l’éducation ou de logements
sociaux. Cependant, même s’il existe des politiques publiques
sectorielles, la politique publique est indissociable et
indivisible. Dans le sens, qu’elle cherche fondamentalement à
apporter une réponse globale, totale aux problèmes de
développement d’un pays. Le débat sur l’indivisibilité de la
politique publique est pareil à celui sur les droits humains, en
ce qui a trait à l’unicité des droits civils et politiques et ceux
économiques, sociaux culturels et environnementaux. Aussi,
toute politique publique pour être efficace doit reposer sur les
éléments suivants :
a)La cohérence entre les différents programmes et
actions sectoriels. L’Etat, tel dans le cas d’Haïti, ne peut
en même temps prétendre vouloir augmenter la production
nationale sans prendre des mesures appropriées pour la
protéger. La réalité nous montre le grand fossé qu’il y a
donc, entre les discours et les pratiques de l’Etat haïtien qui
met en place des politiques macroéconomiques de
libéralisation tous azimuts tout en tenant un discours sur la
protection de la production nationale.
La recherche de cette cohérence doit être tant ex-ante,
c'est-à-dire au moment même de la mise en place des
politiques publiques et ex-post, à travers les résultats
futurs attendus. Or, dans le cas de tous les documents de
« politique publique » que nous allons analyser, l’une de
leurs faiblesses est cette incohérence qui frise la
démagogie. L’une des principales causes est que, ce qui
intéresse au premier chef les institutions internationales qui
supportent financièrement ces programmes, est la stabilité
macroéconomique ; les autres questions sociales et
environnementales importent peu à leurs yeux, sauf si elles
sont liées au marché :
b)Le diagnostic des différents secteurs d’intervention
de l’Etat s’impose. Ici, la méthode utilisée pour produire un
Problématique de la définition des Politiques publiques en Haïti à l’heure de la «reconstruction»
23
diagnostic a de nombreuses influences sur le diagnostic lui-
même et sur la définition des politiques publiques ou de la
politique publique. En ce sens, la méthode va indiquer si la
politique publique va répondre aux besoins réels de la
population ou aux idées préconçues des experts (dans la
majorité des cas étrangers), à leurs appréhensions et
préjugés portés sur la réalité. Dans la mesure que le
diagnostic est orienté vers la population, il peut répondre
davantage à la demande et non d’abord à l’offre de services
ou de biens qui peuvent ne pas correspondre aux besoins
réels de la population.
A l’heure de la «reconstruction
ii
», quelles consultations ont
été faites auprès des populations locales, des victimes, des
collectivités territoriales, des universitaires, des
organisations paysannes et socioprofessionnelles avant
d’accoucher le PDNA et le PARDN? Le PDNA est structuré
suivant la méthode DALA
6
de CEPAL, qui aide à chiffrer les
dégâts matériels, mais à partir de quoi a-t-on évalué les
besoins ? Parmi les dégâts, a-t-on pris en compte le niveau
de frustrations de la population ? Son rejet de l’état actuel
de gestion de la période d’urgence et des modes
d’interventions du pouvoir public ? Peut-on chiffrer ce
déchirement social qui frappe presque toutes les familles
haïtiennes? Le diagnostic à la base du PDNA souffre donc de
beaucoup de limitations.
c)La légitimité du pouvoir politique en place
7
. Les
pouvoirs résultant des joutes électorales et
démocratiques jouissent d’une certaine légitimité et d’un
favori de la part de la population leur permettant de mettre
en place des politiques publiques avec plus de
facilité. Mais , généralement , dans le cas des pays comme
Haïti , ces politiques publiques sont contraires aux attentes,
aux espérances, aux revendications de la majorité de la
population. Aussi, le FMI, avec ses Programmes
d’Ajustement Structurel(PAS), n’a-t-il pas rendu certains
gouvernements ou hommes politiques qui jadis étaient
considérés comme «populaires », très impopulaires par la
24
ii. Nous empruntons ici le vocable cher aux IFI et du Gouvernement haïtien
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
suite, soit au sein de leur parti et/ou au sein de la
population. C’est le cas de maints gouvernements latino-
américains, européens et africains pendant la décennie 80-
90. C’est également l’expérience avec Jean Bertrand
Aristide (première version) et René Préval durant ses deux
mandats (1996-2001 / 2006-2010). Le Président Préval, sur
la base qu’il est légitimement au pouvoir, croit qu’il peut
tout se permettre et même marchander le pays et tout ce
qu’il renferme, population comprise. Avec la complicité du
Parlement haïtien, il fait prolonger l’état d’urgence afin de
mieux asseoir « son » PDNA et garantir que suite en sera
donnée par son successeur. Ce qui fait que la légitimité du
pouvoir devient un élément très peu probable de réussite de
la politique publique.
d)Indépendance financière et politique. L’adage « qui
finance, commande », demeure vrai dans la réalité
haïtienne et dans maints pays appauvris et dominés. Dans
la réalité, un gouvernement populaire ou progressiste ne
peut élaborer et mettre en place des politiques publiques
progressistes, s’il ne possède pas les moyens internes de
financement et les ressources humaines et techniques
nécessaires ; s’il n’est pas politiquement un Etat souverain.
La capacité de financer sa propre politique de
développement est l’une des conditions sine qua non de sa
réussite. Dans le cas haïtien, cette indépendance financière
et politique n’est qu’un objectif à atteindre. Dans le cadre
stratégique du PDNA, il est mentionné que : « […] le Plan
propose la mise en place d’une Commission intérimaire pour
la Reconstruction d’Haïti et qui deviendra en temps
opportun l’Agence pour le Développement d’Haïti ainsi qu’un
Fonds Fiduciaire Multi-Bailleurs qui permettront l’instruction
des dossiers, la formulation des programmes et projets,
leurs financements et leurs exécutions, tout cela dans une
approche coordonnée et cohérente. Le Plan porte
prioritairement sur les activités financées par l’aide publique
au développement puisqu’il s’agit d’une conférence de
donateurs. Il laisse cependant une large place aux autres
intervenants du secteur privé et des ONG qui sont des
opérateurs incontournables du renouveau d’Haïti. Il propose
Problématique de la définition des Politiques publiques en Haïti à l’heure de la «reconstruction»
25
un cadre macro-économique axé sur la croissance et un
train de mesures qui faciliteront la création de richesses par
le secteur privé
8
. »
« L’argent c’est le nerf de la guerre », là réside l’un des
principaux problèmes de définition des politiques publiques
haïtiennes. Ces dernières sont totalement conditionnées par
l’Aide Publique au Développement (APD) qui a montré ses
limites dans le financement du développement des pays et
dans la durabilité des financements.
C’est sur cette base que P. Collier dans son rapport sur Haïti
soutenait : « Il est complètement irréaliste de penser que le
gouvernement d’un État fragile pourrait concevoir une telle
stratégie sans aide. C’est précisément parce que la
communauté des donateurs est partie du principe erroné selon
lequel la conception d’une stratégie économique relève du seul
gouvernement que la sécurité économique n’a pas emboîté le
pas à la sécurité militaire et à la sécurité politique. Une
stratégie économique ne peut être mise au point par le
gouvernement seul. La raison en est en partie qu’il s’agit d’un
travail technique pour lequel les gouvernements ne sont ne
sont généralement pas équipés
9
. »
Donc, d’après ce schème de pensée, la présence de la Mission
des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MIINUSTAH) ne
suffit pas, il faut totalement infantiliser l’Etat haïtien. Et Collier
poursuit : « Surtout, le Gouvernement haïtien, ne contrôle pas
tous les éléments qui doivent entrer dans toute stratégie pour
que celle-ci soit viable : des éléments essentiels de la stratégie
dépendent en effet des donateurs, du Conseil de sécurité, des
investisseurs privés – locaux et internationaux – et du
Parlement. À un moment ou à un autre le Gouvernement doit
certes se prononcer sur les éléments qui relèvent de son
pouvoir, mais comme la réussite de l’entreprise dépend de
décisions interdépendantes prises par plusieurs acteurs
différents, il ne peut se prononcer tant qu’il ne sait pas ce que
comptent faire les autres acteurs clefs
10
»
26
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
En d’autres termes, Collier relègue au second rang le rôle du
gouvernement haïtien dans la définition de la stratégie
économique ou de la Politique publique à mettre en place,
parce que ce n’est pas lui le détenteur des voies et moyens de
sa mise en œuvre.
De fait, les politiques publiques en Haïti, si politiques publiques
existent, ont été toujours une dictée des institutions
financières internationales dont le FMI, la Banque mondiale,
l’Union européenne, etc. Les différentes lettres d’intentionviii
du gouvernement adressées au Directeur du Fonds Monétaire
International l’attestent.
En effet, du Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) au PDNA,
en dépit de la recherche d’un certain décor participatif, les
Institutions Financières internationales et les puissances
capitalistes restent un poids lourd dans la définition des
Programmes d’Actions du Gouvernement ou de sa « Politique
Publique ». Le tableau ci-dessous en présente une synthèse:
Problématique de la définition des Politiques publiques en Haïti à l’heure de la «reconstruction»
27
Document
Implications des acteurs locaux
Cadre de
Coopération
Intérimaire
L’élaboration du CCI résulte d’un dialogue
constant et d’un travail conjoint avec les
autorités du Gouvernement de transition et, au
niveau des groupes thématiques, avec les
ministères sectoriels et les représentants de la
société civile
Document de
Stratégie
Nationale
pour la
Croissance et
de Réduction
de la
Pauvreté
(DSNCRP)
Son élaboration a bénéficié, d’après les
rédacteurs dudit document, d’un large
processus participatif incluant les principaux
acteurs étatiques et non-étatiques garantissant
son appropriation par l’ensemble de la
population.
Post Disaster
Needs
Assessment
(PDNA)
Le gouvernement a dirigé chacune des équipes
thématiques qui avaient la responsabilité de la
collecte et de l’intégration des données sur les
dommages, les pertes, l’impact du séisme sur
le développement humain et les besoins post-
désastre pour la reconstruction et la
refondation du pays.
Tableau 1: Implications différenciées des acteurs internationaux et des acteurs locaux
dans l’élaboration des soi-disant Politiques Publiques
28
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
Implications des acteurs internationaux
Le Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) exprime le
programme du Gouvernement d’Haïti en réponse à la situation
difficile que traverse le pays. Il traduit la nécessité de redéfinir
l’appui de la communauté internationale à travers
l’identification conjointe des besoins et la mise à disposition de
financements pour la période de transition (2004 -2006)
Ce document fournit le cadre qui doit permettre à nos
partenaires internationaux d’ajuster leurs programmations
pour répondre adéquatement aux besoins du pays. Il est à
retenir que la mise en œuvre de cette stratégie sera d’autant
mieux facilitée que nous parviendrons à concrétiser cette
nouvelle façon de coopérer sur laquelle nous nous sommes
engagés à Port-au-Prince en juillet 2006.
Le Comité d’Appui des Bailleurs de Fonds (CABF) a servi de
structure d’accompagnement et d’appui au processus
d’élaboration du DSNCRP complet. Il était composé des
représentants résidents de sept (7) agences bilatérales et
multilatérales d’aide au développement en Haïti avec pour
mission de favoriser la coordination, l’harmonisation des
interventions des bailleurs dans le processus de préparation et
d’élaboration du DSNCRP.
Cette évaluation a été réalisée sous la supervision de l’Equipe de
Gestion de Haut Niveau dirigée par le Premier Ministre et dont les
membres comprenaient : le Coordonnateur Résident et
Humanitaire des Nations Unies, un représentant de l’Envoyé
spécial des Nations Unies en Haïti, le Chef de Mission de la Banque
mondiale, le Représentant Résident de la BID, trois représentants
du G11 et le Chef de Délégation de l’Union européenne. L’Equipe
de Gestion a fourni des conseils stratégiques et assuré la mise à
disposition des ressources nécessaires tout au long du processus.
Le gouvernement d’Haïti, la Banque Mondiale, le Banque
Interaméricaine de Développement, l’Union Européenne et les
Nations Unies tiennent à remercier en particulier le gouvernement
de la Suède, de la Suisse, du Luxembourg et la Commission
européenne pour leur soutien financier au PDNA.
Source : tableau réalisé à partir des informations tirées des différents documents : CCI,
DSNCRP ET PDNA
Problématique de la définition des Politiques publiques en Haïti à l’heure de la «reconstruction»
29
Cependant, il faut souligner que ces différents documents ne
sont en fait que des cadres très incomplets de politique
publique. Malheureusement, souvent la Politique générale du
Gouvernement haïtien en découle et donc sans qu’aucun
diagnostic sérieux n’ait été fait des secteurs, sans qu’aucune
politique publique sectorielle n’ait pu être établie.
Résultats: l’Etat haïtien met en œuvre des politiques publiques
totalement conditionnées par l’Aide Publique au
Développement dans une logique d’urgence et de croissance
économique. Des politiques publiques qui sont
fondamentalement antipopulaires et non-démocratiques,
incomplètes et incohérentes, qui ne concernent en réalité que
le court et moyen terme, qui font empirer la situation de la
population et enliser l’administration publique dans une
inefficacité chronique. De ce fait, l’Etat devient un Etat pompier
perdant ainsi tout mécanisme lui permettant de planifier le
développement du pays à long terme.
Même quand le Plan de Relèvement fait référence à un
programme sur dix ans
11
: « Ce plan se décline en deux temps.
Soit l’immédiat qui porte sur une période de dix-huit mois qui
comprend la fin de la période d’urgence et la préparation des
projets déclencheurs du véritable renouveau. Le second temps
s’ouvre sur une perspective temporelle de dix ans, permettant
ainsi de tenir compte de trois cycles de programmation des
Stratégies Nationales de Croissance et de Réduction de la
Pauvreté ».
Cependant de par la façon non démocratique et opaque dont
ledit Plan est élaboré et compte tenu de la conjoncture
sociopolitique, rien ne garantit sa fiabilité sur le long terme.
A cela s’ajoute un autre problème, ces prétendus documents
de « politique publique » reposent essentiellement sur la
gouvernance économique et la pauvreté.
30
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
2. Gouvernance économique et pauvreté:
principaux axes de politique publique les
20 dernières années
L’échec des politiques néolibérales dans le monde et
particulièrement en Haïti, les événements du 11 septembre
2001 aux Etats-Unis, l’aggravation de la misère, la
paupérisation des pans de plus en plus importants des
populations tant dans les pays du Sud que dans ceux du Nord,
sont autant de phénomènes conjoncturels qui vont indiquer
aux institutions de Breton Woods la nécessité de changer de
tactique. Mais la stratégie reste la même : dominer les pays
capitalistes périphériques et les rendre de plus en plus
dépendants du capital transnational et mondial.
En effet depuis la fin des années 90, les populations des
« pays dominés » n’entendent plus parler d’Accord Stand By,
de Programme d’Ajustement Structurel et même du Consensus
de Washington. Maintenant, il s’agit surtout de mettre
l’emphase sur la pauvreté et la bonne gouvernance, nouveaux
éléments fondamentaux de toute politique publique, sinon, elle
n’est pas susceptible de trouver l’appui financier des bailleurs
de fonds multilatéraux et des puissances capitalistes.
Depuis 1999, « l’instrument de prêts concessionnels du FMI
est la facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance
(FRPC), qui s’est substituée, en novembre 1999, à la facilité
d’ajustement structurel renforcée (FASR), qui elle-même avait
remplacé la facilité d’ajustement structurel (FAS), créée en
1986. La FRPC est réservée aux pays à faible revenu. […] Un
pays sous programme avec le FMI au titre de la FRPC bénéficie
d’un prêt versé en trois ans à un taux d’intérêt concessionnel
de 0,5%, remboursable en dix ans après une période de grâce
de cinq ans et demi, à condition de mettre en œuvre un
programme d’ajustement découlant d’un Cadre stratégique de
lutte contre la pauvreté (CSLP )
12
. »
Gouvernance économique et pauvreté: principaux axes de politique publique les 20 dernières années
31
Dans la réalité haïtienne, en ce qui a trait à ce changement de
tactique dû à l’échec des politiques néolibérales, les exemples
ne manquent pas : au plus haut niveau, après les grandes
mobilisations populaires du 8 avril 2008, le Président Préval a
reconnu que ce sont ces politiques qui sont responsables du
déclin de la production nationale, de l’augmentation de la
pauvreté et de maints problèmes dans le pays.
D’un autre côté, à travers le document du PDNA et les
différents documents précités, le gouvernement et les acteurs
internationaux confirment en maintes occasions cet échec :
a)« Si l'on considère les trois dernières décennies, en dépit
du lancement d'un certain nombre de politiques
structurelles (libéralisation commerciale, libéralisation du
marché de change, libéralisation du compte de capital,
modernisation du cadre incitatif, modernisation des
infrastructures économiques) le système productif du pays -
ramené aux trois secteurs agricole, industriel et touristique
– apparaît confronté à un processus important et généralisé
de déclin de sorte que leur poids a considérablement baissé
dans le PIB. Cependant, une certaine reprise a été
constatée particulièrement à partir du nouveau contexte
post 2004/05. […]Ces légers changements ne doivent pas
faire oublier que ces trois secteurs confrontent des
difficultés structurelles importantes
13
»
b)« Au cours des 20 dernières années, Haïti a connu de
profondes mutations affectant tous les secteurs importants
de la vie nationale et principalement le politique,
l’économique, le social et l’environnemental. Ces
transformations se sont produites dans un cadre global
subissant l’impact brutal et multiforme d’une croissance
démographique rapide et modelée par une série de facteurs
successifs dont particulièrement : i/la non maîtrise des
effets de la crise économique internationale de 1980/82;
ii/l’instabilité politique interne qui en est résulté avec
l’effondrement du régime politique; iii/le processus de
libéralisation brutale démarré en 1987 et, iv/ l’embargo
commercial de 1991/94 imposé par la communauté
32
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
internationale (suite au Coup d’Etat sanglant du 30
septembre 1991)
14
. »
c)Dans une interview accordée à un magazine du FMI,
après les grandes mobilisations contre l’extrême pauvreté
du 8 avril 2008, A. Bauer
15
, expert du Fonds, reconnaît ce
qui suit :
Ces différentes citations sont avancées juste pour faire
ressortir le niveau de cynisme et d’hypocrisie tant des
dirigeants haïtiens que des experts de la dite communauté
Gouvernance économique et pauvreté: principaux axes de politique publique les 20 dernières années
33
Bulletin: Certains affirment que l’accent mis par le FMI sur la
libéralisation des échanges commerciaux a compromis la sécurité
alimentaire d’Haïti. Cette politique a-t-elle aggravé la situation du
pays?
A. Bauer: Nous sommes conscients que le FMI a été accusé d’avoir
«forcé» Haïti à abaisser ses droits de douane et même à
abandonner la production de produits agricoles, notamment le riz.
Ceci est faux, et il est important de rétablir la vérité. La
libéralisation qui a conduit à l’abaissement des tarifs douaniers sur
le riz au niveau actuel a été effectuée en deux étapes au milieu
des années 90. En novembre 1994, le gouvernement a ramené
les droits sur le riz de 50 % à 10 %. Une loi prévoyant une vaste
réforme des tarifs douaniers et une réduction supplémentaire des
droits sur le riz, ramenés de 10 à 3 %, a été soumise par les
autorités au parlement en décembre 1994 et approuvée en janvier
et février 1995.
Or, Haïti n’a signé son accord avec le FMI qu’en mars 1995, c’est-
à-dire après l’adoption des réductions de tarifs.
Bulletin: Même si les réductions de tarifs ont été mises en œuvre
par Haïti avant l’entrée en vigueur du programme soutenu par le
FMI, ce dernier a-t-il encouragé la réduction des droits sur le riz?
A.Bauer: Le FMI était favorable à la libéralisation des échanges
commerciaux en général, mais pas spécifiquement sur le riz et
nous n’avons pris part à aucune décision sur les barèmes et les
taux. Notre institution est favorable à une libéralisation générale
du commerce — dans les pays tant développés qu’en
développement — parce qu’il est clairement établi que les pays
ouverts aux échanges commerciaux enregistrent de meilleurs
résultats que les pays dotés de régimes commerciaux restrictifs et
connaissent une croissance plus rapide.
internationale. Car, tout en reconnaissant les méfaits
catastrophiques des politiques de libéralisation dictées par les
institutions internationales sur l’économie et la société
haïtiennes, ils continuent à les imposer comme éléments
fondamentaux de politique publique, mais sous le label de la
« gouvernance économique » et de « «lutte contre la
pauvreté ».
En effet, du Cadre de Coopération Intérimaire au PDNA, ces
deux thématiques restent les points d’ancrage. Pourquoi ?
Qu’est-ce que la « communauté internationale », ses
idéologues et politiciens haïtiens entendent par « gouvernance
économique » ? Comment conçoivent-ils la pauvreté et
comment entendent-ils l’aborder et la résoudre ?
La pauvreté, dans l’esprit des dirigeants haïtiens et celui des
institutions internationales, se présente comme une fatalité,
une chose naturelle. Elle est due fondamentalement, d’après
ceux-là, à l’obscurantisme des masses populaires urbaines et
rurales, à la non modernisation de leur mode de vie, à leur
degré d’ouverture au capital transnational et au marché
mondial.
Cette façon d’aborder la question de la pauvreté vient de la
doctrine libérale. Une vision qui tend à acculer les pauvres et
leur faire endosser la responsabilité de leur sort. Ainsi,
métaphysique, a-historique et figée, cette approche tend à
stigmatiser, mépriser les pauvres, en dédouanant
complètement les responsables politiques et les classes
dominantes locales et internationales de leurs responsabilités
dans l’appauvrissement des pays du Sud, dans l’aggravation
de la situation des classes laborieuses rurales et urbaines. Et
conséquemment, quand les nantis du pays et du monde
interviennent pour les aider, c’est par générosité, par
compassion et «humanisme ».
Ce comportement audacieux peut expliquer pourquoi, de 1994
à nos jours, à travers tous les documents de politique
publique, les différents gouvernements refusent de rompre
avec la politique néolibérale, la dépendance financière et
34
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
politique du pays. Au contraire, ils font l’apologie de leur
politique néolibérale, la signature de l’Accord de Partenariat
économique (APE) avec l’Union Européenne, le 10 Décembre
2009, en est un dernier exemple. La poursuite actuelle de la
politique de liquidation des entreprises publiques, dont la
TELECO, en est un autre exemple. Il faut rappeler que selon
les informations disponibles sur le site du FMI, jusqu’en 2004,
la TELECO n’avait jamais enregistré aucun déficit et transférait
de sommes relativement importantes au trésor public
16
.
Aux yeux des économistes et autres idéologues libéraux, la
pauvreté n’est pas le résultat des politiques publiques mises
en place par les différents gouvernements haïtiens, ni celui
des structures séculaires féodalo-capitalistes instaurées dans
le pays, ni de son mode d’insertion à l’économie internationale,
voire du comportement prédateur des autorités politiques et
fonctionnaires haïtiens qui continuent à piller les richesses de
la nation au dépend de la majorité de la population.
A titre d’illustration, le gouvernement Préval / Bellerives
voulant se féliciter des acquis de sa politique néolibérale avant
le 12 janvier 2010, fait noter dans le PDNA
17
, ce qui suit :
Gouvernance économique et pauvreté: principaux axes de politique publique les 20 dernières années
35
« Un programme ambitieux de réformes structurelles était
également envisagé. Il reposait sur trois piliers :
i.des réformes ayant pour but d’accroître les ressources fiscales,
d’améliorer l’équité du système de taxation et l’efficience des
dépenses publiques. Les mesures comprenaient l’introduction d’une
taxe sur les télécommunications, l’augmentation de la TCA et de la
taxe sur les vignettes. Des efforts devaient également être
entrepris pour réduire les exemptions et l’évasion fiscale. En ce qui
a trait aux dépenses, les efforts devaient aboutir à une meilleure
allocation des ressources liées à la mise en œuvre du DSNCRP et
à une transparence accrue ;
ii.un cadre de politique monétaire renforcé et la réforme du secteur
financier. Les mesures dans ce domaine comportaient le
renforcement de l’autonomie de la BRH, la mise en œuvre des
recommandations de la mission du FMI pour l’évaluation des
mécanismes de sauvegarde au sein de la BRH, de meilleures
projections des liquidités du système bancaire, le ciblage des
Ce faisant, le gouvernement de Préval / Bellerives en
cherchant seulement à stabiliser les variables
macroéconomiques, les variables relatives à l’offre et ce, dans
la logique néolibérale, applique à la lettre les instructions des
IFI et fait preuve de bonne « gouvernance économique ».
Le CCI précisait déjà : « Les défis en matière de bonne
gouvernance économique constituent en Haïti l’un des freins
les plus sérieux à la croissance économique et à la réduction
de la pauvreté. En effet, la faiblesse des institutions et les
nuisibles effets de la mauvaise gouvernance ont été souvent
invoqués pour expliquer les insuffisances des politiques
publiques ainsi que le faible niveau de financement concédé
par les bailleurs de fonds au Gouvernement
18
».
Pour pallier à cette situation, le CCI souligne que : « Le
Gouvernement entend consacrer une attention particulière au
thème de la Gouvernance économique, en amont lors des
travaux d’identification du CCI et […] il est proposé cinq sous-
thèmes au sein du groupe thématique Gouvernance
économique, à savoir :
(a) la passation des marchés publics,
(b) le processus budgétaire,
(c) le contrôle financier à priori comme à posteriori (y
compris la CSCCA et la lutte contre la corruption financière),
(d) la gestion des entreprise publiques,
(e) la recherche de mécanismes de renforcement des
capacités de formulation de politiques et de mise en en
œuvre de programmes
19
»
36
agrégats monétaires, une nouvelle loi organique de la BRH qui
comporterait l’élimination progressive et permanente du
financement monétaire par le développement du marché des bons
du Trésor ;
iii. l’amélioration du cadre des affaires et de l’infrastructure, la
privatisation de certaines entreprises publiques ainsi que
l’implantation d’un partenariat stratégique public/privé pour la
provision des services publics. »
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
Aussi faut-il remarquer qu’entre les prétendus acquis de la
politique économique avant le 12 janvier 2010, résultant
d’ailleurs du DSNCRP et dont le gouvernement se félicite et les
éléments de programme de la gouvernance économique du
CCI, existe une parfaite continuité.
Autrement dit, sur la base de la bonne gouvernance
économique et de réduction de la pauvreté, les différents
gouvernements du Président Préval ne font pas seulement que
mettre en place des politiques publiques qui font fi de toute
participation réelle des différents acteurs locaux, mais aussi
des politiques publiques revêtant un caractère totalement
antipopulaire et néolibéral et dont le PDNA n’est qu’une
nouvelle version et le prolongement de la mainmise de
l’international sur la définition des politiques publiques en Haïti.
Gouvernance économique et pauvreté: principaux axes de politique publique les 20 dernières années
37
3. PDNA : nouveau cadre de coopération ?
Ou de domination ?
Il est évident que le PDNA s’inscrit dans un contexte différent
que celui qui a vu naître les anciens documents de politique
publique comme le PURE, le CCI, le DRSP-1, le DSNCRP. Le
séisme du 12 janvier et ses conséquences sociales et
infrastructurelles ont suscité beaucoup d’émotions chez les
Haïtiens et des membres de la communauté internationale. Un
élan de solidarité extraordinaire avec le peuple haïtien a été
manifesté par maints pays de la région et du monde.
Cependant, d’une part, si d’un côté, certains pays veulent de
façon instantanée développer des liens de coopération et de
solidarité avec le peuple haïtien, de l’autre côté, d’autres y
voient l’opportunité de faire progresser leur plan macabre en
renforçant leur domination sur le pays sous couvert
d’assistance humanitaire. L’expérience montre que le
déploiement des 20,000 soldats américains et le renforcement
de la MINUSTAH ne valaient pas la peine, et de fait, n’ont rien
apporté comme solution et appui réel aux déboires de la
population.
Cependant, le PDNA et le PARDN n’ont rien de différent ni en
termes de démarche, de méthodologie, d’approche, ni en
contenu comparé aux anciens DPP (Document de Politiques
Publiques) précités. Il rentre dans la droite ligne des politiques
ultralibérales définies et imposées par les IFI au pays. Ainsi,
comme les autres DPP, il conditionne le développement du
pays aux sources de financement international en mettant
l’emphase sur la gouvernance économique et la réduction de la
pauvreté.
En effet, si d’un côté, le Plan prétend une série de refondations
territoriale, économique, sociale, institutionnelle, et fait de
grandes envolées sur une société idéale, « Une société
équitable, juste, solidaire et conviviale, vivant en harmonie
avec son environnement »
20
- et sur une soi-disant
PDNA : nouveau cadre de coopération ? Ou de domination ?
39
appropriation par un ensemble d’acteurs nationaux dudit plan :
« C’est pour cela que le plan qui est proposé n’est pas
uniquement celui de l’État, du Gouvernement et du Parlement.
Il est celui de tous les secteurs de la société haïtienne où
chacun est appelé à jouer sa partition dans la recherche de
l’intérêt collectif qui est au demeurant le meilleur garant des
intérêts individuels dans une société inclusive. »
21
D’un autre côté, le gouvernement rapporte ce qui suit : « C’est
pourquoi le Plan propose la mise en place d’une Commission
intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti et qui deviendra en
temps opportun l’Agence pour le Développement d’Haïti ainsi
qu’un Fonds Fiduciaire Multi-Bailleurs qui permettront
l’instruction des dossiers, la formulation des programmes et
projets, leurs financements et leurs exécutions, tout cela dans
une approche coordonnée et cohérente.
Le Plan porte prioritairement sur les activités financées par
l’aide publique au développement puisqu’il s’agit d’une
conférence de donateurs. »
22
Cela dit, le Plan vise d’abord à répondre aux desiderata des
bailleurs de fonds internationaux et bilatéraux et non à ceux
de la majorité de la population haïtienne.
Quant au PNDA, dans sa prétention d’être un document de
politique publique, on y trouve un cadre stratégique d’actions
dans les différents secteurs : social, économique (cadre
macroéconomique et secteur productif), politique
(gouvernance politique), environnemental, etc. Cependant
compte tenu du niveau de simplification et de superficialité des
hypothèses et idées avancées, il s’avère difficile et incorrect de
parler de « plan de reconstruction » du pays, et de l’existence
actuellement d’une politique publique haïtienne.
Le PDNA
23
présente quelques bribes d’idées, définit quelques
grandes lignes d’orientation, qui le plus souvent ne répondent
qu’à la logique de vendre le programme et non à une volonté
de résoudre vraiment un problème. C’est le cas de la gratuité
de l’éducation avancée, alors que la constitution de 1987
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
40
L’éducation :
- Favoriser le retour à l’école par la prise en charge de certains coûts
de scolarisation, incluant une compensation salariale, sur une période
de 6 mois, au personnel de l’éducation du secteur privé et un appui à
la construction d’abris temporaires sécuritaires ;
- Viser la gratuité au niveau de l’enseignement fondamental en 2020 ;
- Réorganiser le système éducatif par, notamment, la mise en place
d’un système d’information, l’accréditation des établissements,
l’instauration d’un système d’accréditation, la révision, puis la mise en
œuvre effective du cadre de partenariat avec le secteur non public,
l’élaboration de la carte des établissements ;
- Développer des programmes d’alphabétisation visant les femmes et
les filles.
L’environnement :
- L’objectif global est d’impulser une vision, la coordination et la
volonté de gérer adéquatement et efficacement l’environnement en
Haïti par la reconnaissance des principes qui gouvernent la protection
des ressources naturelles et la gestion de l’environnement. Cela
implique notamment le partage effectif d’une responsabilité collective
sous le leadership du ministère mandaté à cette fin (MDE). À court et
moyen/long terme, les objectifs opérationnels spécifiques sont les
suivants :
- Renforcer l’infrastructure du MDE. À court terme, l’objectif est de
créer une infrastructure temporaire opérationnelle pour le MDE. À
moyen/long terme, l’objectif est de réhabiliter l’infrastructure de MDE
(y inclus l’ONEV).
- Renforcer la capacité humaine de MDE. À court terme, l’objectif est
de créer une cellule d’urgence au sein du MDE aux fins de la
participation du ministère dans les efforts de reconnaissance des
circonstances qui commandent son intervention et son implication au
niveau des instances de décision interministérielles. À moyen/long
terme, l’objectif est de renforcer la capacité opérationnelle du MDE et
de ses partenaires-clés.
l’avait déjà consacrée et l’Etat haïtien n’a jamais pris des
mesures nécessaires en ce sens. Voyons de plus près les
stratégies du PDNA dans les domaines suivants : éducation,
environnement, agriculture, santé, et télécommunications :
PDNA : nouveau cadre de coopération ? Ou de domination ?
41
- Renforcer le cadre consensuel du SNGE. À court terme, l’objectif est
de participer activement avec la société civile aux instances de
coordination et de planification du processus de relèvement et de
reconstruction. À moyen/long terme, l’objectif est de poursuivre,
ajuster et rendre permanents les mécanismes de consultation et de
participation prévus par le Décret.
- Renforcer le cadre légal. À court terme, l’objectif est d’élaborer un
cadre de gestion environnementale ad hoc à respecter dans le cadre
de la reconstruction. À moyen/long terme, l’objectif est de renforcer le
cadre normatif et réglementaire, notamment en ce qui concerne
l’intégration de la variabilité et du changement climatique dans la
politique nationale de développement et dans les politiques
sectorielles et l’élaboration d’études d’impact sur l’environnement.
L’agriculture :
- Le plan spécial d’action du ministère de l’Agriculture d’après séisme
met l’accent sur :
- L’accroissement de l’offre nationale (notamment par la mobilisation
d’intrants et l’amélioration des circuits de commercialisation) ;
- L’intégration des personnes déplacées ;
- La création d’emplois ruraux pour accroître les revenus monétaires ;
- La recherche de contrats de fourniture de denrées alimentaires
locales pour les ONG, le PAM, les cantines ;
- La préparation de la saison cyclonique.
- Au-delà de l’urgence, il conviendra de s’inscrire dans une perspective
structurante d’accroissement de la production agricole nationale, selon
la politique de développement agricole en cours de définition
La santé :
- Assurer l’accès universel aux services de santé, plus
particulièrement pour les groupes vulnérables et les populations
sinistrées ;
- Développer des services en matière de sante maternelle et
reproductive et de lutte contre la féminisation du VIH/SIDA ;
- Intégrer les protocoles et intrants requis pour la prise en charge
médicale des femmes et filles victimes de violences ;
- Renforcer le rôle de leadership, de coordonateur et de régulateur du
Ministère de la Santé Publique ainsi que son rôle de facilitateur de la
gestion décentralisée du secteur santé ;
- Rétablir et renforcer les ressources humaines dans le secteur ;
- Renforcer la gouvernance au niveau central et décentralisé et
assurer la mise en place d’un système de financement solidaire basé
sur les résultats ;
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
42
- Assurer la gestion efficace et efficiente des intrants et des
médicaments essentiels et mettre en place les mécanismes pour
assurer leur gratuité ;
- Répondre aux besoins spécifiques des femmes en matière de santé
et assurer un service de proximité approprié.
Les télécommunications :
- Compléter le relèvement des infrastructures publiques de
télécommunication ;
- Rétablir l’accès international au câble sous-marin et créer une
nouvelle station d’atterrissage ;
- Conclure le processus d’adaptation du cadre légal et réglementaire ;
- Lancement des études et déploiement du réseau dorsal national et
du réseau du Gouvernement ;
- Formation des cadres et création des capacités TIC pour les enfants,
les jeunes et l’administration publique.
Maintenant, même quand on aurait pris en compte les objectifs
et les projets y afférents, est-il convenable de dire qu’il existe
en Haïti à l’heure actuelle, une politique publique dans les
domaines éducatif, agricole, sanitaire, environnemental ou des
télécommunications. Il faut noter que les autres secteurs ne
sont pas mieux garnis. Le tourisme et la culture, par exemple,
sont traités totalement de façon marginale.
En dehors des communications, ses différents secteurs sont
traités uniquement en relation à la pauvreté, est-ce la raison
pour laquelle l’éducation supérieure, la recherche et la
formation des cadres sont totalement ignorées.
Qui pis est, comme nous l’avons déjà mentionné
précédemment, la politique générale du Gouvernement s’y
encastre et les ministères ne feront que le répéter sans
prendre le soin d’élaborer pour le secteur concerné une
véritable politique publique.
En outre, malgré la méthode d’évaluation utilisée, les
propositions faites tout comme l’évaluation des secteurs sont
souvent hors tout contexte social et politique. Les analyses ne
portent que sur le fonctionnement des institutions en marge
des demandes réelles, des conjonctures et des nouvelles
dynamiques sociales où elles évoluent avant le 12 janvier 2010.
PDNA : nouveau cadre de coopération ? Ou de domination ?
43
Profit avant
transferts
Profit net
Années
Taxes et
transferts
672.2 672.21994 0
327.9 213.21995
114.7
532.5 346.21996 186.3
835.8
551.4
1997 284.4
641.2 391.51998 249.7
248 1611999 87
147
932000 53
115
622001 53
350 2272002 123
632
411
2003 221
641 6412004 0
Tableau 2: Profit de la Compagnie des Télécommunications d’Haïti avant et après les
taxes, de 1994 à 2004
Source : informations extraites et traitées des documents respectifs suivants:
International Monetary Fund, Staff Country Report No 99/118, october 199, Haiti
Statistical Annex, p.21,
International Monetary Fund, Staff Report No 02/18, February, 2002, Haiti: Selected
Issues, p.43
International Monetary Fund, Staff Country Report No 05/205, June 2005, Haiti: Selected
Issues, p.63
Les télécommunications en sont un exemple. Alors que le
Gouvernement était en train de privatiser (liquider) l’entreprise
quelques jours avant le 12 janvier, aucune considération n’a
été faite ni en termes de constat ni en termes de contre-
proposition ni en termes de nouvelle vision du développement
du pays. D’ailleurs, l’un des premiers pas de la
« reconstruction » du pays à la manière du Président Préval et
des institutions internationales, est la poursuite du processus
de liquidation de la TELECO. Il est opportun de souligner que
de 1994 à 2004, la TELECO, suivant les données extraites de
trois rapports du FMI, la même institution qui exige sa
privatisation, a dégagé un profit brut (avant les taxes et
transferts) de 5 milliards de gourdes et pic et après les taxes
et transferts qui sont à hauteur de un milliard de gourdes et
pic, le profit net de l’institution a été autour de près de quatre
milliards de gourdes. Suivent les données ci-dessous :
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
44
La «reconstruction», à travers ce fameux document, n’a à sa
base aucun paradigme alternatif de développement, aucune
vision de la réalité nationale. Le PDNA et le PARDN sont imbibés
plutôt dans une certaine sécheresse d’idées et de propositions,
d’un replâtrage traditionnel des remèdes des IFI parce qu’ils ne
sont que la continuité des politiques suivies avant le 12 janvier
par le gouvernement téléguidé depuis l’extérieur.
La seule vérité que ce document contient, est celle-ci : « Le
séisme a mis à nu les faiblesses structurelles du processus de
développement du pays, mais il a en même temps favorisé,
chez bon nombre de citoyens et de certains groupes d'élites,
l'espoir d'une ère nouvelle de changement. Or, ceci a un
préalable qui est la formulation d'une vision nouvelle pour le
futur économique du pays. D'où, la fixation d'options
fondamentales concernant d'abord le positionnement
international du pays, le type de société démocratique et d'Etat
qu'on devrait promouvoir en Haïti avant de proposer le type de
modèle d'économie de marché qui supporterait toutes ces
transformations profondes.[..]
24
»
A la lumière de cette assertion, nous pouvons comprendre
mieux les raisons pour lesquelles, le PDNA ne pouvait pas
demander à l’Etat haïtien de rompre d’avec les politiques
néolibérales, de stopper la violation de la souveraineté du pays
et de finir avec sa dépendance par rapport aux bailleurs de
fonds internationaux et bilatéraux.
L’objectif stratégique du PDNA est donc de renforcer la
dépendance financière et politique du pays dans le cadre de la
mise en place ou du renforcement de l’économie de marché. Les
idéologues du PDNA sont très clairs : « Le premier élément
stratégique à souligner est que la démarche de relance
économique, qui s'appuie sur une approche différenciée qui
combine une approche par la demande financée essentiellement
par l'aide internationale associée à une politique fiscale et une
politique monétaire conforme à un environnement
macroéconomique stable avec une stimulation de l'offre dans
les secteurs présentant une grande flexibilité à court terme
comme l'agriculture.
PDNA : nouveau cadre de coopération ? Ou de domination ?
45
[…] En premier lieu, il faut noter que la démarche de
stimulation de la croissance va reposer sur deux leviers :
1) un processus dynamique de revalorisation des secteurs
productifs supporté par des réformes structurelles, des
investissements publics et une politique macroéconomique
proactive ; 2) un rôle très dynamique des PME
25
»
Il faut rappeler que dans le jargon des institutions financières
internationales et dites de développement, les reformes
structurelles sous-tendent la poursuite des politiques en
vigueur dans le pays avant le 12 janvier 2010 dans le cadre
des Programme d’Ajustement Structurel, rebaptisé Facilité
pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (FRPC),
à savoir
26
:
- la réduction du déficit budgétaire par l’augmentation de la
pression fiscale au détriment de la population et par la
diminution des dépenses sociales comme les subventions à
l’agriculture ;
- l’augmentation du taux d’intérêt sur le marché sous
prétexte de vouloir juguler l’inflation ;
- la dévaluation de la monnaie nationale et sa dollarisation ;
- la suppression des contrôles de l’Etat des prix sur le
marché, laissant les consommateurs et le gros de la
population à la merci du degré de cupidité de la bourgeoisie
«comprador » du bord de mer ;
- la libéralisation de l’économie en faveur des capitaux
internationaux (Investissement Direct Etranger – IDE);
- la déréglementation et l’élimination de toutes formes de
subvention de l’Etat aux masses rurales et urbaines ;
- la privatisation des entreprises publiques et la dilapidation
de tout ce qui est patrimoine culturel, historique et naturel.
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
46
En somme, le PDNA et la Commission Intérimaire de
Reconstruction d’Haïti (CIRH) ne sont que de modes
d’anticipation des Institutions Financières Internationales et les
pays capitalistes occidentaux, particulièrement les Etats-Unis
d’Amérique, en vue de contrecarrer toute mise en place réelle
d’une alternative de construction du pays. Les Etats-Unis ne
souhaitent pas qu’Haïti rejoigne l’axe Cuba, Venezuela, Bolivie
et Equateur, de peur que le pays ne devienne autodéterminé et
ne serve pas leurs intérêts. Le séisme du 12 janvier lui a donc
permis de mettre en place «La Stratégie de choc ».
Dans cette optique, il fallait écarter du processus d’élaboration
du PDNA et du Plan d’Action pour le Relèvement et le
Développement d’Haïti des propositions venant des secteurs
progressistes et des populations locales et maintenir au
pouvoir l’équipe Préval / Bellerives qui semble être de bons
serviteurs du système international. Pour ce faire, le soutien
de la finance internationale est indispensable.
Haulsman a donc raison de déclarer que dans un pareil cas :
« Cette dépendance n’est pas imposée de l’extérieur, elle est
le fruit de la politique antérieure de ces gouvernements et de
leur volonté de rester au pouvoir à tout prix. Le FMI n’est
qu’un des instruments privilégiés par lesquels ces
gouvernements se rendent dépendants des classes politiques
occidentales
27
.»
PDNA : nouveau cadre de coopération ? Ou de domination ?
47
49
4. A quand la mise en place de véritables
politiques publiques en Haïti ?
Le Cadre de Coopération Intérimaire (CCI), le DSRP-I, le
DSNCRP, le Rapport Collier, la loi HOPE (I, II, III), le PARDN et
le PDNA, tous ses plans fatals des acteurs internationaux et de
leurs agents locaux sont voués à l’échec parce que d’une part,
ils ne répondent pas et ne peuvent pas répondre aux
revendications et desiderata des masses populaires et d’autre
part, ils ne prennent pas en compte la réalité économique,
sociale, politique et culturelle du pays.
En réalité, la première décennie du siècle a été marquée dans
le pays par une absence totale de politique publique dans tous
les domaines, ce qui fait régner une anarchie et des abus de la
part des nantis ou des détenteurs de capitaux et de savoir-
faire dans tous les domaines de la vie. L’Etat s’est
déresponsabilisé de toute tâche de planification stratégique du
développement du pays pour se transformer en un Etat-
pompier, ne gérant ainsi que les urgences. On dirait même que
cet Etat en Haïti se promène une baleine à la main à la
recherche de situation d’urgence. Le bilan est effectivement
très sombre. La seule politique publique du gouvernement
c’est la libéralisation complète de l’économie et du commerce
et la recherche de la stabilité des indicateurs
macroéconomiques.
Or, la population dans ses différentes composantes, jeunes,
étudiants, femmes des quartiers populaires, ouvriers, petits
paysans, chômeurs, etc. ont exprimé et expriment chaque jour
leur volonté de voir un jour la prise en compte de leurs
revendications, de leurs besoins dans les interventions de
l’Etat, à savoir :
- La reforme agraire et une politique de crédit et
d’encadrement des producteurs paysans;
- La réforme de l’Université d’Etat d’Haïti à commencer par la
définition d’un cadre normatif et d’une politique publique en
A quand la mise en place de véritables politiques publiques en Haïti ?
50
matière de formation supérieure, la construction d’un véritable
campus universitaire et l’adaptation de l’éducation à la réalité
du pays ;
- L’élimination de l’exclusion sociale en permettant
effectivement l’accès aux services de base et aux services en
général à la majorité de la population ;
- L’élimination des inégalités sociales criantes et la répartition
équitable des richesses du pays ;
- La mise en place d’une politique développement industriel et
agricole articulée et harmonieuse ;
- La valorisation du patrimoine culturel, historique et naturel
du pays ;
- La récupération de l’indépendance et de la souveraineté du
pays ;
- La justice et la fin de l’impunité en faveur des nombreuses
victimes du pays tant dans le domaine des droits civils et
politiques que dans celui des droits économiques, sociaux et
culturels ;
- La mise en place d’une politique de coopération basée sur la
solidarité et le respect de l’intégrité et de l’identité du pays ;
- La rupture d’avec les politiques néolibérales et le
renforcement de la capacité d’intervention et de régulation de
l’Etat dans tous les domaines : économique, social, culturel et
environnemental ;
- La fin de l’Etat rentier, prédateur et antipopulaire ; etc.
Ce sont quelques-unes des revendications que le PDNA, le
PARDN et tous les autres documents pré-cités ne pouvaient pas
prendre en compte, et dont seul un gouvernement populaire issu
de la construction d’un mouvement social pourrait permettre la
satisfaction.
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
A quand la mise en place de véritables politiques publiques en Haïti ?
51
A l’instar de Sombart
28
, « J'appelle mouvement social
l’ensemble de toutes les tendances d'une classe qui ont pour
but de transformer l’organisation sociale existante d'une façon
fondamentale et conforme aux intérêts de cette classe. »
Dans le contexte de la formation sociale haïtienne, cette classe
ici est composée des masses rurales qui représentent plus de
60% de la population et des masses laborieuses urbaines,
toutes fractions confondues. Car, c’est cette classe populaire
ou ce bloc de classes populaires qui peut historiquement et
fondamentalement remettre en question la dépendance du
pays, les politiques économiques génocidaires des institutions
internationales et des puissances capitalistes. Seul ce
mouvement social pourra stopper de façon durable la
détérioration de l’environnement et jeter les bases d’une
nouvelle société, autrement dit de la construction alternative
du pays.
Sombart expliquait dans son livre « Le Socialisme et le
mouvement social au XIXème siècle
29
», que tout mouvement
social doit avoir :
a)Premièrement, une certaine organisation, dans laquelle
vit une société donnée et notamment une organisation
sociale, dont les éléments fondamentaux peuvent être
ramenés à l'organisation de la production et de la
distribution des biens matériels comme à la base nécessaire
de l'existence de l'homme […] ;
b)Deuxièmement, une classe sociale, c'est-à-dire un certain
nombre d'individus ayant les mêmes intérêts; et
notamment -ceci est décisif - les mêmes intérêts
économiques, intéressés par conséquent à un certain mode
de production et de distribution dans une organisation
donnée […] ;
c)Troisièmement, un but, que cette classe, mécontente de
sa condition, se propose d'atteindre, un idéal qui représente
la forme future dans laquelle la société veut se mouvoir, et
qui trouve son expression dans les principes, les
52
revendications et les programmes de cette classe. D'une
façon générale, partout où l'on peut parler d'un mouvement
social vous trouverez un point de départ, l'organisation
sociale existante, un porteur (le sujet actif) du mouvement,
la classe sociale, et un but, l’idéal de la société nouvelle.
A l’évidence, la crise qui sévit dans le pays depuis 1986 et
particulièrement depuis le début des années 2000 est
fondamentalement une crise politique, une crise d’alternative
en vue de la fondation d’une nouvelle société haïtienne, parce
que l’Etat et la classe au pouvoir ne peuvent plus dominer, en
même temps que l’Etat et la classe qui doivent forcément les
remplacer, tardent à émerger.
De fait, en maintes occasions, les patrons internationaux des
agents locaux leur ont fait part de leur incapacité et de leurs
difficultés à mater la population, à juguler la crise. La volonté
de maintenir la MINUSTAH dans le pays, son renforcement et
le déploiement des forces étatsuniennes contribuent à
envenimer cette crise et de la saupoudrer avec des solutions
provisoires, superficielles et instables.
Toutefois, cette difficulté pour le mouvement social haïtien de
construire une véritable alternative populaire et démocratique,
capable de faire basculer l’ordre des choses dans le pays de
façon durable, renvoie à une dynamique de luttes sociales et
politiques très délicates et vicieuses. En ce sens, il faut
reconnaître qu’il existe un tas de revendications pouvant faire
partie d’une politique publique sectorielle ou des grandes
lignes de la politique publique générale du Gouvernement, que
seul un pouvoir progressiste et populaire issu effectivement
d’un vaste mouvement social et populaire pourrait satisfaire.
Nous pouvons citer à titre d’illustration : la récupération de
l’indépendance totale, de la souveraineté et de la dignité du
peuple haïtien, la mise en place d’une politique agraire durable
appropriée en reconstruisant la question du droit à la propriété
dans le milieu rural et en l’harmonisant à une politique
industrielle autonome et nationale, l’éradication de
l’analphabétisme dans le pays en un temps record et de façon
non mécanique, la réforme du système éducatif à tous les
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
A quand la mise en place de véritables politiques publiques en Haïti ?
53
niveaux en touchant profondément le contenu et les
orientations antipopulaires de l’enseignement dans le pays,
etc.
Tout comme, il existe un tas d’autres revendications que
certaines organisations du mouvement social ou le mouvement
lui-même peut supporter et qui ne feront en fin de compte que
renforcer le pouvoir en place : le pouvoir antipopulaire. Nous
pouvons prendre deux cas à titre d’illustration.
a)Il s’agit de la lutte pour l’intégration d’Haïti à l’Alternative
Bolivarienne pour les Amériques (ALBA) en passant par la
signature de l’Accord PetroCaribe
30
. Des organisations
comme Kolektif Mobilizasyon Kont Lavichè et la PAPDA ont
beaucoup lutté pour la satisfaction de ces deux
revendications. En termes de résultats, l’Etat haïtien a signé
l’Accord de PETROCARIBE, parce que le pétrole a toujours
été une source de financement public à partir des taxes
pour son fonctionnement ou son enrichissement, mais pour
éviter toute remontrance de la part de son « patron », il n’a
jamais intégré officiellement l’ALBA. D’ailleurs, pour éviter
tout dérapage, la Présidence gère directement les relations
haïtiano-vénézuéliennes portant notamment sur cet accord.
En outre, dans une lettre ouverte datée du 26 avril 2006
adressée au Président Préval, le Collectif avait proposé la
mise en place d’une commission de gestion du Fonds de
PETRO CARIBE. Cette commission devait comprendre :
deux membres du Collectif, deux représentants du secteur
syndical, deux représentants du secteur privé et un membre
du gouvernement. Cette proposition n’a jamais été retenue
par les différents gouvernements du Président Préval. Enfin,
c’est le tollé ayant accompagné la fin provoquée du mandat
de l’ex-Première Ministre Michèle D. Pierre-Louis qui a mis
au grand jour la mauvaise gestion dudit Fonds.
b)Le second cas concerne la lutte pour l’élimination sans
condition de la dette externe d’Haïti
31
. Sans attaquer
l’histoire du Jubilé 2000, certaines institutions comme la
PAPDA et d’autres organisations et institutions des
mouvements sociaux latinoaméricains et africains, ont fait
54
de l’élimination de la dette externe, leur cheval de bataille.
Dans la réalité, la population haïtienne ne verra aune
retombée positive de cette lutte dans le contexte du pouvoir
actuel. En plus que l’élimination d’une partie de la dette
haïtienne a été faite dans le cadre de la mise en place de la
FRPC. Regardez comment la communauté internationale et
le gouvernement apprécient l’élimination de la dette
externe de l’Etat haïtien : « Malgré les chocs économiques
et les cyclones qui ont frappé Haïti en 2008, l’économie a
rebondi en 2009, ce dont témoignent les indicateurs
macroéconomiques. Ces améliorations ont été constatées
dans un contexte marqué de progrès importants en matière
de gestion macro-économique, notamment :
(i)l’adoption et la mise en œuvre du DSNCRP ;
(ii)une série de revues satisfaisantes du programme
FRPC du FMI ;
(iii)l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative pour
les Pays très endettés (PPTE) qui, avec l’initiative ADM, a
permis l’effacement de la dette externe d’Haïti d’un
montant de 1,2 milliards de dollars US ;
(iv)l’adhésion à l’Accord de Partenariat Economique (APE)
avec l’Union Européenne (UE).
Enfin, ces progrès ont été soutenus par des réformes
structurelles dans les domaines de la lutte contre la
corruption, des finances publiques et de la passation de
marchés publics
32
.»
Autrement dit, il y a un niveau de spoliation, de déprédation,
de corruption, de dépendance et de déliquescence qu’atteint
un pouvoir de droite que tout ce qui pourrait être positif et
dans l’avantage du peuple devient contre lui. Par conséquent,
la seule voie qui lui reste, c’est le pouvoir lui-même. Avec le
néolibéralisme et dans l’état actuel du pays, c’est la politique
du tout ou rien : « …Vous avez le pouvoir en tant que peuple,
en tant que mouvement social, vous aurez la chance de mettre
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
A quand la mise en place de véritables politiques publiques en Haïti ?
55
en place des politiques publiques en votre faveur, le cas
contraire, vous subissez les rigueurs extrêmes du pouvoir ».
Voilà pourquoi, « construire le mouvement social haïtien » ne
doit pas être analysé en termes de « possibilité ou non ».
Cette démarche risque de nous faire tomber dans la fatalité et
dans l’inertie tant rêvées par les tenants du libéralisme
économique. Mais le mouvement doit être pensé comme une
obligation et une mission historiques qu’ont les progressistes
et les masses populaires haïtiennes.
Conclusion
Naomi Klein dans son dernier livre « La Stratégie du choc » a
expliqué comment après le passage du cyclone Katrina à New
Orleans le 29 août 2005
33
, les vampires du capital ont profité
pour mettre en place leur plan de privatisation du système
scolaire. Dans le cas de l’Amérique centrale, particulièrement,
Honduras et Nicaragua, après le cyclone Mitch en 1998, les
dirigeants de la zone s’étaient entendus sur un plan de
reconstruction de la sous-région, à hauteur de 9 milliards de
dollars, malheureusement, actuellement, le bilan est encore
pire qu’avant Mitch et les promesses des Institutions
Financières Internationales et les pays occidentaux n’ont pas
été tenues.
Un article de Angel Saldomando
34
rappelle que : « La
catastrophe donne lieu à la constitution d’un Groupe
consultatif pour la reconstruction et la transformation de
l’Amérique centrale, composé d’une cinquantaine d’Etats et
d’organismes – Banque interaméricaine de
développement (BID), Fonds monétaire international (FMI),
Banque mondiale, Programme des Nations unies pour le
développement (PNUD), etc. Trois réunions, à Washington
(1998), à Genève et à Stockholm (1999), finissent par
dessiner les contours de la stratégie de reconstruction. Sur le
papier, l’idée de lier la reconstruction et un nouveau type de
développement semble alors s’imposer. Par la déclaration de
Stockholm, les gouvernements de la région et la communauté
internationale s’engagent à « ne pas reconstruire la même
Amérique centrale » et, sous la devise « Reconstruire et
transformer », se fixent six grands objectifs. Le premier est de
réduire la vulnérabilité sociale et écologique, puis viennent la
consolidation de la démocratie, les droits de l’homme, la
transparence, la réduction de la dette et la coordination
efficace de l’action des donateurs. »
Mais, « Six ans se sont écoulés depuis le cyclone Mitch. Les
bonnes intentions ont été ensevelies sous un fatras de
documents sur la « réduction de la pauvreté ». Qui pourrait
Conclusion
57
jurer que, si une même catastrophe advenait, elle ne
produirait pas les mêmes effets ? »
En effet, les IFI et les pays occidentaux, associés aux
transnationales jouent avec les pays dominés sur deux
cordes : d’un côté, les promesses de fonds et de l’autre, les
conditionnalités pour l’octroi de ces mêmes fonds. Souvent,
comme c’en est le cas d’Haïti, les dirigeants de ces pays
dépendants appliquent à la lettre les conditionnalités sans tenir
compte des conséquences sur le pays et les populations alors
que ces acteurs internationaux restent réticents et demandent
beaucoup plus de libéralisation encore, beaucoup plus
d’avantages et renforcent ainsi leur tutelle sur ces pays sans
pour autant tenir leurs promesses. Dans le cas d’Haïti, ces
acteurs vont plus loin dans leurs œuvres, outre la présence de
la force d’occupation multinationale, la MINUSTAH, ils ont
décidé d’instaurer une Commission Intérimaire de
Reconstruction d’Haïti (CIRH) pour une période de 18 mois
suite au séisme destructif du 12 Janvier 2010. Dans quels
objectifs ont-ils pris une telle décision ? Quel sera le rôle de
l’Etat haïtien durant ces 18 mois ? Qu’en est-il des droits civils
et politiques, des droits économiques, sociaux et culturels ?
Quelle menace pour la mobilisation populaire ? Que se passera-
t-il après les 18 mois ? Quel sera le bilan ?
De toute façon, la population haïtienne n’a pas à attendre le
bilan de la CIRH pour prendre son destin en main. Pour ce
faire, l’émergence d’un véritable mouvement social organisé
dans les différents secteurs sociaux reste la voie de la solution
durable vers la construction alternative du pays.
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
58
Notes Bibliographiques
1 Les politiques publiques que nous analysons dans ce travail sont provenues des
différents documents conclus par l’Etat haïtien et la communauté internationale dans le
cadre de l’Aide Publique au Développement. Ces documents de politique publique (DSRP -
I) sont chronologiquement : le Cadre de Coopération Intérimaire, le Document de
Stratégie Intérimaire de Réduction de la Pauvreté, le Document de Stratégie Nationale
pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP) et le Post Disaster National
Assesment (PDNA).
2 Plan d’Action pour le Relèvement et le Développement National, P.9
3 Ibidem
4 Op.cit. p.10
5 Voir Dr Grefft Alami Abdejlil et alii., Impacts des politiques publiques sur la pauvreté,
septembre 2009, 41 pages
6 Haïti PDNA du Tremblement de terre – Evaluation des dommages, des pertes et des
besoins généraux et sectoriels, résume à la page 23 la méthodologie de la manière
suivante : le PDNA combine deux méthodologies. La méthodologie DALA (Évaluation des
dommages et des pertes) de la Commission Économique des Nations-Unies pour
l’Amérique Latine et les Caraïbes (ONU CEPAL) et la méthodologie HRNA (Évaluation des
Besoins de Relèvement Humain) – une méthode d’évaluation des Nations-Unies pour saisir
les besoins de relèvement au niveau des communautés.
La méthodologie DALA a été introduite par la Commission Économique des Nations-Unies
pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL) au début des années 1970 . La
Méthodologie DALA est basée sur l’utilisation du système des comptes nationaux du pays
affecté comme moyen d’évaluation des dommages et des pertes causés par le désastre.
Elle permet donc d’estimer la valeur des biens détruits par l’aléa naturel qui a entraîné le
désastre (évaluation des dommages), ainsi que les changements dans les flux
économiques causés par l’absence temporaire de ces biens détruits et les modifications
induites dans la performance de l’économie affectée (évaluation des pertes). De plus, elle
constitue aussi une base d’évaluation de l’impact négatif sur les revenus des individus et
des ménages ainsi que sur le bien-être social global
7 Voir Richard Bergeron, Le néolibéralisme l’’antideveloppement, l’Harmattan, 1992 et le
dernier de Nahomi Klein, La stratégie du Choc, ou l’auteur rapporte plusieurs expériences
dont celles d’Afrique du Sud avec Nelson Mandela en 1994 et celle de l’ancien Prix Nobel
de la Paix, Lech Walesa en Pologne au début des années 90. Des expériences prouvant
comment les politiques néolibérales ne détruisent pas seulement les populations mais
d’abord les leaders politiques
8 Plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti, p.5
9 Paul Collier, Haïti : des catastrophes naturelles à la sécurité économique, Rapport au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, Department of Economics Oxford
University, Janvier 2009, p.7
10 Ibidem
11 Plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti, p.5
12 Voir les différentes lettres d’intention de l’Etat haïtien adressées au Directeur du Fonds
Monétaire International au site du FMI, www.imf.org. Vous allez remarquer la platitude
couvrant pas seulement le style de ces lettres mais le niveau de dépendance du pays par
rapport aux Institutions de Financement Internationales
13 ATTAC-France, Fonds Monétaire International, p.13
61
14 République D’Haïti, Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la
Réduction de la Pauvreté, DSNCRP (2008-10), Pour réussir le saut qualitatif, novembre
2007, p.22
15 Voir Bulletin du FMI HAUSSES DES PRIX ALIMENTAIRES, Le FMI projette de fournir une
aide supplémentaire à Haïti, Bulletin du FMI en ligne 6 juin 2008
16 Voir IMF Country report No 05/205, June 2005, Haiti : selected issues, p. 63
17 Haïti PDNA du Tremblement de terre – Evaluation des dommages, des pertes et des
besoins généraux et sectoriels, p.113
18 HAÏTI, Identification du Cadre de Coopération Intérimaire, p.1
19 Ibidem
20 Pan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti, p.8
21 Op.cit.p.5
22 Ibidem
23 Haïti PDNA du Tremblement de terre – Evaluation des dommages, des pertes et des
besoins généraux et sectoriels, pp 17-20
24 REPUBLIQUE D'HAITI, Ministère de l'Économie et des Finances, Cadre Stratégique
Intégré de Court, Moyen et Long Terme, Le Défi de la Reconstruction, p.4 (proposer le
type de modèle d'économie de marché qui supporterait toutes ces transformations
profondes) cette partie est soulignée par nous.
25 Op.cit. p.5
26 Voir Malcolm Gillis et alii., Economie du développement, 4eme Ed., De Boeck
University, Nouveaux Horizons, pp 145-162
27 Jörg Guido HÜLSMANN * POURQUOI LE FMI NUIT-IL AUX AFRICAINS?, p. 49
28 Werner Sombart, Le socialisme et le mouvement social au XIXe siècle, 1898, p.6
29. Op.cit. pp 6-7
30 Voir les différentes notes de MODEP et du Kolektif Mobilizasyon Kont Lavichè relatives
à l’adhésion d’Haïti a PETRO CARIBE et a l’ALBA sur www.Alterpresse.medialternative.org
31. Les positions de PAPDA sur la dette externe sont publiées sur le site de l’institution et
également sur Alterpresse. Voir également la communication de Roland Belizaire, Quelle
alternative à la dette externe ?
32 Haïti PDNA du Tremblement de terre – Evaluation des dommages, des pertes et des
besoins généraux et sectoriels, p.30
33. Voir le Nouvel Observateur, No 2131 du 8 au 14 septembre 2005, L’Amérique mise a
nu. Mais également Naomi Klein dans La Stratégie du choc, développe le drame de la
Nouvelle Orleans après le passage de Katrina le 29 août 2005.
34 Réseau d'information spécialisé sur la solidarité internationale et le développement
durable, Angel Soldomando, L’ombre de Mitch sur l’Amérique centrale….
62
Politiques Publiques en Haïti - A quand la rupture avec la dépendance ?
Fondée en 1995, la Plateforme Haïtienne de
Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA)
est un réseau qui regroupe plusieurs organisations
travaillant dans divers domaines du développement en Haïti.
Ensemble, elles forment un échantillon significatif des secteurs clés
de la vie nationale. La mission fondamentale de la PAPDA est de
travailler à l’avènement d’un Etat populaire, seul capable de répondre aux
revendications des classes populaires. Elle milite aussi pour des politiques
publiques qui rompent avec les paradigmes néolibéraux, et pour une économie
sociale et solidaire. Entre autres, la plateforme travaille sur des axes tels que
la souveraineté alimentaire, la démocratie participative et l’intégration
alternative, la dette externe.
Dans cette publication, le professeur Bélizaire s'interroge sur les
politiques publiques en Haïti durant les 20 dernières années. De
quelle manière des influences "étrangères" ont-elles pesées ou même
façonnées les prises de décision par les dirigeants haïtiens ? Bélizaire
compare l'implication des acteurs locaux par rapport aux acteurs
internationaux dans l’élaboration de plusieurs documents de
politiques publiques de ces dernières décennies entre autres le Cadre
de Coopération Intérimaire (CCI), le Document de Stratégie Nationale
pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP), le Post-
Disaster Needs Assessment (PDNA) et le Plan d’Action pour le
Relèvement et le Développement National (PARDN). Il s'avère que
même dans le contexte post-seïsme du 12 Janvier 2010, le
paradigme néolibéral reste le choix soutenu du gouvernement haïtien
et des institutions financières internationales. De récents documents
gouvernementaux reconnaissent finalement que ce paradigme est
responsable de la destruction de la production nationale et des
déboires en matière économique et sociale de la population haïtienne.
En dépit de ce constat, le professeur Bélizaire note que la rupture
nécessaire n’est pas enclenchée. Plus alarmant est le niveau de
participation des acteurs locaux au processus d’élaboration des
politiques publiques, les dernières en date, le PDNA et au Plan
d'Action Pour le Relèvement et le Développement National (PARDN),
est presque inexistant. Une "reconstruction" taillée sur mesure par la
dite communauté internationale, dictée et imposée aux autorités
haïtiennes sans que la société civile haïtienne ne soit partie prenante.
Un futur haïtien conçu par des "experts internationaux" sans
implication des capacités et compétences locales, peut-on parler d'un
État souverain dans un tel contexte ? A cet état de fait, le professeur
Bélizaire propose la mise en place d’un Etat populaire et le
renforcement des mouvements sociaux alternatifs.