notes de lectures de georges leroy avril 2016 · dominent une large partie du monde. or, selon...

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Notes de lectures de Georges Leroy avril 2016 H pas d’intérêt, HH peu d’intérêt, HHH un certain intérêt, HHHH un grand intérêt, HHHHH un intérêt exceptionnel. L’attribution des étoiles est relative, et peut comporter des aspects négatifs… le diable porte pierre. Si l’appréciation privilégie le fond à la forme, elle n’en constitue pas moins un jugement de synthèse avec sa part de subjectivité… mais non de relativisme. Note : La qualité de ce document permet l’impression sur une imprimante de bureau. Notes de lecture de Georges Leroy, février 2016 – Aller = > au dossier d’origine = > à l’accueil du Réseau-regain 1/19 Ce que dit Charlie HHHII Pascal Ory Gallimard, 250 p., 16 €. En janvier 2015, la France fut prise par surprise. Mais elle s'est, aussi, surprise elle-même. Aux deux massacres ont répondu des centaines de « marches républicaines », dont la polémique autour de ceux « qui n'étaient pas Charlie » n'a pas réussi à occulter la profonde signification politique. L'événement est entré dans l'his- toire. Il est entré aussi dans la géo- graphie, sous le regard de l'étranger, lui-même témoin, acteur ou victime du drame. Drame, au reste, ou tragédie ? Le massacre à Charlie Hebdo a mis face à face deux radicalismes : une extrême gauche vieillissante et un extrémisme religieux pour l'instant en plein essor. Le massacre à l'Hyper Cacher a confirmé la violence d'une haine du Juif cultivée dans certains milieux « issus de l'immigration ». On a déjà beaucoup parlé de janvier 2015. Et ce n'est pas près de finir. Ce que l’auteur, historien, essaye ici, c'est d'analyser ce qui s'est passé, ce qui se passe encore et, dans une certaine mesure, ce qui va se passer, au travers d'une douzaine de clés d'interprétation, qui vont de « Sidé- ration » à Soumission, en passant par Liberté d'expression, Laïcité ou Religion. Les analyses restent sages et politiquement correctes, même si la mise en perspectives est intéres- sante. L'Histoire, « avec sa grande hache » (Georges Perec), a fait son travail. Un historien fait le sien. André Charlier le prix d’une œuvre HHHHI Dom Henri Terramare, 600 p., 25 €. Après avoir été blessé et fait pri- sonnier en Allemagne pendant la première guerre mondiale, André Charlier se tourna finalement vers l’enseignement. Devenu Directeur de l’École des Roches de Maslacq, transférée ensuite à Clères : sa grande œuvre sera la formation de la jeu- nesse. Son ami Paul Claudel voit en Charlier, beaucoup plus qu’un édu- cateur, un maître spirituel : « le maître idéal suivant l’Esprit de Dieu et le cœur chrétien ». Pour sa part Mon- seigneur Henri Brincard résume ainsi cette œuvre de formation de la jeu- nesse : « un élan de toute l’âme vers “la Lumière” ». John Keith, un jeune américain venu étudier pendant quelques mois à Clères, confiait y avoir trouvé « une École simple et non pas prétentieuse », où l’on se « trouve face à face avec Dieu ». L’instrument de cette rencontre avec Dieu était André Charlier lui-même, comme Antoine de Lévis Mirepoix l’explique dans la Préface. Mais cette œuvre exigea d’André Charlier qu’il renonce, après la mort de sa première femme en 1940, à redonner un véritable foyer à ses propres filles, sacrifice douloureux à son cœur de père et sur lequel il revient souvent dans le Journal qu’il écrivit à leur intention : « Vous avez eu [à Maslacq] une vie fort agréable en somme, et je pense qu’elle restera pour vous comme un beau souvenir. Pas un vrai foyer sans doute, mais qu’y puis-je ? J’ai dû sacrifier cela à l’École, et ce n’est pas moi qui ai

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Notes de lectures de Georges L e r oyav r i l 2 016

H pas d’intérêt, HH peu d’intérêt, HHH un certain intérêt,HHHH un grand intérêt, HHHHH un intérêt exceptionnel.

L’attribution des étoiles est relative, et peut comporter des aspects négatifs… le diable porte pierre. Si l’appréciationprivilégie le fond à la forme, elle n’en constitue pas moins un jugement de synthèse avec sa part de subjectivité…mais non de relativisme. Note : La qualité de ce document permet l’impression sur une imprimante de bureau.

Notes de lecture de Georges Leroy, février 2016 – Aller = > au dossier d’origine = > à l’accueil du Réseau-regain 1/19

Ce que dit Charlie

HHHII

Pascal Ory

Gallimard, 250 p., 16 €.

En janvier 2015, la France fut

prise par surprise. Mais elle s'est,

aussi, surprise elle-même. Aux deux

massacres ont répondu des centaines

de « marches républicaines », dont

la polémique autour de ceux « qui

n'étaient pas Charlie » n'a pas réussi

à occulter la profonde signification

politique.

L'événement est entré dans l'his-

toire. Il est entré aussi dans la géo-

graphie, sous le regard de l'étranger,

lui-même témoin, acteur ou victime

du drame.

Drame, au reste, ou tragédie ?

Le massacre à Charlie Hebdo a mis

face à face deux radicalismes : une

extrême gauche vieillissante et un

extrémisme religieux pour l'instant

en plein essor. Le massacre à l'Hyper

Cacher a confirmé la violence d'une

haine du Juif cultivée dans certainsmilieux « issus de l'immigration ».

On a déjà beaucoup parlé dejanvier 2015. Et ce n'est pas près definir. Ce que l’auteur, historien, essayeici, c'est d'analyser ce qui s'est passé,ce qui se passe encore et, dans unecertaine mesure, ce qui va se passer,au travers d'une douzaine de clésd'interprétation, qui vont de « Sidé-ration » à Soumission, en passantpar Liberté d'expression, Laïcité ouReligion. Les analyses restent sageset politiquement correctes, même sila mise en perspectives est intéres-sante. L'Histoire, « avec sa grandehache » (Georges Perec), a fait sontravail. Un historien fait le sien.

André Charlierle prix d’une œuvre

HHHHI

Dom HenriTerramare, 600 p., 25 €.

Après avoir été blessé et fait pri-sonnier en Allemagne pendant lapremière guerre mondiale, AndréCharlier se tourna finalement vers

l’enseignement. Devenu Directeurde l’École des Roches de Maslacq,transférée ensuite à Clères : sa grandeœuvre sera la formation de la jeu-nesse. Son ami Paul Claudel voit enCharlier, beaucoup plus qu’un édu-cateur, un maître spirituel : « le maîtreidéal suivant l’Esprit de Dieu et lecœur chrétien ». Pour sa part Mon-seigneur Henri Brincard résume ainsicette œuvre de formation de la jeu-nesse : « un élan de toute l’âme vers“la Lumière” ». John Keith, un jeuneaméricain venu étudier pendantquelques mois à Clères, confiait yavoir trouvé « une École simple etnon pas prétentieuse », où l’on se« trouve face à face avec Dieu ».L’instrument de cette rencontre avecDieu était André Charlier lui-même,comme Antoine de Lévis Mirepoixl’explique dans la Préface.

Mais cette œuvre exigea d’AndréCharlier qu’il renonce, après la mortde sa première femme en 1940, àredonner un véritable foyer à sespropres filles, sacrifice douloureuxà son cœur de père et sur lequel ilrevient souvent dans le Journal qu’ilécrivit à leur intention : « Vous avezeu [à Maslacq] une vie fort agréableen somme, et je pense qu’elle resterapour vous comme un beau souvenir.Pas un vrai foyer sans doute, maisqu’y puis-je ? J’ai dû sacrifier cela àl’École, et ce n’est pas moi qui ai

voulu assumer cette charge ». Parces sacrifices librement consentis,André Charlier fut un « témoin del’Éternel », comme il se définit lui-même. Son ami Gustave Thibonl’avait compris, qui lui écrivait : « Jepense souvent, très souvent à vouscomme à l’un des derniers témoinsdes choses qui demeurent ».

C’est ce témoignage de touteune vie que nous livre cette premièreet excellente biographie d’AndréCharlier

Les âmes rouges

HHHII

Paul GreveillacGallimard, 460 p., 22,50 €.

Moscou, URSS. La culture estenrégimentée afin de servir l’État.

Vladimir Katouchkov et PavelGolchenko, la vingtaine, se rencon-trent un soir par hasard. Le premierest censeur au sein du GlavLit, quistatue sur tout ce qui paraît dans lepays. Le second est projectionnisteau Goskino, le cinéma des officielsdu Parti. Deux institutions où sontquotidiennement interdites, coupées,asservies les œuvres d’une nouvellegénération d’écrivains et de cinéastesqui tente de s’épanouir depuis lamort de Staline.

Vladimir Katouchkov, écœurépar le système, décide d’en dénoncerl’hypocrisie. À ses risques et périls.

Et bientôt au détriment de ceux quil’entourent.

Ce livre est un roman hommageaux plus indépendants des artistessoviétiques et aux chefs-d’œuvre dece que l’on a appelé « la dissidence ».C’est aussi une ode à l’amitié : cellequi lie, à travers les épreuves et lesans, le Russe Vladimir Katouchkovet l’Ukrainien Pavel Golchenko.

Bonnes nouvellesde Chassignet

HHHII

Gérard OberléGrasset, 220 p., 17 €.

Érudit non conformiste, gastro-nome distingué, œnologue jouisseur,aventurier mélomane, amoureux del'amitié, le Morvandiau Chassignet,personnage emblématique des pre-miers romans de Gérard Oberlé, res-semble beaucoup à son créateur,tout comme les trois histoires qu’ilnous conte ici…

En Égypte, dans un hôtel d’As-souan où il passe ses hivers (il a prisses habitudes), une femme mysté-rieuse fascine Chassignet. Par quelétrange destin Mitzi se trouve-ellesur les bords du Nil pour y jouird’une ultime escale ?

En Nouvelle-Calédonie, Chassi-gnet rencontre un bourlingueur destropiques au bout du rouleau qui

trouve enfin la sérénité dans unetribu kanake.

En Arizona (USA), deux copains(Chassignet et Kenton) siollant lesroutes des états du Sud tombent enpanne dans un bled perdu peupléde ploucs racistes qui les retiennentotages. Une aventure véridique, selonl’auteur.

Non, nous ne sommes ni chezPaul Bowles ou Agatha Christie, nichez le Simenon de Quartier nègre,ni chez le Douglas Kennedy de Cul-de-sac. Les lecteurs enthousiastesde Retour à Zornhof retrouverontici la "magie-Oberlé". Un vrai ventd'audace et de liberté souffle à traversces trois nouvelles, qui font de l’au-teur un représentant du baroquedans les Lettres contemporaines.

Dans le ventre

HHHHI

Sergio PerroniEd de Fallois, 130 p., 18 €.

La guerre de Troie a bien eu lieu.L’auteur nous le rappelle en racontantun épisode capital qui a permis lavictoire des Grecs sur les Troyens,après des années de combats : celuidu cheval de Troie. L'auteur donnela parole à un soldat grec, enfermé,avec d'autres soldats, à l'intérieurdu cheval et avec trois "héros" :Épéios qui a construit le cheval surles ordres de la déesse Athéna, Ulysse

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et un adolescent Néoptolème, filsdu défunt Achille. Le but des Grecsest de pénétrer par ruse dans la citéde Troie car le cheval est présentécomme un don des dieux pour pro-téger la ville assiégée. Le stratagèmea été imaginé et voulu par la déesseAthéna qui souhaite la victoire desGrecs. Dans cette situation Ulysseréagit avec sagesse et calme, Épéios,en constructeur habile, sûr de sonfait. Le jeune fils d'Achille a peur : ilsouffre d'être enfermé, de ne pasvoir la mer, il doute du succès finalet surtout du soutien des dieux. Est-il lucide ? Ou pessimiste ? Des signesétranges vont alourdir l'atmosphère :des flèches lancées contre le cheval,la chute d'un casque ou d'une épée,l'unique chandelle qui s'éteint maissurtout l'apparition d'une "Dame"mystérieuse. Elle entre après unepluie diluvienne, elle sort suivie d'unsommeil qui accable tous les occu-pants du cheval. Ses premières pa-roles sont hésitantes comme si ellepeinait à retrouver le langage deshommes ; lorsque le nom d'Athénaest prononcé elle cache son visagedans ses voiles. Elle évoque Laocoon,prêtre de Poséidon, (dieu de la mer)qui a lancé les flèches contre lecheval, elle évoque sa méfiance àl'égard des cadeaux grecs et surtoutsa fin terrible ainsi que celle de sesfils. Mais pour les héros enfermés,le mystère ne s'arrête pas à ce té-moignage étrange…

L’écrivain a construit un contefantastique : il réussit le prodige demaintenir le suspense avec virtuositébien que l'issue du combat soitconnue. Les héros, dans leurs conver-sations, expriment avec lyrisme leséternelles questions existentiellesque se posent les êtres humains :

quelle direction choisir dans la vie,le passé est-il un poids pour affronterle futur ? En effet ces héros légen-daires nous apparaissent très humainscar, malgré leur courage, ils sont lesjouets des caprices des dieux quiles manipulent à leur guise.

Démocratie radicale,lire J Dewey

HHHII

Jean-Pierre ComettiGallimard Folio, 350 p., 8,20 €.

À son tour, le public français dé-couvre l'œuvre philosophique et po-litique de John Dewey (1859-1952).

Convaincu que les évolutions dulibéralisme, et particulièrement cellesqui lui semblaient à venir, sont sus-ceptibles d'être modifiées en pro-fondeur, Dewey en appelle à l'« in-telligence sociale » : comprendre lessources et les ressources du chan-gement c'est refuser d'abdiquer de-vant les tâches qui sont les nôtresen tant qu'êtres humains et de consa-crer définitivement un ordre dumonde de plus en plus clos et in-supportable.

Dans toutes ses analyses, l'éman-cipation est un maître mot : il renvoieà une philosophie de l'enquête etde l'expérience qui en éclaire lesprocessus, en dénoue les entraves.Il attribue à l'intelligence et à laconnaissance un rôle social que les

sciences du même nom doivent as-sumer grâce à une fonction critique.Or celle-ci ne se confond pas avecla dimension d'expertise qu'ellestendent à remplir dans nos démo-craties qui, substituant cette expertisemême aux vertus de l'enquête et dela libre discussion, ont ainsi vidé lafonction politique de son contenu.

En synthèse, Dewey, défenseurde la démocratie radicale, en appelleà plus d'intelligence sociale et àune meilleure compréhension desvertus émancipatrices du change-ment. Pour Dewey, la radicalisationdu libéralisme, comme la radicali-sation de la démocratie, se conden-sent en une maxime : les moyenspropres au fonctionnement des so-ciétés démocratiques, délibérativeset participatives, doivent être à lamesure et à l'image de leurs fins.

La fin des empires

HHHII

P Gueniffey et Th LentzPerrin, 450 p., 22 €.

L'histoire serait-elle vouée à n'êtrequ'un éternel recommencement ?Cette fameuse question mérite par-ticulièrement d'être posée concernantla naissance et la chute des empires.Depuis l'Antiquité, et sur tous lescontinents, certaines contrées, parle fer, l'or et l'esprit, se hissent aurang de puissance prépondérante et

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dominent une large partie du monde.Or, selon l'adage de Jean-BaptisteDuroselle, « tout empire périra »pour des raisons multiples, même siun noyau dur d'explications peutêtre avancé : crises de croissance,notamment en matière d'assimilationdes populations conquises, paupé-risation économique, épuisement dumodèle militaire ; enfin et naturel-lement, apparition et renforcementde rivaux intérieurs et extérieurs.

Sous la direction de MM Gue-niffey et Lentz, une dizaine d’histo-riens de renom racontent et analysentle déclin et la chute des grands em-pires qui ont fait le monde. Ils nousentraînent dans le sillage d'Alexandrele Grand jusqu'au soft power deWashington, en passant par le mo-dèle romain et son héritier byzantin,les empires des steppes, l'Empire ot-toman, le binôme latino-continentalespagnol, précédant le siècle idéo-logique (1917-1991) qui voit tour àtour s'effondrer l'empire des Habs-bourg, le IIIe Reich, le Japon milita-riste, puis, après la guerre froide, lecommunisme soviétique, héritier del'impérialisme séculaire des Roma-nov.

Brisés par les deux guerres mon-diales, la faillite des totalitarismeset le déclin de l'Europe qui avaitdominé le monde depuis le XVIesiècle, les empires ont pu sembler,alors que l'on célébrait la fin del'histoire, condamnés au bûcher desvanités. Seulement, si les empirestrépassent, l'impérialisme ne meurtjamais, comme le prouvent les éton-nantes métamorphoses de la Chine,l'éternel retour de la Russie, sansocculter le poids toujours majeurdes États-Unis ni ignoré le « nouveaucalifat » de Daesh. Au final, une

leçon d'histoire pour connaître lemonde d'hier et comprendre celuid'aujourd'hui.

Ecolonomie

HHHII

Emmanuel DruonActes sud, 180 p., 20 €.

« Il est plus économique de pro-duire de façon écologique ». C’est àpartir de cette affirmation, à contre-courant de la pensée traditionnelle,que l’auteur, entrepreneur près deLille, a transformé, avec ses 122 col-lègues, l’entreprise Pocheco depuisdix-sept ans.

Alors que la plupart des entre-prises sont encouragées à rechercherla rentabilité à n’importe quel prix,Emmanuel et son équipe font le parique prendre soin de la planète etdes êtres humains assurera une vé-ritable pérennité à leur projet. Carcomme il le dit : “Nous, Occiden-taux, avons épuisé la lithosphère etses ressources fossiles, fissibles, mi-nières et halieutiques. Les gens aussisont épuisés. On peut encore pro-duire et entreprendre mais sans dé-truire.”

Autonomie en eau et en chauf-fage, panneaux photovoltaïques, re-cyclage, reboisement, toit végétalisé,phytoépuration, isolation, suppressiondes produits chimiques et polluants,une stratégie globale est mise enplace pour progressivement limiter

au maximum l’impact de l’industriesur la biosphère. Et les résultats fi-nanciers sont là. Alors que Pochecoa investi 10 millions d’euros cesquinze dernières années pour réduireson empreinte écologique, elle a,dans le même temps, réalisé 15 mil-lions d’économies.

Cet ouvrage est le récit haut encouleur de cette aventure depuisson commencement en 1997 jusqu’àaujourd’hui. Avec conviction, hu-mour et précision, l’auteur nousmontre à quel point cette stratégieest non seulement efficace mais in-dispensable si nous voulons continuerà développer des activités écono-miques et industrielles dans le futur.

Cœur-volant

HHHII

Philippe BordasGallimard, 240 p., 20,50 €.

« Chaque soir, Natacha m’ap-prend la respiration. Elle me donnele sens de Paris et son goût de mer.Dans mon carnet à spirale, j’ai copiéun vers ancien qui revêt sa personnecomme une peau d’agneau. Elle estnée de Paris, bercée à la fontainedes Orateurs sacrés, mais tout enelle, même son habit, supplante l’ar-rogance des Parisiennes. D’une gazed’amnésie, elle tamise la violencedu monde. Elle n'aperçoit ni lespavés disjoints ni la ronde des sé-

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ducteurs. Elle oublie la monnaie surla coupelle de la pharmacie dudrugstore. Ses parapluies restent dansl’autobus et voyagent du Pont-Neufjusqu’à la porte de Châtillon. Sespupilles sont envahies d’ajours oùdes feuilles de bouleau tourbillonnentdans un ciel de Lituanie. Ses yeuxregardent pour moi. Son odeur neme quitte plus. Aux mondes hauts,moyens et bas préside Natacha. »

Jeune homme en rupture dansle Paris des années 1980, le narrateurrêve de devenir écrivain et aban-donne ses études. Il devient manu-tentionnaire dans une boutique deluxe et s'éprend de Natacha, quil'initie à l'amour. La beauté de lajeune femme, tout comme les flaconsde parfum qu'il manipule chaquejour, comblent son obsession pourl'élégance et le raffinement. Maiselle le quitte soudain…

Œuvre lyrique et magnétique,troublante comme un parfum defemme, ce roman rassemble dansun même bouquet la note subtilede l’amour courtois et l’arôme violentdu Paris moderne.

L’été d’Agathe

HHHII

Didier PourqueryGrasset, 200 p., 17 €.

« Vendredi 10 août 2007. Agathes'est arrêtée de respirer. Après six

mois de lutte depuis sa deuxièmegreffe et toute une vie de combat.Sa lumière, son rire, son esprit, soncourage vont tellement nous man-quer. Sept ans plus tard, moi, sonpère, j'ai décidé de raconter quiétait cette jeune femme vivante,joyeuse et directe. Comment elle aavancé, aimé, partagé. Commentelle a vécu, jusqu'au bout, son der-nier été. Je voulais parler de sa vie,de la vie. Je me suis replongé dansmes notes, j'ai repris les photos, lescourriers de ses vingt-trois étés. Puisj'ai commencé à écrire. Jour aprèsjour. Ce fut difficile et doux. Tu m'ac-compagnais, Agathe, avec ton regardsur le monde, sur la maladie, sur lafamille, sur moi. Nous échangions.À la fin, tu étais en vie. »

Un père raconte la lutte de safille contre la maladie.

Comme une tragédie, il n'y apas de suspens, et la fin est annoncéedès la naissance de l'enfant puisqu'unoncle médecin dira qu'il faut comptersur « vingt-cinq ans d'espérance devie en moyenne ». Agathe est atteintede la mucoviscidose mais ce pourraitêtre le cancer ou toute autre maladie,toute autre ennemie qui vous rongede l'intérieur et ne vous laisse derépit que pour mieux vous broyerensuite.

Ce récit, c'est le quotidien desmalades et de ceux qui les accom-pagnent quand la routine des soinsdevient la vie normale. Quand cequi se passe entre les quatre mursd'une chambre d'hôpital devientplus précieux que tout ce qui peutse passer dehors, même s'il s'agitde perfusions, de nausées, de fiè-vre… Les soins, c'est s'installer dansun autre temps, presque une autre

dimension où la mort resterait ensuspens comme si les rituels de lamaladie pouvaient s'étirer indéfini-ment. Et, dans les interstices de ladouleur, viennent se glisser des mo-ments de vie et des mots, des motscomme ultime partage quand la per-sonne aimée affaiblie, alitée n'estplus que regards, sourires et paroles.

Les derniers jours deDrieu la Rochelle

HHHII

Aude TerrayGrasset, 240 p., 18 €.

Entre ses deux tentatives de sui-cide et son suicide le 15 mars 1945,Pierre Drieu la Rochelle – l’écrivainfasciste, directeur de la NRF sousl’Occupation, ami d’Aragon et deMalraux – est en convalescence, pro-tégé et caché par quelques proches,des résistants, sa première épousejuive, près de Paris et à Paris, afin des’épargner arrestation et jugement.

Commence pour lui une étrangeparenthèse de huit mois pendantlesquels cet homme complexe nesait plus qui il est, ni où il en est.

À la lecture on saisit mieux lacomplexité des situations, tous lesécrivains se connaissaient et étaientamis dans les années vingt et 30.Puis la guerre et les engagementspolitiques les ont séparés.

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On suivra, ici, l’auteur de Gilleset de Rêveuse bourgeoisie tandisque, réfugié dans une forêt, il cueilledes pommes, coupe du bois, penseà ses maîtresses enfuies ou mortes…Que reste-t-il des engagements desannées 1930 ? Est-il pressé de ren-contrer enfin le néant ? Que cherche-t-il à dire de lui-même à travers lesfigures de Judas et de Van Goghauxquels il consacre ses pages ul-times ? Doit-il fuir à Sigmaringenavec Céline et Pétain ? S’exiler enSuisse ou en Espagne ? Ou en finirdignement ? Personne, à ce jour,n’avait aussi bien éclairé la psycho-logie du dernier Drieu.

De cette période, l’auteur a re-constitué le récit minutieux et fasci-nant, la vie quotidienne d’un écrivainsensible et monstrueux qui se trompade combat ; sa solitude, son enfer-mement physique et mental, tandisqu'il rédige « Récit secret » et se re-trouve face à ses erreurs. Historienne,elle recompose subtilement son che-minement intellectuel, sa solitude,son désarroi. Un bel éclairage psy-chologique.

François le petit

HHHII

Patrick RambaudGrasset, 230 p., 16,50 €

Chroniqueur aussi drôle qu'as-sassin du quinquennat de Nicolas

Sarkozy, surnommé « Nicolas-le-Mauvais » ou « Nicolas Ier », l'écri-vain Patrick Rambaud a repris laplume pour dézinguer le début du« règne » de François Hollande, alias« François IV » ou « François-le-Pe-tit ». « Je raconte ici l'histoire d'unpetit nombre d'hommes qui, pousséspar les événements, ne se hissaientpas à leur portée », avertit PatrickRambaud, 69 ans, facétieux Saint-Simon du XXIe siècle, au début deson nouvel opus. Cet ouvrage em-prunte son titre au Napoléon le Petitde Victor Hugo (1852), n'épargnepersonne et, mine de rien, constitueune analyse plutôt pertinente, sinonimpitoyable, de la vie politique fran-çaise de ces dernières années.« Avant de rejoindre le monde desesprits, François-le-Grand (FrançoisMitterrand) avait estimé que ses suc-cesseurs ne seraient au mieux quedes comptables ; c'était vrai : lerègne de Nicolas-le-Mauvais puiscelui de François-le-Petit avaienttourné aux calculs, à la combine,aux querelles de coteries », affirmele chroniqueur. « Ces parvenusavaient ennuyé le peuple, ils l'avaienttrompé, maintenant ils l'exaspé-raient », ajoute Patrick Rambaud, ledésenchanté.

Le début du quinquennat deFrançois Hollande est décrit minu-tieusement. Rien n'échappe au regardacéré du juré de l'Académie Gon-court. Au jeu des portraits, il demeureimbattable. On croise la patronnedu « Front populiste », Mlle de Mon-tretout, le duc d'Évry nommé Premierministre, le jeune comte Macron,Mademoiselle Julie et la marquisede Pompatweet. La chroniques'achève en janvier 2015 au momentoù « deux crétins islamistes masqués

fusillèrent la rédaction d'une gazettesatirique ». La conclusion est parti-culièrement amère. L'auteur de LaBataille dresse en quelques pagespercutantes le portrait du « crétinwahhabite » qui « veut arriver à l'âged'or par le meurtre » et est « totale-ment dépourvu d'humour au pointque la vue d'une caricature le meten transe ». Le livre est plus sombreque les chroniques consacrées au« règne de Nicolas Ier ».

Génération Balavoine

HHHII

Didier VarrodFayard, 250., 17 €.

Daniel Balavoine reste vivant.Malgré sa disparition tragique, le14 janvier 1986, il est porteur d’uneœuvre dont l’influence perdure en-core aujourd’hui. L’auteur, qui l’abeaucoup côtoyé, apporte un nouveléclairage sur la vie de ce personnageaux multiples facettes : un chanteurqui voulait absolument être reconnu,un citoyen engagé qui s’emportaitpour ce qui lui importait, un amou-reux de la vie qui voulait vivre vite« pour ne rien regretter ».

Fasciné par l’artiste, l’auteurbrosse un portrait original, nourride témoignages inédits de sesproches, de ceux qui l’ont connu,mais aussi d’autres, plus jeunes, qui,profondément marqués par ses chan-

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sons, font partie de la générationBalavoine.

Un livre est publié à l’occasiondes trente ans de la mort du chan-teur.

Golem

HHHII

Pierre AssoulineGallimard, 270 p., 19 €.

Soupçonné du meurtre de sonex-femme, décédée dans un mysté-rieux accident de voiture, GustaveMeyer, grand maître internationald'échecs, voit soudain sa vie basculer.En un instant, ce solitaire devientun fugitif partout recherché.

Dissimulé sous une autre identité,isolé des siens, il est rattrapé par sesfailles : l’étrange opération chirurgi-cale qu’il a subie à son insu et quil’a « golémisé » en décuplant ses fa-cultés mentales ; la relation ambiguëqu’il entretient avec l’ami qui l’aopéré ; le sentiment diffus de neplus s’appartenir et de devenir unmonstre au regard de la société.

Au fur et à mesure que l’hommese dépouille de son identité antérieurepour échapper à la police, des faitstrès inquiétants sont mis à jour. Gus-tave Meyer devrait sa prodigieusemémoire et sa capacité de concen-tration inégalable à une autre opé-ration secrète qui aurait fait de luiun monstre. Très spécifiquement un

Golem. Le Golem, cette légendejuive datant du XVIIe  siècle d’unAdam  inachevé, marqué au frontpar Dieu dont la vocation serait deprotéger les juifs de Prague des po-groms. On raconte que cette créature,aperçue par quelques-uns, vit tou-jours dans les combles de la syna-gogue Vieille Nouvelle de Prague…

Une clé lui manque, qu’il partchercher en errant au cœur de lavieille Europe, deux femmes à sestrousses : Emma, sa propre fille, quiessaie de l’aider, et Nina, chargéede l’enquête policière. Meyer y par-viendra-t-il à temps ? Sera-t-il assezsolide pour faire face à la véritéqu’il va découvrir ?

L’auteur explore toutes les pistes,s’amuse, virevolte, met en gardeaussi contre les possibilités infiniesque pourraient offrir les nouvellestechnologies si elles s’allient un jourà une science débridée et sansconscience.

Le goût de l’ombre

HHHII

GO ChâteaureynaudGrasset, 190 p., 16 €.

À travers ces nouvelles ironiqueset poétiques dont il a le secret, l’au-teur nous convie à l’accompagner àl'extrême lisière de la réalité. Unhomme apprend sa mort et entrepost mortem en résistance, un mil-

liardaire pêche la sirène, un billetde tombola ressurgit vingt ans plustard… Il est permis d'acheter, ainsiqu'un bibelot original, la momieneuve d'une jeune fille qui se réveillela nuit, parle, chante… Un poèteexplore, face à la statue de bronzed'un écolier qui ressemble à l'enfantqu'il a été, un musée consacré à sapropre existence.

Ce monde ressemble au nôtredans ses profondeurs, et l'auteurnous y entraîne avec un parfait na-turel, par la grâce d'une écritureélégante et précise. Un recueil en-voûtant, onirique ; une vision dumonde qui s’écarte du constat socialou de l’autofiction.

Une jeunesse deBlaise Pascal

HHHHI

Marc PautrelGallimard, 100 p., 12 €.

« Il regarde la grande roue tour-ner et donner un sens à l’eau, il ala bizarre sensation qu’il est lui-même devenu à la fois la roue etl’eau, comme le fruit d’une inéluc-table union, il est en même tempsl’artisan et l’outil. Parce que sesquestions sont immenses et quetoujours il voudra découvrir le lieuoù vont se cacher les morts, sesdécouvertes elles aussi sont deve-nues immenses. »

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En l’absence de son père et igno-rant des secrets, Blaise trace sestriangles et ses cercles à la craie surle sol, assis pendant des heures surle carrelage de la salle à manger de-venu pour lui une immense ardoisede calcul.

Cette jeunesse est le roman d’ungénie, l’enfance romanesque d’uneaventure qui va transformer le monde,ou, pour le moins, le regard que sescontemporains et leurs descendantsvont porter sur lui. Ce roman estcelui de l’enfance d’une pensée enmouvement – un trait continu (…)efficace et incontestable – qui vatrès vite sauter aux yeux de son pèreet de ses amis mathématiciens. Cettejeunesse est l’enfance d’un mouve-ment, le geste ample de Blaise Pascal,qu’éclairent les phrases souples,vives et élégantes de Marc Pautrel.Cette jeunesse est aussi celle del’absence, de la perte, d’un troubleprofond, Blaise Pascal ne cessera dese demander où se trouve sa mère,pourquoi est-elle morte, quel mall’a traversée et terrassée, pourquoin’était-il pas là pour la sauver ? Cettedouleur habitera sa jeunesse, commecelles qui ne cesseront de l’assaillir,jusqu’à la dernière qui féconderases Pensées.

Il conçoit et fait fabriquer la pas-caline, sa machine arithmétique quia libéré son père du poids des calculsquotidiens. Il expérimente et fait ex-périmenter ses théories, le vide lepassionne, il ne cesse de vérifier sesgestes d’enfant surdoué, de prouverqu’il est un génie, et son nom ré-sonnera de mille éclats dans les bul-letins de la météo marine, de pascalen hectopascal. De mathématicienil se fera philosophe, penseur, écri-vain, maître de sa langue, celle du

XVII° siècle, il fixa la langue queparlèrent Bossuet et Racine.

Cette jeunesse est un roman quimet à nu les secrets du mathémati-cien et du moraliste. Ce livre dessinece visage, ces mains, ce corps, cespensées en ébullition avec cet artdu trait et de l’esquisse, l’art du traitest ici l’art du roman. Les faits com-mandent la plume. Les faits et les si-tuations font de cette  jeunesse unroman de l’épure, de la vision, de lapassion et de la langue. Elle va jaillirdans son infaillibilité avec l’accidentque l’on connaît, cette suspensiondans l’espace, pendu par les piedsBlaise Pascal est saisi par une autrerévolution – un Feu –, elle ne serapas mathématique cette fois, maisthéologique, et sa portée sera toutaussi exceptionnelle.

Joffre

HHHII

Rémy PortePerrin, 400 p., 10 €.

« On pouvait discuter la façondont il avait établi ses plans, lui chi-caner tel ou tel rayon de sa gloire,le peuple continuait à l'aimer d'uneaffection où la sympathie tenait en-core plus de place que l'admiration »,écrivait Le Petit Parisien le 6 janvier1931, après la mort du maréchalJoffre. Dans le même temps, ilconcentrait sur sa personne d'in-

nombrables critiques : officier tourà tour présenté comme égoïste, in-capable ou faible. Ni hagiographieni critique systématique, la biographiequ'en propose Rémy Porte retracesa carrière, sans parti pris. Formésous le Second Empire, marqué parla défaite de 1870-1871, polytech-nicien ouvert aux nouvelles techno-logies, Joffre est nommé chef d'état-major général en 1911. Porté au pi-nacle après la victoire de la Marne,il fait l'objet d'une véritable vénéra-tion jusque dans le plus petit village.À la tête des armées françaisesjusqu'en 1916, il est remplacé parNivelle à la suite des terribles bataillesde Verdun et de la Somme. Resteque, plus que tous ses pairs, il a suincarner le commandement, en exi-geant que chacun tienne sa place, àson niveau, et en assumant seul lesprises de décision. Cent ans aprèsla Grande Guerre voici un portraitnuancé du général, sans concession,mais construit sans œillères à partirdes sources les plus diverses, dontplusieurs témoignages inédits.

L’indiscipline de l’eau

HHHII

Jacques DarrasPoésie Gallimard, 250 p., 8 €.

Écrire, pour Jacques Darras, c'estavant tout partir à la rencontre dumonde. Communiquer, commercer

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– d'où l'importance pour lui detoute voie navigable – avec toutesles dimensions de ce qu'il appelle"le massif de réalité". Or, au départ,le poème n'est qu'assis simplementsur sa chaise. Une chaise picardequ'on appelle là-bas "cadot". Maistrès vite et à la différence du petitécrit français qui se regarde biencalé sur son siège, avec ce poète,"le poème se lève". Sort de la pièce.Prend l'air. Suit d'abord le coursd'une mince rivière. L'accompagnejusqu'à son embouchure. Navigue.Revient avec à son bord le plusgrand de ces clercs irlandais venusranimer par leur savoir l'époqueendormie de Charles le Chauve.Se pose avec lui le temps d'une lu-mineuse célébration sur la muraille,la citadelle, de la ville de Laon.Repart en sautant des frontières quipour lui n'en sont pas, en directionde la Belgique. Chimay. Namur.Pour, face à la buissonnante splen-deur des façades héritées de CharlesQuint qui anime comme nulle autrepart au monde, la Grand-Place deBruxelles, proclamer, Décidémentpolémique, qu'il n'aime pas LouisXIV. Là, quand même, un moment,le poème s'arrête. Non pour souffler.Mais d'une traite s'abreuver à tousles mots, les moûts, colorés et mous-seux de la bière. Déguster effron-tément et dans tous ses sens, lamoule. Ce qui ne l'empêchera pasde pointer son nez dans l'atelierde Pierre Paul Rubens pour y sur-prendre ou plutôt inventer le dia-logue du peintre avec Helena, safemme ».

Une anthologie de poèmes, tousliés à l’eau, qui évoquent la naviga-tion, la Belgique ou des conversa-tions.

Histoire du monde (t.2)

HHHII

JM Roberts et O WestadPerrin, 450 p., 24 €.

Raconter et décrypter l'histoiredu monde, tel est le pari de cetteœuvre majeure, divisée en trois vo-lumes. Ce deuxième tome, qui cou-vre mille ans, du VIe au XVIe siècle,s'ouvre sur l'émergence des culturesnomades des grandes plaines, pourse conclure sur les prémices de ladomination européenne du monde.Si toutes les cultures ont déjà despoints communs – tels l'agriculturede subsistance ou la place centraledes animaux, chevaux ou bétail –,aucune n'est encore en mesure des'imposer et de transformer en pro-fondeur les autres. Partout, le poidsde la tradition reste énorme.

Cette riche époque de diversitéculturelle voit l'éveil de la sphèrebyzantine et du Japon, tandis queles carrefours de l'Eurasie centraledeviennent les principaux centresd'échanges mondiaux. La Chine desQing et l'Inde monghole revitalisentquant à elles les anciens héritages.Mais ces dix siècles sont aussi mar-qués par l'apparition de deux acteursmajeurs : l'islam qui voit le jour etva bouleverser les équilibres régio-naux et l'Europe, métamorphosée,lance ses vaisseaux sur tous lesocéans du globe.

Au-delà des immenses qualitésd'écriture et de synthèse des auteurs,qui rendent la lecture particulière-ment stimulante, la force du propostient dans leur capacité à lier lescultures et les espaces entre eux.Les deux auteurs soulignent, parexemple, ce que Constantinople doità l'hellénisme, ou expliquent le lienentre la naissance de la féodalité enEurope et les invasions barbares. Àl'heure où les enjeux culturels, éco-nomiques, politiques, démogra-phiques et environnementaux sestructurent à l'échelle mondiale, celivre, par sa hauteur de vue, sonstyle et sa pertinence, donne les clésde compréhension de la passionnantehistoire de l'humanité.

Joséphine

HHHII

Philippe BrandaPerrin, 460 p., 24,50 €.

Elle ne s'appelait pas Joséphinede Beauharnais, mais Marie-Joseph-Rose de Tascher de La Pagerie. C'estpar la grâce de Napoléon qu'elleprit le nom de Joséphine, puis letitre d'impératrice. Ce premier mys-tère en cache beaucoup d'autres,dont l’auteur lève successivementles voiles. Certes, la Créole avait lagrâce du cygne, dont elle se fit uninstrument efficace, au point d'êtredésignée comme « l'incomparable »,

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de sa naissance à la Martinique en1763 jusqu'à sa mort à Malmaisonen 1814. Mais, bien plus que sesprouesses et ses trahisons amoureusesréelles ou supposées, l'auteur faitvaloir la femme de réseaux, d'in-fluence et d'argent, l'hostilité jamaisdémentie du clan Bonaparte à sonégard et envers ses deux enfants,son goût pour la nature et les arts, etsurtout ce lien complexe et indéfec-tible avec Napoléon dont elle ac-compagna la vertigineuse ascensionsans connaître la chute ultime. Loinde la légende noire comme despotins anecdotiques, l’historien re-donne vie à une femme de têteautant que de corps aux prises avecla grande histoire, dont elle sut tirerparti tout en subissant ses coups.

FTP, une nouvelle histoire de la résistance

HHHII

Franck LiaigrePerrin, 370 p., 23 €.

Chargés de mener la lutte arméeau nom du Parti communiste français,les Francs-tireurs et partisans (FTP),créés en avril 1942 par la directiondu PCF, ont été glorifiés par unemémoire prompte à exalter leur hé-roïsme. De Fabien à Manouchian,de Charles Tillon à Charles Debarge,les personnages légendaires ne man-quent pas ! Pourtant, aucune étude

scientifique n'avait été consacrée àces hommes, faute d'archives, di-sait-on. Franck Liaigre propose une"nouvelle histoire" des FTP. Qui faitla part du sacrifice et de la légende.

L’auteur a exploité de nombreuxfonds d'archives et découvert desdocuments inédits au cours de quinzepatientes années de recherche quipermettent désormais de placer lesFTP sous un jour résolument nou-veau : genèse, recrutement, fonc-tionnement, missions et idéaux…Rien n'échappe à ses questionne-ments qui répondent in fine à uneinterrogation centrale : quel bilantirer du combat qu'ont livré les FTPau nom de la France, de la liberté…ou de l'idéal révolutionnaire ?

Les historiens ont depuis long-temps fait un sort au chiffre magiquedes "75 000" fusillés brandi par leParti communiste à la Libération.L'impôt du sang versé par les FTPoscille probablement entre 3000 et5000 victimes. Autre légende, lathèse de la "double ligne" qui s'estimposée avec plus de succès. Bravantles consignes du PCF clandestin,une poignée de camarades auraientsauvé l'honneur en frappant l'occu-pant dès l'automne 1940. Ce mytheconsolant ne résiste pas aux nom-breux fonds d'archives. Avant la rup-ture du pacte germano-soviétique,en juin 1941, l'écrasante majoritédes militants respecte à la lettre lesconsignes de Moscou : neutralité àl'égard du vainqueur, dénigrementdu "chauvinisme gaulliste" et de la"guerre impérialiste". Le revirementimposé par l'attaque de l'Union so-viétique va semer la confusion dansles rangs d'un Parti qui peinera tou-jours à recruter des combattants.Comme la plupart des Français, les

communistes réprouvent l'assassinatde soldats allemands. Le catéchismeléniniste d'avant-guerre n'enseignait-il pas le rejet de l'attentat individuel,assimilé à une pratique anarchiste ?Pour les pères de la révolution bol-chevique, seule la terreur de masseétait officiellement digne d'éloges.

L’auteur écorne l'image d'uneorganisation à la discipline de fer.Le manque de moyens et un certainamateurisme sont le plus souventde règle. Sept fois sur dix, les auteursd'attentat ne parviennent pas à tuerleur victime pourtant visée à boutportant. Ces insuffisances n'enlèventrien au courage des hommes ni àl'ampleur du sacrifice consenti.

Le mariage de plaisir

HHHII

Tahar Ben JellounGallimard, 270 p., 20 €.

Dans l’islam, il est permis à unhomme qui part en voyage decontracter un mariage à durée dé-terminée pour ne pas être tenté defréquenter les prostituées. On lenomme « mariage de plaisir ».

C’est dans ces conditionsqu’Amir, un commerçant prospèrede Fès, épouse temporairement Na-bou, une Peule de Dakar, où il vients’approvisionner chaque année enmarchandises. Mais voilà qu’Amirse découvre amoureux de Nabou et

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lui propose de la ramener à Fèsavec lui. Nabou accepte, devient saseconde épouse et donne bientôtnaissance à des jumeaux. L’un blanc,l’autre noir. Elle doit affronter dèslors la terrible jalousie de la premièreépouse blanche et le racisme quoti-dien.

Quelques décennies après, lesjumeaux, devenus adultes, ont suivides chemins très différents. Le Blancest parfaitement intégré. Le Noir vitbeaucoup moins bien sa conditionet ne parvient pas à offrir à son filsSalim un meilleur horizon. Salimsera bientôt, à son tour, victime desa couleur de peau.

Ce livre se déroule comme unconte. Un conte dramatique qui, aufil des mots, soulève des tragédiessociales, excave des douleurs quifusent au grand jour pour révélerles violences et meurtrissures de tra-ditions insensées, de dogmes inventéspour le plaisir des uns et le néantdes autres, où la liberté des uns estétouffoir pour d’autres.

Martin Heidegger

HHHII

Guillaume PayenPerrin, 620 p., 27 €.

D'une plume agréable, il déroulel'existence complexe d'un catholiquequi renonce à la prêtrise pour laphilosophie. Ce livre n’est pas un

livre de philosophie : on est biendans l’histoire d’un homme, qui estphilosophe et dont la philosophie amarqué son siècle (et peut-être plus !).

« Le national-socialisme est unprincipe barbare », écrit Martin Hei-degger dans ses Cahiers noirs, ajou-tant : « C'est ce qui lui est essentielet sa possible grandeur ». Révolu-tionnaire radical, ayant vu et ap-prouvé le caractère destructeur dunazisme, le recteur de Fribourg aréservé d'autres surprises dans sesjournaux philosophiques, dans les-quels il évoque par exemple l'« auto-anéantissement du “juif"». Alors quele philosophe est devenu un objetd'incompréhension et d'horreur,nombre de spécialistes en appellentdésormais à l'histoire. C'est cetteréhistoricisation que l'auteur a en-treprise dans ce livre. Refusant lapolémique, l'adoration et la détes-tation, il s'emploie à comprendrel'homme et le penseur, de l'intérieuret en son temps, par le biais detoutes les sources disponibles : cours,lettres, textes de circonstance, demême que les Cahiers noirs qui sus-citent tant d'émoi.

Excédant largement le IIIe Reich,le cheminement de Heidegger futheurté : il commença par un catho-licisme intransigeant, qui laissa laplace, après la Première Guerremondiale, à une volonté farouchede révolution philosophique, terreaudans lequel son nazisme vint jeterde profondes racines qui survécurentà l'effondrement du régime hitlérien.De cette biographie se dégage unportrait fait d'ombres et de lumières :grand philosophe, maître, ami dejuifs ou d'étrangers, Heidegger futaussi un nationaliste antisémite, in-quiet de l'« enjuivement » de son

peuple et soucieux de son rôle his-torique prééminent. Il a aussi étél’amant avant et après la guerred’Annah Arendt… Une personnalitécomplexe donc.

L’un des avantages de cette bio-graphie est de ne pas que se focalisersur le rapport au nazisme mais d’em-brasser la personne dans son entier.L’auteur a choisi de retracer la viedu penseur à travers les principalesétapes de son élaboration intellec-tuelle. Les pages parfois puissantesde ce livre ne peuvent que nourrirun débat intarissable.

Meuh !

HHHII

François MorelDenoel, 130 p., 17 €.

Qui n'a jamais été tenté, en pas-sant devant un pré où se prélassentquelques bovidés placides, de de-venir vache à son tour ? C'est la sur-prise que la vie réserve à Philippe,adolescent sensible et insouciant.Drôle de vacherie ! Un beau matin,le fils unique de M. et Mme Bonne-val, propriétaires du beau magasinde confection de Rochebrune, semétamorphose en vache. Passé l'effetde surprise, Philippe, enfin Blan-chette, abandonne la cigarette, prend200 kg et rumine cette transformationimpromptue. Face au rejet paternel,se sachant paria à jamais, il quitteles siens pour les prés. Or, commechacun le sait, l'amour est dans le

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pré. La coquette Blanchette y ren-contre un fier taureau de Bilbao,l'amour de sa vie, le père de sonveau, Toto.

Ce livre est le témoignage lou-foque d'une jeune vache qui s'affirmepour trouver sa voie, quitte à rompreavec son passé. La route est longuepour trouver de l'herbe verte et saplace au soleil.

Caustique, cinglant, émouvant,l’auteur revient à ses origines nor-mandes et offre une fable fantaisisteet touchante.

La miche de pain,1ère année

HHHHH

Elor, 570 p., 49 €.

Le « Catéchisme » de Marie Tri-bou a contribué à éveiller et formerà la foi chrétienne des générationsd'enfants. Progression très pédago-gique en quarante leçons hebdo-madaires avec des questions en finde chapitres.

Cet ouvrage fondamental vientd’être réédité avec son texte intégralet original du catéchisme traditionnel,une valeur sûre de la catéchèse oùseule l'iconographie a été modifiée.Pour cette édition Elor a fait appel àJoëlle d'Abbadie pour 266 dessinscouleurs. Suivant l'année liturgique,le Catéchisme permet à l'enfant d'ap-prendre sa religion, les gestes de lafoi, le respect et l'amour du BonDieu. Ce premier volume donne les

bases au tout jeune enfant, dès 4ans, qui sera aidé dans sa progressionpar ses parents, par les questionsposées en fin de chaque chapitre etpar les éblouissantes illustrations.

Le new deal français

HHHII

Philip NordPerrin, 760 p., 25 €.

Né aux États-Unis sous le mandatde Roosevelt, le New Deal a sonpendant français. Engagé dans lesdernières années de la IIIe Répu-blique, prolongé sous le régime deVichy, puis développé après la Se-conde Guerre mondiale, ce mouve-ment réforma la France, notammentpar le développement de la planifi-cation de l'économie, la naissanced'un système de protection sociale,la première vague de nationalisations,mais aussi la création d'une politiqueculturelle d'envergure. À la Libéra-tion, la rénovation de l'État étaitcertes inévitable, mais Vichy laissaiten héritage tout un écheveau deconcepts, d'initiatives et de pratiques.Contrairement à la vulgate, loin derompre avec ces courants, la classepolitique – gauche et droite – conti-nuait de croire aux valeurs familiales,au culte des élites, à un État fort etinterventionniste. La France del'après-guerre ne fut pas ainsi entiè-rement neuve, puisée au creuset re-

fondateur de la France libre conjuguéau volontarisme gaullien. La mo-dernisation du système, sans boule-versement des structures profondes,rendit possible la construction d'unerépublique politique et sociale, danslaquelle nous vivons encore pourune large part.

Un demi-siècle après les analysespionnières, plus souvent citées qu’ex-ploitées, de Stanley Hoffmann ca-ractérisant la France des années 1930aux années 1960 par la maturité, lamise à mal puis la reconstructionde ce qu’il dénommait « synthèserépublicaine », l’historien de Prin-ceton Philip Nord propose au-jourd’hui, sous le titre France’s NewDeal, une relecture de ces annéesde transition entre la III° Républiquefinissante et la IV° République, unefois sortis du jeu successivementde Gaulle puis le parti communiste.

S’appuyant à la fois sur l’enri-chissement de l’historiographie, fran-çaise comme anglo-saxonne, et surses propres recherches dans desfonds privés peu fréquentés (papiersCarrel à Georgetown, archives dePierre Schaeffer à Montreuil et ar-chives de Sciences Po), l’auteur livreune lecture d’une indéniable richesse.Histoire institutionnelle, intellectuelleet sociale à la fois, le livre présentecette originalité d’aborder la sé-quence chronologique années 1930post-Front populaire/Vichy/IV° Ré-publique sous deux angles. D’abordde manière générale, en se focalisantsur la traduction institutionnelle duprogramme du Conseil national dela Résistance, véritable charte de laNouvelle Donne (traduction littéralede New Deal) intervenue à la Libé-ration, qui dota la France de rien demoins que la Sécurité sociale, la

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planification, l’action publique enmatière de démographie, l’École na-tionale d’administration. Une se-conde fois en resserrant la focalesur les politiques culturelles, choisiesà la fois en raison des continuitésqui les sous-tendent durant toute lapériode et parce que la reconstructionde la France fut, pour l’auteur, unphénomène d’ordre au moins autantculturel qu’économique.

La seconde partie de l’ouvrageprend la forme de trois chapitresd’histoire culturelle, chacun analy-sant, avec la même périodisationque celle retenue dans la premièrepartie, l’évolution des trois vecteursd’expression étudiés par l’auteur. Cene sont sans doute pas là les pre-mières monographies sur la radio,le théâtre et le cinéma depuis le mi-lieu des années 1930 jusqu’au milieudes années 1940, mais ce sont à lafois les plus convaincantes, car lesplus intimement associées aux enjeuxpolitiques, idéologiques et sociauxde la période, et les plus riches, parla multiplicité des perspectivesqu’elles ouvrent. Ainsi la chaîne,récit d’un moment historique saisipar les institutions qui l’ont façonné,se croise-t-elle avec la trame, en-semble de biographies politico-in-tellectuelles des acteurs, qu’il s’agissedes tout premiers rôles (Laroque,Sauvy, Debré, Monnet) ou d’hommesd’influence aux parcours, aux modesde pensée et aux visions du mondeaussi divers que ceux de Robert Bu-ron ou de Louis Jouvet, de GastonDefferre ou de Jean Giraudoux. Cettegalerie de portraits conduit l’historienà souligner l’apparition progressived’une nouvelle classe dirigeante. Larésumer par l’idée de technocratielui paraît insuffisant, même si l’un

des traits majeurs de la séquenceréside précisément dans la convictionqu’une condition nécessaire et suf-fisante pour réformer vite et bienconsiste à ne laisser au Parlementqu’une place au mieux résiduelle etidéalement nulle – ce que firent,dans des contextes et avec des subs-trats idéologiques radicalement dif-férents, aussi bien l’État français quela France libre puis le GPRF. L’auteuren déduit la mise en évidence decontinuités de la période, relativisel’effet de rupture qu’aurait constituéle Front populaire et souligne la plu-ralité des devenirs possibles à la Li-bération.

Les hommes aux affaires à partird’août 1944 mettent le renforcementde l’État au cœur du renouveau na-tional, idée partagée par des hommesaussi différents que Charles deGaulle, Jean Moulin et Adrien Tixier.

Mais on doit aussi rappeler l’ana-lyse en termes de structures, quemettait déjà en lumière le publicisteGaston Jèze dans les premières dé-cennies du XXe siècle lorsqu’il dé-crivait la France comme un régimerépublicain bâti sur une ossature ad-ministrative bonapartiste, oncle etneveu réunis. Enrichie par la III° Ré-publique d’un ordre colonial plusautoritaire encore, cette ossature abien surmonté l’épreuve du temps,comme en témoigne la série de bi-centenaires institutionnels que cé-lèbre le pays.

En regard de cette pérennité querien ne semble menacer, toutes lesinstitutions apparues à la Libérationsont – à l’exception de l’ÉNA qui nesurvit qu’au prix de remise en causecontinuelle – soit en crise commela Sécurité sociale, soit déjà mortes

comme nombre d’entreprises natio-nales ou, plus caractéristique encore,comme le commissariat général auPlan. Il existe un marché impliciteentre l’État et ses hauts fonction-naires : non sans doute « tout changerpour que rien ne change » mais« beaucoup changer sans changerl’essentiel », explication qui permetau passage de mieux comprendreles « ratés de l’épuration » qu’évo-quait Raymond Aron dès octobre1945 dans la première livraison desTemps modernes.

L’oreille d’or

HHHII

Elisabeth BarilléGrasset, 130 p., 14 €.

Entendre, mais d’une seule oreille.Ne pas entendre comme il faudrait,donc, à l’école, en société, chezsoi, mais entendre autre chose, sou-vent, entendre mieux, parfois. Dansce récit intime, l’auteur évoque sonhandicap invisible, malédiction ettrésor, qui l’isole mais lui accordeaussi le droit d’être absente, le droità la rêverie, au retrait, à la rétention,voire au refus. « Merci mon oreillemorte. En me poussant à fuir tout cequi fait groupe, la surdité m’acondamnée à l’aventure de la pro-fondeur… »

Elle revient sur ce parcours dusilence : sa vie d’enfant un peu à

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part, les refuges inventés, les acci-dents et les rencontres… De l’im-perfection subie au « filon d’or pur »,l’écrivain traverse l’histoire littéraireet musicale, dans une réflexionpresque spirituelle.

Quand la gauche agonise

HHHHI

Paul-François PaoliLe Rocher, 210 p., 19 €.

Pourquoi la gauche a-t-elle perdule soutien des classes populaires etcelui des intellectuels ? Parce qu'ellea fait l'impasse sur ce qui constituel'identité de la France, brutaliséepar la mondialisation. La gauche nes'est pas seulement ralliée au libé-ralisme, elle a adhéré à une visionpost-nationale de la République quitrahit l'héritage de Clemenceau etDe Gaulle. Face au défi que repré-sente l'islam, elle a recours à undiscours creux sur le « vivre ensem-ble » qui tente de camoufler l'am-pleur de fractures ethniques et reli-gieuses.

L’auteur (journaliste au Figaro)rappelle que la question de l'identitéde la France, marquée par la traditionchrétienne et l'héritage gréco-romain,et celle de sa souveraineté sont liées.S'il existe un peuple français, celui-ci a des droits historiques sur laFrance, laquelle n'est pas qu'uneidée mais une terre et un pays. C'est

cette réalité que certaines élites oc-cultent alors qu'elles reconnaissentce principe pour d'autres pays, dela Russie à Israël.

L'auteur exhorte à une décolo-nisation des esprits. Il nous rappellel'avertissement de Jean-Paul II, en1980, lors de sa venue à Paris :« Veillez par tous les moyens à votredisposition sur cette souverainetéfondamentale que possède chaquenation en vertu de sa propre cul-ture ! »

Pas de découvertes ni de révéla-tions mais un livre rempli de justeset pertinents rappels.

La républiquedes conseillers

HHHII

David SénatGrasset, 240 p., 18 €.

Le conseiller travaille dans lesgrands ministères, participe aux réu-nions sensibles, reçoit dans son bu-reau, explique, suggère, influence,avertit. Les textes de loi, c’est lui.Les amendements, c’est lui. Les pa-rapheurs, c’est lui. Il connaît et maî-trise ses dossiers, tandis que les mi-nistres font de la communication…et passent. Mais ces femmes et ceshommes, dont le nom est parfoiscité, n’écrivent pas. David Senat,lui, raconte cette république desconseillers. Et c’est un événement.

« À l’été 2010, au terme de huitannées passées au sein de quatrecabinets ministériels, j’étais contraintde quitter mes fonctions. Ce rouleaucompresseur auquel j’ai consacrétoute mon énergie, aux ministèresde la Justice, de la Défense et del’Intérieur, avait fini par se retournercontre moi. Une poignée d’agentsdu renseignement intérieur, la DCRI,avaient découvert mes échanges avecun journaliste. J’étais soudain frappédu sceau de l’infamie. Considérécomme indésirable, voire dangereux.Banni du pouvoir, j’ai eu le tempsde réfléchir à l’exercice de l’État :ses petitesses, ses lâchetés et surtoutson absence de sentiment. Il fautsurvivre, quitte à tuer ou blesser. »

L’auteur jure ses grands dieuxqu’il n’est pas venu régler sescomptes. Il n’empêche, il ne mégotepas lorsqu'il s'agit de balancerquelques scuds en direction de sesanciens employeurs.

Il évoque deux affaires dans les-quelles Nicolas Sarkozy aurait di-rectement donné des consignes."Dans l’affaire Polanski, je peux enparler puisque je l’ai connue defaçon tout à fait officielle (…) Il aété demandé à la Chancellerie desuspendre toute coopération judi-ciaire avec la Suisse après qu’unmagistrat Suisse a mis en exécutionun mandat d’arrêt d’un juge améri-cain", affirme-t-il. En 2009, le cinéasteest arrêté par la police à Zurich pourune affaire de viol sur mineure quiremonte à 1977. En 2005, la justiceaméricaine avait émis un mandatd’arrêt international contre lui.

L’autre anecdote concerne cettefois un ami proche du président,Christian Clavier qui aurait "sollicité

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l’intervention des forces de l’ordrepour l’évacuation de manifestantsdans sa maison", rappelle David Sé-nat. "J’ai vu le responsable de la sé-curité en Corse être limogé pouravoir refusé de prêter main forte àChristian Clavier avec les moyensde l’État", se souvient-il.

Enfin, l’ancien conseiller de MAMn’oublie pas l’ancienne ministre dela Défense lorsqu’il relate son en-tretien avec celle qui a scellé sonsort. "Elle m’a demandé qui est cejournaliste (NDLR Gérard Davet), qu’elle fait semblant de ne pas connaître,qu’elle a pourtant bien connu àl‘époque où il fallait déjà alimenterla presse quand le dossier Clearstreamprojetait ses feux…" Il est suspecténotamment d’alimenter le journalisteGérard Davet du Monde sur l’affaireBettencourt. Les cuisines de la Sar-kozie ne sont décidément pas desplus appétissantes…

Le roi et l’architecte

HHHII

Laurent DandrieuLe Cerf, 210 p., 12 €.

Enivré de fête, de théâtre, defaste et d’ores et déjà passionnémentépris de grandeur, le jeune LouisXIV avait tout pour être séduit parle cavalier Bernin. Le jeune mo-narque, poussé par son esprit ba-roque et sa soif de gloire, exige et

obtient du pape qu’il se détache deson artiste préféré pour le laisservenir à Paris. Le Bernin reçoit eneffet comme mis sion de réaliser unerénovation et une transformation duLouvre. L’esprit fécond de l’archi-tecte-sculpteur se met en marcheet, tout en étant sollicité de toutesparts, fournit les plans d’un palais àl’italienne.

Mais les obstacles sont nombreuxsur sa route. Sa franchise, son ita-lianité, ses critiques à l’encontre duclassicisme français et son don ini-mitable pour se faire des ennemisbraquent une partie du monde ar-tistique et courtisan. L’artiste béné-ficie certes de la faveur royale maisque peut-il faire devant l’hostilitédu tout-puissant ministre Colbert etde son âme damnée, Charles Per-rault ?

La rencontre du jeune roi degloire et du maître de la splendeurbaroque allait s’achever piteusement,par une rebuffade qui n’osait pasdire son nom. Mais cet échec futcurieusement fécond, et peut-êtreaurait-il fallu la visite à Paris duplus grand des artistes italiens pourque Louis XIV prenne pleinementconscience que la grandeur duroyaume à laquelle il entendait sipassionnément travailler ne pouvaitse faire qu’en créant les conditionsd’éclosion d’un art proprement fran-çais, qui ne dût rien à personne.

L’auteur ne fait pas du Bernin unevictime innocente des cabales. Sonobstination à refuser à accli mater legoût italien aux exigences françaises(ce que parviendra à faire Lully) alourdement pesé. Trop italien en faitce cher Bernin… Aucun art ne peuts’extraire de la nation et de ses

Le silence religieux

HHHII

Jean BirnbaumLe Seuil, 240 p., 17 €.

Vaut mieux tard que jamais !Alors que la violence exercée aunom de Dieu occupe sans cesse ledevant de l’actualité, la gauche sem-ble désarmée pour affronter ce phé-nomène. C’est qu’à ses yeux, le plussouvent, la religion ne représentequ’un simple symptôme social, uneillusion qui appartient au passé (obs-cur), jamais une force politique àpart entière.

Là où il y a de la religion, lagauche ne voit pas trace de politique.Dès qu’il est question de politique,elle évacue la religion. Voilà pour-quoi, quand des tueurs invoquentAllah pour semer la terreur en pleinParis, le président socialiste de laFrance martèle que ces attentatsn’ont « rien à voir » avec l’islam. In-capable de prendre la croyance ausérieux, comment la gauche com-prendrait-elle l’expansion de l’isla-misme ? Comment pourrait-elle ad-mettre que le djihadisme constitueaujourd’hui la seule cause pour la-quelle un si grand nombre de jeunesEuropéens sont prêts à aller mourirà des milliers de kilomètres de chezeux ? Et comment accepterait-elleque ces jeunes sont loin d’être tousdes déshérités ? Éclairant quelques

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épisodes de cet aveuglement (de laguerre d’Algérie à l’offensive deDaech en passant par la révolutionislamique d’Iran), ce livre analyse,de façon vivante le sens d’un silencequ’il est urgent de briser. L’auteurcritique la gauche pour son ignorance(revendiquée) du fait religieux. Unaveuglement qui l’empêche de com-prendre l’expansion de l’islamismeviolent, dont les facteurs sont enpartie religieux mais aussi politiques.

L’auteur défend la thèse que lemanque de réflexion de la gauchesur le religieux la prive de la possi-bilité de comprendre le djihadisme,notamment celui de l'État islamique.Son livre est stimulant et fourmillede références intellectuelles diversesde Marx à Furet, de Foucault àWalter Benjamin. Lecture roborativedonc et qui pourrait ramener à Dur-kheim et à ses analyses du fait reli-gieux. Très belles pages aussi sur lespenseurs du monde arabo-musulmanen lutte contre les intégrismes. L’au-teur a des pages fortes intéressantessur l'aveuglement de la gauche faceau FLN durant la guerre d'Algérie. Ilfaut noter cependant que cet aveu-glement ne concernait pas que l'Islammais que dans un contexte où "ilfallait choisir son camp" l'aveugle-ment concernait avant tout les pra-tiques politiques et militaires d'uneinsurrection anticoloniale qui man-geait ses propres enfants, commed'autres révolutions auparavant, aussibien en France qu'en Russie. Camusn'avait pas partagé cette cécité.

Le religieux n'est jamais indé-pendant du politique et l'erreur deFoucault est précisément là : il a vula ferveur religieuse qui motivait lessoulèvements mais il n'a pas comprisqu'elle était aussi politique. La théo-

cratie est une politique et une reli-gion, pas du tout une "désertion dupolitique" ou "une grève par rapportau politique" (Foucault cité dans lelivre). L’auteur a raison de montrerque le "rien-à-voirisme" est une mu-tilation intellectuelle mais ici il nouspropose un "tout-à-voirisme" qui enest une autre. Il s'inscrit effectivementdans le sillage de Foucault maisaussi dans le fourvoiement foucal-dien. Le progressisme est une religionséculière mais la religion peut êtreune politique révolutionnaire. La finde l'ouvrage, l’auteur rappelle quele socialisme, le marxisme ou lecommunisme, en gros le "mouvementrévolutionnaire" est une religion sé-culière. Finalement l'aveuglementde la gauche n’est-il pas lui-mêmereligieux ? La religion du progrès enlutte contre le religieux théiste aperdu une bataille mais l'histoirecontinue…

Sous Ponce Pilate

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Gabriel RobinEd de Fallois, 400 p., 22 €.

D’abord, il relève un vieux défi :situer dans l’espace et dans le tempsle plus possible des épisodes évan-géliques. Interrogés avec savoir-faireet pénétration, bien des indices géo-graphiques ou historiques sortent del’ombre, et, rapprochés les uns des

autres jalonnent un parcours. Il fautsuivre de près la démonstration serrée(bien résumée dans le chapitre finalde conclusion-résumé) qui aboutità proposer deux dates extrêmes, 28et 33, pour le parcours public de Jé-sus, et à établir à l’intérieur de cha-cune des quatre années centralesun ou deux faits bien datés, qui ser-vent de pivots autour desquels enregrouper d’autres, avec un avant etun après. Les événements évangé-liques ne flottent plus dans un espacenarratif décollé de la réalité, maisprennent place dans une aventure,en Judée, en Galilée et autour de laGalilée, puis à nouveau en Judée.La vie publique de Jésus prend unedimension historique, s’inscrit dansle monde juif et romain de l’époque,et cette surprenante valeur de réalitéconcrète en renouvelle la lecture.On suit l’action de Jésus, étape parétape, semestre après semestre, eton comprend peu à peu les Évangilescomme un drame à plusieurs sé-quences, dont chacune a sa domi-nante propre.

D’abord, la phase initiale, en Ju-dée, dominée par la présence duBaptiste, qui pendant un an sera,d’abord devant, puis derrière Jésus,le grand référent qui protège, au-thentifie, et encourage sa mission ;puis la phase centrale, en Galilée,pendant laquelle Jésus, installé àCapharnaüm, recrute et s’attacheses apôtres et ses disciples, déploieson action, organise sa prédication,appuyée par des miracles impres-sionnants, et connaît une popularitéextraordinaire, mais à deux reprises,doit s’éloigner. Dernière phase, celledu retour en Judée, vraiment hé-roïque : on suit Jésus dans les attaquespermanentes que déclenchent contre

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lui les autorités religieuses, qui necessent de l’affronter dans des joutesthéologiques visant à lui faire perdrela face, et dont il surmonte admira-blement les défis, puis, qui, finale-ment, se décident à la manière forte,dans une épreuve à laquelle il sesoumet.

Bien des épisodes reçoivent unéclairage neuf : l’algarade avec lesmarchands du Temple, qui n’estqu’un affrontement mineur et limité,situé au début, en Judée, dont Jésusse tire habilement en invoquant lenom du Baptiste ; le départ précipitéde Judée, qui suit directement l’ar-restation du Baptiste ; les deux séjoursde Jésus en Décapole et surtout enSyrie du Sud, qui n’ont rien d’unepromenade inexplicable, mais sontdes fuites devant des dangers réels ;la guérison de la fille de Jaïre, quiprend un piquant certain si on sesouvient que Jaïre, chef de la syna-gogue de Capharnaüm, faisait partiede ceux qui, scandalisés par la gué-rison de l’infirme un jour de sabbat,avaient poussé Jésus à partir, et pour-tant, père désespéré, l’appelle ausecours ; les affrontements avec lespharisiens, puis les sadducéens, àJérusalem, où Jésus joue à chaquefois son autorité, et démontre sa su-périorité, ce qui exaspère ses adver-saires ; l’entrée des Rameaux à Jéru-salem, que l’auteur présente commeune dernière tentative pour ralliertous ses partisans, et essayer de chan-ger le rapport de force avec les au-torités religieuses, mais qui finale-ment, n’aboutit pas. Le lecteur ad-mirera enfin la présentation de lapériode des apparitions postpascales,dans laquelle l’auteur voit la clé dela naissance de l’Église, une prépa-ration de la Pentecôte…

Tout livre sur Jésus serait décevant,s’il ne parlait pas aussi au cœur. Ilne s’agit pas seulement de la néces-saire sympathie méthodologiquequ’auteur et lecteurs doivent réserveraux acteurs de l’histoire, mais ici,plus précisément, de ce mélange derespect et de vénération qui estcomme la condition indispensableà tout effort d’intelligence de cettefigure extraordinaire. L’auteur ne ré-cuse aucun fait des Évangiles, aucunephrase mise dans la bouche duChrist, et ses nombreuses analysesdes paroles de Jésus, teintées de foi,donnent beaucoup à voir, à com-prendre, et à admirer. Son livre estinséparablement un exposé historiqueet une méditation, et c’est cette syn-thèse qui en fait toute la richesse, ettoute la valeur.

Les tilleuls de Berlin

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Jean OcteauGrasset, 560 p., 24 €.

À trente ans, Karl Schuster a déjàconquis le milieu de l’art à Berlin. Ilignore que son voyage au pays natalva bouleverser son existence. Dés-ormais, sa vie sera une aventure detous les instants.

Karl est ébloui par une femmequi accomplit des merveilles dansun monde qui lui est étranger. Plustard, le rêve d’un bel été devient su-

bitement réalité : avec Esther, il dé-couvre la passion. La séparation,inévitable, ne brisera jamais l’amourqui les a réunis.

Avec Janina, l’amour renaît sousune autre forme. Karl devine chezcette femme effacée une clairvoyancequi le guidera parmi les dangersd’une Europe en guerre.

À l’heure de l’attentat contre Hit-ler, que signifie le dernier messagede Janina ? Quelle machine infernaleles nazis cachent-ils au sanatoriumd’Obrawalde ?

Sauvé de la mort par les femmesde Berlin, Karl évite le Goulag so-viétique, mais il doit rendre descomptes aux autorités américaines.Réfugié à Vienne, il cherche la traced’Esther et suit dans la rue un fantômeà peine sorti de l’enfer. Pourquoi lapauvre femme dissimule-t-elle sonmystérieux prénom ? C’est à caused’elle que Karl se retrouvera si loinde ses tilleuls de Berlin, et si près dela vérité.

Les tilleuls de Berlin est un romandans lequel le narrateur, un jeunecritique d’art né en Transylvanie, ra-conte sa carrière et ses aventures àtravers l’Europe. Roman de l’Europeau XX° siècle, de Berlin à Bucarestou à Paris, en passant par Vienne etBudapest. Roman d’un pacte avecle diable au nom de l’art, donnantla parole à Hermann Voss, derniercollaborateur d’Hitler dans le gigan-tesque projet du musée de Linz.Choc des événements vus par despersonnages aussi bien réels quefictifs. Enquête sur une dérive ultra-secrète des autorités médicales na-zies. Révélation du secret d’un mys-térieux prénom enfoui dans la mé-moire des années sombres. Un grand

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roman d'amour qui s'inscrit dansl'Histoire dont l'auteur a connu nom-bre de protagonistes.

La vérité

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Sous la direction de J.Ph. Genet

Paris Sorbonne, 600 p., 28 €.

Signs and States, programme fi-nancé par l'European Research Coun-cil, a pour but d'explorer la sémio-logie de l'État du XIIIe siècle aumilieu du XVIIe siècle. Textes, per-formances, images, liturgies, sons etmusiques, architectures, structuresspatiales, tout ce qui contribue à lacommunication des sociétés poli-tiques, tout ce qu’exprime l’idéeldes individus et leur imaginaire, estici passé au crible dans trois sériesde rencontres dont les actes ont étérassemblés dans une collection desPresse de la Sorbonne, Le pouvoirsymbolique en Occident (1300-1640).

Ces volumes, adoptant une pers-pective pluridisciplinaire et compa-rative dans une visée de long terme,combinent études de cas, analysesconceptuelles et réflexions plus théo-riques. Et les réponses à ce ques-tionnaire, issu d’une réflexion surune histoire culturelle poursuivie surplus de cinq siècles, remettent encause une histoire de l’Occidentlatin où l’on opposerait Église et

État. La mutation culturelle engendréepar la réforme grégorienne qui, touten assurant d’abord le triomphe dela papauté, a donné à l’État moderneles moyens d’assurer sa propre légi-timité en créant les conditions d’unerévolution du système de commu-nication. Elle engendre un partagedu pouvoir symbolique et des pro-cessus de légitimation avec l’État :la capacité de ce dernier à se légiti-mer par le consentement de la sociétépolitique en dehors de la contingencereligieuse est une spéci ficité de l’Oc-cident latin, clé de l’essor des Étatsmodernes européens.

Ce volume est une contributionsur la place de la vérité dans la phi-losophie, le droit, la théologie, l'artet la communication politique àl'époque médiévale. L'affirmationde la vérité, en lien avec la domina-tion symbolique de l'Église, devintl'un des principes qui structurentl'imaginaire médiéval et configurentles vecteurs qui le médiatisent.

La violence des potiches

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Marie NimierActes Sud, 320 p., 25 €.

Elles parlent toutes de leur corpsc'est-à-dire à partir de leur corps, età propos de leur corps. Et parfois,du corps des autres, passants, clients,amants, fils, maris. Corps aimés,

corps silencieux, immobiles, heureux,morts, attendris, étrangers, exultant.Épluchant des oignons, repassantdes chemises, assis au volant d'untaxi ou sur un tabouret de bar. Voicidouze monologues qui sont autantde portraits à vifs où se mêlentdrame, mélancolie, douceur et au-todérision. La parole est aux acci-dentés de la vie les mots constituentun exutoire. Ce n’est pas ce quel’auteur a écrit de mieux, même sielle cherche à capter la réalité dumonde actuel.

Les serviteurs inutiles

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Bernard BonnelleLa table ronde, 280.p, 18 €.

Nous sommes au XVIe siècle.La France est déchirée. Les têtes deshuguenots trônent sur des pics, lescatholiques sont brûlés vifs dansleurs églises. François II, Charles IX,Henri III… Les souverains se succè-dent sans parvenir à faire baisser lesarmes. Partout des villages assiégéssont décimés par la famine. Pourtant,Gabriel des Feuillades, vétéran desguerres d'Italie et héros du siège deSienne, veut retrouver foi dans leshommes. Depuis son domaine péri-gourdin, il tente d'oublier les excèsde son temps en jouant aux échecs,relisant les Grecs, courtisant sa ser-vante observant les arbres pousser.

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Et l'existence de cet amoureux de lanature, plus préoccupé du cosmosque des dogmes chrétiens, s'égrène,entre conversations avec son cha-pelain, parties de chasse avec sonfils Ulysse et dialogue en silenceavec les sages de l'antiquité -autantde menus plaisirs que cet hédonisterapporte à la manière de Montaignedans son livre de raison.

Mais l'Histoire ne se laisse pasignorer si facilement : alors que lesguerres de religion ensanglantent lespavés de Paris et de Bergerac, Gabrielest forcé de rallier le camp des ca-tholiques. De son côté, Ulysse, déçuet révolté par l'indifférence de sonpère et inconsolable depuis la mortde sa sœur, décide de s'engager. Levoilà parti sur les routes de France,amoureux d'une protestante maisguerroyant auprès des catholiquespendant de longues années. Jusqu'aujour où, apprenant que son père apréféré subir de redoutables épreuvesplutôt que céder à l'ennemi, et quesa mère est morte sans sépulture, iloublie son animosité et décide derevenir vers les siens…

Tableau impressionniste, herbierlittéraire, parabole sur l'adolescenceet la maturité, photographie d'uneépoque, ce roman est un diptyqueromanesque qui interroge la mentalitédes hommes de l'Ancien Régimeavec une rare modernité. Ce récitfait résonner en notre siècle la fa-conde de Brantôme, l'âpreté de Mon-luc, et peut-être même la sagessede Montaigne. De sa langue sensuelleet ciselée, l’auteur exhume l'un deschapitres les plus sombres de l'His-toire française et parle de toléranceet de réconciliation à une époque – lanôtre – qui n'en a jamais autant eubesoin.

Tout paradis n’est pas perdu

HHHII

Jean RouaudGrasset, 200 p., 17 €.

Quand le ton a monté sur laquestion du voile et du menu desubstitution, « il m’a suffi de me re-tourner pour revoir dans mon enfancece geste des femmes se couvrant latête d’un fichu avant de sortir. Nousétions en Loire-Inférieure et la loide 1905 était suffisamment accom-modante pour accorder un jour fériéaux fêtes religieuses et servir dupoisson le vendredi dans les cantines,et pas seulement celles des écoleslibres ». Loi de séparation des Égliseset de l’État, mais en réalité de l’Églisecatholique et de l’État, les autresfaisant de la figuration, et l’Islamn’étant existant pas, en France. Demême, « il a fallu la tragédie deCharlie pour nous rappeler qu’onavait longtemps débattu avant d’au-toriser la représentation des figuressacrées ». Ce qui n’allait pas de soitant le monothéisme se méfiait del’idolâtrie en souvenir du veau d’or.C’est tout l’intérêt de la crise icono-claste. Les conciliaires réunis à Nicéetranchèrent en faveur de la repré-sentation. C’était au VIII°s (787).Notre monde « envahi » d’imagesvient de là.

L’auteur interroge tous les discoursactuels sur la laïcité, les contresens

que certains véhiculent et les propospernicieux qui parfois les sous-ten-dent, en instrumentalisant à des finsélectorales un concept déjà cente-naire. Suppression du double menudans les cantines, soupçon sur toutereprésentation de l'image divine, in-jonctions de toutes parts à interdireet à congédier sont parmi les symp-tômes d'une société inquiète jusqu'àla schizophrénie : « En quoi un poingvengeur sur un tee-shirt, demandeRouaud, serait-il plus acceptablequ'en pendentif, une croix, une étoilede David ou une main de Fatma ? »

Le titre est issu du poème Clairde terre d’A Breton. Dans ces chro-niques où les références à Proust,Zola ou George Orwell illustrent lepropos, ce n'est ni plus ni moinsqu'à un dépoussiérage lucide et cou-rageux de la laïcité qu'invite l'auteur.Une laïcité emprisonnée dans unesociété qui mise tout sur « l'ici etmaintenant et le contentement deses désirs » et qui, au fond, reprocheà la religion ce dont elle est privée :la poésie.

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