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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Vie de la princesse de Poix, née Beauvau, par la vtesse de Noailles. Ire partie 1750- 1809. IIe partie 1809-1833. [Édité [...]

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Vie de la princesse de Poix,née Beauvau, par la vtesse de

Noailles. Ire partie 1750-1809. IIe partie 1809-1833.

[Édité [...]

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Noailles, Léontine de (1791-1851). Vie de la princesse de Poix,née Beauvau, par la vtesse de Noailles. Ire partie 1750-1809. IIepartie 1809-1833. [Édité par A.-M.-C. de Noailles, duchesse deMouchy.]. 1855.

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VIE

DE

LA PRINCESSE DE POIX

NEE BEAUVAU

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ROSALIE .CHARLOTTE.ANTOINETTE.LEONTINE DE NOAILLES,

Vicomtesse de NOAILLES.

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VIEDE

LA PRINCESSE DE POIX

NEE BEAUVAU

par

LA VICOMTESSE DE NOAILLES

PARIS

TYPOGRAPHIE DE CH. LAHURE

Imprimeur du Sénat & de la Cour de Caffation

rue de Vaugirard, 9

M DCCC LV

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AVANT-PROPOS.

Ces fouvenirs n'étaient pas deftinés à

l'impreffion. Ma mère les a écrits pour fon

plaifir, & furtout pour le nôtre, afin de

retracer un temps dont elle était la plus

gracieufe image.

Jamais elle ne m'avait exprimé une vo-lonté fur l'avenir de cet écrit. Libre de le

publier, je l'offre avec confiance, je dirai

même avec confolation, au petit nombre

d'efprits dignes de l'apprécier, perfuadée

qu'en fermant le livre ils finiront mieux ce

que j'ai perdu.

La Ducheffe DE MOUCHY.

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MA

GRAND'MÈRE.

PREMIERE PARTIE.

1750 —1809.

A grand'mère était née

en 1750 : fa mère étaitBouillon & un immenfeparti : fon père, prin-ce, efuite maréchal deBeauvau, prince de l'Em-

pire, grand d Efpagne de la première claffe,

capitaine des gardes du corps de Louis XV,chevalier des ordres du Roi, & comman-

A

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2 MA GRAND'MÈRE.

dant en Languedoc, était beau, diftinguémilitairement & chef d'une famille illuftre

entre les plus anciennes. (Henri IV defcendd'une Beauvau. )

A l'époque de la naiffance de ma grand'¬mère, la famille de fon père était toute-puiffante en Lorraine. Le prince de Craon,père de M. de Beauvau, fut jufqu'à fa

mort premier miniftre & favori du grand-duc de Tofcane, d'abord duc de Lorraine& père de l'empereur d'Allemagne, épouxde Marie-Thérèfe. La beauté de la prin-ceffe de Craon, née Lignéville, ne nuifait

pas, dit-on, au crédit de fon mari; magrand'mère s'en défendait faiblement. Songrand-père méritait, au refte, la faveur defon fouverain. Il était habile, prudent, &de plus fort aimable; il fut toute fa vie unexcellent mari. Sa belle & célèbre époufelui donna vingt-deux enfants. La faveur deM. de Craon attacha fa famille à la Lor-raine, & elle mérita cette même faveurauprès du roi Staniflas. Le père de ma

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PREMIÈRE PARTIE. 3

grand'mère était un grand feigneur éclairé

pour fon temps, bon militaire, digne dansfon maintien, mefuré dans fes difcours,honorable dans toutes fes relations de

cour, de famille & de fociété. Du refte,grand philofophe, comme prefque tousles beaux efprits de fon époque, paffionné

pour Voltaire, académicien zélé & gram-mairien jufqu'au purifme, d'un efprit fé-rieux & un peu aride, mais adorant l'efpritpartout & fous toutes les formes. Sonmaintien grave & froid rendait fon filenceimpofant; fa figure était belle & de laplus parfaite nobleffe, fa politeffe exquifè.Enfin, il y avait dans toute fa perfonne unmélange de fageffe & de galanterie qui luiattirait le goût des femmes, & l'eftime deshommes. Sa première femme (Mlle deBouillon) l'aima fans lui plaire; elle était,à ce que j'ai ouï dire, bonne, gaie, igno-rante & d'une fimplicité tout aimable.

Elle mourut jeune & ma grand'mèrerefta fille unique à treize ans. Naturelle-

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4 MA GRAND'MÈRE.

ment elle dut entrer au couvent. L'ufagede ce temps aimable & frivole était deconfier l'éducation des filles au couventdepuis l'enfance jufqu'au mariage. Per-fonne n'avait ou ne croyait avoir le tempsd'élever fes enfants; d'ailleurs, fur plu-fieurs filles, il y en avait toujours quel-qu'une deftinée à entrer en religion, &

que, par conféquent, il fallait éloigner dumonde avant qu'elle pût le regretter. Cetufage a été vivement attaqué dans le fiècle

dernier; mais, comme il arrive fouvent,l'abus avait ceffé quand la plainte a com-mencé. Sans doute, à des époques plusreculées, on a vu des religieufes malgré

elles, & des parents cruels facrifier le reftede leurs enfants à l'établiffement de l'aîné.Ces exemples, depuis une centaine d'an-nées, étaient de plus en plus rares; ils

étaient à peu près finis, quand la philofo-phie a commencé à les profcrire; la dou-

ceur des moeurs feule en avait fait juftice,

comme de tant d'autres abus. Et quant

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PREMIÈRE PARTIE. 5

aux religieufes qui faifaient fouvent partiede familles trop nombreufes, j'avoue queje ne fuis pas bien fûre qu'une jeune fille

mife en naiffant dans une communautéqui devenait fa famille, & où elle vivaitfans regret, puifqu'elle ne connaiffait pasmieux, ne fût pas à la fois plus heureufe& plus dignement placée que ces vieillesfilles des pays proteftants qui fe tramentdans le monde jufqu'à la mort fans pofi-tion définie, prétendant toujours au ma-riage, ce qui les rend alternativement mal-heureufes & ridicules.

La fante de ma grand'mère l'avait long-

temps préfèrvée de l'entrée au couvent :

fon enfance avait été délicate ; avec un vi-fage charmant, elle avait une jambe faible

par fuite de convulfions, & deux voyagesà Baréges ne purent la guérir compléte-

ment. Elle refta un peu boiteufe; ce mal-heur à peine perceptible dans fa jeuneffe,s'accrut plus tard par l'âge & les maladies.

Ce fut à Port-Royal qu'on la mit. Quel

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6 MA GRAND'MÈRE.

changement dans le fort de cette heureufeenfant! La vie de la cour de Pologne,fous le bon roi Staniflas, était douce &gaie comme chacun fait; la famille de magrand'mère y était nombreufe & brillam-

ment placée; monfieur fon père en eûtété le maître, s'il eût voulu y refter, maisfon amour pour l'état militaire l'attirait

aux armées ; plus tard, il fe fixa à la cour,Louis XV l'ayant diftingué & comblé defaveurs. Ses foeurs refiées à la cour dePologne en faifaient la joie & l'ornement.La marquife de Boufflers; fon fils, le che-valier; la maréchale de Mirepoix, d'abordprinceffe de Lixin; la princeffe de Chi-

may; le prince de Craon, frère de M. deBeauvau, tant d'autres dont Voltaire &Mme du Châtelet n'étaient pas des moinscélèbres, vivaient à Lunéville avec leurexcellent prince dans les relations les plustendres, les plus gaies, je dirai quelquefoisles plus folles.

Les tantes de ma grand'mère étaient

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PREMIÈRE PARTIE. 7

toutes fpirituelles ; il y en avait de déli-cieufes, & toutes avaient un cachet d'ori-ginalité unique. C'eft de l'une d'elles queM. de Saint-Lambert écrivait : Nous avonsdîné chez Mme de Bouffers, où nous fommes

morts de faim, de froid & de rire. Il n'yavait de férieux à Lunéville que M. deBeauvau; auffi fes foeurs, tout en l'ado-rant, reliaient avec lui dans le refpect ti-mide dû au chef de la famille. Ma grand'¬mère partageait cette impreffion, & je luiai entendu dire qu'à aucune époque de lavie cette glace ne s'était rompue. Au mo-ment dont je parle, elle était la plus jolieenfant du monde; déjà même elle étaitaimable, & fon vifage annonçait tout cequ'il a été depuis. Gâtée par fa famille dèsfa naiffance, elle trouva moyen de l'êtreau couvent, parce que fes défauts mêmesétaient féduifants. Elle en conferva doncquelques-uns, fi on peut donner ce nomaux mouvements trop vifs d'une natureadmirable. Ma grand'mère était née avec

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8 MA GRAND'MÈRE.

une adorable bonté; elle était, dans fa pre-mière jeuneffe, généreufe, exaltée jufqu'àl'enthoufiafme, violente, parce qu'on nel'avait jamais réprimée ; dévouée aux plusnobles fentiments, mais impatiente detoute contradiction; à la fois colère jufqu'àla déraifon, & touchante dans fon repen-tir, quand elle pouvait craindre d'avoirbleffé : je ne puis me figurer à quel degréde perfection elle fe fût élevée, fi elle eût

eu le bonheur de recevoir une éducationéclairée. Je ne fais fi nous devons le regret-ter, fon organifation était fi belle qu'il eûtété dommaged'en réprimerl'effor, & d'ôterainfi au jeu de fes nobles facultés l'origina-lité de leurs premiers mouvements. L'édu-cation publique ne difciplina que les actionsextérieures de fa vie, & laiffa tout entièrel'indépendance de fes idées & le dévelop-

pement de fes fentiments. Ce fut donc

avec le fecours de fes feules réflexions &de l'élévation de fon âme qu'elle devint laplus aimable perfonne de fon temps, &

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PREMIÈRE PARTIE. 9

une mère de famille auffi vertueufe querefpectée à une époque où le mérite étaittrop fouvent féparé de l'agrément. Je l'aientendue fouvent parler avec plaifir de fon

couvent : fa jeune fenfibilité s'y était exer-cée avec bonheur. Elle aimait à rappeler

que les belles qualités de fes compagnes deprédilection avaient par la fuite juftifié tousfes choix. Mlles de Poyane 1, de Boufflers 2,

de Gramont 3, devinrent fes amies intimesaprès avoir été fes camarades dévouées. La

mort feule a pu les feparer.Le premier événement de la vie de ma

grand'mère fut le fecond mariage de fonpère. Il aimait, déjà du vivant de fa femme(c'était prefque un ufage alors), une per-fonne d'un agrément & d'un mérite fupé-rieurs, Mme de Clermont née de RohanChabot, qui perdit fon mari deux ans avantla mort de la princeffe de Beauvau. Celle-

1. Depuis ducheffe de Sully.

2. Depuis ducheffe de Lauzun.

3. Depuis vicomteffe d'Offun.B

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10 MA GRAND'MÈRE.

ci difait dans fa dernière maladie : Létoilede Mme de Clermont me tuera. Cette étoilefut la petite vérole qui l'emporta à l'âge detrente-trois ans. Je n'ai jamais fu à quellesextrémitéss'étaitportée la douleur de notrebifaïeul; je crois pourtant qu'il attenditplus qu'il n'y était ftrictement obligé le mo-ment de s'unir à celle qu'il aimait & dont ilétaitadoré. Cette affectionmutuellene finitqu'avec eux. Leur union fut du petit nom-bre de celles qui démentent l'affertion deLa Rochefoucauld,qu'iln'y apasdemariagedélicieux. Celui-là fut jufqu'à la mort l'en-vie & l'exemple des époux de tout âge. J'enai ouï raconter les plus touchants détails.Ce n'était malheureufement pas une unionchrétienne, leur temps ne le comportaitguère. C'était une de ces combinaifons dé-licates par lefquelles deux âmes élevées

cherchent la félicité dans la vertu; le devoirétait pour eux un fyftème, & non un prin-cipe; c'était enfin un bonheur tout épi-curien. Les efprits médiocres arrivent au

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PREMIÈRE PARTIE. 11

même but à l'aide de la foi religieufe, &leurs joies ne finiffent pas avec ce monde.

Ma grand'mère fut tout d'abord outréede cette union; elle aimait fa mère, elle

avait un efprit vif & précoce, un caractère

fier; elle réfolut de haïr fa belle-mère, &la vit avec le parti pris de ne pas s'y atta-cher.

Cette fpirituelle belle-mère, qui par unheureux hafard n'eut jamais d'enfants, futféduite par l'impétueufe jeune fille qui neprenait pas la peine de fe dominer avecelle; elle devina tous fes charmes, voulutlui plaire, & réuffit fi bien, que ma grand'¬

mère prit immédiatement pour elle un atta-chement paffionné. Toutes deux fe conve-naient avec des mérites contraires; magrand'mère, vive jufqu'à la violence, tourà tour folle de gaieté, de colère ou de ten-dreffe, & toujours charmante à quelqueimpreffion qu'elle fe livrât, était pour fa

belle-mère un fpectacle piquant en même

temps qu'un vif intérêt, tandis que la fage

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12 MA GRAND'MÈRE.

perfection de Mme de Beauvau infpirait àfa belle-fille une admiration qui tenait del'enthoufiafme. Ces relations ont duré juf-qu'à la mort de Mme de Beauvau fans alté-ration ni ralentiffement.

Les gens qui n'aimaient pas Mme deBeauvau difaient que fa tendreffe pour fabelle-fille n'allait pas jufqu'à dominer fonorgueil, & qu'elle avait eu la faibleffe defaire manquer de grands mariages qui l'euf-fent placée plus haut qu'elle. La parenté de

ma grand'mère avec les maifons de Bouillon& de Lorraine (fa grand'mère était Guife)la mettait au niveau des plus grandes exi-ftences du temps. Il fut queftion pour elle

un moment d'époufer le prince de Marfan,beaucoup plus âgé qu'elle; mais l'écuffonde Lorraine prêtait des charmes à ce pauvreprince dont on difait qu'il avait l'air d'unechandelle qui coule. Ce mariage, commebien d'autres, manqua, & il advint quenotre arrière-grand-père, le maréchal ducde Mouchy, frère du maréchal de Noailles

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PREMIÈRE PARTIE. 13

(célèbre par fes bons mots), compléta fa

belle exiftence en obtenant la main deMlle de Beauvau pour fon fils aîné, leprince de Poix. Cette branche cadette de

notre famille était vraiment écrafée de féli-cités dans tous les genres, & ce qui était aumoins auffi rare que tant de bonheur, c'eftqu'il était mérité. Notre arrière-grand-pèreétait un modèle de toutes les vertus de fonétat, & un modèle comme fon temps n'enoffrait guère. Il eut même plus à combattrequ'un autre pour devenir & refter ce qu'ilétait. Etre auftère dans fà vie privée, fage

dans fa dépenfe, actif dans tous fes em-plois, & conferver toute fa vie l'amitié laplus tendre de fon fouverain, quand cefouverain était Louis XV, efl, j'ofe le dire,

une épreuve notoire. Il avait époufé unehéritière confidérable, Mlle d'Arpajon, ladernière de la famille, qui lui avait apporté,

avec une grande naiffance & une belle for-tune, une vertu rigide & un dévouementqui la conduifit à l'échafaud avec lui. C'é-

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14 MA GRAND'MÈRE.

tait une digne & pieufe mère de famille,dont l'unique & innocente faibleffeétait unrefpect minutieux pour les anciens ufages

qui lui mérita, dans la jeune cour de Marie-Antoinette dont elle fut un moment damed'honneur, le fobriquet de Mme l'Éti-

quette.Ce qui fit de ma grand'mère la belle-fille

de cette grave perfonne fut le fâcheux étatdes affaires de M. de Beauvau. Malgré fa

grande fortune & fa charge de capitainedes gardes, la mauvaife adminiftration defes affaires & la repréfentation à laquelleil s'était vu obligé en Languedoc (M. deChoifeul, en l'y envoyant, lui dit : Je n'aid'autre ordre à vous donner que de toutjeter

par les fenêtres) l'avaient mis momentané-

ment dans un véritable embarras. Il lui futdonc utile & agréable de donner fa fille à

un parti affez riche pour pouvoir traiter

avec lui de fa charge de capitaine des gardes

moyennant huit cent mille francs que mongrand-père paya tant au roi qu'à fon beau-

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PREMIÈRE PARTIE. 15

père. Ma grand'mère, à dix-fept ans, jolie,pleine d'efprit & de vivacité, développée,intelligentecomme on l'était rarement jadis

en fortant du couvent, époufa donc ungarçon de quinze ans, gâté jufqu'à la folie& fi petit pour fon âge qu'il fallut, le jourde fes noces, l'affeoir fur une grande chaife

pour qu'il fût au niveau de fa femme. J'aitoujours regardé cette union comme unedes plus abfurdes de ce temps, où c'étaitprefque un ufage; le bon naturel des deuxépoux en furmonta les dangers, mais à

mon avis n'excufe pas les parents.J'ai ouï dire qu'il était impoffible à cette

époque d'être plus charmante que n'étaitma grand'mère. Je ne l'ai vue que privée detous les agréments de la jeuneffe, & cepen-dant j'ai parfaitement compris le charmedont elle était douée. A quatre-vingt-quatreans, aveugle & fouffrante, elle était encorece qui s'appelle jolie. L'âge a refpecté enelle, jufqu'à fon dernier jour, une délica-teffe dans les traits & un agrément dans

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16 MA GRAND'MÈRE.

leurs mouvements, uniques à mes yeux.Son nez était aquilin, mais délicat; lès

yeux noirs & très-couverts. Avant qu'elleeût perdu la vue, ils femblaient lancer dufeu; mais ce qui était fans égal, c'était fabouche : la bonté, l'intelligence, la fierté,& par-deffus tout un fens exquis du goûts'y manifeftaient avec autant de force quede grâce. Après la perte de fes yeux, toutel'expreffion de fa figure s'était concentréedans la bouche : elle avait encore mille foisplus de phyfionomie que perfonne. On dit

que, dans la première jeuneffe, elle joignaità tant de féductions une extrême fraîcheur;fes cheveux étaient noirs, & n'ont jamais

blanchi. Son col & fa gorge étaient fu-

perbes; enfin, malgré les imperfections defa taille, elle était fi brillante de tous les

éclats dont la jeuneffe peut éblouir, qu'unvieux débauché de fon temps, M. d'Etréan,qui avait dans fa vieilleffe le fobriquet dupère, difait un jour en la regardant : Si on

pouvait l'acheter,je la couvriraisd'or. Toute

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fa perfonne,

quoique irrégulière, étaitnoble & même gracieufe. Il y avait de l'ori-ginalité dans fes geftes, comme dans fes

expreffions : maladroite en toute chofe,

cette gaucherie lui feyait; mais ce qui do-minait & illuminait pour ainfi dire tous cesagréments, c'était une nature élevée, géné-reufe, grande, fi j'ofe le dire, qu'on fentaità tout moment au travers de fa gaietémême, & qui infpirait à tout le mondel'attrait, l'admiration & la confiance.

Je ne veux pas oublier, à propos du ma-riage de ma grand'mère, celui qu'elle avaitmanqué étant encore à Port-Royal, & quiprobablement eût été moins heureux, quoi-qu'en apparence mieux afforti, avec le ducde Lauzun, fi connu par fes agréments &fa légèreté, ainfi que par fa trifte fin, qu'a-vaient précédée tant de fuceès de fociété.Il a confacré ceux-ci dans de pitoyablesmémoires qui montrent ou peut arriverle caractère d'un homme qui s'eft fait uneférieufe ambition des fuccès de femmes.

c

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Funefte émulation! trop commune alors,& qui a malheureufement influé fur beau-

coup d'hommes de cette époque. Ils fubif-faient, à leur infu, une forte de transforma-tion féduifante, mais fatale à la raifon. Ontrouvait chez eux des mérites & des incon-vénients féminins, cette envie de plaireconfiante & univerfelle, cette mobilité vivequi donne de l'intérêt à tout, mais un dé-faut de fuite & une abfence de réflexion, fu-nefles dans la conduite des affaires de la vie.Pour en revenir à M. de Lauzun, il ren-contra ma grand'mère au parloir où il allaitfaire fa cour à fa prétendue, Mlle de Bouf-flers. Ma grand'mère était amie intime decelle-ci : on peutjugerde fon indignationenrecevant une déclaration par écrit du fiancé

de fon amie qui follicitait fon aveu pourrompre l'union projetée, & la demander à

fes parents. Elle eut horreur de la propofi-

tion du duc, & lui renvoya immédiatementfa lettre recachetée. Il lui garda rancune,& s'en vengea en faifant le malheur de

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Mlle de Boufflers. Cette dernière avait la

faibleffe d'adorer fon mari, mais la dignitéde le cacher à tout le monde. Elle étaitgrande, bien faite, extrêmement fraîche;mais de gros yeux qui n'y voyaient pas, &où il était impoffible de démêler tout cequ'elle avait de mérite & d'efprit, la dépa-raient un peu. Ma grand'mère l'a aimée

toute fa vie avec une affection qui tenait durefpect. Mme de Biron était en apparencedifférente de fon amie, mais il n'y avaitentre elles que ces diffemblances qui ravi-vent l'intimité. Mme de Biron pure, déli-cate, extrêmement timide, d'un caractère

doux & fage, ne laiffait voir que dans l'inti-mité un efprit auffi élevé qu'original. Magrand'mère la comparait à une héroïne de

roman anglais, avec d'autant plus de raifon

que les goûts de Mme de Lauzun avaientdevancé l'anglomanie qui commençait àpoindre. La langue anglaife lui était fami-lière comme la fienne propre. La littéra-ture de ce pays faifait fes délices; elle la fit

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aimer à ma grand'mère, la plus chérie defes amies, & le centre habituel de ce petitcercle choifi dont j'ai vu les débris, & dontje regrette aujourd'hui d'avoir fenti lecharme.

La fociété françaife des derniers jours deLouis XV & du commencement du règnefuivant eft, à mon avis, la combinaifon la

plus exquife de tous les perfectionnementsde l'efprit, & furtout du goût. Les har-dieffes de la philofophie, devenuesplus tarddes inftruments de deftruction, n'étaientalors que des ftimulants pour la penfée.Voltaire, dont notre révolution eût fait ledéfèfpoir (car jamais efprit ne fut à la fois

plus ariftocratique & plus libéral), excitaitfes difciples de cour à mêler aux difcuf-

fions littéraires l'examen de l'état focial deleur époque; ce puiffant intérêt, tout nou-veau pour des efprits légers, les élevait àleurs propres yeux, en même temps qu'ilouvrait à leur curieufe ardeur un champinconnu & fans bornes. Quel charme dans

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ces réunions du commencement de notreterrible révolution où les intelligences di-ftinguées, les âmes généreufes de toutes lesclaffes fè réuniffaient dans le défir du bien!J'ai toujours penfé qu'un homme de géniearrivant aux affaires eût tiré le plus magni-fique parti de tous les éléments qui fermen-taient alors. Si Napoléon eût été à la placede l'archevêque de Sens, il eût recommencé

en 1789 les conquêtes de Louis XIV, ouréalifé les rêves de nos meilleurs princes.Que de beaux faits d'armes n'euffent pasilluftré cette jeune nobleffe qui courait enAmérique malgré fon roi ! que de talentsperdus dans nos premières affemblées au-raient réformé l'adminiflrationou relevé lamagiftrature ! Cette première époque denotre révolution eft celle d'une grande in-juftice envers la jeuneffe de la haute claffe.On s'obftine encore aujourd'hui à la repré-fenter fous des traits qu'elle n'avait plus, &on la calomnie malgré l'évidence des faits.La philofophie n'avait point d'apôtres plus

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fervents que les grands feigneurs. L'hor-reur des abus, le mépris des diftinctionshéréditaires, tous ces fentiments dont lesclaffes inférieures fe font emparées dansleur intérêt, ont dû leur premier éclat àl'enthoufiafme des grands, & les élèves deRouffeau & de Voltaire les plus ardents &les plus actifs étaient plus encore les courti-fans que les gens de lettres. L'exaltationchez quelques-uns allait jufqu'à l'aveugle-ment. Les imaginations vives fe flattaientde voir réalifer les plus belles chimères, oufe !dépouillaient avec fatisfaction de cequ'on croyait abufif, penfant naïvements'élever ainfi à une hauteur morale que les

maffesauraientla générofité decomprendre& de refpecter. Enfin, comme l'aftiologuede la fable, on tombait dans un puits en re-gardant les aftres.

En attendant la cataflrophe, la fociétéétait délicieufe ; la diverfité des manières de

voir, la vivacité des efpérances ou des in-quiétudes, la nouveauté des objets d'inté-

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rêt, y imprimaient un mouvement fans

exemple. Tous les efprits s'y montraientfous un jour imprévu.

Le falon de ma grand'mère était au pre-mier rang de ces brillantes réunions. Làplus qu'ailleurs le goût ancien était l'inter-prète élégant des idées nouvelles. Dansd'autres fociétés, l'effroi des innovationsinterdifait le progrès, ou bien l'amour desnouveautés favorifait une hardieffe d'idéesfuneftes à la raifon & au goût. Ma grand'¬mère, comme tous les efprits fupérieurs,accueillait les chofes & les perfonnes, en-

leur confervant leur place. Sa fanté ne luipermettait guère dès lors de fortir de chezelle. Le bonheur d'être mère de deux fils

tendrement aimés, & qui firent les délicesde la dernière moitié de fa vie, fut attrifté

pour elle par une maladie, fuite de fes fe-condes couches & qui la rendit infirme

avant l'âge. Elle fut à vingt-trois ans privéede l'ufage de fes jambes pendant long-temps ,

& ne s'en remit jamais affez pour

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reprendre les habitudes de la fanté. Cettefituation fédentaire fut en elle un nouveaucharme pour fes amis qu'elle raffemblait

autour d'elle dans des réunions intimes &charmantes. Son efprit déjà cultivé le de-vint encore plus; elle lut énormément.Comme toutes les perfonnes d'efprit à cetteépoque, elle dévora toutes les oeuvres nou-velles, produits brillants & dangereux de

cette fièvre philofophique qui précéda ledélire révolutionnaire; mais plus fage quebien d'autres, fon efprit fut promptement

défenchanté par les premiers effets de larévolution d'idées dont le bouleverfementdes fituations devint la trifte conféquence.Ma grand'mère fut la première dans fa fo-ciété qui mefura l'abîme où fon pays fe

précipitait. Notre tante d'Hénin, notretante de Teffé, toutes deux parentes &amies de ma grand'mère, enthoufiaftes(comme elle le fut d'abord elle-même) deM. de La Fayette, de M. Necker, & eni-vrées de toutes ces féduifàntes innovations

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qui charmaient les belles âmes & les têtesvives, y reftèrent toute leur vie attachées.Ma grand'mère les repouffa même avantd'en voir l'effet. Sa droiture naturelle avaitpénétré les odieufes paffions au profit def-quelles la prétendue régénération du paysdevait s'accomplir. Elle ne garda de fes im-preffions de jeuneffe que l'affection pourles perfonnes qui avaient l'imprudence d'yperfévérer. Sa liaifon avec Mme de Staël,

par exemple, ne finit qu'à la mort de cettedernière. Cette liaifon n'était pas une inti-mité, mais elle était précieufe & agréableà toutes deux. Mme de Staël commeM. Necker avait la paffion de l'ariftocratie;les formes élégantes des gens de la cour laféduifaient peut-être plus que tout. Elleles aimait avec une forte de faibleffe, carces aimables dehors la trompèrent fouventfur le mérite de certains efprits qui n'enavaient guère d'autre. Elle était fincère-

ment attachée à ma grand'mère, dont lagrâce piquante la raviffait. Rien de plus

D

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charmant pour les affiliants que leurs con-ventions. Ma grand'mère plaifantait déli-

catement Mme de Staël fur les illufionsgénéreufes qui égaraient parfois fon génie,& Mme de Staël jouiffait de cette gracieufe

familiarité qui la mettait toujours à fon

avantage.

Quant à l'intimité de ma grand'¬

mère, elle fe compofait, comme je l'ai ditplus haut, de liaifons d'enfance & de jeu-neffe. Succeffivement elle s'augmenta dequelques relations nouvelles qui ne variè-

rent plus. La mort lui avait enlevé à vingt

ans Mme de Sully, fa première amie de

couvent. Il lui refiait la ducheffe de Lau-

zun, la ducheffe de Bouillon, née princeffede Heffe, que je n'ai connues toutes deux

que par les récits de leur extrême amabilité,& la princeffe d'Hénin avec qui j'ai paffé

une grande partie de ma jeuneffe. J'ai vuen elle une chaleur & une vivacité quiétonneraient bien aujourd'hui. Notre tante(M. d'Hénin était coufin germain de magrand'mère) avait été belle, à la mode, &

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je penfe, un peu coquette. A ce dernier fait

près, l'âge n'avait rien changé en elle. Sa

figure refta noble & agréable jufqu'à la fin

de fa vie, & fon caractère ne fubit pas plusde modification. C'était uneperfonne toutede mouvement. Je n'ai jamais rien vu de fi

vif; quand la difpute s'échauffait entre elle

& mes parents, je ne pouvais m'empêcherde trembler pour eux. Les cris, les inter-ruptions, les démentis, les forties furi-bondes en brifant les portes, tout faifait

croire qu'ils ne fe reverraient de leur vie !

Il eft vrai que le moment d'après on riaitde foi & des autres, & on ne s'en aimait quemieux. Le nom de fille de notre tante étaitMauconfeil; fa mère était une belle femme,de beaucoup d'efprit, qui avait époufé unvieux mari, dont j'ai ouï conter qu'il avaitété page de Louis XIV ; il en gardait l'im-menfe fouvenir d'avoir un jour brûlé la

perruque du grand roi avec fon flambeau.Mlle de Mauconfeil, fille unique, riche,très-jolie, & paffablement enfant gâté,

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époufa le prince d'Hénin, fils d'une Beau-vau, foeur du père de ma grand'mère; cefut l'origine de leur liaifon. Elle fut damedu palais de la reine, extrêmement à lamode, & refta toute fa vie. volontaire, im-pétueufe, irafcible, mais avec tout cela fibonne, fi généreufe, fi dévouée à fes amis,& aux plus nobles fentiments, & puis fifpirituelle, & par fuite, de fon extrême na-turel, fi parfaitement originale, qu'elle ex-citait conftammentl'affection, l'admiration& en même temps la gaieté. Sa réputationfut attaquée en deux occafions, d'abord aufujet du chevalier de Coigny, & enfuite dumarquis de Lally-Tollendal. La premièrede ces médifances fut à peine fondée, lafeconde devint refpectable, car il s'enfuivit

une amitié dévouée qui dura jufqu'à la

mort de ma tante, devenue fort pieufe plu-fieurs années avant fa fin.

Je n'ai jamais vu la ducheffe de Bouillon,morte pendant ma première enfance, ni

une autre amie dont mes deux familles

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confervaient un profond fouvenir : c'étaitla ducheffe de Gramont, foeur du duc deChoifeul, le miniftre. Le frère a été diver-fement jugé par les écrivains de fon temps :

il eft maintenant du domaine de l'hiftoire,& quoi qu'on puiffe lui reprocher, il fe

détache certainement avec avantage de cetrifte cortége de médiocrités qui finit parenvahir les dernières années de Louis XV.Ce que je fais, c'eft qu'il avait infpiré à magrand'mère & à fa fociété, un dévouementpaffionné : or il y a toujours quelque chofedans les gens qui produifent de tels effetsfur des efprits pénétrants & des caractèresélevés. Je n'ai jamais ouï parler de lui à

mes parents fans une forte de fanatifme.Tous les mémoires du temps racontentl'empreffement tourné à la fureur d'allerconfoler fa difgrâce; il n'eft pas exagéré dedire que Verfailles fut défert au moment defon exil. (On doit remarquer, à l'avantagedu roi, que perfonne n'était mal reçu auretour.) Le féjour de Chanteloup fut une

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cour plus brillante, & furtout plus aimable

que celle du fouverain. La ducheffe deChoifeul, douce, fpirituelle & vertueufe,conferva toute fa vie pour fon époux undévouement fourd à toutes fes infidélités.M. de Choifeul le payait par un tendre ref-pect, mais fa confiance politique était toutepour fa foeur, douée d'une âme forte &d'un efprit fupérieur. Cette foeur ambi-tieufe & active a été jugée diverfement.C'eft tout fimple; elle n'était pas une per-fonne ordinaire, & fa pofition eût fuffi

pour lui faire des ennemis. Ce que j'ai re-cueilli de mes deux grand'mères qui avaient

toutes deux vécu dans fon intimité, c'eftqu'elle ne pouvait être vue avec indiffé-

rence; fes défauts & fes qualités étaientfaillants, fa place les mettait en évidence.Ce qui m'eft relié de ce que j'ai oui' dire,c'eft qu'elle avait tous les avantages de fes

inconvénients; c'eft-à-dire de la hauteur,mais une âme élevée; une ambition ar-dente, mais un coeur généreux; une volonté

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impérieufe avec une fenfibilité qui allaitjufqu'au dévouement. Ces fortes de cara-ctères ne font guère ce qui s'appelle popu-laires, mais ils ont des amis paffionnés, dechauds partifans, & des ennemis acharnés.C'était le cas pour Mme de Gramont. Ar-rivée à Paris du fond d'un chapitre de Lor-raine (Remiremont), laide & pauvre, ma-riée à un libertin qu'elle connut à peine,elle fut prendre autour d'elle, par la fupé-riorité de fon efprit, la force de fon cara-ctère & furtout la chaleur de fon coeur, unempire reftreint, mais abfolu. Son frère lefubit par admiration & par reconnaiffance,& les amis de M. de Choifeul ne la féparè-

rent jamais de lui dans leur attachement,

comme fes ennemis dans leurs calomnies.Mon Dieu, qu'on eft injufte pour ce

temps-là! Que la fociété diftinguée étaitgénéreufe, élevée, délicate! que de dévoue-

ment dans l'amitié, que de folidité danstous les liens ! que de refpect pour la foijurée dans les rapports les moins moraux!

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Jamais le roman ne s'eft produit dans laréalité comme alors. Je fais bien que jufte-ment c'eft un reproche, & un reprochefondé, à faire à cette aimable fociété, quece manque d'aplomb moral qui laiffait unvague dangereux à la vertu; mais n'était-ce

pas là l'efprit général du fiècle, & n'était-ce

pas là la fource de tous les maux qui ontenfanglanté notre pays après l'avoir boule-verfé? Enfin, les bourreaux n'avaient-ils pascommencé par là, comme les victimes?

Toutes ces dames, à l'exception de magrand'mère, étaient par le fait peu ou pointmariées. Le duc de Bouillon, à moitié im-bécile, enfoncé dans la plus ignoble crapule,était complétement étranger à fa femme.M. d'Hénin, confacré à Mlle Arnould &à Mlle Raucourt, comme tous les ouvragesdu temps le racontent, voyait à peine la

fienne. Mme de Lauzun, négligée par fon

aimable & frivole mari, en gémiffait fecrè-

tement, mais vivait entièrement féparée delui. Ma grand'mère était la feule confidente

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de ce fentiment douloureux dont Mme deLauzun fe cachait comme d'une affection

coupable,& que fon mari a toujours ignoré,grâce à la dignité de fa femme & à la dif-crétion de fon amie. Cette amie fe trouvaitdonc être la feule de fa fociété qui eût ceque nous appelons un intérieur; encore cetintérieur fe fondait-il plus fur l'amour ma-ternel que fur le lien conjugal, qui ne putjamais devenir férieux entre mes parents.Mon grand-père, comme je l'ai dit plushaut, avait quinze ans lors de fon mariage,

ma grand'mère dix-huit, & un efprit déjàtrès-développé. Ce petit mari lui parut co-mique, & toute leur vie s'en reffentit. Mongrand-père, gâté dès fa naiffance par fes

vertueux & trop tendres parents, enfuite

par fa fituation à la cour, par la faveur dontjouiffait alors notre famille, était pleind'idées juftes & de bons mouvements, maisfa vie n'était qu'une fuite de mouvements.La réflexion, le pouvoir fur lui-même, lapatience, toutes ces chofes n'ont jamais pu

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être à fon ufage même dans l'âge avancé.Toute contradiction le rendait pour ainfidire fou. Heureufement fon coeurétaitexcel-lent, & fon efprit fort droit. Il avait refpirédans fa famille un refpect pour la vertu quine l'a jamais quitté ; auffi n'avait-il réelle-ment à fe reprocher que le défordre d'ar-gent qui dans ce temps-là était prefque unechofe générale. Quant à fa femme, il eutbeau devenir capitaine des gardes, gouver-neur de Verfailles, être une efpèce de favoride la famille royale, enfin un très-grandperfonnage pour toute autre qu'elle, fonimportance ne put jamais agir furmagrand'¬mère. Elle fe piqua toujours envers lui desplus nobles procédés quant à l'argent; elle

fut exemplaire dans fa conduite, mais il nelui infpira jamais qu'une affection prefquematernelle. Il en était quelquefois piqué,

car il avait le bon goût de l'admirer. Elle enplaifantaitavec fes amies, de là des querellesparfaitement rifibles. Je ne fais pas lequeldes deux était le plus colère; mais mon

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grand-père était plus enfantin dans fes

rages, ce qui les rendait tout à fait bouf-fonnes. L'heureufe gaieté de ces aimables

perfonnes faifait que tout fe terminait pardes éclats de rire; c'était gai, fpirituel,amufant, mais il faut être jufte, rien ne ref-femblait moins au mariage & à fa gravité.

Le caractère de la converfation dans lafociété diftinguée d'alors était la chaleur.

Cette mode remontait à Diderot, & auxphilofophes. Elle était également odieufe àla fociété frivole de la cour & aux vieilles

coteries antilibérales; mais les gens d'ef-prit l'adoptaient, & les niais à leur fuite.

Auffi un caractère réfervé, des manièresfroides, infpiraient une forte d'indigna-tion. Il s'enfuivait parfois du ridicule chezles gens qui avaient plus de vivacité quede lumières, ou dans ceux qui ne poffédantni l'un ni l'autre, fe battaient les flancs

pour être énergiques & brûlants; ceux-là

étaient de parfaits grotefques. Cependantrien n'était plus favorable à l'agrément de

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la converfation, en mettant les amours-propres à l'aife & en encourageant à l'é-panchement. Ceux qui fe fentaient médio-cres par l'efprit comptaient fur leur âme

pour faire effet; perfonne ne fe permettantd'être froid fur rien, il n'y avait ni févéritédans les jugements, ni aridité dans les en-tretiens; aucun fentiment ne reliait calme,aucune liaifon tranquille; de là, toutes lesrelations de la vie revêtaient une teinte ro-manefque qui, trop fouvent, égarait lesimaginations exaltées. En tout, on ne peutfe diffimuler que l'état exquis, mais facticede la fociété déplaçait les principes commeles affections. On portait généralementplusde dévouement dans les liaifons de choix

que dans les relations du devoir ou de la

nature. La morale qui allait diminuant

parce qu'elle ne s'appuyait plus fur la reli-gion, commençait à s'égarer avant de s'a-néantir; ainfi les vertus philofophiques,bien plus commodes à pratiquer que les

vertus chrétiennes en ce qu'elles laiffent le

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choix des facrifices, abufaient les âmes gé-néreufes, & tranquillifaient celles qui nel'étaient pas. La fociété abondait en gensqui manquaientdu néceffaireen faitde prin-cipes, mais qui fe paraient d'un admirablefuperflu : on ruinait fes enfants pour prêterde l'argent à fes amis, ou pour fournir auxextravagances d'un mari dont on n'étaitl'époufe que de nom ; on donnait héroï-

quement fa fignature à tout le monde, &

on fe croyait fublime en fe dévouant pu-bliquement à une paffion coupable. Enfintout était hors de fa place, en attendantqu'il n'y eût plus de place pour rien. (Cedéfordre d'idées eft aujourd'hui defcenduplus bas, & c'eft la fource de tous nos mal-heurs publics.) Ces triftes égarements n'at-teignaient que de loin, ou partiellement, lepetit cercle choifi qui entourait ma grand'¬mère. Il y avait en elle une probité inftin-ctive qui repouffait le mal, comme cer-taines odeurs arrêtent le mauvais air, &rien de vraiment corrompu ne pouvait ar-

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38 MA GRAND'MÈRE.

river à fon intimité. Cette intimité, outreles dames dont j'ai déjà parlé, fe compofaitde quelques hommes aimables & célèbres

par l'efprit ou par l'élégance : le chevalierde Coigny, le duc de Guines, le duc deLiancourt, le prince Emmanuel de Salm,

amoureux toute fa vie de Mme de Bouil-lon; M. de Lally, dans tout l'éclat de cetteéloquence qui lui valut la réhabilitation defon père; plus tard, Mme de Simiane toutebrillante de beauté, fes frères fi élégants(les trois Damas) & l'abbé de Montefquiou. On ne retrouvera guère une com-binaifon plus attrayante que ce grouped'amis, tous plus ou moins diftingués parleurs lumières & leurs fentiments, réunis

autour d'une perfonne comme ma grand'¬

mère. Quand on fe repréfente toutes cesperfonnes placées dans les plus hautes con-ditions de fortune & d'honneur, s'efforçantà l'envi de s'en montrer dignes, qu'on fe

les repréfente, dis-je, animées du plusgrand intérêt qui puiffe exciter les facultés

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PREMIÈRE PARTIE. 39

humaines, celui de travailler non-feulement

au bonheur, mais à la régénération de leur

pays, on fouffre à penfer qu'en fi peu de

temps, les prifons & les échafauds ont ré-compenfé les nobles illufions de ces aima-bles & généreufes perfonnes. Deux d'entreelles marquèrent d'une façon diverfe; l'uneavant la Révolution, l'autre avec elle. C'é-taient les ducs de Guines & de Liancourt.J'en parle parce que je les ai encore vustous deux. M. de Guines, peu de tempsavant fa mort, était encore gai, quoique unpeu en radotage. Une de fes manies étaitd'avoir des gilets & des culottes courtes,en toile couleur de rofe, très-étroites.Ces bêtifes frappent les enfants. J'ai fudepuis qu'il avait toujours eu la paffiond'être mince & de porter des couleurs ten-dres. C'était, dans fa jeuneffe, un hommeparfaitement aimable; une gaieté folle &pourtant délicate rendait fon commercedélicieux. Sa carrière diplomatique futcourte, & le mérite en eft contefté; il fut

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40 MA GRAND'MÈRE.

toute fa vie attaché à ma grand'mère & àfes amies fans être particulièrement amou-reux d'aucune. Quant au duc de Liancourt,il avait pour ma grand'mère un dévoue-

ment romanefque fondé fur de touchantsfouvenirs ; il avait été très-amoureux de laduchefle de Sully, première amie d'enfancede ma grand'mère, morte à vingt ans dansleurs bras, & tous deux, après l'avoir foi-

gnée enfemble, la pleurèrent avec une sym-pathie qui devint un lien entre eux. Il s'en-fuivit de la part de M. de Liancourt unfentiment tendre & dévoué dont l'expref-fion peut fe réfumer dans l'infcription quife trouve au pied d'un groupe de terre cuitequ'il avait donné à ma grand'mère. Ce

groupe repréfentait. l'Amour dans les brasde l'Amitié, on lifait au-deffous :

" Se divifi, si valete,Accoppiati, che farete! "

J'ai revu depuis M. de Liancourt chez

ma grand'mère, il était abfolument impof-

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PREMIÈRE PARTIE. 41

fible de retrouver en lui aucune trace d'a-grément; il était fale, défiguré, bredouil-leur ; on nepouvait remarquer en lui qu'unecertaine aifance qu'on a toujours quand ona l'habitude de faire effet partout. Il avaitjoué une forte de rôle politique, avait étégai, magnifique, extrêmement à la mode.Dans fa jeuneffe il offrait à ma grand'mère& à fa fociété les plus charmants foupers dumonde, dans une petite maifon délicieufe..Tout cela était bien agréable; mais hélas !

ces jours fi beaux devaient être courts, &les horreurs qui les fuivirent en gâtent au-jourd'hui jufqu'à la mémoire ! Ces idéeshardies, ces opinions nouvelles qui fem-blaient un élan vers le bonheur & la vertu,fe colorent à nos yeux attriltés des funefteslueurs de l'incendie révolutionnaire. Nousfommes tous prêts à croire que les nobles

erreurs de tant de belles âmes ont été lespremières caufes du bouleverfement qui les

a fuivies, & nous avons befoin d'un examenfage & réfléchi du paffé pour féparer le fou-

F

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42 MA GRAND'MÈRE,

venir du crime de celui des imprudencesdont il a profité.

Ma grand'mère vit avec indignation &douleur les funeftes progrès de la Révolu-tion; fa famille, c'eft-à-dire la nôtre, enfut promptement victime. Mon grand-père, qui avait eu le courageux inftinct derefier auprès de fon malheureux roi, penfale payer de fa vie. Après le 10 août fa têtefut mile à prix. Il fut fix femaines cachédans Paris, & s'échappa miraculeufementde France par les foins de quelques fervi-

teurs fidèles. Son refpectable père, âgé defoixante & dix-neufans, après avoir fait unrempart de fon corps a Louis XVI dansl'horrible matinée du 20 juin, s'était retiréà Mouchy avec fa vertueule époufe; onvint les y chercher, & tous deux précédè-

rent à l'échafaud la maréchale de Noailles,la ducheffe de Noailles fa belle-fille, &la fille de celle-ci, femme de mon oncle &beau-père le vicomte de Noailles, qui péri-

rent toutes les trois le même jour; pures &

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PREMIÈRE PARTIE. 43

innocentes victimes dont les vertus étaientdignes de racheter les crimes de leurs bour-

reaux.Ma grand'mère eut toutes ces pertes a

déplorer avec celle de fon angélique amie,Mme de Biron, de la ducheffe de Gra-

mont, foeur du duc de Choifeul le mini-ftre, qui lui était auffi bien chère, de la

ducheffe du Châtelet, tante chérie deMme de Simiane, femme refpectable &charmante. Mme de Simiane elle-mêmefut mile en prifon, ainfi que ma mère &

ma grand'mère maternelle. Elles ne furentfauvées que par le 9 thermidor. Ma grand'¬

mère fut exemptée de la prifon par fa mau-vaife fanté. Elle parut fi infirme à ceux quivinrent l'arrêter, qu'on lui permit d'êtregardée chez elle; elle refta donc feule àParis avec fon fils cadet, âgé alors de qua-torze ans. Mon père, après avoir fait avecles princes la campagne de 1792, s'était ré-fugié en Angleterre avec ma mère. Mongrand-père, ma tante d'Hénin, M. de

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44 MA GRAND'MÈRE.

Lally paffèrent auffi à Londres la plusgrande partie de leur émigration. Mme deTeffé, plus prévoyante que tous fes amis,avait réalifé en Suiffe, & enfuite en Hol-ftein, une fomme confidérable, & s'y créa

un établiffement indépendant.Ma grand'mère ne conferva près d'elle,

pendant ces jours de douleur & d'effroi,

que fa belle-mère, Mme de Beauvau; fa

belle-soeur la ducheffe de Duras ; Mme deSimiane, l'abbé de Damas, l'abbé de Mon-tefquiou l'entouraient & ne la quittèrentplus. M. le maréchal de Beauvau avait eule bonheur de mourir dans fon lit l'annéequi précéda la mort du Roi. Mme deBeauvau, chaffée du Val, maifon de cam-pagne charmante dans la forêt de Saint-Germain, qu'elle habitait conftamment,s'était réfugiée à Saint-Germain, où la po-pulation était moins dangereufe qu'ailleurs.La ducheffe de Duras, belle-soeur de magrand'mère, fortie de prifon

.en même

temps que Mme de Simiane, vivait en-

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PREMIÈRE PARTIE. 45

core, comme toutes les victimes dérobéesà l'échafaud, dans une timide & obfcurepauvreté. Elle voyait quelquefois magrand'mère qui, ayant été chaffée del'hôtel de Mouchyà la mort de fes parents,s'était campée tant bien que mal avec fonfils, Mme de Simiane & les abbés deDamas & de Montefquiou dans quelquespièces de l'hôtel Beauvau, qui appartenait

encore à Mme de Beauvau fa belle-mère,& qui fut loué plus tard pour des raisonsd'économie. J'ai fouvent entendu dire à

ces dames qu'elles avaient encore, malgréleurs malheurs, un fi grand fonds de mou-vement dans l'efprit que la converfationentre elles fufpendait la terreur, & qu'il s'ygliffait des éclairs de gaieté.

Ce fut alors que fe noua entre ma grand'¬mère & Mme de Simiane une amitié intime& paffionnée qui n'eut de terme que leurmort. Mme de Simiane était beaucoupplus jeune que fon amie; mais, dès fon en-trée dans le monde, elle fentit le charme &

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46 MA GRAND'MÈRE.

la fupériorité du petit cercle exquis qui en-tourait Mme de Poix. Elle fouhaita d'enfaire partie & en devint un des ornements.Mme de Simiane avait été la plus jolieperfonne de fon temps. Je n'ai jamais en-tendu parler des fuccès de fa figure à ceuxqui en avaient été témoins, fans une forted'enthoufiafme. Quelqu'un difait : qu'ilétait impoffiblede la recevoir, fans lui donner

une fête. Lorfque je l'ai vue, elle n'étaitplus jeune, & moi j'étais enfant; cepen-dantj'aicompris fon effet; c'eft toutfimple,elle avait été la plus jolie des femmes, elle

en était auffi la meilleure, & jufqu'à fondernier jour, fa bonté folide, afiaifonnéed'une envie de plaire confiante, a produit

autour d'elle une forte d'effet magique.Quand les dons du coeur accompagnentceux de la figure, ils lui communiquent uncharme tout-puiffant & étemel. Cet af-femblage divin caractérifàit Mme de Si-miane plus qu'aucune perfonne que j'aiejamais rencontrée. La fraîcheur de fa

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PREMIÈRE PARTIE. 47

jeuneffe en fut embellie, & fon âge avancéconferva le privilége de plaire & d'attacherjufqu'au tombeau. Son commerce était

délicieux. Elle était d'une gaieté char-

mante, comme tous fes frères. Cette gaieté

ne bleflait jamais perfonne, parce qu'elleavait un coeur adorable, une âme élevée

& un grand bon fens. Le fentiment defes avantages l'avait, dès fa jeuneffe, pé-nétrée du défir de défarmer l'envie. Peut-être cette aimable difpofition jointe à lamode de la chaleur qu'elle avait fubie

comme tant d'autres, avait-elle donné àfon approbation quelque chofe d'exceffif.

Sa fatisfaction avait prefque toujours uneteinte d'enthoufiafme. J'ai vu des gensfroids s'en étonner, mais n'en être pasmoins bientôt fubjugués par fon charme& fes vertus. Après avoir brillé fans rivaledans le monde frivole de fon temps, elle

eut la fageffe de le quitter encore jeune

pour fe renfermer dans un cercle de pa-rents proches & d'anciennes connaiffances.

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48 MA GRAND'MÈRE.

La dernière moitié de fa vie confacréeprefque exclufivement à d'immenfes cha-rités fe paffa avec ma grand'mère à la cam-pagne, l'une chez l'autre, réunifiant autourd'elles les amis avec lefquels elles avaientfouffert, & ceux que l'émigrationleur avaitrendus.

Les mauvais jours finis, toutes les an-nées qui fuivirent apportèrent fucceffive-

ment de nouvelles jouiffances à ma grand'¬mère. Elle avait retrouvé une belle for-tune ,

fa famille l'entourait conftamment..Mon père & mon grand-père étaient ren-trés au 18 brumaire, mon oncle fit unexcellent mariage dont il eut plufieurs en-fants. Plus tard, mon mariage avec un de

mes coufins me fixa auffi près d'elle. Notreintérieur, grâce à la gaieté toute char-mante de ma grand'mère & à l'amabilité defes amis, était une forte de fête perpé-tuelle ,

& nous ne nous trouvions tousjamais fi bien nulle part que chez nous.

Peu de temps après le mariage de mon

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PREMIÈRE PARTIE. 49

oncle, ma grand'mère perdit fa belle-mère,Mme la maréchale de Beauvau, à la foisfon dernier devoir & fon plus ancien atta-chement. Mme de Beauvau avait furvécuenviron quinze ans à un mari adoré, fou-tenue pour ainfi dire par la vivacité de fes

regrets qui ne fe ralentirent pas un jour.Ma grand'mère lui rendit jufqu'à fa mortles foins de la fille la plus tendre. J'ai en-

core vu dans mon enfance le falon deMme de Beauvau; il me frappait malgré

mon âge. Elle avait dans une chétivemaifon du faubourg Saint-Honoré un petitappartement meublé des reftes élégants defon ancien mobilier. Du moment qu'onquittait l'efcalier crotté, commun à tous leshabitants, on fe fentait tranfporté dans unmonde à part : tout était noble & foignédans ces petites chambres. Le peu de do-meftiques qu'on y voyaient étaient vieux& quelque peu impotents ; on fentait con-fufément qu'ils avaient vu fi bonne com-pagnie, que leur jugement était quelque

G

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chofe. Jamais Mme de Beauvau ne fermaitfa porte, & tous les foirs fon falon étaitplein. Tout y entrait, elle n'avait jamais

rompu avec perfonne, grâce à la fupério-rité de fa raifon & au calme de fon cara-ctère. Les gens de lettres dont elle avaitaimé la fociété, fa nombreufe famille, fes

vieux amis, leurs enfants & petits-enfants,tous fe preffaient autour de fon grand fau-teuil

,fiers de l'entourer. Sa réputation

d'efprit, fes anciennes liaifons politiques& littéraires, les opinions libérales dontelle avait fait profeffion en 1789, toutcela lui conciliait une popularité univer-felle. Les philofophes aimaient à lui rap-peler l'appui qu'elle avait prêté à leursdoctrines. Certains d'entre eux devenusdes perfonnages fous l'Empire croyaient fe

donner un air d'ancien régime en venantchez elle. Le faubourg Saint-Germain pen-fait paraître éclairé en s'y faifant voir;enfin on ne retrouva nulle part tous ceséléments divers réunis dans un refpect fi

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PREMIÈRE PARTIE. 51

fingulier. Mes parents m'y menaient de

temps en temps le foir. Le recueillement

me faififfait des l'antichambre : on entraitderrière un paravent, & de là j'avifais ti-midement l'effrayant petit efpace à par-courir pour aller baifer la main à mon ar-rière-belle-grand'mère. Elle était enfoncée

dans un grand fauteuil à oreilles, mais cegrand fauteuil était joli comme tout le reftede fon mobilier. Elle-même était mife àpeindre, & établie comme toute femme defon âge doit tâcher de l'être. Un bonnet engaze blanche unie, à la mode de fa jeu-neffe, & invariablement le même, ainfi quela robe fort ample, & en façon de peignoir,toujours de quelque belle étoffe unie decouleur foncée. Devant elle, une boîte àeffiloquer pofée fur une petite table qui nelui laiffait que la faculté de fe foulever pourles vifites ; les pieds dans un fac de veloursgarni de fourrure; tout cet établiffementtouchait, d'un côté, une cheminée cou-verte de précieufes vieilleries; de l'autre,

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52 MA GRAND'MÈRE.

une ligne de fauteuils rangés en demi-cercle

en face de la cheminée rejoignait le para-vent. Ordinairement un homme ou deuxdebout à la cheminée entretenaient la maî-treffe de la maifon. Les dames affiles s'yjoignaient à volonté, mais attendaient leplus fouvent qu'on les interrogeât. Je mefouviens d'y avoir vu Boiffy d'Anglas, jadisprotégé de la maifon, devenu comte & fé-nateur, avec fa belle tête blanche & fon airfolennel, dans l'attitude du plus profondrefpect; comme auffi le cardinal Maury, àfa rentrée en France. M. Suard, l'abbé Mo-rellet, Marmontel étaient d'anciens habi-tués. J'ai vu à Saint-Germain, où elle paf-fait les étés dans un petit logement pareil àcelui de Paris, un ancien acteur de l'Opéra-Comique, nommé Caillaud, connu par degrands fucees, venir lui rendre fes devoirs.Elle le fit un jour chanter pour nous, & jeme fouviens que ce fut charmant. Caillaudétait vieux, mais on voyait qu'il avait étébeau : l'expreffion touchante & naïve de

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PREMIÈRE PARTIE. 53

fon chant nous émut profondément. ASaint-Germainauffi, tous les ans à la mêmeépoque, une vieille & impofante amie, laducheffe d'Arenberg, venait paffer deuxmois avec Mme de Beauvau. Il s'y joignait

une vieille foeur de M. de Beauvau, jadisabbeffe de Saint-Antoine, laquelle, droite

comme un cierge, grâce à un corfet ter-rible, ne donnait d'autre ligne d'exiftencequ'un tic nerveux qui faifait remuer fa

tête, ornée d'un abat-jour vert; elle effilo-quait conftamment avec ardeur des chiffonsde foie deftinés à faire de la ouate. C'étaitl'ouvrage habituel de toutes ces vieillesdames. Quand elles étaient toutes trois dans

ce petit falon, réunies à l'avant-dernier ducde Rohan Chabot, frère de Mme de Beau-

vau, qui portait l'hiver des habits fourrés,& l'été des fouliers gris, l'ancien régime

me femblait ranimé comme par le galva-nifme. On parlait généralement bas chezMme de Beauvau, perfonne ne voulant l'o-bliger à élever la voix qu'elle avait très-

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54 MA GRAND'MÈRE.

faible. A une certaine heure, on lui appor-tait du café dans une très-petite cafetièred'or. Tous ces débris magnifiques avaientle plus grand air. Cette impofante perfonnefinit fans douleur, fans agonie; elle s'étei-gnit comme elle avait vécu, en adorant fonmari, & en honorant Voltaire. Ses derniers

moments furent d'une paix toute philofo-phique. Les cérémonies religieufes n'ytinrent point leur place, mais les appa-rences furent allez heureufement confer-vées pour qu'il fût dit que, jufqu'au dernierjour, l'indépendance des idées s'était alliée

chez elle à la convenance des formes.Ma grand'mère changea un peu fa vie

depuis cette mort. Au lieu de la régler furcelle de Mme de Beauvau, elle devint

centre elle-même, & raffembla conftam-

ment autour d'elle tout ce qui compofaitfon intimité : d'ailleurs, une fois que l'âge

& des infirmités toujours croiffantes l'eu-rent rendue complétement fedentaire, fonfalon ne défemplit pas, grâce au charme de

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PREMIÈRE PARTIE. 55

fon commerce, & à la fupériorité de fonefprit éclairé par l'expérience, fans avoirrien perdu de fa vivacité.

Maintenant que je me fuis rendu comptede ce qui m'eft parvenu par les récits de

mes parents & les fouvenirs de mon en-fance, de la première partie de la vie de

ma grand'mère, je vais tâcher de me retra-cer mes rapports perfonnels avec elle, dujour où j'ai vécu fous fon toit, jufqu'àcelui où nous l'avons perdue. J'ai dit ceque j'ai fu, je vais dire ce que j'ai vu.

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DEUXIEME PARTIE.

1809 — 1833.

A grand'mère a été peut-être le dernier exempled'un chef de famille; le

temps où nous vivonsn'admet plus pareillechofe : la famille comme

tout le refte a changé d'organifation, & aperdu fa difcipline. Nos moeurs actuellesn'admettentplus d'autorité inconteftée. Lafubordination des intérieurs a dû périr aveccelle des maffes. Mon père & mon oncle,élevés dans le refpect & même la crainte deleurs parents (c'était la tradition de lamaifon), ont perfévéré jufqu'à la mortdans cette foumiffion héréditaire. Tout,

H

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58 MA GRAND'MÈRE.

fous l'ancien régime, fe réunifiait pour lamaintenir. Outre un certain refpect invo-lontaire pour les vieilles moeurs, l'intérêtperfonnel y obligeait. Des parents haut pla-cés, riches, en crédit à la cour, occupantdes charges qu'ils pouvaient tranfmettre,étaient des protecteursutiles, & qu'il fallaitménager. Dès que leurs enfants pouvaientles connaître, cette fituation leur afiuraitun preftige qui ne laiffait pas la liberté deles obferver ; on ne jugeait pas foi-mêmefes père & mère, on prenait en ouvrantles yeux le jugement du monde fur leurcompte. Comme de raifon, on n'en favait

que le beau côté, & puis il exiftait alorsdes autorités, & elles fe tiennent toutes !

Depuis que tout eft fournis à l'examen detous, on comprend que le pouvoir paterneldoit fubir comme les autres un contrôle fé-

vère & inceffant. L'intimité de la vie inté-rieure établie aujourd'hui par la médiocritédes habitudes, lui ôte prefque tous fes

moyensd'action; des parents qu'on nequitte

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DEUXIÈME PARTIE. 59

pas de la journée deviennent une fociété.On les juge, on les critique, on s'en moque,& Dieu fait ce qui s'enfuit dans les naturesvicieufes. Dans l'ancien temps on les

voyait peu, à caufe des devoirs de fociété,de cour, & des places de tout genre aux-quelles fe joignait une repréfentationobligée dans toutes les fituations un peuimportantes. Pendant ce temps-là les en-fants étudiaient dans leur chambre ouau collége, voyaient deux fois par jourleurs père & mère, en cérémonie ou aumoins avec une timide réferve. Plus tardles écoles, les voyages, le régiment pourles hommes, le couvent pour les femmes,les féparaient encore. Bref, il n'exiftaitentre eux que ces rapports tout faits quifuffifent aux âmes bien nées pour imprimerle refpect, & qui laiffent aux mauvailes

natures la poffibilité de voiler leur indifci-pline. Mais quelle n'était pas la force de

ce refpect filial, quand par bonheur il s'a-dreffait à des perfonnages impofants, non-

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60 MA GRAND'MÈRE.

feulement par leurs places & leurs cordons,mais par des vertus fans tache & une vieirréprochable ! Nos vertueux parents mortsfur l'échafaud avaient laiffé après eux latradition d'une déférence fans bornes.Mon grand-père, accoutumé à révérer fonpère non-feulement comme un maréchalde France, mais comme un faint, eûttrouvé inouï que fes enfants ne lui témoi-gnaffent pas le même refpect, & qu'ils fe

permiffent le moindre rapprochement en-tre fa vie privée un peu légère & les graveshabitudes de fon père. Il futfervi à fouhait :

jamais on ne vit deux fils plus déférents,je dirai plus fournis. Relativement à magrand'mère, ce fentiment s'alliait à une ad-

miration fans bornes qu'ils lui ont confer-vée jufqu'à la mort, & que nous avonspartagée inftinctivementtous, fuivant notreplus ou moins d'intimité avec elle. Quantà moi, je me conformai d'autant plus ai-fément à l'obéiflance paffive, que, dans la

famille de ma mère, où j'étais élevée, les

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doctrines étaient les mêmes. Je me mêlaidonc fort peu de mon mariage ; il fut ar-rangé dès mon enfance, & je fus unie àdix-fept ans par le défir de mon père à unde mes coufins portant notre nom, fansavoir jamais fongé qu'on peut avoir en pa-reil cas un avis à foi. J'eus le bonheur debien rencontrer; mais hélas! il dura peu!Jufqu'à cette époque je paffais mon année

avec ma mère, hors environ deux mois tantà Paris qu'à la campagne dans ma famillepaternelle. La douceur un peu grave del'intérieur d'où je fortais rendait mes vifites

aux parents de mon père une efpèce detemps de vacances. Je commençais à re-connaître dans ma grand'mère tout ce quej'ai admiré en elle à mefure que je me fuisdéveloppée. Enfùite, le ton de fon falon,fa gaieté, celle de fes amis, la vivacité deleurs difcuffions, l'originalité piquante dequelques-uns d'entre eux étaient pour moiune fource intariffable d'amufements. Jetrouvais là, fi j'ofe le dire, l'ancien régime

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62 MA GRAND'MÈRE.

pur fang avec fes charmes & fes faibleffes.Les uns revenaientd'émigrationrapportantdes fouvenirs triftes ou gais, fuivant leurs

aventures; les autres, à peine échappés àl'échafaud, l'oubliaient en retrouvant leursamis. Ce moment de bonheur fut bien vifaprès tant de maux : on pleurait les mortsen embraffant les vivants. Je ne puis m'em-pêcher de dire, à la louange de ces vivants,dont les uns retrouvaient en France la pau-vreté après les infortunes de l'émigration,les autres la misère après les horreurs dela prifon, que jamais une plainte, ne leuréchappait relativement au changementma-tériel de leur exiftence. Les pertes du coeurfeules femblaient les atteindre; mais lesprivations phyfiques étaient nulles a leurs

yeux. Ce genre de traverfes leur fourniffait

au contraire des récits animants & des ob-fervations fines. Nous avons vu depuis cepremier naufrage bien d'autres déplace-

ments caufés par les révolutions politiques,& j'ai toujours remarqué que les regrets

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donnés au matériel ne fe montraient vive-ment que dans les parvenus. Ma grand'¬mère & Mme de Simiane qui n'avaient pasémigré revoyaient avec bonheur les amisqui leur étaient rendus. Le monde ancienfe reconftitua ainfi obfcurément dans desafiles d'abord modeftes, puis fucceffive-

ment plus élégants, à mefure qu'on dé-brouilla fes affaires & qu'on reprit affez defécurité pour biffer voir qu'on avait con-fervé quelque chofe, La façon dont la fo-ciété ancienne fe recompofa, au retour del'émigration, fous la protection du gouver-nement confulaire, fut, fi je l'ofe dire, dela part de ce gouvernement même unegrave inconféquence, & la fource premièrede toutes les difficultés de notre politiqueintérieure. Le 18 brumaire, époque jufte-ment bénie par tous les partis, puifqu'ellefaifait ceffer une fituation à la fois honteufe& oppreffive, fut certainement un retour àl'ordre & même-à la morale, en tant qu'ilréfultait du retour de l'ordre une morale

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extérieure fondée fur le fentiment éclairédes intérêts de tous. Mais ce qu'on doit,ce me femble, entendre par le mot morale,c'eft la vertu confidérée comme le fonde-

ment des liens fociaux : or, cette moraleéternelle établie fur la religion, la pro-bité, la juftice, n'avait plus de place enFrance depuis la Révolution, & ne la re-trouva pas fous l'Empire. Napoléon quiavait tiré fon élévation du mouvement ré-volutionnaire fe garda bien de le défavouer :il craignit même d'en flétrir les excès, & il

en confacra tous les effets. Ainfi les biensnationaux maintenus, les régicides hono-rés

,& mis en place, les maffacres judi-

ciaires confacrés, l'émigrationreliéeà l'étatde crime, les lois fanguinaires en vigueur,confervèrent aux vainqueurs & aux vain-

cus la fituation révolutionnaire, moins laperfécution. Il n'y avait de conféquent,

avec un tel état de chofes, que le banniffe-

ment éternel des émigrés, & l'anéantiffe-

ment de leurs propriétés. La nation était

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alors refaite à neuf, tout homogène, &l'avenir fans nuages. Au lieu de cela, deuxfociétés reftèrent en préfence dans le pays.L'une toute-puiffante & pourtant inquiète,l'autre obfcure & retirée, mais dédaigneufe& indignée. Les quinze années fantafliquesde l'Empire ne changèrent pas cette po-fition; elles y ajoutèrent feulement desfouvenirs de gloire & des habitudes de fer-vilité, fous lefquelles les haines jacobines,feulement comprimées, fe réveillèrent

en 1814, ranimées par la preffe & par latribune. De là tous nos maux; mais ce n'eftpas le lieu d'en parler. Je ne cherche à merappeler ici que ce que j'ai vu d'aimable,& non pas ce qu'il eût fallu prévoir; ceque je veux me rappeler, ce font ces typescharmants déjà inconnus au moment oùj'écris, & impoffibles à ranimer de nosjours, puifqu'ils étaient le fruit de tradi-tions perdues. Mme de Maintenon a dit :

Un très-bon goût fuppofe prefque toujours untrès-grandfens. Et cela eft vrai, car les dé-

I

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licateffes du goût s'appliquent au bon fens

comme à la grâce, & la morale même fe

produit alors tout naturellementpar le fensexquis des convenances; le goût, enfin,tient lieu de vertus à ceux qui n'ont plus deprincipes, & cette fragile bafe foutenaitprefque feule l'édifice de la fociété françaifelors de fa chute. Grâce à ce goût parfait,les efprits médiocres fe rendaient agréables

par le tact & la difcrétion, les gens vicieux

ne femblaient que faciles, & les caractèresfévères ceffaient d'être gênants. Les inéga-lités de pofition devenaient infenfibles

dans un monde où il ne fallait que plaire

pour être compté. Il s'enfuivait des rela-tions à la fois exquifes & commodes, abfo-

lument introuvables aujourd'hui. J'ai dit!plus haut que ma grand'mère & Mme deSimiane avaient refferré leurs liens par ladouleur qui les avait frappées enfemble.Elles fe réunirent après la Terreur, d'a-bord à l'hôtel Beauvau, puis dans une pe-tite maifon du faubourg Saint-Honoré,

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où on trouva moyen de faire tenir fuc-ceffivement tous les membres de notrefamille rentrés d'émigration, Mme de Si-

miane, les abbés de Damas & de Montef-quiou, & enfin mon oncle, fa femme, leursenfants, & plus tard mon mari & moi.C'eft dans cette forte de caravanférail quenouspassâmes lesdernières années de l'Em-pire ; habitant la moitié de l'année Mouchy

que mon grand-père tâchait ; de rendreagréable, le Val que Mme de Beauvau avaitracheté à la nation pour le laiffer à magrand'mère, parfois Cirey ou Mme de Si-miane avait un établiffement excellent.Toutes ces réfidences fembleraient bienmauvaifes aujourd'hui; elles paraiffaientadmirables après l'émigration & la Terreur.On y travaillait prefque foi-même. Je merappelle l'orgueil de mon grand-père quandil nous préfenta Mouchy meublé du haut

en bas en toile de coton blanche avec des

commodes de noyer, & la joie de magrand'mère la première fois qu'elle put ha-

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biter le Val avec un falon fans glaces, &

une falle à manger fans rideaux. Quant àmoi qui étais logée à Paris dans une ma-nière de grenier, & à la campagne dans des

chambres qui paraîtraient aujourd'hui toutjufte convenables à nos femmes de cham-bre, je ne fais fi le plaifir d'être jeune em-belliffait cette époque pour moi, maisquoiqu'aucun fouvenir brillant ne s'y rat-tache, celui que j'en conferve eft auffidouxqu'amufant.

Ma grand'mère était, ainfi qu'elle l'atoujours été, l'âme de cette réunion.Comme toutes les perfonnes réellement ai-mables, elle l'était autant par le caractère

que par l'efprit. A l'époque de mon entréedans le monde, là vivacité & celle de quel-

ques-unes de fes amies allait encore, commeje l'ai dit plus haut, jufqu'à l'impétuolité.Leur chaleur fe calma progreffivement parl'effet inévitable de l'âge & du change-

ment de moeurs qui les entourait. Long-temps pourtant ces efprits vifs & impref-

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fionnables proteftèrent contre le refroidif-fement général. Une jeuneffe éternellefemblait être le dernier privilége qui dûtleur échapper, & notre fociété nouvelle

parut toujours froide & fans gaieté à côtéd'eux. Mon grand-père, dont j'ai déjà faitconnaître la vivacité, refta jufqu'à la mortune bombe toujours près d'éclater de joie,de tendreffe, ou de fureur. Sa fidélité pourla famillede Louis XVI ne céda, fous l'Em-pire, ni à la peur, ni à l'admiration : lemeurtrier du duc d'Enghien lui fut toujoursd'autant plus odieux que fes reffentimentsperfonnels fe compliquaient d'un fondsd'idées libérales de 1789, corroboré par uneadmiration fanatique pour l'Angleterre,rapportée de rémigration. C'était un fpe-

ctacle à la fois touchant&comiqueque de levoir s'indigner ou s'attendrir quand fon dé-

vouement à fes Rois était excité ou com-battu, dévouement d'autant plus refpe-ctable qu'il avait été méconnuà l'époque dela Révolution, par fuite de fon attachement

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pour M. Necker d'abord, & enfuite pourM. de La Fayette. Ma grand'mère, avecplus de circonfpection, fentait & penfait

comme lui, fes amis en faifaient autant;mais les caufes de leur oppofition n'é-taient pas les mêmes pour tous. Chez nostantes d'Hénin & de Teffé, fidèles à leursanciennes doctrines & toujours ralliéesà M. de La Fayette, l'indignation tenaitplus encore à l'horreur de l'arbitrairequ'à la haine de l'ufurpation. C'était 1789

qu'elles regrettaient & non la monarchielégitime. M. de Lally tout imbu desmêmes idées, fortifiées d'une origine àmoitié anglaife, M. Mounier, M. Ma-louët, fe groupaient avec elles autour deleur héros, qui, depuis longtemps, n'é-tait plus celui de ma grand'mère, & qui,certes, ne fut jamais le mien. C'était unegrande figure fade dont les yeux ne man-quaient cependant pas d'expreffion. En

y regardant bien, on y trouvait de la force& de la dignité. J'ai fouvent ri de le voir

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rencontrer d'anciens ennemis politiques duparti légitimifte, qui croyaient le foudroyerde leurs regards indignés, pendant que luifouriait de pitié de leur aveuglement, leurtendait la main avec une affabilité plus im-patientante que le reffentiment le plusamer. L'Empire lui allait bien; découragéde confpirer, il vivait en Cincinnatus dans

une terre charmante, adminiftrant commeun bon fermier une fortune extrêmementreftreinte, au milieu d'une famille intéref-fante & vertueufe qui le refpectait à l'exem-ple de fon angélique femme. Mme de LaFayette, qui aura dans l'hiftoire de fontemps la plus belle place que les femmespuiffent y occuper, éprouvait pour fonmari un enthoufiafme tel que, malgré fonardente piété dont M. de La Fayette étaitbien loin, elle n'eut jamais le moindre foucidu falut de fon mari, perfuadée que Dieu

y regarderait à damner un homme commelui. La révolution de juillet le mit fort àfon avantage; lui & M. de Talleyrand fe

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trouvant les feuls hommes de leur forte aumilieu de ce gâchis, leur ifolement les gran-dit. A l'époque dont je parle, M. de LaFayette régnait fans rivaux chez notre tantede Teffé, autre débris de l'ancien régime,modifié par les doctrines de l'Affembléeconftituante. Mme de Teffé était un grandcaractère; elle avait l'efprit élevé jufqu'àêtre chimérique, mais fa fermeté impofait,& on avait toujours près d'elle le fentimentde fa fupériorité. J'étais fouvent frappée ducontrafte de fa conduite avec fes difcours;dès qu'elle agiffait c'était avec une fageffe

politive, un jugement fain & une complèteabfence de préjugés; mais dans la conver-fation, elle me femblait fans ceffe hors duvrai, fophiftique, paradoxale & fouventobfcure. Au demeurant une forte tête, &

une grande âme. Son falon était curieux; il

était refté le même qu'il y a cinquante ans.Les doctrines ariftocratiques y étaient pro-fcrites; & là, comme difait ma grand'mère,le tiers avait la double repréfentation.

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Mme de Teffé s'était liée au commence-ment de la Révolution avec d'honorablesmembresde l'Affemblée nationale.M. Mou-nier entre autres devint fon ami intime.M. de La Fayette, fon parent, était enmême temps fon héros. D'autres perfon-

nages, liés à elle par la politique ou par lefentiment, rendaient fa fociété un parfaitmodèle de nivellement. J'ai fouvent re-marqué que ces perfonnes, dont les ma-nières étaient partout ailleurs bien infé-rieures à celles de Mme de Teffé, gagnaientdans fon falon la diftinction qui pouvaitleur manquer, tant fon influence était puif-fante. Sa figure était étrange; elle avait,dit-on, été très-jolie, & défigurée à vingt

ans par la petite vérole; chagrin qui futnul pour elle, par fuite de fa raifon préma-turée : c'était une forte de fibylle parlanttoujours d'un ton impofant & doctoral,

avec des grimaces affreufes & des ticsprefque convulfifs. Au milieu de tout cela,

une nobleffe incomparable de fentiments &K

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de manières, enfin un mélange de raifonfévère & d'exaltation chimérique auffi ex-traordinaire que piquant. Son falon diffé-rait donc effentiellement de celui de magrand'mère à laquelle les crimes de la Ré-volution avaient laiffé tant d'épouvante,

que tout ce qui les avait précédés lui fem-blait y participer un peu. Mme de Simianesympathifait là-deffus avec elle, & en cela

comme en tout, leur union ne fe démentitjamais. Lorfque mon grand-père fut rentréen France, il défira habiter Mouchy. Les

voyages de ma grand'mère à Cirey, chezMme de Simiane, en fournirentà fon grand

regret; mais Cirey venait à Mouchy, &rien ne fut plus agréable que cette dernièrephafe de l'exiftence révolutionnaire de mesparents. Les familles qui, comme la nôtre,ne s'étaient que partiellement ralliées augouvernement, vivaient en riches & bonsbourgeois, fans titres, fans priviléges, maisprotégés comme amis de l'ordre, quandleur conduite était raffurante. Il s'enfuivit,

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fous l'Empire, une vie de famille intime, &une liberté privée qui parut d'abord déli-cieufe après les angoiffes révolutionnaires.Par la fuite, des chagrins & des vexationsvinrent troubler ces beaux jours. L'Empe-

reur, non content des conquêtes exté-rieures ,

le mit à en faire en France, & fup-

porta impatiemment que quelques famillesroyaliftes reftaffent étrangères à fa cour.Il était trop preffé, car naturellement cha-

que jour lui ralliait du monde. La gloiremilitaire attirait les jeunes gens, les plai-firs féduifaient les femmes, & la craintedes perfécutions décidait les vieillards.Quand on a vu ce temps fi court & fibrillant, on refte confondu de tous les

moyens de durée qu'avait ce trône fanta-ftique qui ne pouvait abfblument finir quepar fa faute.

L'année 1809, oùje me mariai, futpeut-être la plus brillante de cette période demiracles. Le mariage de Napoléon & deMarie-Louife parut le fceau des merveilles

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du règne. Sans prendre part aux joies pu-bliques autrement que comme peuple,nous nous en divertîmes fort. Je n'oublie-rai jamais pour ma part la cérémonie dumariage, pour laquelle j'obtins des billetsde curieux, & qui m'intéreffa au plus hautdegré. Elle eut lieu dans une falle duLouvre transformée en chapelle pour l'oc-cafion. Rien de plus éclatant, de plus phy-fiquement beau : c'était oriental. Lesfemmes de cette cour, en général époufées

pour leur beauté, quoique parties fouventdes rangs les plus bas, apprenaient leurnouveau perfonnage avec un tact, merveil-leux : à quelques exceptions près, tellesqu'une certaine maréchale,jadis cantinière,dont les jurements ont fait fortune, ellesfavaient toutes prendre un air de dignitéfroide, excellente dans leur état; la magni-ficence ordonnée par l'Empereur, & l'élé-

gance naturelle aux Françaifes en faifaient

tout de fuite des ducheffes charmantes. Leshommes avaient plus de peine à fe trans-

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former, leurs groffes allures déparaientleurs brillants coftumes ; mais au total l'en-femble était impofant. La difcipline mili-taire y remplaçait l'étiquette; un ordreparfait réglait les places, & la peur avaittous les effets du refpect : il ne manquaità cet enfemble qu'un peu de vieillerie,

ce n'était pas encore une cour, ce n'étaitqu'une puiffance; mais quelle puiffance!La cérémonie du mariage fut affom-brie par la colère évidente de l'Empe-reur, en voyant vides les fiéges deftinés

aux cardinaux qui avaient pris parti pourle Pape. Son vifage exprima un courrouxconcentré qui ne put fe calmer par la pen-fée, cependant affez agréable, de fe voirépoux d'une archiducheffe. Ce petit dé-boire amufa fort les badauds dont je faifais

partie. En tout, jufqu'au fatal hiver de1812, les fpectateurs de ce grand drame,furtout ceux de mon âge, s'amufaientprefque autant que les acteurs. Nous vé-cûmes pendant ces trois années réunis,

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comme toujours, à Paris l'hiver, & àMouchy & au Val l'été, avec l'infouciantegaieté de la claffe inférieure fous les gou-vernements defpotiques. J'entrais dans lemonde alors, mais j'y allais peu; la fociétéde mes parents & de leurs amis me fuffifait,

avec celle de quelques amis d'enfance; &ce que je trouvais toujours plus aimable

que tout, c'était ma grand'mère & fes en-tours. Je n'ai pas de plus agréables fouve-nirs que ceux des moments paffés prèsd'elle ou feule, ou avec fes amis. Tousavaient leur mérite, que je connus dans majeuneffe par expérience, après les avoiraimés fur les récits de mes parents. Ma

tante d'Hénin, dont j'ai fait connaître lajeuneffe, confervait fes colères, fes joies,fes attendriffements fi prompts & fi fin-cères, à travers lefquels on fentait une âmefi élevée & un efprit fi jufte. M. de Lally,lié à fon fort, partageait toutes fes impref-fions; leur politique était la même, mais

ma tante avait de la fermeté pour deux;

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DEUXIÈME PARTIE. 79M. de Rivarol a dit de M. de Lally, quec'était le plus gras des hommes fenfibles. Ileft vrai qu'il était gros & tendre, ce qui aquelque chofe de rifible ; mais au demeu-

rant c'était un bel efprit, orné, ingénieux,abondant, doué d'une éloquence facile,majeftueufe ou piquante, fuivant l'à-pro-pos; d'une mémoire prodigieufe, admira-blement meublée; avec tout cela un cara-ctère doux, bon jufqu'à la duperie, crédule

par bienveillance, enfantin dans les plai-firs, & prefque niais à force de candeur.C'était un admirable inftrument de conver-fation, de lecture où il excellait, optimifte

en toute chofe & du plus aimable abandondans le commerce habituel de la vie. Matante le gouvernait à la rigueur; c'était de

ces gens qu'il faut avertir de fe lever, de fe

coucher, de payer leurs domeftiques, unvéritable enfant.

L'abbé de Montefquiou, autre grandefprit, ami intime de ma grand'mère, nes'entendait guère avec M. de Lally que fur

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ces thèfes générales qui réunifient les bellesâmes & les fortes intelligences. Le paffé lesféparait. L'un avait quitté la révolution de1789 plus tôt que l'autre; aucun d'euxn'en avait compris les effets de la mêmemanière, tous deux en maudiffaient les

égarements pour des caufes différentes.L'abbé avait un efprit charmant; je ne fais

s'il était toujours bien jufte, je crois qu'ilavait des préjugés, mais la fource en étaitélevée, il les foutenait avec une éloquence àla fois originale & féduifante qui charmaitquand même elle ne perfuadait pas. L'abbéde Montefquiou était né en province; fa

famille, une des premières du midi de la

France, y avait encore au début de la Ré-volution une exiftence prefque féodale,adoucie par cette paternité d'habitudes quimodifiait, à cette époque, dans tant de lo-calités, les relations des claffes fupérieures

avec les maffes. Élevé dans ces vieilles cou-tumes dont fon efprit obfervateur avait fufignaler les abus, en prévoir la deftruction,

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DEUXIÈME PARTIE, 81

il ne prit à Paris ni les hardieffes philofo-phiques ni l'efprit courtifan. Ses moeurs

ne furent pas auftères, mais fes principes

ne varièrent jamais. Il relia toute fa vie, fi

je puis m'exprimer ainfi, provincial dansla meilleure acception du mot; c'efl-à-dire

un foutien de la vieille monarchie, un dé-fenfeur des droits anciens de la nation,prétendant retrouver la liberté dans lepaffé, au lieu de l'établir fur l'oubli dupaffé. Malheureufement pour lui, avecune âme élevée & un efprit fupérieur, ilétait homme d'engouement, difpofitionqui

procure des amis & des ennemis ardents.C'était le cas pour lui ; ceux qu'il aimait lelui rendaient avec paffion; rien n'égalaitalors le charme de fon commerce; maisquand on ne lui convenait pas, on en étaittraité de façon à ne jamais lui pardonner.Son extérieur était auffi diftingué qu'a-gréable : un vifage noble & délicat, des

yeux étincelants, un peu enfoncés fous unfront élevé, une expreffion à, la fois per-

L

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çante & douce; rien de gracieux, de caret-fant comme fa voix, fon vifage, toute faperfonne quand il s'adreffait à ceux qui luiplaifaient; rien de plus cruellement dédai-

gneux quand on lui était défagréable. La

pauvre Mme de Staël était une de fes aver-fions. On prétendait qu'une fois, en dif-

putant contre elle, il l'avait fait pleurer.Une amitié fraternelle unifiait l'abbé deMontefquiou à l'abbé de Damas ; ils furenttoute leur vie inféparables l'un de l'autre,ainfique de Mme de Simiane & de fes deuxautres frères : le comte, depuis duc deDamas, aîné de la famille, & le comteRoger, rentré en France feulement à laReftauration. Le comte de Damas, rentré

en France peu après le 18 brumaire, fefaifait remarquer par une élégance mili-taire

,& une grâce tout ariftocratique. Le

caractère particulier des Damas était unabandon auffi naturel qu'original gouverné

par un tact exquis, & accompagné d'unegaieté qui rendait l'exiftence avec eux non-

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feulement agréable, mais ce qu'on peut ap-peler amufante. Je n'ai jamais vu perfonnefavoir, comme Mme de Simiane & fes

frères, donner une tournure dramatique àtous les incidents de la vie. Le comte Ro-ger, que nous ne revîmes qu'à la Reftau-ration, était tout pareil; mais j'ai toujourstrouvé l'abbé le plus charmant de tous,non-feulement par l'originalité de fon efprit, mais par la chaleur puiffante & com-municative de fon coeur, & l'élévation detous fes fentiments. De même que les na-tures feches produifent l'ifolementpartout,les âmes ardentes répandentautourd'elleslavie & le mouvement. L'abbé de Damas enétait un exemple, perfonne ne reliait froidprès de lui : cet aimable homme fans for-tune, fans figure, fans pouvoir, était nécef-faire à tout ce qui le connaiffait, & n'avait

pas un moment à lui. Mme de Sévignédifait d'un ami dévoué les d'Hacqueville,c'eût été exact pour l'abbé de Damas. Sa

vie fe doublait par le dévouement, fon coeur

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fi tendre, fon âme fi naturellement exaltée,fon imagination de feu, le tranfportaientdans les peines ou les plaifirs de fes amis,au point de leur faire croire qu'il les fentaitplus vivement qu'eux-mêmes.Il avait enfinle premierde tous les dons, la fympathie, cecharme indéfiniffable fans lequel le mériteeft fec, la grâce froide, la fupériorité déf-agréable, la bonté même fans attraits. Cetattribut divin m'a paru toujours plus ré-pandu parmi les perfonnes du temps paffé

que chez celles d'aujourd'hui, & la raifon

en eft fimple : on plaçait alors le plus grandplaifir de la vie dans les relations de la fo-ciété; cette fociété était toujours choifie,& fouvent reftreinte; il en réfultait uneforte de befoin réciproque les uns des autresqui rendait gracieux par égoïfme. Les

moeurs ont changé. Celles de notre époque

ont amené un ifolement. dans les habi-tudes, effet naturel de caufes plus gravesqu'il ferait trop long d'analyler. L'intimitéeft remplacée par la foule. Ces affemblées

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nombreufes, en ufage aujourd'hui, pro-curent le plaifir fauvage de fe fentir entouréfans être en rapport avec perfonne. Riende plus favorable à la médiocrité que cetteforte d'incognito, & comme partout lamédiocrité eft le grand nombre, & que,par un reflet de nos moeurs politiques, lamajorité fait partout la loi, cette trille ma-jorité impofe fes mauffades habitudes auxefprits d'élite que la foule importune & fa-tigue. Ceux-là, faute d'être compris, s'é-loignent du monde, abandonnant ainfi l'em-pire qu'ils devraient exercer fur les ufages& les moeurs. Ma grand'mère dans unautre temps aurait été un tribunal de fo-ciété dont les arrêts euffent fixé le goût dela jeuneffe. Retirée du monde avant l'âge,elle fe borna à charmer un petit cercled'amis affez heureuxpour l'apprécier, dontles uns s'éteignirent avec elle, quelquesautres vivent aujourd'hui de fes fouvenirs,

avec une forte de regret de l'avoir connue.Quand ce cercle fi reflreint. s'augmentait

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de quelque nouvelle connaiffance, ellefavait en tirer parti, & fon commerce amé-liorait ceux qui étaient admis à en jouir.Jamais, difait-elle, je n'ai trouvé perfonne

ennuyeux; & quand on lui demandait fa re-cette, elle affurait avec vérité que perfonnen'eft ennuyeux en parlant de foi. Les gensles plus bornés font imprévus quand ils fe

racontent de bonne foi : mais pour les yamener, il faut favoir attirer la confiance, &

ma grand'mère y excellait. Son infatigablebienveillance fe faifait fentir dès qu'onl'approchait. Son efprit, auffi aimable quefon caractère, lui préfentait tout d'abordle bon côté de tout le monde, & elle ap-prouvait fi jufte, qu'elle flattait fans que fa

franchife en fouffrît. Cette charmante fa-cilité était en elle une originalité réelle. Ileft fi trille & fi commun de trouver le

mauvais côté de tout! Elle favait infpirer

ces heureufes difpofitions autour d'elle, &

on fe fentait toujours meilleur & plus ai-

mable quand elle était là.

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Outre ce cercle intime dont je viens deparler, des parents, des amis moins anciens,l'entourèrent fucceffivement de leurs foins.La princeffe de Chalais, foeur cadette decette première amie de ma grand'mère, laducheffe de Sully, & liée d'enfance avecMme de Simiane, devint înféparable detoutes deux. C'était une perfonne d'unmérite grave & d'un efprit férieux, dont le

coeur était fi tendre qu'elle mourut long-temps avant ma grand'mère, d'une maladiecaufée par fes inquiétudes pour la fantéd'un mari qu'elle adorait, & qui lui fur-vécut. Le cardinal de Bauffet, fi connu parfes deux beaux ouvrages fur Boffuet & Fé-nelon, était auffi de nos intimes, & un desplus aimables. Il me traitait perfonnel-lement avec une bonté toute particulière.Les familles Talleyrand, Beauvau, Ca-raman, fe groupaient auffi autour de nousà la ville & à la campagne. Le fameuxprince de Talleyrand ne venait jamais chez

ma grand'mère. Il avait jadis voulu faire

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faire un mariage à fa nièce qu'elle avait re-fufé, pour accepter enfuite mon oncle; ils'enfuivit une froideur de part & d'autrequi reffemblait à une brouillerie, & quidura jufqu'à la Reflauration. Ma grand'¬mère ne le regretta jamais. Ce perfonnage

ne lui avait jamais plu, elle avait trop dedroiture & d'élévation pour qu'il en fûtautrement. M. de Talleyrand était, outrecela, ennemi ancien & caché de l'abbé deMontefquiou ; il l'accufait de l'avoir dé-truit dans l'efprit de ma grand'mère,comme fi lui-même ne s'était pas chargéde ce foin. A l'époque dont je parle

nous ne voyions de fa famille que fes

deux frères. L'aîné, père de ma tante, con-fervait des reftes d'une beauté frappante &célèbre. Il y joignait des manières exquifes,

un caractère facile & gai, ainfi que fontroifième frère, lequel, quoique horrible-ment fourd, était de la meilleure humeurdu monde. Ils étaient parents proches &amis d'enfance des Damas, & faifaient à

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merveille avec eux. Nous voyions fouventauffi, à Mouchy, le duc de Duras, fafemme, perfonne fupérieure qui a laiffé decharmants écrits, & fa refpectable mère,foeur de notre grand-père. Celle-ci était,comme on dit maintenant, un type entiè-rement fini. C'était l'ancien régime à l'étatde confervation le plus rare. Son bonnet,fes allures, fa converfation, tout était reftéde l'autre fiècle. La vertu la plus pure,l'âme la plus noble infpiraient toutes fesactions; mais on avait parfois befoin des'en fouvenir pour ne pas fourire de fesfaçons qui, aux yeux de notre générationrévolutionnaire, paraiffaient empruntées àMolière. Elle me repréfentait le faubourgSaint-Germain de l'ancien régime, dontMme de Beauvau était le faubourg Saint-Honoré. Une piété auftère fe mêlait chezelle aux habitudes de cour les plus invété-rées. On voyait qu'elle avait paffé fa vieentre l'églife & la cour, fans pour ainfidire avoir connu d'intermédiaire. Ses affe-

M

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étions venaient pour elle tout de fuiteaprès Dieu, enfuite fes fouverains, tout febornait là, & les autres intérêts de cemonde ne lui arrivaient que fecondaire-

ment. Comme elle était douée d'un grandbon fens, elle fe réfignait à tout ce qui nelui convenait pas, & comprenait mêmeles progrès & les changements, quoiqu'ellen'en adoptât pas les formes. Toute fa vieelle dîna à deux heures, & refta vêtue

comme on l'était dans fa jeuneffe ; mais elles'amufait comme au fpectacle en obfervantla différence des moeurs actuelles aveccelles de fon temps. Son auftère franchifelui donnait fouvent l'apparence de la du-reté, fon coeur en était bien loin. Parents& amis la trouvèrent toujours tendre &dévouée; ma grand'mère entre autres,malgré leurs différences de manière de faire& de penfer, lui fut toujours chère, & luiinfpirait un attrait qui prouvait la délica-teffe de fon goût. D'autres parents pluséloignés rendaient auffi des foins à ma

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grand'mère; mais nos liens les plus étroits& les plus chers étaient, & font toujoursreliés, mon beau-frère Noailles, dont lesperfécutions de l'Empire nous privèrentpromptement après mon mariage, fa foeurMme de Vérac, le mari de celle-ci, & plustard, nos coufins, le duc & la ducheffe deNoailles. Leur affection héréditaire fait en-core aujourd'hui le bonheur de mes en-fants & le mien. Toutes ces perfonnes, de-puis notre reprife de poffeffion de Mouchyen 1804, y paffèrent conftamment avecnous une partie de l'été ou de l'automne.Ces féjours étaient charmants : nos parentsnous permettaient d'y engager nos amis,auffi étions-nous fouvent beaucoup demonde; mais je remarquais que la gaieté,le mouvement, enfin la vivacité de la vie,nous venaient toujours des perfonnes âgées.Nous avions befoin d'elles pour nousmettre en train, & de ma grand'mèreavanttout. Perfonne n'a jamais allié comme ellel'abandon & la rectitude méthodique dans

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toutes fes habitudes; elle devenait par lànéceffairement centre. On favait à touteheure ce qu'elle faifait, & où on la trou-verait; le vague & le découfu fi odieuxpartout & furtout à la campagne, n'exi-ftaient jamais où elle était; fes momentsétaient partagés avec une raifon exquife

entre l'occupation & la fociété. Dès fa jeu-neffe, elle eut le befoin de quelques heuresde folitude dans la journée : J'ai dit plushaut qu'elle avait complétement refait fonéducation depuis fon mariage; on pourraitdire que ce travail dura jufqu'à fa mort parce befoin de perfectionnement qui n'ap-partient qu'aux natures privilégiées. Sonefprit à la fois réfléchi & communicatifaimait prefque également à fe replier furlui-même, & à interroger celui des autres.Ses heures de retraite la ramenaient tou-jours à la fociété avec de nouveaux tréforsà répandre dans la converfation. Son heu-reux caractère la fervait en tout; les amu-fements les plus communs la divertiffaient,

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toute lecture avait le don de l'intéreffer,perfonne ne fentait mieux la mufique; elleaimait le jeu avec une vivacité qui le faifait

aimer aux autres, enfin, elle portait fur

tout une faculté d'intérêt qui mettait pourainfi dire le feu à ce qu'elle touchait. Si

quelque raifon d'affaire ou de fanté l'éloi-gnait de nous aux heures où nous avions

coutume de l'entourer, nous étions mornes& ennuyés uniquement parce qu'elle n'é-tait pas là ; & ceci jufqu'à fà mort. Il n'yeut jamais une perfonne fi encourageante ;

on faifait tout mieux quand elle était là. Jen'ai vu qu'elle flatter autant par fon ap-probation, en étant fi facile à fatisfaire.Qu'on était heureux, qu'on était fier de fes

louanges ! avec quelle bonne foi elle admi-rait ! avec quelle grâce elle favait l'expri-mer! Quelle perte qu'un tel fuffrage! Ilfemble qu'on perde avec lui le courage debien faire; la vie n'eft plus éclairée, pour-quoi agir dans les ténèbres ?

Le premier nuage qui vint troubler ce

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bien-être reconquis depuis le 18 brumaire,fut la perfécution dont mon beau-frèreNoailles fut l'objet, & qui le força de s'ex-patrier pendant les trois dernières annéesde l'Empire. Les différends de Napoléon

avec la cour de Rome & la captivité du

pape qui en réfulta, avaient amené un mé-contentement qui fut bientôt réprimé avecla févérité impériale. Mon beau-frère eutun courage à peu près unique à cetteépoque; il réfifta! & fut obligé de quitterla France, malgré les efforts de mon mari

pour défarmer la colère du maître. L'amitiédes deux frères ne fouffrit jamais de leurdifférence de fituation; ils s'entendaient fi

bien fur l'effentiel! Mon mari paffionné

pour fon état, & par conféquent grand

admirateur de Napoléon, était cependantbien loin de l'approuver en tout. Il étaitrelié auffi pieux que fon frère, & favait

faire refpecter fa croyance par des cama-rades qui ne la partageaient pas. Notre

intérieur fe trouvait ainfi divifé entre mon

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oncle & mon mari, attachés au ré-gime impérial, & mon grand-père, monpère, & mon beau-frère, partifans cachésde la maifon de Bourbon. La bonne intel-ligence de notre famille n'en fouffrit ja-mais : tous fes membres voulaient le bienfous quelque forme qu'il fe produisît. Leursdifcuffions ne pouvaient donc jamais de-venir amères ou déraifonnables ; il étaitd'ailleurs affez difficile de parler politiqueférieufement devant mon grand-père, quinommait habituellement le héros du jour,le tigre, la hyène, le monftre, &c. Bientôt,hélas, il ramena tout le monde à fon avis.La campagne de 1812 révolta jufqu'auxféides de l'Empire. Le naufrage immenfede toute la jeuneffe françaife nous atteignitdouloureufement. Je devins veuve au moisde novembre 1812

,après trois années de

mariage; prefque en même temps Mme deSimiane perdait à Cirey cet aimable abbéde Damas, l'âme de fon intérieur, & unedes joies du nôtre. Ce même hiver, mon

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grand-père fut attaqué d'une maladie

grave. Je n'ai pas fouvenir d'un plus pé-nible temps que ces premiers mois de dou-leur fuivis d'une férie de malheurs publics& particuliers. Ma grand'mère fouffrit

pour nous & avec nous. Mon veuvage latouchait maternellement, & la mort del'abbé de Damas lui enlevait pour ainfi direle bonheurde Mme de Simiane dont le lienétait inféparable. Nous vécûmes donc detrifteffe & d'indignation jufqu'en 1814.Enfin arriva la Reftauration, & avec ellecelle de notre famille. Nous remontâmesfur le trône avec les Bourbons. Ma grand'¬mère jouit profondément de revoir les

princes en qui revivait le fouvenir de

ceux qu'elle avait chéris ; mon grand-pèreétait ivre de joie, ainfi que mon père; jele fus comme eux. Depuis la mort de monmari, la chute de Napoléon était le but de

tous mes voeux; je regardais l'Empereur

comme un bourreau, & fon ambition

comme une guillotine en permanence. Nos

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princes me femblaient des vengeurs divinsqui nous apportaient le bonheur & l'oublide nos maux. Cette opinion fut un lien deplus entre ma grand'mère & moi, furtoutdans les premiers moments du gouverne-ment nouveau. Plus tard, elle me trouvaittrop févère pour nos pauvres princes, queje jugeais avec l'efprit d'examen de montemps; cependant, elle-même, comme ilappartenait à la jufteffe de fon efprit, s'at-tacha bientôt au fyftème de royalifme mo-déré repréfenté par le miniftre Richelieu;opinion qui admettait le ralliement de tousles partis à la monarchie légitime, en op-pofition à l'emploi exclufifde ceux qu'on aappelés depuis les ultra-royaliftes.

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du Roi de la faire paffer à fon fils aîné. C'é-tait alors, comme il y a foixanteans, une despremières fituations de la cour. Mon grand-père refta pair de France, & gouverneurde Verfailles & de Trianon. Mon oncle futambaffadeur en Ruffie; mon beau-frère, mi-niftre plénipotentiaire aucongrèsdeVienne,puis aide de camp de Monfieur, était, outrecela, miniftre d'État, député, chevalier deplufieurs ordres; matante de Noailles, de-puis ducheffe de Poix, dame d'atour deMme la ducheffe de Berry. Les amis de mesparents avaient prefque tous retrouvé degrandes fituations; moi qui n'étais rien, jeprofitais des diflinctions accordées a mesentours, & mavie s'animaitdes amufementsde la cour & des débats de la politique.Noshabitudes changèrent avec notre nouvelleexiftence : les hommes durent paffer moinsde temps à la campagne, les femmesmême eurent de nouveaux devoirs à rem-plir. Mouchy fut donc moins habité, &ceffa enfin de l'être entièrement par fuite

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de deux événements : la mort de mongrand-père en 1818, après une longue ma-ladie, & la cécité de ma grand'mère, dontles yeux, après s'être graduellement affai-blis pendant dix ans, furent enfin totale-ment perdus quelques années après. Ellefubit avec un courage héroïque deux opé-rations fucceffives qui manquèrent toutesdeux, & fe réfigna enfin à la plus trille desinfirmités, avec cette fupériorité de l'âme& cette fageffe de l'efprit qui placent cer-taines organifations, faibles en apparence,au-deffus de toutes les crifes de l'exiftence;Sa vie, déjà méthodique, fubit de légèresmodifications, fi judicieufes & fi adroites,que fa cécité était à peine fenfible aux au-tres. La lecture tout haut & la converfationdevinrent fes uniques diffractions, & elle

en paraiffait fi fatisfaite, qu'on n'éprouvaitjamais près d'elle cette pitié pénible qu'in-fpirent les maux fans efpoir. Nous dûmes

nous féliciter alors que les douleurs dejambe qui avaient tant attrifté fa jeuneffe

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l'euffent habituée à être aidée dans prefquetous fes mouvements; elle fouffrit doncmoins qu'une autre de cette pénible,dépen-dance qui défole les aveugles ingambes &actifs. Sa matinée fut toujours confacrée àfa famille d'abord, puis une promenade envoiture; après quoi, elle s'enfermait pourdicter des lettres & fe faire lire tout ce quiparaiffait d'intéreffant. Les journaux, quitiennent une fi grande place dans nos ha-bitudes actuelles, lui étaient particulière-

ment utiles; elle fuivait par eux la marchedes chofes les plus étrangères à fa vie, &s'en rendait maîtreffe avec une force d'in-telligence qui étonnait. J'ai penfé fouvent

que notre gouvernement repréfentatifavaitanimé & intéreffé les dernières années. Ce

mouvement politique à découvert lui rap-pelait fa jeuneffe, & elle trouvait dans les

viciffitudes parlementaires une fource in-épuifable de converfations, & même dedifcuffions dont fon efprit fut avide tantqu'elle vécut. Le foir, fon falon ne défem-

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pliffait pas : la cour & la ville s'y fuccé-daient : fes anciens amis y étaient tous lesjours, les nôtres venaient nous y chercher,& n'avaient pas befoin de nous y trouverpour s'y plaire. La réception des vifitesceffait à une certaine heure, & la journéefe finiffait avec les intimes de tous les

temps, augmentés, depuis la Reftauration,de quelques anciennes connaiffances ren-trées en France avec la cour. Un hommequi prit l'habitude d'y venir fouvent l'inté-reffait au plus haut degré, ainfi que nous,& avait le bon goût de s'en honorer:c'était le célèbre comte Pozzo di Borgo quijouera un rôle fi important dans l'hiftoirede notre temps. Je ne dirai rien ici de fonperfonnage politique ; ce que j'aime à merappeler, c'eft l'attrait refpectueux qu'iltémoigna conftamment à ma grand'mère,à qui il avait été préfenté par le comteRoger de Damas. Du moment qu'il futadmis dans notre intimité, il en devint unmembre précieux par la force & l'origi-

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nalité de fon efprit. C'était un bel hommede fon âge, toujours vêtu avec une fim-plicité qui ne manquait pas d'élégance, &qui prouvait fon bon goût en toute chofe.Supérieur avec bonhomie, racontant enpeintre les immenfes événements auxquelsil avait pris part, mettant les confidé-rations les plus graves à la portée de la fri-vole jeuneffe, & s'en faifant écouter avecplaifir, grâce à fa gaieté méridionale & àfon langage pittorefque & familier. Sachantà fond tout ce qu'il n'avait pas eu le tempsd'étudier, difant feulement ce qu'il voulaitdire, mais paraiffant toujours entraîné.Enfin un tréfor de converfation, malgréles réticences de la diplomatie, lefquelles,

au refte, comme je l'ai fouvent remarqué,

diffimulent rarement la véritable marchedes affaires. Les hommes d'État cachentleurs penfées, mais ne réuffiffent pas à do-miner leurs impreffions. Le comte Pozzoavait auffi un lien avec nous, c'était notrecommun attachement pour le duc de Ri-

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chelieu, cet homme fincère & refpectable,à la fois chevalerefque & libéral, tropconfciencieux pour fon temps, & dontl'efprit n'était pas allez adroit pour fe fairepardonner fon honnêteté. Il m'honorait defon amitié, & fe plaifait chez mes parents,où il trouvait une approbation que d'autresavaient la fottife de lui refufer. Il rencon-trait chez nous M. de Lally, toujours en-flammé de l'amour du bien; l'abbé de Mon-tefquiou, juge éclairé des affaires, dont il nefe mêlait plus; mes deux beaux-frères, tousdeux vifs, fages & aimables, chacun à làmanière ; le cardinal de Bauffet, efprit fupé-rieur fous des formes douces & gracieufes.Le duc de Noailles, dont le talent oratoire

ne s'était pas encore révélé, commençait àpoindre, & ma grand'mère l'avait deviné.Elle aimait auffi fa femme, charmante per-fonne que fes malheurs ont éloignée dumonde depuis. Quelle réunion que celle de

ces mérites divers ! Tout y était beau &bon; on ne reverra plus de femblables in-

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timités. Toute diffipée que j'étais, elles mecharmaient, & me font toujours préfentes.C'était là la vie de Paris pendant fix mois ;le refte de l'année fe paffait au Val, belle& agréable habitation dans la forêt deSaint Germain qui venait à ma grand'¬mère de Mme de Beauvau. La pofition enétait délicieufe, & fa proximité de Parisconvenait à ma grand'mère, parce qu'elles'y trouvait à portée de fon médecin. Celieu lui plaifait pour mille raifons; les fou-venirs de fa jeuneffe, ceux de fes parents,de leurs amis & des fiens, tout y avaitlaiffé des traces qu'elle aimait à retrouver.Elle s'y fentait comme entourée d'unepopulation invifible avec qui elle feule

pouvait communiquer. Ces dernières an-nées de notre vie de famille furent encorecharmantes. Nulle part ma grand'mèren'était plus aimable qu'au Val. Elle s'y fen-

tait chez elle, & cette penfée doublait fon

envie de plaire. Le Val étant à cinq lieues

de Paris, les vifites y abondaient, tant pour

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elle que pour nous. La petite ville de Saint-Germain, de tout temps dévouée auxNoailles & aux Beauvaus, fourniffait fa

part de vifiteurs qui nous ennuyaientquelquefois; mais la bonté de ma grand'¬mère en tirait parti. Souvent, fa foirée

était une forte de petite cour; il y avaittoujours foule pour faire fon loto; ce jeuétait le feul qu'elle pût jouer, & il l'a-mufait à l'excès. Nous l'aimions pour luifaire plaifir. Les petits voifins de Saint-Germain le faifaient avec orgueil, & nos-amis s'en divertiffaient par fuite de cetagrément qui s'attachait à tout ce qui fe

paffait autour de ma grand'mère. Au total,il régnait conftamment dans ce lieu unmouvement auquel chacun était heureux& fier de s'affocier, parce qu'on fentait quetout fe rapportait à un feul but, celui dediftraire & d'intéreffer une perfonne auffiféduifante que refpectable. La plus fingu-lière & la plus honorable des vifites quenous viffions arriver au Val, c'était celle

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que le roi Louis XVIII y faifait tous les

ans. Ma grand'mère avait ceffé de luirendre fes devoirs depuis fa cécité (avantcette époque le Roi la recevait dans l'inti-mité avec quelques autres anciennes con-naiffances à certains jours de l'année),mais quand elle eut perdu les yeux, elle

ne fortit plus que pour fe promener; leRoi auffi gracieux qu'elle, imagina de s'endédommager en dirigeant tous les ans, à uncertain moment de l'été, fa promenade envoiture du côté de la forêt de Saint-Ger-main

,faifant une paufe de vingt minutes à

la grille d'entrée du château. Le lieu prê-tait admirablement à cette entrevue folen-nelle & brillante : c'était une large peloufequi formait une forte d'avenue à la façadedu Val. Nous étions prévenus la veille, &nos gens fe mettaient en campagne dèsle matin pour n'être pas furpris. Du plusloin qu'ils apercevaient l'efcorte royale,ils accouraient à toutes jambes mettre magrand'mère en calèche ; elle s'avançait ainfi

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à la rencontre du Roi, & l'attendait arrêtéedans là voiture. On voyait alors briller aufoleil les calques des gardes du corps; l'ef-corte le déployait le long de la futaie, & lecarroffe à huit chevaux arrivait à toutebride pour s'arrêter court à côté de la ca-lèche. Ordinairement le Roi avait la bontéde placer là vifite pendant le quartier de

mon père, qui le trouvait ainfi prélent àl'entrevue, le refte de la famille était à piedgroupé autour des voitures. Les curieuxdes environs accourus de toutes parts,regardaient avec ébahiffement cette con-verlation en plein air, dont ils ne perdaient

pas un mot, grâce à la voix perçante duRoi & à la néceffité pour tous deux deparler très-haut. Je n'oublierai de ma vie

ce fingulier fpectacle, ainfi que les bellesmanières du fouverain & de celle qu'ilhonorait de là pompeule intimité. Notretante de Duras, avec lès vieilles habitudesde cour, & fon bonnet carcaffé, le tenaitdebout, faifant alternativement la conver-

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fation & la police autour d'elle. Nous étionsappelés fucceffivement pour prendre notrepart de cet honneur; même ma fille, en-core tout enfant, était portée dans le car-roffe du Roi pour y être embraffee.

Louis XVIII, ainfi qu'on le fait, étaitaimable comme un feigneur & comme unacadémicien : tout ce qu'il difait femblait

écrit d'avance & prefque toujours mêlé decitations. Quand M. de Lally fe trouvait là,il y avait entre eux affaut de mémoire. Riende fi ancien, de fi noble que ce fpectacle.Louis XIV femblait revenu dans ce féjourcréé par lui, & infpirer les aimables parolesde fon defcendant. Comme dans toutes les

occafions folennelles, il s'y mêlait quelque-fois des incidents rifibles. Un jour que leRoi arriva un peu plus tôt qu'on ne s'yattendait, ma grand'mère fut jetée en voi-

ture à la hâte, & partit fans attendre notretante la princeffe de Craon qui ne pouvaitmarcher par fuite d'une chute; fon vieuxvalet de chambre, défefpéré de la voir en

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retard, la faifit & l'emporta en courantjufque fur la peloufe, & la fourra dans lacalèche, plus morte que vive, un momentavant l'arrivée du Roi.

Nous étions en général au Val avec nosenfants tout le temps du féjourdemagrand'¬

mère, environ fix mois; toutefois, lorfquequelque raifon d'amufement ou d'affaire

nous éloignait d'elle, nous la laiffions nonfans peine, mais avec fécurité, dans la fo-ciété d'une de nos tantes, la princeffe deCraon, qui s'était dévouée à elle quelquesannées après la mort de mon grand-père;elle amenait avec elle une perfonne qui de-vint pour nous tous une amie intime, &pour ma grand'mère la plus agréable detoutes les reffources. C'était Mlle d'Alpy,élevée par la princeffe de Craon veuve de

ce frère du maréchal de Beauvau fi ai-mable & fi extravagant. Bonne, c'était le

nom de cette charmante perfonne, paffait

pour la fille pofthume d'un vieux ami denotre tante. Adoptée par elle, elle ne la

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quitta jamais, & fut la douceur & la con-folation de fes vieux jours. Si, comme lamédifance l'affurait, Bonne était le fruitd'une tendre faibleffe de l'ami de notrebonne tante, celle-ci pouvait bien direfelix culpa ! car elle dut le bonheur d'unegrande partie de fa longue vie à cette ai-mable perfonne. On trouvait en elle tousles charmes de l'efprit & du caractèrejointsà ce qui eft plus rare encore, une âmeélevée & un coeur fenfible. Nous l'avons

vue pendant des années au milieu de nousremplir le rôle le plus délicat dans unefamille nombreufe, celui d'amie intime,& le remplir toujours pour notre bien,

comme pour la joie de notre grand'mère.Elle fût lui adoucir la perte fucceffive dela plus grande partie de fes anciens amis,& nous aida à lui faire fupporter l'ab-fence de Mme de Simiane, qui finit parne plus fortir de Cirey. Après la mort defes deux frères & celle de l'abbé de Mon-tefquiou, le féjour de Paris lui devint

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DEUXIÈME PARTIE. IIIodieux. Cirey, où elle était entourée detombeaux, mais où fon immenfe bienfai-fance lui créait encore des intérêts, con-venait à fon découragement & à fa mau-vaife fanté. La révolution dejuillet confirma& accrut fes répugnances. Ma grand'mèreétait fon unique lien dans ce Paris oùtout était changé pour elle : ces deux amiesfi tendres finirent leur vie féparées; maispendant les années d'abfence qui pré-cédèrent leur fin, elles s'écrivirent avecune confiance & une régularité qui anéan-tiffaient pour ainfi dire l'éloignement.Mme de Simiane, du fond de la Cham-

pagne, femblait toujours préfente dans

notre intérieur. La ponctualité de fa cor-refpondance & mille communications in-directes, mais journalières, liaient fa vieà la nôtre. Nous parlions d'elle comme fielle eût été au milieu de nous la veille, ouque nous duffions la voir le lendemain,tant elle était ingénieufe à fe rappeler non-feulement à fon amie, mais à nous qu'elle

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traita jufqu'à fa mort avec une affection

toute maternelle! Elle mourut quelquesmois avant ma

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grand'mère, qui, elle-même

, ne furvécut pas plus de trois ans àla révolution de juillet. Elle la vit avec in-dignation & douleur; mais un bien plusgrand malheur empoifbnna fes derniersjours, ce fut la mort prefque fubite de monpère. Cette mort précéda la fienne de neufmois, pendant lefquels, comme ces clartésqui ne font jamais fi vives qu'au moment des'éteindre, elle nous donna le plus beau detous les fpectacles en voyant venir la mortfans illufion & fans crainte. Les trois joursqui précédèrent fa fin furent fublimes ;elle femblait affifter à fa propre defbru-ction, & en fuivre les funeftes progrès. Il

y avait bien des années qu'elle était re-venue non-feulement aux principes, mais

aux pratiques de la religion. Elle en donnapubliquement l'exemple à fa mort, nousfit affembler autour d'elle, & lorfque nouseûmes reçu fes adieux & fa bénédiction,

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