new projet de thèse julien descherre · 2016. 9. 7. · et expérimentation de la cité du design...
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Projet de thèse Julien Descherre Sous la co-‐direction de : MARC CREPON, philosophe, directeur du département de philosophie de l’ENS, Paris et directeur de recherche au CNRS, Paris. et OLIVIER PEYRICOT, designer et théoricien, directeur du Pôle recherche et expérimentation de la Cité du design de Saint-‐Etienne. Experts associés : MICHEL MORANGE, professeur de biologie à l’université Paris 6 et à l’Ecole Normale Supérieure, directeur du Centre Cavaillès d’Histoire et de Philosophie des sciences de l’Ens. NICOLAS & JEAN-‐BAPTISTE MEUNIER, artisan piseur, père et fils. ALAIN GRAS, sociologue, professeur à l’université Paris I Panthéon-‐Sorbonne, directeur du Centre d’Etudes des Techniques des Connaissances et des Pratiques (CETCOPRA). CENTRE DE GEOSCIENCES, MINES ParisTech, équipe Géologie de l’ingénieur et Géomécanique. Accord en attente. CLAUDE BOURGUIGNON, ingénieur agronome et docteur ès sciences en microbiologie des sols. ESPCI ParisTech, Laboratoire de Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes. Accord en attente.
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Table des matières
Plan p. 3
Sujet p. 4
Bibliographie p. 10
Schéma structurel p. 13
Objectifs expérimentaux p. 14
Premières expérimentations p. 15
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Plan Le matériau terre comme méthodologie d’un design éthicosmopolitique Introduction I L’incomplétude du monde A Articulation de l’asservissement de l’homme à la technique
Introduction : Aristote et la technique (tekhnè, phronèsis et sophia) 1 Une civilisation fondée sur la puissance du feu 2 L’époque hyperindustrielle : sociétés de contrôle 3 Milieux associés contre milieux dissociés
B La socialité de l’homme Introduction :
1 Perte de la libido / expérience de l’intimité 2 Vulnérabilité et expression ordinaire / géographie partisane de la vulnérabilité
3 Nous les mortels : fidélité à la condition humaine, l’éthique du care C Complicité de l’homme et de la nature Introduction :
1 L’empoisonnement : homme / faune / flore 2 L’épigénétique : facteurs agissant sur l’épigénome 3 La terre nourricière : la question de l’agriculture / issues possibles
II Expérimentation d’un design éthicosmopolitique A Le design aujourd’hui Introduction : état de la question 1 Minimalisme et asepsie
2 Un design complaisant : les designers sont des majordomes, des serviteurs pervers. 3 La question de l’organic design et sa relation à la nature
B Le matériau terre Introduction : la recherche de nouveaux matériaux (ressources stables et instables) 1 La première matière première naturelle à notre disposition 2 Analyse biologique, physique et chimique de ce matériau miroir de l’homme
3 Considérations étymologiques, symboliques et mythologiques
C La terre comme principe d’un autre design Introduction : L’objet jetable, Faire place 1 Développement soutenable plutôt que durable 2 Nouveaux scenarii de nos modes de vie : alternative au consumérisme effréné 3 Les technologies numériques : un possible rapatriement de la production ?
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Introduction
Toute relation, morale et politique, suppose, de façon première, qu’on soit disposé à entendre l’appel de l’attention, du soin et du secours qu’exigent, sans exception, la vulnérabilité et la mortalité d’autrui. Marc Crépon1.
Je crois que, pour le moment, il n’existe pas d’autre avenir que celui vers lequel la logique industrio-‐technologique nous entraîne inévitablement, un avenir qui ne relève pas des destins individuels mais qui serait global, planétaire et d’une portée historique sans précédent (…). On risque d’être pressés et compressés par les ruses que la culture industrielle déploie pour séduire et atteindre le fond de l’âme de chacun, sans que nul n’en réchappe. Ettore Sottass Jr2.
Il existe des professions plus dommageables que le design industriel, mais elles sont rares. Victor Papanek3.
Le designer Victor Papanek (1927-‐1998) dans son ouvrage Design pour un monde réel
s’inquiète déjà en 1971 de l’épuisement des ressources dont il attribue une part de
responsabilité au designer, annonçant ainsi les conséquences perverses de l’industrialisation sur
l’écosystème et proposant les fondements d’une redéfinition du rôle du designer en exigeant de lui
qu’il assume sa part de responsabilités en contribuant à la préservation des ressources humaines et
naturelles4. Le designer a donc une responsabilité à la fois sociale et morale. Le designer Ettore
Sottsass (1917-‐2007) quant à lui, dans sa Lettre aux designers, s’inquiète des effets destructeurs
de la culture industrielle barbare sur l’homme et appelle à une nouvelle dignité, une conscience
plus aiguë de la valeur de l’existence, une vision claire d’aspiration au calme, au bonheur, au jeu et
au plaisir que poursuit l’humanité5.
Plus de quarante ans après le texte de Victor Papanek et plus de vingt ans après celui
d’Ettore Sottsass, textes d’une lucidité remarquable, nous constatons que le design occupe plus
que jamais une situation paradoxale dans notre société hyperindustrielle6. En effet, il est d’un
côté tenu à une certaine morale, ce qui explique qu’il prenne autant part depuis plusieurs années
aux questions environnementales, parfois de manière maladroite voire démagogique (nous
pensons notamment à un purificateur d’air en matière plastique, inopératoire, ‘’soignant’’ les 1 Marc Crépon, Le Consentement meurtrier, Paris, Les Editions du Cerf, 2012, p. 14. 2 Ettore Sottass Jr, Lettre aux designers, 1990, cité par Alexandra Midal, Design, l’anthologie, Genève, HEAD, 2013, p. 413. 3 Victor Papanek, Design pour un monde réel, Paris, Flammarion, coll. « Environnement et société », 1974 ; 1e édition : 1971. 4 Alexandra Midal, Design, l’anthologie, op. cit., p. 272. 5 Ibid., p. 413. 6 Terme que nous empruntons à Bernard Stiegler, De la misère symbolique, op. cit., notamment pp. 79 et 110.
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effets et non les causes de la pollution de l’air, mais aussi au concours l’Aluminium pour l’éco-‐
design organisé chaque année par le programme européen intitulé l’Aluminium pour les
générations futures7, ou encore au Prix du design durable organisé par la société Coca-‐Cola8
France). Le designer est paradoxalement bien souvent un conseiller9 dévoué aux industries,
multinationales liées à la pétrochimie. C’est d’ailleurs sous cet angle que nous interprétons les
propos de Papanek sur la nocivité du design et ceux de Sottsass sur la posture existentielle du
designer10.
Nous faisons ici allusion au designer d’entreprise intégré, au service d’un commanditaire et qui
exécute un cahier des charges. Nous pensons également au designer médiatisé, opérant pour le
compte de grandes marques, tel, par exemple, le designer français Ora Ïto. Cette pratique est
soumise à la loi du marketing en tant qu’instrument de contrôle social11, et s’oppose notamment
à une jeune génération alternative de designers qui sont dans l’expérimentation.
Le monde du design qui éprouve donc un certain malaise est aujourd’hui partout et
s’occupe de tout (de la brosse à dents à la voiture), apparaissant ainsi comme un véritable enjeu
de société.
Il est donc permis de se demander quelle position doit adopter un designer dans cette
époque hyperindustrielle, qui par le biais de la technique contrôle, domine l’homme et son
environnement, notamment grâce à l’exploitation des énergies fossiles12 ? Quelle doit être sa
position face à la délocalisation de la production au profit des pays émergents, transformant
ainsi notre société industrielle de production en société industrielle de services ? Comment dans
ce cas, si cela est nécessaire, définir d’autres modes de production ? Si comme nous le croyons, le
design comme d’ailleurs toute pratique, ne peut s’exercer sans l’usage de considérations
éthiques, ayant pour fin l’homme et son environnement, on peut alors se demander sur quelles
bases doit s’appuyer un designer dans l’exercice de sa profession, de sa tâche13? En d’autres
termes, on peut se demander sur quelles règles pratiques le designer peut-‐il s’appuyer afin
d’agir au mieux dans un milieu technique, naturel, symbolique, etc.
En définitive, on peut se demander comment faire du design un régénérateur du corps
social, de la solidarité sociale, des milieux (naturel, technique, institutionnel, symbolique)
dans/par lesquels cette socialité se joue ?
7 Nous faisons allusion ici au caractère extrêmement énergivore de la production de l’aluminium ainsi qu’à la pollution qu’elle engendre. 8 Le terme durable et la politique de production de la société Coca-‐Cola ne font pourtant pas bon ménage, notamment en Inde. Voir pour cela le journal Le Monde du 4 mars 2011. 9 Expression que nous empruntons à Olivier Peyricot, designer et enseignant à l’EnsAD, Paris. 10 Ettore Sottass Jr, Lettre aux designers, pp. 242-‐245. 11 Gilles Deleuze, Pourpalers, p. 245, cité par Bernard Stiegler, De la misère symbolique, op. cit., p. 30. 12 Nous faisons notamment allusion au pétrole, au gaz ainsi qu’à l’uranium. 13 Pierre-‐Damien Huyghe, Plaidoyer pour une technique hospitalisable, entretien à la Galerie du VIA, Paris, 14 juin 2011. Nous reviendrons sur ce point par la suite.
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En un premier temps, nous étudierons l’articulation de l’asservissement de l’homme à la
technique, avec en guise d’introduction un bref rappel de la conception aristotélicienne de la
technique, qui doit être accompagnée de règles vraies, notamment la prudence et la sagesse14.
Nous verrons ensuite comment notre civilisation industrielle est le fruit d’une bifurcation
dangereuse qui s’est produite au cours du XIXe siècle15 : le choix de produire de l’énergie
uniquement par le feu, en faisant donc inévitablement appel aux énergies fossiles.
Puis, nous analyserons la consistance de notre époque dite hyperindustrielle, notamment
par le biais des concepts de milieux associés et milieux dissociés16 qui nous permettront d’étudier
l’apport de l’écologie de l’esprit en tant que science des relations d’un être vivant à son milieu, en
l’occurrence industriel17. Nous verrons notamment que ce milieu, qui capte l’énergie libidinale
de l’homme, ne lui permet pas de réaliser son individuation et de contribuer à la construction de
ce dernier, ce que Bernard Stiegler nomme la transindividuation (trans-‐formation des je par le
nous et du nous par le je18) ; ce qui nous conduira donc à la question de la socialité de l’homme, à
travers l’approfondissement de notions développées par Marc Crépon 19 , telles que
l’incomplétude du monde, la géographie partisane de la vulnérabilité ou encore la fidélité à la
condition humaine, autant de questions qui lient les hommes entre eux, par leur réciproque
condition (la vulnérabilité et la mortalité), mais qui les lient aussi à leur milieu, qu’il soit
technique, naturel, etc.
C’est ce dernier rapport de l’homme à la nature que nous développerons ensuite en
analysant comment l’activité humaine empoisonne la faune et la flore et plus globalement notre
environnement biophysique. Nous nous intéresserons pour cela à la question de l’agriculture
qui, comme nous le verrons, est intimement liée au design, par le truchement de l’industrie et de
l’homme, c’est du moins notre position20. Nous verrons notamment comment la révolution verte,
en réalité véritable déclaration de guerre à la terre nourricière, s’est appuyée sur l’industrie
pétrochimique plutôt que sur la nature elle-‐même, au même titre que le design industriel21. Nous
nous appuierons pour cela sur les travaux de Masanobu Fukuoka (1913-‐2008), père de
14 Aristote, Ethique à Nicomaque, VI, traduit par Jules Tricot, Vrin, 1997, chapitres 3, 4 et 5. 15 Alain Gras, Le choix du feu. Aux origines de la crise climatique, Paris, Fayard, 2007, p. 7. 16 Voir Bernard Stiegler, Pharmacologie du Front National suivi du Vocabulaire d’Ars Industrialis par Victor Petit, Editions Flammarion, 2013 ; 1e édition : 2004, pp. 415-‐416. Bernard Stiegler emprunte le concept de milieu associé à Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, 1958. 17 Ibid., p. 391. 18 Ibid., p. 439. 19 Marc Crépon, Le consentement meurtrier, Paris, Les Editions du Cerf, 2012. 20 Nous rejoignons ici la pensée d’Ettore Sottsass : Pour moi, le design est une façon de discuter de la vie, de la société, de la politique, de l’érotisme, de la nourriture et même du design, in Ettore Sottsass Jr. Scritti 1946-‐2001, Vicence, Neri Pozza, 2004, pp. 397-‐401. 21 Nous faisons allusion ici au rapport trouble que le design américain entretient au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec l’industrie de guerre. Voir à ce sujet Beatriz Colomina, Domesticity at War, The MIT Press, 2007.
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l’agriculture naturelle ainsi que sur ceux de Lydia et Claude Bourguignon22, microbiologistes des
sols qui analysent en Europe, en Afrique ainsi qu’en Amérique la qualité des sols agricoles qui
sont, selon eux, dégradés par l’agriculture intensive. Ces derniers montrent notamment que
l’agriculture intensive n’est ni efficace en terme de qualité, ni en terme de quantité, appelant
ainsi à un autre modèle agricole et plus généralement social, puisqu’il renvoie aux problèmes de
qualité de l’alimentation23, à l’emploi et à la faim24 dans le monde. En complément de cette
analyse nous étudierons l’apport de l’épigénétique qui nous montrera que l’homme
s’empoisonne durablement, lui et sa descendance, dans la mesure où certaines évolutions de
maladies telles que le cancer25 peuvent être le fruit d’une expression des gènes transmise par les
générations précédentes. Cette expression des gènes pouvant être influencé par des facteurs tels
que l’environnement ou l’histoire individuelle.
Dans un second temps, nous dresserons un bilan actuel du design et de notions toujours
prégnantes telles que le minimalisme hérité notamment de l’architecte Ludwig Mies van der
Rohe (1886-‐1969) et sa devise : less is more, qui continue à influencer les designers, décentrant
les vraies problématiques vers un moralisme des formes (les frères Bouroullec, etc). Nous
verrons ensuite, comment le design peut se faire complaisant, en servant des causes antisociales,
notamment en encourageant la poursuite de l’exploitation des énergies fossiles ou de produits
directement dangereux pour la santé ou encore en participant à l’obsolescence programmée des
objets26. Le design organique sera également étudié dans la mesure où il semble, sous couvert
d’une inspiration directe de la nature (parametric design), créer une confusion entre le fond et la
forme selon un débat présent dès les origines de la production industrielle. Il sera également
étudié dans une perspective posthumanistique, dans la mesure où il participe à une extension
technologique du corps humain, dans une nouvelle perspective d’industrialisation de ce
dernier27.
22 Claude et Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs, pour retrouver une agriculture saine, Paris, Editions Sang de la Terre, 2009. Claude Bourguignon est ingénieur agronome, ancien chercheur à l’INRA. Lydia Bourguignon est maître ès science et d.t. œnologie. Ils ont fondé leur propre laboratoire de recherche et d’expertise en biologie des sols (LAMS). 23 Nous développerons ici la question hautement symbolique des semences (hybride F1 et OGM) ainsi que la question de leur contrôle grâce au catalogue officiel des semences permettant de réglementer ce marché. 24 Sur cette question capitale de la faim dans le monde que nous approfondirons dans notre travail, voir Olivier Assouly, L’organisation criminelle de la faim, Paris, Actes Sud, coll. Essais sciences, 2013. 25 Michel Morange, Quelle place pour l’épigénétique ?, in Revue Médecine/Science, n° 4, vol. 21, avril 2005, pp. 367-‐369. 26 Sur l’obsolescence programmée voir Glenn Adamson, Industrial strength design : how Brooks Stevens shaped your world, Milwaukee Art Museum, 2003. 27 Nous pensons ici notamment aux nanotechnologies.
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Nous proposerons ainsi, en guise de réponse aux problèmes évoqués précédemment,
l’expérimentation d’un design éthicosmopolitique28, c’est-‐à-‐dire un design qui se comporte et
agit au mieux selon des règles pratiques, dans le but de participer à une autre pensée du kosmos29.
Ce design, soutenable plutôt que durable30, veut être une alternative au consumérisme effréné,
encouragé par une large part des acteurs du design contemporain, notamment en
s’affranchissant radicalement des énergies fossiles et en proposant des pistes pour d’autres
modes d’existence31, où chacun participe à l’élaboration des concepts, à la production, etc.
A la suite d’une étude sur les nouveaux matériaux, sur les ressources stables et instables,
nous nous intéresserons à la terre en tant que première matière première à notre disposition,
s’imposant à nous comme une évidence (nous la foulons du pied). Ce matériau constituera notre
méthodologie de projet, tant pour ces qualités physiques, chimiques, biologiques que pour ses
aspects mythologiques et symboliques. Nous verrons que ce matériau a été totalement
délaissé32, pour ne pas dire déconsidéré par les designers, situation qui perdure jusqu’à
aujourd’hui33. Sans doute ce dédain est-‐il le fruit de l’urbanisation qui a préféré utiliser des
matériaux plus durables34 tels que la brique, le béton, l’acier, l’aluminium, etc. Ce matériau
appelle bien sûr des techniques qui sont encore pratiquées de manière isolée, telles que le pisé,
construction mettant en œuvre de la terre crue, légèrement humide, compressée dans des
coffrages appelés banches. Le pisé nécessite un outillage minimal sans faire appel à l’énergie du
feu, il n’est donc pas énergivore, comme c’est le cas avec la terre cuite, c’est donc une direction
idéale pour nos expérimentations.
Puis, nous procéderons à une analyse, tant au niveau physique, chimique que biologique
du matériau terre. Cette étude montrera notamment que sur les quatre-‐vingt-‐douze éléments
chimiques identifiés de la croûte terrestre, vingt-‐six entrent dans la composition du corps
humain, faisant ainsi du matériau terre notre matériau-‐miroir.
Après quoi, nous étudierons les aspects étymologiques, symboliques et mythologiques
de ce matériau. Nous apprendrons notamment que les mots latins humus « sol » et homo « être
humain » proviennent d’une même racine indo-‐européenne : °ghyom-‐ signifiant « terre ».
28 Terme que nous empruntons à Marc Crépon, Le consentement meurtrier, op. cit., p. 20. 29 Bernard Stiegler, De la misère symbolique, op. cit., p. 114 : « La question de l’esthétique étant désormais mondiale, c’est une autre pensée du kosmos qui est en attente, comme avenir de toute cosmopolitique entendue comme invention du monde ». 30 Distinction que nous empruntons à Pierre-‐Damien Huyghe. Faire place. Paris, Editions Mix, 2009 ; 1e édition : 2006, p. 22. 31 Nous étudierons cette question en détail, notamment avec l’ouvrage de Bruno Latour. Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des Modernes. Paris, La Découverte, 2012. 32 Nous pensons notamment à l’ouvrage de Daniel Kula et Elodie Turnaux. Materiology. L’essentiel sur les matériaux et technologies à l’usage des créateurs. Birkhäuser, 2012 ; 1e édition : 2008, qui ne fait mention que de la céramique. 33 Un état de l’art montrera que la terre crue est utilisée essentiellement dans l’architecture, pas encore dans le design. 34 Nous jouons ici sur le mot et renvoyons à la note 30.
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Nous nous interrogerons ensuite sur la question du caractère jetable des objets et sur
cette déclaration d’Octavio Paz : « El destino de la obra de arte es la eternidad refrigerada del
museo ; el destino del objeto industrial es el basurero35 ». Nous mettrons ce caractère jetable des
objets en rapport avec l’opposition des termes durable et juste/soutenable36 faite par Pierre-‐
Damien Huyghe :
Quel est le sujet de ce développement [durable] ? Nous autres qui vivons ou le système qui nous emploie ? Nos capacités d’exister ou le jeu que nous jouons ? […] S’il apparaissait dans le jeu que nous jouons quelqu’élément d’injustice, et je crois bien que c’est le cas, serions-‐nous fondés à promouvoir le développement durable de ce jeu ? Remarquons donc ceci qui appartient à la logique des concepts : le durable n’implique pas nécessairement en soi le juste. Il est même permis de penser qu’il est de l’essence du pouvoir de chercher à perpétuer les conditions d’un rapport non seulement inégal mais encore injuste à la puissance d’agir ou de faire. […] Evoquer un développement juste, ce serait donc impliquer ipso facto le droit à discuter la condition de ce développement même. Le respect universel de l’humanité y trouverait a priori sa chance sans que soit pour autant d’avance contraintes les décisions à prendre.
Le matériau terre s’inscrit parfaitement dans ce concept du faire place, dans la mesure où
la terre crue est un matériau cyclable et non recyclable, en d’autres termes ce matériau une fois
mis en œuvre à l’aide d’une technique froide, reste dans le cycle37. Pour illustrer notre propos, si
tel ou tel objet en terre crue n’est plus utile, nous pouvons sans traitement particulier, en
quelques instants le mélanger à la terre du jardin afin de faire pousser des légumes. Ce matériau
une fois mis en œuvre ne sort pas du cercle, là est sa force.
Enfin nous nous intéresserons à l’apport possible des technologies numériques, dans le
but de réconcilier le travail et la culture (rapatriement possible de la production par le biais de
l’impression 3D par exemple, réappropriation d’espaces jusqu’ici confisqués par les grands
groupes), nous pensons au design bien sûr mais également à l’architecture et plus
particulièrement à la construction des maisons individuelles, question que nous développerons
à travers une critique du concept de ville.
Les enjeux que couvrent notre projet d’un design éthicosmopolitique sont donc vastes
mais complémentaires. Ce projet s’intéresse à l’homme et à son milieu, qu’il soit naturel ou
technique et tente par le biais d’une réflexion sur les matériaux, sur les modes de conceptions,
sur les modes de productions des objets, mais aussi de la nourriture, de réconcilier l’homme et la
nature, l’homme avec lui-‐même et de fait les hommes entre eux.
35 Octavio Paz, « El uso y la contemplacion », dans Los privilegios de la vista. Buenos Aires, Fondo de Cultura Economica, 1987. 36 Pierre-‐Damien Huyghe, Faire place, op. cit. pp. 25-‐27. 37 Cyclable vient du grec kuklos qui signifie « anneau, cercle ».
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Bibliographie thématique et chronologique Homme et technique MUMFORD, Lewis. Technique et civilisation. Paris, Editions du Seuil, 1950 ; 1e édition : 1934. MUMFORD, Lewis. Les Transformations de l’homme. Paris, Editions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2008 ; 1e édition : 1956. ANDERS, Günther. L’obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle. Paris, Editions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2001 ; 1e édition : 1956. HEIDEGGER, Martin. ‘’La Question de la Technique’’ in Essais et Conférences. Paris, Gallimard, 1958. PACKARD, Vance. La persuasion clandestine. Traduit de l’américain par Hélène Claireau. Paris, Calmann-‐Lévy Editeurs, 1958 ; 1e édition : 1957. SIMONDON, Gilbert. Du mode d’existence des objets techniques. Paris, Aubier, 1958. GUCHET, Xavier. Les Sens de l’évolution technique. Paris, Léo Scheer, 2005. GRAS, Alain. Le choix du feu. Aux origines de la crise climatique. Paris, Fayard, 2007. DASTON, Lorraine ; GALISON, Peter. Objectivité. Les presses du réel, 2012. Société, anthropologie, esthétique BAUDRILLARD, Jean. La société de consommation, ses mythes, ses structures. Editions Denoël, 2012 ; 1e édition : 1970. BAUDRILLARD, Jean. Pour une critique de l’économie politique du signe. Paris, Gallimard, 1972. VACCA, Roberto. Demain, le Moyen Âge : la dégradation des grands systèmes. Paris, Albin Michel, 1973. CHARBONNEAU, Bernard. Le système et le chaos. Critique du développement exponentiel. Paris, Anthropos, 1973. SAHLINS, Marshall. Âge de pierre, âge d’abondance. L’économie des sociétés primitives. Paris, Gallimard, 1976 ; 1e édition : 1974. CLASTRES, Pierre. La Société contre l’Etat. Paris, Minuit, 1974. TAINTER, Joseph. The collapse of Complex Societies. Cambridge, Cambridge University Press, 1988. DELEUZE, Gilles. Pourparlers. Paris, Editions de Minuit, 2003 ; 1e édition : 1990. SIMONDON, Gilbert. L’individuation psychique et collective. Paris, Aubier, 1992. STIEGLER, Bernard. L’Epoque hyperindustrielle. Paris, Editions Galilée, 2004. STIEGLER, Bernard. De la misère symbolique. Editions Flammarion, 2013 ; 1e édition : 2004. CREPON, Marc ; STIEGLER, Bernard ; COLLINS, Georges ; PERRET, Catherine ; STIEGLER, Caroline. Réenchanter le monde. La valeur esprit contre le populisme industriel. Sl, Flammarion, 2006.
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HUYGHE, Pierre-‐Damien. A quoi tient le design. Sl, De l’incidence éditeur, 2014. Le design. Essais sur des théories et des pratiques. Sous la dir. de Brigitte Flamand. Paris, Editions de l’institut français de la mode / Editions du Regard, 2006. COLOMINA, Beatriz. Domesticity at War. The MIT Press, 2007. MIDAL, Alexandra. Design. Introduction à l’histoire d’une discipline. Sl, Univers Poche, Pocket, 2009. Pierre-‐Damien Huyghe. Plaidoyer pour une technique hospitalisable. Entretien à la Galerie du VIA, Paris, 14 juin 2011. MIDAL, Alexandra. Design, l’anthologie. Genève, HEAD, 2013. Ingénierie / Conception Les nouveaux régimes de la conception. Langages, théories, métiers. Sous la dir. de Armand Hatchuel et Benoît Weil. Paris, Hermann Editeurs, 2014 ; 1e édition : 2008. Matériaux et techniques HOUBEN, Hugo ; GUILLAUD, Hubert. Traité de construction en terre. Sl, Editions Parenthèses, 2006 ; 1e édition : 1989. Le design : techniques et matériaux. Sous la dir. de Raymond Guidot. Paris, Flammarion, 2006. KULA, Daniel ; TURNAUX, Elodie ; HIRSINGER, Quentin (contribution). Materiology. L’essentiel sur les matériaux et technologies à l’usage des créateurs. Birkhäuser, 2012 ; 1e édition : 2008. FONTAINE, Laetitia ; ANGER, Romain. Bâtir en terre. Du grain de sable à l’architecture. Sl, Editions Belin / Cité des sciences et de l’industrie, 2009.
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Schéma structurel
THEORIE (Voir plan)
ETAT DE L’ART Vision panoramique / exhaus-
tive de la terre dans le design, l’architecture, l’industrie, etc.
ETUDE DES USAGES Etude de sites particuliers : atelier, site industriel, champs
(agriculture), etc.
ANALYSEGrilles de lecture provenant
d’univers parallèles, exemple :
synergie agriculture/animaux
(carabe, verre de terre, etc.).
EXPERIMENTATION °Ghyom -, etc.
MODELES Outils de mesure.
TESTS / PROTOTYPES Outils de mesure.
Publication
Dév.
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Objectifs expérimentaux
Afin de mener à bien nos expérimentations sur le matériau terre, nous dressons ici une
liste des objectifs expérimentaux sur lesquels portera notre travail. Cette liste n’est pas
exhaustive, elle s’étoffera bien sûr au fil de nos recherches. Nous pouvons déjà en citer quelques-‐
uns, classés par thèmes :
-‐ Typologies des techniques :
Nous étudierons les différentes typologies des techniques relatives à la mise en œuvre de ce
matériau : pisé, torchis, terre crue moulée type brique, etc.
-‐ Les agglomérats :
Nous analyserons les différents agglomérats du matériau selon sa teneur en argile, suivant sa
teneur en eau (hygrométrie), suivant l’épaisseur de ces agglomérats, suivant la pression exercée
sur le matériau pour le mettre en forme, etc.
-‐ Résistance mécanique :
Nous analyserons les limites techniques de ce matériau, notamment au niveau de sa résistance
mécanique, par des tests de compression et de cisaillement. Nous étudierons la possibilité de lui
adjoindre des « renforts » tels que des fibres naturelles par exemple.
-‐ Mise en forme :
Nous étudierons les différentes possibilités de mise en œuvre/mise en forme du matériau,
notamment les techniques de moulage, sur des objets de tailles variables, du petit mobilier à la
paroi murale. Nous continuerons ici le travail sur l’anthropomorphisme déjà expérimenté
précédemment.
-‐ In situ / transport :
Le matériau terre se met en œuvre principalement in situ, c’est d’ailleurs un de ces grands
avantages : produire/construire localement avec une matière première locale. Nous tenterons
donc de mettre au point des procédés de fabrication in situ, accessibles à tous. Cependant nous
étudierons également la possibilité de transporter sur de courtes distances les objets fabriqués à
partir de ce matériau, ne serait-‐ce que dans le but de présenter nos travaux.