nature et portée du contrôle du conseil d'etat sur la procédure suivie par un ordre professionnel...

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AJDA 2000 p. 613 Nature et portée du contrôle du Conseil d'Etat sur la procédure suivie par un ordre professionnel Mattias Guyomar Pierre Collin, Maîtres des requêtes au Conseil d'Etat Les ordres professionnels donnent régulièrement l'occasion au Conseil d'Etat de préciser les règles applicables en matière de procédure juridictionnelle, ainsi que la portée de son contrôle de cassation. Tel est le cas de la décision de la section du contentieux du 5 juillet 2000, M me Rochard (à publier au Lebon ). Les faits de l'espèce étaient assez compliqués. Par une décision en date du 5 mai 1994, le conseil régional de la région Centre de l'ordre des pharmaciens a condamné M me Rochard, pharmacienne d'officine, à l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée d'un mois en raison d'absences de son officine sans remplacement prévu dans les conditions fixées par le Code de la santé publique. Cette sanction a été confirmée par une décision du Conseil national de l'ordre des pharmaciens en date du 24 novembre 1994. Saisi d'un pourvoi en cassation contre cette décision, le Conseil d'Etat l'a annulée pour défaut de publicité de l'audience par une décision en date du 30 décembre 1996 et a, conformément à sa pratique usuelle, renvoyé l'affaire devant le Conseil national. Celui-ci a confirmé, le 19 juin 1997, la sanction prise à l'encontre de M me Rochard. A l'occasion d'un nouveau pourvoi dirigé contre cette seconde sanction, le Conseil d'Etat a été amené à préciser trois points en matière de procédure. La distinction entre les cas de récusation et la régularité de la composition de la formation de jugement L'énoncé complexe, voire touffu, des moyens de la requête a conduit le Conseil d'Etat à préciser la frontière entre le régime de la récusation et celui de la régularité de la composition des juridictions. La récusation est régie par l'article 341 du Nouveau Code de procédure civile qui prévoit que toute partie peut récuser un juge pour des motifs limitativement énumérés, parmi lesquels figurent notamment l'amitié ou l'inimitié notoire entre le juge et l'une des parties, l'existence de liens de parenté ou encore l'existence d'un intérêt personnel dans la contestation. Ces règles ont été étendues aux juridictions administratives soit par des textes, soit par la jurisprudence. Ainsi, les dispositions du Nouveau Code de procédure civile sont applicables aux membres des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel en vertu d'un renvoi des articles L. 5 et R. 194 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Alors même qu'il n'existe aucun renvoi de ce type pour les membres du Conseil d'Etat, le Conseil d'Etat se réfère à ces dispositions (1), ainsi que pour les membres des autres juridictions administratives pour lesquelles les textes ne disent rien (2). La demande de récusation doit être adressée à la juridiction à laquelle appartient le magistrat en cause, avant la clôture des débats. Est ainsi irrecevable en cassation le moyen tiré du fait que certains membres de la juridiction d'appel n'auraient pas dû siéger dès lors que le requérant n'a pas utilisé la faculté de récusation qui lui était ouverte (CE 9 janvier 1952, Sanisart, Lebon p. 21). De même que n'est pas recevable en appel la récusation des juges de première instance (CE Sect. 23 février 1968, Perdereau, Lebon p. 136). Mais encore faut-il que les causes de récusation n'aient pas été connues postérieurement à l'audience (Paisnel, préc.) ou que le requérant n'ait pas été empêché de présenter une demande de récusation (CE 19 octobre 1979, Darlet, Lebon p. 380). Revêt en revanche un caractère d'ordre public le moyen tiré de l'irrégularité de la

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  • AJDA 2000 p. 613

    Nature et porte du contrle du Conseil d'Etat sur la procdure suivie par un ordre

    professionnel

    Mattias Guyomar

    Pierre Collin, Matres des requtes au Conseil d'Etat

    Les ordres professionnels donnent rgulirement l'occasion au Conseil d'Etat de prciser

    les rgles applicables en matire de procdure juridictionnelle, ainsi que la porte de

    son contrle de cassation. Tel est le cas de la dcision de la section du contentieux du 5

    juillet 2000, Mme

    Rochard ( publier au Lebon ).

    Les faits de l'espce taient assez compliqus. Par une dcision en date du 5 mai 1994,

    le conseil rgional de la rgion Centre de l'ordre des pharmaciens a condamn Mme

    Rochard, pharmacienne d'officine, l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une

    dure d'un mois en raison d'absences de son officine sans remplacement prvu dans les

    conditions fixes par le Code de la sant publique. Cette sanction a t confirme par

    une dcision du Conseil national de l'ordre des pharmaciens en date du 24 novembre

    1994. Saisi d'un pourvoi en cassation contre cette dcision, le Conseil d'Etat l'a annule

    pour dfaut de publicit de l'audience par une dcision en date du 30 dcembre 1996 et

    a, conformment sa pratique usuelle, renvoy l'affaire devant le Conseil national.

    Celui-ci a confirm, le 19 juin 1997, la sanction prise l'encontre de Mme

    Rochard. A

    l'occasion d'un nouveau pourvoi dirig contre cette seconde sanction, le Conseil d'Etat a

    t amen prciser trois points en matire de procdure.

    La distinction entre les cas de rcusation et la rgularit de la composition de la

    formation de jugement

    L'nonc complexe, voire touffu, des moyens de la requte a conduit le Conseil d'Etat

    prciser la frontire entre le rgime de la rcusation et celui de la rgularit de la

    composition des juridictions.

    La rcusation est rgie par l'article 341 du Nouveau Code de procdure civile qui

    prvoit que toute partie peut rcuser un juge pour des motifs limitativement numrs,

    parmi lesquels figurent notamment l'amiti ou l'inimiti notoire entre le juge et l'une

    des parties, l'existence de liens de parent ou encore l'existence d'un intrt personnel

    dans la contestation. Ces rgles ont t tendues aux juridictions administratives soit

    par des textes, soit par la jurisprudence. Ainsi, les dispositions du Nouveau Code de

    procdure civile sont applicables aux membres des tribunaux administratifs et cours

    administratives d'appel en vertu d'un renvoi des articles L. 5 et R. 194 du Code des

    tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Alors mme qu'il n'existe

    aucun renvoi de ce type pour les membres du Conseil d'Etat, le Conseil d'Etat se rfre

    ces dispositions (1), ainsi que pour les membres des autres juridictions

    administratives pour lesquelles les textes ne disent rien (2). La demande de

    rcusation doit tre adresse la juridiction laquelle appartient le magistrat en cause,

    avant la clture des dbats. Est ainsi irrecevable en cassation le moyen tir du fait que

    certains membres de la juridiction d'appel n'auraient pas d siger ds lors que le

    requrant n'a pas utilis la facult de rcusation qui lui tait ouverte (CE 9 janvier

    1952, Sanisart, Lebon p. 21). De mme que n'est pas recevable en appel la rcusation

    des juges de premire instance (CE Sect. 23 fvrier 1968, Perdereau, Lebon p. 136).

    Mais encore faut-il que les causes de rcusation n'aient pas t connues

    postrieurement l'audience (Paisnel, prc.) ou que le requrant n'ait pas t empch

    de prsenter une demande de rcusation (CE 19 octobre 1979, Darlet, Lebon p. 380).

    Revt en revanche un caractre d'ordre public le moyen tir de l'irrgularit de la

  • composition de la juridiction de premire instance ou d'appel (CE 19 mai 1961,

    Gianotti, Lebon p. 346 ; CE 30 novembre 1994, SARL Etude Ravalement Constructions,

    Lebon tables p. 1125 ) (3).

    La jurisprudence a cherch concilier la procdure de rcusation et les rgles relatives

    la composition des juridictions. Le prsident Guy Braibant a propos, dans ses

    conclusions sur l'affaire Dlle

    Arbousset (CE Sect. 2 mars 1973, Lebon p. 190), de laisser

    ouvertes paralllement les deux voies : A ct de la rcusation d'un juge demande

    au tribunal dont il fait partie, vous admettez que la prsence de certaines personnes

    dans une juridiction constitue un vice qui affecte la rgularit de sa composition et qui

    peut tre invoqu devant le juge d'appel et de cassation . Comme l'expliquait le

    prsident Michel Rougevin-Baville, dans ses conclusions sur l'affaire Gadiaga (CE Sect.

    25 janvier 1980, Lebon p. 44), l'irrgularit de la composition de la juridiction de

    premire instance peut tre invoque devant le juge d'appel ou de cassation,

    indpendamment du mcanisme de la rcusation lorsque les principes gnraux du

    droit applicables, mme sans texte, toutes les juridictions interdisaient tel ou tel

    membre de participer au jugement de l'affaire de sorte qu'il tait dans l'obligation de se

    rcuser lui-mme . C'est exactement ce que dit la dcision Reibel (CE 26 juillet 1947,

    Lebon p. 356) dans laquelle l'assemble du contentieux a cart un moyen tir de

    l'irrgularit de la composition du jury d'honneur en considrant que le dossier ne

    rvle l'existence d'aucun fait qui et t de nature entraner pour tel ou tel des

    membres prsents la sance o le jury d'honneur a statu l'obligation de se rcuser

    .

    Tel tait, notre sens, l'tat de la jurisprudence jusqu' la dcision du 5 juillet 2000.

    Ds lors qu'un (ou plusieurs) membre(s) tai(en)t dans l'obligation de se rcuser

    lui(eux)-mme(s), on bascule dans le champ de la rgularit de la composition de la

    formation de jugement. Comme l'crit Daniel Chabanol, en fait, le juge d'appel ne

    s'interdit pas de sanctionner une juridiction comprenant un magistrat qui aurait d se

    rcuser de lui-mme (Code des tribunaux administratifs et des cours administratives

    d'appel annot et comment, ditions Le Moniteur, 5e d. 1998, p. 314). Sans aller

    jusqu' contester un tel critre comme le fait Jean Barthlemy en relevant que toutes

    les causes de rcusation prvues par l'article 341 du Nouveau Code de procdure civile

    obligent le juge se rcuser (D. 1995, somm. comm. p. 244 ), force est de

    constater qu'il est d'une utilisation dlicate.

    Estimant, pour sa part, qu'il tait difficile de tracer une frontire satisfaisante pour

    l'esprit entre le rgime de la rcusation et celui de l'irrgularit de la composition d'une

    juridiction , le commissaire du gouvernement Frdric Salat-Baroux a propos la

    section du contentieux une simplification de la jurisprudence consistant ne plus

    oprer de distinction entre les moyens tirs de l'irrgularit de la composition de

    formation de jugement, qui sont d'ordre public, et ceux qui, faute pour les parties

    d'avoir us de leur facult de rcusation devant la juridiction en cause, sont

    irrecevables en appel ou en cassation. Mieux vaut laisser ouvertes successivement la

    procdure de rcusation qui permet aux parties, d'une manire prventive, de

    demander qu'un ou plusieurs juges soient carts de la formation de jugement et [...]

    la possibilit de soulever en appel ou en cassation tous les moyens relatifs

    l'irrgularit de la composition de la juridiction.

    La position du commissaire du gouvernement n'tait pas sans fondement. La rcusation

    est en effet une arme difficile tant sur le plan psychologique - le justiciable pouvant

    nourrir quelque inquitude contester son futur juge -, que sur le plan pratique, la

    composition de la formation de jugement n'tant pas toujours connue avant la sance.

    Laisser ouvertes ces deux voies de contestation de l'impartialit de la juridiction non

    pas paralllement mais successivement pouvait ainsi paratre relever d'une bonne

    administration de la justice. Les interrogations de Jean Barthlemy, dans sa note

  • prcite, allaient d'ailleurs dans le mme sens : On peut se demander [...] s'il ne

    serait pas souhaitable que, quel que soit le motif de rcusation, le Conseil d'Etat

    admette, devant le juge de cassation comme devant le juge d'appel, la mise en cause

    de la rgularit de la composition de la juridiction subordonne pour motif de partialit

    d'un juge, mme si la procdure de rcusation n'a pas t engage par le requrant .

    La section du contentieux n'a pas suivi son commissaire du gouvernement sur ce point

    et a refus qu'un motif relevant la procdure de rcusation devant la juridiction

    concerne devienne un moyen de rgularit de la composition de celle-ci en appel et en

    cassation. Faisant primer l'orthodoxie juridique sur des considrations d'opportunit,

    elle a, ce faisant, clarifi la frontire entre ces deux rgimes.

    La lecture des motifs de la dcision est, de ce point de vue, particulirement clairante.

    Dans un premier temps, le Conseil d'Etat examine les moyens relatifs la rgularit de

    la composition du Conseil national de l'ordre des pharmaciens qu'il carte au fond,

    comme nous le verrons ci-aprs. Dans un second temps, le Conseil d'Etat examine le

    moyen tir de la dsignation comme rapporteur de M. Vaysette qu'il carte avec la

    motivation suivante : Si la requrante conteste la dsignation comme rapporteur de

    M. Vaysette, il est constant qu'elle a eu en temps utile la possibilit de demander la

    rcusation de ce dernier avant la sance au cours de laquelle l'affaire a t appele

    l'audience et qu'elle n'a pas prsent une telle demande ; par suite, ce moyen n'est pas

    recevable devant le juge de cassation .

    La section a donc clairement distingu entre le premier moyen relatif la composition

    de la juridiction ordinale et le second tir de la dsignation du rapporteur. Ce faisant,

    elle a confirm la jurisprudence Sanisart en maintenant le temprament apport par

    Paisnel : afin d'viter d'enfermer le justiciable dans une impasse, la dcision prend bien

    soin de raffirmer que celui-ci devait pouvoir exercer en temps utile la facult de

    rcusation, ce qui signifie concrtement qu'il a pu connatre suffisamment longtemps

    l'avance la composition de la formation de jugement et que le motif de la rcusation n'a

    pas t connu postrieurement la sance.

    Cette confirmation de la jurisprudence s'accompagne d'une prcision quant aux champs

    respectifs de la rcusation et de la rgularit de la composition de la juridiction. La ligne

    de partage repose dsormais sur la combinaison de deux critres. Premier critre : la

    nature de l'impartialit allgu. Ce critre renvoie la distinction qu'il convient d'oprer

    entre l'impartialit subjective, celle qui tient l'homme et son comportement, et

    l'impartialit objective, qui tient aux fonctions exerces par le juge et sont de nature

    faire douter de son indpendance. Second critre : l'aspect individuel ou collectif du

    vice invoqu.

    Relvent de la rcusation et d'elle seule les questions individuelles relatives

    l'impartialit subjective. Toutes les autres questions touchent la rgularit de la

    composition de jugement et sont donc d'ordre public, qu'elles renvoient une

    impartialit collective, qui sera dans la plupart des cas objective, ou une impartialit

    individuelle mais objective. La premire hypothse correspond au cas tranch dans la

    dcision St Labor Mtal (CE Ass. 23 fvrier 2000) dans laquelle tait en cause

    l'impartialit de la Cour des comptes prise en tant qu'institution (4), le Conseil d'Etat

    ayant soulev d'office cette irrgularit (CE 19 avril 2000, M. Lambert, mentionner

    aux tables du Lebon ). La seconde correspond aux cas dans lesquels l'impartialit

    invoque concerne un individu seulement, non pas en tant qu'homme mais en tant qu'il

    y aurait incompatibilit entre des fonctions exerces antrieurement et sa participation

    au jugement. Tel est le cas par exemple du membre d'une cour administrative d'appel

    ayant conclu sur l'affaire en premire instance, en qualit de commissaire de

    gouvernement (SARL Etude Ravalement Constructions, prc.) ou encore du rapporteur

    pour lequel tait invoque l'impossibilit de cumuler les fonctions d'instruction et de

    jugement (CE Sect. 3 dcembre 1999, Leriche, publier au Lebon ). On peut

  • d'ailleurs rapprocher la dcision Louis (CE Sect. 20 juin 1958, Lebon p. 368) de cette

    dernire hypothse, le Conseil d'Etat ayant examin en cassation le moyen tir de ce

    qu'un membre du Conseil suprieur de l'ducation nationale, statuant en matire

    disciplinaire, aurait connu avant la sance la situation administrative du requrant et

    des griefs allgus contre lui (5).

    Cette clarification nous semble prsenter de srieux avantages. En adoptant une

    conception relativement large des questions de rgularit de la composition de

    jugement, elle permet au juge de cassation de remplir parfaitement son office qui est

    de veiller au respect des rgles gnrales de la procdure. Mais, en confirmant qu'un

    certain nombre de questions ne peuvent tre utilement souleves que devant la

    juridiction concerne, elle encadre, de faon fort opportune, la facult pour le justiciable

    de contester son juge sur un plan purement individuel et subjectif, limitant par l mme

    la tentation offerte l'esprit de chicane pour reprendre les termes du prsident

    Franois Gazier dans ses conclusions sur l'affaire Nemegyei (CE Sect. 3 mai 1957,

    Lebon p. 279). Ajoutons qu'une telle position n'apparat pas aujourd'hui susceptible

    d'tre mise en cause au regard de l'article 6-1 de la Convention europenne de

    sauvegarde des droits de l'homme et des liberts fondamentales comme mconnaissant

    le droit au procs quitable. Ainsi, confronte la rgle selon laquelle la rcusation ne

    peut tre effectivement exerce que devant la juridiction concerne, la Cour de

    Strasbourg n'a pas condamn ce mcanisme procdural, mais s'est fonde, pour

    affirmer la violation de l'article 6-1, sur le fait que les parties n'avaient pas eu

    connaissance avant les dbats de la cause de la rcusation invoque (CEDH 23 mai

    1991, Oberschlick c/ Autriche).

    La dcision du 5 juillet 2000 n'a pas seulement permis la section de prciser le champ

    des questions touchant la rgularit de la composition des juridictions. Statuant au

    fond, la section a galement dfini les implications du principe d'impartialit l'gard

    des juridictions ordinales.

    Les juridictions ordinales, exception l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987

    Un moyen tait en effet tir de ce que, saisie sur renvoi par le Conseil d'Etat aprs

    cassation par celui-ci d'une premire dcision, la section disciplinaire du Conseil

    national de l'ordre des pharmaciens avait statu une seconde fois dans une formation

    comprenant plusieurs membres qui avaient dj sig lors du premier examen de

    l'affaire. La requrante soutenait que, dans ces conditions, la composition de la

    juridiction ordinale tait irrgulire. La section du contentieux a cart ce moyen en

    considrant que, ce faisant, la section disciplinaire n'avait mconnu ni les dispositions

    de l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987 ni les stipulations de l'article 6-1 de la

    Convention europenne des droits de l'homme.

    Aux termes de l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987, s'il prononce l'annulation

    d'une dcision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil

    d'Etat peut soit renvoyer l'affaire devant la mme juridiction statuant, sauf impossibilit

    tenant la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire

    devant une autre juridiction de mme nature . Le Conseil d'Etat procde une

    application trs stricte de cette disposition aux cours administratives d'appel. Aprs

    avoir considr que le fait pour une cour d'avoir statu, aprs renvoi, dans la mme

    chambre et sous la mme prsidence que lors du premier examen de l'affaire

    mconnaissait l'obligation pose par l'article 11 de statuer dans une autre formation

    (CE 17 mai 1999, Cts Giraud, req. n 185700, mentionner aux tables du Lebon ),

    le Conseil d'Etat a estim que mconnaissait galement la loi du 31 dcembre 1987 le

    fait pour une cour de siger, aprs renvoi, dans une formation comprenant un seul

    magistrat ayant particip au dlibr de la premire sance (CE 27 mars 2000, SARL

    Maurel et fils, req. n 187703, mentionner aux tables du Lebon ). Comme

    l'explique Jacques Arrighi de Casanova, dans ses conclusions sur cette dernire

  • affaire, si le lgislateur a voulu que la formation soit diffrente [...] c'est pour que,

    devant la mme juridiction tout autant que dans le cas o le renvoi a lieu devant une

    autre, l'affaire ne puisse apparatre comme prjuge (6) . Telle n'est pas la solution

    qui avait t retenue pour une juridiction ordinale, la section disciplinaire de l'ordre des

    mdecins, dont le Conseil d'Etat avait admis qu'elle puisse statuer nouveau, aprs

    cassation et renvoi, dans la mme formation (CE 29 octobre 1990, Diennet, Lebon p.

    299).

    Oprant une distinction entre les cours administratives d'appel envers lesquelles il se

    montre fort rigoureux et les juridictions ordinales, le Conseil d'Etat a confirm sa

    jurisprudence suivant en cela son commissaire du gouvernement qui l'invitait juger

    que l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987 doit tre regard pour les juridictions

    disciplinaires formation unique comme faisant exception la rgle gnrale selon

    laquelle, sur renvoi de l'affaire, un juge ne doit pas dj avoir connu de l'affaire dans le

    cadre de la premire dcision.

    Une telle position est parfaitement conforme l'intention du lgislateur qui a

    expressment rserv l'application de la rgle en cas d' impossibilit tenant la

    nature de la juridiction . Il ressort en effet des travaux prparatoires la loi de 1987

    qu'il s'agissait de faire exception au principe pour les juridictions formation unique.

    Pierre Mazeaud dfendait ainsi, lors de la sance de l'Assemble nationale du 6 octobre

    1987, un amendement visant introduire les termes sauf disposition contraire (7)

    : Il existe des juridictions uniques relevant du Conseil d'Etat par la cassation et qui ne

    disposent pas si l'on peut dire d'une formation de rechange. [...] Or, on ne peut exclure

    le renvoi devant une telle juridiction aprs cassation.

    On aurait pu songer rsoudre la difficult au moyen de la facult dont dispose le

    Conseil d'Etat, en vertu de l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987, de rgler

    l'affaire au fond si l'intrt d'une bonne administration de la justice le justifie . En

    effet, bien que, en principe, il ne rgle l'affaire au fond que lorsque la solution du litige

    ne repose plus que sur des questions de droit et ne soulve pas de question

    d'apprciation des faits, en pratique, le Conseil d'Etat, juge de cassation des cours

    administratives d'appel, dcide quasi systmatiquement de faire jouer cette facult.

    D'une certaine manire, il se serait agi d'utiliser la possibilit offerte par la loi de 1987

    de statuer au fond pour assurer le respect de l'exigence d'examen par une nouvelle

    formation. Mais une telle solution n'aurait gure t satisfaisante. D'une part, en

    matire ordinale, le Conseil d'Etat renvoie systmatiquement les affaires aprs

    cassation afin, notamment, de respecter la spcificit des juridictions ordinales qui est

    d'tre majoritairement composes de professionnels. D'autre part, il aurait t

    paradoxal de chercher contourner les effets d'une loi ayant elle-mme prvu qu'il

    puisse tre fait exception la rgle qu'elle pose.

    La section du contentieux a donc estim que la nature mme des juridictions ordinales

    faisait obstacle l'application de l'article 11 de la loi de 1987. Est en cause non pas la

    nature disciplinaire de ces juridictions, mais leur organisation en une formation unique.

    C'est bien en l'absence d'une autre juridiction quivalente, comptente en appel, que,

    par drogation l'obligation de statuer dans une formation diffrente, la section

    disciplinaire de l'ordre des pharmaciens pouvait juger de la mme affaire une seconde

    fois dans une composition pour partie similaire sans mconnatre, pour autant, le

    principe d'impartialit.

    On aurait galement pu, au cas d'espce, imaginer jouer sur les rgles de quorum pour

    aboutir une nouvelle formation totalement diffrente. Mais la section du contentieux

    n'a pas voulu entrer dans une telle logique qui aurait ouvert, de manire fort

    inopportune, la voie toutes sortes de manipulations par le jeu des rgles de

    composition. Ainsi que l'exposait Frdric Salat-Baroux dans ses conclusions : La

    composition des juridictions ordinales n'obit pas qu' des logiques de quorum, mais

  • galement d'quilibre entre les diffrentes catgories de membres [...]. Et la mise en

    oeuvre d'une rgle mcanique fonde exclusivement sur des critres objectifs : quorum

    et non-participation la premire dcision, si elle peut faire gagner en impartialit

    apparente de la formation de jugement, peut aussi conduire une perte de qualit de

    la justice rendue .

    Prcisons enfin que le moyen tir de la violation de l'article 6-1 de la Convention

    europenne des droits de l'homme a galement t cart. La solution n'tait gure

    dlicate dans la mesure o, sur ce point, la Cour de Strasbourg n'a pas remis en cause

    la jurisprudence du Conseil d'Etat : On ne peut voir un motif de suspicion lgitime

    dans la circonstance que trois des sept membres de la section disciplinaire aient pris

    part la premire dcision (CEDH 26 septembre 1995, Diennet c/ France).

    Le contrle du contrle

    Etait enfin soulev un moyen tir de la mconnaissance par le juge de premire

    instance du principe du caractre contradictoire de la procdure. La section disciplinaire

    avait jug, en appel, que la requrante avait dispos d'un dlai suffisant pour rpondre

    des observations complmentaires. Cette affaire a donc permis la section du

    contentieux de se prononcer sur l'tendue du contrle du juge de cassation sur le

    contrle par le juge d'appel de la rgularit de la procdure de premire instance. Il

    s'agissait en quelque sorte de fixer les limites du contrle du contrle .

    Le Conseil d'Etat avait, jusqu' prsent, fix au cas par cas la nature de son contrle en

    la matire. Comme l'expliquait Frdric Salat-Baroux, ce n'est pas en raison de leur

    objet que vous avez dtermin votre contrle sur les moyens relatifs au contrle par les

    juges d'appel du respect de la procdure de premire instance, mais de la nature mme

    de ces moyens . C'est ainsi que relvent de l'apprciation souveraine des juges du

    fond la question de savoir si une demande pralable a t introduite avant la saisine du

    juge de premire instance (CE 10 mai 1996, M. Agnel et autre) ou encore le fait qu'une

    requte ait t forme en temps utile pour tre enregistre dans le dlai de recours (CE

    31 mars 1999, Mme

    Llado, mentionner aux tables du Lebon ). Relvent en revanche

    de la qualification juridique des faits le caractre suffisamment motiv du jugement de

    premire instance (CE 13 mars 1996, Gamba, Lebon p. 76 ) ou l'intrt pour agir

    d'une association (CE 9 dcembre 1996, Association pour la sauvegarde du patrimoine

    martiniquais, Lebon p. 479 ).

    Par sa dcision du 5 juillet 2000, le Conseil d'Etat a confirm son refus de contrler

    systmatiquement en cassation le contrle exerc par les juges d'appel sur la

    procdure de premire instance. Et la section a suivi son commissaire du gouvernement

    en estimant que l'apprciation du caractre suffisant du dlai laiss par les juges de

    premire instance l'une des parties pour rpondre la production d'une autre partie

    devait relever de l'apprciation souveraine des juges du fond (8). Une telle

    apprciation repose en effet sur un examen des mmoires produits au fond, la

    dtermination du dlai raisonnable accorder l'autre partie dpendant, pour une

    large part, de l'intensit du caractre nouveau des observations.

    Certes, il y a toujours la place en la matire pour un contrle de l'erreur de droit dans

    la mesure o le juge de cassation se doit de contrler les rgles de procdure

    appliques par les juges du fond afin de veiller ce que l'ensemble des justiciables

    bnficient des mmes garanties. Mais, dans un domaine o le droit est trs ml au

    fait, la dcision du 5 juillet 2000 illustre le souci du juge de cassation de s'abstenir,

    dans la plupart des hypothses, de procder un nouvel examen des pices du dossier

    de premire instance.

    Mots cls :

  • PROCEDURE CONTENTIEUSE * Incident * Rcusation * Jugement * Composition de la

    juridiction * Voies de recours * Cassation * Contrle de la rgularit interne *

    Apprciation souveraine des juges du fond * Voies de recours * Cassation * Pouvoir du

    juge * Renvoi

    POLICE ECONOMIQUE * Profession * Discipline professionnelle * Procdure devant les

    juridictions ordinales * Rgles de procdure contentieuse spciales devant le Conseil

    d'Etat * Conseil d'Etat juge de cassation

    SANTE PUBLIQUE * Pharmacie

    (1) Lesquelles ne sont pas incompatibles avec le caractre administratif du Conseil

    d'Etat statuant au contentieux (CE 16 mars 1966, Paisnel, Lebon p. 215).

    (2) V., pour les tribunaux des pensions, CE Sect. 24 juillet 1934, Ducos, Lebon p. 881).

    (3) Telle n'est pas la position de la Cour de cassation. Sont irrecevables en cassation les

    moyens tirs de l'irrgularit de la composition des juridictions d'appel en l'absence

    d'une contestation devant les juges du fond (Cass. 2e civ. 29 septembre 1982, Bull.

    cass. II, n 114) la condition toutefois que la possibilit de contestation ait t relle

    et pas seulement thorique (Cass. 2e civ. 3 juillet 1985, Bull. cass. II, n 133).

    (4) V. sur ce point Chronique gnrale de jurisprudence administrative franaise, AJDA

    2000, p. 404.

    (5) Le terrain retenu pour carter, au regard du droit interne, ce moyen annonce, d'une

    certaine manire, le raisonnement tenu dans l'arrt Leriche au regard de l'article 6-1 de

    la Convention europenne. L'intress a agi dans le cadre normal de ses attributions

    et n'a pas pris parti au pralable contre le requrant , mme si une pointe

    d'impartialit subjective ( il n'a pas manifest d'animosit personnelle son gard )

    vient enrichir la solution d'un litige nou autour de l'impartialit objective.

    (6) C'est galement la position de la Cour de cassation.Un arrt de la chambre

    criminelle du 20 octobre 1999 nonce ainsi qu'une juridiction devant laquelle une

    affaire a t renvoye aprs cassation est irrgulirement compose si elle comprend

    l'un des magistrats ayant fait partie de la chambre de la cour d'appel dont l'arrt a t

    cass .

    (7) C'est au Snat, le 10 novembre 1987, que les termes dfinitifs sauf impossibilit

    tenant la nature de la juridiction ont t adopts.

    (8) La Cour de cassation laisse galement l'apprciation souveraine des juges du fond

    la question de savoir si des pices ont t communiques en temps utile.