nature et portée du contrôle du conseil d'etat sur la procédure suivie par un ordre professionnel...
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AJDA 2000 p. 613
Nature et porte du contrle du Conseil d'Etat sur la procdure suivie par un ordre
professionnel
Mattias Guyomar
Pierre Collin, Matres des requtes au Conseil d'Etat
Les ordres professionnels donnent rgulirement l'occasion au Conseil d'Etat de prciser
les rgles applicables en matire de procdure juridictionnelle, ainsi que la porte de
son contrle de cassation. Tel est le cas de la dcision de la section du contentieux du 5
juillet 2000, Mme
Rochard ( publier au Lebon ).
Les faits de l'espce taient assez compliqus. Par une dcision en date du 5 mai 1994,
le conseil rgional de la rgion Centre de l'ordre des pharmaciens a condamn Mme
Rochard, pharmacienne d'officine, l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une
dure d'un mois en raison d'absences de son officine sans remplacement prvu dans les
conditions fixes par le Code de la sant publique. Cette sanction a t confirme par
une dcision du Conseil national de l'ordre des pharmaciens en date du 24 novembre
1994. Saisi d'un pourvoi en cassation contre cette dcision, le Conseil d'Etat l'a annule
pour dfaut de publicit de l'audience par une dcision en date du 30 dcembre 1996 et
a, conformment sa pratique usuelle, renvoy l'affaire devant le Conseil national.
Celui-ci a confirm, le 19 juin 1997, la sanction prise l'encontre de Mme
Rochard. A
l'occasion d'un nouveau pourvoi dirig contre cette seconde sanction, le Conseil d'Etat a
t amen prciser trois points en matire de procdure.
La distinction entre les cas de rcusation et la rgularit de la composition de la
formation de jugement
L'nonc complexe, voire touffu, des moyens de la requte a conduit le Conseil d'Etat
prciser la frontire entre le rgime de la rcusation et celui de la rgularit de la
composition des juridictions.
La rcusation est rgie par l'article 341 du Nouveau Code de procdure civile qui
prvoit que toute partie peut rcuser un juge pour des motifs limitativement numrs,
parmi lesquels figurent notamment l'amiti ou l'inimiti notoire entre le juge et l'une
des parties, l'existence de liens de parent ou encore l'existence d'un intrt personnel
dans la contestation. Ces rgles ont t tendues aux juridictions administratives soit
par des textes, soit par la jurisprudence. Ainsi, les dispositions du Nouveau Code de
procdure civile sont applicables aux membres des tribunaux administratifs et cours
administratives d'appel en vertu d'un renvoi des articles L. 5 et R. 194 du Code des
tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Alors mme qu'il n'existe
aucun renvoi de ce type pour les membres du Conseil d'Etat, le Conseil d'Etat se rfre
ces dispositions (1), ainsi que pour les membres des autres juridictions
administratives pour lesquelles les textes ne disent rien (2). La demande de
rcusation doit tre adresse la juridiction laquelle appartient le magistrat en cause,
avant la clture des dbats. Est ainsi irrecevable en cassation le moyen tir du fait que
certains membres de la juridiction d'appel n'auraient pas d siger ds lors que le
requrant n'a pas utilis la facult de rcusation qui lui tait ouverte (CE 9 janvier
1952, Sanisart, Lebon p. 21). De mme que n'est pas recevable en appel la rcusation
des juges de premire instance (CE Sect. 23 fvrier 1968, Perdereau, Lebon p. 136).
Mais encore faut-il que les causes de rcusation n'aient pas t connues
postrieurement l'audience (Paisnel, prc.) ou que le requrant n'ait pas t empch
de prsenter une demande de rcusation (CE 19 octobre 1979, Darlet, Lebon p. 380).
Revt en revanche un caractre d'ordre public le moyen tir de l'irrgularit de la
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composition de la juridiction de premire instance ou d'appel (CE 19 mai 1961,
Gianotti, Lebon p. 346 ; CE 30 novembre 1994, SARL Etude Ravalement Constructions,
Lebon tables p. 1125 ) (3).
La jurisprudence a cherch concilier la procdure de rcusation et les rgles relatives
la composition des juridictions. Le prsident Guy Braibant a propos, dans ses
conclusions sur l'affaire Dlle
Arbousset (CE Sect. 2 mars 1973, Lebon p. 190), de laisser
ouvertes paralllement les deux voies : A ct de la rcusation d'un juge demande
au tribunal dont il fait partie, vous admettez que la prsence de certaines personnes
dans une juridiction constitue un vice qui affecte la rgularit de sa composition et qui
peut tre invoqu devant le juge d'appel et de cassation . Comme l'expliquait le
prsident Michel Rougevin-Baville, dans ses conclusions sur l'affaire Gadiaga (CE Sect.
25 janvier 1980, Lebon p. 44), l'irrgularit de la composition de la juridiction de
premire instance peut tre invoque devant le juge d'appel ou de cassation,
indpendamment du mcanisme de la rcusation lorsque les principes gnraux du
droit applicables, mme sans texte, toutes les juridictions interdisaient tel ou tel
membre de participer au jugement de l'affaire de sorte qu'il tait dans l'obligation de se
rcuser lui-mme . C'est exactement ce que dit la dcision Reibel (CE 26 juillet 1947,
Lebon p. 356) dans laquelle l'assemble du contentieux a cart un moyen tir de
l'irrgularit de la composition du jury d'honneur en considrant que le dossier ne
rvle l'existence d'aucun fait qui et t de nature entraner pour tel ou tel des
membres prsents la sance o le jury d'honneur a statu l'obligation de se rcuser
.
Tel tait, notre sens, l'tat de la jurisprudence jusqu' la dcision du 5 juillet 2000.
Ds lors qu'un (ou plusieurs) membre(s) tai(en)t dans l'obligation de se rcuser
lui(eux)-mme(s), on bascule dans le champ de la rgularit de la composition de la
formation de jugement. Comme l'crit Daniel Chabanol, en fait, le juge d'appel ne
s'interdit pas de sanctionner une juridiction comprenant un magistrat qui aurait d se
rcuser de lui-mme (Code des tribunaux administratifs et des cours administratives
d'appel annot et comment, ditions Le Moniteur, 5e d. 1998, p. 314). Sans aller
jusqu' contester un tel critre comme le fait Jean Barthlemy en relevant que toutes
les causes de rcusation prvues par l'article 341 du Nouveau Code de procdure civile
obligent le juge se rcuser (D. 1995, somm. comm. p. 244 ), force est de
constater qu'il est d'une utilisation dlicate.
Estimant, pour sa part, qu'il tait difficile de tracer une frontire satisfaisante pour
l'esprit entre le rgime de la rcusation et celui de l'irrgularit de la composition d'une
juridiction , le commissaire du gouvernement Frdric Salat-Baroux a propos la
section du contentieux une simplification de la jurisprudence consistant ne plus
oprer de distinction entre les moyens tirs de l'irrgularit de la composition de
formation de jugement, qui sont d'ordre public, et ceux qui, faute pour les parties
d'avoir us de leur facult de rcusation devant la juridiction en cause, sont
irrecevables en appel ou en cassation. Mieux vaut laisser ouvertes successivement la
procdure de rcusation qui permet aux parties, d'une manire prventive, de
demander qu'un ou plusieurs juges soient carts de la formation de jugement et [...]
la possibilit de soulever en appel ou en cassation tous les moyens relatifs
l'irrgularit de la composition de la juridiction.
La position du commissaire du gouvernement n'tait pas sans fondement. La rcusation
est en effet une arme difficile tant sur le plan psychologique - le justiciable pouvant
nourrir quelque inquitude contester son futur juge -, que sur le plan pratique, la
composition de la formation de jugement n'tant pas toujours connue avant la sance.
Laisser ouvertes ces deux voies de contestation de l'impartialit de la juridiction non
pas paralllement mais successivement pouvait ainsi paratre relever d'une bonne
administration de la justice. Les interrogations de Jean Barthlemy, dans sa note
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prcite, allaient d'ailleurs dans le mme sens : On peut se demander [...] s'il ne
serait pas souhaitable que, quel que soit le motif de rcusation, le Conseil d'Etat
admette, devant le juge de cassation comme devant le juge d'appel, la mise en cause
de la rgularit de la composition de la juridiction subordonne pour motif de partialit
d'un juge, mme si la procdure de rcusation n'a pas t engage par le requrant .
La section du contentieux n'a pas suivi son commissaire du gouvernement sur ce point
et a refus qu'un motif relevant la procdure de rcusation devant la juridiction
concerne devienne un moyen de rgularit de la composition de celle-ci en appel et en
cassation. Faisant primer l'orthodoxie juridique sur des considrations d'opportunit,
elle a, ce faisant, clarifi la frontire entre ces deux rgimes.
La lecture des motifs de la dcision est, de ce point de vue, particulirement clairante.
Dans un premier temps, le Conseil d'Etat examine les moyens relatifs la rgularit de
la composition du Conseil national de l'ordre des pharmaciens qu'il carte au fond,
comme nous le verrons ci-aprs. Dans un second temps, le Conseil d'Etat examine le
moyen tir de la dsignation comme rapporteur de M. Vaysette qu'il carte avec la
motivation suivante : Si la requrante conteste la dsignation comme rapporteur de
M. Vaysette, il est constant qu'elle a eu en temps utile la possibilit de demander la
rcusation de ce dernier avant la sance au cours de laquelle l'affaire a t appele
l'audience et qu'elle n'a pas prsent une telle demande ; par suite, ce moyen n'est pas
recevable devant le juge de cassation .
La section a donc clairement distingu entre le premier moyen relatif la composition
de la juridiction ordinale et le second tir de la dsignation du rapporteur. Ce faisant,
elle a confirm la jurisprudence Sanisart en maintenant le temprament apport par
Paisnel : afin d'viter d'enfermer le justiciable dans une impasse, la dcision prend bien
soin de raffirmer que celui-ci devait pouvoir exercer en temps utile la facult de
rcusation, ce qui signifie concrtement qu'il a pu connatre suffisamment longtemps
l'avance la composition de la formation de jugement et que le motif de la rcusation n'a
pas t connu postrieurement la sance.
Cette confirmation de la jurisprudence s'accompagne d'une prcision quant aux champs
respectifs de la rcusation et de la rgularit de la composition de la juridiction. La ligne
de partage repose dsormais sur la combinaison de deux critres. Premier critre : la
nature de l'impartialit allgu. Ce critre renvoie la distinction qu'il convient d'oprer
entre l'impartialit subjective, celle qui tient l'homme et son comportement, et
l'impartialit objective, qui tient aux fonctions exerces par le juge et sont de nature
faire douter de son indpendance. Second critre : l'aspect individuel ou collectif du
vice invoqu.
Relvent de la rcusation et d'elle seule les questions individuelles relatives
l'impartialit subjective. Toutes les autres questions touchent la rgularit de la
composition de jugement et sont donc d'ordre public, qu'elles renvoient une
impartialit collective, qui sera dans la plupart des cas objective, ou une impartialit
individuelle mais objective. La premire hypothse correspond au cas tranch dans la
dcision St Labor Mtal (CE Ass. 23 fvrier 2000) dans laquelle tait en cause
l'impartialit de la Cour des comptes prise en tant qu'institution (4), le Conseil d'Etat
ayant soulev d'office cette irrgularit (CE 19 avril 2000, M. Lambert, mentionner
aux tables du Lebon ). La seconde correspond aux cas dans lesquels l'impartialit
invoque concerne un individu seulement, non pas en tant qu'homme mais en tant qu'il
y aurait incompatibilit entre des fonctions exerces antrieurement et sa participation
au jugement. Tel est le cas par exemple du membre d'une cour administrative d'appel
ayant conclu sur l'affaire en premire instance, en qualit de commissaire de
gouvernement (SARL Etude Ravalement Constructions, prc.) ou encore du rapporteur
pour lequel tait invoque l'impossibilit de cumuler les fonctions d'instruction et de
jugement (CE Sect. 3 dcembre 1999, Leriche, publier au Lebon ). On peut
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d'ailleurs rapprocher la dcision Louis (CE Sect. 20 juin 1958, Lebon p. 368) de cette
dernire hypothse, le Conseil d'Etat ayant examin en cassation le moyen tir de ce
qu'un membre du Conseil suprieur de l'ducation nationale, statuant en matire
disciplinaire, aurait connu avant la sance la situation administrative du requrant et
des griefs allgus contre lui (5).
Cette clarification nous semble prsenter de srieux avantages. En adoptant une
conception relativement large des questions de rgularit de la composition de
jugement, elle permet au juge de cassation de remplir parfaitement son office qui est
de veiller au respect des rgles gnrales de la procdure. Mais, en confirmant qu'un
certain nombre de questions ne peuvent tre utilement souleves que devant la
juridiction concerne, elle encadre, de faon fort opportune, la facult pour le justiciable
de contester son juge sur un plan purement individuel et subjectif, limitant par l mme
la tentation offerte l'esprit de chicane pour reprendre les termes du prsident
Franois Gazier dans ses conclusions sur l'affaire Nemegyei (CE Sect. 3 mai 1957,
Lebon p. 279). Ajoutons qu'une telle position n'apparat pas aujourd'hui susceptible
d'tre mise en cause au regard de l'article 6-1 de la Convention europenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des liberts fondamentales comme mconnaissant
le droit au procs quitable. Ainsi, confronte la rgle selon laquelle la rcusation ne
peut tre effectivement exerce que devant la juridiction concerne, la Cour de
Strasbourg n'a pas condamn ce mcanisme procdural, mais s'est fonde, pour
affirmer la violation de l'article 6-1, sur le fait que les parties n'avaient pas eu
connaissance avant les dbats de la cause de la rcusation invoque (CEDH 23 mai
1991, Oberschlick c/ Autriche).
La dcision du 5 juillet 2000 n'a pas seulement permis la section de prciser le champ
des questions touchant la rgularit de la composition des juridictions. Statuant au
fond, la section a galement dfini les implications du principe d'impartialit l'gard
des juridictions ordinales.
Les juridictions ordinales, exception l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987
Un moyen tait en effet tir de ce que, saisie sur renvoi par le Conseil d'Etat aprs
cassation par celui-ci d'une premire dcision, la section disciplinaire du Conseil
national de l'ordre des pharmaciens avait statu une seconde fois dans une formation
comprenant plusieurs membres qui avaient dj sig lors du premier examen de
l'affaire. La requrante soutenait que, dans ces conditions, la composition de la
juridiction ordinale tait irrgulire. La section du contentieux a cart ce moyen en
considrant que, ce faisant, la section disciplinaire n'avait mconnu ni les dispositions
de l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987 ni les stipulations de l'article 6-1 de la
Convention europenne des droits de l'homme.
Aux termes de l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987, s'il prononce l'annulation
d'une dcision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil
d'Etat peut soit renvoyer l'affaire devant la mme juridiction statuant, sauf impossibilit
tenant la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire
devant une autre juridiction de mme nature . Le Conseil d'Etat procde une
application trs stricte de cette disposition aux cours administratives d'appel. Aprs
avoir considr que le fait pour une cour d'avoir statu, aprs renvoi, dans la mme
chambre et sous la mme prsidence que lors du premier examen de l'affaire
mconnaissait l'obligation pose par l'article 11 de statuer dans une autre formation
(CE 17 mai 1999, Cts Giraud, req. n 185700, mentionner aux tables du Lebon ),
le Conseil d'Etat a estim que mconnaissait galement la loi du 31 dcembre 1987 le
fait pour une cour de siger, aprs renvoi, dans une formation comprenant un seul
magistrat ayant particip au dlibr de la premire sance (CE 27 mars 2000, SARL
Maurel et fils, req. n 187703, mentionner aux tables du Lebon ). Comme
l'explique Jacques Arrighi de Casanova, dans ses conclusions sur cette dernire
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affaire, si le lgislateur a voulu que la formation soit diffrente [...] c'est pour que,
devant la mme juridiction tout autant que dans le cas o le renvoi a lieu devant une
autre, l'affaire ne puisse apparatre comme prjuge (6) . Telle n'est pas la solution
qui avait t retenue pour une juridiction ordinale, la section disciplinaire de l'ordre des
mdecins, dont le Conseil d'Etat avait admis qu'elle puisse statuer nouveau, aprs
cassation et renvoi, dans la mme formation (CE 29 octobre 1990, Diennet, Lebon p.
299).
Oprant une distinction entre les cours administratives d'appel envers lesquelles il se
montre fort rigoureux et les juridictions ordinales, le Conseil d'Etat a confirm sa
jurisprudence suivant en cela son commissaire du gouvernement qui l'invitait juger
que l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987 doit tre regard pour les juridictions
disciplinaires formation unique comme faisant exception la rgle gnrale selon
laquelle, sur renvoi de l'affaire, un juge ne doit pas dj avoir connu de l'affaire dans le
cadre de la premire dcision.
Une telle position est parfaitement conforme l'intention du lgislateur qui a
expressment rserv l'application de la rgle en cas d' impossibilit tenant la
nature de la juridiction . Il ressort en effet des travaux prparatoires la loi de 1987
qu'il s'agissait de faire exception au principe pour les juridictions formation unique.
Pierre Mazeaud dfendait ainsi, lors de la sance de l'Assemble nationale du 6 octobre
1987, un amendement visant introduire les termes sauf disposition contraire (7)
: Il existe des juridictions uniques relevant du Conseil d'Etat par la cassation et qui ne
disposent pas si l'on peut dire d'une formation de rechange. [...] Or, on ne peut exclure
le renvoi devant une telle juridiction aprs cassation.
On aurait pu songer rsoudre la difficult au moyen de la facult dont dispose le
Conseil d'Etat, en vertu de l'article 11 de la loi du 31 dcembre 1987, de rgler
l'affaire au fond si l'intrt d'une bonne administration de la justice le justifie . En
effet, bien que, en principe, il ne rgle l'affaire au fond que lorsque la solution du litige
ne repose plus que sur des questions de droit et ne soulve pas de question
d'apprciation des faits, en pratique, le Conseil d'Etat, juge de cassation des cours
administratives d'appel, dcide quasi systmatiquement de faire jouer cette facult.
D'une certaine manire, il se serait agi d'utiliser la possibilit offerte par la loi de 1987
de statuer au fond pour assurer le respect de l'exigence d'examen par une nouvelle
formation. Mais une telle solution n'aurait gure t satisfaisante. D'une part, en
matire ordinale, le Conseil d'Etat renvoie systmatiquement les affaires aprs
cassation afin, notamment, de respecter la spcificit des juridictions ordinales qui est
d'tre majoritairement composes de professionnels. D'autre part, il aurait t
paradoxal de chercher contourner les effets d'une loi ayant elle-mme prvu qu'il
puisse tre fait exception la rgle qu'elle pose.
La section du contentieux a donc estim que la nature mme des juridictions ordinales
faisait obstacle l'application de l'article 11 de la loi de 1987. Est en cause non pas la
nature disciplinaire de ces juridictions, mais leur organisation en une formation unique.
C'est bien en l'absence d'une autre juridiction quivalente, comptente en appel, que,
par drogation l'obligation de statuer dans une formation diffrente, la section
disciplinaire de l'ordre des pharmaciens pouvait juger de la mme affaire une seconde
fois dans une composition pour partie similaire sans mconnatre, pour autant, le
principe d'impartialit.
On aurait galement pu, au cas d'espce, imaginer jouer sur les rgles de quorum pour
aboutir une nouvelle formation totalement diffrente. Mais la section du contentieux
n'a pas voulu entrer dans une telle logique qui aurait ouvert, de manire fort
inopportune, la voie toutes sortes de manipulations par le jeu des rgles de
composition. Ainsi que l'exposait Frdric Salat-Baroux dans ses conclusions : La
composition des juridictions ordinales n'obit pas qu' des logiques de quorum, mais
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galement d'quilibre entre les diffrentes catgories de membres [...]. Et la mise en
oeuvre d'une rgle mcanique fonde exclusivement sur des critres objectifs : quorum
et non-participation la premire dcision, si elle peut faire gagner en impartialit
apparente de la formation de jugement, peut aussi conduire une perte de qualit de
la justice rendue .
Prcisons enfin que le moyen tir de la violation de l'article 6-1 de la Convention
europenne des droits de l'homme a galement t cart. La solution n'tait gure
dlicate dans la mesure o, sur ce point, la Cour de Strasbourg n'a pas remis en cause
la jurisprudence du Conseil d'Etat : On ne peut voir un motif de suspicion lgitime
dans la circonstance que trois des sept membres de la section disciplinaire aient pris
part la premire dcision (CEDH 26 septembre 1995, Diennet c/ France).
Le contrle du contrle
Etait enfin soulev un moyen tir de la mconnaissance par le juge de premire
instance du principe du caractre contradictoire de la procdure. La section disciplinaire
avait jug, en appel, que la requrante avait dispos d'un dlai suffisant pour rpondre
des observations complmentaires. Cette affaire a donc permis la section du
contentieux de se prononcer sur l'tendue du contrle du juge de cassation sur le
contrle par le juge d'appel de la rgularit de la procdure de premire instance. Il
s'agissait en quelque sorte de fixer les limites du contrle du contrle .
Le Conseil d'Etat avait, jusqu' prsent, fix au cas par cas la nature de son contrle en
la matire. Comme l'expliquait Frdric Salat-Baroux, ce n'est pas en raison de leur
objet que vous avez dtermin votre contrle sur les moyens relatifs au contrle par les
juges d'appel du respect de la procdure de premire instance, mais de la nature mme
de ces moyens . C'est ainsi que relvent de l'apprciation souveraine des juges du
fond la question de savoir si une demande pralable a t introduite avant la saisine du
juge de premire instance (CE 10 mai 1996, M. Agnel et autre) ou encore le fait qu'une
requte ait t forme en temps utile pour tre enregistre dans le dlai de recours (CE
31 mars 1999, Mme
Llado, mentionner aux tables du Lebon ). Relvent en revanche
de la qualification juridique des faits le caractre suffisamment motiv du jugement de
premire instance (CE 13 mars 1996, Gamba, Lebon p. 76 ) ou l'intrt pour agir
d'une association (CE 9 dcembre 1996, Association pour la sauvegarde du patrimoine
martiniquais, Lebon p. 479 ).
Par sa dcision du 5 juillet 2000, le Conseil d'Etat a confirm son refus de contrler
systmatiquement en cassation le contrle exerc par les juges d'appel sur la
procdure de premire instance. Et la section a suivi son commissaire du gouvernement
en estimant que l'apprciation du caractre suffisant du dlai laiss par les juges de
premire instance l'une des parties pour rpondre la production d'une autre partie
devait relever de l'apprciation souveraine des juges du fond (8). Une telle
apprciation repose en effet sur un examen des mmoires produits au fond, la
dtermination du dlai raisonnable accorder l'autre partie dpendant, pour une
large part, de l'intensit du caractre nouveau des observations.
Certes, il y a toujours la place en la matire pour un contrle de l'erreur de droit dans
la mesure o le juge de cassation se doit de contrler les rgles de procdure
appliques par les juges du fond afin de veiller ce que l'ensemble des justiciables
bnficient des mmes garanties. Mais, dans un domaine o le droit est trs ml au
fait, la dcision du 5 juillet 2000 illustre le souci du juge de cassation de s'abstenir,
dans la plupart des hypothses, de procder un nouvel examen des pices du dossier
de premire instance.
Mots cls :
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PROCEDURE CONTENTIEUSE * Incident * Rcusation * Jugement * Composition de la
juridiction * Voies de recours * Cassation * Contrle de la rgularit interne *
Apprciation souveraine des juges du fond * Voies de recours * Cassation * Pouvoir du
juge * Renvoi
POLICE ECONOMIQUE * Profession * Discipline professionnelle * Procdure devant les
juridictions ordinales * Rgles de procdure contentieuse spciales devant le Conseil
d'Etat * Conseil d'Etat juge de cassation
SANTE PUBLIQUE * Pharmacie
(1) Lesquelles ne sont pas incompatibles avec le caractre administratif du Conseil
d'Etat statuant au contentieux (CE 16 mars 1966, Paisnel, Lebon p. 215).
(2) V., pour les tribunaux des pensions, CE Sect. 24 juillet 1934, Ducos, Lebon p. 881).
(3) Telle n'est pas la position de la Cour de cassation. Sont irrecevables en cassation les
moyens tirs de l'irrgularit de la composition des juridictions d'appel en l'absence
d'une contestation devant les juges du fond (Cass. 2e civ. 29 septembre 1982, Bull.
cass. II, n 114) la condition toutefois que la possibilit de contestation ait t relle
et pas seulement thorique (Cass. 2e civ. 3 juillet 1985, Bull. cass. II, n 133).
(4) V. sur ce point Chronique gnrale de jurisprudence administrative franaise, AJDA
2000, p. 404.
(5) Le terrain retenu pour carter, au regard du droit interne, ce moyen annonce, d'une
certaine manire, le raisonnement tenu dans l'arrt Leriche au regard de l'article 6-1 de
la Convention europenne. L'intress a agi dans le cadre normal de ses attributions
et n'a pas pris parti au pralable contre le requrant , mme si une pointe
d'impartialit subjective ( il n'a pas manifest d'animosit personnelle son gard )
vient enrichir la solution d'un litige nou autour de l'impartialit objective.
(6) C'est galement la position de la Cour de cassation.Un arrt de la chambre
criminelle du 20 octobre 1999 nonce ainsi qu'une juridiction devant laquelle une
affaire a t renvoye aprs cassation est irrgulirement compose si elle comprend
l'un des magistrats ayant fait partie de la chambre de la cour d'appel dont l'arrt a t
cass .
(7) C'est au Snat, le 10 novembre 1987, que les termes dfinitifs sauf impossibilit
tenant la nature de la juridiction ont t adopts.
(8) La Cour de cassation laisse galement l'apprciation souveraine des juges du fond
la question de savoir si des pices ont t communiques en temps utile.