mohamed bouazizi, bourgeon du printemps tunisien
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Les quotidiens français ont-ils pu prédire la chute du Président Zine el-Abidine Ben Ali ?TRANSCRIPT
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Introduction
L'acte désespéré de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, est souvent
considéré comme l'épicentre du séisme appelé Printemps arabes. Cependant, l'odeur de la révolte
des peuples était-elle déjà perceptible avant l'immolation du jeune marchand ambulant tunisien ?
Plusieurs signes tangibles laissaient entrapercevoir une révolution à venir et ces derniers étaient
présents à tous les niveaux de l’Etat et dans tous les domaines.
Dans la première partie de ce travail de fin d’études, je vais tenter de dresser un portrait
de la Tunisie avant le 17 décembre 2010. Il s’agira de faire un état des lieux des points de vue
politique, économique et finalement social. Passer par cet état des lieux pré-révolutionnaire de la
Tunisie est nécessaire afin de comprendre pourquoi le peuple tunisien s’est soulevé contre un Etat
où la légitimité de celui qui en était à sa tête a été de plus en plus remise en question.
L’un des principaux points pour tenter de répondre à la question précédemment posée est
à situer en janvier 2008 : un mouvement populaire impulsé par les chômeurs de la ville de
Redeyef, dans la région de Gafsa. C’est dans un contexte hautement inflammable que des
revendications sociales fortes ont éclaté bien avant décembre 2010.
C’est à travers cette « pré-révolution » que je tenterai, tout d’abord, de dresser un portrait
de la Tunisie trois ans avant le basculement de son destin.
Dans un second temps, je tenterai de remettre en contexte deux notions qui sont
importantes pour le lecteur. Il s’agira de définir les notions de « révolution » et de « printemps ».
L’objet de mon travail étant de me rendre compte si la presse quotidienne française avait pu
anticiper la révolution qui était en marche, il me semblait donc important d’approcher ces deux
termes. De cette manière, le lecteur pourra en comprendre les enjeux et les rouages.
Ensuite, une fois cette introduction sur l’état des lieux de la Tunisie et la définition des
deux notions nécessaires pour la compréhension de mon travail faites, viendra la partie la plus
importante. Préalablement introduite par quelques explications quant à la méthodologie que j’ai
appliquée, cette prochaine partie sera divisée en deux. La première sera consacrée à un corpus
d’articles parus dans les trois principaux quotidiens français en version papier à savoir Libération,
Le Monde et Le Figaro. Ces derniers couvriront la période allant du jour de l’immolation de
Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, jusqu’au 27 décembre 2010, soit une période de dix
4
jours suivant l’acte désespéré du jeune habitant de Sidi Bouzid. Cette partie se voudra exhaustive
au sujet de tous les articles ayant traité l’actualité tunisienne durant cette période.
Une fois l’analyse de ce premier corpus achevée figurera un second corpus. Celui-ci, au
contraire du premier, n’est volontairement pas exhaustif. Il vise à regrouper des articles que j’ai
préalablement sélectionnés en me basant principalement sur leur caractère anticipatif. Ces
derniers ont été publiés, cette fois-ci, non plus exclusivement dans le journal papier mais sur les
trois sites internet des quotidiens. La période de parution de ces articles s’étendra du 28
décembre 2010 au 12 janvier 2011, soit deux jours avant la fuite du Président Ben Ali, synonyme
de chute du régime.
Ces deux corpus seront accompagnés de deux lignes du temps et de deux cartes qui
permettront au lecteur de s’y référer à tout moment. De cette manière, il pourra se rendre compte
des évènements importants qui ont eu lieu au moment de la parution des articles soumis à mon
analyse mais également de la propagation des heurts au travers tout le territoire tunisien.
Après ces deux parties d’analyse qui s’avèrent être le cœur de mon travail, viendra le
temps des conclusions. Cette partie tentera de répondre à la question principale de mon travail :
les quotidiens français ont-ils pu prédire la chute du Président Zine el-Abidine Ben Ali ?
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1. Le pré-printemps tunisien
1.1. Etat des lieux de la Tunisie avant la révolution
1.1.1. Etat des lieux politique
« L’époque que nous vivons ne peut plus souffrir, ni
présidence à vie ni succession automatique à la tête de
l'État duquel le peuple se trouve exclu. Notre peuple
est digne d'une vie politique évoluée et
institutionnalisée, fondée réellement sur le
multipartisme et la pluralité des organisations de
masse. »1
Ben Ali pendant tenant un discours.
(Photo : http://www.businessnews.com.tn)
Suite à la relecture de ses paroles,
nous pouvons nous demander ce qui est
arrivé pour que le président et chef
suprême des forces armées voit son
régime être renversé par son peuple ?
Non pas par des forces extérieures au
pays mais par le peuple vivant sur ses
terres.
Le peuple tunisien réclame sa liberté dans les rues.
(Photo : http://www.tunisienumerique.com)
1 Discours du 7 novembre 1987 prononcé à la radio nationale par Ben Ali lors de sa prise de pouvoir.
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1.1.1.1. Accession au pouvoir
Le 7 novembre 1987, Ben Ali accède aux plus hautes fonctions de l’Etat tunisien en étant
élu président. Juste avant cette passation de pouvoir, Bourguiba2 était président de la Tunisie et
secrétaire général du PSD3. Il avait nommé, en juin 1986, Ben Ali en tant que secrétaire général
adjoint du parti. Ce statut a permis à Ben Ali, alors premier ministre et dauphin de Bourguiba au
sein du parti, de lui succéder. En effet, Bourguiba était alors très malade et l’article 57 de la
constitution tunisienne prévoit qu’en cas de problème de santé et d’une incapacité à exercer la
fonction de président de l’Etat, on puisse lui succéder. L’heure était donc arrivée de céder les clés
du palais présidentiel à Ben Ali.
Sur cette photo de 1987, Ben Ali - alors
secrétaire général adjoint du PSD - prend
officiellement la succession de l’ancien
président Habib Bourguiba au pouvoir depuis
1957.
(Photo : AFP)
2 Militant au parti nationaliste Destour, il le quitte en 1934 pour fonder le Néo-Destour, au sein duquel il
prône une version laïque et démocratique du nationalisme.
En 1955-1956, après avoir triomphé des oppositions au sein de son parti, il arrache à la France l’autonomie,
puis l’indépendance de la Tunisie et obtient en 1957 la destitution du bey pour proclamer la république, dont
il prend la présidence.
Bourguiba impose à la Tunisie une laïcisation autoritaire et une étatisation de l’économie. Mais ses réformes
d’inspiration socialiste (planification, coopératives agricoles, extension du secteur public, développement des
industries légères) échouent en grande partie du fait de la trop forte concurrence étrangère et d’une
mauvaise organisation interne. Sa diplomatie se démarque de celle des autres pays arabes par son ouverture
à l’Occident et son refus de l’intransigeance face à Israël.
Réélu à deux reprises à la tête de l’État, Bourguiba modifie la Constitution pour se faire reconnaître Président
à vie en 1974 alors que sa santé décline.
Dans les années 1980, le pays s’enfonce dans la crise et, malgré un retour au pluralisme politique, Bourguiba
devient de plus en plus impopulaire et doit faire face à la montée de l’islamisme et à de nouvelles émeutes à
partir de 1984. Sa destitution en 1987 par le général Ben Ali est accueillie avec soulagement. Il reste en
résidence surveillée jusqu’à sa mort en 2000.
Source : « Bourguiba Habib ». In : Encyclopédie Larousse en ligne
http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Bourguiba/109843
(consulté le 26/01/2013).
3 Parti socialiste destourien qui a été rebaptisé RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique).
7
Lors de son discours tenu au moment de sa prise de pouvoir, Ben Ali promet le
multipartisme ainsi qu’une liberté des organisations de masse. Il supprimera également la
présidence à vie et limitera le nombre maximum de mandats présidentiels à pouvoir briguer à
trois. Ces annonces arrivent dans un contexte où le pays est sous tension suite à la montée de
l’intégrisme. Cette manœuvre vise à apaiser cesdites tensions.
1.1.1.2. Première élection de Ben Ali en 1989
Après avoir succédé à Bourguiba en 1987 suite à son incapacité médicale, l’heure de la
première élection présidentielle arrive le 2 avril en 1989. Le même jour ont lieu les élections
législatives. Fort d’une candidature unique à la présidentielle, Ben Ali sera élu à 99,27% des voix.
Cependant, le score aux législatives prouve qu’il existe une vraie opposition politique au sein des
tendances islamistes. Dans certains quartiers de Tunis, les scores récoltés par des personnalités
politiques islamistes atteignent 30% face à des candidats du parti présidentiel (RCD).
Ben Ali est conscient de cette alternative politique qu’incarne le parti islamiste. Le 7
novembre 1988, il avait préalablement interdit au parti islamiste de pouvoir tenir un rôle dans
l’opposition. Il avait donc anticipé cet engouement et, par cette manœuvre, il avait empêché une
candidature aux présidentielles qui ont suivi en 1989. Il en fera de même avec le parti
communiste d’extrême gauche (PCO). Une sérieuse organisation politique au sein d’un parti peut
mettre à mal la gouvernance de Ben Ali. Sa stratégie sera d’assécher, d’affaiblir les partis
politiques capables de réunir des voix et de s’organiser en vrai parti d’opposition. Cette incapacité
du parti politique islamiste à jouer un rôle dans la vie politique du pays entrainera des incidents
qui éclateront dans la capitale et seront attribués aux islamistes du parti Ennahda.
Suite à ces incidents, les autorités annoncent la découverte d'un « plan islamiste visant à
la prise du pouvoir » et un procès sera organisé durant l’été 1992. S’est-il agi de la part du
Président d’une atteinte à la participation politique ou d’un devoir du gouvernement à garantir la
paix ? Certes, le gouvernement doit garantir la paix et la sécurité au sein de son pays mais il doit
également assurer le droit à toutes les tendances politiques d’être représentées. Le parti islamiste
Ennahda sera accusé de s’opposer au principe d’un Etat républicain et ne sera plus reconnu. Il en
sera réduit au mutisme et tombera dans la clandestinité. Nous pouvons donc nous demander où
est passée la promesse de multipartisme ?
8
1.1.1.3. Existence d’une opposition politique et civile ?
La stratégie de Ben Ali pour exercer le pouvoir est simple. Elle a commencé dès les
premières élections de 1989 et elle lui permettra d’asseoir sa gouvernance pendant plus de 20
ans : assécher les partis politiques pouvant aspirer à gouverner. Cette manœuvre relève de
procédés dictatoriaux. Que reste-t-il d’une opposition, si ce n’est le nom, quand un gouvernement
interdit l’expression des libertés et s’approprie la presse comme instrument de propagande
d’Etat ?4
Cependant, dire qu’il n’existe pas de parti politique pour jouer le jeu de l’opposition est
faux. Il existe toutes les tendances : le Mouvement des démocrates socialistes (social-démocrate),
le Parti de l'unité populaire (socialiste), le Parti démocrate progressiste (post-marxiste), le Parti
social-libéral (libéral), le mouvement Ettajdid (gauche laïque), le Forum démocratique pour le
travail et les libertés (socialiste) et le Parti des verts pour le progrès (écologiste). Le problème
quant à leur existence sur l’échiquier politique ne se pose pas puisque ces derniers sont faibles. Ils
n’aspirent pas à gouverner donc ne gêne pas le pouvoir central. Ces partis servent de façade
pendant qu’Ennahda et le PCO servent d’exemple de répression et d’exclusion du paysage
politique. Pour exister sous Ben Ali, il suffisait de paraitre plutôt que d’être.
1.1.1.4. Première élection post-révolution
Après la révolution de 2011, une centaine de partis sont à nouveau autorisés à prendre
part à la vie politique tunisienne. Parmi cet élan démocratique que représente cette élection libre
de 2011, Ennahda est à nouveau autorisée à se présenter aux élections qui ont lieu le 23 octobre
2011. Cette élection aura pour but de former une assemblée constituante qui rédigera une
nouvelle Constitution et devra désigner un gouvernement transitoire.
La question qui se pose est de savoir si le parti islamiste Ennahda, hier encore interdit sous
Ben Ali, va récolter assez de sièges à l’Assemblée et ainsi confirmer qu’il représentait une sérieuse
opposition pour le parti du président désormais déchu. Ben Ali avait qualifié le parti Ennahda de
« menace islamiste », mais une éventuelle victoire prouverait qu’il s’agissait d’abord d’une
« menace politique ».
Le 27 octobre 2011, une fois les résultats connus, la victoire d’Ennahda a enfin permis à ce
parti promu au silence pendant 20 ans de s’exprimer. Les islamistes d’Ennahda sont les grands
4 Le président est listé dès 1998 comme l'un des « 10 pires ennemis de la presse » par le Comité pour la
protection des journalistes. Reporters sans frontières le désigne également comme un « prédateur de la
liberté de la presse ».
9
vainqueurs de ces premières élections libres après la chute du régime de Ben Ali. Ils sont élus
avec 41,7 % des voix et obtiennent 90 sièges sur 217 à l’Assemblée constituante. Ennahda
s’alliera avec le parti de centre gauche, Congrès pour la République, afin d’avoir la majorité
nécessaire pour gouverner.
L'Assemblée constituante tunisienne lors de
sa première séance, le 22 novembre 2011 à
Tunis.
(Photo : AFP)
Mais nous pouvons nous demander ce que prouve ce chiffre de 41,7% ? Il prouve
simplement qu’un Tunisien sur deux ne pouvait exprimer de manière juste son vote et donc être
représenté librement. Il est alors normal qu’un régime s’effondre si ce droit n’est pas respecté.
N’importe quelle régime au monde ne pourrait éternellement exister si presque 50% de sa
population ne pouvait utiliser l’outil principal que représente une élection pour s’exprimer.
Si Ennahda a pu conquérir le pouvoir, c’est tout d’abord grâce à un travail de fond durant
des années. Malgré leur exclusion du jeu politique tunisien, le parti a su entretenir tout un réseau
à caractère social dans les zones rurales et paupérisées du pays. Ce réseau, qui n’a cessé de se
développer jusqu’au moment des élections de 2011, a pu être entretenu grâce à des financements
importants de généreux donateurs dont l’identité est tenue secrète. Cette aisance financière leur a
permis d’aider une grande partie de la population dans les zones où le parti était installé. Suite à
ces aides apportées à la population, cette dernière a fait preuve d’une grande reconnaissance
envers le parti. Les urnes ont ensuite parlé. Suite aux élections, l’Occident s’est offusqué de la
victoire d’un parti à caractère fortement religieux mais le peuple tunisien ne pouvait ignorer les
aides qu’ils ont reçues du parti.
Cependant, fort de cette légitimité électorale, Ennahda a voulu imposer la loi islamique (la
charia) et la rédiger dans la Constitution. Très vite la société civile s’est à nouveau dressée face à
la ligne politique du parti qu’elle jugeait dure. Ce parti islamiste est donc le grand vainqueur
politique de ces mouvements sociaux. Dans des régimes autoritaires, liberticides, interdisant toute
10
forme d'opposition réellement organisée, la contestation religieuse et ses bases organisationnelles
étaient les seuls vecteurs possibles d'une expression politique alternative. On ne s'étonnera donc
pas qu'ils aient remporté la mise de ces mobilisations, apparaissant au moment où se tenaient les
élections comme les seules forces de changement. Dans un pays qui a été soumis à la dictature
d’un régime pendant des années, un parti à fort caractère religieux reste une valeur refuge.
Il faut cependant être prudent. D'une part parce que l'islamisme recouvre quantité de
sensibilités en réalité très différentes les unes des autres et d'autre part parce que les
mobilisations de ce type sont volatiles. Elles peuvent très vite évoluer vers des postures politiques
très différentes au gré des événements intérieurs mais en fonction aussi de l'accueil que leur
réservera la communauté internationale.
De plus, la voix de la population a prouvé qu’Ennahda manquait d’expérience au pouvoir.
L’exercice du pouvoir ne s’applique pas de la même manière au moment où le parti était jugé
« clandestin » par le régime de Ben Ali. Cela prouve également que le peuple tunisien ne veut pas
se faire voler sa révolution. Les mentalités veulent aspirer à la démocratie qu’elles ont tant
convoitée.
1.1.2. Etat des lieux économique
1.1.2.1. Le mythe du « miracle économique » tunisien
Malgré les indicateurs de bonne santé économique mis en avant par l’Etat tunisien en 2008
rapportant une croissance à 5%5, c’est une tout autre réalité qui se cache derrière ces chiffres.
Une réalité dure qui est vécue au quotidien par le peuple tunisien. Ces chiffres qui semblent
traduire une prospérité économique au sein du pays ne sont que les résultats d’un ensemble de
dumpings6 dans tous les secteurs d’activité. Allant du dumping fiscal, avec des exonérations pour
5 Chiffres donnés par le ministre du Développement et de la Coopération internationale, Mohamed Nouri
Jouini en 2008.
Source : « Tunisie : 5% de croissance économique en 2008 ». In : Les Afriques, n°28, 11 février 2009.
http://www.lesafriques.com/tunisie/tunisie-5-de-croissance-economique-
en2008.html?Itemid=86?artiartic=13221
(consulté le 26/01/2013).
6 Dumping commercial : pratique commerciale qui consiste à vendre une marchandise sur un marché
étranger à un prix inférieur à celui pratiqué sur le marché intérieur, parfois même au-dessous du prix de
revient.
Dumping social : pratique de certains États consistant à adopter des législations en matière de droit du
travail et de salaires plus défavorables aux salariés que dans d'autres États dans la perspective d'attirer les
entreprises sur leur sol.
Source : « Dumping ». In : Dictionnaire Larousse en ligne
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dumping/26973
(consulté le 26/01/2013).
11
encourager le secteur privé, jusqu’au dumping monétaire qui dégrade la valeur du dinar et donc
favorise les exportations de produits tunisiens quid à vendre en faisant peu de profit voire pas du
tout. C’est notamment grâce à ces mécanismes que l’illusion est entretenue sur la carte de visite
de l’économie tunisienne. C’est au travers de ces deux exemples que la Tunisie érige en modèles
que je tenterai de prouver que le « miracle économique » n’est peut-être au final qu’un « mirage
économique ».
1.1.2.2. Stabilité du prix du pain et accroissement de la dette
Depuis Bourguiba, la Tunisie a notamment basé la construction de sa paix sociale et de son
économie en garantissant une stabilité du prix du pain. Celle-ci est assurée par un organisme
d’Etat, la Caisse générale de compensation (CGC). Le rôle de la CGC est de compenser la
différence entre le coût réel d’un produit et celui auquel il est vendu. En Tunisie, ça se traduit par
exemple par le fait que le pain vendu par le boulanger est vendu moins cher que son prix réel. La
CGC donnera donc la différence au boulanger. Ce mécanisme permet à la population de maintenir
un certain pouvoir d’achat. Cependant, ces dernières années, le prix des matières premières
(céréales, blé, farine…) a considérablement augmenté7 et donc la différence à assurer par la CGC
s’accroît d’années en années. La facture de la CGC, en 2008, s’élevait à 650 millions d’euros. Elle
ne fera qu’augmenter.
Des milliers de manifestants ont crié : « Pain ! Liberté ! Dignité ! ».
(Photo : AFP, Fethi Belaid)
7 Source : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
http://www.fao.org/news/story/fr/item/155660/icode/
(consulté le 26/01/2013).
12
Ce système qui ne fait qu’alimenter la dette de l’Etat et donc aggraver sa situation
économique pourrait pousser ses dirigeants à indexer le prix des matières premières. Cela
signifierait une baisse du pouvoir d’achat et un risque de tension sociale faisant craindre au
pouvoir central des « émeutes du pain » comme en 1983-848.
1.1.2.3 Tourisme et accroissement de la dette
Le tourisme est l’un des secteurs économiques le plus important du pays. Il pèse à lui seul
7% du PIB et il est vital au vu du nombre d’emplois qu’il génère. De nouveau, l’Etat tunisien se
cache derrière une « pseudo » force liée au succès des destinations vers son pays. En effet, les
chiffres de 20089 se veulent encourageants et font miroiter une belle affluence touristique. Mais à
quel prix ? Soumis à la pression des tour-opérateurs qui font valoir la concurrence avec d’autres
destinations, les acteurs du tourisme en Tunisie sont forcés de baisser sans cesse leur prix ce qui
fait de la Tunisie une destination low-cost. Cette course au « toujours moins cher » n’est pas sans
conséquence. Les hôteliers ont pour cela trois solutions : proposer aux vacanciers un service de
moins bonne qualité, baisser les salaires ou ne pas rembourser les dettes contractées auprès des
banques et de l’Etat. Et c’est souvent les deux dernières solutions qui sont utilisées et qui mettent
à mal l’économie du pays mais également les bourses des Tunisiens. Ces derniers se sentent de
plus en plus exploités.
Voici un exemple concret du fonctionnement des tour-opérateurs, Marmara numéro 1
français sur le marché tunisien avec 35% de part du marché :
« Tout dépend de la saison : un package10 de 190 euros en basse saison, disons en
janvier, pourra monter à 600 euros durant l’été. Les prix sont adaptés à la loi de l’offre et la
demande. Il faut bien dire que 8 mois sur 12, le produit n’est pas rentable (…) Nous prenons
beaucoup de risques, notamment sur le nombre de chambres que nous prenons à l’avance chez
l’hôtelier. Nous avons en outre huit unités hôtelières avec lesquelles nous sommes sur contrats de
location-gérance de 8 ans à 10 ans, pendant lesquels on loue toute l’année, toutes les chambres.
8 Les « émeutes du pain » sont des protestations de rues qui interviennent entre le 27 décembre 1983 et
le 6 janvier 1984 en Tunisie suite à une demande du Fonds monétaire international de stabiliser l’économie
nationale. Le gouvernement annoncera alors l’augmentation des prix du pain et des produits
céréaliers comme la semoule.
9 Selon le site www.statistiques-mondiales.com, près de 7 millions de touristes ont choisi la Tunisie pour se
rendre en vacances en 2012.
10 Offre de voyage où tout est compris : vol et hôtel. Marmara en vend 330 000 par an portant son chiffre
d’affaires à 540 millions d’euros en 2008.
13
Pareil pour les vols : en hiver, nous en faisons partir 20 par semaine depuis la France et 40 en
été. Des avions qui décollent, quoi qu’il arrive, et il faut les remplir ! »11
Ces méthodes prouvent à quel point il peut être difficile pour l’exploitant hôtelier tunisien
de négocier. Pour lui, un tour-opérateur comme Marmara lui assure un plein emploi avec des
chambres presque toujours occupées. La contrepartie de ces achats en masse est qu’il faut se
soumettre aux prix proposés par les tour-opérateurs.
Continuons avec un exemple concret mettant en exergue les faibles bénéfices engendrés
par les acteurs touristiques tunisiens. Un package à 600 euros chez Marmara se décompose ainsi :
100 euros restent en France pour les coûts de distribution et les marges de Marmara. Sur les 500
euros restant, 250 euros pour « l’aérien », 125 euros pour la location de l’hôtel et 125 euros pour
les salaires, la nourriture et les frais divers.
Au final, l’hôtelier doit se contenter de 100 euros pour assurer un séjour de 7 nuits tout compris
en pleine saison. Ce n’est pas assez. D’autant plus que, si le tour-opérateur qui a réservé 100
chambres n’en vend que 80, seules ces 80 chambres seront payées à l’hôtel et les 20 autres ne
seront jamais rentabilisées.
« C’est intenable. On me demande de faire une marge à deux chiffres, tout en m’imposant une
baisse de plus de 10% du prix des chambres chaque année, et cela depuis 5 ans. On me réserve
toujours beaucoup de chambres, mais on me paie de moins en moins parce qu’on a eu moins de
clients. Alors, forcément, moi je paie moins derrière, et j’emploie moins de personnel. »12
Avec des prix toujours plus bas, les hôteliers ne parviennent plus à rembourser leurs
créances aux banques. Fin 2008, l’endettement de la Tunisie représentait 60%13 du PIB faisant
des banques tunisiennes les banques les plus endettées au monde.
Ceci prouve bien que, malgré les chiffres précédemment cités montrant un engouement
certain des touristes pour la Tunisie, l’endettement est de plus en plus grand et les exploitants
hôteliers ont de plus en plus de mal à vivre d’une activité qui n’est plus pleinement rentable.
11 PUCHOT, Pierre. Tunisie, une révolution arabe. Paris : Ed. Galaade, 2011, 229 p.
Témoignage de Sébastien Boucher, directeur marketing chez Marmara.
12 Ibidem. Témoignage d'Hassan, gérant d’un hôtel.
13 Source : Banque centrale de Tunisie
http://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/documents/dette2008.pdf
(consulté le 02/02/2013).
14
1.1.2.4. « Mirage économique »
Ces deux exemples prouvent que les chiffres affichés par l’Etat tunisien, visant à mettre en
avant une bonne santé économique, ne sont en fait que des leurres. En effet, la stabilité du prix
du pain et le tourisme sont deux des fiertés mises en avant par le pouvoir central. Cependant, au
bout de la chaîne ce sont les banques et le peuple qui payent l’addition. Tous les indicateurs
semblent être au vert mais, plus on se rapproche du peuple, plus ces derniers semblent virer au
rouge. Il est légitime pour ce peuple de se sentir les marionnettes d’une kleptocratie14 sans
scrupules. Ce sentiment d’injustice va alimenter les tensions sociales et déboucher, en 2008, sur
une première contestation pré-révolutionnaire qui portera le nom de Gafsa.
1.1.3. Etat des lieux social : Gafsa, prémisses d’une révolution à venir
Gafsa est une ville du sud de la Tunisie. Elle concentre son activité économique sur
l'exploitation minière du phosphate dont le gisement, découvert en 1885, est l'un des plus
importants au monde. Cette région riche d’une population de 84 676 habitants15 extrait de ses
mines près de huit millions de tonnes de phosphates par an (chiffre de 2007). La Compagnie des
phosphates de Gafsa et Le Groupe chimique tunisien (GCT)16 sont les principaux exploitants des
richesses minières qu’offre la région. Il est donc nécessaire de comprendre dans quelles
circonstances s’est développée l’activité économique de Gafsa pour ensuite cerner les
revendications sociales qui secoueront le bassin minier plus d’un siècle après son exploitation.
14 Une kleptocratie est un terme péjoratif désignant un système politique où une ou des personnes à la tête
d'un pays pratique, à une très grande échelle, la corruption. Généralement, ces personnes pratiquent
le blanchiment d'argent de manière à dissimuler l'origine de leur richesse. Ce terme est fréquemment utilisé
à propos des revenus tirés de l'exploitation de matières premières (en particulier le pétrole, le gaz naturel ou
les diamants) en Afrique ou dans les pays de l'ex-URSS.
Source : « Kleptocratie ». In : Wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Kleptocratie
(consulté le 02/02/2013).
15 Recensement de 2004.
Source : Institut national de la statistique – Tunisie
http://www.ins.nat.tn/fr/rgph2.1.commune.php?code_modalite=24461&Code_indicateur=0301007&Submit3
=Envoyer
(consulté le 02/02/2013).
16 Le Groupe chimique tunisien (GCT) est une entreprise publique tunisienne dont l'objet est de produire et
de transformer le phosphate extrait en Tunisie en produits chimiques tels que l'acide phosphorique ou
les engrais.
Source : « Groupe chimique tunisien ». In : Wikipédia.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_chimique_tunisien
(consulté le 02/02/2013).
15
Situation géographique du gouvernorat de Gafsa.
(carte : www.tunisienumerique.com)
1.1.3.1. CGP et GCT, en route vers l’Etat
En 1885, suite à une prospection dans la région de Metlaoui, Phillipe Thomas, un géologue
français17, découvre des couches importantes de phosphates de calcium. Après avoir localisé les
gisements, la Compagnie des phosphates et des chemins de fer de Gafsa est fondée en 1896. La
compagnie va exploiter les gisements de la vallée de l'oued Selja18.
Elle devra relier par voie ferrée l'oued Selja au port de Sfax. Ces travaux amènent
progressivement l'ouverture d'autres lignes : en 1899, Sfax-Métlaoui ; en 1907, Métlaoui-
Redeyef ; en 1913, Métlaoui-Tozeur ; en 1916, Graïba-Gabès et en 1929, le rattachement de la
ligne Gafsa-Mdhila.
Carte des voies ferrées de la région de Gafsa.
(Carte : www.encyclopédie-afn.org)
17 La Tunisie était sous protectorat français de 1881 à 1956. 18 Les gorges de Selja sont une vallée encaissée de plusieurs kilomètres où coule l'oued Selja. Elle est située entre les villes de Métlaoui et Redeyef (ouest de la Tunisie).
16
Suite à ces travaux, la compagnie ne va cesser de s'agrandir et d'élargir ses exploitations.
Plusieurs nouvelles mines voient le jour : à Métaloui (1899), à Kalâat Khasba et Redeyef (1903), à
Moularès (1904) et à Shib et M'rata (1970). Des carrières sont également ouvertes : Moularès
(1975), Kef Shfaier (1978), Oum Lakhcheb (1980), Oued El Khasfa et Kef Eddour (1986), Redeyef
(1989) et Jellabia (1991)19.
En 1976, la compagnie devient une entreprise d'Etat suite à l'absorption de la Compagnie
des phosphates par la Société tunisienne d'exploitation phosphatière.
Le rapprochement avec l'Etat continue en 1994 quand la CPG et le Groupe chimique
tunisien sont rassemblés sous la direction d'un seul et même PDG. Désormais, le contrôle de
l'entreprise passe sous la houlette du Ministère de l'Industrie et de la Technologie tunisienne.
L'Etat tunisien détient à 100% l'exploitation des ressources de phosphates sur le territoire
tunisien. Ce bref historique montre que l’Etat s’est très vite rendu compte que les ressources
naturelles du bassin minier de Gafsa pouvaient devenir un des fleurons de l’industrie tunisienne. Il
était donc question de mettre entièrement la main sur la région et sur l’activité qu’elle génère. Il
s’agissait d’avoir un contrôle total sur cette poule aux œufs d’or qu’est la région de Gafsa.
1.1.3.2. Bonne santé économique du secteur phosphatier tunisien
La Tunisie est pionnière à l'échelle internationale dans le domaine du phosphate naturel et
des engrais minéraux. Cette activité est plus que centenaire pour l'extraction du phosphate par la
Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG) et plus que cinquantenaire dans le domaine de sa
valorisation en divers engrais minéraux par le Groupe Chimique Tunisie.
La CPG exploite actuellement sept carrières à ciel ouvert et une seule mine souterraine. La
production annuelle est actuellement de 8 millions de tonnes de phosphate marchand ce qui place
la Tunisie au 5e rang mondial des pays producteurs de phosphate20.
La Tunisie a donc su très vite rentabiliser ses ressources naturelles afin de se hisser à une
place plus que respectable à l’échelle mondiale. Il fallait donc maintenant faire profiter la région
19 Source : Industrie phosphatière tunisienne http://www.gct.com.tn/francais/history.htm
(consulté le 02/02/2013).
20 Source : « La Tunisie dans le monde : 5e producteur de phosphate ». In : Tunisia Today.
www.tunisia-today.com/archives/55391
(consulté le 09/02/2013).
17
mais également le peuple tunisien de cette richesse fournie par les sols tunisiens afin que la
population ne se sente biaisée d’une injuste redistribution des profits générés par une industrie
qui rapporte des millions à l’Etat.
Production de la CPG en phosphate naturel (1906–2009).
(Source: http://www.gct.com.tn/francais/wcpg.htm)
1.1.3.3. Chômage dans la région de Gafsa
Alors que l’industrie minière tunisienne de phosphate affiche une santé financière saine
grâce à l’augmentation de ses recettes d’exportations, les conditions économiques et sociales des
habitants de cette région, pourtant riche de cette ressource naturelle, n’ont cessé de se
détériorer. La région est frappée par un taux élevé de pauvreté et de chômage ce qui en fait une
des régions les plus défavorisées de Tunisie avec un taux de chômage deux fois supérieur à la
moyenne nationale.
Taux de chômage, bassin minier de Gafsa.
(Source : INS Tunisie)
18
Ce taux de chômage élevé s’explique par le fait que la CPG, qui est le principal employeur
de la région grâce à ses exploitations minières, connait un déclin depuis une vingtaine d’années.
L’entreprise a dû se réformer pour s’adapter aux nouveaux standards néolibéraux. Plus
l’entreprise se restructure, plus le chômage dans la région grimpe. En effet, jusqu’en 1975, la CPG
assurait le plein emploi. La compagnie fournissait épiceries, pharmacies, hôpitaux, écoles, moyens
de transport… : une prise en charge presque intégrale de la vie sociale et économique.
Cependant, entre 1975 et 1985, la commercialisation de l’eau potable et de l’électricité, la prise
en charge des commerces, des banques et d’autres services jusqu’alors assurés par la CPG ont
été transférés à d’autres opérateurs publics ou privés (La Société tunisienne d’électricité et de
gaz, la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux…). Ce transfert d’activités
nécessitant moins de main-d’œuvre pour la CPG, la compagnie a donc dû réduire ses emplois. En
vingt ans, près de 10 000 postes ont été supprimés et les départs à la retraite n’ont pas été
remplacés. Aujourd’hui, il ne reste que 5 200 employés à la CPG soit trois fois moins que dans les
années 8021.
Une autre raison justifie d’une part les chiffres croissants des exportations et d’autre part
le déclin de l’emploi : la mécanisation de la production. Moins de main-d’œuvre nécessaire et une
production renforcée.
1.1.3.4. Système clientéliste
Depuis 1986, un plan de restructuration de la CPG vise à réformer la compagnie. Il est
financé et pensé par la Banque mondiale dans le cadre du programme de mise à niveau de
l’économie tunisienne. L’argent débloqué par la Banque mondiale alimente le Fonds de
restructuration des entreprises publiques (FREP)22. Ces fonds, notamment censés aider à la
reconversion du bassin minier de Gafsa, n’ont pas profité aux personnes qui en avaient besoin :
les habitants de la région, notamment les enfants des ouvriers de la compagnie. Un autre
problème lié à la sélection d’emplois disponibles au sein de l’entreprise va indigner les habitants
de la région. La CGP a chargé, sur base « d’entente à l’amiable », l’Union générale tunisienne du
21 CATUSSE, Myriam, DESTREMAU, Blandine et VERDIER, Eric, dir. L’Etat face aux débordements du social au
Maghreb. Paris : Karthala éd., 2009, 468p.
22 Dans le cadre des programmes de privatisation engagés par l’Etat tunisien depuis les années 1980,
plusieurs lois ont été votées. Notamment la loi n° 85-109 du 31 décembre 1985 qui est illustrée dans son
article 79 stipulant que « la création d’un fond spécial de trésor et sur les Fonds de restructuration des
entreprises publiques (FREP), destiné à réorganiser les prises de participation de l’Etat dans le capital des
entreprises publiques, et éventuellement contribuer à la couverture des besoins d’assainissement des
entreprises publiques ».
19
travail23 de sélectionner les personnes qui obtiendront les postes à pourvoir dans l’entreprise.
Cependant, l’UGTT va petit à petit profiter de ce pouvoir de faiseur de roi comme monnaie
d’échange. Un système clientéliste va donc naitre au sein de la région. Les emplois qui devaient
normalement être attribués en priorité aux chômeurs de la région profiteront à des personnes
vivant en dehors de la zone minière de Gafsa. Il n’en fallait pas plus pour nourrir un sentiment
d’injustice au sein de la population.
1.1.3.5. Grève générale à Gafsa, 5 janvier 2008
Le 5 janvier 2008, les habitants de la région vont se sentir victimes d’une ultime injustice.
La CPG annonce les résultats suite à un concours d’embauches. Une dizaine d’emplois sont
octroyés pour un millier de postulants. Afin de protester contre cette annonce que les habitants
qualifieront de népotisme, des tentes seront installées sur les voies de chemins de fer. Cette
occupation bloquera les trains qui assurent les trajets entre les carrières et les usines. L’industrie
du phosphate dans la région est donc paralysée et l’activité économique à l’arrêt. Toutes les
activités seront stoppées durant près de six mois.
Le mouvement de contestation voit d’abord dans ses rangs des chômeurs diplômés ou non
ainsi que leur famille. Les jours passent et différents acteurs se joignent au mouvement : des
« diplômés chômeurs » de l’université se mobilisent à Redeyef, des ouvriers invalides de la CPG se
joignent aux familles occupant les chemins de fer mais également des mères dont les fils ont été
emprisonnés suite aux premières manifestations. Le mécontentement se généralise et prend de
l’ampleur. Cependant, durant les deux premiers mois de la contestation, les organisations
politiques de l’opposition et les syndicats restent timides.
L’élément déclencheur de ce mouvement est donc l’attribution douteuse de certains postes
suite au concours d’embauches. C’est d’ailleurs de cet élément que les politiciens locaux du RCD
(Rassemblement constitutionnel démocratique, parti du président Ben Ali) vont se servir pour
orienter les premiers mécontentements contre les responsables syndicaux de l’UGTT. Cette
manœuvre permet ainsi de détourner une éventuelle responsabilité au niveau de l’Etat. En signe
de protestation, de jeunes chômeurs occupent le siège régional de l'UGTT à Redeyef, dénonçant
une politique de l'emploi injuste et un potentat local. Le secrétaire régional de l’UGTT de Gafsa,
23 L’UGTT est la principale centrale syndicale de Tunisie avec 750 000 adhérents. Elle est essentiellement
implantée dans le secteur public, elle regroupe 24 unions régionales, 19 organisations sectorielles et 21
syndicats de base.
20
Amara Abbassi, sera la cible des accusations24. Il va s’opposer aux mobilisations et menacer de
sanctions disciplinaires les syndicalistes qui ont rejoint les manifestations.
L’UGTT régionale de Gafsa reste muette et ne prend pas part aux protestations. Ce
mutisme révèle des responsabilités dans les revendications sociales de la région. Il y a tout de
même quelques syndicalistes déçus de la politique de l’UGTT qui rejoignent les manifestants, mais
ce sont surtout des leaders issus de syndicats non ouvriers de Redeyef qui vont soutenir les
laissés-pour-compte de Gafsa.
Le mouvement de protestation continue et s’élargit de jour en jour. Deux figures vont
émerger : Adnene Hajji, le secrétaire général de l’enseignement de Redeyef, et Béchir Laabidi
également instituteur syndicaliste. Des militants du parti communiste25 vont aussi se joindre au
mouvement. La société civile va également s’éveiller en faveur des populations du bassin minier :
l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et la Ligue tunisienne des droits de
l’Homme (LTDH). Même depuis la France, la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des
deux rives (FTCR) publie des communiqués et organise des manifestations (ce qui vaudra à
Mouhieddine Cherbib, président du FTCR, d’être condamné à deux ans de prison par le tribunal de
Gafsa).
Ce mouvement qui mobilise toutes les forces de la société tunisienne tend à prouver que
l’ensemble de la société tunisienne se sent concerné et surtout lésé par les évènements de Gafsa.
Les grondements commencent à gagner la capitale, Tunis, et l’opposition politique, jusqu’alors
timide, commence à réagir et à se mobiliser. Le pouvoir en place de Ben Ali a peur de vaciller et
décide d’avoir recours à la force.
1.1.3.6. L’armée se déploie à Gafsa, 7 juin 2008
Après plusieurs mois, l'État tunisien est dépassé par cette contestation générale qui gagne
désormais toute la partie sud du pays. L’armée est dépêchée à Gafsa le 7 juin 2008 et répond au
mouvement social avec violence pour reprendre le contrôle de la région26. La violence d'État est
de plus en plus brutale face à cette cohésion populaire. Redeyef est encerclée par un déploiement
24 Amara Abbassi est à la fois patron de plusieurs entreprises de sous-traitance pour la CPG, à la tête de
l'UGTT régionale et député du parti au pouvoir (le Rassemblement constitutionnel démocratique).
25 PCOT, parti illégal sous Ben Ali.
26 PUCHOT, Pierre. « Dans le sud de la Tunisie, le pouvoir réprime la contestation dans le sang ». In :
Médiapart, Paris, 8 juin 2008.
21
d'unités blindées qui renforcent le siège du bassin minier. Des enlèvements de jeunes se
multiplient, des manifestants qui se réfugient dans les montagnes pour éviter la torture sont
traqués, des familles sont brutalisées et les forces de l'ordre utilisent bientôt des balles réelles
contre les protestataires27.
Cette répression sera identique en 2010 dans la ville de Sidi Bouzid suite à l’immolation de
Mohamed Bouazizi. Cela peut prouver que l’Etat tunisien a réussi à contenir une première révolte
à Gafsa en 2008.
La mort d’un jeune manifestant lors d’une action des forces de l’ordre à Redeyef va
provoquer la colère des compagnons de contestation. Les violences augmentent et le mouvement
est alors sévèrement réprimé, les forces de l’ordre ont recours à de nombreuses arrestations.
Adnane Hajji est arrêté dans la nuit du 21 au 22 juin en compagnie d'autres syndicalistes malgré
sa demande en faveur de l'intervention du pouvoir central28.
L’armée se déploie à Redeyef.
(photo : http://www.nawaat.org)
A la suite d'une marche pacifique en signe de solidarité avec les protestataires arrêtés en
juin, quatre enseignants sont encore arrêtés ainsi qu'une militante de la LTDH, membre de
l'Association de lutte contre la torture en Tunisie, Zakia Dhifaoui. Cette dernière a été arrêtée au
domicile de l'épouse de Hajji et a été condamnée, en août 2008, à huit mois de prison pour sa
participation à la manifestation29. Diverses organisations de la société civile réclament leur
27 GANTIN, Karine et SEDDIK, Omeyya. « Révolte du ’’peuple des mines’’ en Tunisie ». In : Le Monde
diplomatique, Paris, juillet 2008, p. 11.
28 « Nous avons œuvré pendant les cinq mois de protestation pacifique (…) à éviter les glissements qui
peuvent arriver. Et nous avons débattu avec les autorités locales, régionales et nationales afin de trouver des
solutions aux problèmes. Nous avons siégé à plusieurs reprises avec les autorités (…). Nous avons continué
les pourparlers avec les autorités, notamment le ministère de l’Intérieur et celui de la santé, jusqu’au dernier
jour de notre arrestation », extrait de Lettre de prison de Adane Hajji publiée dans le journal d’opposition en
langue arabe El Maoukif, le 18 juillet 2008.
29 MEDDI, Adlène. « Vague d’arrestations en Tunisie ». In : El Watan, Algérie, le 2 aout 2008.
22
libération, même dans les milieux politiques proches du parti politique du Président Ben Ali. Ce
dernier, sentant les revendications et la colère du peuple arriver aux portes du palais présidentiel,
va devoir calmer le jeu et annoncer toute une série de réformes afin d’apaiser les tensions et le
sentiment d’omnipotence de l’Etat.
Extrait des chefs d’inculpations tenus à l’encontre des principaux leaders du mouvement de
contestations. Ces chefs d’inculpations font passer les leaders pour des criminels alors qu’ils ne
faisaient qu’utiliser leur liberté d’expression, fondation d’une démocratie :
« Appartenance à une bande ; participation à une entente en vue de préparer et commettre une
agression contre les biens et les personnes, et rébellion par plus de dix personnes avec usages
d’armes. »
Ces chefs d’accusation faisaient encourir jusqu’à vingt années de prison aux principaux
leaders. Après de nombreuses séances, la cour d’appel de Gafsa a requis des peines allant de
deux ans avec sursis à huit ans de prison ferme à l’encontre des 38 prévenus, le 4 février 2009.30
Voici un article paru dans le journal Le Monde31 mettant en avant le caractère expéditif de la
justice qui a été rendue à Gafsa suite aux revendications du bassin minier. Il témoigne également
de la fragilité démocratique en Tunisie :
30 Jugement rendu par le tribunal du gouvernorat de Gafsa.
31 AFP, « Dix ans de prison ferme pour les meneurs de manifestations à Gafsa, en Tunisie ». In : Le Monde,
Paris, le 12 décembre 2008.
23
1.1.3.7. L’Etat réagit
À la mi-juillet 2008, Ben Ali annonce des licenciements suite aux « irrégularités commises
par les responsables de la CPG, dans les opérations de recrutement, suscitant la désillusion et la
déception des jeunes concernés par ces opérations »32. Le président de la CPG est démis,
le gouverneur de Gafsa est muté, le délégué de Reyedef est remplacé et le conseil municipal de
Gafsa dissout. Amara Abbassi qui était pris pour cible dès le début de la contestation reste en
place dans ses fonctions.
Conscient que la population de Gafsa se sent délaissée par le pouvoir central qui ne
redistribue pas bien les richesses que le bassin minier de Gafsa rapporte à l’Etat tunisien, le
président Ben Ali annonce des investissements à venir pour la région. 500 millions d’euros vont
être investis avec l’argent public qui génèrera 9 000 emplois permanents.
1.1.3.8. L’après Gafsa
Cependant, en février 2010, plus de deux ans après le début des contestations, les leaders
libérés du mouvement ne constatent aucune amélioration et les tensions sont toujours très vives.
La ville vit sous un contrôle policier très présent et, malgré cela, la corruption s’aggrave. L’argent
destiné aux investissements est détourné et tout se passe devant les yeux des autorités qui
restent muettes. Les promesses faites par le Président Ben Ali ne semblent pas être tenues33.
A dix mois de ce qui va être la future Révolution du Jasmin, rien ne semble avoir changé à
Gafsa. Tout semble même s’être aggravé. Le peuple n’a pas été entendu. L’espoir pour un peu
plus de justice sociale qui animait les âmes du bassin minier n’était apparemment qu’illusion. Ce
qui est certain, c’est que cet épisode de Gafsa a éveillé les consciences. Cette population de 60
000 habitants a sans aucun doute dit tout haut ce qu’un peuple pensait tout bas. L’histoire a
montré que, le 17 décembre 2010, la révolution aura bel et bien lieu.
32 Extrait de « l’allocution du chef de l’Etat à l’ouverture de la session extraordinaire du conseil régional du
Gouvernorat de Gafsa ».
33 MALEK, K. « Tunisie : Les dirigeants du mouvement de protestation du bassin minier de Gafsa tirent la
sonnette d'alarme ». In : Nawaat, 21 février 2010
http://nawaat.org/portail/2010/02/21/tunisie-les-dirigeants-du-mouvement-de-protestation-du-bassin-
minier-de-gafsa-tirent-la-sonnette-dalarme/
(consulté le 09/02/2013).
24
1.2. Remise en contexte de la notion de Révolution
Au fur et à mesure de l’avancement des recherches concernant mon travail, il
m’apparaissait indispensable de recontextualiser la notion de « révolution ». Alors que cette
dernière peut parfois être associée à la notion de « révolte », le prochain chapitre consistera à
bien distinguer ces deux notions qui peuvent parfois, à tort, être considérées comme des
synonymes. L’objet de ce chapitre sera également de prouver qu’une de ces deux notions sert de
moteur à l’autre.
La liberté guidant le peuple, Eugène
Delacroix.
(photo : www.histoire-image.org)
1.2.1. De la révolte à la révolution
Le 14 janvier 2011, le Président tunisien fuit son pays. Ce jour est considéré comme
l’éclosion de la fleur du jasmin ayant donné son nom à la révolution tunisienne. Ce n’est qu’à
partir de ce moment-là que le mot « révolution » peut être utilisé. Pourquoi ? La révolution est
l’instant où un changement va modifier tout système qui était jusqu’alors en place. La révolution
symbolise le passage d’un modèle établi qui va glisser vers une autre représentation de cedit
modèle. Citons deux exemples concrets de révolutions ayant eu lieu en dehors de la sphère
politique : la révolution copernicienne (passage du système géocentrique au système
héliocentrique) et la révolution industrielle (passage d’une société agraire et artisanale vers une
société commerciale et industrielle).
25
Dans son livre, Les phénomènes révolutionnaires34, Jean Baechler souligne le fait que
« dans une révolution politique, l’idéologie joue un grand rôle. En effet, la visée qui consiste à
vouloir s’emparer du pouvoir suppose une interprétation de la vie en société autre que celle qui
est en place (…). Il y a dans tout mouvement social, trois catégories d’adhérents : ceux qui y
croient vraiment et qui sont en minorité, ceux qui l’utilisent à des fins personnelles et enfin une
masse qui suit et vit d’illusions contradictoires. » C’est ce qui s’est passé avant la révolution qui a
entraîné la chute de Ben Ali. L’idéologie en place, symbolisée par le pouvoir central, n’était plus en
phase avec les aspirations du peuple tunisien (cf. Gafsa, 2008). Le moteur de la révolution est
donc alimenté par la révolte. Cette dernière a lieu au moment où un peuple fait entendre sa voix.
Jean Baechler admet cependant que la notion de révolution reste assez fuyante. Il est
difficile de lui appliquer une analyse capable de résumer à elle seule les différentes formes qu’elle
peut revêtir. Cependant, il tente tout de même d’esquisser le fil rouge d’une révolution. Selon lui,
elle passe par neuf étapes : l’intensité, les mobiles, la chute du pouvoir, la prise du pouvoir, le
déroulement, la fête, les acteurs, l’idéologie et les résultats.
Ces différentes étapes peuvent être transposées à la révolte tunisienne. Cette révolte a été
amorcée sans leader, sans organisation politique et même sans programme clairement défini.
Ensuite, ces mouvements ont été, dans leur formation et leur évolution de nature plus sociale que
politique, traduits par l'apparition de solidarités nouvelles au sein d'une population assez
désorganisée et une irruption des sociétés civiles au sein du jeu politique. Ce déroulement a d’une
part précipité l'effondrement du régime jusqu’alors bien installé, et d'autre part activé une opinion
publique jusque-là passive qui a soudain découvert de communes revendications : la dignité et la
participation.
1.2.2. D’où vient la notion de Printemps ?
Très vite les médias occidentaux ont parlé de Printemps Arabes pour décrire l’onde de choc
qui était en train de secouer cette partie du globe. En effet, d’autres pays vont être touchés
comme un effet domino. Ces pays sont : l’Egypte, la Lybie, le Bahreïn, le Maroc, la Jordanie, le
Yémen et l’Algérie. Cette notion n’est pas hasardeuse. Elle est ancrée dans l’histoire occidentale.
Elle prend source dans les révoltes qu’a connues le vieux continent au cours de l’année 1848.
34 BAECHLER, Jean. Les phénomènes révolutionnaires. Paris : Ed. Presses universitaires de France, 1970.
(Sup Le Sociologue), 260 p.
26
Cette phrase d’Alphonse de Lamartine35, prononcée le 25 février 1848 dans la salle Saint-
Jean de l’Hôtel de Ville, résume bien les contestations de l’époque : « Le peuple à la place du
trône. »
La République universelle démocratique et sociale -
Le Pacte, 1848, « Peuples, formez une Sainte-
Alliance et donnez-vous la main. », Frédéric Sorrieu.
(photo : www.lelivrescolaire.fr)
En effet, l’année 1848 est marquée par le soulèvement des peuples européens (Italie,
Autriche, Hongrie, France et Allemagne). Une vague insurrectionnelle va déferler sur l’Europe.
Cette dernière est motivée par des aspirations libérales, nationales et surtout démocratiques. Le
vieux continent était une mosaïque de monarchies. Le déroulement de ces révoltes est
étonnamment similaire avec celui qui vient de secouer le monde arabe. De nombreux parallèles
peuvent être faits.
1.2.2.1. Contestation
En 1848, la révolte commence le 22 février, à Paris. Pour contourner l’interdiction de
réunion et d’association imposée par la monarchie, le peuple français décide de se réunir à Paris.
La manifestation sera interdite et accueillie avec des fusils pointés sur les manifestants qui seront
ensuite réprimés. Le premier parallèle peut donc être fait avec les autocrates qui étaient en place
dans les pays arabes. Ces derniers n’ont pas hésité à réprimer toutes formes de contestations dès
que le peuple faisait entendre des revendications.
35 Alphonse de Lamartine est né à Mâcon en 1790 et est mort à Paris en 1869. Lamartine se met au service
de Louis XVIII ; c'est d’ailleurs à cette époque qu'il commence à composer de la poésie. Les thèmes religieux
revêtent une importance considérable. Cependant, la mort de sa fille et son engagement politique de plus en
plus actif changent la nature de sa foi et il devient le défenseur d'un christianisme libéral et social. Son
influence politique atteint son apogée en 1848, alors qu'il devient ministre des Affaires étrangères. À partir
du coup d'état dirigé par Napoléon III en 1851, Lamartine doit se retirer de la scène publique. Accablé de
dettes, le poète doit s'astreindre à des travaux littéraires qui l'intéressent de moins en moins.
Source : Poètes.com
http://www.poetes.com/lamartine/
(consulté le 28/04/2013).
27
1.2.2.2. Propagation
Trois jours après les premières manifestations (le 25 février, dans la capitale parisienne,
sous la pression des manifestants qui s’emparent de plusieurs endroits de la capitale), le roi Louis-
Philipe abdique. Cette révolution éclaire va affoler toutes les autres monarchies voisines. Ces
dernières vont avoir peur d’une propagation de cet élan révolutionnaire. Après l’avènement de la
République, le poète Alphonse de Lamartine, entre-temps devenu ministre des affaires
étrangères, tente de rassurer les souverains voisins : « La proclamation de la République
française n’est un acte d’agression contre aucune forme de gouvernement dans le monde. Les
formes de gouvernement ont des diversités aussi légitimes que les diversités de caractère, de
situation géographique et de développement intellectuel, moral et matériel chez les peuples. »
Malgré cette annonce, Paris aura bel et bien servi d’étincelle. Les peuples voisins vont s’inspirer
des revendications françaises. L’étincelle se transforme donc en brasier qui va enflammer bien
d’autres pays tels que l’Italie, l’Autriche, la Hongrie ou encore l’Allemagne. Un deuxième parallèle
peut donc être fait. Après l’étincelle tunisienne et la révolte qui a entrainé la chute du régime de
Ben Ali, l’onde de choc s’était propagée dans tout le monde arabe : l’Egypte, la Lybie, le Bahreïn,
le Maroc, la Jordanie, le Yémen et l’Algérie.
1.2.2.3. Désillusion
Mais là où réside la principale raison de l’utilisation de cette notion, c’est qu’elle revêt
implicitement la notion de désillusion. En effet, même si la France a connu l’avènement de la IIème
République suite au soulèvement du peuple parisien et lui a permis, jusqu’au 2 décembre 185136,
de tenter l’expérience parlementaire, les revendications suite à ces soulèvements avorteront et ne
parviendront pas à chasser les monarchies au pouvoir. Les monarques vont fuir leur pays mais
réprimer leur population à distance grâce à l’armée. Ils plongeront donc leur pays dans des bains
de sang.
Ce qu’il faut lire dans l’utilisation du mot « Printemps » par la presse écrite est avant tout
le doute qu’exprime implicitement la sphère médiatique quant à l’issue finale du réveil des peuples
arabes. Le recours à la notion de « Printemps » peut donc être qualifié d’implicitement pessimiste.
Les médias occidentaux savent ce que revêt cette notion et la transposer aux révoltes en cours
dans le monde arabe ne fait que mettre en exergue un grand doute quant à l’issue de tous les
soulèvements qu’est en train de connaître cette partie du globe. Les peuples se sont soulevés,
certes, mais connaîtront-ils un jour la démocratie ?
36 Coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte et avènement du Second Empire.
28
1.2.3. La Révolution du Jasmin : AOC, Appellation d’Origine Contestée
On parle de la révolution tunisienne en la qualifiant de Révolution du Jasmin. Cependant,
ce terme qui figure dans de nombreux ouvrages n’a pas été accueilli à l’unanimité par le peuple
tunisien. Qui est à l’origine de cette expression ? Qu’en pensent les Tunisiens qui ont été le
moteur de cette révolution ?
Cette expression est attribuée à Zied El-Heni37 qui en revendique la paternité. En effet,
Zied El-Heni tient un blog sur lequel il a publié un texte nommé La Révolution du Jasmin. Ce
dernier a été publié le 13 janvier 2011, veille de la chute du président tunisien. Dans son texte, le
journaliste fait l’éloge du peuple tunisien qui a su porter leurs revendications au-delà de la
dimension sociale pour la faire entrer dans une dimension politique qui connaitra son apogée au
moment de la chute de Ben Ali.
Un bon nombre de révolution dans
l’Histoire porte déjà un nom de fleur. C’est le cas
pour révolution des œillets au Portugal (1974)38,
la révolution des roses en Géorgie (2003)39,
La fleur de jasmin, symbole de la révolution tunisienne.
(photo : dorsetdeja.blogspot.com)
37 Journaliste et membre du bureau exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens.
Source : Nawaat
http://nawaat.org/portail/2013/02/11/zied-el-heni-temoigne-devant-le-juge-dinstruction/
(consulté le 3/05/2013).
38 Insurrection militaire qui mit fin au régime dictatorial au Portugal, le 25 avril 1974. Au Portugal, en 1974,
la révolution des œillets abolit, sans effusion de sang, le régime de Marcelo Caetano, issu de la dictature de
Salazar. Le Portugal était alors un pays aux structures archaïques, doté d'une puissante police politique et
qui refusait d'accorder l'indépendance à ses anciennes colonies.
Source : « Révolution des œillets ». In : Encyclopédie Larousse en ligne
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/r%C3%A9volution_des_%C5%93illets/181931
(consulté le 3/05/2013).
39 Une corruption généralisée et l'impunité dont bénéficient divers dignitaires et milieux d'affaires contribuent à discréditer un pouvoir marqué par l'héritage soviétique et bientôt en concurrence avec une nouvelle génération d'élites formées en Occident. À l'issue de manifestations massives et de la prise d'assaut du
Parlement par les opposants, rose au poing, Chevardnadze, lâché par l'armée, doit démissionner (23 novembre 2003). Les présidentielles du 4 janvier 2004 plébiscite M. Saakachvili, candidat unique de l'opposition, dont l'élection avec plus de 96 % des voix atteste de l'enthousiasme pour cette « révolution des roses » pacifique dans le contexte des « révolutions de couleur » de l'ex-URSS. Source : « Géorgie ». In : Encyclopédie Larousse en ligne http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/G%C3%A9orgie/121178 (consulté le 3/05/2013).
29
celle des tulipes au Kirghizistan (2005)40 et récemment, la fleur de jasmin en Tunisie (2011). Le
jasmin est un symbole de pureté, de douceur de vivre et de tolérance. Et c’est pour cela que le
peuple tunisien ne veut pas qu’on qualifie sa révolution de la sorte.
Pourquoi utiliser un symbole de douceur et de pureté alors qu’ils ont gagné leur révolution
en payant l’addition par de nombreux morts, de nombreuses tortures, des pillages… ? De plus,
étymologiquement parlant, en arabe, yas signifie « désespoir » et min, « mensonge ». Ces
significations ne collent donc pas avec les revendications auxquelles ont aspiré les Tunisiens.
Comme si les raisons qui viennent d’être citées ci-dessus ne suffisaient pas, La Révolution
du Jasmin est le nom qui a été attribué en 1987 pour qualifier la prise de pouvoir de Ben Ali. C’est
donc d’autant plus compliqué d’accepter cette dénomination pour la révolution qui a justement
chassé le dictateur.
Les Tunisiens préfèrent parler d’une Révolution populaire ou encore d’une Révolution
Facebook. En effet, « dans un pays privé de liberté d'expression, avec une presse écrite et
des médias audiovisuels aux ordres, la Toile a représenté un espace de liberté inconnu
jusqu'alors, et permis une efficace diffusion de l'information. Le régime ne s'y est pas trompé, qui
a pourchassé, et arrêté, dès le début du mouvement, plusieurs internautes. »41
C’est donc dans un souci de s’approprier leur propre révolution que les Tunisiens tiennent
fort au nom associé à celle-ci. Elle se doit d’être le symbole d’un combat populaire. De cette
manière, ils n’auront pas le sentiment que celle-ci leur aura été volée.
40 Les élections législatives de mars 2005 sont un enjeu pour l'opposition qui vise, à défaut d'une victoire, le
contrôle d'au moins un tiers du parlement national. L'opposition cherche en effet à empêcher Akaïev de
réviser la Constitution pour pouvoir briguer un nouveau mandat. Les résultats accordent 92 % des sièges au
parti présidentiel et seulement 6 sièges sur 75 à l'opposition qui dénonce immédiatement des fraudes.
Motivés par le succès des révolutions géorgienne et ukrainienne, les partis d'opposition, rassemblés autour
de leaders charismatiques du Sud (Kourmanbek Bakiev) et du Nord (Feliks Koulov, Roza Otounbaïeva), font
le siège de la capitale et parviennent à renverser, le 24 mars 2005, Askar Akaïev, qui se réfugie en Russie.
Un gouvernement intérimaire d'union nationale se constitue autour des trois leaders. K. Bakiev est élu
président de la République en juillet 2005. Il nomme F. Koulov Premier ministre.
Source : « Kirghizistan ». In : Encyclopédie Larousse en ligne
http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Kirghizistan/127547
(consulté le 3/05/2013).
41 MAUDRAUD Isabelle. « En Tunisie, la révolution est en ligne ». In : Le Monde, Paris, 17 janvier 2011.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/17/en-tunisie-la-revolution-est-en-ligne_1466624_3212.html
(consulté le 1/05/2013).
30
2. Analyse d’articles de quotidiens
2.1. Introduction à l’analyse des articles
Cette remise en contexte était nécessaire. D’une part, pour se rendre compte de l’état des
lieux d’un pays qui était sur le point de prendre son destin en main. D’autre part, pour se rendre
compte des données que possédaient les médias afin de décoder ce qui s’était passé le 17
décembre 2010.
L’objectif avoué de cette première partie de TFE ne visait pas à être exhaustif et à tenter
une approche en profondeur de l’état de faillite de l’Etat tunisien. L’objectif était de mettre en
exergue les signes tangibles au travers de divers exemples, d’abord politiques ensuite
économiques et finalement sociaux, qui prouvaient qu’un peuple était à genoux. A genoux aux
portes d’un palais présidentiel qui vivait dans le faste au détriment de la misère de son peuple.
Ces exemples ont été tantôt médiatiques et médiatisés tantôt plus discrets et parfois
occultés. Une fois cette réalité connue, la presse occidentale a-t-elle traité l’affaire Bouazizi à Sidi
Bouzid comme une simple protestation sociale de plus ? La presse écrite française a-t-elle senti un
potentiel révolutionnaire dans cet acte désespéré ? Pourrai-je à la fin de mes analyses de textes
qui vont suivre, pouvoir avancer en guise de conclusion que la presse française a su être dans
l’anticipation médiatique ?
L’objectif de mon travail consiste à voir si les médias français ont pu anticiper la Révolution
du Jasmin. Pour cela, je vais analyser des articles de presse parus durant les dix jours qui ont
suivi l’immolation de Mohamed Bouazizi. Je concentrerai mon analyse sur les trois principaux
quotidiens français, c'est-à-dire Libération, Le Monde et Le Figaro.
Le paysage médiatique français est riche d’une pluralité d’opinions. Les différents journaux
de presse quotidienne française ne se cachent pas d’avoir une étiquette, une sensibilité politique.
Autrement dit, la presse française est une presse d’opinions. Cette pluralité de la presse a-t-elle
pu engendrer une complémentarité d’informations et prédire la suite des évènements ? Le prisme
de la pluralité d’opinion a-t-il permis aux différentes sensibilités médiatiques d’anticiper le 14
janvier 2011 ?
31
2.2. Méthodologie
La partie principale de mon TFE est l’analyse d’articles et analyser un article implique une
méthode. Pour ma part, j’ai décidé d’avoir recours à une grille d’analyse. Cette dernière me
permettra d’attirer mon attention sur les points importants. Les points qui, une fois analysés
individuellement et en profondeur, permettront à l’article de dégager encore plus de sens que le
simple fait de s’intéresser à celui-ci de manière sommaire.
Certes, un article est un récit. Comme tout type de récit, sa construction peut avoir recours
à différentes figures de style. Dans un article de presse plus qu’ailleurs, l’utilisation d’outils
littéraires est vectrice de beaucoup de sens cachés. C’est pour cela que j’ai élaboré une grille qui
me servira de fil rouge durant l’analyse de chacun de mes articles.
De plus, mon analyse devra tenter de rendre compte du travail de prédiction et
d’anticipation dont ont pu éventuellement faire preuve les journalistes concernant La Révolution
du Jasmin. Il est donc d’autant plus important pour ce type d’analyse et pour la réponse à y
apporter de rester vigilant à chaque détail des textes et des images qui seront soumis à mon
analyse.
Titre Texte Photo Légende Superficie
Titre seul ou
accompagné
d’un surtitre ou
d’un sous-titre.
Type de titre
(informatif,
incitatif).
Le sens
implicite :
présupposition,
sous-entendus,
inférences.
Y a-t-il une ou
des allusion(s)?
Présence ou
non
d’intertitres ?
Mots
importants/
forts qui se
dégagent.
Angle du texte.
Eventuel(s)
intervenant(s).
Qui/quoi est
présent sur la
photo ?
Emotion(s)
dégagée(s) par
la photo -
argumentation
et éléments qui
montrent cette
émotion.
La photo est-
elle uniquement
illustrative ou
recèle-t-elle
une réelle
information à
elle toute
seule ?
Qu’illustre-t-
elle ?
Que raconte-t-
elle ? Ce qui est
montré sur la
photo ou tout
autre chose ?
Longueur/place
de l’article dans
la page ?
Place de l’article
dans le journal.
32
2.3. Analyse des articles du journal Libération
2.3.1. « Face au gâchis social, la Tunisie ose s’insurger42 »
42 AYAD, Christophe. « Face au gâchis social, la Tunisie ose s’insurger ». In : Libération, Paris, le 21
décembre 2010, p.6.
33
2.3.1.1. Le titre
Le peuple constate et se rend enfin compte / prise de conscience de la précarité sociale
dans laquelle ils vivent / sous-entendu à leurs risques et périls
S’insurger43 : manifester son hostilité, son profond désaccord à l’égard de quelqu’un, de
quelque chose, se dresser contre.
Le verbe s’insurger sous-entend déjà un caractère révolutionnaire bien qu’il ait fallu
attendre quatre jours après l’immolation avant que le premier article ne soit publié dans le
journal. D’entrée de jeu le titre est assez fort et a recours à un champ lexical de contestation.
Le titre est informatif d’apparence mais incitatif quant à l’emploi des mots que je viens de
mettre en avant dans mon analyse.
2.3.1.2. Le chapeau
Frustration des « diplômés chômeurs » : on parle immédiatement de ce qui fâche en
citant cette génération qui est au départ de la contestation. Le journaliste pointe immédiatement
du doigt ceux qui seront le moteur de la révolte. Le recours aux guillemets met en avant le
caractère paradoxal de leur situation et permet de personnifier, de regrouper ce nombre
43 « S’insurger ». In : Dictionnaire Larousse en ligne
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/s_insurger/43509
(consulté le 21/04/2013).
34
important de personnes sous une seule ; de les réunir sous un même drapeau, un même combat.
C’est également un travail de mémoire journalistique fait par Christophe Ayad. En effet, c’est le
surnom qui a été donné à cette jeune génération désenchantée lors des émeutes à caractère
social qui ont secoué le bassin minier de Gafsa en 2008.
Explosé en manifestations violentes : langage de guerre qui met en avant le climat
hautement inflammable et explosif en Tunisie.
2.3.1.3. Le texte
Une nouvelle fois la Tunisie a été secouée : ce n’est pas la première fois que ça arrive.
Tout de suite, le journaliste annonce aux lecteurs que la Tunisie a déjà connu des contestations
similaires (cf. Gafsa). Remémorer les évènements de 2008 dans cet article quand on sait qu’à
cette époque la Tunisie avait déjà failli se réveiller peut laisser entendre que le journaliste sent,
dès le 21 décembre 2010 (date de publication de l’article), qu’il y a en ces nouvelles
revendications l’ADN de ce qu’a pu connaitre la Tunisie en 2008.
« Jacqueries » : ce mot n’est pas anodin. Il fait référence à un soulèvement paysan
survenu dans les campagnes françaises lors de la Guerre de Cent Ans. Ce soulèvement s’est
déroulé dans un contexte de grave crise politique, militaire et sociale. Ce mot employé dans cet
article revêt de manière implicite une dimension de fortes revendications. Une population est bel
et bien en train de se soulever contre une situation qu’elle ne peut plus supporter.
35
Symptôme d’un profond malaise social : le journaliste ne ferme pas les yeux et le dit.
Le mot « profond » donne une plus grande importance audit malaise. Les « jacqueries » en
seront-elles davantage plus fortes ?
Pays cité en exemple : cette phrase sous-entend que le peuple tunisien vit dans un
leurre, au sein d’une mascarade. Leur rébellion est d’autant plus légitime. Le journaliste, sans
s’impliquer, arrive tout de même à prendre position et à soutenir le mouvement de contestation
du peuple tunisien.
Bouazizi est un « diplômé chômeur », l’incarnation d’un gâchis : dès le premier
article de Libération, on élève déjà Mohamed Bouazizi comme symbole. Celui de l’incarnation d’un
gâchis. Le journaliste sent déjà un symbole potentiel aux troubles en cours. Je rappelle qu’au
moment de l’article, Bouazizi est hospitalisé mais pas encore mort. Il s’avèrera que ce dernier
sera plus que l’incarnation de ce gâchis tunisien, il deviendra le symbole de plusieurs révolutions :
celle des Printemps arabes.
Une analyse plus poussée et peut-être plus hasardeuse me laisserait entendre que
réemployer le mot « gâchis » dans le texte après l’avoir utilisé dans le titre peut donner un
nouveau titre à l’article. Remplaçons le mot « gâchis » du titre par la désormais incarnation de
Bouazizi et on obtient : « Après l’acte de Bouazizi, la Tunisie ose s’insurger ».
Toute une génération incitée à : forcée à, contrainte à… Cette phrase montre qu’une
génération entière n’a pas la possibilité de choisir.
36
Dans l’article, il y a deux intertitres :
Le premier, intitulé SIT-IN, sera suivi d’un texte informatif mettant en avant le côté
pacifique de la protestation face au caractère violent de la répression. Construire son texte sur
cette opposition permet au journaliste, sans le dire, de prendre position pour la cause du peuple
tunisien. Cela en mettant tout simplement en opposition le terme « pacifique » et l’idée de la
violence qui redouble.
Il prend d’autant plus position de manière implicite en utilisant un champ lexical guerrier
pour parler de la réponse des autorités : brutalement, gaz lacrymogènes, matraques,
affrontements, violence, cordon policier, agents en civils, quadrillaient la ville. Cela
permettra également au lecteur d’interpréter à sa manière les finalités de cette contestation.
Cette partie de l’article permet de prendre le pouls de la situation. Elle permet aussi au
lecteur du journal de se rendre compte que la violence va crescendo. Tout en rédigeant un texte
purement informatif, le journaliste laisse donc entendre que la contestation ne s’arrêtera peut-
être pas là.
37
Christophe Ayad, le journaliste, se permet même de dénoncer la censure et le mutisme
d’une certaine presse qui ne relate pas les évènements : comme à son habitude, la presse
officielle n’a pas relaté ces incidents.
Dans la foulée, il relatera même les dérives des autorités envers les journalistes qui se font
tabasser et emprisonner pour le simple fait d’avoir voulu exercer leur métier. Cette répression
envers ses confrères tunisiens est mise en parallèle avec des évènements similaires s’étant
déroulés à Gafsa en 2008. Le fantôme de Gafsa apparaît donc bien en filigrane au sein de cet
article.
Le deuxième intertitre, SERVICE MILITAIRE, servira également à faire des parallèles
avec des évènements similaires ayant déjà eu lieu. C’est déjà arrivé mais cette fois-ci iront-ils
jusqu’au bout de leurs revendications ?
En faisant sans cesse référence à des évènements antérieurs tout au long de l’article, le
journaliste fait planer un sentiment de mise en alerte. Comme si des leçons n’avaient pas été
tirées du passé par le pouvoir tunisien.
38
Ce sentiment de mise en alerte est confirmé et ponctue la fin de l’article au travers des
cinq dernières lignes de celui-ci. Il ne s’agira plus seulement d’informer le lecteur mais de
l’alarmer et de le conscientiser sur ce qui est en train de se jouer en Tunisie. On peut y déceler
une sorte d’anticipation sur la force du mouvement contestataire qui ne cessera plus de grandir :
Désormais, le pouvoir tunisien, qui a laminé les structures syndicales et les partis
d’opposition, ne peut compter sur personne pour canaliser cette rage sociale.
Ces dernières lignes sont également le point d’orgue d’un ton de plus en plus rude tout au
long de l’article. En témoignent, par ordre d’apparition dans le texte, ces trois expressions :
- Émeute sociale +
- Profond malaise social ++
- Rage sociale +++
Comme je viens de tenter de le démontrer, même si le texte est purement informatif, de
nombreux éléments syntaxiques et lexicaux portent en eux d’autres informations permettant au
journaliste de faire émerger, de temps à autre, une part de subjectivité. Celle-ci permet une
vision bien plus large et réfléchie sur la situation qu’un traitement strictement narratif et
informatif de l’information.
39
2.3.1.4. Repères
Libération a l’habitude de donner à ses lecteurs des informations supplémentaires en
habillant le contour des articles par des sortes d’encarts nommés « Repères ». Ils permettent au
lecteur de mieux approcher le sujet traité en donnant des informations factuelles.
Cependant, si nous allons un peu plus loin dans l’analyse, on se rend compte que
l’infographie peut revêtir implicitement des informations que le journaliste veut mettre davantage
en avant. C’est le cas pour l’article soumis à mon analyse. Mis à part le titre, dans l’ensemble de
la page, la police de caractère va être augmentée une seule fois de manière considérable et
également mise en gras : ce sera dans la partie « Repères ». Dans cet article, on peut y voir une
carte décrivant la situation géographique du lieu de la contestation ainsi qu’une carte d’identité
sommaire de la Tunisie. Cependant, l’attention du lecteur est directement attirée par le chiffre
« 15,7 ». Christophe Ayad l’a bien compris : c’est ce chiffre qui fâche les Tunisiens et qui fait
gronder la rue. C’est également pour ce chiffre que Mohamed Bouazizi s’est désespérément
immolé. Le mettre de cette manière en avant tente à prouver que l’article a su pointer
immédiatement du doigt l’étincelle qui amènera le peuple aux portes du palais présidentiel le 14
janvier 2011. Le chiffre avancé est donc explicitement informatif mais infographiquement et donc
implicitement dénonciateur.
40
2.3.1.5. La photo
Légende : A Tunis en 2009, le portrait de l’omniprésent Président Ben Ali.
La photo occupe à elle seule quasiment la moitié de la page dédiée à l’article. De par sa
grandeur, elle est donc aussi importante que le texte. La photo est de type portrait, c'est-à-dire
présentée de manière verticale.
En arrière-plan, on peut y voir la photo du Président Ben Ali prise au buste. Certes en
arrière-plan mais, quand on regarde la photo, une impression de domination se dégage de celle-
ci. Cette impression est due à la place qu’elle occupe dans le cliché. Le portrait de Ben Ali occupe
la moitié de la photo mais également tout le haut de cette dernière. Il est donc placé en hauteur.
De plus, ce sentiment de domination est renforcé par la perspective de la photo. De par sa
position haute, on a l’impression qu’il écrase tout l’avant plan de celle-ci. D’ailleurs, sur l’avant
plan de la photo, on aperçoit trois femmes en train de marcher. Ces dernières n’adressent aucun
regard vers le portrait de leur Président. Elles semblent presque résignées. D’ailleurs, l’une d’entre
elles (la deuxième en partant de la gauche) regarde vers le sol. Cette attitude amplifie le
sentiment dominant/dominé qui se dégage de cette photo.
En ce qui concerne la légende (A Tunis en 2009, le portrait de l’omniprésent
Président Ben Ali), elle décrit la photo mais pas seulement. Si on la relit attentivement, on se
rend compte que celle-ci aurait pu être purement descriptive sans laisser de sentiment de
subjectivité ou de sous-entendu avec le mot « omniprésent ». Dans ce cas-ci, le fait de la faire
figurer renforce à nouveau le sentiment de dominance du Président. Ne pouvons-nous pas lire
« omnipotent » à la place de « omniprésent » ?
41
2.3.2. « L’agitation sociale persiste à Sidi Bouzid44 »
Trois jours après le premier article relatant les troubles en Tunisie suite à l’immolation de
Mohamed Bouazizi, Libération en parle à nouveau la même semaine dans son édition du week-
end.
Cette fois-ci, le journal n’accordera pas une page pleine pour relater les faits. Le lecteur
aura droit à une brève située en 9ème page du journal dans la rubrique « Monde ».
L’article chapeaute la page de la rubrique « Mondexpresso » qui se situe elle-même dans le
cahier dédié aux informations internationales. La rubrique « Mondexpresso » revient, de manière
rapide et condensée, sur cette actualité internationale. Comme je l’ai dit précédemment, l’édition
du week-end est une séance de rattrapage pour les lecteurs absents du journal en semaine. Les
infos doivent donc être brèves et aller à l’essentiel en quelques lignes.
Sachant cela, il est difficile de dire si un tel traitement journalistique traduit, à ce moment-
là et dans cette édition du journal, un caractère expéditif de l’actualité tunisienne.
44 A., C. « L’agitation sociale persiste à Sidi Bouzid ». In : Libération, Paris, 24-26 décembre 2010, p.9.
42
Cette brève servira de piqûre de rappel pour le lecteur pressé en semaine et voulant
rattraper une semaine d’actualité grâce à son édition du week-end. Elle est introduite par le titre
« Retour sur les troubles dans le centre de la Tunisie ».
D’un point de vue du contenu, le titre de la brève insiste sur le caractère continu de la
protestation en recourant au verbe « persister ». Ce dernier traduit une action qui continue sans
jamais désamplifier.
La brève est divisée en trois colonnes. La première relate brièvement ce qui s’est déjà
passé le mercredi 17 décembre concernant l’immolation de Mohamed Bouazizi.
43
Il y a tout de même deux expressions qui retiennent l’attention.
La première est « diplômé chômeur » qui est à nouveau utilisée. On sent que le journal
a bel et bien compris que c’est de là qu’est partie cette « agitation » et que ce sont ces « diplômés
chômeurs » qui émergent de ces contestations en étant les moteurs de cette dernière.
Le prochain point ayant retenu mon attention se trouve dans cette phrase : Depuis, la
ville est agitée par des émeutes sévèrement réprimées par la police. C’est cette phrase qui conclut
la première partie de la brève qui s’affaire à récapituler les évènements du 17 décembre 2010.
Le mot « depuis » est important car il cache un autre mot. Tout d’abord, il est utilisé afin
de bien mettre en avant qu’un point de départ à une éventuelle propagation a été identifié.
Ensuite que ce dernier est définitivement reconnu en tant que tel. Donc, le « depuis » qui apparaît
dans le journal dès le vendredi 24 décembre 2010 prouve qu’il n’y a plus aucun doute dans la tête
des journalistes de la rédaction de Libération : l’immolation est l’épicentre du séisme pour l’instant
tunisien. L’avenir nous apprendra qu’il était encore plus que cela. Identifier un point d’origine à
une revendication, permet-il de prédire son point final ?
Ensuite, le mot « depuis » est, selon moi, un mot déguisé. J’entends par là qu’on peut le
remplacer. L’objectivité du journaliste ne permet pas de l’inscrire tel quel mais si on se penche sur
ce mot, on se rend compte qu’on pourrait le remplacer par deux autres expressions. L’une d’entre
elles sera remplacée par les lecteurs soutenant la cause tunisienne et l’autre par les plus réticents
aux revendications du peuple tunisien. Soit par « grâce à cela » ou soit par « à cause de cela ».
Tout en gardant son objectivité et en respectant les règles de l’exercice journalistique basique et
purement factuel qu’est la brève, le journaliste permet au lecteur de pousser son analyse et
pourquoi pas de prendre un parti pris.
44
Arrive ensuite la deuxième partie de la brève. Celle-ci se contentera de donner
au lecteur un suivi de l’évolution des protestations en Tunisie. Elles seront mises en avant par la
mort d’une nouvelle personne décédée le 22 décembre 2010 suite à une électrocution. Ce qui est
étonnant dans cette partie de la brève, c’est que le journal associe cette mort à celle de Mohamed
Bouazizi alors que le recoupage des sources ne le permet pas encore à ce moment-là. En illustre
cette phrase présente dans la brève : « sans que la raison de cet acte soit précisée ». La
volonté farouche de vouloir faire, à ce moment précis, un parallèle avec l’acte de Mohamed
Bouazizi est d’autant plus flagrant que, dès le début de la deuxième partie de la brève, la
prudence journalistique est de mise. Pourquoi ? Le recours au conditionnel : « un jeune homme
de 24 ans, qui se nommerait Houcine Neji, aurait donc escaladé un pylône électrique ».
Donc malgré les informations à prendre avec des pincettes, le journal a tout de même la volonté
d’établir le parallèle entre cette deuxième mort et l’acte de Bouazizi. La presse est encore et
toujours à la recherche de symboles pour incarner l’insurrection du peuple tunisien.
La troisième partie de la brève va être d’abord consacrée au bref témoignage d’un
syndicaliste local qui rapporte que Houcine Neji aurait crié qu’il ne voulait « plus de misère, plus
de chômage ». Il y a de nouveau un recours au conditionnel ainsi qu’une volonté de justifier le
parallèle précédemment effectué en le rapportant par les paroles probablement prononcées par
Houcine Neji.
45
Dans la dernière partie de la brève, la parole est donnée aux autorités tunisiennes
« silencieuses pendant plusieurs jours » qui « ont fini par qualifier ». « Silencieuses » car
conscientes de leur tort ? Voici un nouveau sous-entendu dans ce que je rappelle être
normalement un exercice journalistique purement factuel devant répondre à ces cinq questions :
où, quand, comment, qui, quoi.
De plus, le fait d’employer l’expression « ont fini par » met en avant une sorte de
contrainte. Les autorités tunisiennes n’avaient plus le choix : elles ne pouvaient plus être sourdes,
aveugles et muettes face à ce qui est en train de se passer en Tunisie. Sous peine d’une
amplification des revendications et d’un haussement de ton venant de la rue ?
Le journaliste de Libération rapporte les propos des autorités en ayant recours à des
guillemets. Premièrement car il s’agit d’une règle journalistique mais c’est surtout pour se
distancer des propos tenus. Les guillemets marqueront donc ici le désaccord implicite du
journaliste par rapport aux propos tenus. Il montre bien qu’il ne s’agit pas de ses propos. Entre
ces guillemets figureront les qualificatifs utilisés par les autorités tunisiennes pour décrire, de leur
point de vue, les émeutes : « incident isolé » et « ’’exploitation malsaine’’ par
l’opposition ». Les autorités pensent cela, peut-être pas le journaliste.
En conclusion, cette brève d’apparence banale et signée des initiales de Christophe Ayad
l’est en réalité moins que ce qu’elle ne parait. Plus qu’une piqûre de rappel, elle ose des parallèles
mettant tout d’abord en exergue que le mouvement peut potentiellement prendre de l’ampleur.
Ensuite, ce dernier est en train de se propager dans les villes voisines et comme seules réponses,
pour l’instant, à ces contestations ce sont des « violentes répressions » du régime ainsi que des
longs « silences » avant de prendre la parole.
Au moment où est rédigé l’article, il n’est pas encore question d’imaginer que le journal est
en train d’anticiper la révolution. Il semble tout de même se rendre compte d’un certain potentiel
de mécontentement plus ample de la population et d’une certaine difficulté de la part du régime à
rester crédible face à l’insurrection en cours.
46
2.3.3. Brève parue le 27 décembre 201045
45 DESPIC-POPOVIC, Hélène. « Tunisie ». In : Libération, Paris, le 27 décembre 2010, p.10.
47
Cette brève est la dernière figurant dans le journal Libération. En tout cas, la dernière qui
se trouve dans la période que j’ai choisi d’analyser, c'est-à-dire entre le 17/12/2010 et le
27/12/2010. C’est de nouveau bien maigre. Rien à se mettre sous la dent si ce n’est une micro-
brève. Huit petites lignes se contentant de relater les incidents qui ont eu lieu dans la nuit du 25
au 26 décembre 2010 à Sidi Bouzid, ville de Mohamed Bouazizi. Libé a vu ce fait d’actualité
comme des simples affrontements de plus. La brève est à nouveau publiée dans la rubrique
« Mondexpresso » en page 10 du journal. Elle est perdue au milieu de deux autres brèves traitant
de l’actualité en Ukraine et au Mexique. Il n’y a pas matière à analyser quoi que ce soit dans cette
brève de huit lignes.
2.3.4. Conclusion des analyses d’articles parus dans Libération
A la question : le journal Libération, durant les dix jours qui suivirent l’immolation de
Mohamed Bouazizi, a-t-il anticipé la Révolution du Jasmin ? La réponse qui émerge, si on se fie à
un point de vue strictement quantitatif, est non ! En effet, on ne peut pas dire que la production
d’articles sur cette période de dix jours ait été suffisamment abondante pour anticiper une
révolution à venir.
Cependant, d’un point de vue qualitatif, j’entends par là l’analyse de fond des articles, on
peut tout de même se poser la question. Comme je l’ai fait précédemment dans mon introduction
de TFE, il faut bien dissocier la notion de « révolte » et de « révolution »46. Ces deux termes, nous
le savons maintenant, sont différents.
46 Cf. supra, chapitre 1.2.1. (De la révolte à la révolution), p. 24-25.
48
J’aurai donc tendance à dire, notamment au travers de l’article de Christophe Ayad,
précédemment analysé et publié le 21 décembre 201047, qu’à défaut d’avoir pressenti une chute
du régime, il a tout de même pu sentir un énorme potentiel de révoltes à venir. Je rappelle
brièvement que dans son titre figurait déjà le verbe « s’insurger ». Je rappelle également que cet
article fut le premier à traiter l’information tunisienne dans le journal Libération suite à l’acte
désespéré de Mohamed Bouazizi.
47 Cf. Supra, chapitre 2.3.1 (« Face au gâchis social, la Tunisie ose s’insurger »), p. 32.
49
2.4. Analyse d’un article du journal Le Monde
2.4.1. « En Tunisie, des manifestations dégénèrent en affrontements
avec la police48 »
En Tunisie, des manifestations dégénèrent en affrontements avec la police
Article paru dans l'édition du 28.12.10
Un jeune a été tué par balles alors qu'il défilait, aux côtés de milliers d'autres personnes dans plusieurs villes du
pays, pour réclamer le droit au travail.
En proie à des troubles sociaux depuis huit jours, qui ont donné lieu à de violents heurts entre manifestants et policiers, et
provoqué la mort d'un jeune tué par balles, la Tunisie a connu de nouveaux affrontements dans la nuit du 25 au 26 décembre.
Des centaines de Tunisiens se sont rassemblés dans la ville de Souk Jedid (19 000 habitants), tout près de Sidi Bouzid, au centre-
ouest du pays, et ont mis le feu à la sous-préfecture tandis que la garde nationale a tenté de disperser la foule avec des tirs de
sommation.
Un peu plus loin, à Regueb, environ 2 000 manifestants se sont heurtés violemment à la police pendant plus de six heures, selon un
syndicaliste cité par l'AFP. Des jeunes réclamant le droit au travail ont mis le feu à une banque ainsi qu'à un tribunal, et ont détruit
un café appartenant à un membre du parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD).
Samedi, à l'appel de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), la centrale syndicale unique, une marche pacifique a
rassemblé plusieurs centaines de personnes à Tunis. A Paris, dimanche, un comité de soutien a organisé un rassemblement devant
le consulat général de Tunisie.
Ces troubles trouvent leur origine dans la tentative de suicide d'un jeune diplômé chômeur, vendeur ambulant de fruits et de
légumes, à Sidi Bouzid, première ville agricole. Le 17 décembre, Mohamed Bouazizi, 26 ans, a tenté de s'immoler en s'aspergeant
d'essence devant la préfecture après s'être fait confisquer sa marchandise par la police municipale parce qu'il n'avait pas les
autorisations nécessaires. Son état est toujours jugé grave.
Dès le lendemain, une manifestation de solidarité a eu lieu dans la ville. Le mouvement s'est étendu les jours suivants à Sfax,
Sousse, Meknassy, Kerouan, Bizerte. Les affrontements les plus violents se sont produits mercredi 22 décembre dans la ville de
Menzel Bouzaïene, à environ 60 kilomètres de Sidi Bouzid, où les manifestants avaient dressé des barricades et mis le feu à un
train de marchandises, à un local du RCD, ainsi qu'à trois véhicules de la garde nationale.
Cocktails Molotov
Un jeune diplômé, Mohamed Ammari, a été tué par balles, lorsque les policiers ont tiré sur la foule. Plusieurs manifestants ont été
blessés. Le ministère de l'intérieur a reconnu « un mort et deux blessés parmi les assaillants », deux jours plus tard, le 24
décembre. Il a justifié le fait que la garde nationale avait dû « recourir aux armes dans le cadre de la légitime défense » en raison
de jets de cocktails Molotov.
A Sidi Bouzid, où un autre jeune chômeur de 24 ans, Houcine Néji, a trouvé la mort le 22 décembre en escaladant un pylône
électrique - un suicide, selon des syndicalistes sur place -, les tensions persistent malgré le déplacement du ministre du
développement et de la coopération internationale, Mohamed Nouri Jouini. Le ministre a annoncé des mesures pour la création
d'emplois et le lancement de projets pour un montant de 15 millions de dinars (environ 7,85 millions d'euros).
Le secrétaire général du parti au pouvoir, Mohamed Ghariani, a fait également le déplacement à Sidi Bouzid, vendredi, pour
vanter, lors d'un meeting, la politique du gouvernement. Sur place, un important dispositif policier a été déployé et reste, depuis,
présent.
A la différence des graves troubles sociaux survenus dans le bassin minier de Gafsa en 2008, des représentants de l'UGTT
accompagnent cette fois un mouvement que beaucoup décrivent comme spontané. Le chômage des jeunes diplômés, un
phénomène qui concerne tout le Maghreb, est un fléau particulièrement dévastateur en Tunisie.
Isabelle Mandraud
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MANDRAUD, Isabelle. « En Tunisie, des manifestations dégénèrent en affrontements avec la police ». In : Le Monde, Paris, 27 décembre 2012.
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Le premier et unique article entrant dans ma première période d’analyse n’apparaît
seulement que le 27 décembre 2010, soit dix jours après l’immolation du jeune Mohamed
Bouazizi. On peut presque parler de mutisme médiatique tant la parution du premier article fut
tardive.
Fidèle à lui-même, le journal Le Monde, se situant au milieu de l’échiquier de la presse
d’opinions en France, se veut totalement informatif et explicitement objectif. En effet, il est
difficile de déceler au sein de cet article une part de subjectivité ou d’anticipation sur les
évènements tant la journaliste, Isabelle Mandraud, se cantonne à un récit strictement informatif.
Contrairement au journaliste de Libération qui, grâce à sa syntaxe ou à l’emploi récurrent
d’un certain type de vocabulaire, faisait apparaître un zeste de parti pris ou en tout cas un point
de vue un peu plus personnel, dans cet article du Monde, il n’en est rien. Une des opinions que
j’aimerai apporter est la suivante : vu la date de publication assez tardive de l’article, la
préoccupation principale n’était peut-être pas à l’analyse ou encore à la prise de recul. Il s’agissait
en priorité de combler un retard au point de vue de l’information à fournir aux lecteurs. Imaginez
le lecteur qui n’a ni télévision, ni radio et qui, tous les matins, se rend dans son kiosque pour
acheter son journal Le Monde. Voici dix jours que ce dernier s’avère en fait être un peu
déconnecté de l’actualité tunisienne et de l’enjeu majeur qui est en train de se jouer dans ce pays,
c'est-à-dire un peuple qui est en train d’aspirer à la démocratie.
De plus, vu la tournure des évènements à compter de cette date précise (la contestation
est en train de gagner pour la première fois la capitale Tunis et s’écarte donc de la zone fort locale
et centrale qui la caractérisait jusqu’à présent d’un point de vue géographique), il est plus que
temps pour le journal de faire une sérieuse remise à niveau pour son lectorat. Ce n’est donc
uniquement qu’à cela que servira cet article.
Assez étonnement, l’article choisit comme point de départ les affrontements dans la
nuit du 25 au 26 décembre pour entamer sa séquence (tardive) sur les contestations
tunisiennes.
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En effet, l’article, coupé en dix paragraphes, consacre ses quatre premiers paragraphes
à décrire les heurts survenus pendant la nuit. Ce développement de l’article donne presque
l’impression que l’embrasement du pays prendrait source cette nuit-là. Cette impression est
également justifiée par le fait que c’est de ce point de départ que semble partir la propagation des
revendications tunisiennes face au pouvoir central.
Ce n’est qu’à partir du cinquième paragraphe que l’immolation de Mohamed Bouazizi est
enfin évoquée et annoncée comme épicentre du mouvement social en marche. C’est à partir de ce
paragraphe que le travail concernant le retard à combler pour le lecteur va être amorcé.
Dans le sixième paragraphe, on parle des affrontements violents entre les manifestants
et la police ayant eu lieu le 22 décembre 2010 et de la propagation de la contestation dans les
alentours de la ville de Sidi Bouzid.
Dans le septième paragraphe, on fait état des policiers qui ont ouvert le feu sur la foule
le 22 décembre 2010 et des déclarations des autorités le 24 décembre 2010.
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Jusqu’à cette partie du texte, le récit est purement informatif. A partir du 8ème et 9ème
paragraphe, la journaliste, après avoir donné un bref condensé des dix jours d’insurrection,
commence tout doucement à quitter le traitement strictement informatif pour, dans un premier
temps, donner la parole à des acteurs de terrain. Notamment à un syndicaliste qui affirme que la
mort de Houcine Neji n’était pas un accident mais un suicide. Dans ces paragraphes, la journaliste
précise que « les tensions persistent malgré » le déplacement de membres du gouvernement
sur place.
La conclusion de l’article s’éloignera timidement du ton informatif en faisant, tout comme
Christophe Ayad pour Libération, un parallèle avec Gafsa en 2008. Ici, Isabelle Mandraud précise
même que, par rapport à l’année 2008, cette fois-ci le syndicat (UGTT) appuie le mouvement
contestataire. Quand on analyse ce qui s’est passé en 2008, on sait que si la révolution n’a pas
été possible à ce moment-là, c’est notamment à cause de la réticence dont ont fait preuve
certains membres de l’UGTT d’accompagner le mouvement populaire. Donc le fait de préciser ce
soutien dans l’article laisse entendre qu’un seuil pourra probablement être franchi cette fois-ci en
2010.
Pour la première fois également, un journaliste parle du chômage comme un « fléau » et
elle étend ce problème non plus seulement à la Tunisie mais à « un phénomène qui concerne
tout le Maghreb ». La journaliste, en écrivant cette phrase, fait exploser les frontières de la
revendication tunisienne. Elle laisse entendre que ce « fléau » peut éventuellement chatouiller les
idées révolutionnaires de certains pays voisins de la Tunisie situés dans le Maghreb. Quand on
connait ce qui s’est ensuite passé grâce à la révolution tunisienne, on peut analyser cette dernière
phrase comme la prédiction d’une éventuelle propagation au-delà des frontières tunisiennes.
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2.4.2. Conclusion de l’analyse de l’article paru dans Le Monde
Tout comme pour Libération, l’analyse quantitative des articles parlant de la Tunisie est
très faible. Trois articles pour le journal Libération, un seul pour Le Monde. Pour ce journal, il est
difficile de dire si, durant cette période de dix jours après l’immolation, les journalistes de la
rédaction ont pu prédire la révolution. D’une part, à cause du nombre de publications et d’autre
part, par le traitement intégralement informatif des faits.
Cependant, la toute fin de l’article ouvre des portes quant aux futurs articles qui viendront
à paraître dans le journal.
2.5. Analyse d’articles du journal Le Figaro
Toute une partie de mon travail en amont afin de pouvoir amener ce dernier à terme fut la
collecte des articles nécessaires pour mon analyse. Pour ce faire, j’ai dû entrer en contact avec les
différentes rédactions afin d’obtenir les articles écrits durant la période soumise à mon analyse. Il
s’est avéré que j’ai trouvé porte close quand je me suis adressé à la rédaction du Figaro. Ce n’est
pourtant pas faute d’avoir essayé. J’ai multiplié les courriels avec le service d’archives et celui des
abonnements du journal mais en vain. N’étant pas rancunier, j’ai tout de même tenté de me les
procurer via leur moteur de recherche49.
Après avoir affiné ma recherche avec les mots clés Tunisie, Bouazizi, contestation,
manifestation, violence et émeute dans la période allant du 17 au 27 décembre 2010, trois articles
m’ont été proposés. En général, quand une actualité prend de l’ampleur avec le temps, les articles
qui ont été publiés dans le journal papier sont à posteriori mis en ligne sur le site internet du
journal. Ce fut le cas pour les articles du journal Libération et Le Monde.
49 Le Figaro
http://recherche.lefigaro.fr/recherche/recherche.php?ecrivez=&go=Rechercher&charset=iso
(consulté le 25/03/2013).
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J’ai donc bien eu trois résultats à cette recherche. Cependant, les articles qui sont ressortis
de la recherche ne pouvaient être soumis à mon analyse. Pourquoi ? Tout simplement parce que
ces derniers étaient signés par l’AFP (Agence France Presse). Ce qui signifie qu’aucun journaliste
de la rédaction du Figaro, dans cette période, n’a été amené à écrire un article concernant la
Tunisie. Le journal s’est donc contenté de relayer des dépêches pré-écrites par l’AFP sur son site
internet.
Mon analyse se concentrant sur le traitement de l’information et du développement des
contestations suite à l’immolation de Mohamed Bouazizi et plus précisément sur la capacité
journalistique à anticiper la révolution m’interdisait de soumettre ces trois dépêches à mon
analyse.
Analyser un article au sein d’un journal c’est avant tout analyser le traitement de l’actualité
soumise à deux filtres. Le premier est celui de la ligne éditoriale. Cette dernière est une marque
de fabrique dans le paysage de la presse quotidienne française. La différence des lignes éditoriales
pour les différents quotidiens français est une richesse et surtout un paramètre à prendre en
compte quand on lit un article issu de cette presse. Donc, appliquer une analyse à une dépêche de
l’AFP aurait été une faute grave dans mon travail. J’ai su éviter ce piège.
Le deuxième filtre est celui de l’appartenance du journaliste à une famille médiatique.
Cette appartenance jouera incontestablement sur sa vision du monde et sur l’angle à prendre pour
un article ou un sujet. Ne pas prendre ce paramètre en compte peut également fausser l’analyse.
Un journaliste de l’AFP n’est pas un journaliste du Figaro. Il n’évolue pas dans un cadre fixé par
une ligne éditoriale préalablement établie et connue. Ce deuxième filtre interdisait également
l’analyse de ces trois articles dans cette partie dédiée au journal Le Figaro.
2.6. Conclusion générale
Avant de mettre en doute la capacité du journaliste à pouvoir anticiper la révolution à
venir, il me semble important de se rendre compte des évènements qui ont eu lieu lors de cette
période de dix jours. C’est à travers une ligne du temps retraçant les évènements, que je tenterai
de me rendre compte des outils informationnels que détenaient les journalistes afin de pouvoir
éventuellement anticiper la chute du régime du Président Ben Ali. Entendez par « outils
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informationnels », la succession des évènements survenus entre le 17 et le 27 décembre 2010.
Mettons donc un instant de côté les expériences insurrectionnelles de 2008 survenues à Gafsa et
concentrons-nous uniquement sur cette période de dix jours. (N.B. : Christophe Ayad, en
spécialiste du continent africain, avait d’entrée de jeu fait un travail de mémoire en tissant des
liens entre l’actualité qui était en train de se dérouler en 2010 et celle du bassin minier de Gafsa
en 2008).
Voici donc la ligne du temps des évènements qui se sont déroulés lors de la période
soumise à mon analyse :
17/12/10
•Mohamed Bouazizi, un marchand de fruits et légumes, s'immole par le feu pour dénoncer la confiscation de sa marchandise par la police.
18/12/10
•Des habitants de Sidi Bouzid dénoncent le chômage et la vie chère en réaction au drame de la veille. Les affrontements entre les habitans et les forces de l'ordre sont violents. Des dizaines de personnes sont arrêtées.
19/12/10
•Les affrontements entre la police et les manifestants continuent. De nouvelles personnes sont arrêtées.
20/12/10
•Alors que les manifestations contre la vie chère se poursuivent à Sidi Bouzid, la ville de Meknassi connait une manifestation de soutien et de protestation.
22/12/10
•Houcine Neji, 24 ans, se suicide en touchant des fils à haute tension. Sans emploi, il voulait protester contre "la vie chère et le chômage".
24/12/10
•A Menzel Bouzayane, une manifestation contre la situation sociale rassemble plus de 2000 personnes. Un jeune de 18 ans est tué par balle lors d'affrontements avec la police pendant la nuit de Noël.
26/12/10
•Des centaines de Tunisiens participent à une manifestation à Souk Jedid (à 15 km de Sidi Bouzid). Ils mettent le feu à la sous-préfecture avant d'être dispersés par les autorités. D'autres affrontements ont opposé des manifestants à la police dans la ville de Regueb faisant des blessés par balles.
27/12/10
•Des centaines de manifestants défilent à Tunis pour soutenir la protestation venant de Sidi Bouzid. Les manifestants sont dispersés à coups de matraque. D'autres manifestations éclatent à travers tout le pays. Des avocats de Sidi Bouzid sont debout devant le palais de justice pour exprimer leur soutien aux habitants de la région.
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Carte rendant compte de la propagation de la contestation entre le 17 et le 27 décembre 2010.
(Carte : Le Monde.fr)
Ayant maintenant sous les yeux cette ligne du temps ainsi qu’une carte nous permettant
de prendre conscience de l’extension géographique des contestations, on peut plus facilement se
rendre compte que, mis à part l’immolation de Bouazizi le 17 décembre 2010 et les quelques
affrontements entre les manifestants et la police, la grogne est restée géographiquement très
concentrée dans le centre du pays et fort proche de la ville de Sidi Bouzid. La contestation est
donc restée relativement locale. Ce n’est que le 27 décembre (dernier jour de ma période
d’analyse) que la contestation gagne pour la première fois la capitale et que la propagation et le
soutien semblent prendre place au niveau national.
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3. Analyse d’articles en ligne
3.1. Introduction aux articles
Vu la tournure des évènements à partir du 27 décembre 2010, j’ai jugé intéressant de faire
une deuxième ligne du temps qui irait jusqu’à la chute du régime.
Je mettrai ensuite en parallèle, à certains évènements importants de cette deuxième ligne
du temps, des articles qui seront parus en même temps. De cette manière, je pourrai constater
l’accompagnement médiatique des faits.
J’ai voulu tenter cette analyse car il me restait en bouche un goût amer suite à ma faible
quantité d’articles à analyser au cours de la première période.
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28/12/10
•Ben Ali dénonce une instrumentalisation tandis que le syndicat des journalistes tunisiens préfère parler de "blocage médiatique". Le secrétaire général de la municipalité de Sidi Bouzid est suspendu de ses fonctions.
29/12/10
•Le gouvernement est partiellement remanié : le ministre de la jeunesse et des sports est remplacé et prend la charge du ministère des communications. Le Parti démocratique progressiste avait appelé le ministre de l'intérieur et de la communication à démissionner les jugeant responsables de la dégradation suite aux troubles sociaux.
30/12/10
•Le gouverneur de Sidi Bouzid est à son tour limogé. L'opposition appelle à des réformes.
31/12/10
•Des avocats exprimant leur soutien à la population de Sidi Bouzid en portant un brassard distinctif sont malmenés par la police dans différentes villes. Les journalistes font état d'entrave à leur profession.
01/01/11
•Lors d'une allocution télévisée, le Président Ben Ali assure que la prise en charge des catégories vulnérables sera améliorée. A Menzel Bouzayane, un Tunisien blessé par balles une semaine auparavant est mort huit jours après son hospitalisation des suites de ses blessures.
04/01/11
•Mohamed Bouazizi qui s'était immolé par le feu le 17 décembre 2010 décède au service des grands brûlés de l'hopital de Ben Arous. Une manifestation est organisée à Thala et est suivie par des lycéens, des étudiants, des enseignants ainsi que des chômeurs.
05/01/2011
•Mohamed Bouazizi est inhumé. Une foule de 5000 personnes marche derrière son cercueil jusqu'au cimetière de Sidi Bouzid tout en criant vengeance. De nombreux sites internet gouvernementaux font l'objet de cyberattaques.
06/01/2011
•A Sidi Bouzid, les lycées et les collèges sont en grève pendant que des manifestations assez violentes sont dispersées par la police. Plusieurs avocats, sur les 8000 que comptent la Tunisie, se mettent en grève pour "défendre la liberté d'expression" et "le droit des habitants à l'emploi et à la dignité". Certains cyberpirates sont arrêtés.
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07/01/11
•A Regueb, quatre personnes sont blessées par balle suite à des heurts entre manifestants et forces de l'ordre.
08/01/11
•Des heurts se produisent à Makthar entre manifestants et forces de l'ordre. Les dégats sont très lourds. L'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) proclame son soutien aux revendications des populations de Sidi Bouzid.
09/01/11
•A Thala, Kesserine et Regueb, 14 civils sont tués dans des affrontements avec les forces de police. Le gouvernement évoque un mouvement social légitime mais accuse les médias "d'exagérer" ou de "déformer les faits".
10/01/11
•Alors que le gouvernement s'est engagé à créer 300 000 emplois, les manifestations continuent. Des marches funèbres en faveur des victimes dégénèrent en affrontements contre la police dans tout le pays. Toutes les écoles et universités tunisiennes sont fermées.
11/01/11
•Les violences gagnent la capitale. Des centaines de jeunes se heurtent à la police. L'opposition dénombre 50 morts lors de ces affrontements.
12/01/11
•Entre 3 et 5 civils sont tués par des tirs de police, dont un Franco-Tunisien enseignant en France. D'autres sont grièvement blessés. Le ministre de l'intérieur tunisien est limogé. Un couvre-feu est instauré à Tunis mais des affrontements vont tout de même faire huit morts.
13/01/11
•De nouveaux affrontements ont eu lieu dans le centre de Tunis. Ben Ali promet de ne pas briguer de sixième mandat en 2014 et d'instituer d'importantes réformes. 66 personnes sont encore tuées dans la nuit.
14/01/11
•Plus de 5000 personnes se réunissent à Tunis devant le ministère de l'intérieur. Des affrontements ont également lieu à Sfax, Sousse ainsi que dans d'autres grandes villes du pays. Ben Ali limoge son gouvernement dans une ultime tentative d'apaisement. Il appelle à des élections législatives dans six mois mais en vain. Le régime vacille. Le Président fuit le pays en fin de journée et laisse l'intérim à son premier ministre en attendant des élections anticipées.
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Carte rendant compte de la propagation de la contestation entre le
28 décembre 2010 et le 14 janvier 2011.
(Carte : Le Monde.fr)
Comme nous pouvons le constater au travers de cette deuxième ligne du temps, les
évènements se sont enchaînés très vite. Il me semblait donc plus logique de concentrer mes
prochaines analyses sur un média plus rapide. Un média qui permet de réagir en temps réel à la
succession de plus en plus rapide des évènements qui étaient en train de se dérouler en Tunisie.
J’ai donc orienté mes prochaines analyses sur les articles publiés sur les sites internet des
quotidiens qui ont fait l’objet de mon analyse concernant le journal papier, c'est-à-dire Libération,
Le Monde et Le Figaro.
Je ne viserai pas l’exhaustivité dans cette partie de mon travail. Je tenterai simplement et
modestement de me rendre compte si, au fil de cette seconde ligne du temps, les titres de la
presse quotidienne française en ligne ont pu anticiper le 14 janvier 2011, jour de la chute du
régime de Ben Ali. Les articles ont été préalablement sélectionnés par rapport à l’importance des
faits qui se sont déroulés en Tunisie au cours de cette période.
L’exercice s’annonçait difficile puisque, sur un média comme internet, l’instantanéité de
l’information n’est plus un problème en soi. Elle en devient une arme. Mais ce caractère
ubiquitaire et instantané de la toile permettra-t-il aux journalistes un recul suffisant et une
analyse portée sur l’anticipation ?
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3.2. « Tunisie, la colère est dans la rue »50
MONDE
Tunisie, la colère est dans la rue 5 janvier 2011 à 00:00 (Mis à jour: 13:03)
Manifestation en soutien aux habitants de Sidi Bouzid à Tunis le 27 décembre 2010. (© AFP Fethi Belaid)
Par CHRISTOPHE AYAD
Que se passe-t-il en Tunisie ? Pas encore une révolution, mais plus qu’une révolte. Cela fait deux semaines et demie que le pays couve comme un volcan en phase de réveil. Le président Ben Ali, qui règne d’une main de fer depuis 1987, a cru y mettre fin par un discours télévisé de père (Fouettard) de famille, dans lequel il a expliqué comprendre les manifestants mais ne plus tolérer de troubles. Deux ministres et trois gouverneurs ont été débarqués pour l’exemple. Mais, rien n’y fait. La protestation se poursuit : avocats, enseignants, lycéens prennent le relais un peu partout, comme un feu de prairie qui s’éteint ici pour reprendre là. Hier, la police a violemment dispersé des centaines de lycéens à Tala, dans l’ouest du pays, rassemblés pour une marche de solidarité.
Tout a commencé le vendredi 17 décembre. Mohamed Bouazizi, un diplômé chômeur de 26 ans, tente de mettre fin à ses jours en s’aspergeant d’essence et en craquant une allumette sur la place principale de Sidi Bouzid (centre), juste devant la préfecture. Il entend protester contre la confiscation de sa marchandise par des agents municipaux et, plus généralement, contre une vie de misère : à quoi bon faire des études, si c’est pour vendre des légumes au marché. Le lendemain, des dizaines, puis des centaines de jeunes participent à un sit-in devant le siège du gouverneur. Lequel les fait chasser par la police à coups de gaz lacrymogènes et de matraques. La ville s’enflamme, rapidement imitée par d’autres bourgades de la région. La répression alimente les manifestations. Le 22 décembre, un autre jeune, Houcine Neji, se suicide sous les yeux de la foule, à Menzel Bouzaiane, en s’accrochant à une ligne haute tension : «Je ne veux plus de la misère et du chômage», crie-t-il à la foule. La bourgade entre en convulsions. Les manifestants incendient trois voitures de police, les bureaux du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir), un poste de la garde nationale et un train marchandises… Le 24, la police tire à balles réelles et tue un manifestant, Mohamed Ammari,
50 AYAD, Christophe. « Tunisie, la colère est dans la rue ». In Libération, Paris, 5 janvier 2011.
http://www.liberation.fr/monde/01012311728-tunisie-la-colere-est-dans-la-rue
(consulté le 27/04/2013).
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18 ans, touché en pleine poitrine. Légitime défense plaide la police. Un deuxième manifestant, Chawki Hidri, grièvement blessé, décède le 1erjanvier. Black-out. Puis, le mouvement prend une tournure nationale. Des chômeurs diplômés manifestent le samedi 25 et le dimanche 26 décembre, au centre de Tunis, sur la place Mohamed-Ali. Des rassemblements de solidarité essaiment dans le pays : Bizerte, Sfax, Kairouan, Meknessi, Regueb, Souk Jedid, Ben Gardane, Medenine, Siliana, Sousse etc. L’UGTT, la centrale syndicale dont la direction est acquise au gouvernement, se déchire. La Tunisie «de l’intérieur», loin des côtes, du tourisme et des investissements, n’est pas la seule touchée par cette vague de colère. A Paris, la diaspora manifeste devant l’ambassade de Tunisie. Un rassemblement est prévu demain à 18 heures, Fontaine des Innocents, à Paris. Sur place, les journalistes Zouheir Makhlouf et Moez El-Bey sont violemment empêchés de travailler, ce dernier étant même tabassé en direct lors d’une émission de radio le 24 décembre. Un black-out quasi total de l’information est organisé ; même les agences de presse internationales présentes à Tunis n’accèdent aux informations qu’avec la plus grande difficulté. L’essentiel de la mobilisation - surtout celle des lycéens - passe par Facebook, dernier espace du Net que le pouvoir n’a pas encore verrouillé. Dans la région de Sidi Bouzid, plusieurs localités sont placées sous couvre-feu et l’armée est mobilisée. A Menzel Bouzaiane, les blessés ne peuvent pas être transportés, les habitants ont du mal à s’approvisionner et les écoles servent à loger les renforts de police.
Le 28 décembre, ce sont deux avocats qui sont arrêtés à l’issue d’une journée de solidarité de la profession - les membres du barreau ont tous porté, ce jour-là, un brassard rouge. Mes Abderraouf Ayadi et Choukri Belaïd ont été relâchés après une nuit au poste, le premier ayant été, au passage, violemment molesté. Des journalistes à Tunis, des enseignants à Bizerte ont aussi mené des actions symboliques. Si aucun chiffre n’est disponible sur le nombre d’arrestations ces trois dernières semaines, plusieurs cas de torture ont été confirmés, notamment un militant du PDP (opposition de gauche) à Sidi Bouzid. Déconnexion. La répression ne suffisant pas, Zine el-Abidine Ben Ali sort de son silence le 28 au soir. Dans une rare et solennelle allocution pour un homme qui n’aime pas s’exprimer ni agir sous la pression, il dit comprendre «les circonstances et les facteurs psychologiques» de la révolte des chômeurs. C’est pour mieux recourir aux vieilles recettes : Ben Ali dénonce «l’instrumentalisation politique de certaines parties» et l’influence de chaînes étrangères. «L’usage de la violence dans les rues par une minorité d’extrémistes contre les intérêts de leur pays n’est pas acceptable», met-il en garde. D’autant, explique-t-il, qu’elle va décourager touristes et investisseurs. Le remaniement gouvernemental, annoncé dans la foulée, donne la mesure de la déconnexion du régime avec les attentes de la société : le principal changement consiste en effet à remplacer… le ministre de la Communication, Oussama Romdhani, par son homologue de la Jeunesse et des Sports. Le titulaire des Affaires religieuses change aussi, remplacé par un proche du gendre du Président, Sakher el-Materi, cité comme un dauphin potentiel. Trois gouverneurs, dont celui de Sidi Bouzid, sont limogés. Tout ça pour ça : comme si les événements des jours passés relevaient d’un problème de communication.
Laminée par deux décennies de répression, l’opposition politique tente, elle, tant bien que mal de suivre un mouvement qu’elle n’a ni vu venir ni pu organiser. Regroupées dans l’Alliance pour la citoyenneté et l’égalité, plusieurs formations de gauche ont réclamé des «solutions radicales» pour traiter cette «crise sociale grave, loin d’être conjoncturelle». En l’absence de cadre politique et syndical, il y a peu de chance que la révolte de Sidi Bouzid débouche sur un changement politique. En revanche, elle en dit long sur la fragilité du contrôle du parti-Etat au pouvoir, le RCD, qui revendique près d’un million d’adhérents, soit un Tunisien sur dix. Les services de sécurité, qui emploient 100 000 personnes (1 pour 100 habitants !), se sont montrés tout aussi impuissants. Les failles du système Ben Ali sont béantes, mais il n’y en a pas de rechange. Demain, une journée de grève nationale de solidarité est prévue. Un nouveau test pour le régime.
63
3.2.1. Le titre
Le titre de l’article est une métaphore. Ce n’est plus le peuple qui est dans la rue à
manifester, ce ne sont plus des émeutes qui ont lieu dans les rues. Désormais, « la colère » a
remplacé le peuple. Le ton de l’article est directement annoncé dans le titre.
3.2.2. Le texte
Le journaliste commence le texte par une question annonçant que ce qui va suivre va être
un rappel des faits. « Que se passe-t-il en Tunisie ? » Cette fois-ci, il ne s’agira pas d’un
simple rappel factuel car Christophe Ayad, au sein de ces rappels, va multiplier les métaphores et
ce, dès l’attaque de l’article. Les métaphores tout au long de l’article vont servir de vecteur discret
à sa subjectivité.
Cet exercice de style prouvera qu’à cette date de publication (05/01/2011), un certain recul a été
pris depuis le début des troubles. Il est déjà temps de tirer des enseignements partiels de cette
révolte toujours en cours.
A la question « Que se passe-t-il en Tunisie ? », Christophe Ayad répond : « pas
encore une révolution, mais plus qu’une révolte » ! Le mot « révolution » est enfin écrit.
Certes pour dire que le peuple tunisien n’y est pas encore mais qu’il semblerait, au fur et à
mesure des jours, y aspirer de plus en plus grâce à cette énergie qui ressemble à « plus qu’une
révolte ». L’idée de « révolution » est donc dans la tête du journaliste puisqu’il l’écrit. A neuf jours
de ce qui va être appelé La Révolution du Jasmin, le journaliste de Libération, après avoir
demandé « Que se passe-t-il en Tunisie ? », fait figurer dans sa réponse de neuf mots, le mot
« révolution ».
64
Cette phrase sera suivie de pas moins de quatre métaphores. Avoir recours à des
métaphores dans un récit traitant d’une actualité plus légère servirait à embellir un texte, à
l’imprégner d’une certaine poésie. Cependant, dans cet article, Christophe Ayad utilise cette figure
de style comme une arme dénonciatrice puisqu’il utilise les métaphores dans une partie de son
article normalement dédiée à la simple description de faits. En témoigne cette phrase : « le pays
couve comme un volcan en phase de réveil ». Elle sous-entend qu’après cette « phase de
réveil » suit l’éruption volcanique qui implique et met dans la tête du lecteur une autre métaphore
qui n’est pas écrite mais qui résonne dans sa tête : l’éruption sociale.
Le journaliste va continuer ses allusions métaphoriques en qualifiant Ben Ali de « père
Fouettard »51.
Il utilisera également l’énumération pour donner un sentiment de propagation
révolutionnaire dans toutes les strates de la société : « la protestation se poursuit : avocats,
enseignants, lycéens». Christophe Ayad renforcera même l’effet de l’énumération en l’habillant
également d’une comparaison. Il comparera le caractère contestataire des personnes
précédemment énumérées à « un feu de prairie qui s’éteint ici pour reprendre là». Cette
comparaison laisse entendre que la protestation est désormais endémique et difficile à arrêter.
51 Personnage mythique des légendes françaises, muni d'un fouet, dont on menaçait les enfants.
Source : « Père Fouettard ». In : Encyclopédie Larousse en ligne
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Fouettard/120018
(consulté le 27/04/2013).
65
Christophe Ayad terminera ce premier paragraphe dédié à un rappel des faits par une
opposition partisane. Il va mettre face à face « la police a violemment dispersé » et « une
marche de solidarité ». De nouveau, comme dans son premier article analysé52, il oppose la
violence des autorités au pacifisme d’une « marche ».
Le journaliste de Libération continue le récit des évènements en portant même un
jugement sur l’acte désespéré du « diplômé chômeur » Mohamed Bouazizi en disant : « à quoi
bon faire des études, si c’est pour vendre des légumes au marché ». Il n’a recours à aucun
guillemet pour écrire cette phrase. Il s’agit donc bien de ses propos et d’une réflexion personnelle.
Le ton annoncé d’entrée de jeu dans le titre se décline bel et bien dans l’article.
Il revient ensuite sur le sit-in qui a eu lieu devant le siège du gouvernement auquel des
centaines de jeunes avaient participé. Ces derniers ont été « chassés » sous demande du
gouverneur. « Chasser » est une pratique guerrière. L’Homme avait recours à la chasse pour se
nourrir et la cible durant une chasse est généralement un animal. Ce verbe, par extension,
pourrait laisser entendre à une sorte de chasse à l’homme.
52 Cf. Supra, chapitre 2.3.1 (« Face au gâchis social, la Tunisie ose s’insurger »), p. 36.
66
Suite à une nouvelle opposition, le lecteur peut à nouveau penser qu’il y a un certain parti
pris pour la population tunisienne : « Les manifestants incendient trois voitures de police,
les bureaux du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir), un
poste de la garde nationale et un train marchandises… ». A ce moment-là, le journaliste
décrit, voire même dénonce, sans retenue en énumérant les actes de rébellion des manifestants
mais c’est sans compter sur la phrase qui va être mise en opposition à cette dernière. Certes les
manifestants ont commis ces actes mais « Le 24, la police tire à balles réelles et tue un
manifestant ». Le journaliste va même amplifier son parti pris grâce à la longueur minimaliste
de la phrase qui suit : « Légitime défense plaide la police ». Cette phrase est écrite de
manière brute sans aucun traitement syntaxique. Le traitement de cette phrase peut traduire que
Christophe Ayad se contente juste de la faire apparaître dans son article par pure obligation
journalistique. Remplissant ainsi son devoir d’objectivité au détriment de ses sentiments
personnels et de son opinion sur cette dite « légitime défense ».
67
L’article compte deux intertitres, le premier est Black-out : le mot black-out mis en avant
par l’infographie de l’article, c'est-à-dire en gras et en intertitre, annonce qu’il va s’agir
maintenant de dénoncer la censure appliquée par le régime malgré l’ampleur que sont en train de
prendre les revendications.
De nouveau, comme depuis le début de l’article, Christophe Ayad va avoir recours à une
opposition. Comme si l’opposition entre le peuple et le régime tunisien prenait vie de manière
littéraire et écrite dans son article. Il ne fait pas que la décrire, il l’a fait s’entrechoquer au sein de
son texte en opposant systématiquement les deux.
La partie suivant l’intertitre est divisée en trois paragraphes. Les deux premiers sont
intéressants car ils suivent l’ossature de l’article basée sur les oppositions.
68
Le premier paragraphe va mettre en avant la multiplication « des rassemblements de
solidarité essaiment dans le pays ». Il met également en avant le fait que l’unique syndicat du
pays (UGTT), qui jusqu’à présent était acquis à la cause du gouvernement (cf. Gafsa 2008), est
désormais en train de se déchirer en son sein. Le journaliste, en mettant en avant cette
information dans son article, fait un travail de mémoire. Il sait que ce déchirement du syndicat
unique en Tunisie pourra être de l’essence en plus dans le moteur de la révolte, ce qui n’avait pas
été le cas en 2008. Cette fois-ci, le peuple tunisien aura peut-être l’impulsion nécessaire pour
forcer les portes du palais présidentiel.
Pour finir, ce paragraphe met aussi en exergue que le soutien au peuple tunisien a traversé
la Méditerranée et a même gagné la capitale française devant l’ambassade tunisienne. Le soutien
semble sortir des frontières tunisiennes voire même du Maghreb. Faire figurer cette information
dans son article, après être un devoir d’information pour Christophe Ayad, permet, implicitement,
de conscientiser son lecteur en lui disant que la cause tunisienne explose les frontières de son
propre pays et peut même venir s’immiscer dans les valeurs occidentales. Ces dernières ayant
déjà parcouru le chemin de la démocratie il y a maintenant quelques siècles. C’est désormais à ce
peuple tunisien d’y aspirer.
69
En opposition à tous ces piliers qui semblent de plus en plus fragiles, Christophe Ayad
dénonce le fait que le régime essaye de dissimuler ce qui est en train de se passer en organisant
un « black-out » de l’information. Le journaliste après avoir mis ce mot en intertitre et qui
maintenant le développe dans son article laisse entendre que le régime pourrait avoir peur que la
diffusion de l’information arrive dans les foyers des habitants de son pays.
Il va également dénoncer la difficulté dans laquelle les journalistes se trouvent pour
exercer leur métier face à ce régime qui craint la finalité du métier du journaliste : décrire la
vérité. En effet, en plus de dire la vérité, ils mettent cette vérité sur la place publique. C’est
justement cette vérité que tente d’occulter le régime du Président Ben Ali en contrôlant la presse
dans son pays.
La vérité qui ne peut plus être cachée (même de l’autre côté de la Méditerranée)
commence-t-elle à faire trembler Ben Ali ? Commence-t-elle à devenir plus puissante que le
pouvoir désormais vacillant du Président lui-même ?
C’est toujours en ayant recours à l’opposition que le journaliste va à nouveau confronter
deux faits. L’un décrédibilisant implicitement l’autre et plaçant donc l’opinion du journaliste dans
un camp : celui du peuple.
70
Déconnexion, le titre du second intertitre, est à nouveau mis en gras et met en avant un
mot qui sera repris dans le texte. Ce mot sera à charge contre le pouvoir tunisien.
Les deux paragraphes vont à nouveau être mis en face à face comme si un duel oppose à
chaque fois deux blocs d’idées dans l’article. Chaque fois, le lecteur, à la fin du deuxième
paragraphe, se fait l’arbitre de ce face à face. Il désignera le vainqueur par la seule arme de son
esprit critique.
Cette énième confrontation dans le texte de Christophe Ayad ne dérogera pas à la règle. Le
premier paragraphe va relater l’intervention télévisée du Président Ben Ali où certaines parties de
son discours sont mises en avant. Cette fois-ci le recours aux guillemets pour rapporter les propos
de Ben Ali donne une dimension caricaturale à son intervention. Cette dernière, malgré les
revendications désormais identifiées et reconnues du peuple, va prouver que le président reste
aveugle et sourd face aux grondements de son peuple en dénonçant « une instrumentalisation
politique de certaines parties » et « l’influence de chaînes étrangères ». Il identifie même
très mal les manifestants qui sont dans les rues depuis le 17 décembre 2010 : « l’usage de la
violence dans les rues par une minorité d’extrémistes ». La mise en avant de ces propos
sous-entend de manière implicite que Ben Ali applique une posture stigmatisante. Il tente de créer
des amalgames dans la tête des citoyens qui ne seraient peut-être pas encore acquis à la cause
71
des milliers de Tunisiens qui sont quotidiennement dans les rues. Sa seule arme est désormais de
tenter, en vain, de détourner l’attention sur d’autres responsables que son régime. Cette méthode
est ressentie par le lecteur comme un aveu de faiblesse. Le journaliste ne le dit pas mais le fait
sentir. Il met même en avant la dimension obsolète des propos du Président en qualifiant ces
derniers de « vieilles recettes ». Cette expression veut dire qu’il ne pourra plus endormir le
peuple comme il l’a déjà fait avec un tel discours car ses propos appartiennent désormais à une
époque qui semble de plus en plus révolue. L’heure semble bel et bien au changement. Ben Ali
apparait donc bien comme étant en complète déconnexion avec les revendications de son
peuple.
Bien que l’autorité du Président ait déjà été mise à mal dans ce premier paragraphe,
l’opposition de celui qui va suivre va continuer à décrédibiliser l’action présidentielle. Le journaliste
parlera des tentatives d’apaisement mises en œuvre par le Président tunisien comme « une
déconnexion du régime avec les attentes de la société ». Cette fois-ci, ce ne sont plus les
attentes d’un très grand nombre de manifestants. Christophe Ayad emploie un autre mot et élève
donc les revendications à une autre échelle : celle de la société. Ce mot sous-entend presque un
changement de civilisation. Des réformes en profondeur, voire même une autre approche du
pouvoir dans cette partie du globe, vont devoir être repensées. Le recours au mot société est
donc synonyme d’une cause devenue en quelques jours non plus locale ou nationale mais bel et
bien « civilisationnelle ». Il s’avèrera que la révolte tunisienne était bel et bien le déclencheur d’un
basculement de la civilisation arabe vers un autre schéma politique. Plus de démocratie aux pays
des autocrates et des dictateurs en tout genre.
Le journaliste va continuer à jeter le discrédit de manière masquée sur les décisions prises
par Ben Ali. Cette-fois-ci de manière très subtile par un simple procédé stylistique : les points de
suspension. « Le principal changement consiste en effet à remplacer ... le ministre de la
Communication, Oussama Romdhani, par son homologue de la Jeunesse et des
Sports ». Le recours aux points de suspension signifie que la partie de la phrase qui va suivre
sera empreinte d’un caractère absurde. Utiliser cette méthode permet au journaliste, sans l’écrire,
de se distancer ou en tout cas de marquer son désaccord avec la suite de la phrase.
72
Pour finir, il rédigera dans son avant dernier paragraphe un constat simpliste continuant à
caricaturer l’intervention télévisée de Ben Ali et plaçant son lecteur dans le camp du peuple
tunisien : « Tout ça pour ça : comme si les évènements des jours passés relevaient d’un
problème de communication ».
Le dernier paragraphe de l’article est très intéressant parce qu’il fait le constat d’une
opposition politique qui est en perte de vitesse par rapport aux revendications du peuple. Alors
que cette opposition politique devrait logiquement être en avance ou au moins accompagner en
temps réel les revendications : « l’opposition politique tente, elle, tant bien que mal de
suivre un mouvement qu’elle n’a ni vu venir ni pu organiser ».
Christophe Ayad, au travers des paroles des partis de gauche, va faire part des
revendications de la classe politique opposée à Ben Ali. Cette classe politique est désormais
également en train de s’éveiller et d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe dans son pays. Donc,
après avoir entendu le peuple, place aux politiques qui réclament « des ’’solutions radicales’’
pour traiter cette ’’crise sociale grave, loin d’être conjoncturelle’’ ». Accorder la fin de cet
article qui n’a cessé de décrédibiliser la politique de Ben Ali à la classe politique qui s’oppose à lui,
tente à prouver que, désormais, tout le monde est conscientisé et apte à comprendre ce qui est
en train de se jouer en Tunisie.
73
La seconde partie du dernier paragraphe se veut l’écho du début de l’article. Après avoir
introduit l’article par « pas encore une révolution mais plus qu’une révolte », Christophe
Ayad semble abandonner l’idée d’un renversement du régime dans les jours qui viennent en
écrivant ceci : « il y a peu de chance que la révolte de Sidi Bouzid débouche sur un
changement politique ». Tentons un syllogisme pour approcher la réflexion de Christophe
Ayad :
Il y aura une révolution que s’il y a un changement politique,
Or il y a peu de chance que la révolte débouche sur un changement politique,
Donc il y aura peu de chance que la révolte débouche sur une révolution.
Cette phrase écrite par le journaliste de Libé le 5 janvier 2011 est d’une très grande
importance si on lit le titre de mon travail « Mohamed Bouazizi, le bourgeon du Printemps
tunisien. Les quotidiens français ont-ils pu prédire la chute du Président Zine el-Abidine Ben
Ali ? ».
A cette date précise, Christophe Ayad, journaliste de Libération et couvrant la majeure
partie de l’actualité tunisienne, avoue ne pas croire en une révolution tunisienne. Il ajoute même
que « les failles du système Ben Ali sont béantes, mais il n’y en a pas de rechange ».
En conclusion, malgré le décodage et l’analyse clairvoyante de Christophe Ayad ainsi que
son éventuel parti pris qui semble apparaître en filigrane dans chacun de ses articles, il dit
explicitement dès le début et la fin de cet article que, malgré une forte révolte, l’heure de la
révolution ne semble pas encore avoir sonné. Elle semble à ses yeux encore lointaine. Cependant,
ce qu’il ne savait pas au moment où il rédigeait l’article, c’est que le Président allait laisser les clés
du palais sur la porte neuf jours plus tard en abandonnant son peuple comme un fugitif.
74
3.2.3. La photo
Comme souvent dans les articles mis en ligne sur un site internet, la photo chapeaute le
texte. C’est le cas dans celui-ci. On peut y voir des Tunisiens dans les rues en train de crier. Celle-
ci illustre donc bien le titre de l’article : « Tunisie, la colère est dans la rue ».
La mise au point de la photo est faite sur les manifestants permettant ainsi d’amplifier leur
présence sur la photo. L’arrière-plan est donc flouté en réglant cette mise au point à l’avant plan
de la photo.
De plus, le cadrage de la photo accentue également ces cris de colère du peuple tunisien.
Comment ? Tout simplement en cadrant les manifestants à hauteur d’épaules. De cette manière,
une seule chose frappe l’œil de la personne regardant la photo : ce sont les cris de la foule. Ce
cadrage permet également de donner de la hauteur et de l’importance au geste que les
manifestants font de la main : un signe de paix et un « V » symbole de victoire… à venir. Ces
mains apparaissent dans la partie où nos yeux se portent en premier : le centre de l’image avant
la périphérie. Donc, si on suit le parcours que notre œil va faire au travers de la photo, le premier
message qui va être véhiculé dans cette photo est un message de paix et de victoire. Ensuite
viendra le message de protestation mis en avant par les cris de la foule.
Concernant la légende, celle-ci se veut exclusivement descriptive. Etant donné qu’il s’agit
d’une photo fournie par l’AFP, la légende qui l’accompagne est purement factuelle et rien dans la
description de la photo ne peut laisser apparaître un zeste de subjectivité ou même revêtir un
caractère incitatif.
75
3.3. « Oxygène »53
53 GIRET, Vincent. « Oxygène ». In Libération, Paris, 8 janvier 2011.
http://www.liberation.fr/monde/01012312429-oxygene
(consulté le 27/04/2013).
76
Parmi l’abondance d’articles mis en ligne à compter du 28 décembre 2010, jour où la
contestation a gagné de façon endémique tout le territoire tunisien, un article publié sur le site
internet de Libération a retenu mon attention. Pourquoi ? Simplement parce qu’il s’agit d’un
éditorial. Celui-ci a été mis en ligne le 8 janvier 2011. L’éditorial est un exercice journalistique
particulier. En effet, il s’agit pour la rédaction d’un journal de prendre la parole et de pouvoir, le
temps d’un article, quitter le carcan de l’objectivité pour un article volontairement empreint de
subjectivité.
De cette manière, le lecteur peut entendre la voix de son journaliste. Ce dernier utilise sa
publication comme mégaphone et vecteur de son opinion et de ses ressentis.
L’éditorial peut être signé de la plume d’un seul journaliste, comme ce sera le cas pour
l’article qui suit, ou alors, par l’ensemble de la rédaction. En tout cas, il s’agira toujours de parler
au nom de l’ensemble des membres du journal.
Dans ce type d’article, rien n’est dissimulé par des figures de styles auxquelles le
journaliste aurait recours pour imprégner son texte de subjectivité. L’implicite laisse place à
l’explicite et le « ce qu’on pense tout bas » laisse place au « ce qu’on dit tout haut ».
C’est pourquoi j’ai jugé intéressant de faire figurer cet éditorial dans mon second corpus
d’articles. De cette manière, le lecteur peut prendre le pouls au sein de la rédaction de son
journal. Il peut se rendre compte des prises de position et de la pensée du journal qu’il lit au
quotidien à propos d’un fait d’actualité. En l’occurrence sur ce qui était en train de se dérouler en
Tunisie.
L’article est signé par Vincent Giret qui venait d’être récemment nommé (le 1er décembre
2010) directeur délégué de la rédaction de Libération. C’est donc le numéro un de Libération à
cette époque qui prenait la parole pour parler au nom du journal et de ses journalistes.
D’entrée de jeu, le journaliste marque sa proximité pour la cause tunisienne. Proximité
géographique mais distance idéologique. Il marque également par cette phrase une proximité
dans la lutte qu’ils sont en train de mener car notre civilisation européenne connaît ces luttes.
Cette étape pour avoir droit à la démocratie a déjà été franchie sur notre continent.
77
Cette phrase est un travail de mémoire. Il rappelle le passé colonisateur des Français sur le
sol africain. Cette phrase rappelle l’histoire commune entre le continent africain et la France
nommée « Françafrique»54.
Ils hurlent mais la censure du régime nous empêche parfois de les entendre.
La France fait preuve de lâcheté mais peut-on également parler de lâcheté médiatique au vu de la
faible quantité d’articles parus au début de la crise ? Maintenant que le peuple tunisien a l’air de
définitivement vouloir prendre en main son destin, n’est-il pas plus facile pour la presse de
commenter et d’accompagner un mouvement que nul ne peut désormais ignorer ?
Ces interrogations sont confirmées par ces phrases qui tendent à dire qu’il n’est pas trop
tard pour s’éveiller à la cause tunisienne. A partir de ces phrases-là, Libération appelle
officiellement ses lecteurs à soutenir la cause tunisienne. L’éditorial permet ce genre d’appel.
54 L’expression « Françafrique » est un terme utilisé pour qualifier l'action néocoloniale prêtée à la France qui
ferait de l'Afrique sa « chasse gardée ». Cette action bénéficie de l’ensemble des relations personnelles et
des mécanismes politiques, économiques et militaires qui lient la France à ses anciennes colonies africaines,
ainsi qu’à un certain nombre d’autres pays africains. Le terme « Françafrique » revient périodiquement sur le
devant de l'actualité : soutien apporté aux Hutus responsables du génocide Tutsi au Rwanda en 1994,
interventions militaires en faveur des régimes non démocratiques ou discrédités, polémique sur l'aide
accordée au régime algérien en lutte contre le GIA ou au Président tunisien Ben Ali, Affaire Elf, crise en Côte
d'Ivoire…
Le terme est désormais consacré du fait de sa reprise régulière par les médias pour désigner globalement les
relations particulières entre la France et ses anciennes colonies africaines et mettre son avenir en débat.
Celle-ci semble cependant pouvoir perdurer sous une « forme décomplexée ».
Source : « Françafrique ». In : Wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7afrique
(consulté le 27/04/2013)
78
Jusqu’à présent, les régimes occidentaux se cachaient derrière une excuse pour justifier
leur soutien à ses dictatures (à l’image de Nicolas Sarkozy qui reçoit en grande pompe Kadhafi à
l’Elysée le 10 décembre 2007). L’excuse trouvée aux dérives autoritaires fut de dire que, malgré
les dictatures parfois fortement répressives, celles-ci restaient un rempart efficace face à la
montée d’un islamisme de plus en plus radical. Ce discours fut pendant des années la justification
que donnait l’Occident pour ne pas contester les dictateurs en place dans cette partie du monde.
Ici, la grande liberté que permet un éditorial est clairement illustrée dans les propos. Le
journal dit enfin tout haut ce que, pendant des années, certains ont pensé tout bas. Il est
désormais temps de sortir d’un mutisme dans lequel médias et politiques étaient enfermés. Il ne
faut désormais plus avoir peur de dénoncer les dérives du régime Ben Ali. Une des questions qu’il
peut être intéressant de se poser est la suivante : suite à cet éditorial, va-t-il y avoir un
changement de la ligne éditoriale par rapport au traitement de l’information sur la Tunisie ?
Les élites françaises ne doivent plus seulement voir leur propre intérêt en tant que
partenaires privilégiés de la Tunisie.
Voici les chiffres mettant en avant les échanges commerciaux entre la France et la Tunisie.
On se rend compte que la France est le principal pays importateur pour la Tunisie et également
exportateur. Les liens qui unissent ces deux pays s’avèrent donc être importants au point de vue
strictement économique. Ces échanges peuvent parfois obliger les politiques à ne pas trop
commenter l’actualité dans les pays où les échanges commerciaux sont importants. Les données
ci-dessous pourraient donc expliquer la frilosité des élites françaises à critiquer les décisions de
Ben Ali en ce qui concerne sa politique intérieure.
Chiffres des échanges commerciaux entre la France et la Tunisie55.
L’heure est désormais au soulèvement d’un peuple. Le devoir du journaliste, et donc du
citoyen, est d’écouter ce peuple qui est à bout et qui est en train de porter de toutes ses forces
ses revendications à bout de bras. Le courage des uns doit faire place à celui des autres.
55 Statistiques mondiales
http://www.statistiques-mondiales.com/tunisie.htm
(consulté le 27/04/2013).
79
3.4. « Tunisie : les gages de Ben Ali, symboles d’un ’’régime
aux abois’’ »56
Lors des manifestations du 8 janvier à Tunis.
(photo : AP : Hassene Dridi).
Tandis que les affrontements ont gagné la capitale Tunis, mercredi, le régime tunisien a cherché
à trouver une sortie de crise aux émeutes sociales que connaît le pays depuis quatre semaines. Le
premier ministre, Mohamed Ghannouchi, a ainsi annoncé le limogeage du ministre de l'intérieur,
Rafik Haj Kacem, ainsi que la libération de toutes les personnes détenues depuis le début du
mouvement. Il a également annoncé, au cours d'une conférence de presse, la formation d'une
commission d'enquête sur des actes de corruption présumés concernant des responsables publics,
que dénoncent opposition et ONG. Vincent Geisser, sociologue à l'Institut de recherche sur le
monde arabe et musulman, et auteur de plusieurs travaux sur la Tunisie, analyse les motivations
et la portée des gages donnés par le Président Ben Ali à la population tunisienne pour tenter de
mettre un terme à la contestation.
Comment interpréter les mesures annoncées aujourd'hui par le pouvoir tunisien ?
Vincent Geisser : C'est une forme de recul du régime et du Président Ben Ali qui montre que le
régime est aux abois et tente de trouver une sortie politique. Cette alternance, ce balbutiement
entre des formes de répression brutale et des gestes d'apaisement caractérisés par des mesures
de relance et le traditionnel appel au dialogue national, est symptomatique de la faiblesse
56 SALLON, Hélène. « Tunisie : les gages de Ben Ali, symboles d’un ’’régime aux abois’’ ». In Le Monde, Paris,
10 janvier 2011.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/12/les-gages-de-ben-ali-symbole-d-un-regime-aux-
abois_1464706_3212.html
(consulté le 1/05/2013).
80
du pouvoir. Un régime qui limoge son ministre de l'intérieur n'est pas un régime qui contrôle la
situation. Cet emballement est le signe de son impuissance et de sa volonté de reprendre la main.
Ces annonces doivent beaucoup à un fait nouveau, symboliquement très fort : la propagation du
mouvement aux faubourgs de Tunis et aux abords-mêmes du palais de Carthage, lieu de
résidence du président. En entrant dans la capitale, le message qui est transmis au régime est :
"Donnez-nous notre liberté, partez".
Manifestation à la cité Ettadhamen (Solidarité) de Tunis, mercredi 12 janvier.
(photo : Reuters/STR).
Un deuxième symbole a été touché avec la mobilisation des gens à la cité Ettadhamen (Solidarité)
de Tunis, qui est toujours présentée comme un symbole de l'action sociale du président et
qu’Hillary Clinton avait elle-même visité lorsqu'elle était première dame des Etats-Unis. Cela
montre que la contestation est en train de devenir un mouvement politique qui dépasse les
revendications sociales des étudiants-chômeurs. On est entré dans une phase supérieure, avec un
mouvement qui a évolué dans son recrutement sociologique : s'y sont joints les ordres
professionnels avec les avocats, qui jouent un rôle énorme, les partis et mouvements d'opposition
et, fait marquant, le syndicat unique, qui a toujours eu un rôle de représentation des salariés vis-
à-vis du pouvoir et qui ici joue un rôle oppositionnel. Aujourd'hui, on retrouve ainsi dans le
mouvement des cadres moyens et supérieurs, ainsi que des lycéens.
Les mesures annoncées par le pouvoir sont-elles susceptibles de faire retomber la
mobilisation ?
Il y a une telle montée de la haine contre Ben Ali qu'il n'est pas sûr que ces annonces aient un
effet d'apaisement : ce que veulent les manifestants, c'est le départ de Ben Ali. On a bien vu déjà
qu'après l'annonce lundi de la création de milliers d'emplois pour les diplômés, les manifestations
ont redoublé... Pour calmer la contestation, la poursuite de la répression et les vagues
d'arrestations auront plus d'effet...
81
Tout le monde se rend bien compte qu'il s'agit d'un discours de diversion, même si c'est vrai qu'en
ce qui concerne le limogeage du ministre de l'intérieur, on touche à un symbole : celui du ministre
des ministres, un acteur central du régime qui a clairement une fonction de répression. Mais la
population sait très bien que si la police a tiré à balles réelles sur les manifestants, la décision
vient directement du Palais. L'annonce par Ben Ali qu'il va lutter contre la corruption a également
un côté presque ridicule car cette corruption émane directement du Palais. Elle n'est pas le fait de
la haute fonction publique tunisienne, qui est plutôt saine, mais de l'entourage et de la famille du
président. La réelle alternative qui se pose au président dans la lutte contre la corruption est
de dire "je pars" ou de désigner des boucs émissaires.
Les gages donnés par Ben Ali sont davantage destinés à apaiser les soutiens étrangers et à
répondre aux pressions américaines. Cela permettra ainsi au Président Ben Ali de gagner à court
terme l'apaisement international mais les mécanismes classiques de répression et de surveillance
vont être maintenus.
Le Président tunisien Ben Ali, lors de son allocution télévisée, lundi 10 janvier.
(photo : Reuters/HO)
Le régime du Président Ben Ali est-il réellement menacé par ce mouvement de
contestation ?
On se trouve dans une période de flou et d'incertitude. Cela a beaucoup marqué les jeunes
tunisiens qu'on ait pu tirer sur des gens à balles réelles. Dans la tête et le cœur de la population,
Ben Ali, c'est fini. Le régime Ben Ali n'est pas fini en tant que système, mais il n'a plus de soutien.
Sa légitimité populaire et auprès des élites tunisiennes est désormais réduite à zéro. On voit mal
comment ce régime usé va pouvoir se renouveler. Mais le régime Ben Ali étant ce qu'il est — un
système répressif, marqué par une présidence omnipotente, un parti quasi-unique, une presse
aux ordres du pouvoir et un degré extrême de verrouillage de l'espace public —, on peut en effet
82
se demander comment il est possible d'insuffler un changement fondamental en Tunisie
sans remettre en cause les fondements même du régime ?
M. Ben Ali propose une fois encore une forme de gouvernance axée sur l'ambivalence entre
sécuritaire et dialogue. Le scénario que les Tunisiens réclament est que Ben Ali fasse de vraies
annonces : celle notamment qu'il partira dans un ou deux ans, qu'il ne se représentera pas aux
élections et l'initiation d'un processus de démocratisation, en donnant des garanties pour une
réelle solution démocratique. Mais c'est impossible que ce scénario se réalise car on se trouve
dans un système nourri par une logique sécuritaire et une logique de corruption. Si on touche à la
moindre pièce du système, il s'effondre.
Les éléments de la fin du règne de Ben Ali sont là depuis dix ans. La façade de régime moderne
luttant contre l'islamisme est en train de s'effriter. C'est certain que l'on s'oriente dans un
nouveau cycle politique, celui de l'après-Ben Ali et que tant que celui-ci n'est pas amorcé, on aura
une montée des mouvements sociaux en Tunisie à l'avenir. Mais, la question est
de savoir combien de temps il faudra pour que le régime Ben Ali s'effondre ?
Entend-on des voix dissidentes au sein du régime qui pourraient laisser entrevoir une
alternative à la présidence Ben Ali ?
Il n'y a pas de voix dissidentes au sein de l'appareil gouvernemental qui est composé de
techniciens peu connus en tant qu'acteurs politiques, à l'exception de certains fidèles de Ben Ali.
Mais certaines personnalités, ministres et anciens ministres, ont exprimé ces derniers jours des
critiques et cela a été une motivation supplémentaire pour Ben Ali de vouloir reprendre l'initiative,
car il craint de voir émerger une figure du sérail à même de capitaliser la contestation tout en
ayant à la fois la main sur le système.
Certaines rumeurs disent également que ça commence à bouger dans l'armée et dans le parti et
qu'il y aurait des frictions entre la police et l'armée.
Cet article mis en ligne le 12 janvier 2001 par le journal Le Monde va accorder une
interview à Vincent Geisser57
57 Vincent Geisser est diplômé de l'Institut d'études politiques de Grenoble (1989), de l'Institut d'études
politiques d'Aix-en-Provence (1991 et 1995) et de l'Académie internationale de droit constitutionnel (1991).
Ses principaux thèmes de recherche et de réflexions sont les questions politiques dans le monde arabe,
l'islam en France et en Europe et les problèmes relatifs aux discriminations dans les partis politiques français.
Entre 1995 et 1999, il a été en poste pour le Ministère français des Affaires étrangères à l'Institut de
recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC) de Tunis, devenant l'un des meilleurs spécialistes du régime
politique de Ben Ali. Depuis 1999, il est chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS),
successivement affecté à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM)
d’Aix-en-Provence (1999-2011) et à l'Institut français du Proche-Orient (Ifpo) de Beyrouth (depuis juin
2011).
Source : « Vincent Geisser ». In Wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Vincent_Geisser
(consulté le 2/05/2013).
83
De cette manière, en faisant appel à des experts pour répondre à des questions, Le
Monde va relayer des propos légitimés par l’expertise de la personne interviewée. D’une part,
cette expertise permettra à l’interviewé de dire ce qu’il pense et, d’autre part, au journal de
quitter le ton journalistique purement informatif en illustrant ses pages par un regard plus aiguisé
sur la situation tunisienne. Vincent Geisser, à l’inverse d’un journaliste, a le droit de « se
mouiller » et de parler sans aucune retenue. Le Monde se servira donc de ce discours comme
prolongement de son récit, voire peut-être de sa pensée.
3.4.1. Le titre
Deux choses retiennent mon attention dans le titre. La première est le mot « gages ». Ce
dernier est au pluriel puisque, lors de son discours télévisé du 10 janvier 2011, le Président Ben
Ali avait annoncé plusieurs changements. Ce qui est intéressant c’est que le pluriel de ce mot va
également entraîner le pluriel du mot « symboles » Ce mot « symboles » sous-entend que
chaque « gage» du Président est associé à un « symbole ». Ce ne sont donc plus de simples
propositions.
Son discours à ce moment de la contestation, soit deux jours avant la chute du régime, est
donc sacralisé. Ses engagements deviennent des symboles. « Symboles » de quoi ? « d’un
régime aux abois ». Qualifié un régime de la sorte marque, d’entrée de jeu dans le titre, que le
lecteur va lire dans l’interview l’analyse d’un expert qui a l’air de se rendre compte que le
Président semble être dans une phase de précipitation, d’improvisation, bref, de perte de contrôle.
Cependant, en politique, l’improvisation n’est pas la meilleure des armes.
L’expression « régime aux abois » est mise entre guillemets dans le titre. Cela signifie que
la journaliste a illustré son titre par des propos tenus plus bas dans l’interview. Les mettre entre
guillemets renvoie donc les propos comme appartenant à Vincent Geisser. Cependant, faire
apparaitre ces propos dans le titre peut marquer une envie de la part de la journaliste de créer,
grâce aux paroles de l’expert, un titre incitatif alors qu’en temps normal la ligne éditoriale du
journal ne l’aurait certainement pas permis.
84
3.4.2. Le texte d’introduction
Avant d’entamer l’interview, Hélène Sallon va introduire son article par un récapitulatif des
« gages » du Président Ben Ali. Sachant désormais ce que symbolisent ces « gages », les rappeler
après les avoir remis en cause dans le titre de l’article peut laisser apparaître un côté critique dans
la rédaction de cette brève introduction. Ce qui est remarquable puisque que cette dernière est
totalement objective.
Imaginons un titre strictement informatif du type : « Suite à son discours, Ben Ali a
annoncé une série de propositions devant le peuple tunisien ». Si après ce titre venait toute la
série des engagements de Ben Ali, le lecteur ne ferait pas un parallèle entre ces dites propositions
et « les symboles d’un régime aux abois ».
Le titre incitatif employé pour cette interview donne donc bien à l’énumération des
engagements un caractère tout aussi incitatif pour le lecteur alors même que l’introduction est
écrite d’une manière purement informative. Subtilité journalistique.
La fin de l’introduction, quant à elle, introduira brièvement la personne interviewée,
Vincent Geisser, de manière à légitimer son regard sur l’actualité tunisienne et donc des analyses
et éventuelles critiques à l’égard du régime de Ben Ali.
85
3.4.3. L’interview
L’interview comprend quatre questions ouvertes posées exclusivement à Vincent Geisser.
La première est la suivante :
Dans sa question, la journaliste utilise le verbe « interpréter ». Ce verbe permettra à
Vincent Geisser de donner une analyse totalement débridée puisque la journaliste laissera donc
place à son… interprétation.
Dès le début de sa réponse, il parle des « gages » de Ben Ali comme « une forme de
recul du régime » et « montre que le régime est aux abois ». Il qualifie également la
contradiction entre « des formes de répression brutale et des gestes d’apaisement »
comme « symptomatique de la faiblesse du pouvoir ». Les hostilités sont immédiatement
lancées. Vincent Geisser continue sur un ton pessimiste en parlant d’une reprise en main de la
situation. Il qualifie le limogeage du ministre de l’intérieur d’ « emballement » et d’un « signe
de son impuissance ». L’entame de cette interview se veut donc critique à l’égard du régime.
Vincent Geisser semble décrire un régime qui ne tiendrait plus que sur une jambe.
Il conclura cette première interprétation de manière assez subtile.
En effet, après avoir décrit tous ces symboles comme autant d’aveux de faiblesse de la
part du régime, il achèvera sa réflexion en donnant en guise de conclusion à sa première
intervention, la parole au peuple qui, dans la capitale, dit « Donnez-nous notre liberté,
partez ». L’expert a analysé, le peuple a tranché !
86
Dans la deuxième partie de sa réponse, il confirmera une des analyses que j’ai
précédemment mise modestement en avant dans l’article Tunisie, la colère est dans la rue58.
Vincent Geisser le dit : « c’est désormais un mouvement qui a évolué dans son
recrutement sociologique : s’y sont joints les ordres professionnels avec les avocats, qui
jouent un rôle énorme, les partis et mouvements d’opposition et, fait marquant, le
syndicat unique, qui a toujours eu un rôle de représentation des salariés vis-à-vis du
pouvoir et qui ici joue un rôle oppositionnel. Aujourd’hui, on retrouve ainsi dans le
mouvement des cadres moyens et supérieurs, ainsi que des lycéens. »
En effet, comme Christophe Ayad l’a dit dans le journal Libération, la contestation n’est
plus seulement soutenue par les « diplômés chômeurs » mais désormais par la société tunisienne
dans son ensemble. Emettre cette analyse traduit une prise de conscience quant à un régime qui
ne pourra plus tenir longtemps debout face à cette contestation. Quand une société tout entière
est acquise à une cause révolutionnaire, un pouvoir central dans n’importe quel pays qu’il soit
établi finira tôt ou tard à plier face au vent de la révolte.
Cette propagation de la contestation à l’échelle sociétale, Vincent Geisser l’illustre par les
manifestations qui ont eu lieu à la cité Ettadhamen qui signifie « solidarité » et qui est « un
symbole de l’action sociale du président ». Encore et toujours des symboles de plus en plus
forts.
58 Cf. Supra, chapitre 3.2. (Tunisie, la colère est dans la rue), p. 71.
87
Voici la deuxième question :
Vincent Geisser parle d’ « une telle montée de la haine contre Ben Ali ». Le mot
« telle » met en avant le côté sans précédent et inédit des revendications en cours. De plus, lui,
ne parle pas de « colère » mais de « haine » envers le Président tunisien. Il utilise ce mot pour
marquer le paroxysme qu’est en train d’atteindre le rejet du peuple concernant la légitimité du
pouvoir en place. L’analyse de Vincent Geisser semble d’ailleurs juste puisqu’il dit que, malgré
« l’annonce lundi de la création de milliers d’emplois pour les diplômés, les
manifestations ont redoublé ». Les Tunisiens ne sont plus dupes et malgré les « discours de
diversion » du Président, ils semblent déterminés à aller jusqu’au bout de leur revendication
précédemment illustrée dans l’article : « Donnez-nous notre liberté, partez ».
Les prochains propos de Vincent Geisser vont admirablement bien mettre en exergue la
liberté que se donne un journal grâce au recours à l’interview. En effet, il est dur de ne pas
imaginer que la plupart des propos tenus par l’expert au sein d’une interview sont également
soutenus par le journaliste… par le simple fait qu’ils soient publiés sur le site internet du quotidien.
Certes, ce que j’avance n’est qu’une hypothèse mais un journal peut se servir des propos tenus
lors d’une interview comme d’éventuels vecteurs de leur propre pensée. N’oublions pas que le
journaliste peut facilement orienter ses questions lors d’une interview. C’est un exercice qui se
prépare et qui est rarement improvisé.
Dans la fin de sa réponse, le sociologue qualifiera les annonces de Ben Ali concernant le
fait « qu’il va lutter contre la corruption » de « presque ridicule » si bien que « cette
corruption émane directement du Palais. Elle n’est pas le fait de la haute fonction
publique tunisienne, qui est plutôt saine, mais de l’entourage et de la famille du
président. » Le fait de tenir de tels propos en janvier 2011 au sujet d’un régime toujours en
place est simplement impossible pour un journaliste… mais pas pour un expert. C’est également
88
dans une telle phrase que toute la force d’une interview fait ses preuves. L’expert peut « se
mouiller » et dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas. Le Monde a donc dans ses pages
dénoncé la corruption d’un régime, à ce moment-là encore en place, sans jamais avoir recours à
la plume d’un journaliste. L’interview se transforme donc en arme au service de la liberté
d’expression à laquelle, parfois, les journalistes doivent mettre des œillères.
Vincent Geisser va continuer dans son élan de clairvoyance et d’anticipation en disant
ceci : « La réelle alternative qui se pose au président dans la lutte contre la corruption
est de dire ’’je pars’’ ou de désigner des boucs émissaires ». Cette phrase aurait pu clore
l’article. Tout y est !
D’une part la solution qu’il a déjà expérimentée en limogeant des membres de son
gouvernement et donc la désignation « de boucs émissaires ». Celle-ci s’étant avérée insuffisante
car elle n’a permis qu’une seule chose : « aux manifestations de redoubler ».
D’autre part, cette phrase de Vincent Geisser donne l’ultime solution pour le Président afin de
calmer sa population : partir.
Dans ces propos, Vincent Geisser tire donc très tôt les enseignements du discours
prononcé un jour plus tôt par Ben Ali. Les limogeages et les « gages » ne fonctionneront pas. Il ne
reste, selon lui, qu’une seule solution : celle de quitter le pouvoir. Deux jours plus tard, c’est ce
scénario qui va prendre vie.
Voici la troisième question :
Cette fois-ci, la journaliste va droit au but et pose la question sans plus avoir recours à des
sous-entendus. Elle pose également la question faisant l’objet principal de mon travail. La réponse
que va donner Vincent Geisser pourra donc répondre à cette question : Le Monde a-t-il pu, à deux
jours de la chute de Ben Ali, prévoir celle-ci ?
89
Il va qualifier la période dans laquelle le pays se trouve d’ « une période de flou et
d’incertitude », sous-entendu dans laquelle le régime exerce le pouvoir. Vincent Geisser va
toucher à deux piliers de la viabilité de l’exercice du pouvoir. Il avance que « dans la tête et le
cœur de la population, Ben Ali, c’est fini ». Il dit également que « sa légitimité populaire
et auprès des élites tunisiennes est désormais réduite à zéro » Or, pour exister
politiquement, il ne faut pas que sa légitimité soit remise en cause dans le cœur du peuple. Ses
propos tendent à prouver que la fin est proche
Il va continuer à enfoncer le clou en qualifiant le régime de Ben Ali de « système
répressif », « présidence omnipotente », « parti quasi-unique » ou encore « une presse
aux ordres du pouvoir ». A nouveau, de tels propos au sein d’un article sont possibles grâce à
l’interview d’un expert dont le journal peut rapporter les propos en se plaçant derrière l’étendard
de sa légitimité.
Il amorcera ensuite la fin de sa réponse par une opposition construite en deux parties. La
première va prouver qu’il est bien en phase avec les attentes des Tunisiens en crédibilisant ainsi
son expertise et donc ses prédictions : « Le scénario que les Tunisiens réclament est que
Ben Ali fasse de vraies annonces : celle notamment qu’il partira dans un ou deux ans,
qu’il ne se représentera pas aux élections et l’initiation d’un processus de
démocratisation, en donnant des garanties pour une réelle solution démocratique ».
90
Suite à ce premier bloc, il va se répondre tout seul et sa réponse va mettre en avant
l’impossibilité que ce qu’il vient d’énoncer se produise.
Il terminera la réponse à cette troisième question posée par la journaliste en donnant la
solution qui fera tomber le régime. L’avenir (désormais de plus en plus proche) prouvera qu’il
avait raison.
Il n’arrive cependant pas à prédire quand l’épée de Damoclès tombera sur le chef du Palais
de Carthage.
Cet article a bel et bien cerné les enjeux exacts de la contestation ainsi que son issue
finale. Par contre, à qui attribuer le bon pronostic ? Au journal Le Monde ou à Vincent Geisser ? Le
travail journalistique a consisté à décrocher l’interview de cet expert et ensuite à lui poser les
bonnes questions. Même si, à ce moment de la contestation, les questions à poser semblaient
évidentes. Donc le plus dur a très certainement été de trouver « l’homme de la situation », en
l’occurrence Vincent Geisser.
En conclusion, je dirai que le journal, grâce à un outil journalistique nommé « l’interview »,
a pu prédire la chute du régime à deux jours près grâce à l’analyse pointue d’un expert et non au
traitement de l’actualité par un journaliste quelconque.
91
3.5. « Algérie, Tunisie : les raisons économiques de la
colère »59
Algérie, Tunisie : les raisons économiques de la colère
Envolée des prix de l'alimentaire, chômage éternellement élevé, jeunesse qualifiée sans débouchées… La
croissance, qui repart malgré tout, ne profite qu'à une minorité.
Depuis quelques jours, le sud de la méditerranée s'embrase. La Tunisie fait face à une révolte sociale spontanée et l'Algérie connaît
des émeutes du pain avec la flambée des prix de l'alimentaire. Les prix du sucre, de la farine et des céréales ont bondi de 20 à 30%.
Le kilo de sucre qui valait 70 dinars il y a peu (72 centimes), s'achète aujourd'hui 150 dinars (1,50 euro) quand un camionneur
gagne environ 800 dinars par jour (8,40 euros).
Ces deux mouvements prennent racine dans un terreau de très fortes inégalités sociales, et malgré une conjoncture économique qui
se redresse après la crise. La Tunisie et l'Algérie devraient connaître une croissance de 3,8% en 2010, et de respectivement 4,8% et
4% en 2011, selon le Fonds monétaire international. Le pays de Zine el-Abidine Ben Ali profite de son ouverture vers l'extérieur et
du retour des échanges commerciaux internationaux. Celui du président Abdelaziz Bouteflika tire parti de la hausse du prix du
pétrole dont il dépend très fortement.
Pétrole et chômage
«C'est bien là le paradoxe : l'Algérie bénéficie d'une rente pétrolière mais elle connaît des émeutes de la faim», dénonce Sion
Assidon, membre du conseil d'administration de Transparency international, ONG luttant contre la corruption. Tunisie et Algérie
souffrent l'un comme l'autre d'un chômage endémique. Chez le premier, il atteint 13,3%, et beaucoup plus parmi les jeunes
diplômés, note le FMI dans un rapport. En Algérie, le taux de chômage s'établirait à 10%. Mais il ne faut pas s'y fier. «Dur de
croire aux chiffres, les statistiques sont biaisées par les dirigeants», estime Mokhtar Lakehal, économiste à Sciences Po Paris.
Des mesures ont pourtant été prises à la sortie de la crise. Le gouvernement algérien a augmenté les fonctionnaires de 30% en
2010. Un pompier gagne aux alentours de 14.175 dinars par mois, soit 148 euros (chiffres 2008 de l'Organisation internationale du
travail). Il a mis en place un plan quinquennal centré sur le développement des infrastructures et l'emploi doté de 286 milliards de
dollars.
Financée par les exportations d'hydrocarbures, «cette somme représente 180% du produit intérieur brut (PIB), même si une partie
provient de crédits non dépensés du programme précédent», commente Jésus Castillo, économiste chez Natixis. Reste que
l'économie algérienne n'est pas assez diversifiée. Elle ne peut pas offrir les emplois en nombre suffisant à sa jeunesse toujours plus
nombreuse (sa population croît encore). Pire, le plan pourrait plus profiter aux entreprises étrangères qui n'emploient que peu de
locaux.
Émigration bloquée
Avant la crise, la Tunisie et l'Algérie bénéficiaient de deux «soupapes». L'une est toujours là : l'économie informelle. L'activité qui
échappe aux taxes représenterait entre 40 et 60% du PIB. La deuxième échappatoire, l'émigration, a en revanche disparu. «Depuis
quelques années, l'Europe a fermé ses frontières aux jeunes maghrébins et les pays du Golfe ont fait de même depuis deux ou trois
ans», observe Mokhtar Lakehal. En outre, «on observe une captation de l'Etat par une famille en Tunisie, et par une minorité
proche du pouvoir en Algérie qui détournent les ressources à leurs profits», décrit Sion Assidon.
Les révoltes de ces derniers jours changeront-elles la donne ? «La levée de boucliers de la part des avocats tunisiens signifie que le
modèle Ben Ali, qui promouvait un minimum la classe moyenne, est en train d'échouer», veut croire Sion Assidon. Mokhtar
Lakehal est plus pessimiste : «ce sont des épiphénomènes. Les manifestants seront matraqués, les meneurs arrêtés, et dans un mois
les gens retourneront à leurs occupations. Mais la marmite continuera de bouillir.»
59 GUICHARD, Guillaume. « Algérie, Tunisie : les raisons économiques de la colère ». In Le Figaro, Paris, 10
janvier 2011.
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/01/07/04016-20110107ARTFIG00591-algerie-tunisie-les-raisons-
economiques-de-la-colere.php
(consulté le 1/05/2013).
92
Pendant que les émeutes ne cessent de s’intensifier en Tunisie, Le Figaro informe son
lecteur à coup de dépêches de l’Agence France Presse (AFP)60.
Les journalistes appartenant à la rédaction prennent rarement la plume pour traiter
l’actualité tunisienne :
9 articles trouvés sur le site du Figaro.fr pour la date du 10/01/2011 – 6 dépêches AFP.
12 articles trouvés sur le site du Figaro.fr pour la date du 11/01/2011 – 7 dépêches AFP.
20 articles trouvés sur le site du Figaro.fr pour la date du 12/01/2011 – 13 dépêches AFP.
17 articles trouvés sur le site du Figaro.fr pour la date du 13/01/2011 – 13 dépêches AFP.
60 L’Agence France Presse c’est 2 260 collaborateurs de 80 nationalités différentes qui sont répartis dans 150
pays à travers 200 bureaux. Le réseau a été régionalisé selon cinq grandes zones géographiques : Amérique
du Nord, Amérique du Sud, Europe, Afrique, Asie-Océanie.
Source : AFP
http://www.afp.com/fr/agence/afp-monde/
(consulté le 01/05/2013).
93
36 articles trouvés sur le site du Figaro.fr pour la date du 14/01/2011 – 20 dépêches AFP.
Une des hypothèses qui pourrait expliquer le copier-coller des dépêches AFP réside peut-
être dans la rapidité du média qu’est internet. Informer son lecteur sur internet exige que le
traitement de l’information, ou en tout cas la diffusion de celle-ci, soit au minimum faite au même
moment où ont lieu les dits évènements, c'est-à-dire de manière quasiment instantanée. Qui peut
traiter les informations à cette rapidité ? Tout simplement le dispositif qu’est capable de déployer
une agence de presse comme l’AFP. Grâce à la couverture de l’information qui est planétaire,
l’Agence France Presse peut diffuser l’information de manière instantanée grâce à son réseau de
journalistes correspondants travaillant aux quatre coins du globe. Elle propose leur service de
couverture mondiale par un système d’abonnement auquel chaque titre de presse peut souscrire.
Il suffit donc pour un quotidien du type Le Figaro de récolter les dépêches et à leur tour de les
diffuser sur leur site internet en les signant AFP. De cette manière, les barrières de l’ubiquité et de
l’instantanéité sont franchies aisément et en quelques clics par « les journalistes assis »61 traitant
les dépêches au sein de la rédaction AFP. Le journal fait des économies d’échelle en employant
moins de journalistes et le lecteur est informé en temps réel.
C’est au travers un angle plus économique que Le Figaro s’intéresse à l’actualité tunisienne
le 10 janvier 2011. Jusqu’à présent, comme j’ai dû me plonger dans une multitude d’articles,
j’avais l’impression à chaque fois d’être parmi les manifestations, au côté de la population
tunisienne.
En effet, la grande majorité des articles traite des émeutes sociales que connait la Tunisie.
Par contre, dans cet article, le lecteur a l’impression de quitter le mouvement contestataire pour
prendre un peu de hauteur et s’extraire de la foule pour analyser plus froidement l’actualité
tunisienne. En effet, Le Figaro décide de s’intéresser aux « raisons économiques de la colère ».
S’intéresser à un article qui laisse de côté la dimension sociale pour se concentrer sur la genèse
de la contestation peut être intéressant. Le journalise peut-il prédire, à travers une analyse
61 Le journaliste « debout » (journaliste de terrain) s’oppose au journaliste « assis » (journaliste de desk). Le
premier a pour mission de collecter l’information à la source. Les reporters, grands reporters, photographes,
JRI (journalistes reporters d’images) sont de ceux-là. Le second s’attache à mettre en forme, vérifier et
hiérarchiser les données. Il est secrétaire de rédaction, rédacteur, chef de rubrique, rédacteur en chef. En
2004, force est de constater que le journalisme de desk l’emporte et que la profession tend à se
sédentariser. La réduction des effectifs, les restrictions budgétaires, mais aussi la multiplication des banques
de données facilitant la collecte d’information, ont eu raison du reportage au long cours.
Source : CIVARD-RACINAIS, Alexandrine. Les métiers du journalisme. Paris, Ed. L’Etudiant, 2008.
94
purement économique, l’issue d’une insurrection ? Après tout, les chiffres, dit-on, sont une
science exacte.
Le titre laisse entendre qu’il est également important d’associer l’Algérie à la cause
tunisienne. Il met en avant le fait que les conséquences de la « colère » des peuples prennent
source dans des « raisons économiques ». C’est donc un portrait économique que va dresser le
journaliste. C’est intéressant de se pencher sur ce point de vue qui va développer un autre angle
que celui « des diplômés chômeurs ».
Le journaliste entame l’article avec des mots forts : « Envolée des prix de
l’alimentaire », « chômage éternellement élevé », « jeunesse qualifiée sans
débouchées ». Le journaliste mettra ces mots en face d’un énorme paradoxe : « La
croissance, qui repart malgré tout, ne profite qu’à une minorité ». Ce paradoxe contient
implicitement un droit légitime à la « colère » annoncée dans le titre. Le journaliste ne le dit pas,
il oppose juste deux faits.
Guillaume Guichard continue en utilisant une opposition qui va mettre en exergue un
nouveau paradoxe. Il parle de « très fortes inégalités sociales malgré une conjoncture
économique qui se redresse après la crise ».
95
Le journaliste va présenter l’article à son lecteur telle une démonstration. Des chiffres
traduisant une bonne santé économique seront mis en avant alors que pendant ce temps-là, « le
sud de la méditerranée s’embrase », que « la Tunisie fait face à une révolte sociale
spontanée » et que « l’Algérie connait des émeutes du pain ».
Ce paradoxe, fortement mis en avant, soulève implicitement une question qui va
apparaître en filigrane tout au long de l’article : si l’économie d’un pays est prospère et que
malgré ça la population crie tout haut qu’elle vit dans la misère, à qui la faute ?
C’est donc de manière subtile, en opposant bonne santé économique et misère sociale, que
Guillaume Guichard amène le lecteur à se questionner.
Un premier intertitre va à nouveau mettre le lecteur face à un paradoxe :
Le surnom du pétrole c’est « l’or noir ». Malgré cet or noir la population a faim et ne peut
se voir offrir un emploi.
Les propos d’un expert membre du conseil d’administration de Transparency International
entameront le paragraphe en prenant l’exemple algérien. « ’’C’est bien là le paradoxe :
l’Algérie bénéficie d’une rente pétrolière mais elle connaît des émeutes de la
faim’’, dénonce Sion Assidon ». Le schéma de l’article qui est construit sur des oppositions
mettant en avant des grands paradoxes est enfin confirmé. Cette fois-ci pas par le journaliste
mais par un expert. Le paradoxe est enfin légitimé par l’analyse de ce dernier. Le travail de
démonstration du journaliste est crédibilisé par cet expert qui « dénonce » la situation. Le mot
est assez fort. Il ne se contente pas de commenter mais de dénoncer.
96
Après l’expert, c’est maintenant aux chiffres de parler et d’appuyer les propos
précédemment cités. Le journaliste enfonce le clou en disant que malgré « les jeunes
diplômés » qui doivent incarner l’avenir du pays grâce à une formation intellectuelle et qualifiée,
la Tunisie souffre d’un taux de chômage élevé : 13,3%.
Afin de dénoncer encore plus fortement la situation paradoxale dans laquelle vivent les
Tunisiens, le journaliste n’hésite pas à volontairement remettre en question les chiffres qu’il vient
à peine d’écrire. En effet à la phrase suivante, un nouvel expert, Mokhtar Lakehal économiste à
Sciences Po Paris, vient alourdir la triste addition en disant qu’il était « dur de croire aux
chiffres, les statistiques sont biaisées par les dirigeants ».
Dans les trois paragraphes qui suivent le premier intertitre, Guillaume Guichard ne se
concentre donc pas sur la prédiction d’une chute éventuelle de Ben Ali mais il se sert des chiffres
et des experts pour corroborer ces derniers afin de dénoncer de manière implicite un
dysfonctionnement et des inégalités incompréhensibles au vu des données qu’il avance.
Le deuxième intertitre est le suivant :
Après avoir brièvement évoqué la question économique, l’article va maintenant se pencher
sur une des causes politiques qui peut être à l’origine du mouvement de contestation. Toujours en
s’appuyant sur des chiffres mais également sur la remise en cause de certaines décisions
politiques.
Les deux experts auxquels le journaliste a fait appel dans son article évoquent une des
« soupapes » qui, avant la crise, avait permis à la Tunisie de maintenir une paix sociale pour
tenter d’expliquer les émeutes. Cette première « soupape » va être une diversion afin de
trouver des responsables autres que le régime du Président Ben Ali.
97
Le premier expert, Mokhtar Lakehal, met en avant l’émigration qui servait
« d’échappatoire ». Ce mot « échappatoire » sous-entend qu’une fois la fuite devenue
impossible, la marmite sociale entre donc en ébullition comme c’est le cas actuellement. Il
suffisait de fuir son pays pour fuir la misère dans laquelle les Tunisiens vivaient.
Quant à l’autre expert qui, dans la première partie de l’article, n’a pas hésité à
« dénoncer », il va continuer sur ce ton en pointant du doigt la corruption :
Après avoir utilisé les deux experts pour commenter « les raisons économiques de la
colère », Guillaume Guichard va leur demander de clore l’article sur une prédiction au sujet de
l’avenir du régime de Ben Ali. En effet, le journaliste utilise donc les deux spécialistes à qui il
donne la parole dans son article pour tenter de donner des hypothèses sur la suite des
évènements. Il terminera d’ailleurs l’article en orientant sa question sans détour :
Les révoltes de ces derniers jours changeront-elles la donne ?
Les réponses données par Sion Assidon et Mokhtar Lakehal à cette question vont diverger.
Cependant, le premier va se rapprocher au plus près de la vérité pendant que le deuxième semble
plus pessimiste.
98
Sion Assidon, à travers les analyses faites tout au long de l’article, arrive donc bien à
prédire un « échec » de la politique de Ben Ali. Il ne dit pas que la chute du Président Ben Ali est
imminente mais qu’elle est bel et bien « en train d’échouer ».
Par contre, Mokhtar Lakehal continue de croire en une efficacité répressive du Président. Il
pense que les multiples répressions vont finir par faire taire les revendications et faire rentrer les
quelques brebis égarées dans le troupeau. Sur cette partie-là, il a bien entendu tout faux car,
quatre jours après la publication de cet article sur le site du Figaro.fr, Ben Ali fuira son pays.
Cependant, on peut nuancer l’analyse qu’on porte sur sa prédiction grâce à la toute
dernière phrase de l’article qu’il a prononcée : « Mais la marmite continuera de bouillir. » Il
laisse entendre que même si Ben Ali reprend le contrôle, ce ne sera que partie remise avant une
nouvelle explosion de la colère des Tunisiens.
Finalement, il s’avère que l’article, qui présente tout au long du texte des chiffres sans
jamais rendre compte des évènements contestataires, arrive à de bonnes conclusions. Malgré le
traitement assez froid de l’actualité dû à la dimension économique du problème, le journaliste
justifie le titre de son article. Le lecteur peut également prendre conscience que les revendications
peuvent être cernées et expliquées à travers un angle beaucoup moins social. Cet article dénonce
donc bien les raisons antérieures aux troubles en cours en Tunisie. Guillaume Guichard prouve,
qu’au travers de la genèse des revendications et en ne se concentrant que sur cette dernière,
l’issue finale peut tout de même être envisagée. Les chiffres ont donc bien parlé.
99
3.6. « L’heure de vérité pour la Tunisie »62
L'heure de vérité pour la Tunisie
L'éditorial de Pierre Rousselin.
Déclenchées pour des raisons économiques, les émeutes qui durent depuis un mois en Tunisie sont en
train de prendre un tour politique en raison de la répression qu'elles ont suscitée. Le régime autoritaire
du Président Ben Ali fait face à la plus grave crise qu'il ait connue en vingt-trois ans de pouvoir. Il
pouvait pourtant se targuer jusqu'ici d'avoir réussi là où bien d'autres ont échoué.
Sans disposer des ressources naturelles de ses voisins immédiats, la Tunisie a su investir dans
l'éducation et libéraliser son économie pour atteindre des taux de croissance enviables. Une relative
prospérité a donné naissance à une classe moyenne dynamique, accordant toute leur place aux femmes
et se présentant comme un modèle pour d'autres pays.
Mais avec la crise économique mondiale, ce qui fait le fondement de la stabilité du pays se fissure. La
Tunisie de Ben Ali est en quelque sorte victime de son succès.
La réduction des débouchés extérieurs est à l'origine du sentiment de frustration que ressent une
jeunesse souvent diplômée, confrontée à un chômage croissant. C'est une frustration qui ne peut
s'exprimer normalement faute d'une ouverture politique.
Parties du centre du pays, loin des zones côtières qui profitent du tourisme et des marchés extérieurs,
les émeutes ont maintenant gagné la capitale.
Le pouvoir est obligé de réagir. En promettant la création de 300 000 emplois d'ici à 2012, Ben Ali a
d'abord répondu à la revendication économique. En limogeant son ministre de l'Intérieur, il a dû,
ensuite, prendre acte de la dimension politique des émeutes, et de l'absurdité d'une répression
disproportionnée.
Il faut espérer qu'il y a là le début d'une prise de conscience des limites du modèle tunisien et de la
nécessité d'une ouverture politique réclamée par l'ensemble de la société civile.
L'enjeu est considérable. Toute déstabilisation de ce pays ne peut que profiter aux islamistes radicaux.
C'est un fait qui réclame une grande prudence dans les commentaires et justifie les appels pressants à
l'apaisement. Mais cela ne peut pas justifier une épreuve de force avec une population qui voudrait
seulement profiter des bienfaits d'un progrès économique qui lui a été promis.
62 ROUSSELIN, Pierre. « L’heure de vérité pour la Tunisie ». In : Le Figaro, 12 janvier 2011.
http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2011/01/12/10001-20110112ARTFIG00630-l-heure-de-verite-pour-la-
tunisie.php
(consulté le 3/05/2013).
100
Voici l’un des derniers éditoriaux qui fut publié sur le site du Figaro.fr juste avant la chute
du Président Ben Ali. L’article est d’abord paru sur le blog personnel de Pierre Rousselin,
journaliste au Figaro. Il a été ensuite repris sur le site principal du quotidien.
A quelques jours de l’avènement de la révolution tunisienne, il était important de trouver
un article qui allait s’atteler à donner l’opinion du journal sans détour au travers l’exercice
journalistique le plus adéquat qu’est l’éditorial.
Vu l’abondante quantité de dépêches AFP reprises par le site du Figaro pour traiter le
soulèvement des Tunisiens, il était encore plus important d’être immédiatement alerté dès que le
journal prenait la parole pour commenter cette actualité.
3.6.1. Le titre
Ce titre laisse entendre que tout va se jouer maintenant pour la population tunisienne.
Voici maintenant presqu’un mois que le pays est en proie à de fortes revendications. Il est
définitivement temps de prendre son destin en main.
Il cite donc bien le terme « heure de vérité » mais de quoi celle-ci est-elle synonyme aux
yeux du journaliste ? A travers ce titre, Pierre Rousselin laisse la porte grande ouverte pour dire
ce qu’il pense et prédire l’issue finale de ces mois de protestations.
3.6.2. Le texte
Le premier paragraphe, comme l’a fait précédemment Guillaume Guichard dans son article
du 10 janvier 201163, va rappeler au lecteur pourquoi la Tunisie est en plein chaos. A la différence
de son confrère, Pierre Rousselin ne rappellera pas les chiffres des raisons qui ont déclenché les
émeutes. Il se contentera seulement de citer les faits sans les justifier.
63 Cf. Supra, chapitre 3.5 (« Algérie, Tunisie : les raisons économiques de la colère »), p. 91.
101
Le journaliste continuera son éditorial en mettant en avant le fait que la Tunisie a su faire
les bons choix pour son développement, c'est-à-dire miser sur « l’éducation et libéraliser son
économie pour atteindre des taux de croissance enviables ». Rappelons tout de même que
cette stratégie et ce pari ont été pris par le prédécesseur de Ben Ali, Bourguiba. Ben Ali n’a fait
que récupérer le pays en « bon état » en 1987 suite au travail et à la politique menés par l’ancien
président de la Tunisie.
Dans le troisième et quatrième paragraphe, Pierre Rousselin continue de décrire la
situation. A vrai dire, à la lecture de cet article, le lecteur n’a pas l’impression de lire un éditorial.
Ce sentiment est justifié par une absence de subjectivité s’avérant pourtant être l’outil principal
de cet exercice de style.
A ce moment du texte, le lecteur se demande quand le subjectivisme du journaliste va
enfin émerger.
Ce n’est qu’au deux tiers de l’article que Pierre Rousselin va quitter le ton normalement
dédié aux articles informatifs. En effet, ce n’est qu’au troisième paragraphe, avant la fin de
l’éditorial, qu’il va tenter d’émettre une opinion sur la suite des évènements. A quoi faisait-il
référence dans son titre en parlant de « L’heure de vérité pour la Tunisie » ?
102
Il va d’abord dire qu’il faut se rendre compte « des limites du modèle tunisien et de la
nécessité d’une ouverture politique ». Le journaliste parle bien des « limites » d’un modèle.
Les « limites » sous-entendent une fin de cedit modèle si rien n’est fait pour le changer. Il se rend
donc bien compte de l’effritement de la politique du président mais n’en prédit pas sa chute.
Ensuite, Pierre Rousselin écrit que « toute déstabilisation de ce pays ne peut que
profiter aux islamistes radicaux». Quid l’aspiration à la démocratie et à une plus grande
justice sociale pour les Tunisiens ? Cependant, la déstabilisation du pays sera entraînée par le
changement du « modèle » qu’il vient de décrire précédemment comme étant à « ses limites ».
Le journaliste ne dira pas que le régime est en train de tomber mais il mettra en garde
concernant les « islamistes radicaux » qui pourraient tirer leur épingle du jeu en cas de
« déstabilisation ». Envisager une éventuelle « déstabilisation » pourrait laisser entendre que le
journaliste n’imagine même pas une chute imminente du régime. Déstabilisation n’est pas
synonyme de capitulation.
De plus, si on approfondit un peu l’analyse et que l’on se rappelle des premières décisions
de Ben Ali suite à son accession au pouvoir, on peut se poser une question : justifie-t-il la
légitimité du Président en pointant du doigt, comme l’a fait Ben Ali dès sa prise de pouvoir, une
« menace islamiste » ? Cette hypothèse pourrait rendre compte que le journaliste n’imagine pas
une chute imminente du pouvoir central.
Cet éditorial ne répond pas aux réponses qu’on était en droit d’attendre. Pierre Rousselin
semble être sur la retenue tout au long du texte. A deux jours de la révolution tunisienne, le
journaliste n’a pas profité de cet article pour donner pleinement son opinion. Il reste enfermé trop
longtemps dans le carcan de l’information et de la description des faits. Cela peut expliquer le fait
qu’il n’ait pas su écrire ou en tout cas imaginer l’avenir proche qui attendait les Tunisiens.
103
Conclusion
Le but de mon travail était de me rendre compte de la capacité des médias français à
pouvoir anticiper une révolution à venir. S’ils ont pu, grâce à leur traitement de l’actualité
tunisienne, esquisser de réelles prédictions au sujet d’un peuple qui était en train d’aspirer à la
démocratie ? L’Occident, qui érige cette démocratie en modèle, a-t-il pu voir un peuple se battre
pour elle ? Ces quotidiens français, et donc occidentaux, imaginaient-ils le peuple tunisien capable
de renverser un régime autoritaire symbolisant le dernier rempart à leurs aspirations les plus
légitimes ?
La question principale était donc de se demander si le lecteur, au sein de son journal
quotidien, a pu être informé en avance sur un évènement majeur à venir. Et si oui, à quel
moment ?
Il fallait tout d’abord analyser l’élément déclencheur qui allait ensuite déboucher sur l’objet
de la prédiction. Cet élément déclencheur était l’immolation du jeune habitant de Sidi Bouzid,
Mohamed Bouazizi. Cette étincelle qui a déclenché le brasier a eu lieu le 17 décembre 2010. Il
s’agissait ensuite de délimiter une période précise à soumettre à mon analyse.
Dans un premier temps, j’ai analysé les articles exclusivement parus dans les journaux
papiers sur la période des dix jours qui ont suivi l’acte désespéré de Mohamed Bouazizi. Mon
premier corpus d’articles est donc basé sur ces critères.
Il s’avère que peu d’articles ayant traité le sujet ont été écrits au sein des journaux papiers. En
effet, sur l’ensemble des trois principaux quotidiens français, quatre articles sont parus durant les
dix jours qui suivirent l’immolation de Mohamed Bouazizi. Parmi ces quatre articles figurent deux
brèves. Il y a donc eu uniquement deux articles qui ont développé de manière plus détaillée la
révolte tunisienne.
Le journal Libération est le quotidien français qui a le plus parlé de l’information durant
cette période. Sur les quatre articles, trois ont été publiés dans ce journal. Cependant, il a fallu
attendre le 21 décembre 2010, soit quatre jours après le déclenchement de la révolte, pour que le
journal traite le sujet. C’est à travers la plume du journaliste Christophe Ayad que le lecteur a été
informé sur les heurts qui étaient en cours en Tunisie.
Dès son premier article64, Christophe Ayad, en tant que spécialiste du continent africain et du
monde arabe, a su directement mettre le doigt sur ce qui fâchait en Tunisie. Il ne se contentait
64 Cf. Supra, chapitre 2.3.1 (« Face au gâchis social, la Tunisie ose s’insurger. »), p. 32.
104
donc pas de raconter les faits mais de les expliquer et de les mettre en relief avec un passé
proche qui avait déjà fâché la population tunisienne. Ce recul sur une actualité si récente peut
être considéré comme un remarquable signe de compréhension des futurs enjeux de cette révolte
qui n’en était encore qu’à ses balbutiements.
Cet article fait de Christophe Ayad le premier journaliste à avoir parlé de la révolte tunisienne.
Suite à l’analyse du texte, on se rend compte, notamment grâce au recours à un certain type de
vocabulaire mais surtout grâce au titre de son premier article, que le journaliste mettait déjà le
lecteur en garde quant à une éventuelle montée de la colère des Tunisiens. Dire, le 21 décembre
2010 en concluant son article, que le régime de Ben Ali allait avoir du mal à « canaliser cette rage
sociale » est un des signes tangibles de la lucidité dont fait preuve Christophe Ayad dans son
traitement de l’information.
Malgré l’article paru dans Libération, ce n’est qu’à partir du 27 décembre 2010 que Le
Monde en parle pour la première fois dans ses pages65. A un jour près, le journal Libération aurait
été le seul quotidien français à avoir relaté les troubles en Tunisie durant la période de mon
premier corpus.
Isabelle Mandraud est la première journaliste qui a couvert les troubles en Tunisie pour le
journal Le Monde. L’article est écrit sur un ton presque exclusivement informatif. Il y a
essentiellement deux raisons à cela. D’une part la ligne éditoriale du journal qui le place au milieu
de l’échiquier par rapport aux journaux Libération et Le Figaro. D’autre part, après dix jours
d’insurrection, il était temps pour le quotidien de rédiger un article complet sur tout ce qui s’était
passé durant toute cette période. L’objectif poursuivi par l’article se concentrait sur le fait de
rattraper le retard sur l’information tunisienne. Ce besoin d’informer le lecteur suite au retard
engendré va occulter la prise de recul de la journaliste. L’article sera donc presque exclusivement
factuel.
Cependant, la journaliste va tout de même esquisser quelques hypothèses sur la suite des
évènements. Ceux-ci s’avèreront juste. Tout d’abord, elle soulignera la toute récente implication
du syndicat nationale (UGTT) qui soutient les manifestants comme étant un paramètre à ne pas
négliger pour la suite des évènements. Ensuite, elle qualifiera le chômage d’un « fléau » qui est
« un phénomène qui concerne tout le Maghreb ». Cette dernière remarque tend à prouver que la
journaliste a ressenti, à ce moment-là, une potentielle propagation de l’étincelle tunisienne à tout
le Maghreb. Pendant que certains journalistes se concentraient sur la révolte qui était en train de
prendre de l’ampleur en Tunisie, Isabelle Mandraud avait déjà élargi son champ de vision pour le
porter à l’échelle du Maghreb. Connaissant désormais ce qui s’est passé après le 14 janvier 2011
et l’onde de choc qu’a provoqué le printemps tunisien, on est à même de dire que la journaliste
avait esquissé une prédiction assez cohérente.
65 Cf . Supra, chapitre 2.4.1 (« En Tunisie, des manifestations dégénèrent en affrontements avec la police. »), p. 49.
105
Concernant le journal Le Figaro, les difficultés que j’ai rencontrées pour me procurer les
articles parus dans le journal papier m’ont empêché de pouvoir analyser les publications des dix
jours qui suivirent l’immolation de Mohamed Bouazizi. Cependant, après m’être tourné vers leur
site internet pour me rendre compte du traitement que la rédaction avait consacré à la révolte
tunisienne, je me suis aperçu qu’il était inexistant. Aucun journaliste membre de la rédaction n’a
été amené à écrire un article concernant la Tunisie. Les seules traces de traitement de
l’information sont trois dépêches de l’AFP relayées sur le site du Figaro.fr.
Ce premier corpus d’articles n’est donc pas quantitativement fourni avec seulement quatre
articles parus dans l’ensemble des trois quotidiens. Mais faible quantité rime-t-elle forcément avec
faible qualité dans le traitement de l’information ? Certes, les deux journalistes qui ont été
amenés à rédiger les articles n’ont pas prédit une chute du régime de Ben Ali mais, à ce stade de
l’analyse, la révolte avait encore dix-huit jours pour gagner en puissance. Cependant, Christophe
Ayad et Isabelle Mandraud ont tout de même anticipé une révolte qui allait prendre encore plus
d’ampleur. Le premier au sein même du mouvement des manifestants tunisiens et la seconde à
l’échelle d’un plus grand territoire. Dans ce premier corpus, ils n’ont jamais parlé d’une éventuelle
accalmie ni même d’un possible effondrement du régime en place.
Le journaliste de Libération parlait d’ « une rage sociale » et la journaliste du journal Le Monde a
tout de même explosé les frontières de la Tunisie en parlant des revendications comme pouvant
être une cause concernant tout le Maghreb.
En conclusion à cette première partie d’articles, nous pouvons dire que dix jours n’ont pas
suffi pour prédire la chute de Ben Ali. Cependant, malgré la censure et la difficulté d’accès aux
informations pour les journalistes, le lecteur de Libération, au travers la plume de Christophe
Ayad, peut se vanter d’avoir eu une bonne lecture des faits par son journaliste. Quant au lecteur
du journal Le Monde, le seul article paru dans les dix jours qui suivirent l’immolation n’a pu que lui
esquisser un strict accompagnement des faits et une timide prédiction sur la propagation de la
colère tunisienne.
Suite à ce premier corpus pauvre en article, l’analyse s’est portée sur un deuxième corpus
qui s’étendait du 28 décembre 2010 au 12 janvier 2011, soit deux jours avant la chute de Ben Ali.
L’accélération des évènements contestataires et de la répression de la population m’a forcé à me
pencher sur un média plus rapide pour récolter mes articles : internet.
La publication des articles sur internet étant très importante, je ne pouvais pas être
exhaustif dans mon analyse. J’ai donc décidé d’en sélectionner quelques-uns parmi l’abondance
d’articles relayés sur les sites internet des quotidiens. Mon critère de sélection était, qu’après la
106
lecture d’un article, une prédiction sur l’avenir du régime de Ben Ali ressorte soit de manière
explicite, soit de manière implicite.
La deuxième partie consistait donc à partir à la chasse à l’article qui allait pouvoir prédire
la chute du régime de Ben Ali. Cette partie d’analyse avait donc pour but de répondre
définitivement à la question de mon travail de fin d’études.
Dans ce corpus, cinq articles ont été analysés. Christophe Ayad, qui va continuer à couvrir
les révoltes en Tunisie pour le journal Libération, semblera constamment teinter ses analyses
d’une implicite subjectivité. Il utilisera même le mot « révolution » dans un de ses articles paru le
5 janvier 201166. Dans chacun de ses articles, il donnera l’impression au lecteur d’avoir un temps
d’avance sur les évènements qui vont se dérouler en Tunisie. Je pense que Christophe Ayad a cru
qu’un renversement du pouvoir était possible même si chaque fin d’articles est empreinte d’une
certaine retenue. Ses prédictions concernant une révolte qui n’allait cesser de grandir furent
toutes exactes. Il est difficile de dire s’il pensait les Tunisiens capables de porter l’estocade au
Président Ben Ali. Il sera cependant le seul journaliste qui se sera approché si près de la vérité et
de l’issue de ce mois de révolte. Le journal Libération a donc été le journal qui a permis de
ressentir de manière la plus juste l’intensité de la révolte. Christophe Ayad était donc
remarquablement en phase avec les aspirations du peuple tunisien mais son rôle n’était pas de
donner un pronostic sur l’avenir politique du pays. L’important semblait d’être au plus proche de la
« rage sociale » qui n’a cessé de croître jusqu’au 14 janvier 2011. Révolte sans précédent ? Oui.
Révolution ? Peut-être.
Si de son côté Christophe Ayad est resté fort prudent et ne semblait pas vouloir anticiper
quoi que ce soit, ce ne fut pas le cas du journal Le Monde. Le journal a prédit la chute du régime
le 12 janvier 2011. Cependant, ce n’est pas via la plume d’un des journalistes de la rédaction mais
grâce à une interview. Cette interview était celle de Vincent Geisser. Contrairement à Libération
qui, au travers des articles de Christophe Ayad, a esquissé des prédictions assez concrètes sur
l’intensité révolutionnaire des protestations, Le Monde ne peut pas se vanter d’avoir pu prédire la
chute du régime de Ben Ali exclusivement via la rédaction d’un article rédigé par un journaliste.
Dans l’article « Tunisie : les gages de Ben Ali, symboles d’un ’’régime aux abois’’ »67, Vincent
Geisser, à travers une critique cinglante du régime de Ben Ali, dit clairement que la seule solution
est qu’il quitte le pouvoir. Certes, il le prédit clairement tout au long de son interview accordée au
journal mais je souligne tout de même que l’article est publié le 12 janvier 2011 et, à ce moment
de la révolte, les manifestants étaient aux portes du Palais présidentiel. Si on se penche donc un
66 Cf. Supra, chapitre 3.2 (« Tunisie, la colère est dans la rue), p. 61.
67 Cf. Supra, chapitre 3.4 (« Tunisie : les gages de Ben Ali, symboles d’un ’’régime aux abois’’ »), p. 79.
107
instant sur la ligne du temps des évènements, le discours explicite de l’expert peut paraître
évident.
Au final, la pluralité d’opinions du paysage médiatique français a su être complémentaire
dans sa couverture de l’information grâce à la singularité de chaque quotidien dans son
traitement. En effet, les angles pour traiter le mois de protestations se sont avérés multiples. Le
journal Libération a semblé être plus à même de s’approcher de la vérité d’un point de vue social.
Lire les articles de Libération permettait au lecteur de se sentir au cœur des mouvements de
contestation et d’appréhender, avec un temps d’avance, la colère du peuple. Pas la chute d’un
régime mais bel et bien de se rendre compte de l’ampleur de sa colère.
Par contre, le journal Le Monde a permis à son lecteur une approche beaucoup plus
descriptive et factuelle. Certains articles ressemblaient presque à des dépêches d’agence de
presse. A défaut d’avoir un journaliste qui, par sa plume, a pu esquisser quelques hypothèses sur
le déroulement des heurts, leur force a été de se tourner vers des spécialistes. Cette méthode a
permis d’imprégner les articles d’une expertise, à l’image de l’interview de Vincent Geisser, afin
d’approcher de manière concrète l’issue de la révolte. Cette approche a rendu également possible
de quitter la ligne éditoriale du journal en donnant la parole à des experts qui ont pu faire
exploser la dimension objective sur le traitement de l’information par le journal.
Quant au Figaro, son analyse plus froide de l’information, se cantonnant trop souvent à
une dimension économique et chiffrée de la crise que traversait la Tunisie, a contraint le journal à
s’enfermer dans une ligne analytique presque exclusivement économique. Les revendications ont
certes pris source dans des inégalités de cet ordre (chômage, corruption, emploi, vie chère…),
mais le moteur de ces dernières fut social. Occulter la dimension sociale pour traiter le printemps
tunisien n’était pas la meilleure façon de pouvoir envisager la suite des évènements.
Ces différentes conclusions m’amènent à en tirer une éminemment plus générale. Le but
du métier de journaliste n’est pas de prédire l’avenir mais de l’appréhender. Le journaliste n’a pas
une boule de cristal qui va lui permettre d’être informé des choses avant qu’elles ne se
produisent. Un journaliste, grâce à son éveil au monde qui l’entoure, sa curiosité, sa rigueur et
son regard de professionnel du traitement de l’information, doit fournir à son lecteur l’analyse la
plus juste possible sur un évènement en cours. Comprendre les enjeux d’un fait d’actualité quel
qu’il soit est plus important qu’un travail hasardeux de prédiction. Que serait le métier de
journaliste, serait-il encore légitime si son but était de s’aventurer dans d’absurdes prophéties ?
N’est pas Nostradamus qui veut !
108
A l’heure actuelle, le mécanisme de l’information ne se focalise pas sur le hier ou le
lendemain mais sur le maintenant, le tout de suite et, a fortiori, l’instant. La vitesse de diffusion
de l’information a explosé les lois de l’espace-temps. Pour exister, une information se doit d’être
traitée n’importe où et dans l’instantanéité. La plus-value qu’apporte un journaliste à l’heure où
l’information est devenue fast-food n’est autre que le temps qu’il prend pour traiter et surtout
comprendre la mosaïque des évènements qui construisent l’actualité. Traiter une information ce
n’est pas la formater pour la rendre comestible et consommable. C’est à ce moment précis que le
rôle du journaliste intervient. A l’heure où la surabondance d’informations donne un caractère
irrationnel à l’actualité, le journaliste est là pour redonner une dimension rationnelle au métier du
journalisme. Or, serait-il rationnel de penser être capable de prédire l’avenir ?
109
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