missionnaires de pékin – intérêt de l’argent en chine
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8/14/2019 Missionnaires de Pkin Intrt de largent en Chine
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INTERTde
LARGENT en CHINE
MMOIRESconcernant lHistoire, les Sciences,les Arts, les Murs, les Usages, &c
DES CHINOIS
par les Missionnaires de P-kin
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Intrt de largent en Chine
publie dans :
MEMOIRESconcernant lHistoire, les Sciences, les Arts, Les Murs, les Usages, &c
DES CHINOISpar les Missionnaires de P-kin
Tome quatrieme, pages 299 391.A Paris, chez Nyon lan, Libraire, rue Saint-Jean-de-Beauvais, vis--vis leCollege, 1779.
mode texte prpar parPierre Palpant
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LINTRT DE LARGENT EN CHINE
p.04.299 Il en est de certains points de ladministration publique & du
gouvernement, comme du relevement des ctes. Quelque exact que soit
un Ecrivain dans les dtails o il entre, pour les faire connoitre & les
montrer sous leur vrai point de vue, il faut le coup dil, une certaine
justesse desprit, & lhabitude de la pratique, pour en faire lapplication.
Sil arrive souvent que les Marins se mprennent, la carte la main, sur
les terres quon commence dcouvrir, & quils risquent daller briser
contre des ecueils, en cherchant le port o ils seroient labri de latempte, plus souvent encore les hommes dEtat se trompent sur ce quon
leur raconte des loix civiles & economiques des pays etrangers. Ils les
louent ou les blment, les adoptent ou les rejettent, en prenant pour un
rayon p.04.300 de sagesse les lueurs dune prvention opinitre, qui les leur
fait voir toutes diffrentes de ce quelles sont. Cest un malheur commun
tous les siecles, & quon trouve dans lhistoire de tous les peuples. Il
nappartient quaux gnies du premier ordre de pressentir le vrai, de ledistinguer, de le connotre, & de seclairer de sa lumiere jusques dans le
cahos des opinions & des systmes. Les hommes de gnie font rares :
aussi les vaisseaux que le commerce conduit dun pole lautre, en
rapportent-ils en vain des vues & des connoissances plus prcieuses que
lor & les pierreries. On continue les ngliger, parce quelles ont et
ngliges. Les fautes des peres ne sont pas seulement perdues pour leurs
enfans, elles leur en font faire de nouvelles dont ils sapplaudissent.
LEurope aime mieux renoncer aux ressources que lui fourniroit la
connoissance des pays etrangers, que de se charger den approfondir les
usages & den discuter le pour & le contre, au risque de se mprendre. Ce
nest pas nous lui demander une exception pour la Chine, ni mme
pour larticle si important de lintrt de largent, qui touche de prs aux
premieres sources de labondance & de la richesse des Etats, & sur lequel
la politique dEurope a adopt des principes si diffrens. Mais si on a la
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curiosit de savoir quels sont ceux qui ont prvalu ici depuis plus de six
siecles, & comment les loix les ont fait passer dans le gouvernement,
quon nous permette den parler avec cette franchise qui ne voit que la
vrit & qui ne soccupe que delle. Lantiquit de notre Monarchie, la
rputation de sagesse qua son ministere, le tmoignage que lui rendent
trente-cinq siecles, ses richesses & son opulence, sa puissance & sa
grandeur, qui en font le premier Empire de lAsie, & peut-tre de lunivers,
nous fourniroient une ample matiere, si nous ne cherchions qu discourir
& eblouir par un vain etalage de mots. Mais p.04.301 nous ne parlerons
quen simples historiens, & nous nous bornerons exposer avec la plus
grande simplicit la maniere dont on a envisag lintrt de largent dansnotre patrie, par rapport la chose publique. Quelque ais mme quil fut
de semer nos rcits de vues & de rflexions lies par notre sujet aux
gouvernemens anciens & modernes des autres pays, nous nous faisons
une loi de nous abstenir de tout ce qui pourroit y avoir trait ou y faire
allusion.
La vrit est une, eternelle & immuable, dit Tchin-tse, &
ds-l elle est le centre commun o aboutissent les rayons dela prudence, de la science, de la pntration, de lexprience &
de la vertu. Voil pourquoi les hommes dEtat & les
philosophes, les gens de bien & les bons citoyens de tous les
siecles nont quune seule & mme doctrine. Eclairs du triple
flambeau de la tradition, de la raison & de la conscience, ils
laissent derriere eux les nuages des prjugs & des passions,
foulent aux pieds lhydre de la contradiction, sarrtent quand
le torrent des circonstances soppose leur passage, comptent
tous leurs pas dans les sentiers les plus unis, & quoiquils
prennent diffrens chemins & dtours pour ramener la
multitude, ils ne perdent jamais de vue le bien public, & sen
approchent, de quelque point quils partent ; le bien public est
leur unique but.
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Que ces paroles calment davance les esprits que vont effrayer les
diffrentes opinions adoptes, dans ces derniers temps, sur lintrt de
largent. Le bien public, en cette matiere, est un Prote qui echappe
toutes les poursuites du calcul & de la logique. Il faut le lier avec la
constitution du gouvernement, le ton des murs gnrales, le gnie de
la nation, les circonstances locales, &c. pour quil paroisse tel quil est.
Ce point est essentiel : aussi, pour suppler aux p.04.302 connoissances
qui manquent lEurope sur la Chine, en cette matiere, ou que le lecteur
nauroit pas assez prsentes, nous allons crayonner le tableau de la
position de cet Empire, par rapport lobjet de ce Mmoire ; cest
chacun y mettre les ombres & les couleurs.
Le gouvernement de notre Chine fut fodal depuis son origine
jusquen lanne 248 avant J. C. Il a et monarchique depuis. Par
gouvernement monarchique, nous entendons un gouvernement o la
Couronne est hrditaire & o le Prince, ne dpendant que de Dieu,
ayant le droit dabroger les anciennes loix & den faire de nouvelles, & un
pouvoir sans bornes pour les faire observer aprs leur promulgation,
possede essentiellement la suprme judicature, & est tellement la sourcede toute autorit, que celle de tous les Tribunaux & de tous ses Officiers
drive de lui & dpend de lui, de sorte que les charges par lesquelles il la
communique, quoique lies par les loix fondamentales de lEtat la
constitution intime du gouvernement, ne sont que des commissions quil
donne & quil te quand il veut. Il ny a que les Princes titrs quil ne
peut pas dpossder de leurs Principauts, sans leur faire leur procs,
encore doit-il leur donner un successeur de leur maison, moins quils
ne soient dans les cas excepts par la loi. Les loix anciennes & nouvelles
sont dailleurs si favorables au Prince, & si rigoureuses pour ses Officiers,
que sil vouloit faire procder contreux selon la forme judiciaire, presque
tous seroient dans le cas dtre condamns.
Ces droits, ce pouvoir, cette autorit, cette plnitude de puissance
attachs au Trne, ne sont craindre que sous les mauvais Princes qui,
aussi-bien les auroient bientt usurps, sils ne les avoient pas. Celui qui
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en est revtu a un grand nombre de Censeurs qui ont, par leur charge, &
le droit & p.04.303 lobligation de lavertir sans cesse de ses dfauts
personnels, de lui faire connotre ses fautes, de lui dnoncer les
malversations de ses Officiers, de le prvenir contre les surprises de ses
Ministres, de rclamer pour les loix, & de lui montrer le chemin quelles lui
tracent pour exercer sa bienfaisance & assurer le bonheur des peuples.
Les premiers Magistrats de tous les Tribunaux peuvent aussi lui faire des
reprsentations, chacun sur la portion des loix dont il est charg, soit pour
maintenir lexcution des anciennes, soit pour en demander de nouvelles,
soit pour faire connotre les inconvniens des unes & des autres. Le Prince
exposeroit sa gloire, sil necoutoit pas les reprsentations qui sont justes ;& les Magistrats leur fortune & leur vie, sils mettoient dans ces
reprsentations un mot qui blesst le respect infini quils doivent au Tien
que le Prince reprsente, ou sils en trahissoient le secret en quelque
maniere que ce ft. Il est inoui que ces sortes de pieces aient jamais
perc dans le public, si ce nest par les rponses quil plat lEmpereur
dy faire quelquefois. Conclusion : il ne peut cesser dtre le pere des
peuples quautant que les Magistrats sont ses complices.
Cest sur le Trne que rside toute lautorit, cest du Trne quelle
drive ; mais elle nagit que par ceux qui elle est communique, &
comme elle nest communique que daprs les loix, elle ne peut agir
que par les loix & daprs elles. Or, toute loi etant naturellement &
essentiellement juste, lusage de lautorit ne peut tre injuste que par la
prvarication des Magistrats & des Officiers du Prince.
Comme la Chine entiere na quune seule & mme administration,lautorit agit toujours avec force & avec succs, parce quelle agit dune
maniere constante, uniforme & subordonne. Les six grands Tribunaux
de lEmpire, qui sont les Tribunaux des Mandarins, des Finances, des
Crmonies, de la Guerre, des Crimes & des Ouvragespublics etablis
p.04.304 P-king, sont comme les six grandes branches de lautorit
publique. Cest par eux, pour parler le langage de nos Anciens, que le
Prince voit, entend & agit. Ces branches se divisent en autant de
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rameaux quil y a de Provinces, mais dune maniere diffrente, & ces
rameaux se divisent & se subdivisent leur tour en de plus petits ;
ensorte que lautorit divise dans les grands Mandarinats, est toute
entiere dans les petits Mandarins qui connoissent de toutes sortes
daffaires, mais dune maniere subordonne & dpendante de leurs
divers suprieurs.
Les grades des Mandarins de robe & depe, leurs droits, leurs
revenus, leur jurisdiction, leur autorit & leurs prsances respectives
sont tellement circonscrits & dtermins, que rien ne peut troubler ni la
concordance des diverses autorits, ni lharmonie de la subordination.
Cest par les Tribunaux que lEmpereur gouverne lEmpire ; cest par lesMinistres & les Vice-Rois quil regne. Voil pourquoi le gouvernement de
lEmpire est toujours le mme, & les regnes rarement semblables. Le
ressort, le balancier & les roues cheminent uniformment ; la sonnerie &
le cadran ont leurs variations, & ne saccordent pas toujours. Il est
essentiel de remarquer que le Tribunal des Ministres nest pas distingu
de lEmpereur, dont il est le conseil & lorgane, & que les Vice-Rois le
reprsentent dans les Provinces dune maniere limite & subordonneaux grands Tribunaux.
Les revenus de lEtat portent en entier sur lagriculture, ou plutt ils
en sortent comme de leur unique source. La quantit de terres quon
possede & le degr de fertilit, dcident de ce quon doit lEtat pour
lEtat. La taille en Chine est une taille relle, qui nest guere quun
dixieme. Les Provinces du midi o lon fait deux & trois moissons de riz,
paient un second dixieme en grain, pour tre port lap.04.305
Capitale,
o il entretient labondance sans epuiser les Provinces dargent, parce
quil y en distribu aux Mandarins de tous les ordres, aux gens de
guerre, & aux Officiers de la maison de lEmpereur, daprs le tarif de ce
quon leur donne en argent ; ensorte quil est cens faire la moiti de ce
que lEtat leur donne pour leur entretien. Comme levaluation en est fixe
& a et faite leur profit, ils y gagnent toujours, & presque tous ont un
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surplus vendre. Le cultivateur est le seul en Chine qui porte le fardeau
des impts ; lEtat ne demande rien lartisan, ni au marchand.
La perception, rgie & administration des impts, est attribue
exclusivement au Tribunal des Finances. Les impts des bourgs &
villages, dont la rpartition & la recette sont trs-simples, sont ports
dans les villes du troisieme ordre, de celles-l, ils se rassemblent dans
celles du second ordre, & puis dans celles du premier, do ils viennent
remplir les trsors de lEmpire P-king. Cette rgie est paisible & unie,
presque tout est fixe & rgl. Il ne faut quune simple addition pour
arriver la derniere progression. Ce que cette rgie a de remarquable,
cest quon prleve dans chaque district ce qui est ncessaire pour lesdpenses & les charges ordinaires de lEtat, & quon y laisse toujours un
fond de rserve pour les accidens & besoins extraordinaires ; cette
somme est plus considrable dans les villes du second ordre que dans
celles du troisieme, & ainsi toujours en montant. Par l, les Capitales des
Provinces sont en etat de faire face tout sur le champ, dans un cas
urgent & extraordinaire. Le grand Tribunal des Finances de P-king,
comme ayant la surintendance & direction gnrale de toutes lesrecettes & dpenses, reoit les comptes des Provinces & en tient
registre, ainsi que de ce qui y est en rserve, & de ce que contiennent
les grands trsors de lEmpire.
p.04.306 La loi qui a fix la solde des soldats, les honoraires des
Mandarins, les dpenses annuelles pour les rparations, &c. a fix aussi
ce que lEtat doit donner aux Princes du Sang, lEmpereur lui-mme,
aux Princes ses enfans & toute sa maison. LEmpereur, outre ce que luidonne lEtat, a encore les sels, les douanes & les entres de P-king, &
de quelques autres villes. Les sels lui ont et attribus ds les temps les
plus reculs ; & quoique le sel soit trs-bas prix, il en tire dimmenses
revenus. Les douanes qui sont ici, comme en France, des restes du
gouvernement fodal, sont places sur les limites des petits Royaumes
dont lEmpire etoit anciennement compos. Les canaux quon a creuss,
les leves quon a construites, les ponts quon a btis, &c. en ont
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occasionn laugmentation, sous prtexte des frais de leur entretien ; &
comme lEtat en est charg aujourdhui, cette augmentation est toute au
profit de lEmpereur. Les droits de douanes sont fixs par la loi, & les
Officiers chargs de les percevoir, nen ont la rgie que par commission.
Il en est de mme des entres. Ces sortes dOfficiers, pour le remarquer
en passant, sont proprement des Officiers de la maison de lEmpereur, ils
nont aucun rang dans lEmpire. Cest par la grandeur de la Chine quil
faut juger des sommes prodigieuses que lEmpereur tire des sels, des
douanes & des entres. Il a, outre cela, des domaines & des terres en
Tartarie qui lui produisent beaucoup. Il est ais de voir que, de quelque
magnificence quil environne son trne, il na pas besoin de puiser dansles trsors de lEtat ; aussi sen fait-il gloire.
Les dpenses annuelles de lEtat sont immenses, mais elle sont toutes
pour lEtat & dans lEtat. Il seroit trop long den faire lenumration, mais
il est essentiel dy remarquer :
1 Que lEtat nemprunte jamais, & nen a jamais besoin. p.04.307
2 Que les dtails & la surveillance des dpenses, regardent les
Tribunaux & Mandarins dont ressortissent les choses qui en sont lobjet.
3 Que la loi a fix en ce genre tout ce quelle pouvoit fixer pour tous
les cas & circonstances quelle a pu prvoir. On sait davance ce que doit
coter tel btiment public.
4 Que leconomie de ladministration publique naugmente jamais la
dpense des ouvrages publics daucun accessoire de magnificence. Ce
nest pas la beaut des digues, des leves, des ecluses, des ponts, des
canaux & des edifices publics qui annonce la splendeur & la richesse de
lEtat, dit Lieou-tchi, cest lembonpoint des citoyens, & le grand nombre
des vieillards & des enfans .
5 Que les dpenses gnrales pour tout lEmpire sont tellement
rgles pour chaque anne, quon ne les augmente jamais sans une
grande ncessit, & que, quelque riche que soit le trsor gnral de
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lEmpire, on laccrot toutes les annes, pour ntre pas forc
daugmenter les impts dans les temps de guerre & de calamit.
Lhistoire de nos monnoies nous jetteroit dans trop de discussions. Il
suffira pour notre objet, den faire connotre le systme actuel, dont on na
aucune ide au-del des mers. Le cuivre & largent sont en Chine les seuls
signes publics de la valeur des choses, & les seuls gages ou instrumens
des echanges ; mais lun & lautre dune maniere trs-diffrente.
Le cuivre est mis en monnoie ronde de huit lignes & demie de
diametre (notre pouce se divise en dix lignes, notre pied en dix pouces,
& notre pied est plus grand dun centieme que celui de France), ayant un
petit trou quarr au milieu ; il y a deux caracteres Chinois sur la face, &
deux mots Tartares sur le revers. Chaque piece pese aujourdhui un
Tsien & deux Fen ; dix doivent peser une once & deux Tsien, &c. p.04.308
Cette monnoie se nomme Ta-tsien ; les petits deniers nomms Siao-
tsien, ne sont que la moiti du Ta-tsien, ou grand denier. On a cess
den fondre depuis bien des annes (car la monnoie est fondue), & ils ne
passent plus dans le commerce. Mais, comme on continue compter par
deniers en France, quoiquil ny en ait plus, on continue ici compter par
Ta-tsien &Siao-tsien. Remarquons en passant, que les monnoies sont du
ressort du Tribunal des Finances.
Avant de parler de largent, il faut donner une petite notice des poids,
des balances & du karat. Largent se pese par onces, lonce se divise en dix
Tsien, le Tsien en dix Fen, le Fen en dix Li, le Lien dix Hao, le Hao en dix
Se, le Se en dix Fou, le Fou en dix Tchin, le Tchin en dix Yai, le Yaien
dix Miao, le Miao en dix Mo, le Mo en dix Tsun, le Tsun enfin en dix Sun. Sinous articulons ces divisions & subdivisions, quon pourroit dire tre
pousses jusquaux infiniment petits, cest pour faire connotre, en
passant, le gnie de lantiquit, de qui nous les avons reues ; car elles
nont point lieu au-del du Se, mme pour lEmpereur. La progression des
nombres en montant, va encore plus loin, & secrit par un seul caractere.
La balance est plus foible en quelques endroits dun Tal, ou dune
once par cent ; en dautres, de deux, de trois, de quatre & mme de
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cinq ; & cette diffrence, comme on le sent bien, est rpartie sur les
divisions les plus ultimes. Mais cela ne nuit rien, parce que la balance
Kouan-ti, ou du Tribunal des Finances, est une regle gnrale pour fixer
& graduer ces diffrences, & que, dans les paiemens & dans les ventes,
on dtermine la balance dont on se servira. On distingue en France trois
karats ; le karat de largent fin ou de fin, le karat du prix & le karat du
poids. On nen connot quun en Chine, savoir, le karat de fin. Ce karat
sevalue p.04.309 sur la division de 100, comme en France sur celle de 24
pour lor. Largent est celui qui na pas mme un centieme dalliage, cest
ce quon appelle argent de 100 ou Ouen-in. Largent de 99 est celui qui
sur une once a un Fen dalliage ou un centieme ; celui de 98 a deuxFen ; celui de 97 trois Fen, &c. Largent courant nest guere au-dessous
de 97, cependant il y a des Provinces o il a cours jusqu 92 & demi.
Comme la diffrence du karat est peu de chose dans les petites sommes,
on y a peu degard dans le commerce de dtail. Pour les grandes
sommes, on le dtermine ainsi que la balance, & on compense le karat
par le poids, le poids par le karat. LEmpereur & le Tribunal des Finances,
ne reoivent & ne donnent que de largent fin, & la grande balance.
On voit par ces prliminaires, que largent nest pas proprement
monnoie en Chine, parce quil na que sa valeur relle & reue dans tout
lEmpire. Il nest monnoie que comme un signe universel dune certaine
valeur, ou equivalent adopt pour la facilit des echanges. Quelque
forme & figure quil ait, il a cours raison de son poids & de son karat.
Les grands petits pains quon fond, ne sont que pour la commodit du
commerce & des paiemens. Il faut quils passent par la balance. Le prix
ou valeur proportionnelle de largent avec les denres, les marchandises,
les terres, &c. a chang sous cette dynastie, & a diminu. Cette
diminution dont il est assez difficile de dterminer la progression, va, dit-
on, un cinquieme dans la Capitale ; mais elle nest que dun dixime
dans les Provinces, & moindre encore dans les campagnes.
Le rapport des monnoies de cuivre avec les monnoies dor & dargent,
est toujours le mme en France, parce que le coin du Prince la fix ;
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soixante sols equivalent en tout temps un ecu de trois livres. Il nen est
pas de mme ici p.04.310 du rapport des deniers avec largent : une once
dargent karat 100, par exemple, & balance Kouan-ti ou balance de
lEmpire, equivaut quelquefois 1.000 gros deniers, & quelquefois elle
nequivaut qu 800. Le milieu entre ces deux extrmes est comme le
taux moyen de leur valeur respective. Il ny a pas danne, sur-tout
P-king, o ces variations naient lieu plusieurs fois. Dans une anne
ordinaire, elles se succedent par une progression lente ou subite, selon
ce qui sort du trsor Imprial, ou en monnoie ou en argent ; cest-l ce
qui fait les profits des changeurs qui y gagnent toujours. Ces vicissitudes
sont sujettes sans doute bien des inconvniens, ainsi que lusagedemployer largent raison seule du karat & du poids ; mais la politique
du gouvernement se met au-dessus. Cela est dautant plus etonnant,
que le Tribunal des Finances sen tient toujours la proportion de mille
gros deniers pour une once dargent fin.
En cela, dira-t-on, que se propose le gouvernement ? Le voici : il veut
quil ny ait quune certaine quantit dargent & de monnoie qui circule
dans lEmpire, & que ce quil y a de lun & de lautre circulecontinuellement. La valeur proportionnelle des deniers avec largent, &
de largent avec les deniers, lui sert de thermometre pour mesurer la
quantit respective & mme totale de lun & de lautre : ce quil ne
pourroit pas faire, si largent etoit en monnoie & avoit une proportion fixe
avec les deniers. Selon que lun ou lautre monte, de prix, il dpend de
lui de le faire baisser & de le mettre au taux o il veut, en faisant sortir
du trsor de lEmpire ou de largent ou des deniers. Cest aux hommes
dEtat concevoir lutilit de ces vues ; tout ce que nous y ajouterons,
cest que lEtat, comme il a et dit, recevant chaque anne plus dargent
quil nen dpense, le trsor public absorberoit peu--peu tout celui de
lEmpire, ou du moins le diminueroit, p.04.311 de maniere en augmenter
& en doubler la valeur respective. Mais comme le commerce fait valoir
toutes les annes une grande quantit dargent dans lEmpire, & que
cette quantit dargent peut tre plus grande ou moindre que celle qui
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reste dans le trsor public, il faut au gouvernement un moyen de le
connotre. Or, la proportion des deniers & de largent lui donne ce
moyen, & celui de savoir aussi o en est le commerce. Peut-tre,
pourroit-on ajouter, que ces moyens lui mettent en main le vrai
gouvernail du commerce intrieur & etranger ; car enfin, il ne sort point
de monnoie de la Chine, & il ny en entre point. Quant aux
consommations de largent en meubles, tout calcul & compens,
largent qui est en uvre & perdu pour le commerce, monte & baisse de
fort peu. Notre gouvernement peut se tromper ; mais le fait est, quil fait
baisser ou monter la valeur respective de largent & de la monnoie, &
quil sest mnag cette ressource pour tout lEmpire.Quant aux deniers qui sont notre monnoie, ltat (ceci est digne de
remarque) bien loin de gagner le bnfice du coin, perd en faire ; en
voici la preuve. La fabrique ou fonte des deniers est ncessairement
dispendieuse, & les deniers valent souvent plus comme cuivre que
comme monnoie ; cette perte cependant nest pas relle, parce que les
mines de cuivre appartenant lEtat, il en retire beaucoup par cette
maniere de vendre le produit de leur exploitation : maniere sre & qui luien garantit toujours le dbit. Quoiquil soit dfendu en effet de vendre la
monnoie pour avoir du cuivre mettre en uvre, le gouvernement ne
veille lobservation de cette loi quautant quil faut pour que le cuivre
reste toujours un certain prix. Ce prix dpend encore de lui : ds quil
monte plus haut que la valeur relle des deniers, il le fait baisser, en en
faisant sortir une certaine quantit du magasin p.04.312 dans la proportion
ncessaire pour le mettre au taux quil veut ; le gouvernement ne
souffre jamais que le cuivre soit un assez bas prix pour quon puisse
gagner faire de fausse monnoie, ni assez cher pour quon gagne
beaucoup fondre la monnoie pour la mettre en uvre.
Revenons maintenant sur la seconde chose que se propose le
gouvernement, savoir, la circulation continuelle de toute la monnoie & de
tout largent qui est dans lEmpire. Il est evident que quand lonce
dargent ne correspond qu 800, 850, 900 deniers, toute la monnoie qui
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est dans les coffres doit sortir par lappt trs-prsent & trs-rel du profit
actuel. Quand, au contraire, il faut 850, 1.000 deniers pour une once
dargent, ceux qui en ont se htent de le faire sortir. Tout cela na pas
besoin dtre prouv ; mais ce qui suit echapperoit peut-tre au lecteur
dans une matiere si nouvelle pour lEurope. Neuf cens deniers sont
lequivalent moyen dune once dargent : or, le denier pesant, comme
nous lavons dit, un Tsien & deux Fen ; dix, une once & deux Tsien ; cent
doivent peser douze onces, & mille, cent-vingt onces. Il est evident que ce
poids rend le transport & laccumulation des deniers dun usage si
incommode, quil est ncessaire de les echanger avec largent. En effet, ce
poids suppos, les grands paiemens seroient embarrassans en deniers ; letransport de ces deniers est encore plus difficile : ds-lors ils ne sortent
guere de lendroit o ils sont. Pour laccumulation des deniers, il est
evident quelle est trop apparente & trop volumineuse pour avoir lieu, &c.
Considrons maintenant les diffrens ordres des citoyens, par rapport
leurs biens & leurs possessions. Il y a sept ordres de citoyens en
Chine : 1 les Mandarins ; 2 les gens de Guerre ; 3 les Lettrs ; 4 les
Bonzes ; 5 les Laboureurs ; 6 les Ouvriers ; 7 les Marchands. Il estevident par p.04.313 la constitution la plus intime de lEtat, par la conduite
du gouvernement, par la prodigieuse population de toutes les Provinces,
par le partage des biens entre les enfans, &c. il et evident, dis-je, quil
ne peut pas y avoir en Chine beaucoup de familles qui soient riches long-
temps en biens-fonds. Comment cela ? Cest que,
1 Il ny a en Chine ni fiefs, ni terres seigneuriales, ni titres, ni
domaines hrditaires : lexception en faveur des Princes duSang nest pas un objet, & a plus lieu en Tartarie, o sont leurs
terres, quen Chine, o ils nont que des revenus sur lEtat.
2 On monte, de tous les ordres des citoyens, aux charges &
aux honneurs : le mrite seul attire le choix du Prince, ce choix
ne conduit quaux petits emplois ; cest aux talens & aux
services conduire aux plus elevs, & un pere ne fait rien pour
ses enfans.
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3 La population qui va toujours croissant, divise tous les
hritages dune gnration lautre, & met sans cesse le
mrite aux prises avec le mrite, lindustrie avec lindustrie, le
travail avec le travail, dune maniere qui empche les grandes
fortunes.
Cette observation gnrale prsuppose, parcourons les diffrens
ordres des citoyens. Les Mandarins Chinois de robe & depe, sortent
presque tous des trois dernieres classes des citoyens. Le ton du
gouvernement & lambition des parens poussent letude les jeunes
gens qui ont de la facilit & de lesprit. Si leur application & leur mrite
les conduit au grade de Docteur, ils entrent dans la carriere duMandarinat, o lon navance que lentement, moins que dheureuses
circonstances, des services eclatans, ou un mrite suprieur, ne fassent
abrger le chemin des promotions. La regle gnrale, cest quon nest
jamais fait Mandarin dans sa patrie. En quelquendroit quon soit envoy,
on y trouve son logement tout prpar & sa maison toute faite pour la
reprsentation extrieure ; mais il faut y conduire sa famille & soutenir
p.04.314 son rang. Un Mandarin parvient-il senrichir par ses epargnes,ce qui est trs-difficile, par le commerce, qui lui est dfendu, ou par des
injustices qui exposent sa fortune & sa vie, il ne peut acqurir des fonds
que dans sa patrie o il espere aller finir ses jours, & jouir en paix dans
sa vieillesse de ses travaux & de sa gloire. Mais que sont des biens
confis une administration etrangere ? Sa mort laisse ses enfans entre
les mains de leur mrite, avec la portion de ses biens qui leur revient.
Les faits attestent depuis plus de vingt siecles que les petits-fils des plus
grands Mandarins rentrent presque tous dans la sphere du peuple.
Les gens de Guerre sont de deux sortes, les Tartares & les Chinois. Les
premiers naissent tous soldats, le grand nombre est dans la Capitale, les
autres sont distribus dans quelques grandes villes des Provinces : on leur
assigna quelques terres, lorsquils firent la conqute de lEmpire ; mais la
plupart de ces terres sont possdes par les grandes familles Tartares, &
la totalit ne fait quun petit objet. Les soldats Chinois sont rduits une
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solde modique, daprs lancien tarif. Comme la Cour favorise beaucoup
les Tartares qui ont du mrite, ou qui sont des premieres maisons, & que
dailleurs ils ont droit la moiti des charges des grands Tribunaux, & ont
presque exclusivement celles qui sont militaires, il leur seroit assez ais de
senrichir. Malgr cela, il y en a peu qui soient riches, du moins long-
temps, parce quils dpensent sans economie, & parce quetant vassaux
de lEmpereur, dans un sens qui est presque synonyme desclaves, Sa
Majest confisque leurs biens la moindre occasion, moins pour les
chtier que pour les empcher de vivre dans une aisance qui les
amolliroit. Nos Chinois nacquierent que difficilement le droit dexposer
leur vie pour la dfense de la patrie, dans le grade dOfficiers. On aconserv les anciens exercices militaires, o lon ne russit p.04.315 quen
joignant une grande force de corps une adresse & une souplesse qui
supposent beaucoup dusage de ces exercices, & cest daprs cela quon
distribue des grades qui correspondent ceux des Lettrs. Ceux qui
arrivent au Doctorat militaire, sont pourvus & avancs, comme les Lettrs,
leur rang. Il leur est plus facile de senrichir quand ils sont dans les
emplois militaires, parce quil y a moins de dpenses faire, & que les
appointemens en sont plus considrables. Cependant, comme la plupart
aiment jouir de la vie, & quils sont souvent obligs de se transporter
dun bout de lEmpire lautre, il est assez rare quils laissent de grands
biens ou de grands hritages. Pour les soldats, on ne les enrle quautant
quune taille avantageuse & une force de corps suprieure les mettent en
etat de soutenir les plus grandes fatigues de la guerre. Ceux qui sont
rpandus en petits corps-de-garde sur le bord des chemins & des grandes
rivieres, sur les ctes & les frontieres, ont la plupart, outre leur solde, des
terres militaires quils cultivent en commun, ce qui leur fait un sort assez
heureux. Les autres sont rduits leur solde, & nentretiennent leurs
familles doucement quautant quils travaillent quand ils sont libres. Que
peuvent laisser leurs enfans ceux qui parviennent aux petits grades de
sergent, de sous-lieutenant ? Ce quils ambitionnent le plus, cest de
laisser leur poste quelquun de leurs enfans, & ils ne lobtiennent
quautant que sa taille & sa force mritent une prfrence.
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Les Lettrs sont ou des aspirans aux premiers grades littraires, ou
des candidats pour les charges, ou des esprits mdiocres qui sobstinent
prtendre au doctorat quils ne peuvent pas obtenir, ou des bacheliers
du commun qui ont renonc aux examens, ou des philosophes occups
lire de vieux livres, & en faire de nouveaux, ou enfin danciens
Mandarins quon a remercis ou qui ont demand se retirer. Comme le
nombre p.04.316 des Lettrs est compt, & proportionn aux besoins de
ltat, la totalit de ceux qui ne sont que Lettrs ne va pas loin. Ce que
nous avons dit & ce que nous disons, suffira pour se former une juste
ide de leur fortune.
On crie en Europe contre les biens ecclsiastiques, & on cite la Chine :
cest assurment le plus mauvais biais quon puisse prendre. Il y a plus de
Bonzes, de Tao-se & de Lama P-king, quil ny a dEcclsiastiques & de
Religieux Paris, & ils sont mieux fonds. Il en est de mme proportion
dans tout le reste de lEmpire. On distingue ici deux sortes de Miao ou
Temples, qui sont desservis par des Bonzes, des Tao-se ou des Lama,
savoir, les Miao-kouan-ti & les Miao particuliers. Les premiers, dont le
nombre est prodigieux dans les villes & dans les campagnes, ont des biens-fonds inalinables en terres & en maisons, & le gouvernement est charg
de la rparation & de lentretien de leurs maisons. Il y a des sommes
assignes pour cela dans tous les districts. Les autres, fonds par les
ministres des idoles ou par leurs dvots, sont quelquefois assez riches &
quelquefois trs-pauvres ; mais il y en a linfini. La Chine entiere ne seroit
quune Bonzerie, si les mauvaises annes ne faisoient tomber en ruine &
abandonner un grand nombre de Miao. Comme tous les philosophes de
lEurope sont sur cette matiere dans la pnombre de lincrdulit, il faudroit
trop de dtails pour leur montrer o en est notre Chine cet egard. Nous
comptons le faire dans un Mmoire particulier, le sujet le mrite. Pour ce
moment-ci, nous nous bornons cette proposition :
Les trois sectes idoltriques qui sont en Chine ne sont que
tolres par les loix ; & les ministres des idoles, tout
compens, sont les mieux partags en biens.
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Nous invitons les curieux voir dans lY-tong-tchi, nous ne disons pas
combien il y a de Bonzeries dans tout lEmpire, le nombre est trop
prodigieux pour quon puisse le mettre dans un livre de gographie, la
gographie particuliere mme de chaque Province ne les met pas
toutes ; mais combien il y a de grandes & clebres Bonzeries dont
beaucoup sont & plus riches & plus magnifiquement bties que les plus
clebres Abbayes de lEurope, au moins par rapport letat actuel de la
distribution & du partage des biens dans notre Chine. Il y a plus de six
mille Bonzeries dans la ville & banlieue de Pking. Un incendie vient de
dtruire G-ho-eulh un Miao, qui avoit cot deux millions cinq cens
onces dargent, cest--dire, prs de vingt millions de France. Or, G-ho-eulh nest que le Fontainebleau de lEmpereur. Il ny a pas de palais de
lEmpereur o il ny ait quelque monastere, ou de Ho-cham, ou de Tao-
se, ou de Lama, & dans les grands palais il y en a sept huit. Cest un
abus, sans doute, & un abus dautant plus ridicule, que les ministres des
idoles sont, en gnral, fort mpriss cause de leur ignorance & de
leurs murs, & quils ne tiennent par aucun endroit au Gouvernement,
dont la religion avoue & professe, est la religion naturelle ou disme.
Mais cet abus, sur lequel les Lettrs ont tant ecrit depuis plus de quinze
siecles, rfute ce que disent ceux dEurope, sur le tort que les Gens
dEglise & les Religieux sont la richesse & la population des Etats.
Car, enfin, la Chine est lEmpire le plus florissant & le plus peupl de
lunivers. Notre Gouvernement nest pas assez dpourvu de lumiere,
pour ne pas voir que les Bonzeries sont un vritable impt mis sur tout
lEmpire ; mais comme la bont des murs sociales est le point dappui
& le ressort de lautorit, & que les Bonzes contribuent, bien desegards, lentretenir, il ne croit pas trop acheter ce secours essentieL.
Les laboureurs sont en Chine, comme ailleurs, la portion la plus
nombreuse des citoyens. Le Gouvernement affecte pour eux une
protection marque, & il les mnage beaucoup. Les vexer, les opprimer,
ou mme ne les pas secourir temps, sont p.04.318 les crimes quon
pardonne le moins aux Mandarins. Le grand nombre des laboureurs fait
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quils ne peuvent pas tre riches. Car, pour le remarquer, en passant, la
grande population, tant desire ailleurs, est ici un flau, & la premiere
cause de toutes les rvolutions. Soit que les colons cultivent leurs
propres terres, comme la plupart, soit quils cultivent celles des autres,
ils nont guere que ce quil faut pour vivre doucement, lors mme que la
terre rpond le mieux leurs soins & leur travail. Ces soins & ce travail
ne suffisent pas pour occuper le grand nombre toute lanne, sur-tout
dans les Provinces du midi. Cela a etendu la sphere des arts de besoin &
dindustrie dans les campagnes. Quant ceux qui cultivent les terres des
autres, ils en retirent plus pour eux que dans les autres pays.
Les artisans la Chine, sont, -peu-prs, comme ceux de France, sice nest quils ne paient aucun impt, & quils nont ni les entraves, ni les
privileges des matrises. Leur grand nombre fait, que luttant de plus prs
les uns contre les autres, ils font plus defforts pour se surpasser en
adresse & en industrie. Mais la supriorit la plus marque, nest pas un
droit pour ranonner le public. Comme on ne cherche ici que le
ncessaire dans le ncessaire, lutile dans lutile, on ne paie jamais, ou
presque jamais, ce quil y a de surplus en agrment. Par cette raison, lesarts de got, dimagination & de fantaisie, ne sont jamais caresss par la
fortune, & cest bien ce que prtend le Gouvernement.
Il faut distinguer les Marchands en quatre classes ; ceux qui
trafiquent avec les etrangers ; ceux qui se chargent de limportation &
exportation des marchandises dun bout de lEmpire lautre ; ceux qui
ont des magasins pour vendre en gros, & les Marchands en dtail. Toute
compensation faite, les trois premieres classes de Marchands comptent
plus de grandes fortunes, & de fortunes solides & paisibles, que les six
ordres des autres p.04.319 citoyens ; mais elles ne restent guere plus dans
la mme famille. Les fils ressemblent rarement leurs peres. Le bien-
tre les corrompt, la vanit les aveugle. Ils quittent le commerce pour
jouir, ou pour savancer par la voie des emplois, & leurs enfans
gmissent de leur folie dans la pauvret. Le peu de luxe, proprement dit,
quil y a en Chine, se trouve chez les gros Marchands.
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Laissant part la question galement difficile, dangereuse & inutile de
la supriorit de lancien Gouvernement sur celui daujourdhui, nous
croyons que sil ny a pas de grandes fortunes dans notre Chine, & si
celles qui dbordent la ligne dune honnte mdiocrit ne sont pas de plus
longue dure, cest louvrage de nos loix & de notre Gouvernement. Plus
ami des hommes quon ne le dit au-del des mers, lEtat se charge de
ceux qui travaillent pour lEtat, ou le dfendent ; il distingue les talens &
le mrite ; il rcompense avec magnificence ceux qui le servent : mais
lEtat ne veut point que ceux-mmes qui lui sont utiles, jouissent dun
bien-tre trop disproportionn. Il ne prtend point que la place o se
trouvent le mrite & les talens, ajoute leur prix, parce que la fortune yest ct deux. Il ne fait jamais des rcompenses, un titre doisivet &
de mollesse pour les descendans de ceux qui il les accorde. Pourquoi
cela ? Pour ramener une gnration par lautre un juste partage de
biens. Le travail mme & lindustrie, qui font pencher la balance, tantt
dun ct, tantt de lautre, laident y russir. Ceux qui naissent, dans
les autres pays, pour jouir, & qui ne tiennent la socit, de gnration
en gnration, que par le bien-tre, les honneurs & les plaisirs quelle leur
procure, trouveront terrible, sans doute, que les fortunes soient si
mdiocres & si changeantes ; mais les ames dun certain ordre,
admireront que toutes les parties du systme politique de notre
Gouvernement, soient tellement lies & combines, que les rvolutions de
plus de p.04.320 dix-neuf siecles naient jamais pu lentamer sur un point qui
touche de si prs la tranquillit de ltat, & au vrai bonheur des peuples.
Examinons maintenant quelles sont les sources communes des
richesses & des biens dans tout lEmpire. Que le lecteur, avant tout, jette
un coup dil sur la carte gnrale de lAsie, pour voir la grandeur de
notre Chine, la varit de ses climats, & les peuples divers dont elle est
environne. Il trouvera quelle est dune tendue immense, quelle runit
tous les climats, & na autour delle, que des nations errantes, ou demi
barbares ; & il en conclura dabord, que rduite elle-mme, elle peut &
doit se suffire ; mais en songeant quelle est prodigieusement peuple, &
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quelle le devient toujours de plus en plus, parce que les grandes
maladies pidmiques sont rares, que les loix sont florissantes, que le
mariage est en honneur, que le nombre des enfans est une richesse, &
que la paix au-dedans & au-dehors presque inaltrable ; il sentira bientt
que ce nest qu force de travail, dindustrie & deconomie, quelle peut
avoir, nous ne disons pas lagrable, mais lhonnte, & le ncessaire.
En France, les terres se reposent de deux annes lune. Dans bien des
endroits, il y a de vastes terreins qui sont en friche ; les campagnes sont
entrecoupes de bois, de prairies, de vignobles, de parcs, de maisons de
plaisance, &c. Rien de tout cela ne peut avoir lieu ici. La doctrine mme
de lantiquit sur la Pit filiale, na pu sauver les spultures dans lesrvolutions. Les petites se fondent & disparoissent dans les champs,
dune gnration lautre, & la superstition a aid peu--peu la politique
relguer celles des riches dans les montagnes ou dans les endroits
striles & ferms lagriculture. Quoique la terre soit puise par trente-
cinq siecles de moissons, il faut quelle en donne chaque anne une
nouvelle, pour fournir aux pressants p.04.321 besoins dun peuple
innombrable. Cet excs de population, qui a et ici la premiere cause desrvolutions, comme chez les Tartares errans, de leurs emigrations &
conqutes, & qui rend le Gouvernement si difficile, si dlicat & si
pnible ; cet excs de population, dont les Philosophes modernes de
lEurope nont pas mme souponn les inconvniens & les suites,
augmente ici le besoin de lagriculture, au point de montrer les horreurs
de la famine, comme la consquence subite & invitable dos moindres
ngligences, & de forcer les Chinois se passer du secours des bufs &
des troupeaux, parce que la terre qui fourniroit leur subsistance, est
ncessaire celle des hommes ; inconvnient trs-grand, puisquil prive
des engrais pour les terres, de la viande pour les tables, des chevaux
pour la guerre, & de presque tous les avantages quon retire des
troupeaux. Sans les montagnes & les marais, la Chine seroit absolument
prive du bnfice des bois, de la venaison & du gibier : ajoutons que la
force & lindustrie de lhomme font tous les frais de lagriculture. Il faut
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plus de travail & plus dhommes pour avoir la mme quantit de grains
quailleurs. La somme totale en est inconcevable ; cependant, elle nest
que suffisante, & ne suffit encore, que parce quelle est rgie &
distribue avec une economie prvoyante, qui compense une anne par
lautre, & qui entretient le niveau dans toutes les Provinces.
Les cochons & la volaille sont presque la seule viande de la Chine ;
do il suit quon doit en manger peu distributivement, & que lindustrie a
besoin de toutes ses ressources, pour en nourrir une certaine quantit.
Nous avons dit presque, parce que nous parlons de lEmpire, envisag
dans son universalit par rapport cet objet. Il y a, en effet, des districts
mieux partags cet egard, & o on nourrit beaucoup de troupeaux. Il y
en a o on laboure avec des bufs, des buffles & des p.04.322 chevaux.
Mais, proportion garde, il y a, au moins, dix bufs en France contre un
en Chine.
Lobjection se prsente delle-mme. La Chine est donc bien mal
partage pour la nourriture ? Oui, assez mal :
1 Si on la compare la France, vue non pas dans les
campagnes, mais dans les grandes villes.
2 Si on ne fait pas attention que le Petcheli, qui est la derniere
Province du ct du nord, est plus mridionale que la Provence
& le Roussillon.
Bien des gens ont lequit, dans ces sortes de calculs, dexaminer quoi
se rduit en France, comme dans le reste de lEurope, la boucherie des
campagnes ; mais il nen est guere qui rflchissent que lusage de la
viande nest ni ncessaire, ni sain dans les pays chauds. Nos anciens, qui
etoient mieux partags que nous en viande, sans comparaison, en
mangeoient encore moins. Observons, cependant,
1 que la Tartarie fournit toutes les annes Pking, & toute
la Province, une quantit prodigieuse de bufs, de moutons,
de cerfs, &c.
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2 Que les ctes de la mer, depuis la grande muraille jusquau
bout de la province de Canton, les lacs, les etangs, les rivieres,
&c. donnent continuellement toutes sortes de poissons. La
pche seule du grand Kiang, qui est au milieu de lEmpire,
equivaut celle des plus grands fleuves dEurope runis.
3 Que les montagnes, dont toutes les Provinces sont
entrecoupes, ont quantit de gibier & de venaison.
4 Que la ncessit, mere de lindustrie, a appris nos Chinois
tirer parti de beaucoup de lgumes, dherbages, de plantes,
de racines qui croissent delles-mmes dans les campagnes, &
qui ne demandent point de culture.
5 Quoiquil ne puisse pas y avoir beaucoup de terres en
vergers & en jardins, les enclos des maisons, les avenues des
villages, les collines y supplent, & la plupart des Provinces
seroient au niveau des Provinces de France les mieux
partages, si lextrme population ne p.04.323 faisoit pas pencher
la balance. La Chine a peu de laines, & ne fait presque point de
toiles de chanvre, ni de lin ; mais la soie, les cotons, les racines
& ecorces de plusieurs especes y supplent abondamment. La
quantit de soies quon recueille chaque anne, est incroyable.
La rcolte du coton va encore plus loin, parce quelle est plus
gnrale, plus facile, & que toutes les Provinces sont
egalement bien partages. Les racines & les ecorces ne sont
guere quun agrment, cause de la lgret des toiles quon
en fait pour let. Remarquons en passant quil se fait une trs-petite consommation dhabits dans toutes les Provinces
mridionales, & que dans les autres mme, elle est beaucoup
moindre quen France pendant plus de quatre mois.
Les matriaux des btimens, le chauffage, les boissons & les remedes
sont les choses les plus ncessaires aprs les grains & les etoffes. On
btit peu en pierre, dans notre Chine ; mais en revanche on travaille
bien la brique, & on trouve par-tout de la terre propre en faire. Les
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montagnes & les isles voisines des ctes, ainsi que la Tartarie, sont la
ressource gnrale de lEmpire, pour les bois de charpente ; & quoiquon
btisse presque par-tout en bois, cause des tremblemens de terre,
cette ressource seroit trs-suffisante, sans la grande consommation qui
sen fait pour les barques dont les grandes rivieres sont couvertes. La
raret du bois de charpente en quelques endroits, na pas dautre
mauvais effet, que de rapetisser les maisons des pauvres, & de rendre la
btisse de celles des riches plus dispendieuse. Pour le chauffage, les
mines de charbon de terre & lart de manier le feu, rendent presque
insensible la disette des bois dans les endroits eloigns des montagnes.
Les vignes nont fait que parotre sous la dynastie des Han : toute laChine est rduite linfusion du th pour la boisson, & les murs ni
lEtat ny perdent rien. Le vin, ou p.04.324 plutt la biere de grain, est
dfendu par la loi, ainsi que leau-de-vie. La Police ne ferme les yeux sur
linfraction quautant quelle reste cache, & quelle ne va pas jusqu
causer une grande consommation de grain. Pour les remedes, ceux dont
notre Mdecin fait usage sont peu composs, & elle les tire tous de nos
diverses Provinces.
Il y a des mines de tous les mtaux dans lEmpire, & quelques-unes
mme de diamans & de pierreries dans le Yunnan ; ces dernieres sont
fermes, ainsi que celles dor & dargent. On a compris ici il y a long-
temps que laugmentation de lor & de largent ne peut pas enrichir
lEtat : en revanche, on tire des mines une quantit prodigieuse de fer,
de cuivre, detain & de plomb, cause de la grande consommation qui
sen fait. Quant aux minraux fossiles, bois odorifrans, &c., ils ne
peuvent devenir utiles lEmpire que par le commerce.
Les ides de lEurope sur le commerce sont fort diffrentes de celles
de notre gouvernement. Le commerce, selon les Chinois, ne peut tre
utile lEmpire quautant quen cdant des choses superflues, on en
acquiert de ncessaires ou dutiles. Ce principe suppos, ils en concluent
que le commerce des etrangers Kan-ton diminuant la quantit usuelle
des soies, des ths, de la porcelaine, & occasionnant laugmentation de
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leur prix dans toutes les Provinces, il est vritablement dsavantageux
lEmpire : aussi le gouvernement tche-t-il de labaisser peu--peu.
Largent quapportent les vaisseaux dEurope, ainsi que les prcieuses
bagatelles qui viennent la Cour ne font pas illusion au ministere. Il en
est de mme des vaisseaux qui vont Siam, Malaque, au Japon,
Manille, &c. Le ministere ne regarde comme avantageux que le
commerce avec les Tartares & les Moscovites, qui fournit des pelleteries
dont on a besoin dans les Provinces du Nord, & qui se fait par echanges.
En gnral, notre Chine ne peut pas commercer p.04.325 fort utilement
avec les etrangers, parce quelle ne peut en tirer des grains, des bois &
des bestiaux. Kouan-ts disoit, il y a deux mille ans :
Largent qui entre par le commerce nenrichit un Royaume,
quautant quil en sort par le commerce. Il ny a de commerce
long-temps avantageux que celui des echanges ou ncessaires
ou utiles. Le commerce des objets de faste, de dlicatesse & de
curiosit, soit quil se fasse par echanges ou par achats,
suppose le luxe : or le luxe qui est labondance du superflu
chez certains citoyens suppose le manque du ncessaire chezbeaucoup dautres. Plus les riches mettent de chevaux leurs
chars, plus il y a de gens qui vont pied ; plus leurs maisons
sont vastes & magnifiques, plus celles des pauvres sont petites
& misrables ; plus leur table est couverte de mets, plus il y a
de gens qui sont rduits uniquement leur riz. Ce que les
hommes en socit peuvent faire de mieux force dindustrie
& de travail, deconomie & de sagesse, dans un Royaume bien
peupl, cest davoir tous le ncessaire & de procurer le
commode quelques-uns.
Il est de fait que le commerce enrichit les Provinces fertiles, au lieu
que les autres ne se soutiennent dans leur mdiocrit qu force de
travail & dindustrie. Cela est si sensible, que le Petcheli o est la
Capitale, & o largent vient en ruisseaux de tout lEmpire, a toujours
et, & sera toujours la Province la plus pauvre, parce que cest la moins
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fertile de toutes. Le grand but du gouvernement est de faire que
lindustrie & le travail contrebalancent -peu-prs dans un endroit la
fertilit & labondance dont on jouit dans un autre, afin que le flux & le
reflux des echanges se conserve toujours dans la proportion la plus
convenable au bien public. Pour cela, il charge de plus dimpts les
Provinces les plus riches ; il conserve, accrdite, favorise, dans celles qui
le sont moins, la p.04.326 culture des grains & des fruits qui y russissent ;
il leur donne la prfrence pour les minraux, les fossiles, les carrieres,
&c. il leur fait de plus grandes graces, & a lattention dy envoyer les
Mandarins les plus aiss & les plus intelligens. Quoiquil ny ait en Chine
de manufactures, proprement dites, que celles de lEmpereur, qui netravaillent que pour lui, & dont la fin principale est de conserver les arts
& de les perfectionner, il y a une infinit de fabriques, & celles des
Provinces les moins fertiles sont toujours les plus encourages par le
gouvernement. Par la mme raison, tout ce qui y entre, y passe, ou en
sort, ne paie que peu de chose aux douanes. Combien dautres moyens
nemploie pas le ministere, pour assurer lequilibre du commerce !
Les rivieres dont la Chine est arrose, & les canaux si multiplis, paro elles communiquent les unes aux autres, facilitent merveilleusement
le commerce dun bout de lEmpire lautre : aussi trouve-t-on par-tout
ce qui crot ou ce qui se fait dans les Provinces les plus eloignes. Les
profits du commerce intrieur ne sont pas comparables ceux du
commerce avec les etrangers, qui est incomparablement moins utile
lEtat ; mais ils sont srs, parce que les crises & les rvolutions quon y
eprouve, ou durent peu, ou se compensent ; parce que limportation est
toujours jointe lexportation, & quon gagne toujours plus que les frais
du voyage aller plus loin.
Les grandes boutiques des villes & sur-tout des Capitales, sont
comme les rservoirs o viennent se dcharger les diffrens canaux du
commerce des Provinces ; cest de-l quils se distribuent dans les
boutiques o on vend en dtail Il y a aussi des magasins publics o vont
aboutir les marchandises, & o les ventes se font dune maniere plus
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prompte, plus sre & plus juridique. Elles ressemblent, quelques
egards, celles de la Compagnie des Indes lOrient. Ce qui est assez
p.04.327 particulier notre Chine, cest que les femmes ne paroissent pas
dans les boutiques, ni pour vendre, ni pour acheter ; cela rpugne trop
nos murs. Par cette raison, il y a beaucoup de petits marchands qui
vont courant les rues, & vendant tout ce qui est ncessaire pour le
mnage & pour les pauvres gens. Terminons ce long prambule en
disant quelque chose de lesprit du gouvernement prsent & du ton
gnral de nos murs.
Les Tartares ont laiss le fond de notre gouvernement tel quils lont
trouv. Ils nont fait que corriger quelques abus, & partager lautorit en
doublant les charges des grands Tribunaux, & sen rservant la moiti :
Les Empereurs Tartares qui ont rgn en Chine, & celui qui est aujourdhui
sur le trne, se sont appliqus aux affaires avec un soin infatigable, & ont
vritablement gouvern par eux-mmes. Leurs Tartares sont leurs
esclaves, mais des esclaves ncessaires, & le nerf de leur autorit. Il etoit
de la justice & de la bonne politique de conserver les grandes Familles qui
passerent avec eux en Chine, lors de la rvolution. Aussi lont-ils fait, maisen les tenant dautant plus soumises & plus dpendantes, que les charges
& les dignits quils y ont fait entrer, leur donnent plus de crdit &
dautorit. Ils ont et plus loin : en laissant la haute noblesse les titres &
les prrogatives dont ils lont dcore, ils ont eu la politique hardie de
prfrer le mrite la naissance pour les emplois, & ils ont forc les
Grands acqurir des connoissances & sappliquer aux affaires pour
parvenir. Bien plus, autant ils ont montr de douceur & de clmence
envers les Mandarins Chinois, autant ils ont affect dtre sveres &
inexorables envers les Tartares : un Grand qui est all au Palais avec
lappareil dun des premiers Seigneurs de lEmpire, en sort, sur une
accusation, cass de ses emplois, dpouill de tous ses biens, charg de
chanes, pour subir des interrogatoires, sur lesquelles lEmpereur doit le
juger. p.04.328 Ce sont des coups de foudre qui partent avec leclair, & qui
consument tout en un clin-dil. Cette svrit glaante qui a empch
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tant de fautes & qui nen punit jamais que de graves, est soutenue par
une attention continuelle rendre pnible la vie de la Cour, afin de sauver
les Grands de la mollesse qui perdit les Mongouths. Ces jours derniers,
lEmpereur se mit en chemin par un si mauvais temps, quil fut oblig de
revenir sur ses pas. A son retour au Palais, il alla saluer lImpratrice
mere, examina si quelquun de ses Tartares qui etoient tous harasss &
couverts de boues, manquoit son poste.
Ceci nest quune promenade, dit-il ses Grands, il y a bien
dautres fatigues essuyer la guerre.
Les premiers Mandarins des Provinces ne sont pas plus epargns. Outre
quon a multipli les expditions pour les tenir occups & les forcer savoir
les affaires, un mot de lEmpereur les envoie franc etrier dun bout de
lEmpire lautre. Quand les uns & les autres sont trop riches pour se
dfendre de la sduction du luxe, on leur accorde lhonneur de se ruiner
pour faire leur cour, ou pour expier une faute peu considrable. LEurope
na point dides de cette politique. Lattention au mrite dans le moindre
des Mandarins, lequit des prfrences dans les promotions, leclat des
rcompenses pour les services ne suffisent pas pour assurer le Prince & lespeuples de la probit des hommes publics, il faut que lopprobre & la mort
se prsentent eux dans tous les sentiers par o ils peuvent segarer. Les
Empereurs Tartares entendent admirablement lart si difficile de manier le
glaive de la justice. Les Mandarins coupables font toujours le grand
nombre des criminels quon excute la Capitale, la fin de lautomne.
Tous ceux qui sont en faute ne sont pas punis ; mais aucun Mandarin,
mme dans les plus grands emplois, ne peut se promettre limpunit ; on
ne punit que de grandes fautes, & on ne parot en punir que de petites. Les
plus grandes aux yeux de p.04.329 lEmpereur, sont celles qui regardant le
peuple. Du reste, les grands Mandarins sont responsables de toutes les
fautes de leurs infrieurs, sur qui ils doivent veiller, & elles les perdent, sils
ne sont pas egalement prompts les avouer & les rparer. Les Lettrs
sont toujours en honneur, elevs aux dignits, fts, rcompenss, &c.
mais on ne les laisse pas multiplier au-del du besoin de lEtat, & on les
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force au travail, la soumission & au silence. La Cour rcompense en
bagatelles les bagatelles littraires & potiques, il ny a que les grands
ouvrages quelle commande, qui abregent le chemin de la fortune & des
honneurs. Une epigramme, un couplet contre le gouvernement, sont
effacs par des fleuves de sang. Tout Mandarin est Empereur en cette
matiere, & toute saison est lautomne pour ces sortes dexcutions. Du
reste, comme il est fort ais de trouver des fautes dans les meilleurs
ouvrages, & dembarrasser les plus savans, le ministere a souvent recours
ce double expdient pour subjuguer les Lettrs, & prmunir le public
contre leur docte suffisance. Cela est dautant plus ais, quil ny a pas de
controverse sur linfaillibilit de lEmpereur.La discipline militaire est littrale & svere ; les gens de guerre sont
les plus occups, les plus soumis & les plus tranquilles des citoyens. Le
moindre danger quils courent en soubliant, cest dtre casss, & les
Tartares nont jamais de grace esprer.
Pour le peuple, la politique Tartare la favoris ouvertement, en
maintenant les loix de la subordination domestique qui laissent les plus
grands Mandarins dans le rang quils occupent dans leurs familles ; enprotgeant les mariages ; en assurant la possession des hritages ; en
conservant lordre des partages & des successions ; en veillant avec soin
tout ce qui regarde le peuple ; en encourageant son industrie, en
augmentant ses p.04.330 ressources, en mnageant sa pauvret, en
ouvrant tous les trsors de lEtat, pour obvier aux inondations, aux
scheresses. & aux famines, & pour multiplier les secours dans les
calamits ; en lui donnant des chefs choisis, & en les classant avec unordre admirable ; en regardant comme la cause du Prince toutes celles
qui le regardent, & en mettant en uvre tous les ressorts de lautorit,
pour lui epargner les mcontentemens qui le poussent la rvolte ; enfin
en lui enseignant linnocence des murs & la pratique des vertus
sociales, & en punissant avec beaucoup declat tous les crimes qui
troublent la tranquillit publique. Quant aux etrangers, on les traite avec
honneur, & on les subjugue.
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Les murs dune nation influent sur son gouvernement, & le
gouvernement son tour influe sur les murs. Envisageons un instant,
sous ce point de vue, les murs de nos Chinois.
Les Lacdmoniens durent leur gloire lamour de la libert, les
Romains, leur puissance celui de la patrie ; nos Chinois doivent tout ce
quils sont leur respect sans bornes pour leur Empereur, leur estime
pour les gens de lettres, leur obissance aux Magistrats, leur
vnration pour lantiquit, leur attachement aux anciens usages, &
leurs grandes ides pour la Pit Filiale. Le gouvernement Tartare en tire
un grand parti. Ds quil sagit de lEmpereur, tout frappe, eblouit, etonne
la multitude qui ne le voit jamais. Dun autre ct, ce quil y a de dur &dodieux dans ladministration publique, parot toujours venir de ses
officiers. Quand il parle au peuple en son nom dans ses Edits, cest
comme un sage, comme un pere ses enfans, il ne fait que des menaces,
accorde beaucoup de graces, & tmoigne une tendresse, une sensibilit &
une bienfaisance sans bornes. Les examens & les promotions des Lettrs
sont traits en affaires dEtat. Plus lobscurit do sortent ceux qui sont
couronns est connue & rend leur changement de fortune, p.04.331eblouissant, plus la multitude les regarde comme des hommes
extraordinaires & les croit dignes de la gouverner. Lappareil qui environne
les Magistrats est tellement combin, quautant il en impose au peuple,
autant il les gne & les force un extrieur srieux & une rgularit de
conduite qui les empche de soublier. Leur dignit les suit par-tout. Cest
une erreur de simaginer que notre ministere soit esclave de lAntiquit ;
mais ce quon ne sauroit blmer, & ce quil entend merveille, il la
respecte, il la fait respecter, & se fait un bouclier de son autorit dont il
sait se prvaloir au besoin. LEmpereur lui-mme a la sagesse de lui faire
honneur de ce quil imagine de plus utile pour les peuples. Ils le croient
dautant plus aisment, quils le voient se rapprocher delle sans cesse,
non seulement dans ses amusemens, ses gots, ses ftes & ses btimens,
mais encore dans ses rcompenses, ses louanges, ses jugemens, & sur-
tout dans le crmonial & dans tous les usages. Souvent mme il la prise
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pour juge, entre lui & les Censeurs publics, & sest justifi de leurs
reproches, en allguant ses maximes, ses exemples. Quant la Pit
Filiale qui est chez nous le nud de toutes les loix, & qui donne tant de
force lautorit publique, lEmpereur ne se contente pas de lhonorer
dans les vieillards, de la louer dans les ouvrages, de la recommander dans
les dclarations, de la rcompenser dans ceux qui la poussent jusqu
lhrosme, & de la venger, avec rigueur & avec eclat dans ceux qui
lattaquent ; il en consacre les plus petits devoirs par son exemple ; il
naborde lImpratrice sa mere quen flchissant le genou. Mais aussi,
quand il veut rendre odieux un Ministre, un Vice-Roi, un Grand quil
disgracie pour des raisons dtat, il a toujours la ressource de quelquedevoir de Pit Filiale quil a nglig, & quil lui reproche avec force.
Le premier effet du gouvernement Tartare, par rapport aux p.04.332
murs publiques, a et dexciter lemulation entre les Chinois & les
Tartares. Nos Chinois ne sont pas guerriers, mais ils se piquent de
sagesse & dhabilet. Les Tartares visent manier aussi-bien le pinceau
que le sabre ; ils composent en Tartare des ouvrages dans tous les
genres, qui rendent aux premiers toute la peine que leur cotent leurslivres traduire. Les Tartares croiroient savilir de faire un mtier ou
commerce, & nos Chinois regardent le triste mtier des armes comme la
derniere ressource du dfaut de mrite.
Les Tartares nous ont rendu en activit & en politesse le peu que nous
leur avons fait prendre de notre gravit & de notre srieux philosophique.
Mais leur gnie na pu se plier cette economie attentive & modre qui
ecoute les conseils de la prvoyance, soit quils ne se croient pas assezancrs dans leur fortune pour la cultiver, soit quils veuillent forcer leurs
enfans acqurir du mrite pour faire la leur, ils jouissent & font jouir
leurs parens & amis de toutes les douceurs de leur elvation actuelle. Ce
quils ont nest pas eux, parce quils ne savent pas refuser, & leur ame
est tellement ptrie, que les plus grandes disgraces nentament ni leur
assurance, ni leur egalit. Les plus sages sont ceux qui ne se ruinent pas
en prts ou en emprunts. Leurs plaisirs sont plus bruyans que ceux de nos
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Chinois, & leurs ftes moins magnifiques, moins quil ne sagisse de
lutter avec eux. Ils dsolent nos gens de cabinet, par leur duret la
fatigue, leur application au travail, & sur-tout par une activit leste &
expditive, qui brusque les obstacles, fait risquer propos, & sans autre
flambeau quun bon sens lumineux, court au but avant que les politiques
rflchis laient apperu. Aussi, quoique les Chinois sachent que les
Tartares ne sont quun contre mille, plus ils sont sages & citoyens, plus ils
conviennent quil importe peu que des etrangers soient chargs du soin du
gouvernement, pourvu que lEmpire soit florissant, & que les peuples
jouissent p.04.333 en paix des douceurs de la vie. Les nations qui sont au
nord & au midi de la Chine netoient pas propres faire tomber lesprjugs des Lettrs contre les autres nations, & en imposer leur
antique puissance. LEurope a tir les Tartares dembarras. A force de
faire publier les cartes des pays etrangers, dintroduire leur gographie
dans nos livres, denrichir notre astronomie des dcouvertes & des
mthodes de la leur, & de faire accueil leurs inventions, les hommes
dEtat & les vrais Lettrs commencent revenir de leurs prjugs. Les
belles choses que lEmpereur a fait faire aux artistes Missionnaires, ou
demandes en Europe, sont moins une preuve de magnificence quune
adresse pour convaincre les plus opinitres quils ne mprisent les
etrangers que par ignorance. Mais ces traits de lumiere ne brillent que
dans la Capitale, & les murs publiques des Provinces tiennent toujours
aux anciennes ides.
Les Lettrs ou manqus, ou sans emploi, jouent ici dans la socit le
personnage des pauvres gentilshommes en Europe ; cest--dire, que
fiers de la considration attache leur etat, & de la supriorit quelle
leur donne sur le peuple, ils ont dautant plus de morgue & dorgueil
quils sont plus dpourvus de mrite & dargent. Leur unique ressource
est de se voir les uns les autres pour sennuyer, frais communs, de
vieux contes, de rflexions uses, de murmures sur le gouvernement, &
pour divertir le public par les scenes ridicules & pitoyables que donne
leur vanit, ds quils essoient de reprsenter.
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Les paysans, quon ninquiete sur rien, sont polis & honntes entreux
plus que ne parot le comporter leur etat ; force de leur rendre les
procs ruineux, difficiles & odieux, on les en a presque dgots. La
plupart sentraident avec une franchise & une gnrosit gauloise : &
parler en gnral, p.04.334 ils sont bons voisins, bons parens, &
sintressent rellement les uns aux autres.
Les marchands & les artisans jouissent petit bruit des douceurs de
la vie selon leur fortune. Nous disons petit bruit, sur-tout pour les
premiers, dont plusieurs sont fort opulens, parce que le gouvernement
naime pas quon affiche laisance dune maniere qui puisse aigrir & irriter
le sentiment que la multitude a de sa misere.
Cest le ton du gouvernement ; il ny a pas de luxe proprement dit en
Chine. Cest une suite de lancien principe qui fait disparotre tout ce qui
annonce le plaisir & le faste dans les annes de calamit, mme la
Cour & chez les Princes. Le commencement de lanne, les mariages &
les enterremens, sont ici les grandes occasions de visites, de prsens, de
festins & de dpense pour toutes les conditions. Si on y ajoute les
naissances des enfans, les promotions aux grades littraires & lelvation
au Mandarinat, il ne reste plus que des invitations entre amis & des ftes
de famille.
Les familles se tiennent ici par toutes leurs branches. Lordre & la
subordination qui y regnent sont une suite ncessaire des loix civiles, des
murs publiques, de lexemple du Prince & de leducation. Les
sparations, les disputes & les procs y sont vus daussi mauvais il que
dans certains pays les msalliances ridicules. Lge est une prrogativeau-dessus de tout. Un Mandarin du premier ordre ne voit que son oncle
ou son frere dans un paysan, & descend de loin de sa chaise ou de sa
voiture pour laborder plus respectueusement.
Les plus pauvres sont riches pour contribuer une fte de famille,
faire accueil un parent qui vient de loin, ou le secourir dans un besoin
pressant.
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Que le lecteur combine maintenant tous les dtails o nous sommes
entrs, & quil voie o doit en tre la Chine par p.04.335 rapport lintrt
de largent. Ce nest que par un rsultat mdit de leur ensemble quil
doit en juger ; encore faut-il avant tout laisser lecart toutes les ides
de lEurope sur cette matiere.
Il est au moins douteux si lintrt des prts a et autoris par les loix
sous nos trois premieres dynasties. Il naquit, dit-on, dans les ruines de
lancien gouvernement, sous le regne terrible & jamais dtest du
fameux Tsin-chi-hoang, 220 ans avant lere chrtienne. La politique
ladopta, malgr les cris de la justice & de lhumanit, & sen servit pour
remplir les trsors de lEtat, en tarissant les ruisseaux dor & dargent
que la pente dune sage administration y avoit conduit jusqualors. Elle
connut son erreur sous la dynastie suivante, & chercha etouffer
lintrt, comme un monstre ennemi des peuples qui se nourrissoit du
sang des pauvres ; puis, changeant de faon de penser, elle laccueillit
encore & le proscrivit alternativement. Depuis plus de quinze siecles, il acours sous la direction des loix. Il ne faut quouvrir nos Annales pour voir
que cette direction a vari selon letat des affaires, la crise des
circonstances, & sur-tout selon lesprit du gouvernement de chaque
dynastie & les divers systmes dadministration quon a suivis dans la
gestion des finances. Quelque curieuse que ft pour lEurope cette partie
singuliere de notre histoire politique, elle est lie trop dobjets &
demanderoit trop de dtails & de discussions, pour que nous puissions
nous y arrter. Nous nous contenterons dobserver en gnral, que
chaque siecle a donn des leons aux suivans sur la vanit des systmes
& des spculations, & leur a appris quen matiere de finances & dintrt,
comme en matiere de physique, de mdecine & dhistoire naturelle, le
tmoignage de lexprience & la dposition des faits sont les seuls guides
sur lesquels on puisse compter. La clebre dynastie des Song eut la
foiblesse dadopter les billets de banque ; ses mprises ont epargn bien
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des fautes & des p.04.336 bvues aux dynasties suivantes, parce que,
comme dit Lieou-tchi,
les fautes qui portent coup instruisent plus que les succs,dont on ne sapplique pas tant chercher la vraie cause.
Les fautes passes ont-elles fait prendre un bon parti, ou ont-elles
conduit un systme plus mauvais encore ? Que ceux-l prononcent, qui
entendent assez la matiere pour citer toutes les nations leur tribunal &
les juger. Pour nous, nous nous bornerons rpondre historiquement
aux trois questions suivantes :
Quel est le taux de lintrt permis aujourdhui en Chine, par la loi ?
Que sest propos le gouvernement, en le portant si haut ?
Que fait ladministration publique, pour russir dans ses vues, &
est-elle seconde par les murs publiques ?
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1. Ltat, selon Tchao-ing, a voulu empcher que la valeur des
biens-fonds naugmentt, & que celle de largent ne diminut par la
mdiocrit de lintrt, & faire ensorte, en le portant un taux
considrable, que la distribution des biens-fonds ft toujours dans une
certaine proportion avec le nombre des familles, & que la circulation de
largent ft plus uniforme :
Il est evident, dit-il, que largent etant au-dessous des biens-
fonds, parce quil est plus casuel en lui-mme, & dans les
revenus, la mme valeur en biens-fonds sera toujours prfrs
celle qui est en argent : il est evident encore que pour ne pas
courir les risques du casuel de largent, on aimera mieuxpossder une moindre valeur en bien-fonds avec plus de
scurit. Cette moindre valeur est proportionne aux risques
de largent & de ses profits.
Plus lintrt de largent est haut, plus il faut de biens-fonds,
tous les risques compenss, pour equivaloir largent, comme
il faut plus darpens de mauvaise terre pour equivaloir une
terre excellente & fertile ; cela ne souffre aucune difficult. Or,plus il faut de biens-fonds pour equivaloir largent, plus il est
ais aux pauvres citoyens de conserver ceux quils ont, & den
acqurir mme une certaine quantit, puisque cela ne suppose
pas la richesse ; p.04.339 plus, par la mme raison, les partages
sont faciles dans les familles & avantageux lEtat, pour les
terres que le gouvernement a eu sur-tout en vue.
Pourquoi cela ?
Cest que les fonds en terre produisent toujours plus ceux
qui les font valoir eux-mmes, & que les riches qui en
possedent plus quils nen peuvent cultiver, perdent pour lEtat,
en les ngligeant, ou pour eux, en les donnant dautres, ce
que gagnent ceux qui les cultivent eux-mmes ; perte certaine
& invitable, perte, dans le dernier cas, laquelle il faut
ajouter les risques de la rcolte & le casuel du paiement ; perte
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par consquent qui, etant aggrave par les risques, leur rend
lachat des terres moins avantageux quaux pauvres, & doit
autant le faciliter aux derniers quelle doit en dgoter les
premiers.
LAuteur dveloppe de plus en plus toute cette thorie ; par des
applications, des exemples & des raisonnemens dont nous ne croyons
pas quon ait besoin en Europe pour saisir sa pense. Puis, aprs avoir
prouv par des faits articuls & sans replique, que les possessions du
peuple en terres ont augment proportion que lintrt de largent a
et port plus haut, il en conclut hardiment :
Que le grand bien qua cherch & a produit la loi de lintrt,
cest que les cultivateurs qui sont la portion la plus nombreuse,
la plus utile, la plus innocente & la plus laborieuse des citoyens,
peuvent possder assez de biens-fonds en terre pour avoir de
quoi vivre sans tre riches, & ne sont plus les malheureux
esclaves des citoyens pcunieux qui engraissent leur oisive
inutilit du fruit des travaux de ces infortuns.
Du reste, comme il ny a en Chine ni fief, ni seigneurie, ni aucune sorte
de servitude & de redevance ; comme la grande population rend
lagriculture plus facile, plus soigne & plus avantageuse aux familles
qui elle fournit un p.04.340 travail continuel, les raisonnemens de Tchao-
ing en ont encore plus de force & de vrit.
Ceux quil fait sur la valeur & la circulation de largent, sont plus
longs, plus embrouills & peut tre moins solides.
Selon Tchin-tse, dit-il, ceux qui se sont plaints quon a port
trop haut le prix de largent, auroient cru bien enrichir ltat, en
ouvrant nos mines & en les exploitant ; tout ce quil en auroit
rsult, cest quil et fallu de grandes balances pour les plus
petits paiemens. Largent nest que le gage & linstrument des
echanges. La richesse relle de lEmpire consiste dans la
proportion continuelle des productions de la nature & de lart, &
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de leurs echanges avec le nombre des citoyens & la totalit des
consommations. Tchin-tse, reprend notre Auteur, a vu en
aigle ce que plusieurs Ministres nont vu quen hibous.
Supposons que la proportion des productions & des
consommations avec le nombre des habitans ne dpende que
de ladministration publique pour avoir lieu dans tout lEmpire,
& nous verrons que le haut intrt de largent est le seul
moyen de la procurer dans les echanges. En effet, il empche
largent de diminuer de valeur, & le fait passer continuellement
dune main dans lautre. Quand les productions dune certaine
espece sont plus abondantes que les consommations, il y aplus de vendeurs que dacheteurs, & ds-lors ces productions
baissent de prix & largent diminue de valeur par rapport elle.
Le vendeur ne reoit pour deux sacs de riz, par exemple ; que
ce quil recevoit auparavant pour un ; mais comme la valeur de
largent augmente dautant pour lacheteur, & devient la mme
pour le vendeur, sil veut racheter du riz, cette diminution nest
que relative, & plus momentane que relle. Sa diminution
vritable seroit celle o y ayant moins de p.04.341 riz que
dargent, cause du bas prix de celui-ci, il y auroit une
certaine quantit dargent qui ne correspondroit plus rien.
LEtat pare ordinairement cet inconvnient, en augmentant la
consommation apparente du riz quant la vente, soit en
remplissant les greniers publics, soit en en faisant faire des
exportations dans les autres Provinces. Si ces deux ressources
lui manquent, il a toujours celle de diminuer la totalit de
largent qui circule, en en faisant moins sortir de ses coffres
quil nen tire des endroits o est la surabondance. Quant la
sagesse du ministre, il a toujours cette attention, quand il
sagit dune Province entiere. Lintrt de largent suffit pour les
districts particuliers ; en effet, il donne largent une valeur
reprsentative, absolue & indpendante de la circonstance qui
doit ncessairement faire monter un echange proportion que
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lautre diminue. Autant les productions locales baissent de prix,
autant celles qui viennent dailleurs enchrissent
LAuteur se jette ici dans des compensations de dettes passives &
actives, demprunts & de paiemens, o il regne tant dobscurit quil
parot avoir embrouill les choses pour se tirer dembarras. Il prouve
mieux, que le taux de trente pour cent etant le point mitoyen entre le
revenu des bonnes terres & les profits du commerce en gros, cest celui
prcisment quil falloit dterminer pour aiguillonner le commerce & faire
circuler largent oisif.
Qui a de bonnes terres, dit-il, ne les laissera pas en friche,
parce qu moins dtre insens, il ne voudra pas se priver en
pure perte, des moissons dont elles peuvent remplir ses
greniers chaque anne. Qui a des fonds en argent, seroit aussi
insens sil les laissoit chommer dans ses coffres ; car sil y a
plus de danger le placer qu cultiver des terres & les
mettre en valeur, il y a aussi des profits plus considrables : la
proportion suppose de p.04.342 largent avec les productions,
les consommations & la population, il est evident que largent
est dans le mme cas que les terres. Tout le monde convient
que largent ne reste jamais en coffre chez les Ngocians,
parce que lappt puissant du gain len fait sortir sans cesse. La
loi de trente pour cent etant etablie, le mme appt doit
produire le mme effet chez tous ceux qui en ont. Aussi,
voyons-nous que depuis que lintrt de largent a et port si
haut, personne na plus song en faire des amas, & lacirculation en a et plus gnrale, plus vive & plus continuelle.
La loi par-l, en a fix la valeur en laugmentant : ce qui avoit
paru une contradiction aux vieux Let