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Aïda, fille du Méchouar Merya Gazelle

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9.98 541866

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 114 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 9.98 ----------------------------------------------------------------------------

Aïda, fille du Méchouar

Merya Gazelle

Mery

a Gaz

elle

Aïda, fille du MéchouarMerya Gazelle

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A mon père, à ma mère, à mon cher mari et mes enfants chéris, à tous ceux que j’aime, je dédie ce livre.

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Chapitre I Le Méchouar

Un faisceau lumineux traverse les claustras en forme d’étoile ottomane. Le soleil printanier ravive les couleurs pastel des émaux de faïence. Une eau fraîche ruisselle dans le bac de l’évier scintillant. Elle provient des cascades qui dévalent les Monts Essakhratine (les deux rochers) dominant à mille deux cent mètres d’altitude le plateau de Lalla Setti au flan duquel est adossée la cité ancienne. Palais, fontaines publiques, bains, mosquées, écoles, habitations et réservoirs collectifs sont alimentés par un réseau souterrain de conduites en terre cuite. Les multiples sources de Tlemcen justifient sa réputation de ville d’eau.

Aïda s’attelle aux activités ménagères au côté de sa mère, Tassadite, enivrée par les odeurs d’agrumes des vergers avoisinants. Orangers et citronniers fleurissent en abondance. La maison familiale des Bestandji jouxte un pavillon à l’intérieur d’un palais-

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citadelle, dénommé le Méchouar dans la terminologie maghrébine et andalouse.

Construit au XIe siècle sur l’emplacement choisi par le roi Youssef Ibn Tachfin qui s’apprête alors à assiéger la cité, le Méchouar occupe une grande superficie. Initialement destiné aux gouverneurs almoravides puis almohades, l’ensemble de bâtiments résidentiels se métamorphose sous la dynastie des Abdelouadides ou Zianides. En effet, le souverain Yaghmoracen y fait bâtir son palais auquel les monarques successifs ajoutent une mosquée en 1317 puis, des murailles de trois hauteurs d’homme devant protéger non seulement l’édifice royal mais toutes les dépendances, notamment celles où sont assignés à résidence surveillée les otages du roi. La tradition rapporte que cette prison est l’une des plus extraordinaires qui soit.

Le Méchouar doit son nom à l’ancienne salle de réunion du gouvernement du sultan, il signifie littéralement « aile du Conseil ». Il n’est point de lieu aussi emblématique que celui-ci dont l’histoire se confond avec la destinée d’une capitale, d’un royaume, d’un pays.

Bassins pavés, péristyle formé de colonnes en marbre autour de la prestigieuse bâtisse, grandes salles de réception, décors de stuc habilement travaillés, magnifique ornementation de plâtre et de bois noble : le Méchouar ne peut laisser indifférent les visiteurs de passage.

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Les jardins éblouissent les sens. Ils suscitent l’admiration du profane. Divisés par des allées et des canaux, ils sont plantés d’arbres fruitiers sans ordre apparent : oliviers, agrumes, figuiers, noyers, cognassiers, pêchers, cerisiers, caroubiers, kakis tandis que les pergolas sont couvertes de rosiers, de jasmins, de chèvrefeuilles, de bougainvilliers et les haies taillées, entourées de fleurs.

La sélection des variétés de plantes, leur agencement, les justes proportions du paysage et la symétrie architecturale confèrent un caractère original à ce spectacle grandiose. Il s’en dégage un intemporel sentiment de sérénité.

Les palais (Dar el Moulk, Dar Essourour, Dar Abi Fihr, Dar Abou Tachefine, Dar Erraha), que d’illustres personnages ont comparés à ceux de Cordoue ou de Koufa, ont éclipsé bien d’autres cours. Il s’y joue matin et soir une symphonie d’ombre, de clarté et d’eau jaillissante des bassins à ras du sol.

Quatre décennies d’instabilité ont eu raison du dernier roi des Zianides, Mouley Hassen. Depuis l’annexion de Tlemcen à la Régence d’Alger en 1555, l’accès au Méchouar est exclusivement réservé aux nouveaux occupants de la citadelle, les Turcs ou Ottomans.

Fruit de l’union d’une berbère autochtone et d’un européen musulman au service du Sultan Murat III, Aïda est ce que l’on appelle communément une Kouloughli, terme dérivé du turc köle qui signifie

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esclave et du mot oğul qui veut dire fils. Son père appartient au corps d’élite de l’armée ottomane, les janissaires. La garnison, installée au sein du Méchouar, se renforce au gré des arrivées de nouvelles recrues du Levant, venues, pour la plupart, de Constantinople.

Grande, élancée, les cheveux longs de couleur noire corbeau caressant les hanches de son corps svelte au teint laiteux, Aïda, dont le prénom arabe évoque la récompense ou la rétribution, foudroie du regard, sans même s’en apercevoir, ceux qui la contemplent. Quotidiennement, le ciel azur de la Méditerranée illumine les yeux bleus de son visage aux traits délicats.

Aïda pose méticuleusement la table lorsqu’entre son père. Il se déchausse, salue joyeusement son épouse avec les quelques mots de tamazight qu’elle lui a enseignés et embrasse tendrement ses trois filles : Anissa, 21 ans, rouquine aux yeux verts, Aïda, 19 ans, la cadette et Hinda, la benjamine, 17 ans, blonde aux yeux gris. Le séjour, agencé autour d’une table basse en bois ciselé de motifs berbères, est meublé de banquettes traditionnelles et de poufs en cuir. La famille prend place autour de la table, les pieds reposant sur un confortable tapis de haute laine, confectionné dans les plus grands ateliers de tissage de Tlemcen.

Un plat de pruneaux et d’abricots marinés dans une sauce sucrée au miel et parfumée à l’eau de fleur

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d’oranger accompagne quelques morceaux de viande d’agneau tendre, à la qualité reconnue. Le bétail de la région, que tout fin gourmet apprécie, se nourrit de plantes aromatiques : thym, armoise, lavande, menthe…

Les échanges se poursuivent en arabe dialectal autour du déjeuner, en ce 9 Joumada El Thani de l’an 998 après l’Hégire, correspondant au 15 avril 1590 du calendrier grégorien, quand, le père annonce d’une voix grave, avec un accent slave prononcé :

– « J’ai rencontré Boumediene ce matin, il m’a demandé la main d’Aïda et j’ai accepté. »

Aïda reste silencieuse un moment, prend une profonde inspiration puis acquiesce docilement de la tête. Elle a croisé son prétendant il y a tout juste une semaine devant la porte de la classe de musique. Comme elle, Naouel, la sœur de Boumediene prend des cours de chant et de musique traditionnelle arabo-berbéro-andalouse. L’une apprend à jouer du luth, l’autre s’exerce au rabab, vièle parmi les plus anciens instruments à archet connus.

Aïda s’adresse à son père et lui dit : – « Baba, je consens à cette union mais je

souhaiterais que tu m’autorises à côtoyer Boumediene avant le mariage afin que je puisse mieux le connaître. »

Le père, quelque peu étonné par l’audace de sa fille, marque une pause puis répond, songeur :

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– « C’est entendu. Sois de retour avant la nuit et assure-toi que les gardiens des remparts te reconnaissent pour qu’ils te laissent entrer. Leurs consignes sont strictes au niveau des deux portes. »

Le chant des oiseaux laisse place aux bruits des travaux de restauration de la mosquée du Méchouar. Son minaret de trente mètres de hauteur domine majestueusement les environs. Sur l’un des côtés, on y lit une inscription gravée en caractères arabes de style andalou : « Al-Yûmn Wa’l-Iqbâl », le bonheur et le succès.

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Chapitre II Agadir

Boumediene aperçoit une silhouette blanche aux yeux vifs à la sortie du cours de musique. C’est Aïda. Il va aux nouvelles et s’enquiert aimablement de sa santé. Souriante, elle lui répond avec courtoisie. Ils décident de se promener à travers la vieille ville, décrite par un historien comme « une jeune épouse sur son lit nuptial. »

Fruit de la fusion de deux entités, Agadir et Tagrart, Tlemcen doit son développement à la fertilité de ses terres et à la situation géographique privilégiée qui est la sienne, au croisement de deux principales voies Est-Ouest et Nord-Sud de l’Afrique du Nord, l’une menant de l’Ifriqiya au Maghreb extrême et l’autre menant des contrées subsahariennes vers la rive méditerranéenne, communément appelée la route de l’or.

– « Agadir signifie “rocher abrupt” dans la langue berbère des Zénètes », indique le jeune homme, le pas