mémoire de recherche
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PHOTOGRAPHIE, MÉMOIRE COLLECTIVE, RÉEL : Le Rapport de la photographie au réel à travers certaines images nourricières d’une mémoire collective de la seconde guerre mondialeTRANSCRIPT
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UNIVERSITE LUMIERE – LYON II
INSTITUT DE LA COMMUNICATION
DIAS CAROL – 5101531
Mémoire de Recherche
PHOTOGRAPHIE, MEMOIRE COLLECTIVE,
REEL :
Le Rapport de la photographie au réel à travers certaines images nourricières d’une mémoire
collective de la seconde guerre mondiale
Sous la direction d’Alain Girod Master 1 Information et Communication
Septembre 2011
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Je dédie ce travail
à mon grand père
Je remercie, en premier lieu, Alain Girod pour avoir bien voulu croire à mon difficile
sujet.
Je remercie ensuite les différentes personnes ayant bien voulu participer à
l’élaboration de ce mémoire. Je pense notamment aux collaborateurs du Centre d’Histoire,
de la Résistance, et de la Déportation, qui ont ouvert les portes de leur musée avec grand
plaisir. Je pense aussi aux photographes que j’ai rencontrés, qui se sont très gentiment
portés au jeu. Je pense, pour terminer, aux personnes ayant donné quelques minutes de
leur temps pour répondre à mes questions.
Puis, je remercie tout particulièrement ma famille, ainsi que mes amis, pour
m’avoir soutenue tout au long de cette épreuve.
Je remercie enfin Fred pour son aide précieuse, sa présence, son soutien, et sa
très grande patience.
Je tiens à préciser que ce travail n’aurait pas pu voir le jour sans la contribution
active de toutes ces personnes…
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SOMMAIRE :
Partie 1 : LA PHOTOGRAPHIE, ENTRE HISTOIRE, REEL, ET ART
1. Des origines lointaines
2. Un miroir du réel
3. Un rapport particulier avec l’art
Partie 2 : LA MEMOIRE : UNE PENSEE COLLECTIVE
1. La mémoire collective, une notion abstraite
2. La mémoire collective à travers la seconde guerre mondiale
3. La photographie, un outil au service de la mémoire
Partie 3 : ANALYSES PERSONNELLES
1. Analyse sémiologique d’images de la seconde guerre
mondiale
2. Légendes et Contextes, des pièces à conviction
3. Critique de la photographie comme représentative du réel
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INTRODUCTION
« La photographie est un langage à part entière »1
La photographie est un domaine très particulier. Elle regroupe de multiples
individus autour d’elle : photographes, lecteurs, spectateurs, professionnels ou amateurs…
Elle recouvre une dimension multiple. On pourrait même dire qu’elle constitue un monde.
Celui-ci m’a toujours attirée, fascinée, depuis l’enfance. J’ai toujours apprécié
photographier, fabriquer des souvenirs, ou les regarder pour faire fonctionner ma mémoire.
J’aime également observer les images des autres, leurs créations artistiques, ou encore
les illustrations des livres, des magazines.
Aux prémices de mon travail, au moment où l’on doit choisir un thème, j’avais
décidé de travailler sur l’image. Mais je voulais un sujet particulier, un peu plus original que
ceux que l’on retrouve chaque année concernant la publicité, la presse ou internet. Il m’a
alors semblé tout naturel d’axer mon choix sur la photographie. Cet objet m’interpellait, il
me questionnait. J’avais envie d’en connaître l’histoire, les origines. Je voulais savoir pour
quelles raisons il était devenu si populaire, pourquoi il constituait une révolution dans la
société. Une fois mon thème déterminé, il fallait ensuite que je centre ma recherche sur un
aspect particulier de la photographie, que je précise ce sur quoi je voulais travailler, que je
ne sois pas trop générale. C’est ainsi que j’ai éprouvé ma première difficulté, car j’ai
d’abord pensé travailler sur la perte du métier de photographe à l’aire du numérique. Mais
cela m’a été déconseillé. Alors j’ai continué à chercher… jusqu’à ce que j’aille visiter le
Centre d’Histoire, de la Résistance, et de la Déportation de Lyon. Un sujet s’est alors
présenté à moi comme une évidence : travailler sur la photographie comme trace de la
mémoire collective, en me centrant plus particulièrement sur la période de la seconde
guerre mondiale. A ce moment là, je devais donc trouver une problématique mettant en
1 Emmanuel Garrigues, L’écriture photographique, l’Harmattan, Champs visuels, Paris, 236 pages.
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lien la photographie et la mémoire collective, ce qui a constitué une seconde difficulté. Je
pensais, au début, essayer de démontrer que tout le monde possède une mémoire
individuelle, ainsi qu’une mémoire collective, constituée d’évènements marquants pour un
groupe. Le but de chaque individu est de conserver ces éléments. Pour cela, on fait
communément appel à des outils tels que la photographie. Le problème qui s’est posé, est
que lorsque j’ai commencé mes recherches et esquissé un premier plan de travail, je me
suis rendue compte que ce sujet n’était pas très clair et surtout qu’il serait compliqué à
traiter. J’ai alors décidé de l’orienter différemment. J’ai donc choisi de traiter le rapport de
la photographie au réel, qui constituait à la base seulement le sujet d’un chapitre, comme
thème central de ma recherche. J’ai gardé chacune des parties de la première
problématique mais je les ai orientées autrement. Ainsi, aujourd’hui et par l’intermédiaire
de ce mémoire, mon but est de démontrer que la photographie ne représente pas toujours
le réel, comme on le croit communément, et bien que cela soit sa fonction première. Pour
cela, je m’appuie je m’appuierai d’images de la seconde guerre mondiale, qui constitue
notre mémoire collective de cet évènement.
Problématique
Selon sa définition des plus communes, celle du dictionnaire, la photographie est
un procédé technique permettant d’obtenir une image durable des objets, par l’action de la
lumière sur une surface sensible2. En d’autres termes, c’est une technique permettant de
créer des images par l’action de la lumière. On dit que c’est « l’écriture de la lumière » ou
l’art de fixer la trace de la lumière. 3Son origine est ancienne car elle remonte à l’Antiquité
grecque où Aristote utilisait la Chambre Noire (ou « camera obscura »), que l’on pourrait
qualifier comme l’ancêtre des appareils photographiques. Celle-ci est constituée par une
boîte fermée, étanche à la lumière, dont une des faces est percée d’un petit trou, le
2 ROBERT Paul, Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,
version électronique, 2010.
3 GANDOLFO Jean Paul, « Histoire des procédés photographiques », in Encyclopaedia Universalis, 2008, 11
pages.
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sténopé. Lorsque la lumière pénètre dans ce trou, une image inversée de l’extérieur est
projetée sur la paroi opposée. Cela lui servait, à l’époque, à observer certains
phénomènes célestes comme les mouvements solaires. Les performances de la Chambre
Noire s’améliorent à la Renaissance avec l’introduction d’une lentille qui permet une plus
grande netteté de l’image. L’inconvénient de cette technique était le manque de luminosité.
En effet, pour que l’image soit suffisamment détaillée, il fallait que le trou soit le plus petit
possible. L’introduction de la lentille de verre a permis d’améliorer les performances du
sténopé : son diamètre étant plus grand, plus de lumière est admise, l’image est donc
meilleure. Cependant, la véritable invention de la photographie revient à Niécephore
Niépce en 1826. Il est le premier à réussir l’obtention d’une image due à l’action de la
lumière. Pour cela, il utilise une plaque de métal enduite de bitume de Judée, qu’il expose
plusieurs heures au jour. Puis, il la rince au solvant, avant qu’elle ne soit rongée par l’acide
aux endroits où le bitume est dissous. Le résultat est concluant et permet de créer des
supports métalliques pour l’imprimerie. La première photo reconnue est celle de sa
propriété de Saint-Loup-de-Varennes. Cette image est assez floue mais constitue toutefois
le premier élément issu de la chambre noire, utilisé à une fin photographique. En 1839,
Louis Jacques Daguerre poursuit cette idée tout en utilisant des matériaux différents, plus
sensibles à la lumière. Ainsi, le temps de pose se réduit considérablement. Il apporte
également des améliorations significatives au niveau de l’optique, ce qui donne une
luminosité des objectifs meilleure. Le « Daguerréotype » est crée. Il reçoit un accueil du
public des plus enthousiastes, ce qui permet une première démocratisation des appareils
photographiques, mais une inquiétude grandissante parmi les peintres quant à leur
profession. William Talbot invente en 1840 la « calotype ». C’était un procédé négatif-
positif qui permettait la diffusion multiple des images. Pour cela, il installait une feuille de
papier induite de chlorure d’argent dans sa chambre noire, qu’il exposait ensuite à la
lumière du jour pour obtenir une image positive. Grâce à cela, il avait la possibilité de
produire plusieurs exemplaires d’un même négatif. Ce dispositif était moins encombrant et
coûtait moins cher que celui de Daguerre. En 1884, George Eastman crée la révolution en
se séparant des plaques de verres lourdes et encombrantes. Il met au point des surfaces
sensibles et souples, ainsi que le film celluloïd permettant de stocker plusieurs images
dans l’appareil. Leur taille a alors commencé à se réduire, ce qui a permis la photo de
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voyage, ainsi que le reportage, mais également l’évènement du métier de photographe
professionnel. Puis, les frères Louis et Auguste Lumière créent « l’autochrome » en
1903, ce qui permet d’obtenir des photos en couleur. Elles sont obtenues grâce à une
trichromie composée de grains de fécule de pomme de terre et des couleurs primaires. Le
monde technique de la photographie ne cesse alors d’évoluer. En 1909, Etienne Mollier
invente le Cent-Vues, un appareil photo « de poche » qui prenait cent vues d’affilée. Puis,
en 1913, Oskar Barnack construit Leica qui est à l’origine du concept d’appareil petit
format. Le polaroïd apparaît en 1948 grâce à Edwin Land, qui permet un développement
instantané de la photographie. La dernière évolution date du XXIème siècle avec l’arrivée
du numérique qui transforme l’image en une série de points appelés « pixels », ce qui
permet une haute définition.
La photographie s’est donc peu à peu intégrée dans la société actuelle.
Aujourd’hui, sa place est prépondérante. Nous comptons les photographes professionnels,
ainsi que les amateurs par milliers. Elle est un recours incontournable lors d’évènements
particuliers étant donné que son but est de « montrer le réel ». C’est pourquoi on utilise la
photographie pour graver les images des moments forts dans l’esprit des individus à tout
jamais. L’image permet d’établir un lien entre ce qui a été appris, ce que l’on a entendu, ce
qu’on imagine, ce dont on rêve. Comme le dit Susan Sontag4, « rien n’entre mieux dans la
tête qu’une photographie » car il n’y a pas de preuve plus formelle que celle-ci. Le recours
à cet objet est donc infiniment lié à notre mémoire, et particulièrement à la mémoire
collective.
Le terme de mémoire renvoie à des réalités différentes. Dans sa définition la plus
triviale, celle du dictionnaire, deux conceptions cohabitent. La première renvoie à la
possibilité de garder un souvenir, de conserver une information5. Dans le langage courant,
c’est la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passés. D’un point de
vue philosophique, selon des auteurs comme Hobbes, Locke ou Condillac, elle serait une
fonction permettant la représentation du passé comme tel. Pour la psychologie, fervente 4 SONTAG Susan, Sur la photographie, Christian Bourgois Editeur, Paris, 1983, 280 pages.
5 ROBERT Paul, Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,
version électronique, 2010.
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successeur de cette idée aujourd’hui, il s’agirait d’un ensemble de fonctions psychiques
grâce auxquelles nous pouvons nous représenter le passé comme passé. La mémoire
joue donc un rôle essentiel au niveau de la cognition humaine. Pour être plus précis, les
psychologues lui confèrent une double capacité : celle de stocker des connaissances et de
les réactiver, celle de se référer ou d’évoquer des éléments du passé. Elle détermine ainsi,
pour une large part, notre perception du présent, façonne nos anticipations, et permet
l’apprentissage. Le stockage de l’information dans la mémoire peut s’expliquer par un
modèle théorique, celui d’Atkinson et Shiffrin6 en 1968. Ces scientifiques nous expliquent
que la mémoire est divisée en trois éléments distincts et que les informations ou
« stimulis » sont traités par ceux-ci. Les stimulis provenant de nos sens (sons, images,
odeurs…) sont, dans un premier temps, captés par la mémoire sensorielle. Elle est
capable d’en stocker une quantité relativement limitée, et ce, pendant de très brèves
périodes de temps. Puis, ils passent dans la mémoire à court terme qui permet de retenir
et de réutiliser une certaine quantité d’informations pour des périodes un peu plus longues
tout en restant limité. Enfin, certains iront dans la mémoire à long terme qui possède,
elle, une très large capacité puisqu’elle est peut stocker l’information pendant de longues
durées, voire même toute la vie. Endel Tulving7, psychologue cognitif, pionnier de la
mémoire, complète ce modèle en 1995, en distinguant cinq types de mémoires. Il y a d’une
part, la mémoire perceptive, celle qui nous permet de reconnaître les formes (Reconnaître
une fleur comme en étant une, par exemple). Vient ensuite la mémoire sémantique, qui
nous permet de stocker les connaissances générales relatives à un objet (tous les
éléments concernant la catégorie « fleur »). Puis, il y a la mémoire procédurale, celle qui
nous permet de posséder des savoir-faire, elle se situe davantage du côté de la technique
donc (Savoir cultiver les fleurs). Egalement la mémoire épisodique qui renvoie aux
évènements vécus dans un contexte certain : date, lieu, état émotionnel… (Avoir cueilli
une fleur particulière par un jour particulier, dans un lieu particulier). Enfin, l’auteur fait
référence à la mémoire de travail qui, elle, nous permet de garder une information en tête
6 DORE-MAZARS Karine, GYSELINCK Valérie, NICOLAS Serge, VERGELINO-PEREZ Dorine, Introduction
à la psychologie cognitive, In press, Paris, 2007, 200 pages.
7W.MATLIN Margaret, traduit par BROSSARD Alain, La cognition : une introduction à la psychologie
cognitive, De Boeck, Paris, 2001, 786 pages.
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pendant un certain labs de temps, celui de l’action. Cela renvoie à la mémoire à court
terme dans le modèle précédent.
Dans un second temps, le dictionnaire renvoie à une définition faisant attrait à ce
dont on se souvient, c'est-à-dire au fait de conserver, garder en tête un évènement
marquant8. Cette conception est liée aux souvenirs, au contexte dans lequel nous les
avons enregistrés ou rappelés. Ainsi, elle revêt un aspect beaucoup plus social. En effet,
d’après les historiens, cette mémoire correspond à un ensemble de données représenté
par le passé en tant qu’il est transmis, elle est, de plus, nourrie par un ensemble de
témoignages et souvenirs individuels qui nous conduisent à reconstruire le passé9. La
mémoire est donc divisée, de manière générale, en deux visions différentes mais
complémentaires, réunies par un noyau commun, celui de faire référence à des éléments
du passé. Cette distinction apparaissait déjà aux principes de l’origine du mot. En effet, en
observant son étymologie depuis ses origines grecques et latines, on s’attendait à ce que
les mots de sa même famille lexicales comme memento, commémorer, mnémotechnique
etc. aient une seule et même racine, ce qui n’est pas le cas. Selon Grandsaignes
d’Hauterives10 en 1964, la première racine serait men-, elle renverrait aux « mouvements
de l’esprit », alors que la seconde serait smer-, ce qui signifierait « avoir part à ». Cela
correspond donc à cette même division, celle de faculté de l’esprit, ainsi que celle de
partage d’évènements passés, la même que l’on retrouve dans ces deux définitions, la
première étant plus théorique et faisant référence à la faculté de réactiver, la seconde
étant plus sociale car elle nous présente la mémoire comme une source d’un capital
culturel partagé par les individus d’un groupe donné : la mémoire collective.
Le terme de réel, quant à lui, est assez vaste, et difficile à définir clairement.
Etymologiquement, il vient du latin médiéval realis qui veut dire « chose ». Il provient
également de real signifiant « qui existe vraiment ». Il y a donc deux définitions relatives à
8 ROBERT Paul, Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,
version électronique, 2010.
9 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et
histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.
10 Information tirée du même ouvrage.
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ce terme de réel, en rapport avec cette étymologie. Toujours selon Le Robert, sa première
définition est « qui consiste en une chose. Qui concerne les choses ». Il est dans ce cas là
opposé au mot « personnel ». Il s’agit donc de réel au sens de généralité. Il attrait aux
objets en général. La seconde définition, plus commune, est que le réel est « ce qui existe
vraiment, qui n’est ni une illusion, ni une apparence ». Il concerne ce qui a une existence,
et s’oppose à l’imaginaire. C’est donc un fait certain, authentique, indubitable. C’est
quelque chose de concret, de palpable. C’est cette signification qui nous intéressera dans
le cadre de notre recherche. Enfin, en tant que nom masculin, le réel, regroupe les deux
définitions précédentes, il renvoie aux choses elles-mêmes, aux faits réels, à la vie réelle,
à ce qui est. Ses antonymes sont chimérique, fabuleux, fictif.
La photographie, la mémoire, notamment collective, et le réel, sont les trois
thèmes centraux de mon travail. Nous venons donc de les définir un peu plus clairement.
Nous verrons par la suite que la photographie recouvre une forte fonction de réel, dès son
apparition dans la société au XIXème siècle. En effet, n’étant, à cette époque, pas
considérée comme un art, son utilité était de calquer ce que l’on voyait, qu’il s’agisse de
portrait ou de paysage. Cette idée subsiste encore chez certains auteurs et pour un grand
nombre d’amateurs. Nombreux sont ceux qui se fient à une photographie pour attester de
la véracité d’un fait passé, auquel il n’aurait pas assisté. Tout l’objet de mon étude est de
démontrer que l’objet photographique ne représente pas toujours le réel, et qu’il est
primordial de prendre en considération certains facteurs qui entrent en jeu lors de l’acte
photographique. Il faut enfin prendre en considération les limites techniques de l’objet qui
ne peut pas retransmettre exactement le réel. La copie de la vie n’est pas la vie. Certains
auteurs, notamment un des plus célèbres théoriciens de la photographie, Roland Barthes11
ont d’ailleurs défendu cette idée de non objectivité.
Pour attester cela, je m’appuierai d’un fait important de la mémoire collective : la
seconde guerre mondiale. Celle-ci ayant donné lieu un nombre important de
photographies.
11 BARTHES Roland, La chambre claire : note sur la photographie, Gallimard, Mayenne, 1980, 192 pages.
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Hypothèses
L’objet principal de ma recherche est de démontrer que, contrairement à ce que
l’on pensait lors de son apparition dans la société, la photographie ne représente pas
toujours le réel. Pour cela, je montrerai, dans un premier temps, qu’il y a toujours une
volonté de la part du photographe, dans la mise en scène de l’image, elle n’est jamais
neutre. Je prouverai ensuite que ce que l’on peut observer dans une image, notamment
vidéographique, n’est pas forcément significatif d’une réalité. Il y a toujours une
scénarisation, c'est-à-dire une façon de pointer le réel, de le cadrer. Enfin, ma dernière
hypothèse concerne le rapport qu’il existe entre la photographie et le texte. Dans ce
dernier point, j’essaierai de montrer que ce sont les légendes ou commentaires autour des
photographies qui lui donnent son sens.
Plan
Pour répondre à ma problématique, je déroulerai ma recherche selon trois
chapitres. Le premier concerne spécifiquement la photographie. Au sein de celui-ci j’en
expliquerai ses origines, des plus lointaines qu’elles soient, jusqu’à son apparition dans la
société. Puis, dans une seconde partie, j’expliquerai le rapport particulier qu’elle entretient
avec le réel. Je montrerai à quel point il existe une pensée commune selon laquelle la
photographie est un miroir du réel. Enfin, dans une dernière partie, j’expliciterai le fil qui la
lie à l’art et à quel point cela a été difficile pour elle d’être reconnue en tant que telle.
Le second chapitre sera plus concentré sur la mémoire collective. En effet, dans
un premier temps, j’essaierai d’expliquer cette notion, aussi abstraite soit-elle. Puis, je
tenterai d’appliquer ce terme à une période particulière, celle de la seconde guerre
mondiale. Pour terminer, je démontrerai que la photographie est entièrement liée à
l’illustration de la mémoire collective, qu’elle en est un outil à son service.
Mon dernier chapitre sera composé de manière pratique. Pour commencer, je ferai
une analyse sémiologique d’images de la seconde guerre mondiale, c'est-à-dire que
j’essaierai d’analyser un corpus de huit photographies issues de cette période. Ensuite,
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j’expliquerai qu’il ne faut pas toujours croire ce que l’on observe sur les photographies.
Pour cela, je m’appuierai sur un documentaire réalisé grâce à des images muettes dont on
ne connaît pas l’origine et retrouvé peu après la guerre. Pour terminer, je montrerai
l’importance de la légende lors de la publication d’une photographie, notamment
documentaire. Pour se faire, je m’appuierai sur un questionnaire que j’administrerai à un
échantillon de 80 personnes.
Méthodologie, Corpus, et terrain
Pour confirmer mes hypothèses, mes procédés seront multiples. Je combinerai à
la fois analyses sociologiques, et analyses sémiologiques. Pour commencer, j’ai décidé de
prendre appui sur le Centre d’Histoire, de la Résistance, et de la Déportation. Ainsi, je ferai
passer des entretiens à différents collaborateurs du musée. La directrice, I.R, qui me fera
un bref historique de la construction du Centre, et qui m’expliquera plus précisément de
quelle manière prend forme l’exposition permanente. L’attachée de conservation, M.V, qui,
elle, me parlera plus spécifiquement des expositions temporaires. C.J, la documentaliste
du centre de documentation du musée, qui m’expliquera de quelles façons sont traitées les
archives. Enfin, je devais rencontrer M.P, médiateur culturel, qui devait me parler de ses
activités ludiques avec les publics scolaires autour de la photographie, mais n’avons pas
réussi à nous entendre sur un rendez-vous, de par son emploi du temps chargé. J’irai
également à la rencontre de plusieurs photographes pour savoir ce qu’ils pensent du
rapport entre photographie et réel: F.B, P.W, et F.O. Enfin, je questionnerai des visiteurs
anonymes du Centre pour savoir ce qu’ils ont ressenti tout au long de la visite. Les
entretiens seront pour certains semi-directifs (…), avec un caractère plus directif pour
d’autres (..). consultables en annexes. Dans un second temps, j’administrerai un
questionnaire à un public large et anonyme. A l’intérieur de celui-ci, il y aura trois
photographies de la seconde guerre mondiale non légendées. Le but sera que les
personnes questionnées décrivent ce qu’elles voient, ainsi que ce à quoi cela leur fait
penser. Je prendrai ensuite appui sur le film documentaire de Yael Hersonski, qui date de
2009, Quand les nazis filmaient le ghetto. Celui-ci a été réalisé à partir d’images muettes
prises par les nazis pour montrer à quoi ressemblait le ghetto de Varsovie en mai 1942.
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J’utiliserai ce film pour prouver que ce que les images montrent, n’est pas forcément ce
qu’il se passe dans la « vraie » vie. Pour terminer, j’analyserai un corpus de huit
photographies selon la méthode d’analyse de l’image de Martine Joly12. Ce corpus sera
composé de huit photographies de la seconde guerre mondiale issues de Mémoire des
Camps, ouvrage de Clément Chéroux, historien de la photographie. Celui-ci a été réalisé
à l’issue de l’exposition intitulée « Photographies des camps de concentration et
d’extermination nazis (1933-1999) » qui s’est tenue de janvier à mars 2001, à l’hôtel de
Sully, à Paris.
12 JOLY Martine, Introduction à l’analyse de l’image, Armand Colin 2ème édition, 128, 2009, 123 pages.
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PARTIE 1 :
LA PHOTOGRAPHIE,
ENTRE HISTOIRE,
REEL, ET ART
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I. LA PHOTOGRAPHIE, ENTRE HISTOIRE, REEL,
ET ART
La photographie est un vaste sujet dont on peut traiter de nombreux aspects. Pour
bien comprendre l’objet de notre étude, nous allons, pour commencer, définir précisément
ce qu’a été la photographie au fil du temps. Nous allons, pour cela, tracer une chronologie
partant des prémices de l’empreinte photographique, de la camera obscura et la camera
lucida, jusqu’à l’invention du daguerréotype, ainsi que du calotype. Nous allons en
observer leurs avantages et inconvénients, ainsi que les premiers usages de cette pratique
photographique dans la société. Puis, dans un second temps, nous aborderons la question
du réel. Nous verrons, dans ce chapitre, que lorsque la photographie est apparue, en
1836, on lui a reconnu une fonction mimétique très importante, on disait alors qu’elle était
l’imitation la plus parfaite du réel. Quelques auteurs plus contemporains diront, plus tard,
que ce réel est l’essence même de la photographie. Cela avec une distance plus
importante et plus critique que dans ses premières années. Enfin, nous verrons le rapport
compliqué qu’elle entretient avec l’art, notamment au moment de sa création. Réalité
objective de l’outil mécanique ne pouvant pas se confondre avec abstraction subjective de
l’artiste. Là est tout l’enjeu de ce conflit. Mais nous observerons également au sein de
cette partie, l’évolution des mentalités, en passant par les différents courants artistiques de
l’époque jusqu’à nos jours.
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1. Des origines lointaines
D’après l’œuvre de Philippe Dubois13, tout livre sur l’histoire de la photographie
présenterait son invention comme le résultat de la conjonction de deux inventions
préalables et distinctes.
En premier lieu, la camera obscura (ou chambre noire), qui est un dispositif
optique de captation de la lumière. Celle-ci est bien plus ancienne que la photographie-
même puisqu’elle existait déjà sous une forme appelée la « lanterne magique » au
XVIIème siècle, c'est-à-dire à l’époque de la Renaissance, et de sa vision perspectiviste. Il
s’agissait de capter des images pour ensuite les peindre ou les dessiner. Parfois, à
l’inverse, on pouvait projeter sur un écran des images préalablement peintes ou dessinées.
Prise et diffusion étaient donc déjà fortement liées, et elles transitaient par la même
« boîte », faisant office de bloc transformateur, ou encore d’échangeur. Pour illustrer cela,
nous pouvons prendre appui sur la « chambre noire portable ».
C’était un objet très grand puisqu’il permettait à un homme de s’y tenir debout. Il se plaçait
à l’intérieur de cette boite, et ainsi, il pouvait facilement voir et dessiner (ou peindre) les
images extérieures qui se projetaient en s’inversant sur l’écran. Ces dispositifs avaient
pour fonction de permettre de dessiner ou de peindre par transposition directe du référent
sur l’écran-support. Dans sa boite, l’artiste n’avait qu’à reproduire, copier, faire le calque de
13 DUBOIS Philippe, L’acte photographique, Parvis, Nathan, Paris, 1990, 301 pages.
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l’image qui se projetait « naturellement » face à lui. Quelques années plus tard, en 1807,
William Hyde Wollaston inventa la camera lucida (ou chambre claire).
La logique indiciaire était la même puisqu’il s’agissait également d’un moyen optique
servant à obtenir des images par copie directe. Son principe était quelque peu différent
mais très simple. A la base un petit œilleton, celui-ci était muni d’un prisme, d’un jeu de
miroir, ainsi que d’une lentille. Tout cela fixé à l’extrémité d’une tige immobile, elle-même
attachée à une table à dessin. L’artiste devait tout simplement coller son œil à l’œilleton,
« cadrer » son projet, et laisser sa main courir sur le papier. Il devait tracer sur la feuille, de
manière simultanée, ce que l’œil percevait. Cela fonctionnait sans intermédiaire, tout se
passait directement de l’œil à la main. Il s’agit ici d’un dispositif optique comme découpe
du réel. La question que l’on se pose est de savoir pourquoi regarder par un petit dispositif
ce que l’on pourrait très bien voir directement, de manière plus large et donc probablement
mieux. La réponse est la médiation du dispositif via un cadre, c'est-à-dire via un espace de
représentation, des axes et des rapports ou encore une composition, comme c’est le cas
dans notre photographie contemporaine.
La seconde découverte est d’ordre chimique, il s’agit de la sensibilisation à la
lumière de certaines substances à base de sels d’argent. Cela va permettre d’abandonner
le travail de calque et de copie manuelle de l’image, au profit d’un nouveau moyen
d’enregistrement : l’inscription automatique. Il existe pour cela deux types d’illustration.
D’abord, un dispositif particulier nous montrant la manière dont se fabriquaient les très
fameux jeux d’ombre à partir du XVIIIème siècle.
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Pour commencer, on assied le modèle dont il faut réaliser le portrait, sur un siège,
immobile. Ensuite, sur l’un de ses côtés, on dispose une source lumineuse (une bougie par
exemple) ; orientée vers lui, elle projettera ses rayons vers un écran placé
perpendiculairement de l’autre côté du sujet. L’autre face de cet écran, de toile ou de
papier, sera la surface d’inscription de l’image. Pour cette raison, il devra être relativement
transparent ou translucide. En effet, ainsi l’ombre du modèle, projetée sur le verso de
l’écran, pourra transparaître à travers celui-ci, et le peintre, placé de l’autre côté, c'est-à-
dire au recto, n’aura plus qu’à tracer, reporter, marquer le profil ombré, à l’envers. Donc,
en se fixant par le dessin au recto de son verso, l’ombre s’est inversée, comme le reflet
dans le miroir. Cela relève d’une tradition dite de « profils à la silhouette » au XVIIIème
siècle, inventés par Etienne de Silhouette, et ouvrant largement la voie à la photographie.
Pour la seconde illustration, un modèle est assis, se trouve une lumière directionnelle sur
lui, un écran, ainsi qu’une ombre. Tout est semblable à la figure précédente. Mais quelque
chose de très important va les séparer, quelque chose qui va distinguer la photographie du
dessin, qui va la fonder même. En effet, ici, l’ombre projetée sur l’écran-support va s’y
imprimer d’elle-même, et non plus grâce à la main du peintre. Ainsi est né le principe de
l’exposition photographique où un support couvert d’une couche de nitrate d’argent se
révèle sensible à la lumière, ainsi qu’à ses variations. Il enregistre lui-même par des
gradations de noir et de blanc, dans sa propre matière. La photographie comme empreinte
lumineuse est donc fondée.
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Il faut toutefois faire attention. En effet, nous venons de découvrir comment former
une image sur un support couvert de sels d’argent sensibles à la lumière, mais nous
n’avons pas encore découvert, à cette époque là, la conservation des empreintes
lumineuses ainsi apparues, et c’est cela qui fera véritablement accéder à la photographie à
proprement parler, puisqu’elle est une ombre impressionnée, mais également fixée.
« Cette invention n’est pas due au hasard : elle répond à un besoin profond et
général, à la fois économique et intellectuel » selon Jean Alain Lesourd et Claude
Gérard.14
Pierre-Jean Amar15 nous apprend qu’il faudra attendre les années 1800 et quatre
inventeurs différents pour qu’apparaisse la photographie dans la société. Le savant
scientifique Joseph Nicéphore Nièpce sera le premier à créer une véritable photographie.
A l’aide de son frère Claude Nièpce, il investigue sur de nombreuses recherches diverses
et variées comme l’invention d’un moteur à explosion par exemple, qui sera le précurseur
de celui de Diesel. En 1813, le scientifique essaie la « lithographie », inventée par Aloys
Senefelder, et qui sert à reproduire des gravures. Par celle-ci il tente des expériences dont
le but est de reproduire des dessins mécaniquement grâce à la lumière. En 1816, il finit par
14 LESOURD Jean Alain, GERARD Claude, Histoire économique, XIXè XXè siècle, Armand Collin, Paris,
1963, 664 pages.
15 AMAR Pierre-Jean, Histoire de la Photographie, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, Paris,
1999, 127 pages.
21
obtenir une image aux sels d’argent qu’il a obtenu grâce à des valeurs inversées, mais
cela ne le satisfait pas car, lui, cherche des valeurs réelle alors se désintéresse de ce
négatif. Il essaie alors, quelques années plus tard, le bitume de Judée qu’il dissout avec de
l’essence et étale sur différents supports comme le verre, le cuivre argenté ou l’étain.
Grâce à cette technique, il réalise ses premières plaques métalliques gravées. L’obtention
d’une image demande beaucoup de temps (60 à 100 heures) mais les résultats sont assez
satisfaisants, et il nomme cette technique « héliographie ». La première image connue de
l’histoire de la photographie pourrait ainsi dater de 1822, et se nommerait « La table
dressée ». Nièpce entre ensuite en contact avec Louis-Jacques Daguerre en 1826, qui est
à la fois un homme d’affaires et un peintre, qui utilise beaucoup la chambre noire pour
dessiner. Tous deux signent un contrat stipulant que le scientifique « abandonne » son
invention et que l’homme d’affaire y apporte une nouvelle combinaison de chambre noire,
ses talents et son industrie. Ainsi, Daguerre poursuit les recherches de son prédécesseur,
qui meurt peu après, avec pour objectif de les améliorer. En 1837, il utilise de l’eau salée
pour fixer les images, ce qui révolutionnera l’invention. Ce procédé est beaucoup plus
rapide car le temps de pose passe à une demi-heure, et même plus tard, à quinze
minutes, et l’image de bien meilleure qualité, grâce à de meilleurs optiques. Le
Daguerréotype est ainsi né. Le projet est présenté à l’Institut de France en 1839 comme
« découverte qui peut tant contribuer aux progrès des Arts et des Sciences ». La même
année, le procédé devient public, créant un fort engouement de la part de la population.
L’appareil pèse cinquante kilogrammes et coûte très cher. Pourtant, en 1851, il sera à son
apogée, puisqu’il sera employé dans le monde entier. Cette même année Daguerre meurt.
En parallèle de tout cela, en Angleterre, un autre scientifique, Henry Fox Talbot,
utilise, pour dessiner, la chambre claire, cherchant un moyen de capter les images de la
chambre obscure. Il réalise donc quelques expériences de son côté comme l’utilisation de
papier imprégné de nitrate d’argent, fixé au sel de cuisine. Il crée de cette manière ses
premiers « dessins photogéniques » dans une minuscule chambre noire. Sans le savoir, il
reproduit quasiment les même expériences que Nièpce sur la photographie. Mais n’étant
pas satisfait du résultat, il décide de tout stopper, jusqu’à ce que l’invention de Nièpce et
Daguerre soit médiatisée. Il décide alors d’améliorer sa technique en s’appuyant sur leurs
travaux. Il met ainsi au point, en 1840, le calotype, ou « belle empreinte », qui est un
22
développement des images latentes, ainsi qu’une reproductibilité des images, réduisant le
temps de pose à une dizaine de secondes seulement. Il sera le premier, d’après Hervé le
Goff16, à proposer un système négatif-positif.
Enfin, il y a Hippolyte Bayard, le plus ignoré des quatre inventeurs, qui est un
fonctionnaire du ministère des Finances, et qui fréquente énormément le milieu artistique
parisien. Après avoir pris connaissances des recherches de Daguerre, il entreprend en
1839 des essais sur papier sensibilisé et obtient des épreuves positives directes ayant
l’aspect de dessins à cause de la texture du papier. Il réalise même cette année là, et ce
avant la divulgation du daguerréotype, la première exposition de photographies de
l’histoire. Avant la découverte du calotype de Talbot, Bayard révèle également son
invention de l’image latente avec développement. Pourtant, on porte peu d’intérêt à ses
travaux.
Malgré les différentes avancées technologiques de plusieurs savants, c’est le
Daguerréotype qui sera le plus reconnu. L’objet possède pourtant quelques inconvénients
comme le temps de pose en plein soleil par exemple. S’il s’agissait d’un portrait, la
personne devait rester immobile au soleil quinze à trente minutes, la tête et les bras
emprisonnés dans un carcan, ce qui était fort contraignant pour elle. Donc différents
scientifiques continuèrent d’améliorer le daguerréotype, et en 1855, le temps de pose
n’était plus que de quelques secondes. Au début, les plaques étaient non seulement très
fragiles mais également très grandes. Avec le temps leur taille se réduit peu à peu. Ces
inconvénients n’empêcheront pas l’objet de se répandre fortement dans la société. Avec
celui-ci, tous les types de sujets sont abordés : portraits, nus, pornographie, microscopie,
vues panoramiques, paysages, architecture… Des photographes ambulants peu qualifiés
apparaissent alors. Il faudra attendre 1865 pour que le daguerréotype disparaisse des
pratiques courantes. Dans le même temps, mais de manière plus discrète, le calotype
continue son ascension. Son but est la réalisation d’images sur papier. Ses avantages sont
une plus grande souplesse d’utilisation, une rapidité de mise en œuvre, une absence de
fragilité de support, sa reproductibilité, mais ceux-ci contre balancent avec la moins bonne
16 LE GOFF Hervé, La photographie, Cercle d’Art, Découvrons l’art, Paris, 2003, 64 pages.
23
qualité d’image, en comparaison avec l’autre instrument. Visuellement, les images sont
assez proches du dessin. Il sera donc plutôt employé pour les paysages, l’architecture ou
les natures mortes, et ce pendant près de dix ans. Malgré cela, ce produit s’adresse
essentiellement aux classes aisées car, comme c’est le cas pour le daguerréotype, son
acquisition coûte très cher.
Plus tard, apparaît le collodion humide, comme on peut le lire dans l’ouvrage de
Thierry Gervais et Gaëlle Morel17. A la place du papier, comme le recommande Talbot, un
britannique, Frédérick Scott-Archer préfère utiliser du verre sur lequel il étend un mélange
coton-poudre dissous dans de l’éther alcoolique, posé, comme tous les autres sur une
plaque, auquel il ajoute de l’iodure de potassium. Grâce à l’éther, le temps entre la
préparation, la prise de vue, et le développement se réduit énormément, il est en tout
d’une quinzaine de minutes environ. Ainsi, cette technique sera, pendant près de quarante
ans, la méthode la plus employée et la plus efficace à très grande échelle. Enfin, à la suite
de ce procédé, restant malgré tout très encombrant du fait de son poids excessif, ainsi que
de l’utilisation immédiate des plaques, apparaît le gélatino-bromure d’argent en 1871, qui
apparaîtra comme une véritable révolution des pratiques photographiques. Dans cette
technique, on remplace le collodion par de la gélatine et on laisse macérer l’émulsion à
trente-deux degrés pendant plusieurs jours. Petit à petit on industrialise cette fabrication,
ce qui permet d’expérimenter des supports souples, les premières pellicules en celluloïd
sont alors crées, et la photographie moderne apparue. C’est à partir de ce moment-là que
les premiers appareils photographiques vont commencer à être commercialisés, et
apparaître comme de plus en plus en performants, ainsi que de plus en plus miniaturisés
au fil du temps. En 1888, George Eastman crée le Kodak n°1. Celui-ci permet de prendre
cent vues rondes de soixante-trois millimètres de diamètre, tout cela pour 25$, ce qui
comprend le développement et le changement de la pellicule. Ainsi, on aperçoit de quelle
manière tout ce matériel se démocratise. L’année suivante, il remplace le papier par de la
nitrocellulose, ce qui permet de faire développer les photographies par des laboratoires ou
par des amateurs, mais dans tous les cas, les réglages ne sont plus nécessaires. L’empire
17 GERVAIS Thierry, MOREL Gaëlle, La photographie : Histoire, Techniques, Art, Presse, Larousse, Broché,
Paris, 2008, 239 pages.
24
Kodak voit le jour, « donner au monde un appareil photographique aussi facile à utiliser
qu’un crayon », tel était le rêve d’Eastman.
Durant toutes ces années, la photographie n’a cessé d’évoluer, qu’il s’agisse de
son support, son format, sa sensibilité à la lumière, son temps de pose, ou de
développement, ses méthodes de fixation de la couleur pour qu’elle apparaisse la plus
naturelle possible. De la même manière, les appareils de prise vue se sont bien
développés également, étant toujours plus accessibles au grand public par leur coût, leur
taille, et leur simplicité d’utilisation.
En ce qui concerne ses usages, le premier élément qui attire à la fois les praticiens
et la population est sans doutes aucun le portrait, comme cela était déjà le cas avant cette
invention. Des ateliers s’ouvrent un peu partout, et ceux qui peuvent se le permettre
viennent donc se faire faire le portrait. Les personnages y ont toujours un air très sérieux et
intériorisé. Le cadrage se situe au niveau du buste, et la personne regarde le photographe.
Cela ne constitue aucune démarche artistique. A la fin du XIXème siècle, ce portrait
photographique s’est fortement développé, il est devenu un phénomène social, et c’est
grâce à lui que la photographie est complètement intégrée à la société. Le second élément
développé dès les débuts de la photographie est le paysage et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, car la photographie permet une copie des plus fidèles du réel et cela de manière
objective, ce que cherche désespérément à réaliser la peinture jusqu’alors. Ensuite, car
elle permet de « connaître » les contrées lointaines en ramenant un « morceau », un
souvenir de celles-ci, et de cette manière, de faire voyager ceux qui ne le peuvent pas. La
photographie documentaire fait alors son apparition. Elle est notamment présente dans les
sciences, et presque toutes les disciplines vont s’en servir. Ce sera le cas pour la zoologie,
l’astronomie, la médecine ou encore l’archéologie ou l’ethnologie. Elle est également
présente dans tous types d’évènements particulièrement tragiques ou théâtraux, comme
les catastrophes naturelles, les inaugurations de constructions ou encore les conflits ou
guerres… Jusque là, toute information était essentiellement transmise par écrit, quelques
fois accompagnée de dessins. La photographie a donc vraiment sa place dans tous les
domaines, dès les prémices de sa divulgation.
25
2. Un miroir du réel
« La photographie est l’art qui, sur une surface plane, avec des lignes et des tons,
imite avec perfection et sans aucune possibilité d’erreur, la forme de l’objet qu’elle doit
reproduire ». Hippolyte Taine18
D’après Emmanuel Garrigues 19 , dans les tentatives de définitions de la
photographie qui ont été faites jusque là, le rapport à la réalité revient sans cesse. On se
demande communément ce que fait la photographie de la réalité. Est-ce qu’elle la
reproduit ou est ce qu’elle la transforme ? Peut être n’en garde-t-elle juste une trace. Il
semblerait en fait qu’elle nous livre des « bouts » de réalités à des instants précis, et avec
des techniques d’expression liées à l’époque.
Au XIXème siècle, lorsqu’est apparue la photographie, on parlait de mimesis
photographique, cela signifiait qu’elle posséder une capacité mimétique très importante, on
disait qu’il s’agissait d’une imitation on ne peut plus parfaite de la réalité. On pensait, à
cette époque là, qu’elle permettait de faire apparaître une image de manière
« automatique » et « objective », presque « naturelle », et cela selon les lois de l’optique et
de la chimie, sans que n’intervienne directement la main de l’artiste. En effet, la lumière
entre dans la boîte obscure sans que le photographe n’y soit pour rien. Il se contente
d’assister à la scène, il n’est que l’assistant de la machine. Une part de la création lui a
échappé. Le rôle de la photographie est de conserver la trace du passé pour aider les
sciences dans leur effort d’une meilleure appréhension de la réalité du monde. Elle est la
technique la mieux adaptée à la reproduction mimétique du monde. Selon André Bazin20,
la photographie et le cinéma sont des découvertes qui satisfont définitivement et dans son
essence même l’obsession du réalisme. Elle serait le résultat objectif de la neutralité d’un
appareil, car la photographie, dans ce qui fait l’apparition même de l’image opère en
18 TAINE Hippolyte, Philosophie de l’Art, Hermann, édition revue et argumentée, Savoir : Art, Paris, 2009,
180 pages.
19 GARRIGUES Emmanuel, L’écriture photographique, l’Harmattan, Champs visuels, Paris, 2000, 236 pages.
20 BAZIN André, Qu’est ce que le cinéma ?, Cerf, 7ème art, Paris, 1976, 372 pages.
26
l’absence du sujet. Selon Pierre-Jean Amar 21, elle serait d’emblée considérée comme
totalement objective et véridique. On ne peut jamais mettre en doute son témoignage qui
va être le témoin fidèle de tous faits importants. Il ajoute que grâce à la photographie, on
pourra désormais satisfaire son besoin d’information et de véracité. On pourra participer
visuellement à la naissance de l’histoire immédiate. Il sera, grâce à elle, possible de se
faire une opinion sur un certain nombre d’évènements. Donc on l’a dit, elle n’interprète
pas, ne sélectionne pas, ne hiérarchise pas. En tant que machine régie par les lois de
l’optique et de la chimie, elle ne peut que transmettre avec précision et exactitude le
spectacle de la nature. C’est en tous cas ce qui fonde la doxa sur la photographie.
Certaines recherches visent même à améliorer les capacités de mimétisme du dispositif
photographique : faire de plus en plus vrai, être le plus proche possible de la vision que
nous avons du monde. Le fameux peintre Pablo Picasso 22 reconnaît lui-même le
mimétisme photographique puisqu’en 1939, il se demande pourquoi continuer à traiter des
sujets qui peuvent être obtenus avec tant de précisions par l’objectif d’un appareil photo.
L’avis d’un peintre a son importance car longtemps photographie et peinture ont été
opposées. En effet, on pense que la photographie est plus adaptée à une vision mimétique
du monde, et elle se voit rapidement désignée comme ce qui devra désormais prendre en
charge toutes les fonctions sociales et utilitaires jusque là exercées par l’art pictural. La
peinture est alors en quelques sortes libérée du concret, du réel, de l’utilitaire et du social.
A la photographie, la fonction documentaire, la référence, le concret le contenu. Alors qu’à
la peinture on doit la recherche formelle, l’art, l’imaginaire. La peinture serait, elle, le
produit subjectif de la sensibilité d’un artiste, ainsi que de son savoir-faire. Le peintre fait
passer l’image par une présence humaine qui marquera le tableau.
« La peinture, elle, peu feindre la réalité sans l’avoir vue. Le discours combine des
signes qui ont certes des référents, mais ces référents peuvent être et sont le plus souvent
des « chimères ». Au contraire de ces imitations, dans la Photographie, je ne puis jamais
21 AMAR Pierre-Jean, Histoire de la Photographie, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, Paris,
1999, 127 pages.
22 BALDASSARI Anne, Picasso et la photographie: à plus grande vitesse que les images, Réunion des
Musées Nationaux, Hors Collection, 1995, 271 pages.
27
nier que la chose a été là. Il y a double position conjointe : de réalité et de passé. Et
puisque cette contrainte n’existe que pour elle, on doit la tenir, par réduction, pour
l’essence même, le noème de la Photographie. Ce que j’intentionnalise dans une photo
(ne parlons pas encore du cinéma), ce n’est ni l’Art, ni la Communication, c’est la
Référence, qui est l’ordre fondateur de la Photographie »23.
Tout est dit dans cette citation de Roland Barthes issue de son célèbre ouvrage
sur la photographie, La chambre claire, note sur la photographie. Le nom du noème dont
parle l’auteur pourrait être, le « ça a été » ou encore, selon Thierry Gervais et Gaëlle
Morel, « l’intraitable ». En latin, cela se traduit par « interfuit » qui signifie « cela que je vois
s’est trouvé là ». Si l’on en croit Barthes, l’objet a été absolument, irrécusablement présent,
mais cependant tout de suite séparé, différé. La transparence de ce signe en fait son
essence même. C’est un message sans code. Sa fonction première est le renvoi brut, sans
code et hors de tout langage. Contrairement aux autres systèmes de copie, la
photographie est présentée comme indissociable de la chose représentée.
Cette vision de la photographie réaliste n’a pas cessé pendant les années
suivantes. En effet, si l’on en croit Pierre Bourdieu24, on s’accorde communément pour voir
en elle le modèle de la véracité et de l’objectivité. Il ajoute que « toute œuvre d’art reflète la
personnalité de son auteur » selon l’Encyclopédie Française. A contrario, la plaque
photographique, elle, n’interprète pas, elle enregistre seulement. Son exactitude, ainsi que
sa fidélité ne peuvent donc pas être remises en cause. Ce que critique Bourdieu dans son
ouvrage ce n’est pas tant son authenticité mais son côté populaire, dépendant d’usages
précis et servant à la thésaurisation des souvenirs. Elle est « un art moyen » car utilisée
par tous, entre pratiques populaires et pratiques nobles. Mais la photographie est ainsi
considérée comme un enregistrement parfaitement réaliste et objectif du monde visible.
Elle s’est d’ailleurs immédiatement proposée avec les apparences d’un « langage
naturel », comme le dit Barthes, sans codes. Elle est souvent conçue comme une simple
23 BARTHES Roland, La chambre claire : Note sur la Photographie, Gallimard, Cahier du Cinéma Gallimard,
Mayenne, 1980, 192 pages.
24 BOURDIEU Pierre (dir.), Un art moyen : essais sur les usages sociaux de la photographie, Les Editions de
Minuit 2ème édition, Broché, Paris, 1978,360 pages.
28
technique de reproduction mécanique de la réalité, elle serait à la fois copie et double. La
pellicule aurait la propriété de conserver ce qui a été pour le restituer dans la fraîcheur
vécue. La photographie serait alors « simplement » un analogon de la présence. C’est
également pour cette raison qu’à l’heure actuelle on utilise la photo pour témoigner des
évènements réels et les transmettre par la presse par exemple. Cela paraît conforme aux
possibilités objectives de la technique photographique, ainsi qu’à la définition sociale de
l’activité photographique. Cette innocence de la plaque peut s’expliquer par le fait qu’elle
réside d’un processus non intentionnel puisque chimique, il est donc un intermédiaire
neutre, comme nous avons pu l’observer précédemment. Elle est ainsi investie d’un
coefficient de réalité concrète que les autres « reproductions » ne possèdent pas. Selon
Susan Sontag25, les photographies sont des pièces à conviction. En effet, pour justifier
cette idée, elle nous explique qu’il arrive parfois que nous entendions parler de quelque
chose, mais que nous ne sommes certains de cette chose qu’une fois que l’on nous en a
montré une photographie. Elle passe pour une preuve irrécusable qu’un évènement donné
a bien eu lieu. Il se peut quelques fois que l’image photographique déforme, mais on a
toujours le sentiment que quelque chose d’identique a ce que la photographie nous montre
existe réellement, ou bien en tous cas a existé. Il peut y avoir des limites d’amateurisme
par exemple, ou des prétentions de volonté d’esthétique, mais une photographie, quelle
qu’elle soit semble entretenir une relation des plus innocentes et objectives, et donc plus
exacte, avec la réalité visible. Cela la diffère des autres objets mimétiques. Tout
photographe, aussi virtuose soit-il cherche, avant tout, à montrer une chose qui est bien là.
Une photographie peut être traitée comme une version de la chose elle-même, alors
qu’une peinture ou une description ne pourra jamais être autre chose qu’une interprétation.
Ce médium a toujours le souci d’être le miroir de la réalité, une manière de certifier le vécu.
Elle est le plus réaliste, et donc le plus facile, des arts imitatifs. Hervé le Goff26 nous
avance, quant à lui, que la photographie permet d’élargir la vision du monde et d’en garder
la mémoire. Il ajoute que c’est un outil prestigieux au service du réel. Elle est appréciée
pour son exactitude, ainsi que ses services, sa vocation est donc utilitaire. Elle possède,
25 SONTAG Susan, Sur la photographie, Christian Bourgeois Editeur, Titre, 2008, 280 pages.
26 LE GOFF Hervé, La photographie, Cercle d’Art, Découvrons l’art, Paris, 2003, 64 pages.
29
de plus, une mission de témoin. Elle sait saisir le réel sur le vif dans ce qu’il peut avoir
d’humain, d’insolite ou de beau. La photographie possède également la fonction de
montrer le monde. Elle permet donc de voyager, elle éduque les gens quant aux autres
cultures. Elle permet de connaître la richesse des différents pays qui nous entourent même
si ils sont à des milliers de kilomètres de chez nous.
Selon Thierry Gervais et Gaëlle Morel27, les qualités d’une photographie sont
documentaires, archivales et informatives. Il s’agit du moyen le plus sûr pour « copier » le
monde. Elle est symbole de démocratisation et progrès social. C’est pour toutes ces
raisons que ce medium sera utilisé à partir des années 30 par la presse. En effet, grâce à
une plus simple utilisation des appareils devenus de plus en plus petits, les nouveaux
journalistes, ceux du terrain, utilisent désormais l’objet. Les attentes des journaux en
matière d’images favorisent l’émergence d’une esthétique sur le vif, au cœur de l’action, et
au plus près de l’évènement. La rapidité de la prise de vue se fait parfois au détriment des
qualités esthétiques des clichés, ce qui donne un aspect encore plus « vrai ». A partir de
là, des images d’évènements existants circulent. Cela marque les débuts du métier de
« photoreporter ». Plusieurs éléments définissent cette pratique : proximité, tragique et
instantanéité qui permet d’arrêter le mouvement et qui atteste d’une plus grande vérité.
Tout cela est destiné à montrer l’existence d’un moment précis et exceptionnel. Il y a donc
un attrait pour l’instantané et la valorisation du moment opportun. On parle alors de
photographie « humaniste », car elle insiste sur les instants de la vie quotidienne.
Si l’on en croit Clément Chéroux28, l’image, et plus précisément la photographie,
semble être la référence fondamentale pour s’assurer de l’existence d’un passé dans une
société. Il s‘appuie du noème, le « ça a été », de Roland Barthes29 pour argumenter son
idée. Le « ça a été » est ce qui a véritablement eu lieu. La photographie possède ainsi une
27 GERVAIS Thierry, MOREL Gaëlle, La photographie : Histoire, Techniques, Art, Presse, Larousse, Paris,
2008, 239 pages.
28 CHEROUX Clément, (dir.), Mémoire des camps : photographies des camps de concentration et
d’extermination nazis, Paris, Marval, 2001, 246 pages.
29 BARTHES Roland, La chambre claire : Note sur la Photographie, Gallimard, Cahier du Cinéma Gallimard,
Mayenne, 1980, 192 pages.
30
capacité naturelle à témoigner de la réalité. Aujourd’hui, ce sont les images
photographiques (mais également cinématographiques) qui façonnent nos
représentations, notamment des évènements historiques. Elles occupent ainsi une place
déterminante dans les publications historiques, mais également dans les manuels
scolaires, les films documentaires ou de fiction, ou encore les expositions et les musées.
Pour illustrer cela, il s’appuie sur un exemple très concret de l’après-guerre. Lorsque tout a
été terminé, et que l’on a commencé à raconter ce qu’il s’était passé ces dernières années,
tout le monde a voulu venir voir l’horreur. Mais pour des raisons évidentes d’hygiène et de
décence, les corps des victimes ne pouvaient rester indéfiniment exposés. Pourtant, il
fallait continuer à montrer ce qui apparaissait comme la trace la plus évidente des atrocités
commises par l’ennemi. C’est à ce moment là qu’est intervenue l’image photographique,
comme un véritable passage de témoin. La photographie devient alors une sorte de
prolongement du regard direct. C’est parce que ce n’est pas nommable, que le mot fait
défaut, qu’il est nécessaire d’en faire des images.
Il ajoutera qu’il faut, malgré tout, bien faire attention à ne pas réduire ce médium à
une conception se contentant de voir une simple preuve de l’existence de faits historiques.
Elle est d’ailleurs trop souvent utilisée comme une simple illustration servant à justifier le
discours écrit. Langage et image sont solidaires. Une image vient souvent où semble faillir
le mot, un mot vient souvent là où semble faillir l’imagination. Il est techniquement si facile
de faire des photographies : un simple petit bout de pellicule est capable d’engendrer un
nombre illimité de tirages, d’agrandissements en tous formats. Mais il faut, toutefois, faire
attention à ce que l’on observe.
André Bazin30 confirme le fait que cette analogie soit tout de même constituée de
limites puisqu’il nous dit, à ce sujet, que la ressemblance n’est que le résultat, et que
l’important est dans la genèse. Ce qui intéresse l’auteur, ce sont ses modalités de
constitution. L’ontologie de la photographie est d’abord là, et non pas dans l’effet de
mimétisme. Tout réside dans la relation de contigüité momentanée entre l’image et son
référent. Une idée de trace, empreinte, est implicitement présente dans ce discours.
30 BAZIN André, Qu’est ce que le cinéma ?, Cerf, 7ème art, Paris, 1976, 372 pages.
31
Lorsque Roland Barthes dit que l’important n’est pas l’idée de « perfection analogique »
mais celle de « message sans code », cela correspond à la notion de genèse automatique
d’André Bazin. La photographie est donc comme un miroir du réel, mais il faut prendre
cette idée dans une certaine mesure.
32
3. Un rapport particulier avec l’Art
Selon Gisèle Freund 31 , la photographie a, dès sa naissance, été l’objet de
nombreux litiges. Elle a effectivement provoqué un traumatisme car la mutation technique
était très importante. Elle réveille ainsi un fond mythologique à la fois de peur et d’attrait.
Cette querelle va même jusqu’à toucher l’Eglise qui déclare en 1839 : « Vouloir fixer de
fugitifs reflets, est non seulement une impossibilité, comme l’ont démontrées de très
sérieuses expériences faites en Allemagne, mais le vouloir confine au sacrilège. Dieu a
crée l’homme à son image et aucune machine humaine ne peut fixer l’image de Dieu ; il lui
faudrait trahir tout à coup ses propres principes éternels pour permettre qu’un Français, à
Paris, lançât dans le monde une invention aussi diabolique ». Il existe donc une crainte
quand à son utilisation, mais également un questionnement tout autour de cet objet vis-à-
vis de l’art, qui fait que la photographie apparaît à la fois sous des discours élogieux, ainsi
que sous des discours beaucoup plus controversés, voire dénonciateurs. La question qui
est posée dans l’ouvrage de Philippe Dubois32, est de savoir si l’appareil photographique
n’est qu’un instrument technique, capable de reproduire de façon purement mécanique les
apparences, ou s’il faut le considérer comme un véritable moyen d’exprimer une sensation
artistique individuelle. A première vue, la réponse paraît claire, l’œuvre d’art est le produit
du travail, du génie, et du talent manuel d’un artiste. Il est défini comme cela même qui
permet d’échapper au réel. Or, à cette époque là, la photographie possède une importante
fonction documentaire, elle ne peut donc pas être une œuvre d’art car une œuvre ne peut
être à la fois artistique et documentaire. Il existe cependant des propos plus positifs et
optimistes proclamant la libération de l’art par la photographie. Ces discours reposent sur
la même séparation entre l’art comme création imaginaire, versus la technique
photographique comme instrument de reproduction du réel. Seule la connotation négative
a changé. Ici, la photographie reproduit certes le réel, mais de manière artistique. La
photographie et la peinture, considérée elle comme art, ont d’ailleurs toujours eu des
destins parallèles. Beaucoup des premiers photographes sont des peintres reconvertis, ils
31 FREUND Gisèle, Photographie et Société, Seuil, Points Histoire, 1974, 220 pages.
32 DUBOIS Philippe, L’acte photographique, Parvis, Nathan, Paris, 1990, 301 pages.
33
en garderont les mêmes techniques, qu’il s’agisse du cadrage des portraits, de la lumière
ou de la pose. Il en va de même en ce qui concerne les paysages. La volonté de base de
chacune des deux est la copie la plus propre du réel. Le fait que les buts soient quelque
peu identiques a très vite provoqué de fortes tensions entre les deux disciplines. Les
peintres ont même pensé lors de l’apparition de la photographie que leur art était « mort ».
Pourtant, ils sont plutôt complémentaires car c’est la peinture qui permet de créer un jour
la photographie, et la photographie qui permet à la peinture d’évoluer, car débarrassée de
sa contrainte de réalisme. Malgré cela, on persiste à dire que la photographie ne sera
jamais un art, à cette époque tout au moins. Baudelaire33 est « convaincu que les progrès
mal appliqués à la photographie ont beaucoup contribué, comme d’ailleurs tous les
progrès purement matériels, à l’appauvrissement du génie artistique français, déjà si rare.
[…] S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses
fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle
qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude ». Nous pouvons en déduire, grâce à cette
citation, que la photographie n’est donc pas un art, elle est au service de l’art dans la
mesure où elle permet de reproduire, diffuser auprès d’un large public des œuvres
jusqu’alors méconnues du grand public.
Pourtant, grâce à la photographie, la vision que l’on se faisait de la nature a
changé, elle a évolué, la conscience de cette réalité est tout à fait nouvelle. Dans l’art, on
voit apparaître une poussée vers l’objectivité qui correspond bien sûr à l’essence même de
la photographie. On commence donc de cette manière à penser que même si c’est
l’appareil qui prend la photographie, le goût artistique de l’opérateur intervient également
dans l’originalité, la composition ou l’éclairage du sujet. Cette vision s’éloigne de l’opinion
inverse qui prétendait que la photographie était seulement capable de fournir un travail
mécanique n’ayant aucun point commun avec l’art. C’est ainsi qu’apparaît en 1855 une
tendance artistique nouvelle qui est le réalisme. Les premiers réalistes disaient ne pouvoir
peindre que ce qu’ils voyaient. L’imagination est donc rejetée car non objective, et la
subjectivité entraînerait à la falsification. L’attitude envers la nature doit être complètement
impersonnelle. L’œuvre d’art doit présenter un contenu objectif, immédiatement emprunté
33 BAUDELAIRE Charles
34
à la nature environnante. Il faut être au contact immédiat de la nature et s’éloigner des
sombres musées et œuvres d’art sans vie. Les peintres naturalistes se refusent même le
titre d’artistes car veulent être peintres et rien de plus. Ils doivent même s’effacer derrière
leurs chevalets, comme c’est le cas pour le photographe derrière son appareil. Francis
Wey34 répondait à cela: « Ce qui fait l’artiste, ce n’est ni le dessin seul, ni la couleur, ni la
fidélité d’une copie : c’est la divine inspiration dont l’origine est immatérielle. Ce n’est point
la main, c’est le cerveau qui constitue le peintre ; l’instrument ne fait qu’obéir. En réduisant
à néant ce qui lui est inférieur, la photographie prédestine l’art à de nouveaux progrès, en
rappelant l’artiste à la nature, elle le rapproche d’une source d’inspiration dont la fécondité
est infinie ». La réaction ne s’est pas faite attendre car au début, les réalistes ont été
violemment pris à partie, mais par la suite les tensions se sont apaisées, et tout le monde
a fini par reconnaître et accepter ce réalisme comme tendance nouvelle et ces peintres
comme pionniers. Mais malgré cela, on continue à se refuser de considérer la
photographie comme art, même chez les peintres réalistes. Champfleury a, à ce sujet,
déclaré dans un article : « Ce que je vois entre dans ma tête, descend dans ma plume et
devient ce que j’ai vu… L’homme n’étant pas machine, ne peut prendre les objets
machinalement. Le romancier choisit, groupe, distribue… Le daguerréotype se donne-t-il
tant de peine ? ». La grande vague des portraitistes ne fera qu’accentuer ce sentiment car
la plupart ne sont que des gens qui cherchent seulement à s’enrichir le plus vite possible,
ce qui renforce la mauvaise réputation de la photographie dans le monde artistique.
Baudelaire dira d’ailleurs à son sujet que c’est un procédé qui sert à flatter la vanité du
public qui ne comprend rien à l’art. Il s’oppose ainsi aux tendances démocratiques de
l’époque qui voulaient mettre l’art à la portée de tous. La photographie lui semblait
favoriser cette idée. Pour, lui ce n’est qu’une industrie, et le mouvement réaliste n’était
qu’une décadence de la peinture. La photographie doit retourner à sa véritable place qui
est celle de servante des arts et des artistes, c'est-à-dire un simple outil, tout comme
l’imprimerie ou la sténographie n’étaient pas la littérature, seulement des outils à son
service. Selon Lamartine en 1858, « cette invention du hasard ne sera jamais un art, mais
un plagiat de la nature par l’optique ». On voit donc apparaître de nombreuses
34 DE MONDENARD Anne, « Entre romantisme et réalisme. Francis Wey (1812-1882), critique d’art », in
Études photographiques , Novembre 2000.
35
contestations des artistes vis-à-vis de la photographie en tant qu’art. Leur position est très
claire : celle-ci n’a rien à voir avec l’art. Pour Eugène Delacroix 35 , il faut rejeter la
photographie en tant qu’œuvre d’art car selon lui l’essentiel n’est pas la ressemblance
extérieure mais l’esprit. L’artiste doit avant tout comprendre et reproduire l’esprit de
l’homme ou de l’objet qu’il dessine.
Au XIXème siècle pourtant, certains photographes ont malgré tout voulu faire de la
photographie un art, c’est de cette manière qu’est né le pictorialisme en 1880 qui servait
à transmettre les sensations perçues par l’œil. Henry Emerson en est l’investigateur. Il
décide de créer des images légèrement floues qui seront imprimées sur du papier au
platine, ce qui donne des images très proches des toiles. Mais comme pour tout objet,
l’idée initiale a été détournée, et certains ont crée des images qui ne ressemblent plus qu’à
de pâles copies de fusain. Seule la forme prime au détriment du fond. Il s’agissait de traiter
la photographie exactement comme une peinture, en manipulant l’image de toutes les
façons possibles : effets de flou « comme dans un dessin », mises en scène et
compositions du sujet, ainsi qu’inventions ensuite sur le négatif lui-même à l’aide de
pinceaux, crayons, instruments et produits divers. Cela a contribué à donner une très
mauvaise image du pictorialisme. Mais ce courant a persisté puisqu’en 1904 a été crée la
« société des photographes picturaux », qui est un salon qui n’admet que ce qui est
« artistique ». Les thèmes abordés sont très classiques : nus, portraits, scènes de genre,
paysages… Ceux-ci sont traités par des procédés dits « nobles » comme l’huile, le
bromoïl, les encres grasses, le charbon… Le pictorialisme est dorénavant présent à une
échelle mondiale. C’est la première guerre mondiale qui créera une sorte de rupture dans
le travail, et peu resteront fidèle à cette technique après cela. Ce sera tout de même grâce
au pictorialisme que la photographie aura commencé à être reconnue comme un véritable
moyen de reproduction artistique. A la suite de cela, apparaît la Straight photography
aux Etats Unis, photographie pure dit-on, il s’agit là d’une sorte de pictorialisme américain,
si l’on en croit Thierry Gervais et Gaëlle Morel 36 . Stieglitz est considéré comme son
35 LERIBAULT Christophe et al., Delacroix et la Photographie, Le Passage, Broché, 2008, 157 pages.
36 GERVAIS Thierry, MOREL Gaëlle, La photographie : Histoire, Techniques, Art, Presse, Larousse, Paris,
2008, 239 pages.
36
inventeur dès 1907. C’est la prise de vue qui compose l’image dans sa globalité. Une fois
prise, la photographie est terminée, contrairement au pictorialisme français. Cette
technique est plus mécaniste. Le procédé est jugé assez souple pour que l’artiste puisse
exprimer sa personnalité, selon les américains. Ils ont pour but de ne pas altérer les
photographies, contrairement au mouvement français. On la définit comme « pure » ou
« directe ». L’affirmation de la straight photography, favorisant une netteté sans artifices
devient effective avec les images de Paul Strand, disciple de Stieglitz. Il prône la précision
des tirages, ainsi que le rendu fidèle des matières et objets.
Avec le temps, les mentalités évoluent. Pierre-Jean Amar37 nous apprend qu’en
1957, la Société française de Photographie militait pour qu’elle entre au Salon des Beaux
Arts, ce qu’elle obtiendra deux années plus tard. On apprend dans l’article d’Hervé Le
Goff38 que c’est donc dans les années 1960 qu’elle obtient le droit d’être citée parmi les
autres arts. Comme chaque discipline accédant au niveau de création, la photographie est
tenue de s’envisager toute entière comme espace de création. Pour en arriver là, il a fallu
qu’elle surmonte les débats entre photographie objective et réaliste, et photographie
subjective. Elle peut donc maintenant déformer les données de la réalité et renoncer à
atteindre l’objectivité totale, voire même se passer complètement du reflet de la réalité. La
photographie veut aujourd’hui dépasser ces vieilles querelles en s’intéressant plus à la vie
intérieure du photographe. Elle occupe désormais une place grandissante dans la culture
de notre temps. Elle a même fini par entrer dans un musée au début du XXème siècle aux
Etats-Unis. Les galeries privées connaissent également à partir de ce moment un très
grand essor, commercialisant les photographies comme œuvre d’art. Les tendances
actuelles ont trouvé leurs origines dans des mouvements nés dans les années 1950, il
s’agit du reportage humaniste, de la photographie de libre expression ou « subjective », et
de la photographie comme vérité intérieure de l’artiste. Parmi les tendances actuelles, on
peut distinguer deux grands courants. Il y a d’un côté les photographes pour lesquels
l’image est un moyen de s’exprimer, à travers ses propres sentiments et les
37 AMAR Pierre-Jean, Histoire de la Photographie, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, Paris,
1999, 127 pages.
38 LE GOFF Hervé, LEMAGNY Jean-Claude, « Un art Multiple », in Universalis, 2001, 20 pages.
37
préoccupations de notre temps. Ceux-ci sont engagés dans la société, ils se sentent
concernés par les problèmes humains et sociaux. De l’autre côté, ceux pour qui la
photographie est un moyen de réaliser leurs aspirations artistiques personnelles. Tous
deux peuvent être créateurs ou artisans, mais dans les deux cas ils sont les descendants
de ceux qui ont redonné à la photographie son prestige après une cinquantaine d’années
de stagnation. Le premier à avoir compris que la photographie ouvrait de nouvelles voies à
la création est Laszlo Moholy-Nagy 39 . Plus de trente ans en avance, il définit les
mouvements artistiques qui s’épanouiront après les années 1950. Après un siècle de
discussions pour savoir si la photographie est un art, il la remet à sa place véritable et
déclare : « La vieille querelle entre artistes et photographes afin de décider si la
photographie est un art, est un faux problème. Il ne s’agit pas de remplacer la peinture par
la photographie, mais de clarifier les relations entre la photographie et la peinture
d’aujourd’hui, et de montrer que le développement des moyens techniques, issus de la
révolution industrielle, a contribué matériellement à la genèse de formes nouvelles dans la
création optique ». Ce qu’il souhaite, ici, c’est reconnaître les lois particulières de la
photographie, qui ouvre des perspectives jusqu’alors inconnues. La photographie ne
dépend donc plus de l’opinion des critiques d’art, elle produit désormais ses propres lois.
Grâce à elle, les gens ont appris à percevoir leur entourage et son existence avec des
yeux neufs. La valeur en photographie ne doit pas être mesurée seulement d’un point de
vue esthétique, mais par l’intensité humaine et sociale de sa représentation optique. Elle
ne sert donc plu seulement à découvrir la réalité. La caméra influence notre manière de
voir le monde, ainsi la nature vue par l’œil humain n’est pas la même que celle vue par la
caméra, notre vision est nouvelle. Aujourd’hui, on ne peut plus contester la place de la
photographie au sein du monde artistique, notamment graphique. Elle qui a toujours voulu
s’affirmer comme art sans en imiter un, inspire même à présent bien souvent les
démarches des autres puisque nous assistons dans la peinture à un mouvement inverse
qui s’efforce de créer l’art en se servant des moyens techniques de la photographie. Il
s’agit en quelques sortes de peindre avec les yeux de la caméra. Cela prouve que
39 MOHOLY-NAGY Laszlo, Peinture Photographie Film et autres écrits sur la Photographie, Gallimard, Folio
Essais, Paris, 1950, 317 pages.
38
photographie et peinture ont bien toujours été liées, les peintres se sont toujours servis des
images comme document.
Plus récemment, depuis environ une cinquantaine d’années, une nouvelle
génération de photographes cherchent des chemins différents. Pour cela, on assiste à des
séquences, des juxtapositions d’images, des photographies qui évoquent des souvenirs
personnels, ou encore les multiples problèmes rencontrés dans le monde contemporain.
La photographie aura toujours une fonction documentaire, mais les préoccupations de
cette nouvelle vague montrent justement la vitalité de celle-ci. Quant à la peinture, elle a
réussi à passer les siècles avec tous ses obstacles sans jamais se décourager. Les
peintres se comptent encore par milliers, toujours en quête de formes nouvelles, tout
comme le millier de photographes qui existent en quête de chemins nouveaux. Pour
terminer, on peut reprendre ce que disait Freund40 qui est qu’aujourd’hui « la photographie
est entrée dans les musées avec l’approbation de ceux dont le métier est de conserver
l’art. Suspendue sur leurs murs, elle récupère l’aura de l’œuvre d’art qu’elle avait perdue.
Mais ce qui lui donne, avant tout, une telle actualité, c’est qu’elle est devenue pour les
centaines de millions d’amateurs – la génération visuelle – un moyen de s’exprimer ».
En résumé, l’apparition de l’image photographique ne s’est pas faite en 1839, non,
elle est apparue bien avant puisque comme on a pu le voir, elle est le résultat de deux
inventions préalables. D’abord, la camera obscura à la Renaissance, qui permettait de
capter des images grâce à une boîte, qui étaient ensuite projetées sur une surface, pour
pouvoir les dessiner ou les peindre. Il s’agissait en fait de reproduire le calque d’une image
projetée. A la suite de cela, une seconde invention a vu le jour. Elle consistait à
sensibiliser certaines substances à base de sels d’argent, à la lumière. Le principe est le
même mais la grande différence est que de cette manière les images s’impriment d’elles-
mêmes, sans la main de l’homme. Cela est vraiment l’ancêtre de la photographie. On voit
40 FREUND Gisèle, Photographie et Société, Seuil, Points Histoire, 1974, 220 pages.
39
d’ailleurs apparaître à cette période les premiers portraits qui sont des jeux d’ombre
appelés « profils à la silhouette ». Le temps passe et Nièpce obtient une première réelle
image photographique, après de multiples essais, à base de sels d’argent, qu’il appellera
héliographie. Mais il finit par vendre son invention à Daguerre qui l’améliorera et en
recevra tout le mérite en créant en 1839 le Daguerréotype. De son côté, Talbot, en
Angleterre, réalise sensiblement la même œuvre en utilisant du papier à la place des
plaques, ce qu’il nommera le calotype. Bayard, quant à lui, exerce le même type de
recherches et créera en 1839 la première exposition de photographies, mais il sera peu
reconnu. Le calotype de Talbot continue à progresser, il sera essentiellement utilisé pour
les paysages. Mais c’est le daguerréotype qui aura le plus grand succès au sein de la
société. Il sera sans cesse amélioré au fil des années jusqu’à ce qu’il soit accessible à tous
de par sa petite taille et son coût. Ses usages seront multiples, d’abord beaucoup de
portraits, mais au fur et à mesure, on l’utilisera dans tous les domaines : sciences,
médecine, archéologie, ethnographie…
On a également appris que dès ses débuts, la photographie disposait d’une
fonction mimétique très importante. En effet, on dit qu’elle représente le réel car elle est
tout de suite vue comme un objet neutre. Cela car l’apparition de l’image se fait de manière
automatique et naturelle grâce à un dispositif chimique et optique, et non pas grâce à la
main de l’homme. Tout à coup, elle libère la peinture du concret, du réel, ainsi que de
l’utilitaire social pour laisser place à l’imaginaire et au subjectif de l’artiste. Plusieurs
auteurs confirment cette idée. Barthes, par exemple, nous livre son noème, le « ça a été »
qui signifie que la chose prise en photographie s’est bien trouvée là. Bourdieu, lui, nous dit
que la plaque n’interprète pas, elle enregistre. On voit donc, dans la photographie, une
exactitude et une fidélité de la vie réelle. Sontag affirme que c’est la preuve irrécusable
qu’un évènement a bien eu lieu. Chéroux confirmera cette idée. Il ajoutera que la
photographie occupe une place déterminante dans la société car aujourd’hui il est
nécessaire de montrer une image lorsque le mot fait défaut. Il faut toutefois faire attention
à ne pas réduire ce médium à une simple preuve d’existence de faits, ce n’est pas que
cela. Les modalités de constitution d’une photographie ont aussi leur importance, nous dit
Bazin, il n’y a pas que le résultat qui compte.
40
Pour terminer, nous avons observé qu’il existe de nombreux litiges autour de la
photographie, qu’elle a provoquée, à la fois, peur et attrait lors de son apparition. Le conflit
le plus présent est celui qui règne autour de l’art. Il ne peut être que le produit du génie
d’un artiste, et il permet d’échapper au réel. La photographie possède, elle, une forte
fonction documentaire donc très concrète, elle ne peut donc pas être artistique. Mais cette
réflexion autour de la photographie comme œuvre d’art fait apparaître dans la peinture
notamment, une volonté d’objectivité. C’est pourquoi en 1855 apparaît le Réalisme, à partir
duquel l’imagination est rejetée au profit d’une réalité objective. L’attitude envers la nature
ne peut être qu’impersonnelle. Mais certains ont quand même voulu faire de la
photographie un art, c’est ainsi qu’est apparu le pictorialisme en 1880. Cela consistait à
créer des images floues sur du papier, que l’on manipulait avec des produits divers comme
si c’était une peinture sur toile. Ici, les formes priment. A la suite de cela, on voit naître la
Straight Photography aux Etats Unis en 1907, qui est une autre forme artistique mais qui
privilégie une forte netteté, sans artifices. Enfin, la photographie devient officiellement un
art en 1957, ce qui signifie qu’elle peut enfin déformer la réalité et être subjective si l’artiste
le désire.
41
PARTIE 2 :
LA MEMOIRE,
UNE PENSEE
COLLECTIVE
42
II. LA MEMOIRE, UNE PENSEE COLLECTIVE
Dans ce chapitre, nous allons observer la mémoire, objet qui porte à de multiples
interrogations, sous différents aspects. Dans un premier temps nous tenterons d’en donner
une brève définition. Nous nous pencherons tout particulièrement sur sa dimension
sociale, que l’on qualifie communément de mémoire collective. Nous essaierons d’en
donner une explication de qu’elle est du point de vue sociétal. Nous verrons également de
quelle manière on la perçoit aujourd’hui. Enfin, nous nous demanderons si ce terme de
mémoire collective ne renvoie pas à un objet psychologique que sont les représentations
sociales. Dans un second temps, nous reprendrons cette notion de mémoire collective du
point de vue particulier de la seconde guerre mondiale. Nous expliquerons pour
commencer son rapport à l’histoire. Puis, nous nous pencherons plus en détails sur cette
période de l’histoire, et tout son aspect symbolique, avant de terminer par exposer un point
de vue particulier et en fort contradiction avec l’Histoire contemporaine, qui est celui des
négationnistes. Pour terminer, nous lierons la mémoire à notre premier chapitre qui
concernait la photographie. De cette manière, nous pouvoir voir que la photographie
semble posséder une forte fonction mémorielle. Pour affirmer cette idée, nous regarderons
les points de vue de différents auteurs sur la question. Puis, nous verrons quel rapport ces
deux objets entretiennent avec le temps. Et pour terminer, nous les mettrons en relation
avec la seconde guerre mondiale pour illustrer quel lien ils entretiennent.
1. La mémoire collective, une notion abstraite
« Ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire »41,
C’était ce que nous disait Voltaire il y a de cela plusieurs siècles. La question de la
mémoire ne se pose donc pas aujourd’hui, elle se pose depuis longtemps déjà. L’homme
41 VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, Gallimard, Folio, Paris, 1994, 545 pages.
43
fait référence à sa mémoire au quotidien, que cela soit de manière consciente ou non, et
pour une raison évidente qui est qu’elle est intrinsèquement liée à sa vie. Comme nous
avons pu l’observer dans l’introduction, la mémoire recouvre deux aspects. Le premier est
lié à la psychologie. Celle-ci nous indique que la mémoire est une fonction psychique
fondamentale propre à chaque individu. Il existe donc une logique du fonctionnement de
l’esprit que l’on retrouve dans la psychologie classique du début du XXème siècle, mais
également dans les sciences cognitives. Cette logique dit que l’indiv idu percevrait son
environnement et que celui-ci serait conservé, ce qui constituerait une base de
connaissances personnelles qui est la mémoire individuelle des objets rencontrés, comme
l’expliquent Stéphane Laurens et Nicolas Roussiau42. Cela signifie que tout être humain
serait en mesure de conserver un certain nombre de données dans son cerveau, comme
nous l’affirme Israël Rosenfield43 : « Nous possédons une capacité à nous souvenir des
êtres, des lieux et des choses grâce à l’image que nous en possédons, imprimée et
emmagasinée en permanence dans le cerveau ».
Le second aspect de la mémoire, concerne le lien social, il s’agit de la mémoire
collective. Celle-ci est la transmission d’une expérience qui est partagée et retenue
collectivement par un groupe, c’est la faculté collective de se souvenir. Elle est portée par
des individus qui se reconnaissent dans les expériences et représentations communes.
Cette mémoire est l’ensemble des faits du passé pouvant avoir pour effet de structurer
l’identité d’un groupe. La communication notamment, est un objet qui permet d’enrichir,
gérer et exploiter une mémoire de manière collective puisqu’elle est partagée entre
plusieurs personnes et jouée à travers leurs interactions. Ce sont elles qui la rendent
collective. Elle s’observe dans le souvenir commun de faits et évènements, mais
également dans les pratiques, règles et symboles d’un groupe, parfois même d’un peuple,
intériorisés dès l’enfance dans chacune des mémoires individuelles. Elle est donc
inexorablement liée à la vie sociale. Le premier auteur à avoir abordé la notion de mémoire
42 LAURENS Stéphane, ROUSSIAU Nicolas (dir.), La mémoire sociale : Identité et représentations sociales,
Presses Universitaires, Rennes, 2002, 307 pages.
43 ROSENFIELD Israël, L’invention de la mémoire, Flammarion, Champs, Paris, 1994, 318 pages.
44
collective est Maurice Halbwachs 44 dans ses ouvrages Les Cadres Sociaux de la
Mémoire en 1925, puis dans La Mémoire Collective en 1950. Dans ceux-ci, l’auteur nous
explique que la mémoire dépend obligatoirement de l’entourage social, c'est-à-dire des
autres : « le plus grand nombre de nos souvenirs nous reviennent lorsque nos parents, nos
amis, ou d’autres hommes nous les rappellent », dit-il. C’est dans le monde social, la
société, que l’homme acquiert ses souvenirs, c’est en étant confronté aux autres, lorsque
nous devons faire appel à notre mémoire pour répondre à des questions que ces autres
personnes nous posent que notre mémoire prend forme. Cela fonctionne grâce à une
interaction non seulement avec eux, mais également avec leur mémoire qui m’aide à me
souvenir. Nos souvenirs demeurent collectifs alors même qu’il s’agit d’évènements où
nous avons le sentiment d’avoir été seuls physiquement. Mais en réalité, nous explique-t-il,
nous ne sommes jamais vraiment seuls puisque nous portons toujours en nous et avec
nous des personnes. Pour se rappeler de souvenirs, des témoins au sens d’individus
présents sous une forme matérielle, ne sont pas nécessaires. Par exemple, lorsque nous
passons devant tel monument, nous pensons à telle personne qui nous a parlé de ce
monument, ou avec qui nous sommes déjà allés etc. Quelque soit mon souvenir, d’autres
hommes l’ont eu en commun à un moment. Il ajoute que si nous ne nous souvenons pas
de notre première enfance, c’est parce qu’à cette époque là, nos impressions ne pouvaient
s’attacher à aucun support car nous n’étions pas encore un être social. Pour lui, « chaque
mémoire individuelle est un point de vue sur la mémoire collective ». Mon point de vue
change selon la place que j’occupe dans le groupe, et cette place change selon les
relations que j’entretiens avec d’autres milieux. C’est en ce sens qu’Halbwachs évoque les
« cadres sociaux de la mémoire », ou « cadres collectifs », dans la mesure où notre
mémoire ne peut exister que grâce aux autres. Ces cadres sont les « instruments dont la
mémoire collective se sert pour recomposer une image du passé ». Si l’auteur a souhaité
assembler ces deux termes, celui de « mémoire » et celui de « collectif », c’était dans le
but de démontrer que tout groupe organisé crée une mémoire qui lui est propre. Ses
travaux montrent également que contrairement à ce que prétend la psychologie
44 HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, Paris, 1994, 374 pages.
HALBWACHS Maurice, La Mémoire collective, Albin Michel, Paris, 1997, 295 pages.
45
traditionnelle et notamment Henri Bergson45 en 1896, le souvenir n’est pas une image
conservée dans la mémoire et qui ferait irruption sans changement dans la conscience,
mais il serait l’objet d’un travail mental qui s’appuierait sur des « cadres » spatio-
temporels construits par une culture commune. Le passé est ainsi reconstruit grâce à des
repères communs. Il ajoute à cela que le processus du souvenir se déroulerait dans le
présent et en serait influencé. Selon Roger Bastide 46 , sociologue et anthropologue
français, cela constituerait le propre de la mémoire collective. En résumé, il explique qu’il
existerait deux manières d’organiser les souvenirs. Ils peuvent tantôt se grouper autour
d’une personne définie qui les envisage de son point de vue, et tantôt se partager à
l’intérieur d’un groupe. Il y aurait ainsi des mémoires individuelles et collectives, et
l’individu participerait à ces deux formes de mémoires. La mémoire individuelle peut, pour
combler des lacunes, s’appuyer momentanément sur la mémoire collective, et
inversement. La mémoire collective enveloppe les mémoires individuelles sans se
confondre avec elles. Il faut donc distinguer la mémoire personnelle de la mémoire sociale,
ou, peut-on dire, la mémoire autobiographique de la mémoire historique. La première
s’aiderait de la seconde car mon histoire personnelle fait partie de l’histoire en général.
Mais la seconde serait beaucoup plus étendue, et ne représenterait le passé que nous une
forme schématique et résumée. Halbwachs nous dit que des évènements occupent une
place dans la mémoire de la nation, auxquelles les personnes ont un point de vue sans
pour autant y avoir assisté. Ainsi, lorsque j’évoque ces évènements je suis obligé de m’en
remettre entièrement à la mémoire des autres, qui est la seule source de ce que je sais.
Pierre Ansart47 reprend Halbwachs dans un article, en y ajoutant quelques précisions. Il
nous explique que ce que fait l’auteur à la base c’est remettre en question les conceptions
de la psychologie traditionnelle, qui faisait du souvenir une image conservée dans la
mémoire, et qui ferait irruption dans la conscience sans changements aucuns. Cette idée
pourrait renvoyer aux rêves dans toute leur complexité, mais non à la remémoration.
45 BERGSON Henri, Matière et Mémoire : Essai sur la relation du corps à l’esprit, presses universitaires de
France, Quadrige Grands Textes, 2008, 521 pages.
46 BASTIDE Roger, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », in L’année sociologique, n° 21, 1970,
pp. 65-108.
47 ANSART Pierre, Les sociologies contemporaines, Seuil, Points Essais, 1990, 346 pages.
46
L’auteur veut démontrer que celle-ci s’appuie sur un travail mental qui lui-même s’appuie
sur des « cadres spatio-temporels », construits par une culture commune. Ce sont des
repères communs d’origine sociale qui reconstruisent, pensent et comprennent le passé. Il
ajoute que Roger Bastide dit que le processus de localisation du souvenir se déroule dans
le présent, ce qui l’influence énormément. Le propre de la mémoire collective est de
réactualiser le passé dans l’action présente. Les oublis sont les souvenirs qui ne trouvent
plus leur place ni de signification dans le présent, et qui sont donc effacés.
Dans un article de Marie-Claire Lavabre48, on apprend qu’hormis Halbwachs, aucun
ouvrage ni article ne faisait référence à la mémoire avant le milieu des années 70. Elle
ajoute que les travaux de l’auteur fameux ne retenaient que peu l’attention. Seuls les
philosophes s’y intéressaient mais seulement à cause de la controverse avec Bergson,
ainsi que du caractère radical d’une thèse qui affirmait la priorité du collectif sur l’individuel
dans l’existence du souvenir. On peut donc considérer que la notion de mémoire émerge
en France à cette époque là. La première définition qui en est donnée vient de Pierre
Nora49, elle date de 1978. Il nous dit « en première approximation, la mémoire collective
est le souvenir ou l’ensemble de souvenirs, conscients ou non, d’une expérience vécue
et/ou mythifiée par une collectivité vivante de l’identité de laquelle le passé fait partie
intégrante ». Mais de manière plus essentielle, c’est l’opposition de l’histoire et de la
mémoire, ou encore celle de la « mémoire historique » et « mémoire collective » qui fonde
la définition de la mémoire. C’est à partir des années 80 que les publications sur la
mémoire explosent. Elles dépassent le simple champ historique et témoignent du souci
d’analyser les formes vives de la mémoire, le souvenir et la transmission. Plusieurs
facteurs français expliquent ce phénomène : mort de De Gaulle et amorce du déclin du
communisme, sensibilité accrue et militante aux dominés de l’histoire, « réveil » de la
« conscience juive », montée des générations d’après-guerre… Certaines polémiques
agitent aujourd’hui le monde des historiens. L’une, fait surgir l’opposition de l’histoire et de
la mémoire. La première serait porteuse de vérité ou de pur savoir sur le passé et la
48 LAVABRE Marie-Claire, « usages et mésusages de la mémoire », in Critique internationale n°7, avril 200,
10 pages.
49 NORA Pierre, Les lieux de mémoire, tome 1, Gallimard, Quarto, Paris, 1997, 1642 pages.
47
seconde trompeuse et militante. L’autre, affirme un « devoir de mémoire », ce qui exige
une lutte contre l’oubli que l’histoire ne saurait satisfaire. Mais la mémoire résiste. Comme
notion, elle résiste à la polysémie et l’absence de définition partagée par tous, voire même
à la confusion. Comme phénomène social, elle résiste à la critique du « mémoire-oubli ».
Ce qui est sûr, c’est que la mémoire possède une forte fonction sociale faisant que sa
définition ne cessera d’osciller entre une conception qui met l’accent sur le groupe en tant
que groupe, et une autre qui, au contraire, met l’accent sur les individus qui composent le
groupe et réalisent la mémoire collective. Mais finalement, la mémoire est dite collective
non pas parce qu’elle est la mémoire d’un groupe, mais parce que le collectif et le social
sont les états dans lesquels existent les individus.
Selon les dires de Stéphane Laurens et Nicolas Roussiau50, effectivement, pendant
longtemps, on a porté peu d’attention à la mémoire collective. Mais, ce qui semble
aujourd’hui la caractériser relève d’une lecture du passé lui-même, mise en œuvre par un
groupe social. Halbwachs avait été le premier à faire une tentative de définition, nous
l’avons déjà évoqué, mais celle-ci remonte à avant la seconde guerre mondiale, et à cette
époque là, les rapports de la société avec son passé différaient de ceux que nous
connaissons actuellement. Aujourd’hui, elle semble avoir envahi toutes les sphères de la scène
publique au point où elle est à la fois « omniprésente et polyvalente », selon Henry Rousso51. Elle
peut ressortir aussi bien du témoignage que de l’histoire, du récit, des coutumes, des archives, des
traces matérielles, des commémorations, voire de la langue elle-même. Les substantifs de la
mémoire qui sont censés la spécifier sont aussi diffus que peu stables. La mémoire peut ainsi être
collective, sociale, historique, partisane, symbolique, littérale, exemplaire, de masse, individuelle…
Sa polyvalence atteste d’une certaine façon de sa capacité à produire des effets. Il existe
aujourd’hui deux formes dominantes. Dans la première, le passé est vécu comme une condition
d’existence du groupe. Cette forme de mémoire correspond à la lecture d’un passé dont
l’éloignement au présent est variable mais qui instaure une continuité d’existence pour le groupe
dans la mesure où le présent n’est compréhensible qu’à la lumière du passé révolu. Le passé est
50 LAURENS Stéphane, ROUSSIAU Nicolas (dir.), La mémoire sociale : Identité et représentations sociales,
Presses Universitaires, Rennes, 2002, 307 pages.
51 ROUSSO Henry, " Réflexions sur l'émergence de la notion de mémoire", in Histoire et mémoire, CRDP de
Grenoble, 1998.
48
de ce fait généralement valorisé et son extraction de l’oubli un acte volontaire. Elle pourrait être
dénommée mémoire d’origine. Il s’agit par exemple de l’histoire locale, la résurgence ou le
maintien volontaire des coutumes et traditions. La seconde forme de mémoire collective est un
impératif moral faisant du souvenir une nécessité. Cette forme s’enracine dans un évènement
traumatisant pour l’existence du groupe. Elle peut être qualifiée d’exemplaire au sens où elle se
fonde sur l’exemplum qui lui procure initialement son objet pour exister par la suite comme
dispositif de valeurs s’articulant avec des valeurs partagées par d’autres groupes voire l’humanité.
Elle tend donc à l’universalité. C’est par exemple tout ce que l’on qualifie de « devoir de mémoire »
comme la mémoire des juifs sur le génocide. Paul Ricoeur52 , dans son ouvrage, analyse la
mémoire sous l’angle de l’image ou de ce qu’il nomme eikôn. Pour lui, elle est considérée à la fois
comme processus et représentation d’une chose absente. Le phénomène mnésique est une
représentation présente du passé absent. Elle serait chargée d’humanité et d’authenticité mais
donc floue, et introduisant un biais dans le passé. Il nous raconte, de plus, que les grecs utilisaient
deux mots pour la désigner : la mnémè qui est l’affection ou pathos, en tant que souvenir surgi
dans la mémoire et reconnu comme passé. Le second mot est l’anamnesis ou anamnèse qui est le
rappel, la remémoration, la recherche du souvenir arraché du passé. Par conséquent, la mémoire
construit en vue de reconstruire le passé. Il nous amène toutefois à faire attention à ses us et abus,
et nous indique trois catégories de « malfaçons ». D’abord, la mémoire empêchée qu’il éclaire par
les analyses de Freud, qui se heurterait aux résistances des blessures et traumatismes passés.
Par faute d’un travail de deuil inachevé, on n’accède pas à la remémoration. La mémoire
manipulée ensuite, qui, elle, découle du croisement entre la problématique de la mémoire et celle
de l’identité collective ou personnelle. Elle serait déformée par les idéologies, commémorations et
remémorations forcées. La mémoire obligée, pour terminer, est imposée. Il s’agit d’une mémoire
instrumentalisée dans laquelle on est obligé de se souvenir de tel ou tel évènement. ) Pour
terminer, Marie-Claire Lavabre53 nous invite à faire attention à la notion de mémoire collective. Elle
nous explique que c’est un terme fluide et polysémique qui a aujourd’hui acquis un caractère
d’évidence. Tout est maintenant « mémoire », tout est « présent du passé ». Qu’il s’agisse de
souvenirs de l’expérience vécue, de commémorations, archives ou musées, de mobilisations
politiques de l’histoire, monuments et historiographie, conflits d’interprétations, mais aussi oublis,
symptômes, traces incorporées du passé, occultations et falsification de l’histoire… La mémoire
concerne tous les domaines, elle est partout, on l’entend trop, ce qui signale le caractère
52 RICOEUR Paul, La mémoire, l’Histoire l’Oubli, Seuil, Points Essais, Paris, 2003, 736 pages.
53 LAVABRE Marie-Claire
49
métaphorique de ce domaine. Elle ajoute que le moment est peut être venu de ne plus se
contenter de décrire le phénomène en tant que tel, mais d’en comprendre le comment, ainsi que le
pourquoi, pour revenir à une définition moins métaphorique, et des explications moins circulaires.
Tzvetan Todorov54 ajoute que la mémoire est aujourd’hui pourvue d’un réel prestige, survalorisée.
Elle le serait tellement qu’elle en serait menacée, non pas par l’effacement des informations qu’elle
contient, mais justement par leur surabondance. Il ajoute qu’elle ne s’oppose pas à l’oubli, et que
les deux termes à opposer sont plutôt « effacement » et « conservation ». La mémoire serait, selon
lui, une interaction entre ces eux termes car la restitution intégrale du passé est impossible, et donc
que la mémoire procède forcément à une sélection des informations. Elle va choisir de conserver
certains aspects d’un évènement, d’en supprimer immédiatement ou progressivement d’autres,
donc de les oublier.
Comme on peut le voir, finalement il est assez difficile de donner une définition claire et
précise de la mémoire collective. Nous savons ce qu’est la mémoire, ce qu’est le collectif mais ces
deux termes rassemblés en font une notion abstraite. Les bribes de définitions que nous en avons
eues, s’apparentent à un autre concept psychologique connu, celui de « représentations
sociales ». Le premier auteur à avoir abordé le sujet est le sociologue Emile Durkeim55 lorsqu’il
parle de « représentations collectives ». D’après lui, nos idées individuelles sont des réalités
sociales qui proviennent du groupe et qui doivent être étudiées comme telles. D’un côté, il y a nos
idées individuelles qui sont instables, variables et éphémères, de l’autre, les idées collectives qui
sont, elles, beaucoup plus stables et cohérentes, et qui constituent un fait social56. C’est « un
savoir qui dépasse celui de l’individu moyen», qui permet aux hommes de vivre en commun, de
voir et comprendre ensemble. Plus tard, Serge Moscovici57 évoquera également ce concept, mais
d’après lui, il ne s’agit pas de représentations collectives mais sociales. Selon cet auteur, les
représentations sociales sont des schèmes cognitifs qui nous permettent de penser, de nous
représenter la réalité, d’orienter et organiser nos comportements. Il ajoute qu’elles concernent la
manière dont nous appréhendons les évènements de la vie courante, c’est « la connaissance de
54 TODOROV Tzvetan, Les abus de la mémoire, Arléa, Arléa Poches, 2004, 60 pages.
55 DURKEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Presses universitaires de France, 5ème édition,
Quadrige, Paris, 2003, 647 pages.
56 Deschamps, Jean Claude, L'attribution, la catégorisation sociale et les représentations intergroupes, in Bulletin de Psychologie, 13-14, 1973, pp 710-721. 57 MOSCOVICI Serge, Psychologie sociale, Presses Universitaires de France, Quadrige Manuels, 2003, 640
pages.
50
sens commun », ou la « pensée naturelle ». Celle-ci se constitue à partir de nos expériences,
savoirs ou modèles de pensée qui nous proviennent de notre éducation ou encore de la tradition.
Elle est donc une connaissance socialement élaborée et partagée. Elle possède également une
visée pratique, sert à agir sur le monde. Comme l’écrit Denise Jodelet58, il s’agit « d’une forme de
connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la
construction d’une réalité commune à un ensemble social. Egalement désignée comme savoir de
sens commun ou encore savoir naïf, naturel, cette forme de connaissance est distinguée, entre
autres, de la connaissance scientifique ». Une représentation sociale est donc :
-« une connaissance », c'est-à-dire un ensemble organisé de cognitions (opinions, croyances,
valeurs…),
-« naïve et de sens commun » : par opposition à la science
-« socialement élaborée » : par l’expérience
-« partagée » : commune à des groupes sociaux
-« ayant une visée pratique » : agir sur le monde et interagir avec autrui
-concernant un objet de la vie quotidienne.
Elles auraient plusieurs fonctions : orienter et justifier les conduites et rapports sociaux, faciliter
la communication, interpréter la réalité quotidienne, comprendre des phénomènes nouveaux,
construire une identité. Ses différentes définitions et fonctions sont donc assez proches de celles
de la notion de mémoire collective. La question que l’on se pose est de savoir si la mémoire
collective ne serait pas une forme de représentation sociale. Nous ne pouvons l’affirmer
ouvertement, mais elles semblent toutes deux entretenir un rapport assez étroit.
58 JODELET Denise, Les représentations sociales, Presses Universitaires de France, Sociologie
d’aujourd’hui, 2003, 447 pages.
51
2. Le Mémoire Collective à travers la Seconde Guerre
Mondiale
L’Histoire est la connaissance et le récit des évènements du passé, des faits
relatifs à l’évolution de l’humanité, jugés dignes de mémoire59. Ce sont les évènements et
faits importants ainsi relatés. On peut donc observer, même dans sa définition la plus
basique, à quel point cette notion renvoie à la mémoire et plus particulièrement à la
mémoire collective. En effet, l’Histoire est un récit, une construction d’images du passé par
des hommes qui tentent de décrire, d’expliquer ou bien de faire revivre des temps révolus.
Elle est toujours une construction humaine, inscrite dans l’époque où cette histoire est
écrite. Elle a longtemps été considérée comme une science du passé, contrairement à la
sociologie ou l’anthropologie, qui elles, les observaient à l’œuvre. Aujourd’hui, nous savons
que la passé ne constitue plus à lui seul le matériau même de l’Histoire. Celle-ci se
construit comme une réflexion et un récit du rapport au temps des sociétés. Cette Histoire
est le support de la mémoire collective. En effet, les gens vivent parfois des moments, des
épisodes qui relèvent d’expériences si fortes qu’ils engendrent le témoignage, le désir de
dire qu’on y était, et ce, car nous avons le sentiment que ce que nous avons vécu mérite
d’être retenu. Ces moments, jugés si centraux pour certains, sont ceux que la mémoire
collective retient et qui deviendront ainsi l’Histoire, celle d’une nation, d’une collectivité,
d’un groupe. La mémoire collective se forme lorsque l’histoire individuelle et L’Historie se
rencontrent grâce à des moments qui marquent profondément les personnes concernées.
Cette mémoire est très tôt valorisée, entretenue par des discours individuels, politiques ou
médiatiques. Sa source principale est le témoignage personnel engendré par le souvenir,
provenant lui-même de la mémoire. La « grande histoire » n’est vue qu’au travers des
récits individuels. Celui de la mémoire collective est avant tout le récit d’une histoire
collective. Narration individuelle et narration collective se confortent l’une, l’autre, elles
s’entretiennent car sont construites ensemble. Elles expriment une même angoisse devant
l’avenir, celle de dire « la » vérité et de passer le flambeau avant qu’il ne soit trop tard. Les
59 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et
histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.
52
évènements personnels, familiaux, privés constituent des points de repère, et cela car ces
récits ne suivent pas un ordre chronologique précis. Le temps du souvenir est un moment
fort comblant tous les moments qu’on pourrait qualifier de « creux ». Ce sont ces récits
constitutifs de la mémoire collective, qui créent également les mythes d’aujourd’hui : la
valorisation d’un moment particulier, d’une temporalité particulière, forment un socle qui se
forge à travers une représentation héroïque. D’ailleurs, Halbwachs, auteur de la notion de
mémoire collective, affirme que c’est la mémoire qui fait l’Histoire.
L’histoire provient donc des témoignages, de la mémoire collective de personnes
ayant vécus des évènements marquants, et qui en parlent pour ne pas qu’on les oublie.
Quelle meilleure forme de mémoire collective que celle autour de la seconde guerre
mondiale ? En effet, comment ne pas oublier ce massacre ? Comment le transmettre aux
générations futures ? En parlant, en témoignant, en racontant, ce que l’on a vu, ce que l’on
a vécu. Parce que comme le dit F.B60, « témoigner, c’est symboliquement ici, prolonger
une histoire, un engagement, un combat ». C’est de cette manière qu’est née la mémoire
de la seconde guerre mondiale, et plus précisément de l’extermination nazie. Celle-ci est à
mi-chemin entre une mémoire dite « historique » car elle fait l’objet d’un travail scientifique
visant à marquer les moments forts de la vie, du monde ; elle est également « collective »
à proprement parler car elle est composée de mémoires individuelles, non pas constituées
à partir de l’histoire apprise mais de l’expérience vécue, comme on le lit dans l’article de
Pierre Ansart61. Ironie du sort, c’est également la mémoire qui déclenche la guerre et
engendre un régime totalitaire, lui qui voulait rassembler les mémoires individuelles pour
ne créer qu’une seule mémoire nationale reconstruite, exclusive et chargée de légitimer les
pouvoirs. Après la fin des combats, la vision a changé, et est apparue une nouvelle
configuration du passé, partagée entre ceux qui voulaient oublier et faire oublier les
humiliations, et ceux qui, au contraire, voulaient que l’on n’oublie jamais, faisant de la
mémoire un « devoir ». Finalement, très tôt des récits se sont formés, relevant à la fois du
mémorable, c'est-à-dire des actes valorisés spectaculaires, dramatiques, héroïques, et du
dicible. « Il y a dans la vie des gens des moments, des épisodes, des phénomènes, qui
60 BELLAY Frédéric (annexe)
61 ANSART Pierre, Les sociologies contemporaines, Seuil, Points Essais, 1990, 346 pages.
53
relèvent d’expériences si fortes qu’ils engendrent le témoignage, le désir de dire « j’y
étais », parce que l’on a le sentiment que ce que l’on a vécu mérite d’être retenu et que ce
serait une perte, pour l’image de soi, mais aussi pour les autres, si le souvenir n’en était
pas consigné », c’est ce qu’écrit Jean Marie Guillon 62 ; professeur d’Histoire
contemporaine à l’Université de Provence. Pour lui, ces moments si forts sont ceux que la
mémoire collective retient et valorise pour construire l’Histoire d’une nation ou d’un groupe.
D’après ses propos, le témoignage est le présent du passé, tout comme l’est la mémoire
collective. Cela signifie que le témoignage, celui qui crée l’Histoire est la mémoire
collective. Il est l’axe où la mémoire individuelle et l’Histoire se rencontrent, et marquera
profondément les acteurs qui y ont participé et la société qui les a engendrés. C’est
notamment le cas pour les récits de guerre, ceux concernant la Résistance notamment.
Les survivants de cet évènement ont été considérés comme de vrais héros, et les morts
comme des martyrs. Cette mémoire a été mise en valeur dès ses prémices, et entretenue
pas les discours médiatiques alentours. Le souvenir de la grande guerre est aussi
important au sein de cette mémoire nationale que chez chacun des individus, y ayant
participé ou non. On peut d’ailleurs observer cela dans la masse de témoignages produits
depuis la Libération, provenant d’ouvrages, interviews, conférences ou autres
documentaires. Ce ne sont pas seulement les figures emblématiques qui racontent, ce
sont les survivants qui ont besoin de faire savoir au monde ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont
vécu, que ce soit à leurs proches, mais également au grand public par l’intermédiaire des
médias (radios, journaux, télévisions…). Cela peut s’expliquer, entre autre, grâce au
Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, mis en place dès les années 40 et
initiateur de cette quête. Il s’agit d’une institution crée pour préserver la mémoire des
années 1939 à 1945. Mais aujourd’hui encore, les survivants aiment raconter leur
expérience de cette époque, notamment aux nouvelles générations, particulièrement aux
publics scolaires. L’historien s’inspire également de ces témoignages, de cette mémoire,
c’est ce qui fait qu’elle devient l’Histoire. Elle se nourrit des souvenirs, les traitant parfois
62 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et
histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.
54
comme des sources sûres, sans prendre la distance critique et nécessaire. Au fil du temps
et des générations, le témoignage des survivants est considéré comme « sacré », par le
public, ainsi que par les médias. Il y a donc toute une déification autour de la mémoire
collective, ainsi que du devoir de mémoire. Les faits passés sont tellement « graves »,
dramatiques que l’on doit en parler sans cesse, pour ne pas les oublier. Et pour les
générations futures, celle qui n’ont pas connu la guerre, elles doivent les connaître, comme
si elle les avait elle-même vécus. Cela devient en devient une obligation.
I.R, directrice du Centre d’Histoire, de la Résistance et de la Déportation de Lyon :
« Je crois qu’en général les gens ont une bonne connaissance de cette période,
ne serait ce que parce que c’est un sujet qui traverse vraiment beaucoup l’espace
social. On le voit dans la production artistique : beaucoup de films sont consacrés
à la seconde guerre mondiale, beaucoup de bandes dessinées, comme on peut le
voir dans notre exposition actuelle. C’est aussi un sujet qui traverse la réflexion
sociale comme un référentiel, c'est-à-dire qu’on voit beaucoup brandis les idéaux
de la Résistance dans les manifestations contre certaines réformes. Beaucoup de
gens se revendiquent des valeurs de la Résistance. (…) Donc la seconde guerre
mondiale est très présente en France, dans la société, ce qui peut entraîner chez
certains une sorte de lassitude, comme l’expriment très bien certains adolescents
qui viennent nous visiter dans le cadre de l’école : Encore ! Encore la Shoah,
encore la Résistance, encore Vichy ! C’est paradoxal, il y a à la fois une vraie
demande sociale, un vrai intérêt social pour cette période là, et puis, quand même,
une expression qui est loin d’être marginale, d’un raz le bol ! Il y a, au départ, je
vous le disais, assez de complexité. Mais on voit que les valeurs de la Résistance,
qui sont des valeurs fortes d’espoir sont un message formidable pour notre
époque. C’est à la fois quelque chose qu’il faut garder dans son contexte, qu’il faut
pas analyser avec le regard d’aujourd’hui à cause des contre-sens. Mais c’est
quelque chose qui transcende la période. Je pense que c’est cette double vision
que les gens ont de cette période aujourd’hui. »
55
C.J, documentaliste au Centre de documentation du musée, confirmera les propos d’I.R :
« Je pense qu’il faut se pencher sur les vecteurs qui amènent les informations aux
gens, et le plus populaire, sans doute, c’est la télévision. Puis, il y a les
commémorations, le cinéma. Il me semble qu’il y a quand même un grand intérêt, à
travers tout cela, manifesté par le public qui est lassé en revanche par le vecteur
commémoratif. Il en a un peu marre quoi ! Il me semble, par rapport à ce que
j’entends. En même temps, les gens qui viennent ici sont toujours nécessairement
motivés. Donc ce discours s’entend plus à l’extérieur qu’au sein du musée
finalement. Mais il me semble que ça reste un centre d’intérêt des français,
incontestablement. Il me semble aussi, en tous cas, pour le volet Résistance
française, que cela intéresse de plus en plus les étrangers. C’est vrai que c’est
tellement riche, tellement bien organisé, que c’est vrai que les étrangers s’y
intéressent de plus en plus. Ça les interpelle quoi. Mais peut être dans certains
milieux, une lassitude, comme je l’ai dit, par rapport à l’aspect commémoratif. (..) Il
y a quand même un intérêt particulier pour la Shoah également. En tous cas je
pense qu’elle a trouvé sa place dans le débat public, ce qui n’a pas toujours été le
cas. (…) Il existe aussi un intérêt du grand public pour le témoignage d’histoire, pour
cette dimension qu’apporte le témoignage. (…) Il y a une espèce de nostalgie. Les
gens y sont vraiment très attentifs. »
Toute cette sacralisation autour des témoignages de guerre en donne une vision
particulière, subjective pour la plupart car vue au travers du récit individuel. La période de
la guerre se mêle à l’histoire personnelle, souvent ordinaire dont les évènements
personnels et familiaux servent de repères. Le quotidien difficile est toujours mis en avant
mais souvent décrit d’une façon très générale et convenue, comme on le lit dans l’ouvrage
de George Comet et al.63 L’action est valorisée, d’autant plus lorsqu’elle est spectaculaire
ou dramatique. De petits éléments comme une réunion ou une manifestation sont écartés
car pas assez marquants. Le souvenir est plus lié aux émotions intenses comme la 63 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et
histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.
56
tragédie ou le combat. Il existe une rhétorique de l’oubli qui est très réductrice car elle ne
conçoit l’oubli que comme l’opposé de la mémoire. En réalité, celle-ci est composée de
« creux », et donc de différentes sortes d’oublis. Il y a d’un côté les oublis à proprement
parler, c'est-à-dire tout ce qui n’est pas mémorable. Il existe également les oblitérations,
soit tout ce qui est couvert par un autre souvenir ou qui a fusionné avec lui. Enfin, le non-
dit et l’inavouable, qui concerne ce que l’on juge mal, qui ne peut être dit, qui relève de
l’occultation, c'est-à-dire tout ce qui concerne la lâcheté, la peur ou la déshonorante. Cela
provient bien sûr des cadres et valeurs de la société. Par exemple, aucun résistant
n’avouera avoir participé à la tonte des femmes lors de la Libération. Personne ne parlera
des vols qui ont eu lieu, de nourriture ou d’argent. Cela pour une raison simple, qui est
qu’on a le sentiment qu’en avouant de tels faits, on ne serait plus crédibles, ni soi-même,
ni la cause que l’on défend qui est pure, morale et héroïque. Alors qu’en réalité, tout le
monde peut comprendre cela. Mais on préfère se taire, ce qui fait que les discours, tenus
pour source sûre, ne disent pas forcément tout. De plus, le témoignage se fixe tôt et
ensuite il n’évolue que peu, y compris en ce qui concerne les lacunes et erreurs. La
répétition prévaut. A force de raconter la même histoire, on finit par l’admettre ainsi, même
si au départ on était pas très sûr de tous les faits, mais à force de répéter l’évènement de
cette manière, on finit par s’en convaincre, et cela devient le discours officiel. Par exemple,
lorsque l’on prend le récit d’un résistant construit juste après la Libération, et qu’on le lui
redemande des années plus tard, il sera identique, avec ses temps forts et ses lacunes, et
la même confusion chronologique. Ceux-ci servent à valoriser celui qui raconte. Le récit
persiste même lorsqu’on tente de le faire préciser ou qu’on essaie d’amener le témoin sur
un autre aspect. « On ne peut rompre un fil qui a été tendu depuis des années », explique
Jean Marie Guillon. Il est donc instauré très tôt, et raconté assez régulièrement, et change
peu, à part si le témoin a changé de point de vue au fil du temps. Pierre Ansart64 confirme
cela puisqu’il nous explique qu’au lendemain des guerres, les groupes engagés dans les
affrontements interprètent les faits d’une manière favorable à leur cause, et qu’à l’inverse,
ils dénoncent très fortement les comportements adverses. Il explique, de plus, que le
contenu des mémoires est composé essentiellement de souvenirs, et non pas de faits
64 ANSART Pierre
57
scientifiques. Ils remémorent la guerre en insistant sur les souffrances ressenties. Tous
ceux qui ont ressenti ces mêmes sentiments, de près ou de loin, se sentent solidaires.
Les récits de guerre permettent de voir de quelle manière se construisent des
sortes de mythes autour de ces évènements. La valorisation des moments particuliers, la
temporalité, la représentation des évènements et comportements forment le socle de tout
un légendaire qui se forme très tôt à travers la représentation héroïque des Résistants face
à un pauvre peuple massacré. Le témoignage en est une traduction officielle. Le récit
collectif est raconté, grâce aux témoignages individuels, par les plaques commémoratives,
les mémoriaux, les défilés et cérémonies officielles, mettant l’accent sur les tragédies, les
épreuves, le combat, les héros et les martyrs. Clément Chéroux65 dit qu’il n’est pas rare de
voir réapparaître les mêmes motifs. Il existe, selon lui, des stéréotypes qui proposent une
formulation métaphorique des évènements passés, notamment dans les travaux
photographiques. Ce sont les rails, les miradors, les barbelés… qui permettent aux
personnes n’ayant pas vécu cet enfer, d’en avoir une image officielle. On accentue
certains faits, on les amplifie pour qu’ils soient retenus plus facilement et de manière plus
durable. Roland Barthes66 parle de mythologie. Il définit le mythe comme une parole, un
système de communication ou un message. Il est pour nous une construction de l’esprit ne
reposant pas sur un fond de réalité. Ce sont des histoires racontées tant de fois qu’elles en
deviennent des légendes. Nous observons cela en ce qui concerne les récits de la guerre.
On nous parle sans cesse des mêmes faits, des mêmes motifs, des mêmes illustrations…
Tellement qu’on finit par se demander ce qui s’est réellement passé, et ce qui a été trop
fortement exagéré. Sans nier l’existence des évènements, on en vient à se questionner
quant à la nature des faits.
Les récits de la seconde guerre mondiale, individuels ou collectifs, expriment une
même angoisse face à l’avenir, celle de dire « la » vérité, ainsi que de passer le flambeau
avant qu’il ne soit trop tard, d’autant plus, alors des récits concurrents opposés semblent
vouloir s’imposer, ce sont les négationnistes. Désignés longtemps comme 65 CHEROUX Clément (dir.), Mémoire des camps : photographies des camps de concentration et
d’extermination nazis, Paris, Marval, 2001, 246 pages.
66 BARTHES Roland, Mythologies, Seuil, Point Essais, Paris, 1970, 233 pages.
58
« révisionnistes », il s’agit d’historiens, pouvant aller, dans les cas les plus extrêmes,
jusqu’à nier l’existence même de la Shoah, comme nous l’indique Anne Grunberg67. Ces
historiens prennent pour base des postulats, qui leur servent également de conclusion :
1) Il n’y a pas eu de génocide et l’instrument qui le symbolise, la chambre à gaz,
n’a jamais existé.
2) La « solution finale » n’a jamais été que l’exclusion des Juifs en direction de
l’Est européen. Puisque la plupart venaient de l’Est, il ne s’agit que d’un
rapatriement, comme lorsque les autorités françaises rapatrièrent les
Algériens, en octobre 1961, vers leur « douars d’origine ».
3) Le chiffre des victimes juives du nazisme est beaucoup plus faible qu’on ne l’a
dit. « Il n’existe aucun document digne de ce nom chiffrant la perte totale de la
population juive durant la dernière guerre à plus de 200 000… Ajoutons
également que l’on comprend dans les victimes les cas de mort naturelle »,
écrit l’avocat allemand Manfred Roeder68.
4) L’Allemagne hitlérienne ne porte pas la responsabilité majeure de la Seconde
Guerre Mondiale.
5) L’ennemi majeur du genre humain pendant les années trente et quarante n’est
pas l’Allemagne nazie mais l’URSS stalinienne.
6) Le génocide est une invention de la propagande alliée, principalement juive, et
tout particulièrement sioniste, que l’on peut expliquer aisément, par une
propension des Juifs à donner des chiffres imaginaires, sous l’influence du
Talmud.
Le Docteur Austin J. App69, professeur dans des collèges catholiques affirmera
« Le troisième Reich voulait l’émigration des Juifs, non leur liquidation. S’il avait voulu les
liquider, il n’y aurait pas en Israël 500 000 survivants des camps de concentration touchant
67 GRYNBERG Anne, La Shoah : L’impossible oubli, Découvertes Gallimard Histoire, Paris, 1995, 175
pages.
68 Manfred Roeder
69 Docteur Austin J. App
59
des indemnités allemandes pour des persécutions imaginaires. Pas un seul Juif n’a été
« gazé » dans un camp de concentration. Il y avait dans des camps des fours crématoires
pour brûler les cadavres de ceux qui étaient morts pour une raison quelconque, et
particulièrement à la suite des raids génocidaires des bombardiers anglo-américains. La
majorité des Juifs qui moururent dans les pogroms et ceux disparus dont la trace n’a pas
été retrouvée, sont morts dans des territoires contrôlés par l’URSS, non par l’Allemagne.
La majorité des Juifs qui sont supposés avoir été tués par les Allemands étaient des
éléments subversifs, des partisans, des espions et des criminels et aussi, souvent, des
victimes de représailles malheureuses, mais conformes au droit international ». C’est un
des discours de ces négationnistes. On en retrouve tous les composantes de ces discours
idéologiques, à savoir antisémitisme, et nationalisme allemand en particulier. Le but de
cela est de priver idéologiquement le peuple Juif de sa mémoire historique. Les partisans
de ces discours veulent des preuves, nous voilà obligés de démontrer ce qu’il s’est passé.
Ils pensent que les témoignages des personnes Juives ne sont pas crédibles, et que tout
document qui date d’avant le Libération est un faux. Il semblerait donc que les réalités
connues, écrites et répétées maintes fois ne soient donc que des mythes selon ces gens
là. Ces évènements horribles qui ont constitué cette mémoire collective ne seraient, à leurs
yeux, qu’usurpation et faux. Ou alors on pourrait aussi qualifier cela de négation
malhonnête de la réalité.
60
3. La Photographie, un outil au service de la Mémoire
La mémoire collective est une invention crée pour désigner le fait de se souvenir
tous ensemble, de se remémorer des évènements qui ont marqué notre Histoire
commune, les garder en tête, ne pas les oublier, pour ne jamais les réorchestrés. La
mémoire collective de la Shoah en est le meilleur exemple, nous l’avons observé. Mais
comment ne pas oublier ? De quelle manière garder des éléments dans notre esprit alors
même que le temps joue son rôle, ou pire, alors qu’on ne les a, nous-mêmes, pas vécus ?
Il existe plusieurs moyens pour cela. Le témoignage oral des témoins qui tendent à
disparaître au fil du temps, les récits écrits de ceux qui ont vécu ou de ceux qui racontent
ce qu’il s’est passé, mais également l’image, et plus particulièrement la photographie. En
effet, ce médium, de par ses caractéristiques fameuses que l’on a évoqué précédemment,
est l’outil le plus sûr, aujourd’hui, pour rendre compte de la mémoire. Dans une société où
l’on ne croit plus que ce que l’on voit, l’image photographique détient une place capitale.
C’est par elle qu’un fait devient plus concret, et somme toutes, plus marquant. L’image a
souvent plus d’impact que les mots car elle nous paraît plus crédible, étant donné que,
comme on le sait, la photographie possède un fort caractère de réel. Elle est souvent une
« preuve » visuelle que quelque chose a existé. Les faits que la mémoire, et plus
particulièrement la mémoire collective, retient sont parfois violents, difficiles à croire,
comme ceux concernant la seconde guerre mondiale, évoqués dans la partie précédente.
La photographie est le bon moyen de montrer au monde ce qu’il s’est passé, et ce sont
ces images que l’on retiendra, et qui nous viendront directement à l’esprit à l’évocation de
ces faits précis. Nous éprouvons le besoin de rattacher une image à un souvenir pour qu’il
reste dans notre tête le plus longtemps possible, qu’il s’agisse de la mémoire individuelle
ou de la collective. Il n’y a donc pas de doutes, photographie et mémoire sont bien
intimement liés.
De nombreux auteurs se sont penchés sur ce sujet. C’est le cas notamment de
Philippe Dubois70 qui écrit que la photographie est un adjuvant, mais également un art de
la mémoire. Elle est le simple témoin de ce qui a été, puisque son rôle est de conserver la
70 DUBOIS Philippe, L’acte photographique, Parvis, Nathan, 1990, 301 pages.
61
trace du passé. Pour lui, elle est l’exact équivalent visuel du souvenir car une photographie
est toujours avant tout une image mentale. Ainsi, notre mémoire n’est faite que de
photographies. En effet, celle-ci est composée de « loci », c'est-à-dire de cadres vides de
lieux, qui sont des réceptacles prêts à recevoir les photographies. La mémoire est
également composée « d’imagines » qui sont, elles, des images, crées par la
photographie, qui se posent sur les loci. Ce sont des inscriptions qui vont et viennent sur
les surfaces vides. La photographie complète donc les espaces volontairement manquants
de notre mémoire. Emmanuel Garrigues71, quant à lui, va plus loin. Il nous indique que la
photographie peut être considérée comme un langage à part entière. De ce fait, on peut
également dire qu’elle est une expression du psychisme, ainsi qu’une mémoire. D’après
lui, elle peut être définie de diverses manières : technique, création, support, moyen de
communication, écriture… mais avant tout, comme une mémoire. Ses fonctions, quant à
elles, sont diverses, selon l’usage qui en est fait, le type de personne qui la produit, ou la
personne qui la regarde. Un autre auteur célèbre, Claude Levi Strauss72, affirmera cette
même idée de photographie comme mémoire. Il nous explique, pour cela, que la
photographie est à la fois un document et une mémoire, indispensables à l’anthropologie.
La lecture de Tristes Tropiques nous permet d’apprécier la beauté des Nambikwaras à
travers les portraits photographiques de ces jeunes gens. Levi Strauss écrira au sujet de la
photographie : « Je vivais dans ces expéditions une expérience totalement nouvelle.
C’était un sujet d’émerveillement dont il fallait que je garde la trace. La photo s’est donc
imposée comme une évidence. De manière générale, sur le plan ethnographique, la photo
constitue une réserve de documents, permet de conserver les choses qu’on ne verra
plus». Grâce à cet objet, nous pouvons, en tant que lecteur, accéder à un sentiment de
mélancolie face à ces cultures irremplaçables que l’on a détruites. La photographie joue ici
pleinement son rôle de mémoire, mais également de « devoir » de mémoire. Elle ajoute,
de plus, une dimension artistique à ce documentaire, ce qui touche le lecteur infiniment
plus. L’auteur dira, malgré tout, que pourtant il n’aime pas la photographie, il pense que
c’est un art mineur, mais surtout trompeur par nature car il ne s’agit que d’une apparence.
71 GARRIGUES Emmanuel, L’écriture photographique, l’Harmattan, Champs Visuels, 2000, 236 pages.
72 LEVI STRAUSS Claude, Tristes tropiques, Pocket, Terre Humaine, Paris, 2001, 513 pages.
62
C’est un instantané, dépourvu de sens, car on ne peut pas observer ce qu’il s’est produit
juste avant, ni juste après. C’est un instant saisi sur le vif.
D’autres auteurs évoquent plus particulièrement le rapport entre photographie,
mémoire et temps, comme c’est le cas pour Pierre Bourdieu73. La photographie aurait pour
fonction, selon lui, d’aider à surmonter l’angoisse suscitée par l’écoulement du temps, et
cela de deux manières. Soit en fournissant un substitut magique de ce que le temps a
détruit, soit en étant un complément aux défaillances de la mémoire et en servant ainsi de
point d’appui à l’évocation des souvenirs associés. Il veut donc dire que la photographie
aide les gens en leur donnant le sentiment de vaincre le temps comme puissance de
destruction. Elle permettrait, de plus, de favoriser la communication avec autrui en lui
offrant la possibilité de revivre ensemble des moments passés, ainsi que de montrer de
cette manière, l’intérêt ou l’affection que l’on porte aux autres. Elle peut également donner
l’illusion de révéler des vérités en réveillant des lieux communs, et en les exprimant dans
un langage à l’allure scientifique. Philippe Dubois ajoutera que l’acte photographique
installe une sorte de hors temps car une photographie, lorsqu’elle est prise, arrête le
temps. Pour expliquer cela, il s’appuie sur le mythe de la flèche brisée de Zénon d’Elée,
qui nous explique que le mouvement n’existe pas. Lorsqu’une flèche part d’un point A pour
aller à un point B, elle ne bouge pas, elle reste immobile. En réalité, elle occupe
simplement une position différente dans l’espace selon l’instant. Elle est prise entre deux
immobilités : une qui la précède, l’autre qui la suivra. Le mouvement est donc une illusion.
Cette temporalité, telle que la pense Zénon d’Elée, implique une chronologie qui
n’accumule pas, ne se capitalise pas en une mémoire pleine et continue. Si l’on en suit sa
logique, ainsi que celle de Dubois, c’est, à l’inverse, une temporalité du coup par coup, de
l’instant, et de l’oubli, et la photographie en est le modèle théorique. L’acte photographique
fait ainsi de la durée qui s’écoule à l’infini, un simple instant arrêté, saisi une fois pour
toutes. Comme le dit Denis Roche74, « le temps de la photographie n’est pas celui du
Temps ». Dubois ajoute que celui-ci quitte le temps chronique, réel, évolutif, c'est-à-dire
73 BOURDIEU Pierre (dir.), Un art moyen : essais sur les usages sociaux de la photographie, Les Editions de
Minuit 2ème édition, Paris, 1978, 360 pages.
74 ROCHE Denis, La photographie est interminable, Seuil, Fiction & Cie, 2007, 117 pages.
63
notre temps d’être humains, pour entrer dans une temporalité nouvelle qui est séparée et
symbolique, et qui est celle de la photographie, totalement immobile. Il s’agit d’un arrêt sur
l’image, où on passe d’un temps évolutif à un temps figé, du mouvement à l’immobilité.
Pour Clément Chéroux, spécialiste de la période de la seconde guerre mondiale,
la photographie a joué et joue encore un rôle capital dans l’élaboration de la mémoire des
évènements. Il semble nécessaire d’enrichir notre mémoire d’images afin de fournir des
supports visuels aux souvenirs. La mémoire serait composée de réservoirs, divisés en trois
catégories distinctes : la mémoire orale, la mémoire écrite, et la mémoire iconographique.
C’est au cœur de cette dernière que la photographie joue un rôle central. Elle multiplie et
démocratise la mémoire, lui donne une précision, une sorte de vérité visuelle, lui
permettant de gérer le temps, ainsi que l’évolution chronologique. Il nous apprendra
ensuite, qu’il aura, toutefois, fallu plus de cinquante ans pour que les photographies prises
dans les camps soient étudiées comme des pièces d’archives, et non plus comme des
symboles du génocide nazi. La libération a généré des images, souvent insoutenables, qui
sont ensuite entrées dans la mémoire collective, comme l’explique Michel Guerrin75 dans
son article. Ce n’est donc pas par hasard que lorsque F.B veut réaliser une exposition sur
des survivants de la seconde guerre mondiale, au centre d’histoire, de la résistance et de
la déportation de Lyon, il choisit la photographie comme médium. Il nous dira que c’est
parce que celle-ci entretient un lien étroit et originel avec la mémoire que son choix est
légitime. Il nous apprendra, de plus, que les premiers daguerréotypes étaient appelés « les
miroirs qui se souviennent », le rapport à la mémoire est donc présent dès les prémices de
la photographies. Comme Dubois, Susan Sontag 76 nous parle d’images iconiques qui
seraient gravées dans la mémoire. Pour elle, il n’existe pas une « mémoire collective »
mais un « inconscient collectif ». Celui-ci est composé d’un certain nombre d’images
iconiques qui symbolisent notre histoire commune. Ces images connues, comme celles
des camps de concentration, inscrivent l’histoire dans nos têtes. En ce qui concerne la
75 GUERRIN Michel, « Entre mémoire et histoire des camps, le rôle de la photographie », in Le Monde, 2001,
2 pages.
76 DEBRAINE Luc, « Rien n’entre mieux dans notre esprit qu’une photographie », in Le Temps, 2003, 3
pages.
64
mémoire individuelle, se souvenir c’est appeler une image qui a un jour traversé notre
esprit. La photographie est ce qui entre le mieux dans notre esprit car notre mémoire
fonctionne par arrêts sur images. Nous sommes submergés par les images donc en ce qui
concerne le souvenir, c’est la photographie qui est la plus efficace, et cela car sa forme est
précise, fixe, compacte et qu’elle est rapide et incisive.
Un autre auteur, Georges Comet77, dans son ouvrage, explique que lorsque nous
nous trouvons face à une image, qu’elle soit connue ou non, nous avons tendance à
expliquer ce qu’elle nous évoque, à raconter ce que l’on voit, ce à quoi cela nous fait
penser. Nous construisons donc un récit empli de souvenirs… nous faisons donc appel
immédiatement à notre mémoire. La photographie ne transmet pas un discours écrit, nous
sommes donc obligés de faire appel à la mémoire pour exprimer un discours. Celui-ci peut
être officiel, appris, transmis par les traditions ou la mémoire collective, mais parfois, il peut
être beaucoup plus subjectif et transmettre des idées non officielles. L’image permet de
créer un lien entre ce qui a été appris, entendu, imaginé ou rêvé. Elle renvoie toujours à
une mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective.
En avril 1988, pour son quarantième anniversaire, le magazine Courrier de
l’Unesco avait consacré une édition spéciale à la photographie, avec pour fil conducteur le
thème de la mémoire78. Le rédacteur en chef, Edouard Glissant, explique ce choix par le
fait que la photographie sauve de l’oubli en constituant « les archives de notre mémoire »,
comme le disait Charles Baudelaire79, qu’elles soient privées ou publiques, nationales ou
planétaires. La photographie peut être à la fois reportage du temps présent, document, elle
est avant tout de la communication humaine, en tant que signe d’ouverture d’esprit. Pour
répondre à la question de la mémoire, plusieurs praticiens sont interrogés. Le premier est
Wim Wenders, un cinéaste allemand. Dans son interview, il nous livre qu’il existe certaines
photographies que nous avons envie non pas de voir mais de re-garder, c'est-à-dire
77 COMET Georges, LEJEUNE Antoine, MAURY-ROUAN Claire, Mémoire individuelle, mémoire collective et
histoire, Solal, Marseille, 2008, 216 pages.
78 Mémoire de la photographie, in Courrier de l’Unesco, numéro d’avril 1988.
79 http://baudelaire.litteratura.com
65
observer des éléments et les garder en mémoire car on sait qu’ils vont disparaître dans
peu de temps. Pour lui, la photographie possède une fonction de conservation des choses.
Elle permet de ne pas les oublier même lorsqu’elles n’existent plus. Pour le cinéaste,
prendre une photographie c’est « faire quelque chose comme si c’était la dernière fois, à la
fois la première mais également la dernière ». Il explique cela par le fait que souvent il
prend un élément en photo car il sait que c’est à la fois la première et la dernière fois qu’il
le verra. Le fait qu’une photographie de cet élément existe lui permet de continuer à
exister.
De par ce tour d’horizon, nous pouvons observer que de nombreux auteurs,
spécialistes de la photographie ou non, ont abordé ce sujet à un moment de leur réflexion.
Pour la plupart, le fait que la photographie soit liée à la mémoire, d’une manière ou d’une
autre, apparaît comme une évidence. Elle semble être le support visuel parfait pour
raconter des évènements qu’il ne faut pas oublier, collectifs ou individuels. L’une et l’autre
se complètent. A la fois, la photographie permet à la mémoire d’avoir en tête une image de
quelque chose qu’il s’est passé, ce qui lui permet de le retenir plus facilement et de lutter
plus durablement contre l’oubli. A la fois, la mémoire permet d’expliquer une image
photographique, de la raconter, de la situer dans un contexte, et par conséquent, de lui
donner un sens.
Pour la directrice du Centre d’Histoire, de la Résistance, et de la Déportation, I.R,
« Le rôle de la photographie dans la transmission et la conservation de la mémoire
est central car nous avons besoin de nous représenter les choses de manière
iconographique. Il existe beaucoup de photos de cette période donc la matière ne
manque pas. Mais cela ne représente pas tout bien sûr, c'est-à-dire qu’une grande
partie de ce sur quoi on travaille, la Résistance, la répression faite aux Juifs, n’est
pas forcément représentable par la photo. Il n’y a pas de photo de rafle par
exemple. Donc c’est un support qui a ses limites, qui est remplaçable évidemment.
On a la chance inouïe de pouvoir montrer les visages des acteurs des faits parce
que même en 40, c’était un média assez développé pour que dans toutes les
classes sociales, les gens aient des photos d’eux. A cette époque, c’est largement
répandu. C’est un support qui est facile à exposer, qui est dupplicable, dont on peut
66
jouer sur le format, peut être un peu trop parfois. Entre un document original 6x6 et
une photo d’un mètre sur un mètre, ça représente plus la même chose. Il n’y a plus
le même rapport avec la personne qui regarde. Donc nous on aime bien montrer
des « vraies » photos avec leur « vrai » format. »
Pour M.V, attaché de conservation au musée : « La photo, par ce qu’elle est, a une
dimension mémorielle en fait, puisqu’elle vient figer un moment précis dans un
contexte précis par un regard précis. C’est une imbrication de choses précises
éminemment subjectives. C’est vrai que c’est pas un médium qui est évident du tout
la photographie, c’est complexe. Pour moi, la conservation me gêne car je partirai
plutôt vers d’autres univers. Il s’agit plutôt de la transmission de la mémoire par la
photo, encore faut-il qu’elle soit montrée. »
Ces discours de spécialistes de la période 1939-1945, possédant une connaissance
particulière de la mémoire collective, confirment que la photographie est bien un outil au
service de la mémoire, pas le seul qui existe mais peut être le plus probant.
En résumé, la définition de la mémoire recouvre deux aspects. Selon la
psychologie cognitive, elle est une fonction psychique qui permet à un individu de
percevoir son environnement et d’en conserver des éléments à l’intérieur d’une base de
données personnelle, constituée dans le cerveau. Selon la psychologie sociale, la
mémoire est avant tout collective. Elle sert à transmettre une expérience à un groupe, à
partager des évènements, à se souvenir ensemble. Maurice Halbwachs est le premier
auteur à avoir abordé cette théorie en 1925. Pour lui, la mémoire est entièrement
dépendante de l’environnement social, car c’est grâce à l’autre qu’une personne peut
acquérir des souvenirs. Autrui est toujours symboliquement présent en nous. C’est ce qu’il
nomme les « cadres sociaux de la mémoire ». Excepté cet auteur, il faudra attendre les
années 70 pour recevoir une définition de la mémoire collective. Elle sera donnée par
Pierre Nora qui nous expliquera qu’elle est composée de souvenirs provenant d’une
expérience mythifiée par une collectivité. A partir de cette période, les travaux sur ce sujet
67
se succèderont. On peut expliquer cela, entre autre, par les évènements historiques qui
ont lieu, notamment la seconde guerre mondiale. Ce sont les secondes générations qui ont
besoin de se constituer une identité, et de marquer cette période. La mémoire collective
semble aujourd’hui envahir toutes les sphères publiques, sa présence est fortement
marquée dans la société. Puis, pour terminer, nous nous sommes aperçus qu’il serait
tentant de relier cette notion de mémoire collective à un autre domaine de la psychologie
sociale, celui des représentations sociales. Il convient de se demander si la mémoire
collective ne serait pas une forme de représentations sociale. En effet, d’après Serge
Moscovici, il s’agirait de schèmes cognitifs qui permettraient aux individus d’appréhender
les évènements de la vie quotidienne, et cela à partir des expériences sociales. Il persiste
donc une forte similitude entre les deux phénomènes sociaux.
Nous avons tenté d’illustrer cette notion de mémoire collective avec un exemple
concret, celui de la seconde guerre mondiale. Dans ses différentes définitions, la mémoire
collective renvoie toujours à des évènements vécus collectivement par un groupe, transmis
et partagés par un peuple. Elle renvoie donc toujours à l’Histoire, construction humaine
dont le but est d’écrire, ainsi que de conserver le passé. Un des évènements les plus
importants de cette Histoire est la seconde guerre mondiale. A travers celle-ci, se joue un
fort désir de mémoire collective. De nombreux récits ont été constitués autour de cette
tragédie. Leurs buts est de garder à l’esprit ce qu’il s’est passé, pour que cela ne se
reproduise jamais. Ces évènements qui ont marqué toute une population sont retenus par
la mémoire collective, et c’est elle qui constitue l’histoire commune. Ce sont les
témoignages qui constituent cette mémoire, c’est grâce à eux que se sont constitués les
récits. Ainsi, la mémoire collective de la seconde guerre mondiale s’est constituée très tôt,
et elle a immédiatement était excessivement valorisée. Il existe comme une mythification
autour des récits de cette guerre, car ils sont toujours racontés de la même manière, et
avec une force considérable, à savoir, une représentation héroïque de la Résistance, un
peuple martyr, et des bourreaux. Les mêmes motifs réapparaissent sans cesse, ils en
deviennent des stéréotypes. Les faits sont répétés, accentués. Il existe donc une
mythologie autour de la seconde guerre mondiale. A côté de celle-ci, cohabitent des
discours négationnistes allant à l’encontre des faits racontés. Partant du principe qu’il
n’existe pas de preuves matérielles concrètes, ceux-ci nient l’existence même d’un
68
génocide ou d’une quelconque chambre à gaz. Selon eux, les témoignages, notamment de
personnes juives ne constituent pas une preuve fiable, ils ne sont donc pas crédibles, et
tout ce que l’on raconte d’avant la Libération est faux.
Pour terminer, nous avons vu que grâce à ses caractéristiques ultérieurement
présentées, la photographie semble être l’outil parfait pour illustrer la mémoire collective.
Grâce à cet instrument, les faits paraissent plus vrais, plus réels, et donc plus crédibles.
Plusieurs auteurs ont confirmé cette idée. Philippe Dubois, pour quoi la photographie est à
la fois art et adjuvant de la mémoire. Elle constitue l’exact équivalent du souvenir car elle
est avant tout une image mentale. Emmanuel Garrigues, qui pense que la photographie
est un langage à part entière, expression du psychisme, et donc de la mémoire. Et puis,
Claude Levi Strauss, d’après qui, elle serait à la fois document et mémoire, indispensables
à l’anthropologie. Cela car elle nous permet de ne pas oublier des civilisations, parfois
lointaines, sur le point de disparaître. D’autres auteurs, quant à eux, évoquent son rapport
au temps. Bourdieu, pour qui la photographie, un art moyen, aiderait à surmonter
l’angoisse liée à l’écoulement du temps en fournissant un substitut technique aux
défaillances de la mémoire. Philippe Dubois, à nouveau, qui nous dit que la photographie
crée une sorte de « hors-temps », différent du temps « réel », tout comme le fait le
souvenir. Enfin, on a observé l’importance de ce médium dans l’élaboration de la mémoire
collective de la seconde guerre mondiale. Les gens ont besoin de supports visuels pour
enrichir leurs récits. En clair, photographie et mémoire collective entretiennent un réel
rapport de complémentarité.
69
PARTIE 3 :
ANALYSES
PERSONNELLES
70
III. ANALYSES PERSONNELLES
Dans ce chapitre, qui est la partie pratique du mémoire, nous allons mettre en pratique
les deux parties théoriques précédentes. Pour cela, nous allons commencer par réaliser
une analyse sémiologique de huit photographies autour de la seconde guerre mondiale,
que j’ai sélectionnées dans l’ouvrage de Clément Chéroux sur les camps de concentration
et d’extermination nazis. Je vais dans un premier temps les décrire, puis en faire ressortir
le message plastique, ainsi que le message iconique. Dans un second temps, je ferai
passer un questionnaire à quatre-vingt personnes. Celui-ci sera composé de trois
photographies issues du même ouvrage dont le contenu peut porter à confusion. Le but
sera de d’exprimer ce que l’on voit, et ce à quoi cela fait penser. J’interprèterai ensuite les
différentes réponses observées. Pour terminer, je présenterai un documentaire de Yael
Hersonski sur la vie dans le ghetto de Varsovie. On pourra observer, grâce à celui-ci, que
la photographie n’est pas toujours une copie conforme de la vie réelle, et qu’une
importante part de mise en scène de l’auteur entre en ligne de mire.
1. Analyse sémiologique d’images de la seconde guerre
mondiale
Dans cette partie, nous allons observer neuf photographies prises lors de la seconde
guerre mondiale ou après celle-ci. Notre objectif est de chercher la signification de ces
images, à la manière de Martine Joly dans son ouvrage80. Voir ce qu’elles représentent,
pourquoi elles ont été prises, de quelle manière. Chacune de celles-ci est issue d’une
exposition ayant eu lieu à l’hôtel de Sully, à Paris, en 2001, dont le titre, assez révélateur
de la volonté de l’exposant, était « Photographies des camps de concentration et
80 JOLY Martine, Introduction à l’analyse de l’image, Armand Colin 2ème édition, 128, 2009, 123 pages.
71
d’extermination nazis (1933-1999) ». Cette exposition se divisait en trois parties : « La
période des camps (1933-1945) », « L’heure de la libération (1945) », « Le temps de la
mémoire (1945-1999)». Clément Chéroux, son auteur, historien de la photographie, a
ensuite crée un ouvrage, du même nom, regroupant les différents thèmes observés lors de
l’exposition, ainsi que les différentes photographies que l’on pouvait trouver dans ce lieu.
C’est de cet album que sont choisies les photographies que je vais analyser. De celles-ci,
on ne sait pas grand-chose finalement. Souvent, on ne sait ce qu’elles représentent, qui
les a prises, ni dans quel but. L’exposition essaie de donner des réponses à ces questions.
Certaines sont très connues, d’autres très rares, voire inédites. Le but est de rester le plus
simple possible. Pour cette raison, on essaie de retrouver les cadrages, les formats
originaux, de donner des légendes précises, d’expliquer le contexte, citer l’auteur s’il est
connu. « Ce n’est pas une exposition sur l’histoire des camps, mais sur l’histoire des
photos des camps », affirme Clément Chéroux81.
81 GUERRIN Michel, “Entre mémoire et histoire des camps, le rôle de la photographie », in Le Monde, 2001,
2 pages.
72
Photographie numéro 1 :
Margaret Bourke-White, Survivants de Buchenwald derrière les barbelés, avril 1945
Description
La page est totalement remplie par la photographie. Celle-ci est en noir est blanc,
ce qui crée une impression de masse. De cette manière, les personnages se ressemblent
tous. Le seul élément qui ressort du manque de couleur est la tenue rayée de certains
d’entre eux. On voit une vingtaine d’hommes. Certains sont cachés par d’autres. Ils sont
face au spectateur mais ne le regarde pas forcément pour autant. Leurs regards semblent
vagues. Devant eux, se tient un grillage. Ils portent presque tous un chapeau de type béret
ou casquette gavroche. Il y a tous âges. A gauche, ce sont de jeunes hommes, peut être
des adolescents. A droite, ils sont beaucoup plus âgés. L’un d’entre eux tient une canne
dans sa main. Leurs visages semblent fatigués. Il n’y a aucun texte qui jonche la
photographie.
Message plastique
- Support : On ne dispose pas de renseignement précis sur celui-ci. Nous allons procéder
par élimination. Comme nous venons de l’observer, aucun texte ne compose cette image,
cela ne peut donc pas s’agir ni d’un papier journal, ni d’un format magazine. Cela ne
ressemble pas non plus à une image publicitaire à cause de la dimension de l’image (une
73
seule page), de sa mise en page et du manque de caractères. L’image paraît naturelle, ce
qui nous laisse penser qu’il s’agit seulement d’une photographie documentaire.
- Cadre : Il semblerait que l’on tente d’effacer celui-ci. Cela s’observe notamment par le
fait que certains personnages sont coupés. A gauche par exemple, on ne voit qu’une partie
de la personne. Si nous n’en voyons pas plus, c’est parce que la photographie est trop
petite. Cela permet au spectateur de donner libre cours à son imagination, de penser à ce
qui peut y avoir dans la partie invisible, c'est-à-dire au niveau du hors-champ. De plus, on
ne sait ainsi pas par où commencer la lecture de la photographie. Cela nous fait donc
penser à une image cinématographique car cet art utilise particulièrement les rapports
entre champ visuel et hors-champ. En effet, l’illustration paraît tellement inhabituelle qu’on
pourrait croire qu’elle est issue d’un film.
- Cadrage : Il semble y avoir une distance ni trop grande, ni trop intime entre le
photographe et les sujets. Cependant, le grillage qui sépare les personnages et la
personne qui prend la photographie insère une certaine distance entre eux, c'est-à-dire
entre celui qui regarde la photographie, et ceux qui sont photographiés. Les proportions
des humains sont, elles, respectées.
- Composition : Il s’agit de la construction des différents éléments qui figurent sur l’image,
de leur disposition, de l’ordre dans lequel ils sont à la vue du spectateur. Il ne semble pas y
avoir une focalisation sur un point de la photographie, bien que les deux personnages du
milieu soient plus sous l’angle de la lumière. Dans l’axe du regard, au centre de l’image, on
ne voit pas un élément particulier, simplement le visage de la personne centrale, mais qui
se font dans la masse, car son regard est à peu près semblable à celui des autres. On
observe une construction en profondeur où en premier plan, il y a les différents
personnages qui constituent cette image. On ne distingue pas précisément l’arrière-
plan, on aperçoit simplement qu’il est très obscur, il apparaît en noir sur la photographie.
En haut, on aperçoit légèrement deux portes ouvertes au bout d’un long couloir, mais nous
ne pouvons pas en avoir la certitude. Etant donné qu’il ne s’agit pas d’une annonce
publicitaire, il est inutile de préciser qu’il n’y a pas de construction séquentielle. Enfin, la
lecture semble se faire de manière horizontale puisqu’on peut voire une masse de
personne toutes alignées de la gauche de la photographie à la droite, et non pas du haut
74
de celle-ci vers le bas. Elles sont toutes habillées plus ou moins de la même façon,
disposent du même regard, et du même coiffage. On assiste toutefois également à une
lecture verticale étant donné les portes et le couloir que l’on observe au loin. Donc tout en
haut de l’image, se trouvent les portes et sur le reste, les hommes. Cela nous donne une
impression de chute, d’écrasement. On a également un sentiment de droiture et d’ordre,
de par la position des personnages qui sont alignés les uns à côté des autres de manière
très rangée.
- Formes : Comme nous venons de l’aborder, nous pouvons observer des formes très
géométriques : droites, parallèles, rectangles. D’abord, à l’avant plan, c'est-à-dire en
ce qui concerne le grillage, on observe des rectangles à peu près réguliers bien que leurs
dimensions ne soient pas exactes lorsqu’on les regarde comme une figure géométrique, et
non plus comme un grillage. Cela s’apparente à un quadrillage rectangulaire tracé à la
main. Au second plan, les silhouettes apparaissent comme de larges droites parallèles les
unes aux autres. Les vêtements sont, de plus, rayés de manière verticale ce qui accentue
cet effet de géométrie. Enfin, au dernier plan, le point de vue change, il devient horizontal,
comme on l’a déjà dit. On peut y observer plusieurs traits allant de gauche à droite. Les
lignes droites représentent souvent la sévérité, le strict. Cela rappelle également la
virilité, la masculinité.
- Couleurs et éclairages : Nous nous contenterons d’observer l’éclairage étant donné que
la photographie est en noir et blanc. La lumière est très diffuse, tamisée, obscure. Elle
n’est pas violente du tout, plutôt terne. Malgré cela, on voit bien le relief des différents
personnages, on les distingue bien les uns des autres. Le fond est très foncé, mais les
visages ressortent particulièrement, notamment les regards. Les vêtements rayés se
distinguent aussi nettement dans ce cadre sombre. La canne du vieil homme de gauche
ressort aussi parfaitement car elle est de couleur claire. Les mains blanches des hommes
de devant apparaissent également car elles se situent au niveau de leurs vestes sombres.
- Texture : Elle semble complètement lisse car il n’y a pas de dimensions particulières sur
cette photographie. Cela accentue le caractère froid et distant de l’image.
75
- Tableau récapitulatif :
Signifiants Plastiques Signifiés
Cadre Effacé : imaginaire
Cadrage Grillage : distance avec spectateur
Angle de prise de vue Profondeur : Focalisation sur le premier plan
Choix de l’objectif Arrière plan flou et sombre, avant plan plus clair
Composition Lecture horizontale
Formes Géométrie : sévérité, masculinité
Couleurs Noir et Blanc : froid
Eclairage Ternes et foncées : ton grave, mise en relief de certains détails
Texture Lisse : froideur et distance
Message iconique
Il s’agit, à partir de l’analyse plastique, de tirer des conclusions sur ce que l’image
laisse suggérer. Nous devons là interpréter ce qui se cache derrière ces signifiés, trouver
leurs connotations, leur signification ; les analyser pour pouvoir conclure sur la
photographie.
-Motifs : Photographie documentaire : Veut montrer quelque chose à quelqu’un.
Pas de cadre : Fait travailler l’imagination. On se demande ce qu’il y a après la
photographie.
L’arrière plan : Accentue cette idée de travail de l’imagination. On voit que le décor n’est
pas neutre, et donc on se demande dans quel lieu se trouvent ces hommes, où mènent
ces portes que l’on aperçoit au loin.
L’avant plan (le grillage) : Barrière, frontière, qui nous laisse penser que le lecteur ne peut
pas pénétrer le monde de la photographie.
76
Regards : Le fait que les hommes soient face à nous, leurs regards, tous similaires, tous
dirigés dans notre direction (même pour ceux qui ne regardent pas directement l’objectif),
fait que l’on se sent obligatoirement impliqué dans leur histoire, et que l’on a envie d’en
savoir plus.
Tenues (vêtements et coiffages quelque peu identiques) : Cela renvoie aux vêtements de
prisonniers. Leur sort est plus clair et nous touche donc encore plus.
Alignement : Ils sont bien rangés. On observe que l’ordre règne.
Géométrie : Elle accentue cette idée. On sent une ambiance masculine très sévère.
Noir et blanc : Cela rend la scène plus lugubre, plus effrayante, plus inquiétante.
Fond obscur : Renforce le sentiment de peur. On ne sait pas ce qu’il y a derrière les
hommes, mais cela est foncé, alors cela perturbe, inquiète.
Détails éclairés : Les visages, les casquettes, les yeux, la canne du vieil homme… Un
certain nombre de détails mis en avant par leur mise en lumière. Ils nous mettent mal à
l’aise car ils sont bien significatifs. Les visages semblent fatigués, mal en point, la canne
montre que l’homme n’est pas en forme, les regards paraissent tristes, usés.
Texture lisse : Elle rend l’image beaucoup plus froide et distante.
-Pose des modèles : Comme nous l’avons déjà abordé, la scène représente une vingtaine
d’hommes. Ceux-ci sont face au lecteur. La plupart d’entre eux nous regardent, mais
certains ont le regard de biais. Ainsi, le spectateur est perplexe, il ne sait pas s’il peut
nouer une relation avec les personnages, ou au contraire, si ceux-ci fuient son regard. On
ne sait pas s’ils veulent dialoguer ou juste montrer leur condition. Peut être ne le savent-ils
pas eux-mêmes.
-Interprétation : Lorsqu’on analyse cette photographie, nous avons l’impression que
l’auteur cherche à nous montrer quelque chose de particulier. Il veut nous sensibiliser au
sort de ces personnes. On comprend tout de suite que celles-ci se trouvent dans un lieu
peu commun, et que la raison de cela est pour le peu inhabituelle. On repère au premier
coup d’œil qu’il s’agit d’un moment particulier de l’histoire.
77
Photographie numéro 2 :
Stanislaw Mucha, La porte d’entrée de Birkenau vue de l’extérieur du camp, entre mi-
février et mi-mars 1945
Description
Cette photographie ressemble plus à un paysage d’hiver qu’à un portrait. Elle
représente un chemin de fer sous la neige qui mène à l’entrée d’un bâtiment en brique qui
est disposé tout en longueur. Celle-ci est en noir et blanc mais elle semble avoir été prise à
la lumière du jour. Au premier plan, on peut voir un certain nombre d’objets qui semblent
avoir été jetés à cet endroit. Une fois de plus, aucun texte n’est présent.
Message plastique
-Support : Comme pour le document précédent, on ne dispose d’aucune information
précise concernant ce document. Mais par élimination, et grâce à la légende, on peut dire
qu’il s’agit probablement d’une photographie documentaire. Les photographies suivantes
étant tirées du même ouvrage, lui-même issu de la même exposition, nous pouvons en
conclure que les six prochaines seront également des photographies documentaires.
78
-Cadre : Un cadre n’apparaît pas clairement, mais il semblerait que l’auteur ait tenté d’en
créer un invisible. En effet, on sent bien la volonté de photographier ce chemin de fer,
ainsi que ce bâtiment que l’on voit entièrement. Cela nous laisse penser que le cadre se
situe bien haut au dessus du bâtiment pour que l’on puisse tout voir, y compris le clocher,
de part et d’autre de celui-ci, ainsi qu’au pied des objets posés sur le chemin de fer. Il ne
semble pas vraiment y avoir de hors-champ.
-Cadrage : Les proportions semblent respectées. On ressent une distance vis-à-vis du
bâtiment étant donné qu’il est disposé loin sur la photographie. Le chemin de fer accentue
cet effet car on a l’impression que la seule manière de pénétrer cet endroit est d’y aller en
train, que cela est impossible autrement, notamment à pieds. Par contre, il y a une certaine
proximité, surement plus humaine, de par les objets jetés par terre, qui appartiennent
forcément à quelqu’un.
-Composition : On observe une focalisation sur un point particulier de la photographie, il
s’agit de l’entrée du bâtiment. Celle-ci se situe quasiment au centre de l’image, en tous
cas, au point principal où l’œil pose son regard. On observe de plus, une construction en
profondeur avec différents plans se resserrant autour de l’élément central qui est la
porte d’entrée. Au premier plan, on voit un certain nombre d’objets laissés là, on ne
distingue pas précisément de quoi il s’agit mais il semblerait bien que cela appartienne à
des hommes. On pourrait croire que ce sont les effets personnels de plusieurs personnes,
des accessoires notamment, comme des chapeaux. Au second plan, on voit un paysage
sous la neige, avec en son cœur deux chemins de fer qui se croisent. A l’arrière plan, on
voit une bâtisse qui semble légèrement ancienne. Elle a la forme d’une grande maison
rectangulaire, cela nous fait penser à un lieu public comme un orphelinat par exemple. Au
milieu on voit une entrée, où se rejoignent les deux chemins de fer. Au dessus de celle-ci,
une sorte de tour qui semble servir de surveillance, avec une croix à sa tête. Au dernier
plan, enfin, on voit un ciel d’hiver, très gris, brumeux. La lecture, quant à elle, semble se
faire du premier plan décrit, au dernier plan, elle est donc verticale.
-Formes : Elles sont, une seconde fois, assez géométriques, notamment en ce qui
concerne le bâtiment du fond qui est un rectangle, composé d’un demi-cylindre en son
centre, ainsi que d’un carré au dessus et d’un triangle encore au dessus, se terminant par
79
une croix. L’avant plan est plus dissolu puisqu’on y voit des droites non parallèles qui
finissent par se joncher, ainsi qu’un amas de petits points. Mais si l’on regarde cet avant
plan de manière plus large, on peut y voir un triangle dont la pointe se situe à l’entrée du
bâtiment. De part et d’autre du chemin de fer, on peut également voir deux triangles
beaucoup plus petits et irréguliers. En résumé, les lignes sont plutôt droites et strictes
que rondes et courbes.
-Couleurs et éclairages : La photographie est comme la précédente, ainsi que comme
toutes les suivantes, en noir et blanc. L’éclairage est quant à lui, brumeux. On voit que la
photographie a été prise en plein air. On voit également qu’il s’agit d’un temps d’hiver,
sous la neige, notamment avec la couleur du ciel qui est d’un gris très brumeux. Tout le
paysage est clair, blanchâtre. Les seuls éléments foncés sont le chemin de fer, ainsi
que le bâtiment à l’arrière, ce qui les fait ressortir d’autant plus. Les couleurs dominantes
sont le blanc et le gris.
-Texture : Lisse, pas de relief particulier.
-Tableau récapitulatif :
Signifiants Plastiques Signifiés
Cadre Tente d’en créer un : centrer le lecteur
Cadrage Proportions respectées : réalisme
Distance importante avec bâtiment, faible avec objets
Angle de prise de vue Profondeur
Choix de l’objectif Focalisation sur la porte d’entrée
Composition Lecture verticale
Formes Géométrie : lignes droites et strictes
Couleurs Noir et Blanc : froid
Eclairage Paysage clair, chemin de fer et bâtiment en
surbrillance
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Texture Lisse, pas de relief
Message iconique
-Motifs : Photographie documentaire : Comme pour la précédente, ainsi que toutes les
suivantes, cette photographie semble vouloir montrer quelque chose qui a existé.
Créer un cadre : Il se pourrait que l’auteur ait voulu découper une scène dans un cadre
précis. En effet, étant donné qu’il s’agit d’un paysage, il n’existe pas de cadre naturel. Pour
cette raison, il a voulu centrer l’objet sur certains éléments centraux, les mettre en relief,
pour ne pas que le lecteur s’égare sur le hors champ.
Distance avec le bâtiment : Il est très éloigné sur la photographie puisqu’il se situe à
l’arrière plan. Avant celui-ci, on peut observer de multiples éléments. Cela nous donne le
sentiment qu’il est difficile d’accéder à l’entrée de ce bâtiment, qu’il faut passer des
obstacles avant d’y arriver.
Proximité humaine : Le fait que l’on puisse voir des objets appartenant à des hommes au
premier regard de la photographie, fait que l’on se sent plus proche des personnes à qui
ces effets ont appartenu, contrairement à la distance laissée face au bâtiment.
Focalisation sur la porte d’entrée du bâtiment : Elle se situe à peu près au centre de
l’image, elle a l’air d’être l’élément principal de celle-ci. Notre œil est attiré par elle, ce qui
aiguise notre curiosité, on se demande ce qu’il y a derrière cette porte, étant donné qu’on
ne voit rien alors qu’il s’agit plus d’une entrée de lieu que d’une réelle porte.
Les différents plans : Le premier, les objets, nous fait penser que des personnes ont pu
être contraintes d’abandonner leurs affaires, plus précisément qu’elles les ont jeté à cet
endroit avant de pouvoir rentrer dans l’endroit situé à quelques pas. Le second, le chemin
de fer, nous laisse penser qu’on ne peut accéder à cet endroit qu’en train puisqu’ici deux
routes différentes se croisent et se rejoignent pour entrer à l’intérieur du lieu.
Troisièmement, le bâtiment en lui-même nous fait penser à quelque chose d’anciens qui
ressemble à une bâtisse publique telle un orphelinat ou autre. Cela de par sa forme et sa
grandeur particulière. On y voit des fenêtres tout le long, ainsi que des cheminées sur le
81
toit. Il est sombre et inquiétant. Il nous fait également penser à une église, à cause de la
croix qui jalonne au centre. Le dessous de celle-ci ressemble à un quartier de surveillance
comme dans les prisons, à cause de la forme qu’il a, des fenêtres, et surtout de la hauteur.
Au dernier plan, le ciel est gris, neigeux, il fait peur, il est glacial.
La géométrie des objets : Comme dans l’image précédente, les formes sont très carrées,
rectangulaires, triangulaires. Cela est d’autant plus le cas ici car il ne s’agit pas de
portraits. Cela donne un caractère plus strict à la représentation photographique. On voit
que dans ce lieu règne ou a régné l’ordre.
Noir et Blanc : Une fois de plus, cela donne un caractère plus ancien, plus froid, plus
distant et plus inquiétant.
Le gris, couleur dominante : On voit de la brume, de la neige, du gris. Le paysage nous
glace le dos, il est froid, frissonnant. On a l’impression qu’il s’y est passé des choses
étranges, inquiétantes.
Pas de présence humaine : La scène a l’air complètement désertique, le lieu absolument
abandonné. On ne voit aucune présence humaine, aucune trace de vie, hormis les objets
abandonnés. Cela rend la scène d’autant plus perturbante.
-Interprétation : Là encore, on voit que l’auteur veut nous montrer quelque chose de précis,
cet endroit, si particulier. Lorsqu’on regarde cette photographie, on se demande ce qu’il se
passe derrière cette entrée, où ces chemins de fer mènent, pourquoi des objets sont
abandonnés. Ce que l’on pense, grâce aux tons glacés notamment et à l’ambiance un peu
morbide, c’est qu’il se passe des choses inquiétantes. On dirait que des personnes sont
retenues à cet endroit, qui ressemble à une prison, qu’elles y ont été amenées en train. On
sent que derrière ce calme apparent, des évènements graves peuvent avoir lieu derrière
ces murs, et que ceux-ci concernent des êtres humains.
82
Photographie numéro 3 :
Michael Kenna, Barbelés, Majdanek, 1993.
Description
Cette photographie est très suggestive. A première vue, elle ne représente pas
grand-chose. En observant de plus près, on peut apercevoir des grillages de barbelés, des
poteaux électriques, ainsi qu’une herbe haute.
Message iconique
-Support : Il s’agit toujours d’une photographie. Celle-ci semble un peu moins
documentaire, et un peu plus artistique. Cela car elle ne représente pas une scène
concrète. Elle n’est ni un paysage à part entière, ni un portrait, ni une nature morte. Il s’agit
plus d’un extrait de paysage, d’un élément de celui-ci, fortement zoomé.
-Cadre : Il n’y a pas de cadre apparent explicite. L’auteur semble avoir volontairement
coupé un morceau du décor. A partir de celui, le lecteur peut se poser tout un tas de
questions. Si nous n’en voyons pas plus, c’est parce que la page de la photographie est
trop petite.
83
-Cadrage : Les distances ne sont pas du tout respectées. Le photographe a fait un gros
plan sur un des éléments qui composent la représentation. Tout ce qu’il y a derrière est
flou et difficile à distinguer. Les proportions, quant à elles, ne semblent pas non plus
suivies. Le premier grillage apparaît très grand alors que ceux de derrière, tout comme les
poteaux électriques le sont beaucoup moins.
-Composition : La focalisation, sur cette image, se fait essentiellement sur le grillage
barbelé du premier plan. En effet, c’est le seul élément que l’on voit assez clairement car
tout ce qui est au second plan est particulièrement flou. La construction semble, elle
correspondre à une perspective car plus les plans sont éloignés plus ils sont de petite
taille. Il existe seulement deux plans : le premier représente un morceau de grillage de
type plutôt barbelé à cause de tous les nœuds qui le parcourent. Il y a plusieurs longueurs
parallèles quelque peu irrégulières, et une en parallèle. A l’arrière plan, on distingue, tant
bien que mal, d’autres rangées de fils barbelés partant de poteaux alignés. Sur le bas de la
page, on voit de l’herbe, touffue et haute, comme c’est le cas notamment dans les champs.
Au dessus de celle-ci, sur les trois quarts de la hauteur donc, on voit le ciel, qui est gris.
On a du mal à déterminer le sens de la lecture de l’image, on se sait pas trop par où il
faut commencer à décortiquer la photographie.
-Formes : Les formes sont très irrégulières, désordonnées. Elles sont assez molles
malgré les hachures des différents grillages.
-Couleurs et éclairages : La photographie est toujours en noir et blanc, ce qui donne
toujours un sentiment d’ancienneté, de froideur, et de distance. L’éclairage est lui assez
terne, grisâtre. Cela semble pourtant avoir été pris au cours d’une journée d’hiver, pas
particulièrement tôt, pas particulièrement tard.
-Texture : Cette photographie paraît avoir du « grain », c'est-à-dire une épaisseur, ainsi
qu’une rugosité.
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-Tableau récapitulatif :
Signifiants Plastiques Signifiés
Cadre Découpage d’un élément du paysage
Cadrage Proportions et distances non respectées : irréalisme
Angle de prise de vue Perspective
Choix de l’objectif Focalisation sur le premier plan, le grillage
Composition Pas de sens de lecture
Formes Irrégulières, molles, malgré les hachures
Couleurs Noir et Blanc : froid
Eclairage Ciel clair mais ternes et grisâtre. Paysage d’hiver.
Texture Grain : tactile, accentue effet visuel
Message plastique
-Motifs : Photographie artistique et documentaire : On sent toujours une volonté de la part
du photographe de montrer quelque chose de particulier, mais on sent également que
cette photographie a été particulièrement travaillée, que des choix particuliers ont été
effectués.
Pas de cadre : L’auteur a voulu laissé libre cours à l’imagination du lecteur.
Gros plan : On sent l’envie de mettre particulièrement en avant un élément du décor.
Celui-ci est très explicite : le grillage de barbelés. On voit immédiatement ce que ce plan
représente, notamment grâce aux différents nœuds. Cela nous fait penser à une prison.
Flou : Cela donne, à l’inverse du zoom sur le premier plan, un caractère implicite, suggestif
important. Les choses ne sont plus clairement dites, il faut essayer de les distinguer, de les
observer, de les comprendre.
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Perspective : Elle accentue cet effet de premier plan mis en avant, arrière plan estompé.
Le lecteur se concentre ainsi sur un élément particulier de l’image.
Pas de sens de lecture : La représentation est tellement peu claire qu’on ne sait pas trop
par où commencer la lecture, c'est-à-dire quoi observer en premier.
Formes irrégulières : Celle-ci questionnent encore plus le spectateur. Rien n’est très clair
ici.
Noir et Blanc : Instaure une distance qui va se mettre en contradiction avec la proximité
que soumet le gros plan.
Dominance de gris : Elle rend l’image à la fois triste et légèrement lugubre.
Grain : Il accentue l’effet visuel.
-Interprétation : A première vue, on croirait que cette photographie a été prise rapidement,
sur le vif, dans la précipitation, voire dans la crainte. Mais lorsqu’on regarde de plus près,
on voit bien qu’elle a été particulièrement travaillée. L’auteur avoir voulu mettre en avant
un aspect carcéral par un gros plan sur des fils barbelés qui nous rappellent inévitablement
la prison, comme on l’a dit, mais aussi la guerre. Mais en même temps, toute la scène est
implicite, on voit bien qu’il a voulu suggérer des choses et non les montrer clairement.
Cette photographie nous questionne, nous interroge, nous perturbe. On ne sait pas ce que
l’on doit en penser, ce qu’elle représente vraiment derrière les barbelés. Rien n’est précis
sur cette image, elle nous laisse perplexe.
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Photographie numéro 4 :
Michael Kenna, Chaussures, Majdanek, 1993
Description
Cette photographie représente un tas de chaussures. Elles sont de toutes sortes,
de toutes formes et de toutes tailles. On ne les distingue pas bien. On voit simplement
qu’elles sont toutes regroupés en vrac, de manière désordonnée. Elles sont usées, donc
visiblement elles ont appartenu à quelqu’un. Quelques rayons de soleils apparaissent au
dessus.
Message Plastique
-Support : Là encore la photographie semble à fois documentaire, et artistique.
-Cadre : Il n’existe aucun cadre. Si l’on ajoute cela à la multitude de chaussures, on croit à
une infinité.
87
-Cadrage : Les distances et les proportions sont réalistes. En effet, nous ne sommes,
nous lecteur, ni particulièrement près de l’objet représenté, ni particulièrement loin. Les
proportions sont également justes, tous les éléments sont à la même taille.
-Composition : Il n’existe pas de focalisation sur un objet particulier étant donné qu’il
s’agit du même objet répété un grand nombre de fois. Il existe une légère construction en
perspective car les chaussures de l’arrière de l’image sont un peu plus floues et un peu
moins distinguables. Ceci étant, il n’y a toutefois qu’un seul plan. Le sens de la lecture
est, quant à lui, assez inconnu.
-Formes : Elles sont molles, irrégulières. On n’observe aucun trait, aucune droite, aucun
parallèle. Tout est brouillon, mélangé.
-Couleurs et éclairages : La photographie est toujours en noir et blanc pour laisser une
certaine distance. Elle semble avoir été prise en intérieur, dans un lieu fermé mais où
circule le soleil car quelques rayons apparaissent sur les chaussures. Ils partent du bas et
remontent vers le haut de l’image. Malgré cela, elle reste très sombre.
-Texture : Elle est lisse.
-Tableau récapitulatif :
Signifiants Plastiques Signifiés
Cadre Inexistant : infinité
Cadrage Proportions et distances respectées : réalisme
Angle de prise de vue Légère perspective
Choix de l’objectif Pas de focalisation. Multiplicité d’objets identiques
Composition Pas de sens de lecture
Formes Irrégulières, molles
Couleurs Noir et Blanc : distance
Eclairage Assez sombre : intérieur. Quelques rayons
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de soleil
Texture Lisse
Message Iconique
-Motifs : Photographie documentaire et artistique : Elle est artistique car on voit bien la
mise en forme de la photographie. Le photographe a disposé ces chaussures de cette
manière là, volontairement pour créer un certain effet. On voit également qu’il existe un
message derrière cette représentation artistique.
Aucun cadre : Il y a une volonté de ne pas faire apparaître de cadre pour donner une
impression d’infinité. En effet, étant donné que sur la photographie on voit un nombre
important de chaussures, si l’on ne pose pas de limites visuelles, cela signifie qu’il n’y en a
peut être pas. Dans l’imaginaire du lecteur, il peut y en avoir encore et encore dans le hors
champ.
Distances et Proportions réalistes : Volonté de montrer quelque chose qui existe, qui est
familier à tous, que tout le monde emploie forcément. Pour ces raisons, les distances et
proportions doivent rester réalistes.
Pas de focalisation particulière : Notre regard n’est pas directement porté sur un élément
particulier. Au contraire, il est subjugué par un tout. C’est la multiplication de l’objet qui
attire le spectateur, et non pas la focalisation sur un élément.
Légère perspective : C’est, entre autre, pour cette raison, qu’on peut penser que la
photographie est artistique. En effet, cette perspective n’a pas de sens particulier, si ce
n’est peut être un aspect plus esthétique de l’image.
Un seul plan, pas de sens de lecture : Cela accentue l’idée que l’auteur n’a volontairement
rien mis de particulier en avant, pour que le lecteur soit absorbé par toutes ces chaussures
dans un ordre diffus.
Formes molles : Pas de rigidité, souplesse.
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Noir et Blanc : Toujours un sentiment de distance.
Intérieur sombre : On voit que les chaussures ont été rassemblées dans un lieu fermé,
assez sombre. On na sait pas vraiment où, ni pourquoi.
Soleil : Les rayons apparaissent comme des lueurs d’espoir dans cette obscurité et ces
chaussures sans fin qui ont forcément appartenu à des personnes. Plus les chaussures
sont nombreuses, plus les personnes qui les ont portées le sont aussi. On se demande à
qui elles ont appartenu et pourquoi elles sont ici.
-Interprétation : La chaussure est un objet familier. On sait qu’il est indispensable à la vie
quotidienne. Or, ici, on voit un nombre incalculable de chaussures usées jetées en tas, on
pense forcément qu’elles ont appartenues à de nombreuses personnes. Cette image nous
amène à nous questionner, nous demander ce que font ces chaussures regroupées, à qui
elles ont appartenu, où sont ces personnes. On a le forcément le sentiment qu’il leur est
arrivé quelque chose. D’autant plus, par le fait que la photographie semble avoir était prise
dans un lieu clos. Malgré tout, les lueurs de soleil apparaissent comme des lueurs d’espoir,
comme on l’a déjà dit.
Photographie numéro 5 :
George Rodger, Cadavres de détenus sous les arbres à Bergen-Belsen, vers le 20 avril 1945
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Description
Il s’agit ici d’un paysage. On y voit une forêt avec de nombreux arbres aux troncs
longs et fins, ce qui fait que l’on peut voir entre eux. Au sol, il y a de l’herbe, et de la terre.
A cet endroit, on distingue des formes allongées sur le sol, des couvertures les recouvrant.
On ne distingue pas très bien de quoi il s’agit bien qu’on en ait une vague idée.
Message Plastique
-Support : Il s’agit là encore d’une photographie documentaire, mais celle-ci ne semble
pas particulièrement artistique.
-Cadre : Comme dans l’image précédente, aucun cadre n’apparaît, si bien que, de la
même manière que pour la précédente, on a le sentiment que ce même paysage continue
dans le hors champ. On a donc également un sentiment de multiplicité.
-Cadrage : Les proportions sont bien respectées. On a réellement le sentiment d’être
spectateur de cette scène car les arbres devant nous sont plus grands que les suivants,
comme ce serait le cas dans la réalité ; ils sortent même de la photographie. Les
distances sont elles aussi respectées car nous ne sommes ni trop près, ni trop loin des
premiers « tas » disposés sous les couvertures.
-Composition : Il n’y a pas de focalisation particulière. A l’inverse, comme dans la
photographie précédente, c’est la multiplicité des objets de l’image qui attire le regard du
lecteur. On voit une construction en profondeur avec trois plans différents. Au premier,
on voit seulement la grandeur des trois premiers arbres. Au second, les arbres paraissent
plus petits, on les distingue entièrement, et au sol apparaissent ces « tas » recouverts. Au
dernier plan, on voit toujours des arbres, toujours plus petits, mais rien au sol. Il existe
donc une perspective puisque les arbres sont de plus en plus petits au fur et à mesure de
la photographie. La lecture semble se faire de manière verticale.
-Formes : Il y a une opposition entre les formes que l’on voit à l’horizontale et celles à la
verticale. Les premières sont plutôt molles et diffuses. Il s’agit du feuillage des arbres,
91
ainsi que des couvertures. Les secondes sont, au contraire, bien droites et parallèles. Ce
sont les troncs d’arbre.
-Couleurs et éclairages : La photographie est en noir et blanc donc il y a toujours de la
distance. En ce qui concerne l’éclairage, on voit que la scène a été immortalisée en
extérieur, la journée. Le ton clair de l’image, et l’ombre que produisent les arbres montrent
qu’il y avait du soleil.
-Texture : Elle semble lisse.
-Tableau récapitulatif :
Signifiants Plastiques Signifiés
Cadre Tente d’en créer un : centrer le lecteur
Cadrage Proportions respectées : réalisme
Distance importante avec bâtiment, faible avec objets
Angle de prise de vue Profondeur
Choix de l’objectif Focalisation sur la porte d’entrée
Composition Lecture verticale
Formes Géométrie : lignes droites et strictes
Couleurs Noir et Blanc : froid
Eclairage Paysage clair, chemin de fer et bâtiment en surbrillance
Texture Lisse, pas de relief
Message Iconique
-Motifs : Photographie documentaire : Elle doit donc nous montrer quelque chose, et nous
devons nous questionner sur ce que l’on observe.
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Pas de cadre : L’auteur fait en sorte que l’on ait l’impression que la scène continue dans le
hors champs. Il y aurait donc des arbres encore et encore, mais également des tas de
choses couvertes, encore et encore.
Proportions et distances respectées. Cela donne un sentiment de réalité. De cette
manière, le lecteur se projette plus facilement dans la scène.
Les différents plans : Il s’agit de deux plans neutres, banals, quotidiens d’une forêt. Mais
au milieu de ceux-ci, on voit des choses étranges, complètement inhabituelles,
inquiétantes. On ne sait pas de quoi il s’agit. L’auteur a probablement souhaité
photographier la scène ainsi, avec ceci en second plan pour attirer plus rapidement l’œil
dessus.
Les couvertures : A la base, elles n’ont rien à faire dans ce décor, elles y sont
complètement étrangères. On ne voit pas bien se qu’il se cache dessous. On distingue
certaines formes qui semblent humaines. On a donc l’impression que ce sont des corps
d’êtres humains qui gisent à cet endroit là. On n’en est pas certain mais cela y ressemble.
D’autant plus, qu’en général, lorsqu’un corps est retrouvé, on le couvre avec une
couverture. Cela rend la scène complètement glauque, elle qui paraissait banale.
Opposition de formes : Les troncs des arbres s’opposent aux couvertures. Ou en d’autres
termes, la banalité des arbres s’oppose à l’étrangéité des couvertures. Les formes du
feuillage des arbres semblent vouloir cacher l’atrocité posée sur le sol.
Noir et Blanc : La disposition des éléments de la photographie, la manière dont elle a été
prise etc. fait que le spectateur se projette assez rapidement dedans. Le noir et blanc pour
nous permettre de garder une certaine distance avec la scène.
Soleil : Cela rend la représentation encore plus glauque, et renforce encore plus l’idée
d’opposition entre une forêt ensoleillée et paisible et un tas de corps morts abandonnés ici.
-Interprétation : L’auteur souhaite nous mener vers tout un questionnement autour d’un
lieu, qui à la base, semble des plus familiers. Il veut que l’on se demande d’abord ce qui se
trouve sous ces couvertures. Il laisse planer le doute sur leur nature, on pense que ce sont
des corps d’humains mais on n’en est pas certain. Et si tel était le cas, on veut savoir qui
93
ils sont, pourquoi ils sont morts, s’ils ont été tués, pour quelle raison ils sont à cet endroit.
Le lecteur a le sentiment qu’elles ont été tuées et jetées ici, dans cet endroit calme, à l’abri
du regard. Les couvertures, ainsi que le feuillage sont là pour les dissimuler, pour que
personne ne les trouve.
Photographie numéro 6 :
Sergent Norman Midgley (AFPU), Survivantes épluchant des pommes de terre et préparant leur
repas à proximité de cadavres de détenus, Bergen-Belsen, 17 ou 18 avril 1945
Description
Cette photographie est composée de nombreux éléments. D’abord on voit deux
femmes assise par terre, sur de l’herbe, aux aguets d’une forêt, en train de préparer à
manger. A côté d’elles, une autre femme est allongée par terre, coupée par la
photographie. Elles sont vêtues de manteaux anciens. L’une d’elle porte même un foulard
sur la tête. Devant elle, il y a des ustensiles de cuisine, et à leur droite une remorque. Plus
loin, on voit des formes affalées au sol, et une autre femme au milieu de celles-ci. Enfin, au
loin, on voit des arbres, une forêt probablement. Encore plus loin, on ne distingue pas bien,
mais il semble y avoir des maisons, ainsi que des personnes qui marchent.
94
Message plastique
-Support : C’est toujours une photographie documentaire.
-Cadre : On n’observe aucun cadre, et l’auteur n’a pas voulu en crée un virtuellement car
de part et d’autre de la photographie, à gauche et à droite des éléments sont coupés (la
brouette et la femme allongée).
-Cadrage : Les proportions et les distances sont toutes respectées. Tout semble réel à
ce niveau là.
-Composition : Ici, il y a tellement d’éléments qu’on ne peut pas porter son attention sur un
seul. Il n’y a donc pas de focalisation particulière. Par contre, il y a une construction en
profondeur particulière avec quatre plans. Au premier, on voit les deux femmes qui
cuisinent et celle de droite qui est allongée. Au second plan, il y a des choses empilées au
sol, on ne distingue pas trop de quoi il s’agit mais on dirait que l’on voit des têtes et des
bras. Il pourrait donc s’agir de corps humains inanimés. Une femme marche au milieu de
ceux-ci, enroulée dans un grand manteau. Derrière eux, on voit comme une forêt, avec les
mêmes arbres aux troncs fins que sur la photographie précédente. Tout au fond, on ne voit
pas très bien mais on dirait que des personnes marchent devant des bâtiments,
notamment du côté droit. Il n’y a pas de perspective particulière. La lecture semble se
faire de manière verticale.
-Formes : Les hachures des troncs d’arbres contrastent avec les formes rondes et
molles des différentes personnes, ainsi que des surement cadavres qui jonchent le sol.
-Couleurs et éclairages : La photographie est en noir blanc. Les tons sont obscurs. Elle a
été prise en extérieur mais surement à la lueur d’une lumière hivernale.
-Texture : la texture est lisse.
-Tableau récapitulatif :
Signifiants Plastiques Signifiés
Cadre Pas de cadre
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Cadrage Proportions et distances respectées : réalisme
Angle de prise de vue Construction en profondeur avec quatre plans
Choix de l’objectif Pas de focalisations, éléments nombreux
Composition Lecture verticale
Formes Principalement molles et rondes mais hachures des troncs d’arbre
Couleurs Noir et Blanc
Eclairage Lumière sombre
Texture Lisse
-Motifs : Photographie documentaire : Elle montre une scène des plus étranges.
Aucun cadre : Cela donne le sentiment que la scène continue en dehors du cadre de la
photographie. Cet effet est accentué par le fait certains éléments, comme la femme de
droite ou la brouette, soient coupés.
Proportions et distances respectées : Cela donne une plus grande crédibilité à la scène.
Pas de focalisation : A première vue, on pourrait croire qu’il y aurait une focalisation sur les
trois femmes du premier plan. Mais finalement, il y a tellement d’éléments sur cette image
qu’une focalisation seule n’est pas vraiment possible.
Nombreux plans : Cela accentue le fait que la scène soit chargée. On ne sait pas trop où
regarder. Si on pose son regard sur un point, on risque de passer à côté d’autres objets
importants de la photographie.
Pas de perspective : Cela donne l’impression que l’on assiste à la scène, que l’on est face
à ces personnes. Cela la rend plus réelle.
Noir et blanc : Remet la photo dans le contexte d’une photo. Instaure donc une distance
entre lecteur et image.
96
Tons obscurs : Cela rend la scène plus froide.
-Pose des modèles : La première dame semble éplucher quelque chose, le sourire aux
lèvres. La seconde est autour de trois gamelles, en train de préparer à manger. La
dernière est couchée sur le côté, enroulée dans une couverture. Comme cela a déjà était
abordé, les deux de droite portent de larges manteaux anciens et des foulards sur la tête,
ainsi que des bottes aux pieds. Celle de gauche semble vêtue d’une sorte d’uniforme, avec
de grosses chaussures aux pieds. Celle-ci a l’air de sourire alors que les deux autres
semblent plutôt fatiguées. Seule la troisième regarde en direction de l’objectif mais son
regard paraît vague. Dans la forêt, on aperçoit deux silhouettes plutôt féminines habillées
de noir, portant toujours manteaux et foulard. Encore plus loin, on distingue à peine
d’autres petites silhouettes noires qui marchent, mais on ne peut pas dire grand-chose
dessus.
-Interprétation : Cette scène est très troublante, elle fait très peur car on se retrouve face à
une multitude de contraste. D’une part, des femmes préparent à manger, ce qui est assez
banal, qui fait partie du quotidien. Pourtant, elles sont dehors, probablement en plein hiver,
ce qui est déjà étrange. Mais ce qui nous glace le sang, c’est que derrière elles, on
aperçoit des choses qui ressemblent fortement à des corps déchiquetés les uns sur les
autres. Au-delà de la dénonciation, l’auteur a l’air de vouloir nous choquer en nous
montrant une scène des plus immondes.
97
Photographie numéro 7
Margaret Bourke-White, Cadavres de détenus empilés dans une remorque, Buchenwald, avril
1945.
Description
Cette photographie est beaucoup plus expressive que les précédentes. Ici, tout est
clair et explicit. On voit plusieurs dizaines de corps humains tous empilés les uns sur les
autres posés sur une plaque en béton qui ressemble à l’arrière d’un véhicule, un camion
par exemple. On voit de nombreux pieds, ainsi que des cranes ou des têtes d’hommes.
Message plastique
-Support : Il s’agit une fois de plus d’une photographie documentaire, nous n’avons
aucun doute dessus. Une telle image n’a pu prise que pour dénoncer quelque chose.
-Cadre : Comme pour les précédentes, il n’y a pas de réel cadre. Et au contraire, le fait
qu’on ne voit pas les extrémités, c'est-à-dire ni le début, ni la fin de cette chaine humaine,
nous donne le sentiment que cela se poursuit dans le hors champ.
98
-Cadrage : Les proportions semblent respectées. Les corps semblent être de taille
normale. Les distances semblent elles accentuées. En effet, on a le sentiment, en tant
que spectateur, d’être très proche physiquement des corps. Ils ont été zoomés,
probablement pour qu’on les distingue mieux.
-Composition : Comme pour les deux précédentes, il n’y a pas une focalisation sur un
point particulier de l’image mais sur la multiplicité des corps, le fait qu’ils soient
nombreux. Cela nous donne encore une fois un sentiment de numérosité. On n’observe
pas de construction en profondeur avec différents plans. Le seul élément que l’on voit en
dehors des corps, et qui est légèrement en retrait est le ciel. On peut par contre distinguer
une petite perspective verticale car les corps de gauche semblent un plus grands que
ceux de droite. La lecture se ferait donc peut être de manière verticale également, de la
gauche vers la droite.
-Formes : Il existe un paradoxe au niveau des formes. A la fois, elles sont molles car les
corps ne sont pas symétriques, que chacun est unique et courbes. A la fois, elles sont
assez droites, triangulaires notamment. En effet, de par la perspective, le béton semble
avoir une forme triangulaire puisqu’il se resserre vers la droite. Il en va de même pour les
corps, ainsi que pour le ciel.
-Couleurs et éclairages : La couleur est toujours le noir et blanc. L’éclairage est assez
clair, il s’agit surement de la lumière du jour.
-Texture : On peut dire que photographie possède du grain à cause des formes des corps
qui semblent être en relief.
-Tableau récapitulatif :
Signifiants Plastiques Signifiés
Cadre Pas de cadre : numérosité
Cadrage Proportions respectées : réalisme
Proximité à cause du zoom
Angle de prise de vue Légère perspective
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Choix de l’objectif Focalisation sur la multiplicité des corps
Composition Lecture verticale
Formes Paradoxe
Couleurs Noir et Blanc
Eclairage Lumière claire
Texture Grain
Message iconique
-Motifs : Photographie documentaire : L’auteur veut dénoncer quelque chose de grave qui
ressemble à un massacre.
Pas de cadre : On ne voit les extrémités du camion où sont disposés les corps. Cela nous
fait penser qu’il y en a encore plus que ce que l’on voit.
Distance accentuée : Le fait que les corps soient zoomés, cela fait que le spectateur se
sent encore plus proche d’eux.
Focalisation sur la multiplicité des corps : Le but est de montrer qu’ils sont nombreux. Ce
ressenti s’accentue avec la légère perspective qu’a employée le photographe.
Pas de plans : Si tel est le cas, c’est pour que l’attention du lecteur ne soit portée que sur
ces corps, et non pas sur d’autres éléments de la photographie.
Paradoxe des formes : Ici, les formes molles des corps meurtris s’opposent aux formes
triangulaires, strictes donc.
Eclairage clair : Il contraste complètement avec l’atrocité de la scène. Il lui donne un peu
de douceur.
Grain : Il accentue l’empathie qu’éprouve le lecteur à l’égard des cadavres.
-Interprétation : En voyant cette scène, on a le sentiment que quelque chose de très grave
s’est déroulé, et que de cela, découle un grand nombre de victimes dont les corps sont
100
jetés comme des torchons ici. On sent que ce qu’il s’est passé était violent, et les crimes
indénombrables. Cela d’abord à cause du nombre important de cadavres observés, du fait
qu’on se doute qu’il y en a encore après le cadrage de la photographie, et surtout par le
fait qu’ils soient empilés par centaine sur un camion en béton, comme s’ils étaient de
simples déchets qui partaient aux ordures. Le photographe a mis en place de plusieurs
effets, notamment d’accentuation, pour que la scène soit des plus glaçantes, ce qui est le
cas.
Photographie numéro 8
Sergent Harry Oakes (AFPU), Le Dr. Klein au milieu des cadavres de détenus dans une fosse
commune à Bergen-Belsen, entre le 21 et 24 avril 1945
Description
Cette photographie est assez troublante. On voit un extrait d’une énorme fosse où
sont affalés un tas de corps sans vie. Ils ont l’air déchirés, on ne dirait même plus qu’il
s’agit d’humains. Au milieu d’eux, on voit un homme en uniforme avec un chapeau sur la
tête. Un peu plus loin, un autre homme a l’air de vouloir sortir de cette fosse. Au dessus de
101
celle-ci quatre autres hommes marchent. Ils sont également en tenue militaire et deux
d’entre eux tiennent un fusil à la main. Derrière eux, il y a des meutes de terres,
certainement celles que l’on a retirées pour creuser la fosse. Au fond, on peut apercevoir
un arbre nu, ainsi qu’un bâtiment de forme rectangulaire.
Message plastique
-Support : C’est toujours une photographie documentaire.
-Cadre : Il n’y a pas de cadre car la photographie est coupée de part et d’autre. Elle ne
semble pas assez grande pour que l’on en voie tout son contenu.
-Cadrage : Les proportions et les distances sont toutes respectées.
-Composition : Il y a de nombreux éléments sur cette photographie mais il se pourrait qu’il
y ait une focalisation particulière sur l’homme en uniforme au milieu de la fosse. En
effet, il est situé au centre de la photographie, en avant plan. La construction de la
photographie est particulière. On peut distinguer une profondeur et différents plans,
mais cela difficilement. On dirait qu’au premier plan il y a la fosse, au second les parois de
celle-ci et les meutes avec les soldats qui courent à cet endroit. Au dernier plan, il y a le
bâtiment. Mais cela ne se distingue pas clairement. Il n’y a pas de perspective
particulière. La lecture semble se faire de manière verticale du bas vers le haut.
-Formes : Elles sont plutôt molles.
-Couleurs et éclairages : La photographie est en noir blanc. Les tons sont clairs. Elle a
été prise en extérieur.
-Texture : la texture est lisse.
-Tableau récapitulatif :
Signifiants Plastiques Signifiés
Cadre Pas de cadre
Cadrage Proportions et distances respectées
102
Angle de prise de vue Légère construction en profondeur avec trois plans
Choix de l’objectif Focalisation sur l’homme au centre
Composition Lecture verticale
Formes Principalement molles
Couleurs Noir et Blanc
Eclairage Lumière claire
Texture Lisse
-Motifs : Photographie documentaire : L’auteur doit vouloir dénoncer un évènement
dramatique.
Pas de cadre : II a probablement souhaité qu’il n’y ait pas de cadre sur cette photographie
pour que le spectateur se rende compte de l’énormité de la fosse, ainsi que de la quantité
de personnes mortes à cet endroit.
Proportions et distances respectées : Le but est que la scène soit assez crédible car
lorsqu’on la voit, on l’impression que ce n’est pas possible.
Focalisation sur l’homme : Il semble vouloir montrer une personne bien vivante, qui
marche, et qui respire, au milieu de ce tas de chair et d’os.
Plans difficilement distinguables : Le but est que notre attention soit portée principalement
sur l’homme, ainsi que sur la quantité de corps.
Pas de perspective : Ainsi, le spectateur a plus l’impression d’assister à la scène, d’y être
présent.
Formes molles : Accentue l’effet de corps sans vie.
Noir et blanc : Il permet de se détacher de la vue de cette scène terrible.
Tons clairs : Ils contrastent avec l’horreur de la scène.
103
-Pose des modèles : Comme nous l’avons déjà évoqué, il y a six hommes sur cette image.
Tous semblent être militaires. Cela à cause de leur tenue et de leur chapeau. Ceux qui
sont au dessus de la fosse ont l’air de surveiller. Deux tiennent une arme à la main, deux
autres sont en train de courir. Un de ceux qui est dans la fosse semble se diriger vers
l’extérieur, peut être aide-t-il quelqu’un à en faire autant. On ne voit pas très bien. Enfin, le
personnage central est au milieu de la fosse. Il a l’air habillé un peu différemment. Peut
être est ce le chef. Il a les jambes écartés entre plusieurs corps et observe le massacre.
Aucun d’entre eux ne regarde en direction de l’objectif.
-Interprétation : Cette photographie est la plus expressive de toutes, on voit ici très
clairement de quoi il s’agit. Elle nous immédiatement penser à la seconde guerre mondiale
et au génocide nazi. Elle a probablement été prise après la guerre, et doit servir de preuve
à l’énormité de l’extermination. Cela paraît irréel tellement la fosse est grande, et par
conséquent, les corps à l’intérieur sont nombreux. On voit bien qu’ils ont été mal traités. La
scène est difficile à observer tellement elle est effrayante.
N.B : Je n’ai volontairement fait aucune analyse linguistique, comme le fait Martine Joly,
car il n’y a de texte sur aucune des photographies sélectionnées.
Au cours de ces différentes analyses sémiologiques d’images, nous avons pu
nous rendre compte que la plupart du temps, le but de l’auteur est de montrer, prouver ou
dénoncer. Cela est le cas pour la majorité des photographies documentaires. Ici, elles sont
toutes de cette nature. Ces images sont issues de la seconde guerre mondiale. Par
conséquent, on peut en déduire que les différents photographes voulaient montrer les
conditions de vie des déportés, certains visages, ou encore le non respect de l’être humain
notamment en ce qui concerne les photos de cadavres jetés comme de vulgaires chiffons.
Cependant, on s’est également rendus compte au cours des analyses que souvent les
détails sont amplifiés voire exagérés de manière à choquer l’œil du lecteur, à le toucher au
plus profond de lui-même. On s’est également aperçus qu’il existe des stéréotypes de
cette période qui permettent de rendre compte de ce phénomène : l’hiver, le froid, les
chemins de fer etc. Il est important de prendre en considération les contextes dans
104
lesquels ont été prises ces photos, leurs auteurs, et ce qu’elles devaient représenter. Par
ce qu’une photographie non légendée peut dire tout et son contraire. C’est tout l’objet du
travail de Clément Chéroux, et c’est également celui de ma partie suivante.
105
2. Légendes et contextes, des pièces à conviction
Nous savons qu’il existe énormément de photographie issues de la seconde
guerre mondiale. On parle d’un million et demi d’images réparties dans une demi-douzaine
de pays. C’est le sujet le plus reproduit par la photographie. Ces images de la guerre
constituent à elles seules un corpus rescapé très consistant. Pourtant, un problème se
pose, c’est que celui-ci est complètement éclaté et mélangé. Par conséquent, il règne une
grande confusion autour de ces photographies, comme nous l’explique Clément
Chéroux82. En effet, beaucoup ne sont pas légendées, et pour celles qui le sont, elles sont
erronées. Il manque toute une contextualisation autour des photographies : lieu, date,
identité, statut du photographe etc. Elles ont été fortement montrées, diffusées,
reproduites, dupliquées à nouveau… donc au bout d’un moment, forcément, le contexte se
perd. Ce qui compte, c’est ce que l’on voit, le côté recto. Ce qui est écrit sur le verso
intéresse moins, c'est-à-dire toutes les informations indispensables à la compréhension de
la photographie. « La photo-choc l’emporte sur la photo-doc », écrit Chéroux. Plus l’image
est horrible, moins elle a besoin d’une légende. Petit à petit, les photos deviennent des
images muettes qui ne « disent » plus rien sur la réalité qui est montrée. Leurs messages
sont confus, on ne les comprend plus vraiment. Elles sont, avec le temps, réduites à des
symboles de l’horreur, dans lesquelles on pioche pour montrer la barbarie nazie. Il est
pourtant important de redonner une valeur documentaire aux photographies cachée sous
les multiples reproductions. C’est tellement devenu un problème aujourd’hui, que les
négationnistes s’appuient sur cette importante faille pour étayer leurs propos.
Cette partie est la synthèse de l’administration d’un questionnaire contenant des
photographies sans légendes, à un échantillon de personnes, devant expliquer ce qui est
représenté, selon lui, sur l’image.
82 CHEROUX Clément (dir.), Mémoire des camps : photographies des camps de concentration et
d’extermination nazis, Paris, Marval, 2001, 246 pages.
106
Objectifs
Cette idée de confusion et d’imprécision m’a inspirée. J’ai ainsi décidé de prouver
qu’une photographie sans légende n’avait bien souvent que peu de valeur, que les
personnes qui se retrouvaient face à celles-ci ne pourraient pas clairement les identifier, si
on ne leur en donnait pas le contexte. Pour cela, j’ai établi un questionnaire regroupant un
corpus de trois photographies issues elles aussi de l’ouvrage de Chéroux. Je les ai
sélectionnées car connaissant pourtant le contexte, lorsque je me suis retrouvée
confrontée à celles-ci, je n’ai pas su de quoi il s’agissait avant d’en avoir lu la légende. Je
me suis donc dit qu’il serait intéressant de questionner un échantillon de personnes pour
voir si eux sauraient reconnaître ce qui est représenté sur ces photographies.
Photographies choisies
La première a été prise par Michael Kenna, à Majdanek, en 1998. Elle représente
une chambre à gaz. La seconde est de Margaret Bourke-White, elle illustre un soldat américain
montrant des morceaux de peau humaine où sont dessinés des tatouages. Elle a été collectée par
Ilse Koch en avril 1945 à Buchenwald. La dernière, quant à elle, fait ressortir des matricules
tatoués sur des bras d’anciens déportés des camps d’Auschwitz-Birkenau. Elle est issue d’une
série de photographie de Gilles Cohen au début des années 1990. J’ai donc rassemblé ces trois
photographies sur un document.
Consignes
La consigne était simple. Il suffisait de répondre à deux questions :
- « Que voyez-vous sur cette image ? »
- « A quoi cela vous fait-il penser ? »
Conditions
Les conditions étaient que les examinassions de photographies se fassent dans l’ordre
numéroté (1, 2, 3) pour ne pas être influencé par les photographies suivantes. La seconde
condition était que la personne réalise cela seule sans consulter quelqu’un d’autre. Je demandais
également en premier lieu, le sexe, l’âge, et la profession de la personne pour montrer que
l’échantillon était bien disparate. Enfin, je disais seulement que je travaillais sur un mémoire
107
concernant la photographie, sans entrer dans les détails, pour que les sujets ne disposent
pas du contexte. A la fin de cela, si elles étaient intéressées, je leur donnais la légende des
photographies et leur expliquait ce sur quoi je travaillais précisément.
Echantillon
Mon corpus se compose finalement de quatre-vingt personnes. Toutes ayant entre
19 et 58 ans. Les catégories socio professionnelles sont, quant à elles, très diverses. Une
partie des sujets est étudiante, les autres travaillent dans des secteurs variés.
Observations
Les réponses que j’ai observées après le passage des questionnaires étaient
assez similaires.
Pour la première, celle représentant une ancienne chambre à gaz, les gens
disaient voir un lieu sombre, lugubre, glauque, bétonné. Ils le trouvaient vieux et sale,
pensaient qu’il était abandonné. Plusieurs thèmes sont revenus régulièrement, d’abord, un
endroit sous-terrain. En effet, les trois quarts des personnes ont pensé qu’il s’agissait d’un
sous-sol ou d’une cave, ou pourquoi pas d’un garage ou d’un parking. On m’a également
beaucoup parlé d’un lieu s’apparentant à une prison : cellule, geôle, salle où on enferme
les gens, prisonniers politiques notamment. Les sujets ont également particulièrement
évoqué un ancien lieu de travail, tel un bâtiment de stockage, un local, un bâtiment
industriel, un hangar agricole, une usine, un entrepôt ou encore une fabrique, lieu ancien
et abandonné, bien entendu. Des termes plus inquiets sont également apparus, on a, par
exemple, évoqué un lieu malsain, un film d’horreur, une pièce incendiée. J’ai également pu
lire maison abandonnée ou non terminée, immeuble, dessous d’une ville, squat, ou encore
labyrinthe. Enfin, le thème de la guerre a quelque peu était observé. J’ai pu lire qu’il
s’agissait d’une salle de torture, ou d’un blockhaus. On m’a dit que cela renvoyait à
l’esclavage ou à la Shoah. Une seule personne m’a parlé de pièce à gazer. Le terme
exact, chambre à gaz, n’a jamais été cité. Dans tous les cas, il m’a été dit que c’était un
endroit qui faisait peur, où il se passait des choses malsaines, anormales. En résumé, les
adjectifs les plus employés ont été désaffecté, ancien, abandonné, et glauque. Des
personnes m’ont dit que cette pièce se situait en Irak, à l’Est, ou au Moyen Orient.
108
La seconde photographie, les tatouages sur les morceaux de peau humaine, est
celle qui a le plus laissé les sujets le plus perplexes. Beaucoup d’entre eux se sont
attardés sur la signification des dessins que l’on pouvait voir. Ainsi, on a souvent écrit qu’il
s’agissait d’une histoire d’amour, et de pirates. Beaucoup ont parlé de Napoléon
Bonaparte avec un oiseau de mauvais augure au dessus de sa tête, un aigle notamment.
D’autre ont raconté qu’il existait une histoire imaginaire entre l’homme qui tient les dessins
et la femme dessinée. La plupart ont évoqué une relation amoureuse, et une femme qui
rêve d’évasion. Une personne m’a parlé d’une opposition entre légèreté et puissance, un
contraste entre joies, vacances, et guerre. Le support était soit un papier, un vitrail, ou
encore une gravure. En ce qui concerne l’homme lui-même, il m’a souvent été dit qu’il
s’agissait d’un historien, un guide ou gardien de musée. Pour d’autres, il s’agissait
simplement d’un tatoueur, mais aussi d’un vendeur de métro, ou à la sauvette. Plusieurs
ont évoqué un commissaire ou un enquêteur travaillant sur une affaire. C’est une personne
résignée, qui fait partie de la gestapo, ou un soldat selon l’un des sujets. Pour la
photographie elle-même, la grande majorité a pensé qu’il s’agissait d’une personne de
notre époque ayant trouvé des dessins souvent anciens et de grande valeur. On parle
d’esquisses, de parchemins, de tableaux, de photographies, de bandes-dessinées, de
découvertes artistiques ou œuvres d’art. Souvent, on dit que c’est l’artiste lui-même qui
montre son talent. Mais pour d’autres, il s’agit de découvertes archéologiques, de
témoignages, de modèles de tatouage, ou encore de dessins d’enfants. Dans la plupart
des cas, l’homme était fier de les montrer, car ils sont de valeur. En ce qui concerne la
guerre, la prison, ou les camps de concentration, j’ai pu lire que les dessins avaient été
réalisés par des prisonniers, ou qu’ils avaient été récupérés dans des camps de
concentration, ou encore que les symboles avaient un lien avec les étoiles de David ou
l’holocauste. Mais ils ont été, en règle générale, très peu nombreux à avoir abordé cette
thématique. C’est ce qui se rapproche le plus de la réalité car personne n’a trouvé ce que
représentait vraiment cette photographie. Et même lorsque je le leur disais ensuite, les
gens étaient surpris, et me disaient qu’ils ne l’auraient jamais trouvé. Les adjectifs les plus
souvent utilisés ont été « anciens » en ce qui concerne les découvertes, de l’époque de
Christophe Colomb, notamment. J’ai également pu lire « importants », « essentiels », « de
109
grande valeur », au sujet des « œuvres ». Enfin, on a souvent dit que l’homme était très
« fier ».
Pour la dernière photo, celle qui concerne d’anciens déportés ayant leur numéro
d’immatriculation tatoué sur le bras, cela a été beaucoup plus simple. En effet, les
numéros tatoués sur un bras font partis des symboles très connus de la seconde guerre
mondiale, par conséquent, les sujets ont eu beaucoup plus de facilités à voir ce qui était
représenté. En règle générale, le thème de la prison a été fortement évoqué. On m’a parlé
en très grande majorité d’une personne incarcérée, un ancien prisonnier, un bagnard, un
taulard. Quelqu’un m’a dit que c’était plus particulièrement un prisonnier de guerre. La
plupart du temps, il m’a été dit que l’homme sortait de prison, et qu’il allait continuer sa vie.
D’autres ont dit qu’il était, à ce moment là, au parloir. Un autre sujet a dit qu’il devait être
ligoté ou sur le point d’être menotté. Un certain a évoqué, à juste titre, un ancien déporté,
un juif avec son matricule tatoué sur le bras. Le symbole sous le chiffre a laissé plusieurs
personnes perplexes, pour plusieurs il s’agit d’un cœur, et on ne comprend pas forcément
pour quelle raison il est ici, pour une autre personne, c’est un triangle qui représente les
homosexuels lors de la déportation des juifs. Le chiffre en lui-même a pu être identifié à
une date importante. De multiples personnes se sont attardées sur la signification de la
position des mains. Certains ont dit qu’il s’agissait là d’une situation de protection, comme
l’homme cachait quelque chose qu’il voulait protéger ou préserver. Pour quelqu’un d’autre,
la personne est en train de réaliser un massage cardiaque. Plusieurs sujets ont évoqué un
évènement important, un mariage notamment. L’anneau autour de l’annulaire évoque
l’espoir. On dit qu’il s’agit de l’union de deux personnes, que c’est une personne qui refait
sa vie ou qui demande pardon. Beaucoup pensent que l’homme a fortement souffert, mais
qu’aujourd’hui sa vie est plus belle. C’est l’explication la plus retrouvée, par opposition à la
seconde qui est plus noire, plus inquiétante. Celle-ci est de dire que l’homme a été tatoué
de force, qu’il est inerte sur le sol, étendu, qu’il est dans un camp de concentration. On a
dit qu’il n’y avait rien de bon : du travail forcé, ou encore de la drogue. Dans la plupart des
cas, c’est un homme qui raconte son histoire. Tous, sans exception, ont compris que les
numéros étaient significatifs, et qu’il ne s’agissait pas de numéros ayant une explication
due au hasard. En règle générale, on m’a parlé d’un vieil homme ayant souffert, et très
régulièrement d’un prisonnier de longue date. On a souvent écrit que la personne avait
110
refait sa vie, qu’aujourd’hui cela allait mieux, notamment par rapport à l’alliance qu’elle
porte. On parle souvent de souffrance et d’espoir. Pour certains, les bras étaient sales et
maigres, et le reste du corps probablement étendu sur le sol. Mais beaucoup ont bien
compris qu’il s’agissait de bras d’une personne déportée pendant la guerre, et que le
numéro tatoué était son numéro d’immatriculation, ou en tous cas, que la personne
photographiée avait un rapport avec les camps de concentration. Le symbole sous le
numéro en a, par contre, déconcerté plusieurs. Pour de nombreux, il s’agit d’un cœur, pour
un autre, cela représentait les homosexuels pendant la guerre.
Interprétation
Le but de l’administration des quatre-vingt questionnaires était précisément de
démontrer qu’une photographie hors-contexte, et sans légende, n’est pas réellement
significative.
Pour prouver cette théorie, j’ai volontairement choisi des photographies dont la
vue pouvait porter à confusion. Ce sont des photographies qui m’ont frappée au premier
abord, qui m’ont interrogée.
J’ai, de plus, délibérément voulu les placer dans cet ordre là, et cela, dans le but
de désorienter le sujet interrogé. En effet, j’ai disposé en premier la photographie de la
chambre à gaz car je me doutais que la plupart des gens dirait qu’il s’agit d’un lieu
abandonné, glauque et insalubre, mais n’ayant pas pour autant un rapport direct avec un
endroit servant au gazage des déportés juifs, puisque rien, en particulier, sur cette
illustration, ne le laisse penser. J’ai, dans uns second temps, voulu placer les dessins
tatoués car je pensais que de cette manière la piste du lieu glauque pourrait ainsi
s’éloigner de plus en plus de la vérité, c'est-à-dire non seulement de la chambre à gaz,
mais également de la guerre. Il était quasi évident qu’on ne saurait dire de quoi retourne
vraiment l’image. De cette manière, le sujet s’oriente vers un thème totalement différent.
Enfin, j’ai décidé de mettre la photographie des numéros de matricule en dernier car je
savais qu’elle était la plus explicite, et donc qu’elle ferait douter le lecteur sur ses
explications précédentes, et le déstabiliserait d’autant plus. Si je l’avais, par exemple, mise
en première position, le sujet aurait certainement été plus influencé par ce qu’il venait de
111
voir, et se serait plus facilement appuyé sur le thème de la seconde guerre mondiale, ou
en tous cas, celui de la prison, qui en est presque un synonyme.
On peut donc en conclure que peu de personnes ont réussi à percer les mystères
des photographies, et cela pour deux raisons simples. D’abord, car aucun contexte, ni
même indice sur celui-ci ne leur a été donné. Ensuite, car les sujets ne disposaient
d’aucune légende. Cela signifie qu’on ne peut se fier à l’observation « sauvage » d’une
image pour expliquer un fait ou pour tirer des conclusions sur celui-ci. Il est donc impératif
de savoir de quoi traitent les photographies avant de se lancer dans toute interprétation de
celles-ci. Leur message n’est donc pas significatif. De cette manière, il paraît nécessaire
de se méfier de ce que l’on voit imprimé sur papier. Les photographies ne doivent plus
rester muettes, il faut leur redonner une véritable signification, comme le disait Chéroux au
début de cette partie.
112
3. Critique de la photographie comme représentative du
réel
On l’a vu précédemment au début de ce travail, la photographie représente le réel,
« elle en est la copie conforme », disait-on. Pourtant, au fil de ce mémoire, certains points
sont venus troubler cette théorie. En effet, on a notamment pu observer au cours de ce
chapitre qu’il y a souvent une mise en scène de la part du photographe, que des détails
sont amplifiés, parfois exagérés. On vient également de voir qu’une image muette, dénuée
de légende, n’avait que peu de valeur. Dans cette partie-ci, nous allons prouver, une fois
de plus, que les images ne sont pas toujours vraies, qu’elles peuvent quelques fois être
manipulées au gré de la volonté de l’auteur. Pour cela, nous allons nous appuyer sur un
film documentaire réalisé par Yael Hersonski en 2009, Quand les nazis filmaient le ghetto.
Il s’agit d’un film inachevé réalisé par des nazis, retrouvé dix ans après la guerre
au milieu d’autres documents devant servir à la propagande d’Hitler. C’est la seule vidéo
du ghetto de Varsovie en Pologne. Ce sont soixante minutes de scènes muettes alternant
scènes joyeuses et scènes misérables. Ce film sera devenu vérité historique, car pendant
longtemps on pense qu’il retrace assez fidèlement la vie dans les ghettos. Mais après la
découverte d’une nouvelle bobine en 1998, on se rend compte que les nazis ont tout mis
en scène. A partir de cela, des carnets tenus par le président du conseil juif, du
témoignage de cinq rescapés, ainsi que celui de Willy Wist, l’un des cameramen, la
réalisatrice israélienne Yael Hersonski (topo) croise ces archives et tente ainsi de nous
montrer la manière dont ce film a été « fabriqué ». Elle souhaite à la fois montrer « à quel
point notre compréhension de l'histoire est limitée si l 'on ne replace pas les
images dans leur contexte », mais également le réel car ces images, au-delà
de la manipulation, montrent, selon elle, quelque chose de vrai.
Cela se déroule en mai 1942, peu avant les premières déportations vers le camp
de concentration Treblinka, cela fait deux ans et demi que le ghetto de Varsovie existe. Un
demi-million de juifs vivent dans ces quatre kilomètres carrés. Tout le monde doit s’adapter
tant bien que mal car qui tente de fuir ou même d’introduire de la nourriture est aussitôt
fusillé. Un mois durant, des nazis ont voulu montré la face immergée de l’iceberg. Cela
113
provoque une agitation chez la population, car personne ne sait réellement ce qu’il se
trame, et de nombreuses rumeurs de chambres à gaz commencent déjà à circuler… On se
demande pourquoi filmer le ghetto. Pourquoi montrer des images ? Que font les nazis ici ?
Car en général, leur venue n’est jamais bon signe… Mais les allemands commencent à
filmer. Ils veulent une « représentation fidèle » de la vie dans les ghettos, alors ils filment
les juifs dans la rue, les mendiants sur les trottoirs, ou les enfants qui jouent dans la cour.
Lorsque l’on voit les premières images, on a l’impression que c’est un quartier de ville,
vivant et dynamique. Il y a beaucoup de circulation, et le tramway qui traverse. Par
moments, cela semble même joyeux. Les enfants s’amusent entre eux, des gens chantent,
d’autres dansent. Hors contexte, on pourrait croire qu’il s’agit effectivement d’un temps
passé, mais non d’un temps de guerre. Pourtant, la réalité est différente. La majorité des
images est mise en scène. Le président du conseil nous explique, par exemple, qu’on
simule l’arrivée du public dans son bureau, on retire ses photos, on pose une pancarte sur
sa porte, on ajoute des chandeliers sur son bureau en guise de décoration. Il nous dit
également dans son journal que des figurants sont engagés, qu’on filme leurs faux
intérieurs grands et propres, emplis de fleurs sur la table, orné de rideaux et de vaisselle
neuve. La vérité est quelque peu différente puisque la plupart des familles vivent dans une
seule pièce, parfois à plusieurs. Les nazis semblent également vouloir mettre en évidence
les différences entre les personnes juives riches et les pauvres, en les exagérant. On voit
par exemple la préparation d’une salle pour un bal, on y voit du champagne et un maître
d’hôtel joué par le fameux président du conseil juif. Il n’a pas le choix, il doit se plier aux
règles s’il ne veut pas avoir de problèmes. On peut voir une femme dans sa chambre en
train de se maquiller, et à côté de cela, on filme les enfants en train de faire l’aumône dans
la rue. On apporte également des oies ou de la viande de cheval sur les marchés, que la
plus grande majorité de la population ne pouvait évidemment pas s’offrir. Les plus riches
pouvaient effectivement s’acheter à manger tous les jours, et ils le feront jusqu’à la fin,
lorsque les prix auront quadruplé. Mais cela ne concerne qu’une toute petite partie du
ghetto. Les autres finissent par mourir de faim, ruinés. Les écarts continuent. On prend des
gens bien vêtus dans la rue, on leur demande de rentrer dans un restaurant et de
commander tout ce qu’il y a de meilleur, ce qu’ils ne font jamais. On demande ensuite aux
serveuses d’aller discuter dehors, toujours de manière très joyeuse, c’est alors que l’on
114
ordonne à des enfants d’aller faire l’aumône. Ces mêmes serveuses doivent les ignorer, en
être presque agacées. « La vie dans le ghetto était faite de contrastes » dit l’une des
survivantes, alors on continue à exagérer, voire déformer, voire mentir en fabriquant des
mises en scènes comme celle du théâtre. On force des gens à aller au théâtre, à rire
jusqu’à en pleurer, à chanter, à applaudir le plus fort possible. Cela rend la vie plus douce.
Oui mais, ce que l’on ne sait pas, c’est que ces « figurants » n’avaient pas d’autre choix
que de rire encore et encore pendant la pièce, s’ils ne voulaient pas être frappés. Et la
mise en scène a duré de longues heures où on ne pouvait s’arrêter ni pour manger, ni pour
faire ses besoins. C’était cela l’envers du décor.
Personne ne connaît l’identité des auteurs du film, personne ne sait qui était à la
tête de ce « faisant doré » comme le disaient les gens, pas même les cameramen. Ils
n’étaient au courant de rien, ne savaient pas ce qu’il se passait ni à l’intérieur, ni à
l’extérieur du ghetto, et ne savaient pas pourquoi ils devaient filmer. On les avait appelés
pour des prises de vue, sans en connaître le but. A la base, ils filmaient les rues, les
commerces, ou les maisons surpeuplées. Willy Wist, le cameraman interrogé, assure
n’avoir eu aucun réel contact avec les juifs, on lui amenait simplement ceux
correspondants au tournage et il réalisait des prises de vue comme on lui avait demandé.
Elles étaient mises en scène, confirme-t-il, et on les multiplier jusqu’à réaliser la bonne.
Les cameramen faisaient donc ce qu’on leur disait, sans chercher à comprendre, sans
aucune liberté non plus. Parfois, les allemands menaient des scénettes traditionnelles que
les juifs devaient interpréter : circoncision, mariage, fêtes, shabbat à la synagogue,
funérailles au cimetière. Cela pouvait aller jusqu’à montrer un bain rituel, ce qui est sacré
et très personnel dans cette religion. A la fin, on peut également voir les cadavres dans les
rues le matin, sur les trottoirs où tout le monde passe et plus personne ne fait attention.
« On devient indifférents à la souffrance des autres au bout d’un moment », dit l’une des
survivantes qui regarde le film. Au bout de trente jours, on arrête le tournage, l’équipe
disparaît, on ne la revoit plus jamais. Deux mois après avait lieu une première déportation
massive vers Treblinka.
« Lorsque les bandes arrivent au montage, la plupart sont morts depuis
longtemps, il ne reste d’eux que des ombres muettes sur des bandes de celluloïd… »
115
On ne connait pas le but précis de ce film réalisé par les nazis. On sait qu’il s’agit
là de propagande en faveur du chef Hitler. Il s’agirait apparemment de montrer la « vraie »
vie dans le ghetto, le montrer sous tous ses aspects, à la fois bons et mauvais. Les nazis
nous montrent, à juste titre, qu’il existe des différences sociales entre riches et pauvres. Si
l’on en croit les images, une bonne partie des juifs vit « normalement », dans une sorte de
« paradis » fermé, et l’autre partie, celle qui vit dans la misère, ne l’intéresse pas. On peut
s’en rendre compte notamment dans la scène des serveuses, qui sont agacées par les
enfants qui viennent mendier. Ils voulaient également montrer « objectivement » les traits
de caractères relatifs à ce peuple, mais aussi ses pratiques particulières. Cela en faisant
jouer les scènes des évènements marquants tels que la circoncision ou la prière à la
synagogue. Tout cela dans un but, finalement masqué mais bien précis : démontrer aux
partisans d’Hitler que leurs idées sont fondées et que la seule solution possible est
l’extermination de ce peuple si différent.
Il s’agit certes là d’un documentaire vidéographique, et non pas de photographies
à proprement parler. Pourtant, le principe et les contraintes restent les mêmes, puisque la
vidéo, selon sa définition, est une succession d’images animées, et est, de surcroit,
dénuée ici de bande son. De plus, ce document est un exemple qui répond parfaitement à
ma problématique. Il est une preuve que la majorité du temps les images sont mises en
scènes, et le lecteur trompé sur sa signification. Même Roland Barthes83, partisan de la
photographie comme un objet représentant à coup sûr ce qui a été, sans inventer, en étant
l’authentification-même, nous explique que reconnaître le studium ( sorte d’intérêt général
dont l’émotion passe par le relai d’une culture) c’est être en harmonie avec les intentions
d’un photographe, car, pour lui, la culture est un contrat passé entre créateur et
consommateur. Il ajoute qu’il existe des mythes du photographe visant à réconcilier
photographie et société, et cela grâce à ses fonctions qui sont d’informer, de représenter,
de surprendre, de faire signifier, ou de donner envie. Il livre également que la photographie
ne peut signifier qu’en prenant un masque car la société se méfie du sens pur. Une image,
83 BARTHES, La chambre claire: note sur la photographie, Gallimard, Cahier du Cinéma Gallimard,
Mayenne, 1980, 192 pages.
116
dont le sens serait trop explicit, serait vite détournée. Le masque est assez critique pour
inquiéter mais reste trop discret pour devenir une véritable critique de la société. Il dit que
le photographe ajoute volontairement des détails, ce qui n’a pas d’intérêt, et ne le « point »
pas. Ce qui le touche, c’est ce qui se trouve dans le champ de manière inévitable, et qui ne
pouvait pas ne pas être photographié. Enfin, il nous explique que la mode chez les
consommateurs est de dire qu’il existe une relativité sémantique de la photographie
consistant à dire qu’elle n’est pas le réel mais un artifice, une analogie. Ce qu’elle
représente est complètement fabriqué. Barthes ne semble pas de cet avis. Pour lui, le
débat n’a même pas lieu d’être car l’important est que la photographie possède une force
constative, et que celle-ci porte sur le temps, et non sur l’objet.
Pierre Bourdieu 84, après avoir exposé les qualités de la photographie comme
copie du réel, est particulièrement critique de cette théorie, et appuie l’idée d’une mise en
scène non naturelle. Pour lui, si cet objet est considéré comme un enregistrement parfait
du monde visible, c’est parce qu’on lui a assigné des usages sociaux tenus pour réalistes
et objectifs dès son origine. Ce que l’on appelle « la vision normale » du photographe est
en fait une vision sélectionnée. D’après lui, le visible n’est jamais que le visible, et les
sujets ont toujours recours à des grilles de lecture, quelque soit leur milieu culturel, alors
que le monde est infiniment plus riche en apparences qu’on ne le croit. La grille la plus
familière n’est autre que le système des règles de la reproduction du réel qui régissent la
photographie populaire. Pour lui, elle est un mouvement « immobile », et « arraché du
temps ». C’est également parce que l’usage social de la photographie opère une sélection
structurée selon les catégories de la vision commune du monde que l’image
photographique peut être considérée comme une reproduction exacte du réel. Il ajoutera
que c’est au nom d’un « réalisme naïf » que l’on peut tenir pour réaliste une représentation
du réel. Et si elle se doit d’apparaître comme objective, ce n’est pas à cause de sa
concordance avec la réalité même des choses mais à sa conformité d’avec les règles, qui
en définissent la syntaxe dans son usage social. Enfin, il nous explique que la lecture
84 BOURDIEU Pierre (dir.), Un art moyen : essais sur les usages sociaux de la photographie, Les Editions de
Minuit 2ème édition, Paris, 1978,360 pages.
117
d’une photographie est toujours la perception d’une intention consciente. Et cela parce que
la photographie est tout autre chose qu’un décalque de la réalité puisqu’elle agit en son
contraire même car elle « déréalise » ce qu’elle fixe.
Philippe Dubois85, enfin, après nous avoir expliqué en quoi la photographie était un
miroir du réel, nous explique qu’au XXème siècle, on insiste d’avantage sur l’idée d’une
transformation du réel par la photographie. Il s’appuie notamment sur les textes de théorie
de l’image de Rudolf Arnheim86 pour expliquer cela. Pour lui, la photographie offre au
monde une image déterminée par l’angle de vue choisi, par la distance à l’objet, ainsi que
par le cadrage. Elle réduit, de plus, la tridimensionnalité de l’objet à une image en deux
dimensions, et tout le champ des variations chromatiques à un contraste noir et blanc.
Enfin, selon lui, elle isole un point précis dans l’espace-temps, et est purement visuelle, ce
qui exclut toute autre sensation olfactive ou tactile. Il s’appuie également sur l’auteur Alain
Bergala87, qui s’attaque aux photographies historiques dites stéréotypées. Pour lui, « elles
sont le leurre d’un consensus universel factice, simulacre d’une mémoire collective, où
elles impriment une image de marque de l’évènement historique, celle du pouvoir qui les a
sélectionnées pour faire taire toutes les autres ». Ainsi, il dénonce toute la part de mise en
scène de ces images connues, ainsi que toute leur dimension idéologique. Dubois ajoute
que la signification des messages photographiques est culturellement déterminée, et ne
s’impose donc pas comme une évidence pour tout récepteur. « Tous les hommes ne sont
pas égaux devant la photo » écrit-il. Ainsi, il remet en cause la valeur de la photographie
comme miroir, comme transparente, innocente et réaliste par essence. Et c’est pour cette
raison que la question du réalisme est déplacée.
On voit donc que finalement la photographie n’est pas si réelle et objective,
comme a pu le dire, et le documentaire de Yael Hersonski, en est une illustration parfaite.
85DUBOIS Philippe, L’acte photographique, Parvis, Nathan, Paris, 1990, 301 pages.
86 ARNHEIM Rudolf, La pensée visuelle, Flammarion, Champs Flammarion Sciences, 1999, 350 pages.
87 BERGALA Alain, GODARD Jean-Luc, Les années cahiers (1950-1959), Flammarion, Champs, 1970, 252
pages
118
En résumé, l’analyse d’images de la seconde guerre mondiale nous a permis
d’observer plusieurs faits. D’abord, que celui qui prend une photographie a toujours une
intention particulière, un but. Ici, et pour la plupart des photographies documentaires, il
s’agit de montrer un fait, ou bien même de le dénoncer. Nous avons également pu
observer que l’auteur d’une photographie, dans son objectif, de dénonciation, par exemple,
a tendance à amplifier des détails, voire à les exagérer parfois. Cela peut mener à des
clichés. En effet, on a observé lors de cette analyse qu’il existait des stéréotypes de la
période de la seconde guerre mondiale (barbelés, froid, chemin de fer…) servant plus à
toucher le lecteur qu’à lui montrer la réalité de cette période. Dans un second temps, on a
vu, grâce aux réponses obtenues au cours des questionnaires, qu’une photographie sortie
de son contexte, pouvait très souvent induire le spectateur en erreur. Il peut partir sur des
pistes complètement différentes, voire opposées, ce qui peut avoir des conséquences
lourdes de sens dans l’interprétation d’un fait par appui de photographies. On a également
pu remarquer, dans cette partie, et comme l’explique Chéroux dans son ouvrage, qu’il est
prépondérant de légender chaque photographie, et plus encore celles de cette triste
période. La légende comprend le nom de l’auteur, la date, et le titre de la photographie.
Son interprétation ne pourra forcément pas être la même en fonction de ces différents
critères. Une photographie d’un ghetto prise en 1942, et une autre du même lieu prise en
1990 n’aura forcément pas le même impact ni la même signification. Grâce à ces analyses
personnelles, on s’est rendus comptes que de multiples facteurs entraient en considération
dans l’interprétation d’une photographie, et qu’il n’était pas si évident de dire qu’elle était la
copie conforme du réel. Nous avons terminé avec le film de Yael Hersonski pour conclure
une dernière fois sur cette idée, en expliquant qu’il y avait toujours une mise en scène de
la part de l’auteur derrière chaque prise de vue, et que, pour cette raison, il était important
de se méfier de ce que l’on peut voir. Des auteurs ayant des théories reconnues sur la
photographie comme Barthes, Bourdieu ou Dubois ont également confirmé cette idée. L’un
des photographes que j’ai interrogé, FB, écrivait sur un document à destination du CHRD
« Il appartient à la vigilance de chacun, de s’interroger sur ce qui nous est livré, sur
119
l’histoire telle qu’elle nous est apprise et sur les œuvres telles qu’elles nous sont
transmises ».
120
CONCLUSION
« Les photos rescapées ne sont qu’une partie d’un tout largement invisible et ne peuvent, en ce
sens, servir de « témoins intégraux » ». Primo Lévi88
Au terme de ce travail, sommes-nous en mesure de répondre à nos interrogations
des débuts concernant le rapport qu’entretient la photographie avec le réel ? Finalement,
la photographie représente-t-elle toujours le réel ? Quelles nouvelles pistes de recherche
pourraient être envisagées ?
Le but de cette recherche était de démontrer que la photographie n’était pas
toujours significative d’une vie réelle. Pour se faire, nous avons cherché, dans un premier
temps, à définir, de manière précise, la notion de photographie. Nous l’avons située
chronologiquement dans le temps, de son apparition dans la société jusqu’à aujourd’hui.
Nous avons ensuite abordé l’idée reçue la plus commune concernant ce média, qui est
qu’elle est la copie conforme des objets de la réalité. Enfin, nous avons abordé le fait
qu’elle ait eu de nombreuses difficultés à être reconnue comme art, étant donné que celui-
ci est considéré comme quelque chose d’abstrait et complètement subjectif, contrairement
à elle, qui est reconnue, pendant de longues années, comme une copie objective du
monde. Nous avons, dans un second temps, expliqué ce qu’était la mémoire collective,
cela avec toutes ses ambigüités et subtilités. Nous avons ensuite appliqué cette définition
d’une notion abstraite à un cas particulier : celui de la seconde guerre mondiale. Pour
terminer, nous avons mis en lien les deux termes : celui de photographie, ainsi que celui
de mémoire collective, en expliquant que tous deux entretiennent un rapport particulier de
complémentarité. Dans une dernière partie, nous avons voulu réalisé des analyses
personnelles dont le but était d’affirmer, ou infirmer le fait que la photographie représente
le réel ou pas. Pour se faire, nous avons d’abord analysé sémiologiquement neuf
photographies de la seconde guerre mondiale. Ainsi, nous avons pu voir qu’il y a toujours
88 LEVI Primo, Si c’est un homme, Pocket, Littérature, Paris, 1988, 213 pages.
121
une mise en scène de la part de l’auteur, dont le but ici, était de dénoncer, au travers de
suggestifs symboles de cette période, ou d’oppositions choquantes, des faits graves. Nous
avons ensuite pu remarquer, grâce à l’administration d’un questionnaire sur lequel on
pouvait voir trois photographies non légendées, et où on devait expliquer ce qu’on voyait,
et surtout, ce à quoi cela nous faisait penser, qu’une photographie hors contexte, et sans
légende n’est pas très significative. Nous avons, pour terminer, aborder un documentaire
s’appuyant sur des photographies et scènes muettes réalisées par les nazis, dans le but
de montrer la vie au sein du ghetto de Varsovie. Dans celui-ci, Yael Hersonski, l’auteur,
nous explique que tout n’était qu’usurpations et mises en scène de la part des militaires.
Par conséquent, on peut en déduire que l’image peut bien souvent tromper l’œil.
Grâce à ces observations, à fois théoriques et pratiques, nous avons pu affirmer
nos hypothèses. A la première, qui était de dire qu’il se cachait toujours une volonté du
photographe derrière la soit disant neutralité des images, nous avons pu répondre grâce à
l’analyse sémiologique de notre corpus, que oui le photographe cherche à faire passer un
message particulier lors de la prise de sa photographie. A la seconde, qui était qu’il y a
toujours une scénarisation derrière les photographies, et que par conséquent, elles ne sont
pas forcément significatives de la réalité montrée, nous avons confirmé, grâce au film
documentaire, que oui la plupart des images sont mises en scène, d’une manière ou d’une
autre, par leur auteur. A la dernière enfin, celle qui nous disait que ce sont les légendes et
le contexte qui donnent un sens à la photographie, nous avons pu dire, grâce aux
questionnaires, qu’effectivement si l’on présente une photographie muette, les gens, de
par leur sensibilité, connaissances et expérience, n’en donneront pas la même
signification. Ces différentes affirmations ont, de plus, étaient étayées par les propos
recueillis par les différentes personnalités interviewées.
A partir des réponses aux questions que l’on se posait, que peut-on conclure ? La
photographie représente-t-elle donc le réel ? Bien que pendant de longues années, on ait
cru à cette théorie, qui est encore aujourd’hui bien présente à l’esprit de nombreuses
personnes non spécialistes de ce média, lorsque l’on se penche plus précisément sur cette
notion, on ne peut raisonnablement pas penser que cette idée soit encore vraie à l’heure
actuelle. En effet, elle fait maintenant partie à part entière des arts, ce qui prouve qu’elle
122
n’est finalement pas si objective, ni si fidèle à la représentation du monde. Derrière toute
photographie, quelle qu’elle soit, se cache un auteur. Il en choisit le cadre, la couleur, le
lieu, le moment, ainsi que l’objet. Il le photographiera de telle manière et non de telle autre,
s’il veut faire ressortir tel ou tel élément. C’est lui, le premier, qui a les cartes en main. Il ne
faut pas oublier qu’une image photographique, est avant tout un objet fabriqué. Comme
l’artisan menuisier travaille son bois pour en fabriquer une table ou une chaise, l’artisan
photographe travaille l’image, la perception qu’il a des choses pour en fabriquer une
photographie. Même lorsqu’elle est documentaire, elle reste subjective. Si l’on veut
montrer une catastrophe, on accentuera certains effets, on en grossira les traits, le grain
pour susciter l’angoisse des gens. Si l’on veut montrer une scène émouvante, on se
focalisera sur la maigreur de l’enfant, sur le regard triste et désemparé de la mère, qui ne
peut rien faire, on se focalisera sur les détails qui arriveront à toucher le lecteur au plus
profond de son cœur. Par contre, si l’on veut montrer le candidat idéal à la future élection
présidentielle, on le montrera sous son meilleur jour, avec son plus beau sourire devant un
fond qui fera ressortir sa prestance et sa carrure. Le photographe arrange son image de
manière à faire passer le message qu’il a envie de renvoyer. Puis, tout dépend également
de l’interprétation que va en donner le lecteur. Selon ce qu’il y voit, selon son vécu, et ses
connaissances, il ne recevra pas l’image projetée de la même manière que quelqu’un
d’autre. Chacun voit ce qu’il veut selon sa subjectivité et son ressenti. Une même
photographie ne sera pas interprétée de la même manière selon les gens. Souvent, les
personnes d’un même groupe social verront une scène à peu près identique, mais si l’on
choisit des personnes ne serait-ce que d’un pays différent, avec sa culture différente, elles
ne verront forcément pas le même plateau. Et même si la photographie est légendée, elle
ne sera pas obligatoirement interprétée de la même manière. Si l’on reprend, par exemple,
les photographies de la seconde guerre mondiale, une même image ne représentera pas
la même chose pour une personne juive, et pour une personne allemande, et cela car
leurs enjeux seront différents, et que le patrimoine transmis ne sera pas le même. Malgré
cela, comme on l’a vu dans ce mémoire, il est primordial de situer les photographies que
l’on prend, des les expliciter pour que le message de l’auteur soit entendu. Il est
indispensable de savoir où, pourquoi, et comment un photographe a pris une
photographie, si l’on veut la comprendre. Et cela, même si l’interprétation de celle-ci
123
restera personnelle et subjective comme on l’a dit et répété. Il ne faut d’ailleurs pas oublier
que certaines images sont là pour enrichir un texte, pour l’illustrer, alors que d’autres sont
là pour laisser penser d’autres choses. On l’a notamment observé grâce aux faits
d’actualité concernant l’affaire Dominique Strauss-Kann, accusé de viol sur une femme de
chambre. Un article de journal accompagné d’une photographie de lui menotté, ne
signifiera pas la même chose qu’une photographie seule de lui dans une chambre d’hôtel
avec une femme. Le contexte de la photographie fait donc en ce sens partie intégrante de
l’image, ainsi que de l’interprétation qui en découlera.
De nombreux éléments entrent donc en compte dans la prise d’une photographie,
ainsi que dans son interprétation. Elle peut donc ne pas forcément représenter le réel.
C’est d’autant plus le cas aujourd’hui, à l’aire du numérique, et de la retouche
photographique. Pour aller plus loin dans notre analyse, et dans une perspective future, on
pourrait s’interroger sur ce phénomène d’actualité, comme l’a fait Fred Richtin dans son
ouvrage 89 . On pourrait se demander quelle est la différence entre l’argentique et le
numérique. Pourquoi le numérique est-il privilégié aujourd’hui ? Est-ce par ce que de cette
manière, l’image est plus facile à déformer, voire à manipuler ? En effet, dans notre société
actuelle, il est de plus en plus difficile de se fier à ce que l’on peut voir en photographie, car
on sait que depuis que le numérique est apparu, la retouche photographique est devenue
la norme dominante dans un monde où tout n’est qu’apparence. On y a aujourd’hui
recours pour tout, et cela se démocratise de plus en plus au grand public. La photographie
brute n’est souvent plus que le brouillon de ce que l’on veut montrer. Elle est ensuite
reprise, améliorée, arrangée. Il est très rare que des images, du moins, publiques ne
soient pas retouchées avant sa diffusion. De cette manière, tout est encore plus augmenté,
et exagéré. On a du mal à distinguer ce qui, à la base, était réel, et ce qui ne l’était pas. Il
serait donc fort intéressant de se pencher sur ce phénomène là, à savoir, le rapport de la
photographie avec le réel aujourd’hui où règne le numérique, et la retouche
photographique.
89 RITCHIN Fred, Au-delà de la photographie, Victoires EDS, Presses Universitaires de France, 2010, 1199
pages.
124
On peut donc conclure que dorénavant il faut se méfier deux fois plus de ce que
l’on voit en images, et se questionner d’autant plus sur l’authenticité, la véracité et la valeur
des photographies comme preuves tangibles d’un réel. Je terminerai sur l’une des phrases
que m’a dite l’un des photographes que j’ai rencontré :
« Une photographie n’est qu’une image du réel, et une image ne reste qu’une
image et donc pas la réalité, il ne faut jamais perdre de vue cela ».
125
ANNEXES
126
SOMMAIRE DES ANNEXES
127
Grille d’entretien semi-directif pour les collaborateurs
du CHRD :
1. Présentation
-Pouvez-vous vous présenter ?
-En quoi consiste votre métier ?
-Quel a été votre parcours ?
2. Le musée/ Le centre de documentation
-Depuis quand existe-t-il ?
-Comment a-t-il été crée ?
-Pourquoi ? Dans quel but ?
3. Les expositions/ Les archives
-Comment se choisissent les documents mis en avant ?
-Comment choisit-on les expositions temporaires ?
-Quel message veut-on transmettre ?
-Quel public concerne-t-il ?
4. Votre avis subjectif en tant que…
-Quelle vision a-ton de la seconde guerre mondiale aujourd’hui ?
-Quel rôle joue la photographie dans la transmission et la conservation de la
mémoire ?
-Qu’est ce que la mémoire collective ?
La photographie transmet-elle toujours le réel ?
128
Grille d’entretien semi-directif pour les photographes:
1. Présentation
-Qui êtes-vous ?
-En quoi consiste votre métier ?
-Quel a été votre parcours ?
2. Le photographe
-Quelle est sa part de subjectivité lorsqu’il prend une photographie ?
-Ses choix peuvent-ils influencer le lecteur ?
3. La photographie
-Quel rapport y a-t-il entre photographie et texte ?
-Que dire d’une photographie sans légende ?
-Quel lien ya-t-il entre photographie et mémoire ?
La photographie montre-t-elle toujours le réel ?
129
Grille d’entretien semi-directif pour les visiteurs du
CHRD :
1. Présentation
-Qui êtes-vous ?
-Quel est votre métier ?
-Quel a été votre parcours ?
2. Le musée
-Que pensez-vous du CHRD ?
-Pourquoi l’avez-vous visiter ?
-Que pensez-vous des expositions temporaires/ permanentes ?
3. La photographie
-Quel rapport y a-t-il entre photographie et texte ?
-Que dire d’une photographie sans légende ?
4. Votre avis subjectif en tant que visiteur
-Quelle vision a-ton de la seconde guerre mondiale aujourd’hui ?
-Quel rôle joue la photographie dans la transmission et la conservation de la
mémoire ?
-Qu’est ce que la mémoire collective ?
La photographie montre-t-elle toujours le réel ?
130
Tableau récapitulatif des personnes interviewées
Personnes interviewées
Sexe
Profession
MV
Féminin Attachée de conservation au CHRD
IR
Féminin Directrice du CHRD
CJ
Féminin Documentaliste au centre de documentation du CHRD
FB
Masculin Artiste Photographe
PW
Masculin Photographe, spécialiste
de la montagne
FO
Masculin Photographe à la mairie de Toulouse
FBo
Masculin Etudiant en journalisme et visiteur du CHRD
O.D
Féminin Etudiante en psychologie et visiteuse du CHRD
131
Photographie numéro 1 :
Margaret Bourke-White, survivants de Buchenwald derrière les barbelés, avril 1945.
132
Photographie numéro 2 :
Stanislaw Mucha, la porte d’entrée de Birkenau vue de l’extérieur du camp, entre mi-
février et mi-mars 1945
133
Photographie numéro 3 :
Michael Kenna, barbelés, Majdanek, 1993
134
Photographie numéro 4 :
Michael Kenna, chaussures, Majdanek, 1993
135
Photographie numéro 5 :
George Rodger, cadavres de détenus sous les arbres à Bergen-Belsen, vers le 20 avril 1945
136
Photographie numéro 6 :
Sergent Norman Midgley (AFPU), survivantes épluchant des pommes de terre et préparant leur
repas à proximité de cadavres de détenus, Bergen-Belsen, 17 ou 18 avril 1945
137
Photographie numéro 7 :
Margaret Bourke-White, cadavres de détenus empilés dans une remorque,
Buchenwald, avril 1945
138
Photographie numéro 8 :
Sergent Harry Oakes (AFPU), le Dr. Klein au milieu des cadavres de détenus dans
une fosse commune à Bergen-Belsen, entre le 21 et 24 avril 1945.
139
MEMOIRE DE RECHERCHE
Photographie, Mémoire Collective, Réel
Sexe :
Age :
Profession :
Photographie numéro 1
Que voyez-vous sur cette image ?
A quoi cela vous fait-il penser ?
140
Photographie numéro 2
Que voyez-vous sur cette image ?
A quoi cela vous fait-il penser ?
141
Photographie numéro 3
Que voyez-vous sur cette image ?
A quoi cela vous fait-il penser ?
142
Bibliographie
- AMAR Pierre-Jean, Histoire de la Photographie, Presses Universitaires de France,
Que sais-je ?, Paris, 1999, 127 pages.
- BARTHES, Mythologies, Editions du Seuil, Point Essais, Paris, 1957, 233 pages.
- BARTHES, La chambre claire: note sur la photographie, Gallimard, Cahier du
Cinéma Gallimard, Mayenne, 1980, 192 pages.
- BAZIN André, Qu’est ce que le cinéma ?, Cerf, 7ème art, Paris, 1976, 372 pages.
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146
TABLE DES MATIERES
Table des matières ........................................................................................................................ 114
REMERCIEMENTS….Erreur ! Signet non défini.
SOMMAIRE Erreur ! Signet non défini.
INTRODUCTION Erreur ! Signet non défini.
Probématique Erreur ! Signet non défini.
Hypothèses Erreur ! Signet non défini.
Plan Erreur ! Signet non défini.
Méthodologie, Corpus, et terrain Erreur ! Signet non défini.
I. LA PHOTOGRAPHIE, ENTRE HISTOIRE, REEL ET ART Erreur ! Signet non défini.
1. Des origines lointaines Erreur ! Signet non défini.
2. Un miroir du réel Erreur ! Signet non défini.
3. Un rapport particulier avec l’art Erreur ! Signet non défini.
II. LA MEMOIRE, UNE PENSEE COLLECTIVE Erreur ! Signet non défini.
1. La mémoire collective, une notion abstraite Erreur ! Signet non défini.
2. La mémoire collective à travers la seconde guerre mondiale. Erreur ! Signet non défini.
3. La photographie, un outil au service de la mémoire Erreur ! Signet non défini.
III. ANALYSES PERSONNELLES Erreur ! Signet non défini.
1. Analyse sémiologique d’images de la seconde guerre mondiale… Erreur ! Signet
non défini.
2. Légendes et contextes, des pièces à conviction Erreur ! Signet non défini.
3. Critique de la photographie comme représentative du réel Erreur ! Signet non défini.
CONCLUSION Erreur ! Signet non défini.
ANNEXES Erreur ! Signet non défini.
TABLE DES ANNEXES Erreur ! Signet non défini.
BIBLIOGRAPHIE Erreur ! Signet non défini.
TABLE DES MATIERES Erreur ! Signet non défini.
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