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1 Enquête du coroner André Perreault sur les causes et circonstances du décès de Fredy Villanueva Mémoire de la Coalition contre la répression et les abus policiers 21 janvier 2011

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Enquête publique sur la mort de Fredy Villanueva

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    Enqute du coroner Andr Perreault

    sur les causes et circonstances

    du dcs de Fredy Villanueva

    Mmoire de la Coalition contre la rpression et les abus policiers

    21 janvier 2011

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    SECTION 1 : LES FAITS

    Le coroner a adress la question suivante : Quelles sont les actions que la Ville de

    Montral a poses Montral-Nord la suite des vnements daot 2008 ? La Ville a

    rpondu cette question en produisant un document intitul Interventions

    municipales Montral-Nord 2002-2010 , auquel trois annexes ont t joints (C-354).

    Le moment est maintenant venu dadresser certains commentaires critiques

    relativement au document de la Ville.

    Les premiers paragraphes dintroduction du document sattardent dcrire le

    phnomne urbain des poches de pauvret , affirmant que lune delle se situe

    dans le quartier nord-est de Montral-Nord (id, p. 2). Il me semble cependant quil

    aurait t la moindre des choses que la Ville se donne la peine dindiquer prcisment

    quelles sont les rues et boulevards qui dlimitent le territoire dsign comme tant le

    quartier nord-est . Cette imprcision est dautant plus dplorable quelle est

    susceptible de devenir une source de confusion dans le reste du document.

    Ainsi, quand la Ville fait valoir ses ralisations, ce nest pas tout le temps clair si ce sont

    les rsidents de la poche de pauvret qui en ont bnfici, ou bien plutt ceux de

    larrondissement de Montral-Nord en gnral. Par exemple, on peut lire que la ville a

    pu offrir plusieurs centaines demplois dt valorisants aux jeunes depuis 2009, une

    bonne partie dentre eux provenant de Montral-Nord (id, p. 3). Or, on na aucune

    indication qui permet de dterminer dans quelle proportion ces emplois dt ont t

    occup par des jeunes vivant dans les blocs appartement du secteur nord-est ou bien

    dans des maisons cossues du boulevard Gouin. cette imprcision sen ajoute une

    autre, car on a pas la moindre ide de ce que veut dire la Ville quand elle avance quune

    bonne partie des emplois dt sont alls des jeunes provenant de Montral-Nord :

    est-ce que la Ville parle du tiers des emplois, du quart des emplois, etc. ? De plus, quand

    on lit que 182 logements ont t raliss ou mis en chantier du 1er janvier 2009 au 30

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    juin 2010, on ignore combien de ces logements se trouvent dans le quartier nord-est (id,

    p. 8). Sur la mme page, quand il est question de la construction dun centre sportif ,

    la Ville ne prcise pas si ce projet sadresse aux rsidents de la poche de pauvret .

    Heureusement, la dlimitation territoriale de la poche de pauvret est clairement

    identifie dans lannexe Plan daction RUI Montral-Nord . La figure 1, que lon

    retrouve la page 6 de cette annexe, est une carte identifiant le quadrilatre du

    quartier nord-est comment tant dlimit par les boulevards Rolland louest, Albert-

    Hudon lest, Maurice-Duplessis au sud, et Lger au nord (id, p. 74).

    Limprcision quant la dlimitation du quartier nord-est dans le document de la Ville

    nest pas sans consquence puisque cette lacune semble tre lorigine dune erreur.

    En effet, le parc Carignan est plac dans le secteur nord-est alors que celui-ci se trouve

    plutt au sud du boulevard Maurice-Duplessis (id, p. 6). Par ailleurs, le document de la

    Ville parle de la rnovation du parc St-Laurent, qui est pourtant situ bien loin du

    quartier nord-est (id, p. 5). En fait, ce parc se trouve plusieurs rues louest du

    boulevard Rolland, et quelques rues au sud de Maurice-Duplessis. On ralise quel

    point on est plus du tout dans le mme secteur quand on consulte le document

    Synthses des statistiques de Montral-Nord sommaire (C-365, p. 2). Le parc St-

    Laurent se trouve en effet dans le secteur de Montral-Nord o la proportion de

    mnages privs vivant sous le seuil de faible revenu est le plus bas (entre 24 29%, soit

    deux fois moins que dans le quartier nord-est).

    Le dsir de la Ville de Montral de se donner bonne figure ne devrait pas lui donner le

    droit de tourner les coins ronds. Les imprcisions de la Ville de Montral dans sa

    rponse la question du bilan de ses actions est dautant plus insatisfaisante quand on

    ralise lampleur des problmes qui frappent les rsidents du secteur nord-est, qui ont

    t rsums dans un document intitul Caractristiques de la population du site des

    meutes , de la Section recherche et planification du SPVM (C-355, p. 46) :

  • 4

    - Un fort pourcentage de la population est sans diplme ;

    - Le revenu mdian aprs impt est faible pour lensemble de la population ; il est

    particulirement faible pour les couples avec enfants ; une forte proportion des

    revenus des mres monoparentales et des couples avec enfants provient des

    transferts gouvernementaux (allocations et aide sociale) ;

    - Plus de la moiti des jeunes vivent au sein dune famille faible revenu ;

    - Le chmage est important, surtout chez les jeunes gs de 15 24 ans. Le taux

    demploi est faible et en particulier pour les hommes gs de 25 ans et plus, et en

    particulier les pres de jeunes enfants ;

    - Selon la Direction de la sant publique, la mortalit par suicide du secteur est

    significativement plus leve que celle de Montral.

    Dans son document, la Ville identifie la densit leve de population comme tant

    une des caractristiques propres aux poches de pauvret (C-354, p. 2). Ce constat

    sapplique entirement au secteur nord-est. Cest pratiquement seulement des

    immeubles logements quil y a l , a constat lagente Pilotte en patrouillant le

    quartier (10-12-2009, p. 48). La plupart des appartements sont occups par un nombre

    lev de personnes. Il y a beaucoup de familles monoparentales ; le nombre denfants

    par famille est grand, surtout chez celles qui comptent deux parents (C-355, p. 46).

    Le cas particulier de Yerwood Anthony Clavasquin est assez loquent cet gard. En

    aot 2008, M. Clavasquin vivait avec ses cinq surs et ses quatre frres. Au total, ils

    taient onze personnes se partager un 5 (02-7-2010, p. 112). M. Clavasquin na pas

    cach que les membres de sa famille pouvaient se sentir un peu ltroit loccasion. Il

    a aussi ajout quil y avait dautres familles nombreuses dans le quartier. Jen connais,

    oui, qui sont dix, une mre qui a huit enfants (Id, p. 113).

    Dans ce contexte, quoi de plus normal, de plus naturel, voire de plus sain, que de ne pas

    vouloir rester enferm entre quatre murs dappartement surpeupls ? Le monde, ils

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    sont souvent dehors , expliquait Dany Villanueva, qui a rsid pendant plusieurs huit

    ans dans ce secteur (05-5-2010, p. 121). Oui, les gens vivent plus lextrieur ,

    convient Jonathan Senatus, qui a habit durant cinq annes Montral-Nord (06-7-

    2010, p. 191). Le monde sont souvent dehors puis chez-eux a renchrit Jeffrey Sagor-

    Metellus, qui a toujours vcu dans le quartier. Devant, sur le balcon, ils sont toujours

    dehors (23-6-2010, p. 110). M. Clavasquin, qui vit Montral-Nord depuis son arriv

    au Canada lge de 7 ans, a de son ct indiqu quil y a tout le temps des

    attroupements au coin des rues Pascal et Lapierre (02-7-2010, p. 166).

    Quand ils sortent, quelles sont les activits qui soffrent eux ? En aot 2008, les

    lacunes au niveau des loisirs rcratifs prenaient lallure dune vritable pnurie

    gnralise dans le secteur nord-est. Les jeunes de Montral-Nord nont que peu

    despaces eux o ils peuvent socialiser et se divertir , reconnait la Ville (Id, p. 7). Un

    gros rattrapage simposait au niveau des infrastructures de sports, qui permettent de

    canaliser lnergie de la jeunesse et de lui fournir un lieu dinteractions et dchanges

    positifs et valoriss (Id, p. 5). Le rapport de Montral-Nord en sant et le Plan

    daction RUI Montral-Nord font les mmes constats (Id., 54 et 74).

    Il y a trop peu dactivits de loisir ou demplois dans le quartier destines aux jeunes ce

    qui entrane la flnerie, en labsence dun encadrement parental adquat. La flnerie

    sexerce souvent, plusieurs personnes regroupes ensemble, dans des lieux publics o

    lencadrement est insuffisant ou inexistant , notent M. Serge Chevalier et Mme Anouk

    Lebel dans ltude Montral-Nord Le Point de vue citoyen , qui a t produite pour

    le compte de lAgence de la sant et des services sociaux de Montral (C-361, p. 20). M.

    Senatus a fait des observations similaires. Je travaillais dans les centres jeunesse puis il

    y a des jeunes qui disaient que comme par rapport au quartier, bien, quil ny avait pas

    beaucoup dactivits puis que ctait plate, il ny avait rien faire, donc, ce monde-l

    tait soit port aller dans les parcs ou sortir du quartier (06-7-2010, p. 203-204).

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    Comme le monde, ils ont peut-tre pas grand-chose faire puis ils sortent dehors, ils se

    tiennent ensemble les amis (Id, p. 191).

    La lutte aux incivilits

    Puisque loffre de loisirs rcratifs laisse autant dsirer dans cette poche de

    pauvret , les jeunes vont donc se dbrouiller avec les moyens du bord pour chercher

    se distraire, en passant du temps dans les espaces publics o ils peuvent croiser dautres

    amis, comme les parcs, les devantures de dpanneurs et les ruelles. Ce faisant, ils

    contreviennent larticle 13 du Rglement no. 1500 sur lordre gnral dans la Ville, qui

    nonce ceci : Il est dfendu de flner sur les trottoirs, sur les rues, ou dans les parcs ou

    places publiques de la ville (C-24, annexe 226). Ainsi, les interventions policires pour

    des peccadilles sajoutent aux nombreux autres maux qui accablent le secteur nord-est.

    Loccupation de lespace public par les jeunes du quartier a mme t leve au rang de

    dsordre social combattre par les autorits policires. Ainsi, sa premire journe

    de travail lancien PDQ 40, la jeune policire Stphanie Pilotte a t rencontre par le

    sergent Ren Bellemare, qui lui a fait un topo sur les principales problmatiques du

    secteur . Le flnage dans les rues en faisait partie (30-10-2009, p. 135). Durant son

    tmoignage, lagent Jean-Loup Lapointe a nomm le flnage comme faisant partie dun

    regroupement d'infractions qui vont faire un dsordre social relativement important ,

    dsign sous la rubrique des incivilits (02-2-2010, p. 219).

    Selon le document sur les priorits locales du PDQ 39, la direction de la culture, des

    sports et du dveloppement sociale de larrondissement de Montral-Nord a mme

    interpell plusieurs reprises les autorits policires pour solliciter leur intervention au

    niveau des attroupements de jeunes , qui est dcrite comme tant une

    problmatique majeure (C-176, p. 41). Plusieurs problmatiques sont souleves

    provenant de larrondissement et la principale problmatique est le phnomne des

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    attroupements , indique un rapport de larrondissement dat du 25 juillet 2008, soit

    deux semaines avant le dcs de Fredy Villanueva (Id, p. 42).

    Soulignons que le document du PDQ 39 invoque la gestion des espaces urbains

    comme tant un axe dintervention majeur , prenant notamment la forme de

    visibilit policire et doprations en matire dincivilits, pour en arriver la conclusion

    que la prsence des agents Lapointe et Pilotte au stationnement de larna Henri-

    Bourassa rpondait aux attentes du SPVM (Id, p. 44). La lutte aux incivilits du SPVM

    constitue donc lune des causes et circonstances du dcs de Fredy Villanueva, plus

    forte raison quand on sait que lagent Lapointe estime que linfraction de jouer aux ds

    largent est une forme dincivilit (12-2-2010, 220). Durant le quart de travail du 9 aot

    2008, les agents Lapointe et Pilotte sont dailleurs intervenus lgard dun groupe de

    jeunes qui sadonnaient au flnage. Comme lindique lhistorique dunit, 17h50, des

    jeunes ont t aviss de ne pas flner devant les commerces , sur le boulevard

    Langelier, car il sagirait dune problmatique dans les environs (C-28, p. 7).

    Certains tmoins ont fait tat de la lutte au flnage. Des fois il y a des commerces et

    puis ils ont une pancarte : Interdit de flnage , a relev M. Clavasquin (02-7-2010, p.

    114). M. Metellus a indiqu que lescouade clipse intervenait galement au niveau du

    flnage. Genre, on tait tous l, puis ils nous regardaient pendant dix minutes, quinze

    minutes. Aprs, ils disaient : "Ah, O.K., vous restez l encore un autre cinq minutes. Je

    vais faire un petit tour, vous revenez, un ticket chaque" (22-6-2010, p. 46). M. Senatus

    a lui aussi tmoign leffet que lescouade clipse faisait ce type dintervention. Ces

    policiers-l depuis quils te voient en groupes peut-tre de trois entre trois et cinq

    personnes, tes considr comme un gang, quelque chose comme a. Donc, ils veulent

    disperser ces groupes-l, ce que je trouve ridicule (06-7-2010, p. 206).

    Bref, les jeunes du secteur nord-est pour nont pas besoin de faire grand-chose pour

    attirer lattention de la police. Passer du temps dehors avec des amis est suffisant. Dans

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    un pareil contexte, comment stonner que cette jeunesse perue comme une menace

    quand elle se rassemble dans les espaces publics se sente victime de harclement

    policier ? Comment stonner de ce tourbillon de violence entre les policiers et les

    jeunes (C-361, p. 6) ? Comment stonner que les rsidents soient nombreux ne pas

    porter la police dans leur cur, comme la rapport M. Metellus ? Il y avait beaucoup

    de monde dans le quartier qui aimait pas la police (23-6-2010, p. 121). Pour M.

    Clavasquin, la relation entre la police et les rsidents na jamais t bonne (02-7-

    2010, p. 182). Si cest des problmes, bien, on sentend que cest toujours avec la

    police, cest tout (Id, p. 172).

    cela sajoute le fait que certains policiers du PDQ 39 entretiennent une perception peu

    flatteuse lgard du secteur nord-est. La policire Pilotte parle du secteur chaud de

    Montral-Nord . Dans le langage cru des patrouilleurs du PDQ 39, la poche de

    pauvret a t communment appel le Bronx . On faisait rfrence au quartier

    de New-York qui est un quartier plus difficile la Ville de New-York parce que les

    problmatiques sont semblables (30-10-2009, p. 147-148). Dans sa dclaration, lagent

    Paul-Andr Guindon emploie les expressions le Bronx et le secteur problmatique

    pour dsigner le quartier (C-142, p. 4). On se demande comment croire lagent Lapointe

    quand il dit que le surnom de Bronx nest pas du tout pjoratif (12-2-2010, p. 192).

    Cette perception ngative pourrait dailleurs expliquer lattitude dsagrable de certains

    policiers. Jai toujours remarqu que les policiers Montral-Nord, ils taient plus

    comme arrogants que dautres policiers dautres places Montral mme , a dclar

    M. Senatus (06-7-2010, p. 209). Un constat partag par le psychologue Martin Courcy,

    qui a t mandat par le SPVM pour rflchir aux pratiques dinterpellations

    Montral-Nord. Les jeunes disent que les policiers leur tiennent des propos quils

    noseraient pas dire dans aucun autre quartier de la Ville de Montral (C-339, p. 4).

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    On ne saura jamais avec certitude si Fredy Villanueva serait encore vivant aujourdhui

    sil avait jou aux ds dans un autre quartier moins dfavoris de Montral. On sait

    cependant que la partie de ds dans le stationnement de larna Henri-Bourassa ne

    reprsentait aucun risque pour la scurit du public, ni mme un irritant pour les

    citoyens. En intervenant de faon aussi muscle pour une infraction aussi mineure,

    lagent Lapointe et, dans une bien moindre bien mesure, sa partenaire Pilotte, ont rat

    une bonne occasion dappliquer la formule : vivre (et surtout) laisser vivre.

    Le phnomne des gangs de rue

    Lintervention policire qui a cout la vie Fredy Villanueva nest pas seulement

    survenue dans un contexte de lutte aux incivilits, mais aussi de lutte aux gangs de rue.

    Le SPVM justifie ses efforts en ce sens en faisant valoir que les gangs de rue suscitent

    beaucoup dinscurit chez les citoyens. Dans un document intitul Profil criminel du

    quartier de Montral-Nord 2004-2008 , le SPVM appuie sa prtention en faisant

    allusion deux sondages mens auprs de citoyens de Montral-Nord, lun en juin 2005,

    lautre en juin 2008 (C-355, p. 23). Notons que le document ne prcise pas quelle est la

    marge derreur pour chacune des enqutes dopinion. Il nest pas indiqu non plus

    combien des 900 rpondants ont particip chacun des deux sondages.

    Prs de la moiti des rsidents connaissent et vitent certains endroits de peur de

    rencontrer des membres de gang de rue , lit-on (Id, p. 24). Le document se garde bien

    de prciser quels sont les critres que les rpondants ont utiliss pour dterminer

    lappartenance aux gangs de rue. La rponse cette question est dailleurs loin dtre

    vidente lorsquon a lesprit les tmoignages rendus par les agents Pilotte et Lapointe.

    Je savais pas ncessairement ctait quoi un gang de rue , a admis candidement

    lagente Pilotte (02-2-2010, p. 79). On en a parl pendant la formation il me semble

    des trois semaines o je suis entre au Service, puis honntement ce que jai retenu de a

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    cest quel point cest difficile de dfinir un membre de gangs de rue, quel point, les

    diffrents, mettons organismes, ts on arrive pas se mettre d'accord pour retenir une

    seule dfinition (Id, p. 81). Lagent Lapointe a insist sur la complexit du concept. La

    description dun membre de gang de rues, cest quand mme assez complexe. Il y a

    plusieurs critres, l, pour dterminer comment on classe les individus qui font partie des

    membres de gang de rue. il y a plusieurs nuances dans a, il y a des membres en rgle,

    il y a des gens qui vont frquenter des membres de gang de rues, il y a les ttes

    dirigeantes, donc, il y a plusieurs catgories diffrentes. Et cest trs complexe, l, je suis

    pas un expert du tout en la matire, ce niveau-l (03-2-2010, p. 35-36).

    Si les policiers qui tiennent la ligne de front dans la lutte aux gangs de rue en perdent

    leur latin, imaginez un simple citoyen ! Bien que le phnomne des gangs de rue

    sapparente une menace aux contours flous, cela ne lempche pas dtre identifie

    comme tant la principale problmatique de Montral-Nord, selon lagent Lapointe

    (12-2-2010, p. 187). Le document du PDQ 39 prconise mme d exercer une pression

    sur les sujets de gangs de rue, et ceux qui gravitent aux alentours (C-176, p. 32).

    Deux rapports, publis en 2009, apportent cependant un autre clairage quant aux

    opinions des rsidents de Montral-Nord relativement au phnomne des gangs de rue.

    Le premier est une tude rdige sous la plume de MM. Jean-Marc Fontan et Patrice

    Rodriguez, intitule tude sur les besoins et les aspirations des rsidants de l'lot

    Pelletier (C-362). Llot Pelletier est ce quadrilatre form par le boulevard Henri-

    Bourassa et les rues Pelletier, Garon, Amos. Ltude a dbute en mai 2008 et a t

    termine aprs l'meute daot 2008. Au total, les auteurs ont rejoint 326 personnes

    afin de prendre le pouls de l'lot Pelletier (C-362, p. 12).

    Ltude rvle que les sentiments dinscurit lis aux gangs de rue peuvent parfois

    cacher un lot de prjugs que nourrissent certains citoyens. Ainsi, le document indique

    que les jeunes Noirs sont victimes dun amalgame pernicieux avec les gangs de rue, ce

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    qui soulve lhypothse que les strotypes racistes pourraient alimenter le sentiment

    dinscurit. Parmi les personnes interviewes, il existe une association bien prsente

    entre les "Noirs" et les problmes de gangs de rue ou de bruit, notent les auteurs (Id, p.

    32). Il a t observ que les Qubcois tablissent parfois des rapprochements entre

    l'immigration et la criminalit. Ainsi, les jeunes que l'on voit dans la rue, et qui sont

    souvent pour la majorit des Noirs d'Hati, sont souvent assimils des gangs de rue ,

    ajoutent-ils (Id, p. 34). Le sentiment dinscurit de certains rsidents serait donc fond

    sur la peur quils ressentent la vue de groupe de jeunes Noirs.

    Le second document est le rapport Montral-Nord, le point de vue citoyen prcit,

    qui a t produit partir de matriel gnr lors de deux sries consultations menes

    par lorganisme Un itinraire pour tous auprs de citoyens de Montral-Nord. Dune

    part, lorganisme a organis des entrevues de groupe en collaboration avec divers

    organismes, lautomne 2008. Dans un premier temps, les entrevues se sont tenues

    dans le secteur nord-est. Puis, la consultation fut tendue dautres quartiers de

    Montral-Nord. Au total, environ 300 personnes prirent part 29 groupes de discussion,

    produisant plus de 50 heures dentrevues (C-361, p. 3). Un itinraire pour tous a

    galement men un vox pop dans le secteur nord-est auprs de 150 citoyens, environ

    une semaine aprs les vnements daot 2008 (Id, p. 17).

    Les rsums des entrevues de groupe ne contenaient pas la moindre allusion aux gangs

    de rue. Cela nous est apparu trange. Aprs vrification auprs de lanimatrice des

    groupes de discussion, les rsums taient fidles. Le thme des gangs de rue sest avr

    prsent dans les rponses au vox pop mais il ntait pas prpondrant du tout,

    commentent-ils (C-361, p. 36). Voici comment ils interprtent lattitude des rsidents :

    Le citoyen ne semble pas particulirement intress rsoudre la question savoir si

    lobjet de son inscurit, de son anxit, de sa crainte ou de sa peur est affili un

    groupe criminel ou sil agit pour son propre compte (Id, p. 37).

  • 12

    Le sentiment dinscurit des citoyens lgard des gangs de rue aurait-il t mont en

    pingle par le SPVM ? Le tmoignage de deux rsidents de la rue Pascal qui habitent en

    face du parc Henri-Bourassa semble accrditer cette thse. Le premier est Francesco

    Chiarappa, qui vit Montral-Nord depuis 37 ans (15-7-2010, p. 170). M. Chiarappa a

    tmoign leffet que les gangs ne font pas grand chose dautre que beaucoup du

    bruit. Il a dclar navoir jamais constat la prsence de gangs de rue prs des magasins

    et na pas non plus t en mesure de dire si ceux-ci taient impliqus dans des activits

    criminelles (Id, p. 159-161). Le second est Joseph Bellissimo, qui rside Montral-Nord

    depuis quinze ans, et est voisin de M. Chiarappa depuis trois ans. Il y en a des affaires

    qui se passent dans le parc, un ou deux gars, tu sais, trois gars, peut-tre. Mais je nen

    vois pas de gangs de rue, a lanc M. Bellissimo. Quand jtais jeune, plus jeune, l il

    avait des gangs. On tait vingt, trente personnes, a cest un gang. Mais deux, trois

    personnes, ce nest pas un gang (Id, p. 198-199).

    Le phnomne de lintimidation policire

    Les interventions policires menes Montral-Nord au nom de la lutte aux incivilits et

    aux gangs de rue ne font pas toujours dans la dentelle. Les jusquau-boutistes de la loi et

    lordre peuvent toujours compter sur lappui de penseurs qui croient que la fin justifie

    les moyens, quitte avoir recours des mthodes qui ne vont pas sans rappeler celles

    utilises par ceux qui se trouvent du mauvais ct de la loi. Les conclusions du rapport

    provisoire intitul Lintimidation envers les policiers du Qubec , confectionn sous la

    direction de Maurice Cusson du Centre international de criminologie compare de

    lUniversit de Montral, en sont un exemple (C-363).

    Destin documenter le phnomne de lintimidation envers les policiers, le rapport

    conclut quil faut combattre lintimidation par lintimidation. Linstitution policire

    est ncessaire la dissuasion : une des raisons de son existence est de faire peur aux

    bandits, lance-t-on sans dtour. Quand lintimidation affecte les policiers au point de

  • 13

    freiner leur action, la pression dissuasive sur les malfaiteurs se relche ; ces derniers

    cessent davoir peur et ils se permettent de perptrer des crimes graves. Pour produire

    de la scurit, cest la police qui doit intimider les malfaiteurs, et non linverse (C-363,

    p. 53). En dautres mots, cest celui qui fera le plus peur, voire celui qui sera le plus

    peurant, qui lemportera dans cette lutte opposant les forces de la loi aux hors-la-loi.

    Il est rvlateur quun document nonant des conclusions aussi aberrantes ait t

    dpos en preuve lenqute linitiative de lemployeur de lagent Lapointe. La Ville

    de Montral cautionnerait-elle le recours lintimidation policire ? Par ailleurs, de qui

    parle-t-on quand on fait allusion aux malfaiteurs et aux bandits chez qui il faut susciter

    la peur de la police ? Parle-t-on des 10 000 individus dont les noms sont inscrits dans le

    registre du SARC (Systme automatis de renseignements criminels) comme tant

    relis de prs ou de loin aux gangs de rue ? (C-347, p. 7)

    Certains avocats voudraient faire croire que lintimidation policire est une pure

    invention de la part de membres de gangs de rue qui complotent pour tenir limage des

    forces de lordre. Ce nest pourtant pas pour rien si le lgislateur a fait de lintimidation

    un acte drogatoire au Code de dontologie des policiers du Qubec. Comme lindique

    une liste dune soixantaine de jugements rendus par le Comit de dontologie policire

    (C-395), lintimidation policire ne relve pas de la fiction.

    Le rapport de M. Courcy confirme dailleurs que le phnomne de lintimidation

    policire est rpandu Montral-Nord. Les jeunes considrent quils sont intimids lors

    dinterpellations lorsque les policiers leur tiennent des propos tels que : "To, on ta

    loeil" ; "Tes aussi bien de marcher droit" ; "Mo, je vais te dresser" ; "Jen sais long sur

    ton compte" ; " la prochaine, on se reverra bientt" ; "Tas peur hein ! On dirait que ta

    fourr ta mre" (C-339, p. 5).

  • 14

    Les jeunes du quartier sont constamment sur le qui-vive, ce qui ne peut quexacerber

    les interactions avec la police. Ils se sentent constamment surveills, pis. Ils font les

    commentaires suivants : "Ils veulent tout savoir sur nous" ; "Ils identifient l o on

    habite" ; "Ils surveillent nos dplacements et qui lon frquente" ; "Le soir, nous avons

    droit de gros sport de lumire dans la face pour nous intimider" (Id, p. 5-6). M.

    Metellus a t tmoin de cette pratique. Des fois, ils taient en vhicule, ils faisaient

    exprs de rentrer dans le parc. Puis ils ont pas le droit, mais ils rentraient dans le parc,

    juste pour aller nous voir, dans le fond, l mme pour rien, l, il faisait noir puis ils

    mettent leurs grosses lumires sur nous, l, pour rien, leur flash (01-06-2010, p. 60-61).

    Durant son tmoignage, M. Metellus en avait long dire sur les actes dharclement et

    dintimidation policire dont il a t tmoin ou victime. En raison de contraintes

    despace, je vais me limiter dcrire une pratique des policiers du PDQ 39 dont il a

    rvl lexistence. En rsum, des personnes sont menottes et emmenes derrire un

    restaurant du nom de Hollywood Dinner, situ langle des boulevards Langelier et

    Maurice-Duplessis, au lieu dtre conduites directement au poste de police. M. Metellus

    a racont en avoir fait lexprience aprs avoir t arrt par lagent Lapointe lui-mme,

    sur la rue Pascal (01-06-2010, p. 65). Il a t menott, embarqu dans une camionnette

    de police puis dpos en arrire du Hollywood. cet endroit, un des policiers lui a livr

    un petit sermon. Il commence parler, je sais pas comment, il commence parler de

    crack, genre, et l, dire plein de btises aprs, il ma juste laiss partir (Id, p. 69-

    71). M. Metellus dit connatre dautres personnes qui ont eu droit ce traitement.

    Jtais sur Lapierre puis des fois, mes amis me disaient : "Ah! Les policiers viennent de

    me dbarquer", mais cest toujours l quils dbarquent le monde, je sais pas pourquoi,

    derrire le Hollywood (Id, p. 75).

    Lexprience raconte par Bayron Alexis Clavasquin, le frre de Yerwood Anthony, aux

    mains de lagent Lapointe donne froid dans le dos. Je me situais devant le dpanneur

    quand il ma vu Jai march deux coins de rue pour me rendre chez moi. Cest alors

  • 15

    quil me suivait, il me suivait, jai mont la cte, cest une rue "one way"... cette rue-l

    descend lui, il la montait en me suivant. Puis aussitt que je men allais sonner la porte,

    il ma dit : "Aye ! Monsieur Clavasquin". Je me suis retourn, il ma dit : "Viens icitte." Jai

    dit : "Non, jai rien te dire. Jai rien fait. " Aussitt que je sonne, jouvre la porte, le vois

    sortir de son vhicule. Cest aussitt quil me tire lpaule puis il ma garroch aux

    dchets. Cest ce moment-l quil ma montr le bras il me la mont, que mme

    prsent, jai encore des douleurs, je sens des douleurs dans mon bras. Aussitt

    embarqu, il a mis les menottes, ils mont amen derrire le Hollywood. Jtais seul, ils

    taient quatre, cinq autos de patrouille ils ont fait un carr. Ils se sont mis stationns

    de chaque ct. Lapointe est sorti, il ma ouvert la porte, cest ce moment-l quil ma

    dit : "Bon, l, tu fermes ta gueule puis tu vas faire quest-ce que je te dis la lettre". Il

    ma dit : "Premire chose que je vais te demander, sors tranquillement de lauto". Cest

    alors que je suis sorti tranquillement comme il me la dit. Cest alors quil me sort dehors

    puis en dcidant de me fouiller, il ma baiss les pantalons jusquen bas. Jtais en boxer.

    Ensuite de a : "Ah! cest une erreur", puis ils mont relch. (22-7-2010, p. 266-276).

    Propension pointer une arme

    Certains policiers se servent mme de leur arme feu pour intimider les citoyens de

    Montral-Nord. Durant son tmoignage, M. Metellus a indiqu quil avait vu plusieurs

    fois des policiers pointer leur arme feu sur des citoyens alors quils ntaient pas

    directement menacs (22-6-2010, p. 47). M. Dany Villanueva a mme t tmoin dun

    incident trange impliquant lagent Lapointe, sur la rue Lapierre, vraisemblablement

    durant lt 2007. Je lai vu tout dun coup jeter sa bicyclette, il a fait comme une

    cascade, il a tourn comme une cascade, je ne sais pas comment a sappelle. Puis, je lai

    vu sortir son arme, dgainer genre, le montrer devant le monde l. Jai constat quil

    voulait se montrer ou je sais pas cest quoi quil voulait faire (05-5-2010, p. 204).

  • 16

    M. Villanueva a donn de plus amples dtails sur cet incident lorsquil a t contre-

    interrog par lavocat de lagent Lapointe, Me Pierre Dupras. Jai vu quil sest lanc

    comme la tte la premire il a tourn avec son dos au sol, il a, puis l il est tomb avec

    ses pieds comme avec les pieds plis (12-5-2010, p. 163). Il a sorti son arme en

    pointant en direction du groupe de jeunes qui taient en face (Id, p. 162). Selon M.

    Villanueva, de cinq dix jeunes de son ge taient prsents (Id, p. 166). M. Villanueva

    na pas vu lagent Lapointe procder aucune arrestation. Jai vu quil y a eu comme

    une ou deux personnes qui sont parties, puis si je men souviens bien, je pense quaprs

    a, il a rentr son arme (Id, p. 164). Je nai pas peru quil y avait la ncessit de faire

    tout a , a dit M. Villanueva (Id, p. 167).

    Denis Meas a quant lui tmoign sur un incident dont il a t tmoin lpoque o il

    travaillait dans un dpanneur Couche-tard, quelques mois avant lvnement. Des

    policiers ont dgain leur arme sur des gens, sous le seul motif que ceux-ci taient sorti

    rapidement du dpanneur. Les policiers croyaient, semble-t-il, quil stait pass

    quelque chose dans le dpanneur alors quil nen ntait rien (26-5-2010, p. 71-75).

    Comme on le sait, les agents Allard et Gallo ont braqu leur arme feu en direction de

    M. Meas et de son compagnon Claude Laguerre, aprs que leur collgue Lapointe eut

    tir sur trois personnes, dont M. Meas (C-51 ; C-52). Le comportement des deux

    policiers est dautant plus inexcusable quand on sait que ce sont MM. Meas et Laguerre

    qui ont eux-mmes interpell le vhicule de patrouille, au coin du boulevard Rolland.

    On faisait des signes de la main pour que la parce quon avait vu une patrouille arriver

    on criait que javais t touch par balle. (17-5-2010, p. 116) Le policier, il sort son

    arme, il me le pointe, puis il me dit : "couche-toi par terre" (Id, p. 118) Il ma dit dtre

    plat ventre il ma fouill les poches il a constat que javais pas darme, rien. Il a

    pris mon portefeuille (Id, p. 120). Il ma mis les mains derrire, javais les mains

    derrire quand jtais plat ventre. L, cest a, puis a saignait, a saignait vraiment

  • 17

    beaucoup, l. L, je pense quil a essay de me passer les menottes, je sais pas trop, mais

    quand il a vu que je saignais, il ma laiss (Id, p. 122).

    Lenqute nous a appris que de tels incidents ont continu survenir dans le quartier

    nord-est aprs le 9 aot 2008. Dans son rapport, M. Courcy a dcrit une intervention

    policire dont il a t tmoin au coin des rues Pascal et Pierre, le 24 octobre 2008. Jai

    vu la premire policire mettre la main sur son arme et garder la main sur son arme. Les

    jeunes ont vu cela et ils sont devenus plus nerveux. Dautres jeunes sont venus grossir le

    groupe. Ils taient 7 ou 8. Un jeune a dit la policire qui tenait son arme : "Regarde ton

    attitude." Il a dit plus tard quil avait peur. La policire a rtorqu "Tas les mains dans

    les poches." Le jeune a sorti son cellulaire. La policire na pas boug sa main sur son

    arme. Elle a ajout : "si tas peur, va-t-en". Le policier na pas parl sauf pour dire : "Si a

    tnerve, prends tes pilules" (C-339, p. 9). La policire en question a indiqu M.

    Courcy que le motif de lintervention tait un appel anonyme pour flnage .

    Yerwood Anthony Clavasquin a quant lui rvl lexistence dun incident survenu

    deux pas de chez lui, au dbut de lt 2010. Il y a eu un incident sur Lapierre o est-ce

    que tous les policiers ont dbarqu, puis ils ont point leurs armes vers tout le monde qui

    tait l. Il y avait comme des petits enfants, jeunes enfants, des adultes Ils

    cherchaient une personne, juste pour une personne (05-7-2010, p. 230-231).

    Il nexiste pas, semble-t-il, de procdure au SPVM permettant de colliger des statistiques

    sur ce type dincidents. Lagent Lapointe a en effet indiqu durant son tmoignage que

    le SPVM noblige pas les policiers rdiger un rapport lorsquils pointent leur arme de

    service sur un citoyen (04-2-2010, p. 196). Malheureusement, tant et aussi longtemps

    que les policiers se serviront de leur arme feu de faon aussi irresponsable, ce nest

    quune question de temps avant quun autre incident tragique ne survienne.

    Le phnomne du profilage racial

  • 18

    Lintervention policire du 9 aot 2008 est survenue dans un contexte o les

    interpellations lgard des Noirs atteignaient des sommets Montral-Nord. Le

    phnomne a pu tre document grce aux donnes recueillies par le criminologue du

    SPVM Mathieu Charest, dans le cadre dun rapport intitul Mcontentement

    populaire et pratiques d'interpellation du SPVM depuis 2005 (C-340).

    Ainsi, le rapport de M. Charest rvle que Montral-Nord est larrondissement qui a

    connu la plus forte hausse des contrles didentit depuis 2005. Montral-Nord, la

    frquence mensuelle moyenne des interpellations a augment de 126% pour les noirs (26

    par mois en 2001 et 2006 contre 59 en 2006-2007) alors que la hausse des

    interpellations de blancs est trois fois plus faible (40%). Dans une salle contenant 100

    jeunes noirs et 100 jeunes blancs de Montral-Nord, 38 noirs auraient t interpells (au

    moins une fois) contre seulement 6 blancs. (C-340, p. 5).

    M. Charest fait le lien entre la hausse des interpellations de Noirs et la lutte aux gangs

    de rue. Le dploiement descouades mobiles, libres de la rponse aux appels et

    ddies la lutte aux gangs de rue Montral est en grande partie responsable de la

    hausse que nous observons. Montral-Nord, les priodes dactivits dAvance (

    partir de 2006) concident avec une hausse de 76% du nombre total de personnes

    interpelles. Cette augmentation touche beaucoup plus fortement les membres de la

    communaut noire (+124%) que les blancs (+39%) (C-340, p. 8).

    Le lien est dautant plus probant quand on se rappelle que lagent Lapointe a reconnu

    que la majorit des individus fichs dans les banques de donnes du SPVM comme tant

    membres de gang de rue Montral-Nord sont des membres des communauts latinos,

    noires, et des personnes multres (09-3-2010, p. 164). M. Charest exprime de srieux

    doutes quant lefficacit de la sur interpellation des Noirs dans le contexte de la lutte

    aux gangs de rue. Si lon se fie au point de vue des patrouilleurs, seulement 20% des

  • 19

    noirs interpells en 2006-2007 sont relis au milieu des gangs de rue (3378 / 17 292)

    (C-340, p. 7). En fait, la lutte aux gangs de rue nexplique pas tout. Le phnomne de la

    sur interpellation des Noirs existait bien avant que le SPVM dcide de prioriser la lutte

    aux gangs de rue. Dj en 2001-2002, la proportion de noirs interpells tait 3 fois plus

    leve que leur poids dmographique (7%) (C-340, p. 3).

    Dans une mise jour des donnes, publie en aot 2010, M. Charest relve que le

    phnomne de la sur interpellation des Noirs Montral-Nord sest accentu durant la

    priode prcdent le dcs de Fredy Villanueva. On observe une troisime anne de

    croissance o le nombre de contrles didentit (connus) augmente encore de plus de

    50% (en 2008). Les sommets de cette hausse surviennent dans les mois qui prcdent

    lmeute. On remarque aussi que la hausse de surveillance qui affectaient galement

    les Blancs en 2006 et 2007 ne touche maintenant que les Noirs. Les interpellations de

    Blancs dclinent progressivement durant lanne 2008 (C-347, p. 4). La sur

    interpellation des Noirs sexpliquerait donc par la sur surveillance exerce leur gard.

    Une analyse de 200 personnes interpelles prises au hasard (100 blancs, 100 noirs)

    suggre que les justifications invoques lors des interpellations de noirs sont beaucoup

    plus subjectives que lors dinterpellations de blancs ; 64% des interpellations de blancs

    surviennent en rponse un appel, la suite dun dlit, dune infraction au code de la

    scurit routire ou dun rglement municipal. Ces "motifs" de contrler un individu

    napparaissent que dans 37% des interpellations de noirs. Les motifs plus "vagues" (les

    enqutes de routine et les sujets dintrt) justifient le 2/3 des interpellations de noirs

    (340, p. 7).

    Ces observations vont dans le mme sens de larticle que MM. Lonel Bernard et

    Christopher McAll, publi dans la revue du CREMIS (C-382). Un jeune Noir a ainsi 7 fois

    plus de chances dtre observ et arrt par la police en train de fumer de la marijuana

    ou de vendre de la drogue dans lespace public quun jeune Blanc (1,1 jeunes Noirs sur

  • 20

    mille se trouvant dans cette situation, contrairement 0,17 jeunes Blancs). Dans ce cas,

    la surreprsentation des jeunes Noirs pour ce chef daccusation semble donc directement

    tributaire dune surveillance accrue de la part des policiers et des agents de scurit dans

    lespace public, comparativement celle que subissent les jeunes Blancs (Id, p. 8-9).

    Les jeunes Noirs sont encore une fois arrts plus souvent aprs avoir t observs, en

    train de voler, par un agent de scurit ou un policier, que les jeunes Blancs : 13,2 pour

    les premiers et 5,1% pour les deuximes. Autrement dit, 3,4 jeunes Noirs sur mille parmi

    les Noirs de leur groupe dge sont arrts pour vol aprs avoir t observs par un

    policier ou un agent de scurit, contre 0,66 sur mille pour les Blancs. Les jeunes Noirs

    ont ainsi 5,15 fois plus de chances que les jeunes Blancs dtre arrts dans ce type de

    situation qui pourrait, lui seul, expliquer 21,1% de la surreprsentation globale des

    jeunes Noirs parmi les jeunes arrts et poursuivis, comparativement aux jeunes Blancs

    (C-382, p. 9).

    Comme dans les cas prcdents, un jeune Noir est particulirement susceptible dtre

    arrt pour bris de conditions aprs avoir t observ par un policier ou un agent de

    scurit : 13,2% des jeunes Noirs de lchantillon, contrairement 5,1% des jeunes

    Blancs. Ce qui veut dire que 3,4% jeunes Noirs sur mille parmi les Noirs de leur groupe

    dge taient arrts pour bris de conditions aprs avoir t observs par un policier ou

    un agent de scurit dans lespace public en 2001, contrairement 0,66 jeunes Blancs

    sur mille. Les jeunes Noirs ont ainsi 5,2 fois plus de chances dtre arrts dans des

    circonstances que les jeunes Blancs (C-382, p. 11).

    Certains tmoins entendus lenqute ont donn des exemples de situations qui

    sapparentent du profilage racial. a a arriv plusieurs fois, on coute la musique de

    notre vhicule, l les policiers viennent nous arrter, mais juste, plus souvent derrire

    larna il y a des Blancs aussi dans leur auto qui font la mme chose que nous, l ils sont

    venus nous emmerder nous avant daller eux-autres, puis cest pour a, ils font a

  • 21

    plusieurs fois , a expliqu M. Metellus (23-6-2010, p. 125). M. Clavasquin a parl du cas

    dun de ses amis, originaire du mme pays que lui, soit le Honduras. Il a racont quun

    policier ne va pas agir de la mme faon quand il voit un Latino traverser la rue que

    quand il voit un Blanc faire la mme chose (02-7-2010, p. 176).

    La sur surveillance le 9 aot 2008

    La thse de la sur surveillance trouve son application dans lintervention policire qui a

    cout la vie au jeune Fredy Villanueva. Rappelons que le point de dpart de cette

    intervention sont les observations de deux patrouilleurs lgard dun groupe de jeunes

    hommes de couleur issus de diverses communauts immigrantes (latino, asiatique,

    hatienne). Les agents Lapointe et Pilotte ont ainsi dclar avoir observ que ce groupe

    de jeunes contrevenait un rglement municipal en jouant aux ds largent dans le

    stationnement de larna Henri-Bourassa.

    Le groupe se trouvait une distance denviron 40 mtres du coin sud-ouest de la btisse

    qui contient la fois larna et la Maison communautaire et culturelle de Montral-

    Nord. Selon lagente Pilotte, il a fallut une deux minutes pour que le vhicule

    franchisse cette distance (11-12-2009, p. 46). On devait rouler 15 kilomtres heure ,

    prcise-t-elle (Id., p. 187). Gerardo Escobar a dcrit lavance du vhicule de faon

    image. Je lappelle tortue parce quil avanait lentement (19-7-2010, p. 133).

    Ce nest quune fois rendu une distance denviron 10 mtres que lagent Lapointe dit

    avoir eu la certitude que le groupe sadonnait une partie de ds illgale. Environ

    dix mtres, ce n'est pas que l, j'ai bien vu, c'est que cette image-l s'est concrtise, si je

    peux dire. Je vois la mme image et, rendu une distance de dix mtres, tout au cours de

    mon avance, maintenant cette image-l est trs claire et surtout j'ai, ce moment-l,

    les motifs de croire que ce que je vois, a contrevient un rglement municipal, a

    contrevient une infraction (05-2-2010, p. 12). Cette image-l nest pas aussi claire

  • 22

    40 mtres. Cette image-l va tre trs claire pour moi rendu une distance que jestime

    environ, l, de 10 mtres des individus, l (03-2-10, p. 20). Cest donc dire que lagent

    Lapointe na pas quitt des yeux le groupe de jeunes de couleur durant tout le trajet

    quil a fait dans le stationnement. Il les a surveill pendant quil franchissait une distance

    de 30 mtres, et ce, sans mme savoir sil se trouvait en prsence dune infraction. Il a

    fix le groupe jusqu temps de percevoir ce qui lui est apparu comme tant une

    infraction un rglement municipal.

    Lagent Lapointe est tellement concentr observer le groupe quil ne remarque pas la

    prsence denfants dans le parc Henri-Bourassa. Il y a des gens qui jouent au soccer

    derrire. Est-ce que cest enfants, des personnes adultes ou des personnes ges ? Jai

    pas fait cette remarque-l, cette observation-l (09-3-2010, p. 176). Tellement quil na

    vague souvenir de la prsence de vhicules sur les lieux. Ils nont pas attir mon

    attention, jai vu ces voitures-l dans le dcor, si je peux dire, dans limage que jai de

    lendroit en gnral, mais mon attention tait pas porte sur ces vhicules-l (03-2-

    2010, p. 61).

    Il est tellement absorb par ses observations que cest peine sil constate la prsence

    dun second groupe de jeunes, contrairement sa partenaire Pilotte, qui a not la

    prsence de ce groupe dsign comme tant le groupe B. Je vois que le groupe B ils

    ont plus lair de discuter entre amis, me semble quil y en a un qui a quelque chose dans

    ses mains, qui semble tre un cellulaire, puis ils ont lair de regarder le cellulaire

    ensemble, puis a ricane , dclare-t-elle. Ils ont lair contents, de bonne humeur (30-

    10-2009, p. 246). Je vois des personnes qui sont derrire, mais je porte pas mon

    attention sur les personnes qui sont derrire, reconnait lagent Lapointe. ma

    connaissance, ils vont et viennent, donc, je vais vraiment concentrer mon observation sur

    le groupe en question. Je peux pas mentionner, l, jai entendu ma partenaire parler de

    deux groupes. Moi, je peux pas parler, l, je peux pas mentionner, je peux pas faire la

    distinction entre un autre groupe (03-2-2010, p. 26).

  • 23

    La concentration de lagent Lapointe est tellement dirige sur le groupe de jeunes quil

    na jamais eu conscience dun appel pour une plainte de bruit. Non, jai pas eu

    connaissance, l, sil y avait un appel qui tait entr au terminal dclare-t-il (Id., p. 88-

    89). Pendant quon se dirigeait, quon approchait le groupe de jeunes, moi jai eu un

    appel au terminal, on a reu un appel, si je me souviens bien je pense que ctait une

    plainte de bruit, explique la policire Pilotte. Il y a une sonnette quand on reoit lappel,

    a attire notre regard fait que immdiatement jai pris connaissance de lappel qui nous

    tait envoy, je lai dit vite vite Jean-Loup verbalement (30-10-2009, p. 247-248).

    Jai pas entendu a du tout, moi, jai pas peru a du tout, je remets videmment pas son

    tmoignage en cause. Par contre, moi, mon attention tait vraiment dirige

    lextrieur , a dclar lagent Lapointe (03-2-2010, p. 89). La policire na pas t en

    mesure de dire si lagent Lapointe a ragit dune quelconque faon. Je me rappelle

    quil tait trs concentr observer les gens qui taient devant nous (10-12-2009, p.

    147).

    Lagent Lapointe a avanc lexplication suivante. Daprs mon analyse, l, madame

    Pilotte, si elle ma dit a, elle ma dit a probablement pendant que jtais en train de

    madresser verbalement aux gens (03-2-2010, p. 89). Cette affirmation est cependant

    problmatique. En effet, si lagent Lapointe avait t en train de sadresser aux jeunes

    ce moment-l, alors sa partenaire Pilotte naurait pu faire autrement que de raliser

    quil navait pas son attention, et donc, quil ne lcoutait pas. La version la plus

    vraisemblable est plutt que lagente Pilotte a inform son partenaire Lapointe mais

    quelle ne sest tout simplement pas rendu compte, ce moment-l, que celui-ci ne

    lcoutait pas, car la surveillance des jeunes de couleur monopolisait toute son

    attention. La policire tait donc probablement de bonne foi lorsquelle a dclar

    durant son tmoignage quelle a inform son partenaire. Fort de cette croyance, elle a

    ensuite appuy sur le bouton du terminal indiquant la rpartitrice quils taient inscrit

    en direction (30-10-2009, p. 249). Il apparait dautant plus invraisemblable que lagente

  • 24

    Pilotte ait prit une telle dcision sans avoir la croyance den avoir inform son partenaire

    de lappel quand on se rappelle quelle a dclar durant son tmoignage que ctait

    vraiment monsieur Lapointe qui dcidait o on allait (Id., p. 204).

    Cest ainsi quau lieu de rpondre la plainte dun citoyen, les deux patrouilleurs sont

    plutt intervenus lgard dun groupe de jeunes de couleur qui navait suscit aucune

    plainte de la part de quiconque. M. Escobar a peru du racisme dans lintervention

    policire du 9 aot 2008. Le policier Lapointe, oui, lui, je laccuse de racisme (19-7-

    2010, p. 157). Normalement, javais vu des auto-patrouilles qui passaient prs des

    jeunes. Il ny avait pas de problmes, ils passaient lentement, ils vrifiaient, ils

    regardaient, ils passaient et ils continuaient leur chemin. Mais cette fois-ci, o le groupe

    de Latino-Amricains et lHatien, ils sont venus directement, ils se sont rendus

    directement (20-7-2010, p. 39).

    Dailleurs, lagent Lapointe brle denvie de sortir du vhicule pour passer laction.

    tel point quil ne fait aucune planification. On na pas parl de quest-ce quon allait

    faire , dclare lagente Pilotte (11-12-2009, p. 274). Sa communication avec sa

    partenaire est pour ainsi dire rduite sa plus simple expression. Les gens l-bas, ils

    jouent aux ds, cest un RM , sont les seules paroles que lagent Lapointe affirme lui

    avoir mentionn (03-2-2010, p. 70). Il avoue ne jamais avoir indiqu clairement la

    policire Pilotte quil avait lintention dmettre des constats dinfraction. Pour moi,

    cest un RM, a, lui indique que cest un rglement municipal et moi, a va de soi que je

    men vais intervenir auprs de ces gens-l, pour leur donner des constats dinfraction. Je

    sais pas si jai t assez clair, je sais pas si elle, elle a compris a (Id, p. 107).

    Des motifs pour le moins anmiques

    Les deux patrouilleurs sont donc intervenus en vertu de larticle 12 e) du Rglement sur

    les parcs, bassins deau et difices publics, qui interdit quiconque visite un parc ou un

  • 25

    difice de pratiquer un jeu de hasard, ce qui inclut les jeux de ds (C-24, annexe 122). La

    policire Pilotte a indiqu quune somme dargent doit tre en jeu afin de rendre le jeu

    de hasard illgal. Elle na cependant pas t en mesure de confirmer la prsence de

    sommes dargent sur les lieux. Je suis certaine quil y avait des choses au sol, je peux

    pas dire ncessairement si ctait de largent (11-12-2009, p. 193). Elle a galement

    reconnue quelle ntait pas en mesure de dire si tous les jeunes hommes observs

    avaient chacun mis des sommes dargent (Id, p. 272). Jai pas labsolue certitude que

    cest de largent, mais de toute vidence, pour moi, l, a semble tre de largent en

    papier qui est au sol , affirme de son ct lagent Lapointe (03-2-2010, p. 31). Il a

    toutefois admis ne pas avoir vu de pices de monnaie (Id., p. 32).

    Les observations de lagent Lapointe ont cependant t contredites par les participants

    la partie de ds. On ne joue pas avec de largent en papier , a dclar M. Meas (18-

    5-2010, p. 31). Celui-ci a expliqu que les joueurs mettaient plutt des pices de

    monnaie au sol (17-5-2010, p. 32). Les sommes dargent en jeu slevaient 1 dollar.

    chaque fois que quelquun gagnait, il gagnait 1 dollar, a rsum Dany Villanueva (29-3-

    2010, p. 121-122). Ces tmoignages sont corrobors par les enquteurs de la Sret du

    Qubec, qui ont saisi des pices de monnaie sur les lieux (25-5-2009, p. 177).

    Lagent Lapointe a aussi reconnu quil na pas vu les ds en tant que tel. Les ds au sol,

    sur de l'asphalte, effectivement, c'est une chose qui est extrmement difficile

    observer (05-2-2010, p. 23). Il na jamais t capable non plus de fournir quelque

    prcision que ce soit quant lidentit des participants linfraction. Je ne crois pas

    que je suis en mesure didentifier toutes les personnes, de les situer, vraiment

    exactement, l, en cercle, donc, de dterminer, selon limage que jai vue le 8 aot, de

    dterminer prcisment qui tait telle place (09-3-2010, p. 217-218). Je n'ai pas vu,

    je n'ai pas t en mesure de reconnatre un individu en particulier lancer les ds et les

    ramasser (05-2-2010, p. 36). Je suis pas en mesure didentifier une personne prcise

    qui va toucher aux ds ou largent (11-3-2010, p. 105).

  • 26

    Pour un policier qui a observ aussi attentivement un groupe de contrevenants, la

    cueillette dinformations visuelles est plutt pauvre en termes de motifs raisonnables et

    probables quune infraction a t commise. On est presque tent de se demander

    quest-ce qui pouvait bien traverser lesprit de lagent Lapointe pendant quil fixait

    longuement les jeunes de couleur de son regard

    Le seul lment faisant lobjet de certitude est celui-ci : les jeunes hommes sont en

    cercle, lgrement inclins vers lavant et regardent tous dans la mme direction. Je

    vois que l'attention des gens est porte vers l'activit principale qui se droule au

    centre , dclare lagent Lapointe (05-2-2010, p. 19). Lagente Pilotte na dailleurs pas

    t en mesure dindiquer durant son tmoignage si tous les jeunes runis en cercle

    hommes faisaient simplement regarder ou sils taient tous des participants actifs la

    partie de ds (11-12-2009, p. 272). Par ailleurs, lagent Lapointe a reconnu ne pas

    connatre les rgles du jeu de ds auquel se livrait les jeunes hommes ainsi observs (11-

    2-2010, p. 237). De son ct, sa partenaire Pilotte a indique ne jamais avoir jou aux

    ds de toute sa vie (10-12-2009, p. 136).

    Comme on la vu, le lieu de linfraction est un autre lment constitutif de linfraction de

    jouer aux ds largent. Lagent Lapointe a tmoign leffet que la partie de ds se

    droulait dans un parc, selon lui. a fait partie du parc , dit-il (04-2-2010, p. 9).

    Lagent Lapointe ne semblait toutefois pas du mme avis lorsquil a mis un constat

    dinfraction du rglement 1530 Dany Villanueva au mme endroit un an plus tt, le 4

    juillet 2007. V.R. stationn o le stationnement linterdit par la signalisation , indique

    le constat dinfraction (C-237).

    Lagent Lapointe a t appel raconter cet pisode. Ctait une rencontre de

    courtoisie environ quelques mtres de lvnement qui nous concerne, plus au nord,

    donc prs de la rue Pascal. Et ctait une rencontre de courtoisie, je crois que monsieur

  • 27

    Dany Villanueva tait prs ou dans un vhicule, je ne me rappelle pas. Nous ne sommes

    pas dbarqus de notre vhicule, monsieur Coulombe sest adress monsieur Dany

    Villanueva par la fentre. Ctait une rencontre de courtoisie. Ils ont chang quelques

    propos et a sest termin l (11-3-2010, p. 90). Il a dit ne pas se souvenir davoir fait

    allusion un constat relatif au stationnement. Non, jai pas le souvenir de a. Je sais

    quil y a des pancartes interdisant le stationnement proximit de ce lieu-l, donc

    parce quil y a un genre de conteneur tout prs et il y a des pancartes qui interdisent, ou

    du moins qui interdisaient lpoque, le stationnement. Peut-tre que lagent Coulombe

    a fait allusion a, a donn un avertissement monsieur. Je nai pas de prcision, je nai

    pas de souvenir de a (11-3-2010, p. 91).

    La version de Dany Villanueva est fort diffrente. Je me suis stationn l, je suis arriv

    l, jtais en train de fumer une cigarette puis ct de moi il y avait une auto, une

    Hummer blanche, et eux autres ils venaient genre, du ct du parc, ils taient en vlo

    puis ils sont venus vers nous. Quand ils sont venus vers nous, genre, lauto qui tait

    ct de moi elle est partie, puis ils sont venus il y avait une pancarte o moi je

    stationnais que javais pas le droit de me stationner. Il est venu, il ma dit : Tu as pas le

    droit de te stationner l puis il ma dit on va tre oblig de te donner une contravention.

    L moi jai dit : Mais je suis l ct de lauto. Puis il ma dit : Il y a une pancarte, tu peux

    pas te stationner l. Il dit, moins que tu me donne le nom de la personne qui tait

    ct de toi on pourrait sarranger. L moi je dis : Je connais pas la personne, je sais

    mme pas cest qui. Il ma dit : O.K. tu vas prendre un ticket (29-3-2010, p. 135-136).

    M. Metellus a indiqu plusieurs reprises durant son tmoignage que le lieu de

    lintervention du 9 aot 2008 est un bel et bien un stationnement, et non un parc.

    Cest vident que cest un stationnement, puis pas un parc, l. Je peux pas vous dire

    pourquoi, l, mais cest vident que cest un stationnement, l. Et il y a aucun jeu, il y a

    aucun gazon, tout a, juste lasphalte avec des lignes jaunes comme devant un Super C,

    cest un stationnement. Puis juste ct, cest l que tu vois que a paraissait un parc, il

  • 28

    y a un terrain, tous les terrains, tout a, l. a fait que pour moi, cest pas un parc (22-

    6-2010, p. 54). M. Clavasquin est du mme avis. Cest le stationnement les autos

    peuvent se parker, tandis que pour moi le parc cest genre, tu sais, o est-ce que les

    petits enfants jouent, o est-ce quil y a des balanoires, tout quest-ce qui est parc-l

    (02-7-2010, p. 122).

    Si des constats avaient t mis en vertu du rglement sur les parcs, les participants la

    partie de ds auraient manifestement t en position de faire valoir une dfense solide

    au tribunal. Or, lagent Lapointe na jamais mis de constat pour cette partie de ds.

    Invit sexpliquer, lagent Lapointe a offert une srie dexplications contradictoires.

    Je nai pas eu la chance poursuivre, de complter mon intervention ni quelque autre

    rapport que ce soit, part mon rapport complmentaire , a-t-il commenc par dire (09-

    3-2010, p. 208).

    Puis, il a ajout ceci : jtais en arrt de travail, l, pour choc post-traumatique (Id, p.

    209). Il est pour le moins tonnant que lagent Lapointe invoque le choc post-

    traumatique . En effet, lors dune autre journe de tmoignage, il avait lui-mme fait

    part de son incomprhension quand au fait que la docteur Hlie avait elle-mme inscrit

    la mention de choc post-traumatique sur le rapport mdical dat du 19 aot 2008

    (C-189). Je comprends pas pourquoi elle utilise ces mots-l "choc post-traumatique"

    quand moi, ma perception est quun choc post-traumatique arrive vraiment beaucoup

    plus tard, l, des mois ou des annes plus tard, aprs un vnement stressant (04-2-

    2010, p. 227).

    Larrt de travail de lagent Lapointe a cependant dur cinq semaines tout au plus, de

    sorte quil devait maintenant trouver une autre excuse pour expliquer sa dcision de ne

    pas mettre de constat. Il y a une politique ministrielle qui est enclenche depuis

    maintenant quelque temps, jai t rencontr par les enquteurs de la SQ, on ma lu mes

    droits, jai t rencontr titre de suspect, il y a une enqute dun procureur qui est en

  • 29

    cours, o il y a des possibles allgations dhomicide qui peuvent tre portes contre moi

    (09-3-2010, p. 210). Il a toutefois confirm que lenqute de la SQ a dur de 3 4

    mois. Il a aussi dclar quil avait connaissance du fait que le dlai lgal pour mettre un

    constat dinfraction en vertu du Code de procdures pnales est dun an partir de la

    date de linfraction (Id, p. 215). Je crois pas quau point de vue lgal, il y ait quelque

    chose qui mempche ou qui mautorise le faire , a-t-il admis (Id, p. 211).

    Puis, il a invoqu son ignorance quant lidentit des contrevenants. Lorsque je fais

    cette dclaration-l, ce rapport-l, on remarquera que, lexception de monsieur

    Metellus, les six personnes qui sont, les cinq, six personnes qui sont en cercle et qui

    commettent linfraction, jai aucune ide cest qui, ces personnes-l jai aucune ide,

    jai aucune ide des personnes qui commettaient linfraction. a mest donc impossible

    de remplir ces constats dinfraction-l (Id, p. 214). La difficult est de taille, on en

    convient. Mais elle nest pas insurmontable pour autant.

    En effet, en tant que personne intresse lenqute du coroner, lagent Lapointe a eut

    lopportunit de prendre connaissance des dclarations qui ont t faite la faite la

    Sret du Qubec par des personnes qui ont prit part la partie de ds. Je peux pas

    ncessairement dire que pour toutes les personnes qui ont rempli des dclarations et qui

    se disent jouer aux ds, est-ce que cest cette personne-l que moi, jai vu jouer aux ds

    ? , dit alors le policier (Id, p. 216). Cest rendu un contexte o il y a une enqute

    publique qui est annonce, qui est en branle le contexte nest pas favorable ce que

    moi, je fasse a, dautant plus que il y a un problme didentification a-t-il insist (Id,

    p. 217). Lagent Lapointe a toutefois reconnu que le problme didentification ne se

    posait pas pour M. Metellus et Dany Villanueva (Id, p. 219).

    Chose certaine, en refusant dmettre des constats, lagent Lapointe pass ct dune

    une occasion de lgitimer son intervention. Compte tenu de la faiblesse des motifs

    raisonnables et probables, lagent Lapointe a sans doute t forc de raliser aprs coup

  • 30

    que le risque quun tribunal prononce lacquittement des jeunes tait trop lev, ce qui

    aurait vraisemblablement eut pour effet de jeter un srieux doute sur la valeur lgale de

    lintervention policire qui a cout la vie Fredy Villanueva. En ce qui nous concerne,

    labsence de constats confirme clairement labsence de motifs raisonnables et probables

    quune infraction a t commise.

    Larrive de la police

    Dany Villanueva na jamais cach quil a bel et bien jou aux ds. Cependant, il ne jouait

    plus au moment de larrive des deux policiers. Javais jou aux ds avant, mais a

    faisait dj comme dix, quinze minutes avant que lauto de patrouille arrive que jtais

    plus en train de jouer (29-3-2010, p. 121). Javais deux dollars Quand javais jou,

    puis aprs a javais plus rien, puis l cest pour a que javais arrt de jouer (Id, p.

    122). Il avait jou une deux games, mais vu quil navait pas bien, vu quil navait plus

    de change, bien, il a arrt , confirme M. Clavasquin (29-6-2010, p. 59). Le fait que

    Dany Villanueva ait t le premier apercevoir larrive de lauto patrouille ne fait que

    confirmer son innocence. Comme la convenu M. Clavasquin, ceux qui jouaient aux ds

    taient trop occups se concentrer sur la partie pour voir la police arriver (02-7-2010,

    p. 123).

    Lorsque Dany Villanueva a inform les autres jeunes de larrive dune voiture de police,

    le groupe sest dplac quelques mtres louest du stationnement. Lagent Lapointe

    interprte ce mouvement comme une preuve que les jeunes hommes taient conscients

    de leur culpabilit. Ils vont avoir une raction qui va, de toute vidence, me laisser

    croire que, ils ont compris quils venaient commettre une infraction, quils se sentaient

    surpris de ma prsence et se retiraient, voulaient se dplacer (09-3-2010, p. 203). Les

    principaux intresss ont cependant une autre explication offrir. Jessayais juste de

    menlever pour laisser le passage. Puis, on tait quand mme dans le milieu du

    stationnement de larna , dclare Dany Villanueva (29-3-2010, p. 147). M. Meas

  • 31

    abonde dans le mme sens. Je voulais pas nuire la manire quils voulaient passer,

    on a juste voulu reculer pour quils puissent passer (26-5-2010, p. 26).

    Le policier rejette cette explication. Il y a suffisamment despace ma droite, la

    droite du groupe, ils avaient pas besoin de se tasser pour me laisser passer. Ils auraient

    pu trs bien demeurer sur place et jaurais pu passer ct, en vhicule, sans aucun

    problme (09-3-2010, p. 205). Il disait pourtant prcisment le contraire durant une

    autre journe de tmoignage. Javanais, dans le fond, vraiment vers eux, avec un

    angle, l, un peu vers ma droite pour pas, sils restaient sur place, pour pas entrer en

    collision avec eux, videmment. Mais, par contre, l, ils ont commenc faire un

    mouvement vers louest, donc, jai pas vraiment besoin de tasser mon vhicule et je finis

    par limmobiliser (03-2-2010, p. 54).

    Les jeunes se sont pas disperss. Ils sont rests sur les lieux. Il y a seulement Dany

    Villanueva qui sest dissoci du groupe , dclare pour sa part lagente Pilotte (11-12-

    2009, p. 212). La policire prcise toutefois que Dany Villanueva se dirige vers le sud,

    alors que le vhicule avance en direction nord. Me Georges-Louis lui a demand si Dany

    Villanueva va leur rencontre. Oui. Je lai vu partir vers le sud, donc oui, je me rends

    compte quil ma croise , rpond-elle (10-12-2009, p. 163-164). Nous voyons plutt

    mal comment les policiers on pu attribuer Dany Villanueva lintention de fuir la police

    si ce dernier marche en direction de lauto-patrouille.

    Selon la policire, lagent Lapointe a ragit la vue de Dany Villanueva en disant quil ne

    le connaissait pas. Jean-Loup me dit : "je le connais pas lui, je sais pas cest qui" , dit-

    elle (30-10-2009, p. 256-257). Il veut peut-tre l'identifier, je sais pas qu'est-ce qu'il

    veut faire concrtement (02-2-2010, p. 117). Ce tmoignage est plutt problmatique

    pour lagent Lapointe. Celui-ci a en effet a crit dans son rapport quil a reconnu Dany

    Villanueva comme tant un individu dont il ne pouvait se rappeler le nom, mais quil

    savait tre fich comme membre actif du gang de rue des Bloods et ayant des

  • 32

    antcdents de violence et darme (C-153, p. 2). Compte tenu du rcit de lagent

    Lapointe, il sagit-l dune contradiction dont on ne saurait minimiser limportance. Plus

    loin dans lintervention, lagent Lapointe va en effet invoquer sa prtendue

    connaissance des antcdents de violence et darme pour soutenir son sentiment

    dinscurit , et ainsi justifier lescalade de son emploi de la force lgard de Dany

    Villanueva (Id, p. 3).

    Jai entendu ma partenaire tmoigner ce sujet-l, moi, jai absolument pas le

    souvenir de lui avoir dit a, a dclar lagent Lapointe. Si jai dit a, cest probablement

    parce que javais limpression, justement, que lindividu numro 1 tait pour se sauver,

    partir courir et dans la mesure o on peut pas le rattraper, ne layant pas identifi,

    bien, il y a pas dautres moyens pour complter mon intervention (03-2-2010, p. 73).

    Ce nest pas l la seule contradiction entre le tmoignage des deux policiers. La policire

    Pilotte a dclar en effet que le vhicule continuait sa progression dans le

    stationnement au moment o lagent Lapointe lui a dit quil ne connaissait pas lindividu

    qui se dissociait supposment du groupe (10-12-2009, p. 161). Or, lagent Lapointe

    affirme plutt que Dany Villanueva se serait dissoci du groupe aprs que le vhicule se

    soit immobilis (03-2-2010, p. 59).

    Il est environ 19h09 lorsque lagent Lapointe dbute son intervention. Aussitt quil a

    arrt lauto, sa vitre tait toute baisse puis il ma regard puis il ma dit : Toi viens ici,

    je tai vu jouer aux ds , raconte Dany Villanueva (29-3-2010, p. 140). Lagent Lapointe

    dit stre adress lensemble du groupe, une version qui est contredite par les jeunes

    prsents, commencer par Dany Villanueva. Moi, de la faon que jai vu, il avait dj

    une ide dans sa tte. Il sen venait en direction de moi. Ctait moi qui cest avec moi

    quil voulait faire affaire (05-5-2010, p. 145).

    Il a interpell juste Dany puis je ne comprends pourquoi les autres membres, ils nont

    pas t interpells aussi. Donc, moi, personnellement, je trouve que comme tout le

  • 33

    monde aurait d tre identifi aussi, ctait pas juste Dany , dclare M. Senatus (06-7-

    2010, p. 184). Jtais surpris quil ait t vers Dany, puis, tu comprends, il a t

    rapidement, l, sur direct vers lui, l, sans se poser de questions , confirme M. Meas

    (17-5-2010, p. 172). Il na pas parl au groupe. Il a parl directement Dany , dit M.

    Metellus (31-5-2010, p. 87). M. Clavasquin croyait mme que lintervention ntait pas

    lie la partie de ds. Non, parce que bien, quelquun serait venu nous avertir, nous

    tous, l, parce quon tait l, mais vu quil a juste appeler lui, alors je me disais : non, a

    peut cest pour quelque chose dautre (29-6-2010, p. 59).

    Je vais lui dire : "Toi, l-bas, reviens ici", cest les mots que jai utiliss, l, si ma

    mmoire est bonne , dclare lagent Lapointe (03-2-2010, p. 70). Je sais que jutilise

    ces mots-l, sensiblement ces mots-l, mais jai pas limpression de le tutoyer ou de le

    vouvoyer (11-2-2010, p. 190). Sa partenaire Pilotte est davis que lagent Lapointe la

    probablement tutoy (11-12-2009, p. 77). Dj, quand on interpelle quelquun par

    "to", je trouve que cest vraiment impoli , observe M. Senatus (06-7-2010, p. 51).

    Lagent Lapointe dclare avoir employ un ton directif et quil ntait pas l pour

    avoir une discussion de la pluie et du beau temps (05-2-2010, p. 135). Quand il ma

    parl il tait haut, genre , raconte Dany Villanueva (29-3-2010, p. 144). Il parle sec, il

    le dit dune faon sche , dit M. Senatus. Il nest pas trs courtois (06-7-2010, p. 51).

    Lagente Pilotte emploie mme le verbe crier dans son rapport. Jean-Loup a

    immdiatement cri au suspect qui sen allait de rester ici , lit-on (C-126, p. 2). Il

    parlait fort l , dit M. Senatus (06-7-2010, p. 217). He was talking very loud. He had a

    big voice, dclare Mme Cruz (28-7-2010, p. 136). Selon Samuel Medeiros, sa voix tait

    grave, agressive (20-7-2010, p. 125).

    La plupart des tmoins civils ont remarqu que lagent Lapointe avait dj lair de

    mauvais poil. Monsieur Lapointe a pas lair content, dit M. Clavasquin. Il tait rouge

    (30-6-2010, p. 61). From the beginning he started calling him, he wasnt happy,

  • 34

    confirme Mme Cruz (28-7-2010, p. 187). Quand jai aperu lagent Lapointe venir mais

    javais tout de suite vu dans sa face, il tait rouge puis je voyais quil tait sur les nerfs

    l ajoute M. Senatus (06-7-2010, p. 183). Il tait dj sur ladrnaline. Il savait quil

    allait faire quelque chose (Id., 217). Cest comme sil ntait pas comme les autres

    jours dit M. Metellus, qui la crois de nombreuses occasions dans les rues du

    quartier par le pass. Jai vu sa face, il tait un petit peu fch. Je ne sais pas, on dirait

    il sest chican avec sa blonde puis il est venu se dfouler sur nous je vois dans sa face

    quil allait faire quelque chose (31-5-2010, p. 247). M. Senatus a t frapp par le

    contraste entre lattitude de la policire Pilotte et celle de lagent Lapointe. Ce qui me

    surprend aussi peut-tre lattitude la policire parce que je vois quelle, elle est plus relax

    que lagent Lapointe Elle est plus relax, elle est plus calme (08-7-2010, p. 237).

    Plusieurs tmoins ont aussi remarqu que lagent Lapointe portait des gants. Quand il

    est sorti, bien moi, jai vu quil avait dj ses gants noirs sur lui. , dit M. Clavasquin (25-

    6-2010, p. 129). Le policier a enfil ses gants note aussi M. Meas (17-5-2010, p. 46).

    Je vois quil a des gants puis quil tire il tire sur le gant il tire pour bien lajuster sa

    main observe M. Senatus (06-7-2010, p. 58). Pour M. Metellus, le port des gants est un

    signe avant-coureur. Bien, pour moi automatiquement que je sais quil va faire quelque

    chose, l (31-5-2010, p. 86).

    Compte tenu que le port des gants peut effectivement tre interprt comme un indice

    de prmditation dune intervention muscle, lagent Lapointe avait tout intrt nier

    catgoriquement les avoir mit. Je suis certain de pas avoir mis gants je nai jamais

    mis mes gants jusqu durant toute lintervention (11-3-2010, p. 101). Confront

    des images dune vido filme par M. Medeiros aprs les coups de feu, lagent Lapointe

    na eu dautre choix que dadmettre quil portait bel et bien des gants lorsquil a mit

    Dany Villanueva dans la voiture de police. Aprs avoir referm la porte, on voit que le

    bout de mes bras, en fait, a semble tre mes mains, sont noires (29-3-2010, p. 56). Le

    policier na donc pas dit la vrit lorsquil a dclar quil na jamais mit ses gants aucun

  • 35

    moment. Aussi, faut-il rejeter lexplication douteuse quil a avance leffet quil aurait

    mit ses gants aprs avoir referm la portire pour une raison quil sest dit incapable de

    spcifier. Il davantage probable que lagent Lapointe portait des gants noirs au moment

    o il tenait son arme noire, puisque cela pourrait expliquer pourquoi certains tmoins

    nont pas vu darme dans ses mains, comme M. Senatus (06-7-2010, p. 101) ou Mme

    Padilla Guerra (13-7-2010, p. 209).

    Lagent Lapointe dbarque du vhicule, suivie peu aprs par sa partenaire Pilotte, qui

    affirme stre dirige immdiatement vers Dany Villanueva en sadressant lui. Peut-

    tre pas dans ces termes-l, mais je lui dit de retourner vers Jean-Loup parce quil veut

    lui parler et puis quil veut lidentifier. Donc, je dis a Dany. Il se tourne de bord et puis

    il revient vers Jean-Loup (09-12-2009, p. 15). Lagente Pilotte va toutefois dclarer plus

    tard durant son tmoignage en ne pas se souvenir si elle a nonc pour quelle raison

    Dany doit se diriger vers son partenaire Lapointe (11-12-2009, p. 217).

    Cest mon interpellation qui a fait en sorte quil sest retourn, quil ma entendu, et il

    sest retourn, il ma vu puis il est revenu vers moi , prtend pour sa part lagent

    Lapointe (03-2-2010, p. 88). Comme si, pour lagent lui, Dany Villanueva avait obi lui,

    et non sa partenaire. Durant son tmoignage, lagent Lapointe explique quil na pas vu

    si sa partenaire sest interpose. Je la vois pas, si elle se dplace, va sa rencontre ou

    si elle touche monsieur Dany Villanueva ce moment-l (03-2-2010, p. 102). Comme

    si elle tait invisible ses yeux. Dans son rapport, il crit mme quelle sortait et faisait

    le tour du vhicule au mme moment o lui fait le contact physique initial en prenant

    le bras gauche de Dany Villanueva, quelques instants plus tard (C-153, p. 3).

    Toujours est-il que Dany Villanueva rpond au policier. Moi je dis "Quest-ce que tu me

    dis l toi, jai dit, jtais mme pas en train de jouer, jai mme pas dargent" (29-3-

    2010, p. 141). Il faut reconnatre Dany Villanueva davoir eu lhonntet de dire

    demble quil a mont le ton quand il sest adress au policier (Id, p. 143). Dany

  • 36

    Villanueva a dclar que jamais le policier ne lui a demand de sidentifier durant tout

    lvnement (Id, p. 159). Notons que la policire Pilotte na indiqu aucun endroit

    dans son rapport que lagent Lapointe avait demand Dany Villanueva, ou quelque

    autre membre du groupe, de sidentifier.

    Lescalade de violence

    Quand moi je lui ai parl, moi en mme temps javanais vers lui, puis lui comme il

    avanait vers moi , se souvient Dany Villanueva (29-3-2010, p. 142). Je croyais pas

    quil tait pour rentrer dans une distance si rapproche de moi , affirme lagent

    Lapointe (11-3-2010, p. 111). Lorsque l'individu entre dans une distance de bras

    moins dun mtre, l, je ralise que cest clair que cest une distance qui est, qui nest pas

    du tout scuritaire (05-2-2010, p. 142). Sil dcide de me frapper, il peut le faire dun

    instant lautre et jaurai pas le temps de ragir. Donc, a devient dangereux pour

    moi , prtend le policier (03-2-2010, p. 104). Pourquoi alors lagent Lapointe ne lui a-t-

    t-il pas donn pour consigne de ne pas sapprocher trop prs de lui ? Je nai pas la

    capacit de faire a est sa rponse (11-3-2010, p. 110). Comment Dany Villanueva

    pouvait-il alors deviner quil se trouvait dans une distance scuritaire ?

    En fait, Dany Villanueva tait encore en train de marcher vers le policier au moment o

    celui-ci a recouru la force physique. Lorsque lindividu revient vers moi, il continue

    toujours avancer vers moi et une distance qui mest rapproche et lindividu

    narrtera pas, si je comprends bien votre question lindividu va toujours avancer vers

    moi , dit le policier (11-3-2-2010, p. 110). mon souvenir, il sest pratiquement pas

    arrt. Ctait dun geste plutt continu , confirme lagente Pilotte (09-12-2009, p.

    171).

    Cest donc dire quel point lagent Lapointe a rapidement renonc lapproche verbale.

    La conversation ou la discussion tait impossible, l'agressivit de l'individu tait rendue

  • 37

    telle que lorsque je dcide de l'arrter pour l'identifier, c'est parce que je ne suis plus

    capable d'avoir une discussion avec lui, la communication ne fonctionne pas , dit-il (05-

    2-2010, p. 134). Ce nest dailleurs pas pour rien si Dany Villanueva a parl de mettre

    laccent sur la communication lorsquil a t invit formuler une recommandation

    visant une meilleure protection de la vie humaine. Si jaurais une recommandation, la

    plus importante que, moi, je dirais, ce serait le temps, de prendre plus le temps parler

    avec le monde. Cest a genre, le temps si tu prends plus ton temps puis tessaies de

    mieux expliquer les choses, tu peux arriver un arrangement meilleur (05-5-2010, p.

    196).

    Lagent Lapointe dcide donc dinitier le contact physique en semparant du bras gauche

    de Dany Villanueva. L il a comme genre avanc puis en mme temps que moi javais

    mes mains comme dans les airs, il ma pris le poignet puis il a essay de mettre ma main

    en arrire dans mon dos , explique-t-il (29-3-2010, p. 145). Lagente Pilotte imite

    ensuite son partenaire, en prenant le contrle du bras droit. Je pense quelle ma pris

    au dbut par le coude, puis aprs a mon poignet , se rappelle Dany Villanueva (Id, p.

    149). Fait souligner, lagent Lapointe a dclar que la policire Pilotte tait disparue de

    son champ de vision au moment o il saisi le bras gauche de Dany Villanueva. Un

    instant plus tard, je la vois apparatre et elle fait la mme chose, relativement

    simultanment (04-2-2010, p. 250).

    Lagent Lapointe explique sa dcision ainsi : Je vais avoir lintention de procder

    larrestation et en mme temps dassurer ma scurit (03-2-2010, p. 103). Je crains

    que par ses gestes il frappe mon visage, matteigne accidentellement ou

    intentionnellement, alors cest pour cette raison-l que je vais faire le contact initial pour

    contrler, essayer de grer un peu plus son bras gauche pour viter quil me frappe

    (11-3-2010, p. 111) Le motif de mon arrestation lorsque je dcide darrter lindividu

    cest pour lidentifier. En aucun temps jai lesprit un motif autre, criminel ou autre.

    (Id, p. 177).

  • 38

    Lincohrence entre le comportement de lagent Lapointe et son rcit est pour le moins

    frappante. Dune part, il ne cesse dinsister sur le niveau dagressivit dont aurait fait

    preuve Dany Villanueva, allant jusqu prtendre quil craignait quil puisse cacher une

    arme sur lui compte tenu de ses antcdents de violence et darme quil dit connatre

    (C-153, p. 3). Dautre part, en saisissant seulement un des deux bras de Dany Villanueva,

    il ne neutralise nullement la capacit de ce dernier de lui assener un coup de poing au

    visage laide de son poing droit. La tmrit de lagent Lapointe est dautant plus

    remarquable que son initiative risque dexacerber une situation dj tendue, lexposant

    ainsi une raction violente de la part de Dany Villanueva dans un contexte o il

    reconnait lui-mme quil avait perdu de vue sa partenaire.

    Dany Villanueva a ragit en protestant verbalement. Jai dit : Lche-moi, lche-moi,

    pourquoi tu fais a. Quest-ce que tu fais l ? (29-3-2010, p. 152). Jai mis de la force,

    oui, dans mes bras, parce que je sentais quil voulait les mettre derrire moi, jessayais

    de le laisser, genre, ct de mon corps (Id, p. 150). Jai pas rsister marcher vers

    le capot (Id, p. 149). Le tmoignage de Dany Villanueva est corrobor par celui de la

    policire Pilotte. Pour lamener jusquau vhicule, a na pas t si difficile. Cest sr

    quil y avait de la rsistance. Mais on a quand mme russi lamener prs du vhicule

    sans trop de difficult si je peux dire (09-12-2009, p. 23).

    Par contre, lorsque cest lagent Lapointe qui dcrit le comportement de Dany

    Villanueva, cest une toute autre histoire. Jai peine lamener en avant du vhicule

    (03-2-2010, p. 119). Lescalade de violence de Dany Villanueva va tre trs grande. L,

    il va vraiment fermer les poings, baisser son centre de gravit, pousser, tirer des deux

    cts pour vraiment tenter de se librer. Il a son visage trs crisp, il crie toujours de plus

    en plus fort, je vois ses dents, ses yeux sont plisss, il me regarde encore avec un regard

    soutenu (03-2-2010, p. 117). Malgr tout, lagent Lapointe refuse denvisager le

    dsengagement, comme lavaient fait lors dun autre vnement les enquteurs

  • 39

    Christian Charrette et Jean-Pierre Pelletier devant la raction hostile que suscitait leur

    intervention au coin de Pascal et Lapierre, le 28 mai 2007 (C-302, paragraphe 10). Je

    me sens en confiance et trs confiant de calmer l'individu, d'exercer les techniques que

    j'ai amorces de faon efficace et de calmer l'individu (12-2-2010, p. 242).

    Son niveau de confiance contraste avec sa prtendue incapacit mettre Dany

    Villanueva en tat darrestation. Je suis pas en mesure dexpliquer davantage, de

    dtailler, de dire lindividu quil est en tat darrestation je nai jamais fait la lecture

    des droits monsieur Dany Villanueva en aucun temps (11-3-2010, p. 175-176).

    Comment peut-on croire lagent Lapointe quand il prtend ne pas tre en mesure de

    mettre Dany Villanueva en tat darrestation alors quil se dit confiant de mener bien

    les techniques contrle physique quil a entrepris, et quil est capable de dire celui-ci

    de se calmer et mme de prendre sa radio portative pour demander des renforts ?

    Dans ces circonstances, je ne peux que partager lopinion exprime par lexpert en

    emploi Franois Van Houtte leffet quil na pas t tabli que larrestation de Dany

    Villanueva tait lgale (C-376, p. 66). Consquemment, je suis davis que Dany

    Villanueva avait le droit de rsister physiquement la force utilise par les deux

    policiers. Cette notion nest dailleurs pas trangre lagent Lapointe. Je connais ce

    principe-l, cest bien entendu. Lorsquune arrestation est illgale, la personne vise a le

    droit de rsister son arrestation (11-3-2010, p. 49).

    Sr de lui, confiant de lavoir le dessus, lagent Lapointe a bien lintention daller

    jusquau bout, cote que cote. Jai pouss le haut de son corps vers lavant, sur le

    capot, vraiment, l, dans lintention de le dstabiliser, de le dsquilibrer, et comme a,

    a ma permis de passer son bras dans le dos (03-2-2010, p. 139). Toute la moiti de

    mon corps a frapp genre dans le capot , explique Dany Villanueva (29-3-2010, p. 153).

    Gerardo Escobar a entendu un boum . Cest la tte qui a frapp dabord et le corps

    est rest sur le capot (16-7-2010, p. 41). On sentend que a a vraiment frapp puis

  • 40

    on a entendu du capot le bruit sur son chest, genre , dclare M. Clavasquin (25-6-2010,

    p. 240).

    Avec le coup dimpact, je me suis redress dun coup moi aussi genre jai contribu

    au dplacement , continue Dany Villanueva (29-3-2010, p. 154). Elle avait lch mon

    bras ce moment-l quand je me suis redress. Dany Villanueva a reconnu avoir utilis

    de la force pour se librer de lemprise de la policire (Id., p. 155) Pendant ce temps, la

    scne devient de plus en plus pnible regarder pour les proches de Dany Villanueva.

    En voyant a, bien, cest sr que, personnellement, moi jtais pas content , dclare M.

    Clavasquin (02-7-2010, p. 191). Je ne mattendais pas ce quil fasse a, non, comme

    a, non, sauvagement, non (29-6-2010, p. 200).

    Il ma donn comme un crochet Il ma dj pris par la cou puis il ma ramen au sol.

    , poursuit Dany Villanueva (29-3-2010, p. 159). Quand jai tomb terre, ma tte,

    javais un bleu dans ma tte (12-5-2010, p. 220). Dany Villanueva a eu mal la tte

    quand il est tomb (29-3-2010, p. 170). Je sais que sa tte a frapp le sol , se rappelle

    M. Metellus (31-5-2010, p. 196). M. Escobar a galement tmoign avoir vu la tte de

    Dany Villanueva frapper le sol (16-7-2010, p. 44). Sa tte, elle sest frappe au sol , dit

    galement M. Senatus (08-7-2010, p. 31). M. Senatus a aussi peru de la douleur. Il

    criait "aille", je voyais sa face rouge (08-7-2010, p. 31). La faon quil est tomb, tu

    sais, je lai vu, puis mme moi, je pense que si on maurait fait a, jaurais eu mal aussi

    la raction que moi jai vue, cest quelquun qui avait mal , dit M. Clavasquin (29-6-

    2010, p. 201).

    Il me tient par le cou, puis des moments donns, genre, je sens comme ma

    respiration coupe, puis l jessaie de me dprendre , ajoute Dany Villanueva. Genre,

    oui, de bouger genre comme pouvoir avoir ma respiration normale. (29-3-2010, p. 164)

    M. Metellus a dclar que lagent Lapointe tranglait Dany Villanueva. Je voyais sa

    veine de son front puis il est devenu tout rouge (22-6-2010, p. 92). Srement quil

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    ne pouvait pas respirer ou quoi que ce soit , convient M. Clavasquin (29-6-2010, p. 17)

    on voyait quil nallait pas bien, l. (Id., p. 18). Il tait rouge aussi l vu que sa

    pression avec son bras, il manquait dair ajoute-t-il (02-7-2010, p. 239). Je le voyais

    quil avait mal , remarque Martha Villanueva. Mais il avait lair avoir de la misre

    respirer, puis son visage tait comme rouge (14-7-2010, p. 116).

    Durant son tmoignage, lagent Lapointe, qui ne fait pas dans la fausse modestie, a

    vant les mrites de sa dcision de procder une amen au sol. Mon amene au sol

    tait une technique trs judicieuse pour contrler rapidement lindividu (04-2-2010, p.

    229). a va videmment me causer une blessure et a va menlever de la puissance

    dans mon bras (03-2-2010, p. 156). Ce qui nest pas rien puisquil sagit-l de la seule

    blessure physique visible photographie par le technicien de la SQ. Dans un combat au

    sol, on a, il va y avoir un risque de se faire dsarmer dit aussi lagent Lapointe (05-2-

    2010, p. 187).

    Lagent Lapointe na gure eu le choix de reconnatre que son amen au sol a eu pour

    effet de le placer dans une position beaucoup moins scuritaire et beaucoup plus

    vulnrable compte tenu de la prsence d