lucier, p., gouvernance et direction de l’université - 2007

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    Chaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 1 de 8 2007

    Lucier, PierreGouvernance et direction de luniversitConfrence prononce par Pierre Lucier, titulaire de la Chaire Fernand-Dumont sur la culturede lINRS-Urbanisation, Culture et Socit, louverture du Conseil gnral de la Fdrationqubcoise des professeurs et professeures duniversit (FQPPU), Montral, le 3 mai 2007.

    Dans la mouvance de la thmatique de ce conseil gnral -Lorganisation et la gestion desuniversits- et en adoptant les perspectives suggres par le libell de linvitation de laprsidente de la Fdration, jai choisi, comme titre de mon expos : Gouvernance et directionde luniversit . Cest un titre franchement et volontairement polysmique, qui table la foissur le flou apparent qui caractrise le concept de gouvernance et sur la bi-polarit duconcept de direction , cest--dire le sens et le gouvernement . En les joignant lun lautre, je veux suggrer de possibles diffrences entre gouvernance et direction, aussi bienque les impacts des perspectives de la gouvernance sur la direction de luniversit, cest--diresur le sens et les orientations de son volution.Je vous propose une rflexion en trois temps. Je memploierai dabord cerner dun peu plusprs le concept de gouvernance et les perspectives qui sous-tendent son mergence. Dans

    un deuxime temps, je compte identifier les quelques paramtres, non ngociables mon avis,qui devraient prsider toute discussion sur la gouvernance de luniversit. Enfin, entroisime partie, je souhaite partager avec vous quelques lments dune lecture possible deszones dinterpellation -ou dvolution, selon langle retenu- qui concernent lorganisation desuniversits et, plus spcifiquement les divers rles et responsabilits des professeurs-chercheurs.

    1.La gouvernance : concept et idologie

    Le concept de gouvernance est en passe de remplacer les concepts familiers de gestion etde direction. Lintention vise est assez nette : on veut dsigner ainsi lensemble desdispositifs et des principes par lesquels des organisations se gouvernent, cest--dire prennentleurs dcisions, planifient leur dveloppement, grent leurs ressources, encadrent leursactivits, valuent leurs performances, rendent leurs comptes et sinscrivent dans les circuitsdes partenariats externes. Cest l un sens assez gnral, dont on peroit bien la lgitimeintention au-del des modes smantiques du jour. Cest sans doute l, premire vue, le sensdu terme tel quil apparat dans lusage courant du discours managrial ou gouvernemental;cest aussi le sens gnral que semble lui donner lInstitut de la gouvernance des organisationspubliques et prives mis sur pied par lcole des Hautes tudes Commerciales et parlUniversit Concordia.On ne peut cependant pas en rester cet usage apparemment soft du terme, car, sil nesagissait que de sorganiser de faon assainir les moeurs des gestionnaires, viter lesconflits dintrts, contrer le copinage, prvenir le vol ou empcher la corruption, on ne

    verrait pas bien pourquoi promouvoir un autre mot : le bon vieux dcalogue et les codesdthique qui y sont apparents pourraient suffire - tu ne voleras pas, tu ne tueras pas . Leconcept de gouvernance est un concept autrement plus marqu et plus charg que ce quepeut laisser croire un usage somme toute convivial. En fait, disons-le demble, le concept de gouvernance fait partie de ce qui a toutes les apparences dune construction idologiqueforte et dun vritable projet de nouvelle prise en charge des institutions et des services quiont chapp jusquici la gestion globalise des affaires et des organisations.

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    Aprs avoir t utilis au XIIIe sicle comme synonyme de gouvernement 1, le terme gouvernance est longtemps pratiquement disparu de la langue franaise, sauf au Sngaldepuis Senghor, tout en continuant de faire son chemin dans la langue anglaise, o il est aussitomb en dsutude, le terme Governor y ayant t maintenu et ayant t transpos enfranais comme dans gouverneur militaire , gouverneur gnral , lieutenant-gouverneur , voire comme dans assemble des gouverneurs .

    La rsurgence du mot est rcente. On la dabord note dans des analyses amricaines delentreprise2, ds avant la deuxime guerre : les perspectives taient celles de la gouvernancedentreprise ( Corporate Governance ), quon retrouvera tout au long des annes 1980 3.Mais cest le gouvernement de Margaret Thatcher qui a sonn la vraie renaissance du terme.On se souviendra que, au tournant des annes 1980, le gouvernement conservateurbritannique a enclench des rformes visant le pouvoir des autorits locales, quon jugeaitinefficaces et coteuses et quon a entrepris de recadrer la faveur dune double stratgie :renforcer la centralisation des pouvoirs et privatiser certains services publics. Les autoritslocales ont alors ragi et nourri lmergence des perspectives dune gouvernance urbaine ou locale 4 plus avance et mieux adapte la conjoncture que ne ltait le concept familierde Local Government . La gouvernance y est donc mise en relation avec un projet,essentiellement conomique, de rorganisation du champ de pouvoir des autorits et des

    organisations dcentralises. la fin des annes 1980, le concept de gouvernance , voire de bonne gouvernance , at intgr dans les discours des organisations internationales : aux gouvernements aids etds lors soumis des programmes dajustement dit structurel, il sagissait dindiquercomment bien se comporter et se gouverner. On y visait identifier le type de rformeinstitutionnelle susceptible de permettre la bonne marche des programmes conomiques, cequi inclut videmment certaines restructurations des pouvoirs publics. Laction publique doitsadapter aux exigences et aux besoins du march globalis. Lexamen mme rapide destravaux de la Banque mondiale5, du Programme des Nations-Unies pour le dveloppement(PNUD)6, de lOrganisation de la coopration et du dveloppement conomiques (OCDE)7,de lAgence canadienne de dveloppement international (ACDI)8 ou de lUnion europenne9permet aisment de saisir o vont et veulent aller les perspectives de la bonne gouvernance. Il ne sagit plus simplement defficacit administrative et de propret thique. Il sagit bien

    1 Ces donnes gnrales sont celles qui apparaissent dans la plupart des dictionnaires les plus utiliss.2 On lattribue gnralement Ronald COASE, The Nature of the Firm , dans Economica 4 (1937) p. 386-405.3 LOCDE tient jour ses Principes de gouvernement dentreprise, Paris, d. rvise, 2004.4 Sur la gouvernance locale , voir le numro spciale de conomie et solidarits, 30/2, 1999.5 Voir, par exemple : BANQUE MONDIALE, Les problmes de gouvernance V : indicateurs de gouvernancepour 1996-2005; Governance and Development, Washington DC, 1992; Governance : the World BanksExperience, Washington DC. 1994; Strenghtening World Bank Group Engagement on Governance andAnticorruption, 20 mars 2007.6 UNITED NATIONS DEVELOPMENT PROGRAM, Sources for Democratic Governance Indicators, UNDP,2003; Governance for the Future: Democracy and Development in the Least Developed Countries, UNDP, 2006.7 Voir, par exemple : An Agenda for Collective Action for Improving Governance to Fight Corruption, Paris,OCDE, 2007. Le Comit daide au developpement (CAD) de lOCDE comporte un Rseau sur la gouvernance(GOVNET).8 Le 30 octobre 2006, lACDI a cr un Bureau de la Gouvernance dmocratique pour la promotion de quatrevises de base : droits de la personne, institutions publiques responsables, libert et dmocratie, primaut dudroit. Voir aussi: UNITED STATES AGENCY FOR INTERNATIONAL DEVELOPMENT (USAID),Democracy and Governance: A Conceptual Framework, Washington DC, USAID, 1998.9 COMMISSION DES COMMUNAUTS EUROPENNES, Gouvernance europenne. Un livre blanc.,Bruxelles, 25 juillet 2001. On notera cette dfinition : La notion de gouvernance dsigne les rgles, lesprocessus et les comportements qui influent sur lexercice des pouvoirs au niveau europen, particulirement dupoint de vue de louverture, de la participation, de la responsabilit, de lefficacit et de la cohrence. (page 9).

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    plutt de revoir les dispositifs et les modes de fonctionnement des diverses instancespubliques, mme ceux des gouvernements lus. Lexercice des nombreuses autonomies et lespouvoirs de dcider ou de lgifrer qui sy rattachent sembleraient constituer desempchements et des entraves pour lensemble des dcideurs, surtout privs, qui, de plus enplus, grent lconomie mondiale. Il faut donc revoir les procdures, recourir de nouveauxacteurs et contrebalancer ainsi le pouvoir des instances politiques de dcision, voire les

    relativiser. Mme le concept de socit civile est ds lors entran dans ce mouvement etfinit par recouvrir un ensemble mal cern dintrts particuliers plus ou moins juxtaposs;mais il a le grand avantage de permettre de faire le contrepoids souhait par rapport auxinstances politiques publiques.Des analystes nont pas manqu de noter la fragilisation ainsi introduite et la promotion,parfois explicite, dun tat minimum10 On rebrasserait donc les cartes pour pouvoir prendrecertains contrles : lidologie de la gouvernance comme offre hostile dacquisition ,pourrait-on dire. Une note de synthse dune instance gouvernementale franaise rsumeloquemment : En dfinitive, la notion de gouvernance offre une grille dinterprtationnouvelle du politique et des relations entre les institutions et le politique non-institu. Cettegrille danalyse est applique tous les processus de gouvernement, du gouvernementmondial au gouvernement local, et concerne les pays dvelopps comme les pays en

    dveloppement. Suivant les choix idologiques quelle recouvre, la gouvernance consiste rformer les institutions politiques pour limiter les entraves au bon fonctionnement du march(conception dominante dans le champ des relations internationales) ou au contraire renforcerles mcanismes de rgulation pour lutter contre les effets du libralisme et en particuliercontre la dcohsion sociale (conception dominante en matire de gouvernance urbaine). 11On entrevoit aisment la porte de cette analyse quand on se place sur le plan de la gouvernance mondiale , o il faudrait, l aussi, sassurer dune intervention plus libre desdcideurs de lconomie mondiale. Aprs tout, notre vie est faonne par les conseilsdadministration , dclarait rcemment Michel Nadeau, le directeur gnral de lInstitut surla gouvernance dorganisations prives et publiques.12 Tout le monde ne peut pas tregalement rassur de savoir que notre vie est faonne par les conseils dadministration!Mon intention nest pas dalimenter ici une mfiance excessive ou de lgitimer quelque rejetqui serait lui-mme commodment idologique. Mais il est important de savoir que, par-deltous les louables propos damlioration et de clarification, le concept de gouvernance nestni neutre ni innocent. On peut mme affirmer quil charrie avec lui une lourde volont destructuration dordre idologique -donc, intresse. Et il ne suffit srement pas de sendfendre et de raffirmer la puret du mouvement. Les vagues de fond sont puissantes et ontla vie dure; il serait irresponsable -ou naf, ce qui nest pas toujours mieux- de faire comme sitout y tait vertu et souci de vie bonne . Un concept sorti dune telle cuisse invite demble la prudence et au discernement.

    10 Voir, par exemple, le numro thmatique de la Revue internationale des sciences sociales, Paris, UNESCO,vol. 50, no 155, mars 1998; voir en particulier les articles KAZANCIGIL, Ali, Gouvernance et science : modesde gestion de la socit et de production du savoir emprunts au march , et de SMOUTS, Marie-Claude, Dubon usage de la gouvernance en relations internationales . Voir aussi : CASSEN, Bernard, Le pige de lagouvernance , dansLe Monde diplomatique, juin 2001, p. 28.11Note de synthse produite, en aot 1999, par Nathalie HOLEC et Genevive BRUNET-JOLIWALD du Centrede documentation de lurbanisme de la Direction gnrale de lurbanisme, de lhabitat et de la construction, alorsrattache au Ministre de lquipement. On y trouve aussi une importante bibliographie.12 Claire HARVEY, Au service de la bonne gouvernance dansLe Devoir, 23 avril 2007, p. B-3. La une de cemme cahier spcial titre Les nouveaux empereurs avec, en exergue, cet extrait de larticle de NormandThriault : Les dirigeants des grandes entreprises sont devenus les meneurs du jeu plantaire. Rien de moins.

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    2.Luniversit : des caractres incessibles

    Au seuil de toute discussion sur lapport des perspectives de la gouvernance la vie et auprogrs de luniversit13, des balises simposent demble, qui doivent toutes senraciner dansla nature mme de luniversit et de sa mission. Il faut en rappeler les principales, seule findviter les malentendus pour la suite des choses, et non sans insister sur le refus de tomber

    dans le dni ou dans la rsistance. Visons seulement la lucidit et le discernement.Il simpose, ds le dpart, de raffirmer le statut de service public de luniversit. Luniversitnest pas une entreprise engage dans la recherche de profits pour ses actionnaires et dans unedynamique doffre et de demande avec des clients. Dans les services publics, les destinatairesne sont pas vraiment des clients. On les traitera assurment aussi civilement et aussiserviablement que des clients, mais on noubliera pas que ce sont, divers degrs, desporteurs de droits. Lenfant qui se prsente lcole nest pas un client; il a le droit etlobligation de la frquenter. Le malade qui se prsente chez le mdecin ou lhpital nestpas un client; il a droit aux services prvus. Les prestataires de fonds publics administrent desbiens qui viennent essentiellement du Trsor public et qui sont, dans un sens plus ou moinsstrict selon les types de services, destins des personnes et des groupes qui,conformment nos lois, ils sont dus.

    Je ne veux pas reprendre ici des analyses auxquelles je me suis livr ailleurs et plus loisir14,mais on ne rappellera jamais avec assez de fermet que le statut de service public estindissociable de lintrt gnral et du bien commun. Or, le bien commun, on le sait,nappartient en propre personne; cest celui de tous et les mandataires publics ont pourmission incessible de le viser, de le poursuivre, de le dfendre et de le promouvoir. Parrapport aux perspectives de la gouvernance, et dans la mesure o celles-ci vont au-del descodes de conduite habituels, on peut dire quil en dcoule un devoir particulier de vigilance.Oui, il faut sans doute largir la participation civile aux processus de dcision etdorientation des services publics. Peut-tre mme essayer avec circonspection des modalitsde partenariat plus pousses avec le priv. Mais ce serait carrment dnaturer les choses que,par mimtisme ou par volont illusoire dune plus grande propret et dune plus grandeefficacit, on entreprenne dabandonner la gestion du service public aux seules procdures dupriv et aux seules faons de faire du libre march.La chose doit tre bien examine, parce que la tendance actuelle est souvent damalgamer lesperspectives de la gouvernance pour le priv et pour le public. On veut bien que les principeset la pratique de la bonne gouvernance ne puissent pas diffrer au point de ne pas pouvoirtre abords pour les deux secteurs, mais on veillera ce que cette convergence -le mot machapp- nocculte pas quelque projet de transposition et de transfert en direction du servicepublic. Ceux qui nourrissent ce projet ne prtendent videmment pas que tout nest querationalit et vertu au royaume de lentreprise, mais il sen trouve pour estimer que lesservices publics seraient meilleurs sils taient moins publics. Vingt-cinq annes dansladministration publique mont plutt convaincu du contraire.Une deuxime balise doit tre pose et reconnue -et elle est dterminante : une universit est

    une universit. Quest-ce dire? Luniversit est ce lieu, cette zone franche o les ides et lesporteurs dides ont droit de libre expression et de libre circulation, en vue de pouvoir exercer

    13 Depuis plusieurs annes maintenant, les perspectives de la gouvernance font explicitement partie de larflexion sur luniversit. Voir, par exemple : le numro spcial Les universits lheure de la gouvernance de la revue Sciences de la socit, 58, fvrier 2003; le numro thmatique Gouvernance universitaire , dubulletin AIU Horizons. Nouvelles de lenseignement suprieur dans le monde, fvrier 2006. Sur un planinstitutionnel, voir : UNIVERSITY OF OXFORD, White Paper on University Governance, Oxford, 2006.14 Dans Luniversit qubcoise : figures, mission, environnements, Qubec, PUL, 2006. Voir aussi : Partenariat public-priv : la rencontre des paradigmes , dans les Actes du colloque Partenariat public-priv :pour une meilleure performance de ltat, Qubec, 2002, p. 7-9.

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    efficacement ce qui dfinit une mission spcifique : faire progresser le savoir et contribuer laformation des personnes qui frquentent luniversit. Mission ducative et culturelle sil enest, qui donne sens tous ses engagements particuliers et en quoi consiste sa contribution audveloppement de la collectivit, y compris de son progrs conomique et social. En quoiconsiste aussi sa contribution spcifique la participation nationale aux grands circuitsmondiaux du savoir et de laccs la prosprit.

    Cette mission, il faut quon la rpte, quon la martle, quon la dfende contre vents etmares. Luniversit a une mission spcifique. Elle nest pas voue au profit, elle nest pasune agence de dveloppement, elle nest pas un partenaire comme tous les autres quand ellefrquente les chambres de commerce ou les cocktails de dcideurs . On nira pas jusqudire que son royaume nest pas de ce monde , tant sen faut, mais ce nest ni anglisme, nilubie de rveur de penser que, ntait-ce la poursuite de sa mission propre, luniversit nemriterait gure de mnagements. Cest cette mission qui fonde trois particularitsinstitutionnelles auxquelles luniversit doit tenir comme la prunelle de ses yeux : la libertacadmique, lautonomie institutionnelle et la collgialit.De la libert acadmique, je ne retiendrai ici quune simple vocation. Non pas parce quellenest pas aussi importante que les deux autres, mais parce que, ici et en nos temps, elle nestpas vraiment menace. Quel pouvoir politique ou conomique, en effet, sintresse assez aux

    doctrines et aux contenus pour songer mme en imposer ou en interdire ? Et puis, soyonsun tout petit peu cyniques, les universitaires ont, entre eux, tous les mcanismes quil fautpour se confirmer, se condamner ou sexclure ! Pour ma part, je nai rien vu, en quarante ansde pratique ou daccompagnement, qui puisse constituer une atteinte non frivole la libertdapprendre et denseigner jus docendi, jus discendi- en quoi consiste fondamentalement lalibert acadmique.Lautonomie institutionnelle dont jouissent les universits volue en des eaux moinstranquilles. Le plaisir que semblent prouver certains analystes voquer la foire auxcancres est beaucoup moins conjoncturel quil ny parat. Il est fort tentant, hlas,dexploiter les situations difficiles qui font les manchettes -et dautres, qui pourraient advenir.Mais nallons pas croire quil ny a pas l un contexte de prtexte modifier le typedautonomie institutionnelle actuellement reconnue luniversit loccasion dune bonne affaire, quoi! On peut mme tabler sur les malaises lgitimes des instances internes, elles-mmes tout aussi lgitimement soucieuses damliorer la gouvernance universitaire. Le mot gouvernance ne mest pas revenu ici par hasard, et il sen trouvera beaucoup, en dehors deluniversit, pour penser pouvoir faire main basse sous couvert de vouloir amliorer leschoses.Il faut assurment, et sans tarder, faire tout ce quil faut pour clarifier les procdures et lespouvoirs de dcision dans la gestion de luniversit et, pourquoi pas, pour serrer la vis certains gards. Mais ne perdons pas de vue que lidologie mme de la gouvernancesaccompagne souvent de la conviction que luniversit serait mieux gouverne si on pouvaiten tasser les dirigeants universitaires -un peu, pas trop, bien sr! Des gens venant delextrieur feraient beaucoup mieux, nest-ce pas, parce moins embarrasss de mission

    ducative , mieux arrims aux circuits des grands dcideurs, mieux rompus aux trs efficacesfaons de faire du priv. En somme, pourquoi ne pas assujettir le soutien accord auxuniversits la ralisation de plans de changement structurel comme la Banque mondiale enexige des pays aids et qui induisent gnralement un affaiblissement des structuresdmocratiques et des pouvoirs politiques, doucement souponns dtre incomptents oucorrompus.Nous sommes ici prs du fond des choses. Cest quil pourrait y avoir des faons detransformer les perspectives de la bonne gouvernance en cheval de Troie pour modifier -entendons : rduire- lautonomie institutionnelle de luniversit. Nous ferons bien dtre

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    vigilants et de ne pas avoir la navet courte vue de nous offrir nous-mmes cesamputations. Je le dis avec dautant plus de nettet que ce nest pas l une nouvelle convictiondun universitaire revenu ses pompes. Cest ce que jai constamment dfendu, dans les lieuxpublics de dcision comme ailleurs. Non pas pour faire plaisir des amis universitaires, maispar exigence de conformit la mission mme de luniversit. Beaucoup duniversits dumonde, il est vrai, ont les coudes moins franches que celles dici. Il faut dire aussi que

    beaucoup sont moins inventives et moins performantes. Cela soit dit en tout respect, nousnallons quand mme pas dessiner ici luniversit sur le modle du Conservatoire ou duCGEP !Et que dire de la collgialit universitaire, qui assure une large participation aux processusinstitutionnels de dcision? Elle doit aussi figurer parmi les balises dont il faut marquer notrerflexion sur les perspectives de la gouvernance. Cette collgialit, on le sait, nest pastoujours facile expliquer, surtout des gens qui estiment quon pourrait tre plus efficacepar des voies moins dmocratiques . Je reviendrai l-dessus, car ces gens nont pas tort entout point. Ce que je veux en souligner ici, cest que, en matire acadmique assurment,souvent aussi en ce qui touche directement la gestion de cette mme matire, la collgialitconstitue sans doute la meilleure protection de la libert et de lautonomie universitaires. Endernire analyse, la collgialit est troitement lie au jugement des pairs , dont on aime

    dire plaisamment quil est sans doute la moins mauvaise des faons dvaluer et de soutenirlavancement du savoir. Et le savoir est assez directement en cause dans de trs nombreusesdcisions prises dans les instances universitaires. Orientations et contenus de programme,dveloppements disciplinaires, reconnaissance des acquis, valuation de mmoires, de thsesou darticles de revues, examens de candidatures diverses, etc. : nest-ce pas la pratique de lacollgialit et la confrontation des points de vue quelle permet qui fournissent les meilleureschances dviter larbitraire, lenfermement idologique et mme lerreur ? Si le savoirvoluait mcaniquement dans lvidence, conformment une logique purement managrialeet selon les lois du march, on naurait pas besoin de sencombrer de procdures de typecollgial. Lexprience universitaire a pu viter bien des dsastres, scientifiques ou autres,grce de semblables pratiques collgiales de rgulation.Certains tnors de la gouvernance ne se font pas grand scrupule de remettre en question lapertinence de la collgialit o se serait englue luniversit et qui empcherait trop souventdidentifier des responsables, confortablement cachs et protgs, dit-on, derrire les instanceset les palabres. Dans la discussion des tenants et aboutissants des perspectives de lagouvernance luniversit, il y a l une composante qui doit tre prise en compte et qui,autant se le dire, na rien de dfinitivement assur.Vocation de service public, mission ducative de cration et de formation, libert acadmique,autonomie institutionnelle, collgialit : voil des repres qui constituent un ensemble pas dutout anodin, que lon peut rsumer en disant lapidairement que, service essentiellement public,une universit est une universit, institution charge dune mission incessible. Voil quidevrait aussi constituer la toile de fond de toute volont damliorer, voire de redresser, lagouvernance de luniversit. Et voil qui concerne bel et bien la direction de luniversit,

    cest--dire le sens de sa route et de son volution souhaitable, cela mme qui constitue lenoyau essentiel de toute gestion et de toute gouvernance. Cest le non ngociable, me semble-t-il. Le reste, qui est de lordre des moyens, est ds lors discutable.

    3. Des zones dinterpellation et dvolution

    Cela tant dit, rpt mme, et sans crainte de radoter, il serait strile de se camper dans uneattitude de refus et de se dfendre comme le feraient des assigs. Le mouvement de lagouvernance-nous pouvons lappeler comme cela, parce quil sagit bien dun mouvement ou

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    dun courant- comporte des interpellations qui mritent accueil et examen, et sans quil soitexig de considrer ses promoteurs comme des modles de vertu ou comme des messies de lagestion. Nous ne pouvons tout de mme pas exclure que, comme tous les organismes qui onteu le temps de vivre, luniversit ait des choses apprendre et changer en matire degouvernance.Il y a dabord des impratifs de base qui tombent sous le sens : nettet et transparence des

    processus de dcision, qualit et performance des informations disponibles, rpartition clairedes responsabilits, comptence des dcideurs, protection contre les conflits dintrt,procdures de vrification et reddition de comptes, etc. Je ne sache pas que les universitsrefusent de les voir et de les amliorer On ne peroit gure de divergences sur l-propos deces paramtres de saine gouvernance, pas davantage de manoeuvres dobstruction de la partdes universitaires, nos trs nombreux collgues oeuvrant en sciences de la gestion sechargeant, au besoin, de rappeler ces quelques principes lmentaires. videmment, plus onse situe ici au niveau des principes, plus larges sont les accords. Cest sans doute que, commetoujours, lpreuve du rel est dterminante. Je nen donnerai que quelques exemples, histoirede suggrer quelques pistes danalyse.Sagissant du conflit dintrt, dabord, il y aurait beaucoup dire. Je voudrais seulementattirer lattention sur des interrogations qui vont bien au-del du conflit dintrt cru et

    vulgaire, pourrait-on dire. Je pense ici cette situation institutionnelle globale qui donnesouvent aux observateurs limpression que les universitaires ont des instances de dcision odcideurs et objets de dcision sont inextricablement lis, les dcideurs tant finalementpresque toujours partie prenante des enjeux trancher. Quil sagisse de programmes,dembauche, dorientations, de rpartition des ressources, il est difficile dcarter tout faitlimpression quon y volue parmi des jeux de force entre intrts de groupes internes. Ainsi,tout le monde ne trouve pas souhaitable que, ici et l, les responsables syndicaux soient aussipresque systmatiquement les membres dsigns des instances dcisionnelles, que desdirecteurs de dpartement et mme des doyens soient des employs dment syndiqus, que lesmembres internes des instances soient pratiquement aussi nombreux -parfois plus, si lon tientcompte des absences- que les membres externes, que les performances soient valuesessentiellement par des collgues membres des mmes regroupements, que les personnelschoisissent finalement eux-mmes leur grand patron, etc. Et on pourrait allonger la liste de cesremarques rgulirement formules et souvent teintes par ailleurs de positions tout aussiidologiques.Il faut tout de mme entendre cela. Il y a quarante ans, la Commission Parent avait souhaitune participation interne beaucoup plus forte que celle quon avait pratique jusqualors dansles institutions autoritaires que lon sait. Les temps ont assurment bien chang et il sentrouve plus dun pour penser que luniversit daujourdhui est largement auto-gre, avec lesgrandeurs et les misres dun tel modle de gestion de saveur endogamique. On ne peut pascarter ces questions du revers de la main. Autant nous tenons notre tradition de collgialit,autant il faut corriger les glissements progressifs quelle aurait pu connatre. Il faut briser cesimages selon lesquelles tout est dans tout et rciproquement . Ces images nourrissent

    abondamment les fantasmes de certains promoteurs de la gouvernance, qui pensent demblequon ne devrait pas laisser luniversit aux mains des universitaires, dont on dit parfois quilsont lair dtre les seuls trouver que tout cela a du bon sens.Autre facette pointe de cette culture de collgialit : sa lourdeur administrative. Il ne faut pasfrquenter beaucoup de professeurs duniversit pour constater lnorme part de leur tempsqui est immole sur lautel de comits et de sous-comits de toutes sortes, les uns reprenantsystmatiquement les dbats dj mens ailleurs et destins tre repris plus haut . Cesdbats sont gnralement longs et se conforment le plus souvent des formats longs, la demi-

    journe semblant y tre la plus courte unit de mesure. Les agendas de professeurs

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    duniversit feraient srement un objet dtude rvlateur cet gard. Il y a fort parier quony trouverait un nombre important d`heures de runion qui contribuent probablement peu lpanouissement de la collgialit, et pas beaucoup plus lenseignement, la recherche ouaux services la collectivit.Gravitant autour des mmes observations, il faudrait dire un mot des doutes quon met ici etl sur les risques quil y aurait amener les universitaires agir et dcider en dehors de leurs

    champs de comptences. Certains pensent que, dans les universits, trop de dcisions seprennent, qui exigeraient des comptences managriales, financires et administratives pluspousses. telle enseigne quon en vient voquer quil faudrait tablir des distinctions plusnettes entre les instances de dcision proprement acadmique et les instances charges dubudget et des affaires de ltablissement, un peu la manire dont certaines institutionsdantan ont fonctionn, en sparant assez nettement le rle de la direction des tudes et celuide la direction gnrale, ou encore celui du recteur et celui de l administrateur . Il y adailleurs des traces toujours vivantes de cela dans le commandement dallure bicphale quicaractrise beaucoup dtablissements denseignement suprieur dans le monde, au risque defaire des instances acadmiques un lieu qui a des airs dtat dans ltat. Ceux qui souhaitentde fortes majorits de membres de lexterne dans les conseils dadministration des universitsne sont pas trs loin de ce modle.

    La question est difficile, car on ne voit pas toujours trs bien o tracer la ligne de crte entrelacadmique et ladministratif. Plus mme, il est ais dimaginer combien les dcisionsadministratives pourraient modifier ou faire dvier les orientations de type scientifique,acadmique et pdagogique : on connat le pouvoir entranant du nerf de la guerre .Sagirait-il donc, ds lors, dencadrer le pouvoir de rveurs par des gestionnairescomptents, mais qui pourraient navoir quune ple ide des enjeux scientifiques ou, toutsimplement, de ce qui se passe en classe ? Quelle signification universitaire resterait-il uneautonomie dont bnficieraient des acadmiques ainsi considrs comme des mineurs? En guise de consolation, on pourra toujours se dire que le rgime parlementaire britanniquequi est le ntre nest pas en reste, lui qui dsigne les ministres en tous domaines parmi lesdputs, lesquels sont lus presque comme nos recteurs et nos principaux !Endogamie, lourdeur, tirement des comptences : le tableau peut tre sombre quand on symet. Et cela, quand on ny ajoute pas les lenteurs qui accompagnent invitablement ces modesde fonctionnement, avec le conservatisme et les forces dinertie qui les accompagnentsouvent. Je nai, pour ma part, aucune recette damlioration promouvoir. Je suis tout demme convaincu que le dbat sur la gouvernance se nourrit de ce genre dobservations, dont ilest facile de faire des caricatures. Nous aurions tort, cependant, de penser quil ny a l quedes prjugs malveillants.Lenjeu est norme. Sil fallait, en effet que, profitant de lacunes et de faiblesses relles delinstitution universitaire et draps dans de nobles idaux dthique et defficacit, onentreprenne de faire le mnage et de modifier les assises mmes de linstitutionuniversitaire, cest la mission et la direction de cette institution qui pourraient en treinflchies et mises la raison, cest--dire annexes au service de forces anonymes qui

    verraient bien quon puisse se librer des empcheurs de tourner en rond que sont tous lespouvoirs politiques dmocratiques. De cela, nous ne voulons pas et nous ne pouvons pas envouloir; la mission de luniversit le commande. Comme elle nous commande, ds lors, deprocder nous-mmes aux ajustements souhaitables.