lucier, p. - (1997) « l'université, maison de culture »

7/29/2019 Lucier, P. - (1997) L'universit, maison de culture

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Chaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 1 de 5 1997

Lucier, PierreL'universit, maison de culture

Notes pour l'allocution prononce par Monsieur Pierre Lucier, prsident de l'Universit duQubec, lors de la crmonie de remise de doctorats honoris causa sous l'gide de l'Universit

du Qubec Trois-Rivires, la Maison de la Culture de Trois-Rivires, le 11 dcembre1997.

Monsieur le Recteur,Mesdames et Messieurs de la Directionet du corps professoral de l'Universit du Qubec Trois-Rivires,Madame et Monsieur les diplms de ce jour,Distingus invits,Mesdames, Messieurs,

Je vous dirai d'abord ma joie d'tre ici avec vous pour cette remise de doctorat honorifique Madame Aime Leduc et Monsieur Louis-Edmond Hamelin. Je me joins avec un vif plaisir

l'hommage qui leur est rendu ce soir et qui consacre l'apprciation dont ils sont l'objet dansla communaut universitaire. Acceptez, Madame, Monsieur, mes trs cordiales flicitations.

C'est dans la Maison de la Culture de Trois-Rivires que nous tenons, ce soir, cette sanceacadmique de remise de grades d'honneur. Et c'est par des activits caractre culturel etartistique que se poursuivront ensuite nos moments de fte et de rjouissance. Cet amalgamede lieux, d'institutions et de genres est particulirement heureux et n'est sans doute pas d auseul hasard des circonstances. Permettez que je m'en inspire trs directement pour partagerbrivement avec vous quelques ides et quelques convictions personnelles sur l'universitconsidre comme maison de culture.

1. La culture : deux approches qui se rejoignent

Des pans entiers de bibliothque ont t crits et s'crivent encore sur ce qu'est la culture.C'est que la culture est ce point englobante et rvlatrice des couches les plus profondes dela vie humaine qu'on en vient vite penser que, lorsque la vie se fait humaine, tout y estculture en quelque faon, sous un angle ou sous un autre - le plus signifiant, vrai dire. Sedgage ainsi une premire srie de dfinitions et de cadres d'analyse qui voient dans la culturel'ensemble des manires de vivre, de sentir, de penser et de s'exprimer qui distinguent ungroupe d'un autre et qui concernent toutes les facettes de la vie - le logement, l'habillement etl'alimentation tout autant que l'amnagement du territoire, l'organisation sociale, l'expressionartistique, le discours politique et les rites religieux.

Cette vision large et comprhensive de la culture en exaspre parfois certains, qui estimentque, lorsque "tout est dans tout", on finit par ne rien dire ni cerner d'un peu prcis. Il arriveainsi qu'on prfre une deuxime srie de dfinitions, plus spcifiques, et dsignant ce qui,dans toutes les manifestations d'une collectivit humaine, constitue une expression explicite,une construction de signes comme on en trouve dans l'expression proprement artistique. C'estcette culture dont s'occupent traditionnellement et spcialement les ministres et organismesvous aux "affaires culturelles", aux "milieux de la culture", aux "milieux artistiques" :littrature, thtre, musique, peinture, danse, cinma, etc. y figurent alors en place centrale.


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Je n'ai pas l'intention de vous entraner ce soir dans quelque analyse des avantages et desinconvnients lis l'une ou l'autre de ces approches. Sans doute parce que ce n'est ni le lieuni l'heure. Mais, plus fondamentalement, parce que j'ai toujours estim qu'il n'est pas trsfcond de pratiquer une telle opposition. Il me semble, en effet, qu'il y a, de l'une l'autre deces approches, une parent et une continuit anthropologiques plus pressantes et plusporteuses que bien des distinctions juges commodes pour baliser l'usage courant des mots.

Entre la culture entendue au sens trs large que j'ai voqu et la culture dsignant lesdomaines de l'expression artistique, il y a une unit profonde, qui tient essentiellement ceque l'une et l'autre pointent vers un certain amnagement humain de la ralit et prennentappui sur l'intention de signification qui s'y traduit, des degrs variables de conscience ou despontanit, des degrs variables de recherche esthtique et selon des canons de beaut toutaussi variables. Mme les actes et les fonctions les plus lmentaires de la vie - natre,manger, dormir, se vtir, se reproduire, mourir - sont toujours et inluctablement raliss"d'une certaine manire". Et cette "manire", bien au-del de la seule adaptation auxconditions climatiques ou d'autres impratifs du mme genre, est toujours plus ou moinsdirectement lie au discours fondateur qui explique, illustre, justifie la trajectoire historiquedu groupe considr et cherche mme tablir le sens de la vie humaine. Le rcit historique,

le mythe, l'idologie, la religion trouvent sans doute l la raison de leur constante rsurgence,ainsi qu'en tmoigne la puissance toujours actuelle de la Bible, d'Homre, de Shakespeare, deCervants, de Goethe et de quelques autres trs grandes sources.

Les gestes les plus simples de la vie quotidienne sont ainsi presque toujours "styliss","ritualiss", et renvoient ds lors au sens que les groupes humains donnent la vieindividuelle et collective, voire la signification dernire qu'ils donnent l'univers, sonavant, son aprs. N'est-ce pas ce que nous rvlent nos expriences de rencontre et dedpaysement culturels ? N'est-ce pas en tant accueillis dans des groupes humains, dans desfoyers, dans des ftes collectives, ou tout simplement en marchant dans les villes, dans lesmarchs publics, dans les lieux de culte que, l'occasion de voyages, nous sommes le plusinterpells par les diffrences dans la faon de signifier les choses ? Mme l'histoire, qui estune lecture organise des vnements, n'est-elle pas aussi profondment culturelle et ne sert-elle pas ultimement notre faon de vivre le prsent et l'avenir bien plus qu'elle ne traduitquelque culte pour la restauration fidle du pass ?

Je me surprends avoir utilis deux fois le mot "culte". Le mot m'est venu sans prmditation,je vous l'assure, mais, comme cela est frquent en criture, cet apparentement smantiquen'est pas vraiment fortuit. "Culture", "culte" : dfaut d'tre tymologiquement pleinementvrifiable, l'homologie saute aux yeux, tout autant que la prsente "liturgie" et que lesvtements d'office romains que nous portons ce soir. Et elle renvoie justement ce que

j'essaie de cerner comme tant le fil conducteur qui relie les deux approches de la culture :quelque chose qui voque la manire dont nous exprimons et "stylisons" les gestes de la vie,

le plus souvent spontanment dans la vie quotidienne, trs explicitement et en voulant "faireoeuvre belle" dans l'expression rituelle et artistique, dont le but est prcisment d'exprimer etde clbrer l'une ou l'autre dimension de l'exprience humaine. Plus encore, l'utilitaire se faitlui-mme artistique, esthtique en tout cas, social mme : c'est ainsi que le vtement, d'abordprotection contre le froid ou la chaleur, devient "mode", voire haute couture; que la nourrituredevient art culinaire et gastronomie; que les objets d'utilit courante deviennent "design",parfois mme symboles.


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L'art est ainsi partie prenante d'une construction culturelle qui englobe toutes les productionshumaines, celles qui sont dans la pierre comme celles qui se transmettent par tradition orale,celles qui nous imprgnent quasi mcaniquement par le seul fait que nous voluons dans unmilieu architectural donn aussi bien que celles auxquelles l'cole nous initiesystmatiquement. Pdagogies convergentes la vrit, ainsi que l'exprime ce merveilleuxconcept grec de la "paideia", que nous traduisons correctement par le mot "culture". Les Grecs

taient convaincus que culture et pdagogie renvoient l'une l'autre. Ils estimaient cet gardque, par sa disposition gnrale, par ses constructions, par ses monuments, par ses rues, parses places et ses parcs, la ville est elle-mme tout entire "pdagogie". La culture estpdagogie de part en part, aimait rpter le regrett Fernand Dumont. Et cela vautassurment pour tous les discours, les scientifiques aussi bien que les artistiques, qui tententde rendre compte de la vie humaine et de l'univers o elle volue, et auxquels on s'initie lafaveur de dmarches pdagogiques qui tiennent la fois de la transmission et de larinvention.

2. L'universit et la culture

Vous aurez compris que c'est l que je voulais en venir : quel que soit l'angle sous lequel on la

considre, l'universit est culture. Elle n'est mme que cela, en dfinitive, culturelle de part enpart et de multiples faons.

Culturelle, l'universit l'est d'abord par toutes les formations littraires et artistiques qu'elleoffre et dont elle fait progresser les fondements, le discours analytique, les techniques mme. des degrs divers et avec des insistances qui ont vari selon les poques et qui varientencore selon les milieux, leurs besoins et leurs ressources, l'universit occidentale a toujoursfait sa place la culture littraire et artistique. Les "arts" - au sens augustinien, il est vrai - ontmme t au coeur des premires fondations universitaires mdivales, tout comme despremires chartes universitaires, royales ou pontificales, octroyes en terre qubcoise. Et ilsdonnent toujours leur nom nos degrs universitaires - le baccalaurat "s arts", la matrise"s arts". Les arts et la culture artistique sont donc tout fait chez eux l'universit, dans sesprogrammes et ses activits de formation comme dans sa vie institutionnelle et dans sesproccupations. Ils constituent un des volets dans lesquels se dploie la mission del'universit.

Plus globalement, l'universit est aussi "culturelle", en ce qu'elle est elle-mme une expressionde la faon dont la socit se pense, se conduit et s'oriente. En ce sens, l'universit est une desproductions les plus dterminantes de notre culture. Sous des visages trs diversifis, traversdes dclins et des renaissances multiples, l'universit incarne et signifie toujours la confiancefaite l'intelligence, au "Logos", et sa capacit de comprendre, d'inventer et de faire avancerla connaissance quand on sait lui mnager un espace de libert et de libre confrontation. Elleillustre la conviction que c'est en y sjournant un certain temps qu'on se prpare le mieux

participer efficacement la grande oeuvre collective de la survivance et au progrs del'aventure humaine. En cela, l'universit est elle-mme un monument culturel dont l'essor n'at ni possible ni mme pensable dans toutes les cultures.

Culturelle, l'universit l'est encore en ce qu'elle est un des lieux majeurs de conservation dupatrimoine culturel de la collectivit. Selon son ge, elle est, bien sr, plus ou moins elle-mme muse ou oeuvre architecturale patrimoniale. Mais toujours, tout le moins par sesbibliothques et ses centres d'archives, par ses habitudes de compilation documentaire, parson service de la mmoire, elle fait partie des institutions culturelles de la collectivit. Elle fait


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toujours oeuvre de "tradition" - "tradere", "to trade", au sens actif o on "livre" quelque chose quelqu'un, o on le lui "traduit", o on le lui lgue. On ne doit pas s'tonner de la voir tenirdes galeries d'art, des installations musales, des thtres, des salles de concert et de cinma,et collaborer troitement avec ceux qui, ailleurs dans la ville, grent ce genre d'quipementsculturels. Sa mission de transmission culturelle la conduit tout naturellement cecompagnonnage troit. Mme quand elles sont vocation plus technologique, les grandes

universits ont cette proccupation pour l'histoire et pour le traitement musal de la science etde la technologie. Il y a mme de grands centres d'arts et mtiers qui portent firement le nomde "conservatoire" et qui constituent des dtours obligs pour ceux qui s'intressent laculture.

Culturelle, essentiellement culturelle, l'universit l'est surtout en ce que toute son activit sedploie l'intrieur des langages et des codes de signes travers lesquels les humainss'appliquent faire avancer leur intelligence du monde et de la ralit humaine. tous sesniveaux, il est vrai, l'cole introduit au monde des signes : ds le bas ge, elle enseigne parler, lire, crire, compter, vivre dans la socit, se situer dans l'espace et dans letemps, s'approprier l'hritage culturel, communiquer - grce aux anciennes et auxnouvelles technologies. Mais le propre de l'universit, c'est sans doute la prise en compte

rflexive de ces savoirs, de ces mthodes, des rgles de fonctionnement de tous ces langages.Dans tous les secteurs du savoir, l'universit est ainsi plonge dans la culture. Elle s'y meutquand elle pratique et dveloppe les hypothses et les thories des sciences naturelles, lesaxiomes et les dmonstrations de la logique et des mathmatiques, les paradigmes et lesconcepts des sciences humaines et sociales, les structures et les rgles de fonctionnement deslangues et des cultures, la signification de l'affirmation religieuse, les trames d'explication del'histoire, l'explicitation des particularits de la culture nationale. Elle s'y meut tout autantquand, en formation proprement professionnelle, elle tablit les schmes d'interprtation quisous-tendent les gestes d'intervention. C'est vrai en gnie comme en chiropraxie, enpsychopdagogie et en formation l'enseignement comme en gestion d'entreprise : au coeurde chaque geste professionnel, il y a un moment proprement interprtatif qui est de l'ordre del'explication du monde bien plus que de la seule efficacit technique et qui repose sur unecertaine comprhension des lois de la nature, voire de la destine humaine.

Dans toutes les disciplines et dans tous les champs de formation, l'universit se meut ainsidans la culture, c'est--dire dans l'organisation, l'interprtation et l'expression de la nature. Ellevolue dans le "construit" humain, qu'elle a mme la mission d'affiner, d'approfondir, dedvelopper, de prolonger. Sans doute certains domaines sont-ils visiblement plus proches del'expression culturelle et artistique. Mais il serait singulirement rducteur de penser que lessciences de la nature, plus mathmatiques et plus abstraites en apparence, n'voluent pas toutautant dans la pntration et l'expression de la ralit, comme aussi dans l'hritage de laculture. telle enseigne mme que des scientifiques et des pistmologues n'ont pas rougid'identifier la "beaut d'une explication" parmi les critres de vrit, tablissant ainsi une

troublante jonction entre le scientifique et l'esthtique. Et que dire de tous ces gens desciences, les Russell, les Rostand, les Heisenberg, les Monod et tant d'autres, que leuritinraire a inexorablement conduits au seuil de l'interrogation mtaphysique ? Oui,dcidment, moins de dgnrer dans quelque modle marchand, l'universit est tout entireculturelle, et c'est mme comme cela qu'elle est utile, irremplaable mme.

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Les deux universitaires que nous honorons aujourd'hui sont des gens de culture. L'un et l'autreont consacr leur carrire faire progresser notre comprhension du monde, de la vie humaineet de ses mcanismes individuels et sociaux, de mme qu' toffer les fondements et lesperspectives d'une intervention claire et efficace sur la ralit, auprs des personnes et descollectivits. Je salue leur importante contribution l'affermissement de la comptenceculturelle de notre socit.

L'accueil que la Maison de la Culture de Trois-Rivires accorde ce soir l'Universit duQubec Trois-Rivires est ds lors plein de sens. Elle-mme maison de culture, l'universitest ici chez elle, comme y sont chez eux nos deux docteurs de ce soir. J'y trouve, avec elle,avec eux, une sorte d'invitation amicale renouer avec cela mme qui dfinit la mission del'universit. Merci de nous accueillir ici ce soir.

Et merci de votre attention.

lucier, p. - (1997) « l'université, maison de culture »

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