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  • 8/7/2019 L'ONU, pygmalion malhabile. La fragilit du nation building au Timor

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    LONU, Pygmalion malhabileLa fragilit du nation buildingau Timor

    ______________________________________________________________________

    Dominique Lecompte

    Novembre 2010

    .

    FFooccuuss ssttrraattggiiqquuee nn2266

    Centredes tudes de scurit

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilitpublique (loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.

    LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanksfranais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans ce texte nengagent que la responsabilit de lauteur.

    ISBN : 978-2-86592-758-6 Ifri 2010 Tous droits rservs

    Toute demande dinformation, de reproduction ou de diffusion peut tre adresse [email protected]

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    Focus stratgique

    Les questions de scurit exigent dsormais une approche intgre, quiprenne en compte la fois les aspects rgionaux et globaux, lesdynamiques technologiques et militaires mais aussi mdiatiques ethumaines, ou encore la dimension nouvelle acquise par le terrorisme ou lastabilisation post-conflit. Dans cette perspective, le Centre des tudes descurit se propose, par la collection Focus stratgique , dclairer par

    des perspectives renouveles toutes les problmatiques actuelles de lascurit.

    Associant les chercheurs du Centre des tudes de scurit de lIfriet des experts extrieurs, Focus stratgique fait alterner travauxgnralistes et analyses plus spcialises, ralises en particulier parlquipe du Laboratoire de recherche sur la dfense (LRD).

    Lauteur

    Dominique Lecompte est docteur en gographie et consultant indpendant.

    Il a travaill sur des projets des Nations unies, de la Banque mondiale, dela Commission europenne et du ministre franais de la Coopration enparticulier au Burundi, en Rpublique Dmocratique Congo et en Hati. Il atermin en avril 2010 une mission de deux ans et demi au Timor-Leste.

    Le comit de rdaction

    Rdacteur en chef : Etienne de Durand

    Rdacteur en chef adjoint : Marc Hecker

    Assistante ddition : Alice Pannier

    Comment citer cet article

    Dominique Lecompte, LONU, Pygmalion malhabile. La fragilit du nation

    buildingau Timor , Focus stratgique, n 26, novembre 2010.

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    Sommaire

    Introduction _____________________________________________ 5Contexte institutionnel et sociologique de lintervention

    onusienne _______________________________________________ 7LONU : un despotisme clair pas toujours cohrent ____ 8La partie timoraise : une socit clanique traumatise

    par vingt-cinq annes doccupation et de conflits ______ 12Les ralisations : succs et checs _________________________ 15

    Des succs relatifs : dfense, institutions et finances

    publiques ________________________________________ 15Les checs : services sociaux, justice et environnement

    de lconomie ____________________________________ 18Leons et recommandations ______________________________ 25Conclusion _____________________________________________ 31Annexes _______________________________________________ 33Rfrences _____________________________________________ 49

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    Introduction

    orsque le 25 octobre 1999 les Nations unies sont chargesdadministrer le Timor-Leste et de le mener lindpendance, le

    territoire est en ruine. Les Indonsiens ont saccag les infrastructures, letiers de la population sest rfugie au Timor ouest et la plupart desmdecins, enseignants et cadres sont partis. Durant trente mois, lONUdispose de tous les pouvoirs, assure la scurit, administre le pays, btit

    ses institutions et lamne lindpendance en un dlai record.Lexprience timoraise est alors prsente comme une success story enmatire de peace buildinget de nation building. Chacune des missions delONU qui se sont succd au cours des dix annes suivantes a vainementtent de se retirer. En dpit de centaines de millions de dollars dpenss,du dploiement de forces ayant compt jusqu 9 000 militaires et plus de1 500 policiers, de la prsence de centaines dexperts internationaux, lepays demeure le plus pauvre de la rgion, lEtat timorais nassure que trspartiellement ses fonctions rgaliennes et le cadre juridique resteincohrent. La plus jeune nation du monde a en partie puis soncapital de sympathie auprs de ses partenaires et se trouve classe dansla catgorie des pays en voie dafricanisation par les chercheurs

    australiens et dans celle des Etats fragiles par lOCDE1

    Le Timor possdait pourtant des avantages certains qui auraient dfaciliter la stabilisation et le dveloppement du nouvel Etat : territoirerestreint, communaut internationale disposant des pleins pouvoirs et nemanquant ni de moyens financiers ni de personnel, voisins relativementconciliants contrairement au Kosovo, lIrak ou lAfghanistan , classepolitique prte jouer le jeu

    .

    2. Dans ces conditions, comment expliquerlincapacit de la communaut internationale construire un Etat timoraisstable et efficace ? Le Timor-Leste est-il dj un Etat failli ou bien, invent 3 sans vision cohrente il y a seulement huit ans4

    1 Sur ce syndrome de lafricanisation : Benjamin Reilly, The Africanisation ofthe South Pacific , Australian Journal of International Affairs, vol. 54, n 3, 2000,pp. 261-268; Jon Fraenkel, The coming anarchy in Oceania? A critique of theAfricanisation of the South Pacific thesis , Journal of Commonwealth andComparative Politics, vol. 42, n 1, 2004, pp. 1-34.

    par les

    Nations unies et la communaut internationale, nest-il pas plutt encorequun Etat virtuel ?

    2 Contrairement la classe politique dautres pays bnficiant du soutien de lacommunaut internationale, linstar de la Rpublique Dmocratique du Congo.Cf. Sbastien Melmot, Candide au Congo. Lchec annonc de la Rforme duSecteur de Scurit , Focus stratgique, n 9, septembre 2008.3

    James Traub, Inventing East Timor , Foreign Affairs, juillet-aot 2000.4 Lindpendance formelle du Timor-Leste date du 20 mai 2002.

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    Pour rpondre ces questions, le contexte institutionnel etsociologique de lintervention onusienne doit dabord tre analys, eninsistant notamment sur les prsupposs et les erreurs de perception desexperts internationaux. Cette analyse doit ensuite permettre de mieuxapprhender les checs mais aussi quelques indniables succs delaction onusienne. Enfin, plusieurs leons susceptibles de sappliquer dautres thtres seront tires du cas timorais. On peut craindre, en effet,que les mmes approches ne conduisent aux mmes impasses, parexemple en Hati o la communaut internationale semble dsireuse deraliser un nouveau chef duvre en matire de construction ex nihilodun Etat.

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    Contexte institutionnel etsociologique de lintervention

    onusienne

    epuis 1999, cinq missions mandates par lONU se sont succd5.LUnited Nations Assistance Mission in East Timor (UNAMET)6, en

    charge de lorganisation du referendum dautodtermination dut quitter lepays en raison des violences ayant suivi la proclamation des rsultats.LUnited Nations Transitional Administration in East Timor (UNTAET) laremplaa7, paule par une force de plus de 9000 hommes (INTERFET International Force for East Timor)8

    LONU mit ensuite en place plusieurs missions successives pourappuyer le nouvel Etat. LUnited Nation Mission of Support in East Timor(UNMISET)

    , son mandat combinant urgence(coordination et distribution de laide humanitaire, maintien de la scuritintrieure et extrieure, administration temporaire du territoire),rhabilitation (remise sur pied des services sociaux et des infrastructures)et actions plus long terme (mise en place dune administration, desinstitutions du futur Etat et des conditions pour un self-government). Cestelle qui prsida lenfantement du Timor-Leste et sa mission sachevaavec lindpendance, le 20 mai 2002.

    9 fut charge dassurer le maintien de lordre et de la scurit(5 000 militaires jusquen 2004 et 1 250 policiers) et daider la ralisationdes tches administratives essentielles (300 conseillers). Lvolutiontant juge favorable, elle fut prolonge avec des effectifs restreints jusquen mai 2005, avec pour objectif de passer le relais aux Timorais.LUNMISET ne comptait plus que 157 policiers, 310 militaires et unecentaine dexperts sa clture. LUNOTIL (United Nations Office in EastTimor)10

    5 Pour lhistorique de ces diverses missions, voir en particulier Geoffrey C. Gunn,Reyko Huang, New Nation : United Nations peace building in East Timor,Nagasaki, Research Institute of Southeast Asia, Faculty of Economics, NagasakiUniversity, Southeast Asia Series, n 36, 2004.

    la remplaa avec un effectif encore plus rduit (35 civils, 40

    policiers, 35 militaires, 10 conseillers en matire de droits de lhomme).Venant ainsi en appui uniquement aux fonctions critiques deladministration, elle devait clore lintervention au Timor en janvier 2006.

    6 Rsolution 1236 du 7 mai 1999.7 Rsolution 1272 du 25 octobre 1999.8 Rsolution 1264 du 15 septembre 1999.9

    Rsolution 1410 du 17 mai 2002.10 Rsolution 1599 du 28 avril 2005.

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    Loptimisme de lONU se rvla toutefois prmatur. Le 8 fvrier2006, 350 des 1 800 hommes de larme timoraise abandonnrent leurscasernes et signrent une ptition accusant ltat-major de discriminationentre les soldats originaires de lEst et ceux de lOuest du pays.Dimportants troubles sensuivirent, provoquant le dplacement de plus de100 000 personnes. Le 26 mai 2006, quelques centaines de militairesaustraliens dbarqurent Dili pour rtablir lordre dans le pays11. LONUdcide alors de redployer une mission plus robuste, lUnited NationsIntegrated Mission in Timor-Leste (UNMIT)12

    En 2006, le Timor-Leste semble donc revenu la case dpart

    , charge de faciliter ledialogue politique, daider au droulement des lections parlementaires etprsidentielles de 2007, dassurer le maintien de la scurit publique,dappuyer la police nationale, de renforcer les capacits institutionnelles delEtat et de coordonner laide humanitaire. Pour ce faire, elle dispose de1 500 policiers, 360 experts civils et 175 volontaires. LInternationalStabilisation Force(ISF) compose dAustraliens et de No-Zlandais nesten revanche pas place sous commandement onusien.

    13

    LONU : un despotisme clair pas toujours cohrent

    et la situation reste depuis lors trs fragile. Le mandat de lUNMIT a tprolong plusieurs reprises et doit prendre fin en 2012. Si lONU na pasrussi, jusqu prsent, stabiliser durablement le Timor et crer lesconditions du dveloppement conomique, cest avant tout en raison desincohrences de son mode de gestion et de son incapacit sadapter lacomplexit de la socit timoraise.

    Durant deux ans, lUNTAET fut une exprience unique dadministrationdirecte dun territoire et de construction dun Etat par lONU. Elle futmarque par son caractre bureaucratique laissant peu de place laparticipation des Timorais, la multiplicit des structures dintervention et definancement, lhtrognit des intervenants et dune faon gnrale parle recours des recettes labores ailleurs, pas toujours adaptes lasituation locale.

    Doctobre 1999 mai 2002, lUNTAET exera via lEast TimorTransitional Administration (ETTA) lintgralit des pouvoirs souverains.Ladministrateur provisoire, Sergio Vieira de Mello, Tsar onusien duTimor , dirigeait le pays, selon les rgles de New York 14

    11 Opration Astute, coalition de 650 Australiens, 209 Malaisiens, 140 No-Zlandais, 124 Portugais.

    , dpendait

    directement du Secrtaire gnral de lONU et avait tous les pouvoirs :excutif (il dirigeait ladministration, les forces de scurit, tait le seulinterlocuteur des agences de lONU, des organismes internationaux et des

    12 Rsolution 1704 du 25 aot 2006.13 Frdric Durand Timor Leste : Tragique retour la case dpart , in LAsie duSud Est 2007, IRASEC-Aux Lieux dEtre, Bangkok-Montreuil, 2007, pp. 89-93.14 Daprs celui qui dmissionna en mars 2000 de ses fonctions de chef de lOfficeof District Administrationde lUNTAET : Jarat Chopra, The UNs kingdom of EastTimor , Survival, vol. 42, n 3, automne 2000, pp. 27-39 ; et Jarat Chopra,

    Building state failure in Timor-Leste in Jennifer Milliken (dir.) State Failure,collapse and reconstruction, Wiley-Blackwell, 2003, pp. 223-245.

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    autres Etats apportant leur aide), lgislatif (lETTA mettait des rglements ) et judiciaire. Seul dcisionnaire15, il prsidait un premiergouvernement de transition de 8 membres16 (4 Timorais et 4 employs delUNTAET) et une administration de plusieurs centaines dadvisors,travaillant en anglais. Dans la ville de tentes rapidement plante, lespostes de responsabilit ntaient, aprs 15 mois, pourvus qu hauteur de10%17 par des Timorais. Au grand dpit du Conselho Nacional daResistncia Timorense (CNRT) qui avait men la guerre dindpendance,les Timorais ne participrent qu des institutions consultatives non-lues, dabord le Conselho Nacional Consultativo (CNC de 15 membrescr ds le 2 dcembre 1999) puis le Conselho Nacional (CN de 36membres cr le 14 juillet 2000). Ce nest que le 30 aot 2001 18 que futlue une Assemble constituante charge de rdiger la constitution du futurEtat indpendant, mais sans pouvoirs sur la gestion du territoire. Cettesituation permit certains de parler dun royaume onusien au Timor 19

    Dun point de vue conceptuel, les activits furent rapidementdfinies par plusieurs missions onusiennes et par la Joint AssessmentMission (JAM de la Banque mondiale, de la Banque asiatique dedveloppement et du Fonds montaire international) en septembre 1999,servant de base la confrence des bailleurs runis Tokyo en dcembre1999.

    etVieira de Mello lui-mme admit quil ne voyait pas comment gouverner

    avec un pouvoir absolu autrement que par la pratique du despotismeclair.

    La mise en uvre fut complexe. Une stricte rpartition des

    responsabilits fut tablie ds le dbut : la PKF (Peace Keeping Forceduneffectif quivalent celui de lINTERFET) fut charge de la scurit etlETTA des volets urgence et nation building (urgence et humanitaire,aspects politiques, administration, justice, mise en place des institutionspolitiques et lections), tous les aspects conomiques tant confis auxinstitutions financires internationales : Banque Mondiale (BM mise surpied des institutions financires, relance de la production agricole, sant,ducation, secteur priv), Banque Asiatique de Dveloppement (BAD transports, communications, eau, nergie, micro-finances) et FondsMontaire International (FMI aspects montaires). Sept modalits definancement diffrentes furent mises en uvre et, outre les dpensesdirectement prises en charge sur les budgets de lONU (maintien de la

    paix, cot de ses fonctionnaires), deux fonds fiduciaires furent crs : leConsolidated Fund for East Timor (CFET, utilisant notamment lesressources domestiques collectes par lETTA) pour financer lefonctionnement et les activits de lETTA et le Trust Fund for East Timor(TFET) pour tout ce qui concernait le financement des secteurs dont la

    15 Rsolution 1271 du 22 octobre 1999.16 Affaires internes, Infrastructures, Affaires conomiques, Affaires sociales, Policeet services durgence, Affaires politiques, Justice et Finances.17 En 2002, la fin de la mission, seulement 17% des 10 169 agents civils etmilitaires taient timorais.18

    Rsolution 1338 du 31 janvier 2001.19 Jarat Chopra, op.cit.

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    gestion tait confie la BM et la BAD. La multiplicit des intervenants tous les niveaux a favoris les luttes internes entre militaires et civils, entreles divers dpartements de lETTA, entre partenaires extrieurs (Portugal,Australie) ayant des objectifs politiques diffrents, entre le tandemBM/BAD en charge de la gestion du TFET et les bailleurs qui lalimentaient,et enfin, entre tous les acteurs chargs de grer la manne financiredverse sur le pays (agences de lONU concurrentes, ONGinternationales).

    De nombreux a priori idologiques et dabord lidologie de lapage blanche prsidrent laction de la communaut internationale :prs de 80% des cadres de ladministration indonsienne ayant quitt lepays, les experts furent griss par loccasion qui leur tait offerte deconstruire une nouvelle nation from scratch, de btir de nouvellesinstitutions sur un terrain considr comme vierge. Durant 25 ans desmilliers de Timorais avaient acquis une exprience dans les multiples

    services de ladministration indonsienne mais tout cet acquis, considrcomme bureaucratique, corrompu, tranger aux critres anglo-saxons de lONU, fut ignor. Dans le domaine conomique, des prsuppossnolibraux confirent trs peu de responsabilits au nouvel Etat timorais,que ce soit dans les domaines montaire, financier ou des services publics.Les conditions de dveloppement du secteur priv ntaient toutefois pasrunies. Des secteurs qui fonctionnaient lpoque indonsienne, commela poste et le dveloppement agricole, furent laisss labandon sans quedes services privs ne les remplacent. Quant la remise sur pied desservices sociaux, elle fut largement confie aux ONG internationales et peudattention fut porte la structuration des services publics dducation etde sant du futur Etat timorais. De manire gnrale, les institutions seconcentrrent sur ce quelles savaient faire : organisation des lectionset aspects formels du droit (tablissement dune constitution, formation dunparlement) pour lONU, aspects financiers et comptables en ce quiconcerne infrastructures et services sociaux pour la BM et la BAD, larsolution de problmes techniques et la mise en place de structurespropres les affronter tant largement dlaisses.

    Les ressources humaines mobilises posrent un problme decomptence et de cohrence. Recruter plus de 8 000 internationaux (6 399 militaires, 1 288 policiers, 737 conseillers civils en 2002) ne fut pasais pour lONU qui avait plusieurs autres oprations en cours. Si

    beaucoup taient comptents et enthousiastes, les valuations ralisespar la socit civile20

    20 Voir par exemple Alex Grainger, An examination of civil society views of the

    effectiveness and accountability of UNTAET and subsequent United NationsMissions. A report commissioned by the Global Institutional Design Project, 2007.

    insistent toutes sur le grand nombre dagents peuexpriments, peu familiers avec la rgion et ne possdant pas lescapacits ncessaires pour occuper les fonctions quils exeraient.Ladministration au niveau des districts semble avoir t particulirementfaible, le futur Prsident Jos Ramos Horta ayant lui-mme dclar propos des administrateurs de districts : Jen connais beaucoup qui nontni exprience, ni qualification. Jai demand lun dentre eux uneAmricaine quelles taient ses qualifications, et elle ma rpondu quelle

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    avait seulement travaill au parc Yosemite 21.Le smorgasbord22 stafffrom around the world23 du Timor a souvent t considr comme lundes plus faibles mis en place par lONU dans ses missions24. Avec plus de107 nationalits, ces quipes souffraient dun manque de cohrenceinterne, leurs membres tant de cultures, de formations et de traditionsadministratives diffrentes. Nombre dentre eux ayant travaill pourdautres missions, appliqurent mcaniquement au Timor des recetteslabores ailleurs, en particulier au Kosovo do venait Sergio Vieira deMello. Enormment de mesures et de projets furent des copis-colls,parfois totalement inadapts, de lexprience onusienne dans les Balkansou ailleurs25

    Si le volet maintien de la paix, de par sa nature militaire, opra de

    faon cohrente et professionnelle en dpit de la multiplicit descontingents, le volet policier fut un chec. Un clivage fondamental se formaentre les experts latins (portugais, brsiliens), tenants dun systmejuridique civiliste et dune implication plus forte de lEtat dans les servicespublics, et anglo-saxons oprant dans loptique dun systme de commonlaw et moins favorables linterventionnisme tatique. Bienquhtrognes, ces quipes internationales se sont trop souvent fdresdans la dfense dintrts corporatistes. Elles sopposrent ainsi lavolont de Sergio Vieira de Mello de nommer des Timorais des postes deresponsabilit dans ladministration. La tche de lONU fut dautant pluscomplique que la socit timoraise tait et demeure fortement diviseet marque par des annes doccupation et de conflits. Seule unecomprhension plus fine de la structuration des populations locales auraitpu permettre la communaut internationale de mieux adapter son action.

    . Le controvers Community Empowerment Program(CEP) misen place par la Banque mondiale et la BAD en vue dun dveloppementlocal sur base participative, tait par exemple la rplique dun programmedes mmes organismes en Indonsie.

    21 Cit par Marc Riley, Time for UN to go: Timor leaders , Sydney MorningHerald, 24 mai 2000, p. 22.22Le terme smorgasborddsigne un type de repas typique de la Scandinavie. Surune table ou un buffet sont apports de nombreux plats, trs diffrents. Lesconvives vont se servir au buffet, ralisant eux-mmes leur propre slection de

    mets. Lexpression smorgasbord staff, quelque peu pjorative, fait allusion ladiversit et lhtrognit du personnel onusien.23 Ruth Wedgwood, Letter to Editor: Trouble in Timor , Foreign Affairs,novembre-dcembre 2000, pp. 164-198.24 Cette mission semble dailleurs avoir t considre par certains de sesmembres comme la meilleure mission aprs Chypre , sorte de colonie devacances ou de sincure laquelle certains se sont accrochs (cas du Clubdes 99 , experts dans le pays depuis 1999).25 Par exemple le manuel de la formation sur les violences domestiques dispensaux units de la police charges des personnes vulnrables (femmes, enfants)dont la couverture reproduisait un manuel crit en polonais, cit par DanielSchroeter Simio, Madam its not easy ! Modelos de gnero e justia nareconstruo timorense , in Kelly Cristiane da Silva, Daniel Schroeter Simio,

    Timor-Leste por trs do palco, Cooperao internacional e a dialtica da formaodo Estado, Belo Horizonte, Editora UFMG, 2007, pp. 210-233.

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    Le dernier lment considrer est le contexte international delintervention onusienne. LIndonsie, peu dsireuse de voir dventuelstroubles gagner le Timor ouest, a toujours jou le jeu et larmeindonsienne a, ds le dbut, collabor avec la PKF. En revanche, elle aoppos une fin de non recevoir totale au sujet de la poursuite ventuelle deses citoyens, civils ou militaires, impliqus dans les massacres de 1999.Parmi les bailleurs, une sourde lutte dinfluence opposa en particulierlAustralie dont le Timor est larrire-cour stratgique, son sous-solrecelant des ressources ptrolires , au Portugal, ancienne puissancetutlaire qui avait depuis 1975 soutenu le droit lautodtermination desTimorais et se considrait investi dune responsabilit historiqueparticulire.

    Bureaucratique et moderniste dans son approche, lONU semble nepas avoir pris la mesure des profonds clivages de la socit timoraise,quils soient traditionnels ou lis son histoire rcente. Les experts qui

    dbarqurent en octobre 1999 taient peu prpars affronter un pays olon parle 15 langues, o la guerre est une tradition millnaire et olorganisation de bandes armes en vue de perptrer des violences est unhabitus. Presque rien ne fut fait pour dpasser lapproche technocratique etirniste visant amener gaiement le bon sauvage vers ledveloppement et la bonne gouvernance.

    La partie timoraise : une socit clanique traumatise par vingt-cinq annes doccupation et de conflits

    En moins de 30 ans, la socit timoraise, dj divise par des clivagestraditionnels, a subi quatre chocs majeurs : leffondrement de la prsenceportugaise, lintgration lIndonsie, ladministration par lONU puislindpendance. Chacun de ces chocs sest accompagn dun changementde langue, de modle administratif et de religion.

    Du point de vue des clivages traditionnels, la socit timoraise fait ladiffrence entre lautorit , qui vient de dentro, da terra, fminine,sacre, mythico-religieuse et le pouvoir , masculin, actif, venu delextrieur, ce qui explique que les Portugais, en tant que malae(trangers)aient pu simposer durant des sicles en dpit de moyens limits, et quunegrande partie des dirigeants du pays soient souvent des mtis26

    26 Sur les clivages internes la socit timoraise voir Paulo Castro Seixas, Translation in crisis, crisis in translation , in Christine Cabasset-Semedo,Frdric Durand, East-Timor. How to build a new nation in Southeast Asia in the21

    stcentury, Bangkok, Carnet de lIRASEC / Occasional Paper n 9, IRASEC

    CASE, 2009, pp. 65-80, et David Hicks, Ema Lorosae , ema Loromunu : identity

    and politics in Timor-Leste , Christine Cabasset-Semedo, Frdric Durand,op. cit., pp.81-94.

    (re)venusde lextrieur. La majorit de la population demeure soumise aux coutumes

    traditionnelles (adat) qui reposent sur des mcanismes de rparation destransgressions propres une socit clanique, hirarchique et patriarcale,sans relation avec les critres du droit moderne en matire de crimes et

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    dlits27

    Dautres clivages sont lis lhistoire politique des trente derniresannes et tout dabord la brve guerre civile qui opposa en 1975, aumoment o le Portugal se retira de ses colonies, les partisans delintgration lIndonsie (UDT Unio Democrtica Timorense etAPODETI Associao Popular Democrtica de Timor-Leste) auFRETILIN (Frente Revolucionria de Timor-Leste Independente) marxisant,permettant ce dernier dliminer physiquement (1 500 3 000 morts) unepartie de la classe dirigeante dalors, liurai

    , particulirement pour tout ce qui concerne le droit de la famille etde la proprit, souvent en totale opposition avec les critres en matire de genre des agences onusiennes et des ONG internationales.

    28 et mtis. Dautres fracturessont lies la priode indonsienne et aux luttes dindpendance. Au seindes mmes familles, les positions furent trs diffrentes, certainespersonnes tant souvent passes de la collaboration la rsistance ouvice-versa. Les districts de lOuest sopposrent moins loccupant

    indonsien que ceux de lEst, berceau de la lutte arme, crant ladistinction entre ema Lorosae(orientaux) et ema Loromunu(occidentaux)et le personnage du maubere, archtype du vrai Timorais en luttecontre lenvahisseur. Des divergences opposrent les combattantsindpendantistes entre eux, mais galement ceux-ci aux Timorais exils ltranger, qui avaient men le front diplomatique de la rsistance. Sous levernis de la glorification des veteranos, les rancurs personnelles etclaniques lies cette priode sont vives. Souvent occultes, elles ont tdifficilement perues par les intervenants extrieurs. Dans un tel contexte,la socit et la classe politique timoraises ont eu une perception totalementdiffrente de celle de lONU et des ONG internationales pour tout ce qui serapporte la mise en place dun processus judiciaire ou de rconciliationpermettant daffronter le problme des crimes de guerre et crimes contrelhumanit. Au sein des Timorais de la diaspora, il faut distinguer leslusophones rfugis au Portugal ou dans le Mozambique marxisant deSamora Machel ( Clique de Maputo de lex-Premier ministre FRETILINMari Alkatiri) de ceux rfugis en Australie (par exemple le Groupe deVictoria compos des personnes ayant tudi dans cette ville). LactuelPremier ministre Xanana Gusmo, lusophone, symbole de la rsistancearme, mari une Australienne29

    27 Voir le rapport ralis en 2003 par lAsian Foundation (Survey of citizenawareness and attitudes regarding law and justice in East Timor) qui montre que lamajorit des Timorais ne font pas confiance la justice formelle et prfrent, pourrgler les conflits, avoir recours au systme traditionnel adatpar le biais du chefede suco.

    est le symbole vivant de cettecomplexit.

    28 Roitelets locaux auxquels le Portugal dlguait ladministration.29 Sur cette saga et le rle de lAustralie, voir lautobiographie de Kirsty Sword

    Gusmo, A woman of independence. A story of love and the birth of a new nation,Sydney, MacMillan, 2003.

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    Un dernier clivage, gnrationnel et culturel, existe entre quatregroupes :

    1) ceux qui appartenaient la petite lite de lpoque portugaise,souvent mtis lis des familles de liurai ayant, mme si ce nest pas

    toujours le cas, men la lutte de libration ;2) ceux de la gnration foun30ou tim-tim31

    3) ceux qui se sont couls dans le systme de lONU, matrisentlanglais et promeuvent lalignement sur lAustralie (pays dans lequel ils ontvcu ou vivent encore) ;

    , qui a grandi et tudisous loccupation et sexprime plus naturellement en indonsien ;

    4) tous les jeunes ayant grandi depuis lindpendance et pourlesquels le tetumest souvent lunique langue de communication du fait delextrme faiblesse du systme ducatif.

    Toutes ces divergences furent mises en avant en 2006 lorsque des entrepreneurs en dsordre armrent des gangs darts martiauxsidentifiant comme lorosae ou loromunu. Cette crise prit au dpourvulONU en priode de repli, lobligeant renforcer sa prsence et faireramener lordre par une force dintervention extrieure indpendante deson commandement.

    Dans ce contexte de contact avec une culture clanique, belliqueuse,divise par des clivages quelle apprhendait difficilement, la communautinternationale, prisonnire de ses procdures, de ses recettes et de sesidologies obtint des rsultats contrasts. Heureuse lorsque le kit de

    solutions et dinstruments dont elle disposait tait en adquation avec lesproblmes qui se posaient, malheureuse lorsquils taient par troptrangers ou opposs aux ralits du terrain ou aux contraintes propres la socit timoraise.

    30

    Jeune en tetum.31 De Timor-Timur, nom de lancienne province indonsienne.

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    Les ralisations : succs et checs

    l serait injuste de dpeindre un tableau trop sombre de laction de lacommunaut internationale au Timor. Les checs certes nombreux ne

    doivent pas luder quelques succs notables, en particulier pour ce qui estde la dmobilisation des combattants, de la cration des institutionspolitiques et de rgulation et de la gestion des finances publiques.

    Des succs relatifs : dfense, institutions et finances publiques

    Grce une intervention militaire massive (15,7 militaires trangers pour1 000 habitants et plus de 64 pour 100 km2)32

    Outre le rtablissement relatif de la scurit et la rinsertion descombattants, une autre russite de la communaut internationale consista mettre sur pied des institutions qui, mme si elles ne fonctionnent pastoujours parfaitement, ont au moins le mrite dexister.

    et la coopration delIndonsie, la scurit fut rtablie ds novembre 1999, larmeindonsienne ayant alors vacu le pays. En janvier 2000, un memorandum of technical understanding coordonnant les activits desdeux cts de la frontire fut sign. Bien que de nombreux groupes demaquisards des Foras Armadas de Libertao de Timor-Leste(FALINTIL)

    naient pu tre cantonns et quau moins trois organisations de veteranosconcurrentes se soient cres, le processus dedsarmement se droula rapidement. Contrairement dautres nations ensituation de post-conflit , linscurit et les actions des milices purenttre jugules peu prs totalement en moins de deux ans, le recensement,triage et dsarmement des ex-gurilleros dbutant ds janvier 2001. Lesdeux tiers des anciens FALINTIL furent dsarms. Six cent cinquantedentre eux intgrrent les Foras de Defesa de Timor-Leste(FDTL, armenationale timoraise) et 1 300 retournrent la vie civile par le biais duFALINTIL Reinsertion Assistance Program (FRAP) mis sur pied par laBanque mondiale et lUSAID.

    32 Contre par exemple de 0,2 militaire pour 1 000 habitants en Afghanistan (ISAFfin 2004) 22 au Kosovo (KFOR octobre 2000), et de 1 pour 100 km enAfghanistan (ISAF fin 2004) 375 au Kosovo (KFOR octobre 2000). Cf. Etienne de

    Durand, Des Balkans lAfghanistan : les oprations de stabilisationcomplexes , Politique trangre, n 2, 2005, pp. 327-342.

    I

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    Tout en conservant lensemble des pouvoirs administratifs etlgislatifs, lETTA cra ds le dbut des structures consultatives, CCN 33dabord puis CN34 (36 membres, 7 commissions permanentes), sorte deproto-parlement qui fut fortement appuy par le Portugal. Il constitua unimportant forum qui accompagna lUNTAET dans lensemble du processusdorganisation des lections de lAssemble constituante35

    Le recensement de 400 000 lecteurs fut rapidement men, 16partis politiques enregistrs et une quipe de Volontaires des nations unies(VNU) ralisa un norme travail dducation et dinformation des lecteurs,en majorit analphabtes, et permit aux lections du 30 aot 2001 de sedrouler dans le calme. LAssemble constituante se transforma enpremire lgislature du Parlement national, vitant ainsi une campagnelectorale surajoute aux lections prsidentielles. En parallle aux travauxde lAssemble constituante, lUNTAET organisa plus de 200 dbats danstous les sous-districts, assurant une forte participation de la population

    tout ce qui touchait aux aspects symboliques du futur Etat : nom, drapeau,langues nationales Le problme des langues nationales en particulier futimportant car il mit en lumire les clivages entre partisans du portugais,langue de la religion, de la rsistance, de la gnration des ans

    .

    36

    Bien que copi de modles appliqus des socits diffrentes, lecadre institutionnel mis en place, mme sil na pu fournir des institutionsde gouvernance capables dassurer au citoyen la scurit physique etconomique

    ,second par le tetum dont une grande partie du vocabulaire est portugais,et adeptes de lindonsien, langue de la gnration tim-tim, utilise durant25 ans. A linstar de lappellation qui prvalait la priode pr-indonsienne, le Timor-Leste fut nouveau qualifi de Rpubliquedmocratique . La Constitution, inspire de celle du Portugal, fut adopteen mars 2002. Elle met en place un rgime monocamral semi-prsidentielo lessentiel du pouvoir repose sur le gouvernement dirig par un Premierministre qui doit sappuyer sur une majorit parlementaire.

    37, sest rvl solide et adaptable. En effet, les institutionsont rsist la crise de 2006, marque par la dbandade des forcesloyales au gouvernement, la rivalit la tte de lexcutif et la rsurgencede conflits sous-jacents dans la socit timoraise 38

    33 Reg. UNTAET n 1999/2 du 2 dcembre 1999.

    . Le Premier ministre,Mari Alkatiri, cda alors la place un successeur ayant les faveurs duPrsident Gusmo, sans que son parti, majoritaire lAssemble, puisse le

    34 Reg. UNTAET n 2000/24 du 14 juillet 2000.35 Voir Cristina Ferreira, A cooperao parlamentar bilateral Luso-Timorense e aformao do poder legislativo (2000-2006) , in Kelly Cristiane da Silva et DanielSchroeter Simio (dir.), op. cit., pp. 143-160.36Cf. Geoffrey Hull, linguiste australien qui fut lun des principaux artisans du choixdu portugais comme langue officielle : Lingua, identidade e resistncia.Entrevista a Geoffrey Hull , Instituto Cames, Revista de letras e culturaslusfonas, juillet-septembre 2001, n 14, pp. 80-92.37 David Chandler, Empire in denial: the politics of state-building, Londres, PlutoPress, 2006.38 Tanja Hohe, The clash of paradigms: International administration and local

    political legitimacy in East Timor , Contemporary Southeast Asia: A Journal ofInternational and Strategic Affairs, vol. 24, n 3, dcembre 2002.

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    sauver. La squence prvue pour le droulement des lections fut judicieuse, puisque les lecteurs lurent largement le Prsident JosRamos Horta en mai 2006 (69% au second tour, 81% de participation),puis dsavourent une seconde fois le FRETILIN lors des lgislatives dejuin 2007 (29%) permettant Xanana Gusmo, devenu Premier ministre,de former un gouvernement de coalition39

    Enfin, des lueurs despoir peuvent tre perues dans le domaine dela gouvernance conomique. Le premier succs rside dans la cration en2001 de lABP (Autoridade Bancria e de Pagamentos)

    aprs un surraliste jeu dechaises musicales. Divise par des clivages remontant 1975 ou larsistance, mais doue de capacits de manuvres politiciennes peucommunes, la classe politique rgla ces diffrends par les urnes et non parles armes, ce qui est en soi un motif de satisfaction. Les forts taux departicipation sont galement un point positif pour la dmocratie timoraise.

    40 qui a vocation se transformer en vritable banque centrale41. Le FMI souhaitait crer une

    institution purement technique sur le modle du Kosovo o avaient travaillles experts chargs de sa mise en place. Ses oprations chappaient lAdministrateur provisoire qui avait pourtant thoriquement autorit sur elleet aucun agenda prdtermin de timorisation des responsablesnexistait, contrairement au cas du ministre des Finances42

    Le second succs est le Fundo Petrolfero de Timor-Leste (fondsptrolier). Il est porter au crdit des premiers gouvernements timorais quidcidrent de participer la confrence de lInitiative de transparence desindustries extractives (EITI, tenue Londres en juin 2003) et sengagrent

    par rapport aux critres de transparence qui y furent noncs. Une large

    , faisant delABP un exemple de formation et de prise en charge dune institutiontechnique par les Timorais eux-mmes. Lors de lindpendance, tous lescadres taient expatris mais un conseil de gestion , rapidement cr,faisait participer chaque semaine des employs locaux des diversdpartements la prise des dcisions. Ceux-ci, en majorit de jeunesprofessionnels, issus duniversits indonsiennes, furent forms pardiverses banques centrales (Grande-Bretagne, Portugal, Indonsie,Finlande, Tonga...) et remplacrent progressivement les expatris. Tousles cadres taient timorais ds la fin de 2004. Ainsi, alors que le ministredes Finances reste totalement dpendant de plusieurs dizaines dassesseurs trangers, lABP, sans avoir fait table rase de lexprienceacquise lors de la priode indonsienne, est administre pratiquementuniquement par des Timorais.

    39 Voir Rui Graa Feij, Elections and social dimension of democracy, lessonsfrom Timor-Leste , in Christine Cabasset-Semedo et Frdric Durand (dir.),op.cit., pp. 123-138.40 Reg. UNTAET n 2001/30 du 30 novembre 2001.41 Elle exerce les fonctions normales dune banque centrale : fourniture de moyensde paiement immdiat aux tablissements bancaires commerciaux, mission(limite la monnaie mtallique, les billets tant des dollars amricains), contrlede la stabilit et de la sant du systme financier, contrle de linflation etprochainement contrle et supervision des assurances.42 Voir ce sujet Lus Quintaneiro, O Banco Central timorense. Criao da

    autoridade bancria e o papel das instituies internacionais de cooperao , inKelly Christiane da Silva et Daniel Shroeter Simio (dir.), op. cit., pp. 122-142.

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    consultation fut mene en 2004-2005 avec les partenaires internationaux etlensemble de la socit civile timoraise afin de discuter de lopportunit demettre en place un fonds permettant dassurer la transparence dans lagestion des recettes ptrolires et den assurer la prennit pour lesgnrations futures43. Cr en aot 200544

    Ces russites indniables dans les domaines de la scurit, desinstitutions publiques et de la gouvernance conomique ne permettenttoutefois pas de contrebalancer les checs de la communaut

    internationale au Timor. Ceux-ci sont nombreux mais se concentrent plusparticulirement dans quatre domaines : les services sociaux, lesinfrastructures, la police et la justice.

    avec lappui de la Norvge etsur le modle du fonds de ce pays, il canalise lensemble des recettesptrolires, les investit dans des placements financiers bas risque(surtout des titres du Trsor amricain) et ne rinjecte dans lconomie quela part des intrts du fonds strictement ncessaire pour financer le dficitbudgtaire. Depuis sa cration, le fonds a reu 4,24 milliards de dollars,ses ressources sont en augmentation et ont permis dinjecter 224 millionsde dollars dans le budget 2008 (85% des dpenses budgtises).

    Les checs : services sociaux, justiceet environnement de lconomie

    Lors de linstallation de lUNTAET, les secteurs sociaux taient totalementsinistrs, la plupart des mdecins et 70% des enseignants du secondaireavaient fui en Indonsie, lducation et la sant taient largementdcrdibilises car considres comme des instruments de loccupant etune grande partie des infrastructures avait t dtruite par les milices etlarme indonsienne. Il fallait la fois reconstruire et recruter du personneldans un contexte totalement diffrent, particulirement danslenseignement, avec le retour du portugais alors que les rares enseignantsen place ignoraient cette langue et que tous les manuels disponiblestaient rdigs en indonsien. La BM, en charge de ce domaine, concentrases efforts sur la rhabilitation physique des infrastructures avec lesprogrammes Emergency School Readiness Project (ERSP) etFondamental School Quality Project (FSQP) pour lducation45

    43 Les estimations tant que les rserves pourraient tre puises dans un dlaiinfrieur 30 ans.

    , et HealthSecond Rehabilitation and Development Program (HSRDP I et II) pour lasant, investissant un tiers du TFET (53,1 millions de dollars) dans cesdeux secteurs. Son action na pas t un grand succs puisque le Timor-

    Leste est actuellement lun des derniers pays quant lindice dedveloppement humain (150me sur 177 pour le rapport 2007/8 avec unindice de 0,514), le moins dvelopp de ceux dAsie du Sud-est et duPacifique, avec en particulier une mortalit infantile trs leve (144 pour1 000 en 2004) et 25% danalphabtes chez les 15-24 ans en 2007.

    44 Loi n 9/2005 du 3 aot 2005.45

    Reconstruction de 535 coles et 2 780 classes, distribution de 2 millions demanuels et de 55 000 livres denseignement du portugais.

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    Cet chec peut sexpliquer par le manque dexperts timorais etlaffectation subsquente de ressources la consultance extrieure (19,2%des ressources pour les deux projets dducation, 50,3% pour les projetsde sant). La focalisation sur une approche technocratique sectorielle traiteessentiellement des aspects financiers, budgtaires et comptables audtriment des aspects techniques et de la fourniture des services eux-mmes, laisss au soin des quipes de mdecins cubains (pour la sant),des services de coopration portugais et brsiliens (pour lducation) ouconfis aux ONG internationales et lEglise46

    Aujourdhui encore, ducation et sant reprsentent une partlargement insuffisante du budget de lEtat (25,7% du budget 2005-06,10,4% en 2008, 18,3% en 2010), leur part dans linvestissement publicayant baiss (19,8% en 2005-06, 8,8% en 2010). Si le manque

    dinvestissements dans ces deux domaines risque de compromettre longterme le dveloppement du Timor, celui-ci est bloqu plus court termepar la faiblesse des infrastructures.

    . Il en rsulte unemarginalisation des cadres timorais par rapport aux experts expatris etune absence de mise en place de services publics oprationnels.

    La priode indonsienne avait dot le pays dun rseau routierdense (1 400 km de routes nationales, 800 km de routes de districtgoudronnes et 3 000 km de routes rurales en 1999) : son maintien auraitd constituer un objectif prioritaire. Le bataillon du gnie japonais de la PKFrhabilita bien les routes des districts occidentaux frontaliers pour desraisons stratgiques mais ces travaux, termins en 2004, furentinsuffisants. Seul un million de dollars fut dpens dans cette opration,

    une goutte deau par rapport aux besoins. La BAD, en charge du secteur,ne russit de mai 2000 juin 2002 qu rhabiliter 660 km de routes pourun cot de 21,6 millions de dollars avec son Emergency InfrastructureRehabilitation Program (EIRP-1). Une grande partie du rseau, sansentretien depuis 1999, est aujourdhui dans un tat critique et constitue unfrein majeur au dveloppement conomique. En 2004, 47,8% des routesnationales taient en mauvais et trs mauvais tat, la vitesse moyenne nedpassant pas les 30 km/h ; la situation a empir depuis lors et une grandepartie des routes rurales a totalement disparu.

    Les btiments publics ont t largement dtruits en 1999 puis en2006 et de nombreuses administrations, dont lUNMIT, travaillent toujoursdans des prfabriqus. LUNPOL elle-mme, dont les dizaines de vhicules4x4 sillonnent la capitale et les routes de lintrieur toute la journe, opre Dili dans un difice partiellement incendi. En somme, la reconstructiondes infrastructures qui aurait pu redonner confiance la population, crerdes emplois et tablir de solides bases pour le dveloppement a prisbeaucoup de retard et ne semble pas tre considre comme une prioritpar la communaut internationale. Celle-ci cherche avant tout stabiliser etscuriser le pays. La stabilisation nest en effet pas encore totalement

    46 Christine Schenk, Negociating statehood and humanitarian assistance in

    Timor-Leste : An incompatible pair , in Christine Cabasset-Semedo et FrdricDurand (dir.), op.cit., pp. 31-47.

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    acquise, notamment en raison de la mauvaise gestion de la problmatiquede la rconciliation nationale et de lchec de la formation de la police.

    Ds le dbut de lintervention onusienne, un manque de volont

    vident traduire en justice les responsables des crimes les plus gravessest manifest tant de la part de lIndonsie que de la socit et de laclasse politique timoraises. La Cour Internationale, que beaucouprclamaient, na jamais vu le jour47. Du fait que lIndonsie se soit toujoursoppose voir lun de ses ressortissants jug, quelle que soit la gravit descrimes lui tant reprochs, le fonctionnement du Tribunal ad hoc mis enplace Djakarta pour les seuls crimes commis durant deux mois de 1999dans les districts frontaliers, a t une mascarade 48

    Pour la partie timoraise, dterminer la priode historique considrer suscita des pressions contradictoires : fallait-il se limiter auxcrimes de guerre et crimes contre lhumanit commis surtout par larmeindonsienne et les milices en 1999, ou prendre en compte toute la priodede loccupation et des luttes dindpendance, et quid dans ce cas descrimes attribus aux FALINTIL ? Fallait-il aussi tendre le champ lapriode de la guerre civile de 1975, rveillant ainsi des blessures non-cicatrises lies aux excutions massives dopposants menes par leFRETILIN ? Les articles 160 et 163.1 de la Constitution stipulent que tousles crimes commis entre 1974 et 1999 doivent tre poursuivis et quunecour spciale, compose de juges nationaux et internationaux, sera

    charge des crimes commis entre le 1er

    janvier et le 25 octobre 1999. Ilssont rests lettre morte. De mme, le rapport de la Comisso deAcolhimento Verdade e Reconciliao (CAVR), cre sur le modle sud-africain et seule charge de tous les crimes commis depuis 1975, remis enoctobre 2005, na-t-il jamais t dbattu par le Parlement ou leGouvernement, illustrant la non-adquation du modle sud-africain lasocit timoraise, lincapacit de la classe politique timoraise faire face son pass et son impuissance et sa complaisance face lIndonsie

    . Quant aux travaux dela Commission de vrit et damiti cre en 2005, ils nont conclu qula responsabilit institutionnelle de lIndonsie sans avancer aucun nomde coupable.

    49

    La Serious Crime Unit(SCU) cre par lONU pour les seuls crimescommis en 1999, traita 391 cas dont 87 seulement avaient t jugs sa

    .

    47 Suzannah Linton, Cambodia, East Timor and Sierra Leone : experiments ininternational justice , Criminal Law Forum, n 12, 2001, pp. 185-246.48 La KPP HAM a fonctionn de faon indpendante en Indonsie et a identifi unecentaine de suspects. Elle a mis en vidence les crimes contre lhumanit,massacres de masse, tortures, disparitions forces, violence contre les femmes etles enfants (y compris viols et esclavage sexuel), dportations et destructions deproprits commis du 1er janvier au 25 octobre 1999. Ces dnonciations nont euaucun effet. Voir Amnesty International Document ASA/21/006/2004 : Indonesia, justice for Timor-Leste : The way forward, Amnesty International & JusticeMonitoring Program, 2004.49 Le Prsident Ramos Horta et le Premier ministre Gusmo se sont ainsi dplacs

    pour assister aux funrailles de lex-Prsident Suharto, responsable de la mort deplusieurs centaines de milliers de timorais.

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    dissolution en mai 2005, lIndonsie stant refuse livrer les 303suspects indonsiens, 469 autres restrent en instance dinstruction et dejugement, sans que la justice timoraise ait eu la capacit de les traiter. Lacommunaut internationale, une fois passe lheure des premiers mois,ne sest gure montre dtermine poursuivre les auteurs des crimes lesplus graves.

    Sans volont de rsoudre ces questions, le processus derconciliation na pas vritablement eu lieu et les haines recuites continuent couver et resurgissent lors de chacune des explosions de violence quisecouent sporadiquement le pays.

    Assurer le fonctionnement dun systme judiciaire a minimaa t unchec de ladministration provisoire et demeure un cueil pour lEtattimorais. LUNTAET recruta ds 1999 de jeunes timorais ayant tudi en

    Indonsie et les forma en moins dun mois en Australie. Juges, dfenseurspublics et procureurs furent mis en place sans aucun systme judiciaire,dans un cadre o lAdministrateur provisoire cumulait lensemble despouvoirs excutif, judiciaire et lgislatif. En septembre 2001 seulement,lUNTAET tablit des rgles transitoires de procdure pnale 50,instituant le portugais, langlais, le tetum et lindonsien comme languespour les 8 tribunaux de districts et la Cour dappel mis en place en mars2000. Aujourdhui encore, la justice souffre dun manque de ressourcesmatrielles (en 2009, seuls les tribunaux de Dili et Baucau taient installsdans des locaux fonctionnels) et humaines51 (13 juges, il en faudrait 19 ; 9procureurs et 7 dfenseurs publics au lieu de 11 ncessaires dans chaquecas ; 33 greffiers au lieu de 48). Les problmes linguistiques, la

    mconnaissance et lincertitude quant aux textes appliquer et le manquedexprience des juges timorais crent de multiples confusions52

    Un autre cueil a t la lutte, dj voque brivement auparavant,entre experts attachs un systme juridique de common law et ceuxpromouvant un systme civiliste. Ici aussi, le clivage entre Latins

    .

    53

    50 Reg. UNTAET 2000/30 du 25 septembre 2000.

    (Portugais, Brsiliens et Cap-Verdiens) et Anglo-Saxons (surtoutAustraliens), sappuyant chacun sur des groupes dintrts timoraisdivergents, na pas simplifi les choses. Actuellement, le systme judiciairetimorais constitue un patchwork unique au monde. Le Parlement nationalvote des lois en portugais (que la majorit des dputs ne pratique pas). Adfaut, les 70 rglements mis par lUNTAET (en anglais) sont utiliss.

    51Cf. Dionsio da Costa Babo Soares, O desenvolvimento do setor da justia emTimor-Leste in Kelly Cristiane da Silva et Daniel Schroeter Simio (dir.), op. cit.,pp. 193-209.52 Par exemple dispersion dune manifestation par la police des Nations unies sansque celle-ci puisse citer le texte juridique sur lequel elle sappuyait, texte quisavra tre une traduction non-officielle dune loi indonsienne. Il faut galementciter les problmes lis au transfert des lieux de dtention entre lINTERFET etlUNTAET.53Cf. Kelly Cristiane da Silva, Desenvolvimento de capacidades e a edificao

    da administrao pblica em Timor-Leste, in Kelly Cristiane da Silva et DanielSchroeter Simio (dir.), op. cit., pp. 161-180.

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    Enfin, dans le cas, le plus courant, o aucune loi timoraise et aucunrglement de lUNTAET nexistent, cest la loi indonsienne (en indonsien)qui sapplique de faon subsidiaire. Une grande partie de ceux qui ontrecours la justice, dune part, ne parlent pas le portugais, ce qui ncessitele recours des traducteurs, et dautre part, participent culturellement dunsystme juridique traditionnel54

    Les faiblesses dun systme juridique incohrent et embryonnairenincitent gure les investisseurs trangers venir sinstaller au Timor. Lepays, class 164me sur 183 dans le classement Doing Business 2010de laBM

    qui na rien voir avec le droit romain ou lacommon law. On mesure ainsi la gageure que constitue linstauration dunEtat de droit au Timor.

    55 (42 rangs derrire lIndonsie), est aujourdhui le moins attractif de lasous-rgion. Des pans entiers de lgislation nexistent pas : droitcommercial, droit du travail, droit de la proprit industrielle et des brevets,protection des marques, possibilit damener un contentieux avec une

    administration devant un tribunal, droit foncier restrictif (seuls les citoyenstimorais ont droit la possession de la terre)56

    En matire de police, la rsolution 1272 chargeait clairementlUNTAET du maintien de la loi et de lordre et autorisait le dploiement de1 640 policiers internationaux

    , etc. La loi foncire estmoderne mais inoprante, le droit coutumier demeurant largementappliqu. En outre, durant la priode indonsienne, de nombreux terrainsont t confisqus. Aprs lindpendance, les biens des Indonsiens et desTimorais migrs en Indonsie ont t saisis et sont en thorie grs parlEtat. Quelques Timorais ont rcupr leurs biens cds volontairement ounon des Indonsiens et certaines communauts nont jamais accept laconfiscation de leurs terres. Les litiges sont nombreux, intrafamiliaux, entrevoisins, entre communauts et chaque secousse politique entrane desrglements de comptes et des incendies de proprits. Peu dinvestisseurscourent le risque dacqurir un terrain dont la proprit pourrait trerevendique par dautres personnes que le vendeur, propritaire prsum.

    57 de lUNPOL, dont la mobilisation fut trslente (400 hommes en janvier 2000, 1 270 en juillet). A lindpendance,plusieurs districts nen taient pas encore dots, obligeant la PKF continuer assurer la police. En mars 2000, les premiers policiers furentforms par lICITAP (International Criminal Investigative AssistanceProgram) et les premiers officiers de police timorais envoys sur le terrain.LETPS58

    54Cf. Frederico Magno de Melo Veras, Justia tradicional x justia formal : umaharmonia possvel ? , in Frederico Magno de Melo Veras, Roberto de CamposAndrade et Rodrigo Esteves Rezende (dir.), Vises jurdicas brasileiras em Timor,Baucau, Grfica Diocesana Baucau, 2008, pp. 1-25.

    (East Timor Police Service), anctre de la PNTL (Polcia Nacional

    de Timor-Leste) fut cre en aot 2001 et un premier commissaire timoraisnomm en octobre 2001.

    55 Accessible ladresse : http://www.doingbusiness.org/economyrankings/56 Art. 54 al. 4 de la Constitution.57 1 250 policiers ainsi quune unit de surveillance maritime et frontalire de 150

    hommes et une unit de raction rapide de 120 hommes.58 Reg. 2001/22 du 10 aot 2001.

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    De nombreuses rserves peuvent tre faites quant lassistanceapporte par lUNPOL. Les forces mises disposition par les Etatscontributeurs sont disparates (1 584 hommes de 44 pays) par leurslangues et leurs cultures policires, certains corps sont professionnels etintgres (par exemple la GNR portugaise, charge du maintien de lordre),mais beaucoup dautres viennent de pays o la police est rpute pour sacorruption et son manque de respect des droits de lhomme59

    La PNTL a, quant elle, affront des difficults de recrutement, lesseuls Timorais avoir une exprience en la matire ayant servi dans laPolisi Republik Indonesia (Polri) et des pressions politiques stantexerces pour recruter des veteranos. Des recrutements incontrls ont eulieu, obligeant mettre en place un processus de filtrage et certification des agents

    . Selon lindicede corruption calcul par Transparency International, si lUNPOL tait laforce policire dun Etat fictif, ledit pays, avec un score de 3,8, serait classau 71me rang mondial (sur 180). Cest mieux que le Timor-Leste class146me, mais ce nest pas vraiment ce que lon est en droit dattendre de lapart de lONU. Les capacits techniques et humaines en matire de police judiciaire demeurent trop limites, et les dossiers arrivent souvent auxtribunaux trop tard ou entachs de fautes de procdure. Dbut 2009, 5 000dossiers taient en souffrance.

    60. Lors des vnements de 2006 la PNTL sest effondre ettant son commandement que son organisation se sont dsintgrs 61. Ladiscipline est aujourdhui toujours difficile assurer ; les allgations decorruption se multiplient, une majorit de Timorais na pas confiance en laPNTL et redoutent le dpart de lUNPOL62

    Dans ce contexte, le transfert total la PNTL prvu initialementpour juin 2004, est sans cesse repouss, la police timoraise nayantcompltement repris que trois districts et le centre de formation fin 2009.

    .

    Le bilan de linteraction, durant une dcennie, entre la communautinternationale et la socit timoraise est donc contrast. Le pays est certespacifi, dot dinstitutions qui ont fonctionn et ont permis lalternancepolitique aprs des lections libres et transparentes, mais au prix de laprsence sur son territoire dune force militaire trangre dinterposition. Deplus, il ne semble pas vraiment disposer des bases ncessaires

    59

    Aprs la Malaisie (217 hommes) et le Portugal (200 hommes), les principauxcontingents sont le Bangladesh (196 hommes), le Pakistan (168 hommes) et lesPhilippines (156 hommes), suivis par le Npal, le Sri Lanka et le Nigria. Lespolices de ces pays ne sont pas des exemples en matire de best practices.60 En septembre 2009, 2 897 agents avaient certifis suite une procdure de filtrage . Les 259 autres (8% du total) taient impliqus dans des affairescriminelles. Cf. Conseil de scurit, Rapport du Secrtaire gnral sur la Missionintgre des Nations unies au Timor-Leste pour la priode du 21 janvier au 23septembre 2009, S/2009/504, 2 octobre 2009.61 Discours du Prsident Jos Ramos Horta lors du Sminaire sur la rforme et ledveloppement du secteur de la scurit tenu les 11-12 dcembre 2008.62 En janvier 2010, la mort dun jeune homme tu par la PNTL dans le quartier deDelta a entran un abandon de ce secteur par la PNTL, suite aux protestations de

    la population, et le retour de lUNPOL. Cette dernire tant moins prompte intervenir directement, les gangs darts martiaux sont rapparus.

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    linstauration dun tat de droit, au dveloppement conomique et au bien-tre de sa population, la police et la justice demeurant embryonnaires, lesservices sociaux et les infrastructures insuffisants et lenvironnement desaffaires peu attractif.

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    Leons et recommandations

    e relvement post-conflit, tel que dfini par lONU 63

    Les quatre tapes initiales sont la cessation des hostilits, lasignature daccords de paix, le processus de dmobilisation, dsarmementet rintgration (DDR) et le retour des rfugis. Ces tapes peuvent treconsidres comme une russite au Timor, tant donn que la paix a trtablie ds 1999, quun accord normalisant la situation sur la frontire at sign ds 2000 avec larme indonsienne, et que les populations rfugies au Timor occidental ont pratiquement toutes regagn leterritoire. Ds 2001, les anciens gurilleros avaient t dmobiliss,dsarms et en majorit rintgrs la vie civile. Sans vouloir diminuer laresponsabilit de lONU dans ce succs, on peut affirmer quil est, engrande partie, d au fait que les actions dans ces domaines ont t

    menes par des intervenants professionnels, relativement cohrents : desforces armes essentiellement australo-no-zlandaises et portugaises,sous commandement unique (australien), face un interlocuteur (larmeindonsienne) disciplin, organis et jouant le jeu. Les principauxintervenants, Australie, Nouvelle-Zlande, USAID et BM taient de culturecommune, parlaient la mme langue et, y compris dans le cas du Portugal,les forces armes impliques taient habitues collaborer dans le cadredes traits de lOTAN ou de lANZUS.

    , a deux objectifs :rtablir les conditions dune croissance conomique autonome et du

    dveloppement humain dune part ; rduire les facteurs de risque dereprise des hostilits dautre part. Sept tapes sont dfinies, chacune avecses indicateurs.

    La cinquime tape vise mettre sur pied un Etat qui fonctionne.Aujourdhui, le Timor est loin de fonctionner parfaitement mais il nest pas,ou pas encore, un Etat failli. Des lections ont rgulirement t

    organises. Elles se sont globalement tenues dans le calme et ont tmarques par une forte participation. Lalternance a eu lieu et les membresdu gouvernement de coalition font preuve dun minimum de solidarit. Onne peut donc nier que lEtat timorais fonctionne, mme si cela ne veutpas dire quil produise un quelconque rsultat 64

    63 PNUD Bureau pour la prevention des crises et du relvement, Post conflicteconomic recovery. Enabling local ingenuity, New York, UNDP, 2008.

    . Huit ans aprslindpendance, cet Etat demeure pourtant largement virtuel : il ne bat pasmonnaie, la police reste largement dpendante de lUNPOL, et lesquelques centaines dhommes lgrement quips des FDTL ne psent

    64

    Voir larticle du journaliste portugais Jos Rosa Mendes, Timor-Leste A ilhainsustentvel , Pblico, 25 novembre 2008.

    L

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    pas grand chose face lISF. La justice repose encore en partie sur desagents mis sa disposition par lONU et doit continuer appliquer des loistrangres (rglements de lUNTAET ou loi indonsienne) ou timoraisesqui ne sont, pour la plupart, que des copis-colls de dispositionsportugaises ou australiennes effectus par des conseillers trangers.

    LONU sest largement concentre sur ce quelle savait faire rdiger une constitution et organiser des lections laissant en friche despans entiers du droit, en particulier dans tous les domaines lis audroulement de lactivit conomique (droit foncier, droit commercial, droitdu travail) et tout ce qui concerne la mise en place dune administration mme de jouer un rle rgulateur. Le large recours des consultantsinternationaux, des ONG internationales, lEglise ou des cooprantscubains pour assurer la fourniture sur le terrain des services sociaux napas permis de mettre en place des services publics ni des ministrestechniques vritablement oprationnels mme si ctait probablement la

    seule solution en phase durgence. Les rsultats sont donc mitigs commeen tmoigne la place calamiteuse du pays dans le classement des Etats lesplus corrompus de Transparency International65

    Le premier facteur a trait la volont de faire table rase du pass,tous les acquis de ladministration indonsienne ayant t volontairementignors alors que, bien quimparfaite, elle permet (tout de mme) unenation de 240 millions dhabitants, rpartis sur plus de 17 000 les, dtre

    lune des principales conomies mergentes de la plante.

    ou dans celui mesurantlenvironnement des affaires de Doing Business. Cet chec relatif peutsexpliquer par plusieurs facteurs qui affectent galement dautres missions travers le monde.

    Le deuxime cueil est lhtrognit des intervenants dans cedomaine, relevant de cultures et traditions juridiques, administratives etconomiques trs diffrentes, tandis que les Timorais taient en partiemarginaliss, un pays et des institutions leur tant remis en quelque sorte clefs en main en mai 2002. Le fait que, de par sa cultureorganisationnelle et ses procdures, lONU na jamais pu trancher entredivers modles juridiques, administratifs ou policiers et quelle a parconsquent mobilis des quipes htroclites, particulirement en ce quiconcerne la police, explique largement les checs encourus. Le rsultatmanque donc de cohrence et savre bien souvent dconnect de lasocit timoraise.

    Le troisime point est le manque de professionnalisme denombreux intervenants qui ont reproduit ce quils avaient fait dans dautresmissions sans chercher adapter leur modle la ralit locale. En outre,ils taient souvent proccups dabord par leur propre prennisation,discrditant ainsi lONU aux yeux des Timorais.

    65

    Class 146

    me

    sur 180 sur lchelle internationale de corruption de TransparencyInternational, le Timor se situe ainsi 25 rangs aprs lIndonsie.

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    Construire un pays et une nation ne peut donc fonctionner que sidiffrentes conditions sont runies. Il convient dabord de sassurer de lamotivation et des connaissances de ceux qui seront en charge du pays. Ilfaut ensuite choisir un modle clair et confier sa mise en uvre desquipes culturellement cohrentes charges de transmettreprogressivement les responsabilits au personnel local. Ce dernier doit treform ds la fin de la phase durgence et doit prendre en charge le plusrapidement possible les services techniques. Confier la fourniture deservices uniquement des acteurs qui nont pas vocation prenniser leurprsence comme les ONG internationales est une erreur. Laplanification du dsengagement de ces ONG au profit de structures localesvritablement oprationnelles constitue une des clefs du succs en matirede lien entre urgence, rhabilitation et dveloppement. En dfinitive,lenfantement dune nation ne peut faire lconomie dun questionnementmaeutique valorisant les connaissances et les attitudes de ceux qui sontappels tre responsables du pays.

    La sixime tape consiste mettre en place un processus derconciliation nationale pour tenter de garantir la cohsion de la socitlocale. Les troubles de 2006, puis la tentative dassassinat du Prsident etdu Premier ministre dbut 2008 illustrent la fragilit de la situation auTimor-Leste. Cela tient la mconnaissance des contraintes dune socitprofondment divise tant par les clivages traditionnels que par lessquelles de la guerre civile de 1975 puis de loccupation indonsienne. Ilen dcoule une valorisation de la figure de lasuain66

    Concernant la communaut internationale, il est clair quelle na pasnon plus t trs dtermine : volont de ne rien faire dans le cas delIndonsie, la poursuite des responsables des crimes commis par sonarme et les milices quelle encadrait tant un tabou politique ;complaisance de lAustralie qui a longtemps soutenu lIndonsie et nestintervenue que bien tardivement ; manque de pugnacit de lONU. Les

    processus de rconciliation sont probablement illusoires sils ne sont pasfonds sur une aspiration forte de la socit concerne, comme ce fut lecas par exemple en Afrique du Sud, et sur la bienveillance des partenairesextrieurs.

    et une conception dudroit et de la rparation des prjudices sans grand rapport avec ceux delONU ou des activistes des droits de lhomme. Il ne semble pas exister devolont profonde de rconciliation et nimporte quel prtexte futile peut faireressurgir tout moment les affrontements entre membres dune mmefamille, voisins, quartiers, clans dautant plus que les problmes fonciers la base dune grande partie des violences nont pratiquement pas ttraits.

    Dans le cas du Timor, cette situation est proccupante car denouvelles causes de conflits potentiels se profilent. La pntration desmissionnaires australiens ou brsiliens des Eglises Evangliques du Rveilpose problme, plusieurs heurts ayant dj eu lieu, et il est probable que

    66 Guerrier, leader ; traditionnellement celui qui a dj coup une tte lors dune

    guerre et a le courage de monter dans les arbres pour rcolter le miel des abeillessauvages.

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    lEglise catholique ne laissera pas remettre en question le rle quelle jouedans la vie politique timoraise sans ragir. Lexprience des troubles de2002 en partie orchestrs par sa hirarchie nest, cet gard, gureencourageante67

    En second lieu, le rapport population/environnement

    .

    68

    Une meilleure prise en compte des problmes lis lenvironnement et aux mcanismes traditionnels de rsolution des conflits,surtout fonciers, aux consquences dsastreuses dans des socits o

    une grande partie des habitants vit en autosubsistance, semble tre unecondition sine qua nonde succs pour les missions post-conflits.

    est unebombe retardement. Les techniques agricoles demeurant primitives et lebois la seule source de combustible, le pays est confront unedforestation par brulis acclre et, du fait du relief et de la pluviosit, unerosion intense risque dentraner rapidement le Timor sur la triste voiedHati.

    La septime et dernire tape a trait au dveloppementconomique. Quil sagisse de croissance, dinvestissement priv ou derhabilitation des infrastructures, la situation du Timor-Leste est cet gardloin dtre satisfaisante. La mise en place dun fonds fiduciaire permettantde mettre en uvre lensemble des ressources des bailleurs de faoncoordonne, semble la procdure la plus judicieuse mais on ne peut nierque la Banque mondiale et la BAD aient largement failli leursresponsabilits. Leur action a t mene sans que lONU, garante de lacohrence de lensemble du processus de reconstruction du pays, y

    accorde une attention suffisante, laissant le nouvel Etat natre gravementhandicap par la faiblesse des infrastructures. Les services sociaux debase ne fonctionnent pas non plus de faon satisfaisante, lducation et laformation ne sont toujours pas des priorits, alors que le manque deressources humaines obre les possibilits de dveloppement du pays.

    Aucun cadre denvironnement juridique des affaires na t mis enplace et lconomie dpend toujours de deux facteurs totalementexognes : les oprations des Nations unies dune part (plus du quart duPNB en 2000, 14% en 2008) dont les phases de retrait et de redploiementrythment le taux de croissance (forte jusquen 2001, baisse avec le repli et

    les troubles de 2002 et 2006, hausse aprs les redploiements) et leshydrocarbures dautre part, totalement lis aux fluctuations des cours et

    67 Lun des motifs des manifestations tait alors le projet du gouvernement desupprimer lducation religieuse des programmes scolaires, mesure laquellelvque de Dili stait fortement oppos, soutenant les manifestants et menantune campagne active auprs des bailleurs, agitant le risque dune prtenduedrive communisante du gouvernement FRETILIN. Aujourdhui encore, ltatcivil demeure dans la pratique administr par lEglise catholique et le certificat debaptme lun des principaux documents administratifs que les Timorais doiventfournir pour nombre de dmarches.68 La fcondit (6,38 enfants par femme) est lune des plus leve du monde du

    fait du rle jou par lEglise catholique et en raction aux dures mthodes decontrle familial de la priode indonsienne.

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    lattitude de la partie australienne. Comme il y a dix ans, la quasi-totalitdes produits consomms Timor-Leste viennent dIndonsie. Lincapacit mettre en place un environnement lgal efficace dans un pays situ proximit de rgions dAsie du Sud-Est o oprent au grand jour depuissantes mafias, reprsente enfin un facteur de risque de criminalisationde la socit. Des cas de trafic dtres humains, de pche illgale, dessuspicions de blanchiment dargent sont avancs alors que lon penseofficiellement dvelopper les activits lies aux jeux de hasard. Enlabsence de cadre lgal, de police efficace et de classe politiqueexprimente, ce nest plus Hati mais plutt la Guine Bissau qui constituelun des futurs redouter pour le Timor.

    Lutilisation des revenus du ptrole est un palliatif permettantdacheter la paix civile. LEtat est devenu le grand prtre dun culte de larente qui fait miroiter chacun la possibilit de toucher un subsidepermettant dacqurir une motocyclette ou un taxi dont il confiera la

    conduite un cousin ou neveu. Faire la queue devant une des banques deDili est devenu lactivit majeure de nombreux Timorais venant toucher uneaide en tant que refugi, personne ge, handicap ou veuve, chacun deces subsides donnant lieu des abus 69

    Mme si cela nest pas dans la culture de la Banque Mondiale,charge de la mise en uvre des Trust Funds, des mcanismes depilotage doivent tre mis en place qui permettent dintgrer troitement non

    seulement les bailleurs qui les alimentent mais aussi tous les acteurs de laphase durgence (ONG), ainsi que les administrations locales chargesdoprer et dassurer la maintenance des services et infrastructures. Tousles intervenants externes doivent travailler dans une optique dedsengagement.

    . Il ne semble pas exister destratgie de sortie, alors que si rien nest fait, la totalit des revenus duFonds pourrait tre utilise pour des transferts sociaux dans les cinq ans venir.

    Au-del de la gestion financire et procdurale, une plus grandeattention doit, dautre part, tre apporte aux aspects techniques, ladfinition de la politique nationale dans les domaines de lducation, de lasant, des transports

    69 En 2010, le gouvernement a demand aux ministres daller dans les districtsrecenser les personnes ges dont le nombre tait manifestement gonfl par leschefs de suco, les habitants se sont dans certains cas opposs par la force cette

    vrification. De mme, lindemnisation des maisons des rfugis censes avoir t dtruites en 2006 a donn lieu de nombreux abus.

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    Conclusion

    n dfinitive, trois causes de lchec relatif de la communautinternationale au Timor peuvent tre identifies. Tout dabord, lONU a

    manqu de personnel expriment et dune vision cohrente de ce quellesouhaitait btir. Sans plan densemble, lEtat timorais livr en mai 2002tient plus du palais idal du facteur Cheval que dune constructionstructure, chacun des participants y ayant apport quelques lments,souvent exotiques, souvenirs dexpriences antrieures glans sousdautres cieux. Bien des excuses peuvent tre avances. LONU avait alors mener plusieurs oprations de front, avec un vivier limit de personnelscomptents et motivs. Il faut aussi considrer qu lpoque, avant leschecs des oprations en Irak puis en Afghanistan, la rflexion autour desnotions de state et nation building tait loin dtre aussi poussequaujourdhui, des manuels ayant mme t publis depuis lors 70. Uneexprience cette chelle, na pu, outre les a priori idologiques, quegriser les quipes onusiennes et les inciter, au lieu de sadapter lexistant

    (comme lONU avait su le faire avec succs au Salvador au dbut desannes 1990), mener une politique de dconstruction 71

    En outre, en dpit dune concentration de tous les pouvoirs entre lesmains dun seul homme lAdministrateur provisoire il ny a eu nivritable cohrence ni coordination entre les quipes en charge desdomaines constitutifs de lEtat (domaines politique, institutionnel, juridique et scuritaire) et de ceux qui auraient d lui permettre de produire des services la population

    radicale delhritage laiss par lIndonsie sans mesurer les difficults quil y aurait reconstruire. Cette idologie de la page blanche devait par la suiteentraner bien des dconvenues en dautres lieux.

    72

    70 James Dobbins, Seth G. Jones, Keith Crane et Beth Cole DeGrasse, Thebeginners guide to Nation Building, RAND National Security Research Division,2007; ou OCDE, Concepts and dilemmas of State building in fragile situation,from fragility to resilience , OECD Journal on Development, , vol. 9, n 3, 2008.

    . Dun ct, les militaires ont faitce quils savaient faire (rtablissement et maintien de la paix), lONU et les

    71 Pour reprendre la terminologie du rapport de la Rand National SecurityResearch Division cit ci-dessus.72 Nous reprenons ici la distinction entre constitutive domains et output andservicestablie par Verena Fritz et Alina Rocha Menocal, Understanding Statebuilding from a political economy perspective : An analytical and conceptual paper

    on processes embedded tensions and lessons for international engagement ,Report for the DFID, Overseas Development Institute, 2007.

    E

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    Portugais ce qui les intressait de faire (mise en place dune constitution,laboration dun systme politique) et le tandem BM/BAD de mmedailleurs que le FMI ce quils voulaient bien faire compte tenu de leurs apriori idologiques. Chacun a dfendu son pr-carr et, alors que cesdivers domaines auraient d tre btis selon un plan densemble, ils ont tmens en ordre dispers, des pans entiers (droit, infrastructures)demeurant en chantier, obrant toute possibilit de fonctionnement globaldu pays. Aprs la disparition de lETTA, cette coordination desbailleurs , dj largement fictive, a pratiquement t rduite nant, seulesubsistant la pratique rituelle de runions au cours desquelles les diversdonateurs coutent sans sourciller les longs monologues de la ministre desFinances.

    Enfin, il faut mentionner la marginalisation des Timorais dans laprise des dcisions concernant leur avenir, mais surtout lignorance dufonctionnement de la socit, de ses valeurs culturelles et des aspirations

    de ses habitants. Quelles sont les attentes en matire dEtat pour unepopulation qui na connu que la dictature salazariste ou ladministrationindonsienne ? Que sont le pouvoir et lautorit pour la populationtimoraise ? Quels mcanismes de rsolution des conflits et de rparationdes actes considrs comme des transgressions la socit timoraiseutilise-t-elle ? Autant de questions quil aurait fallu se poser et qui ont toccultes par des querelles idologiques entre tenants des systmes latinset anglo-saxons et sectateurs des diverses vulgates en matire de droit delhomme, de genre, etc. Imbus dun savoir thorique, ceux qui ont bti leTimor-Leste ont nglig le fait que le state-building induit un processusde domination et de lgitimation qui produit la fois des gagnants et desperdants 73

    Port sur les fonts baptismaux par de tels parrains et sans sous-estimer le nationalisme timorais qui quant lui est profond et bien rel, ilest certain que lEtat timorais, confi en grande partie des acteurspolitiques et conomiques ayant un pied dans lle et lautre au Portugal, enAustralie, en Indonsie ou Singapour, demeure une constructionlargement virtuelle.

    et, par consquent, ne peut que gnrer des conflits. Ignorantles ressorts de la socit timoraise, ils ont t dsaronns lorsque cesconflits ont clat. Au Timor comme ailleurs, vouloir implanter des modlespar trop trangers au fonctionnement de la socit locale ne pouvaitamener que des frustrations.

    73

    Merilee S. Grindle, Expert consultation on DFID state-building paper: summaryof view on state building , DFID, 2008, p. 7.

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    Annexes

    Annexe 1: Glossaire et liste des acronymes

    ABP Autoridade Bancria e de Pagamentos (Autorit bancaire et depaiements)

    ADF Australian Defense ForceANZ Australian New Zealand Bank

    APODETI Associao Popular Demcrata Timorense (Associationpopulaire dmocratique timoraise)

    ASDT Associao Social Demcrata Timorense (Association social-dmocrate timoraise)

    BAD Banque asiatique de dveloppementBM Banque mondialeCAVR Comisso de Acolhimento, Verdade e Reconcilao

    (Commission d'accueil, vrit et rconciliation)CCN Conselho Consultativo Nacional(Conseil consultatif national)CEP Community Empowerment Program

    CFET Consolidated Fund for East TimorCGD-BNU Caixa Geral de Depsitos-Banco Nacional UltramarinoCICR Comit international de la Croix Rouge et du Croissant RougeCN Conselho Nacional(Conseil national)CNC Conselho Nacional Consultativo(Conseil national consultatif)CNRT Conselho Nacional da Resistncia Timorense(Conseil national

    de la rsistance timoraise)

    EIRP Emergency Infrastructure Rehabilitation ProgramERSP Emergency School Readiness ProjectETPS East Timor Police Service

    ETTA East Timor Transitional AdministrationFALINTIL Foras Armadas de Libertao de Timor-Leste(Forces armes

    de libration de Timor-Leste)

    FDTL Foras de Defesa de Timor-Leste(arme timoraise)firaku Terme s'appliquant aux populations de l'est du pays rputes

    rebelles (cf.ema lorosa'e)

    FMI Fonds montaire internationalfoun "jeune" en tetum, qualificatif de la gnration leve aprs

    l'occupation indonsienne (cf. gnration tim-tim)

    FRAP FALINTIL Reinsertion Assistance Program

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    FRETILIN Frente Revolucionria de Timor-Leste Independente (Frontrvolutionnaire pour l'indpendance de Timor-Leste)

    FSQP Fondamental School Quality ProjectGNR Guardia Nacional Republicana(Garde nationale rpublicaine)huma lulik Maisons familiales sacresHSRDP Health Second Rehabilitation and Development ProgramICITAP International Criminal Investigative Assistance ProgramINTERFET International Force for East TimorIRU International Response UnitISF International Security ForceJAM Joint Assessment Missionkaladi Terme s'appliquant aux populations de l'Ouest du pays,

    rputes plus dociles depuis l'poque portugaise (cf. emaloromunu')

    KOTA Klibur Oan Timur Aswain(Fils des guerriers des montagnes)KPP-HAM Komisi Penyelidik Pelanggaram Hak Asi Manusia (Commission

    d'enqute sur les violations des droits de l'homme)

    liurai Chef traditionnel, roitelet (rgulo)loromunu' Ouestlorosa'e Estmaubere Terme mambai dsigant les paysans non duqus, devenu

    l'archtype du Timorais rsistant l'envahisseur

    OCHA Office of Coordination of Humanitarian AffairsOIM Office international des migrationsONG Organisation non-gouvernementaleONU Organisation des nations uniesPAM Programme alimentaire mondialPD Partido Demcratico(Parti dmocratique)PDC Partido Demcrata Cristio(Parti dmocrate chrtien)PKF Peace Keeping ForcePNTL Polcia Nacional de Timor-Leste(police nationale timoraise)PNUD Programme des nations unies pour le dveloppementPolri Polisi Republik Indonesia(police indonsienne)

    PSD Partido Social Demcrata(Parti social-dmocrate)PST Partido Socialista de Timor(Parti socialiste timorais)RDTL Repblica Democrtica de Timor-Leste (Rpublique

    dmocratique de Timor-Leste)

    SCU Serious Crime Unitsuco Village compos de plusieurs hameaux, niveau administratif de

    basetetum Langue malayo-polynsienne, principale langue vernaculaire

    timoraise ; l'une des deux langues officielles du pays utilisepour les crmonies religieuses ; son vocabulaire administratifet technique est largement emprunt au portugais

    TFET Trust Fund for East Timor

  • 8/7/2019 L'ONU, pygmalion malhabile. La fragilit du nation building au Timor

    37/55

    Lecompte / LONU, Pygmalion malhabile

    - 35 -

    tim-tim Abrviation de Timor-Timur, nom de la province l'poqueindonsienne, qualificatif de la gnration leve cettepriode

    TNI Tentara Nasional Indonesia(arme indonsienne)

    UDT Unio Democrtica Timorense(Union dmocratique timoraise)UNAMET United Nations Assistance Mission in East TimorUNDKPO Dpartement des missions de maintien de la paix des Nations

    uniesUNHCR Haut commissariat des Nations unies pour les rfugisUNMISET United Nations Mission of Support in East-TimorUNMIT United Nations Integrated Missions in TimorUNOTIL United Nations Office in East TimorUNPOL United Nations PoliceUNTAET United Nations Transitional Administration in East Timor

    USAID United States Agency for International Development

    Annexe 2 : Chronologie74

    1520 : premire installation des Portugais Lifau (enclave dOecussi).1561 : cration dune capitainerie de Solor et Timor.1641 : conversion de plusieurs liuraidu Timor par les Dominicains.1642 : victoire portugaise sur le royaume de Wehale, dbut de loccupationdu territoire.

    1646 : sparation des capitaineries de Timor et de Solor.1647 : nomination du premier vicaire-gnral pour lle de Timor.1658 : premire communaut jsuite Motael (Dili).1661 : premier trait entre le Portugal et la Compagnie des IndesOrientales hollandaise.1702 : 20 fvrier, arrive du premier gouverneur de Timor, nomm par levice-roi de Goa.1786 : construction dun fort Dili.1844 : le Timor est rattach la province de Macao.1859 : 20 avril, trait luso-hollandais fixant les frontires entre les

    possessions hollandaises et portugaises.1864 : Dili accde au statut de ville .1892 : premire exploration ptrolire.1896 : le Timor est administrativement spar de la province de Macao.

    74 Daprs les chronologies tablies par Frdric Durand dans : Frdric Durand,East Timor. A country at the crossroads of Asia and the Pacific. A geo-historicalatlas, Chiang Mai, Bangkok, Silkworm Books, IRASEC, 2006, et Frdric Durand,Timor-Leste en qute de repres. Perspectives conomico-politiques et intgrationrgionale 1999-2050, Toulouse, Bangkok, Editions Arkuiris-IR