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Revue en ligne L’Initiation Traditionnelle n° 1 de 2015 Janvier, février & mars 2015
Revue éditée par le GERME (Groupe d’Études et de Réflexion sur les Mysticismes Européens) et fidèle à l'esprit de la revue L'Initiation fondée en 1888 par Papus et réveillée en 1953 par Philippe Encausse
Philosophie • Théosophie • Histoire Spiritualité • Franc-maçonnerie • Martinisme
Sommaire du numéro 1 de 2015 Les liens du sommaire ci-dessous sont cliquables
Editorial, par Yves-Fred Boisset 1
Introduction de l’ouvrage « Les Mystères de
la ville d’Is, l’héritage spirituel des légendes
celtiques »,
par Pascal Bancourt 04
L’histoire de la ville d’Is,
par Pascal Bancourt 12
Confucius, l’homme et les relations humaines,
une sagesse qui se développe dans l’éthique
sociale, par Didier Lafargue 23
La vie, la pensée et l’œuvre synarchique et
archéométrique de Saint-Yves d’Alveydre, par Yves-Fred Boisset 33
. L’archéomètre philosophique 40
. L’archéomètre opératif 47
La bible et la voie des maîtres,
par Patrick Négrier 70
Les livres 79
L’Initiation
Traditionnelle
7/2 résidence Marceau-Normandie
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la Revue L’Initiation Traditionnelle)
ISSN : 2267-4136
Directeur : Michel Léger
Rédacteur en chef :
Yves-Fred Boisset
Rédacteurs en chef adjoints :
Christine Tournier, Bruno Le Chaux
& Nicolas Smeets
Rédactrice adjointe :
Marielle-Frédérique Turpaud
Les opinions émises dans les
articles que publie L’Initiation Traditionnelle doivent être
considérées comme propres à leurs
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L’Initiation Traditionnelle ne
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traduction et d’adaptation réservés
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L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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Éditorial
es premiers jours de cette nouvelle année ont été endeuillés par
une série d’assassinats qui ont visé presque simultanément à Paris les journalistes-caricaturistes d’un hebdomadaire et des
clients d’une épicerie casher.
Même s’il n’existe à première vue aucune relation directe entre ces deux faits tragiques, nous assistons à un nouveau déferlement de la
barbarie soi-disant justifiée par une croyance religieuse et toujours au nom de Dieu.
Dans la lâche tuerie de « Charlie-Hebdo », le motif avoué était de punir des auteurs d’écrits et de dessins blasphématoires (?), dans
celle, non moins lâche, de la Porte de Vincennes, il s’agissait de tuer
des juifs dont la seule faute était, selon leurs assassins ou leurs commanditaires, d’être… juifs.
Et c’est là qu’il ne faut pas se mentir et faire montre de naïveté, notre civilisation est cernée par la barbarie et menacée de toutes
parts. Allons-nous vers la Troisième Guerre mondiale. Je ne sais pas
et je ne peux que le craindre car un grand nombre d’éléments précurseurs peuvent désormais le laisser penser.
L’Europe occidentale serait-elle le dernier bastion d’une civilisation en voie de dissolution, la France serait-elle le dernier drapeau de
l’humanisme brandi jadis sur tous les continents, les ordres
initiatiques sérieux tels le martinisme et la franc-maçonnerie seraient-ils les derniers gardiens d’un patrimoine multiséculaire qui
s’est bâti pierre à pierre sur la mémoire des grandes traditions de
l’Antiquité. Notre berceau est en Mésopotamie (actuel Irak que nous avons livré aux islamistes et voué au saccage), notre école
philosophique est en Grèce (que les folies de l’ultralibéralisme
condamnent à la pauvreté), notre culture est dans une riche activité artistique et littéraire (que l’anglo-saxonisme triomphant parvient à
étouffer en nous imposant une langue-sabir sans âme qui ne
concerne que les « boutiquiers », comme disait Napoléon 1er en parlant du peuple anglais). Le français n’est pas une langue morte ;
nous savons que le mauvais anglais des aéroports et des ordinateurs
tentent de le grignoter jour après jour.
Mais comment se défendre ? Comment résister ? J’ai écrit en
plusieurs occasions que, s’il ne faut pas hurler avec les loups, il ne
L
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2
faut pas davantage pleurer avec les agneaux. Résistons en maintenant notre langue, notre culture, notre patrimoine. Ne nous
conduisons jamais en vassaux de qui que ce soit, de quelque état
que ce soit, même s’il est bien plus riche et bien plus puissant que nous. Gardons la tête haute. Le temps n’est plus à l’humilité, ni à la
modestie vraie ou fausse.
Cultivons notre histoire ; n’en négligeons jamais l’enseignement. Il est indispensable à notre survie. Un peuple sans mémoire est un
peuple colonisable.
Exigeons de nos élus qu’ils se comportent dignement et ne cèdent
jamais ni à la facilité ni la manipulation.
Exigeons de nous tous une vigilance de tous les instants. Nous autres, francs-maçons et martinistes, qui avons eu le bonheur de percevoir quelques rais de la Vraie Lumière, nous voulons conserver
nos libertés fondamentales : liberté de penser, liberté de nous
exprimer, liberté de croyance. Aucun de nos Maîtres Passés ne nous a demandés de faire abstraction de notre libre arbitre, de notre
possibilité d’analyse, de renoncer à cultiver nos propres convictions.
Nous sommes de véritables patriotes car les ordres initiatiques sérieux n’ont jamais cherché à éloigner leurs disciples de la
citoyenneté et des devoirs que celle-ci draine et qui, depuis trois siècles pour la maçonnerie et un peu plus de cent vingt ans pour le
martinisme, prônent la paix républicaine, le progrès social, la justice
pour tous et notamment pour les plus faibles d’entre nous.
Que ce soit sous le couvert d’une foi incertaine que des groupes de fanatiques sèment la terreur et la mort dans le monde nous projette violemment en arrière de plusieurs siècles et nous ramène au triste
temps des guerres de religion quand notre continent était la proie
d’autres fanatiques. Mais, comment avons-nous pu croire que ces
fanatismes aient été relégués dans les greniers de l’histoire ?
Cependant, nous ne sommes pas innocents et nous avons bien compris que ce fanatisme religieux n’existe que pour servir de
couverture à d’autres ambitions qui, elles, n’ont rien à voir avec la
religion. Dans un monde qui s’est livré pieds et poings liés au capitalisme sauvage et aux appétits féroces de la finance
transnationale, il faut détruire les derniers refuges de la vraie
culture, là où l’on pense et l’on juge, là où l’on voit plus loin que le bout son porte-monnaie.
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3
Asservir les derniers résistants en répandant la terreur (par fanatiques interposés), voilà le maudit mais réel jeu des nouveaux
maîtres du monde.
Yves-Fred Boisset, rédacteur en chef.
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Les Mystères de la ville d’Is, héritage spirituel des
légendes celtiques.
Introduction de l’ouvrage
Par Pascal Bancourt
Il existe au monde des endroits remarquables dont on s’accorde
à dire qu’ils dégagent une puissance d’inspiration exceptionnelle. Il est vrai que toute terre produit son impression en fonction de son
relief, de son climat et de sa végétation, des éléments naturels qui y
prédominent et du visage que lui a façonné le travail de l’homme ; mais certaines contrées paraissent plus que d’autres imprégnées du
sacré, comme si elles portaient en elles la présence sensible de l’invisible. Pour se convaincre que la Bretagne figure parmi ces
régions singulières au charme captivant, il suffit de l’avoir un tant
soit peu fréquentée et d’avoir visité quelques-uns de ses lieux parmi les plus caractéristiques. Pour autant que le visiteur éprouve un
minimum d’attirance pour le mystère, il ne manquera pas de
ressentir l’intérêt particulier qu’offre ce pays.
La Bretagne fascine et enchante ses admirateurs en partie par la
grâce de ses éléments ; son mystère s’inscrit dans son sol, dans son
ciel au climat variable ainsi que dans l’eau qui l’arrose et qui l’entoure. Le vent, la brume qui parfois recouvre le pays, ses
paysages variés faits de forêts, de landes et de côtes rocheuses ou
sableuses, les mers aux humeurs changeantes à l’image du climat, qui peut aussi être calme et ensoleillé, la sauvagerie de certains
sites, l’impression générale enfin que suscite cet environnement,
tout ceci lance comme un appel à l’ouverture vers l’horizon d’un autre monde. A ces facteurs naturels se superposent le passé et
l’héritage culturel de la Bretagne, ses mégalithes, ses monuments et
ses calvaires, les sonorités parfois étranges de ses airs folkloriques, et surtout l’atmosphère de ses contes et de sa mythologie que l’on
sent encore vivre dans quelques-uns de ses lieux. L’ensemble de ces
composants concourt à faire de cette région une véritable terre inspirée. Il se pourrait cependant que l’intérêt de cette contrée et de
sa culture tienne à des causes bien plus profondes qu’à des
considérations d’ordre naturel, physique ou géographique.
Les paysages bretons, diurnes et nocturnes, ont aisément
contribué à peupler l’imaginaire d’images féeriques, tandis que le
fantastique inspiré par ce milieu a en retour façonné les mentalités. On est cependant appelé à se poser une question : peut-on dire de
cette terre et de son climat que ce sont ces éléments naturels qui,
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en stimulant l’imagination créatrice, auraient donné naissance à un patrimoine culturel illustre, ou serait-ce plutôt cet héritage culturel
empreint d’une ambiance d’enchantement et de magie qui
influencerait le regard porté sur la région ? Et si cette seconde hypothèse s’avérait au moins partiellement fondée, à quelle source
mystérieuse ces mythes inspirés auraient-ils donc puisé leur
remarquable puissance de suggestion ?
Un certain nombre des contes et légendes de la Bretagne nous
ont été heureusement assez bien conservés. Parmi l’ensemble des
mythes qui enrichissent le patrimoine culturel breton, il en est un, universellement connu, qui réunit plusieurs éléments dignes
d’intérêt. Peu de légendes ont éveillé un écho comparable à celui
qu’a suscité la légende de la ville d’Is1, car de cette terre bretonne, pourtant empreinte d’un climat surnaturel particulièrement fertile en
récits fantastiques, aucun autre mystère ne soulève autant
d’interrogations. D’après cette histoire extraordinaire, à une époque contemporaine de celle de la quête du Graal des romans arthuriens,
il aurait existé sur la côte bretonne du Finistère une riche et
opulente cité appelée Is ou Ker-Is (du breton ker, « maison » et is, « basse »), qu’une digue protégeait de la mer, mais que le péché
de ses habitants ainsi que le vice de sa princesse Dahut
condamnèrent à être engloutie. Son roi Gradlon était parvenu de justesse à fuir devant l’invasion des eaux en sacrifiant sa fille
coupable, la princesse Dahut, à la colère de l’océan. Depuis lors,
cette cité gît intacte au fond de la mer, prête à resurgir dans toute sa splendeur lorsque viendra pour elle le temps du rachat et de la
résurrection.
La légende de la ville d’Is constitue l’un des fleurons du folklore breton, dont elle a longtemps imprégné l’imaginaire. Si certains
mythes ont plus que d’autres frappé les esprits, leur impact n’est
pas dû à la réalité historique des faits qu’ils racontent, car le mythe ne tire pas son origine de l’histoire réelle, même s’il en récupère
quelques éléments secondaires. Pas davantage que pour les autres
mythologies du monde, on ne saurait prendre à la lettre les éléments fantastiques de ce conte relatif à une opulente cité
engloutie. On n’imagine pas que des hommes du haut Moyen Age se
soient amusés à défier l’océan en bâtissant une ville sur un emplacement où, selon ce qu’indique la légende, elle risquait la
submersion pour peu qu’on oublie de refermer les écluses qui la
protégeaient des marées ; une pareille entreprise défiant la nature, qui soulèverait déjà d’énormes problèmes avec les moyens qu’offre
1 Le nom de cette cité mythique peut s’orthographier aussi bien « Ys » que « Is ».
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la technique moderne, n’était certainement pas envisageable en cette époque reculée. Mais ces considérations de pure rationalité sur
l’invraisemblance des faits relatés ne ternissent aucunement
l’enchantement qu’inspire le mythe, dont il faut chercher à justifier l’intérêt sur un autre plan.
Le récit de la ville d’Is a donné lieu à plusieurs interprétations,
fondées sur des appréciations très inégales de sa valeur. La plupart des commentaires dénient à ce conte tout fondement autre que la
pure imagination. Certains jugements veulent bien lui reconnaître
une réelle qualité en tant qu’œuvre poétique, mais ils ne lui accordent guère plus qu’un intérêt superficiel tout au plus digne
d’une création littéraire. Les écoles psychanalytiques ont fourni leur
explication relevant de la psychologie des profondeurs, qui met en jeu les phénomènes ayant pour cadre l’inconscient individuel ou
collectif. Mais le véritable intérêt des anciens mythes se fonde sur
des motifs d’une toute autre nature. En effet, plusieurs indices appuient l’idée selon laquelle la légende d’Is repose sur un fond
métaphysique qui expliquerait à lui seul son caractère fascinant.
Mais ce n’est qu’en éclaircissant la signification symbolique du mythe que l’on comprend pourquoi son inspiration originelle appelle l’esprit
humain à dépasser son horizon intellectuel ordinaire, afin de
l’amener à prendre conscience des possibilités qu’il porte en lui.
En d’autres termes, l’interprétation satisfaisante du récit de la
ville d’Is, comme des contes populaires en général, serait d’ordre
ésotérique, si l’on donne bien au mot ésotérisme la signification d’une démarche qui transcende la conscience ordinaire. L’attribution
d’un fond ésotérique à certains contes populaires nécessite de plus
amples développements, ce à quoi s’emploiera le présent ouvrage par l’analyse de la légende d’Is, de sa trame et de ses énigmes. La
thèse fondant l’intérêt de la mythologie ancienne sur la dimension
transcendante de son message suppose, pour qu’elle soit crédible, qu’un mode de connaissance adéquat ait eu cours à la source du
phénomène. Et pour que cette connaissance hermétique posée en
hypothèse consiste en tout autre chose qu’une pure fiction, il faudrait qu’une autre condition soit remplie, à savoir qu’il ait
autrefois existé, sur la terre de Bretagne ou des pays celtiques
apparentés, un milieu intellectuel qui non seulement aurait développé une culture fondée sur une vision du monde, mais qui
surtout aurait détenu une véritable science dont le monde moderne
ne conserve plus qu’un vague soupçon cerné d’interrogations. Autrement dit, une élite intellectuelle ayant vécu en ces temps
anciens aurait acquis, par une approche entièrement différente des
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méthodes scientifiques modernes, un savoir effectif dont la culture populaire nous transmettrait comme un vague et lointain écho.
La légende de la ville d’Is a pris corps dans le monde celte
christianisé ; elle a ensuite revêtu différents habillages, en raison tant des interprétations tendancieuses auxquelles on l’a pliée à des
fins idéologiques que du style propre aux conteurs et aux littérateurs
qui l’ont adaptée au goût de leur époque. Mais tout comme les mythes de la quête du Graal, avec lesquels elle partage cette
parenté d’origine, la légende d’Is, telle que nous la connaissons,
résulte de l’adaptation d’un schéma bien plus ancien que l’époque où prend place le récit. On arrive à situer approximativement dans le
temps les événements relatés dans le conte en se référant à ses
personnages connus de l’histoire officielle, mais l’inspiration primitive du mythe remonte au moins à la tradition celtique qui
précéda le Christianisme. Le terrain intellectuel qui a nourri cette
légende bretonne pourrait même plonger ses racines dans des temps immémoriaux, car la Bretagne a été de toute époque un foyer
culturel ouvert à des influences diverses. Sous la Préhistoire, elle
abritait déjà une civilisation qui a laissé des signes d’une pensée élaborée, dont héritèrent les Celtes arrivés ultérieurement sur place.
Dans ces anciens temps celtiques et pré-celtiques vécurent des
individus qui consacraient leur vie à approfondir les questions essentielles sur le sens et la finalité de l’existence, au point qu’un
ensemble efficace de connaissances ait été détenu par ces corps
savants dont les facultés intellectuelles n’étaient nullement inférieures à celles de nos contemporains. Les recherches menées
par ces anciens sages s’orientaient vers un objectif essentiel :
l’accomplissement spirituel de l’être. Un tel phénomène n’est pas isolé, les doctrines dites ésotériques ayant connu des équivalents
dans plusieurs traditions spirituelles du monde : en Inde, au Tibet,
en Chine, en Egypte ancienne et dans les pays de l’Islam et du Moyen Age chrétien avec leurs diverses écoles mystiques. Car en
tout temps, l’humanité s’est posé les mêmes questions
fondamentales et a nourri sur le plan spirituel les mêmes ambitions. Avant que les préoccupations matérielles ne prennent le devant dans
la civilisation moderne, des chercheurs obstinés s’étaient toujours
efforcés non seulement de scruter les mystères du monde, mais aussi d’explorer les ressources de leur esprit.
La Bretagne et les pays celtiques en général n’ont certainement
pas été les seuls à avoir possédé un trésor intellectuel et spirituel de cet ordre, mais ce qui fait l’intérêt profond de ces contrées, c’est la
façon dont leur génie a su conserver la trace de cet héritage. L’une
des richesses culturelles de la Bretagne consiste bien dans
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l’abondance de ses contes, dont l’attrait immédiat tient d’abord à leur saveur et à leur climat d’étrangeté dépaysante liée à la
proximité de l’Autre Monde. Grâce au folklore populaire et aux
lettrés qui, à partir du XIXe siècle essentiellement, ont récolté et mis en forme cette tradition orale, on dispose d’un filon dont la valeur
réelle consiste dans bien plus qu’un simple divertissement. L’intérêt
véritable de cette littérature orale fixée par écrit tient à ce qu’elle véhicule un message qui rejoint les plus hautes considérations
métaphysiques sur le monde de l’esprit. Pour autant qu’on
s’applique à interpréter le sens ésotérique des allégories parsemant ces récits, on découvre que le décryptage de ces arcanes ouvre
l’accès à un véritable mode de connaissance. Une démarche de cet
ordre s’avère apte à satisfaire les intelligences ouvertes à l’appel du mystère, car au lieu de rabaisser les mythes à un niveau proche
d’une naïveté presque infantile, elle dévoile des perspectives
nouvelles sur une dimension insoupçonnée de l’existence.
Mettre en doute la véracité historique de la légende de la ville
d’Is n’enlève donc rien à la valeur de son mythe fondateur.
Naturellement, tant que la moindre incertitude subsistera à ce sujet, toute entreprise qui s’efforcerait de contrôler par des méthodes
scientifiques la réalité matérielle des faits relatés dans le conte
mérite tous les encouragements. Il n’est pas sans intérêt par exemple d’explorer les fonds du littoral maritime par la plongée
sous-marine afin de vérifier si la légende ne repose pas sur quelque
fondement historique, ce qui a déjà été entrepris. Mais l’absence de résultat convainquant ne doit ni étonner ni décevoir, car elle ne
remet pas en cause l’intérêt d’un conte dont la puissance de
fascination repose sur un tout autre mobile que sur le rappel d’un passé authentique. En effet, le mythe tient son retentissement non
pas à l’historicité des événements rapportés - que leur aspect
fantastique rend trop improbables -, mais à son inspiration d’origine qui continue à nous transmettre son souffle de vie, même à travers
les bribes que l’on a pu recueillir de cette ancienne mythologie.
Les sceptiques endurcis pourront toujours traiter de purement subjectives les impressions diffuses produites par les anciens contes,
auxquels ils dénieront toute valeur autre que littéraire ou artistique.
Effectivement, tout en laissant à chacun la liberté de ses croyances, on ne saurait prendre pour des réalités matérielles les formes
mythiques auxquels l’imaginaire, stimulé par un héritage ancestral
autant que par l’environnement naturel de la région, aura défini les contours formels. Mais on ne gagnerait rien non plus à ignorer
l’interrogation profonde que suscite le mystère, ni à étouffer cet
appel intérieur à regarder au-delà des limites actuelles de la
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conscience. Il existe assurément un risque, assez souvent évoqué, de s’abandonner aux divagations d’une imagination déréglée ; ce
danger est l’une des raisons pour lesquelles l’attention portée à
l’existence matérielle, ainsi que la culture d’un réalisme solide, demeurent nécessaires pour préserver l’équilibre humain. Mais tout
en s’ancrant à ces garanties liées à la vie physique, dont
l’importance n’est nullement sous-estimée dans les disciplines spirituelles du monde, l’homme ne peut méconnaître le fait qu’une
partie de lui-même dépérirait s’il étouffait en lui l’appel à l’ouverture
vers une autre dimension.
Un mythe authentique donne corps à des phénomènes puissants
à l’intérieur de l’homme, même si la civilisation moderne a fait
perdre aux individus beaucoup de leur réceptivité. Si l’on peut parler de fascination ou d’enchantement à propos d’un récit mythologique
ou de l’impression produite par une œuvre artistique, on peut douter
de la réalité des images que ces sensations inspirent à l’imagination, mais non de la réalité de ces sensations elles-mêmes. On a cherché
à expliquer l’impact des mythes en leur appliquant les découvertes
de la psychanalyse, dont on a voulu étendre la portée au-delà du domaine thérapeutique où cette discipline a fait ses preuves. Les
conclusions amenées par l’approche psychanalytique ne sont pas
toutes à rejeter, mais la fascination produite par les histoires mythiques tient à une cause bien plus profonde qu’à d’obscurs
stimuli enfouis dans l’inconscient. Le pouvoir envoûtant des mythes
résulte en effet de l’identité qui existe entre le fond de l’âme humaine et les phénomènes exprimés sous forme symbolique. En
mettant l’homme en contact avec sa réalité invisible, le mythe
l’appelle à étendre son regard au-delà de sa condition ordinaire qu’il s’agit à terme de dépasser, même si l’individu n’est sensible à cet
appel que de façon inconsciente parce qu’il ignore qu’il porte en lui
une telle vocation.
Les esprits les plus sensibles à une atmosphère culturelle aussi
stimulante que celle que leur offre la Bretagne ne se résoudront
jamais à étouffer cette force qui vit en eux comme une aspiration. Il serait effectivement dommageable de freiner un tel élan et de
renoncer à en exploiter la puissance, alors que pour approcher la
signification profonde du mythe d’Is, il existe une voie susceptible de rendre son unité intérieure à un esprit ouvert à l’appel du large. Le
succès que pourra rencontrer l’approche métaphysique du mythe
dépendra de la cohérence dont cette démarche saura faire preuve, en parvenant notamment à concilier par en haut les facultés
humaines, telles que l’imagination et la raison, que la civilisation
moderne présente à tort comme antagonistes. Il ne s’agit pas de se
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livrer sans retenue aux conclusions hâtivement produites par une fantaisie incontrôlée ; mais l’ouverture d’esprit qui convient à une
recherche de cet ordre ne renie rien de l’appel intérieur du mystère
et du merveilleux, qu’on ne doit nullement considérer comme une persistance de l’état infantile.
La légende d’Is regroupe plusieurs thèmes mythologiques, dont
chacun possède à lui seul une valeur qui mérite qu’on lui prête attention. Lorsqu’on s’efforce de restituer leur puissance à ces
images symboliques qui sont toutes issues d’une très ancienne
mythologie, on découvre avec surprise l’étendue et la richesse de ce qu’un conte populaire aussi simple en apparence peut nous révéler à
partir du moment où l’on approfondit sa lecture. Le contact, même
indirect, avec l’enseignement ésotérique sous-entendu derrière le conte touche de façon presque magique tout individu attentif, parce
qu’un tel message possède potentiellement le pouvoir de nous
instruire sur notre propre vérité intérieure.
Un récit atteint l’envergure universelle du mythe lorsqu’il explore
cette dimension essentielle de l’âme humaine. Si les mythes ont
survécu et résisté à l’usure du temps, c’est bien parce qu’ils plongent leurs racines dans les profondeurs de l’être. Le caractère
irréel de leur contenu n’entame pas leur crédibilité, puisqu’il n’est
pas nécessaire de prendre à la lettre les représentations féeriques et mythologiques auxquelles les contes prêtent vie pour accomplir ce à
quoi ils nous invitent : retrouver les chemins oubliés, redécouvrir
d’autres modes de perception et renouer avec les racines de l’homme, avec ses sources vivifiantes, celles-là mêmes qui
donnèrent vie à ces images. Les grands mythes littéraires, ceux qui
ont gagné leur place dans l’imaginaire universel par l’émerveillement qu’ils ne cessent d’inspirer, atteindront leur finalité lorsque le
message qu’ils délivrent apparaîtra en clair ; ce message nous
convie à découvrir les réalités cachées de l’univers en prenant conscience qu’elles se trouvent enfouies en nous-mêmes.
__________________________
On ne peut pas traiter de la légende de la ville d’Is en ignorant
les réserves qui ont été émises à son sujet, et qui concernent les
diverses formulations sous lesquelles son histoire nous a été livrée. Selon des critiques maintes fois exprimées, le récit tel qu’il apparaît
dans ses expressions modernes résulterait de compositions
récentes, artificiellement bâties à partir d’éléments disparates ; des littérateurs, à partir du XIXe siècle notamment, auraient
arbitrairement réuni ces éléments pour construire leur propre
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histoire, qu’ils auraient au besoin colmatée à grand renfort d’invention personnelle. Quelle que soit la version de la légende qui
sera proposée, le doute subsistera à propos de son authenticité ;
d’aucuns la soupçonneront de ne consister que dans un agrégat factice d’éléments étrangers les uns aux autres. Nous verrons, dans
le chapitre de ce livre consacré aux sources et au terrain d’origine de
la légende, ce qu’il est possible de répondre à ces objections plutôt dévalorisantes.
La présente étude ne constitue pas une recherche historique ;
elle ne vise pas à restituer une version initiale de la légende d’Is, qui demeurera toujours sujette à caution. Son ambition est de décrypter
la signification symbolique des différents motifs qui constituent cette
légende, et dont le point commun est de graviter autour du thème de la ville engloutie, en se fondant sur le postulat selon lequel ces
divers éléments relèvent tous d’une source d’inspiration commune.
L’interprétation du mythe d’Is tentée dans le présent ouvrage devait néanmoins s’appuyer sur une composition qui lui serve de référence,
bien que d’autres rédactions auraient pu être tout aussi recevables.
L’histoire qui sera formulée au chapitre suivant s’inspire essentiellement de la reconstitution que Charles Guyot2 a proposée
de la légende, ainsi que du récit oral qu’en a enregistré Alain Le
Goff3. Ces deux interprétations empruntent elles-mêmes leurs éléments à des sources diverses, parmi lesquelles figurent les
narrations de ce conte qu’avaient précédemment données Hersart
de la Villemarqué, Émile Souvestre et Pitre-Chevalier. Les références concernant les écrits de ces auteurs seront précisées dans le
chapitre traitant des sources et des origines de la légende.
Le résultat de cet essai de reconstitution du récit, tel qu’il sera formulé au chapitre suivant, encourra les mêmes objections à
propos de son authenticité que les versions qu’en ont déjà
proposées d’autres auteurs. Pour donner par avance une réponse sommaire aux critiques de cet ordre, il faut appuyer dans leur sens
en soulignant qu’on ne trouvera assurément aucune interprétation
de la légende que l’on puisse tenir pour conforme à un texte original, dont l’existence est fortement mise en doute. Toute
entreprise menée pour reconstituer l’histoire ne représentera jamais
qu’une hypothèse bâtie à partir d’éléments recueillis de sources diverses, et aucune tentative de ce type n’échappera au soupçon
d’arbitraire. Mais la valeur du mythe tient à autre chose qu’à
l’existence d’une formulation originelle.
2 La légende de la ville d’Is, Ed. d’Art Piazzan, Paris, 1926 ; rééditée en 1991 par Coop Breizh, Spezed.
3 En CD : La légende de la ville d’Is, Kérig, 1995.
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Il a circulé dans le milieu populaire de multiples variantes du mythe d’Is, mêlées à différents motifs mythologiques dont quelques-
uns n’ont qu’un rapport indirect avec l’engloutissement de la cité. Si
cet assemblage de thèmes mythiques à partir duquel le conte s’est constitué témoigne de quelque cohésion, ce n’est pas à une
hypothétique création littéraire initiale que le récit légendaire doit
cette cohérence, mais à la source commune d’où proviennent ses matériaux symboliques, qui intégraient autrefois un enseignement
initiatique très ancien. Tout en reportant à un chapitre ultérieur de
ce livre la question assez complexe des origines du conte, on peut déjà attribuer son intérêt essentiel à la signification ésotérique que
ses allégories ont héritée de cet enseignement originel. L’enjeu de la
présente étude consistera à confirmer cette hypothèse en tentant de retrouver, derrière l’interprétation symbolique de la légende, un
enseignement dont la cohésion confirmerait celle que peuvent
afficher les rédactions modernes du récit.
L’histoire de la ville d’Is
L’histoire de la riche et puissante ville d’Is, la « ville basse » bâtie
en dessous du niveau de la mer et que de puissantes murailles protégeaient de la fureur des eaux, se déroule dans le royaume
breton de Cornouaille au Ve ou VIe siècle, sous le règne du roi
Gradlon le Grand. Gradlon était né en Grande Bretagne, parmi les Celtes bretons qui peuplaient ce pays et qui le dominèrent jusqu’à
l’arrivée des Angles et des Saxons. Quand Gradlon était encore un
tout petit enfant, il avait été trouvé abandonné au milieu des fougères, ce qui déjà avait suffi à le faire passer pour un prédestiné.
Plus tard, il devint l’un des principaux lieutenants de Conan
Mériadec, le légendaire roi des Bretons qui quitta la Grande Bretagne avec ses navires et traversa la mer pour accoster en
Armorique à la tête de ses guerriers, des hommes aguerris qui
conquirent rapidement la contrée où ils débarquèrent. Après la mort
de Conan Mériadec, Gradlon lui succéda en tant que roi de
Cornouaille.
Un jour, au début de son règne, ce jeune souverain s’embarqua
avec sa flotte et son armée pour une expédition guerrière qu’il
entreprit de mener vers les terres du Nord. Après avoir longtemps navigué, il parvint au pays du froid et des longues nuits. A
l’approche de l’un des fjords de la côte scandinave, situé au fond
d’un bras de mer entre de hautes falaises, Gradlon repéra un palais resplendissant d’or et d’argent bâti au milieu d’un bourg fortifié de
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hautes murailles, qu’il décida aussitôt d’assiéger. Mais ses assauts répétés allaient tous échouer contre les puissantes murailles de la
cité et contre ses défenseurs. A l’approche de l’hiver, les troupes de
Gradlon, lassées de perdre leur temps et de laisser des morts inutiles dans des attaques infructueuses, se décidèrent à
rembarquer, laissant Gradlon seul mais obstiné, en dépit de toute
raison, à vouloir à tout prix s’emparer de la ville.
Une nuit, alors qu’il cherchait un moyen de pénétrer par ruse
dans la cité, Gradlon fit une rencontre inattendue : il vit s’avancer
vers lui une femme guerrière à la chevelure dorée. Il s’agissait de la belle reine Malgven, la fée du Nord, qui était l’épouse du roi de la
cité. Séduite par le courage insensé de Gradlon, Malgven lui déclara
son amour et se proposa de l’introduire dans la ville ; c’est ainsi qu’elle le guida dans son propre palais, jusqu’à la chambre où
dormait le vieux souverain de la cité. Gradlon s’approcha du roi
endormi, lui trancha la tête et s’empara de son trésor. Pour permettre ensuite à son nouvel amant de rejoindre ses navires et
ses troupes qui étaient déjà bien éloignés en mer, Malgven lui offrit
encore son cheval enchanté, appelé Morwac’h. Emportant Malgven et Gradlon en croupe, Morwac’h s’élança dans les airs, franchit les
remparts de la cité et galopa au-dessus des eaux, jusqu’à ce qu’il ait
rejoint la flotte de Gradlon.
Mais les vents défavorables allaient retarder le retour des navires
en Cornouaille, et Gradlon dut errer en mer toute une année avant
qu’il ne parvienne à rentrer en son royaume. Entre-temps, son amante Malgven mourut durant ce long voyage du retour, en
mettant au monde une fille qu’elle avait eue de Gradlon. La
navigation toucha à sa fin quelques temps après, et Gradlon réussit enfin à regagner son royaume, mais la mort de Malgven le laissa
inconsolable. Par la suite, il reporta toute son affection sur sa fille, la
belle et sauvage Dahut, ce qu’il fit avec d’autant plus de passion que la ressemblance de Dahut avec sa mère allait s’affirmer de plus en
plus à mesure que la jeune fille grandissait.
Le roi Gradlon était un homme foncièrement ami du bien, qui recevait à sa cour les gens de bonne renommée quelle que soit leur
condition, qu’ils soient nobles ou roturiers. Mais toujours endeuillé
par la mort de Malgven, il en arrivait à délaisser ses devoirs de roi. Il ne réunissait plus les assemblées et négligeait de rendre la justice,
qui finit par échouer aux mains de juges cupides et corrompus.
L’état du royaume continuait à se dégrader dangereusement jusqu’au jour où Gradlon fit une rencontre décisive, à l’occasion d’un
jugement qu’il eut à rendre en dépit du désintérêt qu’il ressentait
pour sa fonction de juge.
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Un sage appelé Ronan vivait en reclus dans la forêt de Névet, où les habitants des alentours le tenaient pour un saint. Ronan
manifestait des dons de guérisseur et se faisait respecter des bêtes
les plus sauvages. Néanmoins, une femme très en colère, appelée Kéban, vint plusieurs fois insister auprès de Gradlon pour lui
réclamer justice à l’encontre de Ronan, qu’elle accusait de se
transformer la nuit en loup par ses sortilèges et d’avoir dévoré sa petite fille. Gradlon, malgré la réputation de Ronan, se laissa
attendrir par Kéban ; il se décida à juger l’affaire et fit amener
Ronan, qui démentit les accusations. Pour soumettre à l’épreuve la réputation de ce saint homme, Gradlon le fit attacher à un arbre et
ordonna de lâcher contre lui deux dogues sauvages affamés ; mais
les dogues déchaînés s’amadouèrent aussitôt qu’ils s’approchèrent de Ronan. Ce dernier rétablit alors la vérité : c’est Kéban elle-même
qui avait provoqué la mort de sa fille. Ronan obtint néanmoins de
Gradlon qu’il accorde le pardon pour Kéban, dont il ressuscita la petite. Les paroles de sagesse de Ronan, ainsi que les miracles
opérés par ce dernier, eurent pour effet de tirer Gradlon de son
abattement, assez du moins pour lui rendre goût aux armes et à la fête.
Un autre jour où il chevauchait en pleine forêt avec sa suite au
cours d’une chasse, Gradlon, s’étant égaré, fit à cette occasion la rencontre de Corentin, un autre saint ermite hautement renommé
pour sa vertu comme pour sa connaissance du monde. Corentin
retint ses visiteurs pour une collation, et afin de nourrir ses hôtes, il procéda de la même façon qu’il faisait chaque jour pour s’alimenter
lui-même, en attrapant dans l’eau claire d’une source un poisson
qu’il découpa en deux morceaux. L’une des deux moitiés du poisson se multiplia au point de rassasier largement tous les invités, tandis
que l’autre moitié, que Corentin rejeta dans l’eau de la source, se
reconstitua miraculeusement pour redonner vie à un poisson sain et entier. En outre, Corentin puisa avec une cruche de l’eau de source
qui se changea, dans la cruche, en un excellent vin. Transformé par
cette rencontre, Gradlon parvint à convaincre Corentin de quitter sa hutte en forêt pour être nommé évêque en sa capitale, Quimper, et
pour gouverner selon la loi de Dieu la ville qui en avait bien besoin.
Pour Corentin, totalement indifférent aux honneurs et qui était très attaché à son humble existence de reclus, cette fonction
gouvernementale signifiait un véritable renoncement ; pour arracher
son acquiescement, Gradlon s’engagea en contrepartie à fonder à Landévénec un monastère destiné à accueillir les disciples du saint.
Le roi abandonna alors sa capitale à son évêque, tandis que lui-
même alla habiter la ville d’Is qu’il venait juste de faire édifier,
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comme nous le verrons par la suite. Sous la prudente direction du saint, Quimper se transforma rapidement ; les mœurs du peuple
comme celles des seigneurs s’assainirent, la fraude et le vice
jusqu’alors dominants furent réprimés, la paix et la prospérité chassèrent le trouble et la misère, et la ville se couvrit d’édifices
religieux richement dotés. Tout irait parfaitement à la convenance
de Corentin s’il ne se heurtait à la résistance que lui opposait la fille de Gradlon, la princesse Dahut, aux mœurs dissolues et à la
conduite déréglée.
Dahut avait embelli en grandissant ; colérique et dominatrice de caractère, mais sachant aussi se montrer cajoleuse et caressante,
elle ne cessait de gagner en influence sur son père, qui lui passait
tous ses caprices. Naturellement, elle ne pouvait pas s’entendre avec Corentin, dont elle ne partageait ni la sévérité des mœurs, ni
l’inspiration religieuse qu’il s’efforçait de répandre autour de lui.
Dahut se caractérisait également, outre la liberté de sa conduite et ses penchants nettement prononcés pour la débauche, par la
véritable passion qu’elle nourrissait pour la mer, vers laquelle sa
propre nature la faisait irrésistiblement pencher. C’est Dahut qui, en déployant ses charmes sur son père, obtint qu’il lui fasse édifier une
ville sur une grève que la marée basse laissait dégagée, mais que la
mer recouvrait à marée haute. La folie d’un tel projet n’empêcha pas Gradlon de mobiliser toutes les ressources de son royaume et de
puiser dans son trésor pour en assurer la réalisation. On fit appel
aux meilleurs architectes et aux plus habiles ouvriers. Ainsi naquit Ker Is, la ville basse, la cité merveilleuse d’une rare splendeur, que
d’épais remparts de granit protégeaient de la mer.
Pour réaliser l’impossible en érigeant, contre la mer, une digue assez puissante pour protéger la ville de l’invasion des eaux à marée
montante, Dahut dut recourir à la magie. À cet effet, elle se rendit
dans l’île de Sein afin de consulter les prêtresses de l’ancien culte celtique, les Sènes, demeurées rétives à la nouvelle religion
chrétienne qui triomphait et s’implantait partout. Ces magiciennes
invoquèrent l’aide des génies de l’air, les Elfes, et des génies de la terre, les Korrigans, afin d’élever la digue protectrice de la cité. Par
la même occasion, ces génies de la nature bâtirent encore pour
Dahut de superbes ouvrages qui contribuèrent à embellir sa ville d’Is, et parmi lesquels figurait un château dont les tours élevées
dominaient par défit l’église, dont Corentin avait au moins obtenu de
Gradlon qu’il impose à Is sa construction. En habiles faux-monnayeurs qu’ils étaient, les Korrigans couvrirent le palais de
Dahut d’un métal semblable à l’or. Ils édifièrent également des
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écuries pavées de marbre noir, rouge ou blanc, en fonction de la couleur des chevaux qui devaient les occuper.
La digue était dotée d’épaisses portes de bronze fermées par des
clés d’argent, dont Gradlon se fit le gardien ; il conservait en permanence ces clés suspendues à son cou par une chaîne en or, et
il ne s’en séparait pas même pour dormir. Comme les forces
humaines se montraient impuissantes à manœuvrer les lourdes portes de bronze, ce sont les Korrigans, invisibles mais vigoureux,
qui se chargeaient de les ouvrir ou de les refermer en fonction des
marées, pour faire entrer ou sortir les flots du port. L’ouverture des portes ne s’opérait que sur ordre de Gradlon, lorsque ce dernier
détachait de son cou les clés d’argent qu’il ne quittait jamais, pas
même dans son sommeil.
Certaines images rapportées par la légende illustrent comment
Dahut entretenait des rapports d’identification très poussés avec la
mer, où elle était née. Souvent, elle descendait la nuit sur la grève pour se baigner nue à la lumière de la lune. A la différence de
l’attention fugitive qu’elle accordait à ses innombrables amants de
passage, qu’elle faisait défiler chaque nuit dans sa chambre, elle nourrissait une complicité solide et durable avec l’océan, qu’elle
connaissait bien et dont elle savait obtenir une obéissance docile.
Elle faisait ainsi sortir des abîmes marins de redoutables dragons qui se mettaient docilement à son service. Par ces divers sortilèges, et
surtout avec l’aide de l’océan entièrement acquis à son dévouement,
Dahut accumula d’innombrables trésors dont elle dota sa ville, faisant d’Is une opulente cité regorgeant de richesses.
La magie de Dahut avait enrichi les habitants d’Is, mais cette
opulence les avait rendus vicieux et durs. A l’exemple de leur souveraine qui donnait jour et nuit des fêtes dans son palais, ils
passaient leur temps dans les plaisirs où ils perdaient leur âme.
Naturellement, Corentin ne cessait pas de s’élever contre le dévoiement de cette ville vivant dans le péché, et sur laquelle Dahut
régnait en maîtresse. Plusieurs fois, il mit sévèrement Gradlon en
garde contre sa négligence coupable à l’égard de sa fille, mais le roi avait depuis longtemps capitulé devant Dahut, qui ne tenait aucun
compte des propos du saint.
Un jour, Dahut consacra son union avec l’océan par un geste solennel d’épousailles en lançant son anneau d’or dans ses flots.
Cette noce officielle avec l’océan, si elle ne changeait rien aux
mœurs très légères de Dahut, les revêtait d’un sens nouveau en les accompagnant de funestes pratiques. Dahut continuait à donner des
fêtes joyeuses, à l’occasion desquelles les prétendants à ses faveurs
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ne manquaient pas d’accourir de tous les pays. Parmi tous les soupirants qui se languissaient pour elle, et qu’en allumeuse experte
elle prenait plaisir à charmer et à exciter, Dahut repérait chaque jour
celui dont elle comblerait enfin l’attente. A l’instant décidé par elle, elle envoyait un serviteur vêtu d’un manteau noir pour convoquer
l’élu. Sous le prétexte d’observer la plus grande discrétion, ce
serviteur faisait porter un masque au soupirant, qui ne faisait aucune difficulté pour se plier à cette demande. Ce dernier était
ensuite conduit secrètement par des voies souterraines jusqu’à la
chambre de Dahut, qui dès lors se donnait à lui.
Une fois leurs ébats terminés, quand venait l’heure pour l’amant
de repartir, Dahut parvenait sans peine à le persuader, toujours
sous le prétexte de ne pas être reconnu, de remettre le masque, sans que ce futur sacrifié ne soupçonne le sortilège auquel il se
livrait. Sur le chemin du retour dans les couloirs souterrains, le
masque enchanté se mettait alors à durcir et à rétrécir au point d’étouffer son porteur qui ne pouvait plus s’en défaire, jusqu’à ce
que ce dernier tombe mort. L’homme en noir se saisissait alors du
corps et l’emportait à cheval jusqu’à un endroit de la côte où l’eau de mer tourbillonnante venait heurter les cavernes du sol. Dans ce
gouffre que l’on disait être l’entrée des enfers, l’homme en noir
jetait le cadavre. C’est ainsi qu’il livrait à l’océan ces amants passagers, tous victimes des caprices de Dahut. Selon une autre
version de la légende, c’est dans la Rivière d’Argent, près de
Huelgoat, que l’homme de main de Dahut précipitait le corps des amants sacrifiés.
Corentin, qui ne réussissait pas à corriger Gradlon de sa coupable
faiblesse envers sa fille bien-aimée, mettra cependant le roi en contact avec Gwénolé, un autre saint personnage plein de sagesse
et de piété, et qui se soumettait lui aussi à une sévère austérité de
vie. Gwénolé ne cessait de se tourmenter au sujet des habitants d’Is, que leurs mœurs cupides et dissolues condamnaient à la
perdition. Sur commandement divin, il s’en alla un jour prêcher à Is
le repentir et la pénitence. La présence du saint eut immédiatement pour effet surnaturel de faire fuir les Korrigans invisibles, au
moment précis où ces derniers auraient dû refermer les portes de
bronze. Les eaux de la marée montante menaçaient d’envahir la ville et ses habitants effrayés ; c’est alors que Gwénolé s’avança vers les
flots, marcha sur eux et, en vertu de la puissance divine, il
commanda aux portes de bronze de se refermer.
La sévère prédication que le saint adressa ensuite aux habitants
de la ville, dans laquelle il leur portait en avertissement l’annonce de
la catastrophe future, produisit son effet sur le moment. Mais les
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citadins d’Is eurent vite fait d’oublier ces paroles, d’autant plus que la présence de Gwénolé allait encore s’accompagner de
conséquences fâcheuses ; elle avait suffi en effet à éloigner les
Korrigans, qui se chargeaient également d’approvisionner la ville en eau courante. Devant la population hostile à son égard parce qu’elle
le tenait pour responsable de l’assèchement des sources, Gwénolé
répondit en prêchant sur le thème évangélique de la vraie source de vie. Et pour accompagner son discours par un miracle, il frappa de
son bâton le rocher d’une colline ; à l’emplacement où son bâton
heurta la roche, jaillit un ruisseau d’eau claire et abondante. Et c’est un peuple conquis et repentant qui tomba aussitôt à genoux, plein
d’une ferveur nouvelle.
Mais au bout de quelques jours à peine, ce nouvel enthousiasme populaire était encore oublié. Le peuple en revint à ses mœurs
habituelles, à ses occupations criminelles et à ses plaisirs coupables.
Une dernière fois, Gwénolé admonesta la population d’Is à l’occasion d’une fête qui était accompagnée d’un tournoi sanglant. Et
s’adressant publiquement et directement au roi, il le réprimanda sur
la façon dont il capitulait devant sa fille. Il l’enjoignit ensuite, mais sans succès, de chasser Dahut, dont le vice et la perversité
n’amèneraient jamais que des drames. Gwénolé s’affronta même
oralement et publiquement avec Dahut, mais il sortit perdant de cette confrontation devant le peuple, qui refusa à hauts cris de
renoncer aux plaisirs auxquels les avait habitués leur souveraine. A
regret, Gwénolé se résigna à quitter la ville et à l’abandonner au tragique sort qui l’attendait.
Un nouveau personnage, très important pour la suite de
l’histoire, allait faire son apparition. Sur la grève proche de la ville, un jeune garçon aux cheveux rouges comme le soleil couchant
venait s’asseoir tous les jours. Né de mère inconnue, il avait été
trouvé, tout comme Gradlon, abandonné à sa naissance - sa mère, trop démunie pour pouvoir l’élever, l’ayant placé dans un berceau
qu’elle avait confié au sort de l’océan. Les flots poussèrent le
nouveau-né à la dérive, jusqu’à une plage de sable où il fut découvert, et où il naquit ainsi véritablement. Ce jeune garçon de
parents inconnus grandit et vécut en solitaire, un peu à l’écart de la
communauté des hommes qui, plus ou moins, le rejetait. La couleur flamboyante de sa chevelure lui avait valu d’être surnommé « le
Rouge », et comme il passait par ailleurs pour un demeuré affichant
un comportement plutôt marginal, il traînait également un autre sobriquet, celui de « l’idiot roux ».
Un matin où il pêchait au bord de la mer, le Rouge attrapa un
poisson qui se trouvait être le roi des poissons. En échange de la vie
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sauve et de la liberté que le Rouge consentit à lui rendre, le roi des poissons lui transmit ses pouvoirs magiques. Les occasions d’utiliser
ces dons surnaturels n’allaient pas manquer à l’idiot roux. Ainsi,
devant la ville d’Is poussait un arbre assimilé à l’arbre du monde, dont les racines plongeaient jusqu’au royaume des ténèbres et de la
mort. Cet arbre était creux et suffisamment large ; les audacieux qui
s’étaient risqués à pénétrer à l’intérieur étaient descendus jusqu’aux enfers, et s’ils parvenaient à réchapper aux dangers de cette
aventure, ils accédaient à un pays de lumière où le soleil ne se
couchait jamais. Mais très peu d’hommes étaient revenus vivants de ce périlleux voyage, et aucun d’entre eux n’avait jamais raconté ce
qu’il y avait vu.
Le Rouge, arrivé devant cet arbre, lui commanda, par la force du poisson, qu’il s’arrache des profondeurs de la terre et qu’il s’élève
dans les airs en se couchant sur le côté. Chevauchant ainsi cet arbre
en lévitation, le Rouge s’envola vers le palais de Dahut pour annoncer à cette dernière qu’elle serait enceinte « par la force de
mon poisson ». Puis, l’arbre s’éleva dans l’air, emmenant l’idiot loin
de la ville. Quelques semaines plus tard, le ventre de Dahut se mit à grossir. Gradlon, bien ennuyé par l’état de sa fille, chevaucha vers la
forêt pour aller consulter un vieux druide, celui-là même qui l’avait
enseigné dans son enfance, afin que ce vénérable sage lui communique le moyen de connaître le père de l’enfant qui allait
naître. Le druide recommanda à Gradlon de suspendre sa couronne
à trois fils au milieu de la place et de faire passer tous les hommes de la cité, sans exception, par-dessous la couronne ainsi exposée ;
la couronne tomberait sur la tête du père de l’enfant. Gradlon fit
ainsi défiler tous les hommes de la ville sous sa couronne suspendue en l’air, sans qu’aucun d’entre eux ne provoque la chute de la
couronne. En fin de journée, le Rouge vint à son tour traverser la
place sous les moqueries de la foule ; et à l’étonnement général, c’est sur sa tête que tomba la couronne. A la grande colère du roi,
qui dut néanmoins se résigner au verdict, le Rouge fut reconnu pour
l’amant de la princesse et pour le futur maître d’Is.
Le Rouge et Dahut vécurent avec leur fils au palais du roi, à la
grande humiliation de ce dernier. Mais un jour, Gradlon, qui
n’acceptait toujours pas cette situation, s’énerva et ordonna qu’on s’empare du couple avec leur enfant et qu’on les enferme tous les
trois dans une barque close, qui serait abandonnée en pleine mer.
L’ordre du roi fut exécuté, et Dahut fut emprisonnée avec son fils et son amant dans une barque scellée et livrée aux flots marins. Après
avoir longtemps erré sur les eaux, la barque et ses trois occupants
qu’elle tenait prisonniers finit par toucher une terre ferme. Par la
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force du poisson, le Rouge ouvrit alors la barque et s’en dégagea avec Dahut et leur enfant. A l’endroit où il accosta, toujours par le
pouvoir magique que lui avait communiqué le roi des poissons, il fit
sortir de terre un palais d’or et d’argent, encore plus resplendissant que ne l’était celui de Gradlon. De plus, bien décidé à retourner
affronter Gradlon, le Rouge commanda que soit lancé dans l’air un
pont de cristal reliant son palais à celui du roi.
Lorsque Gradlon aperçut le pont, il s’avança sur lui jusqu’à son
milieu, où il vit s’approcher l’idiot roux qui avait bien changé
d’aspect et qui était devenu le « Prince rouge ». Les deux rivaux s’empoignèrent et luttèrent toute la journée, jusqu’au coucher du
soleil, où le Prince parvint enfin à jeter Gradlon à terre et à
l’immobiliser. Gradlon vaincu, Is appartenait dès lors au prince roux. Le vainqueur dédaigna cependant d’aller prendre possession de la
cité dont il était devenu de droit le nouveau souverain, car il la
savait condamnée à être engloutie par les flots depuis qu’il avait arraché de son sol l’arbre magique qui la protégeait. Le Rouge s’en
retourna et disparut au loin ; personne ne le revit plus. On s’est
néanmoins demandé si ce n’était pas le même personnage qui, dans les versions du mythe qui racontent la suite de l’histoire, revint pour
séduire Dahut et provoquer la perte de la ville.
Car la belle et fière Dahut, habituée à dominer ses amants et à se jouer des hommes, finit par trouver son maître. Un soir de fête,
un chevalier tout vêtu de rouge, aux yeux brillants et à la barbe
fournie, se présenta au palais dans l’intention de la rencontrer. Et contre toute attente, c’est Dahut qui, contrairement à l’habitude,
tomba sous le charme du nouveau venu. Cet étranger allait par la
suite prendre une influence croissante sur Dahut et sur sa cour, tout en se refusant à céder au désir que la princesse éprouvait pour lui,
et dont il renvoyait toujours à plus tard la satisfaction. Dahut,
glissant peu à peu sous l’influence perverse du nouveau venu, se laissera conseiller par ce funeste personnage d’adopter les décisions
les plus pernicieuses ; elle fera ainsi s’affronter ses soupirants dans
des combats mortels ; elle reprendra aux habitants d’Is les richesses qu’elle leur avait permis d’accumuler, pour les engloutir dans
l’océan. L’homme en rouge allait également attirer d’autres
calamités sur le pays, car il avait précédemment sévi dans le royaume voisin de Vennes (Vannes). Alors que le roi de Vennes
réclamait à Gradlon l’extradition de l’étranger pour les méfaits qu’il
avait commis chez lui, Dahut obtint de son père qu’il refuse d’accéder à cette demande, provoquant ainsi une guerre
dévastatrice entre les deux royaumes de Vennes et de Cornouaille.
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Un soir de fête comme les autres soirs, l’homme en rouge, qui avait déjà conquis l’assistance par son esprit et par ses talents,
proposa à ses hôtes une danse nouvelle, en se gardant bien de leur
préciser que cette danse n’était rien de moins que le branle dansé en enfer par les damnés. A cet effet, il fit entrer dans la salle un
sonneur qu’il avait emmené à Is avec lui, un nain vêtu d’une peau
de bouc, qui savait habilement jouer de son biniou. Dès que le nain se mit à sonner de son instrument, Dahut et ses gens furent saisis
de frénésie et se mirent à tourbillonner au son de la musique au
point d’entrer en transe. Cette danse macabre se termina mal pour ses participants, car à l’exception de Dahut, tous furent entraînés
par un mouvement irrésistible vers les enfers, dont aucun d’entre
eux ne revint jamais.
L’étranger exploita aussitôt cette ambiance d’ivresse qu’il avait
su déclencher par sa danse infernale. Quand il sentit Dahut bien à sa
merci, il lui réclama enfin une preuve d’amour décisive avant qu’il ne consente enfin à céder à son désir : il exigea d’elle qu’elle subtilise à
son père les clés d’argent qui fermaient les portes protégeant Is de
l’invasion de la mer. Dahut s’empressa de répondre à cette demande ; en pleine nuit, elle pénétra dans la chambre du roi
endormi et parvint, sans le réveiller, à ôter les clés de son cou.
Naturellement, une fois en possession de ces clés, son diabolique amant se hâta de provoquer le désastre en ouvrant en pleine
tempête les portes des écluses, avant de disparaître aussitôt son
acte commis, sans tenir aucunement la promesse qu’il avait faite à Dahut.
Par les portes ouvertes en cette nuit de pleine bourrasque, les
eaux se mirent à envahir la ville et à la dévaster, avec d’autant plus de violence que l’océan semblait furieux que Dahut l’ait délaissé et
trahi en faveur d’un rival. Gradlon était endormi, mais Dieu avait
autorisé Gwénolé à le sauver, par considération pour les chapelles et pour le monastère de Landévénec qu’il avait fait bâtir. Réveillé et
prévenu par Gwénolé - ou, dans une autre version du conte, par
Corentin qui lui apparut avec un cercle de feu autour du front -, Gradlon se leva aussitôt, enfourcha son cheval Morwac’h, passa
prendre en croupe sa fille Dahut et s’élança vers le rivage poursuivi
par les flots. Mais Morwac’h, pourtant si agile en d’autres circonstances, peinait à s’extraire des eaux qui le rattrapaient.
Gradlon entendit alors la voix de Gwénolé lui crier du haut d’un
rocher - selon une autre version, Gwénolé galopait à cheval aux côtés de Gradlon -, que s’il tenait à sauver sa vie, il devait rejeter à
la mer le démon qu’il portait derrière lui, dont le péché l’alourdissait.
Le roi s’y refusa obstinément jusqu’au moment où, sur le point
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d’être englouti, il dut se résoudre, en dépit de sa peine et des supplications de Dahut, à pousser sa fille dans l’eau. Aussitôt délivré
de ce fardeau, Morwac’h put décoller à la surface des eaux et
emporter Gradlon sur la terre ferme.
L’océan se calma aussitôt après qu’il eut absorbé et englouti
Dahut. En se retournant pour regarder derrière lui, Gradlon sauvé
des eaux ne vit plus, à l’emplacement où se dressait auparavant son opulente et orgueilleuse cité d’Is, qu’une baie aux eaux calmes
reflétant le ciel et la clarté des étoiles. Gradlon reprit pour capitale
Quimper, où il finit pieusement sa vie sous la sage conduite de saint Corentin. Quelque temps plus tard, il mourut reclus dans la forêt,
entre Gwénolé et le dernier des druides de Bretagne encore vivant.
Gwénolé se retira ensuite dans l’abbaye de Landévénec, à partir de laquelle il continua à prêcher la religion nouvelle dans le pays.
Cependant, la légende précise que la ville d’Is, engloutie et figée
par l’événement, n’a pas été détruite et que Dahut n’est pas morte noyée. Changée en sirène sous le nom de Marie-Morgane, elle
s’emploie à séduire les marins et à entraîner au fond de la mer ceux
qui se laissent attirer par ses charmes. Quant au châtiment d’Is, il ne durera qu’un temps ; la cité engloutie attend qu’une parole
libératrice, ou qu’une messe de rachat, soit dite dans son église pour
qu’elle resurgisse des flots dans toute sa beauté. Une prédiction annonce qu’un premier novembre, en ce mois où s’ouvrent les
portes de l’autre monde, un vaisseau apparaîtra dans le ciel et
descendra se poser sur la grande place d’Is. Le fils de Dahut et du Prince rouge, qui aura les cheveux aussi roux que ceux de son père,
sortira de ce vaisseau pour prononcer les paroles de puissance qui
feront ressortir Is de la mer et qui restaureront la ville, aux yeux du monde, dans sa nouvelle splendeur.
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Confucius,
l’homme et les relations humaines,
une sagesse qui se développe
dans l’éthique sociale.
par Didier Lafargue
La loi a toujours eu pour vocation d’empêcher le
développement de la liberté humaine. Dans le rapport avec l’autre, l’humanisme de Confucius nous enseigne à exprimer
celle-ci pour le plus grand bien de notre épanouissement
personnel.
Confucius passe pour avoir vécu en Chine au VIe siècle avant
Jésus- Christ. A cette époque, l’empire du Milieu connaissait le désordre. Le pouvoir de la dynastie des Tchéous, laquelle avait
gouverné le pays pendant près de huit-cents ans, tirait à sa fin.
L’Etat était alors en proie à la division et aux chaos. De grandes principautés s’opposaient les unes aux autres, luttaient chacune
pour imposer son hégémonie. A la cour des princes ne régnaient
qu’intrigues, complots et fourberie. Quant au peuple, il était livré à l’égoïsme des grands. L’instabilité était générale ; partout ne régnait
que le souci de l’intérêt personnel. C’est dans un tel contexte que le
philosophe chinois élabora sa pensée. Lors d’une période de sa vie, il avait compilé les annales du pays de Lou, acquérant ainsi la
connaissance de tous ses évènements passés. L’Histoire étant un
éternel recommencement, son expérience lui permit d’édifier une sagesse susceptible de combattre les excès de son temps.
C’est ainsi qu’un principe fondamental de sa philosophie est celui du Jen (ou Ren). Qu’est-ce que le Jen ? Le terme désigne l’humanité
de l’homme, la vertu suprême témoignée par l’être véritablement
accompli, et sa réalisation n’est possible que dans le rapport avec ses semblables. L’intérêt dégagé par le Jen s’observe dans
l’idéogramme servant à l’exprimer. Celui-ci est en effet composé de deux entités : « l’homme » et « deux ». Jouant sur cette
particularité, Confucius disait : « Ce qui est Jen (le premier), c’est
Jen (le second) l’homme »1. Il évoquait ainsi la dualité de l’être humain, celle qui existe en lui entre deux extrêmes, lesquelles ne
peuvent s’accorder que dans la relation humaine. Pour le maître
chinois, l’homme ne peut trouver sa dignité qu’en cessant d’être
1 Li-ki , « Livre des Rites », VII-27 et TY-20.
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seul. « Quand je suis avec mon ami, je ne suis pas seul et nous ne sommes pas deux » disait Pythagore. Plus tard, Carl Gustav Jung,
l’un des fondateurs de la psychanalyse, dira : « Il est du suprême
intérêt de la société libre qu’elle se soucie, grâce à une compréhension profonde de la situation psychologique, de la
question des relations humaines. C’est de la relation d’homme à
homme que dépendent sa cohésion et par conséquent aussi sa force. Là où cesse l'amour, commence la puissance, l'emprise
violente et la terreur »2.
On le voit, les nobles principes que le philosophe aurait voulu
inculquer aux gouvernants de son temps étaient loin de
correspondre au cynisme de Machiavel. On pourrait les juger comme des idées naïves et utopiques et Confucius, du reste, ne se leurrait
point. « Que seulement paraisse un souverain digne de ce nom,
trente ans plus tard règnera la vertu de Jen »3, disait-il. De fait, les rapports qu’il eut à entretenir avec les grands de ce monde furent
pour le moins houleux. Il se heurta partout à l’indifférence et fut
déçu dans l’exercice de ses charges. Il n’en demeure pas moins que si sa philosophie n’eut de son temps que peu d’écho dans le
domaine politique, pour le simple particulier, son intérêt est
incontestable.
L’homme opposé à la loi.
La philosophie de Confucius est basée sur l’homme et les relations
humaines. À l’instar de Socrate, le maître chinois puise sa sagesse dans ses rapports avec ses semblables. Elle s’oppose alors à l’autre
école de pensée lui disputant la prééminence en Chine, celle des
légistes.
Ces derniers estimaient que la loi seule était apte à mettre fin aux
désordres sévissant en Chine et pouvait permettre de fonder un État central rationnellement administré, appuyé sur une solide
bureaucratie. Bien au contraire, à l’inverse des légistes et de nos
juristes actuels, Confucius pensait que l'ordre social ne devait pas s’appuyer sur les lois mais sur les hommes, des hommes
consciemment éduqués de telle sorte qu’ils soient exclusivement
animés par la vertu. Ainsi perçoit-on tout ce qui différencie l’homme selon Confucius et la loi dans son caractère froid, abstrait et
2 C.G.Jung, Présent et avenir, p 177
3 Confucius, Entretiens, XIII-12.
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impersonnel. « Gouvernez à force de lois, maintenez l’ordre à coups de châtiments, le peuple se contentera d’obtempérer, sans éprouver
la moindre honte. Gouvernez par la Vertu, harmonisez par les rites, le
peuple non seulement connaîtra la honte, mais de lui-même tendra vers le Bien »4. Il a toujours été dans la nature des lois de freiner
l’exercice de la liberté et l’individu ne peut pleinement s’exprimer
qu’en prenant graduellement ses distances envers elles.
Le philosophe chinois était attaché à ce qui était pour lui l’homme
concret, indépendant des contraintes juridiques imposées par l’État. À son époque, et bien que dans le désordre ambiant elle se soit quelque
peu vidée de sa substance, c’est la notion d’honneur qui guidait les
rapports sociaux. La principale définition que l’on peut donner à celui-ci est précisément la relation qui lie chaque être humain à la
collectivité dont il est membre et qui forme son identité. Celui qui
manque à l’honneur envers ses semblables est susceptible, face à ces derniers, de ressentir la honte. Ce thème de la honte a fourni à notre
philosophe la base de sa réflexion sur les relations entre les hommes.
Confucius n’avait pas d’explication concernant l’origine du mal
(seul le christianisme en a une : l’homme est libre, il a fait le mal).
Mais un point capital de sa philosophie, résolument optimiste, est que le Ciel a mis la bonté en l’homme, une pousse qu’il faut développer.
De ceci découle le rôle capital accordé par notre sage à l’éducation. À
l’appui de sa thèse, le philosophe cite l’anecdote de l’homme gras qui rentrait chez lui. Un homme, ayant une femme et une concubine,
allait souvent en ville pour, prétendait-il, se rendre à des soirées chez
des gens distingués. Mais les deux femmes s’étonnaient qu’il ne rende pas ses invitations. L’épouse suivit alors son mari et vit qu’il allait en
fait se nourrir en pillard des offrandes données aux dieux ! Rentré
chez lui, l’homme dut supporter les cris des deux dames et eut honte du mal qu’il avait fait. Telle est la force détenue par la honte dans la
vie en société. Aujourd’hui, dans notre monde moderne, son
importance est beaucoup moins grande du fait de l’accent mis par les esprits sur le respect de notre nature profonde, de notre part animale.
Pourtant, un tel sentiment, suscité par le regard d’autrui, ne peut que
conduire à une expérience de soi-même et, comme telle, être une lumière nous faisant prendre conscience de nos manquements envers
l’autre. Sous le regard de celui-ci, nous nous reconstruisons alors et
travaillons à notre amélioration personnelle.
4 Entretiens, II-3.
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Très justement, Confucius pense que l’homme est perfectible. Pour lui, la relation avec l’autre doit commencer par soi. Chacun doit, par
sa propre volonté, obtenir la vertu de façon à être un exemple pour
son entourage. Il doit acquérir le Jen. « L’homme qui possède le Jen est celui qui, en désirant s’affermir lui-même, affermit les autres, et
qui, en désirant se développer lui-même, développe les autres »5.
Rayonnant par sa sagesse autour de lui, son exemple incitera ses semblables à le suivre et à se transformer à leur tour. De même qu’il
faut être un athlète pour sauver un homme de la noyade, chacun doit
acquérir sa propre stature pour mieux aider ses semblables. « L’homme de bien exige tout de lui-même, l’homme de peu attend
tout des autres »6. Ainsi apparait l’humanisme de Confucius dans sa
différence à l’égard de la loi qui, elle, n’agit que de l’extérieur. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » disait Jésus.
Pour gérer au mieux ce rôle détenu par la honte, les rites détiennent une importance capitale. Confucius leur accordait une
valeur extrême et en faisait le pilier de l’ordre social. Les rites en effet
extériorisent la conduite de chacun aux yeux de tous, sont la manifestation tangible et visuelle du comportement de l’individu vis-à-
vis de ses semblables, à tous les degrés de la vie sociale, que ce soit
dans les rapports familiaux ou les relations entre les sujets et le prince. Aussi, celui qui ne les respecte pas encourt nécessairement la
réprobation d’autrui. Des conventions sociales, il en est comme des
rites religieux, lesquels ont pour vocation de réactiver la vie divine dans l’âme du fidèle. Ainsi sont les rites sociaux. Les Chinois
pensaient qu’il ne pouvait exister de séparation entre ceux-ci et la
conduite à laquelle ils s’appliquaient. Ainsi qu’il en était dans la vie religieuse, leur vocation était en quelque sorte d’introduire en l’autre
notre interlocuteur de telle sorte que l’harmonie s’établisse entre les
hommes. Les règles de politesse, non simple mécanique, devait être source d’ouverture, de disponibilité envers autrui, pouvaient aussi
varier selon la personne à qui on s’adresse. « L’action du rite dans la
formation de l’homme est secrète ; elle prévient le mal avant qu’il n’apparaisse ; elle rapproche du bien et éloigne du mal d’une manière
insensible, sans qu’on s’en aperçoive »7. Simplement, chaque rite
devait correspondre exactement à la conduite humaine appropriée. Confucius recommandait d’éviter l’ostentation, car alors la relation
avec l’autre est dévalorisée au profit d’une surestimation de soi.
5 Entretiens, VI-28.
6 Entretiens, XV-20.
7 Li Ki, Chap. King kiai.
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Relations humaines et hiérarchie.
Ce sens aigu du bien public doit être, dans la pensée du
philosophe, sous-tendu par un respect très fort de la hiérarchie. L’idée peut sembler paradoxale si l’on estime que des rapports inégalitaires
peuvent nuire à cet humanisme prôné par Confucius. En fait, elle est
compensée par une volonté très forte de réciprocité.
Le Maître concevait en effet l’ordre social sur le modèle de la
famille. Le fils était soumis au père, la femme à son époux, le cadet à l’aîné, le sujet au prince… Il fallait que chaque personne se conforme à
toutes les obligations qui lui incombaient dans la place définie qu’il
occupait au sein de la communauté. Dans cet ordre, les rites étaient bien sûr fort utiles afin qu’entre les partenaires s’établisse toute la
distance nécessaire. Pour autant, cette dernière ne devait pas nuire,
dans l’esprit de Confucius, à une volonté d’altruisme envers autrui. Face à la notion de droit, si en honneur dans nos sociétés actuelles, le
Maître tentait de valoriser la notion de devoir, celui que chacun devait
remplir envers l’autre. Le prince devait se montrer bienveillant envers ses sujets, à l’exemple d’un père envers ses enfants. Au respect filial
devait répondre les devoirs des parents envers leur progéniture. Il
faut considérer l’autre comme soi-même, lui témoigner compassion, tolérance, bienveillance. La vie humaine est un échange perpétuel et
chaque individu doit manifester une ouverture cordiale aux autres,
laquelle ne saurait rester béante. Rien n’illustre aussi bien cet altruisme défendu par Confucius que les rapports qu’il entretenait
avec ses disciples. A l’inverse du professeur actuel qui n’accorde un
rendez-vous que pour donner un sujet de thèse, Confucius se préoccupait des goûts et des qualités de ses élèves. Si on compare la
sagesse qu’il veut promouvoir aux idéaux chrétiens, on relève
cependant une limite, car s’il faut aimer les hommes, il ne faut pas pour autant se laisser duper. « Il faut répondre au mal par la
rectitude, au bien par le bien »8. À ce sujet, Confucius a dit que le
saint, d’une bonté innée, était supérieur au sage. Mais il ajoutait que si un seul saint se manifestait le monde serait sauvé. Aussi, cet idéal
n’était pour lui qu’un rêve. Le Maître voulait développer un idéal
humain, non divin. En digne représentant de l’humanisme, on sent chez lui une tendance à vouloir maintenir la divinité à distance, sans
pour autant la nier. Nous y reviendrons.
Toute la grandeur d’âme du philosophe l’amenait tout
naturellement à se méfier de l’individualisme. Celui-ci, tant défendu
8 Entretiens, XIV-36.
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dans le monde occidental par les écoles libérales, pouvait générer un égoïsme préjudiciable à la collectivité dans la mesure où le bien
particulier primait sur l’intérêt général. « Qui se laisse guider par son
seul profit s’attire haine et rancune »9. Dans notre volonté de liberté effrénée et d’égalitarisme poussé, on a tendance, dans le monde
actuel, à faire du terme « servir » une injure. Il n’en a pas toujours
été ainsi et longtemps la notion de service assurait la bonne marche de la société. Chacun d’entre nous est appelé à servir, que ce soit un
métier, une famille, un idéal. Même les rois autrefois servaient le
royaume dont Dieu les avait faits dépositaires. C’est un usage que l’on respecte de moins en moins dans notre monde moderne. À propos de
celui-ci, Konrad Lorentz, fondateur de l’éthologie, parlait d’ « une
tiédeur mortelle »10, celle caractérisant une époque où sous l’effet d’un confort excessif, le sentiment humain s’est émoussé chez
l’individu, lequel se refuse à aider autrui si cela représente un effort
trop grand.
Afin de donner la meilleure base à cet amour désintéressé, il fallait
que chaque individu tienne solidement sa place, autrement dit, fasse en sorte que son devoir colle exactement au titre lui correspondant.
C’est ce que Confucius appelait la « rectification des noms ».
« Les mots sont les forteresses de la pensée » disait un
philosophe. Effectivement, nécessaire au bon fonctionnement de notre
raison, ils correspondent à des réalités précises et détiennent un pouvoir que l’on ne saurait sous-estimer. Tout dictateur sait qu’avec
des mots on parvient à manipuler les foules. Dans le respect des rites
sociaux, les mots ont un rôle à jouer. Les condoléances seront ainsi différemment exprimées selon que l’on s’adresse à un ami cher ou à
une simple connaissance. Pour les Chinois, il n’existait pas de
différence entre le mot et la réalité qu’il désignait. Une phrase célèbre de Confucius est celle-ci : « Que le souverain soit souverain, le
ministre, ministre, le père, père et le fils, fils »11. Si chacun se
conforme exactement au rôle auquel un nom précis est appliqué, il ne pourra qu’en résulter les plus grands bienfaits pour la communauté.
« Si les noms ne sont pas corrigés, les paroles ne correspondent pas à
la réalité ; si les paroles ne correspondent pas à la réalité, les entreprises ne peuvent être menées à terme »12. Il importe donc que
le mot soit juste, car s’il est mal choisi, le malentendu s’installe entre
soi-même et l’autre, notre action envers lui s’en ressent. « Qui ne
9 Entretiens, IV-12.
10 Konrad Lorentz, Les huit péchés capitaux de notre civilisation. Paris : Flammarion, 1973, p. 59.
11 Entretiens, XII-11.
12 Entretiens, XIII-3
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
29
connaît la valeur des mots ne saurait connaître les hommes »13. Dans ce contexte, la sincérité est capitale, et Confucius, considérant que le
mensonge corrompait tout, était très attaché à ce qu’il appelait
« l’authenticité de la parole ».
À notre époque où sous l’influence de bon nombre de
psychologues, on donne en Occident une importance accrue à notre nature profonde, aux forces latentes présentes en notre inconscient,
on pourrait observer un certain scepticisme envers cette pensée du
philosophe pour qui remplir au mieux une fonction dans toutes les différences de situation pourrait paraître oppressant. L’homme se
réduit-il uniquement à son rôle ? Celui-ci ne risque-t-il pas de
concentrer en lui seul la substance de sa personnalité ? Pourtant, celui qui colle étroitement à la place qu’il occupe en ce monde
prouve qu’il veut tendre vers un certain idéal, expression de la haute
idée qu’il a de lui-même. En l’occurrence, il tente d’adapter la nature sauvage héritée de ses ancêtres primitifs aux nécessités de la vie
sociale.
De fait, la mystique de Confucius rétablit la grandeur du rôle en
le faisant correspondre à une certaine unité.
Une mystique de l’existence.
On a coutume d’opposer, généralement, le taoïsme, philosophie
mystique orientant ses préoccupations sur l’homme en tant
qu’individu seul, et le confucianisme, philosophie tournée vers les relations humaines, uniquement soucieuse de la vie sur terre.
Effectivement, dans ces conditions, on chercherait en vain une
mystique dans la pensée de Confucius et une parole du sage pourrait corroborer cette hypothèse : « Vous ne savez pas comment
servir les hommes. Comment sauriez-vous servir les dieux ? »14. Il
n’en demeure pas moins qu’en Orient la philosophie est difficilement séparable de la religion, et l’on peut trouver l’influence de celle-ci
dans l’humanisme de notre philosophe.
Ainsi Confucius était non seulement croyant mais aussi
pratiquant. Sans vouloir passer pour un prophète, il se disait
mandaté par le Ciel pour conseiller ses pareils. Ainsi, le philosophe Confucius croyait à un Dieu unique qu’il appelait le Ciel. Cette notion
13
Entretiens, XX-3. 14
Entretiens, XI-11.
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
30
de mandat est chez notre sage capitale, car elle montre que pour celui-ci l’homme se définit par rapport à un principe absolu, plus
grand que lui et ordonnateur du monde. De celui-ci découle la
spécificité de chaque être et l’harmonie générale, cette dernière reflet de l’harmonie cosmique.
Dès lors, le maître était attaché à l’idée d’unité fondamentale par laquelle se définit l’univers. « Si vous me prenez pour un homme
ayant appris beaucoup de choses, vous vous trompez. Par le
Un, j’enfile tout »15. Or, à ce principe unique se rattache la substance de tous les individus et en s’efforçant d’aimer les
hommes, conformément aux préceptes de notre sage, chacun ne fait
qu’obéir à cette loi qui émane du Ciel. La multiplicité des relations avec nos semblables trouve ainsi sa résolution dans l’Un. « Les
10000 êtres sont présents, complets en moi […] S’efforcer de traiter
les autres comme soi-même, il n’y a rien de plus près de ce jen que l’homme cherche »16, disait Mencius, disciple de Confucius. Ainsi est
gérée au mieux toute la diversité des situations humaines. L’unité
profonde de l’univers est saisie à travers la multiplicité des âmes. Celui qui a su parvenir à cette souplesse d’esprit qui lui a permis
d’adapter sa conduite à n’importe quelle personnalité est celui qui
s’est suffisamment intériorisé pour développer en lui l’humilité nécessaire. Le philosophe chinois n’avait sur ce point aucun préjugé
et c’est à juste titre qu’on l’a qualifié d’antiraciste. « Entre les quatre
mers, tous les hommes sont frères »17. À l’image des stoïciens de l’antiquité gréco-latine qui croyaient en la toute-puissance de la
volonté humaine, l’homme de bien que prône Confucius a su
dégager en lui toute l’énergie nécessaire pour exprimer cette abnégation. « On peut enlever un général à son armée, mais non à
un homme sa volonté »18.
Pour parvenir à cette conscience, l’individu doit trouver la voie par
lui-même, soit le Tao. Sans pour autant détenir la valeur mystique
que lui a conférée le Taoïsme, celui-ci demeure pour le sage confucéen une valeur primordiale. Chaque homme doit chercher sa
voie, de telle sorte que s’harmonisent les contraires, entre les excès,
au-delà de tous les partis pris, ce qui nécessite de sa part volonté continue et engagement personnel. « L’homme de bien est pur mais
pas prude ; droit, mais pas rigide »19. Alors, l’homme rencontre
15
Entretiens, XV-2 16
Mencius, VII a-4 17
Entretiens, XII-5. 18
Entretiens, IX-24. 19
Entretiens, XV-36.
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31
l’homme, la dialectique s’installe. Par la force d’âme qu’elle suppose, la sagesse de Confucius peut s’apparenter à une mystique. Au plus
profond de lui-même, l’homme communie avec le Ciel, lequel
manifeste en sa personne tout son mystère.
Celui qui a su respecter en lui ce désir d’absolu n’a pas besoin
d’agir pour que son influence opère. Par son exemple seul, tous ses proches s’amélioreront d’eux-mêmes, édifiés par sa conduite. On a
coutume là encore de faire du « non-agir » (Wou Wei), si en
honneur dans la culture chinoise un principe taoïste. Tout aussi bien, il est également présent dans le confucianisme. En effet, le sage est
devenu si vertueux, est parvenu à dominer si bien ses passions qu’il
n’a pas besoin de faire d’efforts. Il est devenu comme une montagne, immobile dans sa toute puissante sérénité, à l’image de
Dieu comparé à un rocher dans les psaumes bibliques. « Qui
gouverne par la Vertu est comparable à l’étoile polaire, immuable sur son axe, mais centre d’attraction de toute planète »20.
Confucius a ainsi favorisé un humanisme qui a cherché à
moraliser une société vouée au désordre. Avec le temps cependant, sa philosophie en est venue à justifier un ordre hiérarchique au
caractère rigide et étouffant pour la personne humaine. Les principes
de mansuétude et de réciprocité que voulait inculquer le Maître à ses contemporains ont fini par évoluer vers un respect obséquieux
envers les autorités sociales et un formalisme étroit. Dans ce
contexte, l’individu avait peu de liberté et n’avait de choix qu’entre la soumission ou l’exclusion. À ce travers, le taoïsme a tenté de
donner une compensation en s’efforçant de faire retrouver à
l’individu sa simplicité naturelle.
Malgré tout, Confucius et sa pensée ont apporté à l’âme de la
Chine une marque indélébile. Les principes d’altruisme et leur condensation au sein d’une même unité mystique ont été les
vecteurs de la pérennité de la civilisation chinoise. En une vaste
synthèse elle a réussi à intégrer les nombreuses minorités ethniques de l’empire du Milieu et à rayonner dans tout le Sud-est asiatique.
Par le souci d’intériorisation qui était celui du Maître, par la volonté
de celui-ci de développer une mystique de l’existence, elle a pu atteindre à cette universalité.
20
Entretiens, II-1.
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32
Bibliographie :
Pierre Do-Dinh, Confucius et l’humanisme chinois.
Paris : Seuil, 1956. Collection Maîtres spirituels. Marie-Madeleine Davy, Encyclopédie des mystiques.
Paris : Seghers et édition Jupiter, 1978. Tome 4.
Confucius, Entretiens. Traduit par Anne Cheng. Paris : Seuil, 1981, Collection Points sagesse.
Etiemble, Confucius. Paris : Gallimard, Collection
Folio, 1986. Michèle Moioli, Apprendre à philosopher avec
Confucius. Paris : Ellipses, 2011.
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La vie, la pensée et l’œuvre synarchique et
archéométrique de Saint-Yves d’Alveydre1
Par Yves-Fred Boisset
Alexandre Saint-Yves est né le 26 mars 1842, à Paris, sous le signe
du Bélier, ascendant Lion, soit double signe de feu.
Il mourra le 6 février 1909, à Pau (dans les Pyrénées-Atlantiques).
Même si l’on peut avoir quelques doutes sur le caractère totalement
objectif de son autobiographie, on doit admettre que la principale
source de sa biographie se trouve dans le « Pro Domo » qui constitue la première partie de son ouvrage « La France Vraie » paru
en 1887. On trouve dans ce texte écrit à la manière d’un plaidoyer
tant Saint-Yves d'Alveydre faisait l’objet de critiques et d’attaques multiples quelques informations essentielles, étant bien entendu que
nous n’avons pas à nous étendre sur les méandres de sa vie privée.
Son père était aliéniste (on dirait maintenant psychiatre) et tenait à
ce que son fils reçût une bonne éducation.
Très vite, le jeune Saint-Yves se montra à la fois intelligent et apte à
l’étude mais rebelle. Il avouera avoir mal accepté les contraintes d’un enseignement qui ne laissait que peu de place à
l’épanouissement des enfants. Il s’agit là du vieux combat entre les
« têtes bien pleines » et les « têtes bien faites ».
Ses études se passaient donc assez mal jusqu’à ce qu’il rencontre un
certain monsieur de Metz qui dirigeait un établissement où, justement, on privilégiait les « têtes bien faites ».
Après son baccalauréat, il entra à l’école de médecine navale de Brest. Il y passa trois ans et n’en retira visiblement qu’un seul
profit : l’étude approfondie des propriétés et vertus des algues
marines sur lesquelles il écrira un ouvrage : « De l’utilité des algues marines ».
1 Cet article a été présenté sous forme de conférence en 2008 devant une assemblée madrilène composée
de francs-maçons, de martinistes et d’universitaires qui, tous, mais pour diverses raisons, l’avaient accueilli
favorablement. Mon propos était traduit simultanément par deux interprètes franco-hispanophones.
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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Saint-Yves d'Alveydre était donc venu au monde dans les dernières années de la Restauration, sous le règne libéral de Louis-Philippe 1er,
roi des Français (et non pas de France). Ce dernier roi appartenait à
la branche des Orléans et était le descendant du fameux Philippe-Égalité qui avait envoyé son cousin Louis XVI à la guillotine
puisqu’on sait que celui-ci n’a été condamné à cette peine que par
une voix de majorité et que, justement, son cousin avait voté sa condamnation à mort.
Saint-Yves d'Alveydre a six ans quand éclate la Révolution de 1848, la chute de la royauté, la proclamation de la IInd République et
l’élection du prince Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon
Ier et petit-fils de Joséphine de Beauharnais, la première épouse de l’empereur. Trois ans plus tard, en 1851, le prince-président réussira
un coup d’état qui le fait à son tour empereur sous le nom de
Napoléon III.
On sait que, à la suite de ce coup d’état, de nombreux intellectuels
français prirent le chemin de l’exil tant était grande leur désapprobation ; Victor Hugo est la figure la plus représentative de
ces émigrés volontaires. Il se réfugia dans les îles anglo-normandes
sans que rien ne diminuât son prestige, bien au contraire.
En 1862, Saint-Yves d'Alveydre a vingt ans. Il abandonne ses études
à l’école de médecine navale et se met en tête de rencontrer Victor Hugo. Il s’embarque pour Guernesey mais rien n’atteste qu’il ait pu
rencontrer le grand homme. En revanche, il rencontra une autre
exilée, madame Pelleport, qui lui fit découvrir un écrivain décédé en 1825 : le romantique Fabre d’Olivet. Traducteur des « Vers dorés de
Pythagore », auteur, entre autres, de « la langue hébraïque
restituée », Fabre d’Olivet avait également commis un ouvrage monumental, une énorme fresque à caractère historique :
l’ « Histoire philosophique du genre humain ». Cette rencontre et la
lecture de cet ouvrage furent pour Saint-Yves une véritable illumination, et pourquoi pas une véritable initiation. Il deviendra
dès lors et pour un temps un disciple de Fabre d’Olivet dont il
s’éloignera par la suite, lui reprochant de « voir la société humaine comme une matière première sans vie et sans loi propre ».
Puis, il séjourna quelques temps à Londres où il fréquenta les bibliothèques. Quand, en 1870, la première guerre franco-allemande
éclata, Saint-Yves d'Alveydre revint en France pour combattre. On
sait que cette guerre tourna court avec la défaite de Sedan qui eut
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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pour effet de précipiter la chute de Napoléon III et la proclamation de la IIIe République.
Nous sommes en 1871. Saint-Yves d'Alveydre a vingt-neuf ans et il trouve un emploi assez modeste au ministère de l’Intérieur où il
avoue s’ennuyer profondément. Alors peu fortuné, il fallait bien qu’il
subvienne à ses besoins.
En 1873, arrive à Paris une comtesse russe, épouse morganatique
d’un conseiller du tsar dont elle venait de divorcer. La comtesse Keller dispose de rentes confortables qui lui assurent le bien-être.
Elle achète un hôtel particulier rue Horace Vernet (rue parallèle aux
Champs-Elysées, entre l’avenue George V et la rue de Presbourg) et s’y installe. À l’époque, Saint-Yves habitait aux Champs-Elysées et,
la providence aidant, notre héros et la comtesse esseulée se
rencontrèrent. Quatre ans plus tard, c'est-à-dire en 1877, ils se marieront malgré la différence d’âge car la comtesse Keller accusait
quinze ans de plus que Saint-Yves.
C’est alors que Saint-Yves quitte son emploi au ministère pour,
désormais, se consacrer entièrement à son œuvre littéraire. Il avait
déjà présenté quelques œuvres : traités, poèmes, livrets d’opéras. Mais, c’est véritablement en 1877 que débute sa carrière littéraire
avec un ouvrage passé d’abord inaperçu puis réédité en 1910 : Les
clefs de l’Orient. Dans cet ouvrage, Saint-Yves d'Alveydre se réfère à des traditions hindoues et à leur vision de la naissance, de l’amour
et de la mort.
Hormis ces ouvrages, on peut distinguer deux grandes périodes
dans l’œuvre de Saint-Yves d'Alveydre : une période que nous
appellerons historique et sociologique et une période que nous qualifierons de spiritualiste et initiatique.
À la première période correspondent les cinq « Missions » publiées entre 1882 et 1887 et qui sont une vaste fresque historique déclinée
d’abord en trois ouvrages qui sont : La Mission des Juifs, La Mission
des Souverains et La Mission des Français, cette dernière ayant pour sous-titre : La France Vraie. Dans le premier de ces trois ouvrages,
Saint-Yves d'Alveydre nous conte les origines de notre civilisation
indo-européenne depuis la légendaire épopée de Ram (fondateur, selon Saint-Yves, de notre civilisation, il y a quelques 15.000 ans)
jusqu’à la naissance du Christ. Dans le deuxième ouvrage, il nous
détaille l’histoire de la Papauté depuis le Concile de Nicée en 325 de notre ère qui vit l’église prendre, sous l’impulsion de l’empereur
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Constantin, les rênes du pouvoir en Europe après avoir réduit au silence, pour de nombreux siècles, ceux qu’elle qualifiait
d’hérétiques : gnostiques, ariens, etc. Enfin, dans le troisième
ouvrage, il dépeint l’histoire de la France depuis la convocation des États Généraux par le roi Philippe le Bel, en 1304.
Dans chacun de ces ouvrages, Saint-Yves d'Alveydre veut démontrer que ni les juifs, ni les papes, ni les rois de France qui avaient
successivement reçu la mission de restaurer la « synarchie » n’y
sont parvenus. Leur échec, toujours selon Saint-Yves, résulte de la méconnaissance des grands principes spirituels qui régissent le
monde. Aussi, après ce constat d’échec qui fait l’objet de ces trois
ouvrages, il se tourne à la fois vers l’Inde traditionnelle qui conserve ses grands secrets dans la mystérieuse « Agarttha » et vers les
« ouvriers » dans lesquels il veut voir une nouvelle force. Bien sûr,
par « ouvriers » il faut entendre tous les citoyens productifs indépendamment de leur rang social. C’est ce que nous appelons
aujourd'hui les « forces vives de la nation »
La « Mission de l’Inde en Europe et d’Europe en Asie » et la
« Mission des Ouvriers » compléteront les trois « Missions » déjà
évoquées.
Il faut se souvenir qu’à l’époque où Saint-Yves d'Alveydre écrivit ces
ouvrages, l’Inde faisait partie de l’Empire britannique (la reine Victoria portait le titre d’impératrice des Indes) et que, mis à part
quelques individus éclairés, tel Rudyard Kipling, peu d’Anglais
s’intéressaient à la civilisation hindoue et ne voyaient en l’occupation de ce vaste pays au passé si riche que le fournisseur de thé et de
quelques autres babioles. Saint-Yves souhaitait qu’un véritable
dialogue interculturel s’instaurât entre les deux civilisations, ce qui n’était pas le cas comme on le sait.
Par ailleurs, ces années de la fin du XIXe siècle voyaient la montée d’une nouvelle classe sociale qui, à côté d’une aristocratie en période
de déclin, d’un clergé contesté à cause de ses choix politiques et
d’une bourgeoisie en plein essor (c’était le temps de la révolution industrielle et de la création des grandes entreprises capitalistes),
voulait trouver sa place dans la société et faire entendre sa voix.
C’est à ces forces vives de la nation que Saint-Yves s’adresse en leur proposant une alternative spiritualiste aux tentations marxistes.
Au cœur de ces cinq « Missions, se trouve la grande idée de la « Synarchie », terme que l’on pourrait traduire littéralement par
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« gouvernement avec principes » (par opposition à « l’anarchie » qui définit un « gouvernement sans principes »).
En fait, on peut affirmer que la « synarchie » s’inscrit dans le cadre très large de « l’Utopie » dont les auteurs anglais étaient fort
friands. Citons Thomas More et son Royaume d’Utopie, Francis
Bacon et sa Nouvelle Atlantide, sans oublier l’illustre Espagnol Miguel de Cervantès et son Don Quijote de la Mancha, le Français Rabelais
et son Abbaye de Thélème et on pourrait en citer bien d’autres.
Souvenons-nous que Saint-Yves d'Alveydre avait longtemps séjourné en Angleterre et s’était familiarisé avec justement cette
littérature utopiste.
Gardons présent à l’esprit que « utopie » et « chimère » ne sont pas
synonymes : la seconde se rapporte à des rêves illusoires, la
première, à la vision d’une société idéale et parfaite où régneraient définitivement la justice, l’égalité et la fraternité. Vous allez me dire
que j’ai oublié la « liberté » mais la liberté peut-elle exister
justement sans justice, égalité et fraternité ?
Utopistes étaient également les Rose+Croix du Cercle de Tübingen
qui, au début du XVIIe siècle, au milieu des guerres de religion qui opposaient durement les catholiques et les réformés, présentèrent le
projet d’une société pacifique et généreuse. N’oublions pas que les
fondateurs anglais de la franc-maçonnerie étaient des disciples de ces Rose+Croix et, plus particulièrement, de Jacob Boehme (comme
l’a si bien démontré l’écrivain Serge Hutin). La franc-maçonnerie qui
prône la justice et la fraternité n’est-elle pas aussi une sorte d’utopie en exposant en miniature la société telle qu’elle devrait être ?
Tout cela, Saint-Yves d'Alveydre ne pouvait l’ignorer, même s’il est vrai qu’il n’appartînt à aucune des organisations initiatiques : franc-
maçonnerie, martinisme, société théosophique…
Saint-Yves d'Alveydre eut l’occasion de donner de nombreuses
conférences en France, en Belgique et en Angleterre. Quand une loi
promulguée sous l’impulsion du ministre Waldeck-Rousseau et du député Le Chapelier autorisa en France l’exercice syndical, Saint-
Yves fonda le « syndicat de la presse professionnelle » dont il assura
les fonctions d’archiviste.
On sait par ailleurs que René Guénon s’inspira largement de sa
pensée comme en témoignent de nombreux passages de sa propre œuvre.
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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Le titre de marquis d’Alveydre lui fut maintes fois contesté. Selon
lui-même, ce titre lui serait venu de l’achat d’un domaine en Italie
du Nord. À ce domaine qui appartenait au Saint-siège, était attaché un titre nobiliaire. J’ai jadis interrogé à ce sujet les archivistes du
Vatican ; je n’ai obtenu aucune réponse satisfaisante aussi bien en
confirmation qu’en infirmation de ce point.
Il va de soi que l’édition d’ouvrages de ce genre ne conduit pas à
l’enrichissement matériel. Et, comme la fortune de son épouse commençait à se réduire dans de fâcheuses proportions, ils durent,
en 1893, quitter l’hôtel particulier de la rue Horace Vernet pour
s’installer à Versailles, rue Colbert, tout près du célèbre château.
En 1895, c’est le drame : son épouse, Marie-Victoire, décède.
Il se retrouve seul et seulement entouré de quelques amis fidèles :
Papus, Barlet, Victor-Émile Michelet qui resteront proches de lui
jusqu’à sa mort qui surviendra, comme nous l’avons déjà écrit, le 6 janvier 1909 à Pau. Sa dépouille sera ramenée à Versailles où il
repose dans une chapelle qu’il avait fait construire dans l’ancien
cimetière après le décès de son épouse. Cette chapelle est toujours visible. Presque tombée en ruines, elle fut restaurée, il y a quelques
années, grâce à l’effort conjugué de fidèles à sa pensée et de la
municipalité de Versailles. On ne peut, hélas, entrer dans la chapelle qui est une propriété privée. Il semblerait qu’il y ait encore des
descendants de la comtesse Keller qui, en tout cas, ne se sont pas
manifestés quand la mairie de Versailles leur a écrit pour les informer du triste état dans lequel était tombée la chapelle qui
abritait la dépouille de leur aïeule. La comtesse avait, de son
premier mariage, deux enfants qui sont également enterrés au cimetière de Versailles, juste en face de la chapelle.
Après sa mort, Papus réunit six de ses amis et fonda avec eux l’association des « Amis de Saint-Yves ». C’est cette association qui
se chargea de l’édition de quelques ouvrages de Saint-Yves.
D’abord, une réédition des « Clefs de l’Orient » (première édition en 1873), ensuite « La Mission de l’Inde », ouvrage écrit en 1886 mais
non publié à cette époque selon la volonté de son auteur, et, enfin,
« l’Archéomètre » qui, à la mort de Saint-Yves, était inachevé. Papus et ses amis collectèrent les textes, épures, dessins et
schémas qu’ils trouvèrent à Versailles dans ses archives et en
assurèrent la mise en page et la diffusion. Ce fut fait en 1912 et l’ouvrage paru aux éditions Dorbon-Aîné.
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Mais quelle est l’origine de l’Archéomètre ?
En 1896, pour le premier anniversaire du décès de son épouse, Saint-Yves d'Alveydre fait célébrer une messe en son domicile par
un prêtre de la paroisse de Versailles. C’est au cours de cette messe
qu’il a dit avoir eu, en un éclair, la vision de l’Archéomètre. Cela est, bien sûr, une question de foi et je me garderai bien d’ouvrir un
débat à ce sujet. Toujours est-il qu’il consacra les treize années qu’il
lui restait à vivre pour construire cet « Archéomètre » qu’il définissait comme étant la « clef de toutes les religions et de toutes
les sciences de l’Antiquité ».
Les rééditions ont été peu nombreuses. En dehors de quelques
tentatives sans lendemain, on peut en citer trois qui sont
considérées comme sérieuses : celle des « Éditions rosicruciennes », en 1977, de « Gutenberg Reprints », en 1979 et celle des « Éditions
Trédaniel », en 1999. Il faut dire que rééditer un ouvrage de ce
genre constitue une véritable aventure que peu d’éditeurs ont les moyens de tenter.
En effet, l’ouvrage se présente sous la forme d’un volume de 570 pages en format 24x30 et richement illustré qui ne peut se concevoir
qu’en édition de luxe ce qui le porte à un prix nécessairement élevé.
Par ailleurs, il faut reconnaître que peu d’auteurs se sont montrés soucieux d’en publier des commentaires, hormis Papus et René
Guénon. En ce qui me concerne, mon seul mérite a été d’en publier,
une première fois en 1977 et une seconde fois en 1997, une exégèse fidèle qui puisse mettre la pensée de Saint-Yves d'Alveydre
à la portée du plus grand nombre de cherchants. Cette seconde
publication a fait l’objet d’une traduction en portugais et d’une édition au Brésil.
Mais il nous faut à présent pénétrer les arcanes de cet « Archéomètre », puisque c’est pour l’essentiel le but de cet article.
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L’ARCHÉOMÈTRE
PREMIÈRE PARTIE
L’ARCHÉOMÈTRE PHILOSOPHIQUE
La première partie a pour titre générique : « La sagesse de l’homme et le paganisme », et se répartit en trois chapitres.
La régression mentale
Dans ce premier chapitre, Saint-Yves d'Alveydre, après avoir
défini le paganisme, nous entraîne, à sa suite, de la Synthèse verbale Universelle à la philosophie individuelle2. Il nous fait sentir
comment sous la pression des lettrés, l’instruction a remplacé
l’Éducation, comment Sophie a dominé Sophia, comment les corps religieux ont abdiqué, comment la volonté humaine, mère de
l’Anarchie, s’est érigée en Principe, comment, enfin, l’Avoir a
supplanté l’Être. Puis, prenant en exemple un enfant de son époque, il nous décrit le processus qui le conduit de la famille à l’Université
sans âme, en passant par une éducation religieuse incomplète.
L’Entrée du Royaume du Ciel lui est dissimulée par le désordre du néo-paganisme, issu de la Renaissance, et qui enserre dans ses
griffes l’Université comme le Temple. Sous le règne de ce paganisme
anarchique, l’Intelligence capitule, l’Esprit se ferme, la Lumière s’occulte.
L’erreur triomphante
Dans ce deuxième chapitre, Saint-Yves d'Alveydre nous révèle la
véritable physionomie de Pythagore ainsi que la portée de son œuvre. Pythagore, ayant reçu toutes les initiations, se consacra à en
tirer la synthèse unitaire et l’étiquette de philosophe qu’on accole à
son nom semble, aux yeux de Saint-Yves, à la fois, beaucoup et pas assez. Pythagore, continuateur d’Orphée, dont il a reconstitué le
message grâce à la documentation des Temples, adopte ici une figure de patriarche que ses commentateurs semblent avoir,
volontairement ou non, délaissée. Parmi ceux-ci, Hiéraclès, Dacier et
Fabre d’Olivet ont trahi sa pensée sous un flot de considérations personnelles débouchant sur des conclusions fort éloignées et
souvent opposées à la pensée pythagoricienne. Cette accumulation
2 Saint-Yves tient toujours à bien insister sur l’opposition qu’il y a entre ce qui est synthétique et
universel, c'est-à-dire d’essence spirituelle, et ce qui est philosophique et individuel, c'est-à-dire fait de substance
matérielle.
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d’erreurs, ces déformations grossières, le souci exclusif de la lettre au détriment de l’Esprit, ont engendré le néo-paganisme de la
Renaissance qui triomphe, comme nous l’allons voir, dans le
troisième chapitre.
La mort spirituelle
Dans ce troisième chapitre, Saint-Yves d'Alveydre nous retrace
l’évolution du néo-paganisme de la Renaissance qui, depuis
maintenant plus de cinq siècles, s’est imposé, par le truchement de l’humanisme moderne, aux Universités aussi bien qu’à un pontificat
décadent et complice. Il nous démontre comment, sous le couvert
de ce même humanisme, le néo-paganisme a démembré l’État social pour ériger sur ses ruines l’État politique. La destruction des trois
ordres sociaux : Économique, Juridique, Enseignant, et des trois
degrés d’enseignement : catéchisation, initiation, prêtrise, a achevé la déchristianisation de l’Europe. C’est, après la régression mentale
et l’erreur triomphante, la mort spirituelle qui est leur aboutissement
inéluctable.
Sur un des deux plateaux de la balance, Saint-Yves d'Alveydre a placé le paganisme dont il a montré le cheminement, les complicités
et le triomphe actuel. Sur le plateau adverse, il va maintenant déposer le christianisme. De quel côté le fléau penchera-t-il ?
Cette seconde partie de l'Archéomètre philosophique a pour titre générique : « La sagesse de Dieu et le christianisme ». Comme la
première partie, elle se répartit en trois chapitres.
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La Voie
Dans ce premier chapitre, Saint-Yves d'Alveydre, s’appuyant sur la
mathèse chrétienne, sur les guides qui jalonnent le chemin de l’Initié, s’attache à démontrer que le christianisme est la seule
religion. Pour cela, il recherche l’origine commune des Livres sacrés
et l’unité des Universités antiques. Puis il détermine les trois critères qui se partagent l’esprit humain classés selon l’ordre de leurs
influences. Il approfondit tour à tour ces trois critères dans leurs
trois degrés ascendants : positif, comparatif et superlatif. De cette étude, il déduit que la science n’est pas un produit de l’esprit
humain, que la pensée humaine est la réflexion de l’incidence
universelle, que la loi d’attraction universelle est le fait cosmique suprême, que l’Harmonie témoigne d’une suprême Raison, que le
corps n’implique pas l’état matériel, que l’homme ne crée pas les
Nombres. Et il conclut en écrivant : « La Science est la Vérité constitutive de l’univers visible, son fait légiféré ; la Vie est la Vérité
constituante des deux Univers, visible et invisible, leur Principe
légiférant Verbal ».
La Vérité
Dans ce chapitre, Saint-Yves d'Alveydre pénètre plus avant dans
le domaine des choses saintes et cachées, dans les secrets tapis
derrière les récits et les préceptes des Livres Sacrés. Nous verrons plus loin toute l’importance ésotérique des langues antiques que
l’instruction païenne appelle mortes. Avec force, Saint-Yves affirme
l’existence d’une Religion unique, le christianisme, vers lequel, dès le commencement, confluèrent toutes les mysticités.
La Vie
Dans ce dernier chapitre, Saint-Yves d'Alveydre, après avoir
montré l’origine de la Tradition et la Voie de l’Initiation, nous révèle la clef de la Révélation des Mystères qui conduisent ceux qui en sont
dignes à l’État social chrétien. La vie divine nous est exposée, ici,
dans toute sa richesse et dans toute sa chaleur face au paganisme glacial qui porte la mort en lui et qui se dévore.
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Le cheminement initiatique (commentaire général)
Je me garderai bien de prétendre avoir donné dans les pages qui précèdent un compte-rendu exhaustif de la partie philosophique de
l'Archéomètre de Saint-Yves d'Alveydre. J’ai seulement voulu
évoquer les grandes périodes de la dialectique archéométrique, ne pouvant entrer dans l’analyse détaillée de chacune d’entre elles. Et
ceci, pour deux raisons, la première résidant dans l’impossibilité
matérielle d’une étude approfondie dans le cadre de cet article, la seconde ressortissant au choix que j’ai fait de privilégier la
présentation du planisphère archéométrique et les adaptations qui
sont les siennes. De toute manière, j’aurai, tout au long de cette présentation, à revenir fréquemment sur les précieuses données
philosophiques contenues dans cette première partie.
Pour l’heure, je voudrais attirer l’attention du lecteur sur le plan
suivi par Saint-Yves d'Alveydre dans la composition de ce Livre I. Si
nous reprenons les titres des six chapitres et si nous les inscrivons dans un tableau comparatif (nous retrouvons ici les deux plateaux
de la balance), nous obtenons ceci :
1re PARTIE 2nd PARTIE
La Sagesse de l’Homme La Sagesse de Dieu
et le paganisme et le christianisme
Chapitre 1 La régression mentale La VOIE
Chapitre 2 L’erreur triomphante La VÉRITÉ
Chapitre 3 La mort spirituelle La VIE
En regardant ce tableau, ne voyons-nous pas se profiler un
schéma bien connu des divers courants de la pensée gnostique, à
savoir les trois étapes de la Chute suivies des trois étapes de la
Réintégration ?
Or, si nous savons que Saint-Yves d'Alveydre n’appartint à aucune
des sociétés initiatiques de son temps, nous n’ignorons pas, en échange, qu’il avait étudié avec attention les enseignements diffusés
par ces différentes sociétés. Par la construction de ce Livre I de
l'Archéomètre, Saint-Yves se rattache aux courants martinézien et saint-martinien (dont son ami Papus était, alors, le fidèle
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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restaurateur) et, par delà ces courants nés vers la fin du XVIIIe siècle, au grand ensemble gnostique comme en témoigne une
analyse de cette œuvre.
Employons-nous donc à retrouver le schéma gnostique dans les
deux parties et les six chapitres de l'Archéomètre philosophique.
PREMIÈRE PARTIE : LA CHUTE
Chapitre 1 : La régression mentale L’Homme Universel, AD-AM, créé à l’image de Dieu et
placé au centre de l’univers pour L’y représenter, muni de
la Parole toute-puissante, prévariqua 3 à son tour comme l’avait fait antérieurement l’ange rebelle, Lucifer, le
porteur de la Lumière qui avait mobilisé le Feu Fixe. AD-
AM avait été placé en aspect de Dieu 4 comme sur l’arbre séphirotique Malkuth (le Royaume) est placé en aspect de
Kéther (la Couronne). En prévariquant, AD-AM s’est
déplacé jusqu’à ne plus être en aspect de Dieu, en conséquence de quoi il a perdu la faculté de prononcer la
Parole toute-puissante, il s’est englué dans les Ténèbres
et son esprit, à l’origine omniscient, s’est enfoncé dans le doute et l’ignorance. C’est le premier pas vers la CHUTE.
Chapitre 2 : l’erreur triomphante Pour pallier la perte de la Parole toute-puissante,
l’Homme a inventé une parole substituée qui, étant sans
écho dans le plan divin, l’a conduit de la Sagesse vraie et éternelle de Dieu vers une science parcellaire et
temporelle que ses yeux devenus imparfaits prennent
pour la Vérité. C’est le deuxième pas vers la CHUTE.
Chapitre 3 : la mort spirituelle
S’enfonçant de plus en plus dans les Ténèbres, poussant de plus en plus loin son erreur, prenant toujours
davantage la parole substituée pour la Parole toute-
3 Prévariquer est un verbe très souvent employé par Martinès de Pasqually. Nous ne saurions en trouver
de plus juste. Ce verbe qui vient du verbe latin præ varicari (marcher de travers) signifie de manière générale :
manquer aux devoirs de sa charge. Il y a bien, en effet, dans la Chute, les deux idées contenues dans ce verbe
puisque AD-AM manqua aux devoirs de sa charge qui était de représenter Dieu dans l’univers créé, et, en
marchant de travers, il finit par ne plus être en aspect du Créateur, ce qui a entraîné sa perdition. 4 Aspect vient également du latin et, plus précisément, du verbe aspicere qui veut dire : jeter les yeux sur
un objet. AD-AM fut donc en aspect de Dieu aussi longtemps qu’il put le regarder en face comme cela lui était
permis pour l’accomplissement de sa mission. Ce terme est couramment employé en astrologie quand on veut
parler de deux astres qui se trouvent en conjonction, en opposition, en trine, en quadrille ou en sextile.
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puissante et la science temporelle pour la Sagesse éternelle, l’homme a consommé son retrait du plan divin,
ne conservant en lui qu’une faible lueur (une Shékina)
cachée par les écorces de son mental. C’est le troisième et dernier pas (le tré-pas) vers la CHUTE.
Mais Dieu n’abandonne pas ses créatures. Il est venu lui-même nous le rappeler en s’incarnant parmi nous. Il nous offre toujours la
possibilité de revenir dans le droit chemin, de nous extirper des
Ténèbres.
SECONDE PARTIE : LA RÉINTÉGRATION
Chapitre 1 : la Voie
C’est l’Initiation, faite d’humilité et de confiance. C’est le premier acte volontaire pour re-naître. C’est le désir.
C’est le premier pas vers la RÉINTÉGRATION.
Chapitre 2 : la Vérité
C’est l’adeptat, fait de recherche laborieuse et de
réflexion. C’est la volonté d’acquérir par le travail et les épreuves la connaissance des Sciences et des Arts, des
Lois et des Principes qui régissent l’Homme et l’Univers.
C’est le deuxième pas vers la RÉINTÉGRATION.
Chapitre 3 : la Vie
C’est la maîtrise de ses passions, le renoncement aux fausses lumières. C’est la Communion avec l’Archétype
qui est Dieu. C’est la transmutation mystique de notre
corps et de notre sang avec l’aide du Corps et du Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est la véritable re-
naissance, celle des Dwijas (deux fois nés, c'est-à-dire
nés sur deux plans...). C’est le troisième pas vers la RÉINTÉGRATION. Et c’est aussi un trépas (tré-pas)
puisqu’il s’agit cette fois de mourir à la vie matérielle (de
dépouiller le vieil homme), c'est-à-dire d’échapper à la mort.
« Je suis la régression, l’erreur et la mort », dit le paganisme. « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie », proclame le christianisme.
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Ce chapitre peut-il aider l’Homme de Désir5 à trouver la Voie, à contempler la Vérité, à revenir à la Vie ? Est-il la géométrie de la
parole toute-puissante que Dieu avait confiée à AD-AM ?
La Parole est-elle un mot, maintenant imprononçable6 ? Est-elle
une Note qu’aucun musicien, même Mozart, n’a pu tirer de son
instrument ? Est-elle une Couleur qu’aucun peintre, même Léonard de Vinci, n’a pu fixer sur sa toile ? Est-elle un Nombre qu’aucun
mathématicien, même Pythagore, n’a pu isoler des combinaisons
arithmétiques ? Est-elle une Forme qu’aucun géomètre n’a pu tracer sur la terre ou dans le ciel ?
L’étude des différentes composantes de l'Archéomètre devrait nous aider à répondre, au moins partiellement, à ces questions, à
retrouver peut-être la Parole perdue, le Mot sacré et imprononçable,
but suprême de tout cursus initiatique.
5 Expression empruntée à la terminologie saint-martinienne. L’homme de Désir est celui qui, ayant pu
s’échapper du torrent (terminologie martinézienne) emploie son passage terrestre à retrouver l’état primordial par
la conjugaison de la prière et de la connaissance qui, toutes deux, convergent vers l’Amour. 6 Toutes les sociétés initiatiques ont fait et font encore un grand usage du mot que l’on ne peut retrouver
qu’après maintes épreuves et que l’on ne peut prononcer que dans des circonstances et des conditions bien
définies. On peut également noter que les Anglais traduisent le Verbe par Mot : « In the beginning was the
Word » (Au commencement était le verbe).
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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L’ARCHÉOMÈTRE OPÉRATIF
Il nous semble avant tout nécessaire de donner quelques définitions
de ce mot « Archéomètre », à priori étrange et inconnu des
dictionnaires et encyclopédies. Ces définitions résultent de la confrontation de différentes études étymologiques qui font appel à
des références fort anciennes et empruntées à des alphabets
aujourd'hui oubliés.
Première définition, selon Saint-Yves d'Alveydre :
« Archéomètre vient de deux mots sanscrits : ARKA-METRA.
« ARKA signifie le Soleil, emblème central du sceau divin. Pour qu’on ne puisse pas se méprendre dans le Sabéisme antique et
qui pis est, moderne, ces Langues patriarcales disent encore tout
ce que leurs gardiens peuvent avoir oublié. AR est le Cercle armé de ses rayons, la Roue radiante de la Parole divine. KA rappelle la
Mathèse primordiale unissant l’Esprit, l’Âme et le Corps de la
Vérité, et démontrant ainsi à l’Observation par l’Expérience, l’Unité de son Universalité dans le Double-Univers et dans son
Triple État Social. ARK signifie la Puissance de la Manifestation,
de l’Existence, leur Célébration par la parole, leur Solemnisation. L’inversion de ce mot: KRA, KAR, KRI, signifie créer, accomplir
une œuvre, manifester une Loi, gouverner, c'est-à-dire conserver
une création en la continuant, rendre hommage en illustrant, rendre gloire en adorant, tous caractères qui sont bien
fonctionnels de la Deuxième Personne de la Trinité à l’égard de la
Première. Le latin dit : creare, le dialecte celte irlandais dit : Kra-Im.
« ARKA va plus loin comme Révélation des Mystères du Fils par la
Parole, en tant que Verbe créateur. C’est la Parole elle-même, incantant avec nombre et rythme. C’est l’Hymne des Hymnes, la
Poésie du Verbe.
« MATRA est la mesure-Mère par excellence, celle du Principe ;
c’est le Barascheth des Temples d’Égypte, la Bérazet du premier
Zoroastre, la BaRatA du Bharata divin. « MATRA, mesure-Mère, est vivante dans le Verbe-Dieu comme
toutes ses pensées créatrices. C’est elle qui manifeste en toutes
choses l’Unité, par l’Universalité de ses proportions internes, la Substance en fonction d’équivalences organiques distributives à
tous les degrés. Ce qui précède indique des attributs ; mais le
même mot le met aussi aux pieds de la Mère divine, de l’Énergie
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féminine de Dieu qu’il signifie. MAeTRA est lui aussi le signe métrique du Don divin, celui de la Substance à tous les degrés
proportionnels de ses Équivalences. Au degré psychique
universel, Athma, Amath et Matha, c’est l’Amour féminin, la Bonté maternelle de Dieu pour tous les êtres et pour toutes les
choses ; en un mot, la Charité universelle dans sa source,
embrasant et embrassant les trois Kahalahs, les trois Églises dans l’IO-GA et l’HIO-VA du Verbe. »
On peut également se référer à une étymologie plus classique et plus proche de nos conceptions sémantiques. Sachant qu’archeo
évoque, par la filiation du grec, ce qui est ancien et, plus
exactement encore, ce qui est antique, mais aussi ce qui est du domaine du Principe (ou des archétypes), que mètre est en relation
avec la mesure, on pourrait traduire littéralement archéomètre par
mesure antique ou mesure des archétypes. Cela pourrait nous satisfaire puisque l’on sait que les instruments archéométriques que
sont le planisphère, l’étalon et le rapporteur, sont, de manière
générale, des instruments de mesure et que, de plus, cette construction alveydrienne se rapporte pour l’essentiel à la pensée et
aux conceptions antiques.
Les deux sources du mot archéomètre, grecque et sanscrite, ne se
détruisent pas mutuellement. Elles se renforcent même. Dans
chacune, selon la définition de Saint-Yves d'Alveydre, on rencontre la notion de Principe créateur et, dans METRA, suivant la même
source, on trouve l’idée de Mesure.
Quand ils sont juxtaposés, ces deux mots ARKA et METRA,
évoquent aussi la dualité PÈRE/MÈRE, IOD/HE, NATURE
NATURANTE/NATURE NATURÉE, ESPRIT/MATIÈRE. Soit les deux grands piliers de toute création et de toute manifestation que toutes
les traditions connaissent, sous des noms et des symboles divers.
Description générale de l'Archéomètre
L’Archéomètre se présente sous la forme d’un planisphère dont la
construction est fondée sur des dessins géométriques, des signes
astrologiques et planétaires, des notes de musique, des lettres, des nombres et des couleurs qui répondent à certains objectifs dont
l’étude plus détaillée fera l’objet des pages qui suivent.
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Avant d’entrer dans les détails qui composent cette figure, décrivons-en les grands traits.
Le planisphère archéométrique se présente sous la forme d’une ROUE,
illustrée de :
- TROIS couleurs fondamentales ou primaires, le jaune, le
rouge et le bleu (or, gueule et azur pour les héraldistes, yellow, magenta et cyan pour les graphistes) dont les
amalgames génèrent dans un premier temps NEUF
couleurs dérivées ou secondaires,
composée de :
- SEPT cercles concentriques de diamètres inégaux qui
dessinent SIX zones concentriques que je numéroterai de
1 à 6 en allant de la périphérie au centre, et un cercle central,
- QUATRE triangles équilatéraux entrelacés deux par deux, formant de la sorte deux étoiles de David, dont
l’une est verticale et l’autre horizontale et qui sont
désignés de la manière suivante :
- Triangle numéro 1 : Triangle de Jésus ou du
verbe (sommet au NORD),
- Triangle numéro 2 : Triangle de Marie (sommet
au SUD),
- Triangle numéro 3 : Triangle des Saints-Anges
(sommet à l’OUEST),
- Triangle numéro 4 : Triangle de l’Agneau
(sommet à l’EST).
- DOUZE rayons délimitant DOUZE secteurs de 30 degrés
chacun ou DOUZE maisons zodiacales que je numéroterai de 1 à 12 en partant de celle qui est située au Nord du
planisphère et en tournant dans le sens contraire à celui
des aiguilles d’une montre.
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Qu’il soit bien entendu une fois pour toutes que, dans le contexte archéométrique, les quatre points cardinaux auxquels je fais
référence doivent être seulement considérés comme des points de
repère destinés à faciliter l’approche de l'Archéomètre. En aucun cas, ils ne sauraient être assimilés aux quatre points cardinaux « qui
crucifient le monde » selon la belle expression du poète français
Francis Jammes, car l'Archéomètre n’est pas une représentation, même symbolique, de la planète Terre ou de quelque autre corps
matériel, mais la figuration matérialisée du Cosmos traditionnel, ce
qui n’est pas la même chose.
Ainsi, si j’appelle NORD ou SEPTENTRION la partie supérieure du
planisphère archéométrique, c’est dans un but exclusivement pratique. La même remarque vaut, bien entendu, pour ce qui
concerne le SUD, l’OUEST et l’EST, ces deux derniers étant de toute
façon inversés par rapport à la place qui leur est dévolue par la cosmographie classique.
Je ferai enfin observer que l'Archéomètre est construit sur 5 Nombres, que la Science traditionnelle interprète presque
invariablement de la manière suivante :
- le nombre 3 (celui des couleurs fondamentales), lié au
ternaire, est la base de toute création astrale et terrestre,
- le nombre 4 (celui des triangles équilatéraux), lié au
quaternaire, gouverne la Régénération et la Réintégration,
- le nombre 7 [4+3] (celui des six cercles concentriques et
du cercle central), lié au septénaire, est l’attribut de l’Esprit,
- le nombre 9 [cube de 3] (celui des couleurs dérivées), lié
au neuvénaire, commande la dissolution,
- le nombre 12 [4x3] (celui des maisons zodiacales), lié au
duodénaire, représente l’Univers et l’Éternité.
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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Les six zones concentriques et le cercle central
1] Description graphique, de la périphérie au centre.
A] la zone 1 est un cercle concentrique d’une largeur sensiblement
égale aux 2/9ème du rayon du planisphère. Elle est partagée en 12
Maisons de 30 degrés chacune. Au centre de chaque Maison est représenté un écusson dont la
couleur de fond est identique à la pointe du triangle placée en face
et en zone 2. Chacun de ces écussons renferme une lettre adamique et sa
valeur numérique correspondante. Cinq autres lettres empruntées
aux alphabets assyrien, syriaque, chaldéen, samaritain et latin entourent chaque écusson. Une explication de ces lettres adamiques
sera développée ultérieurement dans le chapitre troisième.
Un rose très pâle colore cette zone.
B] la zone 2 est un cercle concentrique dont la largeur est double de
celle de la zone 1. Elle est crénelée de douze pointes de triangles de 60° chacune, de couleurs différentes et tamisées.
Dans chacune de ces pointes ou triangles se trouvent inscrites une
lettre morphologique et ses cinq correspondances dans les mêmes alphabets que ceux rencontrés en zone 1.
Lorsque deux pointes de triangles s’intersectent dans le tiers
supérieur de la zone, leurs couleurs se mêlent par superposition. Le fond de cette zone n’est pas coloré.
C] la zone 3 est aussi un cercle concentrique de largeur égale au 1/6ème de celle de la zone 2 et au tiers de celle de la zone 1. Elle
est balisée à intervalles réguliers de douze portées musicales sur
lesquelles sont accrochées des notes (une note par portée). En partant de la portée située au point le plus septentrional du
planisphère et en tournant dans le sens contraire à celui des
aiguilles d’une montre, on déchiffre les notes suivantes :
SI, au Nord,
SI, au Nord-Nord-Est, DO, au Nord-Est-Est,
RÉ, à l’Est,
FA, au Sud-Est-Est, SOL, au Sud-Sud-Est,
LA, au Sud,
LA, au Sud-Sud-Ouest, SOL, au Sud-Ouest-Ouest,
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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FA, à l’Est, RÉ, au Nord-Ouest-Ouest,
DO, au Nord-Nord-Ouest.
Inscrites sur une seule portée, ces douze notes se lisent ainsi :
SI, SI, DO, RÉ, FA, SOL, LA, LA, SOL, FA, RÉ, DO.
Le fond de cette zone est non coloré.
D] la zone 4 est un cercle concentrique une fois et demi plus large que la zone 3, soit le quart de la zone 2 et la moitié de la zone 1.
Elle est comme la zone 1 partagée en 12 maisons de 30° chacune.
Au centre de chaque maison est dessiné un cercle dont les pôles sont tronqués. Le fond de chaque cercle est de la même couleur que
celle de la pointe du triangle correspondant en zone 2 et que celle
de l’écusson correspondant dans la première. Au centre de chaque cercle réside un des douze signes du
zodiaque7 qui se lisent dans l’ordre suivant, le Capricorne étant sis
dans la maison la plus septentrionale :
le CAPRICORNE, au Nord,
le VERSEAU, au Nord-Nord-Est, les POISSONS, au Nord-Est-Est,
le BÉLIER, à l’Est,
le TAUREAU, au Sud-Sud-Est, les GÉMEAUX, au Sud-Est-Est,
le CANCER, au Sud,
le LION, au Sud-Sud-Ouest, la VIERGE, au Sud-Ouest-Ouest,
la BALANCE, à l’Ouest,
le SCORPION, au Nord-Ouest-Ouest, le SAGITTAIRE, au Nord-Nord-Ouest.8
Le fond de cette zone est coloré du même rose pâle que celui de la première zone.
7 Il ne faudrait surtout pas croire que le planisphère archéométrique puisse avoir une connotation
astrologique. Il n’en est rien. 8 On remarque que le premier signe situé au septentrion est celui du Capricorne et cette observation
conforte ma propre conception du zodiaque qui devrait traditionnellement entamer sa course par un signe de
terre tel que le Capricorne et la terminer par un signe de feu, tel que le Sagittaire. De plus, placer, comme il en
est fait dans l'Archéomètre, le premier signe zodiacal au Nord, symbole de l’hiver, donne, d’une part, la clef de
la naissance de Jésus, en hiver, et, d’autre part, implicite les origines boréales de la race blanche, celle du
christianisme.
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E] la zone 5 est un cercle concentrique d’un tiers plus large que la zone 4, double de la zone 3, d’un tiers moins large que la zone 2 et
de deux tiers moins large que la zone 1. Elle est, comme les zones 1
et 4, partagée en douze maisons de 60° chacune. Au centre de chaque maison se trouve un cercle non tronqué dont la
couleur de fond est la même que celle du cercle tronqué
correspondant en zone 4.
Chaque cercle renferme un signe planétaire, soit au total douze
signes qui se répètent tous une fois, à l‘exception du Soleil et de la
Lune. On observe également que les signes répétés dont le graphisme n’est pas symétrique (Saturne, Jupiter et Mars) sont
orientés une fois à dextre et une fois à senestre, comme s’ils se
regardaient dans un miroir.
Saturne occupant la maison la plus septentrionale, nous lisons ces
signes dans l’ordre suivant :
SATURNE, au Nord, renversé,
SATURNE, au Nord-Nord-Est, redressé,
JUPITER, au Nord-Est-Est, renversé, MARS, à l’Est, redressé,
VÉNUS, au Sud-Est-Est , renversée,
MERCURE, au Sud-Sud-Est, redressé, la LUNE, au Sud, inversée,
le SOLEIL, au Sud-Sud-Ouest, redressé,
MERCURE, au Sud-Ouest-Ouest, renversé, VÉNUS, à l’Ouest, redressée,
MARS, au Nord-Nord-Ouest, renversé,
JUPITER, au Nord-Nord-Ouest, redressé.
On remarquera que les signes planétaires de cette zone et les
notes de musique de la zone 3 se répètent dans le même ordre, ce
qui permet d’en déduire les correspondances suivantes :
SI NORD SATURNE DO NORD-EST-EST JUPITER
RÉ EST MARS
FA SUD-EST-EST VÉNUS SOL SUD-SUD-EST MERCURE
LA SUD la LUNE
LA SUD-SUD-OUEST le SOLEIL SOL SUD-OUEST-OUEST MERCURE
FA OUEST VÉNUS
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RÉ NORD-OUEST-OUEST MARS DO NORD-NORD-OUEST JUPITER
ce qui laisse supposer les attributions suivantes : SI à SATURNE - DO à JUPITER - RÉ à MARS - FA à VÉNUS - SOL
à MERCURE - LA au SOLEIL et à la LUNE
Le fond de cette zone n’est pas coloré.
F] la zone 6 est un cercle concentrique de même largeur que la zone 5, d’un tiers plus large que la zone 4, double de la zone 3, d’un tiers
moins large que la zone 2, et de deux tiers moins large que la zone
1. Elle est, comme la zone 2, crénelée de douze pointes de triangles, de 60° chacune. Les couleurs en sont les mêmes, mais, ici, elles
sont vives et non plus tamisées comme dans la zone 2.
Le fond de cette zone n’est pas coloré.
G] LE CERCLE CENTRAL :
C’est une circonférence dont le rayon est égal à la largeur de la sixième zone.
Dans son hémisphère SUD, ce cercle est rempli par une portée
musicale sur laquelle est accrochée la note MI. Cette note, en raison de sa position sur la portée, forme le POINT CENTRAL du cercle d’où
émanent douze rayons équidistants. Ces rayons ne sont pas dans le
prolongement des lignes sectorielles des zones 1, 4 et 5. Si ces rayons se prolongeaient au-delà du périmètre du cercle central et
traversaient la sixième zone, ils partageraient les maisons en deux
parties égales de 15° chacune. Par déduction, on peut constater que ces rayons sont dans l’axe des pointes des triangles des zones 2 et 6
qu’ils divisent également en angles de 30° chacun.
Dans l’hémisphère NORD de ce cercle central, est inscrite la lettre
morphologie du SOLEIL. Cette lettre se tient à cheval sur le diamètre
vertical et prend appui sur les deux rayons qui lui sont immédiatement voisins.
Le fond de cette zone n’est pas coloré.
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H] DESCRIPTION INITIATIQUE.
1] LES DEUX MONDES.
ARKA est représenté par le cercle central et la zone 6,
domaine du Soleil et de la Lumière, ainsi que du Verbe (note
MI) et de sa diffusion dans tout l’Univers (les douze pointes des triangles).
METRA est représentée par les zones 1 à 5, domaines de la mesure de l’espace (les corps planétaires de la zone 5), du
temps (les signes zodiacaux de la zone 4), de la sensation (les
notes de musique de la zone 3), de la lumière réfléchie et atténuée indiquée par les pointes des triangles de la zone 2.
2] LES TROIS MONDES (doctrine rosicrucienne)
LE MONDE HUMAIN :
Il est situé dans la zone 1 où apparaissent seulement
des signes (sous la forme de lettres adamiques), signes
destinés à capter l’attention du cherchant et en zone 2 où la lumière réfléchie du monde divin vient à la rencontre
du mineur. Au fur et à mesure que le mineur progresse
en zone 2, le faisceau de la lumière réfléchie et diversifiée, représentée ici par les triangles, s’élargit.
LE MONDE ANGÉLIQUE :
Il couvre les zones 3, 4 et 5 où les notes de musique appropriées (harmonie cosmique) de la zone 3, les signes
zodiacaux (emblèmes de la Providence) de la zone 4 et
les symboles planétaires (mouvement universel) de la zone 3, conduisent le mineur réconcilié vers le monde
divin, en lui témoignant son existence.
LE MONDE DIVIN :
Il siège dans le cercle central et en zone 6 où la lumière
archétypique du centre réfractée dans cette zone par le
spectre éclate dans toute sa splendeur devant les yeux du mineur réintégré.
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3] LES QUATRE MONDES (doctrine cabalistique)
Les cabalistes voient quatre mondes issus d’un point
central : - le monde de l’ÉMANATION,
- le monde de la CRÉATION,
- le monde de la FORMATION, - le monde de l’ACTION.
Le point central est la demeure où réside et règne l’EN-SOF,
la Divinité Suprême, l’Ancien des temps, dit la Tradition. L’EN-SOF est la Lumière centrale et le Verbe. De Lui, sont
expulsés les quatre mondes cités plus haut.
Dans l'Archéomètre, nous voyons que :
- la zone 6 correspond au monde de l’ÉMANATION,
douze couleurs étant émanées de la Lumière centrale située dans le cercle central,
- les zones 3, 4 et 5 correspondent au monde de la
CRÉATION : 7 planètes, 12 signes zodiacaux, 7 notes de musique9,
- la zone 2 correspond au monde de la FORMATION :
c’est le domaine de Lucifer, le Porteur de la Lumière, l’ange rebelle qui prévariqua en premier et emporta avec
lui une lumière nécessairement atténuée puisqu’il n’était
pas la Lumière ; c’est lui qui, selon la Tradition, bâtit le monde,
- la zone 1 correspond au monde de l’ACTION : c’est là
que, en fonction du libre-arbitre dont il est encore doté, l’homme des écorces ou du torrent doit faire le choix
entre sa déchéance définitive ou sa remontée vers la
Lumière. L’homme du torrent peut apercevoir la faible lumière qui est reflétée par les écussons et les signes qui
les escortent. S’il aperçoit ces signes et en perçoit le sens
et la valeur, l’homme du torrent se transmuera en homme de désir, ébauchant ainsi le lent processus de sa
Réintégration.
9 N’oublions jamais la place occupée par la musique dans toute l’Antiquité.
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4] LA CHUTE ET LA RÉINTÉGRATION (doctrine martinézienne)
Le processus archéométrique de la CHUTE se lit du Centre à la périphérie du planisphère ; celui de la RÉINTÉGRATION se lit de la
périphérie au Centre.
L’AD-AM, créé à l’origine pour vivre en zone 6, dans la lumière vive de Dieu, en aspect de Dieu, sans qu’aucun signe de
reconnaissance ou symbole ne lui soit nécessaire (cette zone est, en
effet, la seule à ne contenir aucun signe ou symbole), va, par le fait de sa prévarication, chuter successivement :
- en zone 5, où, chassé du ciel, il entamera le phénomène de
sa corporisation (corps planétaires, solides) ; - en zone 4, où il sera livré à l’influence des combinaisons
astrales qui dirigent sa destinée (signes zodiacaux) ;
- en zone 3, où il aborde le monde de la sensation et où, parallèlement à la mise en sommeil de ses sens spirituels,
s’éveillent ses sens psychiques et matériels ;
- en zone 2, où la lumière déclinée s’efface progressivement et régulièrement au fur et à mesure qu’il poursuit sa descente ;
c’est là qu’il rencontre les Ténèbres (on note que, dans cette
zone, les surfaces additionnées des pointes des triangles coloriées sont égales à l’addition des surfaces non coloriées,
d’où l’on peut déduire que la Lumière et les Ténèbres sont à
égalité dans cette zone); - en zone 1, enfin, censée représenter le monde matériel, le
plus obscur et le plus froid en raison de son éloignement
maximum du Centre et où la lumière est réduite à l’état de veilleuse ; c’est dans cette zone que nous vivons
présentement.
Mais l’homme n’est jamais abandonné et l’espoir de sa
Réintégration lui est raisonnablement permis, car :
- en zone 1, l’homme du torrent peut apercevoir la veilleuse
qui lui rappelle l’existence de la Lumière et, s’il répond à l’appel
de la Lumière, il devient un homme de désir ; - ce désir le conduit en zone 2 où, en progressant de la limite
extérieure de cette zone jusqu’à sa limite supérieure, il
percevra de plus en plus de lumière par le jeu de l’évasement progressif des faisceaux ;
- parvenu en zone 3, l’Initié entendra les premiers échos de
l’Harmonie Universelle, suggérés ici par les notes de musique ;
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
58
- arrivé en zone 4, l’Initié devenu Adepte apprendra à dominer son destin, ce que sous-entendent les signes
zodiacaux attachés à cette zone ;
- en zone 5, l’Adepte devenu à présent un Maître recouvrera sa Conscience universelle comme semblent le montrer les
planètes qui gravitent dans cette zone ;
- enfin, ayant traversé victorieusement les cinq zones des mondes humain et angélique, ayant surmonté les épreuves qui
les jalonnent, ayant enterré ses passions, ayant réellement
dépouillé le viel homme, le Maître pénétrera dans le Monde divin dont la frontière coïncide avec le périmètre extérieur de la
sixième zone. La lumière crue et vive dans laquelle il baignait
primitivement l’illuminera de nouveau, se saisissant de lui. Il pourra la supporter, ce qu’il n’aurait su faire dans la deuxième
zone, au début de son ascension, où, dans son immense
Sagesse, Dieu ne lui prodiguait encore qu’une lumière tamisée.
L’homme sera alors réintégré, but légitime et ultime de toute
initiation. Il vivra sur la bordure du Cercle central où règne de toute éternité l’EN-SOF que nul ne peut voir ni connaître et qui diffuse Sa
Lumière et Son Verbe répercutés de zone en zone jusqu’au cercle le
plus excentrique de l'Archéomètre qui n’en reçoit qu’un écho étouffé.
5] UN SCHÉMA UNIVERSEL
Ce chapitre est construit à la manière d’une cellule dont le Cercle
central serait le nucléole, la zone 6, le noyau, les zones 5, 4, 3 et 2,
le cytoplasme et la zone 1, le protoplasme. Dans le nucléole, sont renfermés les gènes éternellement
reproducteurs : Lumière et Verbe ; dans le noyau, les chromosomes
distributeurs de l’information génétique (ce sont les pointes des triangles de couleurs vives qui informent les autres zones) ; dans le
cytoplasme gravitent les électrons : symboles, signes, nombres et
lettres morphologiques. De la cellule au système solaire, il n’y a qu’une analogie à franchir.
Si l'Archéomètre est représentatif d’un système solaire, alors le
Cercle central est le Soleil qui irradie vers tous les points de la galaxie, les pointes des triangles de la zone 6 sont les rayons
cosmiques diffusés par le Soleil, les symboles des zones 5 et 4 sont
les corps planétaires et astraux dont la musique (pythagoricienne) s’entend dans la zone 3, les zones 2 et 1 abritant le magma des
comètes les plus éloignées du Soleil qui, par conséquent, ne
reçoivent de lui qu'une lumière diffuse, diluée, et des rayons moins
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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chauds. Ce monde, notre monde, n’est-il pas froid ? Nous y vivons orphelins de la Lumière et du Verbe.
Pour clore cette partie descriptive de l'Archéomètre, il me reste à signaler que le planisphère archéométrique est entouré de deux
cercles évoluant chacun en sens inverse et dont les degrés sont
notés de 30 en 30 de telle manière que le total des degrés relevés à n’importe quel moment sur les deux cercles donne toujours le total
de 360. Ce double encerclement a pour destination de permettre le
repérage instantané de tous les points de la circonférence.
Les quatre triangles équilatéraux
À l’intérieur du planisphère archéométrique se trouvent quatre
triangles équilatéraux entrelacés de la façon suivante :
formant de la sorte deux étoiles de David dont l’une est en position
verticale et l’autre en position horizontale.
Dans cette représentation, on peut voir, en fait, deux groupes de
quatre triangles, le premier résidant en zone 6 et portant des couleurs vives, le second en zone 2 et portant des couleurs
tamisées. En vérité, il n’y a qu’un seul groupe de quatre triangles,
les pointes apparaissant en zone 2 n’étant que la réflexion de celles apparaissant en zone 6. Ils ont un même et unique centre de gravité
qui est la note MI, point central du Cercle central. Cependant, les
triangles aux couleurs vives cernent directement le Cercle central et ne contiennent que lui. Les triangles aux couleurs tamisées cernent
une circonférence plus grande constituée des zones 4, 5 et 6 et du
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Cercle central ; leurs pointes viennent buter sur la ligne de démarcation tracée entre les zones 1 et 2. Les couleurs tamisées
n’apparaissent pas en zone 3, celle qui contient les notes de
musique. De cette observation, on peut déduire que les zones 4, 5 et 6 appartiennent au monde spirituel animateur, que la zone 3
appartient au monde astral intermédiaire et que les zones 1 et 2
appartiennent au monde matériel animé. Ou encore que les pointes intérieures aux couleurs vives ont pour mission de propager la
lumière dans la nature naturante et que les pointes aux couleurs
tamisées propagent la lumière dans la nature naturée.
Examinons à présent chacun de ces quatre triangles.
1] DESCRIPTION GRAPHIQUE
Le triangle VERTICAL dont le sommet est au NORD porte les trois couleurs fondamentales de l'Archéomètre : le jaune, le
rouge et le bleu.
Il prend appui sur l’élément TERRE, chacun des ses angles étant situé dans l’un des trois signes zodiacaux de cet
élément : le Capricorne, au Nord, en Maison 1, le Taureau, au
Sud-Sud-Est, en Maison 5, la Vierge, au Sud-Ouest-Ouest, en Maison 9.
Le triangle vertical dont le sommet est au SUD porte trois couleurs complémentaires : le violet moyen, le vert moyen et
l’orangé moyen.
Il prend appui sur l’élément EAU, chacun des ses angles étant situé dans l’un des trois signes zodiacaux de cet
élément : le Cancer, au Sud, en Maison 7, le Scorpion, au
Nord-Ouest-Ouest, en Maison 11, les Poissons, au Nord-Est-Est, en Maison 3.
Le triangle horizontal dont le sommet est à l’EST porte trois autres couleurs complémentaires : l’orangé foncé, le violet
foncé et le vert clair.
Il prend appui sur l’élément FEU, chacun des ses angles étant situé dans l’un des trois signes zodiacaux de cet
élément : le Bélier, à l’Est, en Maison 4, le Lion, au Sud-Sud-
Ouest, en Maison 8, le Sagittaire, au Nord-Nord-Ouest, en Maison 12.
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Le triangle horizontal dont le sommet est à l’OUEST porte trois autres couleurs complémentaires : le vert foncé, l’orangé
clair et le violet clair.
Il prend appui sur l’élément AIR, chacun des ses angles étant situé dans l’un des trois signes zodiacaux de cet élément : la
Balance, à l’Ouest , en Maison 10, le Verseau, au Nord-Nord-
Ouest, en Maison 2, les Gémeaux, au Sud-Sud-Est, en maison 6.
2] DESCRIPTION INITIATIQUE
Saint-Yves d'Alveydre a laissé une analyse érudite de la
signification sacrée et symbolique de chacun de ces quatre triangles. Je vais m’efforcer de la suivre le plus fidèlement possible. Cette
analyse est essentiellement fondée sur la connaissance et
l’interprétation des lettres inscrites dans les douze angles formés par les quatre triangles.
A] TRIANGLE du VERBE, de JÉSUS - TRIGONE de la TERRE, du PRINCIPE et de l’ÉMANATION EN LUI.
C’est le triangle dont le sommet est au NORD et qui s’appuie sur la TERRE.
Il est construit sur les trois lettres adamiques : I=10,
Sh=300 et O=6. Le mot formé par ces trois lettres se lit ShO et a pour valeur numérique : 10+300+6 = 316.
La première, « I », correspond à la Sagesse de Dieu, à
la Reine du Ciel des anciens Patriarches et des Litanies de Marie Assomptionnée. C’est la première lettre des noms
du Père et du Fils qui sont substantiels en Elle. Sa note
est le SOL fondamental. La deuxième, « Sh », est spéciale au nom de Jésus
comme la première au nom du Verbe. Elle est
complémentaire de la lettre morphologique zodiacale Ph dont la valeur numérique est 80 et que l’on trouve
également en Maison 1. Sa note est le SI.
La troisième, « O », se rapporte au Saint-Esprit. Sa note est le FA.
Ce triangle est l’expression de la Sainte Trinité : Père,
Fils et Saint-Esprit.
B] TRIANGLE de MARIE - TRIGONE des EAUX VIVES,
de l’ORIGINE et de l’ÉMANATION TEMPORELLE DES ÊTRES.
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C’est le triangle dont le sommet est au SUD et qui
s’appuie sur l’EAU.
Il est construit sur les trois lettres adamiques : Ma=8, Ri=200 et Hâ=40. Le mot formé par ces trois lettres se
lit: MaRiHâ et a pour valeur numérique : 8+200+40 =
248. La première, « Ma », signifie : le Temps, la Mesure, la
Mer, la Lumière réfléchie, la Réflexion, la Mort, l’Eau, ainsi
que : la Puissance réceptive, plastique et formatrice, l’Origine temporelle en tant qu’antithèse du Principe
éternel. Sa note est RÉ.
La deuxième, « Ri », se rapporte au Désir, au Mouvement, au Rayonnement visible et visuel, à la Force,
à la Vigueur et à l’Ardeur génératrice. Sa note est UT.
La troisième, « Hi », se rapporte à l’Eau vive, au Ciel, au Paradis, à la Génération qui incarne par opposition à la
Mort qui désincarne. Elle est également en relation avec
l’Aspiration vitale, l’Existence temporelle, le Serpent, la Fraternité, la Parenté, le Foyer. Sa note est LA.
C] TRIANGLE des SAINTS-ANGES - TRIGONE de l’ÉTHER.
C’est le triangle dont le sommet est à l’OUEST et qui s’appuie sur l’AIR. Il est construit sur les trois lettres
adamiques : La=30, Ka=100 et Za=7. Le mot formé par
ces trois lettres se lit : LaKaZa et a pour valeur numérique : 30+100+7 = 137.
La première, « La », signifie la Puissance exécutive qui
récompense ou punit, qui contient ou retient, qui orne ou dépouille, la Grandeur de l’Espace éthéré et sa Puissance
angélique constitutive. Sa note est FA dièse.
La deuxième, « Ka », se rapporte à tout objet mobile, matériel ou spirituel, corps ou âme, sur lequel l’air ou
l’éther ont une action. Sa note est SI.
La troisième, « Za », se rapporte au Bonheur et au Rayon lumineux. Sa note est SOL.
D] TRIANGLE de l’AGNEAU ou du BÉLIER - TRIGONE du FEU VIVANT.
C’est le triangle dont le sommet est à l’EST et qui s’appuie sur le FEU.
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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Il est construit sur les trois lettres adamiques : He=5, Ou=70 et T=9. Le mot formé par ces trois lettres se lit :
HeOuT et a pour valeur numérique : 5+70+9 = 84.
La première, « He », signifie le Souffle vital, l’Expression de Dieu, l’Aspiration de l’Homme, l’Être
suprême, la Volupté divine, le Feu vital. Sa note est le RÉ
dièse. La deuxième, « Ou », se rapporte à la Puissance latente
de la profondeur et de toute intériorité non manifestée
comme le Feu qui couve. Sa note est le DO. La troisième, « T », se rapporte à la Matrice céleste de
la Vie, à l’Essence suprême, à la Réalité absolue, à
l’Intelligence et à l’Esprit dans leur réalité immortelle. Sa note est le LA.
Ces quatre triangles sont orientés vers les deux solstices, d’hiver pour le Triangle de Jésus et d’été pour celui de Marie, et vers les
deux équinoxes, d’automne pour le Triangle des Saints-Anges et de
printemps pour celui de l’Agneau. Le Triangle de Jésus a son sommet en Capricorne, sous le signe
de Saturne ; la couleur de ce sommet est celle de l’Or (jaune). Le
Triangle de Marie a son sommet en Cancer, sous le signe de la Lune ; la couleur de ce sommet est le violet moyen. Le Triangle des
Saints-Anges a son sommet en Balance, sous le signe de Vénus ; la
couleur de ce sommet est le vert foncé. Le Triangle de l’Agneau a son sommet en Bélier, sous le signe de Mars ; la couleur de ce
sommet est l’orangé foncé.
Ces quatre sommets ponctuent la division du temps.
Les douze Maisons zodiacales
Pour la description des six zones concentriques, je suis parti de la
périphérie de l'Archéomètre pour arriver au centre. Dans l’étude des
douze Maisons, je partirai du Centre pour aller vers la périphérie.
Douze rayons, visibles dans les zones concentriques 1, 4 et 5,
découpent l'Archéomètre en douze Maisons de 30 degrés chacune.
Le temps linéaire et le temps cyclique.
On sait que les différentes formes de pensée qui se sont
succédées jusqu’à nous ont généré deux notions distinctes du Temps
: le temps cyclique et le temps linéaire. Ce dernier est représenté par une ligne droite tirée entre deux points et fondée sur la
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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progression de l’histoire. Quoiqu’il arrive, on avance toujours vers le point final, on ne revient jamais en arrière. Tout se passe entre un
commencement et une fin. La description logique des six zones
concentriques et du cercle central relevait de cette notion où, traditionnellement, la Chute est associée au point de départ et la
Réintégration au point d’arrivée.
Le temps cyclique ne connaît ni commencement ni fin et, si l’on y
fait malgré tout référence à ces deux points, c’est uniquement parce
que l’imperfection de notre intellect exige que soient posés des jalons arbitraires. Le temps cyclique est représenté par la
circonférence, symbole graphique de l’éternel recommencement.
Dans cette optique, la Chute et la Réintégration sont conçues comme des phénomènes rotatifs qui se reproduisent en permanence
aussi bien pour l’humanité collective ou adamique que pour chacun
d’entre nous. L’étude logique des douze Maisons archéométriques se situe dans ce contexte.
LES LETTRES MORPHOLOGIQUES ET LES LETTRES ADAMIQUES.
Dans la description graphique des quatre triangles équilatéraux, j’ai abordé brièvement la question des lettres archéométriques, de
leur signification et de leur valeur.
Suivant en cela le plan de travail de Saint-Yves d'Alveydre, j’ai
indiqué les références nécessaires aux lettres placées dans les douze
écussons de la zone 1. Ces lettres, ce sont les lettres adamiques.
D’autres lettres sont inscrites à l’extrémité des pointes des
Triangles de la zone 2, accompagnées de leurs valeurs numériques et de leurs équivalences dans les alphabets assyrien, syriaque,
chaldéen, samaritain et latin. Ces lettres, ce sont les lettres
morphologiques.
On les appelle ainsi parce que, contrairement aux lettres de nos
alphabets usuels qui sont de caractère conventionnel, ces lettres sont fondées sur la connaissance occulte des formes et des sons,
connaissance à présent perdue. Ces formes et ces sons sont
cependant à l’origine des gestes rituels et des sons vibratoires dont la théurgie, la magie et la géomancie, entre autres, font encore
usage de nos jours.
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Chaque lettre est en relation avec une planète, avec un signe zodiacal, avec une note de musique et avec une couleur,
fondamentale ou complémentaire. On ne peut évidemment
s’empêcher d’établir une association entre ces lettres morphologiques et le Verbe dont on sait qu’il est traditionnellement
le moteur et le centre de la Création. C’est peut-être même ici que
se trouve l’explication de ce mystérieux Verbe sur lequel saint Jean a bâti le Prologue de son Évangile.
Les lettres adamiques font, en quelque sorte, écho aux lettres
morphologiques. Elles ont été confiées à AD-AM pour régenter l’Univers, donner des noms aux créatures et chanter les louanges de
Dieu. Le Triangle, instrument de la Création, contient les premières
et s’appuie sur les secondes.
Mais toutes les lettres de l’un et de l’autre alphabet n’apparaissent
pas sur le planisphère archéométrique. Les lettres adamiques y sont seulement au nombre de douze, une par maison ; les lettres
morphologiques y sont en nombre encore plus réduit de sept dont
cinq se répètent à la manière des planètes et des notes de musique et suivant la même organisation. De plus, on remarque que, de
même que les planètes de la zone 5, les lettres morphologiques sont
alternativement droites et inversées.
Pour qui l'Archéomètre ?
Il faut reconnaître que les candidats au décryptage de
l'Archéomètre ne sont pas légion. La grande majorité de ceux qui, à ce jour, ont eu la chance de croiser Saint-Yves d'Alveydre au cours
de leurs lectures ou au hasard d’une conférence avouent
l’émerveillement qu’ils ont ressenti devant cet œuvre monumental. De là, à se lancer dans une étude nécessairement longue et
laborieuse de la pensée alveydrienne, il y a un grand pas que peu
ont osé franchir. Il y faut du courage, de la persévérance, et, aussi, un doigt d’inconscience. C’est au demeurant cette dernière vertu (à
défaut des autres) qui m’a poussé à travailler sur l'œuvre de Saint-
Yves. Et tel confrère aujourd’hui disparu a eu jadis beau jeu de critiquer mes recherches nécessairement balbutiantes à leur début
alors qu’il reconnaissait dans le même temps la folie de l’entreprise.
Mais, passons !
Reconnaissons, et ce n’est pas une critique, que, de tous les contemporains de Saint-Yves, aucun ne s’est embarqué dans une
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telle... galère. Barlet, de son côté, «les Amis de Saint-Yves», du leur (le premier n’a jamais voulu s’intégrer au groupe formé par les
seconds), ont montré leur grand talent tant comme excellents
biographes que comme fidèles disciples du Maître et nous leur sommes reconnaissants d’avoir pu et su dépouiller et classer la
masse impressionnante des notes, dessins et archives que Saint-
Yves leur avait légués. Ce fut, à n’en pas douter, un travail colossal, aggravé par l’écriture quasiment illisible de Saint-Yves. Sans eux, la
« Mission de l’Inde », « la théogonie des Patriarches » et
« l'Archéomètre » n’auraient sans doute jamais vu le jour, car il fallait la fougue légendaire de Papus pour mener à leur terme ces
trois éditions. Et l’on voit les plus proches, voire les plus intimes de
Saint-Yves, manifester un embarras certain quand il s’agit de donner une définition exacte de l’archéométrie et de ses finalités.
La synarchie, œuvre politique et social de Saint-Yves d'Alveydre, trouva de plus nombreux exégètes dont il faut bien dire que la
plupart nourrissait des projets déviationnistes par rapport à la
pensée alveydrienne. Mais, pour l'Archéomètre, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas eu bousculade pour se lancer dans
son exégèse.
Alors, répétons-le : pour qui cet archéomètre ?
Pour les musiciens, les astrologues, les architectes..., peut-être peuvent-ils y trouver de précieux éléments pour la conduite de leur
art, encore que ne doivent pas être nombreux ceux d’entre eux qui
l’ont eu un jour entre les mains. Et même parmi ces heureux élus, combien ont pu le prendre au sérieux et ne pas le rejeter, sinon
avec mépris, du moins avec condescendance.
Pour les curieux, contents d’avoir sous les yeux des schémas et
des symboles qui peuvent les distraire un temps mais qu’ils
abandonneront au premier obstacle.
Pour les initiés, je veux parler ici de ceux qui ont un jour ou l’autre
dans le cours de leur existence été reçus au sein d’une société initiatique. Bof ! un symbole de plus ou de moins... ils sont blasés
tant on leur en présente, des ronds, des carrés, des triangulaires,
des cubiques. Ce qu’ils ne savent pas toujours, c’est que tous sont contenus dans l'Archéomètre ; il suffit de les retrouver dans le fatras
apparent de la roue archéométrique.
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Et sont-ils déjà venus ou restent-ils à venir, celle-là, celui-là ou ceux-là qui, par un jeu d’osmose mutuelle, pénétreront
l'Archéomètre tout en se laissant pénétrer par lui ? Car là est peut-
être le véritable secret de l'Archéomètre qu’il ne faut pas investir avec nos armes intellectuelles et nos références culturelles, mais
qu’il faut aborder par la seule voie dont on puisse espérer une
satisfaction réelle, la voie cardiaque, celle qui fait surgir l’intelligence du cœur et hors de laquelle toute initiation aussi belle et riche
qu’elle soit n’est que simulacre pour ne pas dire blasphème.
Cet archéomètre n’est pas un outil livré clefs en mains. Aucun outil initiatique n’est, en vérité, livré de cette manière. Ceux qui,
moyennant soit finances, soit soumission à l’on ne sait quel dogme
ou quel gourou, prétendent fabriquer des initiés en balançant aux impétrants des enseignements standards qu’il suffit de mémoriser
pour la prochaine interrogation et pour l’acquisition du grade
immédiatement supérieur, ne sont que des menteurs et des escrocs.
Cet archéomètre doit être inlassablement construit et reconstruit
par les cherchants sincères et animés du désir, non pas tant de percer des mystères, mais d’entrer en communion avec les
symboles vivants dont il est le dépositaire actif comme il est le
messager du christianisme éclairé qui, entre les chicanes politico-religieuses, poursuit sa Voie de Vérité et de Vie depuis le
mouvement gnostique des débuts de notre ère jusqu’à nous,
humbles gardiens de cette flamme éternelle qui vacille souvent mais ne s’éteint jamais.
Dans les éclaircissements préliminaires qui précèdent et introduisent la description de l'Archéomètre, Papus écrit :
« ... il faut bien insister sur ce double caractère de l'Archéomètre. C’est un outil qui doit rénover tout l’art moderne entre les mains
d’artistes de génie d’une part, mais c’est aussi le témoin et la clé
de toute la Science de l’antiquité, dont les sciences occultes sont un reste déformé. Les occultistes ne considèrent généralement
l'Archéomètre que sous ce dernier point de vue, et les
commentaires généralement enfantins qui ont été faits, jusqu’à présent, sur cet admirable instrument d’adaptation, portent
presque exclusivement sur son dernier aspect. Or, l’Astrologie
donne bien la clé de la Science antique et ce sera un des grands mérites de Saint-Yves d'Alveydre d’avoir rétabli les rapports des
lettres, des couleurs et des planètes, mais cet instrument
resterait un évocateur des cimetières intellectuels, si son auteur
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n’en avait pas fait le moyen de synthèse et de régénération de toute l’intellectualité future. » 10
En effet, quel merveilleux et mystérieux outil que cet archéomètre ! Merveilleux en cela qu’il émane de lui et de tous ses
symboles quelque chose de magique et de fascinant. Mystérieux en
ceci qu’il semble détenir des clefs que l’on est incapable d’utiliser comme l’on pressent qu’elles devraient l’être.
Et c’est dans le chaos que l’initié pressent des choses meilleures !
L’auteur qui se lance dans cette aventure délicate de lever un
modeste coin du voile dont « l'Archéomètre » est drapé, qui tente de
décrypter un des multiples secrets de l'archéométrie, ressent un sentiment de culpabilité tant il se trouve indigne d’avoir tenté,
même timidement, de démystifier ce monument de la science
ésotérique. Et, dans le même temps, bien curieux paradoxe, il se sait coupable de n’être pas allé plus avant dans sa quête, comme si
une force inconnue mais omniprésente tout au long de son étude,
l’avait retenu.
Souvent, comme peut-être tous ceux qui m’ont précédé dans
cette recherche, je me suis demandé s’il ne s’agissait pas uniquement d’un jeu, semblable d’une certaine manière au célèbre
jeu de l’oie qui, on ne l’ignore plus, est un système initiatique propre
à conduire l’homme du torrent, autrement dit l’homme déchu, vers la 63e case placée au sommet de la spirale, c'est-à-dire vers la
septième dissolution (7 fois 9 = 63)11, celle de la régénération
spirituelle, et ce après avoir suivi, par le phénomène providentiel de la détermination que représentent les dés, un long chemin sinueux
plein d’embûches, de stations obligées, de retards imposés, et,
parfois, de douloureux retours à la case départ.
Un jeu, ai-je dit? Et si l’homme n’était qu’un jouet entre les mains
de son destin, un jouet si fragile qu’il peut à tout instant se casser et se perdre dans l’obscur labyrinthe où il erre si longtemps avant que
ses yeux n’aperçoivent la vacillante lumière qui crépite en son cœur
et ne s’éteint jamais.
Là, au jeu de l’oie, on s’accroche de case en case pour monter
vers la Lumière en éprouvant à chaque pas cette crainte ô combien nécessaire de retomber et il faut retomber et souvent retomber pour
10
L’Archéomètre, op. cit. page 135. 11
On n’a pas oublié que le nombre 9 est traditionnellement celui de la dissolution ou de la mort profane
alors que le nombre 7 symbolise la résurrection et l’entrée dans la vie spirituelle.
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s’aguerrir dans la voie initiatique. Ici, avec l'Archéomètre, on se heurte aux miroirs dressés entre les cercles concentriques aussi
longtemps que l’on n’a pas acquis le courage de les traverser
comme le fit Orphée et plus tard Pythagore.
Le temps ? Illusion du temps puisque nous savons que tout se
passe en une fraction d’éternité et que la Chute et la Réintégration sont simultanées, que le plomb et l’or sont une seule et même
essence, que la matière et l’esprit ne constituent qu’une unique
pensée. Que Tout est dans Un, dans l’Unité primordiale qui est le commencement et la fin, l’alpha et l’oméga, que Tout est à la fois
dans le Cercle central de l'Archéomètre et dans les six cercles
concentriques qui tournent autour de lui, dans les quatre éléments et dans les quatre Triangles, dans les trois couleurs fondamentales
et dans leurs déclinaisons, que le Tout unique, éternel et insécable,
vit en son intégralité dans chaque symbole, vibre dans chaque note de la gamme, règne dans chaque signe zodiacal et dans chaque
planète, anime chaque lettre de tous les alphabets. Comme le
macrocosme est dans le microcosme, comme l’univers réside en son entier au sein de chaque atome, comme Dieu est présent en chacun
des constituants de la Vie.
Non, je ne prétends pas avoir découvert le message secret de
l'Archéomètre, tel que l’a peut-être voilé Saint-Yves d'Alveydre en ce
fascinant outil. Non, je n’affirme pas avoir percé le mystère de l'archéométrie tel que l’a peut-être perçu cet auteur si méconnu du
19e siècle. Non, je ne revendique aucun mérite à avoir décrit aussi
fidèlement qu’il est possible de le faire les divers éléments du planisphère archéométrique.
Mais si j’ai pu intéresser quelques cherchants à cet archéomètre qui a tant excité les imaginations et tant aiguisé les passions parmi
les ésotéristes depuis un siècle, si d’autres ouvriers viennent qui
sauront mieux que moi faire parler les symboles archéométriques, faire pivoter les cercles jusqu’à en découvrir d’autres
correspondances secrètes, s’imprégner patiemment des ondes qu’il
émane, alors je serai fondé à espérer que mon travail n’aura pas été inutile et je serai heureux d’avoir apporté ma modeste pierre à une
entreprise qui reste largement ouverte et où tout est encore à
découvrir. Pour ma part, je poursuivrai ma tâche sans hâte ni lenteur et aussi longtemps que Dieu me le permettra.
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La Bible et la Voie des Maîtres par Patrick Négrier
Réduire le judaïsme et le christianisme à la voie des rites serait une grave erreur car comme la plupart des religions traditionnelles, le
judaïsme et le christianisme comprenaient, parallèlement à la voie des rites, une voie des maîtres bien distincte. C’est ce que nous
allons essayer de montrer.
La coexistence d’une voie des « pères » spirituels
parallèlement à la voie des rites
Dans la Bible, la charité consiste à spiritualiser les égoïstes et à
sanctifier les égotistes. Or lorsque l’auteur de la Genèse expose en Gen. 2,10-14 les modalités de la charité sous la forme des quatre
fleuves coulant du haut de la montagne vers la vallée, il commence
par différencier le fleuve Pîshôn de la région de Havîlah (« danse »). Ce fleuve Pîshôn où se trouvent l’or, le bdellium et la pierre d’onyx
désigne la voie des rites qui utilisait l’or (Ex. 37), l’onyx (Ex. 28,9-
10) et enfin la manne comparée à du bdellium (Nomb. 11,7) et déposée dans le tabernacle de l’exode où les prêtres célébraient le
rite de l’holocauste (Ex. 16,33-34). Ainsi le fleuve Pîshôn figurait-il la
voie des rites différenciée de la « danse » (Havîlah). Mais qu’était cette danse différenciée de la voie des rites, étant entendu que les
rites du yahvisme puis plus tard du judaïsme ne comprenaient pas
de danse ?
En Gen. 4,17-22 la voie des rites se trouve différenciée de la voie
des pères spirituels. En effet selon l’Ordre de Melkîtsedeq roi de Shalem et prêtre du Dieu Très-haut (Gen. 14,18 ; témoignage
historique de l’époque des rois-prêtres de l’antiquité du proche-
orient), c’est Qayin qui, en qualité de fondateur de sa cité de Hanôk,
exerçait comme prince le rite. Or parallèlement au rite exercé par le
prince, la cité abritait trois types de « pères » (‘avî) spirituels. Yaval
était le « père » spirituel des bergers ; Youval était le « père » spirituel des musiciens ; Touval-Qayin était le « père » spirituel des
métallurgistes ; et nous en déduisons qu’en tant que femme,
Na’amah était la mère spirituelle de ses enfants. En effet il n’est pas concevable que ces trois « pères » étaient les pères de tous les
bergers, de tous les musiciens, et de tous les métallurgistes. Même
s’il est vrai qu’à cette époque archaïque les métiers se transmettaient de « père » biologique en fils, tous les praticiens d’un
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métier n’étaient pas les fils biologiques du même « père ». C’est pourquoi nous devons en déduire que ces trois « pères » nommés
en Gen. 4,20-22 étaient, outre des « pères » biologiques, des «
pères » spirituels. Ainsi la Genèse atteste-t-elle que parallèlement à la voie des rites, il existait une voie des « pères » spirituels.
Les milieux sociaux des pères spirituels
Nous venons de voir qu’en Gen. 4,17-22 trois métiers servaient de
support à une transmission de « père » spirituel à fils. C’était aussi les cas des métiers d’orfèvre et de parfumeur puisque Neh. 3,8.31
mentionne les « fils » des orfèvres et des parfumeurs. Mais ce n’est
pas tout. La mention répétée de l’expression « fils de prophètes » en I Rois 20,35, en II Rois 2,3.5 (à Beyt’el et à Jéricho) et en II Rois
4,38 atteste que le milieu social des prophètes servait lui aussi de
support à une transmission de père spirituel à « fils » spirituel (cf. Nomb. 11,16-25). La preuve en est qu’en II Rois 2,12 Elisée, le
nazîr (I Rois 19,19-21 ; II Rois 2,23) apprenti prophète et disciple
du prophète Elie appelle celui-ci son « père ». Cette différenciation entre voie des rites et voie des « pères » spirituels pratiquée
notamment dans le milieu social des prophètes se trouve confirmée
en Ex. 15,20-21 où la danse de Miryam, différenciée de la voie des rites incarnée par le chef du peuple Moïse, est présentée comme une
pratique prophétique accompagnée de musique et de chant
(expression orale du prophétisme). Comment interpréter cette association de la danse avec le prophétisme (chant) et avec la
musique ? Si le chant est un dire et si la danse est un faire (de ce
qui est dit), la musique, qui fait danser, représente le faire faire (sous-entendu : faire faire ce qui est dit). Mais qu’est-ce que ce
chant prophétique qui est un dire illustré par la danse qui est un
faire ? En Gen. 28,9 la « danse » (Mahalat) est présentée comme la sœur de Nebayôt, qui signifie « regarder ». Il apparaît ainsi qu’en
Ex. 15,20-21 l’association de la danse au chant prophétique illustrait
l’association de la danse avec le « voir » prophétique signifié par le
chant (sur l’équivalence du prophétisme avec le « voir », cf. I Sam.
9,9.11).
Les milieux sociaux des « maîtres » spirituels
Nous avons vu que plusieurs métiers servaient de supports à la transmission de « père » spirituel à « fils » spirituel. Or en Ex.
35,30-35 Betsale’el, qui était rempli de « l’esprit des vertus » (rouah
‘elohîm), de « sagesse » (hakemah), « d’intelligence » (tevounah), de « connaissance » (da’at), et ‘Aholî’av, tous deux praticiens de
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plusieurs métiers (métallurgie, joaillerie, ébénisterie, broderie, tissage), sont dits capables « d’enseigner » comme maîtres aux
artisans qui sont leurs apprentis. Dans le contexte précis de leurs
métiers ces maîtres spirituels exerçaient vis à vis de leurs disciples une activité distincte de la voie des rites (la voie des maîtres),
même si les oeuvres matérielles résultant de ces métiers servaient
au rite. En outre nous avons vu que le nazîr et apprenti prophète Elisée se considérait comme le fils spirituel de son « père » spirituel
le prophète Elie. Or qu’étaient les nazîrs (Nomb. 6,1-21) ? C’étaient
des hommes et des femmes « consacrés » à YHVH et qui émettaient trois « vœux » (neder) : s’abstenir de boire du vin (signe de leur
continence sexuelle) ; s’abstenir de se couper les cheveux (signe de
leur souvenir permanent de « l’Etre » qu’est YHVH au-dessus de tout être humain) ; et s’abstenir de tout contact avec une âme morte
(signe de leur devoir de ne pas se laisser influencer par les âmes
mortes mais au contraire de les vivifier). Ainsi par leur troisième vœu les nazîrs étaient-ils des maîtres spirituels, et leur pratique
éthique inhérente à leurs trois vœux (qui correspondaient aux trois
vertus théologales) était sensée les acheminer à terme à la capacité de devenir des prophètes (exemple du nazîr Samuel qui devient
prophète en I Sam. 3), c’est-à-dire des « voyants » (I Sam. 9,9.11),
pratique du « voir » qui caractérisait, nous l’avons vu plus haut, la voie des « pères » spirituels, ce qui fait des « pères » spirituels des
équivalents des « maîtres » spirituels (si les nazîrs, qui étaient
d’abord des praticiens de l’éthique, étaient sensés devenir ensuite des prophètes, c’est-à-dire des théoriciens, inversement comme
l’indique I Rois 13, les prophètes, qui étaient des voyants et par
conséquent des théoriciens, étaient appelés à apprendre à pratiquer l’objet de leur voir). En outre nous trouvons une dernière mention
des « maîtres » spirituels et de leurs apprentis en I Chro. 25,7-8 qui
établit une distinction entre les lévites musiciens et chantres qui étaient des « maîtres » (mebîn) et ceux qui étaient des « disciples »
(talemîd) ; noter qu’en I Chro. 25,1.3.5 parmi les trois « pères » de
ces musiciens et chantres, deux utilisaient la musique pour « prophétiser » (nive’îm) cependant que le troisième est dit être un «
voyant » (hozeh) du roi. Enfin si la relation interne aux lévites
musiciens et chantres servait de support à une relation de maîtres à disciples, par ailleurs la musique et le chant liturgiques de ces lévites
quant à eux servaient au rite exercé par les prêtres ou par le chef de
l’État dans le temple de Jérusalem.
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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La distinction des anciens et des novices
Nous avons vu que parmi les prophètes il y avait des pères et des
fils spirituels ; et que parmi les lévites il y avait des maîtres et des disciples spirituels. Or ces deux milieux sociaux comprenaient en
leur sein des anciens et des novices. C’est ainsi qu’en II Rois 2,16
parmi les cent prophètes de Beyt’el et de Jéricho, l’auteur établit une distinction entre « cinquante hommes vaillants » (les plus jeunes) et
les autres (moins vaillants parce que plus âgés, ces « anciens » que
II Rois 6,32 appellera les zeqenîm). De même nous avons vu que parmi les lévites musiciens et chantres il y avait des maîtres et des
disciples spirituels ; or en Nomb. 8,23-26 les lévites âgés de «
cinquante ans » et plus sont dispensés de leur charge pour enseigner aux lévites plus jeunes à exercer bien leur charge.
Les trois tactiques éducatives de la voie des pères et des maîtres spirituels
Les pères et les maîtres spirituels enseignaient leurs fils et leurs disciples en utilisant trois tactiques distinctes : l’enseignement oral
et écrit, l’épreuve illuminatrice et le test judiciaire. Nous trouvons
des exemples d’enseignement oral en II Rois 4,38 et 6,1-2 où les fils de prophètes se trouvent assis devant leur maître Elisée pour
écouter son enseignement ; en II Rois 6,32 où les « anciens »
(zeqenîm) des prophètes de Beyt’el et de Jéricho se trouvent assis avec leur maître Elisée dans sa maison de Samarie ; et enfin en Ez.
14,1 ; 20,1 ; 33,30-33 où des juifs en exil rendent visite au
prophète Ezéchiel et s’assoient devant lui pour écouter son enseignement. Nous trouvons des exemples d’enseignement écrit
chez les auteurs des livres de sagesse et en Ez. 43,10-12. Par
ailleurs nous trouvons des exemples d’épreuve illuminatrice en Gen. 22,1-19 (apprentissage du voir par Isaac aidé par son père Abraham
sur le mont Moriyah dont le nom signifie « vision de YHVH ») et en
II Rois 5,1-19 (accès de Na’aman au voir). Et enfin nous trouvons
des exemples de test judiciaire en Gen. 27,1-4 (test d’Esaü par son
père Isaac sensé permettre à ce dernier, qui exerçait la fonction de
chef de clan, de vérifier si son fils aîné était capable de lui succéder dans la fonction de chef de clan) ; en I Rois 10,1 (test de la sagesse
du roi Salomon par la reine de Saba) ; en II Rois 2,9-13 (test
d’Élisée par Élie, lequel test porte d’ailleurs sur la capacité d’Élisée à voir) ; et en II Rois 13,14-19 (test sensé permettre au nazîr-
prophète Élisée d’évaluer la capacité du roi Joas d’Israël à battre les
Araméens).
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Les maîtres de sagesse
La Bible mentionne plusieurs maîtres de sagesse : Salomon (I Rois
5,9-14 ; 10,1-13) à qui les auteurs attribuent la rédaction des recueils de maximes que sont les Proverbes, la Sagesse, et le
Qohelet (non qu’en vertu de son nom signifiant Ecclésiaste ce recueil
relève de la voie des rites, mais il fut attribué à Salomon qui en sa qualité de roi était le détenteur de la prêtrise et par conséquent
qualifié pour exercer le rite conformément à l’Ordre de Melkîtsedeq)
; le roi David auteur des Psaumes ; et enfin Ben Sira l’auteur du Siracide qui était cependant en sus, comme les rois David et
Salomon, un praticien des rites. Notons en outre que le livre de
Tobie mentionne le sage mésopotamien Ahiqar. Cependant l’Ancien testament ne fut pas seul à mentionner l’existence d’une voie des
pères et des maîtres spirituels parallèle à la voie des rites. Dans le
Nouveau testament et à la différence des trois autres évangiles dits synoptiques (ceux de Matthieu, de Marc, et de Luc), Jean ne
rapporte pas dans son Évangile l’institution du rite eucharistique par
Jésus de Nazareth. Or il se trouve que plusieurs matériaux de la voie vétérotestamentaire des pères et des maîtres spirituels se
retrouvent dans les cinq écrits johanniques, ce qui fait du
johannisme l’expression néotestamentaire de la voie des pères et des maîtres spirituels distincte de la voie des rites. Donnons
quelques exemples pour illustrer ce fait.
Le métier de berger a inspiré la parabole de Jn 10,1-21. Jésus, qui se qualifie lui-même de « prophète » en Jn 4,44 et qui fut reconnu
comme un « prophète » par plusieurs personnes (Jn 4,19 ; 6,14 ; 7,40 ; 9,17), était en outre un nazîr comme l’indique le fait qu’à la
mort de son père Joseph, Jésus rasa son abondante chevelure de
nazîr conformément à Nomb. 6,5.8-12, ce qui explique qu’en le voyant Jean-Baptiste ne le reconnut pas (Jn 1,31.33). Ce naziréat de
Jésus se trouve d’ailleurs confirmé non seulement par sa désignation
comme « nazoréen » (Jn 18,5.7 ; 19,19), mais encore par deux
autres faits. D’abord en mentionnant « le troisième jour », Jn 2,1
rattache l’épisode de Jn 2,1-11 à Jn 1,31-33 ; or dans cet épisode
de Jn 2, en fournissant de l’eau à la place du vin aux convives de Cana, Jésus proposa à ces derniers de participer à son naziréat
conformément à Nomb. 6,2-4. Et ensuite en mentionnant l’épisode
de l’eau de Cana comme le « premier des signes de Jésus », Jn 2,11 rattache cet épisode de Cana à Jn 4,43-54 qui est « le second signe
que fit encore Jésus », épisode au cours duquel Jésus approuva à
distance et en silence le retour de l’âme du fils d’un officier royal à la vie, conformément à Nomb. 6,6-7.
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Par ailleurs en Jn 3,10 Jésus de Nazareth qualifie l’un de ses deux disciples secrets de « maître » (didaskalos) d’Israël : Nicodème, qui
s’avère être un lévite (II Chro. 17,7-9 ; 35,3 ; Néh. 8,7-8) ; or
quoique Nicodème était en principe un « maître » d’Israël, Jésus le confond car Nicodème ne comprenait pas ce qu’est l’Esprit (Jn 3,1-
21), et c’est à cause de son ignorance de l’Esprit que Nicodème se
révèle être un faux « maître » d’Israël mais un vrai disciple de Jésus. En Jn 4,21-24 Jésus annonce à la samaritaine qu’elle est
venue l’heure où les véritables adorateurs adoreront le Père (« l’Être
» qu’est YHVH) non plus au sanctuaire du mont ‘Eval ni au temple de Jérusalem (voie des rites) mais en Esprit et en vérité (voie des
maîtres et des pères spirituels). En Jn 6,3 Jésus s’assied avec ses «
disciples » (matheton) comme le faisaient les prophètes et leurs disciples. En Jn 8,57 les juifs reprochent à Jésus de prétendre avoir
vu Abraham alors qu’il n’avait pas encore atteint l’âge de «
cinquante ans », âge à partir duquel les lévites pouvaient enseigner les lévites plus jeunes, c’est-à-dire être capables de voir (au sens de
comprendre) toutes choses y compris Abraham. En Jn 11,1-44
Jésus, en sa qualité de nazîr, guérit l’âme morte du pauvre Lazare. Ensuite en distinguant les « pères » et les « enfants », Jn 13,33 ;
21,5 et I Jn reprennent la distinction vétérotestamentaire des
anciens et des novices. Enfin si Jean décrit Jésus enseignant oralement ses « disciples » (mathetai ; cf. Jn 18,19-21), il le décrit
aussi comme pratiquant l’épreuve illuminatrice (Jn 9,1-7) ainsi que
le test judiciaire (Jn 4,6-10 ; 6,5-6).
Il ressort de ces nombreuses indications que Jean décrivit Jésus de
Nazareth non comme l’instituteur du rite eucharistique (voie des rites rapportée par les trois évangiles synoptiques) mais comme un
nazîr et comme un prophète illustrant la voie des pères et des
maîtres spirituels qui sera plus tard incarnée sous la forme de la direction spirituelle à l’œuvre dans le monachisme chrétien. On
comprend alors qu’en Jn 21,20-23 la distinction par Jésus entre
Simon-Pierre et Jean recouvrait la distinction fondamentale entre la
voie des rites (incarnée par Simon auquel Jésus de Nazareth donna
comme surnom le nom du grand-prêtre de l’époque : Caïphe, c’est-
à-dire Képhas qui signifie « Pierre ») et la voie des pères et des maîtres spirituels (incarnée par Jean). Or cette distinction par Jésus
et chez Jean entre la voie des rites incarnée par Simon-Pierre et la
voie des pères et des maîtres spirituels incarnée par Jean éclaire le passage de Jn 10,16 sur les deux « bercails », le premier bercail
étant composé des chrétiens membres des fraternités johanniques
suivant la voie des pères et des maîtres spirituels, et le second bercail étant composé des chrétiens membres des Eglises locales
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suivant la voie des rites sacramentels. Distinction entre voie des pères et des maîtres spirituels et voie des rites qui explique en III Jn
6.9-10 la différenciation entre les fraternités johanniques et «
l’Église » : ekklesia. Vincent Desprez a d’ailleurs remarqué que les premiers moines chrétiens des IVe et Ve siècles, qui relevaient donc
de la voie des maîtres, pratiquaient principalement la direction
spirituelle mais peu les rites sacramentels.
Jésus de Nazareth et ses « disciples »
Le nazîr et prophète Jésus de Nazareth, comme « maître » spirituel (il est qualifié de rabbi en Jn 1,38.49 ; 4,31 ; 6,25 ; 9,2 ; 11,8 ;
20,16), eut plusieurs « disciples » :
- ses douze apôtres (matheton : Jn 6,66-67) dont deux « disciples »
(matheton) du prêtre nazîr (Lc 1) Jean-Baptiste lui-même qualifié de rabbi (« maître ») en Jn 3,26 : André et Jean (Jn 1,35-40 ; cf. la
qualification de Jésus comme « maître », didaskale en Jn 1,38 et
didaskalos en Jn 13,13-14) ;
- la samaritaine et les samaritains du mont ‘Eval (Jn 4,28-30.39-
42) ;
- les trois pauvres Marie, Marthe et Lazare de Béthanie (Jn 11,1-44 ;
cf. l’emploi de « maître », didaskalos en Jn 11,28) ;
- des grecs venus pour le voir en Judée (Jn 12,20-22) ;
- deux « disciples » secrets : Nicodème (Jn 3,1-21 ; 7,45-52 ; 19,39) qui qualifie Jésus de rabbi et de didaskalos en Jn 3,2, et
Joseph d’Arimathie (mathetes : Jn 19,38) ;
enfin Marie de Magdala qui appelle Jésus « maître », didaskale
en Jn 20,16.
L’ambiguïté de Paul de Tarse face aux maîtres
Paul, qui s’était purifié avec quatre nazîrs dans le temple de Jérusalem (Act. 21,23-26), dénonça cependant le « temps où les
hommes ne supporteront plus la saine doctrine mais selon leurs propres convoitises et l’oreille leur démangeant, ils se donneront des
maîtres (didaskalous) à foison » (II Tim. 4,3). Affirmer cela et
contester la valeur et par là l’existence de la voie des maîtres, c’était chez Paul s’inscrire en faux contre le christianisme johannique qui
était une expression de la voie des maîtres. Les Actes des apôtres
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racontent d’ailleurs comment à Éphèse Paul détourna treize disciples de Jean de leur fraternité johannique pour faire d’eux des membres
des Eglises locales de Corinthe et d’Éphèse (Act. 18,24-19,7), c’est-
à-dire des praticiens de la voie des rites. En effet nous savons par Irénée de Lyon (dans Contre les hérésies) que l’apôtre Jean séjourna
à Éphèse, ville réputée pour ses maîtres comme Héraclite, etc. Or à
Éphèse Apollos avait été instruit de la « voie » (hodon) du Seigneur, c’est-à-dire du christianisme johannique (hodos : Jn 14,6). Cet
Apollos qui était un johannite n’avait reçu que le baptême de Jean-
Baptiste : il en est de même des douze autres disciples d’Éphèse, qui étaient donc probablement eux aussi des disciples de l’apôtre
Jean (en Jn 1,35-39, dans l’optique donc de la voie des maîtres,
Jésus avait recruté deux de ses disciples dont Jean parmi les disciples de Jean-Baptiste). Si Paul combattit les fraternités
johanniques d’Asie mineure (III Jn) pour faire d’une partie de ces
johannites des membres d’Églises locales et par là des praticiens de la voie des rites (d’où Apo. 1,9-11), il regrettera cependant dans son
Epître aux hébreux que le temps n’ait pas fait de ces derniers des
« maîtres » (didaskaloi : Heb. 5,12).
Articulation de la voie des maîtres à la voie des rites
Nous avons vu que s’il y avait des cas où la voie des pères et des maîtres spirituels se trouvait séparée de la voie des rites (exemples
des patrons des métiers en Gen. 4 et partiellement des nazîrs), il y avait cependant des cas où la voie des pères et des maîtres
spirituels se trouvait articulée à la voie des rites (exemples des
artisans du tabernacle de l’exode, ainsi que des lévites chantres et musiciens du temple de Jérusalem). Il y a un autre cas où la voie
des pères et des maîtres spirituels se trouvait articulée à la voie des
rites, c’est celle de l’enseignement oral et écrit donné par ces pères et par ces maîtres spirituels. Deux exemples le montrent. Le premier
exemple concerne l’enseignement oral. Lorsque le nazîr et apprenti
prophète Élisée appelle son père spirituel le prophète Élie « char
d’Israël et sa cavalerie » (II Rois 2,10-12), il le compare à une
ziggurat (une ziggurat mésopotamienne ou élamite ressemblait à un
char doté de coursiers), ce qui indique qu’Élie, qui était d’origine mésopotamienne (il portait le manteau de berger mésopotamien
dénommé ‘aderet'), avait enseigné oralement la symbolique et le
symbolisme des ziggurats à son disciple Élisée. Or la ziggurat, en qualité de temple, relevait de la voie des rites, et il est d’ailleurs
intéressant de constater qu’en se comparant à l’échelle de Jacob
(Gen. 28,10-22) qui avait servi de modèle cosmologique à l’architecture des ziggurats, Jésus se compara indirectement à une
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ziggurat, fait que nous ne retrouvons noté qu’en Jn 1,51 et non dans les Évangiles synoptiques. Le second exemple concerne
l’enseignement écrit des pères et des maîtres spirituels. Le prêtre et
prophète Ézéchiel, qui était un maître, enseigna les juifs en dessinant sur le sol de Babylonie le plan du temple de Jérusalem et
en traçant le décalogue qui se trouvait inscrit dans le dvir du temple
(Ez. 43,10-12 ; cf. I Rois 8,6-9). Or le temple de Jérusalem relevait de la voie des rites, et il est remarquable du point de vue
typologique que Jésus de Nazareth reproduisit le geste d’Ézéchiel en
Jn 8,1-11, fait précisément rapporté par Jean seul et non par les Évangiles synoptiques. Ces deux exemples montrent que des pères
et des maîtres spirituels pouvaient enseigner leurs fils et leurs
disciples en utilisant des matériaux de la voie des rites, que ce soit oralement ou par écrit. Ce fait se vérifie chez le maître spirituel
arménien Georges Ivanovitch Gurdjieff (1866-1949) qui enseigna
ses disciples notamment par écrit en dessinant le diagramme symbolique de l’ennéagramme, lequel renvoyait entre autres choses
à la ziggurat qu’était la tour de Babel (c’est-à-dire de Babylone :
Gen. 11,1-9), laquelle en qualité de temple relevait de la voie des rites.
La danse dans la voie des pères et des maîtres spirituels
Nous avons vu que la danse, comme pratique prophétique, relevait
de la voie des pères spirituels et non de la voie des rites. La Bible mentionne plusieurs fois la pratique de la danse (Ex. 15,20-21 ; Jug.
11,34 ; 21,19-23 ; I Sam. 18,6-7 ; II Sam. 6 ; Jér. 31,4.13 ; Mt.
11,16-19 ; Lc 7,31-35) et de ses antitypes (Ex. 32,17-19 ; I Rois 18,26 ; Mt. 14,6-11 ; Mc 6,17-28). Or comme expression de la voie
des pères et des maîtres spirituels, la danse n’apparaît pas que dans
la Bible : des maîtres comme Pythagore, Platon (République), Rûmî (maître musulman fondateur au XIIIe siècle d’un Ordre soufi dit des
derviches tourneurs), le Ba’al shem tov rabbi Israël ben Eliezer
(fondateur au XVIIIe siècle du judaïsme hassidique), Gurdjieff et
Carlos Castaneda (1925-1998 ; héritier de la tradition toltèque du
Mexique) enseignèrent eux aussi des danses sacrées à leurs
disciples. Au reste la distinction entre voie des rites d’une part et d’autre part voie des pères et des maîtres spirituels n’est pas propre
à la Bible : elle se retrouve dans la plupart des religions
traditionnelles.
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Les livres
Yves-Fred Boisset a lu pour vous :
Il semblerait que la mode soit aux « polars » ésotérico-
maçonniques. J’en ai deux sous le coude, reçus très récemment.
Bien entendu, il est hors de question de les décrire par le menu car cela reviendrait à les trahir puisque leur intérêt repose pour
l’essentiel sur le dénouement d’une intrigue. Par respect pour les au-
teurs, les éditeurs, les imprimeurs et les libraires, je me résoudrai à des présentations succinctes de ces ouvrages dont je me garderai
bien de déflorer le canevas.
Ces romans qui se faufilent dans la brèche ouverte par le fameux Da
Vinci Code de l’illustre Dan Brown ont des titres qui évoquent des
points forts dans l’inconscient initiatico-occultiste de certains d’entre nous.
Jugez-en plutôt.
Le premier des deux est dû à l’imagination fertile de Jean-Pierre Bocquet et son titre très modeste Le Maître du Sceau1, promet
mille et mille révélations sulfureuses. Deux inspecteurs francs-
maçons de la DCRI (j’ai cru comprendre que, sous ce sigle, se dissimulait une sorte d’organisation du type DGSE) découvrent sur
un cadavre un tatouage sur lequel ils enquêteront et cette enquête
les entraînera de fausse piste en fausse piste au pays catalan et cathare jusqu’au monastère de Montserrat avant de découvrir qu’ils
sont manipulés par des nostalgiques de l’idéologie nazie. Oh, la, la.
On se croirait en plein « matin des magiciens », cet ouvrage humoristique paru à grand bruit au début des années 1960. J’allais
oublier de vous dire les noms des deux inspecteurs et vous les
donne en mille : Mac et Benah. Fallait y penser !!!
Le second des deux est signé par Jean-Luc Aubarbier et son titre
n’est pas moins prometteur que le précédent : L’échiquier du Temple2. Un simple mot sous le titre du livre nous prévient. Il s’agit
d’un « thriller », c'est-à-dire en traduction littérale d’un « roman à
sensation ». Parlons français, de grâce !
1 Le Maître du Sceau, éd. Dervy, février 2015, 400 pages, 19,50 €.
2 L’échiquier du Temple, éd. City, janvier 2015, 300 pages, 18,50 €.
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Il ne manque pas un bouton de guêtre à ce roman à rebondissements. C’est une fondation américaine (les Américains ne
sont jamais très loin dès que l’on s’apprête à nager dans la violence)
qui emploie un archéologue français chargé d’explorer une ancienne commanderie tempère (les Templiers non plus ne sont jamais très
loin dès que l’on évoque l’odeur du soufre) et, comme il faut cacher
les secrets découverts par cet archéologue, un meurtre est bientôt perpétré. L’action commence sur le site périgourdin de Commarque
au cours de l’été 1974. Accompagné d’une charmante et fraternelle
compagne (comme dans les « James Bond »), notre héros parcourt des sites archéologiques dans le monde entier censés lui permettre
de percer (enfin !) le sacro-saint mystère des Templiers. « De
Jérusalem au Périgord, de l’Ordre du Temple au régime nazi (qui semble décidément être omniprésent dans toutes les affaires
ésotériques…), le secret de Commarque qui permettra peut-être de
percer le grand mystère (?) des Templiers a été gardé pendant des siècles et sa révélation est synonyme de tous les dangers » nous
indique-t-on en prière d’insérer. Tremblez, historiens rigoureux et
mécréants !
De Montségur à Dachau en passant par Jérusalem, le chemin semble
court aux yeux des auteurs voués au merveilleux et au rêve. Dans le martyre des Albigeois, les exactions des Croisés, le génocide nazi et
moult autres péripéties, y aurait-il un fil conducteur dérobé au
regard des innocents que nous sommes ?
Je ne le sais point. Mais, faut-il mêler les véritables centres
initiatiques à ces intrigues policières dont les voyeurs sont gourmands et qui alimentent les rumeurs et les médisances
gratuites des adversaires de la franc-maçonnerie ?
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Christine Tournier vous présente 4 ouvrages :
Alain Roussel a étudié l’anthropologie religieuse à la Sorbonne et
travaille dans l’Éducation Nationale. Initié à la Franc-maçonnerie en 1999, il prépare aujourd’hui une série de 8 essais autour de la
méthodologie et des symboles dans les différentes religions.
Les huit ouvrages proposés par Alain Roussel forment un ensemble
qui répond au devoir de transmission du savoir et de l'expérience
vécue, qui est celui de tout Franc-Maçon, ainsi que de « rassembler ce qui est épars », autre démarche et obligation maçonnique. Tout
simplement ces livres témoignent d'un engagement et d'une
expérience de vie maçonnique. Ils tendent à faire le point sur le chemin parcouru, sur les horizons ouverts par de nombreuses
interrogations et recherches nées de travaux en Loge, avec comme
fil rouge le Grand Architecte de l'Univers. Ils permettent, tant au profanes qu’aux Francs-Maçons, d'avoir une approche de quelques-
unes des préoccupations d'un Franc-Maçon en ce qui concerne le
fonctionnement interne des Obédiences et de divers sujets de réflexion qui peuvent être induits par un engagement dans un Ordre
maçonnique, ainsi que des implications pouvant en résulter dans la
vie au quotidien. Ils évoquent quelques aspects d'une spiritualité bien vivante.
Ici sont présentés les 4 premiers ouvrages de la collection. Chaque ouvrage, au prix de 20 euros, est publié chez LiberFaber, 23
boulevard des Moulins, 98000 Monaco. Il est possible de les
commander sur le site Internet de l’éditeur. www.liberfaber.com
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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Symbolisme et méthodologie en Franc-Maçonnerie Les chapitres constituant le présent
ouvrage exposent au lecteur certains
aspects de l'étude du symbolisme et de la méthodologie mise en œuvre par
les Frans-Maçons au sein de leurs
Loges. La Franc-maçonnerie transmet à ses adeptes l'art de décrypter les
symboles qu'elle a agrégés à sa
tradition si particulière. Un symbole pouvant être reçu selon différentes
manières, chaque Maçon exprime à
son encontre un point de vue qui lui est propre et constitue sa part de
vérité. Ce mode de pensée et de
travail contribue à repousser toute forme de sectarisme. De plus, à la
mise en commun de ces différentes
approches possibles correspond un élargissement des champs de
conscience de chacun des participants.
La Franc-Maçonnerie se donne également pour devoir impératif d’étendre à l’ensemble de l'humanité les liens Fraternels qui unissent
ses adeptes sur toute la surface du globe.
TABLE des Matières PRÉAMBULE
INTRODUCTION
I – ÉSOTÉRISME II – LA GNOSE ET LE GNOSTICISME
III – INITIATION
À quoi sert l’Initiation ? Comment se déroule cette fameuse Initiation ?
IV – LES SYMBOLES
Les pièges rationalistes et psychanalytiques Le langage des oiseaux
Spécificité du symbolisme maçonnique
V – LES MYTHES VI – LE SACRÉ ET LES RITES
VII – LA FRATERNITÉ
CONCLUSION NOTES
ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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Le Grand Architecte et la Franc-Maçonnerie Dans cet ouvrage, sont abordées
quelques-unes des multiples facettes
concernant la manière dont le symbole d’un Grand Architecte de l’Univers,
organisateur d’un chaos primordial,
peut-être approché par les Francs-Maçons, leur permettant ainsi d’avoir
un repère dans leur quête spirituelle.
L’auteur propose, entre autres, une lecture très détaillée des trois
premiers versets du prologue de
l’Évangile de Jean. Quel est donc ce Dieu des savants et
des philosophes ?
La particularité de ce Dieu est qu’il ne s’appuie en aucune manière sur des
vérités révélées, il ne repose que sur
la raison et l’expérience. L’expression Grand Architecte de
l’Univers est usitée en remplacement
du mot Dieu, car elle convient aussi bien aux approches déistes que théistes. Le texte des Constitutions d’Anderson, dans la version
remaniée de 1823, impose par ses land
marks la croyance en Dieu, Grand Architecte de l’Univers qui est défini comme :
Être suprême, invisible et tout puissant.
C’est donc À la Gloire de ce Grand Architecte, que travaillent aujourd’hui la grande majorité des Francs-Maçons du Monde.
Le mot français Gloire, est en fait inadéquat pour rendre compte de
ce que le mot hébreu kavod (doxa en grec, gloria en latin) recèle : la kavod est la présence de Dieu au milieu de son Peuple. Cette
présence est liée à une habitation : Dieu habite la tente, puis le
Temple. La Gloire est l’espace de Dieu. TABLE des Matières
PRÉAMBULE INTRODUCTION
I - ENTRE DÉISME ET THÉISME II – PROLOGUE DE JEAN
III - LA NÉCESSAIRE DUALITÉ
IV – COMMENT DÉSIGNER, NOMMER CE GRAND ARCHITECTE ? V - APPROCHE DE LA NATURE DU GRAND ARCHITECTE
VI – TRANSMISSION DE L’EXPÉRIMENTATION DE L’APPROCHE DU
GRAND ARCHITECTE CONCLUSION COSMOGONIES NOTES ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
L’Initiation Traditionnelle - n° 1 de 2015
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Approches du Divin et Franc-Maçonnerie Dans cet ouvrage, sont abordées
quelques-unes des facettes d’un très
vaste sujet : La notion de Dieu. L’être humain reste hanté par le
mystère de sa provenance, dont la
véritable genèse est totalement perdue dans la nuit d’un temps rendu à jamais
inaccessible.
Non content de s’interroger sur ses origines et sa destinée post-mortem,
l’Homme fait appel aux sciences
divinatoires, pour tenter d’examiner son futur et ainsi connaître à l’avance
son devenir probable en ce bas
monde… !!! Quels sentiments peut-on éprouver
pour Dieu ?
Faut-il remercier Dieu ? S’adjoignent d’autres questionnements concernant, les affres de la
mort, les imperfections de la création, l’accomplissement de la
volonté divine. Des propositions de réponses, comportant des spécificités typiquement maçonniques, éclairent les thèmes abordés.
Le Grand Architecte de l’Univers, constitue un symbole parmi les
plus importants de la Franc-Maçonnerie, il ne saurait en aucun cas représenter un refuge, mais plutôt indiquer une direction, un chemin
vers la lumière, stimuler une interrogation et une démarche
introspective… TABLE des Matières
PRÉAMBULE
INTRODUCTION I - Quels sentiments peut-on éprouver pour Dieu ?
II - Remercier Dieu ?
III - Que la volonté de Dieu soit faite IV - Les affres de la mort
V - Imperfections de la création
VI - Du Crédule au Sceptique CONCLUSION
NOTES
ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
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Initiation des femmes et Franc-Maçonnerie La tête, chez les femmes, n’est pas un
organe essentiel.
(Anatole France)
Ah les femmes ! Ces animaux sans
queue ni tête. (Sacha Guitry)
L’Homme considère-t-il vraiment la Femme comme son alter ego ???
Pour tenter de répondre objectivement,
à cette délicate question qui, normalement, ne devrait pas être de
mise, nous nous transporterons,
aléatoirement dans le temps et l’espace, au sein de différentes
civilisations et traditions religieuses,
pour voir la violence, le sort scandaleux et peu enviable que l’homme a bien
souvent réservé à sa compagne, qui a le douloureux privilège de
perpétuer la race humaine, de transmettre la Vie… Le sujet de la misogynie n’est pas nouveau, puisqu’il remonte à
l'aube de l’humanité et se retrouve inscrit dans la pierre, dès les
premières civilisations… Ce mépris de la femme est-il universel ?
Hélas ! Il semble bien que oui.
Il convient donc de rester sans aucune complaisance pour quelque tradition que ce soit, Franc-maçonnerie comprise… !!!
En effet, n’ayons pas peur des mots, celle-ci fait preuve d’un certain
obscurantisme, pour ce qui est de quelques obédiences, en ce qui concerne l’admission des femmes en son sein… nous évoquerons
l’évolution récente de la place que la Franc-maçonnerie libérale
daigne, enfin, après beaucoup de tergiversations, leur accorder parcimonieusement.
TABLE des Matières
PRÉAMBULE INTRODUCTION
I - Les Femmes et la Bible
II - Les Femmes et la Chrétienté III - Les Femmes et l'Islam
IV - Les Femmes et les traditions orientales
V - Les Femmes et la Franc-maçonnerie CONCLUSION NOTES ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE